Aller au contenu
 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones

Fascicule 13 - Témoignages - 2 novembre 2010


OTTAWA, le mardi 2 novembre 2010

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd'hui à 9 h 30 pour l'étude sur les responsabilités constitutionnelles, conventionnelles, politiques et juridiques du gouvernement fédéral à l'égard des Premières nations, des Inuits et des Métis et sur d'autres questions générales relatives aux peuples autochtones du Canada (sujet : questions concernant l'éducation des Premières nations).

Le sénateur Gerry St. Germain (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour et bienvenue aux honorables sénateurs et aux membres du public qui regardent la présente séance du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, que ce soit sur la CPAC ou sur Internet.

Je m'appelle Gerry St. Germain, originaire du Manitoba résidant maintenant en Colombie-Britannique. J'ai l'honneur de présider le comité.

Le mandat du comité consiste à examiner les lois et des questions qui concernent globalement les peuples autochtones du Canada. Fort de ce mandat, le comité a entrepris une étude pour examiner des stratégies que l'on pourrait adopter pour réformer l'éducation primaire et secondaire des Premières nations afin d'obtenir de meilleurs résultats. Cette étude portera notamment sur les ententes tripartites et les partenariats en matière d'éducation, les structures de gouvernance et de prestation, et les possibles cadres législatifs. « Possible », je dis bien.

Nous entendrons ce matin deux témoins, qui nous arrivent toutes deux de la Saskatchewan. Voilà qui semble vous faire plaisir, sénateur Peterson.

Mme Sheila Carr-Stewart enseigne l'administration scolaire à l'Université de la Saskatchewan. Elle a réalisé des recherches sur l'éducation des Autochtones, les droits issus de traités, l'éducation comparative, la participation communautaire, les écoles efficaces, les gangs de jeunes, la gouvernance en éducation et les systèmes administratifs et financiers. On lui doit de nombreux écrits dans ces domaines, dont les ouvrages intitulés First Nations Educational Governance : A Fractured Mirror; A Treaty Right to Education; et First Nations Education : Financial Accountability and Educational Attainment.

Notre deuxième témoin, Mme Marie Battiste, est une enseignante micmaque de la Première nation Potlo'tek. Elle est professeure titulaire au College of Education et coordonatrice des programmes d'éducation des Indiens et du Nord dans le cadre des fondations éducatives de l'Université de la Saskatchewan, où elle agit également à titre de directrice intérimaire de l'unité de recherches en sciences humaines.

Elle travaille activement auprès des écoles et les communautés des Premières nations en qualité d'administratrice, d'enseignante, de consultante et de conceptrice de programmes d'enseignement, faisant ainsi progresser l'épistémologie, les langues, la pédagogie et la recherche concernant les Autochtones. Elle est l'auteure de nombreuses publications, dont la collection révisée Reclaiming Indigenous Voice and Vision et une édition spéciale de l'Australian Journal of Indigenous Education, parue en mai 2005, et la rédactrice principale du document intitulé First Nations Education in Canada : The Circle Unfolds.

Chers collègues, nous accueillons deux professeurs éminents, dont les travaux sont suivis par plusieurs. Nous nous efforçons d'en suivre une partie.

[Français]

Avant d'entendre nos témoins, permettez-moi de vous présenter les membres du comité qui sont présents.

[Traduction]

Le sénateur Sandra Lovelace Nicholas est originaire du Nouveau-Brunswick. Viennent ensuite le sénateur Nancy Greene Raine, de la Colombie-Britannique; le sénateur Bob Peterson, de la Saskatchewan; le sénateur Joyce Fairbairn, de l'Alberta; le sénateur Carolyn Stewart Olsen, du Nouveau-Brunswick; et le sénateur Patrick Brazeau, du Québec.

Honorables membres du comité, joignez-vous à moi pour souhaiter la bienvenue à nos témoins de l'Université de la Saskatchewan.

Je crois que Mme Battiste prendra la parole en premier. Mesdames, assurez-vous de nous laisser suffisamment de temps pour vous poser des questions, car c'est, vous le savez fort bien, un volet important du présent exercice.

Vous avez la parole.

Marie Battiste, professeure et directrice, Aboriginal Education Research Centre, Université de la Saskatchewan :

[Mme Battiste s'exprime dans sa langue maternelle.]

Bonjour. Je tiens à remercier le comité de me permettre de comparaître aujourd'hui afin de traiter de la question de la réforme de l'éducation des Premières nations.

Comme le président vous l'a indiqué, je suis une Micmaque de la Première nation Potlo'tek du Cap-Breton, en Nouvelle-Écosse, héritière des traités de paix et d'amitié de 1752. Le portrait que l'on vous a fait de moi date un peu, mais est assez ressemblant, en ceci que je suis professeure au département des fondations éducatives de l'Université de la Saskatchewan. Je suis en outre directrice de l'Aboriginal Education Research Centre.

Je suis désolée de ne pas avoir eu le temps de préparer un document dans les deux langues; j'ai malgré tout un document que je vous remettrai aux fins d'examen à la fin de mon exposé d'aujourd'hui. Dans ce document, je traite particulièrement des droits constitutionnels des Autochtones à l'éducation. Ces droits autochtones et conventionnels ont été confirmés en 1982 et doivent servir à l'établissement d'un système cohérent d'éducation fondé sur ces mêmes droits.

Sachez également que cette éducation doit être uniforme dans l'ensemble du pays en vertu des lois provinciales et territoriales et qu'il faut combler les besoins des communautés des Premières nations en offrant un financement, un soutien et des systèmes adéquats qui appuieront leurs objectifs, les besoins de leurs élèves et leurs aspirations à jouir de leur propre continuité distinctive, le tout en fonction des principes d'apprentissage permanent holistique. J'insiste également sur le fait qu'il faut réintégrer le savoir et les langues autochtones dans l'éducation des Première nations.

Le problème du manque de continuité constitutionnelle entre les lois, les politiques et les règlements du Canada découle du fait que les agents fédéraux ont établi un système en minant et en remplaçant les méthodes d'apprentissage à vie des Autochtones grâce à une assimilation forcée aux modes de vie britannique et français. Ce système d'éducation par assimilation forcée a eu des conséquences traumatisantes pour les Premières nations; il est donc essentiel de réintégrer les connaissances autochtones dans leur contexte et à leur place pour réformer l'éducation afin d'assurer l'avenir des Premières nations.

Le rôle constitutionnel d'Affaires indiennes et du Nord Canada consiste à aider les Premières nations à mettre en œuvre leur vision d'un système d'apprentissage permanent holistique s'appuyant sur les pratiques d'enseignement traditionnelles, dans les territoires conférés aux Autochtones en vertu des traités. Pour l'instant, les lois fédérales et provinciales, en faisant fi des droits autochtones et conventionnels, violent le droit constitutionnel des Premières nations en matière d'éducation.

Le gouvernement fédéral, par l'entremise de ses agents, a imposé sa volonté politique aux familles autochtones, sans rendre de comptes pour la destruction de leurs communautés, de leurs terres, de leurs vies, de leurs langues et des fruits de leurs systèmes d'éducation. Les Autochtones du Canada ont par conséquent fait l'objet de discrimination, de violence et de racisme persistants, chroniques et systémiques.

Le Canada doit conclure une entente cohérente et consensuelle sur l'éducation réparatrice et porteuse de transformation pour tous les Autochtones. La réconciliation constitutionnelle en matière d'éducation peut permettre de mettre un frein à la discrimination systémique en matière d'éducation pour que l'on puise affirmer les droits constitutionnels des Autochtones, des droits collectifs qui découlent d'une souveraineté, de systèmes d'éducation et de traités préexistants.

Pour agir, le gouvernement du Canada continue de s'inspirer de la Loi sur les Indiens plutôt que des droits autochtones et conventionnels. Ce faisant, il impose encore les valeurs d'autres personnes — des politiciens canadiens ou des bureaucrates du ministère des Affaires indiennes et du Nord — aux Autochtones. Le Canada doit intégrer les droits autochtones et conventionnels aux lois régissant actuellement les Premières nations et aux droits complémentaires en matière d'éducation aux échelons fédéral, provinciaux et territoriaux.

Depuis la réforme constitutionnelle de 1982, la Loi sur les indiens ne cadre plus avec les droits à l'éducation que les traités confèrent aux Autochtones. Il faudrait donc réorienter le débat sur les modifications législatives pour déterminer comment on peut harmoniser les lois fédérales avec les dispositions de la Constitution et voir quelles seraient les répercussions de cette mesure sur le paragraphe 35(1).

Les lois élaborées sans égard aux préoccupations et aux intérêts des Autochtones ne peuvent favoriser ces derniers et leur éducation. À l'instar de la Loi sur les Indiens, la loi peut être interprétée pour servir les agents et les systèmes, et non les besoins, les objectifs et les responsabilités des communautés. Il faut instaurer un système qui appuie les Premières nations, un système dont les responsabilités et les niveaux de financement sont établis en fonction des communautés et de leurs objectifs plutôt que de considérations extérieures.

Ce sont des conventions comme la loi des Premières nations Mi'kmaw Kina'matnewey qui recèlent le plus grand potentiel pour les Premières nations, car elles permettent aux communautés de travailler avec les gouvernements fédéral et provinciaux pour en arriver à des ententes consensuelles en matière d'éducation propres à chacune. Elles peuvent en outre négocier avec les provinces et territoires et les aider dans l'exécution des responsabilités constitutionnelles.

Les systèmes d'éducation doivent avant tout se fonder sur les relations, le respect, la responsabilité et la réciprocité entre les systèmes d'impartition du savoir autochtone, qui peuvent servir de champ dynamique où l'esprit en apprentissage de chaque étudiant est façonné, formé et orienté. Ces systèmes devraient s'inspirer des contextes, des terres et des lieux propres aux Premières nations dans les régions visées par les traités et non des limites provinciales.

Enfin, comme l'ont indiqué dans leurs travaux le Conseil canadien sur l'apprentissage et le Centre du savoir sur l'apprentissage chez les Autochtones, dont j'ai été codirectrice pendant quelques années avant que l'initiative ne prenne fin, l'éducation des Premières nations doit être holistique, permanente, communale, spirituelle, expérientielle et fondée sur les langues et les cultures autochtones. Elle doit en outre intégrer les systèmes d'éducation occidentaux et autochtones.

Ces aspects devraient servir de point de départ au débat. C'est avec grand plaisir que je discuterai de la question avec vous.

Sheila Carr-Stewart, professeure, chef de département et responsable des études supérieures, Département de l'administration scolaire, College of Education, Université de la Saskatchewan : Bonjour et merci beaucoup de m'avoir invitée à prendre la parole aujourd'hui. J'admire la détermination avec laquelle vous vous attaquez à la question de l'éducation des Premières nations.

Dans mon exposé, intitulé « First Nations Education : The Future is Now », il sera entre autres question de la transition du conflit au changement dans le domaine de l'éducation des Premières nations et du fait qu'il existe deux systèmes d'éducation au Canada. Je parlerai également des droits constitutionnels et conventionnels à l'éducation. En outre, on connaît, dans les institutions postsecondaires, des succès dont on pourrait, selon moi, s'inspirer aux niveaux élémentaire et secondaire. Je verrai enfin comment nous pouvons passer à l'action.

Les Premières nations jouissent du droit à l'éducation aux termes de la Constitution et des traités. Je considère qu'à cet égard, le Canada a manqué de vision et n'a pas réussi à instaurer un système d'éducation propice à la progression constante de l'éducation des Premières nations. Même si le Canada souhaite offrir un système d'éducation comparable à celui des provinces, l'éducation des Premières nations est un reflet fracturé du système provincial, sans lien avec les pratiques d'apprentissage, la culture et les langues autochtones et dépourvue de mécanismes de soutien à l'éducation semblables à ceux du système provincial.

L'éducation est un processus par lequel les communautés transmettent les connaissances, les valeurs, la langue, la culture et les compétences d'une génération à l'autre. C'est également un processus d'apprentissage qui permet aux personnes et aux collectivités de faire des choix et de profiter des occasions qui se présentent. Au moment du contact, les communautés des Premières nations, fortes d'une langue, d'une culture et d'un système socioéconomique qui leur étaient propres, vivaient et prospéraient sur ces terres, s'adaptant aux changements de l'environnement et des pratiques commerciales et évoluant conformément aux traditions spirituelles que leur avait conférées le Créateur. L'éducation était assurée par l'ensemble de la communauté et portait sur une multitude d'aspects.

Vine Deloria, qui a surtout écrit sur la situation des Indiens aux États-Unis, a affirmé que du premier contact avec la culture européenne jusqu'à aujourd'hui, l'éducation a constitué un domaine fondamental de conflits et de préoccupations. C'est également le cas au Canada.

Dès 1839, Lord Durham, dans son rapport sur les affaires britanniques en Amérique du Nord, écrivait que l'éducation offerte aux Indiens au Canada n'était pas « à l'honneur » de la Grande-Bretagne, un avis qui n'est guère différent de celui exprimé par le vérificateur général dans son rapport de 2000. Il y indique notamment qu'Affaires indiennes et du Nord Canada « ne peut démontrer qu'il atteint l'objectif qu'il s'est fixé, à savoir aider les élèves membres d'une Première nation qui vivent dans une réserve à répondre à leurs besoins et à leurs aspirations en matière d'éducation. »

Au Canada, il existe deux systèmes d'éducation, la Constitution ayant instauré un système provincial et fédéral. Les provinces sont sans contredit responsables de l'éducation et peuvent ainsi façonner leurs systèmes ouverts selon leurs croyances et leur culture. Chaque province a donc mis en place une loi sur l'éducation, un ministère de l'Éducation, des exigences et des directives relatives aux programmes d'enseignement, des exigences professionnelles, des commissions et des divisions scolaires élues, des obligations juridiques concernant la participation des parents, des droits pour tous les élèves, des budgets établis en fonction des priorités et des besoins des étudiants et un système visant à offrir à tous une éducation et des écoles efficaces.

Le Canada a pour sa part adopté la Loi sur les Indiens, dont seuls les articles 114 à 122 s'appliquent à l'éducation. Il dispose en outre d'un nombre restreint de politiques et de lignes directrices. Les écoles des Premières nations sont pour ainsi dire laissées pour compte. Pendant un temps, on a dit qu'elles étaient opérées par les bandes. Maintenant, on parle plutôt d'«écoles gérées par les bandes », lesquelles ne sont pas reconnues dans la Loi sur les indiens. Les bandes gèrent simplement les écoles au nom du ministre.

Le gouvernement fédéral transfère, en vertu de diverses ententes souples, des fonds aux Premières nations pour qu'elles gèrent leurs écoles. Selon ces ententes, toutefois, les Premières nations ne sont tenues de respecter que des normes minimales. Permettez-moi de vous dire que ni vous ni moi ne voudrions que nos élèves ne fréquentent des écoles respectant seulement des normes minimales.

L'autre critère est la transférabilité aux écoles provinciales. Nous savons tous que les écoles provinciales acceptent carrément toutes les demandes d'inscription. Le manque de continuité et d'orientation claire en éducation est d'une importance capitale pour les écoles des Premières nations, mais compte tenu du financement limité dont elles disposent, ces dernières ne peuvent être sélectives et se donner de nouvelles priorités. Elles ne bénéficient que de budgets à court terme et d'un financement souvent accordé pour des projets d'une durée limitée. De nombreux élèves des écoles des Premières nations vont et viennent entre les écoles provinciales et les établissements gérés par les bandes. De nos jours, les provinces s'intéressent fortement à l'éducation des Premières nations, mettant en œuvre des mesures drastiques pour résoudre une question qui ne relève peut-être pas de leur responsabilité, mais qui leur incombe parce que des élèves des Premières nations fréquentent souvent leurs écoles.

En Alberta, le ministre de l'Éducation a dissous une commission scolaire en raison de la piètre qualité de l'éducation et du faible rendement des élèves autochtones. La province a créé un programme éducatif du nom de Premières nations, Métis et Inuits, qui met l'accent sur les programmes linguistiques, les ressources enseignantes en matière de langue et de culture, et les politiques visant à combler les besoins des élèves des Premières nations. La province a également accordé un financement supplémentaire aux écoles provinciales pour offrir des programmes à ces élèves.

La Saskatchewan a scruté à la loupe son propre système d'éducation et en a révélé toutes les lacunes dans un document intitulé Saskatchewan Education Indicators : Pre-kindergarten to Grade 12, qui dresse un portrait exhaustif du système d'éducation. Il y est notamment question des influences sociales, économiques et démographiques sur l'éducation. Au secondaire, les notes des élèves du Nord de la Saskatchewan sont inférieures à celles des élèves des régions urbaines et rurales dans tous les domaines. À ce niveau, le taux de diplomation des élèves autochtones est de 30 p. 100 comparativement à 70 à 80 p. 100 pour les élèves non autochtones. Le gouvernement a instauré un système de suivi provincial pour surveiller la mobilité des élèves. Il met l'accent sur les communautés, s'intéressant notamment à la santé et au bien-être social, s'attaquant à la pauvreté et mettant en œuvre des services et des programmes éducatifs.

Si on regarde la situation du côté fédéral, le Canada compte 496 écoles gérées par les Premières nations. De plus, l'information la plus récente que l'on puisse obtenir d'Affaires indiennes et du Nord Canada en éducation date de 2003-2004. À l'époque, 60 p. 100 des élèves des Premières nations étudiaient dans les écoles des Premières nations.

Affaires indiennes et du Nord Canada n'a fait état que d'une légère variation du nombre de titulaires d'un diplôme d'études secondaires. Mais si l'on y regarde d'un peu plus près, on constate que de 1996-1997 à 2002-2003, le nombre d'élèves ayant terminé leurs études secondaires a diminué. Le pourcentage d'élèves inscrits obtenant un diplôme à la fin de leurs études était de 33,3 p. 100 en 1997 et de 29 p. 100 en 2002-2003.

J'aimerais maintenant parler de la responsabilité du gouvernement fédéral en éducation en vertu des droits issus des traités. Il y a eu, au Canada, plusieurs affaires judiciaires concernant les traités, mais aucune ne concernait l'éducation. Les décisions rendues dans ces affaires s'appliquent toutefois également à l'éducation. Dans R. c. Badger, il est écrit qu'un traité constitue un échange de promesses solennelles entre la Couronne et diverses nations indiennes. La Couronne a toujours l'intention d'honorer ses promesses.

Dans l'Ouest canadien, quand les Premières nations ont négocié ou conclu des traités avec la Couronne, on s'était entendu sur la teneur de l'éducation occidentale. Les Traités nos 1 à 7 ont été signés de 1871 à 1877. Un rapport bien établi existait déjà entre les Premières nations, les explorateurs, les commerçants de fourrures et les missionnaires, lequel permettant aux Premières nations de comprendre les us et coutumes occidentales en matière d'éducation. Les membres des Premières nations ont guidé les explorateurs, partagé leur nourriture et leurs tipis, et observé l'habitude qu'avaient les occidentaux de consigner par écrit les récits de leurs voyages. Ils ont livré le courrier à cheval entre les postes et les forts de la Baie d'Hudson et pratiqué le troc au poste de la Baie d'Hudson. On retrouve d'ailleurs des traces de chaque transaction aux archives de Winnipeg; les intéressés attendaient donc que leurs fourrures soient enregistrées et documentées. Les Prairies étaient parsemées d'écoles. Les missionnaires donnaient des séances d'éducation dans les camps. Évidemment, ils y parlaient de la Bible, mais, ce faisant, ils enseignaient la lecture et l'écriture, et donnaient des cours d'anglais aux adultes et aux enfants, appuyant ainsi l'apprentissage permanent et l'éducation occidentale. Le chef Mistawasis a déclaré, au moment de la signature du Traité no 6, qu'il considérait pour sa part que la grande reine mère blanche avait offert aux Autochtones un mode de vie, maintenant que les bisons avaient disparu.

En échange de l'utilisation de leurs terres, les Premières nations se sont fait promettre « la générosité et la bienveillance » de la Reine, y compris sur le plan de l'éducation. Le commissaire aux traités a parlé de l'éducation en termes d'« avenir rempli de promesses fondé sur les assises de l'instruction ». L'éducation allait permettre aux Premières nations de « vivre dans le confort » et de « croître, prospérer et jouir d'un avenir meilleur ». La Reine « établirait une école à la demande de n'importe quelle bande pour que les enfants autochtones puissent recevoir le même enseignement que ceux de l'homme blanc ». Les Premières nations ont aussi reçu la promesse que leurs enfants « recevraient de l'instruction et seraient tout aussi capables d'autonomie que les Blancs de leur entourage »; que l'éducation occidentale « n'empêcherait pas le mode de vie indigène »; et que le système « serait égal à celui des Blancs ».

Les traités numérotés reconnaissaient aux Premières nations qui en faisaient la demande le droit à des services d'éducation et en établissaient le contexte politique.

La réussite se manifeste de bien des manières dans les établissements postsecondaires. Les élèves autochtones quittent le secondaire et reviennent par la suite aux études. Ils fréquentent les écoles techniques, les collèges communautaires et les universités et, ce faisant, deviennent des modèles. Leur succès est le fruit d'un partenariat entre les étudiants, les collectivités et les établissements d'enseignement postsecondaires. Ces derniers recherchent de nouveaux modèles de prestation et réorientent leur programme.

Je peux citer en exemple de changement institutionnel le programme d'études autochtones de l'Université Trent; le programme d'éducation des peuples autochtones de l'Université de la Colombie-Britannique; le programme d'études micmaques et la maîtrise en administration des affaires axée sur les Premières nations qu'offre l'Université du Cap-Breton; et le centre de recherche en éducation des Autochtones de l'Université de la Saskatchewan.

Les statistiques du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien font état d'une diminution du nombre d'étudiants autochtones subventionnés au niveau de l'enseignement tertiaire. De fait, ils sont passés de 27 000 en 1995, à 25 000 en 2002. Ce nombre n'englobe toutefois pas les étudiants qui paient leurs études universitaires de leur poche ou qui obtiennent des prêts ou encore des bourses d'études.

La population d'étudiants autochtones augmente dans bien des établissements d'enseignement du Canada. Il n'y a qu'à voir le mien, l'Université de la Saskatchewan. En 2010, 1 722 étudiants ont volontairement déclaré être autochtones, ce qui représentait une hausse de 5,7 p. 100 dans les programmes de premier cycle, et de 5,99 p. 100 dans les programmes des deuxième et troisième cycles. Dans les programmes comme la maîtrise en éducation, dont on dit souvent qu'elle est « axée sur la terre », qu'offre le Department of Educational Foundations — le département des fondements de l'éducation de Mme Battiste —, les étudiants autochtones suivent leurs cours en ligne en automne et en hiver, puis, au printemps et en été, la communauté étudiante se rassemble sur les terres et dans les réserves de l'Ouest.

Je lance donc un appel au changement. L'éducation doit être reconnue comme un droit issu de traité. Il faut reconnaître légalement l'éducation des Premières nations; il faut une loi sur l'éducation. Il faut des options organisationnelles. Nous pouvons nous inspirer du succès des ententes conclues entre le gouvernement de la Nouvelle- Écosse, le gouvernement fédéral et les Micmacs de la Nouvelle-Écosse. Nous pourrions aussi, par exemple, créer des organisations selon les frontières établies dans les traités, ou encore au sein de vastes conseils tribaux. Il faut aussi un cadre de responsabilisation pour l'éducation des Premières nations. Nous avons particulièrement besoin de financement ciblé et à long terme de l'éducation des Premières nations. Nous avons besoin d'éducation linguistique et culturelle, ainsi que de soutien au développement du matériel didactique, de l'information et des programmes d'enseignement. Le Canada a un bilan remarquable au chapitre de la recherche et de la formation linguistiques pour les programmes biculturels et bilingues des écoles primaires et secondaires. Rien de tel n'est fait pour les langues autochtones.

Il faut en permanence des services de second niveau pour tous les étudiants autochtones — des services de planification et de programmation individuelles des études. Il faut réfléchir à la possibilité de créer des écoles et des classes d'enseignement parallèle. Et il faut aussi assurer la formation professionnelle de tout le personnel des écoles si nous voulons que les Premières nations progressent au chapitre de l'éducation, et si nous ne voulons pas rester enlisés dans les principes énoncés dans le rapport de Lord Durham en 1839, ou dans les observations de la vérificatrice générale, en 2000 et 2004.

Le président : Nous vous remercions toutes deux pour ces excellents exposés. J'ai une question à poser, rapidement. Je pense que Mme Battiste a parlé de participation de la province. Il me semble déceler une énorme appréhension dans la communauté des Premières nations. Elles craignent que, si elles adoptent un système provincial, le gouvernement fédéral abdiquera sa responsabilité constitutionnelle en matière d'éducation, laquelle responsabilité est affirmée dans les traités. Les ministères de l'Éducation des provinces, quant à eux, craignent de débattre de cette question avec nous. Et pourtant, la Saskatchewan fait du bon travail dans le cadre d'un partenariat tripartite entre les Premières nations, AINC et la province. Auriez-vous des idées de la manière dont nous pourrions aborder cette question? Les provinces ont tellement d'infrastructures et de ressources qui pourraient être utiles. Pourriez-vous en parler?

Mme Battiste : Oui, je vous remercie. Comme je le disais dans ma déclaration préliminaire, la reconnaissance, en 1982, des droits ancestraux et issus de traités n'a été intégrée dans aucune loi provinciale par la suite. Aucune de ces provinces n'a modifié ses programmes d'éducation pour y intégrer les enjeux liés aux droits ancestraux et issus de traités. Et pourtant, toute loi est censée être harmonisée à la Constitution.

Nous devons inciter vivement le gouvernement fédéral, dans la révision qu'il fait des dispositions de la Loi sur les Indiens, à se réorienter vers un accord autochtone établi en fonction des frontières ou des régions délimitées dans les traités, dont a parlé Mme Carr-Stewart. Ce recadrage pourrait fournir à plusieurs provinces une occasion d'unir leurs forces; par exemple, le Traité no 6 couvre à la fois l'Alberta et la Saskatchewan. Il y aurait ainsi moyen d'éviter le chevauchement des efforts et de travailler à un accord, une sorte d'entente de collaboration consensuelle.

Les Premières nations craignent que le gouvernement fédéral se décharge de ses responsabilités fiduciaires. Les Canadiens doivent tous se considérer comme parties aux traités, lesquels leur attribuent des droits, des obligations et des responsabilités. En partant de ce principe, les gouvernements fédéral et provincial et les Premières nations pourraient conclure une entente consensuelle, du genre de l'entente sur l'éducation avec le Mi'kmaw-Kina'matnewey dont nous avons parlé, qui franchit les frontières. Ce n'est pas un modèle de solution universelle, mais cette entente répondait aux besoins des groupes de cette région.

Il faudra peut-être résoudre le problème que pose le fait que ce modèle ne peut convenir à tous les régimes législatifs du Canada. Il faut pouvoir travailler avec chacun des groupes. Quand vous traiterez des enjeux liés aux droits ancestraux et issus de traités, vous pouvez avoir la certitude de l'appui des Premières nations, parce que ces enjeux sont les principes fondamentaux qui leur tiennent à cœur, et dont ils estiment le gouvernement fédéral responsable.

Le président : Avez-vous des commentaires à faire là-dessus, madame Carr-Stewart?

Mme Carr-Stewart : Je suis d'accord avec Mme Battiste. Ce que se demandent les Premières nations, bien souvent, c'est si la Loi sur les Indiens est abrogée, qu'est-ce qui peut leur garantir des services spéciaux? Rien, parce que le Canada n'administre pas de programme en vertu des traités. Si les traités et la constitutionnalité de la responsabilité fédérale sont reconnus, nous pourrons conclure des partenariats.

Bien des provinces concluent des partenariats avec les Premières nations, pour l'offre de services d'éducation. Si les Premières nations et leurs droits constitutionnels sont reconnus par voie législative, il sera possible de conclure des partenariats avec les conseils scolaires provinciaux. Cela ne veut pas dire qu'on repart à zéro et que la province prend l'éducation en charge, mais qu'il sera possible de conclure des partenariats.

Les Dakota, le conseil tribal de Saskatoon, le conseil des écoles publiques de Saskatoon et le ministère de l'Éducation de la Saskatchewan ont conclu l'un de ces partenariats la semaine dernière. Grâce à lui, ils se partageront les services fournis tant aux élèves autochtones que non-autochtones de l'école publique de Saskatoon.

Il y a toutes sortes de moyens de préserver les droits des Premières nations sans qu'il soit nécessaire de charger aveuglément les provinces du programme. Le gouvernement fédéral peut financer les partenariats et assumer sa part des partenariats avec les conseils scolaires provinciaux. On oublie souvent les nombreux arrangements qui existent déjà entre les conseils scolaires provinciaux et les Premières nations, pas seulement dans les provinces des Prairies, mais partout au pays.

Le sénateur Peterson : Votre exposé, ce matin, a confirmé les défis que pose l'éducation pour les Premières nations, les peuples autochtones. Notre comité est au courant de ces enjeux parce qu'il a entendu de nombreux témoignages de groupes représentant les Premières nations. Apparemment, les deux plus grands défis, et ils sont liés, sont le développement économique et l'éducation.

Nous savons que de plus en plus, ces dernières années, les intérêts économiques des collectivités autochtones et non autochtones vont de pair. Nous savons aussi que les Autochtones constitueront une vaste proportion de la population active dans l'avenir. Même en sachant tout cela, nous n'arrivons pas encore à établir un cadre et à progresser.

Nous parlons de droits constitutionnels et de l'incapacité d'AINC de dispenser des services, et nous ne cessons de tourner en rond. Nous devrons bien finir par nous rallier autour d'un cadre sur lequel nous pourrons concentrer nos énergies. D'après vous, quel genre d'entente tripartite pourrait raisonnablement rallier dans l'avenir toutes les parties — les gouvernements fédéral et provinciaux et les Premières nations?

Mme Battiste : Il y a eu de nombreuses ententes tripartites, mais elles ont été négociées dans le cadre de la Loi sur les Indiens. C'est ce cadre, à mes yeux, qui pose problème pour commencer — il faut que les ententes soient centrées sur les droits ancestraux. Ce sont eux qui doivent être le fondement de ces ententes, et non la Loi sur les Indiens.

J'ai constaté que les ententes tripartites du passé avaient été conclues par des groupes dispersés; elles sont toutes différentes les unes des autres, selon les objectifs visés. Si par contre nous nous appuyons sur les droits ancestraux et issus de traités — sur le principe selon lequel les Autochtones sont entrés dans le Canada avec quelque chose et n'y ont pas renoncé, que ce soit sous forme de terres ou de quoi que ce soit d'autre —, si nous pouvons comprendre combien leur mode de gouvernance, leurs langues, leurs enseignements, leur savoir autochtone, combien tout cela leur tient à cœur et leur est sacré, nous pourrons alors conclure une entente fondée sur ces principes.

Cette entente ne permettrait pas alors aux provinces, comme c'est toujours le cas, de mettre la main sur beaucoup d'argent sans devoir en rendre compte. Il n'y a pas actuellement de répartition des responsabilités. Il y a de nos jours plus d'Autochtones dans les écoles provinciales, particulièrement au secondaire. Quand on parle de réalisations au niveau du secondaire, ce ne sont pas celles des Premières nations, mais principalement de la province.

Ces responsabilités n'ont jamais été intégrées dans les mécanismes de financement des provinces, relativement à l'argent qu'elles reçoivent, et elles ne partagent pas non plus les frais de scolarité que leur versent les réserves pour les Autochtones qui fréquentent les écoles provinciales.

Il faut intégrer ce type de responsabilités dans l'entente consensuelle; mais si les droits conférés par traités sont à la base de l'entente, nous créerons un contexte et un arrangement auxquels les peuples des Premières nations adhéreraient. Je pense que cette approche aiderait aussi les non-Autochtones et les Canadiens de tout le pays à comprendre un volet de leur histoire dont ils ont été privés à cause des préjugés et de ce que nous appelons l'hégémonie, sur le plan de la production et de la diffusion du savoir; ce qui est considéré comme étant supérieur et ce qui est vu comme inférieur. Ce type d'arrangement sera un meilleur fondement que ceux que nous avons eus jusqu'ici.

Le sénateur Brazeau : Je vous souhaite la bienvenue et vous remercie d'être des nôtres ce matin. Vous avez toutes deux parlé de l'éducation comme d'un droit issu de traité. J'aimerais creuser un peu plus le sujet.

Mme Carr-Stewart a dit qu'il est question d'éducation dans les Traités nos 1 à 7. Pourriez-vous nous dire en quels termes? Que disent ces traités sur le sujet?

Mme Carr-Stewart : Tous les traités numérotés, jusqu'au Traité no 11, qui ont été signés dans les années 1900, comportent une référence à l'éducation. En lisant les traités, il faut garder à l'esprit la teneur du document écrit et ce que nous ont appris les archives et l'histoire orale. Les clauses sont courtes. Elles stipulent en gros que l'État doit fournir des écoles ou des enseignants dans les réserves à la demande des Premières nations. Les énoncés sont brefs. Les négociations des traités, par contre, ont duré des semaines, parfois des mois. C'était un va-et-vient constant entre les parties. Il y a eu un débat sur l'éducation. Il n'y a pas que ce bref énoncé dans le traité. Le sujet de l'éducation est revenu souvent sur le tapis pendant un débat qui a duré des semaines. Cet énoncé a été rédigé à Ottawa et a été intégré dans chacun des traités. Les droits issus des traités s'amenuisent du Traité no 1 au Traité no 7. Si vous vous intéressez à l'histoire, en passant, Alexander Morris a été renvoyé après avoir négocié le Traité no 6. Le Canada trouvait qu'il avait trop donné. Il avait cédé aux exigences des Premières nations.

Il y a dans les traités une brève déclaration selon laquelle il incombe à l'État de fournir une école et des enseignants dans les réserves quand les Premières nations en font la demande. Il suffit cependant de parler avec les aînés, d'écouter l'histoire orale et de lire les déclarations de commissaires aux traités, les entrées de journal de membres de la GRC et divers documents de l'époque pour constater le sens plus large que l'on attache à l'éducation. Il s'agit d'un apprentissage permanent. C'est le sens que donnaient les Premières nations à l'éducation à l'époque, parce que les missionnaires ne faisaient pas de discrimination entre les enfants et les adultes. Ils instruisaient les deux groupes.

L'éducation, c'était la promesse d'une vie meilleure. Elle remplaçait la vie dans les Prairies, parce qu'il n'y avait plus de bisons. C'était une solution économique. Elle était censée représenter ce que bien des parents souhaiteraient pour leurs enfants de nos jours. C'était un moyen pour leurs enfants de pourvoir à leur avenir. Les Premières nations savaient que leurs enfants apprendraient à lire et à écrire — c'est ce que l'on peut comprendre des déclarations qu'ont faites des chefs au moment de négocier les traités — et qu'ils pourraient avoir un emploi et vivre comme les Blancs, tout en préservant leur propre culture et leur propre langue. Il n'a jamais été question qu'ils renoncent à leur culture et à leur langue. Ils garderaient leur identité tout en recevant l'enseignement occidental.

Comme lorsque des enfants apprennent deux langues, on constate que les enfants instruits dans plus de deux langues réussissent beaucoup mieux à l'école que les enfants unilingues. L'éducation devait permettre aux membres des Premières nations d'être des participants égaux dans ce pays. Je soutiens que nous n'avons pas dispensé cette éducation. Les Premières nations donnaient leurs terres, que les nouveaux venus utiliseraient. Ils partageaient ainsi leurs terres et, en échange, ils étaient censés jouir de « la générosité et la bienveillance de sa Majesté ».

Le sénateur Brazeau : Non pas que je ne sois pas d'accord avec vous, mais vous conviendrez, je crois, qu'en 2010, les tribunaux n'ont pas encore déclaré que l'éducation est un droit ancestral conféré par traité. Le sens donné à ces traités peut grandement varier, selon qui les interprète.

Ce qui me préoccupe, si l'éducation est un droit ancestral, c'est qu'il n'y a pas de traité numéroté ni de traité historique au Québec, ma province. Il en est de même pour la Colombie-Britannique. C'est près de la moitié des collectivités autochtones du pays vivent dans ces deux provinces. Alors pour commencer, quelle est la situation, selon vous, de ces collectivités? En l'absence de traité, l'éducation reste-t-elle un droit issu de traités?

Deuxièmement, si je vous ai bien comprises toutes les deux, vous proposez comme prémisse, pour pouvoir avancer, que l'éducation soit considérée comme un droit conféré par traité. L'expérience m'a appris combien les enjeux autochtones peuvent parfois évoluer lentement. La situation actuelle, en réalité, c'est que de nombreuses collectivités des Premières nations se montrent enthousiastes et veulent faire des progrès au chapitre de l'éducation, de sorte qu'un plus grand nombre des leurs entrent dans le système scolaire et décrochent des diplômes — c'est bien là ce que nous souhaitons tous. Ces collectivités vont de l'avant et signent des ententes tripartites avec les provinces et le gouvernement fédéral.

Si nous traitons l'éducation des Autochtones comme un droit qui pourrait être conféré par traité, combien de temps faudra-t-il avant que ce droit soit reconnu par un gouvernement, à l'échelon fédéral ou provincial? Combien de temps les élèves et les Autochtones devront-ils attendre pour pouvoir récolter les fruits d'une bonne éducation, d'une éducation convenable et équitable?

Mme Carr-Stewart : Je tiens à corriger une chose. L'éducation des Premières nations n'est pas un droit qui pourrait être conféré par traité, c'est un droit conféré par traité. Il est stipulé dans les traités. Ce n'est pas parce que les tribunaux ne se sont pas prononcés sur le sujet que ce n'est pas un droit conféré par traité. Tous les traités numérotés comportent une clause sur l'éducation. J'en parle dans la plupart de mes recherches. Des traités ont été conclus partout au Canada, dont au Québec. Au Québec, notamment, l'arrêt Sioui reconnaît aux Autochtones le droit à leur propre culture et à leur langue.

Le sénateur Brazeau : Nous parlons ici d'éducation.

Mme Carr-Stewart : Vous ne pouvez pas examiner une question hors contexte. Si nous avons offert d'instruire les Autochtones pour qu'ils puissent participer et être égaux dans la société, le Canada doit respecter sa part du marché. Si nous écartons continuellement les signataires de traités — et il y a tout un éventail de traités, car nous parlons ici des traités numérotés, mais la Nouvelle-Écosse et la Colombie-Britannique ont aussi des traités — et nous nous emparons de toutes ces terres sans rien offrir en retour, il ne faut pas nous demander pourquoi les Autochtones ont un mouvement de recul devant un Canada qui ne respecte d'aucune façon les traités. Les Premières nations, les peuples autochtones de tout le pays étaient prêts à partager leurs terres avec les nouveaux venus. La plupart d'entre nous, ici, sommes des nouveaux venus, nos parents l'étaient, et nous le sommes encore. Nous avons pris sans tenir notre promesse de donner. Je dirais que tout ce que demandent les Premières nations, c'est que nous tenions parole et que nous créions un système égal aux systèmes provinciaux.

Il y a partout au Canada des initiatives qui ont connu du succès, au chapitre de l'éducation des Premières nations. Nous sommes toujours portés à ne voir que ce que Marie Battiste appelle les facteurs négatifs. Nous ne reconnaissons pas les mérites des gens qui offrent une solide éducation. Et il ne s'agit que d'un aspect; il y a aussi celui des finances. Les Premières nations disent souvent « Nous devrions recevoir autant que ce que nous transférons aux provinces quand des Autochtones fréquentent les écoles provinciales ».

Nous avons poussé nos recherches et avons constaté que ce n'était pas une solution au problème. Il ne suffirait pas de seulement donner autant, disons 7 000 $, à un Autochtone qui administre une petite école, parce que c'est ce que reçoit l'école provinciale quand les enfants y sont transférés. Il faut créer des systèmes plus vastes. Nous avons fait des recherches dans le Sud de la Saskatchewan. Il faudrait augmenter le financement de plus de 50 p. 100 pour créer le même niveau de service s'il n'est toujours offert que par de petites entités. Il faudrait créer de plus vastes entités pour constituer un solide système d'éducation, et il faudrait renoncer à la formule de coût unitaire qu'applique le gouvernement fédéral sans tenir compte du type de services que nous souhaitons.

Le sénateur Brazeau : Soyons précis : je n'ai pas dit que l'éducation n'était pas un droit conféré par traité. Tout ce que j'ai dit, c'est que les tribunaux ne se sont pas prononcés sur la question jusqu'à maintenant.

Le président : Y a-t-il des commentaires?

Mme Battiste : J'ajouterai que dans l'arrêt R. c. Côté, la cour a dit que lorsqu'existe un droit ancestral, les parents ont le droit de l'enseigner. Donc, les parents autochtones peuvent enseigner les droits ancestraux, enseigner ce genre de choses, et ils le feraient au moyen de l'éducation. Ils peuvent exploiter ces droits dans leur collectivité et leur famille, mais les écoles font aussi partie de leur collectivité. Toute culture englobe l'éducation. De fait, c'est lié.

Le Canada a conféré des droits par traités, et pas seulement aux habitants des territoires visés par les traités. Les droits ancestraux et issus de traités sont stipulés dans la Constitution du Canada, ce qui signifie que les Autochtones de la Colombie-Britannique, les Inuits du Nord, les Premières nations du Québec et de toutes les autres régions, y compris les régions visées par des traités de paix et d'amitié — il y en a aussi dans ma province, la Nouvelle-Écosse — tous ces gens sont des Autochtones du Canada titulaires de droits ancestraux.

J'estime que le problème, c'est qu'en l'absence de lois, de politique et de règlements fédéraux et provinciaux qui feraient la lumière sur tout cela, ce sont les tribunaux qui doivent trancher. Les tribunaux ont rendu des décisions en réponse aux situations que les Premières nations de partout au pays ont contestées. Il faut que le Canada, les provinces et les territoires prennent des mesures positives plutôt que de se tenir sur la défensive ou de laisser les tribunaux définir tous les droits et obligations. Il est temps d'harmoniser l'application de la Constitution du Canada dans l'ensemble des provinces et des territoires.

Le sénateur Raine : C'est un plaisir que de vous accueillir aujourd'hui. Je viens de la Colombie-Britannique et je pense que vous savez qu'elle est signataire d'un accord tripartite, mais il n'est pas encore en œuvre à cause du manque de financement.

Pouvez-vous imaginer une structure qui respecte les frontières provinciales — parce que l'éducation des non- Autochtones du Canada relève de la compétence des provinces, —, et qui établit un lien ou un cadre comportant un système parallèle, lequel ne reproduit pas le premier système, mais y est harmonisé? Le but serait de prendre le contrôle des éléments nécessaires sur toute la ligne, jusqu'au niveau de la collectivité. Il est évident qu'il faut une structure. Je peux imaginer la structure, mais je ne sais pas comment elle pourrait fonctionner en termes législatifs sans un solide accord tripartite entre le gouvernement fédéral qui en assurerait le financement, le gouvernement provincial qui appuierait la prestation des services, et les Premières nations qui détermineraient les besoins à l'échelle locale.

S'il faut une loi pour conclure ce type d'entente, faut-il commencer à l'échelon fédéral ou provincial, ou à celui des Premières nations? Comment est-il possible de débloquer tout cela? Nous menons semble-t-il étude après étude, mais le manque de financement fait obstacle à l'atteinte d'objectifs sur lesquels tout le monde s'entend.

Mme Battiste : Si une loi fédérale est adoptée, au bout du compte, ce sont des politiciens et des bureaucrates fédéraux qui créent quelque chose pour les Premières nations. C'est pareil au niveau provincial. Alors je doute que ce soit une solution.

J'imagine cependant un accord qui unirait les trois paliers dans une relation unique et qui tiendrait compte des particularités de chaque région. L'accord en Colombie-Britannique, par exemple, serait différent de celui de la Nouvelle-Écosse en raison des différences qui découlent de la grande diversité des peuples autochtones qui vivent en Colombie-Britannique alors que la Nouvelle-Écosse n'en compte qu'un. La conjoncture, dans ces provinces, est différente. Il faut un mécanisme qui permette aux trois groupes de collaborer. Il faut un consensus au sein des collectivités. Il n'est pas question ici de conférer un pouvoir décisionnaire de chef de bande en vertu de la Loi sur les Indiens. Voilà quelque chose d'important. Il faut comprendre que les droits ancestraux et issus de traités ne sont pas conférés aux chefs et aux conseils, mais au peuple. C'est au peuple qu'il faut donner le droit de faire ces choix et de participer aux négociations à sa guise. Il ne s'agit pas d'adopter des mesures législatives exceptionnelles ici et là; il faut plutôt un mécanisme assez unique qui permet à ces éléments de s'imbriquer pour former un tout, encore une fois en fonction des droits ancestraux.

Mme Carr-Stewart : L'entente tripartite de la Colombie-Britannique a beaucoup de côtés positifs. Elle pourrait — parce qu'elle n'est pas encore en œuvre — faire en sorte que la province assume une responsabilité. L'entente stipule que le taux de diplomation des Autochtones doit être égal à celui des non-Autochtones. C'est aux écoles provinciales qu'il incombe d'offrir le type approprié d'éducation et d'assurer le succès des élèves autochtones.

L'argent pose problème, mais le gouvernement fédéral doit comprendre que, pour changer les choses — parce qu'il ne faut pas se contenter de remonter jusqu'à la Confédération, mais plus loin encore —, le financement de l'éducation des Premières nations a jusqu'ici été insuffisant. Il n'y a qu'à relire les rapports annuels; ce n'est qu'à compter de 1926 qu'on pense que le Canada a peut-être assumé l'intégralité du coût de l'éducation. Le gouvernement fédéral devra investir beaucoup dans l'éducation s'il veut réellement régler tous les problèmes. L'éducation n'est pas quelque chose qui se fait à l'emporte-pièce.

Le sénateur de la Saskatchewan a parlé du changement démographique. Nous n'avons pas beaucoup de temps pour apporter de grands changements à l'éducation des Indiens. Les Prairies ont le segment de la population qui affiche la croissance la plus rapide. D'ici 2020 apparemment, la population de la Saskatchewan sera composée à parts égales de Blancs et d'Autochtones. À moins de créer un système d'éducation pour les élèves autochtones et d'être disposé à y investir énormément à court terme, le Canada sera alors nettement plus pauvre parce que nous n'aurons pas de main- d'œuvre compétente pour occuper les emplois qu'il y aura en 2020.

L'argent est un problème, mais si le gouvernement du Canada veut changer les choses, je crois que nous n'aurons guère le choix de le convaincre d'allouer des fonds à l'éducation des Premières nations.

Le sénateur Raine : Pour reprendre les propos de Mme Battiste, avez-vous imaginé un système comportant un organisme communautaire responsable de l'éducation, indépendant du conseil de bande ou du chef? Il pourrait s'agir d'une commission scolaire — « commission » n'est peut-être pas le mot juste — ou d'un conseil d'enseignement au sein de la collectivité. D'après vous, comment pourrait-on créer et gérer un tel organisme?

Si c'est la solution privilégiée, il est évidemment essentiel que ces organismes et leur mode de création obtiennent la confiance du gouvernement fédéral. Nous pouvons difficilement verser des fonds à un groupe que nous ne connaissons pas et dont nous ignorons la structure. Qu'en pensez-vous?

Mme Battiste : J'aurais aimé avoir la solution miracle. C'est là que le bât blesse. À mon avis, il n'existe encore aucun scénario idéal pouvant s'appliquer partout au Canada. Comme je l'ai dit, il faudra divers scénarios pour satisfaire les différents groupes d'un bout à l'autre du pays.

Il a fallu un certain temps pour concevoir le système adopté dans les communautés micmaques de la Colombie- Britannique; les Micmacs devaient se faire davantage confiance en tant que communauté et au sein du territoire. Étant donné tous les universitaires, éducateurs et enseignants autochtones partout au Canada, on trouve aujourd'hui dans certaines régions la masse critique qu'il faut pour créer une structure de gouvernance axée sur des systèmes de responsabilité. Toutefois, malgré tous ces gens, les systèmes en place ne nous permettent pas de développer ce genre de structure.

C'est la responsabilité du Canada, mais la décision doit faire l'unanimité chez les Autochtones et respecter leurs principes ainsi que leurs droits issus de traités. Les discussions doivent tenir compte de tous les principes fondamentaux relatifs à l'autodétermination, à l'autonomisation et même aux recours, des enjeux toujours d'actualité.

C'est faisable. Il a fallu du temps avant que le principe des droits des peuples autochtones et des droits issus de traités ne soit ajouté à la Constitution du Canada. De façon similaire, il faut poursuivre les discussions avec les peuples autochtones à propos des structures au sein des collectivités. Il s'agit de les écouter pour comprendre leurs droits et savoir comment ils veulent les faire valoir. Quant au rôle des chefs, certains diront qu'ils doivent y prendre part, alors que d'autres privilégient une structure indépendante.

Mme Carr-Stewart : Au Canada, certains groupes de Premières nations utilisent un système de divisions scolaires, ce qui fonctionne bien. Dans la réserve de Kainai au Sud de l'Alberta, les commissions scolaires sont autorisées à dispenser un enseignement. Des personnes autres que le chef ou les membres du conseil de bande sont élues pour faire partie de l'autorité scolaire. On trouve ce genre d'exemples de réussite partout au Canada.

La réserve de Kainai a l'avantage d'être de grande taille. C'est la réserve qui couvre le territoire le plus important au Canada, et sa population est nombreuse. Elle compte plus de sept écoles, peut-être même neuf. On observe donc ce genre d'exemple de réussite partout au Canada.

Le président : Madame Carr-Stewart, vous dites que le financement est essentiel, mais du même souffle, qu'il existe des structures dont on peut se servir. À l'heure actuelle, croyez-vous qu'accorder plus de fonds aux chefs et aux conseils de bande changera quoi que ce soit? Les problèmes sont inhérents au système. L'argent accordé est discrétionnaire, dans une certaine mesure; il n'est pas obligatoire de l'investir en éducation.

Je crois qu'accorder sept milliards de dollars aux Premières nations brouille la vue d'ensemble du problème. À mon avis, nous devons mobiliser tous les Canadiens. J'ignore comment nous y arriverons, car, comme le sénateur Peterson l'a dit, et vous aussi je crois, madame Carr-Stewart, la proportion d'Autochtones composant la population de la Saskatchewan atteindra bientôt 50 p. 100. À l'heure actuelle, je n'arrive pas à voir comment les fonds du gouvernement fédéral permettraient de changer quoi que ce soit dans le processus, étant donné l'absence de structure législative ou autre.

Mme Carr-Stewart : L'argent ne règle pas les problèmes. Ma grand-mère m'a dit cela il y a bien des années, et c'est toujours vrai. Par contre, si l'on veut un bon système d'éducation, il faut créer un système en bonne et due forme qui sera consacré à l'éducation et qui recevra suffisamment de fonds pour répondre aux besoins des étudiants.

À l'heure actuelle, je vous dirais que oui, l'argent va bel et bien à l'éducation des Premières nations. Toutefois, il n'est pas versé à un seul endroit. Il est plutôt réparti entre de petits organismes; plus ils sont petits, moins ils sont susceptibles d'offrir des services.

Il faut moins d'argent aux organismes d'envergure. Les Micmacs en sont un bon exemple. Ils régissent toutes les activités des Premières nations de la Nouvelle-Écosse à partir d'un bureau à Sydney et d'un bureau satellite à Shubenacadie, situé sur la partie continentale de la province. Ils n'ont pas d'autres bureaux administratifs. Ce sont les deux seuls.

Étant donné que la Nouvelle-Écosse est une petite province, la taille du système comporte des avantages. Ces deux bureaux offrent quand même des services de deuxième niveau; il pourrait s'agir d'un spécialiste en lecture, d'un psychologue ou d'un orthophoniste qui dessert toutes les écoles de la région. Nous pouvons envisager de mettre en place un système similaire permettant de réaliser des économies.

Lorsque les Affaires indiennes et du Nord Canada ont transféré la responsabilité des écoles, les pouvoirs ont été délégués à chaque conseil de bande. Seules les grandes réserves comme Kainai ont réussi. Leur taille a joué à leur avantage. D'autres facteurs entrent en ligne de compte, j'en conviens, mais la taille de la réserve fait partie des enjeux.

Même si je sais que les Premières nations aiment avoir le contrôle, ce genre de transfert aux réserves ne leur permet pas d'avoir le meilleur système d'éducation. Il faut trouver un système. Un document des Affaires indiennes et du Nord Canada dit clairement que le ministère n'a transféré aucun système aux réserves en matière d'éducation. Il s'est contenté de transférer le salaire des enseignants et des directeurs d'école qui étaient alors en poste.

Au cours de la dévolution, le Conseil du Trésor a versé le montant des salaires dans un fonds de contribution. Cet argent ne sert qu'à payer le salaire des enseignants et des directeurs d'école; il n'était pas prévu pour un système d'éducation. Certains d'entre nous sont assez vieux pour avoir été témoins de l'euphorie entourant le transfert des écoles. Avec du recul, transférer les écoles aux petites réserves des Premières nations ne permettait pas efficacement de créer un système.

Sans aucun doute, il faudra plus d'argent pour instaurer des programmes; toutefois, créer des systèmes d'éducation partout au pays permettra d'utiliser plus efficacement l'argent dont nous disposons. Comme Mme Battiste l'a dit, il peut s'agir de conseils tribaux, de systèmes axés sur les frontières établies par traités ou de systèmes provinciaux comme en Nouvelle-Écosse. C'est aux Premières nations de choisir la solution qui leur convient et de décider de la procédure, mais nous devons cesser de financer individuellement les réserves au profit d'un système d'éducation. Les provinces ne fonctionnent pas ainsi non plus. Nous avons créé des organismes plus importants afin de pouvoir offrir les services dont les étudiants ont besoin.

Le président : Qui devrait concevoir ce système?

Mme Carr-Stewart : Je crois qu'il faudrait nous réunir et négocier. Nous pourrions examiner ce qui se passe dans les différentes régions. Il y a quelques années, on s'est demandé comment créer un système pour toutes les réserves situées sur le territoire du Traité no 6. Le groupe représenté par le Traité no 8 est situé en Colombie-Britannique, en Alberta et dans les Territoires. Nous pourrions vérifier si des provinces voudraient se réunir. Le Nouveau-Brunswick pourrait se diviser entre les Micmacs et les Malécites. Si nous prenons le temps de discuter, nous verrons qu'il existe plusieurs façons d'envisager l'éducation.

Le président : Nous nous tournons vers ceux qui ont travaillé toute leur vie dans ce domaine. Si nous présentons des recommandations sérieuses au premier ministre, qui que ce soit, nous arriverons à le convaincre. Nous avons déjà réussi à le convaincre de satisfaire certaines de nos revendications particulières. La loi reflétait pratiquement notre rapport, car nous avions écouté des gens comme vous. Nous avons besoin de suggestions convaincantes pour réussir à dissiper la méfiance des Premières nations. Je reviens à la renonciation de la responsabilité fiduciaire en vertu de la Constitution et du traité. C'est le genre de choses qui nous intéresse.

Avant de nous livrer à cette étude, plusieurs membres du comité, dont le sénateur Brazeau, se disaient inquiets étant donné que le sujet avait déjà fait l'objet d'innombrables études. Ce que lui et d'autres disaient était vrai. Il faut que nos recommandations ne puissent pas être ignorées par le gouvernement. C'est pourquoi nous vous demandons votre aide, car dans ce domaine, la majorité d'entre nous n'ont pas votre formation, votre compétence ou votre éducation. Certains d'entre nous proviennent du milieu des affaires et des sports.

Je ne vais pas m'étendre sur le sujet. Nous terminons le tour avec le sénateur Fairbairn, puis nous entamerons une nouvelle série de questions avec le sénateur Peterson et le sénateur Raine.

Le sénateur Fairbairn : Je vous remercie beaucoup. Madame Carr-Stewart, vous avez parlé des activités dans le Sud de l'Alberta. Je viens de Lethbridge, alors j'ai vécu à proximité de Kainai. Le collège qui a été fondé dans la réserve a permis d'aider énormément non seulement les membres de la communauté, mais bien d'autres aussi. Il a été créé au même moment que l'Université de Lethbridge. C'était tout un changement pour la ville et les gens à proximité, et aussi pour la réserve de Kainai. D'ailleurs, Lethbridge ne lance jamais la collation des grades; c'est toujours Kainai qui s'en charge avec grand enthousiasme.

Ensemble, les deux organismes ont changé le visage du Sud de l'Alberta, de même que celui des autres collectivités. Comme vous l'avez dit, c'est possible. Une fois lancés, ils peuvent vraiment aller loin. Avec les jeunes gens et leurs familles, les liens dans l'ensemble de la région ont énormément changé. C'est possible, et c'est faisable. Je pense que tous les paliers de gouvernements s'entendent pour dire que ce modèle pourrait servir ailleurs.

Mme Carr-Stewart : Je suis d'accord avec vous. Le Red Crow Community College, de la réserve de Kainai, le Old Sun Community College, de la réserve des Pieds-Noirs au Sud de Calgary, et le Blue Quills First Nations College, de la région de Saint Paul, en Alberta, sont tous des établissements postsecondaires privés reconnus par l'Alberta. Ils sont tenus de rendre des comptes à leur communauté ainsi qu'à la province. Ce genre de mécanisme est possible si l'on négocie jusqu'à conclure une entente, comme l'ont fait les Bloods et les Pieds-Noirs. Comme tout le monde, ceux qui habitent les réserves des Premières nations n'aiment pas être accusés de mauvaise administration et de non-respect des limites. Ces réserves sont de bons exemples de reddition de comptes. Elles respectent les exigences de l'Alberta en matière d'éducation et d'éducation postsecondaire, et répondent aux besoins de leur communauté et des non-Autochtones des environs. Ce genre de système permettrait d'apaiser les non-Autochtones qui craignent que l'argent disparaisse sans que l'organisme soit tenu de rendre des comptes. Il existe de bons exemples où l'on respecte la reddition de comptes. Des gens reçoivent de la formation, et ces établissements ont connu une croissance considérable depuis leur création.

Le sénateur Peterson : Vous avez parlé de problèmes financiers ahurissants. En 2008, 2 200 étudiants autochtones n'ont pas pu poursuivre leurs études postsecondaires en raison de difficultés financières.

Afin de pouvoir injecter de l'argent dans ce système, est-ce possible de créer un programme scolaire et un système de gouvernance tangibles? Est-ce faisable à l'échelle nationale, ou est-ce trop important? Le système devrait-il être provincial? Jusqu'où doit-on aller avant d'annoncer que le système est en place et que des fonds peuvent y être injectés directement? Est-ce possible?

Mme Battiste : En collaboration avec le Centre du savoir sur l'apprentissage chez les Autochtones, nous avons pu travailler avec les communautés pour déterminer non seulement les services d'enseignement dont elles avaient besoin, mais aussi leurs objectifs globaux en matière d'éducation permanente.

Lors de ces rencontres, les Premières nations, les Métis et les Inuits se sont réunis pour concevoir leur propre modèle d'éducation permanente, et ils ont examiné les ressources qui les aideraient à y parvenir. Ils se sont demandé quelles étaient les lacunes et où ils pouvaient trouver les ressources dont ils ont besoin en fonction de leurs services et de leur mode de prestation. C'est ainsi qu'ils ont conçu leur plan stratégique. Ces modèles stratégiques en matière d'éducation permanente, qui sont en ligne sur le site Web du Conseil canadien sur l'apprentissage, sont issus des communautés; ces dernières ont commencé à s'en servir pour élaborer leur plan stratégique puisqu'elles savent bien que l'économie, leur développement économique et l'éducation doivent former un tout. Ces éléments sont indissociables. Si une personne obtient son diplôme d'études secondaires, mais qu'elle n'arrive pas à décrocher un emploi ou un diplôme collégial, elle n'aura nulle part où aller. C'est une question de planification interne, ce qui explique pourquoi les Premières nations reçoivent actuellement moins de fonds que les provinces. De façon générale, le financement présente toutes sortes de lacunes. C'est pourquoi il arrive que des fonds discrétionnaires soient investis ailleurs. Nous examinons l'ensemble du système, et non un élément isolé. Nous avons une vue d'ensemble.

Si le gouvernement sous-finance un secteur, il faut répartir les ressources autrement. Lorsque le montant accordé est suffisant, les gens n'ont plus besoin d'effectuer ce genre de déplacements.

Les peuples autochtones du Canada — les Premières nations, les Métis et les Inuits — ont commencé à considérer en détail certains mécanismes ou systèmes. Ils se demandent à quoi pourrait ressembler un système holistique et comment il fonctionnerait au sein de leurs collectivités. Ce processus est entamé, mais il a été interrompu, car le Centre du savoir sur l'apprentissage chez les Autochtones et le Conseil canadien sur l'apprentissage ne reçoivent plus les fonds nécessaires pour nous permettre de poursuivre notre travail auprès des collectivités. Toutefois, l'Assemblée des Premières Nations, par exemple, continue le travail auprès des collectivités, et Ressources humaines et Développement des compétences Canada leur permet de mettre en œuvre ces processus.

Je pense qu'ici, au gouvernement fédéral, on se demande quoi faire. La réponse se trouve au sein des collectivités, où nous trouverons des exemples, des mécanismes et des moyens — et des gens qui nous montreront comment créer un système à l'intérieur d'un ou de plusieurs systèmes en place; nous pouvons nous en inspirer pour nous pencher sur des questions qui, ici, semblent difficiles, mais auxquelles d'autres ont déjà trouvé bien des réponses.

Il y a plusieurs degrés de réponses. On trouve même ce que j'appelle des solutions magiques à différents niveaux chez les Premières nations, les Métis et les Inuits. Les peuples sont en train de créer certains systèmes en collaboration avec des chercheurs, des enseignants et des chefs de file autochtones œuvrant dans ce domaine. Nous allons d'abord chercher des réponses au sein de la communauté. Je crois qu'il faut accorder suffisamment de fonds à ce genre de planification stratégique globale et spécifique tant dans les collectivités que partout au Canada.

Je ne crois pas que les sénateurs peuvent y arriver à eux seuls, ni les politiciens, ni les bureaucrates. Par contre, nous avons trouvé de merveilleux modèles à suivre dans les collectivités. J'ai moi-même été témoin de bien des exemples de réussites grâce à mon travail au Centre du savoir sur l'apprentissage chez les Autochtones.

Je vous rappelle que vous pourrez trouver le fruit de notre travail dans plusieurs rapports que l'on affiche en ce moment sur le site Web. On y trouve aussi des recommandations à propos de ce qui peut être fait.

Le sénateur Peterson : Où en êtes-vous rendus? Pourriez-vous présenter quelque chose au gouvernement fédéral pour que nous sachions ce que nous finançons, par exemple, les ententes conclues avec vos différents collaborateurs? Vous avez dit que vous aviez besoin de plus de financement.

Mme Battiste : Non, pas moi. Je pense que si le Canada s'engage à agir, le Sénat ne peut pas se contenter de transmettre la réponse en disant : « Voici ce qu'il faut financer, et en voici l'explication. » Je crois que des groupes peuvent être formés entre les différentes régions du Canada. Je ne crois pas qu'un modèle qui convient aux Métis ou aux Inuits sera adéquat pour les Premières nations. Vous devez rencontrer ces organismes ou groupes pour qu'ils vous disent le genre de structures qui peut les aider à trouver un modèle holistique d'éducation permanente qui remplacerait la structure fragmentée qu'ils ont utilisée jusqu'à maintenant.

Le sénateur Peterson : Dites-vous que nous devrions formuler des recommandations axées sur le programme scolaire et la structure de gouvernance et que nous pouvons le faire?

Mme Battiste : Tout d'abord, je dirais qu'il faut que l'ensemble des provinces et le gouvernement du Canada s'adressent aux Autochtones sur les questions entourant les droits issus de traités. Autrement dit, le savoir autochtone est un droit qui appartient aux Autochtones. Ils n'y ont pas renoncé, et cela fait partie de leur enseignement. On commence à se pencher sur ce genre de choses.

De plus, le Conseil des ministres de l'Éducation du Canada a accordé la priorité à l'éducation autochtone. Bien des provinces ont décidé d'en faire autant. Par exemple, la Saskatchewan a accompli un travail formidable, et les traités sont enseignés dans toutes les écoles de la province. Ce qui se passe là-bas en ce moment est prometteur, et ces pratiques pourraient être adoptées ailleurs.

À l'heure actuelle, je pense que les choses progressent. Les doyens des facultés d'éducation d'un océan à l'autre ont passé une entente sur l'éducation autochtone. Cela fait partie des occasions. Des mesures sont prises en certains endroits, et le dialogue peut commencer.

Les doyens des facultés d'éducation se demandent comment concrétiser cette entente dans leur collège. Bien entendu, au College of Education de l'Université de la Saskatchewan, nous avons accordé la priorité à l'éducation autochtone. Dans chaque cours, nous avons intégré en priorité un contenu et une perspective autochtones. De plus, nous voulons sensibiliser tous les membres du corps professoral du College of Education aux enjeux qui entourent l'éducation autochtone, notamment, l'histoire, les apprenants, l'éducation ou le savoir autochtone, ainsi que la façon d'intégrer le tout au programme d'enseignement.

Il faut mettre en place un savoir hiérarchisé comportant une multitude de couches. Au sein de l'Université et du collège, nous avons commencé à procéder systématiquement.

Ce travail aura des répercussions, car nous faisons appel aux gens des ministères et des collectivités des Premières nations, de même qu'aux programmes de formation des enseignants indiens partout dans la province.

Déjà bien des mesures ont été prises. Ce que j'essaie de dire, c'est qu'une loi universelle ne sera pas avantageuse. Il faut plutôt appuyer le bon travail qui se fait actuellement et commencer à envisager des façons d'adopter une formule systématique tenant compte de la diversité partout au pays. Nous devons admettre qu'au Canada, la diversité est la norme, et que toute uniformité posera problème en regard des différents groupes.

La démarche doit à la fois être systématique et tenir compte de la diversité. C'est possible d'y arriver. Le Canada lui- même est parvenu à adopter une telle démarche grâce à sa diversité. On devrait considérer le pays en soi comme un exemple de réussite relativement au respect de la diversité sur un grand territoire comme le nôtre.

Le sénateur Lovelace Nicholas : Je souhaite la bienvenue aux témoins. Je conviens qu'il faut toujours de l'argent lorsqu'il est question d'éducation et de logement des membres des Premières nations. Il n'y en a jamais suffisamment.

Croyez-vous que toutes les formes d'enseignement devraient être financées, même les programmes collégiaux d'un an? À l'heure actuelle, ils ne reçoivent pas de financement. Bien des étudiants d'aujourd'hui ne pensent pas à entreprendre des études universitaires. Ils ne veulent pas fréquenter l'université étant donné qu'ils ne pourront pas nécessairement obtenir un emploi par la suite. J'ai cru que nous pourrions en parler pendant que nous discutons des enjeux entourant les accords tripartites. Il existe des programmes collégiaux d'un an, dont la criminologie et les programmes des écoles de pilotage.

À l'heure actuelle, ceux qui veulent suivre un cours de criminologie doivent demander un prêt. Souvent, les membres des collectivités des Premières nations n'arrivent pas à en obtenir un parce qu'ils n'ont pas de cote de crédit. Ils ont du mal à avoir accès aux prêts étudiants. Croyez-vous que nous devrions en discuter?

Mme Battiste : Aujourd'hui, il a d'abord été question de l'interrelation entre l'économie et l'éducation. Les collectivités se sont aussi penchées sur la question dans le cas de l'éducation permanente. Que faut-il à la collectivité pour pouvoir mettre en place un système holistique, un système d'éducation permanente? Ce n'est pas tout; quels sont les besoins de la collectivité en matière d'environnement, de nourriture et de développement touristique? Comment pourrait-elle atteindre ses objectifs?

Lorsque les membres d'une collectivité ont la chance de réfléchir ensemble à leur évolution, ils peuvent décider s'ils ont besoin de former plus de policiers, ou bien si des gens devraient travailler dans le domaine de la sensibilisation environnementale, du tourisme ou ailleurs.

La collectivité peut alors décider de la marche à suivre en matière d'éducation permanente. Rien n'est laissé au hasard. Il ne suffit pas qu'une personne croie qu'aller à l'école est une idée formidable pour exploiter son talent particulier; les membres de la collectivité se demandent d'abord comment elle pourra s'y intégrer. Comment cette personne peut-elle faire partie de l'ensemble et contribuer à améliorer l'évolution de la collectivité?

Par la suite, nous intégrons ces types de formation au système; nous contribuons ainsi à l'économie, puisque nous aidons pratiquement les gens à se développer en fonction du système actuel, plutôt que de laisser les gens décrocher un diplôme qui ne leur permettra pas d'obtenir d'emploi. Les collectivités doivent pouvoir contrôler ces aspects et prendre des décisions à cet égard. Les lignes directrices de la circulaire E12 qui dictent la façon d'amasser et d'attribuer les fonds dans le cadre de l'éducation postsecondaire ne fonctionnent pas pour ces collectivités, puisqu'elles doivent trouver une façon holistique de répondre à leurs propres besoins. L'autre façon de faire entraîne bien des problèmes.

Le sénateur Lovelace Nicholas : Je suis d'accord avec vous. Toutefois, une collectivité comporte aussi son lot de problèmes, dont les familles monoparentales — des mères et des pères seuls. Ces gens reçoivent habituellement de l'aide sociale. Comment pourront-ils se rendre à l'école? Devront-ils faire de l'autostop jusqu'à l'école? Il faut aussi mettre en place des systèmes pour régler ce problème.

J'ai moi-même dû faire de l'autostop pour me rendre à l'université, et il y a encore des gens qui doivent le faire. Grâce à ces discussions, le financement nécessaire devrait être accordé. J'espère que les membres du conseil parleront de ce facteur important pour les Autochtones qui veulent poursuivre leurs études.

Le sénateur Raine : Vous avez raison de dire que la diversité caractérise notre pays. Beaucoup d'Autochtones vivent dans les centres urbains et ne profitent peut-être pas du lien dont ils ont besoin avec leur culture d'origine, mais il existe également beaucoup de collectivités isolées. Mme Carr-Stewart a mentionné que nous avons besoin d'équipes suffisamment grandes pour dispenser efficacement des services de second niveau. Toutefois, il ne faut pas oublier les collectivités isolées.

Avez-vous réfléchi à la façon de dispenser l'enseignement dans ces régions éloignées? Il existe de la formation en ligne, mais puisque bon nombre de ces régions n'ont pas accès à Internet haute vitesse, ce n'est pas une bonne solution. Cela nous ramène donc bien des années en arrière, à l'époque des pensionnats. Croyez-vous que des pensionnats dirigés par les Premières nations pourraient faire partie de la solution?

Mme Battiste : Toute école doit répondre aux besoins, aux aspirations et à la vision de l'avenir de la collectivité. Si, dans leur sagesse, les membres de la collectivité choisissent un pensionnat pour atteindre leurs objectifs, auquel ils pourront intégrer leur environnement culturel, leurs structures d'enseignement et ainsi de suite, il se peut que ce soit la solution idéale pour eux. Chaque collectivité peut prendre ce genre de décision.

La forme d'éducation choisie doit toujours répondre aux aspirations des collectivités et leur permettre d'atteindre leurs objectifs ultimes. La décision revient à la collectivité.

Le président : Mesdames Battiste et Carr-Stewart, je vous remercie au nom des sénateurs pour vos excellents exposés et vos réponses franches à leurs questions. Nous aimerions connaître toute solution qui pourrait vous venir à l'esprit, étant donné votre vaste expérience sur le sujet.

Madame Carr-Stewart, vous avez dit que les équipes devraient être plus grandes. À l'heure actuelle, nous essayons de renverser le processus de détribalisation. J'ignore si nous pourrions prévoir des mesures incitatives pour que les chefs et les conseils de bande envisagent la mise en place d'un système différent leur permettant de mieux éduquer les membres de leur collectivité.

Nous sommes allés en Saskatchewan, où nous avons pu observer le travail de Darcy Bear au sein de la Première nation Whitecap Dakota. C'est formidable. Si vous avez des suggestions, n'hésitez pas à communiquer avec notre greffière. Nous nous réjouirions de toute suggestion qui nous permettrait de présenter un rapport plus complet qu'aucun gouvernement, nous l'espérons, ne pourra ignorer.

Sur ce, je vous remercie. Notre prochaine réunion aura lieu demain soir. La séance est levée.

(La séance est levée.)


Haut de page