Délibérations du comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones
Fascicule 8 - Témoignages du 9 juin 2010
OTTAWA, le mercredi 9 juin 2010
Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd'hui, à 18 h 45, pour étudier les responsabilités constitutionnelles, conventionnelles, politiques et juridiques du gouvernement fédéral à l'égard des Premières nations, des Inuits et des Métis et d'autres questions générales relatives aux peuples autochtones du Canada (sujet : questions concernant l'éducation des Premières nations).
Le sénateur Gerry St. Germain (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Je souhaite la bienvenue aux sénateurs, aux membres du grand public et à tous les gens au pays qui assistent à la présente séance des travaux du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones sur CPAC ou peut- être sur le web.
Je m'appelle Gerry St. Germain, je suis originaire de la Colombie-Britannique et je préside les travaux du comité. Le comité entreprend une étude sur les stratégies possibles de réforme de l'éducation élémentaire et secondaire des Premières nations dans l'idée d'améliorer les résultats scolaires. Entre autres, nous insisterons sur les ententes tripartites en matière d'éducation, les structures de gouvernance et d'exécution et les cadres législatifs possibles.
Ce soir, mesdames et messieurs les sénateurs, nous sommes heureux au plus haut point d'accueillir parmi nous Corinne Mount Pleasant-Jetté, qui, parmi les nombreuses réalisations à son actif, a reçu en 1992 la médaille de l'Ordre du Canada pour ses efforts consacrés à la promotion des réalisations autochtones au sein de la communauté autochtone. Membre de la Première nation Tuscarora, Mme Mount Pleasant-Jetté a été professeur à la faculté de génie et d'informatique de l'Université Concordia. Elle dirige à présent Mount Pleasant Educational Services, organisme sans but lucratif qui offre des services de consultation et des ressources pédagogiques aux étudiants autochtones.
Depuis plus de 25 ans, elle rédige divers textes sur les questions autochtones; elle a participé à la Commission royale sur les peuples autochtones. En 2002, elle a été nommée présidente du Groupe de travail national du ministre sur l'éducation des Premières nations.
En 1993, elle a participé à la fondation du Native Access to Engineering Program. Le programme visait notamment à déterminer pourquoi les jeunes Autochtones sont si peu nombreux à faire des études supérieures en génie et en sciences appliquées. Le comité brûle d'envie de connaître les solutions possibles qui découlent peut-être des recherches ainsi faites.
[Français]
Avant d'entendre notre témoin, permettez-moi de vous présenter les membres du comité qui sont présents ici ce soir.
[Traduction]
Le sénateur Sibbeston vient des Territoires du Nord-Ouest. La vice-présidente du comité, le sénateur Dyck, vient de la Saskatchewan. Le sénateur Dallaire vient de la province de Québec. Le sénateur Brazeau vient aussi du Québec. Le sénateur Stewart Olsen vient du Nouveau-Brunswick, et le sénateur Poirier vient aussi du Nouveau-Brunswick.
La dernière mais certainement pas la moindre est le sénateur Raine, qui vient de la merveilleuse province de la Colombie-Britannique.
Mesdames et messieurs les membres du comité, aidez-moi à accueillir notre témoin. Madame Mount Pleasant-Jetté, veuillez présenter votre exposé. Comme nous en avons discuté, j'aimerais que vous vous en teniez à un court exposé pour que les sénateurs aient le temps de vous poser des questions, d'échanger pleinement avec vous et de profiter peut- être des connaissances que vous avez acquises au fil des ans. Je demanderais aussi aux sénateurs de poser des questions brèves. Madame, vous avez la parole.
Corinne Mount Pleasant-Jetté, présidente, Mount Pleasant Educational Services Inc. : Merci, monsieur le président. Je suis heureuse que m'ayez invitée à m'adresser à vous ce soir. Je vous transmets d'abord les salutations de la Première nation Tuscarora de ma réserve des Six Nations de Grand River à Ohsweken, en Ontario. Je vous transmets de même les salutations de mes collègues de travail sur le territoire mohawk de Kahnawake, au Québec. Je remercie les Algonquins de si bien m'accueillir sur leur territoire.
Je suis un peu agitée ce soir à l'idée de devoir condenser plusieurs années de travail pour vous. À un moment donné, j'ai cru que le titre que j'aurais donné à la soirée, c'est : « 38 ans de comptés, et ce n'est pas fini ». Je renvoie ici à 1972, moment auquel la question de l'éducation des enfants autochtones est apparue et a fait l'objet d'une modification de la politique gouvernementale baptisée Maîtrise indienne de l'éducation indienne.
Je sais très bien que vous vous êtes renseignés sur cette question et que vous vous en souciez, que vous avez accueilli plusieurs témoins pour en discuter et que, je présume, vous avez l'intention d'en accueillir d'autres. Je vais essayer de parler d'abord et avant tout ce soir de mon intérêt pour les recherches que je mène, en laissant peut-être certaines des autres questions en jeu aux témoins techniques.
Je suis là pour vous dire que, même si la situation dure depuis longtemps, c'est le terme « urgence » qui prime. C'est un problème immédiat qui appelle une solution immédiate, mais je suis assez réaliste pour savoir que ça ne se fera pas du jour au lendemain. Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, par contre, peut insister sur certains des problèmes les plus importants à propos desquels il faut agir. D'abord, je dirai qu'il est louable que vous vous attachiez à cette question; j'ai pour moi-même hâte de voir quel genre d'information vous recevrez et quel genre de résultats proviendront de l'exercice. À mon avis, le gouvernement du Canada a très nettement une obligation morale aussi bien que juridique à l'égard de l'éducation des premiers peuples du pays.
Ces dernières années, nous avons vu l'éducation des Autochtones devenir, je ne sais pas si c'est le bon mot, un sujet chaud. Du Conseil des ministres de l'Éducation du Canada, et même jusqu'au secteur privé, fait intéressant, en passant par le Conference Board, le Caledon Institute, des cellules de réflexion et des penseurs du monde universitaire, l'attention porte maintenant sur une chose que nous savons depuis des années dans le monde autochtone. Il y a un grave problème qui se pose, mais c'est en même temps une occasion d'agir qui est incroyable.
Je constate que certains témoins vous ont fait part de statistiques — les statistiques sont omniprésentes — concernant le nombre d'enfants autochtones. Une carte de Statistique Canada faisant état de la présence des jeunes au pays m'a fait tout un effet. C'étaient des petites punaises placées partout sur la carte du Canada. Chacune prenait la forme d'un point rouge. D'après mon expérience, je crois comprendre que le tiers central du Canada, qui compte une population rurale assez importante, est en croissance, il y a beaucoup d'enfants. Par contre, dans le Grand Nord — encore une fois, je vois que les sénateurs sont bien au courant de l'affaire —, c'est tout le tiers supérieur de la carte du Canada qui était rouge. Chaque point représentait des enfants. Voilà le genre de faits dont les Canadiens ne sont pas conscients. Nous sommes conscients de la retraite des membres de la génération de l'après-guerre et nous recevons toutes sortes de renseignements sur les pénuries de main-d'œuvre dans les métiers et les professions, mais je ne suis pas tout à fait certaine que ce fait-là ait suffisamment circulé, jusqu'à récemment.
Récemment, l'industrie des ressources naturelles et divers autres secteurs sous réglementation gouvernementale cherchent des travailleurs et s'installent dans les secteurs nordiques du Canada, sachant très bien qu'il lui faut d'excellents travailleurs, des travailleurs compétents de l'endroit où elle exerce ses activités. J'ai des liens avec des gens du secteur forestier, du secteur minier et du secteur des télécommunications. De fait, ce sont eux qui ont des liens avec moi. Toutes ces entreprises du secteur des ressources naturelles sont hyperactives en ce moment, face à la nécessité de recruter des Autochtones. D'une certaine façon, cela me donne un peu de plaisir de le constater : c'est peut-être de là que viendra le mouvement nécessaire pour régler un problème qui, lui, nous est apparu il y a 38 ans et qui est le sujet de notre discussion ce soir.
Sans détailler l'affaire, je vous dirai que toute la question de l'interaction du Canada et des citoyens autochtones du pays est un problème national depuis des années. Nul autre que l'ex-commissaire en chef de la Commission canadienne des droits de la personne, Max Yalden, insistait tous les ans, en publiant son rapport annuel, pour traiter de la relation du Canada avec ses Premières nations.
En tant que pays, il nous faut une solide main-d'œuvre. Il nous faut une main-d'œuvre composée de personnes qui connaissent le pays et qui viennent du pays. Il ne fait aucun doute que le Canada se compose de peuples immigrants. Notre histoire s'est bâtie grâce à l'afflux de nos arrivants sur le territoire, ce qui a bien fonctionné. En même temps, nous en sommes maintenant au point où le pays se retrouve avec une population bourgeonnante de jeunes enfants des Premières nations, Inuits et Métis en milieu rural, éloigné, semi-urbain et urbain. Or, ils sont appelés à faire partie un jour de la population active du Canada. Mesdames et messieurs, si nous ne faisons rien, ces jeunes ne deviendront qu'une autre statistique.
Il nous faut un but. Au Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, votre but, je l'espère, consiste à prendre connaissance des enjeux, à les comprendre et à en faire part au gouvernement du Canada. L'éducation est un enjeu extrêmement important. Vos recherchistes peuvent vous remettre une montagne de documents là-dessus, j'en suis certaine. Les rapports sur la question se trouvent partout au pays — dans les ministères, dans les universités, les bibliothèques. Vous avez mentionné à un moment donné un rapport que j'ai cosigné, en tant que membre d'un groupe — le Groupe de travail national du ministre sur l'éducation des Premières nations, qui a remis son rapport au Parlement en 2002. Comme le président l'a dit plus tôt, j'ai aussi été rédactrice et recherchiste à la Commission royale sur les peuples autochtones, dont le rapport a été déposé en 1995.
Je travaillais au dossier de la main-d'œuvre avant cela. Au Comité consultatif externe sur l'équité en emploi que j'ai présidé au Conseil du Trésor du Canada, nous avons aussi produit des rapports faisant état de l'absence des Autochtones au sein de la population active.
Vous avez entendu de nombreux témoins; bon nombre viendront prendre la parole encore. Je veux simplement m'arrêter un instant pour poser une question : pourquoi sommes-nous là? Pour répondre à cette question, il faut voir l'illustration des visages des enfants. Voici combien d'enfants il y a au pays, toutes provinces et tous territoires confondus. Toutes les statistiques nous le disent.
Le simple fait, c'est que chacun a des liens avec des enfants. Je suis enseignante, si bien que je peux vous demander combien d'entre vous avez des petits-enfants ou des enfants, et je suis certaine que tout le monde lèvera la main. D'une façon ou d'une autre, vous interagissez avec des enfants. Lorsque vous interagissez avec des enfants, il y a une constante — et je vous demanderais ici d'être patients avec moi —, c'est qu'ils ne cessent jamais de grandir. Ils grandissent sans cesse, simplement.
J'ai affaire à des ingénieurs. J'ai passé 27 ans à enseigner dans une faculté d'ingénierie, à l'Université Concordia, ce qui m'amenait à m'adresser à des ingénieurs dans diverses rencontres, et la seule chose que je pouvais essayer de leur faire comprendre, c'est que cette question fait voir une constante. Plus nous persistons à en faire abstraction, plus nous l'évitons, pour refiler la responsabilité à quelqu'un d'autre, en disant que nous étudions simplement la question... ces enfants ne cessent de grandir. Ils grandissent, et avec chaque année et chaque décennie où le problème demeure, c'est une autre génération que nous perdons.
Pardonnez-moi le recours aux accessoires, mais c'est une chose que je dois faire. En juillet 1979, cette petite personne est arrivée dans le monde. À ce moment-là, je m'adressais à un comité parlementaire à propos de la question de l'éducation des Autochtones. Eh bien, me revoici en juin 2010. Voici une autre petite personne, née cette année. Cette personne a 31 ans. C'est son père. Les deux sont des Indiens inscrits; les deux sont bien officiellement membres des Premières nations du Canada, mais nous n'avons pas encore réglé le problème; vous n'avez pas encore réglé le problème — je ne voudrais surtout pas être à ce point présomptueuse... Les membres de cette chambre ont une responsabilité énorme. Le degré d'influence qu'on peut avoir ne saurait être plus élevé, en fait d'importance et d'impact. Vos observations pourraient changer vraiment la situation.
Je suis là parce que nos aînés nous parlent de l'importance de ce nous faisons à présent et disent que cela aura un impact à l'avenir. Pour référence, nous nous demandons quel sera l'effet des gestes que nous posons aujourd'hui dans sept générations. Alors, oui, voilà pourquoi je suis là. Je n'ai pas renoncé, sur le chemin que je parcours depuis tant d'années.
Je m'arrêterai là. J'ai apporté de nombreux documents et de rapports que je déposerai pour votre gouverne, mais je sais que vous voulez passer aux questions.
Je crois que le succès repose sur certains fondements, que je divise en deux groupes. Le premier groupe concerne les besoins généraux. Il faut la volonté politique nécessaire pour agir au pays — volonté politique du gouvernement fédéral, des gouvernements provinciaux et des gouvernements autochtones. Il nous faut de nouvelles politiques. Sans nul doute, l'évolution des politiques gouvernementales produira son effet. Qu'il s'agisse de la responsabilité de l'éducation ou de normes d'enseignement, il faut que les politiques gouvernementales évoluent.
Il nous faut du leadership, et je dis que le leadership est un fondement de la réussite étant donné qu'il se déploie à de nombreux niveaux, depuis les bons directeurs d'écoles jusqu'aux chefs des conseils, en passant par les sénateurs membres de votre comité et vos collègues au Sénat. Le leadership doit venir de partout.
Il nous faut des engagements à long terme. Quand j'ai commencé à travailler avec mes collègues ingénieurs et que j'ai déclaré que je voulais créer un programme d'accès aux études en génie pour les Autochtones, la première chose que le président de l'ordre professionnel des ingénieurs au Québec m'a dit est : « C'est merveilleux, oui. Des Autochtones, oui. Combien d'ingénieurs puis-je avoir d'ici cinq ans? » Je l'ai regardé directement dans les yeux et j'ai dit : « Aucun. » Il a dit : « Combien d'ingénieurs puis-je avoir d'ici 10 ans? » J'ai dit : « Vraisemblablement, aucun. » Il m'a regardé et a dit : « Pourquoi voulez-vous faire cela? Pourquoi voulez-vous convaincre les jeunes de devenir ingénieurs si vous croyez que ça ne se fera pas? » J'ai dit : « Ça se fera, mais il faut un engagement à long terme. » Je peux vous dire que, après 15 ans de travail à l'Université Concordia à Montréal, le vent commence à tourner. Nous produisons certains ingénieurs au pays.
Avoir des attentes élevées, voilà un autre fondement de la réussite. Qu'il s'agisse de bébés, d'élèves du secondaire ou d'étudiants dans un établissement postsecondaire, les jeunes vont s'élever jusqu'au niveau des attentes que leur inculquent leurs parents, leur collectivité et leurs enseignants. Si nous ne nourrissons pas d'espoir, si nous demeurons indifférents, si, de fait, nous faisons des distinctions raciales en disant que ces enfants-là ne peuvent apprendre, alors, sans aucun doute, les jeunes ne seront pas à la hauteur.
Autre mesure de réussite générale : changer d'attitude. Nous devons relever la valeur qui est accordée à l'éducation, que ce soit les études en bonne et due forme ou l'apprentissage par l'expérience. Nous devons faire en sorte que l'idée d'apprendre soit davantage considérée comme exaltante au sein de nos collectivités.
Je vais maintenant traiter des aspects plus prosaïques de la réussite. La réussite dépend de trucs comme l'infrastructure — des bâtiments, des TI, des connexions haute vitesse. Si ces choses-là n'existent pas, nous n'allons pas toucher au but.
Je crois qu'il nous faut aussi une chose que je qualifie de structure organisationnelle. C'est une façon polie de dire qu'il faut régler ce qui fonctionne mal. Vous avez parlé de gouvernance; je crois que vous avez parlé des cadres législatifs. Il nous faut une structure organisationnelle pour asseoir la réussite des Autochtones dans le domaine de l'éducation. Je crois qu'il faut des conseils scolaires et des comités qui discutent des programmes d'études. Il faut des conseils d'aînés qui viennent enrichir les programmes d'études de connaissances autochtones.
Autre élément de la réussite : la capacité de diriger. J'ai déjà évoqué l'idée de transfert de responsabilité. En 1972, le gouvernement du Canada a essentiellement remis la responsabilité de l'éducation aux Premières nations par le truchement d'une politique qualifiée de maîtrise indienne de l'éducation indienne. Malheureusement, il n'a remis que la responsabilité de l'affaire. Durant les 38 années qui ont suivi, plusieurs membres des Premières nations sont devenus excellents en fait de gestion dans le domaine de l'éducation, mais ce sont des cas qui se sont révélés assez rares; c'est très sporadique. Nous comptons sur de solides administrateurs aujourd'hui, mais il n'y en a pas assez. On ne peut gérer ses propres affaires dans le domaine de l'éducation si on n'a pas la capacité de le faire.
Mon prochain fondement de réussite me renvoie à la raison principale pour laquelle je suis venu témoigner ce soir, et ça touche à tout ce qui concerne les enseignants et l'enseignement. J'ai de nombreuses notes et réflexions sur le sujet auxquelles nous pouvons nous attacher plus tard. Si nous ne réglons pas la crise qu'il y a en fait d'enseignement et d'enseignants, tout le travail qu'on peut faire par ailleurs ne sera d'aucune utilité. Au cours des 15 dernières années, nous avons tenu plusieurs ateliers bisannuels à l'intention des enseignants.
Nous les baptisons « DreamCatching » en référence aux attrape-rêves parce que nous croyons que les enseignants ont justement cette fonction-là. Nous offrons des occasions très directes aux enseignants qui s'occupent d'étudiants autochtones; nous leur enseignons les mathématiques, les sciences, et cetera — c'est très concret.
J'en suis certaine, vous savez très bien que partout au Canada et en Amérique du Nord, il y a bon nombre de personnes qui enseignent les mathématiques sans avoir jamais pris un cours de niveau supérieur aux études secondaires. Ils voulaient enseigner l'éducation physique et l'anglais, mais voilà qu'ils enseignent la chimie. Ce problème n'est pas le propre des Premières nations. Nous devons régler ce problème.
Les enseignants n'ont pas de tribune. Je vais répéter cela, étant donné que c'est une situation que vous pouvez changer : les enseignants n'ont pas de tribune.
Il reste trois choses à voir au chapitre des fondements de la réussite. Il nous faut assurer le perfectionnement professionnel des enseignants, des administrateurs et de tous les intervenants. Il faut des programmes d'études solides et modernes qui soient pertinents d'un point de vue culturel. Il y a en ce moment même à Toronto des éditeurs qui s'affairent frénétiquement à préparer des manuels scolaires parce que les gouvernements de l'Alberta et de la Saskatchewan n'en achèteront pas qui n'ont pas de contenu autochtone. Il était temps.
La semaine dernière, on a annoncé la conclusion d'un accord sur l'éducation des Autochtones; les doyens des facultés de l'éducation du pays se sont réunis. Essentiellement, ils affirment qu'ils vont s'occuper des questions autochtones au premier cycle universitaire. Je dis qu'il était temps. Je veux être positive et affirmer que cela produira son effet, mais il y a longtemps que nous attendions cela. Les enseignants au pays ne connaissent pas l'histoire du pays; néanmoins, ils enseignent aux jeunes qui font partie de notre histoire.
Je veux faire valoir un dernier point, dont je ne traiterai pas en profondeur, étant donné que c'est une question extraordinairement vaste. C'est la question de l'évaluation et des mesures. Les fondements de la réussite exigent que nous trouvions une façon de mesurer. D'après le vocabulaire que vous employez, je vois que vous voyez la comparabilité comme une façon de combler l'écart qui existe entre les Autochtones du Canada et les autres membres de la population du point de vue des résultats scolaires. Ce n'est qu'une petite pièce du puzzle.
Je m'arrêterai là et je vous dirai qu'il y a un point que je souhaite faire valoir à propos d'une association nationale du domaine de l'éducation. C'est un point que je souhaite régler avant que la soirée ne soit finie.
Le président : Ce qui fait que nous avons décidé d'étudier ce sujet, madame Mount Pleasant-Jetté, c'est simplement que, sous la direction du sénateur Sibbeston, nous avons lancé une enquête sur le développement économique, puis nous avons abordé la question de la gouvernance. Le thème qui revenait était celui de l'éducation.
Je rappellerai l'anecdote suivante avec certains des sénateurs. À Thunder Bay, nous avons accueilli le témoignage des représentants de Wasaya Airways, si je ne m'abuse. Il se trouve que je suis pilote professionnel; leur exposé m'intéressait donc particulièrement. J'ai demandé au type qui témoignait combien de pilotes la ligne aérienne des Premières nations comptait. Il a dit : « Je crois que nous en avons un. » J'ai dit : « Un seul? Où est le problème? » Il a dit au comité : « Malheureusement, nos étudiants sont trop faibles en mathématiques et en sciences pour répondre aux exigences de la formation théorique de l'école de pilotage. »
Cela a été une révélation, pour moi et pour certains autres membres du comité, qui sont là depuis un certain temps, par exemple le sénateur Sibbeston et le sénateur Dyck. Nous nous sommes rendu compte à ce moment-là du fait qu'il y a non seulement un écart à combler, mais aussi beaucoup d'occasions ratées. Lorsqu'une compagnie aérienne qui appartient à des Autochtones ne peut employer d'Autochtones en raison du fait que ceux-ci ne sont pas à la hauteur, il y a un problème. Vous avez parlé de la méthode employée pour mesurer le degré de compétence des étudiants. C'est pourquoi nous sommes là. Les retards sur ce plan sont mortels. Nous sommes d'accord avec vous. Il est à espérer que nous allons en arriver à une formule qui fonctionne. Certes, nous sommes heureux du fait que vous ayez pris le temps de venir vous adresser à nous aujourd'hui.
Le sénateur Dallaire : Cette année, il y a neuf cadets autochtones au Collège militaire royal; tous ont obtenu la note de passage. L'an dernier, il y en avait 12, quoiqu'ils n'aient pas obtenu le même taux de réussite. Tout de même, la qualité de ces étudiants s'est révélée exceptionnelle. Si nous continuons à avoir un tel nombre d'étudiants tous les ans, cela donnera un important cadre de direction pour le recrutement d'autres Autochtones dans les forces armées. C'est un projet qui a réuni avec succès les Autochtones et les forces armées, particulièrement en ce qui concerne le programme des Rangers.
Les solutions existent. Le Collège militaire royal est une université financée par le gouvernement fédéral, dont le but est de produire des officiers pour les Forces armées canadiennes. Dans le tiers intermédiaire et supérieur du pays, il n'y a pas d'établissement que le gouvernement fédéral finance pour produire des leaders autochtones au pays. Ai-je raison de l'affirmer?
Mme Mount Pleasant-Jetté : Oui, à quelques exceptions près. Autrement dit, il y a des établissements de formation postsecondaire. Quant à savoir s'ils sont financés entièrement par le gouvernement fédéral, c'est une autre question. La plupart ont conclu une entente quelconque avec des organismes provinciaux.
Le sénateur Dallaire : Oui, mais le lien que j'essaie de faire, c'est qu'il y a un établissement qui croit devoir inculquer des valeurs, respecter une certaine culture et avoir pour objectif de produire des dirigeants en fonction d'une demande particulière, soit celle des forces armées. Le gouvernement fédéral le sait et voit en quoi il est essentiel d'avoir ce groupe-là. Les officiers sont formés dans diverses universités, mais il faut créer un groupe.
Pourquoi ne pas reconnaître alors qu'il faut un groupe de dirigeants autochtones et qu'il faudrait se donner un établissement d'études supérieures pour leaders autochtones dont la structure serait établie par le gouvernement fédéral? Pourquoi ne pas créer quelque chose ou au moins semer au gouvernement fédéral l'idée de financer un tel projet?
Mme Mount Pleasant-Jetté : Je veux parler de l'expérience du Collège militaire. Depuis des années, différentes branches de l'armée essaient de recruter des Autochtones à divers niveaux de responsabilité et non pas seulement au niveau de la direction, mais aussi dans les métiers. Ils ont fait beaucoup de travail sur ce point.
Un ex-fonctionnaire — en fait, c'est un ancien mentor, Clarence Chabot, qui a travaillé au Conseil du Trésor — travaille à ce dossier aux côtés des responsables militaires depuis 10 ans, probablement. Il le fait pour atteindre le degré de réussite voulu et pour recruter des étudiants pour le Collège militaire.
Par contre, je ne suis pas certaine que nous soyons prêts à avoir un établissement distinct. Nous ne sommes pas prêts : il y a certainement quelques jeunes qui sont brillants et qui présentent un rendement exceptionnel, mais ils sont encore trop rares. Dans la grande majorité des cas, nos étudiants sont des décrocheurs de l'école secondaire, si ce n'est des gens qui ont décroché à la sixième ou à la huitième année. Voilà le degré de scolarité de la majorité de nos enfants en ce moment.
Je trouve que votre idée était louable. Il nous faut ce genre d'établissements, et je crois que le gouvernement fédéral doit être l'instigateur. Toutefois, je ne crois pas que la construction d'une école ou la création d'un établissement quelconque en ce moment puisse se justifier étant donné les économies d'échelle. Le nombre d'inscriptions ne serait pas suffisant.
En pays indien, sur les territoires des Premières nations dans la partie sud du pays, les gens sont nombreux à ressentir un solide attachement au monde militaire. Sur ma réserve à moi, les jeunes aiment le monde militaire. Ils se joignent aux Marines américains. Ils ne s'enrôlent pas dans les Forces canadiennes, ce qui dérange mes collègues depuis des années.
Le sénateur Dallaire : Le nombre d'Autochtones qui s'enrôlent dans les Marines aux États-Unis est moins important aujourd'hui qu'il l'était pendant la guerre du Vietnam. L'attrait de cette guerre était important.
Je reviens toujours à l'idée que ce n'est pas un exercice rentable. Le Collège militaire royal n'est pas un établissement rentable. La première cohorte ne comptait que 18 personnes. C'est quand même le phare de l'institution d'où viendraient, croit-on, les dirigeants recherchés.
J'ai reçu récemment un diplôme honorifique du Collège Saint-Laurent à Brockville. Le Collège Saint-Laurent à Brockville est centré sur un produit. C'est-à-dire que ses responsables consultent sans cesse l'industrie pour voir ce que celle-ci recherche en fait de techniciens ou de travailleurs qualifiés, et ils adaptent leurs cours et programmes en conséquence. Ils garantissent un taux d'emploi de plus de 90 p. 100, étant donné qu'ils enseignent aux étudiants ce que l'industrie exige.
Nous appliquons ce concept du côté du Programme des Nations Unies pour le développement, le PNUD, dans les pays en développement. Pourquoi ne pas implanter cela ici?
Mme Mount Pleasant-Jetté : Je ne sais pas si vous connaissez le rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones. Il fait 14 000 pages et comporte 1 400 recommandations. C'est quatre gros volumes de texte.
J'ai collaboré à une des recommandations qui se trouvent dans ce rapport, soit de renverser la situation en ce qui concerne l'équité en emploi — c'est que l'équité en emploi ne fonctionnait pas. Ce n'était pas bien de dire aux jeunes que toutes sortes d'occasions les attendaient, qu'il suffisait pour eux de fréquenter l'école et de faire la file et qu'on les engagerait.
J'ai proposé dans ce rapport — j'y crois toujours — qu'il appartient aux employeurs d'agir. Il faut renverser l'équation de l'équité en emploi pour faire en sorte que les employeurs, devant les défis de l'avenir, se mettent à réfléchir dès maintenant. Ils doivent réfléchir au genre de travailleurs dont ils auront besoin, au genre d'éducation que les travailleurs en question devront avoir obtenue et s'engager à donner suite à leur planification des ressources humaines, à partir de ces plans-là — qui, comme vous le dites, sont renversés. Nous devrions dire aux employeurs qu'il leur appartient de dire ce qu'ils veulent, puis prendre cela comme point de départ de notre côté.
Vous dites : pourquoi cela ne pourrait-il pas fonctionner dans le cas des Autochtones? Et je crois que ça peut fonctionner, mais il est difficile de le dire. J'ai dit que changer d'attitude figurait parmi les fondements de la réussite. L'expérience de certains employeurs depuis deux ou trois décennies a été négative; je le dis pour avoir travaillé avec des Autochtones, vécu dans des collectivités autochtones ou tout près et lu les horreurs des médias à ce sujet.
Vous parlez de Brockville et de Kingston. Je collabore avec l'Université Queen's, car le site web du Native Access to Engineering Program a été transféré à la Faculté de génie et de sciences appliquées de l'Université Queen's. Il y a encore des gens qui, si vous leur parlez des Mohawks et des Indiens, se souviennent uniquement du fait qu'on a bloqué des trains. Au Québec, nous nous rappelons encore la crise d'Oka et les gens qui lançaient des pierres aux Indiens sur le pont Mercier. Ce genre d'images et de traitement médiatique stéréotypés a un impact extraordinairement négatif.
Appelées à dire combien de monteurs ou d'opérateurs de machinerie lourde il leur faudra à l'avenir, le pétrolières disent qu'elles vont y réfléchir. Notre expérience n'a pas été positive il y a 10 ou 20 ans. Nous avons eu beaucoup de difficulté à garder nos employés autochtones.
Dans une certaine mesure, l'expérience négative s'est répercutée dans le présent. Cependant, ces dernières années, les employeurs ont connu une expérience positive, qui, elle, sera utile. Comme je l'ai dit, les employeurs envisagent tous des façons d'intégrer des Autochtones à leur effectif. J'ai beaucoup d'optimisme sur ce point.
Le sénateur Dallaire : Il y a 35 ans, dans l'armée canadienne, on nous a dit qu'il fallait parler anglais pour faire des tirs d'artillerie. Néanmoins, chez les Russes, le tir d'artillerie se faisait en russe; chez les Italiens, il se faisait en italien. Il a fallu une loi pour que nous puissions tirer en français, et c'est arrivé il y a 35 ans seulement. Nous parlons d'un plan à long terme, et j'espère que vous aurez la persévérance nécessaire pour y arriver.
Mme Mount Pleasant-Jetté : Merci beaucoup des questions et de la réflexion. Je crois qu'il y a des liens importants à faire là.
Le sénateur Sibbeston : Madame Mount Pleasant-Jetté, votre exposé et vos rapports le font bien voir, vous êtes très accomplie et très active dans le domaine de l'éducation autochtone. Je vois votre résumé des fondements de la réussite, ils sont tous raisonnables, et ce que d'autres ont dit.
En fin de compte, il faut de l'argent. D'après les témoignages, il semble que nous n'ayons pu d'argent. Le gouvernement fédéral semble avoir atteint un certain niveau de financement, au chapitre de l'éducation, au-delà duquel il n'est pas prêt à aller.
J'espère que notre rapport peut modifier le cours des choses. Nous voyons beaucoup de rapports, de celui de la commission royale à votre rapport à vous; nous avons entendu l'autre jour une dame qui est à l'origine de nombreux rapports et de judicieuses recommandations. Même là où il s'agit de vos recommandations à vous, des fondements de la réussite que vous évoquez, disons qu'il faut de l'argent pour toutes ces mesures, mais la réponse est toujours la même. Il n'y a pas d'argent. J'espère que notre comité sénatorial peut faire des recommandations sur ce point et que le gouvernement fédéral écoutera et débloquera des fonds à un moment donné.
D'après votre expérience, l'avenir de l'éducation des Premières nations se situe-t-il dans la sphère de l'éducation provinciale, par exemple les universités et les autorités provinciales en matière d'éducation? Jusqu'à quel point le gouvernement fédéral peut-il jamais participer à l'éducation des Premières nations?
On fournit des fonds en ce moment, mais on n'a pas d'expertise en éducation. Le gouvernement fédéral a-t-il un avenir dans le domaine de l'éducation des Premières nations, sinon cela relève-t-il vraiment du domaine provincial, où les Premières nations prendraient en charge l'éducation faisant appel à des organismes régionaux et ainsi de suite?
Mme Mount Pleasant-Jetté : Je rassemble mes idées. La première chose qu'il faut rappeler, c'est que notre pays est fondé sur un certain nombre d'accords et de traités. Ces traités existent toujours; ce sont des documents historiques, des documents organiques.
En parlant des dépenses, vous avez utilisé quelques mots sur lesquels j'aimerais revenir. On répond toujours qu'il n'y a pas assez d'argent et que ceci ou cela coûte cher, et vous dites que le gouvernement n'est pas prêt à aller au-delà d'un certain niveau. « Il n'est pas prêt à... », voilà qui me paraît être une extrêmement bonne façon de décrire la situation. C'est tout à fait juste. Y a-t-il assez d'argent pour régler la question de l'éducation des Autochtones? À mon avis, même s'il faudra pour cela beaucoup plus que de l'argent, il nous faudra certainement plus d'argent.
En tant que représentante d'un organisme autochtone, je suis désolée d'être là à exiger du financement, du financement et encore du financement, étant donné que ce n'est pas ce que je préconise. Quand je parle des exigences du programme d'études, bien entendu, il y a l'argent que cela coûte; la formation des enseignants, bien sûr; le perfectionnement professionnel, bien sûr. Tout de même, nous devons nous attacher à deux concepts importants. D'abord, il y a le rendement de l'investissement fait; ensuite, il y a l'optimisation des ressources.
En 1995, j'étais à Toronto. L'ex-vice-président de la Banque Royale a tenu une bonne réunion d'une demi-journée où, accompagné de son économiste en chef, il est venu rencontrer les représentants du secteur des affaires. Le but de la réunion consistait à annoncer aux gens le dépôt du rapport de la commission royale. Charlie Coffey et John McCallum ont rencontré 100 présidents et PDG de Bay Street au Royal York. L'activité s'est déroulée sous le thème du « coût de l'inaction ». Un des passages cités pendant l'exposé concernait une progression actuarielle, un tableau qui se trouvait dans le rapport produit à ce moment-là et qui était affiché au mur ce matin-là. On y apercevait la montée en spirale des coûts des soins à prodiguer aux membres des Premières nations vu la croissance démographique projetée. Ce qui était intéressant, c'est que nous étions en 1995, et l'un des marqueurs sur le graphique de John McCallum était 2012. Eh bien, mesdames et messieurs les sénateurs, nous y sommes presque.
L'année 2016 était marquée d'une croix sur le graphique. On disait que, en 2016, si nous continuons à soutenir les Premières nations par le truchement de programmes sociaux et d'aide sociale et tout le reste, il y avait une limite à ce que le gouvernement canadien avait vraiment les moyens de faire. L'économiste en chef à ce moment-là a utilisé l'expression « bombe à retardement ». C'est une situation explosive. Cela laissait voir une grande conviction, qui reflétait bien l'homme. L'idée est sortie des travaux de la commission royale, où nous avons dit ce que vous êtes en train de dire, justement. Où allez-vous trouver l'argent? Notre croissance démographique ne se dément pas. Je ne sais pas si vous obtenez ces renseignements au même moment. Tandis que les graphiques défilent et que tous les petits enfants dont il est question arrivent à l'âge de 15 ans — c'est à ce moment-là qu'ils deviennent parents eux-mêmes, à 15, 16, 17 ans —, c'est à ce moment-là que nous allons voir la courbe monter de façon extraordinaire. Dans un proche avenir — 2012 et 2016 —, nous allons atteindre un point où il faudra que quelque chose change.
Je ne crois pas que l'argent suffise en lui-même à régler le problème, mais je veux revenir à ce que vous proposiez, soit peut-être que le gouvernement fédéral transfère le dossier aux provinces ou aux ORG, aux organismes régionaux de gestion, qui s'occuperaient alors du problème. À mes yeux, c'est là une façon pour le gouvernement d'abdiquer totalement sa responsabilité. Le Canada a une responsabilité, une obligation morale et une obligation juridique. Quoi faire? Faut-il dire simplement : « Je m'excuse, mesdames et messieurs. Nous n'avons plus les moyens de vous soutenir »? J'ai l'impression, quant à moi, qu'agir maintenant coûtera moins cher qu'agir dans une génération.
Le sénateur Sibbeston : Pensez-y un peu : Affaires indiennes et du Nord, dont les relations passées avec les Autochtones présentent un bilan horrible, peut-il être la planche de salut des Premières nations dans le domaine de l'éducation? Voilà une question capitale. Sans nul doute, le gouvernement fédéral est constitutionnellement responsable de la question sous tous ses aspects, mais ça ne débouche pas. Ces gens-là sont ineptes. Ils ne savent pas comment faire.
Nous traitons avec le gouvernement fédéral depuis longtemps dans le Nord. Nous avions mis notre espoir dans l'idée de nous défaire de l'emprise du gouvernement fédéral, qui a tout bâclé dans le Nord; ses actions ont engendré des coûts importants chaque fois. Quelle que puisse être la question, nous allons toujours pouvoir faire mieux que le gouvernement fédéral, voilà l'impression que nous avions. Nous avons un gouvernement responsable maintenant dans le Nord, et il y a une grande croissance depuis que ça s'est fait.
À mon avis, les Premières nations du Canada ne devraient pas voir le gouvernement fédéral ou Affaires indiennes comme leur planche de salut, sinon on assistera encore à 100 ou 200 ou 300 ans d'échecs et de découragement.
Dans le domaine de l'éducation, la question est locale. Les collectivités locales ont la mainmise sur l'éducation. Où que vous vous trouviez au pays, vous êtes loin d'Ottawa. L'éducation est un sujet et une entreprise qu'il vaut mieux aborder à l'échelon local. Les collectivités, la région et la province sont les mieux placées pour s'en occuper. C'est pourquoi j'affirme qu'il vaut mieux aborder la question à cette échelle-là, que ce soit les Premières nations ou la province, mais c'est là que les mesures doivent être prises et le travail fait.
D'après votre expérience, n'êtes-vous pas d'accord pour dire que mieux vaut agir sur le terrain lui-même et que c'est là que se situe vraiment l'espoir des Premières nations? S'il y a une grande amélioration de ce côté-là, ce sera un franc succès, non?
Mme Mount Pleasant-Jetté : Le transfert des responsabilités effectué à Ottawa me semble être en partie la cause des catastrophes que nous vivons dans le domaine de l'éducation. La mesure dans laquelle Affaires indiennes a réduit, diminué, transféré des responsabilités est marquée par un déclin important. Je crois avoir lu dans la transcription de certains des témoignages présentés à votre comité que ce sont 60 personnes qui s'occupent de tant de millions de dollars et de 75 000 enfants. Premièrement, je suis d'avis que ce n'est pas vrai, étant donné qu'il ne s'occupe pas des enfants du tout. Ce sont les Premières nations qui s'occupent de leurs enfants.
Je suis un peu déchirée sur la question. Vous faites valoir qu'il vaudrait peut-être mieux que cela se fasse à la base, à l'échelle communautaire, territoriale ou provinciale. Cela ne fait aucun doute dans mon esprit, vous avez raison; il y a de l'interaction humaine dans une salle de classe et au sein d'une collectivité. Les enfants apprennent des gens qui les entourent. J'ai pris ma retraite après avoir enseigné pendant 37 ans. Quand j'ai commencé il y a une quarantaine d'années, le monde n'était pas le monde que l'on connaît. Aujourd'hui, les enfants apprennent de façon différente avec l'accès qu'ils ont à la technologie électronique. Ils s'engagent dans un monde différent où les communications et les choses sont si différentes. Nous pourrions faire usage de différentes méthodes et techniques pour permettre à nos enfants d'apprendre. Or, il est impossible d'avoir ce genre d'investissement à l'échelle communautaire locale.
Le Canada avait ce qui s'appelait Rescol et Premières Nations sur Rescol. Je crois que cela faisait partie de la Direction générale des applications de l'autoroute de l'information d'Industrie Canada. Il me semble avoir vu un ministre ou quelque représentant officiel se lever et dire que tous les enfants au Canada auraient un ordinateur et que chaque collectivité aurait accès à bien des choses.
Il y avait un programme d'accès communautaire qui faisait qu'on pouvait faire l'acquisition d'ordinateurs. Les ordinateurs étaient livrés, puis étaient laissés à l'arrière de la salle, étant donné que personne ne pouvait les brancher. Je ne vous ennuierai pas avec d'autres détails.
Je dirai que l'on doit s'acquitter de la responsabilité de répondre aux besoins locaux en éducation à l'échelon local; vous avez tout à fait raison là-dessus. Le financement et la gestion des finances à l'échelon local peuvent servir à concrétiser le projet d'éducation. Par contre, l'énigme à laquelle nous avons affaire comporte des aspects beaucoup plus coûteux, par exemple la formation des enseignants, la conception des programmes d'études, les TI et les services électroniques. En 2010, il est ridicule de brancher une école en utilisant un modem, mais il y a bel et bien des écoles qui font cela au pays.
Il nous faut être conscients de ce qui fait défaut. Les trucs qui représentent des investissements importants doivent relever du gouvernement fédéral. Avant qu'il ne soit trop tard, je veux soulever la question dont j'ai dit que je voulais parler avant de quitter les lieux ce soir.
Le président : C'était le forum national?
Mme Mount Pleasant-Jetté : Oui, je propose un truc qui s'appelle association canadienne de l'éducation des Autochtones, mais je répondrai à vos questions d'abord.
Le sénateur Dyck : Merci de l'exposé que vous avez présenté. Je reviendrai aux observations que vous avez faites à propos d'une des questions du sénateur Sibbeston. Vous dites qu'il est urgent d'agir et qu'il faut agir dès maintenant. Vous avez évoqué une carte du Canada où les jeunes enfants sont concentrés dans le tiers situé au nord. Vous avez parlé de jeunes qui seront bientôt parents eux-mêmes et du fait que ce baby-boom est appelé à prendre encore de l'ampleur.
Ces données démographiques étant, quelle serait la recommandation particulière à laquelle nous devrions nous attacher selon vous? Quels secteurs nous faudrait-il cibler pour tenir compte de l'évolution de la population?
Mme Mount Pleasant-Jetté : Il y a trois ordres de gouvernement au pays, bien que nous ne le reconnaissions pas toujours. Il y a le gouvernement fédéral, le gouvernement provincial et, de loin, il y a clairement les gouvernements communautaires des Premières nations et autochtones, les bourgs inuits.
Je vous conseillerais d'abord de formuler des recommandations réalistes qui peuvent donner lieu à une action concrète. Si vous me demandez à quoi vous devriez vous attacher compte tenu de l'évolution démographique, je dirais que, à mon avis, les pensionnats ont eu pour effet de nous faire perdre une génération. Cette génération-là ne possède pas de compétences parentales et ne valorise pas l'éducation; elle ne sera peut-être pas en mesure de fonctionner. Dans une certaine mesure, nous délaissons cette époque-là. Comme vous l'avez dit, les adolescents d'aujourd'hui deviennent des parents et, dans la plupart des cas, ils n'ont pas connu l'expérience du pensionnat. Je crois que les dernières écoles du genre ont fermé en 1976.
Nous avons la possibilité au Canada de mobiliser les jeunes — je sais que je sonne comme un disque rayé —, mais il faut faire en sorte qu'ils fassent leurs études secondaires. Nous pouvons parler aux jeunes quand ils se trouvent en classe à l'école secondaire. Nous pouvons traiter avec les jeunes mères et les jeunes pères et les aider à comprendre l'art d'être parent et les REEE. Nous pouvons les aider à choisir une bonne scolarité. Cependant, si nous n'arrivons pas à garder en classe les parents des bébés, nous allons les perdre.
Si vous voulez réagir à l'explosion démographique, je vous dirai qu'il faut traiter avec les adolescents, les jeunes de l'âge de l'école secondaire. Le segment démographique à cibler s'est déjà situé entre 15 et 24 ans; cela doit changer. Je me suis assise à côté d'une jeune femme qui venait de recevoir un prix. C'est une communicatrice de Winnipeg. Elle était très fière. J'ai dit : « C'est ton travail maintenant. Tu as le diplôme, tu as la profession et tu as le prix. Tu dois communiquer à tes pairs le fait que nous devons garder nos enfants à la maternelle et à l'école. » Elle ne peut dire que le problème est causé par les séquelles des pensionnats, étant donné qu'elle a plus ou moins 23 ans. Il y a peut-être quelques séquelles encore, mais elle n'a pas été elle-même dans un pensionnat.
Le sénateur Raine : Il est bien de vous recevoir. Je profite de votre longue expérience en ce qui a trait à ces questions.
Nous essayons de voir ce que nous pourrions appeler un fondement du système d'éducation, qui s'appliquerait dans l'ensemble du Canada, compte tenu des grandes différences qu'il y a d'un océan à l'autre, surtout dans le Nord. Si nous sommes pour édifier une infrastructure, des programmes et ainsi de suite, il faut de bons fondements en ce qui concerne la structure de gestion. Vous avez dit que c'était un des éléments clés; c'est-à-dire la structure organisationnelle et la capacité de gestion.
Pourriez-vous nous en dire davantage là-dessus? Avez-vous une idée des composantes de la structure? Le moment serait probablement bien choisi aussi pour parler de votre association nationale. Pourriez-vous nous en dire davantage sur la structure organisationnelle que vous envisageriez, dans un monde parfait, comme la meilleure façon de procéder?
Mme Mount Pleasant-Jetté : Dans un monde parfait, on serait en Colombie-Britannique et on aurait une entente tripartite. Il y aurait le First Nations Education Steering Committee, FNESC. Les parents feraient partie de cercles de parents. Je n'essaie pas d'être drôle, et je ne dis pas cela parce que vous venez de la Colombie-Britannique. C'est un modèle.
Tout de même, je suis certaine que la plupart d'entre vous le savent : il y a une grande variation, disparité, différence d'une collectivité des Premières nations à l'autre. Par exemple, les Métis du Manitoba, les Micmacs de l'Atlantique de même que les Atikamekw et Montagnais du Québec sont distincts. On ne peut se contenter de surimposer le modèle sur la réalité.
D'abord, il faut une forme quelconque de district scolaire ou conseil scolaire. Cela doit répondre à une série de normes. C'est tout un défi à relever. Ça viendra peut-être de la province ou d'autres groupes autochtones. Ça doit répondre aux normes de fonctionnement d'un district ou d'un conseil scolaire. L'organisme doit être indépendant des pouvoirs publics, sur le plan organisationnel. Il doit être conçu en société, avoir une existence propre en tant qu'organisme. Il doit pouvoir exercer une certaine emprise sur les politiques et programmes de même que les procédures appliquées à l'échelle de l'école. Il doit avoir son mot à dire en ce qui concerne le programme d'études, l'embauche des enseignants, les heures d'enseignement et la structure administrative usuelle.
Il faudra y ajouter par contre d'autres éléments particuliers, pour tenir compte notamment des valeurs culturelles, de la formation linguistique et des écoles d'immersion. Nous devons en arriver à comprendre la nécessité d'un certain équilibre entre l'intégration des aspects culturels et linguistiques à un programme d'études et l'enseignement du programme de base. Le terme « équilibre » revêt une importance capitale.
Nous savons tous que, dans des centres urbains au Canada et aux États-Unis, des milliers et des milliers d'enfants se dirigent vers l'école le samedi matin pour apprendre leur langue maternelle : le chinois, l'italien, et cetera. Il y a aussi des programmes parascolaires où ils apprennent leur langue et pratiquent leur culture, ce qui représente un bon modèle en la matière. Ce n'est pas parfaitement adapté à la situation des Autochtones, mais, à mon avis il s'agit de trouver un équilibre. Si ça veut dire qu'il faut prévoir une expérience culturelle le samedi matin pour qu'on ait assez de temps pour assimiler les mathématiques, l'écriture et l'éducation physique durant la semaine, le conseil scolaire décidera. Si le conseil scolaire est géré et que ses membres sont élus par les gens de l'endroit, il n'y aura pas autant de contestations.
Comme je l'ai laissé entendre plus tôt, le gouvernement fédéral devra investir pour assumer une partie des coûts de fonctionnement de ces organismes. Ce n'est pas de l'argent qui viendra de l'échelon local.
Le sénateur Raine : Il n'y a pas de taxes scolaires.
Mme Mount Pleasant-Jetté : Il n'y a pas de recettes. L'ennui, c'est qu'il y a trop de choses qui sont nécessaires. Je connais des enseignants aujourd'hui qui enseignent les sciences physiques aux élèves en septième, huitième et neuvième années, dans une province que je ne nommerai pas, à l'aide de manuels scolaires qui remontent à 1972. Ils n'ont pas de laboratoires, de matériel, de brûleurs ou de microscopes, et leur manuel a 38 ans. C'est fou, et nous sommes au Canada, mesdames et messieurs.
[Français]
Le sénateur Brazeau : Docteur Mount Pleasant-Jetté, c'est un plaisir de vous revoir ici parmi nous.
[Traduction]
J'ai une observation à faire avant de poser ma question. Durant votre introduction, vous avez dit que vous étiez là il y a 37 ans à parler d'éducation des Autochtones et voilà que, encore une fois, en 2010, vous parlez d'éducation. Vous signalez que nous en sommes essentiellement au même niveau aujourd'hui qu'à cette lointaine époque.
Eh bien, il y a une trentaine d'années de cela, j'étais à peine né. Je dois dire respectueusement que je ne suis pas d'accord avec vous si je me regarde moi-même et que je regarde mes pairs et d'autres Autochtones au pays. Je sais que vous avez consacré votre vie et votre énergie à la question de l'éducation, et je crois que vous devriez dire que c'est vous qui avez pavé la voie à d'autres Autochtones comme moi. Si nous examinons les statistiques, nous voyons que, en 1972, il n'y avait pas d'écoles des Premières nations. Aujourd'hui, il y en a plus de 500. En 1960, il y avait 30 étudiants autochtones inscrits à l'université. Aujourd'hui, il y en a plus de 30 000, et 4 000 qui achèvent leurs études tous les ans. Je crois que beaucoup de progrès ont été faits, mais qu'il y a encore des défis à relever et que nous pourrions tous faire mieux; voilà pourquoi nous sommes là.
J'ai une hypothèse concernant certains des défis à relever. Il y a 30 ou 40 ans, les Autochtones parlaient de maîtrise indienne de l'éducation des Indiens et de l'idée d'appliquer cela concrètement. Il y a le gouvernement fédéral qui finance l'éducation des Autochtones sur les réserves, en particulier, et il y a les transferts provinciaux qui s'appliquent aux enfants autochtones vivant hors réserve. Les fonds d'Affaires indiennes sont remis aux collectivités particulières des Premières nations. Les dirigeants sont nombreux à avoir affirmé qu'ils souhaitaient administrer et maîtriser l'éducation. Je ne veux pas défendre le ministère, que j'ai l'habitude de le critiquer vivement, mais je vois qu'il veut éviter de froisser les gens, même s'il y a peu d'indicateurs du rendement et que le financement n'est lié à aucun résultat.
Cela fait 30 ans que les premières écoles ont été créées. Il y a encore des problèmes d'infrastructure à régler, mais nous devons examiner le système actuel et déterminer comment procéder pour mieux nous assurer que les enfants et, en particulier, les enfants de la maternelle à la 12e année achèvent leurs études secondaires. Nous devons voir comment faire pour que ces jeunes se retrouvent dans des établissements d'enseignement postsecondaires ou puissent acquérir un métier ou des compétences, pour qu'ils puissent mettre à profit les compétences acquises dans le cadre d'autres emplois. Ce ne sont pas tous les Autochtones qui veulent fréquenter l'université; voilà la nature d'une bonne partie de notre population.
Je ne veux pas paraître provocateur, mais croyez-vous que l'administration de l'éducation sur les réserves — je ne mâcherai pas mes mots — devrait être confiée aux chefs et conseils de bande? J'aurais une deuxième question à poser rapidement aussi, selon la réponse que vous donnez à celle-là.
Mme Mount Pleasant-Jetté : Je dois répondre à cela, si je peux. J'ai mentionné Clarence Chabot. Certains d'entre vous ont peut-être déjà entendu parler de lui. À la fin des années 1970 et au début des années 1980, nous allions dans les sociétés d'État à l'occasion de journées de sensibilisation à la culture autochtone. Dehors, dans la voiture, nous nous demandions : qui fait le gentil et qui fait le bon aujourd'hui? Qui donnera la bonne nouvelle? Qui s'occupera des mauvaises nouvelles? Sachant que je disposais d'une quinzaine de minutes environ aujourd'hui pour présenter un exposé et répondre à vos questions par la suite, j'ai choisi de raconter le mauvais côté des choses, mais je suis tout à fait d'accord avec vous pour dire qu'il y a aussi de bonnes nouvelles.
Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité, la fin des cours cette année a porté à 76 le nombre d'Autochtones diplômés à la faculté de génie de l'Université du Manitoba. Cela est faisable. Ça ne fait aucun doute. J'ai mentionné que j'avais transféré à l'Université Queen's à Kingston la responsabilité du site web du Native Access to Engineering Program avec le travail que cela suppose. Les gens là-bas prennent le relais pour ainsi dire. Il y a des étudiants qui arrivent et qui sont admis à la faculté de génie de l'Université Queen's, ce n'est pas peu dire. Les critères d'admission en génie sont extrêmement rigoureux. Quelques étudiants autochtones ont percé. Voilà pour le génie. Je vous parlerai d'un jeune homme qui a fait un baccalauréat et une maîtrise en génie mécanique à l'Université Concordia. Il a terminé son doctorat l'an dernier. Il enseigne maintenant et a reçu une bourse de recherche postdoctorale. C'est un Mohawk d'Oka, et il est professeur de génie à l'Université Queen's.
Le sénateur Dyck peut vous dire que je fais partie d'organismes où nous, universitaires autochtones, nous nous rencontrons depuis quelques années. Il y a deux ans de cela, nous avons eu une rencontre où tous les nouveaux professeurs des peuples autochtones étaient invités, et 120 personnes se sont rencontrées à Winnipeg. Oui, il y avait 79 Autochtones à l'université en 1979, et je crois que nous en sommes aujourd'hui à 23 000. Oui, nous faisons des progrès. C'est la bonne nouvelle.
Chaque fois que je m'entretiens avec des gens du monde des affaires ou des professions, je profite de l'occasion pour leur demander pourquoi ils n'ont pas en ce moment même d'étudiants autochtones chargés de projets de recherche. Ils répondent que ça ne se trouve pas. Il faut qu'ils les trouvent. Vous avez tout à fait raison, sénateur.
À propos de la dernière partie de votre question, les chefs et conseils peuvent-ils prendre cela en charge? C'est une toute petite question qui appelle une réponse énorme. Je ne veux pas prendre d'autre temps à la présidence, sauf pour dire que la responsabilité ne devrait pas leur incomber seulement à eux.
Le sénateur Brazeau : Si rien ne change, croyez-vous que le ministère actuellement chargé de l'éducation des populations autochtones sur les réserves devrait faire preuve d'une plus grande rigueur et associer des indicateurs du rendement au financement accordé, pour s'assurer d'obtenir les meilleurs résultats possibles, quoi que puissent être ces résultats?
Mme Mount Pleasant-Jetté : L'argent prévu pour l'éducation est-il consacré à l'éducation? C'est ce que vous nous demandez?
Le sénateur Brazeau : Dans le mille.
Mme Mount Pleasant-Jetté : Y a-t-il des fonds pour l'éducation postsecondaire qui sont versés à des réserves là où personne ne fréquente un établissement postsecondaire? Est-ce que ces dépenses-là sont surveillées? Je sais quelles sont les questions que vous posez.
On m'a déjà qualifiée d'apologiste; c'est très bien, merci. Le ministère des Affaires indiennes et du Nord est un ministère parmi d'autres en ce qui concerne le Trésor. Peu importe la question que vous soulevez dans l'un quelconque des ministères fédéraux. Si vous soulevez une question relative aux Autochtones auprès de responsables d'Anciens Combattants Canada, de Transports Canada, du MAECI, de Pêches et Océans ou de quelque autre ministère fédéral, on vous dira d'aller voir du côté d'AINC.
AINC peut-il régler le problème de l'éducation? Le comité a beaucoup de questions à son programme, j'en suis certaine. AINC doit plaire à tout le monde — se spécialiser dans tout. Quand je dis « apologiste », je parle de 15 années passées sous la bannière du Native Access to Engineering Program en travaillant avec le ministère, période durant laquelle j'ai pu rencontrer des fonctionnaires d'AINC qui sont extraordinairement dévoués à la tâche, des êtres intelligents qui travaillent avec diligence.
Ce n'est pas le problème d'Affaires indiennes; c'est le problème du gouvernement du Canada. Le gouvernement du Canada applique une politique ou une vision qui montre qu'il ne veut plus « s'occuper des Indiens ». Il y a quand même encore un ministère qui porte le nom, et il y a encore la responsabilité fiduciaire et les obligations issues des traités. C'est plutôt difficile comme situation.
Le gouvernement du Canada est l'organisme responsable de l'éducation des enfants autochtones. Il fournit fonds et services, si modestes soient-ils, par le truchement de l'un de ces ministères. Il fournit certains services par le truchement de la CFP et DRHC. C'est un autre bureau, simplement
Le gouvernement du Canada doit prendre sur lui de travailler correctement dans ce dossier. Si cela veut dire qu'il faut financer davantage Affaires indiennes; si cela veut dire qu'il faut un plus gros ministère; si cela veut dire qu'il faut réorganiser le personnel au sein de la direction générale de l'éducation d'Affaires indiennes, soit. Tant et aussi longtemps que des changements véritables et mesurables ne nous feront pas voir que les Premières nations sont en mesure de gérer la question et de se donner des conseils fonctionnels, elles ont peut-être besoin d'aide.
Comme je l'ai dit, faire l'apologie du ministère ne vous fera pas d'amis, mais je n'ai pas de lien politique ni de lien avec les collectivités autochtones comme j'en ai déjà eu. En tant qu'universitaire, je peux vous dire que les bandes et les conseils, les enseignants, les conseils scolaires et les enfants ont besoin d'aide. Logiquement, l'accès à cette aide gouvernementale au pays passe par AINC. Si cela veut dire que l'investissement ou le transfert de fonds doit passer par le Conseil du Trésor, soit. Ce n'est pas une idée bon marché. Le sénateur Sibbeston a affirmé que nous ne saurions faire tout cela si nous sommes privés de ressources.
Pour terminer, je dirai que nous devons aussi traiter de la responsabilité du ministère en tant qu'interlocuteur qui s'occupe des Premières nations sur les réserves de même que des Métis et des Inuits. Le ministère est quand même responsable aussi des membres des Premières nations qui ont quitté leur territoire et qui se sont installés en ville, en milieu urbain.
Ça ouvre grand les perspectives, mais je dois m'arrêter là.
Le sénateur Brazeau : Vous avez parlé des trois ordres de gouvernement, de responsabilités, d'obligations fiduciaires et de l'obligation du gouvernement fédéral concernant l'éducation des Autochtones. Nous devrions parler du ministère, de son champ d'action et de ses obligations. Quelles sont les responsabilités des Premières nations dans tout cela?
Mme Mount Pleasant-Jetté : Cela ne fait aucun doute, les Premières nations ont la responsabilité d'édifier une culture favorisant l'apprentissage.
En tant que groupe tribal largement défini, nous nous occupons de nos enfants. Notre histoire le montre clairement, nous avons veillé à l'éducation de nos enfants. Nous les avons pris en charge et protégés. Les femmes de la collectivité ont fait en sorte que le cercle est demeuré fort. Les hommes de la collectivité ont appris aux jeunes hommes leurs activités traditionnelles. Nous avons guéri les gens à l'aide de médecines auxquelles nos aînés nous ont initiés. Nous avons construit des refuges. Je peux dresser toute une liste de choses, d'un point de vue technique, depuis le sirop d'érable jusqu'à la planche porte-bébé, en passant par la longue maison et les raquettes. Nous avons veillé à l'éducation de nos enfants. Nous avons eu des ancêtres extraordinaires qui étaient des leaders et qui ont pris leurs responsabilités au sérieux.
Les leaders locaux de la collectivité doivent œuvrer à la maison même; ils doivent savoir qui se trouve au sein de leur collectivité; ils doivent savoir comment composer avec le besoin de se battre. Des gens disent que la Loi sur les Indiens a engendré des collectivités divisées où nous nous battons entre nous — c'est une question de diviser pour régner.
Nos leaders et nos chefs doivent faire un bilan de la situation et se tourner vers nos aînés pour des enseignements sur la façon de s'occuper de nos enfants. On ne peut penser envoyer ses enfants à Bon départ, programme qui est une bonne idée, en croyant que cela suffit. On ne peut envoyer des enfants à l'école en présumant qu'ils apprennent quelque chose simplement du fait qu'il y a quelqu'un dans le bâtiment. On ne peut élever des enfants et les éduquer dans une ambiance où, en tant qu'adultes, on ne valorise pas l'éducation. Les enseignants viennent à nos conférences et nous disent qu'elles sont les personnes les plus détestées qui soient au sein de la collectivité. Nos parents ne valorisent pas l'éducation. Nos leaders ne valorisent pas l'éducation.
Pour ne pas résumer, nos dirigeants ont la responsabilité de comprendre comment nos ancêtres se sont occupés de nos enfants.
Le sénateur Patterson : Merci beaucoup, madame Mount Pleasant-Jetté.
Ma question porte sur un des éléments des fondements de la réussite que je ne vous ai pas entendu mentionner.
Du point de vue de la réussite scolaire, quelle importance a la maison, le soutien donné à la maison? Est-ce que nous devrions prêter attention à des questions du genre en étudiant le système d'éducation des Premières nations, plutôt que d'insister seulement sur les structures et les budgets, les fondements que vous avez décrits?
Mme Mount Pleasant-Jetté : Je vous remercie de poser la question. Je suis arrivée ce soir sans m'être préparée, même si je souhaitais parler non pas tant des questions techniques, structures, systèmes, cadres et du Programme de réussite scolaire des étudiants des Premières nations, et cetera... je crois que vous allez en entendre beaucoup parler. Je souhaitais plutôt m'attacher ce soir aux valeurs de nos collectivités, si c'était possible — et je crois que nous l'avons fait.
Du point de vue des lois ou des procédures, je ne sais pas très bien ce que vous pouvez faire pour aider nos familles à être plus fonctionnelles. D'abord, je ne crois pas qu'il s'agisse, moi non plus, d'une question proprement autochtone. Je crois que c'est une question de portée générale, qui fait que le soutien de la famille, des grands-parents, des frères et sœurs, des voisins, et cetera, sur le plan physique et affectif, compte pour beaucoup dans un cheminement qui mène à la réussite scolaire.
Nous connaissons tous les récits faits de la vie vécue à la maison, où vous êtes l'enfant dans la rue qui a des devoirs à faire. Personne d'autre ne le fait, mais vous ne pouvez sortir tant que vous n'avez pas fait vos devoirs. À un moment donné, les parents s'intéressent à la question et vont voir ce qui se passe à l'école et se joignent à des cercles de parents.
J'en ai parlé deux fois. En Colombie-Britannique, il y a le cercle des parents des Premières nations. Depuis des années, ces gens s'efforcent de faire participer les parents aux affaires de l'école, par l'entremise de toutes sortes de dossiers, d'activités et de programmes où les parents et les enfants sont appelés à venir à l'école, et où les parents voient ce que font les enfants. Il ne fait aucun doute que le soutien de la famille et de la collectivité est utile aux élèves.
Le jeune homme qui est ingénieur mécanicien, le professeur titulaire d'un doctorat à l'Université Queen's, prendra la parole la semaine prochaine devant des étudiants de l'école secondaire à un pow-wow tenu à l'Université de la Saskatchewan. Son discours aborde ces questions-là : comment ai-je fait pour me rendre où je suis rendu? J'ai un doctorat, et j'y suis arrivé parce qu'il fallait que je fasse mes devoirs tous les jours. Sinon, je ne pouvais aller jouer. Mes parents ne me laissaient pas fréquenter des gens indésirables. C'est une histoire très personnelle et chaleureuse, qui dit exactement ce que vous venez de dire. La famille et la collectivité jouent un rôle capital, et c'est grâce à elles que bien des gens réussissent.
Je veux vous laisser ce soir en évoquant une question que je n'ai pas vue à la lecture de vos transcriptions et dont vous n'avez pas entendu parler selon moi; c'est que vous allez entendre parler d'organismes qui existent et qui ont besoin de vous raconter leur histoire. Vous allez entendre des responsables ministériels et d'autres personnes vous parler des programmes et de la façon dont les programmes existants doivent être soutenus et renforcés. Il y a un vide énorme en ce pays, et ce vide, c'est la capacité d'échanger des intervenants du milieu autochtone de l'éducation.
Il y a ce que nous appelons les ORG, les organisations régionales de gestion, et, au Québec, le Conseil en éducation des Premières nations, le First Nations Education Council. Les ORG permettent aux responsables régionaux de l'éducation de se réunir occasionnellement pendant l'année. Habituellement, dans le contexte d'AINC, ces représentants des ORG se retrouvent dans la même pièce et se parlent entre eux. Il y a des rencontres occasionnelles en éducation, mais elles sont rares; et, comme vous le savez, j'en suis certaine, il y a les compressions et les problèmes de financement, de sorte que les gens n'ont pas la possibilité de se rendre à la rencontre nationale comme ils le faisaient auparavant. L'Internet et le web sont là pour faciliter l'échange, mais ce n'est tout simplement pas la même chose.
Je porte à votre attention le rapport annuel du National Indian Education Association, NIEA, aux États-Unis. Le NIEA a été fondé en 1970. C'est plus ou moins un modèle à suivre pour ce qu'il nous faut faire ici.
Le vide constaté au Canada a aussi trait à la façon dont les enseignants comprennent les Premières nations. Vous savez bien que les gens des Premières nations sont mobiles, mais les enseignants qui travaillent au sein des collectivités des Premières nations sont mobiles eux aussi. Il y a en pays cri, au Québec, des enseignants qui ont œuvré en Saskatchewan et à l'Île-du-Prince-Édouard. Ils viennent de la Sierra Leone et de toutes sortes d'endroits. Le conseil scolaire cri essaie toujours d'engager des enseignants, car ceux-ci viennent, mais s'en vont.
L'Association canadienne pour l'éducation autochtone pourrait être un organisme national. Il faudrait que ce soit un organisme indépendant des structures politiques. Il pourrait être constitué en société, sans but lucratif, sous la gouverne d'un conseil d'administration dont les membres élus proviendraient de divers groupes tribaux au Canada. J'utilise le terme « tribal » pour ne pas compter uniquement les Premières nations. Je crois que l'Association canadienne pour l'éducation autochtone devrait être ouverte à quiconque a un intérêt dans l'éducation des enfants autochtones ou fournit un service dans le domaine, y compris les universitaires, les enseignants, les éditeurs de manuels scolaires.
Si vous allez dans une réunion du NIEA — cela m'est arrivé plusieurs fois —, vous arrivez dans un bâtiment et constatez qu'il y a là 6 000 Autochtones. L'échelle est importante ici; ce ne serait pas si gros au Canada. À la dernière rencontre à laquelle j'ai assisté, il y avait 6 000 Autochtones, tous entièrement dévoués à la cause de l'éducation de leurs enfants. Il y a des titulaires de doctorat provenant des universités, des étudiants des premier, deuxième et troisième cycles qui enseignent, des membres d'associations tribales communautaires, des parents et des aînés. Ces gens-là assistent à la rencontre et mettent de deux à quatre jours à s'initier aux nouvelles tendances dans le domaine de l'éducation. Ils assistent à des ateliers sur la façon de composer avec les gangs et l'intimidation. C'est le genre de conférences qui a lieu à l'échelle régionale au Canada.
J'ai fait des tournées. J'ai pris la parole à la plupart des conférences régionales sur l'éducation. J'ai rencontré les Premières nations de Membertou; je suis allée en Colombie-Britannique et je me suis entretenue avec les membres du Comité directeur de l'éducation des Premières nations. J'ai pris la parole en Alberta et au Manitoba, au Centre des ressources éducationnelles des Premières nations.
Nous y allons par grappes. L'élément qui revient constamment dans les recherches que nous faisons depuis 15 ans, c'est qu'il y a des gens extraordinaires qui font un travail extraordinaire partout au pays, mais ils ne se parlent pas entre eux. Ils n'illustrent pas leurs méthodes d'enseignement; ils ne font pas part de ce qui compose leur programme d'études. Les tribus Blood, les Kainais, représentent un bon exemple. Dans l'une des communautés micmaques — je crois que c'est Ekasoni —, un professeur de mathématiques à l'école secondaire enseignait à une classe avancée de mathématiques et de physique comptant 35 élèves. Les 35 élèves ont obtenu une note supérieure à celle de tous les autres jeunes de la province en mathématiques et en physique. Personne ne me dira que nos enfants ne sont pas intelligents, qu'il n'est pas possible de leur enseigner et qu'ils ne sont pas extrêmement doués. Voilà de bons exemples.
Soit dit en passant, si vous y pensez, une telle association serait bonne pour tout le monde. Si elle ne prive pas les collectivités des Premières nations de fonds, ces dernières l'accueilleront favorablement. Si les provinces avaient leur rôle à jouer, cela aiderait peut-être les conseils des ministres de l'Éducation et tous les ministres de l'éducation à manifester concrètement leur soutien de l'éducation des Autochtones. L'ensemble des provinces et des territoires pourrait aider le projet de l'association à prendre forme, et c'est lié au domaine de l'éducation.
Comme c'est non pas une mesure directe dans le domaine de l'éducation, un produit pédagogique administré directement, mais plutôt le soutien d'une société sans but lucratif, le gouvernement fédéral pourrait facilement investir dans le projet sans dépasser les limites constitutionnelles qui sont les siennes. Les entreprises qui souhaitent engager les employés autochtones en question et qui souhaitent faire connaître leurs besoins futurs en matière d'éducation devraient aussi participer à ce processus. C'est une situation d'où tout le monde sort gagnant. C'est un défi que vous pourriez relever, un projet que vous pourriez lancer. Il n'y a pas de raison d'attendre.
Merci beaucoup de l'occasion que vous m'avez offerte ce soir. Je sais que j'ai pris beaucoup de votre temps.
Le président : Nous sommes bel et bien pressés par le temps, mais, en même temps, nous apprécions le fait que vous ayez pris le temps de venir témoigner à la présente audience. Je vous remercie de l'expertise dont vous nous faites profiter et je suis certain que vos recommandations seront reflétées dans le rapport que nous allons rédiger. Nous vous saurions gré de remettre à la greffière tout autre document que vous jugerez utile de remettre.
Sur ce, chers collègues, je tiens à vous remercier tous d'avoir été là.
(La séance est levée.)