Délibérations du comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones
Fascicule 18 - Témoignages du 16 février 2011
OTTAWA, le mercredi 16 février 2011
Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, auquel a été renvoyé le projet de loi S-11, Loi concernant la salubrité de l'eau potable sur les terres des Premières Nations, se réunit aujourd'hui à 18 h 45 pour examiner le projet de loi.
Le sénateur Gerry St. Germain (président) occupe le fauteuil.
[Translation]
Le président : Bonsoir et bienvenue aux honorables sénateurs et aux membres du public qui regardent la présente séance du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones sur les ondes de la CPAC ou sur le Web. Je m'appelle Gerry St. Germain et je suis de la Colombie-Britannique. J'ai l'honneur et le privilège de présider le comité. Le mandat du comité consiste à examiner les lois et les questions qui concernent les peuples autochtones du Canada en général.
Un certain nombre de rapports ont mis en relief des facteurs importants qui entravent l'approvisionnement en eau potable des collectivités des Premières nations, y compris le vieillissement des réseaux d'alimentation, la formation et l'accréditation des opérateurs, l'absence de ressources indépendantes pour financer convenablement l'exploitation et l'entretien du système, et le flou entourant les rôles et les responsabilités. Nous poursuivrons ce soir notre étude du projet de loi qui vise à corriger ces problèmes : le projet de loi S-11, Loi concernant la salubrité de l'eau potable sur les terres des Premières Nations.
Nous entendrons cinq témoins représentant trois organismes, soit l'Association du Barreau canadien, l'Association of Iroquois and Allied Indians et la Kwilmu'kw Maw-Klusuaqn-Mi'kmaq Rights Initiative.
[English]
Mais avant d'entendre nos témoins, j'aimerais vous présenter les membres du comité présents ce soir.
[Translation]
À ma gauche se trouvent le sénateur Dyck, vice-président du comité, de la Saskatchewan; le sénateur Sibbeston, ancien président et vice-président du comité, des Territoires du Nord-Ouest; le sénateur Pépin, du Québec; le sénateur Demers, du Québec; le sénateur Poirier, du Nouveau-Brunswick; le sénateur Stewart Olsen, du Nouveau-Brunswick; le sénateur Patterson, du Nunavut; et le dernier, mais non le moindre, le sénateur Raine, de la Colombie-Britannique.
Mesdames et messieurs les membres du comité, veuillez vous joindre à moi pour accueillir notre premier témoin, Christopher Devlin, membre de l'exécutif, Section nationale du droit des Autochtones, Association du Barreau canadien. M. Devlin, le greffier s'est entretenu avec vous. Nous vous invitons à présenter un exposé aussi concis et précis que possible afin que les sénateurs disposent de suffisamment de temps pour poser des questions. La parole est à vous.
Christopher Devlin, membre de l'exécutif, Section nationale du droit des Autochtones, Association du Barreau canadien : Merci beaucoup d'avoir invité l'Association du Barreau canadien à présenter un exposé ce soir. L'Association du Barreau canadien représente plus de 37 000 avocats, notaires, étudiants en droit et fonctionnaires judiciaires de l'ensemble du Canada. La réforme du droit et l'amélioration de l'administration de la justice constituent l'un des principaux mandats de l'ABC. Je représente ce soir l'Association du Barreau canadien, particulièrement sa Section nationale du droit des Autochtones.
Les commentaires formulés par le sénateur Sibbeston avant la séance sont pertinents; nous avons adressé une lettre d'une page au comité. J'ai eu l'occasion d'examiner les « bleus » des quatre dernières séances, de sorte que je suis au courant de certaines des discussions qui ont eu lieu à ce jour.
L'ABC s'intéresse surtout à l'alinéa 4(1)r) du projet de loi. Elle ne s'est pas prononcée sur le bien-fondé du projet. Nous affirmons dans notre lettre que le gouvernement doit accorder l'attention qu'il mérite au problème de l'eau potable dans les réserves et dans les collectivités des Premières nations.
Une disposition nous préoccupe particulièrement. Il en est question dans notre lettre. Je présume que vous l'avez lue puisqu'elle est très brève. À notre avis, l'alinéa 4(1)r) fait problème. Durant la première journée de témoignages, des fonctionnaires vous ont indiqué que la version anglaise de cette disposition ne correspondait pas à la version française en raison du libellé restrictif de cette dernière.
On a signalé une erreur de rédaction au comité. Je ne m'étendrai donc pas sur cette question. Le comité a demandé que les rédacteurs apportent les corrections nécessaires pour que les versions anglaise et française correspondent. Je crois comprendre que les fonctionnaires ont accepté. Notre préoccupation ne se limite pas à cette erreur; même si les deux versions correspondaient, il reste que la loi permet au gouverneur en conseil de prendre des règlements susceptibles de porter atteinte aux droits garantis à l'article 35 de la Constitution.
Vous avez entendu des témoignages sur cette question. Il existe habituellement des dispositions pour empêcher qu'on porte atteinte aux droits. Le gouvernement semble vouloir permettre ainsi d'inclure de telles dispositions dans les règlements que pourrait prendre le gouverneur en conseil en vertu de cette loi. Les règlements peuvent s'appliquer en particulier à une région ou une Première nation.
C'est peut-être là l'intention, mais ce n'est pas nécessairement ce que dit le projet de loi. Le libellé de la version anglaise permet de porter atteinte aux droits garantis à l'article 35. Nous croyons qu'il s'agit d'une réaction excessive par rapport à tout méfait que le projet de loi voudrait pallier.
Nous voulons faire valoir au comité que, de toute façon, la disposition est peut-être inconstitutionnelle. La dérogation est une diminution, mais l'abrogation peut être une annulation. Ce projet de loi est en voie d'être promulgué en vertu des pouvoirs conférés au Parlement par le paragraphe 91(24) de la Constitution; très bien. Toutefois, l'article 35 de la Constitution limite ce pouvoir. Par conséquent, le gouvernement, en vertu des pouvoirs que lui confère le paragraphe 91(24), ne peut porter atteinte aux droits ancestraux ou issus des traités protégés par l'article 35 de la Constitution.
À notre avis, on ne devrait pas permettre au projet de loi de poursuivre son cheminement tel qu'il est libellé. L'erreur de rédaction a été signalée au comité. Si l'on devait décider de la conserver, cette disposition devrait traduire l'intention de permettre que les règlements comprennent d'emblée des dispositions empêchant de porter atteinte aux droits, et ce, pour chacune des régions ou des Premières nations, et empêcher que les règlements puissent porter atteinte aux droits garantis à l'article 35. Voici en deux mots ce que nous voulons faire valoir.
Le président : Serait-il possible que l'article 35 de la Constitution, à titre de mesure de protection contre une éventuelle atteinte aux droits issus de traités, l'emporte sur cette disposition?
M. Devlin : L'article 35 l'emporte sur toutes les lois. Mais on ne devrait pas adopter une loi si elle est sans effet. Comme cette clause prévoit une atteinte aux droits, qui équivaut à leur élimination ou extinction, la loi n'a aucun sens. Il faudrait éviter une telle situation. La loi serait assujettie aux critères de justification adoptés par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Sparrow. Le libellé devrait être corrigé de manière à ce que le Parlement n'adopte pas une loi qui n'a aucun sens. Il faudrait éviter une telle situation, et le comité est en mesure de corriger le tir.
Le président : Comme vous l'avez si astucieusement fait remarquer, le représentant du ministère de la Justice a convenu que cette disposition devait être remaniée.
Le sénateur Dyck : Merci pour votre exposé. Je suis un peu perplexe. L'alinéa 4(1)r) du projet de loi indique que les règlements pourraient porter atteinte aux droits existants — ancestraux ou issus des traités — des peuples autochtones. Pourtant si j'ai bien compris, vous affirmez que le gouvernement dit vouloir permettre l'ajout de dispositions de non-dérogation aux futurs règlements. Ai-je mal interprété vos propos?
M. Devlin : Non. Selon mon examen des témoignages présentés jusqu'à maintenant, le gouvernement voulait que cela se fasse dans la réglementation et non dans la loi.
Le sénateur Dyck : Selon le libellé du projet de loi, il semble que ce soit impossible et que les règlements pourraient porter atteinte aux droits.
M. Devlin : C'est exactement le problème que nous soulevons.
Le sénateur Dyck : Il y a deux messages contradictoires. Je croyais qu'on pourrait inclure une disposition voulant que le gouvernement, lors de l'élaboration des règlements, ajoute la disposition habituelle en matière de non-dérogation. Toutefois, cette disposition ne contredirait-elle pas le projet de loi original?
M. Devlin : Oui. Le problème, c'est que si la disposition vise à permettre au gouverneur en conseil de prendre des règlements renfermant des dispositions de non-dérogation; ce libellé ne traduit pas, à notre avis, cette intention.
Le sénateur Stewart Olsen : Monsieur Devlin, je m'y perds un peu. En l'absence de telles dispositions, comment le gouvernement peut-il s'assurer que les questions de santé et de sécurité l'emporteront sur toutes les autres, y compris les droits des municipalités et des provinces?
Si l'eau était vraiment insalubre et si le gouvernement se heurtait à un non-respect absolu des règlements, de quels recours disposerait-il? Si on affaiblit cette loi ou si on la corrige, comme vous dites, comment pourrons-nous alors passer outre aux objections et préserver la santé et la sécurité des utilisateurs du système d'alimentation en eau potable? Voilà l'énigme.
M. Devlin : En effet. De toute évidence, la loi a pour objectif primordial d'assurer la santé et la sécurité. J'ai deux réponses à cette question. Tout d'abord, peu importe l'importance absolue de la santé et de la sécurité, cette préoccupation n'a pas le même poids constitutionnel que les droits des peuples autochtones, ancestraux ou issus des traités, garantis à l'article 35.
C'est là le cadre législatif dans lequel nous vivons au Canada. Il nous faut arriver à en tenir compte. Le cadre législatif doit vraiment reconnaître la primauté constitutionnelle des droits ancestraux ou issus des traités.
Deuxièmement, en ce qui a trait aux problèmes éprouvés dans les réserves, le Canada jouit déjà des vastes pouvoirs accordés par le paragraphe 91(24), qu'il concrétise par l'entremise de la Loi sur les Indiens, qui régit l'utilisation des terres de réserve. La Loi sur les Indiens impose de rigoureuses limites à l'utilisation des terres de réserve si le ministre n'est pas d'accord avec cette utilisation. Ce régime confirme ce pouvoir et le renforce en faisant intervenir des règlements provinciaux et locaux. Si le problème se situe à l'extérieur d'une réserve, il s'agit alors de terres provinciales privées. Là encore, même si on invoque un droit ancestral ou issu d'un traité, le gouvernement a toujours la possibilité de porter atteinte aux droits pour une juste cause, comme le confirment l'arrêt Sparrow et les autres décisions dont on vous a fait part et qui permettent au gouvernement, même à la suite de consultations, d'agir comme il l'entend s'il le juge approprié et justifiable.
C'est surtout le terme « porter atteinte » qui fait problème ici, car il peut signifier « extinction ». Ce que nous disons ou que nous suggérons, c'est de ne pas laisser le Parlement prendre de telles mesures par voie de règlement.
Le sénateur Stewart Olsen : En d'autres mots, on permettrait à des gens de mourir en protégeant leurs droits constitutionnels plutôt qu'en protégeant leur santé et leur sécurité. Cela me préoccupe énormément.
M. Devlin : Ce n'est certainement pas ce que nous disons.
Le sénateur Stewart Olsen : Je comprends, mais à bien y penser, c'est vraiment ce dont il s'agit. Cela m'inquiète et j'aimerais bien trouver une solution.
M. Devlin : L'esprit de la loi dans son ensemble pourrait répondre de manière efficace à l'essentiel des préoccupations soulevées par l'accès à une eau potable salubre dans les collectivités des Premières nations. Je vois mal comment le fait de régler ce problème constitutionnel pourrait entraîner la mort d'êtres humains.
Le sénateur Stewart Olsen : Non, mais si l'eau est insalubre et que nous ne pouvons régler le problème, nous sommes dans une impasse. Selon ce que vous dites, nous n'avons pas le pouvoir d'intervenir et d'assainir l'eau. Il s'agit d'un droit constitutionnel. Je ne suis pas un admirateur de la Loi sur les Indiens. Je crois que cette loi est une pire atteinte encore aux droits constitutionnels. Toutefois, la santé et la sécurité sont primordiales. Si l'insalubrité de l'eau menace la santé et la sécurité des habitants des réserves, on doit disposer d'un mécanisme pour contrer cette menace et l'on ne saurait affaiblir ce mécanisme. Veuillez m'aider à y voir plus clair.
M. Devlin : Je comprends ce que vous voulez dire. Au risque de me répéter, je crois que le représentant du ministère de la Justice a indiqué, dans son témoignage, que cette disposition visait à permettre l'ajout de dispositions de non-dérogation aux règlements pris par le gouverneur en conseil.
Cette disposition n'a jamais eu pour but de porter atteinte aux droits garantis à l'article 35, bien au contraire. Toutefois, le libellé de la disposition et les erreurs qui s'en sont suivies ouvrent la voie à de telles atteintes.
À notre avis, il faudrait soit retirer la disposition au complet ou encore la dernière partie, qui commence par « et notamment » afin de respecter l'intention de même que l'article 35 et la jurisprudence à ce jour. C'est tout ce que nous disons. Le reste du projet de loi confère des pouvoirs considérables et prévoit des mécanismes importants pour assurer la salubrité de l'eau potable dans les réserves.
Le sénateur Stewart Olsen : Merci monsieur Devlin.
Le président : La Cour suprême n'a-t-elle pas statué que les droits ancestraux ne sont pas absolus dans les domaines de la conservation et de la santé publique?
M. Devlin : Ils ne sont pas absolus. Il faut qu'il y ait violation justifiable. La common law prévoit déjà des réponses aux types de préoccupations soulevées par le sénateur Stewart Olsen, mais il existe un critère établi concernant cette violation.
Nous n'avons encore jamais vu de telles dispositions. Nous n'avons vu que des dispositions de non-dérogation et non des dispositions qui portaient atteinte aux droits. Nous formulons cette mise en garde à votre intention. Nous disposons actuellement, en common law, de critères, approuvés par les tribunaux, sur la façon de porter atteinte à ces droits.
Les lois en vigueur contiennent plusieurs types différents de dispositions de non-dérogation. Nous n'avons encore jamais vu de disposition d'abrogation ou de dérogation positive. Nous sommes d'avis que, compte tenu de l'intention des auteurs du projet de loi, cette disposition ne devrait pas être adoptée telle qu'elle est rédigée parce qu'elle n'est pas nécessaire pour permettre à la loi de pallier le méfait.
Le sénateur Sibbeston : M. Devlin peut-il commenter la disposition relative aux accords sur les revendications territoriales? Les accords sur les revendications territoriales entre les peuples autochtones et le gouvernement fédéral, qui sont inscrits dans la loi, sont protégés — ils deviennent des droits constitutionnels en vertu de l'article 35, de sorte que rien ne pourra jamais leur porter atteinte, et surtout pas un règlement. J'aimerais connaître votre opinion à ce sujet.
Il est déjà assez grave de tenter de retirer à des bandes autochtones des droits qui ne sont pas protégés par la Constitution; mais ces accords sur les revendications territoriales deviennent des droits garantis à l'article 35. Une disposition comme celle-ci, qui prétend pour ainsi dire priver de l'un ou l'autre de leurs droits des groupes qui ont réglé des revendications territoriales, est tout à fait inconstitutionnelle.
M. Devlin : Nous débordons le cadre de mon exposé officiel; je répondrai donc à cette question en mon nom plutôt qu'au nom de l'ABC.
Je crois que les accords sur les revendications territoriales sont des traités modernes qui relèvent de l'article 35, tout comme les traités historiques. Nous avons récemment pu profiter de la sagesse de la Cour suprême du Canada quant à l'interprétation des traités modernes, dans l'affaire Little Salmon/Carmacks.
Même dans le cas des traités modernes et des revendications territoriales, les tribunaux ont reconnu que la Couronne avait le pouvoir de porter atteinte aux droits tant et aussi longtemps qu'elle pouvait justifier ces atteintes. Même lorsqu'il s'agit d'un accord moderne sur les revendications territoriales, les activités de la Couronne peuvent y porter atteinte pour autant que la Couronne le justifie.
Le processus de justification doit évidemment tenir compte en premier lieu du document sur les revendications territoriales et d'autres choses du genre. Les tribunaux ont clairement établi que l'article 35 n'offre aucune protection absolue.
Le sénateur Sibbeston : Je ne veux pas vous contredire, mais c'est exactement ce que sont les accords sur les revendications territoriales. Ce sont des accords conclus entre le gouvernement fédéral et des groupes autochtones. Ils sont conclus au grand jour avant d'être inscrits dans la loi.
Je ne vois pas comment des accords ainsi conclus pourraient fournir l'occasion au gouvernement fédéral de retirer ces droits une fois qu'ils sont protégés par l'article 35 de la Constitution. Je crois que ces accords offrent plus de protection et de droits aux peuples autochtones.
Je ne crois pas qu'on puisse y porter atteinte de quelque façon que ce soit, comme vous le laissez entendre, parce que toute violation entraînerait la révocation de l'accord. Si le gouvernement fédéral décide tout à coup de prendre un règlement qui prive les Autochtones d'un droit protégé par la Constitution, il ne respecte pas l'accord. Personne ne peut retirer unilatéralement de tels droits; il faut que les deux parties y consentent.
À mon avis, les accords sur les revendications territoriales se situent à un niveau supérieur; ils sont mieux protégés, ils sont plus solides et je crois qu'aucune loi ne puisse jamais les toucher ou porter atteinte aux droits qui y sont inscrits. Voilà mon opinion.
M. Devlin : Je comprends ce que vous voulez dire. J'aimerais bien pouvoir en dire autant. J'aimerais bien que le monde fonctionne de la sorte, mais ce n'est pas ce que j'ai pu constater. Les tribunaux entendent de multiples causes portant sur le non-respect, dans l'optique des Premières nations, des accords par le gouvernement.
Le sénateur Sibbeston : Je ne suis pas d'accord avec vous, car quel serait le but...
Le président : Mettons un terme à cette argumentation. Il a sa position et vous avez la vôtre.
Le sénateur Sibbeston : J'adresse cette question au sénateur Patterson parce qu'il connaît la situation des revendications territoriales au Nunavut et les droits que cet accord confère aux Inuits. L'accord est protégé par la Constitution. Un petit règlement dans une loi obscure ne peut abolir ces droits. Impossible.
S'il agissait ainsi, le gouvernement fédéral porterait atteinte à ces droits et ne respecterait pas l'accord. Ces accords sont conclus entre les deux parties; ce sont des traités modernes et le gouvernement fédéral ne peut adopter des lois et prendre des règlements après coup qui vont à l'encontre des accords, peu importe.
Ce que je veux dire, c'est que je ne peux imaginer une situation où l'on puisse déroger à un accord sur les revendications territoriales ou retirer quelque droit que ce soit. Je pense que le sénateur Patterson doit partager ce point de vue.
Le sénateur Patterson : Oui.
Le président : C'est deux contre un; je ne tenterai pas de me poser en arbitre. Si vous le permettez, je passerai à la prochaine question.
Le sénateur Dyck : Je crois que tous les membres du comité veulent s'assurer que tous les membres des Premières nations aient accès à de l'eau potable salubre. La réglementation fait partie de la solution, mais je ne crois pas que les règlements suffisent à assurer aux Premières nations un approvisionnement en eau potable salubre.
Par contre, ce qui leur permettra d'avoir accès à de l'eau potable salubre, ce sont les mesures énumérées de l'alinéa 3(1)a) à l'alinéa 3(1)h) : des règlements portant sur la formation et l'accréditation des opérateurs; la protection des sources d'eau potable et ainsi de suite. Toutefois, les règlements — comme certains témoins en ont convenu — n'arriveront pas à eux seuls à assurer une alimentation en eau potable salubre.
La protection des droits constitutionnels est importante parce que l'autonomie gouvernementale et les revendications territoriales importent de toute évidence aux organisations et aux bandes des Premières nations. Il reste des points à préciser parce que le libellé actuel de l'alinéa 4(1)r) — ce que le ministère a dit — ne correspond pas à l'intention du ministre. Nous devons examiner attentivement le libellé définitif du projet de loi.
Êtes-vous en mesure de dire ce que vous pensez de l'alinéa 4(1)r); devrait-il être amendé ou retiré?
M. Devlin : Dans notre lettre, nous disons qu'il devrait être retiré parce que nous disposons déjà, en common law, d'un critère portant sur l'atteinte aux droits des Autochtones. Si un tel critère est nécessaire pour répondre aux préoccupations du sénateur Stewart Olsen, il existe déjà.
Quant à savoir si le gouvernement fédéral peut porter atteinte aux droits par voie de règlement, l'alinéa 4(1)r) ne fait qu'ajouter à la confusion. Cette question nous fait pénétrer en territoire inconnu, ce qui n'est pas nécessaire pour régler le problème de la salubrité de l'eau potable dans les réserves.
Par conséquent, nous croyons qu'il faudrait retirer l'alinéa. Sinon, il faudrait certainement retirer les mots « et notamment limiter la mesure dans laquelle les règlements peuvent porter atteinte à ces droits ». Il ne resterait alors que les règlements qui portent sur la relation; la question de savoir s'ils portent atteinte ou non aux droits est reportée. Il est à espérer qu'on pourra ainsi respecter l'intention du ministère, c'est-à-dire que l'alinéa permette au gouverneur en conseil d'adopter des dispositions de non-dérogation.
Le sénateur Dyck : Les membres du comité ont la copie d'une lettre signée par le ministre John Duncan et adressée à l'Union des chefs indiens de la Colombie-Britannique. Je vais vous lire les passages pertinents ayant trait à l'article 35. Le ministre dit ce qui suit aux chefs de la Colombie-Britannique :
Vous avez dit craindre que le projet de loi S-11 porte atteinte aux droits ancestraux et issus des traités. L'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 protège les droits issus des traités contre toute atteinte à moins que cette atteinte ne soit justifiée. Je vous assure que le projet de loi S-11 est conforme à la Constitution et qu'il y est assujetti.
Cette lettre a peut-être trait à ce qu'a demandé le président. Le ministre laisse-t-il entendre que l'atteinte aux droits est justifiée en ce qui concerne les règlements relatifs à l'eau potable? Interprétez-vous ces phrases de la sorte?
M. Devlin : En quelque sorte, oui. Le président a raison de dire que, dans certaines circonstances particulières, des éléments comme la conservation et la sécurité ont préséance sur les droits relatifs à des activités. De temps à autre, les tribunaux ont donné la préséance à une question de conservation ou de sécurité publique aux dépens de l'exercice d'un droit ancestral ou issu des traités, mais il s'agit toujours de situations particulières. Nous avons affaire ici à une loi-cadre, une loi de portée générale que viendront préciser des règlements. Ce ne sont pas tellement les éventuelles atteintes aux droits qui sont préoccupantes, mais plutôt les problèmes qui surviendront par la suite, lorsqu'on prendra des règlements.
Ce projet de loi n'est qu'un cadre, et nous voulons garantir sa légalité. J'ai demandé si le cadre donnait au gouverneur en conseil le pouvoir de porter atteinte à des droits. À notre avis, il ne peut pas.
Veillons à ce que le cadre soit adapté aux règlements qui viendront par la suite. Ces règlements sont les situations particulières; ce n'est que lorsqu'on prendra des règlements particuliers qu'on saura s'il y a atteinte aux droits et si cette atteinte est justifiée face à une question incontournable de santé et de sécurité publiques ou pour la conservation de l'eau — quel que soit l'enjeu.
C'est à l'étape des règlements que se tiendra le débat. Nous ne pouvons le tenir ici parce que nous ignorons les détails.
Le sénateur Patterson : Je crois que cette discussion a été utile parce que ce comité s'est fait dire à maintes reprises que le projet de loi menaçait les droits ancestraux et les droits issus des traités.
Les fonctionnaires du ministère, qui ont une optique différente sur cette question, ont dit, tout comme le dit aussi la lettre du ministre à mon avis — je cite la lettre du ministre en date du 9 février à laquelle a renvoyé le sénateur Dyck :
J'aimerais réitérer que les fonctionnaires collaboreront étroitement avec les Premières nations non seulement pour élaborer des règlements adaptés à chaque région et pour mettre en place des mécanismes de conformité et d'application appropriés, mais aussi pour élaborer un calendrier d'application [...]
Le ministère a affirmé dans divers exposés que les Premières nations participeront à l'élaboration de règlements adaptés à leur région, ce qui m'apparaît comme une façon d'éviter le problème des droits et de se concentrer sur les mécanismes qui permettront d'assurer un approvisionnement en eau potable salubre.
Serait-il inhabituel ou indiqué que nous recommandions que les règlements soient élaborés en consultation avec les Premières nations de chacune des régions? Cette façon de procéder n'est pas inscrite dans le projet de loi, mais on nous dit qu'on consultera les Premières nations, qu'on collaborera étroitement avec elles ou qu'on les fera pleinement participer. Serait-il inhabituel d'inscrire cette obligation de consulter dans la loi? Je pose la question parce que je crois que cela pourrait nous permettre d'éviter le problème des droits. Avez-vous une opinion à ce sujet?
M. Devlin : Je suis en train d'en formuler une. Je n'avais pas compris au départ que vous parliez d'inscrire une obligation de consulter dans le projet de loi. Je croyais que vous alliez recommander, dans le rapport du comité, que le gouvernement consulte et fasse participer les Premières nations et leurs régions.
Évidemment, la meilleure façon de procéder est de consulter les personnes qui seront assujetties aux règlements. Je crois que le ministère entend consulter. C'est du moins ce qu'on a affirmé être l'intention du ministère.
En ce qui a trait à l'ajout d'une disposition relative à l'obligation de consulter au cadre du projet de loi, je suppose qu'il s'agirait d'un type de loi inédit. Je me demande si j'ai déjà vu une loi qui comporte une obligation de consulter, du moins au sens où l'entend la Cour suprême du Canada. Je crois qu'une telle disposition marquerait une étape importante. Là encore, cela dépend de la façon dont on définira l'obligation de consulter dans le projet de loi.
Permettez-moi d'exprimer une mise en garde : vous pourriez vous retrouver, en matière de rédaction législative, en terrain complètement inconnu. C'est peut-être un terrain qu'il vaut la peine d'explorer, mais il vous mènera vers un travail de rédaction législative complètement différent.
Le président : Je vous remercie, monsieur Devlin, ainsi que l'Association du Barreau, pour votre témoignage. Votre exposé était clair. Tous ne sont pas d'accord avec vous, mais c'est la beauté de ce pays. Espérons que nous continuerons de pouvoir exprimer notre accord ou notre désaccord. Nous vous sommes reconnaissants pour vos réponses précises.
Nous accueillons maintenant les représentants de deux groupes : Randall Phillips, grand chef, et Joshua Shoemaker, analyste politique, de l'Association of Iroquois and Allied Indians.
Le deuxième groupe est la Kwilmu'kw Maw Klusuaqn, Mi'kmaq Rights Initiative, représentée par Twila Gaudet, agente de liaison, Consultations, et Laurie Suitor, coordonnatrice, Eau potable et eaux usées.
Je ne sais pas qui souhaite prendre la parole en premier. Vous êtes-vous consultés à ce sujet?
Randall Phillips, grand chef, Association of Iroquois and Allied Indians : Monsieur le président, je dis toujours « les dames d'abord », mais nous n'avons eu aucune discussion à ce sujet.
Le président : Si cela vous convient, madame Gaudet et madame Suitor, vous avez la parole. Si vous n'étiez pas là pour entendre le témoin précédent, nous vous demandons de faire un exposé d'au plus cinq à sept minutes, pour que les sénateurs puissent vous poser des questions.
Cela dit, vous avez la parole.
Twila Gaudet, agente de liaison, Consultations, Initiative des droits des Mi'kmaq Kwilmu'kw Maw-Klusuaqn : J'ai préparé un exposé que je veux vous présenter brièvement.
Merci de nous accueillir ici ce soir et de nous permettre de vous faire part de nos préoccupations concernant cet important enjeu.
Bien que le gouvernement du Canada et le peuple mi'kmaq de la Nouvelle-Écosse aient tous deux pour but d'assurer un approvisionnement en eau potable salubre, il est évident que les voies que nous privilégions pour atteindre ce but diffèrent énormément. Grâce au processus « fabriqué en Nouvelle-Écosse », le peuple mi'kmaq dispose d'un mécanisme de consultation unique pour s'attaquer aux problèmes susceptibles d'influer sur les droits et les titres ancestraux des Mi'kmaq. Ce processus est exposé dans le Cadre de référence relatif au processus de consultation entre les Mi'kmaq, la Nouvelle-Écosse et le Canada, ratifié par les trois parties le 31 août 2010.
Le processus a fait l'objet d'une période d'essai de trois années avant sa ratification et, après un processus de révision concerté, le document a été ratifié par les 13 chefs mi'kmaq de la Nouvelle-Écosse représentant l'Assemblée des chefs mi'kmaq de la Nouvelle-Écosse, ainsi que par le premier ministre de la Nouvelle-Écosse et le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien.
On s'attend que le Canada continue de respecter son engagement et sa responsabilité constitutionnelle envers le peuple mi'kmaq de la Nouvelle-Écosse concernant la question de l'eau potable, une question primordiale pour nos collectivités.
Le cadre de référence énonce clairement ce qui suit :
Le processus de consultation prévu par le présent Cadre de référence est à la disposition du Canada ou de la Nouvelle-Écosse lorsque ces parties souhaitent tenir des consultations qui ne sont pas sous toutes réserves et qui seront consignées avec une ou plusieurs bandes mi'kmaq concernant des droits issus de traités ou ancestraux établis ou potentiels, y compris des consultations au sujet de décisions ou d'activités liées à l'eau, aux ressources naturelles ou à des terres publiques. Les parties feront en sorte que le processus de consultation défini aux présentes constitue la formule préférée du Canada et de la Nouvelle-Écosse pour toute consultation avec les Mi'kmaq de la Nouvelle-Écosse.
Malgré plusieurs demandes, AINC n'a pas encore eu recours à ce processus dans le cadre de l'élaboration du projet de loi S-11. La Nouvelle-Écosse compte 13 bandes mi'kmaq ainsi que plusieurs autres collectivités et des terres partagées. Les Mi'kmaq jouissent de droits relatifs aux terres et à l'eau, qu'ils soient inhérents ou garantis par des traités de paix et d'amitié; ils n'ont jamais cédé de terres ou d'eaux dans cette province. Les Mi'kmaq de la Nouvelle-Écosse n'ont jamais renoncé à leurs droits relatifs à l'eau. Ces droits vont donc au-delà du droit à une eau potable salubre.
Dès avril 2009, dans la version provisoire de l'analyse des incidences sur l'eau et les eaux usées présentée par notre bureau, nous avons porté à l'attention d'AINC l'importance de tenir une consultation en bonne et due forme, telle que définie dans le cadre de référence. J'irais jusqu'à dire que c'était avant 2009, mais des lettres ont aussi été envoyées à AINC en 2008 pour les avertir.
L'analyse a souligné que, contrairement à ce qui est indiqué dans le cadre de référence, AINC n'avait envoyé aucun avis officiel aux 13 chefs et conseils mi'kmaq de la Nouvelle-Écosse pour les inviter à participer au processus de consultation. Cet avis est essentiel pour préciser quand une consultation est prévue.
On a pu constater cette confusion lorsque AINC a qualifié la séance communautaire à laquelle ont participé les Mi'kmaq de la Nouvelle-Écosse en 2009 — il s'agit ici d'une correction par rapport à la version imprimée de l'exposé — de « séance d'engagement », mais dans la section « Contexte » de son document, AINC déclare qu'il « mènera un processus de consultation » et que la première étape de ce processus de consultation comprendra des « séances d'engagement auprès des Premières nations, des organisations autochtones régionales ainsi que des représentants des provinces et des territoires ».
Par conséquent, l'Assemblée des chefs mi'kmaq de la Nouvelle-Écosse a rejeté la séance d'engagement de mars 2009. Cette rupture des communications aurait dû signaler à AINC, dès le début du processus, que la démarche de consultation convenue n'était pas respectée.
On a alors averti le gouvernement du Canada que l'un des principes fondamentaux du processus n'était pas respecté, particulièrement les paragraphes 9.5 et 9.7, qu'on retrouve à l'article 12 du document ratifié le 31 août.
Le paragraphe 12 (a) affirme ce qui suit :
Lorsque le Canada ou la Nouvelle-Écosse souhaite amorcer une consultation en vertu du présent cadre de référence, il doit avertir par écrit le chef et le conseil de chacune des treize (13) bandes mi'kmaq ainsi que l'Assemblée qu'une consultation qui n'est pas sous toutes réserves et qui sera consignée est prévue relativement à une décision, une activité ou un sujet particulier;
Étant donné les profondes conséquences qu'aura cette loi sur nos collectivités mi'kmaq ainsi que sur les titres et les droits des Mi'kmaq, il est impératif qu'on tienne une consultation véritable et suffisante aux termes de ce cadre de référence relatif au processus de consultation.
L'intention de ce projet de loi soulève de profondes préoccupations, tout comme le manque général de consultation efficace et significative avec le gouvernement fédéral. Il est évident qu'une séance d'« engagement » d'une journée ne pouvait tenir lieu de consultation avec le gouvernement fédéral concernant cet enjeu essentiel.
Tout comme le processus qui a donné naissance au projet de loi S-11 soulève des préoccupations particulières chez les Mi'kmaq de la Nouvelle-Écosse, son contenu nous préoccupe aussi profondément. Les articles préoccupants auront des répercussions sur les titres et les droits des Mi'kmaq; si on n'affecte pas suffisamment de ressources à leur application, ils risquent d'aggraver plutôt que d'améliorer l'aptitude des collectivités à fournir de l'eau potable salubre.
Compte tenu de ces inquiétudes, l'Assemblée des chefs mi'kmaq de la Nouvelle-Écosse a adopté, en novembre 2010, une résolution rejetant le projet de loi S-11 dans sa forme actuelle. Les règlements pris en vertu du cadre proposé par le projet de loi S-11 n'atteindront probablement pas leurs buts. Pour atteindre les buts visés par le gouvernement du Canada grâce au projet de loi S-11, il faudrait modifier le libellé de certaines dispositions avec la contribution des Mi'kmaq de la Nouvelle-Écosse.
Nous avons appris, au fil des siècles, que chaque mot de ces lois ou ces accords peut avoir de profondes répercussions sur le peuple mi'kmaq. En ce qui a trait aux droits des Mi'kmaq, le prix exigé par le projet de loi S-11 est trop élevé, particulièrement dans le cas d'un projet de loi qui ne garantit l'affectation d'aucune ressource.
En Nouvelle-Écosse, l'Assemblée des chefs mi'kmaq de la Nouvelle-Écosse a créé un comité technique mi'kmaq sur l'eau et les eaux usées, qui étudie attentivement les options et les défis en matière de gestion. D'autres collectivités des Premières nations éprouvent les mêmes difficultés que nous, mais ces difficultés sont aussi propres à notre géographie et à notre histoire. Chaque Première nation doit être libre de déterminer quels sont les risques immédiats et quels problèmes appellent une intervention immédiate. Nos forces et nos défis diffèrent, et une approche réglementaire qui ne fait aucune place à cette autonomie ainsi qu'à l'élaboration de solutions novatrices ne saurait porter des fruits.
Laurie Suitor, coordonnatrice, Eau potable et eaux usées, Initiative des droits des Mi'kmaq Kwilmu'kw Maw-Klusuaqn : Bonsoir et merci de nous offrir l'occasion de vous faire part de nos préoccupations concernant ce projet de loi.
À mon avis, il y a lieu de poser trois questions critiques concernant cette loi. Permettra-t-elle d'assurer la salubrité de l'eau potable des Mi'kmaq de la Nouvelle-Écosse? Protégera-t-elle les Mi'kmaq de la Nouvelle-Écosse contre les atteintes futures à leurs ressources en eau? Garantira-t-elle les droits des Mi'kmaq relatifs à l'eau et leur accès à cette eau?
La réponse à toutes ces questions est non, compte tenu des observations suivantes : en 2006, le rapport du Groupe d'experts sur la salubrité de l'eau potable dans les collectivités des Premières nations avertissait que des règlements qui ne sont pas fondés sur le droit coutumier avaient peu de chances de réussir à long terme. Le groupe d'experts a aussi indiqué que la difficulté d'assurer la salubrité de l'eau potable dans les collectivités des Premières nations ne tenait pas au manque de réglementation, mais au manque de ressources. De plus, le rapport du groupe d'experts affirmait que « Les normes provinciales ne sont pas uniformes à l'échelle du pays et les régimes existants diffèrent largement sur le plan de l'intégralité, de la qualité et de la modernité [...] ».
Le rapport indiquait qu'en raison des disparités à l'échelle du pays, une nouvelle loi fédérale renvoyant à des normes provinciales disparates était la moins susceptible de réussir.
En Nouvelle-Écosse, en raison du processus de consultation continue avec la province prévu dans le cadre de référence susmentionné, la nouvelle stratégie sur l'eau de la province prévoit la participation des Mi'kmaq à des tribunes aussi importantes que le Nova Scotia Water Advisory Group et reconnaît le besoin d'inclusion et de consultation. Je mentionne ce point parce qu'il illustre comment le recours au cadre de référence peut déboucher sur des structures de gestion de l'eau et des décisions positives qui sont pleinement inclusives.
Le projet de loi S-11 n'est pas conforme à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, particulièrement les articles 18, 19, 20, 21, 26, 28, 29 et 32. En appuyant la déclaration, le Canada s'est engagé à établir des relations avec les Premières nations concernant la gestion des ressources, y compris l'eau, et particulièrement à respecter le principe du consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause.
Les enjeux réglementaires autres que la technologie constituent les plus grandes menaces à l'approvisionnement en eau des collectivités mi'kmaq; or, le projet de loi S-11 est axé sur la technologie et sur les responsables de son contrôle. Les menaces à la salubrité de l'approvisionnement en eau des Mi'kmaq comprennent les niveaux élevés d'arsenic d'origine naturelle; les polluants industriels; des sources d'eau situées hors des limites des réserves et qui sont sujettes à une exploitation dommageable; des phénomènes causés par les changements climatiques tels que des inondations; l'exploitation minière; des pressions énergétiques; et le manque de capacités et de ressources pour assurer l'entretien des infrastructures et le renforcement des capacités des opérateurs.
Lorsqu'il existe des plans pour les sources d'eau, on manque de financement et de pouvoirs d'application. Le sous-financement engendre des bris d'équipement, des conditions de travail non sécuritaires, un piètre approvisionnement en eau et des lacunes dans les capacités des opérateurs, qui causent des problèmes considérables dans les collectivités mi'kmaq.
Le projet de loi S-11 semble tenir pour acquis que si la gestion de l'eau et des eaux usées dans les collectivités des Premières nations adoptait tout simplement le modèle municipal assorti d'un encadrement provincial, les problèmes seraient réglés. En fait, nous avons déjà constaté que les collectivités mi'kmaq qui dépendent actuellement des municipalités peuvent se voir complètement privées d'eau en cas de pénurie et éprouver les mêmes difficultés que les municipalités, qui arrivent de moins en moins à entretenir l'infrastructure en raison d'une hausse des coûts, d'une baisse des approvisionnements en eau et d'une hausse des niveaux de traitement.
Les pressions démographiques soulèvent aussi des préoccupations. La population des collectivités mi'kmaq est en pleine croissance. En raison du rétrécissement des assises territoriales et de l'accroissement des pressions sur les ressources en eau, il est vital pour les Mi'kmaq de la Nouvelle-Écosse de pouvoir participer activement à la préservation, à l'utilisation et à la gestion de leur approvisionnement en eau.
Cinq des 13 collectivités mi'kmaq dépendent d'une eau qui provient de la nappe phréatique ou d'un approvisionnement de surface et qui est traitée par les municipalités. Les huit autres collectivités dépendent d'une source d'eau traitée dans la collectivité, de puits privés ou d'une combinaison de ces deux sources. On estime que toutes ces sources, sauf une, sont classées comme étant à risque modéré; ce classement est prudent. Si l'on s'en remet uniquement à la réglementation, on aggravera les problèmes plutôt que de les régler car, étant donné qu'on n'arrive déjà pas à respecter les lignes directrices, il sera encore beaucoup plus difficile de respecter des normes imposées par voie de règlement.
Les Mi'kmaq de la Nouvelle-Écosse tiennent à participer pleinement à l'élaboration de tels règlements. Si on avait adopté la méthodologie d'élaboration concertée de règlements fondés sur le droit coutumier — présentée par l'Assemblée des Premières Nations en 2008 — le projet de loi S-11 aurait évité bon nombre des écueils auxquels il se heurte aujourd'hui.
Le projet de loi S-11 permet au gouvernement du Canada de se protéger contre le risque auquel il s'exposerait s'il devait y avoir une contamination de l'eau, c'est-à-dire la responsabilité. Le projet de loi ne protège toutefois pas les Mi'kmaq contre le risque qu'ils courront dans une telle situation : la mort, la maladie et la réinstallation. Une loi juste aidera à combler le fossé entre ceux deux risques; pour ce faire, elle devra tenir pleinement compte des opinions des Mi'kmaq et des Premières nations.
Ce projet de loi a par contre comme effet de rééquilibrer la relation entre les Mi'kmaq et le gouvernement provincial, d'accroître la municipalisation et de porter gravement atteinte aux droits constitutionnels des Mi'kmaq.
On n'a pas à avoir honte de prendre le temps nécessaire pour élaborer des règlements et des lois efficaces. Mais on devrait avoir honte d'aller de l'avant et d'adopter un projet de loi qui est destiné à trahir les collectivités Mi'kmaq et des Premières nations qu'il prétend vouloir aider. Le Canada peut faire mieux, tout d'abord en procédant à des consultations selon les modalités exposées dans le Cadre de référence relatif au processus de consultation entre les Mi'kmaq, la Nouvelle-Écosse et le Canada, dont le Canada est signataire. Bien que la réglementation puisse établir une distinction entre les Mi'kmaq et les Premières nations et d'autres groupes, les répercussions des polluants, de la rareté, des demandes industrielles, énergétiques et agricoles ainsi que d'une économie chancelante exerceront des pressions sur l'eau que consomme chacun d'entre nous. Les Mi'kmaq ont beaucoup à offrir en matière de gestion intégrale de l'eau, et une loi habilitante devrait permettre aux Mi'kmaq de la Nouvelle-Écosse de le faire.
Randall Phillips, grand chef, Association of Iroquois and Allied Indians : Bonsoir mesdames et messieurs. Je suis heureux de revoir les personnes auxquelles je me suis déjà adressé. Pour celles qui ne me connaissent pas, je suis le grand chef élu de l'Association of Iroquois and Allied Indians, qui représente huit collectivités et environ 25 000 membres des Premières nations dans la région du Sud-Ouest de l'Ontario et dans les environs.
[Le témoin s'exprime dans sa langue autochtone.]
Je suis heureux d'être présent parmi vous ce soir pour vous parler du projet de loi S-11. Merci d'avoir accepté notre demande.
Cet exposé et les observations qui suivront ne visent pas à présenter l'ensemble des arguments ou des recherches; il s'agit plutôt de faire comprendre aux membres du comité la situation des collectivités des Premières nations et les problèmes qu'elles éprouvent à fournir de l'eau potable salubre. Cet exposé résume brièvement le mémoire que nous vous avons remis. Il vous donnera plus de détails sur les sujets dont il y est question.
Les problèmes dont je veux vous parler ce soir font partie des problèmes d'infrastructure financière qu'ont traités dans leurs exposés les Chiefs of Ontario et l'Assemblée des Premières Nations ainsi que mes collègues à ma droite.
L'année dernière, l'Association of Iroquois and Allied Indians a réalisé une analyse environnementale auprès de ses huit nations membres; des travailleurs de nos services de santé ont rendu visite à chacune des nations et réalisé des entrevues pour évaluer leurs besoins en matière de systèmes d'alimentation en eau potable. Nous avons constaté que ce n'est pas un manque de réglementation qui empêche d'alimenter en eau potable salubre les nations membres de l'AIAI — comme, je crois, on vous l'a dit précédemment — mais un manque d'accès à des systèmes d'alimentation en eau potable, ainsi qu'un certain nombre de problèmes complexes ayant trait à un financement et à des installations insuffisants.
Tout d'abord, en ce qui a trait aux systèmes et à l'infrastructure d'alimentation en eau potable, nos constatations indiquent que toutes les collectivités des Premières nations manquent d'argent, y compris nos huit nations membres. Deux d'entre elles disposent d'installations de traitement des eaux dont dépendent la majorité des membres de la collectivité pour s'alimenter en eau potable. Ces deux collectivités éprouvent des problèmes d'accès à une eau potable salubre. Il s'agit donc d'un problème d'approvisionnement. En Ontario, la loi mentionne la protection des sources. Cette protection nous préoccupe.
Des problèmes tels que la pénurie de financement des installations d'alimentation en eau, d'équipement moderne et d'opérateurs compétents empêchent les gouvernements des Premières nations de garantir la salubrité de l'eau potable. Un resserrement des normes ne permettra pas d'obtenir de l'eau potable salubre, pas plus qu'il ne réglera ces problèmes.
La principale faille de la loi, c'est qu'elle n'oblige ni AINC ni aucun autre ministère à octroyer le financement qui permettrait de mettre en place l'infrastructure nécessaire pour fournir de l'eau potable salubre. Par conséquent, il se pourrait qu'on s'achemine vers une autre contestation devant le Tribunal canadien des droits de la personne. Bien qu'il revienne à AINC d'assurer le financement, le ministère n'a pas encore engagé suffisamment de ressources pour procéder à de telles améliorations, et il ne le fera pas.
Le projet de loi S-11 propose de confier à des tierces parties la gestion des systèmes d'alimentation en eau potable des Premières nations, évacuant ainsi la question du respect des règlements. Il existe déjà un tel système et nous connaissons déjà les problèmes que soulève la gestion par des tiers dans les collectivités des Premières nations. Lors de l'annonce du projet de loi, nous avons aussi soulevé ce point. Comme on peut le constater maintenant, le libellé du projet de loi confirme la justesse de nos prédictions.
Nous traitons déjà avec des institutions qui contrôlent l'eau à l'extérieur de nos territoires. Là encore, monsieur le président, nous ne disposons d'aucun mécanisme pour administrer ce processus. Nous sommes à la recherche d'une meilleure solution, c'est-à-dire investir les fonds directement dans les collectivités des Premières nations pour répondre aux réels besoins et surmonter les véritables obstacles à l'accès à une eau potable salubre.
Deuxièmement, comme on l'a déjà mentionné, nos nations membres disent manquer de ressources humaines pour faire fonctionner leurs systèmes d'eau potable. Ce manque de capacités ne touche que deux ou trois collectivités. Et nous ne mentionnerons même pas le problème des collectivités qui n'ont pas accès à des systèmes d'alimentation en eau.
Ce sont les problèmes de recrutement et de maintien en service d'un nombre suffisant d'opérateurs qui expliquent les problèmes de ressources humaines. Les nouveaux opérateurs attribuent ce problème au fait que leurs collègues qui travaillent dans des réserves obtiennent un salaire considérablement moindre que celui des opérateurs au service des municipalités. En Ontario, les nouvelles règles exigent que des opérateurs de réseau d'alimentation en eau soient présents 24 heures sur 24. Nous ne disposons tout simplement pas du personnel nécessaire. Lorsque nous trouvons des opérateurs et que nous les formons à l'exploitation de nos installations, ils ne tardent pas à nous quitter en raison des salaires plus élevés offerts par les municipalités. Le projet de loi S-11 ne règle pas ces problèmes.
En fin de compte, les Premières nations ne disposent pas de ressources suffisantes pour investir dans les moyens humains nécessaires pour garantir un accès à de l'eau potable salubre. Cette loi fera probablement en sorte qu'on appliquera les normes provinciales, ce qui créera des disparités entre les normes parce que les gouvernements provinciaux appliquent des règles différentes. C'est certainement le cas en Ontario.
Pour corriger ce problème, AINC et Santé Canada doivent continuer d'investir dans le Programme de formation itinérante destiné aux opérateurs de réseau d'alimentation en eau. Ce programme nous permet de conserver l'expertise dans nos collectivités, sans pour autant répondre au problème de pénurie d'expertise. Il doit se poursuivre.
Nous devons aussi continuer d'appuyer le Plan d'action pour l'approvisionnement en eau potable et le traitement des eaux usées des Premières nations. Honorables sénateurs, nous savons que le plan d'action n'est pas concluant pour tous les systèmes d'alimentation en eau des Premières nations. Le rapport est une œuvre inachevée. Il n'est pas encore terminé, même si l'on nous avait dit le contraire. Je peux assurer les honorables sénateurs que le rapport exposera d'autres failles du système et le besoin de ressources supplémentaires pour combler les lacunes.
Nos nations membres ont indiqué que le plan d'action faisait problème parce que sa démarche revêt un caractère bureaucratique et qu'elle est alimentée par des propositions; pour l'améliorer, il faut rationaliser le plan et octroyer davantage de financement. Ce plan ne touchera que la pointe de l'iceberg une fois que nous aurons dressé la liste complète de nos besoins.
En ce qui a trait à ces changements, on prévoit qu'une telle intervention débouchera sur des résultats plus tangibles pour les collectivités des Premières nations : des résultats tangibles comme des travaux de construction et de rénovation, de la surveillance, de la formation et l'amélioration de la certification.
Les règlements produiront des mots sur du papier. Il faut affecter de véritables ressources pour alimenter les collectivités des Premières nations en eau potable salubre.
Mon troisième et dernier point est le suivant : dans toutes nos nations membres, des membres de la collectivité contrôlent et vérifient périodiquement la qualité de l'eau. Ces membres ont trouvé divers contaminants — E. coli, fer, nitrates et plomb, pour ne nommer que ceux-là — dans l'eau potable; or, ces contaminants constituent une menace aussi grave que directe à la santé de ces personnes. Ces résultats sont fondés sur un nombre minimum d'essais. À titre de collectivités des Premières nations, nous n'avons pas accès à toute la panoplie des critères de vérification de l'eau. Il pourrait bien y avoir une foule de contaminants que les essais ne repèrent pas.
Les essais étant maintenant confiés à des sous-traitants, les résultats tardent parfois à nous être communiqués. AINC vient d'opérer de nouvelles compressions dans l'accès aux installations d'essai. Maintenant, nous devons attendre.
En raison de cette situation, 50 p. 100 de nos nations membres ont dû émettre un avis concernant la qualité de l'eau potable au cours des 12 derniers mois; je dirais que cela touche cinq des huit nations. Une des choses qui me préoccupent, honorables sénateurs, c'est que la publication d'un avis peut déclencher une intervention des sociétés locales d'aide à l'enfance en Ontario. Un des seuils de risque est l'accès à de l'eau potable salubre. Lorsque nos collectivités sont privées de cette eau, nos enfants sont à risque. Le nombre d'interventions au sein de nos collectivités a augmenté uniquement en raison de cette règle. Vous pouvez donc voir que l'existence de règlements relatifs à la salubrité de l'eau potable ne garantit en rien qu'il n'y aura pas d'autres répercussions dans notre collectivité.
Deux nations membres doivent composer avec des retards critiques pouvant aller jusqu'à quatre jours lorsqu'ils expédient des échantillons d'eau à des laboratoires hors réserve à des fins d'analyse approfondie. Dans l'ensemble, ces problèmes sont davantage le résultat direct des compressions du financement et des ressources que des circonstances. Il est difficile d'imaginer comment ce projet de loi pourra atténuer ces problèmes.
Il s'agit d'un investissement considérable dans l'infrastructure comme première mesure pour garantir la salubrité de l'eau potable dans les collectivités des Premières nations. Je veux citer un passage du mémoire de l'Assemblée des Premières Nations portant sur la notion de vide réglementaire et sur une question posée au témoin précédent :
Le premier élément, et le plus critique, est qu'il ne serait pas crédible de mettre un régime de réglementation en place sans que les capacités adéquates ne soient présentes pour répondre aux exigences du régime. Il est tentant de présumer qu'en établissant un régime de réglementation, on réduirait les dangers liés aux réseaux de traitement d'eau, mais c'est exactement le contraire qui pourrait se produire. Cette situation est attribuable au fait que la création et la mise en application d'un régime de réglementation exigeraient du temps, de l'attention et de l'argent, et qu'il pourrait être préférable d'investir dans les réseaux, les opérateurs, la gestion et la gouvernance.
Je suis tout à fait d'accord.
Pour conclure, on ne voit trop comment le projet de loi S-11 pourrait régler ces problèmes sous-jacents, ainsi que ceux qu'ont décrits les représentants de l'Assemblée des Premières Nations, des Chiefs of Ontario, de l'AIAI et de nombreux autres groupes des Premières nations.
La loi ne délègue aucune responsabilité à un ministère pour qu'il fournisse des ressources en temps opportun. On a beau avoir cerné le problème, rien ne garantit qu'on le réglera. Bref, le projet de loi ne cible pas les problèmes qui empêchent les Premières nations de mettre en place des systèmes d'alimentation en eau potable; il s'attaque à un problème perçu. Il semble présumer que le problème est un manque de réglementation plutôt qu'un manque de ressources.
Dans cet exposé, j'ai tenté de montrer qu'AINC exerce une emprise sur le rythme de développement des systèmes d'alimentation en eau par l'entremise de ses formules de financement et d'établissement des priorités. Si cette situation ne change pas, il ne servira à rien d'imposer des règles et des règlements supplémentaires aux gouvernements des Premières nations puisque leur capacité de les respecter dépend du financement et de l'appui du gouvernement fédéral.
Si le gouvernement fédéral veut vraiment fournir de l'eau potable salubre aux collectivités des Premières nations, il devra collaborer avec elles plutôt que de tenter de porter atteinte à cette idée des droits ancestraux et des droits issus des traités.
Quant à ces droits, les Premières nations du Canada sont prises en otage. Soit que nous y renoncions ou soit que nous soyons privés d'un droit commun fondamental, c'est-à-dire l'accès à de l'eau potable. Il s'agit d'un droit de la personne et nous estimons que cette loi viole un droit fondamental des Premières nations. Nous allons la contester.
Étant donné la complexité de ces obstacles, on devrait reconnaître les compétences des Premières nations et les mettre à profit pour tenter de trouver des solutions plutôt que de les restreindre et d'en faire fi.
Le président : Merci, chef Phillips. Merci madame Gaudet, madame Suitor et monsieur Shoemaker.
Chef Phillips, je ne protège personne, mais il est bien connu que, de 2006 à 2012, le gouvernement fédéral aura investi environ 2,6 milliards de dollars pour alimenter en eau les Premières nations. Je sais, et je crois que tout le monde sera d'accord, que la simple adoption de règlements n'assurera pas la salubrité de toute l'eau du monde pour les membres de nos Premières nations. Toutefois, voyez-vous pourquoi des règlements sont nécessaires?
Je ne dis pas que c'est suffisant, mais de 2006 à 2012, on aura dépensé 2,6 milliards de dollars et peut-être plus. Dans le dernier budget, je crois qu'on a affecté plus de 330 millions de dollars à ce poste; une telle dépense est tout à fait justifiée. Personne n'en doute. Croyez-vous que l'adoption de règlements soit un geste honorable? C'est comme avoir un service de police sans avoir de code criminel ou de lois.
Dans les provinces, les lois les plus rigoureuses sont celles qui ont trait à l'eau. Je ne parle pas des Premières nations. On impose de lourdes amendes, allant jusqu'à 200 000 $, et des peines de prison à ceux qui font preuve de négligence concernant l'eau dans les collectivités autres que celles des Premières nations.
Je ne soutiens pas que le gouvernement aborde le problème de la bonne façon, mais voyez-vous pourquoi une telle approche fonctionnera là où il faut un système de réglementation? On ne peut continuer sur cette lancée. En 2006, combien y avait-il de collectivités à risque élevé? Il y en avait 193. Cette situation est tout à fait inacceptable. Elle a soulevé l'indignation partout au pays. On parle ici d'un système de réglementation. Je ne dis pas que vous devez approuver cette approche; je vous parle du principe d'un système de réglementation.
M. Phillips : Merci pour cette question. En principe, je dirais qu'il est prématuré d'instaurer un régime de réglementation pour l'instant. Le gouvernement n'a pas besoin de légiférer pour fournir de l'eau potable salubre à ses citoyens, que ce soit ou non sur le territoire d'une Première nation. Le régime de réglementation pourrait être prématuré. Sur les 190 collectivités à risque élevé, les 2 qui se trouvent sur nos territoires, les Mohawks de Tyendinaga et les Mohawks de Wahta, n'ont même pas encore accès à de tels systèmes. Il est prématuré de mettre en avant cette idée de réglementation et de déterminer son application lorsque certaines de nos collectivités n'ont pas encore de système d'alimentation en eau.
Lorsqu'il est question d'élaboration de règlements, il est certain que les gouvernements des Premières nations ont voix au chapitre afin de déterminer le fonctionnement d'un tel régime. Pour l'instant, je ne vois pas la nécessité de consacrer beaucoup de temps et d'efforts à l'élaboration d'un cadre réglementaire alors qu'il s'agit de respecter un droit fondamental, ce qui malheureusement exige des ressources.
Vous avez raison de dire que le gouvernement fédéral a investi des milliards de dollars pour corriger ce problème. Ce que nous disons sans détour, honorables sénateurs, c'est qu'il faut encore bien des milliards. Un cadre de réglementation ne réglera pas le problème. Nous devons continuer d'engager ces dépenses, même si elles sont peut-être extraordinaires.
Le président : J'espère seulement qu'on puisse aller de l'avant sur les deux fronts. Nous pouvons parler de cette question, monsieur le grand chef.
Le sénateur Sibbeston : Monsieur le président, la question de la consultation revient sans cesse. Chaque organisation des Premières nations semble dire qu'il n'y a pas eu suffisamment de consultation. Dans la lettre qu'il a fait parvenir au grand chef Stewart Phillip, en Colombie-Britannique, le ministre disait ce qui suit : « Nous avons tenu une séance d'engagement avec les Premières nations sur un projet » — peut-être qu'engagement est le mot juste parce que cela diffère de la consultation. Le ministre a peut-être raison de dire qu'il y a « engagement ».
J'aimerais poser aux représentantes des Mi'kmaq quelques questions sur la consultation. Vous avez un processus de consultation qui est inscrit dans un cadre de référence. Vous l'avez mis à l'essai durant trois années. Vous dites que le gouvernement ne semble pas s'y être conformé. Est-il arrivé que vous ayez été satisfaits du processus de consultation dans le cadre de cet accord tripartite entre les Mi'kmaq, la Nouvelle-Écosse et le Canada?
Mme Gaudet : Plusieurs consultations sont en cours. La complexité des dossiers varie, mais celui-ci est primordial et vraiment complexe. Nous croyons qu'on n'a même pas amorcé une consultation exhaustive sur cette question.
Je crois que vous avez parlé d'« engagement ». Engagement ne signifie pas nécessairement consultation. Bien qu'AINC ait indiqué que son processus serait conforme à celui de la Nouvelle-Écosse, la province a mis en place un processus unique. Elle a recours à des avis officiels pour demander des consultations officielles. Dans le cas du dossier qui nous intéresse, une telle consultation n'a pas eu lieu.
Le sénateur Sibbeston : Je ne sais pas si vous avez répondu à ma question. Afin que nous comprenions ce que vous entendez par consultation, y a-t-il eu des processus de consultation qui vous ont satisfaits aux termes de l'accord que vous avez conclu?
Mme Gaudet : Oui. Je crois qu'il s'agissait d'une consultation avec le gouvernement provincial. Étant donné le nombre de dossiers et la participation de la province de la Nouvelle-Écosse, nous avons resserré nos relations avec la province; mais d'autres consultations nous ont aussi satisfaits.
Mme Suitor : Lors de la consultation sur la stratégie provinciale relative à l'eau en Nouvelle-Écosse, on a respecté le cadre de référence, ce qui a permis d'aborder des préoccupations qui avaient été soulevées dans nos ateliers techniques. Lorsque nous avons pris connaissance de la stratégie, nous avons constaté qu'elle tenait compte des priorités et des préoccupations du peuple Mi'kmaq. La stratégie était nouvelle; elle était différente; elle ne ressemblait à aucune autre. Elle reconnaissait et intégrait la consultation. Au début de la consultation, la province avait dit qu'elle ne pouvait inclure tel ou tel élément dans l'accord, mais, en fin de compte, ces éléments s'y sont retrouvés. Dans le cas du projet de loi S-11, on n'a pu arriver à un tel résultat, car on n'a pas respecté cette démarche.
À la lecture du projet de loi S-11, on ne peut que se demander qui est habilité et à quoi? Curieusement, ce projet de loi confère une foule de pouvoirs généraux au gouverneur en conseil et au gouvernement du Canada — perquisitions et saisies, peines, imposition, recours obligatoire à un gestionnaire tiers, dérogation aux ententes sur l'autonomie gouvernementale et possibilité de porter atteinte aux droits, même de manière limitée — mais la responsabilité légale est la seule chose qu'on accorde aux Premières nations. C'est une situation étrange pour une loi qui veut permettre la prise de règlements visant à assurer une alimentation en eau potable salubre aux collectivités des Premières nations. Elle est déséquilibrée. C'est le résultat direct d'un processus faussé.
Au cours du témoignage précédent, j'ai senti la frustration de certains sénateurs qui se demandaient quand la consultation devait cesser? C'est quand nous avons été entendus. Comment savoir quand nous avons été entendus? Nous le savons, car la loi en témoigne. Sinon, la loi satisfait peut-être aux exigences auxquelles doit satisfaire un gouvernement pour élaborer une loi, mais elle ne satisfait pas aux exigences des collectivités des Premières nations qui veulent élaborer des règlements au sein de leurs collectivités et répondre aux besoins de ces dernières.
Le sénateur Dyck : Merci pour la clarté de vos exposés ce soir.
Je voudrais revenir à la question à laquelle ont répondu les représentantes de l'Initiative des droits des Mi'kmaq Kwilmu'kw Maw-Klusuaqn. Ce projet de loi permettra-t-il de garantir une alimentation en eau potable salubre aux Mi'kmaq de la Nouvelle-Écosse? Vous avez clairement indiqué que tel n'était pas le cas. Certains témoins ont affirmé que la loi pourrait même aggraver la situation.
Je répète que tous les membres du comité veulent améliorer la qualité de l'eau potable sur les terres des Premières nations. Au printemps 2009, des témoins d'AINC ont comparu devant ce comité et ont affirmé qu'ils avaient réduit le nombre de collectivités à risque élevé de 93 à 48. De toute évidence, il existait un certain processus pour améliorer les systèmes d'eau potable. Je me demande si, dans votre collectivité, vous avez connu une amélioration de votre eau potable grâce à un processus qu'aurait mis en place AINC et qui ne s'appuie pas sur une loi? Que fait-on actuellement pour améliorer l'alimentation en eau potable?
Mme Suitor : C'est essentiellement dans les collectivités qui ont reçu de l'argent pour améliorer leurs systèmes d'alimentation en eau potable et de traitement des eaux usées que nous avons constaté une amélioration de la qualité de l'eau potable. On a aussi élaboré des lignes directrices et des protocoles plus complets.
Un élément important de la différence entre les régimes de gestion de l'eau et la raison pour laquelle il est si important que les collectivités puissent se prononcer, c'est que la science mi'kmaq est fondée sur l'observation de l'eau dans un laboratoire vivant où interviennent une foule de facteurs de complexification. Les constatations scientifiques ne s'appuient pas sur l'observation de l'eau du robinet dans un laboratoire. Par conséquent, la conception qu'ont les Mi'kmaq de la gestion de l'eau et ce qu'ils considèrent comme des priorités diffèrent des questions abordées dans cette loi.
Par exemple, l'approvisionnement en eau de la collectivité de Potlotek, ou Chapel Island, vient d'un lac ouvert, le lac Indian. Le lac est situé à quelques pieds à peine d'une route où circulent de nombreux camions et à environ 150 pieds de son étang de stabilisation. Pour l'instant, cette situation ne fait pas problème. Toutefois, s'il devait y avoir de graves inondations (et ces inondations se multiplient parce que la région de l'Atlantique est fortement touchée par les changements climatiques, comme en témoignent les grands titres de l'actualité), le lac et l'étang de stabilisation ne feraient plus qu'un. Il n'y a aucune source de rechange pour cette collectivité. Elle a réalisé des études et fait appel à des consultants pour étudier le problème : il n'y a pas d'autre source d'eau.
On a donc adopté un plan de protection des sources d'eau préparé par l'Union of Nova Scotia Indians et coordonné par Kim Paul, qui a fait un excellent travail. Toutefois, c'est la technologie qu'on a financée; on a affecté par la suite très peu de fonds pour mettre en œuvre le plan de protection des sources d'eau et pour s'assurer qu'il puisse évoluer et changer en fonction des besoins.
Potlotek n'est qu'un exemple parmi d'autres. Vous trouverez dans notre mémoire d'autres exemples de situations où il serait possible de s'attaquer aux vrais problèmes d'approvisionnement en eau si l'on adoptait la vision plus globale de la gestion de l'eau dont s'inspirent les Premières nations.
Le sénateur Dyck : Chef Phillips, voulez-vous répondre à cette question?
M. Phillips : Merci beaucoup, sénateur. La réponse est non. Je ne peux penser à aucun exemple d'amélioration dans nos collectivités. Nous pouvons continuer d'essayer.
J'ai mentionné précédemment les efforts déployés en matière de certification et de formation de nos opérateurs. Nous avons besoin de cette certification et de cette formation, mais cela découle d'une modification et d'une exigence voulant que nous ayons besoin de ces opérateurs accrédités. L'accréditation et cette exigence vont de pair.
Est-ce que cela permet d'améliorer les systèmes d'alimentation en eau? Je n'ai constaté aucune amélioration, monsieur le sénateur.
Le président : Pourquoi construirait-on une station d'épuration des eaux usées à 150 pieds de votre source d'eau? C'est bizarre. Est-ce parce que le lac ne servait pas de source d'eau lors de la construction de la station? C'est comme construire une station d'épuration en amont d'une source d'eau.
Mme Suitor : Le lac était notre source d'eau à l'époque. Il s'agit d'un étang de stabilisation ouvert et non d'une station d'épuration des eaux usées comme telle. Les eaux usées sont traitées par l'étang. Je crois que nous avons obtenu du financement cette année pour améliorer le fonctionnement de l'étang parce qu'il n'arrivait plus à traiter toutes les eaux usées qui y étaient déversées. Il vous faudra demander à AINC pourquoi on a placé l'étang si près de la source d'eau. Il a peut-être été difficile de trouver un endroit où un tel étang fonctionnerait bien, mais il se peut qu'un étang de stabilisation n'ait pas été la meilleure technologie à utiliser à cet endroit.
Le sénateur Dyck : À la page 6 du mémoire de l'Initiative des droits des Mi'kmaq Kwilmu'kw Maw-Klusuaqn, on affirme que pour atteindre les buts qu'a fixés le gouvernement du Canada pour le projet de loi S-11, il faudrait réécrire certaines dispositions avec la contribution des Mi'kmaq de la Nouvelle-Écosse.
Pouvez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet? Les responsables d'AINC l'ont-ils confirmé ou avez-vous reçu une lettre ou un document qui indique que les Mi'kmaq participeront à la réécriture du projet de loi?
Mme Suitor : Nous n'avons pas reçu une telle invitation. L'Assemblée des chefs Mi'kmaq de la Nouvelle-Écosse a adopté une résolution, le 25 novembre 2010, rejetant le projet de loi S-11 dans sa forme actuelle et exposant ses préoccupations. Nous n'avons pas reçu cette invitation, mais nous l'accueillerions favorablement.
Le président : Puisque nous avons épuisé la liste des sénateurs, je désire remercier les représentants des nations mi'kmaq et iroquoise. Excusez-moi, le sénateur Pépin souhaite poser une question.
[English]
Le sénateur Pépin : Monsieur Phillips, si j'ai bien compris, avec tous les millions de dollars qui ont été ou qui seront investis, votre priorité serait, comme vous n'avez aucune ressource dans ce domaine, de recevoir des sommes pour la formation de techniciens, qui seraient alors en mesure de faire les analyses. Mais en ce moment, vos techniciens ne sont pas suffisamment formés pour le traitement des eaux usées. Vous ajoutez de plus que vous n'avez même pas accès à des tests poussés et que vous pouvez attendre jusqu'à quatre jours avant d'obtenir les résultats de ces tests.
Donc la priorité serait de vous octroyer des fonds pour la formation de personnel. Vous n'auriez ensuite qu'à poursuivre le mécanisme. L'idée de départ est donc que vous n'avez pas les moyens de former des techniciens adéquats afin de pouvoir faire les analyses et de faire fonctionner la machine.
Est-ce que j'ai bien compris?
[Translation]
M. Phillips : Merci pour la question, madame le sénateur. Monsieur le président, le sénateur fait valoir un point intéressant concernant cette idée d'accès à de l'argent pour de la formation. Je n'irai pas jusqu'à dire qu'un meilleur accès à la formation et à l'accréditation réglera le problème dont il est question ici. La formation et l'accréditation sont toutefois essentielles et très utiles. À mesure qu'on adoptera des normes et davantage de règlements, il sera primordial de former nos opérateurs pour qu'ils puissent relever ces défis.
Il s'agit là d'une question distincte parce que nous parlons maintenant d'un nombre restreint de collectivités des Premières nations qui disposent déjà de systèmes afin que nous puissions régler cette question de la formation. Nous parlons tout simplement d'accès. Il y a des collectivités — et mes collègues à ma droite l'ont confirmé — qui n'ont même pas accès à de tels systèmes.
Ce n'est pas en investissant de l'argent et en nous concentrant uniquement sur la formation et sur ce qui existe que nous réglerons le problème, c'est-à-dire que nous garantirons un accès universel à de l'eau potable salubre. Toutefois, la formation et les ressources sont essentielles pour veiller à ce que nos opérateurs possèdent les compétences nécessaires pour respecter les règlements.
Le président : Je remercie les témoins pour leurs exposés et leurs réponses franches et claires aux questions des sénateurs.
S'il n'y a pas d'autres questions, je mets fin à la séance.
(La séance est levée.)