Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts
Fascicule 1 - Témoignages du 23 mars 2010
OTTAWA, le mardi 23 mars 2010
Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit ce jour à 17 h 8 afin d'étudier l'état actuel et les perspectives d'avenir du secteur forestier du Canada.
Le sénateur Percy Mockler (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Madame Boulanger et monsieur Whalen, soyez les bienvenus à cette séance du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts. Je suis Percy Mockler. Je suis un sénateur du Nouveau-Brunswick et président de ce comité.
[Français]
À ce moment-ci, j'aimerais demander à chacun des sénateurs de se présenter.
[Traduction]
Je vais demander au vice-président, le sénateur Robichaud, de commencer.
[Français]
Le sénateur Robichaud : Fernand Robichaud, St-Louis-de-Kent, Nouveau-Brunswick.
[Traduction]
Le sénateur Mahovlich : Frank Mahovlich, Toronto, Ontario.
[Français]
Le sénateur Eaton : Nicole Eaton, Ontario. Soyez les bienvenus.
[Traduction]
Le sénateur Ogilvie : Kelvin Ogilvie, Annapolis Valley—Hants, Nouvelle-Écosse.
Le sénateur Duffy : Mike Duffy, Île-du-Prince-Édouard.
[Français]
Le sénateur Rivard : Michel Rivard, ville de Québec.
[Traduction]
Le président : Merci beaucoup.
Le comité poursuit son étude de l'état actuel et des perspectives d'avenir du secteur forestier du Canada. Aujourd'hui, nous nous penchons plus particulièrement sur l'utilisation du bois dans la construction non résidentielle.
[Français]
L'objet de la réunion aujourd'hui est l'utilisation du bois dans la construction non résidentielle.
[Traduction]
Nous invitons les représentants du secteur de l'acier à nous parler des conséquences éventuelles pour leur industrie et à s'ériger en partenaire avec nous, le comité sénatorial, de façon à pouvoir porter l'information à l'attention des gouvernements et intervenants et recommander aux gouvernements aux divers paliers les solutions et partenariats qui permettront d'accroître le recours au bois. Nous souhaitons également prendre connaissance des recommandations que les partenaires souhaitent présenter au comité.
Honorables sénateurs, nous accueillons aujourd'hui l'Institut canadien de la construction en acier, représenté par Ed Whalen, son président.
[Français]
Aussi, Mme Sylvie Boulanger, directrice, ICCA Québec, et directrice du développement durable.
[Traduction]
Madame Boulanger et monsieur Whalen, au nom du comité, je vous remercie infiniment d'avoir accepté notre invitation à comparaître cet après-midi.
Je vous invite à faire votre exposé. Il sera suivi par une période de questions. Je crois savoir que Mme Boulanger sera la première à prendre la parole.
Sylvie Boulanger, directrice, ICCA Québec, directrice du développement durable, Institut canadien de la construction en acier : Je suis la directrice nationale responsable de la durabilité. C'est une fonction nouvelle. Nous savons que cet enjeu est important pour le Canada et c'est l'une des raisons pour lesquelles nous nous y intéressons depuis plusieurs années.
[Français]
Je suis la directrice de l'Institut canadien de la construction en acier pour le Québec. À ce titre, j'ai beaucoup d'interactions avec les architectes et les ingénieurs avec lesquels on travaille de près pour créer et développer des bâtiments plus sécuritaires et qui rencontrent des critères de développement durable.
[Traduction]
Je suis ingénieure. J'ai presque 25 années d'expérience. Nous vous remercions de l'occasion de partager notre expérience de la survie à une période difficile. C'est à cette fin que nous avons répondu à votre invitation. Nous avons connu des temps difficiles. Nous savons que l'industrie du bois connaît une crise et nous voulons vous faire part de certaines des façons dont nous avons essayé de surmonter les mêmes difficultés. L'industrie du bois a toute notre sympathie. Nous voulons être partenaires. Nous sommes ici pour aider. Nous connaissons la Wood First Initiative de la Colombie-Britannique et la Coalition Bois du Québec. Vous remarquerez un thème récurrent, à savoir que nous estimons que les architectes et les ingénieurs ont un rôle important à jouer dans une industrie sûre, viable et concurrentielle.
Je crois que vous avez reçu le document que je vous ai envoyé. Je vais maintenant le passer en revue. J'ai couvert mon message de la première image, et je vais donc passer à la page 2.
L'industrie de la construction en acier représente au Canada quelque 17 000 emplois directs. Ces emplois se situent aussi bien au niveau de la production que du travail direct dans la fabrication elle-même. Je vais expliquer ce que j'entends par « fabrication » dans la diapositive suivante. Parfois il y a un malentendu entre ce que fait une aciérie et ce que fait une usine de fabrication.
Si l'on compte les soudeurs et les ouvriers des aciéries — une partie d'entre eux relève du secteur de la construction — et les assembleurs, ceux qui érigent le produit, on peut facilement multiplier ce chiffre par cinq. Ce nombre englobe les emplois indirects.
Nous existons depuis longtemps. Nous sommes la voix de l'industrie de la construction en acier depuis 1930. Cela a toujours été notre point focal et nous avons promu l'emploi de l'acier dans la construction au moyen de la recherche et du développement, des codes et des normes, de l'éducation et de la formation. Je ne soulignerai jamais assez l'expérience de l'ICCA sur le plan de l'élaboration de codes et de normes. Cette expérience remonte à presque un siècle. Nous avons commencé avec les ponts. Ils existent toujours, en fait. Ils comptent un grand nombre de rivets. Par exemple, le pont de Québec compte un million de rivets. Nous avons travaillé à l'élaboration de normes pour ce pont. Nous savions que, pour que le pont soit sûr, il nous fallait établir des normes.
À la page 3, je précise qui nous sommes. Vous voyez là trois images. La première à gauche représente les aciéries. Nous achetons notre acier soit aux États-Unis soit au Canada. Nous le transformons ensuite. L'image du milieu montre la fabrication. C'est là où nous excellons réellement. C'est le stade qui nous intéresse. Dominion Bridge a lancé cette industrie dans le pays et a relié les deux côtes. L'industrie s'est transformée elle-même par étapes. Le volet fabrication est la partie où nous excellons. Il faut ensuite faire l'assemblage. Nous érigeons l'acier et au Canada et aux États-Unis. Nous sommes implantés aux États-Unis. En 2008, près de 30 p. 100 de notre acier assemblé était exporté.
[Français]
Permettez-moi d'ouvrir une petite parenthèse. Le Québec est un grand exportateur. Les provinces maritimes le sont également. Près de 50 p. 100 de la fabrication au Québec est destinée à l'exportation. Ces produits vont, entre autres, aux États-Unis. Évidemment, l'exportation n'est pas épargnée des temps difficiles que nous traversons. On peut penser à la loi Buy American.
Les exportateurs reviennent sur les marchés québécois et canadien, et surchargent le marché. Nous avons nos défis qui se traduisent en des pertes de 30 à 40 p. 100 au niveau de la main-d'œuvre dans différentes parties du pays. L'Ontario est très touchée, de même que les provinces exportatrices comme les Maritimes et le Québec. En Colombie- Britannique et dans le reste du pays, la situation est plus inégale, toutefois on connaît aussi de grandes pertes.
[Traduction]
La conjoncture est difficile pour tous. Passant à la page 4, nos préoccupations sont centrées sur la sécurité des occupants. La sécurité est notre première priorité. Le critère pour nous a toujours été que, quoi que nous fassions, nous devons veiller à pouvoir justifier les changements de façon à ne pas mettre en danger les occupants des bâtiments, c'est-à- dire ceux qui utilisent nos structures. La durabilité des bâtiments n'est pas une mode. Nous le savons. Nous devons faire notre part. Toutes les industries s'efforcent d'avoir un impact. C'est un défi car la façon de quantifier la durabilité est nouvelle. Nous devons réfléchir à la façon dont nous prenons nos décisions dans l'esprit de la durabilité.
Nous voulons veiller à disposer d'un terrain de jeu égal sur le marché. Nous parlerons tout à l'heure de notre crainte que vous modifiez le jeu de la concurrence si des mesures sont prises susceptibles d'altérer le marché de manière peut- être inéquitable.
Je suis une ingénieure. Je cherche mes mots, mais je crois que vous comprenez mon message.
En ce qui concerne la sécurité, elle doit être la première priorité. Le Canada a un passé incroyable sur le plan des codes et des normes. Nous faisons l'envie du monde. J'ai vécu sur trois continents : l'Australie, l'Europe, et les États- Unis, en Californie. Nous sommes réputés pour la qualité de notre code. Je pense qu'il est important de préserver ce niveau. Il est important pour nous que notre ancien président Hugh Krentz soit maintenant le président de l'Association canadienne de normalisation.
Le Code national du bâtiment établit les normes minimales à respecter pour la sécurité des Canadiens. Le code est fondé sur les lois de la physique. Oui, les résultats des tests ne sont pas toujours blancs et noirs, mais le code est là pour protéger le public. Il est ensuite intégré par les provinces dans leurs propres codes du bâtiment et ces codes ont force de loi. Le code est ce que tout le monde doit respecter. C'est lui qui garantit la sécurité des occupants.
Il existe d'innombrables exemples montrant que si un bon code est en place, on compte moins de vies perdues. Un exemple est la différence entre les tremblements de terre au Chili et à Haïti. La magnitude du tremblement de terre au Chili a été dix fois plus grande que celui de Haïti, mais les dégâts ont été beaucoup moins graves. La différence tient au code du bâtiment supérieur du Chili. Il ne faut pas perdre ce facteur de vue chaque fois que nous prenons des décisions. Les modifications du code doivent être justifiées techniquement et conduire à un environnement bâti plus sûr et durable. Ce thème de la sécurité technique sera récurrent dans mon exposé.
Sur le plan de la durabilité, tous les matériaux ont quelque chose à offrir. Vous nous entendrez tous dire que le bois est renouvelable, et que l'acier est recyclable, réutilisable et renferme un fort contenu recyclé. La plupart des gens ne réalisent pas que de nombreux produits de construction en acier contiennent plus de 90 p. 100 de matériaux recyclables. L'autre moitié en compte environ 25 à 30 p. 100. Nous avons beaucoup de contenu recyclable dans l'acier. L'autre aspect est que nous devons veiller à récupérer et à fondre ce contenu de manière efficiente et durable.
Parallèlement, on parle beaucoup du bois et de son potentiel de séquestration, soit le fait qu'il peut capter le CO2. Cette stratégie de captage du CO2 est excellente, mais elle n'est qu'une parmi d'autres. Ce point est important. Si nous voulons capter le CO2, c'est une chose, mais à la fin de sa vie, si le bois est brûlé ou s'il pourrit, le CO2 est restitué. Tout au long du processus de séquestration du CO2, il faut veiller à ce que la fin de vie soit conforme à cet objectif.
Dans le monde de la durabilité, l'un des grands enjeux est de regarder au-delà de l'énergie incorporée, de ne pas regarder seulement les matériaux ou la séquestration, le captage du CO2. En effet, si l'on considère la durée de vie d'un bâtiment, l'énergie incorporée — la quantité d'énergie consommée pour produire les matériaux — ne représente que 10 p. 100 de toute l'énergie consommée pendant la vie du bâtiment. Le reste est dû à l'utilisation du bâtiment. Nous devons veiller à pouvoir recycler à la fin de la vie et aussi à faire durer le bâtiment plus longtemps. Nous devons veiller à ce que le bâtiment puisse être entretenu et soit adaptable aux changements. Si l'on pouvait faire durer le bâtiment un peu plus longtemps, nous aurions déjà évité une quantité énorme d'émissions de CO2 car nous aurons fait durer le matériau plus longtemps.
Tout le concept de l'évaluation du cycle de vie en est encore à un stade précoce. Nous nous efforçons tous de trouver les chiffres justes. Nul ne peut prétendre posséder tous les bons chiffres, et nous sommes tous dans le même bateau. Les sources d'énergie alternative, la capacité d'utiliser le vent ou l'eau, et leur capacité à générer de l'énergie, ce sont tous là des éléments importants.
Passant à la page 7, nous avons également vécu bien des difficultés. Je sais que vous recevrez des représentants d'autres industries. La situation n'est facile pour personne en ce moment. C'est une situation sans précédent pour nous, mais nous avons déjà traversé des crises auparavant. Au début du siècle dernier, nous construisions de grands ponts et après leur achèvement il nous a fallu trouver de nouveaux débouchés. Nous avons commencé à construire des arénas et des bâtiments. Nous avons ensuite investi le secteur industriel et commencé à construire ces merveilleuses tours qui n'ont pas leur pareil.
Une façon dont nous avons pu combattre la récession des années 1990 a été de développer un marché d'exportation, qui était restreint, mais qui en est venu à représenter presque 50 p. 100 du marché du Québec, comme je l'ai mentionné. Nous avons développé ces débouchés à l'exportation parce que nous vivions une période difficile à l'époque. Le marché local était trop petit pour nous et nous avions une forte capacité.
Nous avons accru notre productivité en épousant la technologie. Nous sommes probablement en pointe pour ce qui est de l'emploi de la technologie servant à représenter en trois dimensions une structure en acier. Nous utilisons les dernières techniques de représentation et nous les employons pour découper l'acier de différentes façons, pour l'assembler de manière efficiente et exportable.
Il ne faut pas perdre de vue le fait que lorsque les grosses sociétés ont été remplacées par des plus petites, ce qui s'est accompagné par une multiplication des emplois, il nous a fallu partager ces gros chantiers entre des entreprises plus petites. Si nous ne parlons qu'aux concurrents et pas à nous-mêmes, nous n'allons pas offrir un bon produit. Il existe tout un système de réseautage qui nous a aidés à collaborer entre nous.
En ce qui concerne le marché, nous pensons que doit prévaloir le principe « Que la meilleure équipe gagne ». Si un secteur prend de l'expansion, cela comporte un coût : ce secteur crée plus d'emplois, mais un autre en perd. Pour créer des emplois, le chiffre net doit augmenter. Nous devons veiller à ce que des emplois soient créés de manière sûre et durable.
Notre position consiste à faire confiance aux architectes, aux ingénieurs et aux professionnels du secteur de la construction. Ils cumulent beaucoup de savoir. Ils travaillent de longue date avec les bâtiments. Ils peuvent s'adapter lorsqu'il y a une pénurie. Que se passe-t-il si un cycle économique quinquennal fait qu'un matériau devient meilleur qu'un autre, ou plus accessible ou plus coûteux? Ces professionnels adaptent constamment leur technologie et ils sont bien placés pour formuler ces recommandations.
Pour résumer notre solution, qui se trouve à la page 10, elle est d'initier le changement et d'améliorer la santé d'une industrie. Ce doit être le fondement. À la base, nous devons nous soucier d'abord de la sécurité, de la loi, c'est-à-dire du code du bâtiment. Si on va le modifier, ce doit être sur la base du mérite technique. Ce fondement a été mis à l'épreuve au fil du temps. Notre solution est d'initier le changement grâce au mérite technique : faire de la recherche- développement, proposer des modifications aux comités des codes; éduquer et former.
Nous avons la Steel Structures Education Foundation, qui a été créée dans les années 1980. Chaque année, nous consacrons 100 000 $ à la recherche, ce qui aide les universités à réunir les fonds de démarrage leur permettant ensuite d'accéder au financement du Conseil de recherches en science naturelle et en génie du Canada, qui est un bon programme, soit dit en passant. Nous avons financé énormément de recherches et de chercheurs par ce biais.
La Steel Structures Education Foundation élabore également des cours de formation. Depuis les années 1980, nous avons dépensé entre 25 000 $ et 50 000 $ par cours. L'Institut canadien de la construction en acier a mis en application les résultats de la recherche-développement. Nous avons offert des conférences à des milliers d'ingénieurs à travers le pays au cours des 25 dernières années. C'est grâce à cela qu'ils savent comment concevoir avec notre matériau.
Les efforts de la Steel Structures Education Foundation sont financés exclusivement sur les fonds de l'industrie. Nous espérons multiplier les occasions de nous développer avec une aide gouvernementale propice à notre industrie, mais nous n'attendons pas cette aide pour agir. L'enjeu pour nous est trop important et la Steel Structures Education Foundation a été créée à cette fin.
Le résultat de tout ce travail à la base est que nous avons aujourd'hui des structures plus légères et plus efficientes. Nous avons des structures qui résistent mieux aux tremblements de terre. Cette sécurité est importante car elle assure un terrain de jeu égal entre les différentes catégories de matériaux. Nous devons convaincre nos pairs que tout changement que nous apportons renforce la sécurité. Alors le changement est intégré et donne l'impulsion à une meilleure utilisation de notre matériau.
Nous fêtons notre 80e anniversaire. J'ai un document à vous distribuer. Il célèbre notre 75e anniversaire mais il relate notre histoire. Notre industrie a été peuplée de grands hommes qui ont surmonté maints défis. Nous sommes connus en Amérique du Nord pour notre efficience et notre bon travail.
[Français]
J'ai quatre versions françaises et puis le reste est en anglais. Ce sera à vous de choisir.
[Traduction]
Le président : Merci, madame Boulanger.
Monsieur Whalen, avez-vous des remarques à faire?
Ed Whalen, président, Institut canadien de la construction en acier : Si l'on regarde un bâtiment en acier, on ne voit généralement pas qu'il est en acier. L'acier est un matériau de construction qui se prête particulièrement bien à l'association avec toutes sortes d'autres matériaux, qu'il s'agisse de béton, de bois ou de verre. L'acier est généralement un matériau associé à d'autres types.
Je suis sûr que tout le monde se souvient des Jeux olympiques et l'anneau olympique de Richmond est l'exemple idéal au Canada d'un partenariat entre le bois et l'acier. L'acier soutenait la structure, mais il épousait les avantages du bois pour créer une structure parfaite où les avantages des deux matériaux s'exprimaient de manière efficiente et idéale. Ce résultat est ce que nous attendons de votre comité : la réalisation que chaque matériau de construction possède ses avantages et que chaque matériau de construction a ses utilisations idéales.
Nous sommes en faveur de la poursuite de la recherche sur le bois. Nous, dans le secteur de l'acier, survivons en parallèle avec une industrie du bois et de la sylviculture dynamique ici au Canada, et nous voulons la voir prospérer.
Le message que Mme Boulanger a bien exprimé est que ce que nous voulons, quoiqu'il advienne, c'est un terrain de jeu égal. Nous voulons également que les décisions d'employer tel ou tel matériau de construction soient laissées aux mains des concepteurs, afin qu'ils aient la flexibilité d'innover. Les pouvoirs publics devraient favoriser l'innovation au niveau de tous les matériaux de construction et, idéalement, nous pourrons exporter cette innovation dans d'autres pays du monde. C'est là où l'industrie de l'acier a obtenu de bons résultats au fil des ans, tout comme l'industrie du bois.
Nous devons privilégier, et proposer au gouvernement, l'innovation, la productivité et l'efficience dans nos environnements de fabrication, que les assemblages soient faits de bois, d'acier, de béton ou de tout autre matériau de construction.
Le président : Merci, monsieur Whalen. Nous allons demander au vice-président, le sénateur Robichaud, d'ouvrir la période des questions.
[Français]
Le sénateur Robichaud : Merci à vous deux pour vos présentations.
Sans parler au nom du comité, je tiens à vous assurer que je ne pense pas qu'il soit question de recommander l'utilisation de certains matériaux qui ne satisferaient pas à la sécurité exigée par les codes. Ce n'est pas une question d'affaiblir nos normes, mais plutôt de trouver des façons de mieux agencer l'utilisation du bois, par exemple. Et vous dites que cela peut très bien se faire avec l'acier.
J'ai cru comprendre que vous voyez peut-être la promotion trop ardente de l'utilisation du bois comme une compétition déloyale envers l'utilisation de l'acier.
Mme Boulanger : J'aimerais ajouter qu'il y a actuellement, en Colombie-Britannique, un changement dans le code qui n'est pas passé par le processus habituel. Et cela nous inquiète.
Le sénateur Robichaud : Pouvez-vous nous parler de ce cas en particulier?
Mme Boulanger : Il y a eu une recommandation pour permettre qu'un bâtiment en bois, qui est considéré comme un matériau combustible, puisse passer de quatre à six étages.
Normalement, pour changer, selon le Code du bâtiment, on doit convaincre un comité que d'après les recherches scientifiques qui ont été faites, on peut augmenter le nombre d'étages de quatre à six de façon sécuritaire. Parce que l'inquiétude réside dans le fait que c'est un matériau combustible; c'est aussi un matériau qui retient beaucoup d'humidité, qui va donc rétrécir et se modifier avec le temps.
Il y a eu des situations où cela pourrait ne pas être sécuritaire, cela pourrait affecter le parement, le revêtement du bâtiment, il pourrait y avoir des fissures avec le temps à cause de cela. Le grand critère c'est, bien sûr, l'incendie.
Ce qui est arrivé en Colombie-Britannique, c'est qu'on a court-circuité le processus habituel. C'est une instance gouvernementale qui a demandé que le Code du bâtiment de la Colombie-Britannique permette l'utilisation du bois pour des bâtiments résidentiels jusqu'à six étages et non jusqu'à quatre étages, ce qui est la norme, actuellement, dans le Code national du bâtiment. On trouve que ce n'est pas normal.
Le sénateur Robichaud : Nous avons entendu un témoin, la semaine dernière, M. Maltby, qui est le chef de division, Services d'incendie et d'urgence de Brampton de l'Association canadienne des chefs de pompiers. Un des sénateurs lui a demandé qu'est-ce qui empêcherait de passer de quatre à cinq ou à six étages, et s'il avait des réserves à ce sujet. M. Maltby a répondu qu'en autant que l'on satisfasse au standard de sécurité contre le feu, par l'installation de détecteurs ou de systèmes de gicleurs, qu'il n'y voyait aucun problème.
Êtes-vous en train de me dire qu'on est passé à côté de ces exigences?
Mme Boulanger : Cette limite existe dans plusieurs pays, et c'est partout pour les mêmes raisons, liées aux incendies. Il serait intéressant de parler à d'autres pompiers pour que ce soit plus représentatif, parce qu'on n'a pas les mêmes échos de tous ces représentants.
Tout récemment, à Calgary, il y a un bâtiment de quatre étages en bois qui à brûlé jusqu'au sol, très rapidement. Cela arrive aux deux matériaux, mais si vous posez la question à un groupe de pompiers, nous, l'écho qu'on a reçu, était moins favorable envers le bois. Plusieurs pays ne permettent pas la construction en bois au dessus d'un nombre d'étages inférieur. La proportion de constructions en bois au Canada par rapport à son utilisation est une des plus grandes qui existent dans plusieurs pays développés.
Il y a déjà une bonne présence, et pour pouvoir passer de l'un à l'autre, si la limite existe, au niveau du Code national du bâtiment, c'est qu'il y a tout un groupe qui pense que c'est mieux ainsi. On ne veut pas simplement être méchant envers le bois, il y a des raisons scientifiques. Pour dépasser, pour aller de quatre à six étages, c'est le rôle du Code national du bâtiment et des comités de s'en occuper. Ce n'est pas, à notre avis, le rôle du gouvernement.
Le sénateur Robichaud : Je suis d'accord avec vous jusqu'à un certain point. Les gouvernements souvent initient des projets, des nouvelles façons d'agir, parce qu'il ne faut pas continuellement rester dans un circuit clos.
Mme Boulanger : Mais vous créez un précédent, c'est ce qui nous inquiète. Si le message est que si le Code national du bâtiment ne nous satisfait pas, on a la possibilité de court-circuiter le processus, d'autres industries vont venir sonner à votre porte.
Il faut faire attention, il y a plein de choses qu'on ne trouve pas particulièrement favorables à l'acier et aussi dans le domaine de l'incendie. Tout le monde va dire que c'est mieux en Europe. Pour beaucoup de matériaux, c'est le cas. On ne peut pas transporter cela ici, on doit faire nos essais localement.
Il y a tout un processus qui s'installe. À notre avis, vous ouvrez la porte à un processus qui ne représente pas la culture canadienne au niveau du développement de codes et de normes. Il faut faire attention, c'est tout ce qu'on vous dit, vous ouvrez la porte.
Le sénateur Robichaud : Nous allons faire attention, parce que nous allons recevoir des gens qui vont venir nous parler du code national. Il n'est pas question de recommander comme bon nous semble d'aller vers telle sorte de construction sans avoir toutes les informations et sans s'assurer que la sécurité du public est respectée.
[Traduction]
M. Whalen : Parlons franchement : si vous mettez assez d'argent dans un design, vous pouvez tout faire. Dans cette situation, vous pouvez aller jusqu'à 25 étages et trouver une solution avec n'importe quel matériau, mais ce ne sera pas forcément le système le plus efficient. On peut ajouter des gicleurs et multiplier les couches d'ignifugation sur n'importe quel matériau de construction que l'on veut, mais si le critère est d'avoir le bâtiment le plus efficient possible, il y aura de bonnes raisons économiques de préférer un matériau à un autre.
Si la recherche a été faite et si le matériau de construction répond au code du bâtiment, c'est au maître d'œuvre et au concepteur de faire le tri par rapport au coût. On peut dire que si vous avez l'argent, vous pouvez tout faire. Nous préconisons de laisser le marché déterminer le prix du produit. J'adorerais avoir un comité qui promouvrait exclusivement l'acier, mais est-ce que cette promotion avantagera le Canada à long terme? Est-ce que cette promotion rendra mon industrie compétitive à l'échelle mondiale? Ce ne sera pas le cas, et ce ne sera pas un bon emploi de l'argent du contribuable.
Il nous faut mettre au point de nouveaux produits. Nous devons effectuer des recherches sur le bois, l'acier et d'autres matériaux de construction afin de pouvoir progresser et construire des bâtiments meilleurs et plus sûrs. Nous ne disons pas que le bois n'est pas bon dans certaines applications. Cependant, soyons prudents en élaborant notre politique afin de ne pas engendrer un problème plus gros que celui du départ.
Si l'on impose des bâtiments en bois, cela enlèvera un ou deux emplois dans une industrie et les transférera dans l'industrie du bois. Mme Boulanger a fait valoir plus tôt que la création d'emplois doit être un gain net pour le Canada et la construction. Si l'on déplace un emploi d'une aciérie dans une scierie, il n'y a pas d'avantage. Ce mouvement ne fait que mettre une personne au chômage et donner un emploi à une autre. J'espère que nos politiques futures feront en sorte que nos deux industries puissent prospérer au Canada.
Le sénateur Robichaud : Je suis d'accord avec vous.
Mme Boulanger : Ils ont déjà la possibilité d'aller plus haut que les quatre étages, et cela s'est fait au Québec où il existe un bâtiment de six étages, mais ils doivent démontrer qu'ils peuvent déroger de manière sécuritaire à la règle des quatre étages.
Le code le plus récent propose une approche axée sur la performance ou les objectifs que l'industrie peut adopter. Une disposition du code dit que l'on peut utiliser des conceptions alternatives à condition de pouvoir démontrer qu'elles répondent à l'objectif du code. Cette approche a été suivie avec le bâtiment de six étages. Nous n'avons rien contre cela, car ils ont pu démontrer que l'objectif était rempli. Pour aller plus haut, il leur a fallu ajouter plus de bois, qui était sacrificiel : en cas d'incendie, il brûlera et protégera le reste de la structure.
Il existe une infrastructure. Le gouvernement a aussi la possibilité de saisir le Comité consultatif provincial- territorial des politiques des codes, le CCPTPC. Le gouvernement peut soumettre une proposition à cet organe afin de porter la limite de quatre à six étages et demander des recherches sur la proposition. Le CCPTPC soumet la proposition à la Commission canadienne des codes du bâtiment et de prévention des incendies, qui l'analyse. Des priorités sont fixées et un comité permanent est créé. Les ressources voulues sont mises en place et on peut alors déterminer scientifiquement, sur la base des lois de la physique et de la recherche, si l'on peut passer de quatre à six étages.
C'est un exemple. Des changements peuvent être proposés dans d'autres domaines, sur la base de ce que l'expérience enseigne, mais ce doit être scientifique. J'ai un doctorat, mais je ne cherche pas à procurer du travail à d'autres docteurs. Cette approche a déjà été utilisée. Mais le gouvernement doit faire attention aux recommandations qu'il formule.
Le sénateur Plett : Nous sommes le Comité permanent de l'agriculture et des forêts, et non pas de l'acier ou du béton. Notre mandat est de trouver de nouvelles utilisations aux produits forestiers et non pas nécessairement d'aider l'industrie de l'acier. Toutefois, nous voulons faire ce qui est bon pour le pays.
J'avais une opinion négative de cette démarche lorsque je suis devenu membre de ce comité. Cependant, j'ai été converti.
En réponse à la question du sénateur Robichaud, vous avez parlé du rétrécissement du bois. J'ai travaillé dans le secteur de la construction toute ma vie. Le bois rétrécit dans une certaine mesure. Si l'on utilise du bois sec, il ne rétrécit plus parce qu'il s'est déjà contracté autant qu'il le pouvait. Dans les maisons, on utilise souvent du bois vert qui va fortement rétrécir. J'ai construit une maison neuve il y a quelques années et il m'a fallu faire venir un plâtrier pour réparer tous les soulèvements de clous parce que mes montants en bois avaient rétréci. Je connais ce problème, mais si l'on utilise du bois d'œuvre sec, il sera moins important.
Vous avez parlé du code du bâtiment, et vous sembliez fâché que le code de la Colombie-Britannique autorise un bâtiment de six étages. Vous avez ensuite fait état d'un bâtiment au Québec. Certains d'entre nous avons eu le plaisir de visiter ce bâtiment au Québec. Bien qu'étant sujet au vertige, j'ai réussi à grimper jusqu'en haut par l'escalier extérieur et à examiner le bâtiment. C'est un merveilleux bâtiment en bois. Bien que la Colombie-Britannique n'ait pas encore de bâtiment en bois de six étages, son code l'autorise.
Le sénateur Robichaud a mentionné le chef des pompiers qui a comparu ici la semaine dernière et qui a dit que du moment qu'il y a assez de gicleurs, il n'y a pas de danger. L'acier peut s'effondrer, le bois peut brûler et le béton peut s'effriter, et il existe des problèmes avec tous les matériaux de construction.
J'ai eu l'occasion au cours de ma vie antérieure d'aller à des congrès à Las Vegas et je sais combien les industries du béton et de l'acier dépensent en congrès là-bas.
Le sénateur Eaton : À Las Vegas.
Le sénateur Plett : À Las Vegas. Je ressens l'impression — et peut-être est-elle erronée — que vous pensez que nous ne devrions pas promouvoir un matériau par rapport à l'autre et laisser les architectes et les ingénieurs décider de ce qui est employé. Si nous suivons cette approche, cela ouvre grand la porte au lobbying et ne va pas nécessairement encourager les meilleures structures à tout moment. J'ai parlé à des entrepreneurs en bâtiment qui m'ont dit exactement la même chose. L'un des gros entrepreneurs en construction de Winnipeg m'a dit, Don, ne touchez pas à cela. L'industrie va décider. Les gens vont décider avec quoi ils veulent construire. Ne faites pas la promotion du bois de préférence à l'acier, car je suis propriétaire d'une entreprise de béton.
Voilà, en substance, ce qu'il m'a dit; je ne cite pas textuellement, mais c'est ce qu'il a dit à la fin. Rien n'empêche cela.
Je fais beaucoup de commentaires plutôt que de poser des questions, mais je vais terminer sur cette question : Que pensez-vous du fait que les provinces aient chacune leur propre code du bâtiment? Nous avons un Code national du bâtiment, mais tout le monde nous a dit jusqu'à présent oui, en dépit de l'existence d'un Code national du bâtiment, les provinces sont autorisées à en déroger et à se doter de leur propre code. Que pensez-vous de cela et du restant de mes propos? Si vous voulez y réagir, je serais heureux que vous réfutiez les accusations non voilées que j'ai lancées contre l'industrie de l'acier. Merci, monsieur le président. J'espère ne pas être allé trop loin.
Mme Boulanger : Je commencerai par votre question sur l'opportunité de codes provinciaux et d'un Code national du bâtiment. Il est important que les provinces aient leur mot à dire, afin de refléter la tradition locale dans les provinces. Cependant, cela dit, certaines des divergences ne se situent pas au niveau technique. Je vais vous donner un exemple. La norme S16 concerne l'acier et tout le monde l'adopte telle quelle. Nul ne touche au moindre article de la norme sur l'acier. Tout le monde sait qu'elle a été coordonnée avec les ingénieurs et nul ne pense avoir les connaissances supplémentaires pour dire que l'épaisseur d'une membrure de poutre particulière devrait être de ceci ou cela.
Le problème du feu est majeur, car différentes provinces suivent différentes approches, mais là encore, si le gouvernement impose ou propose un changement, il doit être fondé sur la science. Sénateur, vous avez parlé de rétrécissement et de votre propre expérience. Je vais vous donner un autre exemple qui dit : j'ai un bâtiment de quatre étages recouvert de stucco à l'avant, lequel est fissuré de partout à cause du rétrécissement. Concernant ce pompier qui a dit que le bois ne pose pas de problème, nous en connaissons beaucoup d'autres qui disent qu'il y a un problème avec le bois. Pour écarter la subjectivité à cet égard, il faut se reposer sur la science. Il faut pouvoir mener des recherches pour justifier un tel changement. Un mécanisme existe pour cela. Lorsque nous voulons apporter un changement, nous suivons ce processus. Je peux vous dresser une liste de toutes les choses dont nous sommes mécontents, des choses qui défavorisent l'acier, mais vous ne nous entendez pas en parler parce que nous essayons de régler cela par le biais de ce mécanisme, qui me paraît bon.
Chaque matériau réagit différemment au feu. Si vous allez en Europe, le feu est considéré comme une charge. L'Europe suit une approche plus scientifique. Si un bâtiment en acier subit un incendie, si c'est un incendie moyen, il va peut-être se déformer un peu, mais il restera debout. Il sera réutilisable. Les propriétés de l'acier après un incendie reviennent à ce qu'elles étaient auparavant. N'oubliez pas comment l'acier est fabriqué.
Le sénateur Mahovlich : Songez au 11 septembre.
Mme Boulanger : Oui, le 11 septembre est un excellent exemple de la manière dont une structure en acier a pu redistribuer les charges. Si vous voulez que je vous en parle, je peux le faire tout de suite.
Le président : Nous allons terminer avec la question du sénateur Plett, et puis le sénateur Mahovlich pourra poser sa question.
Mme Boulanger : Pour finir, la structure en acier peut se déformer, mais elle retrouve ses propriétés physiques. C'est un avantage. Si l'incendie est énorme, tout matériau va souffrir. Nous devons veiller à résister convenablement aux incendies normaux.
Vous avez parlé du fait que nous dépensons beaucoup d'argent pour les congrès. Nous avons la North American Steel Construction Conference. En tant qu'ingénieure, je siège à ce comité. Son rôle premier, indépendamment de l'environnement scientifique, est d'offrir un environnement aux praticiens. La conférence permet un énorme échange d'idées. C'est une excellente conférence. Est-ce que nous sortons boire une bière de temps en temps? Oui. Vous ne verrez pas une réunion d'ingénieurs au Canada où l'on ne boit pas de la bière, donc oui, cela en fait partie, mais l'accent reste néanmoins sur l'échange, sur le réseautage, sur le dynamisme et l'avenir de l'industrie. Oui, on y dépense de l'argent, mais je fais partie du comité organisateur de cette conférence et je pense que c'est un investissement qui en vaut la peine.
Je sais que nous l'avons déjà dit, mais je réitère l'importance de la science.
Le sénateur Plett : Vous avez mentionné un point précis sur la recherche et j'aimerais y revenir. Vous avez dit que nous devons mener des recherches. Je fais valoir que c'est précisément ce que nous faisons dans ce comité. Nous invitons des experts comme vous à donner leur opinion. Vous nous donnez votre opinion experte. J'estime que cela est de la recherche.
Pour terminer, quelle est la principale cause des décès? Est-ce à cause du feu, à cause de la fumée, à cause de l'ameublement du bâtiment plutôt que de l'incendie du bâtiment lui-même?
Mme Boulanger : Vous devrez demander cela à un expert. Nous n'avons pas ce renseignement.
Le président : Je porte à l'attention des témoins que le mandat du comité est d'examiner et promouvoir le développement et la commercialisation de produits à valeur ajoutée dans le secteur de la construction.
Mme Boulanger : Oui.
Le sénateur Eaton : Je veux ajouter un mot aux propos du sénateur. Je considère qu'il existe un marché pour les deux, et si nous trouvons de bons usages pour le bois, et promouvons les produits de bois à valeur ajoutée, je ne pense pas que cette promotion détruise des emplois chez vous. Je ne veux pas vous contredire, monsieur Whalen, mais cette histoire de détruire un emploi dans l'industrie de l'acier et de le transférer dans une scierie, je ne crois pas que ce soit un problème. Il y a beaucoup de places pour nous et beaucoup de choses intéressantes à faire.
Cela dit, je vous remercie tous deux de votre excellent travail de promotion de l'acier. L'industrie du bois devrait vous prendre pour modèle. Parlez-vous d'une seule voix pour l'industrie de l'acier de tout le Canada? Êtes-vous la voix de l'industrie?
Mme Boulanger : Nous parlons pour l'industrie de la construction en acier. Les aciéries sont avec nous.
Le sénateur Eaton : Vous parlez d'une voix unie dans toutes les provinces. Au niveau fédéral, vous êtes la seule voix. C'est intéressant.
Est-ce que l'un ou l'autre d'entre vous, au cours de vos études, lors de vos cours sur les structures, avez reçu une formation sur le bois? Y parlait-on autant du bois que de l'acier, ou bien était-ce généralisé?
Mme Boulanger : J'en ai eu pas mal à l'Université de l'Alberta. Je viens du Québec et ils n'ont jamais compris pourquoi je suis allée étudier en Alberta, mais j'avais de bonnes raisons pour cela. Je suis allée à Edmonton. Le professeur qui m'enseignait le béton était président du code du béton; le professeur qui m'a enseigné l'acier était président du code de l'acier; et le professeur qui m'a enseigné le bois était président du code du bois. J'ai suivi un cours par matériau. Je sais que cette approche n'est pas suivie partout et nous nous battons aussi pour que l'acier reste un cours obligatoire. Nous n'avons rien contre l'idée d'intégrer davantage la conception en bois au niveau universitaire. Je pense maintenant que l'on voit beaucoup de cours couvrant et l'acier et le bois à cause des similitudes entre les deux.
L'acier et le bois sont tous deux des squelettes alors que le béton est un autre type de structure, un autre type de matériau, et nous tendons donc à partager un cours. Le cours peut porter aux deux tiers sur l'acier et un tiers sur le bois, mais il y a cette présence des deux matériaux.
Le sénateur Eaton : Nous avons reçu des architectes et des ingénieurs de l'Université de l'Alberta, de l'Université de la Colombie-Britannique et de l'Université du Québec. Ils disent tous que l'on ne met pas assez l'accent sur l'emploi du bois et que votre institut sait y faire. Vous l'avez souligné en parlant de votre Steel Structures Education Foundation par le biais de laquelle vous dépensez 100 000 $ par an. Allez-vous d'université en université pour dispenser des cours supplémentaires ou des séminaires? Comment fonctionne ce travail d'éducation?
M. Whalen : Cette éducation est le fait de l'industrie, non du gouvernement. Par ce soutien de l'industrie, par le biais de la fondation, nous élaborons des manuels et organisons des cours au niveau universitaire mais surtout au niveau post-universitaire, pour dispenser cette éducation continue afin d'assurer que les ingénieurs et architectes suivent l'évolution technique et continuent d'innover.
Le sénateur Eaton : Allez-vous dans les villes en ciblant ces étudiants, et j'entends cibler au bon sens du mot, pour offrir ces cours? Comment fonctionne l'organisation de ces cours?
Mme Boulanger : Les 100 000 $ vont à la recherche. Ce volet est destiné à des projets de recherche. Il y a 10 000 $ à 15 000 $ pour six projets que nous versons aux professeurs. C'est surtout un volet de perfectionnement. Souvent nous remettons cet argent à des professeurs qui malheureusement ne peuvent accéder immédiatement à des crédits du CRSNG. Nous voyons si les professeurs ont quelque chose avec une application pratique suffisante qui nous intéresse, et nous les aidons ainsi à entrer dans l'industrie.
En ce qui concerne les cours au niveau universitaire, nous avons une bonne interaction avec les chercheurs. Du fait qu'ils sont chercheurs, ils sont aussi enseignants. Par exemple, je donne des conférences au Québec à plus de 500 étudiants en architecture et en génie, et la rétroaction est généralement bonne, et je vais donc continuer. L'idée est de les aider, pas seulement de vendre de l'acier. L'idée est de leur donner des idées pratiques pour l'emploi de l'acier.
Le sénateur Eaton : Vous faites la promotion de méthodes modernes et à valeur ajoutée d'emploi de l'acier dans les structures.
Mme Boulanger : C'est juste. Nous aurons prochainement une réunion d'éducateurs — nous en tenons une tous les deux ans — pour laquelle nous rassemblons des professeurs de génie et des professeurs d'architecture pour 48 heures. Nous pensons qu'une meilleure collaboration entre architectes et ingénieurs concernant notre matériau sera une bonne chose pour l'avenir et que les architectes et ingénieurs, en suivant une approche plus intégrée, vont construire de meilleures structures.
Quoi que vous décidiez de faire pour le bois, nous savons que cette philosophie donne des résultats. Ce n'est pas facile, mais je pense qu'une approche intégrée doit être un élément de solution.
Ces éducateurs se retrouvent pour parler d'enseignement. Ils ont beaucoup d'occasions de parler de recherche. Nous parlons de l'enseignement. Nous leur disons ce qui est nouveau et essayons de rassembler cette culture de l'acier, cette collectivité de l'acier, afin qu'ils sachent qu'ils ne sont pas seuls car souvent ils sont isolés au sein de leurs universités.
L'argent que nous investissons est lié à des cours. C'est pour élaborer des cours à l'intention des ingénieurs en exercice. Parfois des étudiants y participent, mais ils s'adressent davantage à des praticiens. Nous avons aussi des bourses pour des architectes et des ingénieurs, pour encourager des étudiants de troisième cycle à travailler avec l'acier.
M. Whalen : Pour compléter cette réponse, on peut utiliser n'importe quel matériau si l'on est prêt à payer assez cher. Si les gouvernements décident d'imposer l'emploi du bois dans un projet, cette décision va littéralement prélever un emploi dans une industrie et le transférer dans une autre.
Le sénateur Eaton : Nous ne nous mettrons pas d'accord à ce sujet.
M. Whalen : En ce moment, l'industrie décide de ce qui est l'usage le plus économique. Actuellement, pour parler carrément, dans certaines applications, le bois n'est pas le matériau préféré des concepteurs parce qu'il est cher. Les concepteurs doivent mettre suffisamment de matériaux d'ignifugation autour du bois ou installer des gicleurs, ce qui rend le bois non concurrentiel. S'il y a assez d'argent pour résoudre ces problèmes par la recherche et le développement, cela ne sera peut-être plus le cas à l'avenir.
Nous avons tellement de bois au Canada que l'on pourrait penser qu'il serait le matériau le plus employé, mais il ne l'est pas parce que dans l'optique de la construction il souffre de beaucoup de limitations. Si la recommandation du comité est qu'il faut résoudre certains des ces problèmes techniques — et c'est peut-être opportun — peut—être ne serons-nous pas là dans cinq ou 10 ans à discuter de ce problème. C'est ce que vous devez faire. Nous disons simplement de ne pas rendre obligatoire l'usage du bois.
Le sénateur Eaton : Vous parlez là davantage comme un lobbyiste que comme un éducateur.
Le sénateur Mahovlich : Voulez-vous répondre à ma question maintenant?
Mme Boulanger : La situation avec le World Trade Center est exceptionnelle, et vous verrez que les ingénieurs s'accordent à dire qu'il n'y a pas beaucoup de leçons à tirer du 11 septembre pour modifier les codes parce que les conditions de charge étaient exceptionnelles. Imaginez la Place Ville Marie avec la moitié de sa colonne reposant sur une base défoncée. Le fait que les tours aient résisté 45 minutes ou une heure et 40 minutes est un petit miracle. Voilà une chose. Ce qui a aidé le bâtiment à rester debout aussi longtemps est le fait qu'il n'y avait pas de vent ce jour-là. Souvenez-vous, il ne restait presque plus de soutien latéral. Pour résister au vent, il faut un soutien latéral. Étant donné qu'il n'y avait presque plus de continuité, la tour s'est effondrée. Pouvons-nous tirer des leçons de l'incendie? De façon générale, les ingénieurs pensent qu'il n'y a pas grand-chose à apprendre d'une situation aussi traumatique.
Nous pensons que le bâtiment s'est bien comporté. Demandez à un étudiant en génie de faire les calculs avec un bâtiment surmontant cette énorme entaille, cet énorme trou causé par une force physique, indépendamment de l'incendie, en prenant seulement en compte le matériau physique manquant, et il verra que ce bâtiment n'aurait pas dû tenir debout. Vous remarquerez que les occupants situés en dessous des deux trous ont pu être évacués. Ceux qui se trouvaient au-dessus des trous, que la structure ait été en acier, en béton, en bois ou en tout ce que vous voudrez, n'avaient aucune chance.
La grande leçon concerne les sorties, car nombre de gens ont dû descendre à certains étages, puis traverser diagonalement à un autre escalier, puis descendre, et zigzaguer de cette manière de haut en bas de cette tour. Il est heureux qu'ils aient pu quitter le bâtiment. Ce qui est malheureux, c'est que les pompiers avaient des problèmes avec leurs moyens de communications et n'ont pas pu recevoir l'instruction d'évacuer, ce qui a entraîné des pertes immenses. J'en frisonne encore. Cette situation était regrettable, mais pour ce qui est des structures en acier, aux yeux des ingénieurs, elles ont bien tenu.
Le sénateur Mahovlich : Cela n'a pas été mon impression. Elles donnaient l'impression d'être tombées en poussière.
Mme Boulanger : C'est l'impression, à cause de l'effondrement.
Le sénateur Mahovlich : Pour en revenir au bois, nous avons visité le bâtiment de Québec et les poutres y étaient faites de bois laminé et ils ont dit que le laminage empêche le rétrécissement. Ce bois est traité et ne rétrécit pas. Ils affirment que ces poutres laminées sont souvent plus solides que l'acier. C'est ce qu'ils disent. Un bâtiment de sept, huit ou neuf étages ne va pas s'effondrer, même en cas d'incendie. Apparemment, le feu ne fait que calciner les poutres en surface, elles ne vont pas brûler.
Mme Boulanger : Vous devriez demander à des ingénieurs de vous donner un avis à cet égard.
Le sénateur Mahovlich : Nous sommes là pour cela. Nous vous demandons votre avis maintenant.
Mme Boulanger : Je ne suis pas experte en bois, mais je peux vous dire que le bois bouge avec le temps. Cela ne fait aucun doute. Il y aura toujours de l'humidité. La teneur en humidité fait une grosse différence. En Colombie-Britannique, malheureusement, il y a toujours un certain taux d'humidité et cette humidité va affecter le comportement au fil du temps.
Il existe des trucs pour surmonter le rétrécissement. Par exemple, on utilise un grand nombre de connecteurs en acier dans les structures en bois. L'acier est présent partout dans les structures en béton, en bois et en verre. Une astuce consiste à faire en sorte que les connecteurs laissent du jeu parce que plus les poutres en bois sont longues et plus elles rétrécissent, ce qui va amener un décalage entre les connecteurs. Une astuce est de laisser du jeu parce que l'acier ne bouge pas et le bois bouge.
Je veux préciser que nous avons conscience qu'il nous faut travailler avec d'autres matériaux. Avec notre magazine Advantage Steel j'ai lancé une série de numéros concernant la combinaison de l'acier avec d'autres matériaux. Le numéro que j'ai ici traite de l'acier et du bois. Nous avons posé à plusieurs experts de la Colombie-Britannique la question suivante : Que faut-il faire pour rendre fonctionnelle une structure en acier et bois? On m'a dit de ne pas utiliser trop de données techniques dans cette présentation et c'est ce que j'essaie de faire. Mais il existe des façons de marier l'acier et le bois, mais il faut pour cela les connaissances et l'expérience d'ingénieurs.
Parfois, les ingénieurs doivent effectuer des tests. Par exemple, le SkyDome de Toronto était la première fois où nous utilisions tous ces connecteurs sur des sections structurelles creuses. Il n'y avait rien dans les codes à cet égard. Cette structure n'a pas été construite simplement parce que quelqu'un s'est dit que peut-être cela pourrait marcher. Des éléments complets ont été testés à l'Université de Toronto. Le professeur Jeffrey Packer est maintenant l'un des premiers spécialistes au monde des profilés de charpente creux, les PCC. Ce savoir-faire provient en grande partie de l'expérience du SkyDome et des fonds de recherche fournis par notre industrie, le CRSNG et le gouvernement, pour assurer que la structure serait sûre et solide.
Si quelque chose n'a jamais été fait auparavant, on ne peut présumer que cela va marcher. Je sais qu'il y a l'expérience et il y a aussi l'intuition, mais nous devons pouvoir les appuyer sur des connaissances. Cela doit s'inscrire dans un processus, qui est relié à celui de l'élaboration de normes.
Le sénateur Mahovlich : On utilise le bois dans les bâtiments en Europe depuis des années et des années. Nous avons sûrement appris des choses auprès des Européens.
M. Whalen : Nous utilisons le bois au Canada et votre exemple du lamellé-collé est judicieux. Oui, les ingénieurs et architectes ont des matériaux de construction en bois à leur disposition dès aujourd'hui. Nous voyons beaucoup de bâtiments et vous aussi. Il existe des raisons de ne pas utiliser d'acier et de recourir à ces produits, et il existe des raisons d'utiliser d'autres matériaux de construction. Certaines des raisons, du point de vue de la conception, tiennent au poids. Certaines des raisons peuvent tenir à la dimension de ces poutres lamellées-collées pour enjamber la distance voulue. Peut-être la hauteur sous plafond n'est-elle pas assez grande.
Il est facile de dire oui, nous devrions les utiliser lorsque le maître d'œuvre dit qu'il veut la beauté du bois.
Le sénateur Mahovlich : C'est plus beau.
M. Whalen : Oui, absolument.
Le sénateur Mahovlich : Avons-nous tiré des leçons de l'anneau olympique de Richmond?
Mme Boulanger : En quel sens?
Le sénateur Mahovlich : De la manière dont le toit en bois a été appliqué.
M. Whalen : Croyez-le ou non, ce toit est en acier, c'est un composite de poutres en acier et de bois à l'extérieur. C'est ce que nous voulons faire ressortir ici. L'acier léger peut servir à différentes choses et on peut marier cet acier avec d'autres matériaux de construction pour obtenir l'aspect architectural souhaité. Dans d'autres cas, on peut utiliser uniquement du bois ou uniquement de l'acier.
Nous ne disons pas qu'il faut se limiter à l'acier. J'ai vu l'anneau de Richmond et il est beau.
Le sénateur Mahovlich : Il est beau. Je pense que nous devrions utiliser davantage de bois dans nos aéroports; nous devrions avoir des toits en bois.
Mme Boulanger : L'aéroport de Zurich est aussi une belle structure d'acier et bois. On voit plus souvent ce mariage. Nous ne pouvons rien dire contre cette combinaison. Elle donne un bon résultat. Comme je l'ai dit, il importe de savoir comment les matériaux vont fonctionner ensemble parce qu'ils ont des comportements différents face aux variations de température. L'un est un matériau organique, l'autre non. Au fil du temps, les différences deviennent importantes.
Nous visons une solution technique mais nous réalisons que le choix n'est pas entièrement technique. Si quelqu'un veut construire un bâtiment commercial en béton à New York, il n'a aucune chance. Si quelqu'un veut y construire un condominium en acier, il n'a aucune chance. Quelqu'un a décidé dans les années 1960 que les bâtiments commerciaux devaient être en acier et les immeubles d'habitation en béton. Une culture finit par s'installer et tout un passé. Les gens deviennent accoutumés à utiliser un seul matériau. Nous devons nous accommoder de ces situations et travailler avec les architectes et les ingénieurs pour leur donner envie d'utiliser notre matériau et les informer. Le choix des matériaux s'inscrit dans un vaste processus.
Le sénateur Duffy : J'ai quelques remarques rapides. Monsieur Whalen, vous n'avez pas à vous inquiéter; je ne crois pas que quiconque s'attende à ce qu'une loi rende l'usage du bois obligatoire. À votre place, je ne m'en inquiéterais pas.
Je veux revenir sur ce qu'a dit le sénateur Eaton. Lorsque je lis votre magazine, je songe à l'expérience de l'Île-du- Prince-Édouard, qui est un grand centre d'assemblage d'éléments en acier. C'est une réussite étonnante et nous sommes fiers de cette industrie. Nous ne ferons rien qui risque de la faire disparaître.
Dans l'Île, on assemble des éléments d'acier pour Brooklyn, à New York. Croyez-le ou non, ils transportent par camion des pièces assemblées dans l'île jusqu'à Fort McMurray. C'est une réussite étonnante et nous somme fiers de cette industrie. Nous ne ferons rien pour lui nuire.
Ce que nous retirons de votre magazine et de votre présentation d'aujourd'hui équivaut à ce que nous appelons dans la vie politique l'apprentissage continu. D'après ce que vous nous dites, votre industrie semble pleinement épouser cette motion de renouvellement constant, d'amélioration, de formation et de recyclage. Je vous en félicite.
Nous avons reçu ici des représentants du Forest Council. Celui-ci a produit des DVD et d'autres choses. Je ne suis pas aussi familier de leur programme de perfectionnement, mais je vous applaudis et je partage peut-être votre avis que la réussite de l'acier tient en grande partie au fait que votre industrie a conscience de la nécessité d'éduquer et perfectionner et d'aller de l'avant.
Dans votre magazine on trouve une rubrique intitulée « Ask Dr. Sylvie ». Si nous demandions à Mme Sylvie, si vous regardez d'autres industries, pas seulement celle du bois, comment se comparent-elles? Remarquez-vous une différence quant à l'effort consacré à l'éducation et au recyclage dans votre industrie, comparé à d'autres au Canada? Est-ce que vous portez la réussite relative de l'acier au crédit de cet effort?
Mme Boulanger : Nous aimerions faire encore mieux. Nous pensons pouvoir faire mieux dans certains domaines. Nous cherchons toujours à nous améliorer. Il est difficile de voir précisément ce que font les autres industries. Je sais que l'industrie du béton n'est pas si différente de nous. Nous nous concurrençons vigoureusement là où les deux matériaux sont économiquement viables.
Nous avons du mal à soutenir sa concurrence dans les immeubles résidentiels. Leur système de dalle autoportante de 30 pieds est difficile à concurrencer. Lorsque nous offrons des solutions, d'autres facteurs doivent être présents pour que nous réussissions.
Les cimentiers ont également un bon programme d'éducation, mais leur approche reste différente et c'est parce que leur structure est différente. Vous avez rencontré des représentants de l'association du ciment. Presque tout le ciment est utilisé dans la construction, alors que peut-être seulement 30 p. 100 de l'acier produit sert à la construction. Nous devons assumer une plus grande responsabilité pour l'ouvrage et nous sommes de ce fait plus enclins à assurer cette éducation. Je ne connais pas les détails pour les autres industries, mais je sais que le béton n'est pas tellement différent.
Le sénateur Duffy : Le sénateur Ogilvie est un ancien président d'université qui aura son tour dans une minute. Il est largement considéré comme un leader, si vous vous souvenez de l'Université Acadia et des ordinateurs portatifs.
Lorsque vous travaillez avec les universités et les écoles d'ingénierie pour offrir des cours sur l'utilisation de l'acier dans la construction, tombez-vous sur des représentants de l'industrie de la foresterie et du bois qui font le même travail?
Mme Boulanger : Oui. Je vais vous donner un exemple tiré de la faculté de génie de l'Université McGill. Colin Rogers mène des recherches et sur l'acier et sur le bois. Lorsque je vais à l'Université Laval, il y a trois fois plus de conférences portant sur le bois que sur tout autre matériau. Nous savons pourquoi c'est le cas, c'est à cause de Forintek et Cecobois. Je vais faire une parenthèse concernant Cecobois, car la stratégie mise au point pour promouvoir le bois au Québec est agressive. L'industrie reçoit 16 millions de dollars du gouvernement : 9 millions de dollars pour le marketing et le restant pour la recherche.
Qui ne serait pas ravi de se trouver dans cette situation? L'équivalent pour nous est zéro. Oui, ils sont très visibles, particulièrement à l'Université Laval. Je trouve que ce n'est pas tout à fait équitable.
Je n'ai pas d'objection à McGill où les gens de l'industrie du bois viennent enseigner un cours commun. Je préfère un cours obligatoire où l'acier et le bois sont enseignés ensemble que d'avoir deux cours, l'un sur l'acier et l'autre sur le bois dont aucun n'est obligatoire.
Nous sommes ouverts à la collaboration. Là où nous nous objectons parfois, c'est lorsque des comparaisons techniques inexactes sont faites avec l'acier. Par exemple, sur le plan de la consommation d'énergie, ils ont montré un diagramme à barres concernant le CO2. Je n'ai jamais de ma vie vu une valeur aussi élevée pour l'acier. Je ne sais pas comment ils sont arrivés à ce chiffre. Lorsque je leur ai demandé, ils ont dit qu'ils voulaient comparer des pommes et des pommes et examiner tous les matériaux, en faisant abstraction du contenu recyclé. Il n'y a pas d'acier sans contenu recyclé, alors ils ont extrapolé. Nous n'aimons pas cette approche. Je ne pense pas que ce soit une bonne approche que de médire des autres matériaux.
Le sénateur Duffy : J'ai posé cette question car d'autres témoins entendus l'an dernier nous ont donné à penser que, dans la pratique, les universités ne sont pas intéressées par le bois et que la formation à ce matériau est rarement offerte aux architectes et ainsi de suite. Je suis heureux d'entendre que le tableau n'est pas aussi sombre qu'on nous l'avait peut-être donné à croire.
Mme Boulanger : Je ne dis pas que le niveau est le même. Cependant, nous aussi avons de la difficulté. Nous essayons d'obtenir que l'acier soit représenté car le béton tend à l'emporter dans certains cas. L'École de technologie supérieure, ETS, est la seule de toutes les universités à ne pas avoir de cours obligatoire sur l'acier. Nous ne sommes pas ravis de cette situation.
Nous devons chacun nous battre et parfois nous pouvons conjuguer nos forces. Les universités devraient avoir au moins un cours obligatoire sur l'acier et le bois afin que les étudiants soient exposés aux deux matériaux avant la fin de leurs études. Le programme d'enseignement sur les structures est incroyablement difficile. Sa part va en diminuant et une pression immense s'exerce pour offrir davantage de cours avec crédit sur l'environnement. Les étudiants ont tellement d'autres cours à suivre. C'est une bagarre pour que l'acier reste un cours obligatoire et aussi avoir plus d'espace pour le béton car tout le monde voudrait plus de place pour les structures, mais cela ne se concrétise pas.
M. Whalen : Pour situer votre question en contexte, le montant dont dispose l'industrie de l'acier au Canada pour le marketing et l'éducation n'est qu'une fraction de ce que l'on dépense pour l'industrie du bois rien qu'au Québec. La question n'est pas nécessairement de savoir combien d'argent on consacre au marketing et à l'éducation, mais la qualité de l'exécution : l'efficience et la compétence de ceux qui entreprennent ces activités.
Dans le secteur de l'acier, les montants mis à la disposition de notre groupe — à cause de la réduction des aciéries et des mutations en cours dans l'industrie de l'acier au Canada — ont spectaculairement baissé depuis les années 1970. Cependant, nous connaissons toujours des réussites grâce à la qualité des exécutants de cette activité.
Le sénateur Ogilvie : Merci à tous deux de votre présence. Madame Boulanger, j'ai été très impressionné par votre exposé et votre connaissance du domaine. Je pense que la plupart des secteurs seraient bien avisés d'essayer de vous recruter pour leur promotion.
Pour donner un peu de contexte avant de poser ma question précise, je pense que vous avez mis en lumière un certain nombre de points importants. Je veux notamment revenir sur l'idée qu'une concurrence dynamique est le moteur de l'innovation, sur lequel repose le succès de ce genre de matériau.
Au Canada, nous avons su introduire dans la construction des matériaux hautement innovants, qu'il s'agisse des agrégats, de l'acier, du genre de composite que l'on voit ou de matériaux nouveaux qui font leur apparition. Notre industrie, au cours de ma vie, a traversé de nombreux cycles. Grâce à l'innovation, elle a surmonté l'adversité pour devenir compétitive dans quantités de nouveaux domaines. Je pense que pour notre pays dans son ensemble, l'innovation et la concurrence seront clairement le moteur de notre réussite ultime.
À cet égard, vous avez évoqué un certain nombre de facteurs qui vont influencer à l'avenir l'emploi d'un matériau plutôt que d'un autre dans un projet ou une industrie donnés. Vous avez également effleuré ce point en parlant de l'empreinte carbone. Vous ne l'avez pas exprimé précisément ainsi, mais vous avez dit que le bois n'est rien d'autre qu'un entrepôt de dioxyde de carbone.
Voyons cela d'un point de vue plus général. Vous avez situé la question dans le contexte de ce qu'il advient du bois en bout de course. Vous avez absolument raison. Le bois est un entrepôt de carbone et ce carbone va au stade ultime être restitué à l'environnement.
Je dirais toutefois que cette question est déjà posée à l'égard de nombreux produits. Les pays, les pouvoirs publics ou même les industries elles-mêmes examinent tous la chaîne d'approvisionnement et calculent l'empreinte carbone des matériaux mis en œuvre dans les produits. Nous savons ce qu'il en est pour le bois. Cependant, nous savons aussi que l'acier, tout en utilisant du carbone dans la fabrication, requiert une énorme quantité d'énergie au stade de sa production, de sa conversion, et cetera
Je ne sais pas si vous connaissez la réponse à ma question, mais existe-t-il actuellement des études comparant une structure d'une taille donnée — nous savons qu'elle doit faire quatre étages ou moins pour être comparable — du point de vue de l'empreinte carbone d'une structure utilisant principalement du bois et d'une structure utilisant principalement de l'acier?
Mme Boulanger : Il existe plusieurs études, mais elles sont le fait de chaque industrie. Je dois parler franchement. J'ai une étude, et elle fait apparaître que dans un contexte particulier, soit la superficie qui est dérangée par l'abattage des arbres comparée à l'utilisation de la ferraille de six voitures envoyées à la casse pour produire la même maison, l'avantage est à l'acier. Cependant, je n'en fais pas grand cas car tellement de paramètres sont scientifiquement sensibles. Si l'on touche au moindre bouton, les résultats sont différents.
J'ai une autre étude faite dans la région de Boston comparant un bâtiment en acier et un en béton. Elle nous donne un petit avantage, mais il y a tellement de paramètres qui peuvent avoir un impact de plus ou moins 25 ou 30 p. 100.
À ce stade, je ne vois que peu de différence dans l'énergie incorporée dans les matériaux, sur le cycle de vie. C'est cela qui importe. Il faut évaluer la totalité du cycle de vie, et ce doit être fait par une tierce partie. Une telle étude n'existe pas.
Le sénateur Ogilvie : J'ai une courte question complémentaire. Je suis également un scientifique et j'apprécie ce que vous avez dit.
Néanmoins, je crois qu'il est possible d'effectuer une comparaison raisonnable, utilisant des facteurs primordiaux examinés sous certaines conditions bien définies. Je suis presque certain que cela va être fait.
Mme Boulanger : Pourquoi consacrer tant d'énergie aux matériaux alors que, au cours de la vie utile d'un bâtiment, l'énergie consommée par les matériaux ne représente que de 5 à 8 p. 100 de l'énergie consommée dans le bâtiment? Au cours de la vie du bâtiment, on consomme de l'énergie pour la ventilation, remplacer les tapis, et cetera. Toute l'utilisation du bâtiment représente 85 p. 100 ou plus.
Oui, nous devons nous améliorer sur ce plan, mais supposons que nous puissions améliorer l'efficience énergétique de 20 p. 100. Cette amélioration ne va représenter que de 1 à 2 p. 100 de l'énergie consommée pendant la vie du bâtiment.
Pourquoi ne pas se concentrer davantage sur la mise en œuvre du matériau au cours de l'utilisation du bâtiment? C'est là où l'on consomme de l'énergie. Supposons que nous ayons des portées plus grandes et que, grâce à cela, on dispose d'une plus grande souplesse pour agencer les pièces. Avec une plus grande souplesse, on ne va pas devoir démolir des cloisons chaque fois que l'on veut changer quelque chose, ou bien démolir le bâtiment parce qu'il est devenu impraticable.
Nous ne nions pas que nous consommons beaucoup d'énergie. C'est vrai. On pense que le transport est un gros problème. Le transport n'est pas un gros problème pour nous car l'énergie sert surtout à produire l'acier. Nous le transportons de façon efficiente : nous le transportons par rail et les matières premières sont transportées par barge. L'extraction et le transport représentent 5 à 8 p. 100 des émissions de carbone par tonne d'acier.
Depuis 1990 nous avons amélioré au Canada l'intensité des émissions de gaz de 24 p. 100 par tonne. Cependant, du fait que nous produisons toujours plus d'acier, le chiffre net tombe à environ 16 p. 100. Notre objectif était de 1 p. 100 par an. Aujourd'hui, il devient plus difficile d'améliorer les procédés parce que nous avons déjà réduit tout ce qui était possible. Nous devons maintenant inventer un nouveau procédé, et cela ne va pas se faire du jour au lendemain.
Chaque matériau cherche à améliorer. Nous savons que la consommation d'énergie est un gros enjeu. Mais, parallèlement, il nous faut réfléchir à la façon dont le matériau est utilisé au cours du cycle de vie du bâtiment. L'industrie du béton parle de masse thermique. C'est important. Elle peut construire une plate-forme et la recouvrir de béton. Cependant, si on y pose un tapis et la protège par un faux plafond, la masse thermique devient inopérante. Il est important de voir l'efficience des structures de cloison.
Oui, l'avenir est dans l'évaluation du cycle de vie. Oui, nous aurons bientôt des valeurs mais il nous faut de bonnes analyses du cycle de vie, les ACV. Nous avons de la difficulté, avec les aciéries, à établir ces valeurs, et je n'en suis pas fière. Cependant, elles savent qu'elles doivent en passer par-là. Je fais partie d'un groupe de travail nord-américain, avec l'American Iron et Steel Institute, l'AISI. Nous voulons que les aciéries participent aux efforts internationaux pour élaborer cette ACV.
Une évaluation du cycle de vie ne peut être faite sans une ACV. Le Centre interuniversitaire de recherche sur le cycle de vie des produits, procédés et services, le CIRAIG, à l'École Polytechnique, est un bon centre. À mes yeux, ce mandat est important car il sera chargé d'élaborer cette analyse du cycle de vie, ACV, pour tous les matériaux au Canada.
Nous savons que les valeurs ne sont pas à jour. Lorsqu'on les applique à l'Athena Impact Estimator for Buildings et à d'autres logiciels, nous ne faisons pas toujours bonne figure. C'est en partie de notre faute. Nous ne leur donnons pas les bons chiffres. Nous travaillons fort sur les chiffres. Nous essayons. Je pense que cet effort doit être reconnu. Nous essayons d'améliorer la teneur recyclée parce qu'il ne fait aucun doute que c'est une bonne chose. La réutilisation est un facteur que l'on tend à sous-estimer.
Un grand nombre des pavillons d'Expo 67 ont été réutilisés. Je regarde la tranche d'âge des membres du comité, mais je crois ne pas me tromper. Si vous avez visité Expo 67, vous vous souviendrez peut-être du pavillon russe. Il a été complètement démonté et il se trouve aujourd'hui à Moscou. Les exemples sont innombrables. Dans les Maritimes, combien de petits bâtiments ont pu être démontés et remontés? Ils ont même été conçus pour cela.
La durabilité est un concept important à mes yeux. Oui, elle est la voie de l'avenir, nécessairement. Cependant, comme scientifiques, vous reconnaîtrez qu'il y a des faiblesses à ce stade.
[Français]
Le sénateur Rivard : Je vous remercie pour votre présentation. Vous avez répondu à beaucoup de questions potentielles, mais j'aimerais revenir sur l'aspect sécurité de votre présentation. Au dernier paragraphe, vous nous rappelez la mise en garde pour les changements techniques en faveur du bois ou quoi que ce soit. Vous dites que les changements de code doivent toujours être justifiés par des études techniques. Je partage votre avis sur cela.
Au paragraphe précédent, vous parlez de la différence entre le tremblement de terre au Chili et celui d'Haïti. Dans les semaines qui ont suivi le séisme en Haïti, on a passé plus de temps sur Haïti parce qu'il y a eu plus de dommages et plus de pertes humaines.
Êtes-vous en mesure de nous dire si l'hôtel Montana, où plusieurs Québécois connus ont péri, était construit en acier, en béton ou en bois? Peut-être qu'elle était en acier mais qu'elle ne respectait pas les normes nord-américaines. Savez-vous si l'édifice du Parlement et l'hôtel Montana avaient une structure d'acier, de béton ou de bois?
Mme Boulanger : La plupart des structures sont de béton et de bois. Dans cet environnement, il n'y en a pratiquement pas en acier. Donc les dommages sont vraiment liés à des structures de béton et de bois.
Je fais partie du Comité des ingénieurs en structure de Montréal et on est dans un réseau avec des Américains. Aux États-Unis, plusieurs Québécois font partie d'un réseau de recherche et les ingénieurs québécois sont appréciés des Haïtiens à cause de la langue. J'en ai connu plusieurs qui sont allés là-bas. Le travail qui a dû être fait était très triste. Il a fallu commencer par évaluer si les structures étaient encore utilisables. Il n'y en a vraiment pas beaucoup qui sont utilisables.
Dans un séisme il y a deux aspects : il y a l'intensité et la fréquence. La fréquence est importante. C'est comme avec une balançoire. Si on est toujours en train de la pousser quand elle revient en haut, cela augmente les dommages.
Dans la situation en Haïti, les ingénieurs ont affirmé qu'il manquait d'armature à beaucoup d'endroits. On peut résumer la situation en disant qu'il y avait un non-respect du code, ce qui n'était pas le cas au Chili.
Le sénateur Rivard : J'aimerais poser une dernière question au sujet de votre industrie. J'ai eu l'occasion de rencontrer des représentants d'une entreprise de Québec que vous connaissez sûrement. Il s'agit de Supermétal qui exporte beaucoup.
En fonction de la force du dollar canadien versus la force du dollar américain, de la crise économique des deux dernières années et de la clause Buy American, pouvez-vous nous dire quelle a été la perte en termes de pourcentage du chiffre d'affaire des exportateurs?
Avez-vous une idée des sommes qui ont été perdues à cause de ces trois facteurs : la crise économique, la force du dollar et la clause Buy American?
Mme Boulanger : Ces trois facteurs ont contribué à une perte. Lorsqu'on va aux États-Unis, on remarque que dans l'industrie de l'acier et même dans toute l'industrie de la construction, l'économie ne tourne vraiment pas rond. À la fin de 2008, les aciéries aux États-Unis fonctionnaient à 40 p.100 de leur capacité alors que plus tôt en 2008, lorsqu'il y avait encore un reste de boom économique, elles fonctionnaient à 95 p. 100 de leur capacité. Actuellement elles remontent la pente et frôlent 65 p. 100.
Peu importe la façon dont on examine la situation, c'est 40 p. 100 de moins. Le fait que tout ce qui touche le plan de relance ne nous est pas accessible fait mal à notre industrie, mais le pire, c'est que ça crée de l'incertitude. C'est donc la fameuse clause Buy American qui crée de l'incertitude.
Un propriétaire, un entrepreneur général ou un fabricant qui n'est pas tout à fait certain qu'il y aura de l'argent lié au plan de relance vit dans l'incertitude.
D'après les chiffres, il est certain que l'échange du dollar canadien a également un impact, mais je dirais qu'au Québec, à tout le moins, on lie cela à la dépression dans le marché américain. Certains exportaient tout le temps, et n'exportent pas présentement. Pour eux, ce ne sera donc pas 100 p. 100, mais ce sera au moins 50 p. 100. Ils reviennent sur le marché québécois et doivent recréer un marché québécois.
En moyenne, à cause de la situation économique, la situation est inférieure de 30 à 40 p. 100 à ce qu'elle était; et ce, d'après les données rendues disponibles à la fin de l'année dernière. On ne peut pas tellement quantifier la clause Buy American.
Nous avons toujours dit que les Québécois et les gens des Maritimes réussissaient bien sur le marché américain à cause de la faiblesse du dollar américain. À la fin des années 1990 et au début des années 2000, le dollar était autour de 90 sous. Lorsque sera atteint un taux de 75 sous, nous n'aurons plus de chances et ce sera terminé car, pendant ce temps, ils ont modernisé leurs installations et ont formé des réseaux. À 75 et 80 sous, la marge est réduite chaque fois; à 85, 90 et 95 sous, nous sommes encore là.
Nous faisons donc partie de la capacité de fabrication aux États-Unis et nous sommes appréciés; nous avons créé une valeur ajoutée dans l'industrie. Nous espérons que cette capacité revienne, mais je n'y crois pas. Nous avons fait plusieurs améliorations et la marge est devenue toute petite maintenant.
À l'avenir, nous devrons possiblement nous tourner vers la production de produits hybrides à exporter, puisque personne ne semble travailler de concert les uns avec les autres. Ce peut être une avenue et ce sera peut-être la façon de communiquer. Il y a dans la construction un énorme potentiel d'amélioration juste en communiquant de façon plus efficace.
Par exemple, dans un cas, j'étais la personne au milieu qui devait dire à telle personne que, dans un pont, en changeant l'épaisseur de 8 à 10 millimètres, cela allait faciliter le travail de l'aciérie parce qu'il n'y avait presque plus d'épaisseur, que cela aurait été une trop petite quantité, et que cela aurait pu occasionner des délais supplémentaires.
Nous vivons cela actuellement. Vous avez toutefois raison de dire que ce n'est pas seulement du fait de la clause Buy American, mais ce n'est pas facile.
Le sénateur Rivard : Merci beaucoup de vos réponses; et je souhaite la meilleure des chances à l'industrie de l'acier.
[Traduction]
M. Whalen : Je pense que les industries du bois et de l'acier ont appris cette leçon à la dure. Si nous devenons dépendants d'un marché extérieur, nous nous exposons à des problèmes plus tard. Dans notre cas, la majorité de l'acier exporté allait aux États-Unis. La situation économique aux États-Unis a donné naissance aux dispositions « Buy American ». Une dizaine d'autres projets de loi sont en attente au Congrès avec des dispositions similaires.
Toute bonne entreprise réalise qu'elle doit avoir plusieurs clients majeurs. Elle doit diversifier. La leçon à tirer de nos problèmes communs avec les États-Unis est qu'il nous faut chercher des débouchés à l'exportation ailleurs. Nous devons nous tourner vers l'Amérique du Sud et l'Asie comme débouchés pour nos produits.
Le président : Le sénateur Plett a demandé à poser quelques autres questions lors d'un deuxième tour.
Le sénateur Plett : Ce sera facile cette fois-ci. J'aimerais revenir sur la réponse que vous avez donnée au sénateur Mahovlich concernant le World Trade Center. Je ne veux pas ouvrir un débat, mais j'ai lu que le World Trade Center avait été conçu pour résister à l'impact d'un Boeing 707. Lorsque le World Trade Center a été construit, les avions emportaient peut-être moitié moins de carburant qu'aujourd'hui. Je crois savoir que si le plus gros avion de l'époque avait percuté les tours, celles-ci auraient résisté à l'impact, mais elles n'ont pas tenu parce que le carburant a engendré une énorme chaleur.
Premièrement, y a-t-il du vrai là-dedans? Deuxièmement, est-ce que le revêtement extérieur du World Trade Center était en béton plutôt qu'en acier?
Mme Boulanger : Vous avez raison avec la première question. Les bâtiments étaient conçus de cette façon dans les années 1970 et 1980. Par exemple, le SkyDome a été conçu de façon à ce qu'un petit avion puisse causer un trou et la structure possède ce que nous appelons une redondance. Elle peut redistribuer la charge aux autres supports sans s'effondrer.
C'est également ainsi que l'on avait conçu le World Trade Center. L'avion qui a percuté la tour est comparable à une charge sismique instantanée. Je m'explique. Un avion percutant un bâtiment crée une force de cisaillement à la base, un effet de secousse.
Certains avions aujourd'hui ont des ailes d'envergure plus larges que le bâtiment. Par conséquent, nous n'avons aucune chance. Pour résister à une telle frappe, il faudrait un bunker militaire. C'est ce qu'il faudrait pour résister à cet impact, et ce n'est pas réaliste. Il faut créer un environnement plus sûr pour assurer que les avions n'aient pas cette possibilité. Autrement, nous paierions un coût extrême pour résister à de telles charges et nous aurons des bâtiments résistants d'une grande laideur.
Nous avons effectué une analyse et les résultats étaient exponentiels. Les grandes tours ne peuvent tout simplement résister à la charge créée par ces gros avions. Les avions sont trop gros, ils tranchent comme dans du beurre.
La façon dont le World Trade Center a été construit est particulière. C'était comme une structure tubulaire. C'est ce que nous appelons un cadre d'inertie. Il créait une ceinture autour du bâtiment qui résistait à la charge latérale. Au milieu était l'escalier dans un cœur en béton. Cependant, le cœur en béton n'était pas fait pour résister à une grande charge latérale. C'était le rôle de la structure tubulaire. Le béton au milieu transférait l'effort verticalement et était là pour soutenir une partie de la charge et les nombreuses gaines d'ascenseur. La structure des systèmes de plancher — les entretoises — est comme un zigzag. D'aucuns disent que certains types d'attache auraient pu être meilleurs, et c'est probablement vrai. Cependant, aurait-ce fait une différence avec un avion percutant le bâtiment? Non.
Quantité de bâtiments à New York sont toujours réalisés avec la cage d'inertie. Vous pouvez les voir à l'extérieur des bâtiments si vous allez à New York. On pourrait réaliser des cages d'inertie plus résistantes, mais le système reste bon.
M. Whalen : Le World Trade Center a été percuté par le plus gros avion.
Le sénateur Plett : Dites-vous que ce n'est pas la chaleur, mais l'impact de l'avion sur le World Trade Center qui a causé l'effondrement? Pourquoi a-t-il fallu alors du temps pour que la tour s'effondre? Pourquoi ne s'est-elle pas effondrée immédiatement si la cause était l'impact de l'avion?
Mme Boulanger : C'est la beauté de l'acier. Il a redistribué la charge; il s'est déformé avant de s'effondrer. Vous pensez peut-être que l'acier est un matériau rigide, mais l'un de ses meilleurs attributs est la ductilité : lorsqu'il est soumis à une charge supplémentaire, il s'étire et s'étire avant de rompre.
En l'occurrence, la charge cherchait à se redistribuer des colonnes manquantes vers la structure toujours debout et c'est pourquoi la tour a pu tenir. Nous sommes nombreux à penser que s'il n'y avait pas eu l'incendie, la tour aurait probablement résisté un peu plus longtemps, mais elle allait s'écrouler. Statiquement, ce qui a fait s'écrouler la tour, c'est qu'il ne restait pas suffisamment d'éléments portants pour qu'elle puisse tenir; ce n'était pas l'incendie. Le feu a peut-être accéléré l'écroulement, mais la tour a tenu suffisamment longtemps pour qu'on puisse l'évacuer.
Une leçon à tirer est qu'il nous faut trouver une meilleure façon de faire descendre aux occupants 100 étages jusqu'à la rue. La leçon est de ne pas construire en béton ou en bois pour que le bâtiment résiste plus longtemps. Vous conviendrez que cette structure n'est pas le genre qui se prête au bois. Ce n'est pas une question d'employer des matériaux différents.
Nous avons perdu des parts de marché dans certaines régions où ils ont commencé à construire en béton parce qu'ils pensent que celui-ci résistera mieux à des charges d'impact localisées. C'est contestable, mais c'est ce qui se passe et nous devons nous battre contre cela.
Le sénateur Plett : Quelle est la différence entre les chiffres d'exportation et ceux d'importation d'acier au Canada?
Mme Boulanger : Nous avons des chiffres différents pour les assemblages et l'acier brut. Nous n'avons pas encore révisé nos chiffres. L'industrie traverse une telle crise que nous n'avons pas les chiffres les plus récents. Dans le secteur de l'acier de fabrication, nous avions coutume d'exporter de 30 à 35 p. 100 de nos assemblages aux États-Unis.
J'ai les chiffres pour la sidérurgie. Je crois que c'est à peu près la même proportion mais je veux vous donner les chiffres précis. L'industrie de l'acier a produit 15 millions de tonnes métriques en 2008. Ce niveau de production est soutenu au Canada par quelque 30 000 emplois directs et plus de 120 000 emplois indirects dans toutes les provinces du Canada. Les travailleurs de l'acier sont hautement qualifiés et gagnent un salaire moyen de 65 000 $. Dans la distribution entre les économies locales et nationales, nous contribuons quelque 14 milliards de dollars de production mais 7 milliards de dollars supplémentaires en exportation. Environ un tiers partaient aux États-Unis avant la politique « Buy American ». Il est incroyable de voir à quel point « Buy American » crée des inefficiences.
Le sénateur Duffy : Puisque nous avons parlé des tours de New York et des avions, en 1945, un bombardier B-25 de l'armée américaine a percuté l'Empire State Building. Je ne sais combien n'ont pas lu jusque-là dans la note de Google, mais le gratte-ciel a survécu et sert encore de nos jours. Il est clair que l'acier de la structure n'a pas lâché sous l'impact. Évidemment, l'avion était beaucoup plus petit.
Mme Boulanger : Ce gratte-ciel a été construit en l'espace de 11 mois. Nous aurions du mal à en faire autant aujourd'hui. C'est intéressant. J'ai un livre là-dessus.
Le sénateur Mahovlich : J'étais en Chine le mois dernier et j'ai vu que beaucoup de tours sont construites à Shanghai. Faisons-nous affaire avec la Chine? Exportons-nous beaucoup de nos produits d'acier fini dans ce pays?
Mme Boulanger : La réponse courte est non. Deux gros fabricants cherchent à développer ce débouché. Il faut le faire en collaboration avec des fabricants locaux car il y a tout un aspect culturel à respecter. Il est difficile de simplement arriver avec un produit. Il faut créer un réseau avec les gens du coin.
M. Whalen : Pour compléter cette réponse, avant d'entrer à l'Institut, je travaillais pour le Bureau canadien de soudage. La production d'acier en Amérique du Nord est de 20 millions de tonnes, et en Chine elle est de 600 millions de tonnes.
Le sénateur Mahovlich : Est-ce que la qualité est au rendez-vous?
M. Whalen : Non, pas nécessairement. L'un des risques pour notre industrie, et vous verrez cela probablement dans d'autres industries encore, est que la Chine et l'Asie nous concurrencent durement. Typiquement, les pays émergents avaient coutume de nous attaquer uniquement au niveau des coûts de main-d'œuvre, soit les salaires et avantages sociaux. Aujourd'hui, la Chine attaque le Canada et toute l'Amérique du Nord à deux ou trois niveaux différents, notamment les bas salaires et le recours à la technologie. J'ai pu constater lorsque je travaillais en Chine qu'ils ont des équipements de pointe et de grosses usines. En général, leur produit est de bonne qualité.
Il faut considérer non seulement l'industrie de l'acier mais aussi d'autres secteurs nord-américains car tous doivent faire face à cette concurrence. On peut invoquer en outre l'effet du taux de change du dollar. Cela va être difficile à tous les égards.
Le président : Les témoins nous ont apporté une grande quantité d'informations. Je répète que le comité est en quête d'intervenants à tous les niveaux de l'industrie du bâtiment pour trouver de meilleures façons d'intensifier l'usage de produits canadiens à valeur ajoutée et les nouvelles technologies dans notre industrie. Monsieur Whalen et madame Boulanger, vous avez soulevé d'autres questions que nous devrions poser. Nous permettrez-vous de vous envoyer une lettre avec des questions supplémentaires sur les modifications du code du bâtiment, l'approche et le mécanisme d'adaptation du code du bâtiment, ainsi que votre analyse du cycle de vie des produits utilisés dans la construction?
Au nom du comité, je vous remercie de votre participation et serais heureux de recevoir des renseignements supplémentaires sur les points que vous avez abordés avec nous ou sur les avis que vous nous avez communiqués.
(La séance est levée.)