Délibérations du comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones
Fascicule 20 - Témoignages du 9 mars 2011
OTTAWA, le mercredi 9 mars 2011
Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, auquel a été renvoyé le projet de loi S-11, Loi concernant la salubrité de l'eau potable sur les terres des Premières Nations, se réunit aujourd'hui, à 18 h 45, pour étudier ce projet de loi.
Le sénateur Gerry St. Germain (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Il est 18 h 45, et je vois que nous avons le quorum. La séance est ouverte.
Bonsoir. Je souhaite la bienvenue aux sénateurs ainsi qu'à ceux qui suivent les débats du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones sur CPAC ou sur le Web. Je suis le sénateur Gerry St. Germain, de la Colombie- Britannique, et j'ai l'insigne honneur de présider ce comité.
Le comité a été chargé d'étudier la législation et d'autres questions relatives aux peuples autochtones du Canada. Des rapports font état de problèmes importants liés à la distribution d'eau potable salubre dans les communautés des Premières nations, notamment le vieillissement des systèmes d'alimentation en eau; la formation et l'accréditation des exploitants; le manque de ressources indépendantes pour financer convenablement l'exploitation et l'entretien des réseaux d'eau potable et d'eaux usées; et le manque de précision des rôles et des responsabilités.
Nous poursuivons ce soir notre étude d'un projet de loi visant à régler ces problèmes, le projet de loi S-11, Loi concernant la salubrité de l'eau potable sur les terres des Premières nations.
Ce soir, notre témoin, qui représente l'Assemblée des Premières Nations, sera présent par le truchement de la vidéoconférence, puisqu'il est à Regina, en Saskatchewan.
[Français]
Avant d'entendre notre témoin, j'aimerais présenter les membres du comité qui sont présents ce soir.
[Traduction]
À ma gauche, il y a le sénateur Nick Sibbeston, des Territoires du Nord-Ouest; à côté de lui se trouve le sénateur Lovelace Nicholas, du Nouveau-Brunswick; à côté d'elle, voici le sénateur Dyck, de la Saskatchewan; et à côté d'elle se trouve le sénateur Roméo Dallaire, du Québec.
À ma droite, voici le sénateur Patrick Brazeau, du Québec; à côté de lui, le sénateur Ataullahjan, de l'Ontario; à côté d'elle se trouve le sénateur Poirier, du Nouveau-Brunswick; et enfin, à côté d'elle, voici le sénateur Raine, de la Colombie-Britannique.
Chers collègues, joignez-vous à moi pour souhaiter la bienvenue à nos témoins. De l'Assemblée des Premières Nations, accueillons Shawn (A-in-chut) Atleo, chef national, qui nous parle en direct de Regina. Monsieur, nous vous remercions de prendre la peine de vous libérer pour nous ce soir, même si vous êtes à l'extérieur.
M. Atleo est accompagné de M. Irving Leblanc. Je ne connais pas votre titre officiel, mais vous êtes vraiment devenu un habitué des comités. Nous étions ravis de vous voir autant pendant ces délibérations, parce que, si je ne m'abuse, vous faites partie de l'APN et êtes responsable de la salubrité de l'eau potable, et peut-être des eaux usées. Vous pourrez peut-être nous expliquer cela dans votre déclaration, monsieur Atleo.
Il semble que vous suiviez l'évolution du projet de loi S-11 depuis la première fois où l'APN a comparu devant le comité. Nous aimerions connaître votre point de vue, en particulier sur les propos tenus par le ministre à la réunion d'hier, qui montrent sa volonté de voir le projet de loi amendé. Après votre intervention, les sénateurs auront sans doute des questions. Comme aux réunions précédentes, je dois vous demander, monsieur Atleo, d'être aussi bref que possible. Je demande aux sénateurs de faire de même lorsqu'ils poseront des questions, et de s'en tenir au sujet qui nous occupe.
Mesdames et messieurs les sénateurs, lorsque vous poserez une question, n'oubliez pas que votre microphone doit être ouvert et que vous serez filmés pour que le chef national et M. Leblanc puissent vous voir.
Sans plus tarder, je vous invite, monsieur Atleo, à prendre la parole.
Shawn (A-in-chut) Atleo, chef national, Assemblée des Premières Nations : Permettez-moi de mieux vous présenter M. Leblanc. Il est directeur intérimaire du logement et des infrastructures à l'Assemblée des Premières Nations et il possède une expérience et des connaissances précieuses qui lui permettront de participer à cette importante conversation. Il est aussi reconnu comme un des premiers membres des Premières nations du pays à être devenu ingénieur.
Conformément à votre directive, je vais tout de suite faire ma déclaration. Merci beaucoup, monsieur le président, et mesdames et messieurs les sénateurs.
Tout d'abord, je tiens sincèrement à vous remercier, au nom de chaque membre des Premières nations du Canada, de faire encore appel à moi. Cela nous confirme, à moi et aux Premières nations, que votre comité comprend réellement l'importance de la consultation des Premières nations et de l'établissement d'une nouvelle voie et d'une nouvelle stratégie touchant les grands dossiers.
L'eau potable est sans contredit un besoin essentiel. Nous le comprenons tous et y accordons de l'importance. Il est tout simplement inacceptable que les membres des Premières nations soient les seuls à ne pas avoir obtenu d'engagement clair ni de garantie relativement à l'alimentation en eau potable de qualité.
Je n'ai pas besoin de revenir sur les autres points soulevés par les nombreux témoins qui ont comparu devant vous jusqu'à maintenant, et je n'en ai pas l'intention. Je sais que vous les avez écoutés attentivement. Vous savez que chaque témoin parlant au nom des Premières nations a émis de sérieuses réserves sur le projet de loi. J'aimerais exposer ce soir la façon dont nous pouvons travailler ensemble pour fournir de l'eau potable de qualité aux membres des Premières nations.
Lorsque j'ai comparu devant vous, j'ai parlé de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Je l'ai fait parce qu'elle nous oblige à travailler ensemble pour conclure de nouveaux partenariats dans le but d'établir des normes de base pour les peuples autochtones du monde entier. C'est très pertinent pour notre travail aujourd'hui.
De plus, soyons clairs à propos des préoccupations entourant le projet de loi, un projet de loi qui, selon moi, ressemble beaucoup plus aux tentatives précédentes qui ont échoué qu'à une méthode moderne fondée sur un véritable partenariat. J'aimerais mettre l'accent sur la façon dont nous pouvons faire avancer ce projet.
J'aimerais de nouveau souligner l'engagement du gouvernement du Canada, qui a fait de l'alimentation des réserves en eau potable une priorité et qui a investi quelque 2 millions de dollars. C'est une contribution importante, et nous en avions grandement besoin, bien que nous soyons malgré tout confrontés à des problèmes graves et persistants.
L'explication est, en fait, bien simple. Comme la Commission royale sur les peuples autochtones l'a fait remarquer il y a une dizaine d'années, la politique canadienne relative aux Indiens n'a pas répondu aux attentes des Autochtones et n'y répond toujours pas. Nous devons être prêts à prendre un virage, et, pour ce faire, des changements fondamentaux s'imposent.
Je salue les efforts déployés par le comité pour provoquer ce changement, et je salue la volonté du ministre à envisager l'amendement du projet de loi. Nous devons maintenant nous assurer d'opérer le changement nécessaire. Je ne parle pas de simples retouches. Comme vous l'avez entendu dire, le projet de loi et le processus exigent une importante réorientation.
Permettez-moi d'énoncer clairement les éléments qui, au minimum, s'imposent pour redresser la situation. Premièrement, les droits ancestraux ou issus de traités inhérents au processus doivent être respectés. Deuxièmement, le processus doit permettre l'élaboration du règlement par les Premières nations, puisque c'est leur droit. Troisièmement, nous devons nous entendre sur leur mise en œuvre et, tout aussi important, sur le plan financier devant soutenir ce règlement.
Je suis conscient que le gouvernement fédéral doit établir les pouvoirs dans la loi pour garantir les ressources. C'est votre processus, et nous le comprenons. Ce que nous disons, c'est que le gouvernement fédéral ne peut pas et ne doit pas le faire unilatéralement.
Le ministre a témoigné hier, et je suis heureux qu'il ait dit que le projet de loi doit permettre la réglementation par les Premières nations. C'est ce que les membres des Premières nations qui comparaissent devant vous réclament. Ils cherchent activement, partout au pays, les meilleures façons de promouvoir leur participation à l'établissement d'un règlement et de la capacité nécessaire pour obtenir de l'eau potable de qualité. Nous progressons, et nous devons trouver une façon de faire en sorte que la loi le soutienne et le permette. Nous devons en arriver à ce que le projet de loi respecte les droits et favorise des processus régionaux respectueux pour appuyer la réglementation, grâce à la participation pleine et entière des Premières nations et sous leur autorité. De cette façon, les Premières nations seront en mesure de stimuler l'innovation et d'instaurer des mesures de santé et de sécurité essentielles dans leurs communautés.
L'alimentation en eau potable de qualité est aussi essentielle pour le développement socioéconomique des communautés. Nous le savons tous et nous devons tous nous concentrer sur cet objectif. Je compte sur le comité pour poursuivre cet important travail, pour veiller à ce que nous tournions la page et laissions derrière nous les vieilles habitudes qui ont exclu nos voix et violé nos droits. Il est temps d'adopter des processus respectueux qui reconnaissent l'autorité des Premières nations et de conclure un véritable partenariat pour assurer l'alimentation en eau potable de qualité.
Des amendements ont été proposés, et certains ont été communiqués aux Premières nations et à leurs organisations. Je ne sais pas ce qu'il en est actuellement, comme le projet de loi en question a été soumis à votre comité. Bien qu'il soit positif, ce développement n'est pas allé assez loin jusqu'à maintenant. Qui plus est, il n'a ni établi la participation pleine et entière des Premières nations ni garanti de marche à suivre respectueuse.
De plus, nous ne disposons toujours pas des renseignements essentiels pour comprendre comment la loi sera mise en œuvre et quels seront les besoins en ressources. Nous sommes conscients qu'il faut un règlement pour s'assurer que les fonds alloués donnent des résultats concrets sur le terrain. Nous croyons aussi qu'il doit y avoir un engagement à l'égard des ressources qui cadre avec le règlement et qui permette l'atteinte des normes.
Je le répète, monsieur le président, je suis heureux de me joindre encore une fois à vous ce soir. Vos commentaires et vos questions sont les bienvenus. Le rôle de chef national est un rôle de médiateur et de défenseur. Je ne parle pas au nom d'autres nations, j'ai plutôt le mandat de faire connaître leurs opinions et leurs inquiétudes. Ce soir, je suis ravi de servir les intérêts des familles, des enfants, des aînés et des membres des Premières nations qui vivent dans les réserves, qui comptent sur le gouvernement et le comité pour s'associer à eux dans un partenariat qui donnera de meilleurs résultats, de meilleures normes et un avenir meilleur.
Le président : Merci beaucoup, monsieur Atleo. Je voudrais faire une brève observation. À mon avis, le fait que le comité vous ait demandé de revenir et de témoigner ce soir est une marque de ce respect que vous demandez.
Vous avez parlé de la déclaration des Nations Unies et d'une nouvelle façon de travailler ensemble. Je suis ici depuis 18 ans, et je me penche sur des projets de loi au sein du comité depuis longtemps. Je n'ai jamais vu le gouvernement se montrer aussi coopératif que maintenant ni aussi ouvert à amender un projet de loi qui ne convient pas à la population qu'il tente de servir.
J'espère que nous pourrons aller de l'avant de façon positive. Selon moi, le projet de loi n'est qu'une première étape. L'élaboration du règlement, sa mise en œuvre et la question des ressources seront, selon toute logique, prises en considération.
Je cède maintenant la parole aux sénateurs.
Le sénateur Raine : Merci de vous joindre à nous, monsieur Atleo. Je souhaitais vous entendre de nouveau parce que j'ai l'impression que dans sa déclaration d'hier, le ministre a expliqué clairement le degré d'engagement du gouvernement envers l'amélioration de l'alimentation en eau potable de qualité. Il est question ici d'une loi habilitante, nécessaire si nous voulons passer à la prochaine étape, soit la rédaction d'un règlement.
Êtes-vous prêt à y travailler étape par étape et à faire avancer les choses? Les citoyens canadiens veulent tous que chaque communauté ait accès à de l'eau potable de qualité. Selon moi, la première étape est l'adoption du projet de loi, la seconde étant l'établissement d'un plan, auquel on donnera suite avec un règlement. De là, nous poursuivrons l'objectif de fournir à tous de l'eau potable de qualité. Le projet de loi est la première étape.
M. Atleo : Merci, madame le sénateur. Lorsque j'ai parlé de la déclaration des Nations Unies, je l'ai fait parce que l'adhésion à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, déclaration à laquelle les peuples autochtones ont directement contribué, a été une étape importante pour le Canada. Et ce ne sont pas seulement les Autochtones du Canada, mais de partout dans le monde, qui y ont participé.
Il est important de souligner certains aspects fondamentaux de la déclaration. Ils s'inscrivent dans la lignée des efforts déployés depuis longtemps par les Premières nations, des premiers traités à la mise en œuvre de l'article 35, et, plus récemment, à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Ce sont des normes et des principes importants sur la participation directe des Premières nations à la conception et à la désignation d'une voie à suivre, et sur leur droit de le faire.
Un de ces aspects est le principe du consentement préalable donné librement et en connaissance de cause. Concrètement, il s'agit de la participation d'entrée de jeu à la conception d'une voie à suivre qui, nous le savons, confirmera les droits ancestraux ou issus de traités qui sont reconnus à l'article 35 de la Loi constitutionnelle et, maintenant, dans la déclaration de l'ONU. Le Canada, en tant qu'État, a la responsabilité d'entamer et d'appuyer la mise en œuvre des traités.
Par conséquent, quand il s'agit d'une question aussi fondamentale que la santé, le bien-être et la sécurité des communautés des Premières nations, il faut garder à l'esprit cette notion de consentement préalable donné librement et en connaissance de cause, de même que le haut niveau d'engagement qu'elle sous-tend. C'est ce que les Premières nations soutiennent depuis le début.
Au pays, on s'entend généralement pour dire que l'approche qui a été suivie jusqu'à maintenant pour l'élaboration du projet de loi, celle qu'on adopte dans bien d'autres domaines, est loin de répondre aux attentes. Nous nous retrouvons dans une situation où, en dépit des investissements, nous ne respectons toujours pas les normes de base relativement à la qualité de l'eau potable pour la population qui est la plus vulnérable sur le territoire canadien.
Madame le sénateur, si je peux me permettre, ce que les Premières nations s'entendent pour dire depuis longtemps est que la norme à respecter doit être beaucoup plus élevée en ce qui concerne la planification et la distribution d'eau potable salubre.
Le sénateur Sibbeston : Monsieur Atleo, je suis très content que le ministre veuille des amendements. Je pense que certains d'entre eux sont satisfaisants, notamment l'engagement, dans le préambule, à travailler avec les Premières nations. C'est très positif.
Ce qui me préoccupe dans ce projet de loi, c'est la disposition selon laquelle le gouverneur général peut, sur recommandation des ministres, prendre des règlements. On dirait un projet de loi tiré des archives des années 1890 ou du début des années 1900. On n'a vu aucun projet de loi semblable à cela depuis 10 ans. Ils étaient tous complètement à l'opposé, donnant aux Premières nations la maîtrise de leur destin.
Si une disposition dans le projet de loi prévoyait que le ministre doit consulter les Premières nations, seriez-vous satisfait? Croyez-vous que ce soit nécessaire?
M. Atleo : À certains égards, ce que vous dites rejoint ce qu'a dit le sénateur Raine, et je lui suis reconnaissant d'avoir mentionné qu'il s'agit d'une loi « habilitante ». Je pense que c'est une des choses que les Premières nations essaient d'obtenir. Nous voulons que cet engagement soit confirmé dans la loi et garantisse cette norme élevée, par exemple, pour l'élaboration du règlement. M. Leblanc voudra peut-être vous en parler.
Les Premières nations veulent s'assurer que les experts dans leurs communautés seront habilités à élaborer un règlement et encouragés à le faire, qu'ils pourront le faire là où les chances de réussite sont les plus grandes relativement à la distribution d'eau potable de qualité, et que le tout se fera en même temps. Les ressources requises doivent cadrer avec le soutien et l'habilitation des régions, et des membres des Premières nations dans ces régions, pour que les experts soient en mesure d'élaborer un règlement.
À mon avis, ce que les Premières nations cherchent, c'est un engagement très élevé de la part du gouvernement à nouer en toute bonne foi le dialogue avec les Premières nations, pour qu'elles puissent avoir l'assurance qu'elles participeront pleinement à l'élaboration du règlement.
Irving Leblanc, directeur intérimaire, Logement et infrastructures, Assemblée des Premières Nations : C'est la principale préoccupation des Premières nations. C'est de s'assurer qu'il y a un engagement ferme envers leur participation à l'élaboration du règlement. Leurs organisations le font très bien à l'heure actuelle. Elles aimeraient pouvoir s'asseoir et travailler avec le gouvernement pour avoir leur mot à dire dans la façon dont ce règlement sera élaboré dès le départ.
M. Atleo : Pour conclure, donc, la notion de participation directe, et l'engagement connexe, est importante. Le sentiment général est que le libellé du préambule n'est pas assez fort ni assez bon pour rassurer les Premières nations à ce chapitre.
Le sénateur Lovelace Nicholas : Je vous remercie, et je vous souhaite la bienvenue, monsieur Atleo. Comme vous le savez, c'est un projet de loi du Sénat.
J'ai entendu beaucoup de témoins, et bon nombre d'entre eux ne sont pas d'accord avec le projet de loi. S'il y a une chose positive que vous pouvez dire sur ce projet de loi, quelle est-elle? Et une chose négative? Une seule.
M. Atleo : Je l'ai dit au début. Ce qu'on apprécie beaucoup, et ce dont nos peuples ont désespérément besoin, c'est une reconnaissance commune de l'importance de l'accès à de l'eau potable de qualité. Je sais que cela ne concerne pas les caractéristiques particulières du projet de loi. La deuxième chose est aussi relative au processus, soit la volonté de la part du ministre envisager des amendements en vue d'améliorer le projet.
Le défi, donc, consiste à miser sur cet aspect positif et à aller de l'avant, pour suivre la direction indiquée dans la déclaration de l'ONU et jeter aux oubliettes la prise de décision unilatérale, qui a engendré une grande méfiance entre les Premières nations et les gouvernements. Il faut abandonner cette habitude de toujours jeter le blâme sur les autres. Pendant ce temps, les enfants, les aînés et les personnes malades sont particulièrement vulnérables.
Je suis heureux que vous posiez cette question. Il est grand temps que nous nous penchions ensemble sur le problème. À cet égard, le comité mérite assurément notre reconnaissance.
Le sénateur Dallaire : Nous devons souligner le courage dont a fait preuve le ministre en déposant de nouveau son projet de loi pour l'amender. À Ottawa, ce geste n'est pas banal, et c'est un important pas en avant pour les peuples autochtones, pour qu'on règle le problème.
Monsieur Atleo, nous parlons de relations, de discussions, de priorités et de mesures pour répondre aux besoins des peuples autochtones. Je ne suis pas certain que nous parlions de nation à nation. Cependant, en qualité de chef national, pouvez-vous, en faisant un simple appel, joindre le ministre ou le sous-ministre pour parler de vos innombrables responsabilités et des leurs? Ce faisant, pouvez-vous exercer une influence directe sur eux relativement à l'établissement des priorités du ministère? Pouvez-vous obtenir des renseignements sur la planification des projets, par exemple, pour régler les problèmes techniques associés à l'alimentation en eau potable?
Pouvez-vous discuter à fond d'un sujet avec le personnel lorsque vous le souhaitez?
M. Atleo : En ce qui concerne la communication, la réponse courte est oui, nous avons l'occasion et la capacité de communiquer avec le personnel.
Il faut bien comprendre la grande différence entre nos rôles respectifs. Le ministre détient les pouvoirs gouvernementaux et ministériels pour mener des affaires comme les projets de loi. À titre de chef national, j'assume des responsabilités de médiateur et de défenseur pour les 633 Premières nations.
Cela nous place en bonne position pour nous faire les porte-parole des voix que nous entendons invariablement, pour les voir exprimées dans les résolutions qui traitent de questions importantes comme celle-ci.
Avant la réunion, je parlais avec M. Leblanc des techniciens qualifiés que nous avons dans nos communautés. Je pense que si une approche respectueuse des droits des Premières nations issus de traités était envisagée et que nous engagions ces experts pour participer à l'élaboration du règlement, comme l'a dit M. Leblanc, nous pourrions obtenir les résultats voulus en matière d'alimentation en eau potable de qualité. Nous établirions le type de relation qui était prévue au moment de signer les traités et qui est maintenant énoncée dans la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.
Nous avons donc une bonne communication, mais nous devons consolider nos façons de faire. Il faut rompre cette vieille habitude de prendre des décisions de manière unilatérale.
Le sénateur Dallaire : Votre réponse est longue. Je suis un soldat, alors j'ai de la difficulté à vous suivre.
Le président : Je suis le président, alors je serai généreux.
Le sénateur Dallaire : Il n'y a pas de problème à jouer le rôle de défenseur. Lorsque vous rencontrez le ministre et le sous-ministre et que vous leur demandez quelles sont leurs priorités, les ressources et les processus de planification qui sont en cours parce qu'ils doivent produire un budget quinquennal, et ainsi de suite, obtenez-vous des renseignements concrets qui vous permettent de conseiller le ministre et le sous-ministre?
Je ne parle pas des sous-ministres adjoints. Je ne me soucie pas des DG, des directeurs ni des chefs de section. Je parle du ministre et du sous-ministre. Obtenez-vous des renseignements concrets, et pouvez-vous le faire?
M. Atleo : Deux observations rapides, car je ne voudrais pas mettre un soldat en colère. C'est un problème lorsque vous n'avez pas accès à l'évaluation complète des enjeux. Il est alors bien difficile de savoir si vous travaillez sur la foi des mêmes renseignements.
Ensuite, il est moins question de ma communication avec le ministre que d'un accès commun à l'information, qui débute par une compréhension commune. Mon rôle consiste à veiller à ce que les Premières nations participent directement à la recherche de solutions qui influent sur leur vie.
J'espère que ma réponse est assez courte et plus compréhensible.
Le sénateur Dyck : J'aimerais remercier le ministre pour le travail qu'il a fait pour ce projet de loi. Nous posons aujourd'hui un geste historique. J'aimerais aussi vous remercier, mesdames et messieurs les sénateurs et monsieur le président, parce que je pense que nous allons atteindre des sommets inégalés par d'autres ministres et sénateurs.
Monsieur Atleo, vous avez dit que certains amendements vous avaient été communiqués, mais pas nécessairement de façon significative. Pourriez-vous nous en dire un peu plus et nous dire quelles sont les attentes sur la suite des choses?
Par exemple, le projet de loi sur les revendications particulières a été rédigé par des représentants du ministère et de l'APN.
Je ne sais pas si vous savez comment cela s'est passé exactement, mais imaginez-vous un processus semblable pour le projet de loi S-11?
M. Atleo : Oui. En ce qui concerne les éléments du projet de loi sur le Tribunal des revendications particulières, j'étais coprésident du comité, et j'ai travaillé avec une personne nommée par le gouvernement. Nous avons coprésidé le comité qui a étudié la Loi sur le Tribunal des revendications particulières. Voilà un exemple d'efforts communs qui ont mené à la mise en œuvre réussie de la Loi sur le Tribunal des revendications particulières.
J'en ai parlé à mon collègue, et cela nous ramène à la question de la participation. Nous avons des experts dans toutes les régions du pays. Si nous pouvions les reconnaître, les appuyer et les habiliter à participer de manière fructueuse, nous pourrions sans aucun doute atteindre les résultats que nous visons tous.
M. Leblanc : L'origine du projet de loi remonte bien plus loin dans le temps, à 2006. En 2008, le cabinet du ministre a créé une direction législative. À ce moment, nous avons été avisés que le ministre s'intéressait aux biens immobiliers matrimoniaux et aux revendications particulières.
Nous étions ravis qu'on envisage une approche semblable, soit la consultation et l'élaboration du règlement de manière conjointe. Malheureusement, ce n'est pas ainsi que les choses se sont déroulées; cette approche n'a pas été suivie. Toutefois, c'est comme cela que les choses ont commencé.
Le sénateur Brazeau : J'ai une petite question pour le chef national.
Monsieur Atleo, vous avez essentiellement parlé de trois amendements ou de ce que vous souhaitez voir figurer dans le projet de loi. Vous avez parlé des droits issus de traités, des experts que vous voulez voir participer à l'élaboration du règlement et des ressources. Vous avez mentionné cela dans une lettre au ministre datée du 8 mars.
David Nahwegahbow a dit que les lois habilitantes ne comportaient habituellement pas de disposition sur les ressources financières.
Cela dit, si le gouvernement du Canada pouvait tenir compte de vos deux premières recommandations ou préoccupations, exprimées dans les amendements proposés par le ministre, auriez-vous alors le mandat d'appuyer le projet de loi ainsi modifié? Le feriez-vous publiquement?
M. Atleo : Que ce soit bien clair, pour que nous soyons vraiment motivés à aller de l'avant, il faudrait d'abord qu'on nous montre tous les amendements. Il nous faudrait envisager un document d'accompagnement que nous rédigerions ensemble. Il nous faudrait aussi veiller à ce que l'investissement soit précisé. Ces éléments sont tous cruciaux, d'après moi, et l'ensemble des Premières nations du Canada s'entendent là-dessus.
Comme le sénateur Dyck l'a souligné, la Loi sur le Tribunal des revendications particulières sert en quelque sorte de modèle aux Premières nations et au partenaire d'État des Premières nations, le gouvernement, pour définir une approche qui corresponde à l'idée de consentement donné librement et en connaissance de cause. En fait, je crois que les résultats seront beaucoup plus bénéfiques si nous donnons aux communautés le pouvoir de décider. J'espère que cela répond à votre question.
Le sénateur Brazeau : Cela répond partiellement à la question, je suppose. Vous nous avez parlé de trois préoccupations. Concernant les ressources financières, vous connaissez bien le processus. Cela viendra après. Si la loi est adoptée, des discussions auront lieu avec les Premières nations pendant l'élaboration du règlement. Elles seront consultées tout au long du processus.
Si vos deux premières inquiétudes sont calmées par les amendements proposés par le gouvernement, appuierez-vous le projet de loi? Obtiendrez-vous un mandat de vos chefs pour l'appuyer? Le ferez-vous publiquement?
M. Atleo : Je crois que nous sommes en mesure de nous entendre sur le respect des droits inhérents, ancestraux et issus de traités ainsi que sur une reconnaissance grandissante de la valeur de la participation des Premières nations à l'élaboration des règlements.
Là où nous rencontrons des obstacles concernant les lois et l'élaboration des lois, c'est avec le secret entourant les travaux du Cabinet, le privilège du Cabinet et les questions financières. Il faut trouver une façon de préciser comment se fera la mise en œuvre du règlement et quel sera le plan financier. Sans cela, je crois que ce que disent les Premières nations, c'est qu'elles pourront difficilement appuyer le projet de loi. Les Premières nations ont clairement fait savoir que le projet de loi sans sa forme actuelle est loin de garantir l'alimentation en eau potable de qualité des communautés.
Le sénateur Brazeau : Je vous remercie.
Le sénateur Banks : Monsieur Atleo, merci beaucoup d'avoir trouvé du temps à nous consacrer pour examiner cette importante question à si court préavis.
Monsieur Leblanc, je crois bien vous avoir vu davantage que toute autre personne au cours des dernières semaines. C'est un plaisir de vous revoir.
M. Leblanc : Merci.
Le sénateur Banks : Monsieur Atleo, je me joins à mes collègues pour féliciter le ministre d'avoir reconnu qu'il y avait encore beaucoup de travail à faire. De mon côté, cependant, je ne suis pas aussi optimiste que certains de mes collègues concernant les résultats éventuels. Je vais vous donner mon avis sur le projet de loi, et vous me direz ce que vous en pensez.
Le sénateur Dyck a mentionné à quel point l'élaboration de la Loi sur le Tribunal des revendications particulières avait été un processus collaboratif. Vous et M. Leblanc avez dit qu'il semblait devoir en aller de même pour ce projet de loi, mais que cela ne s'était pas passé comme ça. En fait, selon moi, c'est le contraire d'un processus collaboratif. Comme le sénateur Sibbeston l'a dit, c'est plutôt un retour aux anciennes manières de faire, hautement paternalistes.
Si j'ai des réserves sur ce projet de loi, c'est que je crois qu'il est si inadapté qu'il sera impossible de le corriger simplement en l'amendant, car son objectif fondamental et son fondement sont paternalistes. Ma principale hésitation concerne le terme « consultation ».
Si je me rappelle bien, aucun membre du groupe d'experts n'a dit quoi que ce soit concernant la « consultation ». On a parlé de participation, d'engagement direct et de partenariat, mais pas de consultation. La consultation ne peut pas être définie. Comme mes collègues et moi-même ont pu le constater, certaines personnes disent ne pas avoir été bien consultées, et beaucoup d'autres disent avoir consulté tout le monde.
M. Churchill a déjà dit que si on consultait un prisonnier le soir pour savoir s'il voulait être décapité au matin, il vous répondrait probablement que, tout bien réfléchi, il préférerait que non. Puis, dans la matinée, après l'avoir décapité, on pourrait dire : « Mais nous l'avons consulté! » Je crois que c'est ce qui se passe ici.
Je suis contre ce projet de loi. Je vais proposer des amendements pour le rendre « le moins mauvais » possible. La première chose que je vais tenter de faire, toutefois, comme mes collègues ici le savent, est d'essayer de le faire rejeter, puis d'en rédiger un nouveau. Quelle est votre opinion là-dessus?
M. Atleo : Bon sang! L'image du prisonnier décapité semble avoir un fond de vérité : nos communautés sont grandement vulnérables dans le cas de l'eau, et c'est totalement imprudent.
À la demande des chefs, j'ai été publiquement clair sur le fait que la « collaboration » — si je peux utiliser ce terme — était nécessaire. La Loi sur le Tribunal des revendications particulières a été une collaboration authentique. La rédaction s'est faite conjointement.
Je crois qu'on peut la renforcer davantage. Il s'agit peut-être là d'une occasion historique : approvisionner les Premières nations en eau potable de qualité permettrait de rompre avec les vieilles habitudes d'élaboration unilatérale fondée sur la non-reconnaissance des titres et des droits ancestraux ou issus de traités, de reconnaître et de mettre en œuvre l'article 35. On n'a pas encore établi de méthode de mise en œuvre de l'article 35 de la Constitution canadienne, qui reconnaît et confirme les titres et les droits ancestraux ou issus de traités, depuis son adoption.
L'eau a quelque chose de fondamental. Nous avons sensiblement la même opinion que vous sur ce projet de loi, qui reflète de vieilles habitudes. Nous avons aujourd'hui l'occasion de rompre avec elles. Nous avons tout ce qu'il faut pour le faire si les leaders politiques à Ottawa font preuve de volonté.
Les Premières nations disent la même chose. Bien entendu, cela serait basé sur les trois principaux points que j'ai soulevés ici, qui ont fait l'objet d'un solide consensus au pays.
Le sénateur Demers : Bonsoir, monsieur Atleo. Merci de votre présence.
J'ai assisté à chaque réunion portant sur ce projet de loi. J'ai bâti ma carrière en espérant et en étant positif. À certains moments, en partant, je me disais qu'il semblait n'y avoir aucun espoir. Beaucoup de témoins ont exprimé de la colère, tout en restant professionnels. Des sénateurs ont aussi manifesté de la colère.
Je viens d'entendre des éloges sur le ministre, qui a dit qu'il souhaitait amender le projet de loi. Mais il semble, d'après vos propos ce soir, qu'il y ait de l'espoir concernant les amendements, la communication et la poursuite du dialogue. Ce soir, je vois la situation de façon beaucoup plus optimiste que je la voyais il y a deux ou trois semaines.
Il y a du pain sur la planche. Il ne fait aucun doute que chacun doit pouvoir boire de l'eau potable. On ne devrait même pas en débattre en 2011. Il semble y avoir de l'espoir, particulièrement lorsque des sénateurs libéraux font des éloges sur le ministre. Le voyez-vous ainsi ou suis-je trop optimiste?
M. Atleo : Sénateur, je partage votre sentiment. J'ai dit plus tôt que ce que nous avions appelé la « politique indienne » avait vraiment échoué. Cela n'a pas fonctionné. Les choses ont suivi un cours bien déterminé au fil de l'histoire. En raison du profond sentiment de vulnérabilité, c'est dans des moments comme ceux-là que nous cherchons un leadership véritable chez les sénateurs, les députés, le ministre et le premier ministre.
Plus de 110 avertissements de faire bouillir l'eau potable sont en vigueur, et 50 communautés sont dans une situation hasardeuse. Si cela arrivait dans le centre-ville d'une grande ville, ce serait outrageant, et il y aurait un véritable tollé. Ce sont des conditions de vie réelles et actuelles. Les choses ont suivi un cours déterminé, et le partenariat suggéré dans les traités originaux — soit qu'il fallait réfléchir ensemble, mener les choses à bien et résoudre les problèmes — ne s'est pas concrétisé.
Trop souvent, les relations dégénèrent en conflits sérieux et en accusations. Elles ne donnent pas de résultats positifs qui permettent d'alimenter les Premières nations en eau potable de qualité ni le rendement que nous devrions attendre compte tenu des ressources investies.
Comme nous l'avons prouvé par les efforts consacrés à la Loi sur le Tribunal des revendications particulières, je crois que cela peut se faire conjointement. C'est certain qu'il y a des obstacles et des problèmes liés à la reconnaissance de la confidentialité du processus, mais nous pouvons et nous devons les surmonter. Prenons par exemple la question de la clarté concernant la mise en œuvre et le plan financier. Si ces éléments ne sont pas liés à l'élaboration d'une approche réglementaire, alors nous ne travaillons pas à partir des mêmes informations. C'est difficile de s'accrocher à cet espoir, un sentiment que nous partageons, je crois.
Le président : J'ai une question avant de passer au deuxième tour. Vous avez souligné, monsieur Atleo, l'urgence de la situation, et vous avez raison. On peut considérer ce qui s'est passé à Walkerton et constater l'urgence qu'il y avait là-bas. Si l'urgence concernant l'eau potable de qualité était un problème dans n'importe quelle autre communauté au Canada, peu importe sa taille, on s'en occuperait rapidement.
Un grand voyage commence toujours par un premier pas. Ce n'est pas moi qui le dis. Je suis conscient que la confiance des Premières nations n'est pas gagnée quand il s'agit des gouvernements, en raison des nombreuses promesses non tenues. Comme le sénateur Dyck l'a si bien dit, quatre d'entre nous ont travaillé à la loi sur les revendications particulières. À cette époque, nous avons demandé au nom des Premières nations qu'elles soient consultées, qu'elles collaborent et participent à l'élaboration de la loi, et ça s'est fait.
Je comprends que nous ne pouvons pas ignorer la mise en œuvre ni les ressources. Cependant, depuis 2003, le gouvernement a investi 2,6 milliards de dollars pour améliorer la qualité de l'eau dans les réserves au Canada, et je crois que ça dépasse largement le plafond de 2 p. 100.
Croyez-vous que nous pourrions faire un acte de foi et progresser sur le plan des droits inhérents respectifs, comme vous l'avez souligné, et de l'élaboration du règlement, si on y arrive, puis poursuivre avec la mise en œuvre et les ressources? Je vous le demande en me basant sur l'expérience que nous avons eue — le sénateur Sibbeston, le sénateur Lovelace Nicholas, le sénateur Dyck et moi — en travaillant à la loi sur les revendications particulières. Pouvez-vous nous répondre là-dessus, je vous prie?
M. Atleo : J'apprécie la question et la manière dont vous la formulez. Nous nous sommes consacrés au vrai problème, qui est de surmonter la profonde méfiance à laquelle vous faites référence, et qui est réelle. Elle a été justifiée pendant longtemps.
Croire que les ressources viendront après est un acte de foi difficile à faire pour les Premières nations; c'est beaucoup leur demander. C'est pourquoi, quand on regarde des lois comme la Loi sur le Tribunal des revendications particulières, les suggestions mentionnent un document d'accompagnement, quelque chose qui permette d'expliciter clairement, premièrement, le rôle important, et, deuxièmement, la mise en œuvre. Ce serait un pas dans la bonne direction.
Le sénateur Raine : Je vois cela comme un enjeu permanent. Nous avons travaillé à la conception de nouveaux systèmes et y avons investi des fonds, et les choses suivent leur cours. Cela dit, pour mettre en place un cadre réglementaire, nécessaire pour assurer le bon fonctionnement des systèmes, nous devons franchir la première étape, soit adopter une loi. Je ne crois pas qu'il faille choisir entre l'un ou l'autre. Je crois que les choses doivent progresser en parallèle.
Ma question est la suivante : croyez-vous qu'il est possible d'adopter cette loi, puis de collaborer à l'élaboration d'un régime réglementaire national sur la salubrité de l'eau? Cela ne peut pas se faire tout d'un coup. Même de votre côté, je ne crois pas que ça puisse se faire à partir du sommet, parce qu'il y a tellement de situations différentes au pays. Le travail à faire est énorme, et je pense qu'il est bien temps de s'y mettre. J'aimerais savoir si c'est possible.
M. Atleo : Merci, madame le sénateur. Ce qui est important, c'est de veiller à ce qu'il y ait un engagement clair visant l'élaboration du règlement et les ressources financières, et une idée commune de la manière de procéder à la mise en œuvre. Voilà les éléments réellement cruciaux.
M. Leblanc : C'est le grand acte de foi auquel on a fait référence : les ressources ne sont pas garanties dans le projet de loi — nous comprenons cela —, mais il y a aussi le fait que le processus prendra des années, aux dires de certains. Au début des discussions, on nous a dit que cela prendrait des dizaines d'années. C'est une des choses que les Premières nations veulent éviter. Elles ne veulent pas vivre pendant des dizaines d'années avec l'obligation ou la menace de devoir faire bouillir leur eau. Elles veulent que des gestes soient posés pour régler les problèmes des communautés du Nord du Manitoba qui ont perdu espoir. Les gens se tournent vers des groupes religieux, comme le Comité central mennonite, pour obtenir de l'aide. C'est ça le grand acte de foi qu'on demande de faire pour ce projet de loi.
Le sénateur Dallaire : Je trouve intéressant que vous fassiez référence à des problèmes d'eau ici, dans le Sud. J'ai constaté que nos organisations de développement international parvenaient à alimenter les communautés en eau potable plus facilement dans les pays en développement qu'ici, dans le cas des peuples autochtones. Ce n'est pas comme si nous ne savions pas comment faire. C'est peut-être une question de priorités.
L'adoption du projet de loi puis du règlement permettra visiblement ensuite aux nations autochtones de travailler à la mise en œuvre d'un programme, de déterminer les moyens techniques. Cela leur donnera une idée des fonds qui devront être investis dans la construction, l'amélioration, l'entretien et la formation pour satisfaire les besoins en eau de qualité des communautés autochtones.
Certains ont dit que sans la loi, il serait difficile d'astreindre les gens à suivre des normes et d'élaborer un règlement pour débloquer des fonds.
Ma question s'adresse à M. Leblanc. Réfléchissez à la somme nécessaire pour que les Premières nations atteignent un niveau de qualité raisonnable pouvant soutenir une croissance importante de la population — car votre population croît plus rapidement que toute autre au pays. Combien d'argent faudrait-il aux nations autochtones pour atteindre un niveau de qualité raisonnable?
C'est vrai que 2,3 milliards de dollars ont été investis, et que 330 millions supplémentaires s'en viennent. J'ai le sentiment que ce projet de loi a été enfoncé dans la gorge du ministère parce que la vérificatrice générale est sur son dos, car le ministère ne sait pas où va l'argent ni pourquoi le problème persiste.
Quel serait le montant, monsieur Leblanc? Est-ce que cela prendrait 5, 6 ou 7 milliards de dollars pour amener tout le monde au niveau voulu d'ici cinq à 10 ans? Pensez-vous que ce sera possible étant donné les contraintes fiscales qui nous attendent en raison du déficit?
M. Leblanc : Merci pour cette question. Vous avez vous-même avancé le chiffre de 8 milliards. Nous ne savons pas. Nous avons déjà dit qu'il nous faudrait voir, et que ce comité devrait voir, les résultats de l'évaluation technique nationale pour déterminer ce montant.
Nous savons que les Premières nations ont senti les effets du plafond de 2 p. 100. Nous savons aussi que des fonds supplémentaires ont été alloués dans des budgets antérieurs pour corriger la situation. Le fait est que les Premières nations sont toujours dans une situation désespérée malgré toutes les ressources investies. Il y a toujours ces 49 communautés que le chef national a mentionnées, et les avertissements de faire bouillir l'eau se sont multipliés au cours des années. Cela montre que le niveau de financement actuel est insuffisant. Nous croyons nous aussi que le montant sera énorme.
Le sénateur Sibbeston : Je suis assez optimiste; j'ai été impressionné par les changements qui ont eu lieu. Dans les derniers jours, depuis que le ministre a témoigné, il semble y avoir une nouvelle énergie ou initiative entourant le projet de loi, le ministre en a discuté avec vous.
Je remarque, monsieur Atleo, que vous envisagez ce soir la question de manière rationnelle, et les possibilités, de manière optimiste. Par conséquent, si le comité devait adopter une motion encourageant le ministre à examiner avec vous d'autres amendements au cours des deux prochaines semaines, seriez-vous prêt à travailler avec lui à temps plein ou presque pendant ces deux semaines à la rédaction d'autres amendements qui satisferaient le gouvernement et les Premières nations?
M. Atleo : Vous parlez d'une période de deux semaines. Je repense aux efforts consacrés à la Loi sur le Tribunal des revendications particulières, des efforts de collaboration plus intenses. Je ne me souviens pas combien de temps ça nous a pris pour y arriver, je crois que c'était neuf mois.
Si on est prêt à entendre ce que les Premières nations ont à dire, ce que nous résumons ici de nombreuses façons, sur les trois points importants que nous avons soulevés, et si je me base sur la question du sénateur Dallaire concernant la vérificatrice générale pour parler du financement fédéral et sur votre question sur le fait d'être optimiste, alors peut-être que nous avons une occasion de collaborer à court terme. Je compte sur M. Leblanc et je réfléchis à tout le travail à faire. Voyez-vous, 30 ans d'efforts ont aussi été mis sur la loi sur les revendications particulières. Un modèle de projet de loi a été élaboré vers la fin des années 1990. Nos experts seraient prêts à travailler pendant un court délai. Pour deux semaines, je dirais que oui.
M. Leblanc : Je suis d'accord avec vous, monsieur Atleo. Les Premières nations accueilleraient favorablement l'occasion, et le ministre a fait cette offre il y a plusieurs semaines, mais ce serait très difficile à réaliser en deux semaines. Nous n'avons pas les ressources pour aller en profondeur. Je suis porté à croire qu'il serait difficile d'y arriver en deux semaines.
M. Atleo : Pour être bien clair à mon tour, je considère cela comme une question difficile, parce que ça suppose qu'il existe une volonté grandissante de collaboration active. Je crois que les Premières nations souhaiteraient aussi collaborer activement, mais M. Leblanc fait référence à l'équité de l'échéancier et à la disponibilité des ressources, pour que nous puissions avoir les personnes avec l'expérience nécessaire rapidement. Est-ce que c'est deux semaines? Il se peut que nous ayons à discuter de l'échéancier pour garantir que le travail sera fait efficacement, à la satisfaction de tous.
Le sénateur Banks : Monsieur Atleo, j'aimerais revenir sur un point soulevé par le président, le sénateur Raine et le sénateur Sibbeston.
Je veux que vous sachiez que personne ne souhaite priver la population canadienne d'eau de qualité. Je crois qu'il ne sert à rien de prendre un air outragé, de faire notre mea culpa, de nous confondre en excuses; nous devons tous nous tourner vers l'avenir. Tous ceux qui siègent ici ou qui ont siégé ici dans le passé sont coupables d'avoir négligé cette question.
Ce que les gouvernements libéraux ont fait ou n'ont pas fait est déplorable. Que ce soit clair. Personne n'est innocent, et ce qui se passe maintenant est aussi déplorable. Ma question se résume à l'acte de foi.
Monsieur Atleo, pensez-vous qu'il est juste que vous participiez à l'élaboration d'un projet de loi portant sur cette question et qui deviendra une loi du Parlement, ou que vous participiez d'une façon ou d'une autre à la rédaction du règlement d'application? Voilà la question. C'est la question que le sénateur Raine a posée.
Voulez-vous participer à l'élaboration d'un projet de loi qui porte sur cette question ou vous contenteriez-vous de participer à l'élaboration du règlement d'application?
M. Atleo : Le Tribunal des revendications particulières est un exemple de participation directe à la rédaction d'un projet de loi de l'Assemblée des Premières Nations, sous le leadership de mon prédécesseur, Phil Fontaine. Je crois que c'est de cela qu'il est question ici.
L'explication est ancrée dans la déclaration de l'ONU, qui a été adoptée par le Canada, dans l'article 35, dans les traités et dans les rapports fondés sur les traités, et dans une quarantaine de décisions rendues par des tribunaux qui confirment l'existence des droits liés aux titres ancestraux. Nous commençons à regarder comment appliquer cela. Comme le souligne la déclaration, ça veut dire que lorsqu'un État comme le Canada étudie des questions comme l'alimentation en eau, qui touchera des peuples comme les Autochtones se trouvant sur le territoire canadien, nous avons le droit de participer à l'élaboration de solutions qui nous conviennent.
En donnant le pouvoir de décider aux personnes directement visées et en mettant la responsabilité le plus près possible des problèmes, on obtient de meilleurs résultats. Voilà ce qui justifie la participation à l'élaboration du règlement. Si nous faisons cela avec une compréhension commune des enjeux comme l'évaluation, et si nous avons une compréhension commune de ce qu'est un système efficace, nous obtiendrons naturellement un meilleur résultat des ressources investies et, par conséquent, un meilleur résultat en matière d'eau potable de qualité.
Voilà les vieilles habitudes que nous devons abandonner. Nous l'avons fait pour le Tribunal des revendications particulières, bien que ce tribunal commence tout juste à fonctionner. En soi, c'est une réalisation historique, car c'est une loi qui a été créée conjointement.
Le sénateur Banks : Bref, cela fonctionnera mieux si les Premières nations peuvent participer au processus plutôt que de composer avec une loi qui leur aura été imposée?
M. Atleo : Oui, c'est vraiment la clé du succès. Les Autochtones se sont toujours fait imposer des choses, des pensionnats jusqu'à la Loi sur les Indiens, en passant par bien d'autres choses. C'est la première habitude avec laquelle il nous faut rompre, en créant conjointement une approche qui suscitera la confiance. Il faut veiller à ce que mon collègue et d'autres professionnels participent directement à l'élaboration d'un règlement pertinent et à ce que les ressources nécessaires soient affectées.
Le président : Mesdames et messieurs les sénateurs, je vous remercie.
Au nom des sénateurs et du comité, je vous remercie, monsieur Atleo et monsieur Leblanc, de votre participation ce soir. Votre contribution est toujours précieuse pour régler des problèmes qui concernent les Premières nations. Vous faites du bon travail, ne lâchez pas. Nous espérons vous revoir vendredi soir à Edmonton à l'occasion de la remise des Prix nationaux d'excellence décernés aux Autochtones.
Bonne soirée et prenez garde au froid. Nous nous reverrons à Edmonton.
Chers collègues, nous poursuivrons notre réunion à huis clos pour discuter de points administratifs, alors je vous demande de rester. Nous allons suspendre les travaux quelques minutes, le temps qu'on sorte les caméras de la salle. Nous poursuivrons ensuite la réunion à huis clos.
Le sénateur Sibbeston : Pendant la réunion à huis clos, pourrons-nous parler du projet de loi S-11?
Le président : Oui, une partie de la discussion portera là-dessus. La séance est suspendue.
(La séance se poursuit à huis clos.)