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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones

Fascicule 2 - Témoignages du 24 mars 2010


OTTAWA, le mercredi 24 mars 2010

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd'hui, à 18 h 50, pour examiner les responsabilités constitutionnelles, conventionnelles, politiques et juridiques du gouvernement fédéral à l'égard des Premières nations, des Inuits et des Métis et d'autres questions générales relatives aux peuples autochtones du Canada (sujet : regard sur le modèle de gouvernance différent des Gitxsans).

Le sénateur Gerry St. Germain (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonsoir. Je souhaite la bienvenue à tous les honorables sénateurs, au public et aux téléspectateurs des quatre coins du Canada qui suivent les délibérations du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones sur CPAC ou sur le web.

Je suis le sénateur Gerry St. Germain, de la Colombie-Britannique, et j'ai l'honneur de présider ce comité.

Le comité a pour mandat d'examiner les projets de loi et les questions générales relatives aux peuples autochtones du Canada. Ce mandat donne au comité le pouvoir très large d'étudier diverses questions d'intérêt pour les Premières nations, les Métis et les Inuits.

Nous sommes réunis ce soir pour entendre des témoignages qui concernent la nation Gitxsan. Le territoire traditionnel de la nation Gitxsan s'étend sur environ 33 000 kilomètres carrés, dans le nord-ouest de la Colombie- Britannique, sur le cours supérieur des rivières Skeena et Nass. Sa population compte quelque 13 000 personnes. Le système traditionnel de gouvernance des Gitxsans demeure très solide, et on trouve, avec ce régime traditionnel, le système de conseils de bande.

Les membres du comité se rappelleront que, en décembre dernier, nous avons entendu des témoins de la Gitxsan Treaty Society qui nous ont entretenus du modèle de gouvernance différent des Gitxsans. Leur proposition tend à soustraire les Gitxsans à l'application de la Loi sur les Indiens et à éliminer le statut d'Indien inscrit, les terres de réserve et le gouvernement sous le régime de la Loi sur les Indiens. La proposition, qui est fort différente du modèle normal des traités, a mobilisé une attention nationale, pour dire le moins.

Au cours de la réunion d'aujourd'hui, nous aurons droit à une séance d'information sur le modèle de gouvernance différent de la part de ceux qui critiquent la proposition mise en avant par la Gitxsan Treaty Society.

[Français]

Avant d'entendre nos témoins, permettez-moi de vous présenter les membres du comité qui sont présents.

[Traduction]

À ma gauche, le sénateur Joyce Fairbairn, le sénateur Larry Campbell, de la Colombie-Britannique, et le sénateur Jacques Demers, du Québec. À ma droite, le sénateur Dennis Patterson, du Nunavut, le sénateur Carolyn Stewart Olsen, du Nouveau-Brunswick, le sénateur Rose-May Poirier, de la même province, et le sénateur Nancy Greene Raine, de la Colombie-Britannique.

J'invite les membres du comité à se joindre à moi pour souhaiter la bienvenue aux témoins et invitées de ce soir. Nous accueillons le chef Marjorie McRae, du Conseil de bande de Gitanmaax et directrice de la Commission gouvernementale Gitxsan. Elle est accompagnée de Geraldine McDougall, chef héréditaire gitxsan, Spookw.

Chef McRae, si vous avez un exposé à présenter, ayez l'obligeance de vous exécuter. Les questions des sénateurs viendront ensuite, si cela vous convient. Nous vous demandons de condenser votre exposé le plus possible, peut-être en le limitant à une dizaine de minutes, pour que les sénateurs aient plus de temps pour poser des questions pertinentes.

Marjorie McRae, Chef, directrice, Commission gouvernementale Gitxsan, Conseil de bande de Gitanmaax : Merci.

[Le témoin s'exprime dans sa langue autochtone.]

D'abord, je tiens à saluer les Premières nations qui sont les propriétaires traditionnels du territoire où nous sommes réunis. Je les remercie de nous avoir ouvert leur territoire pour que nous puissions venir ici nous adresser au comité sénatorial ce soir. Je veux également remercier le Sénat du temps qu'il nous a accordé, à Mme McDougall et à moi, pour lui parler de certaines des préoccupations et des difficultés que nous éprouvons, dans les territoires des Gitxsans, au sujet du modèle de gouvernance différent.

Je suis la conseillère principale de la collectivité de Gitanmaax. Nous sommes l'une des collectivités des Premières nations les plus importantes du nord-ouest de la Colombie-Britannique. Je suis responsable d'environ 2 200 membres inscrits de la bande. En faisant mon exposé ce soir, je représente également les collectivités de Glen Vowell, de Kispiox et de Gitwangak, ainsi que les services locaux des Gitxsans.

Je suis membre de la Commission gouvernementale Gitxsan. Nous sommes un groupe de quatre membres, et c'est nous qui avons un accord avec le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien portant sur les programmes et services destinés à tous les membres de notre collectivité.

Nous croyons comprendre que l'étude des responsabilités du Canada envers les Premières nations est actuellement en cours : responsabilités constitutionnelles, conventionnelles, juridiques ou découlant de politiques. Nous comparaissons aujourd'hui pour vous donner le point de vue des Gitxsans sur les obligations du Canada et ses manquements à ces obligations dans les négociations de traité. Je veux parler plus particulièrement du modèle de gouvernance différent des Gitxsans.

Le modèle de gouvernance différent des Gitxsans a été remis aux deux ordres de gouvernement en mai, je crois. Ce document a été porté à l'attention de la Commission gouvernementale Gitxsan en juillet. Peu après, nous avons commandé une analyse juridique de ce document et demandé aux juristes d'étudier les conséquences de ce modèle pour les gens de la base.

Ce travail une fois terminé, nous avons commencé à tenir des assemblées publiques. Il nous a semblé très important que nos membres soient informés de ce qu'on négociait en leur nom. Une ou deux fois, nous avons invité la Gitxsan Treaty Society, la GTS, et la Commission des traités de la Colombie-Britannique, la CTCB, à participer à nos assemblées publiques.

Nous n'avons jamais réussi à obtenir un débat public sur la question parce que, à chaque assemblée, l'une ou l'autre, la CTCB ou la GTS, ne pouvait être présente. Pour mettre l'information en commun et la communiquer aux membres de la collectivité, nous devions en grande partie recourir à des rencontres directes. Nous avons également placé toute l'information sur le site web de Gitanmaax, et puis nous avons fait des envois postaux pour informer tous nos électeurs qui habitent hors des réserves.

Dans les territoires des Gitxsans, nous avons connu une grande prospérité il y a plusieurs années, à l'époque où nous pouvions nous appuyer sur les secteurs de la pêche et de l'exploitation forestière. Avec les années, toutefois, notre économie est tombée dans un profond marasme, comme vous le savez peut-être. Dans la majorité de nos localités, le chômage varie de 85 à 90 p. 100. Vous êtes probablement au courant aussi des difficultés d'ordre social que nous avons éprouvées ces deux dernières années, avec des taux de suicide élevés. Nous devons continuellement affronter des problèmes sociaux.

Le message qui nous a été adressé, en ce qui concerne le modèle de gouvernance différent, c'est qu'il changera nos vies, et qu'il les changera pour le mieux. Nous comparaissons ce soir pour dire que nous ne partageons pas cette opinion.

Lorsque la GTS a fait une présentation ici en décembre, j'ai eu la chance d'examiner et de critiquer la transcription du témoignage. Les témoins ont dit avoir un appui massif pour le modèle de gouvernance différent. Ce n'est pas vrai. J'ai des documents qui prouvent qu'il n'existe pas d'« appui massif ».

Chacun des conseils de bande dont j'ai parlé tout à l'heure a présenté une résolution à Affaires indiennes et du Nord Canada, AINC. Il y a quatre ans, aux termes du règlement d'application de la Loi sur les Indiens, Gitanmaax a tenu un référendum, et 69 p. 100 des membres de la bande qui ont participé ont voté contre la Gitxsan Treaty Society comme représentante de nos intérêts, et ils se sont également prononcés contre toute l'idée de traité.

Depuis quelques années, mon conseil de bande essaie très fort d'obtenir l'attention du gouvernement pour lui faire savoir ce que nous pensons de tout le processus des traités. Malheureusement, nos appels sont tombés dans l'oreille d'un sourd.

Quant au référendum, nous avons envoyé toute notre documentation à AINC. Une semaine ou deux plus tard, il a tout renvoyé à ma bande, répondant qu'il y avait un mécanisme en place, et que les chefs héréditaires étaient responsables du traité. Nous n'avons pas été très heureux des résultats de nos efforts.

Depuis quelques mois, nous estimons n'avoir d'autre recours que la voie judiciaire. Je crois que la GTS en a parlé en décembre. Ce qui est regrettable, c'est que, si nous obtenions un certain engagement de tous les ordres de gouvernement comme quoi nous ne perdrons aucun acquis ou si on nous rassurait à ce sujet, nous ne nous adresserions pas aux tribunaux. C'est un gaspillage d'argent total. C'est de l'argent qu'il vaudrait mieux utiliser pour développer nos collectivités et donner des débouchés à nos gens.

Comme nous habitons dans le nord-ouest de la Colombie-Britannique, nous sommes isolés et loin des grands centres. Dans bien des cas, par conséquent, c'est à nous qu'il appartient de créer ces débouchés pour nos gens. Pour ma part, j'ai la chance de travailler dans le domaine de l'éducation; mes antécédents de travail sont là. J'ai travaillé dans ce domaine pendant 21 ans. Je m'occupe de politique, mais je suis aussi une travailleuse de première ligne. Je travaille avec des jeunes quotidiennement. Je lutte contre le suicide, je lutte contre la pauvreté, et je m'occupe tous les jours des sans- abri.

Je le répète, j'estime avoir beaucoup de chance, puisque je peux travailler dans ces deux secteurs de mon mieux. J'ai reçu mes ordres des membres, qui ont adopté une motion voulant que je fasse tout mon possible pour empêcher que le modèle de gouvernance différent ne devienne une réalité, et c'est ce que j'ai à faire.

Le conseil de bande de ma collectivité est très proactif. Il y a des assemblées avec les membres tous les trois mois, un site web actif, des bulletins, et nous faisons participer autant que possible aux décisions nos membres qui habitent hors de la réserve. Nous sommes ouverts et transparents. À quelques occasions, AINC a utilisé Gitanmaax comme lieu d'application des pratiques exemplaires. Je suis très fière du fait que nous sommes ouverts et transparents et que nous essayions d'obtenir la rétroaction des membres de la bande.

Quant au modèle de gouvernance différent, certaines des grandes préoccupations de mes membres, ce sont la perte du statut d'Indien inscrit, la perte de terres des réserves et la perte de cette protection sociale minimale qu'est la Loi sur les Indiens. Je serai la première à admettre que la Loi sur les Indiens n'est pas sans difficultés ni problèmes. Je serai la première à avouer que la vie dans les réserves n'est pas exempte de difficultés ni de problèmes non plus. Par contre, je crois aussi que nous devons tous travailler, collectivement, à l'amélioration de la situation. Je ne crois pas qu'il soit nécessaire de tout jeter par-dessus bord. Il y a des choses qui peuvent se négocier. Il y a diverses possibilités que nous pouvons examiner avec notre peuple pour voir lesquelles sont les mieux adaptées à nos collectivités et les plus aptes à répondre aux besoins de nos gens, sur le terrain.

Là-dessus, je laisse un peu de temps pour parler de l'aspect traditionnel du processus, puisque la GTS prétend utiliser la structure et le système héréditaires pour nous représenter.

Geraldine McDougall, chef héréditaire gitxsan, Spookw, à titre personnel : Mon nom héréditaire est Spookw. Je suis devenue chef en 2002. Lorsque je lui suis devenue, j'ai été invitée à la Gitxsan Treaty Society, pour faire partie de l'organisation. Dès le début, j'ai été invitée à une réunion qui portait sur un bassin versant. On voulait que je signe un accord de fiducie de 99 ans. J'ai dit que je ne pouvais pas signer un tel accord qui aurait des conséquences pour les membres de mon clan, à moins de retourner les consulter pour voir s'il était possible de signer. J'ai demandé ce que cet accord supposait. Je n'ai plus été invitée aux réunions. On est allé voir ma tante avec l'accord de fiducie, et elle a signé le document.

Il y a eu bien d'autres situations difficiles. Je suis devenue chef en octobre et, en novembre, j'ai été témoin d'un autre incident, un sit-in au bureau de la Treaty Society. C'était donc en novembre 2002. Un groupe de chefs étaient assis à l'extérieur du bâtiment, protestant contre ce qui était en train de se passer. Comment ont-ils été traités? Ils ont été exclus de la Gitxsan Treaty Society. Environ 27 d'entre eux ont été exclus. Suu Dee est l'un de ces chefs, et elle a engagé des poursuites. Elle a été jetée au sol, menottée et sortie de l'immeuble. Elle est un chef héréditaire. La Treaty Society répète sans cesse qu'elle est ouverte à tous, qu'elle regroupe tous les chefs héréditaires. Ce n'est pas vrai. Comment peut-elle dire honnêtement qu'elle accueille tous les chefs héréditaires si ce genre d'incident se produit? Voilà pourquoi je me bats pour mon peuple.

Lorsque mon oncle m'a choisie pour reprendre son nom, Spookw, il m'a dit : « Quand tu deviendras chef, tu ne représenteras pas seulement ton clan, mais tous les Gitxsans. Ce sont tous les Gitxsans que tu représenteras. » Il nous a quittés le 25 février 2010. Lorsque nous avons dit adieu à notre chef, nous avons rappelé au peuple que nous poursuivrions notre défense des Gitxsans.

La Treaty Society dit que nous ne voulons plus être des Indiens. J'ai lu et relu. Je me dis continuellement : de toute ma vie, je n'ai pas été inscrite. Mon père a dû renoncer à son statut lorsqu'il est entré dans l'armée. On nous a rendu notre statut en 1985. Il n'a récupéré le sien que plus tard, parce qu'il voulait pratiquer la pêche de subsistance, ce qu'il ne pouvait faire sans sa carte d'Indien inscrit. Il a fini par récupérer son statut il y a 20 ans.

Mon père nous a toujours dit qu'il nous faudrait travailler fort pour obtenir tout ce que nous voulions. Peu importait. Nous sommes allés à l'école et nous étions toujours traités différemment aussi bien par les gens de notre peuple que par les Blancs. Peu importait. Qu'on m'enlève ma carte, je serais tout de même gitxsan. Quelle différence cela ferait-il, si on nous privait de notre statut? Je ne voyais pas à quoi cela rimait.

Je suis travailleuse sociale. C'est mon métier. Je suis une travailleuse de première ligne. Mme McRae travaille en éducation, et je suis travailleuse sociale. Nous avons le privilège de travailler en première ligne avec ceux de notre peuple. Nous sommes au contact des plus pauvres parmi les pauvres. Nous apprenons jusqu'où peut aller cette pauvreté. Quelqu'un doit se faire leur porte-parole. On leur enlève les réserves, mais c'est là leur filet de protection sociale. Et voici qu'on me reproche de vouloir les confiner dans la pauvreté en maintenant les réserves. Ce n'est pas vrai. Ils n'en savent pas plus long.

Oui, il faut améliorer la Loi sur les Indiens. Mettons-nous à l'œuvre. Je ne crois pas que la Treaty Society ait jamais censé être une entreprise. Elle a commencé à négocier un traité, mais je n'ai jamais pu comprendre, puisque nous avons gagné, dans l'arrêt Delgamuukw, qui nous a donné le droit de négocier. Les Haida Gwaii ont réussi à utiliser l'arrêt Delgamuukw. Nous pourrions réussir également. Nous pourrions négocier tout ce que nous voulons avec le gouvernement, si les choses se font correctement. Nous avons un accord sur l'exploitation forestière. S'il est à l'avantage de seulement quelques-uns et que la base n'en profite pas, il y a quelque chose qui ne tourne pas rond.

Je crois comprendre que tout gouvernement, comme celui d'Ottawa, doit composer avec une opposition. Vous avez vos petites bagarres au Parlement, mais lorsque vous en sortez, vous êtes tous des copains. C'est dans l'ordre des choses. Dans notre système de fêtes, c'est la même chose. Nous pouvons avoir des querelles, mais s'il y a un décès, nous sommes tous censés être à la salle des fêtes pour faire notre travail. Rien de ce qui est mauvais n'y a sa place. La politique reste à la porte. C'est ainsi que les choses sont censées se passer. J'ai de nombreux sujets de préoccupation.

J'ai vu l'exposé que M. Gibson a fait ici. Il s'est présenté comme un Gitxsan, mais il n'en est pas un. Cela ma beaucoup troublée, parce qu'il parlait du livre blanc. Il en a donné son interprétation. Nous n'avons pas besoin du livre blanc. Il a été rejeté en 1969, je crois bien. Pourquoi en aurions-nous besoin? Personne ne nous écoute. J'ai été très heureuse d'apprendre que Mme McRae avait reçu un appel du comité, disant qu'il était prêt à nous entendre. Je suis très honorée d'avoir ce privilège.

Une chose encore. Le Canada est connu comme un pays ouvert et tolérant. Vous vous souvenez du Sikh qui a fini par être autorisé à porter son turban et son kirpan. Cela signifiait qu'il pouvait s'afficher comme celui qu'il est. Les Chinois peuvent avoir leur quartier. Ils se disent tout de même Canadiens. Pourquoi ne pouvons-nous pas être qui nous sommes? Nous étions ici les premiers. Pourquoi devons-nous renoncer à qui nous sommes?

Quand ces gens disent que nous voulons renoncer à ce que nous sommes, ils ont tort. Merci.

Le président : Madame McRae, vous avez parlé de toutes les collectivités qui s'opposent à ce modèle. Vous dites que votre conseil représente 2 000 personnes. Quelle est la population totale des collectivités qui, selon vous, s'opposent au modèle de gouvernance différent?

Mme McRae : Elle est de 7 560 personnes, pour être exacte.

Le président : Sur un total de 13 000?

Mme McRae : Oui. J'ai la copie des registres des bandes de Gitanmaax, de Glen Vowell, de Kispiox et de Gitwangak. Voici les chiffres : Gitanmaax, 2 155 membres; Glen Vowell, 390; Kispiox, 1 508; Gitwangak, 1 134. Les résolutions des conseils de bande que nous avons remises à Affaires indiennes et du Nord Canada et à la CTCB sont des résolutions qui présentent l'opinion des membres. Je me fie à la liste des membres tenue par AINC.

Le président : Une précision. Je crois comprendre que ceux qui adhèrent au modèle de gouvernance différent disent qu'ils sont héréditaires. Combien de clans ou de maisons la nation Gitxsan compte-t-elle?

Mme McDougall : Nous avons 61 clans, mais, mystérieusement, leur nombre a été porté à 78.

Le président : À votre point de vue, quel est le pourcentage de ceux qui sont favorables au modèle de gouvernance différent?

Mme McDougall : En qualité de chef, je ne peux m'exprimer au nom des autres clans. Je ne peux assister aux réunions parce que je m'oppose à eux. Toutefois, lorsque je suis allée aux réunions, il a été question de la façon de gérer la question du consensus. Lorsque nous participons à des réunions, bien des gens n'expriment pas leur opinion et ne posent pas de questions. Cela est souvent considéré comme un consensus. Selon mon interprétation, c'est ce qu'ils pensent être un consensus. Il y a d'habitude de 40 à 45 personnes, peut-être, qui participent à une réunion.

Le président : Est-ce qu'ils votent?

Mme McDougall : Non, ils ne votent pas.

Le président : Ils ne votent pas en levant la main ou autrement?

Mme McDougall : Non.

Le président : Très bien.

Le sénateur Campbell : Je présente mes excuses aux témoins pour avoir dû partir. Un certain nombre d'entre nous devaient participer à un vote. Si vous pensiez que nous sommes bien organisés au Parlement, détrompez-vous. Nous ne devrions pas tenir de vote lorsque nous accueillons des témoins à une séance de comité. Mes excuses.

J'ai le texte de votre déclaration, qui nous avait été communiqué. J'ai une ou deux questions à poser. Dans vos quatre clans, comment décide-t-on des maisons? Le nombre de maisons dans chacun des quatre clans héréditaires est-il fixé depuis des temps immémoriaux?

Mme McDougall : Depuis des temps immémoriaux.

Le sénateur Campbell : Je ne comprends pas comment cela s'est développé. Si c'est depuis des temps immémoriaux, cela doit avoir été établi bien avant.

Mme McDougall : Nous avons toujours eu les clans du loup, de la grenouille et de l'épilobe. À cause de tous les mariages croisés entre Kitwanga et Gitanyow, on a accepté les aigles. Nous avons fini par avoir le clan des aigles également.

Le sénateur Campbell : À une époque, les aigles faisaient partie des trois autres clans?

Mme McDougall : Non, ce n'était pas le cas. Ils se sont ajoutés, et c'est pourquoi nous avons quatre clans.

Le sénateur Campbell : Je vois. Quels ont été les principales constatations de l'analyse juridique que vous avez entreprise?

Mme McRae : Lorsque nous avons discuté avec les membres, ils nous ont demandé si nous pouvions commander une analyse des conséquences du document. Quelques éléments clés ressortent. D'abord, la réserve telle que nous la connaissons aujourd'hui serait éliminée. Dans un délai de six mois, la propriété des terres serait en fief simple. Deuxièmement, notre statut d'Indien inscrit disparaîtrait. Nous ne serions plus des Indiens inscrits et nous ne serions plus reconnus aux termes de la Loi sur les Indiens, puisque la Loi sur les Indiens ne s'appliquerait plus. On nous a dit également que tous les programmes et services que nous offrons en ce moment à nos membres par l'entremise de la structure du conseil de bande disparaîtraient.

Quand j'ai expliqué aux membres de la bande tout ce qui serait éliminé, ils ont eu beaucoup de questions à poser : « Qu'allons-nous devenir? Si tout cela se réalise, que va-t-il advenir de nous? » C'est la grande question à laquelle personne n'a répondu. Qu'adviendra-t-il de nous lorsque le document aura été signé?

En ce moment, peu importe les ententes qu'on fait, cela ne change pas la situation du peuple. Je suis fermement convaincue que, si nous voulons lutter efficacement contre nos problèmes sociaux, contre le suicide et tous les autres problèmes, cela doit se faire à l'interne, et c'est nous qui devons agir. Nous devons concevoir et mettre en place des mécanismes de guérison, des mécanismes pour bien nous entendre. C'est ce que je disais à Mme McDougall plus tôt aujourd'hui : « On peut dépenser tout l'argent qu'on voudra pour régler un problème, mais il ne se réglera pas tant que ceux qui souffrent ne trouveront pas une solution qui s'applique dans leur cas. » À mon avis, c'est là la clé.

Nous avons demandé ce qui se produirait une fois le document signé. Je ne m'inquiète pas pour moi, mais je me préoccupe vraiment pour au moins 85 p. 100 des membres de ma bande qui n'ont absolument rien en ce moment. S'ils sont propriétaires de leur terre en fief simple, comment assumeront-ils les dépenses? Comment vont-ils se débrouiller avec les différents problèmes qu'ils devront affronter dans leur vie?

Mme McDougall a dit tout à l'heure que nous considérions la Loi sur les Indiens, la réserve et tout le reste comme un modeste filet de sécurité. C'est ainsi que beaucoup de nos gens les considèrent. Or, on menace maintenant ce filet de sécurité, que rien ne remplacera. On nous dit que ce qui est proposé, c'est qu'AINC envoie à la province l'argent que la bande reçoit maintenant et que la province offre les services à nos gens. Expliquez-moi comment cela va marcher. Il ne fait aucun doute dans mon esprit que le gouvernement provincial ne va pas mettre en place un processus distinct pour nous. Il ne nous traitera pas différemment de ce qu'il fait maintenant.

Le sénateur Campbell : Je dois avouer que, après avoir lu le document, je ne m'y retrouve pas très bien. Normalement, les Premières nations sont impatientes de voir disparaître la Loi sur les Indiens et Affaires indiennes et du Nord Canada. En quatre ans, vous êtes le premier groupe qui venez nous dire qu'AINC est un filet de sécurité bénéfique pour vos gens. J'ai un peu de mal à y voir clair, étant donné qu'il semble que tous ceux qui ont comparu devant nous voulaient l'éliminer. Et voici que vous nous dites le contraire.

Mme McRae : Non. J'ai été critiquée pour cela également.

Le sénateur Campbell : Croyez-moi, je ne vous critique pas.

Mme McRae : Non, je sais. Mais ma position a été critiquée. Fort bien. Ce que je dis, c'est que, lorsque les choses ne marchent pas, il vaut mieux essayer d'examiner la situation et de trouver des solutions, n'est-ce pas? Voilà ce que je veux dire. Si ça ne marche pas, dites-moi comment régler le problème.

Chez moi, par exemple, j'ai siégé pendant 21 ans au conseil avant de devenir chef, et j'ai maintenant rempli trois mandats consécutifs à ce titre. Mon premier objectif, lorsque j'ai été nommée, a été d'élaborer une politique. Je voulais que mon conseil de bande soit ouvert, transparent et juste. Je voulais que les membres de la bande sachent que, lorsqu'ils s'adresseraient au conseil pour obtenir de l'aide, peu importait qui ils étaient ou quel était leur nom de famille, ils seraient tous traités de la même façon, selon ce que prévoyait la politique. Tous les membres qui se présentent au bureau de la bande savent que je m'appelle McRae, et qu'il n'est plus question que qui que ce soit ait droit à un traitement spécial.

J'ai dit aux membres : « Si quelque chose ne marche pas, au lieu d'être négatif et de tout démolir, dites-moi comment régler le problème, et je vais tâcher de le régler. » Telle est mon attitude à l'égard de la Loi sur les Indiens. C'est tout ce que nous savons. Certains disent qu'elle est mauvaise et d'autres qu'elle est bonne. Ce n'est pas à moi de décider. Ce serait une responsabilité qui me ferait vraiment peur si quelqu'un me disait : « Madame McRae, dites-nous quoi faire de la Loi sur les Indiens pour 2 100 personnes. » Pas question. C'est une responsabilité énorme, car la vie des gens serait touchée profondément. C'est ce que je pense aussi du modèle de gouvernance différent. Je ne voudrais jamais de la responsabilité d'avoir une telle influence sur la vie des gens sans leur demander : « Que pensez-vous de cette idée? »

Voilà pourquoi Mme McDougall et moi comparaissons aujourd'hui : on ne nous a pas demandé ce que nous pensions du modèle de gouvernance différent.

Mme McDougall : J'ajoute que nous demandons sans cesse à la Treaty Society de nous expliquer ce qu'elle fera de différent. Mettez tout sur la table; expliquez-nous. Ces gens-là ont été invités dans quelques collectivités, et ils sont partis. Dès que les gens commencent à poser des questions, ils partent. Ils ne nous disent rien. Quand on est convaincu d'une chose, on l'affiche : « Oui, voici notre plan. Voici ce que nous allons faire qui sera mieux. Voici ce qui sera bien pour notre peuple. »

Il y a bien des lacunes dans ce qui est proposé. Est-il réaliste de présumer que les gouvernements nous céderons tous nos territoires, alors que, avec tous les autres traités, ils nous ont donné des territoires grands comme un timbre-poste? Vous avez les réserves. Qu'avons-nous de si spécial pour qu'on nous concède tout notre territoire? Nous serons propriétaires, mais nous allons céder nos réserves. C'est là qu'habitent tous les gens. À mes yeux, cela ne tient pas debout.

Le sénateur Hubley : Je dois présenter moi aussi des excuses pour être arrivée un peu en retard.

Je ne sais pas trop si c'est le chef McRae ou le chef McDougall qui a dit que la Loi sur les Indiens avait besoin d'améliorations.

Mme McDougall : Nous l'avons dit toutes les deux.

Le sénateur Hubley : Effectivement, je le crois. Quels sont les principaux problèmes que la Loi sur les Indiens présente pour vous en ce moment? Nous discutions de gouvernance, mais quelles modifications recommanderiez-vous d'apporter à la Loi sur les Indiens pour régler le problème?

Mme McRae : Je peux répondre la première. Merci beaucoup de poser cette question. On ne nous demande pas souvent notre avis.

Je crois vraiment que la responsabilisation et la transparence sont importantes. Dans un rapport de l'an dernier, la vérificatrice générale parlait des milliards de dollars distribués par l'entremise d'Affaires indiennes et du Nord Canada et des faibles montants que les gens de la base reçoivent. Je suis tout à fait en faveur de la transparence et de la responsabilisation.

S'il y avait plus de souplesse dans la Loi sur les Indiens pour que nous élaborions nos propres politiques, nous pourrions travailler là-dessus avec le gouvernement. Je le répète, mon premier objectif, lorsque j'ai été élue chef, c'était d'élaborer nos politiques. Je suis tout à fait en faveur d'accords quinquennaux. Vous auriez du mal à croire les choses étonnantes que nous avons pu faire parce que nous avons eu la chance d'obtenir un accord quinquennal. Cela nous laisse de la latitude pour planifier. Au lieu de faire une planification annuelle, nous pouvons faire des plans sur cinq ans à l'avance, et je peux compter sur des montants précis à des fins particulières. Il serait très utile que la Loi sur les Indiens laisse plus de souplesse.

Une autre chose serait extrêmement utile : la capacité d'élaborer nos propres normes et politiques. Et il serait utile qu'elles se situent au niveau fédéral plutôt que provincial. Je reviens inlassablement sur cette question à l'APN et au sommet. C'est une idée que je préconise sans cesse. Je demande toujours ceci à mes collègues : « Pourquoi n'élaborons- nous pas nos propres normes? Pourquoi est-ce que nous ne créons pas nos propres politiques et nos propres processus, qui seraient efficaces pour nous? »

Nous n'avons pas besoin de nous fondre dans la masse. C'est ce qui fait notre originalité. Comme Mme McDougall l'a dit, le Canada est bien connu pour son ouverture à la diversité. Nous sommes un pays dont le multiculturalisme est poussé, et c'est admirable, mais il arrive qu'il n'y ait pas de place pour l'amélioration et la possibilité d'être partenaires. Aucun de nous n'aboutit à quoi que ce soit. Nous devons nous entendre et pratiquer une planification commune pour le bien de tous.

J'ai demandé aux chefs héréditaires pourquoi les conseils de bande ne collaborent pas avec les chefs héréditaires. D'un côté comme de l'autre, nous avons des rôles importants à jouer, et nous sommes au service des mêmes gens.

Le sénateur Raine : L'une ou l'autre d'entre vous pourrait-elle nous expliquer quel est le rôle du chef électif, quel est celui du chef héréditaire et quels sont leurs champs de compétence?

Mme McRae : C'est toute une question. Je connais mon rôle, car on me le rappelle sans cesse.

Je suis un chef élu aux termes de la Loi sur les Indiens. Mes compétences et mon rôle sont limités à la réserve. Le rôle des chefs héréditaires, ce sont les terres et les ressources, le système de redevances et la structure traditionnelle. Je considère mon rôle de chef élu comme étant plutôt celui d'un prolongement d'AINC et je dois à ce titre offrir les programmes et les services de la façon la plus juste et équitable possible pour nos membres, qui sont nos électeurs.

Dans le système électif, nous sommes strictement limités à la réserve, et nos compétences ne sont exercées que dans la réserve. Il y a actuellement une vive controverse qui nous met en cause, mon conseil de bande et moi, au sujet d'une de nos réserves élargies. Nous avons une ancienne réserve qui a été amalgamée en 1947 sur décision des chefs de Gitanmaax et des chefs de Kisgegas. Ceux qui n'étaient pas des membres de la bande sont allés dans notre ancienne réserve et ont commencé à construire un immeuble pour les services administratifs. Notre conseil de bande n'était pas d'accord. Nous avons fait raser le bâtiment. Et au lieu de délimiter les compétences de chacun, on en a fait un affrontement entre les conseils de bande élus et les chefs héréditaires, ce qui n'est pas vrai. Nous éprouvons le plus grand respect pour la structure héréditaire et les chefs héréditaires. De part et d'autre, il y a des rôles très importants à jouer.

Mme McDougall : À titre de chef héréditaire, je dois protéger notre territoire. Nous avons tous nos lieux de pêche et nos endroits pour cueillir les petits fruits, et nous connaissons tout notre territoire. Je suis également responsable de nos clans. Lorsqu'il y a un décès, je dois m'assurer que ce membre de notre clan reçoit une sépulture digne.

Le président : Chef, nous sommes impartiaux dans ce dossier. Nous essayons de comprendre ce qui se passe. C'est Elmer Derrick qui nous a demandé de le faire. Je l'ai connu, ainsi que d'autres Gitxsan, à l'époque des Nisga'a. Nous avons entendu une partie et le comité, dans sa sagesse, a décidé qu'il fallait entendre les deux parties. Ce n'est pas à sens unique.

Vous avez parlé d'un taux de chômage de 85 à 90 p. 100, d'un taux de suicide inacceptable, d'itinérance et de problèmes sociaux dont on n'entend à peu près pas parler ailleurs au Canada, sinon dans d'autres réserves des Premières nations.

Vous vivez cette réalité. Nous songeons à faire une étude de l'éducation. Chef, vous avez dit que vous étiez éducatrice. Est-il possible que la solution réside dans l'éducation?

Les niveaux de chômage sont en soit inacceptables, même si on fait abstraction des autres problèmes. Se débarrasser de la Loi sur les Indiens, c'est comme essayer de guider avec sa seule main un éléphant qui ne veut pas avancer.

Auriez-vous une proposition que le comité pourrait envisager ou recommander? J'espère que vous n'avez pas d'objection à ce genre de question.

Mme McRae : Non, c'est une excellente question. L'éducation, la formation et le renforcement des capacités sont la clé. Dans la dynamique de ma collectivité, je fais appel à tous les membres de la bande. S'ils ne possèdent pas la compétence voulue, nous investissons pour qu'ils l'acquièrent. Je suis très fière de dire que tous mes employés sont des membres de la bande. S'ils n'ont pas les compétences, nous les aidons à les acquérir. L'éducation et la formation sont la clé, car la connaissance, c'est le pouvoir. Et la compréhension vient aussi avec le savoir. Étant donné les difficultés que nous éprouvons chez nous en ce moment, c'est on ne peut plus vrai. C'est le genre de chose que je vis quotidiennement.

Beaucoup de jeunes qui se sont suicidés étaient des élèves de mon école. Nous avons travaillé inlassablement à un programme de mentorat, et nous essayons de l'étendre à d'autres collectivités. Ainsi, les jeunes décident eux-mêmes ce qui marche, ce qui ne marche pas et cherchent une solution. Je leur dis que je ne suis pas là pour tout régler : vous devez me dire comment régler le problème, et je vais vous aider à vous aider vous-mêmes. C'est la clé.

C'est ce que le Sénat, AINC et les gens de la Treaty Society doivent comprendre. Nous n'avons pas besoin qu'on nous donne de l'argent, qu'on nous impose des gens ou des solutions. Nous avons besoin de la possibilité d'acquérir les outils et les compétences qui marcheront bien pour nous, et cela doit venir des gens de la base.

Nous voyons que prescrire des solutions ne donne rien. En discutant de cette question avec Mme McDougall hier soir, j'ai dit, comme je le répète sans cesse à mes élèves, il y a toujours des problèmes quand on commence à rejeter le blâme sur quelqu'un. Il faut arrêter de chercher à blâmer quelqu'un. Nous avons tous été blessés, moi comprise. J'ai été victime d'agression lorsque j'étais enfant, mais voyez où j'en suis aujourd'hui. C'est ce que je dis à mes élèves : voyez où je suis rendue aujourd'hui. Il nous faut arrêter de blâmer les autres. Si vous voulez que votre vie soit différente et si vous voulez que la vie de vos enfants soit différente, vous devez changer d'attitude, vous prendre en main et vous mettre au travail. Par où cela commence-t-il? Tout commence quelque part, et on a besoin d'un bagage de connaissances.

La culture, ce que Mme McDougall cherche à partager, est la clé, ce qui veut dire que le territoire est l'élément central. La terre, c'est de là que tout vient, pour le peuple des Premières nations. Une fois qu'on rendra les jeunes autonomes et qu'on leur montrera ce dont ils sont capables, je n'ai pas de doute que les choses vont changer. C'est ce que j'observe au quotidien dans mon école. Il s'agit de motiver les gens, de faire qu'ils se prennent en main, de leur faire savoir qu'ils peuvent améliorer les choses pour eux-mêmes. Personne ne peut venir chez nous et tout arranger pour nous. Nous devons y voir nous-mêmes et leur donner tous les outils dont ils ont besoin pour faire eux-mêmes le travail. Il s'agit de savoir comment je peux vous aider à vous aider vous-mêmes. Voilà la solution, à mon avis.

Nous priver de la Loi sur les Indiens ou nous priver du peu que nous avons maintenant ne va pas régler le problème, parce qu'on ne s'attaque pas à sa cause profonde. Quand on considère le taux de suicide et tous les problèmes sociaux qui nous affligent, je crois, pour ma part, et c'est une opinion personnelle, que cela est attribuable dans une large mesure aux mauvais traitements intergénérationnels. Il existe un écart énorme. Les Premières nations n'ont pas l'exclusivité de ces maux. Ils sont présents dans tous les secteurs de la société. Les agressions sexuelles et la violence ne sont pas propres aux Premières nations. Le problème est omniprésent, mais comment nous y attaquer? Comment les gens réagissent-ils? Nous avons tous des méthodes et des stratégies différentes, mais cela doit venir de la population elle-même.

Le président : Combien de temps pouvons-nous attendre? Nous allons perdre une autre génération. Certains vont surmonter tous les obstacles, comme vous l'avez fait, mais que peut-on faire pour accélérer l'évolution? Comment combler l'écart? On peut bien dire qu'il y a des problèmes à tous les niveaux de la société, mais aucun autre groupe n'a un taux de chômage constant de 85 à 90 p. 100, ou un problème de suicide aussi inacceptable, aussi horrible que celui des Premières nations.

Je me permets de vous poser cette question, même si je sais que vous êtes venue pour parler de gouvernance et que, comme président, je devrais m'en tenir à l'objet de la séance, mais nous n'avons pas souvent l'occasion de parler aux gens. J'en profite donc pour vous demander comment nous pouvons combler l'écart. Que faudrait-il faire pour que la machine se mette correctement en route?

Mme McRae : Nous devons commencer à discuter et à nous rencontrer, et les gens doivent être ouverts et prêts à sortir des sentiers battus. Je songe à AINC, au gouvernement provincial et à tous les ordres de gouvernement qui ont la capacité d'apporter ce changement pour nous. Collectivement, nous pouvons apporter des changements si on nous en donne la chance, ce qui veut dire qu'il nous faut une certaine souplesse. Il nous faut de la souplesse dans la Loi sur les Indiens et dans la conception des programmes et des services, des politiques et des mesures législatives.

Pourquoi ne participerions-nous pas à cette conception? Ces choses nous sont destinées. Je demande à mon petit-fils quels sont nos plans pour le week-end. Je ne lui dis pas que nous allons faire ceci ou cela. Je lui demande ce qu'il veut faire pendant le week-end. Je fais ensuite ce qu'il souhaite pour le rendre heureux pendant quelques jours. En termes simples, c'est ce que je demande. Pourquoi ne pouvons-nous pas participer à la conception des différentes initiatives? Pourquoi ne pouvons-nous pas vous aider? Pourquoi ne pouvons-nous pas aider le gouvernement? À mon sens, tout le monde y gagnerait, car le gouvernement veut que nous rendions des comptes et soyons transparents, et la vérificatrice générale veut que l'argent soit dépensé de façon correcte. Pour moi, tout le monde y gagne; nous travaillons ensemble collectivement. Nous imaginons et créons des possibilités de changement. Il n'y aura pas de changement si chacun reste isolé dans son petit secteur. Il faut que les gens soient prêts à changer de paradigme.

Le sénateur Demers : J'ai moi-même été victime d'agressions. Je sais donc de quoi vous voulez parler. À l'extérieur de Montréal, à Caughnawaga, qui s'appelle maintenant Kahnawake, je me suis occupé d'une bande de jeunes qui traînaient dans les rues. Mais il ne s'agit pas uniquement de moi. Lorsque j'aurai terminé, vous comprendrez ce que j'essaie de dire. Ces jeunes-là ne savaient pas où aller. Nous en avons fait une équipe championne dont on parlait dans tout le Québec. À l'époque, on parlait d'Indiens, nous le savons tous.

Le plus important était de leur donner une structure. L'argent n'est pas toujours déterminant. Je l'ai constaté. Je suis allé dans la réserve indienne, et j'ai pris connaissance de la situation. Il y avait de l'alcool et toutes sortes d'autres choses. J'ai trouvé que le plus important, c'était de leur donner de l'espoir.

Si le gouvernement donnait un tas d'argent, qui sait... Je suis tout à fait en faveur de cela, et c'est pourquoi je fais partie de ce comité, mais nous devons donner aux jeunes de l'espoir et une structure, les mettre dans une situation où ils sauront qu'il adviendra quelque chose de constructif, en fin de compte. Des jeunes femmes et des jeunes hommes se suicident. Je suis allé prendre la parole dans des écoles aux quatre coins du Canada, et on me disait : « Entraîneur, nous n'avons aucun espoir. » Nous devons leur donner de l'espoir.

Les terres, l'argent, tout cela est magnifique, mais il nous faut aussi une structure. Connaissez-vous Joé Juneau, ce joueur de hockey qui est allé dans le Nord et a passé du temps avec les jeunes et s'est sacrifié? Il est multimillionnaire. Je vous rappelle qu'il a joué dans la LNH. Il est allé là-haut, il a proposé une structure, il a donné de l'espoir et les a sortis de la rue. Il n'est pas possible d'y arriver tout le temps, mais c'est de cela que nous avons besoin : leur proposer une structure et leur donner l'espoir qu'ils pourront faire quelque chose de bien.

Le président : Chers collègues, nous avons maintenant entendu le point de vue des deux parties. À mon avis, nous devrions discuter à huis clos pour voir, peut-être, si nous devons poursuivre l'étude de cette question.

Je voudrais maintenant remercier le chef et Mme McDougall, qui également chef héréditaire, de leur excellent exposé et de leurs réponses franches, directes et honnêtes.

Nous pourrions continuer à vous poser des questions sur les problèmes sociaux. J'espère qu'au plus intime de leur cœur, ceux qui préconisent un modèle différent veulent englober tout le monde. Ce serait pour le mieux. Mais il ne nous appartient pas de juger. Nous pouvons seulement écouter les témoignages. Le comité continuera de discuter de la question à huis clos comme il le fait souvent pour certains genres de question.

Là-dessus, je vous réitère mes remerciements. Faites bon voyage. Il se peut que, un jour, le comité rende visite à la nation Gitxsan. Certains d'entre nous, comme les sénateurs Campbell et Raine, et d'autres, qui se sont rendus là-bas savent à quel point c'est beau. Préservez cela. Nos meilleurs vœux vous accompagnent.

Mme McRae : Encore un mot avant de partir. J'ai signalé à la greffière que nous vous ferions parvenir une documentation. Nous y mettrons tous les documents qui étayent ce que nous avons dit aujourd'hui à propos de l'opposition au modèle de gouvernance différent, les résolutions des conseils de bande, l'information sur le référendum, les pétitions et le reste. Nous vous enverrons tout cela.

Je vous remercie tous de votre temps. J'ai aimé les questions que vous avez posées, car il n'arrive pas très souvent que nous ayons la possibilité d'expliquer ce que nous pensons. J'ai de l'espoir. Je suis tout à fait d'accord pour dire que ce qui manque, c'est l'espoir. Mais l'espoir ne vient qu'avec le changement, et il n'y a de changement que lorsque les gens sont disposés à l'apporter. Nous voulons nous y prendre de la bonne façon pour que les résultats soient durables. Merci de votre temps, et merci de nous avoir invitées.

Le président : Il est important d'entendre les deux versions de l'histoire. Je remercie les sénateurs de leur participation à ce débat très litigieux, mais important.

Chers collègues, d'autres questions ou observations?

Le sénateur Raine : Juste avant de partir, auriez-vous l'obligeance de faire le point sur les poursuites entamées devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique?

Mme McRae : Comme je l'ai signalé dans ma déclaration d'ouverture, nous avons essayé d'utiliser les moyens que nous donne la Loi sur les Indiens en tenant un référendum et en prenant des résolutions de conseil de bande, par exemple, mais cela ne nous a menés nulle part.

Avec ces poursuites, nous espérons, comme les chefs héréditaires, empêcher ce modèle de gouvernance différent de se concrétiser. C'est la clé. J'ai une motion des membres disant que nous devons prendre tous les moyens nécessaires pour protéger le peuple et la réserve. C'est pourquoi nous avons intenté des poursuites. Comme je l'ai dit tout à l'heure, c'est dommage, mais si les gens ne veulent pas travailler avec nous et ne veulent pas entendre ce que nous avons à dire, il arrive que nous n'ayons d'autre choix que celui-là. Il y a un mois et demi, le juge a accepté notre déclaration. Nous croyons comprendre qu'il appartient au greffe de décider quel juge aura assez de temps pour tenir le procès. On estime qu'il faudra environ trois jours et demi.

Le sénateur Raine : Bonne chance.

Mme McRae : Merci.

Mme McDougall : Je vous remercie également.

Le président : De rien, chef Spookw.

Mme McDougall : Puis-je vous expliquer ce que mon nom veut dire? Lorsque je l'ai demandé à mon oncle, il m'a raconté que, lorsque Spookw s'est enfui du territoire d'où il venait à cause d'un meurtre, il était à bout de souffle lorsqu'il est arrivé au sommet de la colline. Mon oncle a ajouté : « Comme tu parles tellement et perds le souffle, tu as été choisie pour porter ce nom. »

Le président : Très bien. Sénateurs, nous allons suspendre la séance pendant trois ou quatre minutes, puis nous siégerons très brièvement à huis clos.

(La séance se poursuit à huis clos.)


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