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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones

Fascicule 12 - Témoignages - 20 octobre 2010


OTTAWA, le mercredi 20 octobre 2010

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd'hui, à 18 h 50, pour examiner les progrès faits relativement aux engagements pris par les parlementaires des deux Chambres depuis les excuses présentées par le gouvernement aux anciens élèves des pensionnats autochtones.

Le sénateur Gerry St. Germain (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonsoir. Je souhaite la bienvenue aux sénateurs, aux membres du public et aux téléspectateurs de toutes les régions du pays qui suivent les débats du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones sur CPAC, et peut-être même sur Internet.

Je suis le sénateur Gerry St. Germain, de la Colombie-Britannique, et j'ai l'honneur d'occuper le poste de président du comité. Le comité a le mandat d'examiner les dispositions législatives et, de façon générale, les questions relatives aux peuples autochtones du Canada. Aujourd'hui, nous nous réunissons conformément à l'ordre de renvoi selon lequel le comité doit examiner, en vue d'en faire rapport, les progrès faits relativement aux engagements pris par les parlementaires des deux Chambres depuis les excuses présentées par le gouvernement aux anciens élèves des pensionnats autochtones.

En juin 2008, le premier ministre Harper a présenté, au nom du gouvernement du Canada, des excuses aux survivants des pensionnats autochtones. Dans cette présentation d'excuses, le premier ministre a déclaré que toute la politique d'assimilation mise en œuvre dans le cadre du système des pensionnats autochtones était erronée et qu'elle avait fait beaucoup de mal. En outre, il a affirmé que la Convention de règlement relative aux pensionnats indiens s'inscrivait dans une démarche de guérison, de réconciliation et de règlement des tristes séquelles laissées par les pensionnats indiens.

Nous aurons probablement l'occasion d'en apprendre davantage à propos de cette convention de règlement négociée en mai 2006 lorsque nous écouterons l'exposé que nous présenteront ce soir les témoins de l'Association des femmes autochtones du Canada.

Si vous le permettez, je vais présenter les membres du comité ici présents. À ma gauche se trouvent le sénateur Nick Sibbeston, des Territoires du Nord-Ouest, et le sénateur Roméo Dallaire, du Québec. J'aimerais vous souhaiter de nouveau la bienvenue au sein du comité, sénateur Dallaire; je suis heureux que vous soyez ici. Aux côtés du sénateur Dallaire, il y a le vice-président du comité, le sénateur Lillian Dyck, de la Saskatchewan, de même que le sénateur Larry Campbell, de la Colombie-Britannique. Je vous remercie, sénateur Campbell, d'avoir présidé la dernière réunion du comité; j'avais dû m'absenter pour cause de maladie.

Le sénateur Campbell : Cela a été un honneur pour moi.

Le président : À ma droite se trouvent le sénateur Dennis Patterson, du Nunavut, le sénateur Carolyn Stewart Olsen, du Nouveau-Brunswick, le sénateur Rose-May Poirier, du Nouveau-Brunswick, le sénateur Jacques Demers, du Québec, et le sénateur Nancy Greene Raine, de la Colombie-Britannique.

Membres du comité, je vous demande de vous joindre à moi pour souhaiter la bienvenue aux témoins de l'AFAC, l'Association des femmes autochtones du Canada. Nous recevons Jeannette Corbiere Lavell, présidente, et Claudette Dumont-Smith, directrice générale par intérim. Je crois comprendre que vous avez un exposé à présenter. Veuillez commencer.

Jeannette Corbiere Lavell, présidente, Association des femmes autochtones du Canada : Meegwetch, monsieur le président, membres du comité, distingués témoins et invités. Je m'appelle Jeanette Corbiere Lavell, et je suis présidente de l'Association des femmes autochtones du Canada. J'aimerais également dire meegwetch à vous tous pour nous avoir donné l'occasion de vous présenter mon exposé aujourd'hui.

Je suis membre de la nation Anishinaabekwe, du Nord de l'Ontario, et de la Première nation de Wikwemikong, sur l'île de Manitoulin, également dans le Nord de l'Ontario. Au nom de mes ancêtres, je parlerai des préoccupations des femmes autochtones de toutes les régions du Canada, et des espoirs qu'entretiennent nos chefs de demain, à savoir nos jeunes.

L'Association des femmes autochtones du Canada est la seule organisation autochtone nationale du Canada qui défend les intérêts et exprime les préoccupations des femmes des Premières nations, des femmes métisses et des femmes inuites.

À titre de présidente, il m'incombe de mettre en valeur le rôle que jouent les femmes autochtones dans tous les processus et à tous les échelons dans les secteurs politique et socioéconomique des sociétés autochtones, et aussi de la société canadienne.

Le fait de parler convenablement des besoins et des intérêts spécifiques d'un groupe constituant 52 p. 100 de la population autochtone n'est pas une mince tâche. Les points de vue pullulent, c'est le moins que l'on puisse dire. Les femmes autochtones ont de nombreux points communs, mais leur situation varie d'une région et d'une communauté à l'autre. Le fait d'intégrer des besoins aussi divers pour fournir une image synthétique de ce qui se passe à l'échelle nationale représente une entreprise difficile, mais avec l'aide du personnel de l'AFAC, je ferai mon possible.

Je suis heureuse d'être ici aujourd'hui pour discuter de la Convention de règlement relative aux pensionnats indiens et du processus qui l'accompagne. Ce processus a été difficile pour bon nombre de femmes et d'hommes autochtones. Toutefois, il faut bien comprendre que l'épreuve de la violence est vécue différemment par les hommes et les femmes. En outre, il faut être conscient du fait que chaque personne a sa propre manière de traverser de telles épreuves, et, je le répète, ces manières sont très différentes d'une personne à l'autre.

J'estime qu'il est d'une importance capitale de mettre en évidence les points de vue des femmes autochtones dans le cadre du processus de la convention, non seulement parce qu'elles représentent plus de la moitié de la population autochtone totale, mais aussi parce que nos intérêts et nos besoins sont différents de ceux des hommes. En tant que mères et soignantes, et parce que nous sommes appelées à donner la vie, nous portons le fardeau des atrocités qui ont été commises à l'époque des pensionnats indiens, et cela se fait d'une kyrielle de façons différentes.

L'exposé que je présente aujourd'hui s'appuie sur les travaux d'analyse comparative entre les sexes adaptée à la culture qu'a effectués au fil des ans notre organisation, l'AFAC. Pendant de nombreuses années, nous avons été les chefs de file en ce qui a trait à la promotion de ce type d'analyse au Canada, et plus récemment, nous avons élaboré deux documents, l'un touchant la Convention de règlement relative aux pensionnats indiens, et l'autre, le processus de témoignage et de réconciliation, dans le cadre desquels nous avons appliqué les principes de l'analyse comparative entre les sexes adaptée à la culture.

Le premier document s'intitule « Culturally Relevant Gender Based Models of Reconciliation », et je j'ai apporté avec moi. Je dispose de quelques copies pour les membres du comité. Le deuxième document s'intitule « Indian Residential Schools Settlement Agreement : Easily Accessible for Aboriginal Women. » Mon exposé d'aujourd'hui s'inspire de ces deux documents d'actualité. Je serai très heureuse de les fournir à tout membre du Parlement qui me le demandera.

Durant un exposé présenté le mois dernier devant le comité, l'honorable juge Murray Sinclair a affirmé que la Commission de témoignage et de réconciliation, la CTR, était la pierre angulaire de la Convention de règlement relative aux pensionnats indiens. Il a également parlé de ce qu'a accompli la commission depuis sa création il y a environ un an — l'ensemble de l'œuvre de la commission est considérable, et ces réalisations doivent être saluées.

Je suis d'accord avec M. Sinclair pour affirmer que la route sera longue. Je ne crois pas que quiconque le contestera. Le mandat quinquennal de la CTR ne consiste pas en soi à réparer les torts causés par les pensionnats indiens.

À titre de porte-parole national des femmes autochtones du Canada, j'ai la responsabilité d'exprimer les préoccupations de celles que je représente en ce qui a trait aux questions liées au sexe dans le cadre des deux processus en question, celui de la Convention de règlement relative aux pensionnats indiens, la CRRPI, et la Commission de témoignage et de réconciliation, la CTR. L'AFAC soutient qu'une analyse comparative entre les sexes adaptée à la culture devrait orienter l'intégralité du processus de réconciliation. Un cadre axé sur les sexes permettrait de mettre en pratique les modes d'acquisition de connaissance et les modes de vie des Autochtones, y compris les approches traditionnelles en matière d'équilibre entre hommes et femmes. Il s'agit là de deux facteurs d'une pertinence capitale pour le processus de témoignage et de réconciliation.

La culture autochtone enseigne non pas la division, mais l'union. Nos nations font la promotion de l'équilibre entre hommes et femmes, qui doivent coopérer pour le bien de la communauté. Nos nations ont reconnu que chaque sexe a des rôles et des responsabilités qui lui sont propres, et que chaque sexe est nécessaire à la survie de la communauté. Hommes et femmes fonctionnent comme des entités complémentaires. Une valeur égale est attribuée aux rôles assumés par chaque entité à la fois autonome et interdépendante, hommes et femmes ont contribué à la création du tout parfait que constitue la société.

Le cadre sexospécifique fait ressortir les avantages de l'équilibre en cours. Il met en évidence la manière dont l'équilibre peut être atteint, et la manière dont les résultats peuvent véritablement révéler les besoins.

Des leçons importantes doivent être tirées du travail et des expériences vécues par les femmes autochtones en matière de réconciliation. Le processus canadien de réconciliation devrait s'inspirer du processus sud-africain de réconciliation, surtout en ce qui concerne la guérison des victimes. La guérison n'est pas assimilable à la réconciliation. Le processus de réconciliation de l'Afrique du Sud a démontré que la guérison des personnes ne permettait pas à elle seule de combler le besoin fondamental, à savoir des changements structurels de nature plus générale. Une véritable réconciliation passe par des changements structurels. Vu les réalités auxquelles les femmes autochtones ont dû faire face dans le passé et avec lesquelles elles sont encore aux prises aujourd'hui au Canada, notamment les taux alarmants de disparitions et de meurtres de femmes et les taux atrocement élevés en ce qui concerne les actes de violence, les abus sexuels, l'incarcération, la mauvaise santé et l'exclusion, il y aura énormément de chemin à faire avant d'en arriver à une réconciliation.

Nos croyances et nos pratiques traditionnelles ont été modifiées en profondeur par le colonialisme. Les femmes et les hommes autochtones ont intériorisé les croyances des colons, par exemple l'infériorité de la femme par rapport à l'homme et l'exercice de l'autorité par l'homme, croyances qui ont consterné nos collectivités et entraîné leur ruine. Pendant beaucoup trop longtemps, on a gravement miné nos points de vue, nos opinions, nos structures de gouvernance — plus particulièrement nos rôles en matière de prise de décisions — et l'autorité que nous exercions au sein de nos communautés. Le processus de témoignage et de réconciliation doit constituer un processus réparateur qui aidera les femmes autochtones à recouvrer le respect, la dignité et la sécurité dont elles bénéficiaient, et le pouvoir d'agir qui leur revient.

Pour rendre véritablement justice aux femmes et aux hommes, il ne suffit pas d'écouter leurs récits — il faut également donner suite à leur témoignage en procédant à des modifications significatives. L'AFAC milite pour l'instauration d'un conseil consultatif des femmes autochtones, lequel constituerait une étape importante du processus nous permettant de nous assurer que les expériences, les besoins et les préoccupations uniques des femmes autochtones seront pris en considération et respectés dans le cadre de la CRRPI et de la procédure subséquente qui nous mènera jusqu'à la réconciliation.

Nous croyons fermement que les femmes autochtones devraient diriger un tel conseil, vu qu'elles possèdent des connaissances et de l'expertise en matière d'analyse comparative entre les sexes adaptée à la culture, qu'elles forment déjà un réseau s'étendant d'un bout à l'autre du pays et qu'elles ont été exclues du processus à ce jour.

Le degré de préparation des gens en ce qui a trait à la possibilité d'envisager un avenir commun est au cœur de tout processus de réconciliation. Cela suppose qu'il faut non seulement pardonner des actes commis par le passé, mais également mettre en commun des stratégies pour aller de l'avant.

La question que j'aimerais poser aux parties en cause est la suivante : est-ce que cela est en train de se produire? Dans la négative, que devons-nous faire pour nous assurer que cela se produira?

En plus de militer pour l'instauration d'un conseil consultatif des femmes autochtones, nous prônons la création d'un conseil consultatif national des jeunes, lequel représenterait une façon de veiller à ce que la réconciliation soit durable et que notre peuple occupe une place dans le projet d'un avenir commun au sein du Canada. La durabilité du processus et des changements structurels nécessaires à une véritable réconciliation passent par les jeunes, qui doivent jouer un rôle de premier plan. Dans le cadre d'un véritable processus de réconciliation, les hommes et les femmes autochtones — de même que nos jeunes — doivent participer à façonner l'avenir du pays, à modeler la relation que nous entretiendrons dans l'avenir avec le gouvernement et, de façon plus large, avec la société canadienne.

Pour la suite des choses, la méthode de l'analyse comparative entre les sexes adaptée à la culture doit être employée dans le cadre de la Convention de règlement relative aux pensionnats indiens au moment d'évaluer les répercussions permanentes et à long terme des mesures qui seront prises sur les survivants des pensionnats indiens et leurs enfants, leurs petits-enfants et leurs arrières-petits-enfants. De fait, de récentes recherches attirent l'attention sur la gravité des effets intergénérationnels que l'on peut observer chez les enfants et les petits-enfants de femmes et d'hommes ayant fréquenté les pensionnats indiens.

Meegwetch. Merci de m'avoir écoutée.

Le président : Cela met-il fin à votre exposé?

Mme Corbiere Lavell : Oui, cela met fin à mon exposé en tant que tel.

Le président : Quelle rétroaction recevez-vous des membres de votre groupe d'intérêt en ce qui a trait aux répercussions des excuses qui ont été présentées? Pouvez-vous nous faire part d'une quelconque répercussion ayant pu être observée au sein même de votre organisation?

Claudette Dumont-Smith, directrice générale par intérim, Association des femmes autochtones du Canada : Cela ne fait pas très longtemps que je travaille au sein de l'AFAC, mais au fil des ans, j'ai travaillé sur les questions auxquelles elle s'intéresse. Je suis bien au courant de tout ce qui concerne la situation des femmes. Toutefois, comme l'AFAC ne participe pas au processus depuis ses débuts, elle n'est pas partie à la convention de règlement et n'a jamais été invitée à participer aux négociations de quelque forme que ce soit. D'après moi, en 2008, au moment de la présentation des excuses par le premier ministre, l'AFAC s'attendait à ce que ces excuses aient certaines répercussions positives, particulièrement pour les femmes autochtones. Cependant, comme vous le savez bien, d'une façon ou d'une autre, les choses n'ont pas abouti. Je constate — et je pense que les femmes sont du même avis que moi — que toute cette question a été en quelque sorte reléguée aux oubliettes. En ce moment, on ne parle pas vraiment de la Convention de règlement relative aux pensionnats indiens ou de la CTR en raison d'une longue période d'inactivité. C'est la façon dont j'évalue la situation actuelle.

Remarquez, certaines femmes, notamment au moins une ou deux membres de notre organisation, ont mis en branle des processus d'évaluation indépendants dans le cadre de la convention de règlement. Ainsi, quelques activités sont en cours, mais elles sont peu nombreuses.

Le sénateur Campbell : Je crains que ma question ne soit prématurée, vu que le processus est en cours, mais je la poserai tout de même : si vous évaluez la situation actuelle à l'aune du chemin parcouru, êtes-vous d'avis que le gouvernement n'a rempli aucune des obligations qui lui incombent dans le cadre de la convention de règlement? Je suis conscient du fait que le processus est en cours, mais j'aimerais que vous me disiez s'il y a, à ce moment-ci, un quelconque problème qui ressort et sur lequel nous devrions nous pencher, et que vous m'indiquiez la gravité de ce problème. S'agit-il de quelque chose qui peut être pris en charge, ou alors de quelque chose qui, d'après vous, posera des difficultés pour la suite des choses?

Mme Corbiere Lavell : D'après les commentaires formulés par les membres de nos organisations provinciales et territoriales, je sais qu'on nous a demandé d'examiner la possibilité de participer au processus de la CRRPI. À l'échelon communautaire, les femmes ne sont pas en mesure d'obtenir de l'information sur les activités ou sur tout type de processus de stratégie concernant les mesures à prendre pour faire face aux répercussions des pensionnats indiens, que ce soit pour elles-mêmes, leur famille ou leur communauté. Je sais que nous avons tenu plusieurs assemblées générales annuelles dans le cadre desquelles des résolutions ont été prises à cette fin. Cette préoccupation a toujours été présente.

Nos membres aimeraient commencer à travailler au sein de leur communauté et contribuer à tout programme ou à toute activité qui améliore la vie des victimes des pensionnats afin de déterminer si des changements positifs et une guérison peuvent avoir lieu, et, le cas échéant, nous pourrons faire en sorte que les enfants et les communautés en profitent.

Comme Mme Dumont-Smith l'a souligné, il est quelque peu difficile pour nous d'entrer vraiment dans les détails, car l'Association des femmes autochtones du Canada n'est pas partie prenante dans le processus. Nous aimerions que l'on nous donne l'occasion de jouer un rôle.

Le sénateur Campbell : Qui représente les femmes autochtones dans le cadre de ce processus? Qui prend la parole en leur nom?

Mme Corbiere Lavell : Si nous sommes ici aujourd'hui, c'est pour présenter notre solution à ce problème. Nous recommandons la création d'un conseil consultatif des femmes autochtones qui pourrait se présenter devant vous, les sénateurs, et devant le gouvernement pour faire part de leurs préoccupations — cela est nécessaire parce que les femmes ont été exclues.

Bon nombre des membres de nos communautés, tant des hommes que des femmes, ont participé au processus de la convention, mais seul un règlement monétaire leur a été offert. Cela a été le cas un peu partout au Canada. Par contre, en ce qui concerne le processus de suivi, on nage en pleine incertitude. Rien n'est fait à cet égard, et nous aimerions collaborer avec le gouvernement pour déterminer ce que nous pouvons faire à ce sujet. Nous avons pris le temps de nous pencher sur la question, nous avons rédigé deux documents qui en témoignent, et nous sommes prêtes pour la suite des choses.

Le sénateur Campbell : Ces documents m'intéressent beaucoup, et je veux les consulter. À mes yeux, il est évident que les femmes autochtones doivent participer à ce processus. Les femmes autochtones ont été aussi touchées par ce qui s'est passé que les hommes et les enfants autochtones. Je constate que personne ne parle au nom des femmes autochtones, point à la ligne.

Mme Corbiere Lavell : Vous avez absolument raison.

Le sénateur Dyck : Je vais poursuivre dans la même veine que le sénateur Campbell. Vous avez dit que, pour l'essentiel, l'AFAC avait été exclue du processus. Selon vous, un conseil consultatif national — qui émanerait de votre organisation, je suppose — et un conseil des jeunes devraient être créés.

Mme Corbiere Lavell : Nous contribuerions à cela, oui.

Le sénateur Dyck : À votre avis, de quelle nature serait l'interaction entre ces groupes et la CTR ou avec d'autres organismes faisant partie du processus?

Mme Dumont-Smith : Dans notre document, nous fournissons quelques solutions à cet égard. On ne nous a pas invitées à faire partie du processus, et on ne peut pas nous y intégrer à ce moment-ci puisqu'une entente a été conclue — la convention est une affaire réglée. Cependant, la CTR ouvrira des possibilités, et il faudra élaborer des programmes de guérison. Il faudra tenter d'amener le plus grand nombre de femmes possible à se présenter devant la CTR, et, en outre, nous devons mener une campagne spéciale de sensibilisation pour faire en sorte qu'un grand nombre de femmes témoignent de leur expérience devant la CTR. D'après nous, nos filiales de chaque province et territoire savent ce que veulent les femmes de leur région et connaissent leurs pratiques culturelles, et elles savent de quelle manière ces femmes devraient être intégrées au processus.

Il faudrait en faire davantage pour s'assurer que les femmes autochtones sont entendues, et nous ne sommes pas certaines que c'est ce qui est en train de se produire. Nous n'avons aucune façon de le savoir, car il n'y a aucun échange entre les parties.

Nous constatons que le processus était vicié dès le départ du fait que nous n'avons pas été invitées à y participer au moment où tout cela prenait forme. Cependant, nous constatons que nous pouvons jouer un rôle et ainsi améliorer non seulement l'aspect de la convention concernant la CTR, mais également l'aspect touchant les activités de commémoration qui auront lieu par la suite. Nous estimons donc avoir notre place au sein du processus, vu que nous représentons 52 p. 100 de la population autochtone, que les femmes autochtones ont vécu l'expérience des pensionnats et que les séquelles que présentent les survivantes des pensionnats sont assez différentes de celles que présentent les survivants. Dans les documents que nous avons produits, nous exposons une kyrielle de formes que pourrait prendre la participation des femmes.

Le président : L'AFAC n'a-t-elle pas été consultée au moment de l'ébauche de la convention ou durant les discussions avec le gouvernement?

Mme Dumont-Smith : D'après ce que j'ai lu, l'AFAC n'était pas partie à ces négociations. L'Inuit Tapiriit Kanatami, l'Assemblée des Premières Nations, les quatre églises, divers groupes inuits et, bien sûr, le gouvernement y ont participé, mais pas l'Association des femmes autochtones du Canada, laquelle n'a jamais été une partie en tant que telle. Non, l'AFAC n'a pas été consultée au moment de l'élaboration de la CRRPI.

Le président : C'est étrange.

Mme Corbiere Lavell : Il y a quelque chose que j'aimerais ajouter pour répondre à la question du sénateur Campbell. Nous avons été vraiment consternées d'avoir été ainsi exclues. Comme vous le savez, bon nombre de femmes autochtones ont perdu leurs compétences parentales, la capacité de transmettre nos connaissances traditionnelles, notre façon d'élever nos enfants avec amour et compassion et de leur transmettre notre langue et toutes ces valeurs que l'on doit posséder pour être une personne forte et indépendante.

Depuis que cela s'est produit, ces femmes sont incapables de trouver quelqu'un qui plaiderait en leur faveur et qui les aiderait à concrétiser l'une ou l'autre de leurs idées qui contribueraient au processus de guérison — et, comme je l'ai dit plus tôt, qui les aiderait non seulement durant le processus de guérison, mais également au-delà.

Dans la culture autochtone, les femmes représentent le pivot de la communauté — elles en sont l'élément central. Les générations futures sortent du ventre des femmes. Les femmes sont le cœur de nos communautés. Si l'on anéantit le savoir des femmes, c'est-à-dire leur cœur, notre avenir ne sera pas très reluisant.

Nous devons absolument faire quelque chose pour procurer au processus de guérison et de réconciliation tout ce dont il a besoin. À l'heure actuelle, nous nous penchons sur les processus positifs que nous pouvons mettre en branle pour aider ces femmes et faire en sorte qu'elles retrouvent leur force et recommencent à jouer leurs rôles traditionnels. Nous espérons y arriver.

Le sénateur Sibbeston : Je constate que vous avez affirmé qu'à certains égards, vous n'avez pas été consultées. Selon vous, quelle aurait été la contribution de l'AFAC si elle avait été invitée à participer aux négociations? Qu'aurait-elle pu proposer et que l'on ne retrouve pas dans la Convention à l'heure actuelle?

D'aucuns pourraient soutenir que bon nombre de choses ont été accomplies. Le gouvernement fédéral a reconnu avoir mal agi. Il a présenté ses excuses, et a pris un certain nombre de mesures. Le Paiement d'expérience commune a été instauré, et un processus a été mis en place pour ce qui est des personnes qui ont été agressées ou blessées d'une manière ou d'une autre. On peut donc dire que le processus est en cours. La CTR mène ses activités. Par conséquent, il est possible d'affirmer que beaucoup de choses ont été accomplies.

J'aimerais beaucoup savoir quelle aurait été votre contribution aux négociations, ou en quoi votre présence aurait fait en sorte que le système qui aurait été mis en place serait meilleur que celui dont nous disposons actuellement.

Mme Corbiere Lavell : Comme je l'ai dit durant mon exposé, lorsqu'on examine ce qui s'est passé et les répercussions du système des pensionnats, nous reconnaissons et constatons que de nombreuses choses positives ont été accomplies. En revanche, il reste beaucoup de choses à faire. Il n'y a qu'à penser à la violence qui règne dans nos communautés et à ce que l'on fait, ce que l'on a commencé à faire pour y mettre fin.

La violence qui sévit dans nos communautés découle directement de la perte de nos valeurs traditionnelles, de la perte du respect que nous éprouvions les uns envers les autres au sein de nos communautés et de la perte du respect mutuel qu'éprouvaient les hommes et les femmes à l'égard des rôles traditionnels qui incombaient à chaque groupe. Lorsque les valeurs traditionnelles disparaissent, le respect disparaît lui aussi.

Nous nous heurtons ensuite à tous ces autres éléments qui sont à l'origine de problèmes comme la consommation d'alcool ou d'autres types de problèmes. Ceux-ci anéantissent les individus, ce qui ouvre la voie à la violence. Au bout du compte, ce sont les jeunes femmes et les enfants qui subissent les répercussions de cette violence avec laquelle ils doivent composer à la maison.

Nous avons également mené une étude à ce sujet. Les jeunes femmes qui ont été victimes d'actes de violence dans leur maison ou au sein de leur communauté fuient ces environnements — elles se réfugient dans les villes. Toutefois, leur sort en milieu urbain n'est guère plus reluisant parce qu'elles n'ont aucune ressource, aucune compétence ni aucune scolarité. Comme elles se retrouvent tout en bas de l'échelle de la pauvreté, elles s'en remettent à la prostitution, d'où toutes ces statistiques.

Selon les données actuelles, plus de 600 femmes autochtones sont portées disparues ou ont été assassinées — cela a été attesté. En réalité, ce nombre est probablement beaucoup plus élevé. Nous sommes la seule organisation autochtone nationale à avoir porté ce fait au grand jour.

Nous tentons de faire quelque chose pour remédier à la situation. Nous venons tout juste de soumettre une proposition au gouvernement. Nous nous réjouissons d'avoir pu consacrer les cinq premières années de notre recherche à ce sujet, et d'avoir pu recueillir tous ces chiffres. Cependant, à présent, nous sommes prêtes à aller de l'avant.

Nous aimerions mettre en pratique certaines des leçons que nous avons tirées, et nous avons soumis une proposition à cet égard. Nous aimerions vraiment que nos recommandations soient mises en œuvre. Cette étape a été difficile à franchir, mais cela fait partie de la solution à quelques-uns de ces problèmes — je parle ici de tout ce qui n'a pas été fait. De nombreuses mesures visant nos femmes et nos aînés — les gardiens de notre savoir — pourraient être prises, par exemple pour faire revivre notre langue.

Les femmes sont toujours là. Elles veulent contribuer au processus. Il s'agit simplement de les trouver, de les sortir de leur isolement et de les amener à raconter leur histoire.

Le sénateur Sibbeston : Il y a quelques semaines, j'ai eu le grand privilège de me rendre dans un certain nombre de communautés des Premières nations. Le comité s'est rendu en Saskatchewan et en Alberta pour recueillir des renseignements. Dans le cadre de cette mission, nous nous sommes rendues dans la réserve de la nation crie d'Onion Lake, où le conseil de bande a mis en place un programme d'immersion en langue crie. Nous avons eu l'occasion de visiter l'école, de rencontrer les enfants et d'assister aux cours. Je n'ai pas pu faire autrement que constater l'amour et l'affection que ces enfants reçoivent.

J'ai été pensionnaire, et je n'ai jamais vu une sœur cajoler un élève. Vous vous rappellerez sûrement les Sœurs grises — elles portaient un uniforme, ainsi qu'une espèce de chapeau qui leur protégeait la tête. Dans une certaine mesure, l'uniforme qu'elles portaient et la formation qu'elles avaient reçue étaient conçus pour les isoler de la société.

En regardant ces enfants recevoir de l'amour et être cajolés, en voyant qu'on leur parlait dans leur langue maternelle, je me suis dit que ces enfants étaient extrêmement chanceux, et que, lorsqu'ils seraient grands, ils seraient forts, en santé et débordants de vitalité, et qu'ils parleraient leur langue traditionnelle. Voilà la véritable raison d'être de l'école, et c'est ce que nous n'avons pas obtenu dans les pensionnats que nous avons fréquentés.

Pour moi, il ne fait aucun doute que le rôle des femmes — la transmission de la langue maternelle, l'enseignement aux enfants, le fait de leur donner de l'amour et de les cajoler et toutes ces autres choses pour le moins essentielles aux êtres humains — n'a pas été pris en compte. Je suis d'accord avec vous là-dessus, et je me demande s'il manque quelque chose, car cela était généralement pris en charge par les hommes.

À mon avis, il est indubitable que, si les femmes allaient être présentes à la table de négociations, elles auraient pu contribuer à l'ensemble du processus, lequel aurait été plus délicat, plus maternel que celui dont nous disposons. Je suis d'accord avec vous pour dire que les femmes auraient pu apporter une contribution substantielle au processus, même si cette contribution s'était limitée au fait de sensibiliser les gens à ce dont je viens juste de parler — le caractère essentiel de l'affection, cette affection que les sœurs ne nous ont jamais donnée. C'est mon opinion à ce sujet. Je suis d'accord avec vous.

Alors, que devez-vous faire pour attirer davantage l'attention? Que doivent faire les femmes pour que le gouvernement et notre société reconnaissent leur importance et prennent conscience de leur rôle? Il semble simplement qu'on évite les femmes et qu'on les laisse de côté. Que devez-vous faire?

Mme Corbiere Lavell : Je crois avoir déjà répondu partiellement à votre question. L'une des recommandations très importantes que nous aimerions formuler, c'est de nous offrir la possibilité de recouvrer notre rôle traditionnel de décideuses, notre rôle de membres de la collectivité capables de s'exprimer et d'agir. À ce jour, il s'agit d'une chose dont nous avons été privées, simplement en raison du processus qui a été mis en place et de l'attitude qui est à l'origine de sa création.

Je suis certaine que, comme vous l'avez dit, la présence des femmes à la table de négociations aurait fait en sorte que tous ces autres aspects — la sensibilité, la compassion à long terme pour les générations futures — auraient été pris en considération. Ces aspects auraient été pris en compte puisqu'ils sont liés au rôle que nous jouons et continueront de l'être. À l'heure actuelle, nous avons de la difficulté à récupérer notre droit de parole au sein de nos communautés, et donc à nous faire entendre. Nous faisons tout notre possible pour que tout le monde entende ce que nous avons à dire. À mon avis, le recouvrement de notre rôle traditionnel ne peut donner que de bonnes choses.

Le sénateur Demers : J'ai beaucoup apprécié la question du sénateur Campbell. Je l'ai vu froncer les sourcils parce que, de toute évidence, vous étiez incapable de lui répondre. Je suis désolé pour vous. Je ne suis pas en train de vous dire que vous n'avez pas essayé de répondre à la question.

Nous sommes en 2010. Est-ce que vous vous attendez à ce que le gouvernement prenne la responsabilité de faire en sorte que les femmes assument des responsabilités? Viendra-t-il un temps où les femmes tiendront tête aux hommes et leur diront qu'elles n'accepteront plus ce qu'on leur fait subir? Je faisais partie du comité l'an dernier, et j'ai eu l'occasion d'assister au témoignage de quelques fortes femmes autochtones. Il était évident que ces femmes étaient fortes.

Cela est inadmissible. Un membre de ma famille est policier. Il a récemment recommencé à travailler après un arrêt de quatre mois. J'imagine que les policiers doivent prendre deux ou trois mois de congé de temps à autre. Si l'on considère ce qui s'est passé, il est difficile de croire que nous sommes en 2010.

Votre question était excellente, sénateur. Pour que les femmes puissent défendre leurs droits, il faut qu'au moins une femme fasse partie de l'organisation. Si nous étions en 1940, les choses seraient peut-être différentes, mais nous sommes en 2010. Ce que j'entends ce soir est triste, et ce n'est pas la première réunion à laquelle j'assiste.

Êtes-vous en train de dire au président du comité que vous voulez que le gouvernement place une ou deux femmes à un poste de responsabilité? Il faut qu'une femme parle en votre nom, car je sais qu'il n'y a pas beaucoup d'hommes là-bas — je ne dis pas qu'il n'y en a pas — qui défendront les femmes en raison de la grande quantité d'actes de violence qui sont posés.

Mme Corbiere Lavell : Tout à fait. Je sais que bon nombre de nos femmes sont fortes, comme vous l'avez dit, et je serai ravie d'assumer cette responsabilité puisque le fait de protéger nos enfants, nos familles et nos communautés et de prendre soin d'eux fait partie de notre rôle.

Cela dit, lorsqu'elles entreprennent cette lutte dont vous parlez, elles doivent s'adresser aux membres du gouvernement — généralement des hommes — qui prennent ces décisions. J'ignore si l'on peut dire en toute honnêteté que les femmes dans la société canadienne au sens large sont capables de faire entendre leur voix et d'atteindre leurs buts, d'après ce que je crois comprendre. Comme je suis une femme autochtone, il s'agit de l'impression de quelqu'un qui voit les choses de l'extérieur. En outre, je constate beaucoup de frustration chez les femmes non autochtones qui tentent de s'exprimer et de faire entendre leurs préoccupations. Bien entendu, il s'agit d'une lutte permanente. Nous tentons de promouvoir et de rétablir l'équilibre entre les sexes. C'est ce que nous disons dans ces documents que j'ai apportés. Tout ce que nous devons faire, c'est lancer le processus de mise en œuvre.

Le sénateur Patterson : La convention de règlement a été conclue, comme vous l'avez dit, et la CTR terminera bientôt sa première année d'activités. Avez-vous fait part à la CTR de votre idée de créer un conseil consultatif des femmes autochtones et un conseil consultatif des jeunes Autochtones?

Mme Dumont-Smith : À ma connaissance, l'AFAC ne l'a pas fait. En réalité, la demande de fonds pour l'élaboration de nos deux documents a dû être présentée à Affaires indiennes et du Nord Canada, AINC, et ensuite à la CTR. Depuis la parution de ces deux documents — l'un en 2009, si je ne m'abuse, et l'autre, en mars 2010 —, aucun suivi n'a été effectué. Non, à ma connaissance, aucun suivi n'a été effectué depuis la parution de ces deux documents.

Ces documents expliquent très bien la manière dont l'AFAC pourrait participer au processus, même si, comme je l'ai indiqué plus tôt, la Convention de règlement avait déjà été conclue. Dans ces documents, nous mentionnons de quelle façon nous pourrions participer à d'autres processus dans l'avenir. Voilà ce qui en est. Mme Corbiere Lavell a présenté un exposé au cours de la première séance de la CTR à Winnipeg pendant l'été. Lorsqu'on l'invite à participer à une activité, l'AFAC accepte, bien évidemment, mais il s'agit de la seule invitation que nous avons reçue.

Le sénateur Patterson : Je sais que les Inuits se sont sentis exclus du processus de la CTR. Ils ont conclu une entente avec la CTR en vue de la création d'un sous-comité chargé de conseiller la CTR. Ce sous-comité a été établi. Les femmes autochtones pourraient peut-être suivre les traces des Inuits afin de participer à la CTR, laquelle a encore quatre années de travail devant elle. Seriez-vous favorable à une participation de ce genre?

Mme Corbiere Lavell : C'est précisément ce que nous avons recommandé durant notre exposé. Je pourrais vous relire le passage. Vous avez mis le doigt dessus. L'AFAC milite pour l'instauration d'un conseil consultatif des femmes autochtones, lequel constituerait une étape importante du processus nous permettant de nous assurer que les expériences, les besoins et les préoccupations des femmes autochtones, et, par conséquent, ceux de leur famille et de leurs enfants, seront pris en considération dans l'avenir. Nous recommandons fermement que cette mesure soit prise.

Le sénateur Stewart Olsen : Je suis assez d'accord avec le sénateur Patterson, dans la mesure où je ne comprends pas pourquoi la CTR n'a pas accordé plus d'importance aux femmes. Les représentants de la CTR qui ont présenté un exposé devant le comité ont eux-mêmes affirmé que la situation des femmes était considérablement différente, et que c'est elles qui ont fait les frais des pensionnats autochtones. C'est en ce sens que les familles sont mêlées à tout cela. Je serais très favorable à la création non seulement d'un conseil consultatif, ce qui serait merveilleux, mais également d'un véritable sous-comité au sein de la CTR, lequel aurait plus de poids qu'un conseil consultatif externe. Allez-vous vous pencher sur cette question et présenter des idées de ce genre à la CTR?

Mme Corbiere Lavell : Nous serions tout à fait prêtes à le faire dès que possible. Vous n'ignorez certainement pas que cela pourrait changer bien des choses. Bien évidemment, nous accueillerions favorablement la possibilité de constituer un sous-comité.

Le sénateur Stewart Olsen : Je suis très favorable à votre idée de créer un conseil consultatif des jeunes. J'aimerais que nous allions de l'avant avec ces deux questions. Merci beaucoup.

Le sénateur Poirier : Je crois que nous sommes sur le point d'en arriver à une conclusion, car nous pensons tous plus ou moins de la même façon. Les questions que j'avais préparées sont semblables à celles des autres sénateurs.

Avez-vous présenté votre recommandation à la CTR ou au gouvernement?

Mme Corbiere Lavell : Je crois comprendre que la CTR nous a demandé de le faire, et que la recommandation lui a de nouveau été présentée, de même qu'au gouvernement.

Le sénateur Poirier : Je croyais que vous m'aviez dit que vous aviez élaboré une recommandation. Vous ai-je mal compris? Je crois qu'il s'agit d'une recommandation relative à la création d'un conseil consultatif des femmes et d'un conseil consultatif des jeunes. À ce moment-ci, avez-vous soumis ces recommandations à quiconque?

Mme Dumont-Smith : Il s'agit de l'exposé que nous avons présenté ce soir. Non, nous ne l'avons pas fait.

Le sénateur Poirier : Vous n'avez pas présenté votre recommandation à la CTR, au gouvernement ou à qui que ce soit d'autre à ce moment-ci?

Mme Dumont-Smith : Non, nous ne l'avons pas fait.

Le sénateur Poirier : En 2008, on vous a exclues du processus. Je sais que, depuis ce temps, vous avez fait beaucoup de recherches et de travaux, que vous avez acquis des connaissances et que vous vous êtes préparées pour en arriver là où vous êtes aujourd'hui. Avez-vous l'impression qu'à ce moment-ci, vous seriez prêtes à faire quelque chose du genre, c'est-à-dire à présenter vos recommandations à la CTR et à lui demander de vous intégrer au processus dès maintenant et jusqu'à sa fin? Êtes-vous plus prêtes aujourd'hui que vous ne l'étiez en 2008?

Mme Corbiere Lavell : Oui, j'imagine que c'est le cas, dans la mesure où nous avons été en mesure de mener des recherches et des études et d'intervenir dans la communauté, et ainsi de recevoir des conseils des femmes qui font partie de nos communautés. Nous avons fait tout ce travail, et nous sommes donc à présent beaucoup mieux préparées que nous ne l'étions.

Si l'on nous avait invitées à participer au processus en 2008, nous aurions été prêtes à le faire. Nous avons toutes été touchées par l'expérience des pensionnats autochtones. Ma mère a fréquenté un tel pensionnat. Ces expériences ont eu des répercussions sur tout le monde.

Le sénateur Poirier : Est-ce que vous prévoyez présenter dans un avenir rapproché à la CTR les recommandations dont il a été question durant votre exposé d'aujourd'hui, à savoir la création d'un conseil consultatif des femmes, d'un conseil consultatif des jeunes ou bien d'un sous-comité?

Mme Dumont-Smith : Il est possible que nous communiquions avec la CTR. La CTR n'est pas entrée en contact avec nous, et, par conséquent, j'imagine qu'il nous revient de nous adresser à elle et de lui fournir nos conseils et nos suggestions. Lorsque nous avons terminé notre premier projet en 2009 et notre deuxième en 2010, nous n'avons pas communiqué avec un quelconque représentant de la CRRPI, et personne n'a communiqué avec nous, hormis le fait que Mme Corbiere Lavell a été invitée à prendre la parole durant le premier événement national qui a eu lieu en juillet à Winnipeg. C'est tout.

Le sénateur Poirier : En tant que politicienne, j'ai appris que souvent, si je reste assise et que j'attends, rien ne se passe. Si j'étais à votre place, je prendrais des initiatives. Vous voulez jouer un rôle, et vous avez quelques bonnes idées. À votre place, je prendrais les devants et j'irais frapper à la porte des responsables.

Mme Corbiere Lavell : Je suis entièrement d'accord avec vous. Nous avons de bonnes relations avec l'honorable juge Murray Sinclair, avec lequel nous entretenons un dialogue ouvert. Il y a eu de nombreuses choses à faire. Je suis certaine qu'il est occupé. En ce moment même, nous nous occupons d'autres questions pertinentes touchant les femmes autochtones, notamment des mesures législatives. Nous avons peut-être simplement mis de côté la question dont nous parlons aujourd'hui, mais à l'heure actuelle, nous voulons faire avancer les choses à cet égard. Merci de votre suggestion.

Le sénateur Dyck : Pour ce qui est des documents ou des projets que vous avez soumis à AINC en ce qui a trait à la CTR, je me demandais si vous pouviez recommander que le comité intervienne pour votre compte et pose la question de savoir pourquoi on n'a pas donné suite à vos rapports. Le premier a été présenté en 2008, et le deuxième, en 2010. Quelle a été la réaction à ces rapports, et qu'entend-on faire pour y donner suite?

Mme Corbiere Lavell : L'Association des femmes autochtones du Canada vous saurait gré de l'appuyer et d'intercéder en sa faveur. Nous aimerions beaucoup faire des progrès sur cette question. Merci, sénateur Dyck, d'avoir mentionné cela.

Le sénateur Raine : Je suis un peu confuse puisque je ne connais pas vraiment les recommandations contenues dans vos rapports de 2008 et de 2010. Allez-vous nous fournir des copies de ces rapports?

Mme Corbiere Lavell : Oui.

Le sénateur Raine : Nous les ferons traduire et nous les diffuserons.

Mme Corbiere Lavell : On m'avait dit qu'il fallait les faire traduire avant de les présenter, mais ils sont disponibles.

Le sénateur Raine : Je suis certaine que tous les membres du comité seront très heureux d'avoir l'occasion d'examiner ces documents.

Pourriez-vous me fournir et peut-être fournir à d'autres personnes — des explications quant à la structure de l'AFAC? L'AFAC a-t-elle des filiales au sein de toutes les Premières nations du Canada? Est-elle constituée au titre d'une loi provinciale ou d'une loi des Premières nations? Quelle est sa structure?

Mme Corbiere Lavell : En raison des contraintes de temps, j'ai passé par-dessus la partie traitant de notre structure durant mon exposé. L'AFAC compte des membres dans toutes les provinces et tous les territoires du Canada. Chaque organisation est composée exclusivement de femmes autochtones, et bon nombre de ces organisations comptent des membres des Premières nations, des Métisses ou des Inuites. En outre, de nombreux membres sont des Indiennes non inscrites.

Bon nombre de nos organisations provinciales n'imposent aucune restriction à l'adhésion en fonction du statut ou de quelque autre critère de ce genre. Au moment de plaider notre cause, nous avons fait valoir que nous étions toutes des femmes autochtones, que nous voulions remettre en valeur nos traditions et que l'on reconnaisse les rôles que nous jouons au sein de nos communautés. Selon ces concepts de base, nous pouvons affirmer que nous avons des organisations membres partout au Canada.

L'AFAC a été fondée en 1973 — elle existe donc depuis un bon moment. Si l'association a vu le jour, c'est que, dans les années 1970, nous étions incapables de nous faire entendre. Dans ce temps-là, les organisations refusaient de prendre en considération une préoccupation fondamentale, le droit à notre propre identité prévu sous le régime de la Loi sur les Indiens. Il s'agissait d'une chose qui n'était tout simplement pas prise en compte à cette époque. C'est dans un tel contexte que les organisations de femmes autochtones ont vu le jour.

À l'heure actuelle, il existe des organisations de femmes autochtones très fortes et bien en vue dans toutes les régions du Canada, et elles font un travail merveilleux, un travail remarquable. C'est l'Association des femmes autochtones de l'Ontario qui a soulevé pour la première fois, en 1979, toute cette question de la nécessité de mettre fin à la violence contre les femmes. En tant que femmes, nous n'avons pas eu peur d'amener ces questions à l'avant-plan, car il fallait faire quelque chose à leur sujet.

À titre d'organisation de femmes, nous ne craignons pas de nous pencher sur ces préoccupations et ces questions, et nous sommes prêtes à aller de l'avant.

Notre objectif ultime est de rétablir l'équilibre entre nos traditions et notre mode de vie au sein de nos communautés. À cette fin, l'une des premières choses à faire consisterait à mettre fin à la violence et à l'imposition d'un comportement extérieur au sein de nos collectivités. Il s'agirait là d'une première étape. Si nous parvenons à le faire grâce au processus de la CTR, nos communautés n'en ressortiront que plus puissantes.

Mme Dumont-Smith : En plus des présidentes ou des porte-parole de chaque organisation provinciale ou territoriale, chaque association membre comporte un conseil d'administration composé de quatre aînés représentant autant de directions, de même que quatre jeunes, qui représentent aussi chacun une direction. Voilà la structure de gouvernance de l'Association des femmes autochtones du Canada.

Le sénateur Raine : L'organisation mère nationale s'adresse-t-elle directement à ses membres ou le fait-elle par le truchement des organisations provinciales?

Mme Dumont-Smith : Nous le faisons par l'entremise des organisations provinciales. Les présidentes des associations membres provinciales ou territoriales sont élues par les femmes de leur propre région.

Le sénateur Raine : Pouvez-vous nous indiquer le nombre total de membres de l'AFAC dans l'ensemble des provinces et territoires?

Mme Dumont-Smith : Non. Ce nombre varie. Nous ne demandons pas de renseignements à ce sujet aux présidentes des associations membres provinciales et territoriales.

Mme Corbiere Lavell : Elles sont les porte-parole des femmes autochtones qui font partie des organisations provinciales et territoriales. Ces associations tiennent leurs propres réunions et ont leur propre liste de membres, et chacune d'entre elles est organisée de façon à ce que toutes les régions de la province ou du territoire soient représentées en son sein.

Comme Mme Dumont-Smith l'a souligné, les conseils d'administration des associations membres sont composés de jeunes femmes et d'aînées. Ces associations sont très ouvertes, et elles tentent d'établir le contact avec une kyrielle de femmes de la collectivité, sans jamais exclure quiconque, comme je l'ai déjà dit. Il s'agit là de l'un des éléments essentiels. Nous avons de nombreuses réussites à notre actif.

J'estime que le rétablissement de notre capacité de demeurer une partie intégrante de notre communauté est attribuable à la force et à la détermination des femmes. Cela a été porté au grand jour lorsque je me suis retrouvée devant les tribunaux. En 1970, j'ai contesté l'alinéa 12(1)b) de la Loi sur les Indiens devant les tribunaux. Nous sommes maintenant en 2010. Nous devons à présent relever le défi de faire en sorte que nos petits-enfants obtiennent leur reconnaissance. C'est toujours le même principe, mais appliqué à une nouvelle génération — il s'agit d'une restriction similaire à celle qui nous est imposée. Nous ne pouvons pas admettre cela, car nous parlons ici de nos gens, de nos familles. Les jeunes représentent l'avenir de notre communauté.

Le sénateur Dallaire : J'ai davantage d'expérience dans le secteur des affaires humanitaires internationales, et j'ai également fait partie du comité sur les droits de la personne, devant lequel des personnes se sont présentées pour discuter de la question du logement et du droit au logement pour les femmes autochtones, de même que des arguments que vous nous avez présentés à ce sujet.

Dans le cadre des excuses qu'il a présentées, le premier ministre a affirmé que toute la politique d'assimilation mise en œuvre par le système des pensionnats autochtones était erronée et terrible. Ainsi, ne souhaiteriez-vous pas que le document de base qui vous concerne, à savoir la Loi sur les Indiens, soit modifié et que certains mots soient supprimés du libellé de manière à ce que le texte législatif s'ouvre sur une phrase comme, par exemple : « Afin de mieux orienter et de renforcer l'autorité d'Affaires indiennes et du Nord », et ainsi de suite?

Mme Corbiere Lavell : Avez-vous parlé de renforcer l'autorité du ministère?

Le sénateur Dallaire : Oui, pour lui permettre d'être plus efficace au moment de répondre à telle ou telle exigence. Nous reviendrons là-dessus ultérieurement.

Mme Corbiere Lavell : Ce qui intéresse l'AFAC à titre d'organisation de femmes autochtones, c'est de faire en sorte que nous puissions décider nous-mêmes de l'avenir de nos propres communautés par l'exercice de notre souveraineté et des droits garantis par les traités par lesquels nous sommes visés. Nous attendions avec impatience la ratification de la déclaration sur les droits des peuples autochtones, laquelle nous aurait donné le droit de déterminer nous-mêmes qui sont nos membres. Nous attendons cela. Nous avons hâte que cela se fasse.

Je sais que nos nations — et je parle plus particulièrement de la nation Anishinaabekwe, du Nord de l'Ontario — ont beaucoup travaillé, et elles en sont rendues à un point où elles sont prêtes à mettre en place une loi sur la citoyenneté désignée sous l'appellation de...

[Mme Corbiere Lavell s'exprime dans sa langue maternelle.]

Cela signifie « la loi de ceux qui appartiennent à la nation. » Une telle loi ferait en sorte que nos communautés offriraient elles-mêmes la reconnaissance à leurs membres, et que cette responsabilité n'incomberait plus à un organisme gouvernemental externe — ce sont plutôt les communautés des Premières nations qui pourraient affirmer : « Oui, nous connaissons cette jeune personne. Voici son ascendance. » Ces jeunes posséderaient le droit d'être reconnus, pour autant qu'ils ont un ancêtre ayant appartenu à la communauté en question. En outre, une telle reconnaissance du statut de citoyen s'accompagne de certaines responsabilités, comme c'est le cas dans toute autre nation se trouvant dans une situation similaire.

Le sénateur Dallaire : Je n'ai peut-être pas été clair. Ce dont je parle, c'est de la possibilité de modifier considérablement la Loi sur les Indiens, de manière à rendre possible ce dont vous parlez. Dans la foulée de la présentation des excuses, cela ne constitue-t-il pas un aspect en faveur duquel vous-même et les autres autorités autochtones auriez pu faire campagne?

Mme Dumont-Smith : Les gens s'attendaient à ce que la politique se traduise par des modifications dans l'ensemble du système.

Le sénateur Dallaire : Cela englobe-t-il des modifications législatives?

Mme Dumont-Smith : Oui, et cela améliorerait la vie de tous les peuples autochtones. Les excuses étaient censées représenter ce mécanisme, cet outil ou cette annonce qui auraient donné lieu à ces types de modifications.

Le sénateur Dallaire : Les pensionnats ne constituent qu'un aspect de la question, mais il s'agit d'un aspect qui pourrait être utilisé afin de régler un problème beaucoup plus vaste fondé sur des textes législatifs du XIXe siècle contenant des dispositions relatives à l'assimilation. Ai-je raison d'affirmer que vous espériez en quelque sorte vous servir des excuses pour vous attaquer à un problème plus large?

Mme Dumont-Smith : Toutes sortes de gens avaient toutes sortes d'attentes. Oui, de nombreuses personnes attendent toujours que les excuses se traduisent par des gestes concrets. Une kyrielle d'Autochtones affirment qu'un nombre insuffisant de mesures ont été prises afin de changer les choses conformément au libellé des excuses.

Le sénateur Dallaire : D'après ce que vous nous avez dit, j'estime que vous n'avez peut-être pas mis la barre assez haut. Vous formulez des recommandations à propos de la CTR et d'autres choses du genre, mais tout cela repose sur un système de plus grande envergure qui pourrait peut-être être modifié au moyen des excuses.

Mme Dumont-Smith : Nous espérons que la réconciliation nous permettra ultérieurement d'en arriver là, même si la réconciliation ne se fera pas du jour au lendemain.

Le sénateur Dallaire : Êtes-vous d'accord pour affirmer que l'organisation sociale des diverses cultures autochtones est essentiellement fondée sur une structure patriarcale, au sein de laquelle les femmes doivent évoluer?

Mme Corbiere Lavell : Oui, et cela est attribuable à la Loi sur les Indiens qui nous a été imposée, et aux comportements que les colons nous ont imposés. Bien sûr, les hommes ont intériorisé ce rôle et l'ont assumé, ce qui va complètement à l'encontre de la manière dont fonctionnaient nos communautés avant l'imposition de la Loi sur les Indiens. Selon nos enseignements, aucun sexe n'est supérieur à l'autre ni ne peut le dominer. Il aurait fallu respecter ces rôles traditionnels, et, sur le plan de la survie à long terme, se respecter les uns les autres. Cet équilibre que nous évoquons sans cesse aurait dû être inscrit dans la loi, mais pour diverses raisons, il a été supprimé.

Notre objectif à long terme est l'autodétermination, c'est-à-dire le droit de notre nation d'être indépendante et de prendre des décisions en son propre nom. Nous tentons de déterminer comment nous pourrons en arriver là. De toute évidence, la Loi sur les Indiens n'a pas fonctionné à cet égard. Nous avons tenté de la modifier à la pièce — on remplaçait un article par un autre qui était toujours discriminatoire, et qui excluait toujours bon nombre des membres de notre peuple. Nous avons compris que, peu importe les changements que nous apportons à la Loi sur les Indiens, celle-ci ne nous procurera jamais un sentiment d'indépendance et d'autodétermination. Nous sommes aux prises avec ce problème.

Le sénateur Dallaire : J'ai une brève question hypothétique à poser. Selon vous, est-ce que l'instauration des pensionnats se serait faite aussi facilement si, au moment où ils ont été créés, les femmes avaient occupé la même position qu'elles occupaient dans le passé, c'est-à-dire, comme on nous l'a expliqué durant une réunion du comité des droits de la personne, si les femmes avaient administré et possédé davantage que les hommes les éléments matériels des communautés? Est-ce que tout cela se serait passé si les femmes avaient eu plus de pouvoir au sein de leur communauté?

Mme Corbiere Lavell : De toute évidence, les choses se seraient mieux passées, et je vais partager une petite anecdote avec vous. Cette anecdote m'a été racontée par ma grand-mère, laquelle la tenait de sa mère.

Ma grand-mère m'a dit qu'au moment où les fonctionnaires se sont rendus pour la première fois dans nos communautés — cela s'est passé à la fin du XIXe siècle —, les femmes étaient présentes, et elles travaillaient puisque cela était leur rôle. Les femmes prenaient des décisions, elles travaillaient au sein de la communauté et s'occupaient des activités quotidiennes.

Ainsi, lorsque les fonctionnaires se sont présentés dans la communauté, bon nombre des hommes étaient absents — ils étaient à l'extérieur pour chasser, pour chercher de la nourriture, ou peut-être pour faire la guerre. Je ne le sais pas exactement, mais quoi qu'il en soit, les fonctionnaires sont arrivés dans la communauté, et les femmes sont venues accueillir le bateau dans lequel ils se trouvaient. En descendant du bateau, les fonctionnaires ont indiqué qu'ils voulaient s'adresser aux chefs. Les femmes se sont regardées les unes les autres, et plusieurs d'entre elles se sont avancées pour souhaiter la bienvenue aux fonctionnaires. Ces derniers ont simplement dit qu'ils voulaient s'adresser à un homme, à n'importe quel homme, et ils refusaient d'écouter ces femmes.

Il s'agit d'une histoire qu'on m'a racontée. Cela a renforcé ma volonté de faire en sorte que les femmes reprennent le rôle qu'elles jouaient dans le passé.

Le sénateur Dallaire : Vous voudriez que les femmes recommencent à jouer le rôle qu'elles jouaient avant l'arrivée de l'homme blanc, avant l'instauration de la Loi sur les Indiens imposée par les Européens, est-ce exact?

Mme Corbiere Lavell : Nous voulons établir ce respect mutuel, cet équilibre qui régnait auparavant.

Le sénateur Dallaire : Pour le bénéfice des femmes, assurément.

Enfin, croyez-vous que les excuses qui ont été présentées pourraient avoir une portée beaucoup plus importante, et qu'elles pourraient, par exemple, avoir une incidence sur AINC, si nous voulions vraiment faire campagne en faveur de nouvelles dispositions législatives? J'avancerais que, dans les faits, de par sa culture, AINC a une vision phallocentrique. Est-ce exact?

Mme Corbiere Lavell : Je crois que vous avez tout à fait raison.

Le sénateur Dallaire : Pourquoi ne placez-vous pas la barre plus haut?

Mme Dumont-Smith : Nous tentons de le faire.

Mme Corbiere Lavell : C'est ce que nous sommes en train de faire — nous travaillons là-dessus.

Le sénateur Dyck : J'aimerais dire quelques mots à propos de l'école d'immersion en langue crie d'Onion Lake. Ma mère a fréquenté un pensionnat, et l'une des choses qu'elle nous a enseignées, c'est que nous ne devions pas parler notre langue parce qu'elle avait été battue chaque fois qu'elle l'avait parlée — elle n'était pas autorisée à parler la langue crie au pensionnat.

Lorsque nous avons vu ce qui se passait à l'école d'immersion en langue crie d'Onion Lake, cela a été un véritable vent de fraîcheur. Les petits enfants se délectaient tout simplement de parler leur langue, et il était merveilleux de voir cela.

Cela dit, nous avons également constaté que la majeure partie des enfants ne fréquentaient pas l'école d'immersion en langue crie — ils fréquentaient l'école anglaise. Nous avons posé des questions à ce sujet, mais à mes yeux, s'ils ne fréquentaient pas l'école crie, c'est en raison des répercussions intergénérationnelles des pensionnats autochtones. Les parents ont encore l'impression que leurs enfants ne veulent pas assumer leur pleine identité.

Il s'agit d'une simple observation. Je suis tout à fait d'accord avec vous pour dire que les femmes représentent le cœur et l'âme d'une famille. Si l'on ne guérit pas les femmes, si les femmes n'occupent pas un rôle de chef, la communauté court de grands risques.

Je vous vous féliciter pour le travail que vous faites à titre de nouvelle présidente de l'AFAC. Dans votre vie précédente, vous avez été un chef de file formidable pour les femmes autochtones. Je vous félicite pour tout le merveilleux travail que vous avez accompli. Tout cela était bien réfléchi.

Le sénateur Campbell : Cette visite a été très révélatrice pour moi. Je ne suis pas reconnu comme un grand connaisseur en la matière. Cela m'a ouvert les yeux.

Nous voulons blâmer le gouvernement. Je sais que les honorables sénateurs d'en face vont tomber de leur siège en entendant cela, mais nous voulons blâmer le gouvernement. En fait, le problème ne tient pas au gouvernement. Le problème se trouve à l'intérieur des communautés : les hommes autochtones craignent de revenir à une société matriarcale, au système qui était en place dans le passé.

Nous pouvons vous appuyer, et je suis certain que nous le ferons, mais vous représentez 52 p. 100 de votre population. D'une façon ou d'une autre, vous devez changer la manière dont les choses se passent au sein des Premières nations sur le plan politique, et obtenir cette reconnaissance.

Nous prenons l'entière responsabilité de la situation dans laquelle vous vous trouvez — c'est nous qui vous avons mis dans une telle situation. Je ne tente pas d'amoindrir la portée des gestes que nous avons posés — nous en assumons l'entière responsabilité, mais nous avons tenté d'aller de l'avant. Cependant, les choses ont tant changé que nous ne pouvons pas revenir au système qui régnait auparavant.

Comme l'a mentionné le sénateur, j'estime que l'idée d'un sous-comité est meilleure que celle d'une vague association — pour que cela puisse se concrétiser, vous devez intervenir auprès de ceux qui ont un intérêt direct à ce que le statu quo soit maintenu dans vos communautés.

Durant une réunion, des femmes autochtones de la côte Ouest se sont présentées devant le comité, et je suis certain que ceux qui en faisaient partie à ce moment-là se souviennent de ce que je vais dire. Vous avez parlé de l'adoption d'une loi concernant le pouvoir de déterminer l'appartenance à une nation. L'un des moments les plus touchants de la réunion dont je vous parle, c'est lorsque ces femmes ont affirmé : « C'est nous qui décidons qui fait partie de notre famille — personne d'autre ne peut le faire. »

Je pense que vous devez brasser les choses, mais selon moi, vous devez également les brasser au sein de votre communauté, et aussi vous poser la question prioritaire de savoir comment vous en êtes arrivés là et comment vous pouvez vous en sortir. Il s'agissait de commentaires critiques, je le sais, mais je n'avais jamais pensé à cela jusqu'à maintenant. Peu importe ce que fait le gouvernement, si les Premières nations ne changent pas de l'intérieur, rien ne se passera. Il n'y aura pas de réconciliation, puisque celle-ci est non seulement entre vous et nous, mais également entre vous et vous.

Mme Dumont-Smith : C'est vrai.

Le sénateur Raine : Était-ce une question?

Le sénateur Sibbeston : On a déjà répondu à la question que je voulais poser, et je passerai donc mon tour.

Le sénateur Raine : Je pense que nous tenions tous beaucoup au modèle de leadership non autochtone, mais cela n'a rien à voir avec le fait pour les femmes d'occuper des postes de responsabilité et de chef — ce dont il s'agit, c'est de revenir à de véritables partenariats, où les hommes et les femmes obtiennent une reconnaissance pour le rôle qu'ils jouent.

J'ai remarqué qu'au sein des Premières nations, il y avait beaucoup plus de femmes qui étaient élues à titre de chefs, et qu'elles étaient des membres très actifs de l'Assemblée des Premières Nations. Il s'agit d'une forme d'organisation politique, mais à mes yeux, l'AFAC joue davantage un rôle de gardienne de la culture, de l'apprentissage et d'autres choses du genre. Est-ce bien là le rôle de l'AFAC? Est-ce le rôle que vous tentez de jouer?

Vous ne tentez pas de jouer le même rôle que l'Assemblée des Premières Nations.

Mme Corbiere Lavell : Ce que vous dites est tout à fait exact. Nous ne voulons pas reproduire la structure et le modèle de gouvernance de l'Assemblée des Premières Nations. Nous tentons plutôt d'agir à titre de porte-parole des femmes qui tentent de faire en sorte que les femmes recouvrent le rôle qu'elles occupaient auparavant au sein des communautés.

Je vous l'accorde, cela signifie que nous devons composer avec les comportements qui ont été imposés de l'extérieur et qui ont toujours cours à l'heure actuelle. Cela est attribuable à la structure et aux processus qui nous ont été imposés, à savoir l'élection d'un chef et du conseil, structure au sein de laquelle nous devons évoluer.

Cependant, d'après notre culture traditionnelle, la communauté est organisée d'une tout autre façon. Dans nos longues maisons et nos pavillons d'enseignement, les femmes avaient des rôles et des responsabilités à assumer, tout comme les hommes. Ces rôles et responsabilités étaient partagés de façon équilibrée et harmonieuse, et ils étaient respectés et reconnus. C'est ce qui devrait se passer. Cependant, nous ne pouvons pas faire cela si nous nous heurtons chaque fois à d'autres gouvernements. Je suis conscient du fait que cela est difficile. Je suis certaine que, au sein de vos collectivités, vous devez composer avec cela vous aussi, et cela représente une lutte. Nous n'abandonnerons pas. Nous poursuivrons notre travail, et nous continuerons de travailler conjointement là-dessus.

Le sénateur Raine : J'aimerais ajouter quelque chose à ce qu'a dit le sénateur Dyck à propos de l'école d'immersion crie. Il était merveilleux de voir la manière dont les cérémonies et les traditions étaient intégrées à l'apprentissage. Au début de la journée, tous les enfants étaient assis en cercle — les filles étaient tournées d'un côté, et les garçons, de l'autre, parce qu'ils sont différents et qu'on leur apprend à le demeurer tout en se respectant les uns les autres, et en respectant leurs enseignants et les aînés.

Un si grand nombre d'enfants dans une école régulière peut donner lieu à du grabuge. Personne ne voulait rester assis, et chacun interrompait l'autre. C'était superbe à voir.

Pour ma part, j'estime qu'il faudrait que les Autochtones recouvrent leur culture, et que cela serait formidable pour l'ensemble du pays. Je vous souhaite la meilleure des chances.

Mme Corbiere Lavell : Merci. L'expérience dont vous parlez n'est qu'une parmi tant d'autres. Je suis certaine qu'une pléthore d'autres initiatives du genre sont en cours. Dans ma propre communauté, dans nos pavillons, il y a des cours d'immersion, et les méthodes traditionnelles d'enseignement aux jeunes ont été remises en place. Il s'agit d'une façon de rétablir la compréhension et le respect mutuels. C'est comme ça que les choses devraient être.

Le sénateur Raine : Les responsables de l'école d'Onion Lake ont mis en place — en association avec l'université — leur propre programme de formation des enseignants visant à former des enseignants pleinement accrédités qui demeureront dans la communauté parce qu'ils en sont originaires — ce programme fait partie intégrante de ce qui se passe à l'école d'immersion. Tout cela a une énorme incidence puisqu'il est difficile pour les communautés de trouver des enseignants qui comprennent la culture.

Mme Corbiere Lavell : C'est vrai.

Le président : Honorables sénateurs, je pense que nous aurons l'occasion de poursuivre cette discussion puisque nous inviterons nos témoins à participer à notre étude touchant l'éducation.

Si je ne m'abuse, vous ne nous avez pas encore présenté d'exposé à ce sujet.

Mme Corbiere Lavell : À ce jour, on ne nous a pas invitées à le faire.

Le président : Votre nom figure assurément sur la liste. Je le sais.

Mme Corbiere Lavell : Merci. Nous avons hâte de le faire, et nous nous préparerons pour cela.

Le sénateur Dallaire : En ce qui concerne toute cette question des excuses, je me rappelle qu'en 1964, lorsque je me suis engagé dans l'armée, mon père, qui avait mené une carrière de soldat, m'avait dit que, pour faire carrière dans l'armée canadienne, je devrais changer mon nom, et m'appeler non plus « Dallaire », mais plutôt « Dollards », car les Canadiens français n'avaient aucune chance de réussir dans cette profession. En fait, les Canadiens français n'étaient pas autorisés à parler leur langue. Nous devions parler en anglais parce que tout se faisait en anglais. En 1968, des lois ont changé cela. Le français s'est vu accorder une importance égale à celle de l'anglais, et les francophones étaient autorisés à donner des ordres — ou à en recevoir — dans leur propre langue.

Croyez-vous que les excuses qui ont été présentées doivent avoir une portée encore plus grande, c'est-à-dire qu'il faut s'attaquer aux fondements législatifs qui ont rendu possible l'idée même d'utiliser un mécanisme comme les pensionnats aux fins de l'assimilation?

Mme Dumont-Smith : Je suis désolée, je n'ai pas compris votre question.

Le sénateur Dallaire : Ma question est la suivante : ne pensez-vous pas qu'il s'agit d'un excellent moyen de vous débarrasser de la Loi sur les Indiens?

Mme Dumont-Smith : La Loi sur les Indiens soulève de grandes questions. De nombreux aspects de cette loi ont eu des répercussions sur les peuples autochtones, particulièrement sur les Premières nations. Cependant, si l'on modifie la Loi sur les Indiens, comme le souhaitent maintes personnes, si je ne m'abuse, les femmes autochtones doivent être présentes à la table de négociation. Les femmes autochtones doivent participer à parts égales à toutes les discussions de manière à ce que nous ne répétions pas les erreurs qui ont été commises dans le cadre de la Convention de règlement relative aux pensionnats indiens — les femmes n'ont pas participé aux négociations qui ont débouché sur cette convention.

Mme Corbiere Lavell : Bon nombre d'Autochtones sont fin prêts à se débarrasser de la Loi sur les Indiens dès maintenant et à prendre les rênes de leur communauté. Cela dit, de nombreuses communautés autochtones n'en sont pas rendues à ce stade, et nous devons donc en tenir compte. Notre objectif ultime est d'acquérir un sentiment d'indépendance, et d'être capables de travailler conjointement, d'égal à égal, avec les non-Autochtones.

J'aimerais beaucoup que cela se produise, et, si tout va bien, cela se réalisera.

Le président : J'aimerais remercier les témoins de leur excellent exposé et d'avoir répondu à nos questions de façon franche et directe.

Il est vraiment dommage que l'AFAC n'ait pas participé à tout cela. Notre recherchiste a indiqué que des recours collectifs nationaux ont été exercés en 2004 et en 2005, et que cela a été l'élément qui a déclenché les négociations et l'élaboration de la CRRPI. Ces recours collectifs ont servi de bougie d'allumage. Je ne sais pas pourquoi on vous a exclues du processus. Peut-être qu'il était urgent de conclure la convention, mais une importante pièce du casse-tête a été oubliée, à savoir l'Association des femmes autochtones du Canada.

Merci encore. Nous allons suspendre la séance durant deux ou trois minutes, puis nous nous pencherons très rapidement sur quelques autres questions.

(La séance se poursuit à huis clos.)


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