Délibérations du comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones
Fascicule 16 - Témoignages
OTTAWA, le mardi 14 décembre 2010
Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd'hui, à 9 h 50, pour étudier les responsabilités constitutionnelles, conventionnelles, politiques et juridiques du gouvernement fédéral à l'égard des Premières nations, des Inuits et des Métis et sur d'autres questions générales relatives aux peuples autochtones du Canada (Sujet : Questions concernant l'éducation des Premières nations).
[Traduction]
Marcy Zlotnick, greffière du comité : Honorables sénateurs, à titre de greffière de votre comité, j'ai le devoir de vous informer de l'absence inévitable du président et de la vice-présidente du comité ce matin. Par conséquent, je dois présider à l'élection d'un président suppléant. Je vous invite à présenter les candidatures à ce poste.
Le sénateur Raine : Je propose la candidature du sénateur Campbell.
Mme Zlotnick : Le sénateur Raine propose la candidature du sénateur Campbell. Y a-t-il d'autres candidatures? Puisqu'il n'y en a pas, il est proposé par le sénateur Raine que le sénateur Campbell préside la réunion du comité ce matin à titre de président par intérim.
Plaît-il aux honorables sénateurs d'adopter la motion?
Des voix : D'accord.
Mme Zlotnick : Adopté. Sénateur Campbell, je vous invite à occuper le fauteuil.
Le sénateur Larry W. Campbell (président suppléant) occupe le fauteuil.
Le président par intérim : Je souhaite la bienvenue à tous les honorables sénateurs et aux membres du public qui regardent la présente séance du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones sur la CPAC ou sur Internet.
Je m'appelle Larry Campbell. Je suis originaire de la Colombie-Britannique et je suis président intérimaire du comité.
Notre comité a pour mandat d'examiner les mesures législatives et les questions relatives aux peuples autochtones du Canada en général. Dans le cadre de ce mandat, nous avons entrepris une étude sur les stratégies possibles de réforme de l'enseignement primaire et secondaire dans les Premières nations en vue d'améliorer les résultats scolaires. L'étude porte notamment sur les ententes tripartites sur l'éducation, les structures de gouvernance et de prestation des services et les cadres législatifs possibles.
Ce matin, nous entendrons deux témoins. Le premier est Abraham Jolly, directeur général de la Commission scolaire crie du Québec. Cette commission scolaire a été créée en 1975 lorsque la Convention de la Baie James et du Nord québécois a été signée. Cette convention était la première entente relative à des revendications territoriales globales au Canada. Aux termes de cette convention, les Cris ont pris le contrôle de leur éducation, y compris en ce qui concerne la possibilité de choisir la langue d'enseignement, la conception des programmes d'études, l'embauche des enseignants et l'établissement de calendrier scolaire cri. Ce dernier permettait aux jeunes Cris de participer à des activités de chasse et de pêche traditionnelles, tout en continuant d'étudier.
Aujourd'hui, le conseil scolaire cri contrôle un budget important et fournit des services d'éducation à plus de 3 600 élèves et étudiants de l'enseignement primaire, secondaire et postsecondaire. Il offre des programmes d'éducation cris, plus particulièrement en économie, en géographie et en histoire, ainsi qu'une formation sur place aux enseignants cris.
En dépit de ces initiatives, le taux de décrochage demeure élevé. Ce que nous voudrions explorer, ce sont les raisons pour lesquelles le système ne semble pas donner de résultats d'apprentissage positifs pour la plupart des élèves et étudiants. Nous espérons que cette analyse donnera au comité matière à réflexion lorsqu'il présentera des propositions en vue d'une réforme.
Notre deuxième témoin est Angus Toulouse, des Chefs de l'Ontario. Créé en 1975, les Chefs de l'Ontario est un organisme de coordination qui regroupe 133 collectivités des Premières nations situées dans les limites de la province de l'Ontario.
En août 2005, Chefs de l'Ontario a publié un document global sur l'éducation intitulé The New Agenda : A Manifesto for First Nations Education in Ontario.
D'après le manifeste et les documents connexes, les Premières nations de l'Ontario cherchent à revenir à la pleine reconnaissance et au plein respect de la compétence de leurs administrations en matière d'éducation. L'éducation est reconnue comme étant un moyen de transmission fondamentale des normes culturelles et des valeurs et, donc, de continuation de leurs sociétés. Faire revivre les langues des Premières nations et les parler est considérer comme fondamental à la réalisation de cet objectif.
Ce qui préoccupe beaucoup les Premières nations de l'Ontario, c'est qu'actuellement, elles ne font qu'avoir des écoles et administrer les programmes, mais que le gouvernement fédéral continue d'exercer le contrôle ultime. Elles cherchent donc à obtenir des ressources suffisantes pour pouvoir bien gérer des systèmes éducatifs qui répondent aux doubles objectifs énoncés dans « Indian Control of Indian Education », qui est de préserver leur identité, tout en préparant leurs membres à vivre et à travailler dans un monde moderne.
Nous avons bien hâte d'entendre des témoignages qui seront sans doute éducatifs. Avant d'entendre nos témoins, permettez-moi de présenter les membres du comité qui sont présents ce matin.
À ma gauche, le sénateur Raine, de la Colombie-Britannique; à côté d'elle, le sénateur Dennis Patterson, du Nunavut. À ma droite, le sénateur Carolyn Stewart Olsen, du Nouveau-Brunswick, le sénateur Rose-May Poirier, du Nouveau-Brunswick, le sénateur Patrick Brazeau, du Québec, et le sénateur Jacques Demers, du Québec.
Abraham Jolly, directeur général, Commission scolaire crie (Québec) : Merci de me donner l'occasion d'être parmi vous et de vous parler d'éducation, dans notre région, dans le Eeyou Istchee cri.
Je m'appelle Abraham Jolly et je suis directeur général de la Commission scolaire crie et du Eeyou Istchee. Comme on l'a mentionné, la commission scolaire a été créée aux termes de l'article 16 de la Convention de la Baie James et du Nord québécois, en 1975. On considère souvent que cette convention est le premier traité des temps modernes.
La Commission scolaire crie est le premier système d'éducation canadien contrôlé par une Première nation. En raison de son statut particulier, des pouvoirs qui lui sont propres et des responsabilités que doit assumer la commission, celle-ci a besoin d'un financement spécial à l'appui de ses caractéristiques ainsi que de ses droits et obligations particuliers. L'article 16 de la convention comporte un certain nombre de garanties et confère au gouvernement fédéral et au gouvernement provincial des obligations en matière de financement. La commission scolaire a des obligations spéciales en matière de préservation et d'épanouissement culturel et linguistique, ainsi que la responsabilité fondamentale de former des ressources éducatives et humaines pour la future société crie.
La Commission scolaire crie a pour mandat d'offrir des programmes d'enseignement aux jeunes Cris de la maternelle jusqu'au secondaire V, selon le régime québécois, ainsi que d'aider les adultes cris à poursuivre des études postsecondaires, d'offrir une formation en éducation permanente et de l'enseignement professionnel. La mission de notre commission scolaire diffère de celle des autres commissions dans l'un de ces aspects : en vue d'offrir une bonne formation scolaire aux jeunes et aux adultes, notre commission a, en outre, pour mission de veiller à ce que les jeunes Cris parlent couramment le dialecte cri du Québec et soient bien intégrés dans leur culture et leur identité cries.
Aujourd'hui, la Commission scolaire crie traverse une période de changement efficace en vue d'améliorer nos écoles et notre système d'éducation. Au cours des deux dernières années, la commission scolaire s'est fixée de façon proactive des objectifs pour la réussite des élèves et étudiants et a évalué de façon objective l'écart stratégique qui existe entre ce que l'on vise pour nos élèves et étudiants et leur situation actuelle, tant pour ce qui est des jeunes que des adultes. Grâce à plusieurs évaluations indépendantes, nous avons pu déterminer que cet écart est suffisamment grand et important pour justifier une approche ciblée, déterminée et gérée professionnellement pour combler en grande partie cet écart dans les cinq prochaines années et au-delà.
La commission scolaire a engagé des experts de l'éducation des jeunes pour mettre en place, en partenariat avec la Commission scolaire crie, les éducateurs et leur direction, les initiatives et les résultats les mieux adaptés pour corriger les écarts cernés. La commission a également engagé des experts dans les domaines de la planification stratégique, du renforcement des capacités organisationnelles et de la gouvernance en vue d'établir l'orientation stratégique qui permettra à la direction de la commission de mettre en place, dans toute la commission, les initiatives et les objectifs nécessaires pour atteindre le résultat souhaité pour les élèves et étudiants.
En plus des initiatives et des produits et services livrables en matière d'éducation, la commission comprend très bien que sa propre organisation et sa démarche de gestion à l'interne n'a pas été conforme à son objectif souhaité, c'est-à-dire les élèves, les étudiants et l'éducation d'abord. Si rien ne change — tant au niveau des actes que des paroles —, l'initiative en matière d'éducation ne sera pas un succès.
C'est pour cette raison que la commission a accepté de s'organiser et d'agir dans le cadre de son rôle qui consiste à desservir d'abord et avant tout les élèves, les étudiants et leurs éducateurs, en comprenant très bien que les groupes éducatifs au sein de la commission agiront comme les défenseurs des élèves à ce titre. Ils demanderont un calendrier opérationnel, des produits et services livrables et des ressources.
Le plan stratégique est la manifestation écrite de ces objectifs et de ce qui sera fait à tous les niveaux de la commission afin d'atteindre de tels objectifs. Il a été conçu avec comme principal objectif global le succès des élèves et des étudiants. C'est le plan qui guidera toutes les priorités, le ressourcement et l'aménagement organisationnel de la commission, et c'est également le plan qui guidera individuellement et collectivement tous les actes, choix et comportements du personnel.
Pour conclure, je dirais que les premières années de la Commission scolaire crie ont été difficiles. Au cours de nos 30 années d'existence, nous nous sommes efforcés de nous établir afin de desservir notre peuple en matière d'éducation.
Depuis sa création en 1978, la commission a fait beaucoup de progrès. Elle contrôle maintenant un budget important et offre des services à plus de 4 000 élèves et étudiants au niveau primaire, secondaire, postsecondaire et adulte. Nous estimons avoir eu le courage d'évaluer de façon objective notre rendement antérieur plutôt que de le cacher, et nous sommes maintenant prêts à faire preuve de ce même courage et à mettre en place un plan stratégique qui se fonde sur les pratiques d'enseignement exemplaires et qui a été élaboré exclusivement pour nos groupes clients, les jeunes Cris et les jeunes adultes cris. Ce faisant, nous atteindrons notre objectif global qui est le succès des élèves et des étudiants sur les plans scolaire, social et économique, tout en gardant intacte l'identité crie.
Angus Toulouse, chef régional de l'Ontario, Chefs de l'Ontario :
[Note de la rédaction : M. Toulouse parle dans sa langue autochtone.]
Je me suis présenté sous mon nom spirituel et j'ai dit que j'étais membre du clan cri, de Sagamok Anishnawbek sur la côte nord du lac Huron. Je suis ici aujourd'hui pour parler au nom des Chefs de l'Ontario. Je vous remercie de l'occasion qui m'est donnée de venir vous parler aujourd'hui dans le cadre de votre étude sur l'éducation primaire et secondaire des Premières nations.
Permettez-moi tout d'abord de dire que le gouvernement fédéral continue d'avoir l'obligation de s'assurer que les Premières nations sont en mesure d'exercer leur compétence en matière d'éducation permanente, ce qui est un droit inhérent. Ce droit est affirmé par l'esprit et l'intention des traités qui ont été signés en échange du partage des territoires et des terres et qui est garanti également par l'article 35 de la Loi constitutionnelle du Canada de 1982.
En ce qui concerne la gouvernance et les structures d'exécution, les Premières nations en Ontario reçoivent des services de soutien à l'enseignement de diverses sources, principalement des conseils tribaux et des administrations scolaires communautaires. Les Premières nations affirment que des structures de soutien de second et de troisième niveau comparables à celles qui sont offertes par les conseils scolaires et les ministères dans la province sont nécessaires pour s'appuyer sur les succès obtenus en salle de classe. Cependant, le financement n'a jamais été ciblé pour appuyer et maintenir les structures de cette nature.
Cela ne veut pas dire que les Premières nations de l'Ontario n'ont pas examiné la façon d'améliorer le cadre de soutien. En fait, il y a des discussions permanentes avec les instances en matière d'éducation et ces discussions se poursuivent à mesure que l'on détermine quels sont les besoins des écoles des Premières nations et les cadres de gouvernance nécessaires à leur appui.
Étant donné que ce ne sont pas toutes les Premières nations de l'Ontario qui participent à ces discussions, cela veut dire pour nous qu'il y a encore du travail à effectuer afin de déterminer et de confirmer de façon générale quels devraient être les éléments d'un cadre de soutien à l'enseignement de second et de troisième niveau. Nous devons utiliser les progrès déjà accomplis par ces discussions pour créer un cadre global qui aide les gouvernements des Premières nations à déterminer comment et dans quel but ils choisiront de travailler ensemble pour atteindre leurs objectifs communs en matière d'éducation.
Le défi consiste à s'assurer que le cadre permet aux Premières nations d'avoir l'autonomie et la souplesse nécessaires pour atteindre leurs objectifs en matière d'éducation et d'avoir régulièrement accès à des services d'éducation de qualité. Cela pourrait sembler être une tâche relativement simple, mais je vous assure que c'est une tâche qui demande beaucoup de temps et d'effort.
En ce qui concerne les ententes d'éducation tripartites, les Chefs de l'Ontario s'entendent pour dire que la volonté politique fédérale et provinciale d'encourager les relations qui créeront un meilleur système pour l'éducation des Premières nations permet d'améliorer l'expérience et les résultats des Premières nations en matière d'éducation. Les Premières nations ont constaté qu'il y avait une collaboration tripartite positive en Ontario au niveau régional qui, bien qu'informelle, a été avantageuse pour toutes les parties. Nous croyons qu'il est important de continuer d'encourager ces occasions.
Les Chefs de l'Ontario participent à une collaboration tripartite avec Affaires indiennes et du Nord Canada, le ministère de l'Éducation de l'Ontario et le ministère des Affaires autochtones afin d'élaborer une stratégie qui met l'accent sur une aide à l'éducation pratique au niveau des Premières nations. Le groupe de travail en est aux premières étapes de l'élaboration des principaux objectifs qui permettront de combler les lacunes au niveau des services offerts et de réduire l'écart qui existe entre les étudiants des Premières nations et les autres élèves et étudiants ontariens en ce qui a trait au niveau de scolarité.
Nous avons par ailleurs participé à l'élaboration d'un guide des ressources en vertu de l'entente sur les frais de scolarité, un autre effort de collaboration entre le MAINC, le ministère de l'Éducation et l'Ontario Public School Boards' Association. Cela dit, nous ne sommes pas d'avis qu'un accord tripartite soit nécessaire pour faire ce dont ont le plus besoin les étudiants des Premières nations. Cependant, nous sommes convaincus qu'un système d'éducation avec un financement sûr, des rôles, des responsabilités et des relations bien déterminés permettra d'accroître, de financer et d'améliorer les collaborations tripartites. Cela laisse entendre qu'une action simultanée est nécessaire sur deux fronts.
Tout d'abord, nous reconnaissons le besoin d'avoir une structure qui définit clairement comment nous allons travailler ensemble et construire une nation pour les Premières nations en Ontario. Il faudra du temps et de la patience pour prendre des décisions de cette ampleur. Il est cependant encore plus important de permettre aux Premières nations de se concentrer sur ces décisions sans craindre constamment que leurs écoles seront obligées de continuer de fonctionner avec un régime de financement qui se dégrade.
Le deuxième élément a été la force motrice qui a encouragé nos efforts en 2010 et qui continuera de le faire en 2011 et chaque année par la suite tant que cette question n'aura pas été réglée par une bonne discussion et des mesures opportunes. Je veux parler de la question du sous-financement critique dans le domaine de l'éducation auquel les Premières nations partout au pays doivent faire face chaque année. Nous avons de la chance que le gouvernement actuel de l'Ontario soit prêt à nous épauler dans nos efforts en vue de réduire l'écart en ce qui a trait au niveau de scolarité et s'attaquer au problème du sous-financement des écoles des Premières nations.
Le système d'éducation en Ontario est reconnu comme étant un chef de file international dans le domaine de l'éducation. Il a de l'expérience et des compétences à partager avec nous qui aideront nos élèves et étudiants à maîtriser les connaissances qu'ils doivent avoir dans une économie fondée sur le savoir. Absolument, oui, grâce à notre collaboration, nous avons une occasion, un dialogue, une tribune et un processus qui nous assurera qu'il y aura ce genre de partage.
Peuvent-ils nous aider à déterminer quels sont les coûts réels d'un programme scolaire unique et extrêmement concurrentiel? Oui, ils peuvent faire cela également, ce qui fait qu'ils sont des partenaires extrêmement importants dans au moins deux domaines essentiels; cependant, cela ne veut pas dire qu'ils peuvent devenir un partenaire sur le plan des compétences.
Nous estimons qu'en présentant des excuses relatives aux pensionnats indiens, le gouvernement fédéral reconnaît que les peuples des Premières nations ne devraient plus jamais se retrouver dans une situation où un gouvernement externe qui n'a aucune compétence ni intérêt direct dans nos langues et notre culture serait responsable de l'éducation pour notre peuple. Nous avons la compétence en ce qui a trait aux langues et à la culture, et nous disons depuis longtemps que ce sont ces questions qui devraient définir principalement nos systèmes d'éducation.
En ce qui concerne les cadres législatifs possibles, nous devons réitérer que nous estimons que les défis actuels en matière de financement sont attribuables aux problèmes sous-jacents des dispositions inadéquates en matière d'éducation pour les Premières nations. Nous savons par ailleurs que nous ne sommes pas seuls à considérer cette question comme extrêmement importante. Le projet de loi C-599 a été déposé au Parlement il y a deux semaines par le Bloc québécois. Ce serait un bon point de départ pour une loi future car il exige l'élaboration et la mise en œuvre d'un plan de financement de l'éducation des Premières nations pour remplacer la formule désuète qui est utilisée actuellement. Une fois que l'on aura réglé ce problème de financement, cela réduira les pressions et le fardeau pour les Premières nations et cela offrira un meilleur soutien aux membres des Premières nations qui veulent avoir accès à un système d'enseignement avec des programmes et des services qui se fondent sur les langues, les valeurs, les traditions et les connaissances des Premières nations.
Les Chefs de l'Ontario se réjouissent de l'annonce récente selon laquelle l'APN et le MAINC ont accepté de travailler en collaboration en vue de créer un groupe d'experts pour examiner les options possibles, notamment les mesures législatives, afin d'améliorer les résultats de l'enseignement primaire et secondaire pour les enfants des Premières nations qui vivent dans des réserves. Malheureusement, la démarche fédérale actuelle lors de l'élaboration de mesures législatives, comme nous l'avons vu dans d'autres domaines où cela a été fait, ne reflète pas le principe d'un consentement préalable accordé librement et en pleine connaissance de cause qui est reconnu dans la déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones; et cela ne respecte pas non plus le devoir de la Couronne de consulter et d'accommoder les Premières nations.
Une mesure législative qui reflète la vision des Premières nations en matière d'éducation exigera de la coopération et de l'initiative de la part des gouvernements fédéral, provinciaux et des Premières nations. Ce processus doit respecter les normes internationales de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones tout en s'assurant que le système est élaboré en consultation et en collaboration avec les Premières nations et qu'il respecte les compétences des Premières nations en matière d'éducation.
Les Chefs de l'Ontario se réjouissent du fait que le gouvernement ait récemment appuyé la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Les principes et les articles de cette déclaration établissent les paramètres pour le plein engagement et le règlement mutuellement acceptable de nombreux problèmes de longue date en matière d'éducation des Premières nations. Plus particulièrement, l'article 19 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones stipule ce qui suit :
Les États se concertent et coopèrent de bonne foi avec les peuples autochtones intéressés — par l'intermédiaire de leurs propres institutions représentatives — avant d'adopter et d'appliquer des mesures législatives ou administratives susceptibles de concerner les peuples autochtones, afin d'obtenir leur consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause.
Cette démarche est conforme à la relation originale décrite dans les traités entre les Premières nations et la Couronne.
Pour conclure, je voudrais revenir à la question générale du financement. Les questions de financement portent sur les montants des fonds disponibles et la façon dont les fonds sont alloués. Le problème principal demeure la limite de financement de 2 p. 100 selon laquelle le financement pour l'éducation des Premières nations ne peut augmenter que de 2 p. 100 chaque année. Cette limite de 2 p. 100 existe depuis 1996 malgré la croissance démographique et inflationniste importante que nous avons connue au cours des 15 dernières années. Les répercussions de ce plafonnement se font ressentir partout, que ce soit dans les installations d'enseignement désuètes, dans le fonctionnement quotidien des salles de classe, dans le manque des ressources disponibles pour développer et maintenir pleinement les structures des Premières nations qui offrent un soutien de deuxième et de troisième niveau à l'éducation.
Nous devons remplacer un système désuet d'écoles isolées qui manquent de ressources par une approche systémique qui assure un soutien et une capacité, notamment la capacité de planifier et de gérer de façon efficace ce service essentiel — le droit fondamental de nos enfants à une bonne éducation. La voie de l'avenir doit mettre l'accent sur nos étudiants, respecter nos droits et confirmer un système d'éducation des Premières nations.
Ce système doit tout d'abord se fonder sur le contrôle des Premières nations afin de ne jamais répéter les erreurs du passé et inclure plutôt tous les parents, toutes les familles et toutes les collectivités pour appuyer le succès de leurs apprenants. Nous pouvons ensuite établir de liens comme il convient avec les systèmes provinciaux et les établissements d'enseignement postsecondaires grâce à des partenariats et qui s'assureront que nous étudiants pourront avoir du succès peu importe où ils choisiront de faire leurs études.
La mise en place d'un tel système est un défi pour notre peuple qui doit s'unir pour construire une nation afin de s'assurer d'avoir les meilleurs services d'éducation possibles pour nos étudiants. Il faudra déployer un effort fondamental dans la façon dont le financement est transféré. Le caractère arbitraire et les iniquités du système actuel doivent être remplacés par une entente de financement stable qui se fonde sur les inducteurs de coûts réels, garantissant à nos enfants qu'ils auront l'occasion d'apprendre dans un environnement sûr et approprié sur le plan culturel. Nous comprenons que les conditions économiques actuelles créent un environnement concurrentiel pour de nombreux secteurs qui ont besoin d'investissements, mais nous faisons valoir qu'il s'agit ici d'un impératif économique qui est dans l'intérêt mutuel.
Il faut garantir aux apprenants des Premières nations des règles du jeu équitables et il faut leur donner des chances égales de succès et de participation dans l'économie locale, provinciale et nationale. Après tout, l'éducation vise à créer des débouchés — de débouchés justes et équitables. Meegwetch.
Le sénateur Raine : Merci d'être ici. Ce que vous avez à dire nous intéresse.
Monsieur Jolly, pouvez-vous expliquer le niveau de financement dans le cadre de votre entente? Je crois comprendre qu'il est différent car votre traité comporte du financement qui provient à la fois du gouvernement fédéral et provincial. Pourriez-vous préciser au comité combien la Commission scolaire crie obtient du gouvernement provincial et du gouvernement fédéral en financement? Vous pouvez nous donner un pourcentage.
M. Jolly : Le gouvernement fédéral fournit 75 p. 100 du financement, et le gouvernement provincial en fournit 25 p. 100.
Le sénateur Raine : Ce financement cible-t-il certaines catégories? Comment établissez-vous votre budget et comment est-ce que cela fonctionne avec du financement qui provient de deux parties différentes?
M. Jolly : Je devrais vous expliquer que les négociations les plus récentes avec le ministère ont eu lieu en 2009, et ce, en présence de représentants du gouvernement fédéral.
Nous avons une position légale pour négocier notre propre financement avec la commission scolaire. Cela inclut des négociations avec des représentants provinciaux et fédéraux également. Nous pouvons négocier selon ce que nous appelons les règles de financement que nous avons établies entre les parties. Le financement est habituellement accordé à la suite de la négociation d'un accord, pour une période cinq ans.
Le sénateur Raine : Le MAINC et d'autres autorités scolaires des Premières nations nous ont souvent dit que le financement avait été plafonné à 2 p. 100. Nous savons que le plafond n'est pas en fait 2 p. 100 car il y a un financement de base dans différents domaines; nous ne comparons pas toujours des pommes avec des pommes. Dans votre cas, le financement a-t-il été plafonné par le MAINC, ou est-ce qu'il a pu augmenter en fonction de vos besoins?
M. Jolly : Nous avons eu la chance d'être un peu plus à l'avant-scène avec les représentants provinciaux. La Commission scolaire crie a, par le passé, négocié avec le ministère de l'Éducation. C'est le lien que nous avons en tant que commission scolaire et c'est l'un de nos privilèges. Ainsi, la plupart de nos négociations et de nos communications se font avec le gouvernement provincial.
Récemment, des représentants fédéraux participaient au processus, puisqu'il a été convenu que les trois parties seraient à la table de négociation pour le financement. Voilà la situation en ce qui nous concerne. Comme je l'ai dit, le lien se fait plutôt avec le ministère de l'Éducation de la province en ce qui concerne les règles de financement, entre autres.
Le sénateur Raine : Il semblerait que le financement ne soit pas le principal problème de la Commission scolaire crie. En fait, l'examen que vous avez entrepris vise à déterminer pourquoi les étudiants n'ont pas le succès que vous visez.
M. Jolly : C'est exact.
Le sénateur Raine : J'aimerais savoir jusqu'à quel point il est important que les parents participent, qu'ils accordent une valeur à l'éducation. Jusqu'à quel point cela est important pour le succès scolaire?
M. Jolly : Il est extrêmement important de tenter d'avoir l'engagement de la famille sur le plan scolaire. Dans le cadre du plan d'action stratégique, ce sera pour nous l'occasion d'examiner de plus près ce que nous pouvons faire pour que nos étudiants et nos familles considèrent l'éducation comme étant quelque chose d'important dans nos collectivités, dans nos foyers et dans nos régions.
Cela a été un défi en général. Lorsqu'il est question d'éducation au pays, pour une raison ou une autre il semble difficile d'obtenir un engagement à cet égard. Il y a peut-être différentes raisons pour cela. Ce sont là les défis que nous devons relever à l'heure actuelle également.
Je vois les choses de la façon suivante. Il y a des gens qui ont un sentiment de rejet, de résistance ou de réticence à l'égard de l'éducation, mais il y en a aussi qui reçoivent de l'éducation et qui travaillent grâce aux avantages qui en découlent. Dans le contexte des Premières nations, les gens se retrouvent dans différentes catégories en ce qui concerne l'éducation. Cependant, la question la plus importante pour nous est de déterminer comment, en tant que peuple cri, nous pouvons travailler à l'interne en vue de mettre en place un système qui peut fonctionner pour notre peuple. Cela doit venir de nous et nous devons l'encourager.
J'aimerais qu'à un moment donné notre peuple cri puisse dire voici le système d'éducation que nous voulons pour notre peuple. Nous en sommes aux toutes premières étapes pour tenter de déterminer cela grâce à notre processus de changement, à une planification stratégique, et cetera.
Le sénateur Brazeau : Au nom du comité, je m'excuse pour le fuseau horaire « indien » ce matin. Ce n'est pas quelque chose que je préconise, mais c'est tout simplement la façon dont les choses fonctionnent parfois.
Ma première question s'adresse à M. Jolly. J'ai de nombreux amis qui travaillent pour la Commission scolaire crie, de sorte que je sais comment elle fonctionne. N'est-il pas vrai qu'en plus de recevoir des fonds pour l'éducation des gouvernements fédéral et provincial, la Commission scolaire crie reçoit un supplément des collectivités cries pour les étudiants? En d'autres termes, est-ce que les collectivités cries dans le Nord du Québec financent également en quelque sorte la Commission scolaire crie en lui accordant des montants supplémentaires en plus de ce qu'elle reçoit des gouvernements fédéral et provincial?
M Jolly : Je ne dirais pas que c'est un supplément. Nous avons également ce qu'ils appellent les Nouveaux sentiers, qui vient et qui s'adresse plutôt aux écoles. Cependant, je ne peux pas dire qu'il y a un supplément, outre peut-être que certaines initiatives qui ont été prises dans le cadre de l'une des ententes que nous avons, l'entente Paix des Braves.
L'objectif est d'avoir 150 Cris qui travaillent pour Hydro-Québec, et nous recevons des fonds à cet effet. Nous travaillons en collaboration avec la Société Niskamoon pour tenter d'atteindre cet objectif. Nous recevons certains fonds pour l'administration des services offerts à ces étudiants.
Ce sont là les seuls programmes que je connais. Il n'y a pas de supplément qui provient des collectivités cries, cela est certain.
Le sénateur Brazeau : Je voulais parler de la Paix des Braves. J'aurais dû le préciser. Merci d'avoir apporté cet éclaircissement.
Notre comité a beaucoup entendu parler de l'importance d'inclure les langues et la culture autochtones dans tout programme scolaire destiné aux élèves autochtones. Quel niveau d'engagement ou de collaboration avez-vous avec la province de Québec? D'une part, il est important d'inclure la tradition, la langue et la culture dans le programme scolaire si cela est possible, mais d'autre part, il est important que les élèves autochtones reçoivent également l'enseignement de base qui est offert par le système provincial de façon à respecter les normes et les niveaux minimums d'éducation. Quel type de partenariat ou de collaboration avez-vous avec le gouvernement provincial pour l'élaboration des programmes scolaires de la maternelle à la douzième année?
M. Jolly : Tout d'abord, en présence du Sénat, je voudrais signaler que deux de nos grands dirigeants au sein de la Nation crie sont décédés cette année. Comme vous le savez, notre grand chef, Billy Diamond, et aussi l'ancien chef à Mistissini, Smally Petawabano, sont tous deux décédés. Ils avaient tous deux signé la Convention de la Baie James. En présence du Sénat, je tiens à reconnaître ces deux grands dirigeants. C'est certainement grâce à eux que nous avons aujourd'hui la Convention de la Baie James, particulièrement l'article 16 concernant l'éducation des Cris. Billy Diamond a vraiment défendu les intérêts des Cris en matière d'éducation lors des négociations à l'époque.
En ce qui concerne la collaboration avec le ministère, depuis les quatre ou cinq dernières années que je suis le directeur général, nous avons tenté de créer le plus possible de liens avec les gens qui travaillent avec nous. Cela a certainement été favorable de la part du ministère également. Il est encourageant de savoir qu'en 2007, le gouvernement provincial a lui aussi pris l'initiative, grâce à un comité d'éducation, d'en apprendre davantage au sujet de la situation des Autochtones au Québec. Ils ont produit un rapport également qui a été publié je crois en 2007. Pour ce qui est de comprendre davantage la situation en ce qui concerne l'éducation des Autochtones, notamment la situation des Cris dans notre région, je pense que la province comprend mieux la situation en ce qui a trait à l'éducation des Autochtones dans notre région.
Pour ces raisons, il semble y avoir un plus grand effort de collaboration pour travailler ensemble. Par ailleurs, en ce qui concerne la langue crie, le Québec est la meilleure province où l'on puisse se trouver à l'heure actuelle étant donné la position de cette province en matière linguistique. Cette province comprend bien l'importance pour nous de maintenir également notre langue crie.
Le sénateur Brazeau : Chef Toulouse, vous avez parlé des iniquités au niveau du financement et du plafond de 2 p. 100, et c'est quelque chose dont on entend parler souvent, évidemment.
Vous avez mentionné le projet de loi du Bloc en ce qui concerne les questions de financement, et vous avez parlé de la formule de financement qui est en place en ce qui a trait aux iniquités.
Je suppose que lorsque vous parlez de cette question, vous devez avoir des données qui montrent clairement que les écoles des Premières nations reçoivent peut-être un financement inférieur à celui que reçoivent les écoles provinciales avoisinantes. Avez-vous ces données sous la main?
Deuxièmement, que pensez-vous de la formule de financement qui est actuellement en place pour les écoles des Premières nations?
M. Toulouse : Permettez-moi de revenir en arrière. En 1988, lorsque le gouvernement fédéral a proposé cette formule, j'étais administrateur de bande. Le calcul se faisait manuellement à l'époque, donc on pouvait voir, en utilisant cette formule, car il fallait faire le calcul manuellement, combien on pouvait obtenir par enfant. En même temps, nous avions une entente sur les frais de scolarité. J'étais conseiller scolaire de la Commission scolaire d'Espanola.
J'ai vu également comment le gouvernement fédéral finançait les Premières nations et le conseil scolaire. Il n'y avait aucune formule. Le conseil scolaire envoyait une facture à la collectivité des Premières nations. Cette dernière envoyait une réquisition à Affaires indiennes et du Nord Canada indiquant le montant des frais à payer. Le gouvernement fédéral envoyait l'argent et la collectivité payait la facture.
Lorsque notre Première nation a commencé à diriger ses propres écoles, nous avons vu qu'il y avait un écart. Le conseil scolaire calculait selon des facteurs spéciaux que les frais augmenteraient de 500 à 1 000 $ par enfant. Après avoir examiné la situation, nous avons constaté qu'il y avait un énorme écart et que le conseil scolaire demandait de 2 000 à 3 000 $ de trop par enfant. Nous avons dû établir une comptabilité et faire faire une vérification pour que le conseil scolaire corrige le problème.
Ce dont je parle, c'est de la relation systémique qui existait entre le conseil scolaire et le gouvernement. Nous avons établi combien il en coûterait pour l'éducation de nos élèves et étudiants, c'est-à-dire pour l'enseignement, l'enseignement spécial, les services spéciaux, l'orthophonie, et cetera. Nous n'avons pas réussi à obtenir gain de cause auprès du gouvernement. Ce dernier refusait de financer certaines de ces initiatives, alors que si le système scolaire provincial les avait inclus dans ses factures, ces services auraient été défrayés.
À titre d'ancien administrateur et de chef, j'ai toujours constaté qu'il y avait ce manque d'uniformité, et qu'on ne faisait aucun progrès à cet égard. Même si nous avons produit les données dont vous avez parlé, sénateur, ces données ont été fournies à plusieurs reprises au gouvernement fédéral pour prouver qu'il y avait iniquité. Il s'agit de sommes importantes.
Le sénateur Brazeau : Vous avez sans doute entendu dire que le ministre annoncera la création d'un groupe d'experts composé de trois membres, qui sera chargé d'examiner la question de l'enseignement, de la maternelle jusqu'à la 12e année. Qu'en pensez-vous? Espérez-vous que cela sera au moins un point de départ pour résoudre ce problème? Nous convenons tous — même si nous ne sommes pas tous d'accord sur les moyens — que l'éducation est une priorité pour les élèves et étudiants autochtones.
M. Toulouse : Comme bon nombre de dirigeants des Premières nations, ma réaction initiale a été que bon, on ferait une autre étude. Le sujet a été suffisamment étudié, passons plutôt aux recommandations issues de ces études. Voilà quelle a été ma réaction initiale. Ensuite, je me suis dit que cela pourrait être utile si l'étude n'était pas trop prolongée et que l'on pouvait produire un rapport et des recommandations en moins de six mois. Je ne crois pas qu'il s'agira d'une autre étude interminable qui accumulera la poussière sur une tablette en espérant qu'un jour quelqu'un financera l'application de ces recommandations.
On m'a assuré que cette étude sera présentée relativement bientôt au ministre des Affaires indiennes et au chef national et qu'elle comprendra des recommandations claires sur ce qui doit être fait. Je suis prêt à être optimiste. En outre, nous avons des gens comme M. Jolly, qui a travaillé dans le domaine de l'éducation, qui sont prêts à se réunir et à travailler rapidement. Nous avons aussi nos propres experts, en Ontario, et de nombreuses organisations prêtes à relever leurs manches.
Nous parlons d'un exemple dans la perspective crie que vous venez d'entendre. En Ontario, nous avons aussi des grandes nations, dont les Anishnawbek, les Muskego, les Lenape et les Haudenosaunee. Évidement, bon nombre de collectivités des Premières nations appartiennent à ces grandes nations.
Il faut en outre examiner l'histoire, la pertinence culturelle et l'éducation dans la perspective de nos nations. Il n'y aura pas de solution qui puisse convenir à tous puisque certaines de ces nations ont d'énormes problèmes. Les Lenape devront investir dans toutes sortes de ressources linguistiques. Les Anishinaabemowin et les Haudenosaunee sont des nations qui voudront se développer et évoluer du point de vue linguistique compte tenu de leurs points communs.
Il est nécessaire que nos Premières nations travaillent de concert dans un contexte culturellement adapté. Cela est dû au fait que nous avons vécu sous le joug de la politique de la Loi sur les Indiens, qui fait en sorte que chaque Première nation a ses propres chefs et ses propres conseils qui ont toujours existé. Les citoyens de nos collectivités souhaitent actuellement reconstruire et revitaliser nos nations.
Par exemple, j'appartiens au groupe des Sagamok Anishnawbek. Je fais partie de cette collectivité, mais j'appartiens aussi à une nation plus large, la nation anishnawbek, qui compte de nombreuses collectivités. Nous n'avons pas vraiment disposé par le passé des capacités et des ressources nécessaires pour travailler de concert à notre développement et notre évolution.
C'est ce que veulent nos citoyens. Il y a aussi le manifeste, qui appuie la revitalisation de notre peuple, ce qui inclut la langue, l'éducation et tout ce qui a trait à l'autonomie gouvernementale.
Le sénateur Poirier : Merci d'être venus nous rencontrer. Ma question s'adresse à M. Jolly. Dans vos remarques préliminaires, vous avez déclaré que votre commission scolaire a étudié, au cours des deux dernières années, le fossé qui existe en ce qui a trait à l'éducation des jeunes. Cette étude est-elle encore en cours ou est-elle achevée?
M. Jolly : Le rapport du CAFSI a été achevé en 2008. Il est affiché sur le site web de la commission scolaire. Il s'agissait d'une étude globale.
Nous avons engagé deux experts qui nous avaient été recommandés par le ministère provincial. Ils ont travaillé avec deux personnes de la nation crie. Nous avons cherché des gens qui seraient capables d'adopter une approche critique tout en demeurant ouvertes d'esprit, honnêtes et objectives.
Nous avons visité les neuf collectivités. Nous avons interviewé plus de 900 personnes dans les neuf collectivités, y compris des dirigeants, des comités scolaires, des enseignants, et cetera. C'était une étude très étendue. Après avoir obtenu les recommandations, nous avons décidé de mettre au point un plan d'action stratégique, qui s'applique sur une période de cinq ans.
Le sénateur Poirier : Ce plan s'applique sur cinq ans. Vous en êtes donc à sa deuxième année?
M. Jolly : En fait, la planification découlant des recommandations représentait en soi un travail. Il nous a fallu quelques années pour cela; en outre, nous avons dû entre-temps négocier notre financement avec le ministère. Nous sommes maintenant dans une période de transition vers l'application de ce plan.
Le sénateur Poirier : Pourriez-vous nous faire part de certaines des principales recommandations ou des principaux facteurs de cette étude qui, d'après vous, contribueront à combler l'écart?
M. Jolly : Dans certains domaines, ces facteurs sont liés à l'éducation et à notre prestation des services d'éducation. On a aussi mis l'accent sur la capacité de chacun des éléments de l'organisation, des départements et des services, et même des écoles elles-mêmes, entre autres. La capacité posait un gros problème. Le renforcement de la capacité fait partie des mesures qui sont prévues.
L'un des éléments qui est lié de plus près à l'éducation est l'alphabétisation dans nos écoles, parce qu'en 1988, il a été décidé que la langue crie serait la langue d'enseignement dans nos écoles jusqu'à la troisième année. Nous avons appris que, durant une longue période, il n'y a pas vraiment eu d'évaluation des résultats que l'on obtenait dans la langue d'enseignement.
Le rapport de la CAFSI a entraîné une autre étude qui portait davantage sur la langue. Nous avons appris que lorsque nos élèves arrivent à l'école, ils n'ont pas vraiment de langue maternelle. Ils parlent un mélange d'anglais et de cri, et ils n'ont donc pas de base linguistique solide.
Cela fait partie des choses qui nous ont été révélées. Il nous est apparu essentiel de mettre en place un système qui donne de bons résultats dès le début de l'apprentissage. Entre autres, nous avons créé dans notre système scolaire ce que nous appelons un programme de cours viable garanti. Cela ne s'applique pas seulement aux premières années d'école, mais plutôt du jardin d'enfance jusqu'au secondaire V. Ce que nous voulons, c'est enseigner davantage de connaissances de base et d'élaborer un programme d'études qui sera viable dans notre système.
C'est l'approche que nous avons adoptée. Nous avons repris des stratégies qui se sont révélées fructueuses ailleurs, y compris aux États-Unis, où l'on a réussi à mettre de telles mesures en place. Nous travaillons avec des experts et les mesures que nous mettons en place se fondent sur des recherches.
Le sénateur Poirier : Votre commission scolaire existe depuis environ 30 ans. À votre connaissance et à votre avis, durant cette période de 30 ans, l'écart s'est-il constamment creusé?
M. Jolly : Certains diront peut-être que notre système d'éducation était meilleur avant qu'on établisse une langue d'enseignement et qu'on commence à l'appliquer rigoureusement. Depuis la mise en place de la langue d'enseignement, les choses ont empiré.
À l'heure actuelle, nous essayons de nous positionner solidement pour améliorer notre système d'éducation. Il nous faut pour cela adopter une approche dynamique.
Nous ne croyons pas que ces améliorations viendront de l'extérieur, même si nous avons recours au besoin à des ressources de l'extérieur. Si nous voulons améliorer notre système, il faut que cela vienne de l'intérieur. Nous avons entrepris ce travail au cours des dernières années, et nous sommes en voie d'avoir un système d'éducation cri qui fonctionne.
Il ne faut pas oublier que, d'une façon générale, l'éducation est un véritable défi compte tenu de l'évolution de nos jours. Quand on pense à la haute technologie et au cyberespace, je me demande souvent comment les jeunes peuvent s'y retrouver de nos jours. Sont-ils captivés par ce que nous leur enseignons dans nos écoles? Nous devons aussi nous débattre avec de telles questions dans notre société.
Ce n'est pas facile, mais nous devons néanmoins continuer d'enseigner dans nos écoles les connaissances de base. C'est ce que nous essayons de mettre en place.
Le sénateur Poirier : En 2004, la vérificatrice générale a déclaré qu'il faudrait probablement 28 ans pour combler cet écart. Estimez-vous qu'il soit possible de le combler en moins de temps?
M. Jolly : Notre objectif est de porter notre taux de diplomation à environ 25 p. 100 dans les cinq prochaines années, ce qui est une estimation assez prudente. Nous espérons pouvoir l'augmenter encore les cinq années suivantes. Comme je l'ai dit, nous devons d'abord établir fermement ce que nous voulons faire.
Je veux bien être optimiste et penser que, pour notre part du moins, nous pouvons faire des efforts vigoureux pour combler cet écart. Nous avons toutefois besoin d'un partenariat avec les programmes nationaux et provinciaux et nous devons avoir la collaboration de ces ordres de gouvernement dans ce partenariat.
Je m'interroge toutefois sur ce que nous pouvons faire, dans notre région, pour réduire cet écart. Et ce qui est plus encore plus important, comment savoir si notre système d'éducation produira les effets escomptés pour nos enfants dans l'avenir? De ce point de vue, nous voulons ardemment atteindre ce but.
Le sénateur Stewart Olsen : J'ai constaté une réelle différence entre l'éducation en milieu rural et en milieu urbain. Pour que notre rapport soit vraiment pertinent, nous devons absolument aborder ces deux réalités.
À mon avis, la tâche est beaucoup plus ardue en milieu rural. Comment devrions-nous procéder pour que notre rapport s'attaque aux problèmes qui existent en zone rurale. La tâche semble moins difficile dans les régions urbaines. Les Autochtones vivant dans des réserves urbaines et des zones urbaines ont accès à plus de ressources. Je ne veux pas dire des réserves qui seraient situées dans des villes, mais des réserves à proximité de grands centres dotés d'universités, de collèges communautaires, mécanismes de soutien et d'appui qui ne sont pas à la portée des Cris du Nord de l'Ontario.
M. Jolly : Vous parlez d'une zone rurale?
Le sénateur Stewart Olsen : Oui.
M. Jolly : Notre commission scolaire dessert neuf localités dans des régions différentes de la baie James. Cinq d'entre elles se trouvent sur les côtes de la baie James, tandis que l'une est plus près de la baie d'Hudson. Quatre villages sont situés plus à l'intérieur des terres et quelques-uns se trouvent près de petites localités. Elles sont un peu plus accessibles.
Aucune des localités que nous desservons n'est accessible par des autoroutes, à l'exception de Whapmagoostui, dans la région de la baie d'Hudson. Nous avons hâte aussi d'accueillir le réseau des communications Eeyou qui arrivera sous peu dans la région. Cela nous permettra d'exploiter au mieux les services de télécommunications et de vidéoconférences, et peut-être de nous relier à des maisons d'enseignement de l'extérieur pour offrir de l'éducation à nos collectivités.
Notre siège social se trouve dans une des localités cries au sud de Misstissini, au Québec. Sur le plan régional, nous devons être en mesure de nous rendre dans nos écoles pour constater la situation.
J'ai évoqué les étapes de l'élaboration d'un plan. Nous prévoyons visiter nos localités de janvier à la fin mars. Nous présenterons dans toutes ces collectivités un exposé sur les orientations que la commission entend suivre. Nous nous servirons aussi de ce qui était dans le rapport de la CAFSI, notamment ses recommandations, pour tracer notre plan. Il faut réellement rejoindre nos écoles. Le Conseil des commissaires regroupe neuf représentants élus des localités desservies qui siègent au conseil d'administration. Il y a le président du Conseil d'administration de l'éducation crie. Cet organisme englobe tous les services dont les ressources humaines, les finances, les TI, les services pédagogiques, l'éducation des adultes et les programmes postsecondaires. Un directeur général voit au bon fonctionnement de tous ces services. Nous leur demandons de se pencher sur l'enseignement en salles de classe pour déterminer si nos services aident nos élèves à réussir.
M. Toulouse : En Ontario, 30 des 133 collectivités des Premières nations se trouvent en régions éloignées. Sans même avoir visité ces localités, je peux vous dire que les installations sont en piètre état.
Je peux vous donner l'exemple de Pikangikum, dans le Nord de l'Ontario, qui connaît une très forte croissance démographique. On peut y enregistrer pas moins de 100 naissances par année, ce qui pose un important défi à la collectivité. Il n'y a qu'une salle de classe pour la maternelle, mais s'il y a 100 élèves qui arrivent à l'âge de la maternelle, il en faudra deux ou trois fois plus. Pour pallier cette lacune, on a instauré des horaires variables. Au lieu de commencer vers 8 h 30, l'école doit commencer à 7 heures pour permettre à un autre groupe d'élèves d'utiliser les locaux de l'école pendant l'après-midi. À cause de cela, beaucoup d'enfants sont négligés par le système.
L'écart est-il en train de se rétrécir? Non, je pense au contraire qu'il s'élargit à cause de telles situations. Il y a un lien reconnu entre les locaux et la stabilité du personnel enseignant, si bien qu'il y a souvent une pénurie de professeurs. Il faut reconnaître qu'il y a un fort taux de roulement. On comprend de plus en plus que l'enseignement doit être offert par des gens de la localité. Pour cela, les personnes intéressées par l'enseignement doivent suivre la formation nécessaire et obtenir les titres de compétences voulus, ce qu'ils sont en train de faire, mais ce n'est pas possible du jour au lendemain. On avance dans ce sens en encourageant des gens des collectivités mêmes qui ont intérêt à assurer le maintien en poste d'un minimum de personnel enseignant.
Il faut avoir des plans pour pouvoir évaluer la réduction de cet écart qui remonte à 28 ans, mais si nous n'avons pas les installations essentielles, cela ne donnera aucun résultat. Je ne suis pas originaire d'une localité éloignée mais je me rappelle que la construction de notre nouvelle école n'est toujours pas terminée même si elle a commencé en 1985 et qu'on nous avait promis de la terminer. Nous n'avons toujours pas de gymnase et nos locaux administratifs sont exigus. Nous n'avons aucun laboratoire de sciences ou d'informatique. Les ressources les plus élémentaires qu'on trouve dans toutes les autres écoles font défaut, parce que nous manquons de fonds. Les locaux sont importants pour établir un climat d'apprentissage. Vous savez sans doute que la Première nation Attawapiskat attend ses locaux depuis très longtemps.
Beaucoup de collectivités doivent se doter de locaux adéquats, de l'infrastructure de base. Par ailleurs, beaucoup de nos localités n'ont toujours pas Internet à haute vitesse. Les services n'y sont pas offerts. Ces éléments d'infrastructure essentiels jouent un rôle important dans la qualité de l'éducation.
Le sénateur Stewart Olsen : Je comprends le sens de vos propos. On ferait de vrais progrès si les élèves pouvaient suivre des cours par téléconférence et avoir accès à des laboratoires d'informatique reliés à Internet à large bande.
Le programme scolaire devrait-t-il être le même en régions isolées ou en milieux urbains? Devrait-il être légèrement différent? Tous ne voudront pas faire des études universitaires, mais beaucoup aimeraient bien fréquenter un collège communautaire après le secondaire. Un programme unique répond-il aux besoins de tous?
M. Jolly : Ce sont probablement les améliorations que nous aimerions voir dans notre système d'éducation.
Le défi est d'essayer d'enseigner deux langues dans notre système scolaire et d'essayer de les traiter toutes les deux comme des langues premières. Notre approche s'appuie sur les renseignements du rapport de la CAFSI. Ce rapport indique que si un enfant ne lit pas dès la troisième année, il est peu probable qu'il finisse son secondaire. De surcroît, s'il n'apprend pas à lire avant la troisième année, il risque d'avoir beaucoup de difficultés au niveau suivant. Il faut bien enseigner la lecture dès le départ, faute de quoi nos enfants risquent d'échouer. Voilà ce sur quoi nous concentrons nos efforts pour améliorer les résultats scolaires.
Par ailleurs, nous accordons de plus en plus d'importance à l'évaluation de la progression de l'apprentissage des enfants. Nous devrions être en mesure d'évaluer le rendement de l'élève, même en deuxième année. C'est tout aussi important pour les élèves de quatrième ou de sixième années. Nous songeons à donner l'enseignement dans la langue seconde au début du parcours scolaire. Cependant, il faut s'assurer qu'au niveau de la sixième année, l'enseignement se donne dans la langue première. L'élève passe ensuite à la première et à la deuxième années du cours secondaire, qui correspondent à la septième et à la huitième années ailleurs. Nous tâchons alors de les préparer aux examens de diplomation dispensés par le ministère de l'Éducation. Nous voulons affirmer haut et fort que nos jeunes devraient atteindre le niveau de scolarisation qu'ils souhaitent, comme les élèves de n'importe quelle autre école.
Nous devons aussi songer à élaborer la partie crie de notre programme scolaire. Nous avons amorcé une réforme dans ce domaine. Les élèves doivent connaître la langue crie, l'histoire ou l'héritage cris et également assumer leur identité de Cris lorsqu'ils quitteront ce système.
Voilà les éléments de notre réflexion. Encore une fois, ce sont nos gens qui doivent assumer l'initiative et le suivi de ces mesures; nous devrons aussi nous responsabiliser vis-à-vis de l'éducation de nos enfants pour veiller à ce qu'ils évoluent bien dans ce système. En définitive, nous voulons les munir des outils nécessaires pour trouver du travail. Nous voudrons qu'ils puissent être admis dans des collèges et des universités lorsqu'ils quitteront notre système scolaire. La formation professionnelle est également importante et certains de nos jeunes pourraient également opter pour la chasse et le piégeage.
M. Toulouse : Il serait souhaitable de disposer d'un mécanisme d'évaluation de la recherche. Il y a des chercheurs, mais il faudrait les regrouper. Nous n'avons pas d'institution capable de mener les recherches vraiment nécessaires et d'évaluer les changements qu'il faudra apporter à nos programmes pour favoriser une évaluation et une amélioration constantes. Nous n'avons pas de thème ressource.
Une collectivité des Premières nations, jugeant que la langue et la culture sont importantes, a mis au point un programme d'immersion qui a donné d'excellents résultats. Les jeunes enfants réapprennent la langue. Toutefois, par suite des effets des pensionnats et des répercussions multigénérationnelles de la perte de la langue, certains des enfants participant au programme d'immersion de leur langue ont des parents qui ne la parlent plus. Il faut prendre acte de cette réalité et reconstruire les liens entre les générations sur ce plan.
Voilà les défis qu'il nous faut relever pour continuer à améliorer le programme scolaire actuel pour nous assurer que nos enfants reçoivent une éducation à tout le moins équivalente de celle qu'ils recevraient dans le système scolaire public. Nous le faisons tout en respectant leur culture.
Il n'y a pas assez d'évaluation. Nous avons besoin d'un service d'évaluation pour soutenir l'épanouissement des langues haudenosaunee, muskego, anishnawbek et lenape. Ce sont de grandes langues dont découlent beaucoup de dialectes.
Le sénateur Patterson : Je remercie nos témoins d'avoir été des nôtres. Monsieur Jolly, certains témoins entendus par notre comité ont recommandé de renforcer les commissions scolaires des Premières nations non seulement en offrant plus de services à leur clientèle mais en leur permettant d'être les propriétaires des écoles et de jouer également un rôle d'administrateur. Ainsi, les autorités scolaires pourraient avoir avec les commissions scolaires les mêmes liens que les ministres de l`Éducation des provinces avec les commissions scolaires à l'extérieur des réserves. Ainsi, les commissions scolaires pourraient rendre des comptes aux autorités de l'éducation.
Vous avez beaucoup d'expérience puisque vous siégez au conseil d'administration depuis le début et vous avez déployé beaucoup d'efforts pour que la collectivité ait le contrôle de la commission scolaire par l'entremise de représentants élus. Toutefois, vous avez décidé à l'issue de votre examen qu'il fallait revoir votre système de gouvernance. Pourriez-vous nous expliquer pourquoi vous étudiez un nouveau modèle de gouvernance et en quoi le système actuel devrait être modifié ou renforcé? Pourriez-vous nous en expliquer les grandes lignes?
M. Jolly : Merci de votre question. Comme je l'ai dit tout à l'heure, pour pouvoir instaurer des changements efficaces, nous devions bien cibler les principaux objectifs. Parmi ceux-là figurait l'amélioration du fonctionnement du conseil au niveau du conseil d'administration. Les membres du Conseil des commissaires font partie du conseil d'administration de la Commission scolaire crie.
Le directeur général a pour rôle de favoriser le changement des aspects organisationnels et de le traduire dans la réalité des écoles. J'ai fait des études de maîtrise en leadership et gestion, qui englobaient la gouvernance des conseils d'administration. Vous connaissez peut-être le modèle de gouvernance des politiques de John Carver. Nous l'avons étudié. Le conseil a fait certaines démarches pour mieux se renseigner au sujet de ce modèle.
Il y a des aspects qui méritaient d'être revus à notre avis. En résumé, au cours des quatre dernières années, le conseil s'est doté de son propre guide des politiques. Il est encore en cours d'élaboration, avec l'aide d'un expert de l'extérieur.
Notre première réunion, qui a eu lieu la semaine dernière ici même à Ottawa, s'est fondée sur le nouveau mode de fonctionnement prévu par le guide de politiques du conseil. C'était nouveau pour nous. Toutefois, dans le cadre de ces nouvelles politiques, le conseil d'administration examine son propre mode de fonctionnement.
C'est d'autant plus important que cela touche l'aspect organisationnel de la commission scolaire. L'accent est davantage mis sur les attentes. Les commissaires n'interviennent plus autant dans le fonctionnement de la commission scolaire. Ces modalités ont été établies par ce processus.
Nous sommes encore en cours d'apprentissage et c'est probablement, à notre avis, la meilleure façon de procéder dans notre situation. Je ne sais pas si j'ai répondu à votre question.
Le sénateur Patterson : Oui, merci. Je connais très bien le modèle Carver qui a été appliqué dans les Territoires du Nord-Ouest. Si j'ai bien compris, les conseils d'administration ont peut-être été créés en vertu de l'entente mais ils n'ont pas reçu de formation ou de soutien, est-ce exact?
M. Jolly : En fait, les conseils d'administration étaient davantage « gérés » ou « contrôlés » par les règlements établis, notamment en raison de la Loi sur l'éducation. Toutefois, beaucoup des dispositions de cette loi découlent de l'article 16 de l'entente. C'est le règlement plus qu'autre chose, qui est un document légal, qui orientait essentiellement le fonctionnement du conseil d'administration. Certaines dispositions de la Loi sur l'éducation dictaient également son fonctionnement.
Un examen interne s'imposait et c'est ce qui a découlé de l'examen de la gouvernance. Nous avons examiné les différents modèles qui existent et jugé que le modèle de Carver était le mieux adapté à nos besoins.
Maintenant que nous avons adopté ce modèle, nous étudions ses répercussions sur le règlement en vigueur et, dans certains cas, sur la Loi sur l'éducation. Nous travaillons avec nos conseillers juridiques sur ces questions-là aussi.
Le sénateur Patterson : Le conseil d'administration devrait se doter de ses propres règles internes et politiques. C'est très intéressant.
Comme le temps file, j'aimerais passer à un autre sujet. Quelque chose m'a vraiment frappé. Si j'ai bien compris, l'année scolaire pour la Commission scolaire crie est de 139 jours. C'est ce que j'ai lu dans un de vos rapports annuels.
M. Jolly : Elle est de 180 jours. Parlez-vous des heures d'enseignement?
Le sénateur Patterson : Oui.
M. Jolly : Il y a 180 jours d'enseignement.
Le sénateur Patterson : Y a-t-il, dans ces 180 jours, des journées d'enseignement en plein air? En avez-vous prévu?
M. Jolly : C'est difficile lorsqu'on s'efforce de respecter le temps d'enseignement à l'école. La principale période d'enseignement en plein air a lieu au printemps; les élèves vont dans des camps et se rendent sur des territoires de chasse pour la chasse du printemps. Il y a habituellement un congé de deux semaines pour que les gens puissent chasser, mais la période varie selon la région dans laquelle se trouve l'école : dans les collectivités plus au sud, ce congé est plus tardif que dans les localités du Nord.
Le sénateur Patterson : Qu'en est-il de la formation d'enseignants autochtones?
M. Jolly : Dans les années 1990 et au début des années 2000, nous avons offert une formation de ce type, mais nous avons mis un terme à cette initiative parce que nous estimions qu'il fallait en évaluer les résultats. Nous avons approfondi la question et nous avons travaillé étroitement avec l'Université McGill. Nous voulons un programme d'enseignement qui permettrait à nos enseignants de terminer leur formation en quatre ans plutôt que dans les temps nécessaires auparavant. Étant donné que la formation se faisait dans les collectivités locales et qu'il fallait faire appel à des ressources de l'extérieur, le processus était plus long. Cela nous posait quelques problèmes.
Actuellement, nous offrons un nouveau programme plus étroitement relié à l'Université McGill. Il y a deux années de formation à l'université et deux années dans les collectivités. Un des appels que je lance à notre nation crie est une invitation aux gens de notre région de s'orienter vers l'enseignement comme profession.
Le sénateur Patterson : Bonne chance.
Le sénateur Demers : Merci beaucoup d'être venus. J'ai eu une enfance analphabète. Notre discussion revient à un point central, l'alphabétisation. J'ai pu surmonter le fait que j'étais analphabète. J'ai eu la chance d'apprendre, et je peux lire l'anglais et le français et parler les deux langues. J'ai eu une enfance violente et c'est un terrain propice à l'analphabétisme et à la toxicomanie. Ensuite, l'angoisse s'installe. L'analphabétisme a un effet de boule de neige.
Il y a des Autochtones qui siègent au Sénat et qui sont extrêmement compétents et tout à fait conscients de la réalité, tout comme vous. Permettez-moi de revenir à l'effet de boule de neige. Si des jeunes garçons et des jeunes filles sont scolarisés et que l'on ne détecte pas qu'ils souffrent d'un trouble d'apprentissage, cela peut causer un problème majeur. Ces jeunes nécessitent une aide spéciale. Toutefois, si l'on ne détecte pas que ces jeunes ne peuvent pas apprendre, peut-être en raison d'une situation familiale, c'est là que s'installe l'effet de boule de neige. Ces jeunes vont vieillir et s'ils continuent d'être analphabètes, quand ils auront des enfants, ils ne pourront pas les aider en raison de leur propre problème. C'est un problème majeur.
Je siège ici au comité parce que je souhaite me renseigner et je pense que j'y parviens. Votre témoignage m'a beaucoup aidé. L'avenir de votre peuple passe par l'instruction. Si votre peuple n'a pas de l'espoir ou de l'instruction, le statu quo va perdurer. On continuera de vivre dans la pauvreté et, comme je l'ai dit, les enfants qui naîtront ne pourront pas obtenir d'aide de leurs parents. C'est là qu'il vous faut de l'aide pour intervenir.
Le sénateur a posé une bonne question concernant les enseignants. Quelles sont les compétences nécessaires pour intervenir ou du moins identifier les enfants qui ne peuvent pas s'asseoir sur un banc d'école et apprendre parce que nous ne savons pas ou encore nous nous doutons de ce qui se passe à la maison? Je le sais, la scolarisation dans ces conditions n'aboutit à rien.
Chaque fois que j'assiste à une séance de comité, on en revient toujours à cela et je constate que vous réclamez de l'aide. Vous êtes animés des meilleures intentions du monde. On parle constamment d'argent. L'argent est important évidemment pour obtenir de l'aide, mais dans le cas de ces enfants, il faut d'abord comprendre pourquoi ils n'arrivent pas à apprendre. On pourrait peut-être les regrouper. Si dans une classe, cinq enfants apprennent rapidement alors que les autres n'arrivent pas à apprendre quoi que ce soit, il sera impossible de progresser.
Je ne sais pas si vous voyez les choses comme je les vois.
M. Jolly : Tout à fait. C'est assurément un des aspects que nous surveillons également. Nous souhaitons vraiment savoir où en sont nos élèves. Nous avons également un département de l'éducation spéciale au sein de notre commission scolaire et il s'occupe de l'évaluation de nos élèves. Nous découvrons qu'un grand nombre d'entre eux ont du mal à apprendre. Parmi les besoins spéciaux, nous avons cette catégorie, les troubles d'apprentissage.
Je commence à croire que cela a beaucoup à voir avec l'analphabétisme. Comment redresser la situation? Comme je l'ai dit, notre projet est un peu ambitieux. Nous avons un programme d'alphabétisation que nous essayons d'intégrer dans notre programme d'enseignement mais nous pouvons aussi compter sur de l'aide de l'extérieur. Nous avons fait d'une de nos écoles un modèle et nous avons travaillé avec des experts pour que la lecture soit intégrée à l'école. Au cours des dernières années, nous avons constaté de bons résultats dans cette école. Ce modèle nous servira et nous allons l'intégrer dans les neuf autres écoles.
Comme nous tous, je souhaite améliorer les conditions en matière d'enseignement. Je pense que l'enseignement est la voie qui permettra l'amélioration de nos collectivités, de nos foyers et de nos familles. Nous, les Cris, nous voulons faire de l'éducation l'instrument de notre avenir.
Il est important que nous établissions un système qui reflète notre façon de penser et d'agir et que nous nous employions à réaliser cela. Comme mon ami l'a dit, une grande part de nos besoins dans notre système d'éducation porte sur l'évaluation et la surveillance grâce à la cueillette de données qui mesurent les résultats que nous obtenons afin que nous apportions des améliorations au besoin. Nous orientons nos efforts dans ce sens.
M. Toulouse : Je le répète, dans nos écoles des Premières nations, il n'y a pas assez de services parallèles pour faire ces évaluations. Comme vous l'avez dit, sénateur, certains élèves, mon neveu, par exemple, ont du mal à suivre un programme d'enseignement parce qu'ils souffrent d'un trouble d'apprentissage. Ce n'est pas par manque d'intelligence. C'est une différence dans la courbe d'apprentissage. Ce n'est qu'en septième ou en huitième année, ce qui était trop tard, que mon neveu a reçu l'aide dont il avait besoin. Une école spéciale offrait une méthode informatisée qui lui a permis d'apprendre, et ce, dans le cadre d'un programme d'alphabétisation. Cette école coûtait cher mais elle lui a été bénéfique. Il a pu en profiter même s'il aurait eu besoin d'autre chose.
Avec une évaluation adéquate, certaines installations ou établissements pourraient venir en aide à ces étudiants. Très souvent, il faut que l'enfant se déplace, ce qui est un autre problème. Il est important que l'évaluation reconnaisse le besoin d'une éducation spéciale. Chacun doit avoir l'occasion d'apprendre et de participer aux activités de la société. Si la première étape est une évaluation, il faut alors doter une école des ressources nécessaires.
Le président suppléant : Y a-t-il d'autres questions, sénateurs?
Puisqu'il en est ainsi, je remercie nos témoins d'être venus aujourd'hui. Nous avons recueilli de précieux renseignements. Assurément, j'ai pu constater à quel point le sujet vous passionne. Les difficultés qui se posent sont grandes. J'étais frappée d'entendre M. Jolly parler des défis en matière d'éducation. Chacun de nous autour de cette table reconnaît qu'à l'échelle du pays il y a des défis en matière d'éducation. On n'aurait jamais pu imaginer une telle situation. Il nous faut donc nous atteler à la tâche et nous adapter aux changements tout en reconnaissant les difficultés qui se posent.
Y a-t-il autre chose?
À ceux qui nous regardent et aux sénateurs ici présents, je souhaite un très joyeux Noël et une heureuse année. J'espère que la nouvelle année vous sera prospère à tous. Le comité ne siègera pas ce mercredi soir et nous poursuivrons nos délibérations l'année prochaine.
(La séance est levée.)