Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts
Fascicule 4 - Témoignages du 4 mai 2010
OTTAWA, le mardi 4 mai 2010
Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui, à 17 h 2, pour étudier l'état actuel et les perspectives d'avenir du secteur forestier au Canada.
Le sénateur Percy Mockler (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Honorables sénateurs, je vois que nous avons le quorum, je déclare donc la séance ouverte.
Je vous souhaite à tous la bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts.
Je suis Percy Mockler, président de ce comité.
Le comité continue son étude sur l'état actuel et les perspectives d'avenir du secteur forestier au Canada, en se concentrant particulièrement sur la biomasse.
[Traduction]
Nous accueillons deux témoins qui totalisent de nombreuses années d'expérience. Au nom du comité, je vous remercie d'avoir accepté notre invitation. Avrim Lazar est président et chef de la direction de l'Association des produits forestiers du Canada. Merci de nous apporter un autre point de vue.
[Français]
Nous avons le très grand plaisir de recevoir une personne avec qui j'ai travaillé sur certains dossiers pour nos régions respectives, M. Guy Chevrette, président-directeur général et directeur des communications du Conseil de l'industrie forestière du Québec.
Je dois dire que, pour moi, M. Chevrette est un invité incontournable. C'est un homme qui travaille pour l'industrie et les travailleurs. C'est également un ardent défenseur du secteur forestier.
Je dois ajouter que M. Chevrette n'a jamais eu peur de défendre ses croyances, au Québec comme ailleurs, et nous en sommes tous témoins. Il est toujours impressionnant de voir avec quelle fougue et quelle énergie il défend le dossier canadien du bois d'œuvre auprès des États-Unis.
Nos deux témoins aujourd'hui sont des chefs de file dans le domaine du secteur forestier.
[Traduction]
Le comité étudie les causes et les origines de la crise actuelle du secteur forestier. Nous voulons aussi examiner et promouvoir le développement et la commercialisation de produits à valeur ajoutée.
[Français]
Nous pourrons le faire en examinant des changements possibles au Code national du bâtiment de 2005 afin d'accroître l'utilisation du bois, examiner aussi l'éducation dans le secteur des sciences du bois et dégager une vision conjointe pour le positionnement et la compétitivité à long terme de l'industrie forestière canadienne à travers le monde.
[Traduction]
Merci d'avoir accepté notre invitation. Vous avez la parole.
[Français]
Votre présentation sera suivie d'une période de questions.
Je cède la parole à M. Lazar.
Avrim Lazar, président et chef de la direction, Association des produits forestiers du Canada : Je vous remercie, monsieur le président. C'est un plaisir d'être ici ce soir avec M. Chevrette, qui est un très bon confrère, un véritable ami de notre industrie.
[Traduction]
C'est particulièrement intéressant parce que, pour faire quoi que ce soit dans le secteur forestier, nous devons pouvoir compter sur des politiques fédérales et des politiques provinciales. Si nous éprouvons des difficultés avec l'un ou l'autre des deux ordres de gouvernement, ça ne fonctionne pas.
Il serait utile que les associations de l'industrie forestière des deux ordres de gouvernement, le provincial et le fédéral, viennent témoigner à votre comité. Ce serait très utile.
C'est d'autant plus un plaisir d'être invité à votre comité que le Sénat se montre intéressé à ce dossier et qu'il fait preuve de leadership à cet égard. J'ai hâte de lire votre rapport et le plus tôt sera le mieux. L'heure est venue pour l'industrie de mettre votre rapport en œuvre. Nous l'attendons avec impatience.
La dernière fois que j'ai témoigné à votre comité, l'industrie forestière était en plein déclin. Cet après-midi, je peux vous dire que sa situation est en train de s'améliorer. Nous ne sommes pas encore « sortis du bois », mais nous sommes sur la bonne pente. Ça fait du bien de pouvoir vous parler ainsi. La biomasse est un autre sujet de très grande importance en matière de politique publique.
Je me propose de vous situer en contexte avant de vous parler de biomasse.
En commerce, il faut, d'abord et avant tout, s'intéresser aux marchés. A-t-on un client? L'industrie a toujours soutenu qu'elle retrouverait ses marchés de produits forestiers et c'est effectivement ce qui est en train de se produire. Les marchés de la pâte se portent bien. Les marchés du bois d'œuvre sont en train de reprendre du mieux. Bien qu'ils ne se portent pas aussi bien qu'on peut le lire dans les journaux, nous sommes en train de les récupérer. Le nombre de mises en chantier augmente.
À moyen et à long terme, la demande de produits forestiers canadiens sur les marchés mondiaux atteindra des niveaux extraordinaires. Cela étant, l'industrie n'entretient aucune inquiétude vis-à-vis de ses marchés, puisqu'ils seront au rendez- vous.
Si vous voulez vraiment vous sentir rassurés, imaginez simplement que, dans les 20 prochaines années, la croissance de la population mondiale correspondra à l'actuelle population de la Chine. Le revenu par habitant triplera dans les économies émergentes. Cela occasionnera une énorme demande de pâte, de papier et de bois. Les ressources disponibles pour produire toutes ces denrées seront donc fortement sollicitées.
Le Canada est bien positionné pas uniquement pour le très court terme, c'est-à-dire au moment où les prix et la demande augmentent, mais pour le long terme. Le secteur forestier est une industrie porteuse pour le pays. Nous avons ce que le monde désire. Rares sont les pays qui auront notre capacité de production.
Afin de profiter de ces marchés, nous devons être concurrentiels. Il faut se garder de se dire : « Tout va bien, nous avons connu une période de mauvais temps, mais nous regagnerons les marchés et connaîtrons une éclaircie. » Nous devons nous demander ce que nous devons faire pour transformer notre secteur afin qu'il soit prêt à pleinement profiter de l'éclaircie qui s'annonce. La réussite, ce n'est pas simplement continuer à exister quand les conditions sont bonnes.
L'industrie a dû et doit encore se transformer afin de pouvoir pleinement exploiter le marché.
Au Canada, notre industrie a entamé cette transformation en suivant quatre axes. Comme le quatrième concerne la biomasse, qui est votre thème d'étude, j'y reviendrai plus tard, mais il est bon d'avoir une bonne idée de la situation d'ensemble.
Le premier axe de transformation consiste à améliorer la productivité et l'efficacité. Si on ne le fait pas en permanence, si on ne cherche pas tout le temps à être plus productif et efficace, on finit par se faire éjecter des marchés. La bonne nouvelle c'est que, dans le secteur du bois d'œuvre, nous avons, au cours des 10 dernières années, dépassé les gains de productivité des Américains. D'ailleurs, nous sommes le seul secteur d'activité au Canada qui soit parvenu à dépasser les États-Unis sur ce plan.
La récession a expédié tout le secteur forestier sur les bancs de l'école de l'efficacité. Ce que nous n'imaginions pas possible est en train de se produire. Nous avons réalisé des gains d'efficacité. Nous sommes capables d'être aussi productifs que n'importe qui d'autre dans le monde. Nous n'y sommes pas encore parvenus, mais nous sommes conscients qu'il nous appartient de réaliser cet objectif.
L'efficacité et la productivité sont nécessaires mais pas suffisantes. En second lieu, nous devons être moins dépendants du marché américain, moins dépendants du secteur de la construction résidentielle et nous devons miser davantage sur le secteur non résidentiel; nous devons moins dépendre des denrées traditionnelles, comme les deux par quatre, mais miser davantage sur le bois d'ingénierie et chercher à pénétrer le marché asiatique ainsi que les marchés des économies émergentes.
À cet égard, nous ne sommes pas non plus restés inactifs en attendant que quelqu'un d'autre fasse tout ça pour nous. Le secteur forestier est la première industrie exportatrice du Canada vers l'Asie. Aucun autre secteur n'enregistre des chiffres à l'exportation aussi bons que les nôtres. Nous occupons la première place en Chine et je crois que nous sommes troisièmes sur le marché indien. Nous obtenons d'excellents résultats sur ces marchés avec notre pulpe et nos ventes de bois sont en train d'exploser, puisqu'elles progressent à pas de géant.
En revanche, nous avons connu un succès moindre sur les plans de la diversification et de la pénétration des marchés de la construction non résidentielle. Je vous rappelle qu'un projet de loi d'initiative parlementaire visant à favoriser l'utilisation de bois dans la construction d'édifices gouvernementaux non résidentiels a été déposé. Je sais qu'il a franchi l'étape de la deuxième lecture. Si jamais vous deviez en être saisis, j'espère que vous défendrez à l'unisson — par-delà les lignes de parti, parce qu'il s'agit d'un dossier politiquement neutre — ce projet de loi destiné à favoriser l'utilisation du bois.
Cette mesure est une bonne chose pour un pays producteur de bois comme le nôtre. Il serait bien, en Chine par exemple, quand le gouvernement chinois nous demande si nous favorisons l'utilisation du bois de rétorquer que, nous aussi, nous avons pris des dispositions en ce sens. Il y a donc d'abord l'efficacité, puis la diversification des marchés.
Le troisième pilier de notre transformation consistera à tirer un avantage commercial de notre excellence environnementale. Le Canada applique les meilleures pratiques forestières du monde. D'autres pays font aussi bien que nous, comme la Suède, mais aucun ne nous dépasse et nous sommes bien meilleurs que la plupart de nos concurrents internationaux. Toutefois, nous ne sommes pas vraiment parvenus à traduire nos résultats sur le plan environnemental en avantages commerciaux.
L'un des volets de notre mission dans les prochaines années consistera non seulement à continuer d'améliorer notre palmarès en matière d'environnement — même si nous n'avons rien à envier aux autres, nous devons devenir les meilleurs —, mais en plus à transformer ces excellents résultats en avantages commerciaux.
Dans un monde aux prises avec les énormes problèmes que représentent la coupe illégale et la déforestation — où 80 p. 100 des exploitations forestières ne sont pas autorisées, tandis que toutes les exploitations canadiennes le sont pour assurer leur viabilité — dans un monde où nous avons dépassé de 10 fois les cibles de Kyoto, il est temps, pour les entreprises et les travailleurs canadiens, d'aller chercher les avantages commerciaux que nous méritons au nom de notre palmarès environnemental. C'est là le troisième pilier sur lequel appuyer nos progrès.
Quatrièmement, nous allons devoir nous débrouiller pour extraire encore plus de valeur de chaque arbre coupé. Il ne suffit pas de raisonner uniquement en termes de valeur ajoutée, même si cela est nécessaire, parce qu'un grand nombre d'activités à valeur ajoutée nécessitent une importante mobilisation de main-d'œuvre et nous placent donc en situation de désavantage concurrentiel. Nous devons, certes, miser davantage sur les produits à valeur ajoutée et fabriquer encore plus de produits d'ingénierie. Il est évident que, dans toute la mesure du possible, nous devrons produire des huisseries et des vantaux ainsi que des panneaux de bois, mais en plus nous devrons adopter une philosophie consistant à optimiser la valeur du bois coupé.
En quoi doit consister cette optimisation? Il n'est pas simplement question d'extraire du bois d'œuvre, de récupérer des copeaux, de faire de la pâte et du papier à partir de la ressource ligneuse, mais il s'agit aussi d'extraire la bioénergie, les biocarburants et les produits biochimiques du bois. Si l'on peut considérer que le pétrole représente la biologie du passé, on peut voir dans le bois la biologie d'aujourd'hui, en plus sain. Il est là l'avenir de notre industrie : on extrait de chaque arbre des deux par quatre ainsi que des copeaux pour faire de la pâte et du papier, mais aussi des produits traités dans une bioraffinerie — en fait une raffinerie ressemblant à celles qu'on trouve dans l'industrie du pétrole brut — qui sont des produits chimiques, de la bioénergie et des biocarburants grâce auxquels l'industrie sera plus compétitive.
Nous avons récemment réalisé une étude d'envergure et je crois d'ailleurs que la greffière vous l'a distribuée. Je suis certain que ce document s'avèrera une excellente lecture entre deux périodes. C'est tout récent. On y apprend que l'avenir de notre industrie dépend de nos ventes de bois d'œuvre — sans cela, nous n'aboutirons pas — et de l'emploi des déchets ligneux de l'industrie du bois d'œuvre pour produire des pâtes et papiers. Toutefois, ces deux gammes de produits ne nous permettront pas à eux seuls de connaître de bons résultats. Nous devons en plus diversifier l'utilisation des déchets ligneux de l'industrie du bois d'œuvre pour faire de la bioénergie et des produits biochimiques.
Certains gouvernements se sont dit qu'il suffirait de produire de la bioénergie à partir du bois. Eh bien, cette étude nous apprend que si l'on se contente de produire de la bioénergie à partir du bois, on perdra 80 p. 100 des emplois dans le secteur. De plus, si l'on ne produit que de la bioénergie, les résultats financiers risquent d'être aléatoires à moins de se reposer entièrement sur des subventions gouvernementales. Les subventions sont certes intéressantes, mais les investisseurs hésitent alors beaucoup à mettre de l'argent dans une industrie dont la survie dépend de la pérennité de subventions gouvernementales.
De plus, si vous vous contentez d'utiliser la fibre pour produire de l'énergie, votre empreinte environnementale pose alors problème à cause de l'énergie que vous consommez pour la coupe, le transport et la transformation du bois. Si, au contraire, vous intégrez dans l'industrie existante la bioénergie, les produits biochimiques et les biocarburants, vous bénéficiez des arbres qui sont de toute façon transportés par camion jusqu'à la scierie, et l'opération tout entière devient plus rentable parce que vous exploitez votre flux de déchets pour produire de la bioénergie et des produits biochimiques et vous obtenez un meilleur effet multiplicateur sur le plan de l'emploi que dans tout autre scénario.
Certains vous diront que l'avenir de l'industrie consiste à oublier tout ce qui s'est fait jusqu'à présent et à se lancer dans la bioénergie. Eh bien, c'est là une vision à court terme.
Dans certaines situations, cette façon de faire peut être logique. On peut le comprendre si vous vous retrouvez avec des arbres morts à cause du dendroctone du pin et que vous ne pouvez rien faire d'autre de cette ressource ligneuse ou si l'usine à pâte du coin a fermé et que vous voulez quand même utiliser la fibre disponible. Sur le plan de la politique publique, on peut généralement affirmer que si l'on se soucie des emplois, des collectivités, de l'empreinte environnementale et de la solidité de l'économie, l'intégration des productions bioénergétiques et biochimiques dans l'industrie existante représente la seule réponse qui tienne la route.
Comme j'ai sans doute parlé trop longtemps et que c'est une soirée de hockey, je vais céder la parole à mon ami.
[Français]
Le président : Avant de céder la parole à M. Chevrette, j'aimerais vous présenter M. Yves Lachapelle, conseiller spécial, Enjeux stratégiques, Conseil de l'industrie forestière du Québec.
Sans plus tarder, monsieur Chevrette, vous avez la parole.
Guy Chevrette, président-directeur général et directeur des communications, Conseil de l'industrie forestière du Québec : Monsieur le président, mercredi dernier ont eu lieu les premiers États généraux du bois dans la construction au Québec où plus de 150 personnes étaient rassemblées pour parler du présent et de l'avenir. J'en ai alors profité pour lire vos questions et essayer d'y répondre.
On doit faire certaines distinctions entre la situation de l'industrie forestière au Québec et celle dans les autres provinces. Nous traversons tous cette crise conjoncturelle qui a pour cause profonde l'effondrement du secteur de la construction aux États-Unis. On est passé de 2 200 000 permis de construction à quelque 500 000 permis. Or, nous savons qu'il en faut entre 1,4 million et 1,5 million pour retrouver le dynamisme, en particulier, dans l'exportation du bois d'œuvre.
La deuxième cause de cette crise profonde est liée bien sûr à la parité du dollar canadien. On n'en parle pas souvent, mais nos industries se sont fiées, par le passé, au taux de change du dollar canadien pour faire des profits, malgré le fait qu'ils ne réalisaient aucun bénéfice au niveau des coûts de production par rapport au prix de vente.
Leurs profits étaient attribuables à la différence dans le taux de change entre les devises canadiennes et américaines. On n'a pas l'impression que la situation reviendra à ce qu'elle était à cette époque. Lorsque je suis arrivé, en 2005, le dollar canadien était à 0,71 $ et personne ne s'en plaignait.
Le Québec vit également une crise structurelle. Sa fibre est la plus chère au Canada et en Amérique du Nord. C'est pourquoi, il y a quatre ou cinq ans, nous avons été les premiers à être touchés par une crise. Le prix de notre fibre n'est pas comparable. On constate une différence de 7 $ le mètre cube avec notre voisin l'Ontario. Le Nouveau-Brunswick se trouve avantagé, d'une part, grâce à l'entente sur le bois d'œuvre. Étant considérée comme une province frontalière, elle ne paie pas de taxe. Le Québec et l'Ontario doivent payer une taxe de 10 p. 100 à cause d'une décision du tribunal de Londres qui a imposé cette surtaxe.
De plus, le bois constitue la plus petite ressource au Québec. Il faut au Québec neuf arbres pour produire un mètre cube de bois, alors qu'il en faut quatre en Colombie-Britannique. En calculant le nombre d'opérations supplémentaires et les démarches afin d'être compétitif, on peut saisir l'ampleur de la situation.
Je pourrais citer plusieurs autres exemples. Au Québec, les usines sont toutes petites par rapport à celles de la Colombie-Britannique. La plus grosse usine du Québec se compare à une usine moyenne en Colombie-Britannique. Leur capacité représente le double de la nôtre. Le Conseil de l'industrie forestière du Québec compte 130 membres dont certains sont propriétaires de trois ou quatre scieries situées dans de petits villages. Ce fait reflète un peu la société québécoise. Ses communautés se sont développées bien souvent autour de la scierie avant même l'érection du clocher de l'église. La société vit actuellement une situation structurelle où l'État devra intervenir afin de permettre à son industrie de devenir compétitive avec les autres provinces et les États américains voisins.
La crise du bois d'œuvre nous a fait très mal. Nous avons dû laisser sur la table un milliard de dollars lorsque nous avons signé, à l'automne 2006, l'accord sur le bois d'oeuvre. Nous ne nous en sommes pas remis. L'accord fut signé pour nous permettre de respirer. Toutefois, il nous prive aujourd'hui d'une capacité d'emprunt et nous empêche, par exemple, de bénéficier de la parité du dollar pour acheter des équipements à meilleur coût qu'à l'époque. Nous n'avons pas de liquidité. Nous vivons une lourde crise financière. Le financement est rare. Les institutions financières et les banques ne prennent pas de risque. Nous sommes donc obligés de nous en remettre à l'État. Or, l'État craint que cela puisse briser l'accord sur le bois d'œuvre.
Nos avocats canadiens plaident qu'un prêt à taux commercial est légal. Nous avons reçu des avis juridiques. Les Américains reconnaissent que les garanties de prêt à un taux commercial sont considérées légales. Malgré tout, nos gouvernements ont très peur et refusent d'agir.
La dernière crise au Québec s'illustre dans le film de Richard Desjardins qui s'intitule L'erreur boréale. Ce film décrit l'industrie forestière comme un tueur d'arbres, en montrant des coupes à blanc, comme si la forêt ne repoussait pas, alors qu'elle repousse à 80 p. 100 de façon naturelle — la forêt n'a besoin de la main de l'homme qu'à 20 p. 100 pour assurer le reboisement. Cette perception est répandue surtout dans le tissu urbain. L'industrie est perçue, à tort, comme étant tueuse d'arbres, ravageuse de nos forêts. Cette perception créée énormément de difficultés, je tenais à vous en faire part. Nous travaillons sur cet aspect. Une de vos questions touchait l'éducation pour ce qui est du secteur des sciences du bois. Je vous indiquerai ce que nous faisons à ce sujet.
Pour ce qui est de l'avenir, je ne répéterai pas les propos de M. Lazar. Une conférence fut tenue sur les études de M. Don Roberts et de FPInnovations. Nous avons rencontré ces personnes. M. Lazar a donné des conférences à l'Université Laval et dans la région du Lac-Saint-Jean. La conclusion est claire : il nous faudra trouver des produits, à partir de nos ressources naturelles, qu'on ne peut plagier. Plusieurs pays émergents font du dumping aux États-Unis et nous empêchent d'être concurrentiels. Il faudra se trouver des niches spécifiques. Voilà le défi de l'avenir.
Les gouvernements peuvent nous aider et je crois qu'ils en ont la responsabilité. D'ailleurs, la Constitution canadienne dit que la forêt relève des provinces. Toutefois, le commerce international et les traités internationaux relèvent du fédéral. Il devrait donc y avoir une complémentarité entre les deux paliers de gouvernements. Ce point vaut également pour les programmes de soutien et d'aide. On devrait en faire la demande à nos deux gouvernements. Vous, honorables sénateurs, êtes les mieux placés pour le faire. Il s'agirait de leur demander de travailler en complémentarité, sans se marcher sur les pieds, et de nous offrir des programmes qui se complètent et qui donneraient plus de force à certains programmes concrets visant le développement de l'avenir. Un programme pourrait être axé sur la recherche et un autre sur l'innovation.
On recherche le pairage, on se marche sur les pieds, on rivalise de finesse sur le plan de la confrontation, et toute la société y perd en fin de compte. Les gouvernements des deux paliers devraient fonctionner en complémentarité et axer leur aide en conséquence.
J'ai le mandat de vous en faire la demande. Il faut refinancer nos industries les meilleures afin que celles-ci puissent traverser la crise et bénéficier d'une reprise. Or, cette lacune est tout à fait présente.
Nous avons parlé du soutien à la recherche et du soutien à l'innovation. Je crois également qu'il faudrait une politique nationale sur l'utilisation du bois afin d'améliorer la consommation du marché interne. Bien sûr, à court et moyen terme, comme l'a indiqué M. Lazar, il faudrait commencer à regarder les marchés étrangers.
Voilà les grandes priorités qui se présentent à nous. Si on sentait un travail en ce sens, je puis vous dire que nous appuierions les deux paliers de gouvernements dans leurs efforts.
Le dernier point que j'aimerais soulever est le suivant. On se désole devant notre situation. Pourtant, nous accomplissons beaucoup. Le Québec, par exemple, est le champion du monde dans la transformation des petites baies. Nous avons découvert certaines spécialités dans lesquelles nous sommes champions du monde. Il ne faut pas avoir honte de le dire et on doit le crier haut et fort plutôt que de se faire dénigrer par l'industrie de la contestation.
D'autre part, le Québec et l'Ontario sont ex aequo dans l'industrie de deuxième et de troisième transformation. Nos réalisations sont donc tangibles, mais elles ne sont pas suffisantes, car les défis auxquels nous sommes confrontés nous amèneront à parler moins de la ressource et plus des composantes de la ressource. Voilà le défi qui nous attend. On parle de mélanges de bois et de plastique, de mélanges avec d'autres produits pour trouver des créneaux d'excellence qui pourront être vendus facilement sur les marchés étrangers.
On a peut-être été trop prisonnier du marché nord-américain. Honnêtement, je suis fatigué de voir Big Brother continuellement avoir raison sur tout. Ce genre de contrôle est insensé. Or, on signe des traités de libre-échange.
À l'époque, M. Mulroney et moi siégions à la Commission Cliche. Il me dit alors qu'un traité de libre-échange nous ouvrirait des portes et empêcherait les barrières de toute nature.
Je dois avouer que lorsqu'on regarde l'application de certains traités de libre-échange, on trouve que cela ne ressemble pas trop à du libre-échange. Lorsqu'un produit est trop fort, il y a toujours une mesure protectionniste qui arrive pour nous empêcher d'avoir un libre marché réel, concret et efficace.
Je sais qu'il ne serait pas bien vu de dire que je voudrais que l'entente du bois d'œuvre prenne fin. On souhaite tous, malgré tout, que l'entente du bois d'œuvre avec les Américains persiste, mais il faut les ramener à la raison et leur dire que cela se joue sur les deux côtés. On a perdu un arbitrage, on paie en Ontario et au Québec. Combien ont-ils perdu durant la première, deuxième, troisième et quatrième entente sur le bois d'œuvre?
Ils ont perdu devant tous les tribunaux et ils n'ont jamais imposé de pénalités. Cela n'a jamais été reconnu, ils ont toujours contesté. Je pense que cela est fatigant à la longue, on devrait demander à nos gouvernements d'arrêter d'avoir peur, de montrer qu'ils ont une colonne vertébrale et de se tenir debout pour le dire haut et fort.
Même si j'ai déjà été ministre des Ressources naturelles, je n'avais jamais travaillé dans le privé. Ce qui m'a fait très mal lorsque je suis arrivé dans le domaine, c'est qu'on ne se lève pas pour défendre nos régimes forestiers. C'est pourtant la toute première industrie qui a vu le jour. Ils ont échangé des miroirs lorsque les Français sont arrivés. Mais par la suite, qu'est-ce qui les a fait vivre? Qu'est-ce qui a constitué la première industrie de base?
Cent quatre-vingt-dix mille emplois directs, indirects et induits au Québec; au Canada, on parle de 825 000 emplois directs, indirects et induits. C'est une des plus grosses industries génératrices d'emplois.
Il me semble que nos gouvernements, nos politiciens, quelle que soit leur allégeance politique, devraient crier haut et fort et protéger cette industrie de base, d'autant plus que c'est une richesse renouvelable. Ce n'est pas une richesse minière où tu extirpes une matière du sol et c'est terminé après; c'est vraiment une richesse renouvelable. Et la forêt ne recule ni au Québec, ni au Canada, ni en Amérique du Nord. Il n'y a que deux continents où la ressource forestière progresse, c'est l'Europe et l'Amérique, alors que dans les trois autres continents, il y a un recul de la reforestation.
Je pourrais demander à l'industrie de contestation d'aller parler de reboisement sur les continents en déforestation et nous laisser en paix ici, parce que je pense qu'on travaille pour garder la pérennité de la forêt, présentement on est le pays le plus certifié sur la planète. On n'a pas encore avancé beaucoup sur la traçabilité, mais on s'y est mis dernièrement, et en 2013, l'industrie québécoise, pour être membre du CIFQ, devrait avoir sa preuve de traçabilité.
Donc on progresse, on avance, on fonce. Mais qu'est-ce qu'on voit dans certaines organisations — lesquelles je ne veux pas nommer, ce serait leur faire de la publicité. Mais écrire des rapports qui font le tour de la planète et qui disent, par exemple, qu'un feu sur l'île Levasseur, au Québec, est le fruit de l'industrie forestière. C'est plutôt répugnant. C'est un feu de forêt!
Ce genre de choses doit cesser. Je le disais et je le répète : on est le pays le plus certifié à travers la planète. On est surpris d'être les seuls attaqués sur les marchés. On va voir nos clients, on dénigre nos industriels, et pourtant s'il y a un secteur industriel qui s'en va vers une certification certaine, c'est la foresterie du Québec et du Canada.
[Traduction]
Le sénateur Mercer : Merci à nos témoins d'avoir pris le temps de nous rencontrer. Monsieur Lazar, on vous voit souvent ici. Nous apprécions votre dévouement pour notre comité.
Je veux que nous parlions de biomasse. D'après certaines statistiques, la capacité de production du Canada était de 1,731 milliard de litres en 2009. Sur ce volume, 5 millions de litres seulement provenaient de la biomasse extraite du bois. Que devrions-nous faire, avant toute chose, pour que cette proportion augmente et que nous maximisions l'utilisation de ce que certains appellent déchets et d'autres « occasions »?
M. Lazar : Je vais vous répondre en deux temps. D'abord, l'industrie forestière utilise surtout la biomasse pour remplacer des combustibles fossiles. Le volume que vous avez cité correspond à ce qui est exporté par l'industrie, mais nous produisons et utilisons dans nos usines suffisamment de biomasse, d'énergie verte extraite des déchets, pour remplacer trois réacteurs nucléaires, soit pour produire assez d'énergie pour alimenter Vancouver en permanence. C'est ce que nous faisons à l'heure actuelle; nous utilisons cette forme d'énergie plutôt que des combustibles fossiles. C'est grâce à cela que nous avons dépassé de 10 fois les cibles de Kyoto. Notre potentiel équivaut à trois fois la production actuelle, soit à neuf rédacteurs nucléaires. La plus grande partie de cette production supplémentaire nous permettrait d'alimenter en totalité l'industrie avec une énergie renouvelable extraite des déchets de production. De plus, nous pourrions exporter encore plus de biocarburants sous forme liquide, encore plus de produits chimiques et, bien sûr, nous pourrions chauffer des quartiers entiers dans les régions de production. Les statistiques semblent modestes parce que nous utilisons la biomasse plutôt que de la vendre. Mais il ne faut pas oublier que, ce faisant, nous ne consommons pas de combustibles fossiles.
La deuxième partie de ma réponse concerne la façon de passer d'une production équivalant à trois réacteurs nucléaires à une production correspondant à neuf réacteurs, soit notre plein potentiel. Il faut tenir compte d'un certain nombre d'éléments importants. Le premier est celui des investissements. Nous devons nous rééquiper. Comme M. Chevrette vous l'a dit, notre industrie manque actuellement de liquidités. Il serait très payant de miser sur le rééquipement de l'industrie pour qu'elle puisse se lancer dans la bioénergie, mais il faut d'abord trouver des fonds.
Par exemple — et nous serions très heureux de trouver une recommandation en ce sens dans votre rapport —, les gouvernements pourraient mettre sur pied un fonds renouvelable, un fonds constitué grâce à des obligations vertes, qui serait alimenté à partir des économies réalisées par nos usines du secteur forestier qui, pour ses opérations de transformation, n'utiliseraient pas d'énergie fossile, mais plutôt un combustible renouvelable. Nous pourrions entièrement miser sur une énergie renouvelable et parvenir très rapidement à nos fins si nous avions accès au capital nécessaire pour transformer nos usines. Je ne vous demande pas de nous faire un cadeau, mais simplement un prêt grâce à un fonds renouvelable, à un fonds alimenté par des obligations vertes par exemple qui nous permettrait d'accéder au capital nécessaire. Tout d'abord, ce fonds nous permettrait d'améliorer nos résultats nationaux sur le plan des émissions de gaz à effet de serre et, deuxièmement, nous pourrions améliorer nos résultats économiques et donc stabiliser les emplois. C'est ce que vous pourriez faire, mais tout passe d'abord par des investissements en capital.
La deuxième chose que les gouvernements pourraient faire a trait aux évaluations de l'empreinte environnementale afin d'encourager le passage aux bioénergies. Certaines provinces ne considèrent que les gains à court terme que représente l'utilisation du bois pour le chauffage sans tenir compte des revers à moyen et à court terme occasionnés par le déplacement des travailleurs. Comme je le disais tout à l'heure, si vous misez tout sur la biotechnologie plutôt que d'intégrer cette forme d'énergie dans l'industrie existante, vous perdrez 80 p. 100 des emplois. C'est d'ailleurs là un des grands constats de notre rapport qui, soit dit en passant, a été rédigé par des banquiers, pas par nous. Nous voulions savoir dans quelle mesure nous pourrions attirer des investissements. Le principal signataire de ce rapport est le vice-président de la CIBC.
Enfin, les gouvernements pourraient veiller à ce que les programmes de développement des énergies renouvelables ne soient pas ciblés sur quelques sources seulement. À cause des effets de mode, on se dit qu'il faut investir tantôt dans le solaire, tantôt dans l'énergie marémotrice, tantôt dans l'énergie éolienne ou encore dans les déchets agricoles. Il ne devrait pas appartenir au gouvernement de décider de la provenance des énergies renouvelables. Il pourrait toujours adopter des incitatifs, offrir des primes ou des subventions pour les énergies renouvelables, mais il doit se garder de favoriser telle ou telle source et il doit laisser jouer les forces du marché qui détermineront qui pourra produire l'énergie recherchée le plus rapidement possible.
[Français]
M. Chevrette : Je voudrais compléter un aspect, souligné par M. Lazar. Il faut que toutes ces opérations soient intégrées.
Ils sont dans le bois, souvent ils vont prélever la ressource. Si on est trois à se promener dans le bois pour récolter la ressource, c'est zéro. On va tuer toute rentabilité.
C'est un peu ce que je voulais souligner. Et je voulais insister sur ce point parce que si ce n'est pas intégré, je peux vous dire que les prix seront ridicules et personne ne voudra utiliser la biomasse. Faire 200 kilomètres en camion avec des branches ramassées dans le bois, si ce n'est pas intégré à celui qui fait la première récolte, on va rater notre coup.
[Traduction]
M. Lazar : Vous vous heurterez au même genre de cynisme que celui qu'on a vu aux États-Unis avec la production d'éthanol à base de maïs dont chaque litre produit exige la même consommation énergétique. Je ne dis pas que c'est une mauvaise chose, mais c'est loin d'être satisfaisant. La seule chose qui soit logique d'un point de vue environnemental consiste à exploiter le flux des déchets et non pas à transformer en énergie des récoltes spécialisées.
Le sénateur Mercer : La production d'éthanol à base de maïs constitue une distraction et une voie sans issue pour beaucoup d'exploitants agricoles.
Vous avez aussi parlé de valeur ajoutée au niveau de l'extraction. J'aime ce concept. Nous avons visité l'usine Irving de Saint-Léonard. J'ai été impressionné par la technologie de cette usine. Nous y avons vu davantage de tomodensitomètres que dans les grands hôpitaux canadiens, des appareils qui permettent d'analyser le bois d'œuvre à chaque étape.
Savons-nous quelle devra être la prochaine étape sur le plan technologique? Je crois que cette usine de Saint- Léonard est l'une des plus modernes. Elle n'est peut-être pas la plus moderne, mais quelle sera la prochaine étape?
M. Lazar : Premièrement, nous avions institué ce que nous avons appelé l'impératif « zéro déchet ». Il s'est avéré que c'était une erreur, parce qu'il est impossible de ne pas produire de déchets. Dès que nous avons voulu respecter cet impératif de zéro déchet, nous nous sommes rendu compte que ce que nous considérions comme des déchets était en fait une ressource naturelle que nous pouvions transformer en biocarburants ou en produits chimiques sophistiqués.
Les technologies émergentes possibles ne manquent pas, comme celle permettant de produire de la cellulose nanocristalline qui peut entrer dans la composition de nombreux produits, des additifs alimentaires aux biocarburants en passant par les peintures, les produits pharmaceutiques et la pyrolyse. Dans bien des cas, nous avons déjà franchi l'étape de la R-D et nous en sommes à la phase de commercialisation. Qui remportera la course? Ce sera au marché de décider. Ce qu'il y a de merveilleux, c'est que l'activité dans ce domaine est bouillonnante et que les gens essaient tous ces produits.
[Français]
M. Chevrette : Je pourrais donner l'exemple du papier journal. On y a déjà fait allusion plus tôt. Si le papier journal disparaissait demain matin, on a plusieurs centaines de milliers de tonnes de copeaux qui assurent une certaine marge de profit à nos scieries. Il y a une urgence pour certains projets compensatoires.
Tout comme M. Lazar, j'avais proposé qu'au Québec, au moins, on ait le projet de remplacer l'usine d'électricité des Îles-de-la-Madeleine par du bois. On aurait pu au moins consommer quelques centaines de milliers de tonnes.
Et je pense que tous les ordres de gouvernement devraient se concerter sur des projets à court terme afin d'éviter que certaines de nos scieries soient obligées de fermer.
[Traduction]
Le sénateur Mercer : Monsieur Chevrette, vous avez dit qu'il y a une multitude de petites scieries très dispersées au Québec. Pour que la forêt soit plus rentable, si l'on part de ce que M. Lazar vient de dire, ne conviendrait-il pas de regrouper toutes ces scieries pour en avoir de plus grandes? Ce faisant, il faudrait déplacer des collectivités entières. Dans certaines petites collectivités, la scierie est la seule industrie locale. Si vous regroupez trois scieries pour en faire une seule, trois collectivités — ou du moins deux sur trois — seront touchées.
Comment gérer tout ça? Le fait que nous nous retrouvions avec deux collectivités qui soient en plus mauvaise posture qu'à l'heure actuelle et avec une seule qui s'en sort particulièrement bien soulève un problème pour le gouvernement du point de vue des ressources humaines.
[Français]
M. Chevrette : C'est une excellente question qui vaut plusieurs millions de dollars. Je vous dirais tout d'abord qu'il n'y a pas une petite collectivité qui veut disparaître. Mais vous avez raison, selon les règles du marché, on ne peut pas garder une multitude de scieries si aucune n'est rentable. Il faut viser la rentabilité et la productivité.
Souvent, les gens n'ont que 20 ou 30 minutes à faire pour aller au travail, mais certains sont sur le pont Champlain chaque matin pendant une heure et demie. Les citoyens devront comprendre qu'il faut faire des regroupements, faire deux périodes de travail au lieu d'une dans une usine, ce qui rentabiliserait ladite usine. Cela provoquerait peut-être une fermeture, mais peut-être pas.
Si on décrochait un projet novateur dans une petite municipalité, cela pourrait être une façon de compenser ces collectivités.
Je dois vous dire que votre question est très politique. Les partis politiques parlent d'occupation du territoire, mais déplacer des collectivités — je peux vous le dire pour avoir vécu cette situation —, ce n'est pas drôle. Si ce n'est pas drôle pour un ministre de le faire, cela ne l'est pas non plus pour un gouvernement.
Ce sont des décisions extrêmement difficiles. Même sur le plan économique, il en coûterait moins cher dans certains cas de payer un projet alternatif et de laisser les populations. Mais les règles du marché font en sorte que votre question est tout à fait logique. Il faudrait rentabiliser les petites entités en regroupant les plus proches et faire en sorte qu'on puisse avoir une plus grande productivité. Mais je parle comme une personne d'entreprise et non comme un politicien.
[Traduction]
M. Lazar : Avec M. Chevrette et moi, vous ne parviendrez jamais à passer à un autre sénateur.
Le contrat social que les provinces ont signé avec les collectivités au sujet des scieries était fondé sur un huard faible et une absence de concurrence. C'était un contrat juste indiquant que les collectivités devaient bénéficier de la ressource. Cependant, c'était aussi un contrat non viable parce que ces collectivités ne peuvent pas s'en sortir sur les marchés internationaux si bien qu'en fin de compte, le contrat est antisocial parce qu'en essayant de maintenir en vie trois scieries quand une seule peut survivre, on condamne les trois à mort.
Le président : Nous avons maintenant notre effectif complet de sénateurs avec le dernier qui vient de se joindre à nous, le sénateur Mahovlich.
[Français]
Le sénateur Eaton : Je trouve tout cela intéressant, mais décourageant à la fois. Nous avons écouté les témoins de l'industrie et de l'université pendant presque un an, maintenant, ce qu'il faudrait c'est que la foresterie canadienne commence à s'exprimer d'une seule voix. Je sais que nous sommes un très grand pays, qu'il y a des solutions et des problèmes différents dans chaque région, mais est-ce qu'on ne pourrait pas mettre sur pied un colloque national sur la foresterie? Est-ce que cela ne nous aiderait pas?
Je sais que les problèmes de la Colombie-Britannique sont différents de ceux du Québec et des Maritimes, mais on ne se parle pas et je trouve cela dommage. On ne peut pas apprendre les uns des autres.
M. Chevrette : Nous avons commencé à établir des relations étroites avec l'Ontario. Vous avez sûrement remarqué que la question de la surtaxe nous a permis de nous rapprocher et de prendre des positions communes. Mais effectivement, il est loin d'être facile, parce que les contextes sont différents, et je dois dire que malgré l'effort qu'on peut faire, c'est très disparate.
Par exemple, il y a quelques grands joueurs en Colombie-Britannique. Moi, au Québec, j'ai 130 petits joueurs et quatre joueurs importants. Je dois tenir compte, dans mes prises de position, des petits comme des plus importants joueurs. Ce n'est pas du tout la même configuration de l'industrie.
En Ontario, un important joueur, Buchanan, est en chômage. Les relations sont plus faciles avec l'Ontario parce que je retrouve Kruger, Domtar, AbitibiBowater et Tembec qui sont chez nous.
Vos quatre grandes industries sont aussi membres chez nous. On peut donc essayer de se parler et se comprendre, alors que ce n'est pas le cas avec l'Ouest canadien. Par contre, nous partageons certaines affinités avec la Saskatchewan, avec qui nous discutons souvent. Eux aussi sont obligés de payer une taxe.
Le sénateur Eaton : Dans le secteur des produits du bois à valeur ajoutée, n'avez-vous rien en commun? Vous ne pouvez pas communiquer pour voir ce qui se fait en Colombie-Britannique et peut-être dans les Maritimes? Ce qui est produit au Québec pourrait être produit en Ontario ou en Saskatchewan?
[Traduction]
M. Lazar : Dans notre association, nous avons une table nationale, nous avons des PDG un peu partout au Canada, en Colombie-Britannique, en Alberta, en Saskatchewan, au Québec et en Ontario, mais il n'y en a pas au Manitoba. Nous les représentons tous.
Le sénateur Eaton : Vous vous exprimez donc d'une seule et même voix à l'échelle nationale.
M. Lazar : Effectivement. Permettez-moi de vous relater ce que nous ne cessons de répéter au gouvernement. Il y a des différences, mais il y a certains aspects sur lesquels il faut être très clair. D'abord, le gouvernement peut nous aider en ouvrant les marchés à l'étranger. C'est ce que nous disons tous. C'est énorme, ça va dans le sens du bien public et ça nous permettra de moins dépendre des Américains et de promouvoir nos produits.
Le gouvernement peut nous aider en appliquant une politique qui favorise l'utilisation du bois pour que ce produit soit davantage utilisé dans les constructions non résidentielles. Le gouvernement peut nous aider en investissant davantage dans la R-D pour stimuler l'innovation en accordant des crédits d'impôt à ce titre. Le gouvernement peut nous aider en injectant des capitaux dans la bioénergie et les produits biochimiques et dans la transformation de nos scieries. Le gouvernement peut nous aider dans la formation de notre main-d'œuvre et il peut nous aider avec les transports. Pour l'instant, 80 p. 100 des usines du secteur forestier au Canada sont captives d'une compagnie de chemin de fer et les tarifs que nous devons payer sont trop élevés.
Le problème, ce n'est pas l'absence de consensus. Les représentants de l'industrie se parlent entre eux. Nous avons des échanges fréquents et nous nous exprimons d'une seule et même voix.
Le sénateur Eaton : Nous avons accueilli des témoins de l'industrie du ciment et de l'industrie de l'acier. Ils nous ont dit qu'ils ne veulent pas de politique favorisant le bois. Ils nous ont priés de ne pas légiférer en la matière.
D'un autre côté, peut-on dire que l'industrie forestière a appris quelque chose de ces gens-là? Ils vont dans des écoles de génie et des écoles d'architecture, ils enseignent aux étudiants. La semaine dernière, nous avons accueilli la Maritime Lumber Association qui nous a indiqué avoir des réunions avec les municipalités afin d'enseigner à ces gens-là comment utiliser le bois et de les encourager à le faire. Est-ce qu'on fait tout ça à l'échelle nationale?
M. Lazar : Très certainement.
Permettez-moi de vous dire que la Finlande et la Suède ont des politiques favorisant l'utilisation du bois, pas parce qu'ils détestent les industries du béton et de l'acier, mais parce qu'ils sont conscients que leurs économies, leur patrimoine, leur culture, leurs collectivités rurales sont les produits de l'industrie forestière. La Colombie-Britannique applique une politique favorisant le bois.
Rien dans une telle politique ne bloquerait l'essor des autres denrées. Chaque pays a son identité propre et cette identité doit se refléter dans ses politiques nationales. Nous ne sommes pas en train de dire qu'une politique favorisant l'utilisation du bois consisterait à imposer cette denrée si c'est un produit de qualité inférieure ou si son application n'est pas appropriée, mais le temps est venu d'adopter une telle politique. Des millions de Canadiens et 300 collectivités rurales dépendent de cette industrie; le gouvernement nous dit : « Je ne peux pas vous aider à cause du bois d'œuvre ou parce que les caisses sont vides ou encore parce que le CN se retournerait contre moi. »
Voilà quelque chose que le gouvernement pourrait faire sans qu'il lui en coûte un sou. Une telle action serait le reflet de notre patrimoine et le gouvernement prendrait position en faveur d'une industrie qui est la quintessence du Canada. Quand des représentants de notre industrie ont rencontré le maire de Shanghai, en Chine, et qu'ils lui ont suggéré d'utiliser du bois dans la construction de bâtiments gouvernementaux, le maire s'est montré intrigué et a demandé si nous pouvions lui donner des exemples de telles réalisations au Canada.
Ce n'est pas beaucoup demander au gouvernement que de prendre position pour cette industrie.
Le sénateur Eaton : Il y a quelque chose d'utile que vous pourriez nous aider à faire, monsieur Lazar. Il est connu que le bois emprisonne le carbone. Pourriez-vous aider notre ministre de l'Environnement, quand il se rend dans des conférences internationales, à démontrer à quel point nous sommes un pays écologique?
M. Lazar : Donnez-moi une minute pour réfléchir à ma réponse. Je vous parlerai du point de vue de l'industrie, parce que chaque industrie a sa position en la matière.
Le sénateur Eaton : C'est cela, je veux parler de l'industrie forestière.
M. Lazar : Vous voulez plus précisément parler du changement climatique. Abordons toute cette question du changement climatique comme il y a lieu de le faire, c'est-à-dire en considérant tout le cycle de vie, que ce soit celui de la forêt, celui d'une usine, celui d'un produit ou celui d'une décharge.
Dans une forêt, si on remplace tous les arbres coupés — ce que nous sommes tenus de faire par la loi et ce qui constitue une pratique exemplaire — et si l'on préserve le carbone du sol, on se retrouve avec une production carboneutre. C'est là où nous en sommes.
Au niveau de la transformation, si l'on opte entièrement pour une énergie renouvelable extraite des déchets de production, on tire un avantage incroyable du point de vue écologique. Nous avons déjà réalisé cet objectif à 60 p. 100, car pour 60 p. 100 de notre production, nous consommons une énergie renouvelable extraite des déchets. Nous arriverons à 100 p. 100.
Si nous stockons le carbone dans le produit...
Le sénateur Eaton : Pourquoi n'entendons-nous pas parler de cela par l'industrie forestière? Pourquoi ne trouve-t-on aucune donnée dans les magazines et les journaux indiquant à quel point nous sommes écologiques et tout ce que les arbres peuvent faire pour nous?
M. Chevrette : Parce que nous n'avons pas d'argent.
Le sénateur Eaton : Je n'ai rien à ajouter.
[Français]
M. Chevrette : Au Québec, le Bureau de la promotion du bois mène une campagne à cet effet avec QWEB, et cette initiative a du succès.
Toutefois, on n'explique pas de façon assez scientifique ce qu'est la qualité du bois dans la construction. Le bois emprisonne les gaz à effet de serre. C'est le matériau le plus écologique qui soit. Les politiciens, lorsqu'ils parlent vert et parlent écologie, sont à la mode. Or, je ne comprends pas qu'on n'en parle pas plus.
Deuxièmement, on n'explique pas aux jeunes qu'une forêt ayant atteint sa maturité — que l'on désigne dans notre jargon comme étant une forêt surannée — émet des gaz à effet de serre. Si on la coupe pour la remplacer par de jeunes pousses, on recrée des puits de captage. On briserait ainsi le mythe du coupeur de bois ou lié à la récolte du bois et les politiciens gagneraient à en parler.
Le sénateur Eaton : Je suis d'accord avec vous.
Le sénateur Robichaud : Vous avez dit que le Québec vit une crise structurelle liée au prix de la fibre; que l'industrie doit être restructurée; et pour ce faire, vous avez besoin d'une capacité d'emprunt sous forme de garanties de prêt, ce que vous n'avez pas actuellement, afin de refinancer. Vous avez indiqué que les gouvernements sont plutôt timides sur ce plan, car ils craignent d'éveiller certains groupes américains qui pourraient dire que cela va à l'encontre de l'entente que nous avons signée.
Voyez-vous un changement d'attitude de la part des autorités, tant fédérales que provinciales, pour qu'ils s'avancent sur ce terrain et soient un peu moins timides?
M. Chevrette : Lorsque la compagnie AbitibiBowater s'est mise sous la protection de la cour contre les créanciers, on a senti que le gouvernement du Québec avait commencé à se dégeler un peu. Il a prêté 100 millions de dollars en garanties, en achetant un barrage sur la Côte-Nord pour assurer le remboursement de ce prêt.
Au fédéral, je sens une crainte marquée en ce qui concerne l'entente sur le bois d'œuvre. Pourtant, des ministres m'ont demandé un avis juridique et je leur ai fourni. J'ai également fourni le document américain qui dit que le prêt est admissible pourvu qu'il soit à un taux commercial. Les plaidoiries des avocats canadiens disent que la garantie de prêt est légale pourvu qu'elle soit à un taux commercial. Que puis-je ajouter pour corriger la timidité?
Le sénateur Robichaud : Par le passé, on a gagné la cause, mais cela nous a coûté un milliard de dollars. Est-ce que ce n'est pas ce qui rend les autorités craintives?
M. Chevrette : C'est-à-dire que la nouvelle entente nous donne un an d'application si les Américains y mettaient fin. La même chose de notre côté. La seule soupape, c'est un an de sursis. Ça joue dur, ça joue fort. Si la crise conjoncturelle n'existait pas, on s'en ressentirait beaucoup moins, parce qu'on pourrait ouvrir les valves de l'exportation.
Présentement, avec la crise, ils disent qu'on peut s'autosuffire, donc on surveille tout à la trace. On surveille le « grade 4 » en Colombie-Britannique; on surveille ce que l'Ontario et le Québec font; l'Alberta est au-dessus des quotas; la Saskatchewan était dans le respect des quotas et elle paie quand même les 10 p. 100. On est vraiment dans des échanges. Par contre, on a rencontré le ministre des Ressources naturelles, M. Paradis, et on doit rencontrer le ministre du Commerce international, M. Van Loan, très prochainement, pour essayer de se positionner avant l'échéance de l'entente. On a à prendre une grave décision. Est-ce qu'on voudra renouveler l'entente telle quelle ou si l'on voudra la renouveler avec des amendements? Si on apporte des amendements, il faudra se demander quels amendements les Américains vont apporter. Il y a une analyse très sérieuse à faire pour ne pas pénaliser l'industrie forestière canadienne.
Le sénateur Robichaud : En fait, si les gouvernements accédaient à vos demandes, cela ne coûterait pas grand-chose au gouvernement.
M. Chevrette : Il y a toujours un risque d'une garantie de prêt. On ne se leurrera pas. Je ne veux pas minimiser les risques, surtout dans la conjoncture actuelle. Je reconnais qu'ils devront analyser les dossiers pour voir quels sont ceux qui auront le plus de chance de passer à travers la crise. Cela devient un dossier acceptable sur une garantie de prêt, à mon avis. On sait à peu près quand il y aura une reprise. C'est un début de reprise; on a des lueurs d'espoir présentement. Cependant, toutes les firmes spécialisées nous disent que la reprise va être lente en ce qui concerne le bois d'œuvre en particulier et qu'on ne verra pas le « pic » avant 2013-2014. C'est une reprise très lente. On a une hausse des prix présentement, mais le volume ne suit pas trop, donc on se pose des questions.
Je reconnais que les gouvernements doivent prendre des précautions — c'est l'argent du public —, mais je pense que ceux qui ont les reins assez solides devraient être appuyés pour le refinancement pour ne pas perdre des joueurs importants dans l'industrie forestière, quelle que soit la province du Canada. Il y a des gens qui ont besoin d'un refinancement pour passer à travers la crise. D'autres ont besoin de nouveaux équipements pour améliorer leur productivité. Ils n'ont pas accès au crédit, les banques hésitent. C'est avec le gouvernement qu'on fait affaires, soit avec Développement économique Canada, soit avec Investissement Québec ou avec la Société générale de financement. Cependant, je reconnais que ce n'est pas facile. Si cela s'est fait dans d'autres secteurs, pourquoi cela ne se ferait-il pas dans le domaine forestier? Vous savez que je n'en dirai pas plus là-dessus.
[Traduction]
M. Lazar : Je vais ajouter quelques mots à cela. Le fait de disposer d'un avis juridique affirmant que nous pouvons faire ceci ou cela ne signifie pas que les Américains ne se retourneront pas contre nous. À l'expérience nous avons constaté que, même quand nous avons eu raison, nous avons ressenti de plein fouet leur capacité à nous imposer des tarifs et des droits compensateurs. Même quand on remporte une cause, avant que l'affaire ne soit réglée, on a déjà perdu la guerre commerciale. Il y a motif à être prudent, car nous avons déjà beaucoup écopés.
Nous sommes sans doute plus vulnérables aujourd'hui que jamais parce que le dumping est désormais défini comme étant l'écoulement d'un produit à un prix inférieur au coût de production. Or, qui a récupéré ses coûts de production au cours des trois dernières années, d'un côté ou de l'autre de la frontière? Nous sommes vraiment vulnérables.
Nous sommes vulnérables à cause du protectionnisme américain à une époque où ce pays est en mauvaise posture économique et où le concept de délocalisation des emplois domine le discours démocrate. Nous pourrions facilement nous trouver piégés et les Américains pourraient aisément déchirer l'accord sur le bois d'œuvre de résineux et se retourner contre nous.
Il y a donc lieu d'être prudent à cet égard, mais s'il est un domaine où le soutien du gouvernement a fonctionné pour l'industrie, sans provoquer de réaction des Américains, c'est celui du virage écologique. Les milliards de dollars que le gouvernement a dépensés pour aider l'industrie à effectuer le virage écologique, à améliorer ses installations pour être plus verte, n'a pas soulevé une seule objection de la part des Américains. L'accord précise très clairement qu'il est possible de dépenser dans des mesures environnementales.
Il faut songer que l'avenir économique de l'industrie serait bien meilleur si nous investissions dans la bioénergie et dans les produits biochimiques, il faut considérer que nous améliorerions les résultats du Canada au chapitre des émissions de gaz à effet de serre et qu'une telle mesure permettrait d'aider l'industrie sans mettre en péril l'accord sur le bois d'œuvre. Encore une fois, je vous invite, dans votre rapport, à recommander la mise sur pied d'un fonds qui permettrait de financer le rééquipement de l'industrie, sous la forme de prêts, parce que ce genre d'investissement se paiera de lui-même et qu'il ne constituera quasiment aucun danger pour les Américains.
Cette mesure permettra-t-elle de sauver des scieurs? Pourrons-nous porter secours à tous ceux qui sont en difficulté? Non, mais ça, c'est peut-être impossible à réaliser pour le gouvernement. Certains vous diront qu'il n'est pas nécessaire de sauver tout le monde et qu'il faut viser la transformation de l'industrie.
[Français]
Le sénateur Robichaud : Combien de temps avons-nous pour restructurer? À un moment donné, cela va commencer à tomber.
M. Chevrette : C'est déjà commencé depuis quelques années. En ce qui concerne le papier journal, par exemple, on pourrait dire que presque la moitié des usines sont fermées au Québec. Si on ne réussit pas à passer du quatrième quartile au deuxième quartile, pour être compétitif avec les Américains, il y en a d'autres qui vont fermer. Je ne veux pas faire de prédiction; j'espère me tromper. À mon avis, on a encore 500 000 tonnes de papier journal en trop. Imaginez-vous ce que les scieries vont faire le lendemain. Elles vont être prises avec cela et cela fait partie intégrante de leurs coûts de production.
Je parlais d'urgence tantôt, il y a une urgence majeure sur ce plan. Sur trois papetières à papier journal, il y en a deux qui sont placées sous la protection de la Loi sur la faillite et il y a seulement la compagnie Kruger qui n'est pas assujettie au projet de loi C-36 dans le secteur du papier journal au Québec.
[Traduction]
M. Lazar : Cela touche davantage à la structure de l'entreprise qu'à des réalités économiques. Permettez-moi d'ajouter une chose. Comme nous n'avons pas beaucoup de temps, que l'industrie bouge et que nous avons besoin de nous appuyer sur une politique gouvernementale pour bouger, nous attendons votre rapport avec impatience. Il nous faudra moins de temps pour faire pousser nos arbres qu'à vous pour rédiger votre rapport.
Le sénateur Plett : J'ai quelques questions à poser. Monsieur Chevrette, vous avez parlé des usines de pâtes et papiers. N'est-ce pas l'une des principales raisons pour lesquelles ces usines sont en train de fermer? Pour cette raison et à cause des ordinateurs? Ne sommes-nous pas dans une société sans papier? Corrigez-moi si j'ai tort, mais je n'ai pas l'impression que le gouvernement puisse être d'une quelconque assistance à cet égard. Il peut certainement donner un coup de main dans d'autres domaines, et je vais parler de la biomasse qui m'intrigue, mais je ne pense pas que le gouvernement puisse vous donner un coup de main pour que les usines de pâtes et papiers évitent la fermeture si notre société ne veut plus de papier.
[Français]
M. Chevrette : On est tout à fait d'accord avec vous. Ma grande surprise, c'est qu'à travers la planète, la consommation du papier journal augmente. C'est aussi fou de dire ça.
Soyons précis au moins dans les faits. Il est vrai qu'Internet est la cause fondamentale. Lorsqu'il n'y aura plus de livres disponibles sur Internet, il y aura encore une baisse des prix du papier.
J'ai pris la précaution de vous dire qu'au point de vue de l'évaluation de la compétitivité, nous sommes dans le deuxième quartile plutôt que dans le quatrième quartile. Mais cela ne veut pas dire que ce sont les industries du Québec et du Canada qui disparaîtront. Cela pourrait très bien être des industries qui fabriquent du papier journal ailleurs. Cela pourrait très bien être aux États-Unis.
Mais en ce moment, au Québec nous sommes les plus mal pris, les moins rentables et les moins concurrents dans le marché. C'est donc au Québec qu'on assiste à des fermetures de papetières. On est en pourparlers avec le ministre Gignac, du ministère du Développement et de l'Innovation, pour essayer de trouver des moyens qui feraient en sorte que nos papetières passent au deuxième quartile et évitent la fermeture.
Je n'ai pas dit que c'était la faute du gouvernement s'il y avait moins de papier. Par contre, je vous dirais qu'il est possible pour l'industrie du papier de ne pas affecter le bois d'œuvre. On a d'ailleurs une correspondance de la coalition américaine et tout ce qui concerne les pâtes et papiers n'a aucune incidence sur le bois d'œuvre.
Cessons donc de chercher. Nous avons la capacité légale de corriger la situation minimalement afin de maintenir en fonction le plus de papetières possible au Canada. Voilà ce que je voulais vous dire. Quant aux milliards de dollars du gouvernement fédéral, le Québec en a bénéficié, mais moins que la Colombie-Britannique parce que les papetières de cette province fonctionnent au chimique plutôt qu'au thermomécanique, comme c'est le cas au Québec.
[Traduction]
Le sénateur Plett : Veuillez m'excuser si je vous ai donné l'impression que je blâme le gouvernement. Ce n'est pas ce que je vous ai entendu dire.
Ce que je comprends de vos remarques, c'est que le gouvernement pourrait vous aider. Vous dites que l'industrie du papier est en plein essor. J'estime que cet essor à lui seul devrait aider les usines de pâtes et papiers. Personnellement, j'ai un Kindle. Je n'achète plus de livres en librairie, je les achète en ligne pour les lire sur mon Kindle.
M. Lazar : Il faut préciser que, d'après les prévisions des Nations Unies en ce qui concerne les produits de pâtes et papiers, la demande augmentera année après année. Il est probable que le Canada trouvera davantage sa niche dans les pâtes que dans les papiers, parce que pour ce dernier produit, la tendance sera à un approvisionnement de proximité. La consommation de papier en Amérique du Nord continuera de décliner, mais la consommation mondiale, elle, augmentera.
Je le répète, dans les 20 prochaines années, la population mondiale augmentera à un rythme équivalant à la population actuelle de la Chine. Les économies émergentes tripleront leur revenu par habitant. Le PIB mondial, le produit intérieur brut de la planète, doublera.
Même si l'on ne consomme qu'un dixième du papier que nous utilisons actuellement en Amérique du Nord, la demande sera énorme. La provenance de ce papier dépendra de la structure de l'industrie. Encore une fois, ce qui nous limite dans la production de pâtes et de papiers, c'est la terre et l'eau. Quand on dispose d'étendues de bonne terre arable, on peut toujours y faire pousser des arbres, les couper et produire de la pâte.
L'ONU prévoit que la superficie de terre arable exploitable équivaudra à exactement la moitié de nos besoins. Les produits alimentaires, les protéines et les biocarburants seront donc en concurrence avec la production de pâte. Le Canada et les autres pays nordiques auront un énorme avantage. S'il y a une chose que l'on peut dire au sujet de la forêt boréale, c'est qu'elle ne sert à rien d'autre que de contribuer au milieu naturel, à la forêt et au canoéisme.
Personnellement, j'aimerais que ces applications concurrentielles apparaissent dans l'ordre inverse, mais je crois comprendre que votre comité n'est pas chargé d'étudier la pratique du canoë.
Le sénateur Plett : Je veux que nous parlions aussi de l'accord de libre-échange. Au début de votre exposé, vous avez laissé entendre que le Canada avait laissé 1 milliard de dollars sur la table et que nous aurions dû être plus durs dans la négociation. J'ai tendance à être d'accord avec vous deux sur ce plan.
Cependant, on obtient parfois davantage d'un accord négocié pour lequel on a misé sur l'amitié plutôt que d'un accord arraché à coup d'exigences, après avoir joué dur.
Si vous songez aux coûts d'intérêts, aux frais juridiques et à l'appréciation du dollar canadien par rapport au dollar américain, quels avantages pensez-vous que nous aurions tirés d'une négociation ferme? Aurions-nous pu obtenir un meilleur accord? Je ne suis pas en train de dire que le Canada n'aurait pas pu y parvenir, mais quel avantage aurions- nous eu à tenir ferme?
Au moins, nous avons un accord. Nous n'avons d'autre choix que d'être amis avec les États-Unis. Nous avons entretenu de bonnes relations avec ce pays par le passé. Il est arrivé que ces relations soient tendues, mais je crois pouvoir dire que le vent est en train de tourner pour le mieux.
[Français]
M. Chevrette : Je suis arrivé en mai, en pleine négociation et je dois vous dire que chez nous au Québec, l'industrie manquait tellement d'oxygène monétaire que tout le monde se chicanait. Il y avait beaucoup de bisbille entre les membres au sujet de la négociation du règlement.
Après avoir assisté aux audiences, j'ai acquis la conviction que jamais les industriels québécois n'auraient signé la présente entente s'il n'y avait pas eu ce besoin d'oxygène monétaire. Je suis profondément convaincu qu'ils auraient continué à négocier, qu'ils n'auraient pas signé l'entente telle quelle. Mais pour plusieurs papetières, cela représentait une planche de survie à court terme.
Je le sais, je l'ai vécu et personne ne pourra me dire le contraire. Les gens disaient que sans le recours à l'autre partie en fiducie, ils auraient été obligés de déclarer faillite. Ils ont préféré laisser un milliard sur la table et accepter quatre milliards sur cinq. Je peux vous dire qu'une majorité de personnes n'étaient pas en faveur de cette entente. Les papetières se sont ralliées purement et simplement parce qu'elles auraient été obligées d'abandonner la course.
Je l'ai vécu personnellement et je crois qu'il aurait dû y avoir davantage de souplesse dans le processus de négociation. Rappelez-vous, on avait gagné tous les arbitrages durant la négociation de l'entente précédente, mais pour ce qui est de la présente entente, il a encore fallu laisser l'argent sur la table.
Les gens étaient fâchés et se demandaient quel était l'avantage de gagner en arbitrage s'il fallait toujours laisser l'argent sur la table. Et la réaction était profondément humaine. Parce que si l'industrie avait été en bonne santé financière, je ne crois pas qu'on aurait signé cette entente.
Pour ce qui est du modèle de négociation, c'est un débat qui se fait entre avocats et cela coûte une petite fortune. La négociation en elle-même coûte une fortune. Voulez-vous savoir combien a coûté la négociation pour mon petit conseil? Cela a coûté cinq millions de dollars en frais d'avocats. Que ce soit en arbitrage ou en négociation, cela coûte toujours cher. Et souvent, il suffit de deux avocats pour que cela coûte plus cher.
[Traduction]
M. Lazar : Il y a des questions plus valables que celles consistant à s'interroger sur le passé. Le Canada aurait-il pu négocier une meilleure entente? Qui sait. Moi, j'ai négocié bien des choses. Chaque fois que je reviens d'une négociation, il y en a qui me demandent si je n'aurais pas pu faire mieux, mais je ne les ai pas vus, eux, faire mieux.
À l'époque, personne ne s'est dit que le Canada avait conclu un accord formidable, parce que c'était une entente pourrie. Toutefois, si nous n'avions pas eu cet accord ces trois dernières années, le Canada se serait retrouvé en très mauvaise posture. Se demander aujourd'hui si nous n'aurions pas pu, alors, obtenir un meilleur accord revient à se demander, autour d'une bière après un match de hockey, si untel ou untel n'aurait pas dû faire une passe. Peut-être que oui, peut-être que non. Disons-le franchement, la partie est terminée et l'accord que nous avons signé nous a permis de nous en tirer. Si nous n'avions pas eu cet accord au cours des dernières années, compte tenu des prix de l'époque, les Américains nous auraient écrasés.
Le sénateur Plett : Je suis désolé que vous n'aimiez pas mes questions.
M. Lazar : Je ne voulais pas vous manquer de respect.
Le sénateur Plett : Vous avez dit que nous aurions dû jouer plus serré. Ce que je prétends, pour ma part, c'est que ceux d'en face ont joué serré et qu'ils avaient peut-être plus de poigne que nous.
M. Lazar : Bien vu.
Le sénateur Plett : Si vous voulez avoir le rapport que vous attendez avec grande impatience, tout comme moi d'ailleurs, je vais vous poser les questions qui m'intéressent.
M. Lazar : Veuillez excuser ma remarque.
Le sénateur Plett : Ça va. Ma dernière question concernera la bioénergie. S'agissant de la ressource totale disponible au niveau du sol, comme les branches mortes, les écorces tombées et les déchets de coupe, de quel volume de biomasse parle-t-on au Canada? Vous avez peut-être répondu à cette question au début de votre exposé.
M. Lazar : Je l'ai fait de façon détournée parce que je n'ai pas à portée de main le volume de biomasse, mais j'ai une idée du potentiel énergétique que représente la biomasse immédiatement accessible : c'est équivalant à la production d'énergie de six réacteurs nucléaires. Ça, c'est à condition de veiller à ne pas aspirer tout le plancher de la forêt, car nous sommes un peu inquiets face à l'enthousiasme que suscite la production de biomasse étant donné que, si nous aspirions tout le carbone capté par la forêt pour le brûler au nom de l'environnement, nous risquerions de provoquer une catastrophe pour l'écosystème. En revanche, si nous nous contentions d'utiliser le flot de déchets pour produire une biomasse responsable, nous pourrions produire l'équivalent de la production de six autres réacteurs nucléaires de façon économique.
Le sénateur Plett : Excusez mon ignorance, mais je ne sais pas à quoi correspond la production d'énergie d'un réacteur nucléaire. J'aimerais avoir des chiffres plus concrets.
M. Lazar : Je vous obtiendrai les chiffres exacts. Je suis certain qu'ils sont quelque part dans le rapport. Veuillez m'excuser, je suis quasiment incapable de me rappeler des chiffres. Le réacteur nucléaire semble être la seule unité qui me parle. Nous vous enverrons les chiffres concernant la biomasse, le volume et le tonnage, de même que la production en kilowatts.
Le sénateur Lovelace Nicholas : Je présente mes excuses au président et aux témoins pour mon retard.
Vous êtes chef de la direction d'une association canadienne. Comptez-vous des Autochtones parmi cette association?
M. Lazar : Nous avons signé un protocole d'entente avec l'Assemblée des Premières Nations au titre du développement économique, en vertu duquel nous travaillons très fort, notamment pour l'enseignement et la formation professionnelle des jeunes. De plus, nous accordons un prix de l'entrepreneur de l'année à des membres de Premières nations, prix que nous avons présenté lors d'une cérémonie l'année dernière. D'ailleurs, je me suis mis à pleurer quand je l'ai remis parce qu'il est revenu à une femme dont le conjoint avait lancé une entreprise de coupe de bois dans le Nord du Québec. Avant de mourir, il lui avait fait promettre de continuer cette exploitation pour la collectivité et, malgré de nombreux obstacles, c'est ce qu'elle avait fait.
L'industrie forestière est le plus important employeur industriel des Premières nations. Ce qui est sans doute le plus intéressant, c'est que nous entretenons des milliers de relations d'entreprise à entreprise avec les Premières nations.
[Français]
M. Chevrette : Les nations crie et innue au Québec. J'ai créé deux scieries alors que j'étais ministre responsable des Affaires autochtones, et ce que M. Lazar dit, c'est qu'on pourrait accueillir beaucoup plus de main-d'œuvre si on réussissait à former plus de main-d'œuvre autochtone. Ils sont sur place, ils vivent là, ils ne vont pas à la ville. Ce serait un réseau de main-d'œuvre extraordinaire. Je suis convaincu qu'on devrait travailler sur la formation des Autochtones.
[Traduction]
Le sénateur Lovelace Nicholas : Une autre question et ce sera tout. Vous avez parlé d'avenir. Qu'en est-il de votre partenariat avec les Premières nations sur leurs terres? Je pense que ce devrait être rentable.
[Français]
M. Chevrette : Il y a deux situations. Il y a la revendication territoriale des Autochtones, là où ils signent des traités ou des ententes, et qu'ils obtiennent le pouvoir de contrôler la ressource. Je pense que c'est un partenariat idéal. Pour avoir été pendant six ans ministre responsable des Affaires autochtones au Québec, je dois vous dire qu'on est souvent portés à les laisser aller, à donner un gros montant sans les initier. C'est pour cela qu'à Obijwan, au nord de La Tuque, de la Mauricie, au Québec, on a créé une scierie qui fonctionne à merveille. J'ai assisté à l'inauguration, et l'épanouissement au travail des jeunes qui ont été formés était admirable.
On a fait la même chose à Waswanipi, avec les Cris, pour une autre scierie jumelée à Domtar, et à Obijwan jumelée à Donohue, qui est devenu AbitibiBowater aujourd'hui. Et je crois fondamentalement qu'on devrait favoriser le partenariat : on formerait tout d'abord à la fois les gestionnaires et les travailleurs, et ensuite, il y aurait une clause leur permettant de prendre cela en main sur une période de cinq à dix ans, je ne sais pas. Mais on fait beaucoup d'erreurs en ne formant pas les gens. La base du succès, c'est la formation, à la fois des gestionnaires et des travailleurs.
[Traduction]
Le sénateur Marshall : Quelle est l'ampleur de la reforestation, est-ce suffisant et qui en assume les coûts? Est-ce un problème?
[Français]
M. Chevrette : On fait environ 20 p. 100 de reforestation par rapport au prélèvement de la ressource; de façon naturelle, c'est 80 p. 100. Mais il y a des endroits, lors de grands feux, par exemple, où l'on doit faire de la scarification et on fait du reboisement par la suite. Cela coûte combien? Ce sont les droits de coupe payés par les industriels qui assument le paiement du reboisement. Donc, c'est une redevance qu'on doit payer à l'État, et l'État se sert de ces redevances pour organiser des compagnies qui font de la sylviculture et qui reboisent. Ce sont des jeunes qui font le reboisement, et ils sont payés comme salariés ou au nombre de plants qu'ils reboisent.
Les sommes annuelles consacrées à la sylviculture au Québec représentent environ 80 à 90 millions de dollars. En ce qui concerne la somme allouée strictement au reboisement, je ne saurais vous le dire précisément, car il y a des travaux d'éclaircies commerciales dans les travaux sylvicoles, et on ne peut pas conclure que c'est seulement du reboisement.
[Traduction]
Le sénateur Marshall : Cette activité est-elle en partie financée par le gouvernement provincial ou l'est-elle en totalité par les entreprises?
M. Lazar : Il s'agit d'une condition inscrite au contrat que l'entreprise signe avec le gouvernement. Elle doit entièrement replanter. Au Canada, la reforestation est imposée par la loi. Nous sommes tenus de planter des arbres et de régénérer la forêt partout où nous coupons.
On pourrait en quelque sorte dire que c'est un minimum. Le simple fait de replanter des arbres est un minimum en matière d'environnement. C'est pour ça que nous avons adopté un programme de certification des pratiques forestières, c'est pour aller plus loin que la simple régénération de la forêt. Les normes de certification exigent tout d'abord que la coupe soit effectuée de sorte à laisser intactes des zones avoisinantes, à ménager des corridors pour faciliter le déplacement des animaux et à ne pas toucher certaines aires de protection spéciale. Deuxièmement, les méthodes de coupe doivent favoriser un retour des écosystèmes naturels. Il ne s'agit pas de créer des propriétés forestières de production. Il s'agit de forêts à l'état naturel. D'ailleurs, c'est à la fois à l'avantage et au désavantage du Canada parce que la plupart de nos concurrents détruisent la forêt et la remplacent par des propriétés de production. Au Canada, nous essayons de prélever les arbres au milieu des forêts naturelles.
Ce faisant, nous bénéficions des écosystèmes, de la faune et de la flore caractéristiques d'une forêt naturelle tout en permettant aux collectivités forestières de vivre de cette ressource naturelle. C'est plus coûteux, mais c'est plus valable pour le pays.
Je me demande si ce que nous espérons se produira car, étant donné les pressions croissantes qui s'exerceront sur les terres agricoles, on peut espérer que le respect de l'état naturel des forêts tournera à notre avantage. Comme la population mondiale appréciera de plus en plus le fait de vivre au contact de la nature plutôt que de l'exploiter, c'est notre modèle qui prévaudra.
Pour l'instant, la déforestation se produit surtout dans les zones où aucune collectivité ne vit de la forêt. En Indonésie, en Afrique ou en Amérique du Sud où l'on pratique la déforestation, la seule manière de gagner sa vie consiste à éliminer la forêt pour la remplacer par du soja ou par des élevages de bétail. Au Canada, nous avons des collectivités qui peuvent gagner leur vie en conservant la forêt saine. Il ne faut donc pas parler simplement de reforestation, mais d'entretien des écosystèmes.
Le sénateur Marshall : Restons sur cette question du maintien en santé de la forêt. Y a-t-il des maladies parasitaires? Vos organisations ont-elles une position sur cette question ou encore sur la protection des forêts contre les incendies par exemple?
M. Lazar : Oui. Nous avons une position très arrêtée en ce qui concerne les maladies. Jusqu'ici, nous n'avons pas remporté la partie contre les parasites. À cause du régime naturel de perturbation de la forêt canadienne, on assiste à d'immenses feux de forêt. Dans la forêt boréale, ce régime de perturbation est caractérisé par des incendies qui peuvent être de faible envergure ou au contraire très ravageurs, et c'est ce qui favorise la régénération de la ressource ligneuse. Il est difficile d'imiter ces cycles naturels de perturbations dans les forêts que nous exploitons parce qu'un brûlis de grande envergure serait assimilé à une coupe à blanc, même si c'est ainsi que ça se passe à l'état naturel.
Dans une année normale, les insectes et les feux prélèvent six fois plus d'arbres que l'industrie forestière. Par rapport aux incendies et aux insectes, nous sommes une quantité négligeable pour ce qui est de la consommation de bois. Certes, il y a eu la catastrophe occasionnée par le dendroctone du pin en Colombie-Britannique et en Alberta, phénomène qui est en train de se déplacer vers la Saskatchewan. Une grande partie de la communauté scientifique est d'avis que cela est dû au changement climatique. Certains disent que c'est attribuable en partie à la gestion forestière. Et puis, c'est sans tenir compte de la tension naturelle entre les effets, d'une part, des feux de forêt naturels non combattus et, d'autre part, de la gestion forestière exercée par l'homme, à une époque où il faut être conscient des émissions de gaz à effet de serre. En cas d'incendie de forêt de grande envergure, tous les gains réalisés au chapitre des émissions de gaz à effet de serre s'envolent en fumée.
[Français]
M. Chevrette : En ce qui concerne les insectes, il s'agit de cycles; et pour la tordeuse d'épinette au Québec, il s'agit de cycles de 20-25 ans. Il y en avait autant et même plus il y a 25 et 50 ans. Mon souvenir est qu'il y en avait plus qu'aujourd'hui. Certains scientifiques s'obstinent sur le réchauffement de la planète, mais il y a des cycles pour ces insectes-là.
La tordeuse d'épinette est en train de reprendre du terrain au Québec, sur la Côte-Nord en particulier. Il y en au Lac-Saint-Jean et dans l'Outaouais québécois également. Nous sommes sur un pied de guerre — si vous permettez l'expression — puisque nous n'avons plus le droit d'utiliser des produits chimiques, seulement des produits biologiques, pour enrayer les épidémies.
Il y a beaucoup de travaux qui se font. Je siège même au conseil d'administration de l'organisation Socfin, qui s'occupe expressément des insectes.
[Traduction]
Le sénateur Marshall : Étant donné l'impact des feux de forêt, estimez-vous que les gouvernements provinciaux en font assez pour protéger la ressource? C'est leur responsabilité.
M. Lazar : Ils pourraient toujours faire davantage, mais il faut se poser une question aux dimensions sociales et scientifiques : dans quelle mesure voulons-nous éliminer les incendies naturels? Si vous les éliminez pendant trop longtemps, les déchets s'accumulent dans la forêt et l'on assiste alors à de formidables feux de zone. Nous n'avons pas de position au sujet de l'action des provinces, si ce n'est pour certains incendies. Il faut avouer que les actions des intervenants sur les feux de forêt sont héroïques et qu'elles nous laissent pleins d'admiration.
[Français]
Le sénateur Rivard : Monsieur Chevrette, j'avais pris des notes lorsque vous avez parlé de l'industrie du papier et vous avez répondu à la plupart des questions que je me posais. Toutefois, peut-on dire que l'industrie dans ce domaine a atteint le fond du baril ou y a-t-il encore des fermetures à l'horizon?
M. Chevrette : Dans le papier journal, je suis convaincu que nous ne sommes pas au fond du baril. Il y a, d'après nos membres, encore 500 000 tonnes; sauf qu'ils essaient de sauver le maximum d'usines par rapport, entre autres, à la concurrence américaine.
Le sénateur Rivard : Est-il encore vrai de dire que pour la plus grande partie de production de papier journal au Québec ou au Canada, le plus gros client est toujours les États-Unis?
Je pense, entre autres, à l'usine de La Malbaie où — je crois — 100 p. 100 de la production sert pour le Chicago Tribune; est-ce encore vrai?
M. Chevrette : C'est un peu vrai; Rivière-du-Loup, par exemple, fournit le journal américain White Birch. Nous exportons très peu de papier en Asie. Pourtant, les populations de l'Inde et de l'Asie pourraient être un marché extraordinaire.
M. Lazar : C'est plutôt la pâte que nous pouvons exporter; Abitibi-Bowater exporte maintenant beaucoup de papier journal. Mais à moyen et à long terme, les Chinois feront leur propre manufacture de papier et notre production se verra donc plutôt axée sur les pâtes.
Le sénateur Rivard : Est-il exact également de dire que le Brésil est un gros compétiteur pour le Canada sur le marché américain?
M. Chevrette : Sur le marché de la pâte feuillue, à cause de l'eucalyptus qui pousse très rapidement; car on peut avoir des arbres de très forte dimension en seulement huit ans, alors que pour nous cela peut prendre 25 ou 30 ans pour un feuillu tel le peuplier.
C'est évident, mais la surexploitation des forêts brésiliennes est actuellement dénoncée à travers le monde; et à bon droit, je pense. Comme vous le savez, le Brésil est un poumon de l'humanité et les gouvernements devraient se concerter à ce sujet. Nous n'y pouvons pas grand chose de notre côté. Je ne suis même pas capable de vous dire s'il n'y a pas certains de nos membres qui n'en importent pas.
Pour des raisons commerciales, on ne le sait pas. Puis même si on le savait, on ne pourrait pas le dire. C'est individuel; ce n'est pas une assemblée d'une même pensée commerciale, mais bien des concurrents. Lorsqu'ils sont 100 devant moi, c'est 100 qui ne pleureront pas s'il y en a un qui disparaît de la carte parce que c'est une part de marché de plus et donc un concurrent de moins.
J'ai connu les deux : des assemblées d'enseignants qui vibraient au même diapason et les membres de mon conseil qui eux ne vibrent pas au même diapason.
Le sénateur Rivard : Monsieur Lazar, vous avez dit qu'il y a 825 000 emplois canadiens, incluant 190 000 au Québec; est-ce la situation actuelle ou celle d'avant la crise?
M. Chevrette : Avant la crise. On a perdu 60 000 emplois au Québec sur les 190 000. Nous avons perdu 60 000 emplois directs, indirects et induits.
Le sénateur Rivard : Pour revenir à peu près à la même proportion d'emplois et avec le temps nécessaire pour sortir de cette crise, peut-on envisager, si les tendances se maintiennent, qu'autour de l'année 2013 est un objectif réalisable?
M. Chevrette : On ne reviendra pas au même niveau, et je suis convaincu que beaucoup de joueurs auront disparu à ce moment-là. Il y aura moins de joueurs, plus d'efficacité et la production ne sera pas comparable non plus. Il ne faut pas oublier que 20 p. 100 de la ressource a été coupée, il y a à peine cinq ans. Il y aura donc moins de joueurs, moins de main-d'œuvre et probablement plus d'équipements spécialisés et produits neufs.
Est-ce que, par exemple, certains créneaux occasionneront la création de beaucoup d'emplois? On le souhaite. Mais si on demeure dans les créneaux actuels, il y aura moins de joueurs et moins d'industriels.
[Traduction]
M. Lazar : D'après les statistiques gouvernementales, il y aurait, à l'échelle nationale, 604 000 emplois directs et indirects dont environ 238 000 emplois directs. Il est vrai que nous en avons perdu beaucoup, mais nous continuons de représenter quelque 600 000 emplois au Canada. Même si la situation demeurait inchangée, nous serions encore le plus important employeur industriel au Canada, loin devant tous les fabricants d'automobiles réunis et nous serions encore le moteur économique de nombreuses collectivités.
Quand on perd beaucoup d'emplois, les gens ont tendance à oublier ce qu'on continue de représenter. Nous offrons un emploi direct à 250 000 Canadiens et c'est sans compter tous les emplois indirects.
Reviendrons-nous aux niveaux d'antan? Non. Serait-ce souhaitable? Sans doute pas. Le niveau d'emploi demeurera- t-il fort? Tout à fait.
[Français]
Le sénateur Rivard : Le 26 avril dernier, le ministre de Développement économique Canada, M. Lebel, annonçait une contribution de 100 millions de dollars spécifiquement pour le Québec afin d'aider les collectivités forestières. Je crois avoir lu, Monsieur Chevrette — et je me rends compte que vous n'avez pas perdu vos réflexes politiques; cela ne se perd pas, j'imagine — , je crois avoir entendu de votre part que c'était trop peu trop tard. De l'opposition à la Chambre des communes, c'est automatique, tout ce qu'on annonce, c'est trop peu, trop tard, mais vous qui représentez l'industrie, j'ai été surpris d'entendre ces mots de votre bouche. Pouvez-vous nous dire pourquoi vous dites cela?
M. Chevrette : Je suis heureux que vous ayez dit que je n'avais pas perdu mes réflexes politiques, mais je ne suis pas venu faire de la politique ici, je suis venu tout simplement faire une présentation. Je vous dirai cependant que je garde mon jugement jusqu'à ce que j'aurai pris connaissance des critères. J'ai personnellement appelé l'attaché politique en communication de M. Lebel, pour lui demander si les critères étaient connus. Il m'a dit qu'ils ne seraient connus que dans trois semaines, un mois. Vous aurez donc mon jugement à ce moment-là, parce que le diable est dans les détails, vous le savez comme moi.
[Traduction]
M. Lazar : Il retrouve ses vieux instincts politiques. Il sait comment esquiver une question et pour M. Chevrette, c'est plutôt rare.
[Français]
Le sénateur Duffy : Messieurs, c'est un grand plaisir de vous rencontrer ce soir.
[Traduction]
Ça fait longtemps, mais les questions demeurent les mêmes. J'ai deux ou trois questions rapides à vous poser. De combien d'argent auriez-vous besoin dans votre fonds vert? Le plus possible, je suppose, mais pour rester réaliste, quelle devrait être la dotation de ce fonds renouvelable?
M. Lazar : Si je devais m'en occuper, j'examinerais ce que font nos concurrents en Europe, aux États-Unis et en Chine. On parle de mégamilliards de dollars. Je ne réserverais pas ce fonds à l'industrie forestière, mais je le constituerais pour tout le secteur des énergies renouvelables parce que je ne doute pas du dynamisme de notre industrie au sein du secteur des énergies renouvelables.
Je viserais au moins 5 milliards de dollars, même si, selon moi, il serait mieux que le Canada se dote d'un fonds renouvelable de 10 milliards de dollars. Cela étant, ce fonds pourrait être pérennisé, puisqu'il faudrait le rembourser.
Le sénateur Duffy : Pourvu que les débiteurs ne disparaissent pas.
Le sénateur Robichaud : On va en perdre de toute façon.
M. Lazar : Est-ce qu'un milliard de dollars nous donnerait un coup de main? C'est sûr. Est-ce que 2 milliards de dollars nous aideraient? Bien sûr que 2 milliards de dollars nous aideraient. Comme il s'agirait d'un prêt remboursable n'étant pas destiné à des entreprises au bord de la faillite mais à celles qui sont en mesure de se lancer dans la bioénergie, je ne limiterais pas ce fonds à la seule industrie forestière. Je le destinerais à tout le secteur des énergies renouvelables et je peux vous dire que nous nous en servirions.
Le sénateur Duffy : Comment serait-il administré? Par les fonctionnaires à Ottawa ou appartiendrait-il à l'industrie de distribuer l'argent au compte-goutte à ses membres? Selon vous, comment cela devrait-il fonctionner?
M. Lazar : Je confierais la gestion du fonds à un groupe indépendant. Je ne la confierais pas à l'association. Si je devais distribuer de l'argent, ce serait la fin de mon emploi.
Le sénateur Duffy : Vous distribuez des garanties.
M. Lazar : Je confierais la gestion du programme des obligations vertes pour les énergies renouvelables du Canada, le fonds renouvelable, à un groupe constitué de banquiers et, bien sûr, de sénateurs.
Le sénateur Duffy : Ce serait un peu comme une société d'État.
M. Lazar : C'est exact et il s'agirait d'un personnel professionnel.
Le sénateur Duffy : C'est bien.
Monsieur Chevrette, vous avez parlé d'un documentaire vidéo sur l'industrie forestière. Pouvez-vous nous en dire un peu plus long et nous dire ce qu'il y a de mal à ce que la population le voie? Est-il très loin de la vérité?
[Français]
M. Chevrette : C'est le film du chanteur Richard Desjardins intitulé L'Erreur boréale. Ce qui ne correspond pas à la réalité ou à la vérité, c'est que lorsqu'on coupe une forêt ou une partie de forêt, c'est très laid pendant un, deux ou trois ans, mais sept ou huit ans après, on ne voit même pas ce que l'on a prélevé à cet endroit.
J'ai filmé les mêmes endroits huit ans plus tard, dans un court film de sept minutes, deux secondes, pour être précis. Je vais vous l'envoyer. Vous constaterez la différence. Alors, la perception auprès de millions de personnes au Québec est complètement faussée par rapport à la réalité scientifique des choses.
En passant, vous pourriez aussi regarder le film de Patrick Moore, le cofondateur de Greenpeace. Je l'ai fait traduire en français pour les Québécois. Je vous enverrai une copie.
[Traduction]
Le sénateur Duffy : Parlons enfin de la politique nationale relative à l'utilisation du bois, celle qui est destinée à favoriser l'utilisation du bois. Êtes-vous certain qu'elle ne risquera pas de faire l'objet de mesures compensatoires de la part des Américains?
M. Lazar : Oui.
Le sénateur Duffy : Grâce à vos notes de frais d'avocat de 5 millions de dollars par an?
[Français]
M. Chevrette : C'est pour le marché interne. Le marché interne ne regarde pas les Américains. Si les gouvernements incitaient les municipalités de l'ensemble du Canada à avoir une politique d'obligation d'utiliser un pourcentage de bois dans les édifices publics, cela améliorerait le marché interne, et cela ne regarde en rien les Américains.
[Traduction]
Le sénateur Duffy : C'est un peu la même chose que pour le programme « Buy America ».
M. Chevrette : C'est la même chose.
[Français]
M. Chevrette : En Europe, il y a des villes et même des pays qui obligent un pourcentage de l'utilisation du bois, et ce, de 5 p. 100, 10 p. 100, 15 et 20 p. 100.
Le sénateur Eaton : La France.
M. Chevrette : La France. Il y a des règlements. Ce serait un beau geste de la part du gouvernement et même de toutes les formations politiques du Canada et des provinces, à cause de la crise, de créer ce mouvement à travers le Canada.
Le sénateur Duffy : Avez-vous un pourcentage?
M. Chevrette : Ce que cela donnerait comme résultat?
Le sénateur Duffy : Oui.
M. Chevrette : C'est très difficile, parce que cela ne se fera jamais.
[Traduction]
Le sénateur Duffy : Et quel pourcentage voudriez-vous?
[Français]
M. Chevrette : On espère, minimalement, 20 p. 100.
[Traduction]
M. Lazar : Vingt-sept pour cent.
M. Chevrette : Je suis d'accord avec votre chiffre.
Le sénateur Plett : Vous avez indiqué que la Colombie-Britannique a une politique visant à favoriser le bois, mais pas le Québec. Ne devrait-on pas réclamer une telle politique aux provinces plutôt qu'au gouvernement fédéral?
M. Lazar : Ça ne devrait pas être à la place, mais en plus.
Le sénateur Mahovlich : Excusez-moi d'être arrivé en retard. Vous avez parlé de l'Asie et de la Chine. Est-ce qu'il y a une forêt en Chine?
M. Lazar : Oui et les Chinois sont en train de planter énormément d'arbres.
Le sénateur Mahovlich : Est-ce que les Canadiens les aident?
M. Lazar : Oui, mais la plus grande partie de la production forestière actuelle en Chine n'est pas destinée à la coupe, mais au maintien des écosystèmes. Les Chinois plantent pour éviter l'érosion, pour instaurer une masse critique naturelle. Aucun autre pays au monde, à part les pays nordiques comme la Russie, les pays scandinaves et nous, n'aura de forêts capables de produire pour la coupe, en dehors des propriétés forestières de production.
La Chine ne nous concurrencera pas pour la production de fibre. Elle restera très loin de répondre à sa demande interne. Elle nous concurrencera, en revanche, dans le secteur de la fabrication. Pour tous les produits autres que le bois d'œuvre et la pâte, les Chinois produiront pour leur propre marché et viendront nous faire concurrence sur nos marchés, mais pas à partir d'arbres sur pied.
Le sénateur Mahovlich : Ils viendront chercher notre matière première. Ils nous diront de couper les arbres et de les leur expédier.
M. Lazar : Non. La situation ne sera pas aussi désastreuse que ça. Le Canada récoltera les arbres et se chargera de la première et de la deuxième passe de transformation. Nous transformerons les arbres en pâte. À cette occasion, nous en extrairons la bioénergie, les biocarburants et les produits biochimiques.
Nous avons toujours rêvé de nous hisser dans la chaîne de valeur du domaine de la fabrication. C'est ce que fait l'industrie en grande partie, mais il nous est difficile d'être concurrentiels sur les marchés mondiaux avec des produits qui exigent une importante main-d'œuvre, sauf si la transformation se fait à proximité de la ressource.
L'extraction du bois et la transformation en pâtes et papiers, en bioénergie ou en biocarburants se font au contact de la ressource et le Canada est donc concurrentiel. Dès qu'on remonte la chaîne de valeur, on se heurte à la concurrence des salaires chinois.
On évoque souvent le cas d'Ikea, en Suède, pays où les salaires sont élevés. Or, la quasi-totalité des produits d'Ikea sont fabriqués en Chine et en Europe de l'Est. Les porte-parole d'Ikea participent à des publicités vantant les boulettes de viande suédoises, tout ça avec un accent charmant, mais les usines de fabrication de leurs produits ne sont pas en Suède.
Le sénateur Mahovlich : Les Chinois ont connu beaucoup de tremblements de terre et de catastrophes qui ont entraîné la mort de beaucoup de gens — 2 000 ou 3 000 tués dans un tremblement de terre. Les maisons s'effondrent parce qu'elles sont en argile. Les Chinois savent-ils que les maisons de bois sont plus solides que les maisons d'argile?
M. Lazar : Le bois est mieux que plus solide parce qu'il plie. Nous avons une antenne d'exportation du bois en Chine qui présente les méthodes de construction en bois en zones sismiques. Il faut en attribuer le mérite aux gouvernements provinciaux et fédéral qui ont contribué à financer cette initiative.
Le sénateur Mahovlich : Une maison de bois est beaucoup plus sûre.
M. Lazar : Nous avons tenté de faire valoir le facteur sécurité dans la commercialisation de notre produit après un tremblement de terre, mais il est difficile de détourner les gens de leurs matériaux de construction traditionnels.
Le sénateur Mahovlich : Les Chinois ne savent pas comment construire.
M. Lazar : La technique de construction de maisons de mon père était plus valable que celle que d'autres ont essayé de m'enseigner depuis. Il est difficile de briser les habitudes culturelles à cet égard.
[Français]
M. Chevrette : La Chine n'est pas seule prise avec ce problème. Haïti l'a vécu récemment.
Nous avons déposé un projet de construction de maisons en bois et les tests contre les séismes allant jusqu'à 8 p. 100 ont été effectués. Le bois est beaucoup plus sécuritaire que le béton, surtout le béton non armé, comme c'est le cas dans certains pays où ils éclaircissent le ciment. Ce n'est pas le béton de Ciment Saint-Laurent.
[Traduction]
M. Lazar : Solliciter notre avis, à M. Chevrette et à moi, avant un match de hockey est une erreur. Nous sommes tous deux capables de parler très longtemps.
[Français]
Le sénateur Robichaud : On parle de la bio-industrie et de la production d'énergie avec la biomasse. Où a-t-on manqué? On parle d'énergie éolienne. On installe des parcs éoliens au Nouveau-Brunswick où il y a des fibres et des biomasses qui pourraient être utilisées j'en suis certain. On en a bâti à l'Île-du-Prince-Édouard et on voit tous ces moulins à vent du Nouveau-Brunswick. Ils sont très présents.
Comment se fait-il que l'industrie forestière n'ait pas su prendre sa place sur le plan de la production d'énergie? La technologie existe n'est-ce pas? On n'a pas inventé la roue.
M. Chevrette : Il y en a eu. Une église au Témiscamingue est chauffée par la biomasse depuis 1950 et on pense découvrir les effets bénéfiques de la biomasse. Je lis beaucoup et j'écoute beaucoup et je peux vous dire que c'est parce qu'on n'a pas favorisé par certaines politiques l'utilisation de la biomasse. On parle d'énergie douce, on se met à faire de l'éolien. Au Danemark, par exemple, l'électricité peut manquer pendant le souper parce que les vents sont tombés.
Le Canada a la chance d'avoir des énergies qui s'additionnent les unes aux autres, surtout au Québec avec l'énergie hydroélectrique qui s'emmagasine. On peut utiliser le vent quand cela fonctionne, emmagasiner l'eau, s'il y a de la biomasse pour chauffer la maison ou les édifices publics, ce serait formidable. Je crois que cela va venir. Il y a des choses qui évoluent. Il y a 50 ans, vous et moi n'avions pas les mêmes idées qu'aujourd'hui.
Le sénateur Robichaud : Non pas tout à fait. On n'avait pas les moyens non plus.
M. Chevrette : Je peux vous dire que j'aimerais les moyens, mais surtout les capacités.
Le sénateur Robichaud : Je crois que notre rapport devrait toucher ce côté pour essayer de créer, d'éveiller les autorités et les gens, le grand public aux possibilités. On parle du vent, de l'énergie atomique, dans la baie de Fundy, la marémotrice à des coûts exorbitants, avec une technologie à mettre en place. Si on se servait de la biomasse, tout est là n'est-ce pas?
M. Chevrette : Il faudrait avoir un équilibre. Je suis convaincu qu'on aura une confrontation avec les mouvements environnementalistes si on utilise toute la biomasse et qu'on ne laisse rien au sol. Il faut un dosage intelligent pour ne pas avoir à se confronter à nouveau avec le mouvement environnemental.
Le président : Pour conclure, on vous présente le premier rapport provisoire intérimaire sur le secteur forestier canadien passé, présent et futur et même si on sait que la foresterie est sous juridiction provinciale et territoriale, à la page 30, on dit : « l'implication fédérale dans le secteur forestier depuis la Confédération de 1867. »
Monsieur Lazar, vous êtes cité dans ce document et Monsieur Chevrette, je dois vous mentionner que M. Yves Lachapelle est aussi cité dans le rapport. Nous allons vous en fournir un exemplaire.
[Traduction]
À la page 33 de la version anglaise de ce rapport intitulé Le secteur forestier canadien passé, présent et futur, il est question de l'aide apportée à ce secteur forestier depuis 2009, notamment de l'apport d'un milliard de dollars au titre de la performance environnementale et d'un milliard de dollars au titre du fonds d'adaptation communautaire.
Vous avez 30 secondes chacun pour conclure à ce sujet.
[Français]
M. Chevrette : Même si j'adore le Canadien, je vous remercie de nous avoir reçus. Pour nous, c'est une consolation de savoir que des gens veulent écouter et comprendre.
Le président : Sur ce, la séance est levée.
(La séance est levée.)