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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones

Fascicule 7 - Témoignages du 1er juin 2010


OTTAWA, le mardi 1er juin 2010

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd'hui, à 9 h 30, pour étudier les responsabilités constitutionnelles, conventionnelles, politiques et juridiques du gouvernement fédéral à l'égard des Premières nations, des Inuits et des Métis et d'autres questions générales relatives aux peuples autochtones du Canada (sujet : questions concernant l'éducation des Premières nations).

Le sénateur Gerry St. Germain (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Honorables sénateurs, mesdames et messieurs, vous qui nous regardez sur CPAC ou sur le web, bienvenue à cette séance du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones. Je suis le sénateur Gerry St. Germain, de la Colombie-Britannique, et j'ai l'honneur et le privilège de présider ce comité.

Le comité entreprend une étude sur l'enseignement primaire et secondaire dispensé aux enfants des Premières nations vivant dans les réserves. Ce matin, le comité reçoit des témoins provenant des administrations éducatives des Premières nations du Manitoba et de l'Ontario. Ils témoigneront en table ronde. Nous commencerons par le Conseil de l'éducation des Nishnawbe du Nord et le Centre de ressources éducationnelles des Premières nations du Manitoba. Nous formerons ensuite une deuxième table ronde, constituée de la Coalition autochtone pour l'éducation et de l'Ontario Native Education Counselling Association.

[Français]

Mais avant d'entendre nos témoins, permettez-moi de vous présenter les membres du comité qui sont présents aujourd'hui.

[Traduction]

Le sénateur Lovelace Nicholas vient de la province du Nouveau-Brunswick. Le sénateur Lillian Dyck, vice-présidente du comité, vient de la Saskatchewan, tout comme le sénateur Bob Peterson. Le sénateur Jacques Demers vient de la province de Québec. Le sénateur Carolyn Stewart Olsen vient du Nouveau-Brunswick, et le sénateur Patrick Brazeau vient de la province de Québec. Le sénateur Rose-May Poirier vient du Nouveau-Brunswick. Le sénateur Vim Kochhar vient de la province de l'Ontario.

Mes collègues et moi souhaitons la bienvenue aux témoins. Il s'agit de Barry McLoughlin, directeur de la formation continue au Conseil de l'éducation des Nishnawbe du Nord, et de Gwen Merrick, directrice exécutive associée du Centre de ressources éducationnelles des Premières nations du Manitoba. Sont aussi présents Bruce Stonefish, directeur exécutif de la Coalition autochtone pour l'éducation, et Cindy Fisher, présidente de l'Ontario Native Education Counselling Association.

Je donnerai d'abord la parole à M. McLoughlin et à Mme Merrick, puis à M. Stonefish et à Mme Fisher. Chers participants, bienvenue à cette séance. Détendez-vous. Ceci n'est pas un cadre formel. Inutile d'être nerveux, nous sommes fiers de vous accueillir aujourd'hui. Maintenant, j'invite M. McLoughlin à faire son exposé.

Barry McLoughlin, directeur de la formation continue, Conseil de l'éducation des Nishnawbe du Nord : Bonjour. Je suis directeur de la formation continue au Conseil de l'éducation des Nishnawbe du Nord.

Le Conseil de l'éducation des Nishnawbe du Nord, ou CENN, a son siège à Sioux Lookout, en Ontario. Pour ceux qui suivent les séries éliminatoires, Ryan Parent, des Flyers de Philadelphie, est originaire de Sioux Lookout. Si vous roulez en direction nord-nord-ouest pendant une vingtaine d'heures, vous arriverez à Sioux Lookout, qui se situe à environ une heure de Dryden, ville natale de Chris Pronger, aussi des Flyers de Philadelphie.

Sioux Lookout est le centre stratégique du Conseil de l'éducation des Nishnawbe du Nord. Le conseil est un programme mis en place par les chefs, un fait important en ce qui a trait à la gouvernance. Le conseil est une propriété constituée en personne morale appartenant aux chefs de 24 Premières nations du District de Sioux Lookout, une région de 200 000 kilomètres carrés dans le Nord-Ouest de l'Ontario. De bien des manières, le conseil se trouve souvent loin, tant au sens propre que figuré, des discussions sur l'éducation des Premières nations.

Cette organisation existe depuis plus de 25 ans. À l'origine, elle a été mise sur pied en réponse à un Livre blanc déposé par Pierre Elliott Trudeau et Jean Chrétien, respectivement premier ministre et ministre des Affaires autochtones à l'époque. Le dépôt de ce livre a déclenché un mouvement politique dans l'ensemble du pays, dont le thème était la maîtrise de l'éducation des Premières nations par les Premières nations. Le CENN est un exemple probant de ce mouvement.

En tant que directeur de la formation continue au CENN, je fais partie de la haute direction et je suis chargé de l'administration des fonds destinés aux études postsecondaires pour 24 collectivités. Concernant la gouvernance, j'ai été très contrarié par le rapport Usher. Le CENN n'a en aucun cas été consulté. Dans une des propositions, il est question de confier l'administration des fonds destinés aux études postsecondaires aux organisations régionales des Premières nations, une option que M. Usher élimine ni plus ni moins par la suite, sous prétexte que, sur le plan politique, il est impensable d'amener 24 chefs à s'entendre sur une politique commune en matière d'éducation. Pourtant, nous l'avons fait. Nous l'avons fait il y a plus de 25 ans.

Il est question d'une région de 200 000 kilomètres carrés dans le Nord-Ouest de l'Ontario, de 24 collectivités des Premières nations, d'une politique commune en matière d'éducation et d'un processus d'admission uniforme. Actuellement, nous travaillons à l'admission aux études postsecondaires. Quelque 500 étudiants recevront des fonds pour aller étudier à l'extérieur de la région, la plupart à Thunder Bay. Nous avons deux orienteurs là-bas. Environ 150 étudiants iront soit au Confederation College soit à l'Université Lakehead de Thunder Bay. Certaines présomptions sur la gouvernance et l'éducation me préoccupent beaucoup.

L'autre enjeu touche le perfectionnement des compétences professionnelles. En 1990, j'ai eu le privilège de me retrouver en compagnie de l'archevêque Desmond Tutu dans une résidence pour enseignants à Mishkeegogamang, ou Osnaburgh. Nous étions trois. Nous avons partagé un repas. Il savourait un gâteau au chocolat McCain. Je pense que ça a été un de ses moments préférés. Il était sidéré à cette époque, dans les années 1990. J'ai une majeure en histoire, de l'Université de Toronto, mais je n'ai appris l'histoire du Canada que lorsque je suis allé enseigner dans la région du lac Big Trout. La crise d'Oka faisait alors rage. L'archevêque Tutu était sidéré par les conditions à Mishkeegogamang en 1990. Il m'avait expliqué qu'il ne comprenait pas comment le premier ministre Mulroney, qui en avait fait tellement en tant que partenaire — le mot clé est partenaire — pour l'égalité en Afrique du Sud, pour l'abolition de l'apartheid, pouvait tolérer de telles conditions au Canada. Pourtant, ils l'ont fait, et ils le font toujours.

Le taux de suicide dans notre région est démesuré. Les jeunes ont besoin d'espoir, et l'éducation joue un rôle clé à cet effet. Je m'excuse de vous parler d'études postsecondaires, mais il y a un lien avec le secondaire et le primaire, avec la vie tout entière. Toute l'histoire des politiques sociales, des politiques du gouvernement du Canada, en ce qui a trait à l'éducation postsecondaire, est d'abord une question de perfectionnement des compétences professionnelles, et non d'épargne dans des fonds d'études individuels. Il s'agit de développer des compétences professionnelles dans les collectivités éloignées. C'est essentiel. Cinquante-quatre infirmières et infirmiers ont reçu leur diplôme d'études postsecondaires l'année dernière. Un des diplômés a fait ses études à la Osgoode Hall Law School et travaille maintenant pour les Premières nations, dans le domaine juridique.

Cette année, nous prévoyons que 70 jeunes obtiendront leur diplôme d'études postsecondaires. On compte parmi ceux-ci notre premier médecin, diplômé de la Northern Ontario School of Medicine. Il y a un besoin criant pour ces professionnels. La clé de leur réussite réside dans une bonne éducation primaire, secondaire et postsecondaire.

Je crois fermement que les organisations régionales des Premières nations s'occupant d'éducation sont essentielles et qu'elles doivent être traitées comme des partenaires à part entière, et non de second ordre. Le CENN exploite trois écoles secondaires et gère l'admission au secondaire. Nous gérons la Dennis Franklin Cromarty High School, à Thunder Bay, la Pelican Falls First Nations High School, près de Sioux Lookout, sur le territoire traditionnel de la bande du lac Seul, et le Wahsa Distance Education Centre, fondé dans le milieu des années 1990.

Mais le ministère a évalué sévèrement le centre, ce qui risque de compromettre son financement. Ce qui m'attriste, c'est que Wahsa a initialement été mis en place pour les étudiants de 24 Premières nations qui avaient quitté leur collectivité afin de tenter leur chance à l'école et qui, lorsque les choses n'avaient pas fonctionné pour une raison ou une autre, souvent d'ordre social, étaient rentrés chez eux pour ensuite se retrouver avec des enfants et devoir travailler. Les jeunes mères qui veulent poursuivre des études postsecondaires ont besoin d'un diplôme secondaire. Wahsa a été créé pour répondre à ce besoin. Le programme est essentiel dans le Nord-Ouest de l'Ontario. Plus de 300 élèves ont obtenu leur diplôme grâce au Wahsa Distance Education Centre. Les données montrent que ces diplômés ont obtenu d'excellents résultats au niveau postsecondaire.

Le CENN doit aussi gérer un programme de placement familial pour les élèves qui vont à l'école secondaire à Thunder Bay ou à Pelican Falls. Le coût de ces programmes est très élevé, mais l'enjeu est crucial.

Le CENN a aussi établi un partenariat avec l'Université Brock, à St. Catharines, que je gère dans le cadre de mes fonctions. Nous administrons un programme de baccalauréat en éducation pour les membres des collectivités éloignées.

Quand je parle de collectivités éloignées, quelques-unes sont accessibles par l'autoroute, mais d'autres non. Il faut s'y rendre en avion. Au nord, le district s'étend jusqu'à Fort Severn, sur la côte de la baie d'Hudson.

Une de mes grandes préoccupations actuelles, si on délaisse la gouvernance pour se tourner vers la prestation, est de m'assurer qu'une organisation comme la CENN dispose des structures nécessaires à l'enseignement secondaire, à la formation d'enseignants pour les collectivités locales parmi les membres de ces collectivités et à l'administration des fonds destinés aux études postsecondaires.

Ce qui me préoccupe beaucoup, dans l'ensemble du conseil, c'est que le vérificateur général veut voir des résultats, ce qui est légitime. Le système est désormais évalué en fonction des résultats, et c'est compréhensible. Par contre, on néglige un aspect très important. Lorsqu'on observe les tendances en matière de financement, par exemple, entre l'élève qui quitte une collectivité comme la Première nation de Kasabonika Lake pour aller à une école secondaire provinciale et celui qui, resté chez lui, fréquente l'école secondaire locale des Premières nations, la disparité des formules de financement est ridicule. C'est la même chose partout au pays. Voici la meilleure comparaison que j'aie entendue à ce sujet. Pour se rendre de la 9e à la 12e année, un élève a besoin d'un plein d'essence par année. Il lui faudra donc quatre pleins d'essence pour se rendre de la 9e à la 12e année dans un système scolaire provincial. Mais s'il ne reçoit que l'équivalent de deux tiers d'un plein d'essence en financement unitaire par année, alors on ne peut établir une mesure juste que sur six ans. Il aura besoin six fois de deux tiers de plein pour se rendre à destination.

Le sous-financement unitaire par élève ne date pas d'hier. Il y a eu des manifestations, des occupations et des grèves de la faim. L'autre jour, à la radio, j'ai entendu des propos qui m'ont déplu. Je ne dirai pas qui, mais il était question d'un politicien des Premières nations. Cette personne a dit, en parlant du politicien : « Tiens, il est encore en colère. » Le ton utilisé laissait entendre que, de toute façon, il était tout le temps en colère.

Mais il a tout à fait raison d'être en colère. L'accès à un service éducatif équitable est un droit conféré par traité. Les élèves ont le droit d'avoir une école financée et approvisionnée en ressources de manière équitable dans leur collectivité. Pour une raison ou pour une autre, ce n'est pas le cas. Certes, l'éducation des Premières nations est gérée par les Premières nations, mais le financement sera désormais établi en fonction des résultats. Pour atteindre les résultats voulus, nous avons besoin d'un plein d'essence par année.

Le président : Monsieur McLoughlin, nous avons trois autres témoins à entendre et nous voulons poser des questions. Je ne veux pas vous interrompre, mais je crois que la greffière vous a avisé que nous voulons avoir le temps de poser des questions.

M. McLoughlin : Tout à fait, merci.

Le président : Veuillez poursuivre, je vous en prie, si vous désirez conclure.

M. McLoughlin : Pour terminer, je voudrais parler de la relation entre le gouvernement du Canada, les Premières nations et la province. Cette relation existe déjà avec le CENN. Le CENN invite le ministère à inspecter les écoles secondaires pour l'accréditation, mais le programme scolaire et l'administration relèvent toujours des Premières nations. En ce qui a trait aux écoles de l'espoir, tout est une question d'espoir pour les jeunes, et, selon moi, le droit conféré par traité à un service équitable est pressant, non seulement dans notre région, mais dans l'ensemble du conseil.

Gwen Merrick, directrice exécutive associée, Centre de ressources éducationnelles des Premières nations du Manitoba : Bonjour. J'aimerais d'abord décrire le Centre de ressources éducationnelles des Premières nations du Manitoba. Ce centre a été fondé en 1998 dans le but d'offrir des services éducatifs coordonnés aux écoles, aux administrations éducatives et aux conseils scolaires des Premières nations. Il a été mis sur pied par les chefs en assemblée de l'Assembly of Manitoba Chiefs, sur recommandation des directeurs responsables de l'éducation, pour que les fonds réservés à la réforme de l'éducation, Rassembler nos forces, soient mis en commun pour la création d'un centre de services.

Nous desservons le Manitoba en entier, mais seulement les écoles administrées par les Premières nations. Au Manitoba, il y a plus de 49 Premières nations, 57 écoles et environ 18 000 élèves, selon la liste nominative de 2008-2009. Treize écoles secondaires des Premières nations offrent un programme de 12e année. Il y a cinq nations sur le territoire du Manitoba : les Anishinabes, les Ininews, les Dakotas, les Oji-Cris et les Dénés.

Sur le plan géographique, les Premières nations que nous desservons s'étendent du Grand Nord, parfois dans des collectivités éloignées, jusqu'au sud. Nous desservons toutes les Premières nations du Manitoba.

Nous avons, bien entendu, un modèle de gouvernance. Nous sommes constitués en personne morale, mais nous relevons de l'Assembly of Manitoba Chiefs. Nous avons un conseil d'administration. Nous relevons du conseil exécutif de l'Assembly of Manitoba Chiefs, qui, elle, relève des chefs en assemblée. Les directeurs responsables de l'éducation, qui se réunissent sous les auspices de l'AMC depuis la maîtrise locale de l'éducation, il y a plus de 30 ans, constituent notre groupe de conseillers.

Les processus et les structures en place suivent ce modèle. Dès qu'une nouvelle décision doit être prise concernant les programmes ou que notre mandat doit être modifié, nous utilisons ce processus. Lorsqu'on nous a confié la responsabilité d'accéder aux fonds par l'intermédiaire du Programme de réussite scolaire des étudiants des Premières nations, ou PRSEPN, et du Programme des partenariats en éducation, ou PPE — je ne sais pas si vous connaissez ces programmes — nous avons suivi ce processus.

Nous avons un conseil. Lorsque nous devons apporter des changements, nous nous tournons vers les directeurs responsables de l'éducation. À l'occasion, ils invitent un groupe de travail à travailler avec nous. Puis, nous nous en remettons au conseil exécutif des chefs pour obtenir son approbation, et ensuite aux chefs en assemblée, qui, eux, proposent des résolutions pour appuyer nos démarches. Les chefs en assemblée nous ont toujours soutenus, et nous leur en sommes reconnaissants.

Le système de base fonctionne bien. Lorsqu'on nous a annoncé la mise sur pied du Programme de réussite scolaire des étudiants des Premières nations et du Programme des partenariats en éducation, nous ne les connaissions pas. Nous avions l'impression qu'on nous les imposait, mais ce sont de bons programmes. Le seul problème, c'est que les gens avaient l'impression que ces programmes leur étaient imposés. Nous faisions déjà tout ce qu'on y recommandait, à l'exception de l'évaluation et de la mesure du rendement.

C'est difficile pour nous de mener un processus de prise de décision à terme, quel qu'il soit. Néanmoins, nous sommes parvenus à aller au bout du processus et à obtenir des résolutions des chefs en assemblée en deux mois, dans le respect des parties concernées.

Tout ça donne une idée des structures et de la gouvernance qui peuvent être mises en place par les Premières nations. Nous avons les éléments de base d'un système au Manitoba. Certes, le Centre de ressources éducationnelles des Premières nations du Manitoba n'est qu'un petit morceau d'un éventuel système, mais des processus ont été élaborés et des résolutions pouvant devenir des lois ont été adoptées. Les Premières nations peuvent conserver le pouvoir. Nous avons prouvé l'efficacité de cette démarche, tout comme nous avons prouvé l'efficacité d'une collaboration honnête et transparente avec les autres, fondée sur la communication de l'information et le respect.

Toutefois, il faut être prêt à reconnaître que les Premières nations croient en l'éducation de leurs enfants. Tous les parents souhaitent que leurs enfants reçoivent une éducation de qualité. Les gens doivent y croire et agir en ce sens.

Pour ce qui est des partenariats avec les provinces, nous en avons établi beaucoup, qui sont tous fondés sur l'idée d'avantage et de respect mutuels. Un grand nombre de ces partenariats respectent ce critère. Il existe des façons de faire les choses dans le respect de la philosophie des Premières nations — des façons de comprendre et des façons de procéder — tout en faisant preuve de responsabilité.

Bruce Stonefish, directeur exécutif, Coalition autochtone pour l'éducation :

[M. Stonefish s'exprime dans une langue autochtone.]

La langue dans laquelle je me suis exprimé est celle de ma collectivité, la nation Delaware. Nous nous sommes installés à notre emplacement actuel à la fin des années 1700. À cette époque, une seule personne parlait l'anglais. Il y a quatre mois, nous avons perdu notre dernier locuteur de langue maternelle. C'est un retournement complet de situation, représentatif de l'héritage laissé par le système d'éducation des Premières nations.

Je suis le directeur exécutif de la Coalition autochtone pour l'éducation. Nous représentons 13 Premières nations réparties dans deux ou trois centres urbains. Sept écoles sont administrées par des Premières nations. Quant à moi, je suis, en quelque sorte, un cas unique, puisque je suis également administrateur des Premières nations pour le Lambton- Kent District School Board, dans le Sud-Ouest de l'Ontario. Je vois donc les deux côtés, le système provincial et le système des Premières nations, administré par les bandes.

Notre organisation est ce qu'on appelle une organisation de soutien scolaire pour les écoles des Premières nations. Nous sommes censés — je dis bien « censés » — offrir les mêmes services que ceux offerts par les conseils scolaires publics à leurs écoles : conception de programmes scolaires, perfectionnement professionnel des enseignants, recherche, et cetera. Nous offrons aussi des services de soutien aux classes, aux enseignants et aux administrateurs, mais nous le faisons avec un budget qui ne se compare même pas.

Nous tentons de définir à quoi correspond la réussite dans les écoles des Premières nations. Je suis aussi étudiant au doctorat à la Harvard Graduate School of Education. J'ai préparé un rapport après avoir examiné des rapports sur l'éducation des Premières nations publiés sur 35 ans, à partir de l'exposé de principe de 1972, La maîtrise indienne de l'éducation indienne. Un des derniers documents que j'ai examinés était un bilan de la Commission royale sur les peuples autochtones, ou CRPA.

Il est intéressant de noter que chaque rapport produit au cours de ces 35 ans décrit quatre éléments principaux : premièrement, un programme scolaire adéquat sur le plan de la culture; deuxièmement, un enseignement adéquat sur le plan de la culture; troisièmement, l'inclusion ou l'enseignement des langues; quatrièmement, la définition des champs de compétence de chacun.

Bref, 35 années de rapports pour arriver au même constat. Dans mon rapport à Harvard, je concluais que soit nos efforts d'éducation des Premières nations — ou nos objectifs et notre vision de la réussite en matière d'éducation des Premières nations — n'étaient pas compris, soit ces objectifs et cette vision étaient compris, mais suscitaient de l'opposition parce qu'on ne voulait tout simplement pas les financer.

C'est ironique que je sois ici en train de parler encore des mêmes quatre éléments; ça fait donc maintenant 39 ans que nous parlons des mêmes choses. Pour nos écoles et nos efforts de soutien dans l'organisation, par exemple, nous essayons d'offrir du perfectionnement professionnel aux enseignants. Nous tentons de soutenir l'élaboration de programmes scolaires, et nous procédons par petites étapes pour appuyer nos écoles. Nous avons une très belle relation avec Lambton-Kent, probablement parce que je m'efforce d'y faire valoir mes opinions autant que possible. Les choses avancent tranquillement.

Nous travaillons en fonction de deux scénarios. Nous avons des écoles administrées par les Premières nations, et certains de nos élèves fréquentent des écoles publiques. Lorsque nous préparons un programme scolaire pour les Premières nations, nous avons une certaine marge de manœuvre, sans toutefois être entièrement autonomes.

En raison du financement que nous recevons d'Affaires indiennes et du Nord Canada, nous devons respecter les lignes directrices provinciales sur le programme scolaire et l'accréditation des enseignants.

Quand je regarde les écoles provinciales où vont nos enfants, je constate qu'il y a un réel problème de sensibilité culturelle et, par conséquent, d'adhésion des élèves.

La clé du problème, c'est que nous sommes tous le produit d'un système d'éducation qui ne nous a rien appris sur les Premières nations. Ça ne fait que quelques années que nous avons constaté l'ampleur des répercussions des pensionnats, et que des excuses ont été présentées. Quelques années seulement se sont écoulées depuis que la Commission d'enquête sur Ipperwash a établi le mandat d'enseigner l'histoire relative aux traités. Ces éléments sont tous essentiels à la compréhension des collectivités, de la réalité sociale et de la vision du système d'éducation des Premières nations ainsi qu'à la compréhension de l'avenir que nous souhaitons pour nos élèves.

À l'Ordre des enseignantes et des enseignants de l'Ontario, aucune disposition ne prévoit d'accréditation pour l'enseignement des études autochtones. Pour enseigner les mathématiques, ou encore pour enseigner aux enfants des niveaux primaire et intermédiaire, on doit suivre des cours et être accrédité. Mais il n'y a pas d'exigences pour les études autochtones. En Ontario, on ne parle des Autochtones qu'en 3e année — on aborde la question de la colonisation —, en 6e année, brièvement, dans le cadre des études sociales, et avec un peu de chance, en 10e année, si on a le temps. Je dis bien si on a le temps en 10e année, parce qu'ils appliquent le principe « 16 à 16 ». Les élèves doivent avoir suivi 16 cours obligatoires avant l'âge de 16 ans, mais les études autochtones ne font pas partie de ces cours. Ainsi, l'ensemble du système d'éducation de l'Ontario ne nous apprend rien sur les Premières nations.

Quant à l'élaboration du programme scolaire, voici l'objectif et la vision de l'éducation des Premières nations : les pratiques d'enseignement, l'intégration des langues, l'importance de la langue et les champs de compétence. Au conseil, nos discussions sur l'éducation portent beaucoup sur la littératie, la numératie et la sécurité à l'école. Quand il est question des Premières nations, l'éducation prend davantage l'allure d'un processus de guérison. Certains parents ne reconnaissent pas la valeur de l'éducation. Parmi nos grands-parents, certains ont vécu des expériences horribles au sein du système d'éducation. Je connais des enfants qui restent à la maison. Les parents ne les envoient pas à l'école parce que, à leurs yeux, l'éducation n'a aucune valeur.

Selon notre perception de l'éducation, elle doit devenir un processus de guérison. Dans le programme scolaire de l'Ontario, on forme les élèves pour qu'ils deviennent des citoyens accomplis capables de contribuer à la société de l'Ontario et du Canada. Nous en voulons tout autant pour les Premières nations. Nous voulons que nos élèves deviennent des citoyens accomplis capables de contribuer à la société des Premières nations. Nous avons de grandes ambitions en matière de développement social et économique, pour que les Premières nations puissent devenir autosuffisantes. C'est notre vision de l'éducation. Comment traduire cette vision dans le programme scolaire, dans l'enseignement et dans les champs de compétence?

Je sais bien que c'est beaucoup d'information à la fois. Je peux me prononcer sur des sujets précis, et peut-être qu'on aura l'occasion d'y revenir dans le cadre des questions sur le programme scolaire et l'enseignement. Ça fait au moins 18 ans que je suis dans le domaine de l'éducation. Disons que sept minutes, c'est peu pour vous faire part de mon expérience, mais c'était là un aperçu de mon expérience de l'éducation des Premières nations.

Le président : Nous prévoyons approfondir le sujet grâce aux questions, monsieur Stonefish.

Nous allons maintenant entendre Mme Fisher, présidente de l'Ontario Native Education Counselling Association. La parole est à vous, madame Fisher.

Cindy Fisher, présidente, Ontario Native Education Counselling Association : Merci et bonjour.

[Mme Fisher s'exprime dans une langue autochtone.]

Mon nom de baptême est Cindy Fisher. Je suis présidente de l'Ontario Native Education Counselling Association et je suis la directrice responsable de l'éducation pour les Ojibways de la Première nation Pic River. Ce sont les postes que j'occupe actuellement, et je travaille pour cette Première nation depuis 38 ans. À ce titre, je suis contente de pouvoir vous dresser un portrait complet de la situation, un peu plus tard.

Je suis très heureuse d'avoir l'occasion de m'adresser à des sénateurs ce matin. J'espère que cette discussion contribuera à bâtir un avenir prometteur pour nos enfants. Nous avons tous ressenti la fierté qu'ont éprouvée les Canadiens et les Canadiennes à l'occasion des Olympiques. Maintenant, imaginez la même fierté décuplée. C'est ce que nous ressentirons le jour où les Autochtones auront pris la place qui leur revient au sein du Canada.

On ne peut fractionner l'éducation, ni n'en examiner que certaines parties. La formation continue doit tenir compte de toutes ces parties, qui sont étroitement liées. L'enseignement, de la naissance jusqu'à la mort, se trouve au cœur de l'éducation autochtone.

L'Ontario Native Education Counselling Association, fondée il y a 25 ans, a rempli son mandat de formation, de perfectionnement et de soutien des orienteurs des Premières nations. L'ONECA, qui compte 180 cotisants, est reconnue en tant que représentante des orienteurs des Premières nations. Nous sommes uniques en ce sens que nous nous consacrons exclusivement aux orienteurs des Premières nations travaillant au sein de collectivités, de conseils scolaires et d'organisations des Premières nations qui soutiennent les jeunes Autochtones par la réussite scolaire.

Nous sommes une organisation sans but lucratif constituée en personne morale depuis 1985. Grâce à sa structure organisationnelle, l'ONECA entretient des liens avec les 133 collectivités des Premières nations de l'Ontario, par l'intermédiaire de ses représentants de district et de son bureau principal.

L'ONECA poursuit ses efforts de soutien des orienteurs des Premières nations et reconnaît l'importance de leur rôle au sein du système d'éducation. Leur travail aux niveaux local et postsecondaire est un élément essentiel de la base même du système d'éducation.

L'ONECA a établi une norme de service grâce à l'élaboration du programme de formation d'orienteuses et d'orienteurs scolaires autochtones, qui a été accrédité par le ministère de l'Éducation. Le programme, un succès depuis son lancement en 1977, compte plus de 450 diplômés.

Les orienteurs sont un des éléments clés qui appuient, encadrent et préparent les élèves pour qu'ils atteignent leurs objectifs. La description de leur poste et de leurs tâches varie selon l'endroit où ils travaillent, mais ils se consacrent tous à la réussite des élèves et à l'obtention de résultats positifs. Ils sont chargés d'inciter et d'aider les élèves à atteindre leurs objectifs scolaires.

Les rôles des orienteurs scolaires sont les suivants : services d'orientation sociale, psychologique et affective; planification de carrière et de formation; planification et coordination d'activités éducatives; planification et animation d'ateliers sur les aptitudes à la vie quotidienne et l'employabilité; sensibilisation à la culture et organisation d'ateliers spirituels; supervision des résultats et des progrès des élèves; coordination des services éducatifs et des services spéciaux pour les élèves ayant des besoins particuliers; recherche et consolidation d'information sur les bourses d'études; recherche de sources de financement et obtention de fonds ou administration de ressources financières, y compris, pour certains orienteurs, administration de la totalité du budget de leur collectivité des Premières nations consacré à l'éducation. Les rôles varient. Ainsi, certains orienteurs négocient des accords sur les frais de scolarité, d'autres gèrent les contrats de transport par autobus. Les rôles sont variés, et les responsabilités sont nombreuses.

Parmi les autres rôles des orienteurs scolaires, mentionnons ceux-ci : motivation et soutien des élèves ainsi que communication avec eux; participation aux plans de formation des élèves; collecte de données et production de rapports à l'intention des organismes de financement; gestion et soumission de budgets à leurs services; rencontre des enseignants concernant les programmes de transition et la transition entre les niveaux; communication avec les établissements et les élèves; communication avec les parties concernées; promotion de la participation des parents; recherche de ressources pour les enseignants; participation aux comités et aux séances de planification stratégique, et cetera.

Les Premières nations de l'Ontario qui ont des orienteurs reçoivent 36 000 $ par année pour payer leur salaire, leurs avantages sociaux, leur perfectionnement professionnel et leurs déplacements. Si on examine les rôles et les responsabilités des orienteurs, on peut affirmer à juste titre que ces postes sont sous-financés, et que ces rôles seraient répartis entre plusieurs postes dans la société en général. Nous avons des attentes incroyablement élevées envers nos orienteurs. Certains orienteurs font face à des situations qui dépassent l'entendement.

Au cours des deux dernières années, l'Ontario Native Education Counselling Association s'est surtout concentrée sur l'éducation postsecondaire. L'élimination éventuelle de ce programme par le Canada est une menace grave. Le Programme de soutien aux étudiants du niveau postsecondaire, créé au début des années 1970, a permis de financer ce qui constitue ni plus ni moins la première génération de diplômés postsecondaires. Auparavant, il n'existait pas d'écoles autochtones. Les pensionnats, eux, ne visaient pas à préparer les Premières nations aux études postsecondaires.

J'aimerais dire une chose au sujet des pensionnats. Si on ne fait rien maintenant pour l'éducation de nos jeunes, ce sera à eux que le Canada présentera des excuses au Parlement. Ce que le Canada impose à nos enfants en ce moment n'a aucun sens. Vous ne mettriez pas vos enfants dans cette situation; pourtant, vous vous attendez à ce que nous le fassions.

Notez aussi que, avant 1951, la Loi sur les Indiens obligeait les Premières nations à s'émanciper s'ils voulaient poursuivre des études postsecondaires. Le Programme d'aide aux étudiants de niveau postsecondaire est sans doute un des programmes d'AINC qui ont connu le plus de succès. L'année dernière, il a permis de financer 27 000 étudiants des Premières nations. Ces chiffres auraient pu être plus élevés sans le plafond de 2 p. 100. On estime que, de 2001 à 2006, 10 000 étudiants n'ont pu obtenir des fonds, parce qu'il n'y en avait plus. Chaque année, le nombre d'étudiants inscrits sur une liste d'attente ou dont le financement est retardé augmente, ce qui fait que l'écart entre le niveau de scolarité des Premières nations et celui des autres Canadiens augmente lui aussi.

Je n'ai pas été impressionnée par le rapport d'Alex Usher produit pour l'Educational Policy Institute et commandé par le ministère des Affaires indiennes. Néanmoins, on y mentionne que si les Premières nations atteignaient le même niveau de scolarité que les autres Canadiens, des milliards de dollars supplémentaires seraient versés dans l'économie d'ici 2017. L'éducation des Premières nations est un investissement, et il est temps que le Canada l'envisage comme tel. Les orienteurs jouent un rôle important dans l'administration locale et régionale des programmes postsecondaires. Il existe des guides de présentation de rapport. Nous avions apporté ces guides, tout comme d'autres documents, mais j'ai appris que nous ne pouvions pas les utiliser ici s'ils n'étaient pas bilingues. Bref, ces guides existent. Ce n'est pas que les orienteurs ne font pas de rapports; ils en font bel et bien. C'est plutôt une question de ce qui se produit avec l'information par la suite. Il faut investir dans ce programme pour recueillir et analyser des données.

Dans un document commandé par l'APN publié récemment, Bert Waslander, économiste pour Informetrica, a déterminé que nous avions besoin d'au moins 65 000 diplômés pour atteindre la parité avec le reste du Canada. Pour y arriver, nous avons beaucoup de pain sur la planche.

Nous avons aussi déposé un exemplaire du rapport intitulé Walk in Our Moccasins : A Comprehensive Study Of Aboriginal Education Counselors In Ontario, préparé par Pamela Toulouse. J'ai cru comprendre que certaines parties du rapport avaient été traduites. Nous avons le rapport avec nous. Dans le rapport, nous avons relevé des facteurs et des thèmes communs à l'ensemble du Manitoba, à tous les niveaux de formation continue, qui contribuent aux pratiques de conservation et de diplomation des élèves autochtones : participation des parents, des tuteurs et de la collectivité à l'éducation à tous les niveaux; orienteurs scolaires autochtones à temps plein dans les établissements d'enseignement; lieux d'ordre éthique consacrés aux élèves autochtones dotés de ressources scolaires, humaines et physiques pertinentes sur le plan de la culture; politiques sur le programme scolaire qui tiennent compte des peuples autochtones et soulignent leur apport; personnel enseignant sensibilisé à la culture et à l'équité; outils de cheminement de carrière pertinents sur le plan de la culture qui soutiennent les dons de chacun; soutien financier qui facilite la pleine participation à l'école et le bien-être à la maison. De plus, il y a les enjeux relatifs aux orienteurs scolaires autochtones ainsi qu'à la préparation et au bien-être des élèves qui ont été mentionnés par M. McLoughlin. Nous ne pouvons pas nous attendre à ce que nos élèves soient prêts alors qu'il y a de grands écarts entre les systèmes scolaires du primaire des Premières nations et le secondaire. Par ailleurs, voici d'autres enjeux soulevés dans le rapport : fonds insuffisants et ressources limitées pour les élèves; racisme et ignorance généralisés; temps, espace et personnel limités; engagement des parents; communications avec les Premières nations.

Ce sont des défis importants. Les rôles et les responsabilités d'Affaires indiennes et du Nord Canada n'ont pas été déterminés. AINC n'a pas mis en place les mesures ni les systèmes souhaités pour suivre les progrès scolaires. Par conséquent, il arrive difficilement à évaluer la réussite.

Les écoles des Premières nations ne sont pas financées de façon équitable, mais elles doivent offrir des programmes semblables à ceux offerts par les écoles provinciales. Comme je l'ai dit précédemment, je suis directrice et responsable de l'éducation d'une Première nation. Une des choses qu'on me dit quand je m'adresse à quelqu'un d'AINC, c'est que nous recevons un financement comparable. J'ai tenu compte de tout l'argent qu'on reçoit pour les écoles exploitées par les conseils, pour l'exploitation et l'entretien des écoles, et si on compare le taux au pied carré des écoles provinciales et fédérales, on constate un écart important. Le taux n'est pas comparable. Un rapport de vérification préparé l'an dernier parle aussi des projets d'immobilisation.

J'ai aussi tenu compte du salaire majoré du personnel enseignant ainsi que de la planification et de la conception à faible coût de l'éducation spécialisée. On obtient un total de 660 663 $. Nous avons 81 élèves. Pour le calcul du taux par élève, j'ai fait une simple division, je n'ai pas utilisé de formule. Le résultat est de 8 156 $ par élève. Des 81 élèves, 58 sont au primaire. S'ils allaient à la Marathon High School, à une vingtaine de minutes de là, le Canada verserait 15 211,53 $ par élève. Nous avons 23 élèves au secondaire. Le Canada paiera des frais de scolarité au secondaire de 17 131,88 $. Si le Canada peut donner ces fonds à un conseil pour l'éducation des enfants, pourquoi ne peut-il pas nous le donner? Quelle est la différence? Il faut remettre ça en question.

Si nous avions ces fonds, nous aurions un budget de 1 276 301 $ par année pour le fonctionnement de nos écoles. Qu'est-ce qui retient cet argent? Je me le demande sérieusement. Est-ce que ça fait vraiment partie des directives du Conseil du Trésor? Est-ce le mur invisible auquel nous nous heurterons si nous devenons trop brillants ou trop bons? Qui se valorise en nous dépréciant? Ça, c'est une chose à laquelle je m'oppose.

Nous devons cesser de parler d'« AINC ». J'y songeais hier soir. AINC est en train de devenir le bouc émissaire du pays. AINC est le bouc émissaire qui permet au Canada de décliner toute responsabilité. Le Canada est responsable. Tout le monde ici est responsable. Je ne comprends pas pourquoi ça arrive. J'ai terminé de lire mes notes, mais j'ai encore une chose à ajouter, puis j'aurai terminé.

Les Premières nations n'ont pas de financement assuré pour le renforcement des capacités ni pour la prestation de services de troisième niveau. Il n'y en a pas. Regardez partout au Canada. Où sont les groupes qui conçoivent les programmes scolaires? Où est notre ministère de l'Éducation? L'Ontario consacre plus de 20 milliards de dollars à l'éducation. Où est le nôtre? Le Canada doit mettre un terme à ça.

La Première nation de Pic River, d'où je viens, est une petite nation. Selon le rapport de vérification, que j'ai apporté, de 2003 à 2009, nous avons dépensé 1,5 million de dollars de nos recettes pour que notre école continue de fonctionner et nous n'offrons même pas les programmes disponibles. Le personnel enseignant du conseil scolaire le plus près est formé par le chef de file mondial en langue parlée. Nous nous en sortons, mais l'écart se creuse de plus en plus. Qu'est-ce qui arrivera à nos enfants quand ils devront se mêler à la société en général? Seront-ils au même niveau? Ils sont désavantagés.

Essentiellement, Pic River soulage le Canada. Malheureusement, ça ne peut pas continuer. Il y a deux semaines, des compressions importantes ont été faites. Nous avons dû mettre à pied nos assistants en éducation, un enseignant et tout le personnel de soutien. Et, hier soir, dans le budget final, il y avait encore des compressions importantes. Qu'est-ce qui arrivera à nos enfants?

Quand je suis revenue de la réunion sur les premières compressions, mes petits-enfants jouaient dehors. En les regardant, je me suis demandé : pourquoi n'en valent-ils pas la peine? Venez à notre école et observez les enfants. Allez dans n'importe quelle école d'une Première nation, observez les enfants et dites-moi pourquoi ils n'en valent pas la peine. Pourquoi n'en valent-ils pas la peine? Pourquoi est-ce que nos enfants ne valent-ils que la moitié des fonds? Pourquoi permettez-vous au Canada de dévaloriser nos enfants? Pourtant, vous vous attendez à ce qu'ils grandissent et deviennent forts. Beaucoup de choses doivent se réaliser. Nos élèves ont besoin de savoir qui ils sont en tant que Nishnawbe, mais aussi d'avoir confiance en qui ils sont. Nous parlons tous d'estime de soi et de l'importance de l'estime de soi, mais il est plus important encore d'avoir la maîtrise de soi. Voilà les choses que nous avons perdues et que nous commençons tout juste à retrouver.

Ce n'est pas long, sept générations. Mes yeux ont vu sept générations. Je suis fière d'être membre des Ojibways de la Première nation de Pic River. Je suis une Nishnawbe fière, j'aime être Nishnawbe. J'aime énormément ça. C'est inconcevable, mais, malgré cet amour, je ne suis pas trop fière pour supplier. Je vous en supplie : faites quelque chose! Si vous devez présenter vous-mêmes des projets de loi au Parlement, peu importe comment — je ne connais pas le processus parlementaire — faites-le.

Le président : Merci, madame Fisher.

Honorables sénateurs, j'ai une liste. Nous avons entrepris cette étude parce que nous savions qu'il y avait un besoin. Le comité contemple un tableau d'ensemble depuis le temps où le sénateur Sibbeston, à ma gauche, présidait le comité. Nous avons tenu compte de ce qui a été étudié à Harvard — un sujet dont vous avez parlé, monsieur Stonefish —, en l'occurrence de l'étude de Steven Cornell sur le développement économique, l'éducation et la gouvernance. Nous savons qu'il y a un problème. Nous avons entrepris cette étude pour déterminer si les structures sont adéquates. Ce que nous voulons comprendre, c'est si les fondements nécessaires à l'édification d'un système d'éducation adéquat pour les enfants des Premières nations sont présents, et voir comment nous pouvons formuler des recommandations.

J'aimerais poser une question à M. Stonefish. Vous avez dit être un administrateur hors réserve pour Lambton- Kent, je crois. Il est évident que vous connaissez les deux côtés : le système d'éducation des Premières nations dans lequel vous travaillez et le système d'éducation public. En plus de ce que j'ai décrit, nous avons entamé cette étude parce qu'il y a beaucoup d'accords tripartites en matière d'éducation qui sont conclus en Alberta et en Colombie- Britannique entre les Premières nations, la province et le fédéral.

Pouvez-vous nous dire ce qui, selon vous, devrait être fait? Vous avez dit que la vision de l'éducation autochtone n'était pas comprise par les enfants autochtones. Je comprends ça, car, au cours d'études précédentes que nous avons faites, nous avons été en contact avec des Premières nations. Cela dit, la seule manière de mettre sur pied un système d'éducation adéquat pour les enfants des Premières nations est de considérer les défis du point de vue des enfants. Puisque vous êtes membre d'un conseil scolaire qui n'appartient pas aux Premières nations et que vous jouez un rôle auprès des Premières nations, quel est à votre avis, brièvement, le plus grand défi à relever en matière d'éducation des enfants des Premières nations?

M. Stonefish : Une des premières choses que le conseil scolaire public ait faites a été de mettre sur pied un projet de perfectionnement professionnel. Il a fallu faire comprendre notre vision, ou l'objectif de l'éducation des Premières nations, aux administrateurs, aux directeurs d'école, aux directeurs des programmes, au directeur responsable de l'éducation et aux mandataires. Nous avons emmené chaque mandataire, chaque directeur des programmes et chaque directeur d'école visiter les quatre Premières nations faisant partie du conseil. Les porte-parole des Premières nations ont parlé de leur histoire, de leur expérience dans les pensionnats, de leurs traités ainsi que de leur vision de l'éducation, du développement économique et du développement social, pour que les mandataires, les directeurs des programmes et les directeurs d'école puissent comprendre chaque Première nation et la manière dont ils peuvent aider les communautés. Nous sommes ensuite passés aux enseignants. Le perfectionnement professionnel vise à remédier ce manque — je n'aime pas utiliser le mot « ignorance », peut-être un peu trop fort — de compréhension de notre vision et de notre objectif.

Lorsque nous parlons d'accords tripartites, les politiciens avec qui je travaille se mettent à parler de droits issus des traités. Ils s'inquiètent du transfert de l'éducation à la province et de la signature d'accords de haut niveau qui aboliraient des obligations et des responsabilités fédérales issues de traités. Comment les accords tripartites fonctionnent-ils? Je crois qu'ils peuvent fonctionner, mais nous devons y aller prudemment. Nous devons d'abord nous pencher sur l'élaboration des programmes d'études. Élaborons avec le Service des programmes d'études du Canada et la direction générale du ministère des lignes directrices et des normes visant les programmes d'études qui s'appliqueront autant aux écoles des Premières nations qu'aux écoles publiques.

C'est la même chose avec l'attestation des compétences en enseignement. Nous collaborons avec l'Ordre des enseignantes et enseignants de l'Ontario et le ministère à l'élaboration d'accords simples. Nous nous concentrons sur quelques aspects parce que nous voulons d'abord créer des liens de confiance. Ça fait 500 ans que nous ne nous faisons pas confiance. Je suis parfois sidéré par ce que j'entends dans la bouche d'un enseignant à propos des Premières nations ou de la culture des Premières nations. Jeune, ça me rendait furieux, mais je comprends maintenant qu'il y a de la désinformation. La base doit être établie avant que nous puissions parler d'accord, notamment d'accord tripartite de haut niveau.

J'ai une histoire à raconter sur ma Première nation. On allait prendre des terres aux Lenapes, sur la côte Est. Deux méthodes pouvaient être suivies pour déterminer la superficie des terres qui seraient laissées aux Lenapes. Ils pouvaient choisir de couvrir le sol avec 50 peaux de cerf, ce qui donnerait la superficie des terres qu'on leur laisserait. Selon ce qu'on raconte, les Lenapes ont coupé les peaux en minces bandes pour couvrir le plus de territoire possible. Puis, on a dit aux Lenapes qu'ils pourraient avoir le territoire qui pouvait être parcouru à la marche en un jour. Alors, les Lenapes ont retenu les meilleurs coureurs, les plus rapides, qui ont couru 24 heures durant. C'est ainsi que leur territoire a été délimité.

Il y a toute la question de l'endroit d'où nous venons, de la perspective que nous avons du monde, et de la perspective du monde d'AINC ou du ministère, au fédéral ou au provincial. J'ai eu beaucoup affaire à eux : j'ai fait partie du groupe d'experts chargé de mesurer le rendement pour AINC et l'APN. Mme Merrick était aussi membre du comité. Pour moi, il est évident qu'AINC ne comprend pas notre objectif ni notre vision. Ils veulent recueillir des données pour savoir si nos enfants vont à l'école, s'il existe un programme d'enseignement des langues et s'il existe un programme axé sur la culture. Il n'est pas du tout question de l'efficacité de ces programmes. Tout ce que nous pouvons dire, c'est : oui, nos enfants vont à l'école. Ces données ne disent rien sur la manière dont nous mesurons la réussite.

C'est la même chose avec la province et le programme scolaire d'Ipperwash. Ils veulent approuver tous les programmes scolaires que nous offrons. Un programme scolaire est en cours d'élaboration pour Ipperwash, et la province veut se réserver l'approbation finale. Toutefois, je ne peux pas permettre à la province de faire ça, car j'ai la confiance des Premières nations, et je dois m'entendre avec elles. Ce sont les Premières nations qui doivent approuver le programme scolaire.

Il est important de comprendre ce point de vue et les accords tripartites, et il y a beaucoup de travail à faire. Il faut commencer à petite échelle avant de s'attaquer à quelque chose de plus gros. J'espère que ça répond à votre question.

Le sénateur Stewart Olsen : Je vous remercie de vos témoignages. Je suis convaincue que vous êtes tous profondément déterminés à faire bouger les choses. Je m'interroge sur l'idée de réussite, et c'est peut-être le cas d'autres membres du comité. Je ne suis pas certaine de comprendre ce qu'est la réussite pour les Premières nations, la manière dont les Premières nations l'envisagent.

Par exemple, je vous regarde, monsieur Stonefish, et je dirais que vous avez réussi. Je regarde certains de mes collègues et je trouve qu'ils ont réussi. Quelle est la différence? Diriez-vous que vous avez réussi?

En quoi les possibilités sont-elles différentes? Peut-être M. Stonefish peut-il répondre en premier. En quoi les possibilités qui vous ont été offertes, qui ont fait de vous ce que vous êtes, sont-elles différentes de ce que vous tentez de faire? Je ne suis pas certaine d'être claire, mais mon dilemme tourne autour du mot « réussite ».

M. Stonefish : Merci pour la question. Ma philosophie est simple. On m'a enseigné que lorsqu'on vient au monde, on naît dans un but, qu'on choisit le moment et le lieu où on naît. Nous avons choisi les parents que nous avons parce que nous venons au monde dans un but précis.

Lorsqu'on vient au monde, on reçoit des dons particuliers. Lorsqu'on réfléchit sur soi, on constate qu'il y a quelque chose qu'on peut faire, quelque chose que nos enfants peuvent faire et quelque chose que Steve Yzerman peut faire que d'autres ne peuvent pas faire : une chose pour laquelle nous sommes naturellement doués. Ce sont nos dons.

Nous devons nourrir ces dons par l'éducation. Quand je pense à moi et à cette philosophie, j'ai eu certains dons, et des personnes m'ont aidé à les nourrir à certains moments de ma vie.

Il y a aussi un autre aspect, à part le fait d'avoir nourri mes dons et d'avoir profité de la présence, à certains moments, de personnes comme des oncles et des aînés. Je n'ai pas eu une vie sensationnelle. J'ai vécu dans des refuges pour femmes. J'en suis parti à 16 ans. Je n'ai pas vraiment eu l'embarras du choix. Certaines choses concordaient avec la philosophie de développement global et de développement personnel que j'avais eu la chance d'acquérir.

Toute ma vie, j'ai su qu'on me traitait différemment. Quand j'étais petit, je disais être fier d'être Delaware. Nous nous appelons la nation Delaware. J'ai dit ça pendant 17 ans jusqu'à ce que je rencontre un Cri qui parlait sa langue. Je ne pouvais pas parler ma langue. Je ne savais pas d'où venaient les Delawares. Apparemment, on n'est même pas des Delawares, on nous appelle des Lenapes.

Delaware vient du nom de lord De la Warr, qui détenait des terres sur la côte Est. On nous a appelés les Indiens Delaware. Je ne savais rien sur moi, mais la société et les écoles m'ont enseigné que j'étais différent. J'ai dû lutter. Mon père, lui, m'a enseigné qu'il fallait se battre pour surmonter cet obstacle.

J'y ai travaillé, bien que certaines personnes disent que j'ai eu du succès dans mes études. Je suis allé à Harvard pour pouvoir accoler ces lettres à mon nom, pour qu'on puisse dire en parlant de moi que j'ai fréquenté la meilleure école en Amérique. Cependant, ce qui m'a soutenu pendant mes études à Harvard et pendant toutes mes études universitaires, c'est ma culture : mes aînés et mes cérémonies.

Je ne veux pas dire combien d'années j'ai passées à l'université, mais j'y ai passé de nombreuses années à tenter de trouver ce qui ne va pas dans le système d'éducation. Comment peut-on faire en sorte que l'éducation soit plus pertinente pour nous? Où puis-je jeter le pont de nos connaissances culturelles? Lorsqu'on parle du but personnel et des dons, nous avons aujourd'hui des plans d'enseignement individualisés, des plans d'éducation spécialisée pour les enfants en difficulté. Selon notre système traditionnel, nous avons des dons personnels, alors notre plan d'enseignement est basé sur nos dons.

J'essaie de construire ce type de ponts. J'estimerai que j'ai réussi si je peux influer sur le système d'éducation, si je peux faire en sorte que des personnes comme vous comprennent et commencent à élargir les définitions, qu'elles adoptent une pensée critique envers notre perspective du monde et la façon dont cette perspective se traduit, pour nous, dans l'éducation.

Le sénateur Brazeau : Monsieur Stonefish, je suis content que vous ayez dit ça. Vous dites que vous avez cherché longtemps des façons d'améliorer le système d'éducation. Avez-vous trouvé des réponses concernant la manière dont nous pourrions améliorer le système d'éducation pour qu'il soit motivant, pour qu'il garde nos enfants à l'école et pour qu'il témoigne davantage des cultures, des traditions et des langues?

Une partie des travaux du comité consiste à entendre des solutions à adopter pour se rendre du point A au point B. Ce matin, tous les témoins ont décrit des problèmes, et nous les connaissons. En revanche, comment faire bouger les choses? Nous avons besoin d'entendre des solutions pour les étudier et, espérons-le, les intégrer aux recommandations qui se retrouveront dans le rapport soumis au Parlement.

Nous devons nous concentrer sur les solutions. J'aimerais savoir, en quelque sorte, si vous avez répondu à votre propre question.

M. Stonefish : Encore une fois, merci de poser la question. J'aime qu'on me pose ce genre de questions. C'est pourquoi je vous remercie de la poser.

À la CAE, où je travaille maintenant avec Mme Merrick, nous avons commencé à étudier les quatre éléments dont nous avons parlé. Le principal facteur de réussite pour les élèves des Premières nations est de se reconnaître dans les programmes scolaires; ils doivent voir leur vie dans ces programmes. Et nous avons commencé à élaborer des programmes scolaires. Nous avons pris les directives de l'Ontario sur les programmes scolaires et nous avons créé un plan de cours pour chaque niveau. Par exemple, je crois qu'en sixième année, les élèves étudient la roche en science. Nous avons ajouté un plan de cours qui porte sur l'oiseau-tonnerre. La Première nation de Kettle Point abrite un des rares nids d'oiseau-tonnerre du monde. L'autre se trouve en Nouvelle-Zélande. Nous parlons de notre propre perception de la roche et de la perception du reste du monde. Ça contribue à cette vision.

Le projet nous a coûté 100 000 $. Selon AINC, il faut le réaliser en huit mois alors que les conseils scolaires le feraient en deux ans.

Nous gagnons du terrain et faisons ce que nous pouvons. En matière d'évaluation, nous avons conclu des partenariats avec l'Université de Western Ontario et l'Université Harvard. Le First Nations Education Steering Committee, ou FNESC, le Centre de ressources éducationnelles des Premières nations du Manitoba, ou CREPNM, et d'autres organisations canadiennes se réuniront en septembre, à notre instigation, pour définir ce qu'est une évaluation culturellement appropriée et la forme qu'elle doit prendre en éducation spécialisée, en histoire, en science, en littératie et en numératie.

En matière de pratiques d'enseignement, nous avons notre propre évaluation. Nous vendons les programmes scolaires que nous avons élaborés. Le prix comprend la formation. Nous avons la responsabilité de rendre hommage aux aînés qui ont contribué aux documents, de veiller à ce que nos documents soient respectés. Lorsque nous vendons un programme scolaire, nous formons les enseignants à son utilisation. Même s'il n'est question que de huit plans de cours, au moins, les enseignants les comprennent. Il faut essayer de couper la poire en deux et faire ce qu'on peut.

Lors des réunions de réseautage des divisions, je dis toujours aux enseignants qu'on ne parlera pas d'argent, car nous avons maugréé contre ça suffisamment longtemps. Commençons par faire les petites choses que nous pouvons faire, que ce soit par rapport au programme scolaire, à l'enseignement, au soutien ou à l'engagement communautaire.

Ce sont toutes ces choses. Il ne s'agit pas seulement de financer l'éducation des Premières nations; il y a tout un héritage social que nos enseignants et nos administrateurs doivent comprendre, par exemple en quoi ce qui s'est passé dans les pensionnats influence ce qui se passe aujourd'hui. Nous devons commencer à réaliser ces petites choses. Je crois que de nombreuses pratiques exemplaires des Premières nations doivent être mises en valeur.

Lorsqu'on envisage de véritables partenariats avec les provinces ou les établissements, alors les choses évoluent. Nous gagnons du terrain et nous avons des solutions. Je déteste avoir à le dire, mais nous n'avons pas les fonds nécessaires pour faire le travail que nous avons à faire.

Le sénateur Lovelace Nicholas : Mes questions portent sur le taux de réussite et tous peuvent y répondre.

S'il y avait une loi fédérale et que le plafond de 2 p. 100 de financement gouvernemental à l'éducation était supprimé, croyez-vous que ça aurait une incidence sur le taux de réussite?

M. McLoughlin : Faites-vous référence à l'éducation postsecondaire en particulier?

Le président : Nous parlons principalement de la maternelle à la 12e année.

M. McLoughlin : La suppression du plafond est un enjeu pour l'éducation postsecondaire, ou est-ce dans l'ensemble?

Le président : C'est global, je crois.

Madame Fisher, voulez-vous intervenir à ce sujet? Je demande à tous de bien vouloir répondre brièvement pour que chacun ait la chance de poser des questions.

Mme Fisher : Absolument, ça aurait une incidence; même si le financement était égal. Je sais que nous avons besoin de plus qu'un financement égal. Il y a bien des choses que l'éducation ne peut accomplir. C'est difficile et nous devons nous rappeler que nous reconstruisons une nation.

Concernant le financement, je sais que le financement à Pic River nous permettra d'avoir des conseils intelligents, de financer des bibliothèques, d'offrir des programmes, d'offrir de la formation en numératie et en littératie, d'offrir la maternelle à temps plein et d'offrir de nombreux programmes qui sont offerts par les conseils scolaires.

Nous sommes chanceux de travailler avec le conseil scolaire que nous avons, et qu'il s'efforce dans la mesure du possible de garder le personnel à niveau en offrant du perfectionnement professionnel, et cetera. Peu importe le type de perfectionnement, ateliers ou autres, le conseil y invite la Première nation. Nos élèves sont à leur place dans ce système. C'est ce genre de choses.

Le sénateur Dyck : Je vous remercie pour vos témoignages. Ils étaient très bons, sincères et passionnés. J'en ai eu parfois les larmes aux yeux, notamment pendant votre témoignage, madame Fisher. Vous avez parlé avec passion de l'éducation des enfants des Premières nations et j'ai particulièrement aimé ce que vous avez dit sur la reconstruction d'une nation. Ce que vous tentez de faire, c'est de reconstruire une nation par l'éducation et de concevoir l'éducation pour qu'elle convienne aux enfants des Premières nations.

J'ai deux questions. Tous peuvent y répondre. La première concerne les répercussions des pensionnats sur les générations suivantes. Je suis convaincue que c'est un point important. Qu'est-ce qui pourrait être fait au primaire et au secondaire pour atténuer les répercussions? Par exemple, est-ce que les parents et les grands-parents participent au programme scolaire ou d'une façon quelconque au sein des écoles?

Deuxièmement, nous savons tous que la population autochtone est jeune. L'âge de la population atteint un point culminant à 17 ans — environ la moitié de la population des Premières nations a moins de 25 ans et le point culminant est probablement 17 ans. Si nous reconstruisons une nation, nous avons là une occasion ou une crise, selon ce que nous faisons, car nous avons le nombre qu'il faut dans ce groupe d'âge pour reconstruire la nation. Que devrait-on faire? Si nous voulons avoir une influence sur cette population, où devons-nous concentrer nos énergies? Comment peut-on surmonter les répercussions des pensionnats? Où doit-on concentrer les énergies pour reconstruire?

Mme Merrick : Bien entendu, les pensionnats ont été un désastre, et ils l'ont été parce qu'ils ont été conçus à l'écart des Premières nations pour les Premières nations. Le gouvernement de l'époque a cru faire ce qui était le mieux pour nous. Cette mentalité subsiste. Si nous voulons influer sur le cours des choses, alors finançons l'immersion linguistique, l'immersion dans les langues des Premières nations. Nous en avons une au Manitoba — la nation crie Opaskwayak — et on y fait graduellement la mise en œuvre de l'immersion linguistique, en commençant par la garderie et la maternelle, et en ajoutant un niveau par année.

Selon l'évaluation provinciale utilisée pour l'anglais, on a surpassé en trois ans les élèves du programme anglophone. Le programme en est à sa troisième année. Vous voulez connaître des solutions. En voilà, mais les programmes seront- ils financés? Voilà l'autre question.

Peut-être qu'augmenter ou supprimer le plafond aidera et que ça nous permettra d'offrir un programme de base de qualité, c'est certain. Cependant, nous avons besoin d'un programme amélioré, d'un programme enrichi des connaissances, des langues et de la culture des Premières nations. En outre, les aînés, les enseignants et les citoyens des Premières nations doivent collaborer à l'élaboration de programmes, qui devront ensuite recevoir l'aval des aînés.

Au Manitoba, nous avons des aînés qui sont des concepteurs de programmes expérimentés, car ils ont participé à l'élaboration d'un programme linguistique avec des enseignants. Ils ont été témoins de toute la démarche professionnelle et ils commencent à s'y connaître, ils s'y connaissent en conception de programmes scolaires. Voilà ce qui est possible quand on adhère à la croyance des Premières nations selon laquelle chacun est bon, chacun a un don et chacun a un savoir, quand cette manière de penser pénètre le cœur et l'esprit de la société en général et des Premières nations. Parce que nous avons aussi été colonisés au moyen des pensionnats. Ces pensionnats ont détruit notre peuple.

Le seul programme excellent est celui de l'éducation postsecondaire. Au CREPNM, 85 p. 100 du personnel vient des Premières nations. En 2009, 21 des 57 membres du personnel avaient une maîtrise, 2 avaient un doctorat, 4 étaient des étudiants au doctorat et le reste avait au moins un baccalauréat en éducation de 5 ans avec plus de 5 années d'expérience. Ce sont nos normes. Nous avons donc tiré parti du programme d'éducation postsecondaire.

Dans notre organisation, il y a des professionnels de première et de deuxième génération. Cependant, je ne vois pas souvent des gens venir nous demander notre avis. Il y a beaucoup de travail à faire. Oui, nous avons des solutions, mais il nous faut plus de sept minutes pour les présenter.

M. McLoughlin : J'ai une observation à formuler là-dessus. Comme exemple clair de solution, la Commission royale sur les peuples autochtones insiste, comme l'a dit M. Stonefish, sur le programme, la langue, l'enseignement et le champ de compétence de chacun, qui doivent tenir compte de la culture. Le Conseil de l'éducation des Nishnawbe du Nord, comme on l'a dit, a conclu un partenariat avec le Tecumseh Centre for Aboriginal Research de l'Université Brock. Nous offrons un programme de baccalauréat en éducation dans 24 collectivités éloignées, principalement pour les aides- enseignants qui travaillent dans les écoles et qui souhaitent devenir des enseignants accrédités. Le programme est reconnu par l'Ordre des enseignantes et des enseignants de l'Ontario et il s'appuie sur les quatre piliers, soit le programme, la langue, l'enseignement et le champ de compétence, qui doivent tenir compte de la culture. En matière de gouvernance, le programme relève du Conseil de l'éducation des Nishnawbe du Nord et de l'Université Brock. C'est un partenariat. Le conseil exécutif est commun. Il s'agit d'une réponse concrète à la Commission royale sur les peuples autochtones.

Le but des pensionnats était l'assimilation. Je crois que lorsque la province devient trop engagée dans l'éducation des Premières nations, il s'agit d'un effort d'assimilation. Selon moi, l'objectif principal devrait être axé sur l'intégration.

Même les études autochtones dans les écoles provinciales ne me semblent pas tout à fait convenir. Elles devraient être offertes tout au long du programme. La plupart des élèves en Ontario suivent le cours d'histoire classique. Qui suit le cours d'études autochtones? Les élèves des Premières nations. Qui a le plus besoin de savoir que nous avons signé des traités? En général, ce ne sont pas les élèves autochtones. C'est un exemple.

Le président : Nous sommes désolés que vous n'ayez eu que sept minutes, madame Merrick. Vous pouvez aussi soumettre vos solutions par écrit à la greffière du comité. Chacun de vous peut le faire. Nous tiendrons compte de toute proposition qui nous sera soumise hors des présents témoignages pour préparer un rapport en bonne et due forme.

Mme Merrick : Merci beaucoup.

M. Stonefish : Quand on se demande ce qu'il faut faire pour se rapprocher des jeunes de 17 ans, et qu'on considère leur développement, leur scolarité et notre façon d'élever les enfants, il faut se rappeler que dans le passé, lorsqu'ils atteignaient 14 ans, à la puberté, donc, ces jeunes commençaient leur quête de la vision. À cet âge, ils étaient censés avoir acquis des valeurs, s'être forgé une identité et avoir appris le sens de l'engagement envers la collectivité et toutes ces choses qui définissent la façon d'interagir avec la société et le monde.

Lorsque nos enfants atteignent aujourd'hui cet âge-là, ils quittent l'école de la Première nation pour entrer à l'école secondaire. J'ai moi aussi vécu un vide identitaire. Nos écoles ne nous ont pas appris qui nous étions.

Dès qu'ils commencent à se faire une place dans la société, croit-on, on les parachute sans qu'ils aient acquis de sentiment d'identité ni forgé de liens avec leur collectivité. Je suis passé par là. On se demande pourquoi l'âge moyen d'obtention du diplôme est de 23 ans chez les élèves des Premières nations. La réalité est que si ces élèves arrivent à s'en sortir et à se prendre en main une fois qu'ils ont 19 ou 20 ans, alors ils ont peut-être une chance de terminer leurs études secondaires au cours des trois années suivantes. Ça explique ce chiffre. J'espère avoir donné une petite idée de notre vision de l'éducation et de son rôle.

Le sénateur Kochhar : J'admire la passion, l'engagement et les sentiments dont font preuve les témoins. Je comprends ces problèmes. Je suis originaire d'un pays formé de minorités qui a été colonisé par les Britanniques pendant 200 ans. Nous avons rompu ce lien et nous nous en sommes sortis. Une des choses que la vie m'a apprises est que lorsque nous sommes défavorisés ou victimes de discrimination, il faut travailler trois fois plus fort pour surmonter les obstacles.

Vous avez parlé jusqu'ici de votre passion, de votre engagement et de vos sentiments. Mais, comme le soulignait le sénateur Brazeau, aucune solution n'a été mentionnée. Je crois que chacun d'entre vous devrait prendre le temps de coucher des solutions sur papier.

La morale change de génération en génération. En d'autres temps, par exemple, l'esclavage était acceptable aux États-Unis; les femmes n'avaient pas le droit de vote; nous avons enfermé des Japonais dans des camps. Toutes ces pratiques ont posé des problèmes aux générations précédentes, des problèmes moraux. Nous sommes aujourd'hui en 2010, et nous voulons connaître les problèmes qui se posent en 2010 et trouver des solutions à ces problèmes.

Je vous convie tous les quatre à soumettre une solution écrite, en mettant l'accent sur ce dont vous rêvez et sur l'argent dont vous avez besoin. Vous ne le recevrez peut-être pas d'un seul coup, mais vous apprendrez à vivre avec ce que vous recevrez et à en tirer le meilleur parti possible. Vous devez cerner les problèmes. Je vous écoute depuis presque une heure et je n'ai entendu aucune suggestion de solution aux problèmes exposés. Comment pouvons-nous les surmonter?

Mme Merrick : Au Manitoba, depuis 30 à 35 ans, c'est-à-dire depuis Wahbung, déclaration de principes faite par les chefs du Manitoba, nous avons réalisé bon nombre d'études et de plans d'action, qui peuvent être consultés. Nous collaborons aussi avec l'APN à la réalisation de plans d'action et d'études qui comportent des solutions.

La situation des directeurs d'école est, par exemple, un des sujets que nous avons étudiés. Nous avons parlé du roulement du personnel. Les écoles changent peut-être de directeur chaque année parce que nous ne les payons pas suffisamment. Peut-être que les résidences des professeurs sont inadéquates, ou que les infrastructures ne sont pas appropriées pour l'enseignement, ni comparables aux infrastructures gérées par la province. Les écoles des Premières nations ne sont pas équipées de gymnases, de labos, de laboratoires de langues, de laboratoires de sciences ni de systèmes informatiques fonctionnels, en somme, des infrastructures nécessaires à l'enseignement des programmes de base dans une école provinciale.

Il est difficile de réaliser un projet d'amélioration lorsque le directeur change constamment. Il faut 5 ans pour mettre en place un projet d'amélioration scolaire, et 10 pour qu'il prenne racine. Toutes les sources documentaires qui traitent de réforme de l'éducation le disent. Quant aux problèmes vécus dans la société en général dont parlent ces sources, comme les textes de Michael Fullan et de Ben Levin, il faut comprendre qu'ils sont 10 fois plus importants dans le cas des écoles des Premières nations. Beaucoup de ces problèmes sont liés à l'argent, ou plutôt au manque d'argent.

Je pourrais revenir sur tout ce dont nous avons parlé. Pour ce qui est des ressources, l'évaluation des besoins que nous avons réalisée en 1998 a montré que les ressources étaient insuffisantes et les bibliothèques, déficientes. Dans une école d'une Première nation, une bibliothèque peut n'être qu'une simple tablette pas plus large qu'une table. Ce serait bien d'avoir des bibliothèques fonctionnelles et du matériel d'immersion en langue.

Nous ne ménageons pas nos efforts. Nous avons intégré la planification scolaire : 88 p. 100 de nos écoles ont un plan scolaire général. Le processus de planification scolaire est une des solutions. Nous offrons de la formation continue, dont le taux de réussite est de 85 p. 100, qui permet à nos membres de se perfectionner et d'obtenir une attestation.

Nous avons beaucoup de succès, et je préfère me concentrer sur ce succès. Je ne crois pas avoir parlé de problèmes. Il y a des exemples de réussite et il faut nous en inspirer pour aller plus loin. Il y a des gens dans les collectivités, dans diverses organisations un peu partout au pays, qui réalisent des choses merveilleuses, mais nous n'avons pas le temps de les faire connaître. Les Premières nations ne sont pas portées à se faire valoir; nous sommes devant un dilemme culturel. Nous tentons aujourd'hui de le faire davantage. Nous ne sommes pas à l'aise de nous promouvoir, mais nous le ferons.

Je sais que l'idée d'un système national est dans l'air. Mais si on examine les précédents créés par les gouvernements provinciaux — étant donné que l'éducation est de compétence provinciale — on se rend compte que, du Pacifique à l'Atlantique, chaque province a sa propre idée sur la question de l'évaluation, par exemple. Mais même si les opinions et les philosophies diffèrent, l'une n'est pas nécessairement meilleure que les autres. Chaque province est gouvernée différemment. Chacune a sa propre philosophie et envisage le monde à sa façon.

Il en va de même pour les Premières nations. À l'échelle du pays, ce qui est bon pour la Colombie-Britannique est bon pour la Colombie-Britannique. Ce qui est bon pour le Manitoba est bon pour le Manitoba. On ne se compare pas entre nous. Nous essayons de nous entraider et de collaborer, mais nous n'imposons pas notre vision aux autres.

Nous devons envisager des solutions qui s'appuient sur la base et, si j'ai bien compris, nous sommes ici pour parler de gouvernance et de structure. Il faut tenter de prendre appui sur ce qui fonctionne, sur les réussites, et examiner ces réussites de façon réaliste.

La planification stratégique est importante. Si le gouvernement veut améliorer l'éducation des Premières nations, il doit se doter d'un plan stratégique qui ne changera pas avec chaque gouvernement. Nous savons que l'argent ne tombe pas du ciel. Nous comprenons ça; nous ne sommes pas des enfants.

Alors, comment financer à long terme un système d'éducation des Premières nations efficace? En le faisant en partenariat avec les Premières nations. Nous avons signé une lettre d'accord avec la province, et j'approuve tout ce qu'ont dit les participants de cette table ronde. Nous avons toujours travaillé en collaboration avec la province. Cette lettre d'accord est cruciale pour les Premières nations et pour le Programme de réussite scolaire des étudiants des Premières nations, ou PRSEPN, et le Programme des partenariats en éducation, ou PPE. Nous privilégions les collaborations de ce type. Je suis certaine que la province n'y voit aucun mal.

Nous travaillons de concert. Notre directeur exécutif rencontre régulièrement le sous-ministre. Il rencontre aussi régulièrement le directeur des programmes de Frontier. Je rencontre pour ma part les directeurs. L'Assembly of Manitoba Chiefs, l'AMC, négocie une lettre d'accord. L'AMC est notre législateur. Ce sont les chefs qui décideront. Je ne peux rien dire des accords provinciaux.

Des protocoles ont été mis en œuvre dans notre région. Tout ça forme la vision d'un système d'éducation pour les Premières nations.

Le président : Chers collègues, une des options est l'adoption de mesures législatives régissant l'éducation. Vous avez dit souhaiter la continuité lorsqu'il y a un changement de gouvernement, que la continuité soit maintenue.

Le sénateur Demers : Je ne veux pas tout ramener à moi, même si ce que je vais dire pourrait le laisser croire. Monsieur Stonefish, j'éprouve énormément de respect pour ce que vous avez accompli. Vous méritez qu'on vous salue. J'ai vécu 21 ans aux États-Unis. Vous avez mentionné vos études à Harvard, et on sait qu'ils n'acceptent pas n'importe qui.

Pour tout vous dire, madame Fisher, je n'ai pas eu l'impression de vous entendre supplier, même si vous semblez croire que c'est ce que vous faisiez. Vous avez soulevé des questions extrêmement pertinentes. Vous l'avez fait avec passion, et je sais que vous parliez du fond du cœur.

M. Stonefish a parlé de chance. Il a parlé d'espoir et de soutien. J'en suis probablement le meilleur exemple, parce que, comme M. Stonefish, je me suis heurté à un nombre incalculable d'obstacles, et, comme lui, je les ai surmontés.

Parlons, donc, de l'espoir, de la chance et du soutien. Je me suis déjà occupé d'une bande de jeunes Autochtones en périphérie de Montréal, à Caughnawaga, aujourd'hui Kanesatake. Ils couraient les rues. Ils fréquentaient les bars et s'y battaient alors qu'ils n'étaient même pas censés s'y trouver.

On m'y a engagé comme entraîneur adjoint, et nous avons rassemblé ces jeunes. Dieu qu'ils m'ont causé des problèmes, mais je ne voulais pas les abandonner. Nous les avons rassemblés sur la glace et ils ont joué au hockey, mais ça aurait pu être n'importe quoi d'autre. Il s'agit de leur donner une chance.

Ils n'avaient absolument aucune discipline. C'était compréhensible, tout ce qui aurait pu détruire les rêves de ces jeunes leur était arrivé : inceste avec le père ou père absent, mère toxicomane, et cetera. Nous les avons réunis, nous leur avons montré ce qu'était la discipline et nous les avons soutenus.

Ces jeunes m'ont amené au hockey professionnel. On a commencé à gagner. On ne perdait pas. On a battu toutes les équipes. Nous nous sommes rendus aux championnats provinciaux et tout ça. Un des jeunes, Bobby Simpson, est entré dans la Ligue nationale de hockey. D'autres jeunes sont devenus pharmaciens. D'autres encore sont devenus des policiers respectés. Un d'eux a même étudié à Princeton et est devenu enseignant.

Ce que je veux dire, c'est qu'il faut donner de l'espoir. Vous avez dit, madame Merrick, de ne pas parler d'argent, mais tout se résume à ça; il faut de l'argent pour garder les enseignants, pour garder les meilleurs directeurs et les bons enseignants.

Je suis allé à Kelowna il y a quelques années. Ce que veulent ces jeunes, c'est de l'amour et de l'espoir. Je me suis rendu dans une école de Kelowna avec la ministre de l'Éducation de la Colombie-Britannique de l'époque, Shirley Bonds — je suis certain que le sénateur St. Germain la connaît. Il y avait quelques jeunes Autochtones, et ils se tenaient à l'arrière. Quand j'ai vu ça, j'en ai fait venir un à l'avant. Il savait qui j'étais, et d'après ce que m'avait dit son enseignant, son rendement scolaire était pitoyable.

J'ai donc dit à ce jeune, devant tous les autres : « Avance, viens te faire prendre en photo avec moi, je veux qu'on parle. » On pouvait voir qu'il était gêné, mais il faut leur donner une chance, parce que ces jeunes ont bon cœur. Il y a aussi beaucoup de jeunes filles, mais je n'ai malheureusement jamais été entraîneur pour une équipe de jeunes filles. Mais quoi qu'il en soit, ce qu'ils cherchent, c'est une raison d'espérer.

Tout ce dont vous nous parlez aujourd'hui revient à l'idée de soutien, au fait qu'une personne leur ouvre une porte, leur donne une chance. Après avoir pris la photo, j'ai dit au jeune que je voulais que son enseignant me donne son numéro ou que j'appellerais son enseignant, et que je voulais qu'il ait de meilleurs résultats à l'école. C'est une histoire vraie. Je lui ai dit qu'à partir de maintenant, il ne devait plus s'installer à l'arrière, qu'il devait s'asseoir en avant comme tout le monde.

Je me suis rendu à Sudbury il y a quelques années et j'ai parlé avec des jeunes, pas comme à des adultes, mais comme on le fait avec des jeunes. Une jeune Autochtone s'est levée et a dit : « Vous savez, monsieur l'entraîneur, je vous ai écouté attentivement et je comprends ce que vous dites. Je n'ai pas de raison d'espérer. J'habite avec ma grand-mère. Je ne sais même pas où sont mes parents. »

Je lui ai répondu que, à partir de maintenant, elle pouvait espérer, que nous ferions en sorte qu'elle ait raison d'espérer.

Je pourrais continuer sur ma lancée, mais, en un mot, sachez que c'est une bande de jeunes Autochtones qui ont fait de moi l'homme que je suis. J'ai cru en eux, et quand on croit en quelqu'un, il ne nous laisse pas tomber.

Je pense que le sénateur Brazeau sait de quoi je parle. Tout le monde à Châteauguay haïssait ces jeunes-là et les prenait pour des bons à rien et des perdants. Ils n'étaient ni des bons à rien ni des perdants. Ils sont devenus de bons et loyaux citoyens.

Aucun sénateur n'est obligé d'être ici. Nous faisons ce travail parce que nous le voulons. Et si nous souhaitons faire ce travail, sous la direction du sénateur St. Germain, c'est parce que nous voulons aider. Je suis un peu troublé de vous entendre parler de 4 éléments et de 39 ans. Mais il n'est pas trop tard. Nous sommes en 2010 et il faut s'assurer de faire quelque chose à ce sujet. Le jeune homme et la jeune femme qui ont aujourd'hui 14 ans en auront bientôt 15, et nous les perdrons si nous ne faisons rien.

M. McLoughlin : Tout le monde se souvient de son enseignant préféré, généralement celui qui se souciait vraiment de ses élèves, et que ceux-ci repéraient facilement. Bien des enseignants qui viennent travailler dans notre district scolaire ont ce souci, mais ils ne peuvent pas rester longtemps.

Lorsque j'enseignais, un élève de ma communauté m'a dit, un jour : « Je vous apprécie vraiment, monsieur McLoughlin, mais je n'ai pas envie de me forcer pour vous parce que je sais que vous allez partir de toute façon. » Tout se résumait à quelques questions de base, comme la famille et le salaire.

Chez nous, à Sioux Lookout, les Premières nations administrent une école secondaire située à 20 minutes de route de la ville. Il y a une école secondaire dans la ville, la Queen Elizabeth District High School. Quelques-uns des meilleurs enseignants ayant travaillé à l'école secondaire des Premières nations enseignent maintenant dans cet établissement provincial. Certains d'entre eux m'ont dit qu'ils avaient une famille à élever. Il y a des écarts entre les régimes de retraite et les salaires des employés du système scolaire provincial et ceux des employés du système des Premières nations. Les enseignants se sentent coupables de partir, et ils reviendraient à la première occasion s'ils ne devaient pas d'abord penser à leur famille. Ces écarts n'ont aucune raison d'être.

Robert Nault, de Kenora, était à l'époque ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien. Il n'a pas ménagé ses efforts, pendant son mandat, pour que les salaires des enseignants des écoles des Premières nations soient les mêmes que ceux des enseignants du système provincial, grâce au fonds de conservation du personnel enseignant. Il y a de l'argent dans ce fonds, mais c'est loin d'être suffisant parce que l'écart ne cesse de se creuser. Ces enjeux sont cruciaux pour la réussite des élèves.

Le président : C'est peut-être pour cette raison que les accords tripartites pourraient être une solution.

Le sénateur Raine : Merci beaucoup. Je m'excuse de mon retard, mais j'ai heureusement pu entendre chacun des participants pendant la période de questions. Les membres du comité sont sensibles aux problèmes des Premières nations du Canada en matière d'éducation et ils espèrent pouvoir formuler des recommandations qui feront bouger les choses.

Des accords tripartites et des lettres d'accord ont été signés dans certaines régions du pays, et je crois qu'il y a une volonté de collaborer avec les ministères provinciaux de l'Éducation, les responsables de l'éducation des Premières nations poursuivant leur but tout en collaborant avec les ministères. C'est par contre impossible si, comme le disait M. McLoughlin, ils n'arrivent pas à conserver les enseignants.

J'aimerais que chacun de vous me dise ce qu'il pense de cette question. Si vous étiez appelés à rédiger un cadre législatif pour faire en sorte que le gouvernement fédéral assume véritablement ses responsabilités en matière d'éducation chez les Premières nations, qu'est-ce que vous prévoiriez comme financement de base pour les systèmes scolaires des Premières nations? Je ne parle pas de financer directement les bandes, mais plutôt les groupes tripartites qui auraient déjà négocié quelque chose? On semble avoir pris l'habitude d'établir des normes sans consacrer les ressources nécessaires à leur application.

Nous pourrions peut-être commencer par M. Stonefish.

M. Stonefish : C'est une autre façon d'attaquer le problème, mais voyons où ça nous mène. Pour créer un cadre de financement de base, il faut considérer les quatre éléments dont j'ai parlé à plusieurs reprises.

Il y a d'abord la question de ce qui est enseigné. Cette question doit être examinée et des fonds doivent être consacrés à cet examen. La culture peut être introduite de différentes façons, mais il faut savoir comment intégrer cet objectif et cette vision dans le programme scolaire.

Deuxièmement, de quelle façon le programme est-il enseigné et qui l'enseigne? Le financement doit tenir compte de l'objectif et de la vision qui sous-tendent la façon dont les programmes sont enseignés.

Le troisième et plus important élément est la langue. Notre langue définit notre vision du monde, elle est le fondement et le cœur de notre existence et de notre identité, la raison pour laquelle nous avons tant lutté pour fonder des écoles administrées par les Premières nations. Si nous voulions administrer nos écoles comme le fait le Shiiwaanuk, l'homme venu des flots salés, alors nous laisserions ce soin à d'autres, mais nous concevons l'enseignement autrement et nous avons notre propre but et notre propre vision.

Le quatrième élément porte sur les compétences de chacun dans le cadre des partenariats et des accords tripartites dont vous parlez. Il faut établir un véritable partenariat, avec de vraies délibérations, c'est-à-dire que les participants doivent être sur un pied d'égalité.

Je me suis joint au groupe de mesure du rendement et je n'y ai pas été considéré comme un véritable partenaire. Lorsque j'ai demandé à voir l'évaluation de nos besoins soumise au Conseil du Trésor, on m'a répondu que c'était impossible, que cette information ne pouvait pas être divulguée. Ce n'est pas ce que j'appelle un véritable partenariat. Si AINC ne veut pas me montrer ce qu'il présente au Conseil du Trésor comme évaluation de ce qui est bon pour notre éducation, alors nous ne sommes pas des partenaires.

Voilà donc les quatre éléments dont je parle depuis 39 ans : la matière enseignée; qui l'enseigne; la langue, fondement de notre éducation; la nécessité d'établir des partenariats et d'obtenir des pouvoirs, qui que soient les parties prenantes, peu importe à quel titre elles agissent et quel que soit le contexte.

Les solutions sont nombreuses. J'ai un doctorat en conception de programmes scolaires. Si vous voulez des solutions, je peux vous en énumérer, mais les rédiger pose problème. J'ai récemment examiné les rapports produits sur 35 ans, des rapports qui ne nous ont menés nulle part.

Le sénateur Brazeau : Je ne suis pas en désaccord avec vous concernant la conception des programmes scolaires et l'obtention d'avis supplémentaires. Toutefois, lorsqu'on jette un œil aux données démographiques, on se rend compte que la majorité des Autochtones du Canada vivent aujourd'hui hors des réserves, dans les centres urbains. Comment envisagez-vous l'enseignement dans ce contexte?

Prenons l'exemple d'une école fictive en milieu urbain, au centre-ville de Montréal, où des Mohawks, des Algonquins, des Cris, des Ojibways, et peut-être même un nombre important de jeunes Autochtones de la côte Ouest, pourraient étudier. Comment pourrions-nous intégrer toutes leurs langues, toutes leurs cultures et toutes leurs traditions à un programme enseigné en milieu urbain?

M. Stonefish : C'est là que le gouvernement provincial a un rôle à jouer. Il doit travailler avec nous, sur un pied d'égalité, à trouver une solution. Il y a une dizaine de Premières nations en Ontario.

Le sénateur Brazeau : Cela dit, que pensez-vous des dirigeants des Premières nations et des autres qui ne veulent rien avoir à faire avec le gouvernement provincial parce que, selon eux, le gouvernement fédéral a une compétence exclusive sur les peuples autochtones au Canada?

M. Stonefish : Comme je siège au comité autochtone de l'Ontario Public School Boards' Association, je peux affirmer que les Premières nations sont représentées dans le système provincial. On cherche à former des partenariats. Chiefs of Ontario tente de s'entendre avec l'Ordre des enseignantes et des enseignants de l'Ontario et le Bureau de l'éducation des Autochtones du ministère de l'Éducation. Nous travaillons à former ces partenariats.

Vous parlez de diversité. Il faut savoir que l'élaboration d'un programme coûte 200 000 $ par tranche de deux semaines de cours. En multipliant ce montant par 40 semaines et par 8 années de scolarité, on obtient environ 500 millions de dollars. Il faut que nous trouvions des solutions plus simples. Il faut y aller pas à pas.

J'ai eu des discussions très houleuses avec le ministre de l'Éducation au sujet du programme. Je fais partie de l'équipe technique chargée des programmes dirigée par le ministre de l'Éducation et aussi d'un groupe consultatif sur la formation de la Fédération des enseignantes et des enseignants de l'Ontario. Je ne connais pas l'expression exacte, mais je dirais qu'on fait toutes sortes de choses qui ne règlent en rien les problèmes.

M. McLoughlin : Concernant le financement de base, une Première nation de la région visée par le Traité no 3 a saisi les tribunaux de cette question. Les écoles des Premières nations reçoivent beaucoup moins d'argent. Pourquoi est-ce que nous ne recevons que les deux tiers d'un plein d'essence par élève par année?

Les dialectes parlés dans nos écoles de Fort Severn sont l'ojibway, l'oji-cri et le cri. L'acquisition des langues s'y fait de façon différente, et il est plus facile d'élaborer un programme pour cette localité que pour des centres urbains.

Il y a bien des différences entre les communautés éloignées et les communautés urbaines dont nos solutions doivent tenir compte. Nos écoles offrent des programmes de langues autochtones, mais le dialecte principal qu'on y enseigne est l'oji-cri, parce que c'est celui qui est parlé dans la région centrale de notre district. On enseigne toutefois l'ojibway au lac Seul et le maskegon à la baie d'Hudson.

La question est complexe, mais nous avons l'expertise nécessaire pour élaborer ce programme. Les cours dont on parle existent, et ils ont été accrédités par le ministère de l'Éducation sans aucun accord tripartite.

Le sénateur Poirier : Monsieur Stonefish, des accords tripartites ont été conclus il y a des années en Colombie- Britannique et en Nouvelle-Écosse. Croyez-vous qu'ils permettent d'établir des ponts et de faire avancer vos quatre éléments, c'est-à-dire la matière enseignée, la façon de l'enseigner, la langue au cœur de l'enseignement et la participation sur un pied d'égalité? Le cas échéant, est-ce que d'autres provinces s'intéressent à ces accords tripartites?

M. Stonefish : Je n'ai pas examiné ces accords en détail, mais le contexte est différent. En Nouvelle-Écosse, il n'y a qu'une seule langue, enseignée dans 12 écoles, ce qui est gérable. En Ontario, par contre, le paysage politique et géographique est très varié. Il y a tellement d'organisations politiques qu'il est difficile de les réunir. Nous ne sommes pas responsables de cette situation. Ça vient de la façon dont on nous a traités en Ontario. Le territoire a été fragmenté en régions visées par des traités. En Ontario, les responsabilités et les relations avec le gouvernement prévues par les traités sont toutes différentes.

Le Programme des partenariats en éducation du gouvernement fédéral est censé se pencher sur les accords tripartites. En Ontario, l'Union des Indiens de l'Ontario tentait de négocier la mise sur pied de son propre conseil scolaire quand l'accord tripartite a été signé. À ce moment-là, l'Union a été dissoute et le financement provenant des partenaires a été réparti. Les communautés avec qui je travaille sont divisées. L'Indigenous Education Coalition regroupe, par exemple, des indépendants, des représentants de l'Union des Indiens de l'Ontario et d'autres de l'Association of Iroquois and Allied Indians. Tout est devenu politique, et je tente d'établir un consensus entre les différents groupes.

Pendant la première année, il m'a fallu les convaincre de s'asseoir ensemble pour discuter de l'accord tripartite. À présent, je ne suis même pas certain que nous pourrons faire quoi que ce soit au cours de la deuxième année, parce que je ne sais pas quelle signification pourrait avoir un accord tripartite pour chaque région visée par un traité, ou en fonction des différentes alliances politiques.

Il y en a un qui encadre l'éducation en Colombie-Britannique. Même chose en Nouvelle-Écosse, mais certaines Premières nations n'en sont pas satisfaites.

En Ontario, c'est une pagaille indescriptible. Je ne peux pas parler pour les autres provinces, mais nous tentons en ce moment d'établir si ça peut fonctionner pour nous comme ça fonctionne pour eux.

Mme Fisher : Au cœur du problème, il y a l'impossibilité d'enchâsser la responsabilité parentale dans une loi. Mais alors, comment pouvons-nous commencer à guérir et à reconstruire? Il faut d'abord produire des individus solides. Ces individus vont ensuite fonder des familles solides. Puis ces familles formeront des communautés solides, composantes de nations solides. Il faut donc commencer par l'individu.

Je ne sais même pas par où commencer pour réparer le gâchis causé par les pensionnats. En tant que grand-mère, je peux vous dire que si quelqu'un avait le pouvoir de m'enlever mes petits-enfants, je ne m'en remettrais jamais. Mon cœur éclaterait en mille morceaux. On n'a pas le droit de me dire comment apprendre à mes enfants à devenir de bons parents après avoir fait ça. Les répercussions sur les générations suivantes sont réelles.

Les troubles de l'attachement sont un problème chronique dans nos communautés autochtones. Il y a des problèmes qui ne viennent pas de l'école. La langue est importante, parce que la langue détermine notre identité et la façon dont nous devrions régler notre conduite. Mais à qui revient la responsabilité? L'école doit-elle y veiller, ou est-ce à moi de le faire? Je crois qu'il m'incombe de voir à ce que mes enfants et mes petits-enfants assistent aux cérémonies. Ce n'est pas la responsabilité de l'école. La roue médicinale est divisée en aspects affectif, mental, physique et spirituel, et nous devons en tenir compte. On ne peut pas mêler le spirituel au mental ni à l'affectif. C'est quand on le fait que les problèmes commencent.

Pour ce qui est des lois, traitez-nous en égaux. Je vous ferai parvenir une lettre, et j'espère que vous me répondrez.

Le président : Vous ne pourrez vous en assurer qu'en nous écrivant.

La complexité de la situation nous a aujourd'hui été présentée de façon claire. Lorsque nous avons entrepris cette étude, nous avions une idée de la complexité et de la diversité des questions visant les Premières nations de notre pays.

Je vous remercie tous de la passion, de la sincérité et du dévouement dont vous avez fait montre dans vos témoignages. Le temps est notre pire ennemi. Nous aurions tous aimé avoir plus de temps, mais nous devons respecter certaines contraintes.

Merci de vous être joints à nous aujourd'hui. Notre comité a déjà réalisé une étude qui a débouché sur des mesures législatives qui reprenaient presque mot à mot notre rapport, alors je suis persuadé que celle-ci ne sera pas ignorée.

(La séance est levée.)


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