Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts
Fascicule 6 - Témoignages du 27 mai 2010
OTTAWA, le jeudi 27 mai 2010
Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui à 8 h 05, pour étudier l'état actuel et les perspectives d'avenir du secteur forestier au Canada.
Le sénateur Percy Mockler (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonjour, mesdames et messieurs. Avant d'entamer les délibérations, j'aimerais avoir l'attention des sénateurs. Je voudrais vous informer que Son excellence Felipe Calderón, président des États-Unis du Mexique, prononcera une allocution au Parlement à 10 heures. Je voudrais obtenir votre consentement pour terminer cette séance à 9 h 30 plutôt qu'à 10 heures. J'ai communiqué cette information aux témoins et ils ont accepté.
Je vois que nous avons un consensus. Merci.
[Français]
Je vous souhaite ce matin la bienvenue à la réunion du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts.
[Traduction]
Je m'appelle Percy Mockler, et je suis un sénateur du Nouveau-Brunswick et président de ce comité. J'aimerais présenter les témoins. Aujourd'hui, nous accueillons deux universitaires, Tat Smith, professeur et doyen à la Faculté de foresterie de l'Université de Toronto, et Jack Saddler, doyen de la Faculté de foresterie de l'Université de la Colombie- Britannique.
Avant d'écouter les témoins, j'aimerais demander aux sénateurs de se présenter, en commençant à ma gauche.
[Français]
Le sénateur Robichaud : Fernand Robichaud du Nouveau-Brunswick.
[Traduction]
Le sénateur Fairbairn : Joyce Fairbairn, Lethbridge, Alberta.
Le sénateur Mahovlich : Frank Mahovlich, Ontario.
Le sénateur Plett : Don Plett, Manitoba.
Le sénateur Ogilvie : Kelvin Ogilvie, Nouvelle-Écosse.
[Français]
Le sénateur Rivard : Michel Rivard du Québec.
[Traduction]
Le président : Le comité continue son étude sur l'état actuel et les perspectives d'avenir du secteur forestier au Canada, en se concentrant particulièrement sur la biomasse. Merci d'avoir accepté notre invitation.
[Français]
Je vous invite à prendre la parole et nous allons commencer par M. Smith.
[Traduction]
M. Saddler fera ensuite son exposé.
Avant de donner la parole à M. Smith, je signale que j'ai reçu des documents dans une seule langue officielle. Je demande la permission de les distribuer et je demanderai à notre greffière de faire faire la traduction de ces documents pour les redistribuer individuellement après la séance. M'accordez-vous votre consentement?
Des voix : D'accord.
Tat Smith, professeur et doyen, Faculté de foresterie, Université de Toronto, à titre personnel : Je vous remercie pour cette occasion de prendre la parole. J'aimerais faire porter mes observations sur la chaîne d'approvisionnement dans son ensemble, en ce qui concerne la bioénergie et la bioéconomie. Les trois documents que j'ai envoyés au comité incluent un rapport que nous avons rédigé pour Ressources naturelles Canada, qui est une analyse des problèmes de durabilité liés aux biocarburants. Dans ce contexte, il était question du développement de biocarburants qui pourraient provenir de la forêt et de nouvelles sources de biomasse, utilisées à cette fin, plutôt que de biocarburants de première génération. C'est un document assez épais. Il ne s'agit pas du document qui a été distribué aux sénateurs ce matin. Il y avait aussi la biographie annotée liée à ce document. Nous avons présenté cette étude à RNCan qui analysait les secteurs forestier et agricole au Canada. Nous avons examiné les emplacements de la biomasse, en étudiant les possibilités de développer cette nouvelle bioéconomie et en tâchant d'examiner les questions de durabilité qui se posent dans ce contexte. Par conséquent, nous avons examiné les enjeux économiques, sociaux et environnementaux corrélatifs et proposé un cadre pour aller de l'avant.
Le document qui vient d'être distribué est sur le point d'être publié. Étant donné le contexte dans lequel vous nous avez demandé de faire un exposé aujourd'hui, ce chapitre pourrait aider à comprendre la place de la bioénergie et de la bioéconomie dans la perspective générale. Le document sera diffusé au cours du prochain congrès de l'Union internationale des instituts de recherches forestières, qui se tiendra en Corée cet été.
J'extrairai de ces documents quelques observations qui pourraient être utiles dans les discussions que nous aurons aujourd'hui. Nous sommes intéressés par vos questions et par votre désir de savoir comment approfondir le sujet.
La première observation venant de notre analyse, c'est que le potentiel pour les secteurs forestier et agricole de répondre davantage à nos besoins en énergie renouvelable est vaste et pas encore réalisé. L'analyse démontre que la réalisation de ce potentiel pose plusieurs défis. Dans le contexte canadien du secteur forestier, nous sommes confrontés à une série de difficultés. Certaines de ces difficultés sont dues aux régimes fonciers et à la question de savoir qui a accès à la forêt. D'autres sont liées à la complexité de la chaîne d'approvisionnement, notamment à la dispersion des forêts dans notre vaste pays.
Nous avons également quelques difficultés liées à la réalisation du potentiel de cette fibre et de tout ce qui est contenu dans la biomasse qui pousse dans nos forêts et sur nos terres agricoles, en raison de la configuration historique de nos industries, faite pour qu'elles soient les meilleures et les plus compétitives dans ce qu'elles font. Comme vous le savez, l'industrie a été très compétitive dans la production de certains produits, mais n'a pas été configurée de façon à réaliser les autres.
Ce qui est également connu à la suite de l'analyse, c'est que tout ce qui concerne la biomasse et une utilisation accrue de la fibre que nous faisons pousser dans nos forêts et dans nos exploitations agricoles est souvent un sujet de préoccupations dans certains milieux où l'on craint que, si nous prélevons davantage d'éléments nutritifs, davantage de matière organique et davantage de matériaux forestiers structuraux, ça puisse poser un problème pour les pics, pour les coléoptères et pour les autres formes de vie que l'on trouve dans la forêt, ainsi que pour la forêt comme telle.
J'ai participé avec M. Saddler au Programme sur l'énergie de la biomasse de l'Agence internationale de l'énergie. Nous avons travaillé avec des collaborateurs de l'étranger pour comprendre comment on peut avoir un fondement scientifique pour la durabilité sociale, économique et environnementale, tout en utilisant davantage de matières et en maintenant toutes les valeurs que nous voulons préserver dans nos forêts et dans nos exploitations agricoles.
Nous pensons avoir un cadre pour aller de l'avant de façon logique, si les parties peuvent s'entendre sur la localisation des valeurs que nous voulons protéger. Vous avez sans doute remarqué que, ces derniers temps, certaines discussions qui se sont déroulées dans différentes provinces ont parfois pu être très polarisées. Quant à savoir comment les parties peuvent s'entendre et veiller à faire une analyse approfondie et objective des possibilités qui s'offrent à elles pour obtenir une politique permettant d'aller de l'avant de façon logique, ça pose un défi de taille. Au Canada, notre marche vers l'avant peut être entravée quelque peu par ce processus. Pour ce qui est de réaliser l'énorme potentiel, il est essentiel de concentrer l'attention des meilleurs et des plus brillants spécialistes sur la recherche d'une solution à ces problèmes, pour pouvoir faire de bons progrès.
Je voudrais faire la remarque suivante sur un ton qui lui donne l'allure d'un commentaire constructif : on pourrait faire mieux pour ce qui est de réunir toutes les parties qui pourraient concentrer leur attention sur la recherche d'une solution à certaines de ces difficultés. M. Saddler et moi travaillons en étroite collaboration avec l'industrie, avec les gouvernements fédéral et provinciaux et avec des ONG, mais on pourrait faire davantage pour regrouper ces collectivités d'une façon qui permette de résoudre les problèmes en temps réel et de nous faire aller de l'avant, au lieu de se demander si dans une dizaine d'années on sera toujours en train de discuter en grande partie des mêmes questions. Je recommande de faire tout notre possible pour veiller à ce que ces parties soient réunies. Les universités participent parfois à la recherche d'une solution à ces problèmes, mais elles sont parfois exclues de la conversation. Nous pourrions faire davantage pour rassembler les parties. Je recommande en outre de veiller à ce que le Canada soit un acteur important dans la collaboration internationale dans ce domaine.
M. Saddler et moi sommes des responsables de tâches dans la collaboration internationale en matière de bioénergie, entre environ 23 pays. Le Canada est quelquefois un acteur important dans ce domaine alors que parfois nos collègues finlandais et suédois nous apprennent des choses. Nous voyons que les politiques à l'échelle nationale et à l'échelle provinciale peuvent encourager des équipes à se former pour pouvoir résoudre les problèmes. En temps réel, ça peut réduire le coût des matières premières pour les fournisseurs et ouvrir les marchés. Nos politiques ne sont parfois pas vigoureusement axées sur la recherche de nouvelles options et, par conséquent, nous ne sommes pas certains de nos priorités. Nous recommandons au Canada de continuer à être un acteur important et à faire preuve de leadership.
L'affectation des ressources pose un défi constant. Personnellement, je recommande au Canada de maintenir cette présence sous la forme d'un vigoureux leadership à l'échelle internationale. Nous avons un excellent secteur forestier et il est essentiel que nous veillions à ce qu'il soit aussi bien ciblé que possible.
Jack Saddler, doyen, Faculté de foresterie, Université de la Colombie-Britannique, à titre personnel : J'apprécie beaucoup cette occasion que j'ai de discuter avec les sénateurs. D'un point de vue universitaire, M. Smith et moi avons le luxe de pouvoir examiner la question dans une perspective à plus long terme, sans la contrainte d'un délai politique lié à la nécessité de se faire réélire. D'un point de vue universitaire et du point de vue de la foresterie, nous examinons la question dans un cadre temporel de 50 ans. Nous espérons que, lorsque les étudiants que nous formons auront 20 ans, ils auront acquis les compétences qui seront pertinentes pour une cinquantaine d'années encore, car la plupart des arbres au Canada vivent une centaine d'années. Une des difficultés auxquelles nous faisons face actuellement, c'est qu'un grand nombre des applications actuelles de la forêt n'étaient pas concevables il y a 20 ans à peine, à plus forte raison, il y a cinquante ou cent ans. Le défi qui se pose à nous, au Canada, c'est de déterminer si nous utilisons sagement cette ressource incroyable.
À l'université, on considère comme un fait établi que notre société moderne repose sur les hydrocarbures comme le charbon, le pétrole et le gaz et que se produit une évolution inévitable axée sur l'utilisation des hydrates de carbone que l'on trouve en agriculture et en foresterie. D'autres témoins ont peut-être fait des observations sur la conversion des produits alimentaires, du combustible, de la fibre, des aliments pour bétail et des engrais (les cinq F), pour lesquels on se livrera une concurrence à l'échelle mondiale. Nous utilisons le bois pour la fibre, mais il sera également utilisé pour faire du carburant. Le Canada a le privilège d'avoir d'abondantes ressources hydriques. D'un point de vue canadien, le passage d'une économie axée sur les hydrocarbures à une économie axée sur les hydrates de carbone prendra un certain temps, mais il est inévitable, car le pétrole et le gaz naturel finiront par s'épuiser alors que la forêt, elle, représente une ressource renouvelable et durable.
À une certaine époque, le Canada était un chef de file mondial sur le plan technologique en matière de pâtes et papiers ou de bois massif, mais un regroupement a eu lieu dans ces secteurs. Les grandes entreprises ont tendance à être finlandaises, suédoises et américaines. La plupart de nos entreprises sont de taille moyenne alors que ce n'est pas l'idéal. Quand on est une petite entreprise alerte, ça va. Quand on est une grande entreprise, on a les ressources nécessaires pour survivre à une récession. C'est d'être entre les deux qui est problématique.
Dans le secteur pétrolier et gazier, il y a les raffineries de pétrole. Les gros produits en vrac sont l'essence ou le diesel, mais ce sont les 2 000 autres produits dont sont dérivés les plastiques, les teintures, et cetera, qui en assurent la rentabilité. Dans le secteur forestier, les principaux produits sont toujours les pâtes et papiers et le bois massif, mais, comme pour les raffineries, nous aurons l'énergie et les produits chimiques. Autrefois, avant le pétrole, on avait les produits résineux. Des arbres, on tirait la térébenthine et d'autres produits chimiques utilisés notamment dans les voiliers.
Nous estimons avoir de la chance dans le secteur universitaire à cause du secteur forestier au Canada. Nous attirons des spécialistes, qui sont parmi les plus brillants, en provenance du monde entier, dont un grand nombre restent ici et enrichissent notre collectif, alors que d'autres retournent dans leur pays.
Un congrès important sur la foresterie s'est tenu à Vancouver la semaine dernière, dont environ un tiers des délégués venaient d'Asie. Les choses changent. Le groupe le plus important venait de Chine, où la forêt n'est pas tellement utilisée pour la fabrication de pâtes et papiers ou pour le bois massif, mais l'est plutôt pour la suppression de la poussière, à savoir pour empêcher la poussière d'atteindre Beijing, et pour la circulation de l'eau. Ce sont là d'autres valeurs des forêts.
Je voudrais faire trois observations. La première est qu'il est inévitable que la bioéconomie se développe, c'est-à-dire que l'on cesse progressivement de dépendre des hydrocarbures; le Canada est bien placé dans ce domaine. Nous avons des secteurs agricole et forestier de calibre mondial. Le modèle forestier actuel est toutefois, comme vous en avez certainement entendu parler, déficient dans la façon de voir le secteur des pâtes et papiers et celui du bois massif. Je pense que nous avons besoin de partenariats. Par exemple, Weyerhaeuser, une grosse compagnie forestière, s'est associée à Chevron, une grande pétrolière. En Finlande, Neste, une grosse société d'énergie, s'est associée avec Stora, une grosse société de pâtes et papiers. Il faut encourager les mariages entre les entreprises pour qu'elles se réinventent.
Comme je l'ai fait remarquer, nous avons un mode de vie enviable et un secteur éducatif très robuste; nous sommes par conséquent capables d'attirer de nombreux experts. Un grand nombre de bioproduits nouveaux, comme ceux que le président vient de montrer, sont l'œuvre de nos diplômés. Nos jeunes diplômés ont formé les PME qui fabriquent ces produits. Nos diplômés, qui sont maintenant âgés d'une trentaine d'années, essaiment leurs entreprises qui fabriquent des produits novateurs ou aident à exporter des produits vers l'Asie.
La deuxième observation que je voudrais faire, c'est que la bioéconomie est inévitable. Nous devons éduquer les Canadiens et attirer ici certains spécialistes parmi les plus doués. Cela se fait dans le secteur médical. En Colombie- Britannique, la moitié des médecins n'ont pas été formés ici; un grand nombre d'entre eux viennent de pays comme l'Afrique du Sud. Pourquoi ne pas faire venir quelques éléments doués pour nous aider dans le secteur forestier?
La troisième observation concerne les partenariats. La réinvention du secteur forestier sera en partie interne, mais elle consistera en grande partie à se mettre à collaborer avec d'autres groupes pour utiliser ces produits. Cette convergence des cinq F est inévitable. Il faut essayer de déterminer quelle serait la bonne façon d'utiliser nos ressources forestières.
Le président : Merci beaucoup, monsieur Saddler.
Avant qu'on ne passe à la période des questions, pourriez-vous rappeler ce que sont les 5 F?
M. Saddler : Les 5 F sont les produits alimentaires, le combustible, la fibre, les aliments — c'est-à-dire les aliments pour bétail — et les engrais. Mes étudiants me recommandent toujours de terminer par le fumier.
Le sénateur Mahovlich : Où nous situons-nous à l'échelle internationale en ce qui concerne la biomasse? Je sais que la Suède, la Finlande et la France utilisent la biomasse et que ces pays sont bien avancés dans ce domaine.
M. Smith : Il y a deux façons de répondre à votre question. L'une, c'est que le Canada ne produit que 5 ou 6 p. 100 de son énergie à partir de la biomasse alors que les pays nordiques en produisent de 20 à 30 p. 100. Pour mettre ces chiffres en perspective, il faut connaître la différence qu'il y a entre les économies de nos pays. Vu sous cet angle, on pourrait dire que nous pourrions faire mieux, et c'est probablement le cas, mais il faut reconnaître que, dans les pays nordiques et au Canada, la plus grosse part de l'énergie produite à partir de la biomasse vient de l'approvisionnement de l'industrie des produits forestiers. Quatre-vingt pour cent de l'énergie que nous tirons de la biomasse vient du transit par la chaîne d'approvisionnement. Tous les résidus de la production primaire, secondaire ou tertiaire, que ce soit la liqueur résiduaire ou d'autres résidus, sont utilisés par l'industrie.
À ce point de vue, le Canada fait assez bonne figure. L'industrie utilise de plus en plus ces résidus au lieu de devoir avoir recours à d'autres sources d'énergie pour satisfaire ses besoins en énergie. La quantité totale d'énergie produite par le Canada par ce transit par le secteur forestier est en fait supérieure à celle produite par la Finlande et la Suède réunies, car notre secteur forestier est très vaste. Nous sommes un acteur important à l'échelle mondiale avec un gros débit dans notre industrie et nous nous appliquons à mettre le plus possible cette situation à profit.
De ce point de vue-là, le Canada fait très bonne figure; par contre, on pourrait se demander quelles possibilités a le Canada de réaliser une plus grande valeur et d'atteindre d'autres objectifs, qu'il s'agisse de bilans carbone ou de répondre aux besoins des économies rurales en développant de nouvelles industries. C'est dans ce domaine que nous avons d'énormes possibilités d'aller de l'avant.
Le scénario du maintien du statu quo signifie que l'industrie a fait tout ce qui était en son pouvoir pour tirer le maximum possible de la ressource qu'elle utilise. Cependant, la possibilité pour le Canada d'être un chef de file mondial et d'être aussi progressiste que possible repose sur l'élaboration de nouveaux modèles de fonctionnement, la restructuration du secteur forestier et la formation de nouveaux partenariats semblables à celui de Weyerhaeuser. Si nous nous y appliquons, nous pouvons devenir des chefs de file de calibre mondial dans ce domaine.
M. Saddler : Les Finlandais produisent maintenant 25 p. 100 de leur énergie totale à partir de la biomasse et leur objectif est d'en produire environ 30 p. 100.
Nous avons été très privilégiés au Canada. En Colombie-Britannique, nous avons déjà de l'électricité verte peu coûteuse grâce à la production hydroélectrique et il est très difficile de concurrencer l'énergie hydroélectrique bon marché. C'est pourquoi la Colombie-Britannique est le plus grand exportateur de granulés de bois à l'échelle mondiale. Je suis toujours étonné que l'on puisse faire de l'argent en vendant des granulés de bois en Scandinavie. Il y a deux raisons à cela. La première, c'est que les Scandinaves paient leur énergie beaucoup plus cher que nous et la deuxième, qu'ils obtiennent des crédits carbone en remplaçant un combustible fossile par un combustible carbone neutre.
Comme on vous l'a probablement signalé dans d'autres exposés, le secteur forestier est maintenant à l'avant-garde des efforts déployés pour cesser d'utiliser des combustibles fossiles en copiant dans une large mesure les initiatives des Scandinaves. Notre potentiel est énorme. De nombreux autres pays comme les pays scandinaves ont de l'équipement qui ne laisse plus beaucoup de déchets dans la forêt, quoiqu'il en laisse assez pour qu'il reste suffisamment de matières nutritives pour assurer la régénération.
Nous ne l'avons jamais fait parce que les facteurs économiques sont tels que nous avons en abondance des matières de qualité peu coûteuses qui valent la peine d'être utilisées. La situation change et nous ne pouvons pas nous permettre de laisser ces matières sur le tapis forestier.
On a dit que le Canada est l'Arabie saoudite de la biomasse, mais on reconnaît que, dans ce domaine, nous devons procéder de façon durable. Nous ne faisons que gratter la surface des ressources disponibles. Ce sera coûteux. Il faut encore des fonds pour extraire ces matières.
Le sénateur Mahovlich : Est-ce que nous surveillons nos forêts adéquatement? Il y a une dizaine d'années, nous sommes allés observer des coupes forestières à Timmins, en Ontario. Elles se rapprochaient beaucoup d'un grand nombre de lacs et détruisaient la pêche dans certains lacs du nord de l'Ontario. Les compagnies sont-elles maintenant plus attentives pour protéger nos forêts?
M. Saddler : C'est le domaine de M. Smith, mais je signale que le Canada est en forme. En ce qui concerne notre gestion forestière durable, nous avons davantage de forêts certifiées par des parties indépendantes que n'importe quel autre pays; par conséquent, votre remarque aurait été exacte il y a une vingtaine ou une trentaine d'années, mais je ne pense pas que ce soit encore le cas.
M. Smith : Je suis de cet avis. C'est pourquoi nous avons tenté de recommander à toutes les parties qui ont des intérêts dans les forêts à se regrouper. Il faut se mettre d'accord sur les normes écologiques que nous tentons d'atteindre, et nos entreprises peuvent le faire. Grâce aux vérifications par des tiers faites dans le cadre du processus de certification et du fait qu'un plus grand pourcentage de nos terres que dans tout autre pays sont certifiées en ayant recours à des systèmes de vérification par des tiers, nous établissons une norme élevée dans ce domaine. Le mécanisme, les pièces et le cadre sont déjà en place. Il s'agit de rendre le système efficace et de s'assurer que les normes reposent sur des bases scientifiques solides. Des personnes raisonnables peuvent ne pas être d'accord entre elles au sujet de certains aspects, mais si nous continuons à dialoguer, nous pouvons résoudre les problèmes. Nous pouvons établir une solide documentation et des données scientifiques vérifiées, sur lesquelles reposeraient ces décisions.
Le sénateur Ogilvie : Monsieur Saddler, vous avez signalé qu'il est essentiel de se mettre à faire intervenir des experts doués pour nous aider avec nos forêts. Ce commentaire m'a frappé. Je faisais partie du conseil consultatif à RNC à Saskatoon, en Saskatchewan, où, si j'ai bonne mémoire, ils étaient les premiers au monde à cloner des conifères. Ils ont essayé d'intéresser l'industrie des produits forestiers au concept de développement d'espèces d'élite. Ils ont échoué dans leur tentative et je pense que la technologie a été vendue à la Scandinavie.
Il me semble que, plutôt que de faire venir des spécialistes pour nous aider à faire le nettoyage des déchets, nous devrions régler le problème que vous avez signalé à propos de la taille de notre industrie.
D'après mon expérience personnelle, sauf dans le secteur des pâtes et papiers où on a fait beaucoup de recherche soutenue par des investissements de l'industrie et de l'État, dans le secteur forestier, nous avons remarquablement négligé d'envisager de l'innovation et du développement à court et à long terme.
Je crains que nous en arrivions à un stade où on cherche à attirer des experts doués pour régler le problème de nos déchets alors que nous n'aurons pas été capables de développer ou d'adapter la technologie que nos propres experts ont mise au point pour développer des espèces d'élite.
Je voudrais maintenant parler de la biomasse en général. D'après le document que vous nous avez remis, nous pouvons constater que, dans un climat comme le nôtre et étant donné la façon dont notre forêt s'est développée, en utilisant une forêt comme source de biomasse pour la transformation en biocarburant, nous envisageons l'utilisation efficace des résidus à des fins secondaires qui pourraient être, dans certains cas, la conversion en biocarburants. En fin de compte, d'après la description que vous faites de l'utilisation de la cellulose pour produire de l'éthanol, et cetera, nous examinons les possibilités de développement cellulaire de matières premières biologiques. Les cellules des arbres n'ont aucune possibilité de faire concurrence à des microorganismes pour la production de biopolymères, et cetera, ce à quoi on consacre actuellement beaucoup d'énergie intellectuelle pour tenter d'adapter des organismes cellulaires en vue de la production rapide des matières qui peuvent être utilisées pour produire des biocarburants.
Pourriez-vous dire si vous estimez qu'on utilise de façon efficace, là où c'est pertinent, ce qu'on considérait comme des résidus de biomasse de la forêt? Est-ce qu'on les utilise, comme on le voit maintenant dans certains développements et tel que mentionné dans votre document, dans un secteur d'exploitation qui est pratiquement un créneau? Nous avons de vastes forêts, mais avec des créneaux régionaux bien délimités. Est-ce qu'on en fait une utilisation efficace plutôt que de considérer notre vaste ressource forestière comme une source de biocarburant?
M. Smith : C'est une question intrigante. Vous avez couvert beaucoup de sujets. Je voudrais essayer de répondre directement à votre question.
Vous décrivez une distinction importante entre l'adoption d'une perspective relativement primaire en ce qui concerne cette vaste ressource et la recherche de possibilités d'utilisation plus efficace, plus ciblée et plus innovatrice en faisant peut- être davantage preuve d'ingéniosité pour en tirer le maximum de valeur. Nous recommanderions sans aucun doute de cesser d'envisager, comme vous le faites, l'usage plutôt grossier de cette vaste ressource en puissance qui produirait et utiliserait ces matières d'une façon qui produit relativement peu de valeur, autrement dit comme une simple source d'énergie, en la mettant dans la chaudière et en la brûlant, par exemple. Ce n'est certainement pas la voie que nous recommanderions de suivre; nous recommanderions plutôt d'envisager la bioéconomie, dans laquelle on pourrait tirer le maximum de valeur de la fibre et des composantes utilisables dans le contexte d'un plan d'optimisation. On peut davantage penser à la chaîne d'approvisionnement en termes de chaîne de valeur en se demandant comment tirer le maximum de valeur des matières qui poussent dans nos paysages. Si nous pouvions convenir que la société en tirerait le maximum, de toutes les façons que nous envisageons, ce serait un bon point de départ.
Le terme qui se dégagera de ce processus sera la bioéconomie. De nouvelles études tentent de trouver la valeur la plus ingénieuse sur le plan commercial et la plus élevée dans diverses mesures sociales que cette fibre nous permettrait de prendre. C'est la voie que je recommanderais définitivement de suivre et ce vers quoi doivent tendre nos efforts. Il faut proposer de nouveaux modèles opérationnels et former des équipes chargées de résoudre les problèmes de façon créative.
À bien des égards, on peut considérer que ça pose un défi à l'industrie actuelle qui est dépendante de ce que produisent une certaine gamme de composantes de la forêt. Si l'on pouvait amener les intervenants à prendre conscience du fait qu'ils pourraient générer une plus grande valeur, on pourrait commencer à voir des activités intégrées, à partir du noyau que forment les installations existantes. Cette bioéconomie et le concept de bioraffinerie mentionné par M. Saddler est quelque chose que nous prévoyons qu'il serait peut-être possible d'établir à partir de différents centres d'excellence industrielle, du secteur même.
Sur quoi seront axés les investissements et quels modèles de fonctionnement sont susceptibles d'aller de l'avant? Je ne sais pas si vous avez discuté avec Don Roberts de la CIBC. Avec son équipe, il commence à avoir une idée des secteurs où le rendement de l'investissement serait le plus élevé. Leurs études brossent un portrait du rendement d'une combinaison de produits traditionnels. Elles indiquent où on pourrait ajouter de nouvelles opérations et synthétiser de nouvelles matières. On commence à avoir l'impression que les chaînes d'approvisionnement que nous avons établies sont des chaînes sur lesquelles il faut s'appuyer. Ce qu'il faut éviter, c'est d'adopter une perspective relativement maladroite axée sur l'exploitation des ressources pour avoir des matières premières donnant un rendement relativement faible alors qu'on peut déjà produire de l'hydroélectricité à 3 cents le kilowatt/heure; il faut donc permettre cette nouvelle approche. Il faut calculer des façons de trouver les investissements nécessaires. D'où viendront les investisseurs et où penseront-ils que les rendements seront importants? Ça pourrait aider à développer le concept dont vous avez fait mention.
M. Saddler : Vous avez abordé trois sujets, si je vous ai bien compris, et l'un d'entre eux concerne la formation.
Je n'ai pas d'antécédents en foresterie. Comment ai-je fini par devenir doyen de la Faculté de foresterie? Ça, c'est une longue histoire. Ce qui m'a frappé en ce qui concerne le travail dans le secteur forestier, c'est que le dirigeant d'une scierie a un diplôme de foresterie mais pas un diplôme d'ingénieur. J'ai découvert que cette situation est liée en partie au nombre de personnes de ce groupe qui ont en fait de l'instruction. De nombreux travailleurs que j'ai connus étaient d'excellents travailleurs et avaient acquis de bonnes compétences mais n'avaient pas fait d'études de niveau supérieur.
Un des problèmes qui se posent actuellement, c'est que les utilisateurs naturels de la bioénergie, par exemple, sont en fait les producteurs forestiers. On peut envisager par exemple d'adopter une technologie qui permette, au lieu d'utiliser du gaz naturel, de gazéifier la biomasse, mais bien des producteurs n'ont pas les compétences techniques nécessaires pour l'utiliser. Par contre, dans des régions comme l'Europe, et notamment en Scandinavie, les personnes qui dirigent les scieries ont immanquablement une maîtrise en génie ou une formation équivalente.
Par conséquent, je pense qu'un des problèmes, c'est que, dans le secteur forestier actuel, les compétences techniques nécessaires manquent. À l'université, nous avons essayé d'investir dans certains programmes. L'Université de la Colombie-Britannique a maintenant un programme de génie du bois. Si vous aviez 18 ans et faisiez des études d'ingénieur avec l'idée de travailler dans l'industrie des produits chimiques ou dans celle des produits forestiers, laquelle choisiriez-vous toutefois?
La deuxième observation concernait la technologie végétale de RNC, avec la génomique. Un des problèmes qui se posent dans notre fédération est lié au parage fédéral-provincial des pouvoirs. En Colombie-Britannique, il y a un vaste secteur forestier qui réinvestit dans la forêt. Notre province utilise toutefois les primes, à savoir les droits de coupe, pour financer l'éducation et la santé. Je trouve que nous ne réinvestissons pas dans l'oie d'or qui nous donne cet œuf d'or.
À bien y réfléchir, nous avons de la biologie moléculaire de niveau mondial, avec les arbres. S'il s'agissait toutefois de propriété privée, on investirait dans cet arbre supérieur, car il est payant, mais ce serait une entreprise à long terme. Je pense que le problème, c'est que les provinces ne réinvestissent pas dans la ressource. L'ironie est que nous investissons des sommes considérables pour tenter d'éteindre les feux de forêt au lieu d'investir dans ces arbres supérieurs.
J'ai une dernière remarque à faire au sujet des résidus. Je pense que vous avez raison : ce qui est intéressant dans la terminologie utilisée, c'est que plus personne n'appelle ça des déchets, car nous sommes conscients qu'ils ont de la valeur. On parle maintenant de « résidus » plutôt que de « déchets ». Il suffit d'examiner l'histoire du secteur forestier canadien pour savoir ce qui se produira inévitablement. Autrefois, on se contentait d'abattre un arbre, de faire un deux par quatre et de jeter le reste. Avec le bioraffinage, nous chercherons à en tirer le maximum de valeur. Le mobilier est à peu près la valeur la plus élevée que l'on puisse obtenir. Il suffit d'examiner la chaîne de valeur. L'énergie est probablement la dernière chose à produire, car nous avons toute cette belle matière structurelle que la nature nous a donnée. On l'utilise pour fabriquer des meubles, faire des pâtes et papiers et produire du bois massif. Compte tenu des coûts environnementaux, il est inévitable qu'on fasse davantage usage de ces résidus. C'est intéressant, car il y a une dizaine ou une quinzaine d'années, on appelait cela des déchets. Personne n'appelle plus cela ainsi.
Le sénateur Robichaud : Nous avons entendu des commentaires au sujet de la biomasse et de la bioénergie et de sa production. Dans certains cas, nous ne l'utilisons pas. Vous avez signalé que nous produisions beaucoup de granulés de bois en Colombie-Britannique et qu'ils sont utilisés dans d'autres pays. Au Canada, on importe du charbon pour produire de l'électricité au Nouveau-Brunswick, et probablement aussi en Ontario. Pour une raison ou pour une autre, nous n'arrivons pas à produire le combustible nécessaire pour ces centrales.
Je voudrais vous rappeler que, lorsqu'on brûle de la biomasse, on brûle du bois et on produit des gaz à effet de serre. Je pense qu'il serait utile que vous fassiez également quelques observations à ce sujet-là.
Quelle est la nature du problème? Faut-il aller de l'avant avec les crédits carbone pour que ce type de combustible devienne économique pour ces centrales ou existe-t-il d'autres possibilités?
M. Saddler : Le gros avantage avec la biomasse, c'est que la capture du carbone libéré n'est que toute récente. En gros, pour la croissance des végétaux, il faut la lumière du soleil, du dioxyde de carbone et de l'eau et ça produit la biomasse. En fait, le carbone n'est pas le carbone qui est capturé dans le charbon ou dans le pétrole depuis des millénaires; ce carbone circule continuellement. On ne libère pas de carbone supplémentaire. C'est l'analyse du cycle de vie. De nombreux travaux ont été faits dans ce domaine.
C'est lié à votre deuxième question. Nous utilisons la forme d'énergie la moins coûteuse. Le charbon est bon marché comparativement à la plupart des autres formes d'énergie. C'est la raison pour laquelle les pays européens tentent d'égaliser le terrain avec la taxe sur le carbone. La seule façon d'égaliser le terrain, c'est de prendre en considération le coût environnemental. Un des rapports britanniques, publié il y a environ trois ans, appelé Stern Review, a examiné le coût du changement climatique. Il indique quel est le coût, que ce soit sous la forme d'inondations ou de tempêtes de glace, si nous n'agissons pas.
Je pense que la seule possibilité d'en faire une politique, c'est d'éduquer la population et de la prévenir dès le début qu'il sera toujours plus coûteux d'utiliser la biomasse. J'utilise à nouveau l'exemple des granulés. Comment les Suédois ont-ils les moyens d'acheter des granulés de bois à la Colombie-Britannique? Leur énergie est plus coûteuse et la société suédoise ou la compagnie d'électricité fait payer davantage que chez nous pour l'énergie. On y a fait un choix en matière de politique et on a établi une taxe sur le carbone, si bien que l'on peut utiliser les granulés de bois qui ne libèrent pas de carbone fossile.
Un catalyseur de politique est essentiel, mais il faut s'assurer que l'on ne fait pas les mauvais choix politiques sinon, on risque de tout bousiller.
Le sénateur Robichaud : Quel serait un mauvais choix en matière de politique?
M. Saddler : Un bon exemple, c'est d'essayer de légiférer dans certains domaines. Mon domaine de recherche est la fabrication d'éthanol cellulosique. Les États-Unis s'étaient fixé l'objectif de produire une quantité déterminée d'éthanol cellulosique pour une date précise, mais la technologie nécessaire pour atteindre cet objectif n'existait pas. Par conséquent, tout le monde a paru ridicule et on s'est demandé pourquoi on avait fixé cet objectif alors qu'on n'était pas capable de l'atteindre.
On peut parfois adopter une politique bien intentionnée, mais je pourrais citer de nombreux cas où cela a dévié. Il faut être prudent. Par exemple, dans le secteur des pâtes et papiers, on émet de fortes réserves, à savoir que si on instaure une taxe sur le carbone, tous les copeaux de bois utilisés pour la fabrication des pâtes et papiers seront utilisés pour la bioénergie; le secteur des pâtes et papiers aura alors encore plus de difficulté à survivre.
M. Smith : On connaît de nombreux cas où les bonnes intentions pourraient peut-être produire des instruments boiteux. Je crains un peu qu'on essaie de compenser la quantité de charbon que nous utilisons au moyen de la biomasse. À mon avis, c'est une façon primaire de procéder et ça rejoint peut-être la question posée tout à l'heure par le sénateur Ogilvie. Est-ce que nous considérons cela seulement comme une vaste ressource à exploiter, avec de grands besoins pour la production d'énergie et d'énormes quantités de matières premières, ou faut-il laisser le marché et des méthodes d'utilisation innovatrices déterminer la voie à suivre?
Il faut être prudent pour s'assurer que l'échelle est appropriée pour l'utilisation de cette fibre comme matière première. Alimenter des centrales de plusieurs centaines de mégawatts avec de la biomasse, c'est en fait résoudre certains besoins énergétiques importants que l'on a à l'échelle nationale en utilisant un mélange d'outils. Il est important qu'il s'agisse d'un mélange.
On peut envisager une possibilité de réduire nos émissions de carbone. On pourrait imaginer des possibilités de réduire le degré d'utilisation des combustibles fossiles, voire du charbon. La recherche d'une solution fondée uniquement sur l'utilisation de la biomasse n'est toutefois peut-être pas la meilleure façon de procéder. C'est alors que des idées et des politiques bien intentionnées pourraient avoir des effets pervers.
L'exemple américain en est un excellent. Les Américains avaient l'intention d'accroître leur sécurité d'approvisionnement en combustible; ils voulaient réduire leurs émissions et ils se sont rendu compte qu'ils avaient dans le secteur agricole une vaste ressource qui leur permettait de le faire. Leur initiative a toutefois eu en fin de compte des retombées négatives alors qu'on aurait pu résoudre le problème autrement.
Le même défi se pose lorsqu'on veut déterminer quelles contributions nos secteurs agricole et forestier peuvent apporter, par exemple comment de petites collectivités dépendantes de la forêt comme Timmins, Cochrane et Sault Ste. Marie satisfont leurs besoins énergétiques par rapport à la demande que pourrait représenter une ville comme Toronto pour le réseau électrique. Il faut être prudent lorsqu'on examine ce secteur et trouver des solutions innovatrices pour obtenir la valeur maximale dans le contexte de cette bioéconomie, en voulant compenser notre utilisation de combustibles fossiles et nos émissions de carbone.
Il existe toujours des méthodes que le marché peut mettre à profit pour produire des solutions innovatrices et d'autres qui pourraient peut-être apporter des solutions boiteuses et avoir des effets pervers. Ce sont là en tout cas quelques facteurs à prendre en compte lorsqu'on envisage le recours à différents instruments pour atteindre l'objectif de la réduction des impacts de l'utilisation que nous faisons des combustibles fossiles.
Le sénateur Robichaud : Nous devons faire quelque chose pour briser le cercle vicieux. Nous sommes peut-être trop timides, mais nous ne voulons pas être trop audacieux; nous continuons par conséquent à tourner en rond. J'espère que le rapport du comité contiendra des recommandations concernant la promotion de l'utilisation des résidus des forêts et de l'agriculture. Je suis conscient du fait que, dans certains cas, cela peut être difficile, compte tenu des mesures incitatives du gouvernement fédéral et du contrôle que les gouvernements provinciaux ont de la ressource, mais il faut faire quelque chose.
Vous avez parlé de bioraffinage. Où en est-on dans ce domaine? La technologie est connue, mais nous n'en avons pas encore fait grand usage.
M. Saddler : Elle est déjà en place dans certains pays. Nous continuons malheureusement à parler du modèle scandinave, mais en Finlande, en Suède ou en Autriche, il existe une culture du bois visible dans tout, depuis l'ameublement jusqu'aux habitations. J'ai pris comme exemple une raffinerie de pétrole où les principaux produits en vrac sont l'essence et le diesel, mais où il y a également 2 000 autres produits. À la forêt est liée une culture sociale et écologique, comme la cueillette des champignons dans la forêt. Les Scandinaves ont poussé cette culture plus loin et ont inclus les meubles, les pâtes et papiers, l'énergie et les produits chimiques. Je rappelle le partenariat entre Stora, la compagnie de pâtes et papiers de renommée mondiale, et Neste, formé pour créer de l'énergie diesel à partir de la biomasse. Ça se fait donc dans certains pays. Le marché décide si l'on va utiliser un arbre pour faire un meuble et presque tous les types d'énergie sont produits à partir de résidus. Les Scandinaves investissent dans le développement d'un peuplier à croissance rapide, en pensant à la valeur qu'ils peuvent tirer de la terre. Le temps de croissance des conifères est trop long et, par conséquent, ils font pousser des peupliers et produisent le plus de biomasse possible.
Je m'excuse pour la longueur de ma réponse, mais le bioraffinage existe dans certaines régions et nous avons la chance d'avoir cette vaste masse terrestre et des quantités d'eau. C'est facile de copier les autres, mais nous pourrions être innovateurs et apporter notre touche personnelle au bioraffinage.
M. Smith : J'espère que nous pourrons nous mettre d'accord sur ce besoin d'agir et d'élaborer des solutions en temps réel. En ce qui concerne les éventuels effets pervers, nous pouvons apprendre et les éviter, afin de pouvoir réaliser le potentiel et de mettre le marché au travail. Ainsi, nous pourrons nous assurer qu'il y a des incitatifs pour réduire les émissions de carbone et identifier clairement des moyens d'aller de l'avant qui amèneront de nombreux changements. Nous devons mettre nos méninges et notre économie au travail pour y arriver à court terme.
[Français]
Le sénateur Rivard : Vous avez parlé des granules de bois. Au cours des dernières semaines, nous avons eu l'occasion de rencontrer des producteurs de granules de bois. Je crois qu'ils nous ont convaincus de leurs bienfaits.
Croyez-vous sincèrement qu'il y a un avenir pour cette biomasse, qu'il s'agisse de chauffage résidentiel, commercial, institutionnel? Le gouvernement pourrait-il avoir des programmes incitatifs, soit des projets pilotes ou des subventions au transport? Nous savons qu'un des obstacles au développement des granules de bois relève des coûts de transport.
[Traduction]
M. Saddler : J'ai tendance à voir les granulés sous deux angles, le premier étant celui des transports, afin de faire circuler la biomasse; c'est un des domaines de recherche que mon groupe a examinés dans le cadre du développement de la bioéconomie. Une raffinerie de pétrole est quelque chose de très gros, comme nous pouvons le constater avec BP, dans le golfe du Mexique. Le pétrole est acheminé par oléoducs et transporté dans de gigantesques pétroliers. Une bioraffinerie ressemblera davantage à une usine de pâtes et papiers qu'à une raffinerie de pétrole. La logistique du transport de la biomasse est très différente, car on ne peut pas souffler les granulés à travers un tuyau. Il faudra les transporter par camion ou par bateau; par conséquent, ça ressemblera davantage à une grosse usine de pâtes et papiers. L'eau représente la moitié du poids d'un copeau de bois, à partir duquel nous fabriquons normalement le papier. On ne tient pas à transporter de l'eau à travers le monde et, par conséquent, l'industrie du granulé est une méthode qui permet de densifier la biomasse pour pouvoir la transporter sur de grandes distances, de la Colombie-Britannique vers la Suède, par exemple.
La deuxième façon de penser en ce qui concerne ces granulés, c'est que, lorsqu'on a le granulé, on peut le brûler directement ou le mélanger à du charbon, ce qui représente une faible valeur pour ce granulé. On peut aussi le considérer comme une source chimique, en grande partie comme on le fait pour le pétrole, à partir duquel on produit des plastiques. La densification de la biomasse sous la forme de granulés est nécessaire pour pouvoir le transporter à travers le monde. Si on ne peut rien en faire d'autre, il faut le brûler et récupérer l'énergie avec les crédits de carbone. C'est une bonne matière première par rapport aux autres types de produits chimiques que l'on tire du pétrole. Nous savons que nous pouvons le brûler — nous avons la technologie nécessaire —, mais nous pourrions aller plus loin à partir de ce point de départ. Des entreprises chimiques comme Dow et DuPont ont commencé avec le pétrole et ont déterminé ce qu'on pouvait en tirer. Nous avons le granulé et devons par conséquent nous demander ce que nous pouvons en tirer.
C'est une opinion personnelle. Nous avons un gros potentiel avec l'expansion rapide de l'industrie des granulés de bois, mais il ne faudrait pas se contenter de les utiliser comme combustible.
M. Smith : Je suis d'accord avec les observations de M. Saddler. L'automne dernier, quand j'étais à Liège, en Belgique, j'ai vu plusieurs barges remplies de granulés de bois de la Colombie-Britannique destinés à alimenter une centrale au charbon convertie. Je n'ai pas pu m'empêcher de me gratter la tête. On prend des arbres en Colombie- Britannique, on les fait passer à la scierie pour les transformer en granulés que l'on expédie à travers le monde. Les granulés sont ensuite pulvérisés et soufflés comme le charbon pulvérisé. Après tout ce travail pour livrer les granulés, il faut « dégranuler » la biomasse. Ça nous fait réaliser le volume du processus. En Ontario, il faudrait utiliser 3 millions de tonnes de granulés par an pour compenser l'utilisation du charbon brûlé dans les deux centrales de la province. C'est à une échelle énorme.
Les principes sur lesquels reposent les commentaires de M. Saddler sont qu'il faut laisser faire les marchés et qu'il faut permettre à cette matière d'atteindre sa valeur maximale pour la société. Quand on réfléchit aux mesures incitatives, il faut déterminer les objectifs que l'on veut atteindre et se demander quelles sont les valeurs que ces incitatifs pourraient essayer d'optimiser.
Je recommande la prudence, car c'est une question de fondement. Quels objectifs essayons-nous d'atteindre pour notre économie? Comment créerons-nous des emplois? Comment le Canada tirera-t-il la valeur maximale des matières premières qu'il produit plutôt que de les laisser à d'autres pays, lorsque leur valeur est relativement faible, pour qu'ils les utilisent?
Les marchés fonctionneront de façons différentes et intéressantes. J'ai examiné les résultats de l'analyse de Don Robert concernant les activités qui pourraient être très rentables. L'hypothèse de cette forte rentabilité des granulés pour le chauffage en Ontario reposait sur le fait que la province était probablement disposée à payer 200 $ la tonne pour ce produit. Elle voulait faire de la surenchère par rapport aux Européens. Ça retarde l'échéance d'une stabilisation probable du marché. Si l'on voulait observer ce marché en train de se développer, à long terme, on verrait probablement la rentabilité relative de cette opération glisser au bas de la chaîne de valeur alors que la concurrence pour cette fibre évolue.
Pour en revenir aux principes de base, l'idée de la densification d'une matière première est cruciale, pour la chaîne d'approvisionnement en tout cas. Quand on se demande comment optimiser toute cette matière produite dans la forêt, il faut toutefois reconnaître que les granulés sont faits de bois blanc, de matière de haute qualité. Ils ne sont pas faits de résidus de récolte en bordure de route. On ne veut pas de l'écorce ni du feuillage; on veut le bois blanc. Il faut reconnaître que, dans certains cas, c'est dans le haut de gamme de la biomasse que la forêt produit. Il faut être prudent lorsqu'il s'agit de déterminer où placer des mesures incitatives.
Les granulés sont peut-être une source importante de combustible pour les écoles, les hôpitaux et les résidences, pour les utilisateurs qui ne sont pas soumis aux exigences de qualité élevée des chaudières au charbon pulvérisé dans lesquelles il faut obligatoirement utiliser des granulés de bois blanc qui sont pulvérisés et soufflés. J'ai vu de petits foyers à granulés dans les écoles suédoises. Les granulés ne doivent pas être pulvérisés pour les utiliser, ce qui coûte davantage et utilise plus d'énergie pour les mettre sous une forme utilisable. On y utilise des granulés faits de matières de relativement faible valeur pouvant contenir de l'écorce, du feuillage et du bois sans traitement, de façons qui répondent à leurs besoins en énergie.
J'aimerais beaucoup avoir un poêle à granulés chez moi. Les poêle en pierres de savon sont absolument fantastiques.
Il faut être prudent lorsqu'il s'agit de décider comment on veut laisser le marché fonctionner, pour savoir quels sont nos objectifs à long terme et comment cette économie pourrait se développer en fonction de ces objectifs.
[Français]
Le sénateur Rivard : Est-ce qu'il se pourrait que la barge de granules que vous ayez vue à Liège, en Belgique, et qui provient de Colombie-Britannique, ait été composée de granules faites à partir du bois atteint de la maladie de l'arbre qui est typique à la Colombie-Britannique? Ou pensez-vous plutôt que c'est une biomasse qui provient des arbres sains?
[Traduction]
M. Smith : J'essaierai de deviner et M. Saddler pourra m'épauler.
Je présume que les granulés que j'ai vus venaient des usines de Williams Lake et d'autres usines de production. Il s'agissait peut-être d'arbres morts, mais c'était en tout cas un produit de grande valeur. La sciure et les copeaux provenant des grumes de sciage étaient incorporés à ces granulés. Ça représentait l'utilisation de cette matière résiduelle du secteur des produits forestiers. Compte tenu de l'organisation de la chaîne d'approvisionnement dans cette ville, il n'y avait pas d'utilisation de plus grande valeur pour cette matière. Le marché faisait son œuvre et c'est ainsi que la matière était expédiée là-bas. Je pense que c'est ce type de fonctionnement qui produisait le bois servant à fabriquer ces granulés.
M. Saddler : C'est une bonne question. Les granulés sont faits en grande partie avec du pin Lodgepole tué par le dendroctone. Ce sont des arbres qui sont déjà morts et que l'on abat le plus rapidement possible avant qu'ils ne se désagrègent. On ne les utilise pas pour du bois structurel ou pour de la pâte à papier. Presque tous les granulés qui sont exportés proviennent d'arbres tués par le dendroctone et il s'agit en majeure partie de résidus de scieries. On fait actuellement des recherches pour trouver des méthodes d'utilisation de l'écorce, c'est-à-dire de l'autre matière. La fabrication des granulés est basée sur de nombreuses données scientifiques. S'il contient trop d'aiguilles ou trop d'écorce, le granulé ne tiendra pas bien.
C'est probablement exact. Je parie que tous les granulés que nous avons vus sur des barges en Belgique étaient faits avec des pins de la Colombie-Britannique tués par le dendroctone.
Un des espoirs de l'industrie actuelle, c'est qu'on puisse fabriquer des granulés avec de l'écorce, avec des aiguilles et avec d'autres déchets et qu'on puisse garder tout le bon bois pour fabriquer des meubles. Le marché réglera probablement tout cela comme il l'a fait pour le pétrole. Il y a des compagnies qui produisent de l'énergie, comme Exxon Mobile, et des entreprises comme Dow et DuPont qui fabriquent des produits chimiques. Ce sera la même chose pour le bioraffinage.
Le sénateur Mercer : J'ai deux questions à poser et un commentaire à faire.
Je voudrais poser d'autres question sur le granulé de la Colombie-Britannique, qui est exporté vers la Suède et la Belgique. Ça m'intéresserait de savoir comment il est acheminé de la Colombie-Britannique vers l'Europe. Je représente la Nouvelle-Écosse, qui est beaucoup plus proche de la Suède et de la Belgique que les ports de Vancouver et de Prince Rupert. J'espère que la réponse est que le granulé est transporté à travers le pays, puis transbordé par le port de Montréal ou par le port d'Halifax. Ce n'est peut-être pas le domaine dans lequel vous êtes spécialisés, mais nous cherchons à faire du commerce.
Est-ce que nous maintenons, utilisons et exploitons convenablement notre infrastructure intellectuelle dans le secteur forestier? Fait-on du développement et du recrutement?
Nous continuons à discuter des granulés de bois et du développement du secteur du bois d'œuvre. Dans l'Est du Canada cependant, où se trouve la plus grosse partie de cette industrie, c'est dans le secteur des pâtes et papiers que se pose un problème. Notre industrie connaît de graves difficultés. Nous sommes sujets à la concurrence de l'Amérique du Sud où l'on peut faire pousser des arbres beaucoup plus rapidement que chez nous et où les coûts de la main-d'œuvre sont beaucoup plus bas.
Comment faire pour réoutiller le secteur des pâtes et papiers de façon à atteindre deux objectifs : le premier, c'est de maintenir les emplois dans les bois et le deuxième, de maintenir les emplois dans les usines ou les scieries?
M. Saddler : Nous n'acheminons malheureusement pas les granulés à travers le pays. Ils partent de Prince Rupert et de Vancouver par bateau, en empruntant le canal et sont transportés directement à destination de la Suède. C'est dû en partie à la manutention. Toutes les étapes de la manutention du bois nécessitent un gros investissement. Je pourrai vous donner des informations plus complètes plus tard, mais les granulés ne sont malheureusement pas transportés à travers le pays. Par bateau, on expédie au volume alors que par chemin de fer, c'est au poids.
Je suis très préoccupé au sujet de la capacité intellectuelle dans le secteur forestier. Les écoles de foresterie traditionnelles ont des difficultés à attirer des élèves. Elles ferment certains programmes en raison du nombre réduit d'inscriptions. Pour réinventer le secteur, il sera nécessaire de faire venir des personnes très intelligentes.
J'utiliserai à nouveau la Finlande comme point de comparaison. On nous demande souvent d'être des examinateurs externes pour des étudiants qui font leur doctorat. J'ai rencontré une jeune femme qui, alors qu'elle avait fait son doctorat en génétique des arbres, a été engagée par Nokia. Pourquoi est-elle allée dans le secteur des télécommunications avec toute cette formation en foresterie? La réponse est la suivante : nous cherchons des experts. On constate que le secteur forestier doit faire concurrence aux autres secteurs pour trouver des spécialistes, à l'instar du secteur des télécommunications et d'autres secteurs. Je n'ai pas de réponse, mais je crains que le problème soit dû en grande partie au nombre insuffisant d'experts dans le secteur forestier.
En ce qui concerne les pâtes et papiers, je reviens également à la Finlande. Nous sommes mieux placés que la Finlande avec nos forêts. Les Finlandais sont maintenant un intervenant de calibre mondial dans le secteur des pâtes et papiers et ils ont investi en Amérique du Sud. On en revient au problème que les entreprises canadiennes dont la taille se situe entre les deux. Les entreprises finlandaises ne sont pas toujours de grosses entreprises et certaines sont même petites. Elles sont seulement plus souples.
C'est probablement dans l'Est du Canada que le modèle de la bioraffinerie sera le plus rapidement opérationnel. Le problème qui se pose, c'est que la production de pâte mécanique, dont on se sert pour le papier journal, diminuera. Dans les universités, on ne travaille plus avec du papier; tout est électronique. Nous aurons encore besoin de papier pour les emballages et pour de nombreux autres usages. L'exemple que j'utilise est celui des pinces à cheveux. On n'en utilise plus maintenant; on se sert de gels et d'autres produits de coiffure. Il y a certains produits qu'on n'utilise plus.
M. Smith : La situation dans le milieu universitaire nous préoccupe. Si l'on veut attirer les personnes les plus douées pour résoudre ces problèmes dans le secteur forestier, ça pose un problème qui nécessite des discussions ciblées. Nous avons eu de bonnes discussions. La semaine dernière, M. Saddler a accueilli les participants à l'International Symposium on Forestry Education à l'Université de la Colombie-Britannique, et c'était bien fait. Le commentaire instructif était toutefois que les institutions universitaires discutent entre elles, mais qu'elles ne sont pas nécessairement engagées dans le secteur de façons qui permettraient de résoudre les problèmes. Nous sommes préoccupés au sujet de cette situation.
Il est clair que certaines entreprises continueront à décliner; par conséquent, c'est ridicule de vouloir les renflouer. Il est également clair, d'après les études, que certaines des usines thermomécaniques de fabrication de pâte à papier, à partir de bois de feuillu ou de bois de résineux, resteront probablement concurrentielles à long terme. Si l'on s'appuie sur ces usines de pâtes et papiers pour créer des bioraffineries, celles-ci deviendront probablement très concurrentielles.
Il faut prévoir que certains investissements de capitaux seront plus rentables que d'autres. Aussi brutal que ça puisse paraître, il faut être disposé à reconnaître que certaines activités auront de la difficulté à être concurrentielles à l'échelle mondiale alors que d'autres pourront tirer profit de la qualité de la fibre que nous produisons; nous devons reconnaître que ces marchés sont ceux qui ont un bon rendement, alors que les usines de papier journal auront de la difficulté à survivre.
Le sénateur Eaton : Monsieur Smith, je reconnais que nous devons laisser le marché trouver l'équilibre entre la biomasse, le charbon et l'énergie hydroélectrique. En écoutant les commentaires des différents témoins intéressants et érudits que nous avons accueillis, nous avons appris que le bois a un merveilleux avenir dans les bioproduits et dans les produits pharmaceutiques. Il semblerait toutefois que ce soit un thème récurrent : pourquoi est-ce qu'on ne discute pas d'une façon générale du bois sur le marché comme d'un produit vert? Quand on pense à ce qu'on a déjà fait pour détruire les paysages au Québec et en Ontario, avec les parcs d'éoliennes, ce type de conversation serait d'actualité, mais personne ne parle du bois. Ce sujet n'a pas été intégré aux conversations politiques et certainement pas à l'échelle provinciale. Il ne fait pas partie des conversations dans les cafés-bars. Et pourtant, nous avons du bois en abondance.
Quand vous discutez avec des jeunes pour les attirer dans les facultés de foresterie, le bois est-il toujours décrit comme ce merveilleux produit vert que nous avons en abondance?
M. Smith : Nous partageons sans aucun doute votre enthousiasme et nous nous appliquons à trouver des possibilités de dépeindre cette merveilleuse matière que l'on fait pousser comme une matière permettant de réaliser des idées novatrices. J'ai été très heureux d'entendre l'exposé fait en Colombie-Britannique par votre sous-ministre, qui a expliqué que la province commençait à exposer clairement les usages que l'on peut faire du bois dans les structures. Des modifications sont apportées au Code du bâtiment. Même en Chine, on voit des édifices à structure de bois de jusqu'à six étages, qui répondent aux normes du bâtiment. Il faut s'assurer que nous ayons un impact là où l'on prend ce type de décisions; le bois présente incontestablement d'énormes avantages par rapport à de nombreux autres matériaux.
Le sénateur Eaton : Oui, mais il semblerait que le sujet ne fasse pas partie des discussions générales. Dans les quotidiens, il n'est jamais question du bois. L'industrie forestière n'a-t-elle pas fait son travail?
M. Smith : Pour être aimable avec tout le monde, je dirais qu'il faut s'atteler tous à la tâche et le faire.
Le sénateur Eaton : Nous cherchons à obtenir des recommandations précises que nous pourrons intégrer à un rapport et présenter au gouvernement.
M. Smith : C'est une remarque importante.
M. Saddler : C'est une excellente observation. Si l'on examine les statistiques concernant l'usage de l'énergie à l'échelle mondiale, il y est un peu question d'énergie renouvelable. La plupart des gens ont tendance à penser que l'énergie hydroélectrique représente la plus grosse partie de l'énergie renouvelable. En fait, la bioénergie représente plus que tous les autres types d'énergie réunis, plus que l'énergie hydroélectrique ou l'énergie solaire. Un problème d'éducation se pose. On considère notamment que c'est un secteur d'une faible technicité. Une éolienne semble relever plus de la haute technologie que la combustion efficace de la biomasse.
Le sénateur Eaton : Oui, ça dégrade le paysage.
M. Saddler : C'est incontestablement une question de perception. La biomasse est considérée comme un secteur à faible technicité.
Le sénateur Eaton : Ce n'est pas une façon efficace de produire de l'énergie.
M. Saddler : C'est une excellente remarque. J'ai participé à une conférence sur l'énergie renouvelable au Danemark à laquelle la ministre danoise de l'Environnement a déclaré que la fleur nationale du Danemark est l'éolienne. Elle expliquait que l'éolienne est partout.
Ce qui est impressionnant en ce qui concerne le Danemark, ce n'est pas tellement qu'environ 25 p. 100 de son énergie est produite par les éoliennes mais plutôt que c'est le plus gros exportateur d'éoliennes. Le Danemark produit l'énergie, mais conçoit aussi les éoliennes et les distribue sous licence à la Chine.
Nous sommes l'Arabie saoudite de la biomasse. Le public ne se rend pas compte à quel point elle est propre. C'est comme lorsque quelqu'un vous avertit que vous libérez du carbone alors qu'en fait, ce carbone ne vient que depuis relativement peu de temps de la lumière du soleil.
En ce qui concerne les granulés de bois, j'ai appris que la fabrication d'un granulé est plus complexe que je ne le pensais et, par conséquent, nous faisons preuve d'innovation en matière de fabrication et de transport des granulés.
C'est une question d'éducation, mais, je le répète, il y a aussi la perception du public. La combustion de la biomasse ne donne pas l'impression d'être de la haute technologie comparativement aux panneaux photovoltaïques ou aux éoliennes qui semblent être beaucoup plus accrocheurs.
Le sénateur Eaton : Avez-vous des recommandations précises à faire?
M. Saddler : Je pense que tous nos étudiants dans le secteur de la bioénergie sont conscients du fait qu'ils sont les bons. C'est excitant.
Le sénateur Eaton : Vous devez le faire savoir dans les cafés-bars.
M. Smith : En ce qui concerne des recommandations précises, il s'agirait de faire comprendre clairement la véritable valeur de l'utilisation de ces matières pour la société. Il faut trouver de nouvelles façons de les utiliser.
Votre président nous a montré un brillant morceau de bois d'ingénierie qui permettrait de trouver de nouveaux usages pour la biomasse. Il faut s'assurer que l'on a un impact sur le code du bâtiment pour pouvoir utiliser en fait cette matière. La patinoire de Richmond est un bon exemple d'usage brillant de cette technologie et de nombreuses autres structures pourraient en profiter également.
Il existe des obstacles à son utilisation, et ce, même en ayant la bonne matière. En y réfléchissant dans une perspective globale, nous pourrions cerner les initiatives qui nous permettraient d'aller de l'avant. Ça pourrait en outre avoir un impact sur notre programme; nous devons absolument être considérés comme un élément de la solution.
La perspective que nos facultés soient marginalisées par l'idée inexacte que quelqu'un se fait de la forêt ou des produits forestiers est déplorable, mais c'est un problème avec lequel nous sommes aux prises. Si nous pouvions être considérés comme un acteur important dans la recherche des solutions dans ce domaine, nous pourrions alors vivre des expériences très intéressantes. Tout cela servirait de pilier aux actions que vous cherchez. On pourrait y réfléchir dans une perspective globale et je pense que les morceaux sont en place.
Le sénateur Eaton : Nous avons déjà discuté des codes du bâtiment et des produits à valeur ajoutée. Si vous pouviez toutefois nous suggérer ce que nous pourrions peut-être faire pour encourager les gouvernements provinciaux ou fédéral, ou le ministre de l'Environnement, à faire la promotion de ce fantastique produit vert que nous avons en si grande quantité, ce serait apprécié.
Le sénateur Fairbairn : Je serai brève, car la plupart des questions que je pensais poser l'ont déjà été.
Ne vous en prenez pas à ces grosses éoliennes. La première qui a été installée, c'est celle de Pincher Creek. La population locale ne savait pas si elle devait s'en réjouir ou s'en inquiéter. C'est peut-être parce que nous sommes à l'ombre des montagnes, mais ça a bien fonctionné dans notre secteur agricole.
Depuis le début, vous signalez qu'il faut tirer des leçons de tout cela. Vous avez fait beaucoup de commentaires sur la Colombie-Britannique et nous comprenons pourquoi; c'est une de ses principales industries, sur toute la ligne.
Pourriez-vous indiquer quelques universités ou collèges qui s'intéressent à la question et qui s'y attaquent? Pourriez- vous nous faire savoir où ils sont situés?
C'est une opération de très grande envergure et très excitante. Ce serait intéressant, à un certain niveau, notamment pour les jeunes. Je me demandais si vous aviez des projets, en Colombie-Britannique évidemment, mais aussi dans d'autres régions du pays, pour les universités et les collèges.
M. Saddler : C'est un problème colossal. Il y a l'Association des écoles forestières universitaires qui regroupe huit écoles, dont M. Smith est l'actuel président. Nous sommes à différents stades de déclin. Quoi qu'il en soit, il se pose un problème en ce qui concerne les écoles de foresterie. Il s'en pose également un en ce qui concerne les écoles de pâtes et papiers.
Dans les établissements dont la position était très solide, que ce soit à Toronto ou à McGill, on a maintenant de très vives préoccupations. Alors qu'on aurait besoin d'accroître la capacité, on enregistre un déclin.
Voici un exemple. Pour tenter de catalyser la culture du bois dont j'ai fait mention, le gouvernement provincial et le gouvernement fédéral ont investi dans notre Centre for Advanced Wood Processing. L'accent y est mis sur les meubles, les cadres de portes et tous les usages à forte valeur. Nous avons la capacité d'assurer la formation d'environ 180 élèves. Nous n'avons pas dépassé la centaine. Ces étudiants sont bien rémunérés après avoir obtenu leur diplôme. Ils occupent des postes importants dans l'industrie.
On a toutefois de grosses difficultés à attirer des élèves dans le secteur. À mesure que le temps passe, les présidents des universités se demandent pourquoi il n'y a pas un nombre suffisant de participants à ces programmes. On se trouve dans une impasse, car on essaie d'attirer des gens dans le secteur alors qu'il est absolument nécessaire de le réinventer.
J'ai mentionné les cinq F. Il y a aussi les trois R : recruter, retenir et réinventer. Il faut recruter davantage de personnes et les retenir. Je cite la Finlande en exemple, car les meilleurs experts dans le secteur forestier sont entraînés vers d'autres secteurs. Il est essentiel de réinventer le secteur.
On ne peut pas vraiment signaler un cas de réussite. À l'Université de la Colombie-Britannique, nous sommes en forme, mais pas en aussi bonne forme que le souhaiterait notre président.
Le sénateur Fairbairn : Et en Alberta?
M. Saddler : Le secteur forestier occupe une place importante en Alberta et, dans cette province, le dendroctone du pin ponderosa sévit également. Des personnes très compétentes examinent les matériaux composites et certaines matières; elles font partie de ce qu'on appelait l'Alberta Research Council. La province a toutefois le même problème que celui qui se pose à travers le pays, pour ce qui est d'attirer des personnes dans le secteur pour aider à le réinventer.
M. Smith : J'aimerais répondre brièvement. De l'excellent travail est réalisé dans toutes les universités par certaines facultés. Nos facultés ont généralement tendance à être très compétitives. Ce qui nous manque, ce sont des solutions globales qui nous permettraient de former des équipes et de former en quelque sorte un centre comme celui décrit par M. Saddler. Nous n'avons pas les investissements nécessaires à Toronto et, par conséquent, notre faculté est livrée à elle- même pour être compétitive.
Si on y réfléchissait à fond, dans une perspective globale, comment pourrions-nous trouver une solution, pour revenir à la question du sénateur Eaton? Il est essentiel que les jeunes aient le sentiment que nos programmes leur permettront d'obtenir un emploi intéressant et bien rémunéré. Nous devons nous assurer que l'industrie soit en harmonie avec le milieu universitaire et nous devons passer par les écoles secondaires pour présenter cela comme une occasion intéressante.
La solution ne devrait pas nous échapper, mais un défi se pose à nous. Notre faculté n'existera probablement plus dans un an, compte tenu de la tendance actuelle. L'échéance fatidique approche et on prend déjà des mesures. On commencera à voir disparaître ces programmes. Par conséquent, l'accent mis sur le secteur, qui est spécifique à ce que représente une faculté, ne sera plus là.
Le sénateur Fairbairn : N'abandonnez pas, car c'est un enjeu important et je reconnais qu'il doit y avoir un moyen, surtout auprès des jeunes. C'est du travail très intéressant.
Le sénateur Robichaud : Vous avez fait remarquer que les marchés devraient intervenir. D'habitude, les marchés n'accordent pas beaucoup d'attention aux emplois qui disparaissent ni à l'impact social sur les collectivités. Quelle attention devrions-nous y accorder?
Au Nouveau-Brunswick, l'activité dans le secteur forestier a beaucoup ralenti. C'est visible. Les camionneurs sont au chômage et il n'y a pas de mouvement dans l'industrie. Ne pourrions-nous pas lancer quelque activité?
Vous n'avez pas d'élèves qui s'inscrivent à votre faculté parce que la foresterie est parfois considérée comme un secteur en déclin, ce qui n'est pas le cas. Si l'on pouvait commencer avec des mesures incitatives qui ne répondent pas exactement aux aspirations du marché, nous créerions une certaine activité, par exemple avec la biomasse et les granulés; nous mettrions quelque chose en route. Ne serait-ce pas une façon de stimuler toute l'industrie?
M. Saddler : Je répondrai brièvement, car je sais qu'il ne nous reste plus beaucoup de temps. Je reviens à la remarque que j'ai faite sur la nécessité de faire en sorte que la formation d'un élève soit pertinente pour une cinquante d'années. La comparaison que j'utilise remonte à la dépression des années 1930. C'est le moment de mettre en place un organisme comme la Tennessee Valley Authority, afin de réinvestir dans les forêts et de reboiser avec des essences supérieures, car ça laissera un héritage. En outre, la perspective de perdre l'infrastructure rurale suscite de vives préoccupations. Lorsque les gens ont quitté leurs collectivités rurales, il est très difficile de les faire revenir.
Le sénateur Robichaud : Ils n'y retourneront pas.
M. Saddler : Il y a une responsabilité, surtout de la part des provinces, de réinvestir dans la forêt. Nous ne faisons pas de reboisement à l'échelle nationale alors que c'est une activité rurale à forte intensité de main-d'œuvre. Il y a beaucoup d'initiatives que nous devrions prendre. La récompense viendra en temps et lieu; il ne faut toutefois pas oublier que les États-Unis ont investi dans leurs forêts dans les années 1930 et que ça a été payant pour eux.
M. Smith : C'est une période très intéressante. Nous devons prendre conscience du fait que la société et les économies évoluent. Le conseil que j'aurais à donner pour continuer à faire participer les marchés aux conversations, c'est de se rendre compte que nous avons déjà été avisés en ce qui concerne la façon de procéder. Il existe des possibilités d'aller à contre-courant des tendances qui se dessineront, quoi qu'on fasse; il faut par conséquent déterminer comment nous pouvons nous positionner pour atteindre l'objectif que nous voulons atteindre pour la société, tout en suivant le courant créé par les marchés.
Le président : Avant de terminer, je voudrais faire un commentaire et vous poser des questions pour que vous fassiez parvenir les réponses par écrit au comité.
Un débat international, amorcé par un chercheur en chef israélien, indique qu'il faudrait faire soit de la recherche permanente sur certains secteurs ou faire de la recherche axée sur les marchés pour l'industrie. L'information devrait être établie dans la perspective de la situation actuelle dans le secteur forestier, sachant que tous les partenaires et intervenants viennent à la même table. J'aimerais que vous fassiez des commentaires à ce sujet.
Récemment, des représentants de l'Association des produits forestiers du Canada ont soumis l'idée au comité que le gouvernement fédéral devrait créer un fonds pour les énergies renouvelables sous forme de prêts remboursables à un taux compétitif. Ce fonds s'adresserait à plusieurs secteurs de l'industrie de la biomasse — les cinq F.
Que pensez-vous de cette idée? De quelle envergure devrait être le fonds? Quelle incidence aurait l'existence d'un tel fonds sur les communautés rurales? Que penseriez-vous de la tenue de tables rondes à travers le pays pour adopter une approche cohérente sur l'utilisation de la biomasse pour l'industrie?
Messieurs, je vous remercie d'avoir partagé vos connaissances avec nous. Avez-vous un dernier commentaire à faire?
M. Smith : Je vous remercie pour cette occasion de vous rencontrer et de discuter de plusieurs questions importantes. Nous attendons avec impatience une action de la part du gouvernement pour tirer parti de ces possibilités très intéressantes pour le Canada.
M. Saddler : Je vous remercie de m'avoir donné cette occasion de témoigner. J'aurais trois commentaires à faire : le premier, c'est que la bioéconomie se réalisera et que nous sommes bien placés pour être un acteur clé. Le deuxième, c'est que ça concerne en fait les gens et que, par conséquent, il faut arriver à mobiliser les personnes douées du secteur forestier, pour nous aider à réinventer l'industrie. Le troisième, c'est qu'il faut établir des partenariats, car cela ne peut pas continuer sous la forme actuelle dans le secteur forestier. Nous devons établir des partenariats avec des entreprises de services énergétiques ou des sociétés chimiques. Nous devons travailler sur ces trois points.
(La séance est levée.)