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Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule 9 - Témoignages du 19 octobre 2010


OTTAWA, le mardi 19 octobre 2010

Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et de la foresterie se réunit aujourd'hui à 17 h 7 pour étudier l'état actuel et les perspectives d'avenir du secteur forestier au Canada.

Le sénateur Percy Mockler (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Honorables sénateurs, nous avons le quorum. Je déclare donc la séance ouverte. Je souhaite la bienvenue aux sénateurs et aux témoins à cette séance du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et de la foresterie.

[Français]

Je m'appelle Percy Mockler, sénateur du Nouveau-Brunswick, et je suis le président du comité.

[Traduction]

La séance se déroulera en deux temps. Nous entendrons un témoin pendant les 45 premières minutes, et d'autres comparaîtront pendant la seconde partie.

[Français]

Notre premier témoin est M. John Thompson.

[Traduction]

M. Thompson est président du Groupe Financier Banque TD et représente le Conseil des académies canadiennes.

[Français]

Nous recevons également Renata Osika, directrice de programme.

[Traduction]

Merci d'avoir accepté notre invitation à venir faire un exposé. Honorables sénateurs, M. Thompson est ici pour nous parler d'un rapport intitulé Innovation et stratégies d'entreprise : pourquoi le Canada n'est pas à la hauteur, que le Conseil a publié en 2009.

[Français]

Le comité continue son étude sur l'état actuel et les perspectives d'avenir du secteur forestier et, d'ailleurs, nous nous concentrerons particulièrement sur les efforts en recherche, développement et innovation.

[Traduction]

Avant de demander aux témoins de faire leur exposé et de se présenter officiellement, j'aimerais commencer par demander aux sénateurs de se présenter, en commençant par ma gauche.

Le sénateur Mercer : Sénateur Terry Mercer, de Nouvelle-Écosse.

[Français]

Le sénateur Robichaud : Fernand Robichaud, du Nouveau-Brunswick.

[Traduction]

Le sénateur Fairbairn : Sénateur Fairbairn, de Lethbridge, en Alberta.

Le sénateur Plett : Don Plett, du Manitoba.

Le sénateur Marshall : Elizabeth Marshall, de Terre-Neuve- et-Labrador.

Le sénateur Ogilvie : Kelvin Ogilvie, de Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Duffy : Mike Duffy, de l'Île-du-Prince-Édouard.

Le sénateur Eaton : Nicky Eaton, de Toronto.

Le sénateur Wallace : John Wallace, du Nouveau-Brunswick.

Le président : M. Thompson et Mme Osika, je vous inviterais maintenant à faire vos exposés, après quoi nous tiendrons une période de questions.

John Thompson, président, Groupe Financier Banque TD, Conseil des académies canadiennes : Je vous remercie tous de m'avoir donné l'occasion de témoigner cet après-midi. Je ferai un bref tour d'horizon du rapport sur l'innovation qu'a préparé le Conseil des académies canadiennes. Je me suis porté volontaire pour faire partie d'un groupe d'experts composé de quelque 18 membres représentant le milieu des affaires, le secteur universitaire, les travailleurs et certaines ONG.

Ce rapport a initialement été préparé à l'intention d'Industrie Canada, qui s'était adressé au Conseil au sujet de l'innovation. Le ministère, considérant que les entreprises canadiennes semblaient bien moins portées à innover que certaines de leurs concurrentes étrangères, voulait savoir si c'était effectivement vrai et, le cas échéant, pourquoi. Il ne nous a pas demandé de formuler de recommandations stratégiques pour corriger la situation. Cette dernière étant fort complexe, il souhaite définir le problème en premier. Il est à espérer que les occasions se présenteront de discuter de la politique, en s'appuyant sur nos observations.

Le problème découle de la faible productivité du Canada. Il y a environ 25 ans, le taux de productivité du Canada se situait à 93 p. 100 de celui des États-Unis, un taux qui est maintenant un peu plus de 70 p. 100, l'écart s'accroissant presque chaque année depuis 1985. J'ajouterais que ce n'est pas que par rapport aux États-Unis que nous accusons un retard. Au sein de l'OCDE, nous nous classons au 15e rang sur 18 pays au chapitre de la productivité. On suppose parfois que les pays de plus petite taille se retrouvent forcément au bas de l'échelle. Sachez toutefois que dans d'autres pays membres de l'OCDE, comme les pays nordiques, par exemple, la productivité augmente 50 p. 100 plus rapidement que chez nous. La taille n'explique donc pas tout.

Nous avons commencé par analyser la productivité, étudiant chaque élément distinctement. Par exemple, nous avons comparé les heures travaillées, les compétences et le capital par travailleur entre le Canada et d'autres pays afin de détecter des facteurs sous-jacents. Nous nous sommes également penchés sur les différences structurelles et les distinctions dans la composition de l'industrie et la taille des entreprises de ces pays. Quand on analyse tous ces facteurs, l'écart ne change pas beaucoup. Il n'y en a certainement pas sur le plan de la main-d'œuvre. Il existe un léger écart dans la composition de l'industrie, mais essentiellement, l'écart avec les autres économies ne varie pas.

Il ne nous reste plus qu'à expliquer cet écart par ce que l'on appelle la « productivité multifactorielle », essentiellement le terme que les économistes emploient pour parler de l'innovation, un facteur impossible à mesurer en examinant les compétences, le taux de rémunération ou les salaires. On a devant soi que la différence entre la manière dont deux économies innovent et deviennent plus productives.

Je devrais prendre quelques instants pour définir l'innovation. En termes simples, l'innovation, c'est améliorer sa façon de faire. Conventionnellement, on l'associe souvent à la recherche-développement menant à la création d'inventions ou de produits nouveaux. Toutefois, il s'agit plus souvent d'une amélioration des processus opérationnels, d'une nouvelle organisation, d'une méthode de commercialisation repensée ou de nouveaux systèmes d'information. L'innovation n'est pas nécessairement une invention ou un nouveau produit; c'est tout ce que fait une organisation pour devenir plus novatrice et plus productive.

L'innovation prend également la forme d'investissements dans les biens d'équipement. Quand on y pense, ces biens ne sont que de l'innovation que l'on achète. Si quelqu'un invente une machine-outil, par exemple, et que vous l'achetez, vous acquérez essentiellement l'innovation conçue par d'autres afin de vous l'approprier.

Voici quelques exemples d'innovations qui ne sont pas des produits et qui ont eu beaucoup d'importance au fil des ans. Il y a notamment les chaînes de montage dans le secteur manufacturier, l'invention des magasins à rayons, le service à l'auto dans la restauration rapide, les commandes en un clic sur Amazon ou les conteneurs ferroviaires que l'on peut maintenant empiler sur les wagons. Pour cette dernière innovation, on n'a pas créé beaucoup de produits; on a simplement trouvé une manière différente de faire la même chose. Ce sont là autant d'exemples d'innovation.

Le Conseil a conclu que le Canada est effectivement moins novateur et que ce facteur joue un rôle prépondérant dans le retard qu'il accuse au chapitre de la productivité. On ne peut toutefois attribuer ce retard à un seul facteur. Le problème ne semble pas venir de la nature de notre population ou de nos capacités inhérentes. Notre ADN n'est nullement en cause. Nous avons connu de nombreux succès; le problème ne vient donc pas d'un facteur inhérent.

Nous en sommes arrivés à la conclusion que la cause principale était le manque d'ambition de nos entreprises. Je soulignerais en passant que notre étude portait sur les entreprises : nous ne nous sommes pas intéressés au secteur public et nous nous sommes concentrés sur les entreprises commerciales.

Avec un certain recul, la sagesse conventionnelle portait à croire que le problème venait d'un manque de recherche- développement, car les dépenses par entreprise dans ce domaine étaient plus faibles au Canada qu'aux États-Unis et que dans les pays membres de l'OCDE. Si on exprime les chiffres en pourcentage du PIB, le Canada dépense environ 1 p. 100 en recherche-développement, alors que les États-Unis en dépensent 2 p. 100. Une différence d'un pour cent peut sembler minime, mais c'est du double dont il s'agit ici. Si on multiplie ce chiffre par la taille de l'économie, l'écart est considérable.

Il faut revoir un peu notre façon de penser à cet égard, car la recherche-développement est en fait un extrant, et non une cause première du problème. Il faut remonter plus haut, jusqu'aux intrants et aux extrants du système opérationnel. Fondamentalement, c'est sur l'ambition de l'entreprise, la pression de la concurrence, le climat d'affaires et la politique publique que se fonde la stratégie d'entreprise.

Cette stratégie opérationnelle sert ensuite à orienter les activités des entreprises, dont font partie la recherche- développement, l'investissement dans le capital humain, les mises de capital et, les fusions et acquisitions. Ces activités résultent toutes du fait que l'entreprise possède une certaine ambition, qui inspire une stratégie, laquelle conduit à l'investissement et, par conséquent, à l'innovation et à l'amélioration de la productivité, pour déboucher sur un meilleur niveau de vie. Voilà pourquoi nous concluons, dans notre rapport, que le problème vient du fait que les entreprises canadiennes ne sont pas aussi ambitieuses qu'un grand nombre de leurs concurrentes étrangères sur le plan des stratégies concurrentielles de croissance.

Il est également intéressant d'examiner les profits, qui sont excellents au Canada. Les profits avant impôt sont légèrement plus élevés au Canada qu'aux États-Unis, avec un taux de 13 p. 100 pour l'ensemble de l'économie canadienne comparativement à 12,5 p. 100 pour nos voisins du Sud. Notre pourcentage varie d'une année à l'autre, mais est toujours égal ou légèrement supérieur à celui des États-Unis ces dernières années. Ce facteur explique peut-être le manque d'ambition des entreprises, car ces dernières peuvent engranger des profits intéressants sans avoir à prendre davantage de risques, notamment au chapitre de l'investissement.

J'illustrerais la situation au moyen d'une échelle. À une extrémité se trouve une fiducie de revenu, qui n'investit pas dans l'avenir et n'enregistre aucune croissance, mais retourne tous les fonds aux actionnaires, comme il est dans sa nature de le faire. À l'autre extrémité de l'échelle s'active une société de capital de risque, qui investit la totalité de ses fonds dans la croissance, l'innovation et l'avenir. Elle n'enregistre aucun profit pendant longtemps, espérant afficher des bénéfices un jour.

Les entreprises se répartissent sur cette échelle. Le Conseil placerait les entreprises canadiennes et américaines quelque part au milieu, mais nous sommes un peu plus près du modèle de fiducie de revenu, courant moins de risques et investissant moins dans les entreprises, alors que d'autres économies sont davantage portées vers le capital de risque. Sans se situer à l'autre bout du spectre, elles investissent davantage dans la croissance, prennent plus de risques et deviennent plus novatrices.

D'autres indicateurs entrent également en jeu. J'en ferai rapidement le tour, puis je m'arrêterai pour répondre à vos questions.

Il y a d'abord les mises de capital dans les technologies de l'information et des communications. En analysant nos investissements dans la machinerie et le matériel qui servent à autre chose que l'informatique et les communications, on constate qu'ils s'apparentent à ceux des autres pays. On tient compte ici des machines-outils, du matériel de production et d'équipement divers.

Cependant, dans le domaine des technologies de l'information, notre taux d'investissement par travailleur ne se situe qu'à environ 60 p. 100 de celui des États-Unis. Notre écart est également considérable par rapport aux pays européens. Si on analyse la situation, on constate que cet écart s'observe surtout dans les industries de la fabrication et des services, principalement dans les petites entreprises. Au Canada, ces secteurs n'investissent de toute évidence pas assez, et c'est l'un des facteurs qui entrent en jeu.

En outre, si l'on jette un regard aux activités d'exportation des entreprises en aval — je ne parle pas du secteur des ressources, mais de l'industrie secondaire responsable de la distribution —, les investissements et le niveau d'exportation sont inférieurs à ce que l'on observe dans les pays européens et aux États-Unis. Ici encore, ce n'est pas la taille du pays qui compte, car certains petits pays européens non seulement exportent davantage, mais sont à l'origine de certaines des plus grandes multinationales actives sur la scène mondiale. Il suffit de penser à Nokia, Ericsson ou IKEA dans les pays nordiques, à Shell, Philips ou ABN AMRO en Hollande, ou à ABB, Nestlé ou Zurich Insurance en Suisse.

S'il ne manque pas de multinationales et de gros joueurs dans le monde, le Canada n'en compte qu'une poignée. Il y a bien RIM et, autrefois, Nortel. Outre ces exemples, il n'existe pas de grandes industries canadiennes qui s'illustrent sur la scène internationale.

Le financement de démarrage est faible au Canada, et c'est là un autre facteur qui compte. Le Canada investit environ 3 p. 100 du niveau d'investissement des États-Unis dans les entreprises en démarrage ou à risque, ce qui revient à dire que nous n'investissons que le tiers de ce que nous devrions normalement. Nous sommes à 8, 9 ou 10 p. 100 des États-Unis, un chiffre qui descend à 3 p. 100 au chapitre du capital de risque. Le rendement des investissements en capital de risque est d'environ 2 p. 100 des recettes au Canada, alors que ce taux dépasse les 20 p. 100 aux États-Unis. Nous ne réussissons pas bien dans le domaine du capital de risque. Je n'avancerai pas d'explication, mais nous avons quelques idées à ce chapitre.

Au Canada, l'innovation issue de la recherche financée par les deniers publics tend à avoir bien peu de résultats pour les entreprises. Par exemple, environ 90 p. 100 des subventions fédérales et provinciales en recherche-développement sont destinées aux universités ou aux organismes gouvernementaux, et 10 p. 100, à l'industrie. Aux États-Unis, ces subventions sont plutôt réparties également. Ceci comprend des projets conjoints entre les universités et les sociétés. Certains des projets concernent la défense, un secteur qui revêt une importance moindre au Canada, à mon avis. On peut expliquer la situation en partie, mais cela ne couvre pas toute la différence.

Le Canada finance la recherche à 90 p. 100 par des crédits fiscaux, alors que les États-Unis ne le font qu'à 20 p. 100 et à 80 p. 100 par l'entremise de subventions directes à la recherche. Ils incitent ainsi les entrepreneurs à prendre davantage de risques, puisque c'est un autre qui paie la note. Je ne dis pas que ce système est bon ou mauvais, mais il faut assurer un certain équilibre, et quand on analyse les différences, on peut parfois constater que l'on penche trop d'un côté. La question vaut au moins la peine d'être débattue.

Dans le domaine de l'éducation, il est intéressant de noter que la main-d'œuvre canadienne a un taux d'éducation postsecondaire plus élevé, que ce soit au niveau des collèges communautaires ou des universités. C'est un facteur en notre faveur, dont il y a tout lieu d'être fier. Cependant, le taux de diplômés universitaires par habitant est environ 30 p. 100 plus élevé aux États-Unis qu'au Canada. Ce pays compte presque deux fois plus titulaires de maîtrise en gestion des affaires, que ce soit en génie ou en administration des affaires. Peu importe la spécialité, leurs entreprises possèdent un degré d'expertise supérieur. Il y a 30 p. 100 plus de titulaires de doctorat travaillant en entreprises aux États-Unis qu'au Canada, où ils tendent à se cantonner dans les universités.

Je dirais en terminant que la croissance de la productivité est faible au Canada, comme vous le savez tous. Le Conseil attribue principalement ce fait au manque d'innovation des entreprises. Or, cette innovation est le fruit de l'ambition et de la stratégie d'entreprise. Il faut donc regarder le problème d'un autre angle en tenant compte non seulement des extrants, comme la recherche-développement, mais également des intrants du cycle et des racines du mal.

La politique publique est évidemment importante, mais ce sont les entreprises qui ont le plus gros défi à relever, car c'est là que le problème se trouve. Je ne dis pas qu'une saine politique publique ne peut pas consolider les mesures qu'elles devraient prendre, mais c'est d'elles que la solution doit venir.

Si nous tournons notre regard vers l'avenir, je crois que nous avons des défis à relever. Notre croissance économique est faible actuellement, ce qui pourrait nuire à notre prospérité. L'augmentation du protectionnisme pourrait menacer notre accès à certains marchés. Mais nous bénéficions également de belles occasions. Notre progression est encourageante dans les économies émergentes, particulièrement en Asie. Soulignons également l'apparition d'un nouveau groupe de chefs d'entreprise d'origines multiculturelles, qui sont peut-être mieux habilités à manœuvrer sur les marchés internationaux que les entreprises canadiennes traditionnelles.

Je n'en dirai pas plus et répondrai à vos questions avec plaisir.

Le président : Je vous remercie, Monsieur Thompson, de cet excellent exposé.

Le sénateur Ogilvie : Monsieur Thompson, il n'y a absolument rien dans votre rapport ou vos observations qui me chiffonne — au contraire. Je l'ai lu peu après sa publication, il y a un an. Ce qui me frustre le plus, c'est que ce document ne comprend rien que nous n'avons pas dit dans des dizaines de rapports au cours des 30 dernières années.

Je me suis occupé pour la première fois de ce genre d'analyses au début de l'ère de la biotechnologie, c'est-à-dire au début des années 1980. Chaque analyse montre la même chose. Ce n'est pas un reproche. Il faut bien analyser ce qui fait défaut.

Ce qui me frustre, c'est que les Canadiens sont des gens très innovateurs, selon votre définition de l'innovation, mais nous n'arrivons pas à passer des idées aux mesures concrètes en matière de développement économique et commercial. En fait, une bonne partie de nos compétences scientifiques et techniques vont ailleurs pour être concrétisées en développement économique.

La question est de savoir comment changer cette réalité. Nous n'avons pas besoin d'une autre analyse qui fait le bilan de la situation. Ce qu'il nous faut, c'est une façon d'induire le changement. Je ne dis pas cela pour dénigrer les Canadiens qui innovent et qui réussissent. Le problème, c'est qu'ils ne sont pas nombreux. Vous avez déjà établi ce fait.

Je vais vous donner un exemple. D'après ce que je constate, chaque fois que des gouvernements et d'autres organisations comme des groupes de réflexion recommandent comment procéder à des changements, ils examinent d'autres pays. Ensuite, ils présentent les mesures qui ont été prises, disons, en Finlande ou aux États-Unis dans tel ou tel domaine.

Toutefois, ces idées ne s'appliquent pas ici pour des raisons comme la densité de la population. En effet, notre pays arrive au second rang dans le monde pour ce qui est de sa superficie, mais il ne compte que 35 millions d'habitants éparpillés un peu partout sur le territoire, soit l'équivalent du nombre d'habitants en Californie. Dans la seule ville de San Diego, on trouve autant de sociétés biotechnologiques que ce qu'on trouve dans l'ensemble du Canada. Pensez un peu au brassage d'idées qui se fait là-bas. Nous ne pouvons pas appliquer le modèle de San Diego ici parce que nos entreprises sont disséminées d'un bout à l'autre du pays, de Saint John's à Vancouver. Si on prend le cas de la Finlande, sa population se concentre principalement dans un seul centre.

Nous avons une attitude d'ayant droit, et cela se manifeste dans notre façon de faire affaires. Les gens d'affaires canadiens sont très réticents. Ils redoutent les risques. Les Canadiens sont peu enclins à prendre des risques. C'est un changement que j'ai observé au cours de ma vie. À une certaine époque, les Canadiens étaient des preneurs de risque qui n'avaient pas froid aux yeux.

Monsieur Thompson, vous tenez les rênes d'une importante organisation qui est un succès en soi, mais il s'agit quand même d'une entreprise de type traditionnel. Elle s'est modernisée et elle s'est adaptée au monde dans lequel nous vivons. Dans les modèles d'affaires du passé, on cherchait à déterminer le nombre d'arbres dans une forêt et à trouver la façon la moins coûteuse de construire une route pour pouvoir transporter le bois à la frontière et l'expédier à l'étranger.

Bref, comment devons-nous utiliser l'information que vous avez recueillie? D'après votre expérience, pouvez-vous nous confier un secret sur la façon de passer de cette attitude frileuse à une attitude fonceuse?

M. Thompson : Sénateur, vous savez autant que moi qu'il n'y a pas de secret; sinon, nous vous en aurions déjà fait part. Il s'agit d'un problème épineux.

Je vais vous donner quelques idées ou pistes de réflexion, mais je tiens d'abord à préciser que je suis ici pour représenter le Conseil et expliquer le travail qu'il a réalisé. Le Conseil a reçu la directive précise de ne pas formuler de solutions ni de recommandations, mais d'examiner la documentation au cours des 30 dernières années, comme vous le dites, et de décortiquer le problème, et je pense que nous l'avons fait de façon succincte. Nous n'avons pas passé du temps à travailler sur des solutions, parce que ce n'est pas la tâche qui nous a été confiée par le gouvernement du Canada. Cela ne signifie pas que nous n'avons jamais discuté de solutions et que ce travail n'est pas nécessaire.

Je vais vous donner quelques idées. Elles n'ont rien d'inouï et elles n'offriront pas de solutions au problème de la densité dont vous avez parlé ou à l'attitude d'ayant droit, parce que ce sont là des réalités qu'il faut accepter dans notre contexte. Toutefois, pour ce qui est des technologies de l'information et de l'informatique, nous encourageons clairement des investissements accrus dans nos entreprises. J'ignore l'état de l'initiative de l'économie numérique, mais des initiatives de la sorte pourraient changer les choses et contribuer à l'innovation et à la productivité de nos entreprises grâce à des améliorations continues.

Par ailleurs, il serait utile d'accroître notre exposition à la concurrence, particulièrement dans les domaines en aval. Cette question a été traitée dans le travail mené par Red Wilson. Même si je suis président d'une banque, j'ai passé une grande partie de ma carrière chez IBM. J'ai occupé le poste de président et chef de la direction d'IBM Canada, mais par la suite, j'ai dirigé l'ensemble de la technologie aux États-Unis, à l'échelle mondiale. Je peux vous dire que j'ai passé des nuits blanches à me morfondre des prédateurs, parce que le rythme est si effréné. Il s'agit d'un contexte très différent — non pas parce qu'on est aux États-Unis, la société étant d'envergure mondiale — mais parce que la crainte et la menace des concurrents nous guettent tous les jours. Durant la période où j'étais là, IBM était sur le bord de la faillite, mais elle s'est ensuite ressaisie; alors, j'ai vu les types de changements qu'il faut apporter pour pouvoir survivre.

À mon avis, la concurrence est une force motrice essentielle. Les industries surprotégées ne ressentent pas le besoin de changer, contrairement aux industries qui font face à la concurrence.

En passant, je pourrais parler un peu du secteur des services bancaires parce que pendant longtemps, les banques canadiennes, qui constituent essentiellement un oligopole, étaient très heureuses de suivre de près le modèle des fiducies de revenu et n'investissaient pas beaucoup dans la nouvelle croissance. À la Banque TD, nous nous sommes aventurés à l'étranger et maintenant, nous avons plus de succursales aux États-Unis qu'au Canada. Tout a commencé lorsque le président et chef de la direction, Ed Clark, et moi-même, à titre de président, avons songé à des façons stratégiques d'effectuer nos investissements. La question est de savoir comment motiver les gens à passer à l'acte. Je dirais que la pression concurrentielle est l'une de ces motivations. Dans notre cas, nous avons décidé de procéder ainsi pour assurer la croissance et nous avons bien réussi.

Je crois que nous pourrions faire mieux pour ce qui est de diffuser les résultats de recherche aux entreprises. Une bonne partie des résultats restent en amont, dans les universités. Je suis également chancelier de l'Université de Western Ontario et j'ai travaillé avec l'université pour essayer d'établir plus de projets de collaboration entre les laboratoires et les entreprises.

Quand je travaillais à IBM aux États-Unis — et au Canada, mais dans une moindre mesure —, chaque service avait un projet de collaboration quelconque avec une université, que ce soit dans le domaine du marketing, de la recherche ou de la production. C'est très rare au Canada. Nous devons encourager, d'une façon ou d'une autre, une telle collaboration. Nous devons réunir nos efforts et améliorer le transfert de technologie, parce que nous dépensons beaucoup d'argent dans les universités, mais les résultats ne sont pas transférés à un rythme approprié.

Dans le domaine de l'éducation supérieure, nous avons accordé la priorité surtout à l'accès, c'est-à-dire que nous veillons à ce qu'un nombre accru de gens aient accès à l'éducation supérieure. Toutefois, il est également important de nous attacher à la qualité et d'accroître le nombre de détenteurs de maîtrise ou de diplômes de niveau supérieur. Les gouvernements ont du mal à accepter cette idée parce qu'elle n'a pas la cote auprès des électeurs. Quand on approche d'une élection, l'idée d'accroître l'accès est un argument accrocheur, mais pas celle d'accroître le nombre de titulaires de maîtrise et de doctorat. C'est un problème auquel nous nous heurtons du point de vue universitaire.

J'aimerais que nous améliorions l'attractivité des investissements de fonds de départ. Certains gouvernements ont aidé en accordant des fonds aux bons types de projets. J'ai remarqué, tout comme vous, qu'en Californie, on excelle dans l'art de faire mûrir les investissements, alors qu'ici, notre argent provient généralement du Régime de pensions du Canada, du Régime de retraite des enseignantes et des enseignants de l'Ontario ou de la Caisse de dépôt, et certains fonds sont destinés à des entreprises risquées. L'argent sort, sans aucune incubation; ainsi, il n'y a pas de suivi des projets ni de formation pour les jeunes entrepreneurs afin de les aider à réussir.

La plupart du temps, quand on réussit sur le marché, ce n'est pas parce qu'on a une bonne idée pour un produit ou un service, mais parce qu'on met à profit tous les autres attributs commerciaux. Il faut posséder un bon plan d'affaires, savoir comment mettre en marché le produit, repérer des partenaires commerciaux et bien faire son travail de distribution. Voilà les éléments qui assurent la réussite d'un produit — une bonne idée, à elle seule, ne suffit pas.

Je ne suis pas bien placé pour me prononcer sur le point suivant, mais je sais que de l'avis de certains des membres de notre groupe d'experts, particulièrement ceux de l'industrie pharmaceutique, nous devons améliorer nos lois sur la propriété intellectuelle et le droit d'auteur. C'est, selon eux, un autre aspect qui mérite d'être examiné.

Je pourrais continuer, mais j'ai probablement trop parlé de ce sujet. En ce qui a trait à votre argument, monsieur le sénateur, ce n'est pas une grande idée, gardée en secret, qui viendra changer la situation, mais une panoplie de petits facteurs. À cela s'ajoutent les pressions extérieures : la concurrence, la faiblesse de l'économie, peut-être l'accroissement du taux de chômage, l'appréciation du dollar canadien et un protectionnisme accru de la part des États-Unis — voilà autant de facteurs qui exerceront des pressions extérieures sur les entreprises et qui les pousseront à mieux innover.

[Français]

Le sénateur Robichaud : Est-ce que vous comprenez le français, monsieur Thompson?

M. Thompson : Non, pas bien, sénateur.

[Traduction]

Le sénateur Robichaud : C'est bien.

Votre réponse détaillée vient de fournir beaucoup de réponses aux questions que j'allais vous poser. En ce qui concerne l'industrie forestière, nous essayons de trouver des moyens de réaliser des progrès parce que cette industrie fait actuellement face à un défi de taille. Avez-vous des réflexions particulières à ce sujet?

M. Thompson : Là encore, je dois revenir au conseil et préciser qu'il n'a pas examiné l'industrie des produits forestiers. Nous avons tenu compte de quelques industries en guise d'étude de cas pour essayer de valider certaines de nos constatations, mais l'industrie des produits forestiers n'était pas l'une d'elles. J'ai mes opinions là-dessus, mais je risque de me tromper, alors il ne me convient pas de les exprimer dans le cadre de mon témoignage au nom du Conseil des académies canadiennes.

Le sénateur Robichaud : Nous les accepterons comme étant vos opinions personnelles.

M. Thompson : D'accord. Sachez, d'entrée de jeu, qu'il existe une différence entre l'industrie du bois d'œuvre et l'industrie des pâtes et papiers — une grande différence.

Je crois que l'industrie des pâtes et papiers connaît plus de difficultés, particulièrement dans l'Ouest. J'ai parlé à certains de mes collègues là-bas; en fait, dans l'industrie du bois d'œuvre, on a été en mesure de consolider des scieries, de travailler sur une plus grande échelle et d'investir davantage de capitaux. La plupart des scieries dans la côte Ouest affichent probablement une productivité égale, voire supérieure, à celle des scieries aux États-Unis.

Je n'observe pas le même phénomène dans l'Est du Canada. Je crois que les usines sont plus dispersées, à l'exception peut-être du Nouveau-Brunswick à cause de la société Irvings qui fait ce qu'elle veut sur le plan économique et qui réussit très bien. Quand je vais à la pêche au Québec ou pour toute autre activité, je vois beaucoup de petites usines et d'entreprises locales. Je pense que c'est bien du point de vue communautaire, mais ce n'est peut-être pas économique en ce qui concerne la compétitivité à l'échelle mondiale.

Pour vous dire franchement, l'industrie des pâtes et papiers est dirigée par des ingénieurs qui portent peu d'attention aux marchés. J'ignore s'ils savent comment adapter leur produit aux différents clients ou comment diriger une stratégie d'affaires pour améliorer leurs entreprises. Au fil des ans, les investissements de capitaux dans l'industrie des pâtes et papiers n'ont probablement pas été aussi élevés qu'ils auraient dû l'être. C'est mon opinion personnelle, et non pas celle du conseil.

Le sénateur Robichaud : Je comprends cela.

M. Thompson : Je ne suis pas un spécialiste. Vous en savez probablement beaucoup plus que moi sur le sujet.

Le sénateur Robichaud : Vous semblez miser sur les grandes entreprises plutôt que les petites et moyennes entreprises. Ai-je raison de dire cela?

M. Thompson : Vous voulez dire moi, personnellement?

Le sénateur Robichaud : Oui.

M. Thompson : Pour les produits de base, il est très difficile de livrer concurrence sur le plan du prix de revient quand on a beaucoup de petites exploitations. Je pense qu'il faut probablement consolider et obtenir des économies d'échelle. Je sais que cela va à l'encontre de certains des objectifs sociaux. Il est important de trouver des compromis parce que si le chômage est généralisé, cela crée un autre problème. J'en suis tout à fait conscient, et je reconnais le compromis qu'il faut faire. J'ignore la réponse à cette question, et ce n'est pas vraiment mon domaine. Je sais qu'il est très difficile d'assurer la productivité d'une petite scierie ou papeterie si on n'investit pas de capitaux. Cette approche suppose en quelque sorte une économie d'échelle et une consolidation. Je crois qu'il y a un vrai problème ici. Je ne connais pas la bonne réponse.

Le sénateur Robichaud : Merci.

Le sénateur Eaton : Monsieur Thompson, la dernière partie de votre réponse au sénateur Ogilvie était fort intéressante parce qu'au cours des six derniers mois, nous avons entendu comment l'industrie forestière, qui est au bord du gouffre, adopte des stratégies très innovatrices et envisage de nouveaux produits.

M. Thompson : J'ai des problèmes d'ouïe, je suis désolé, sénateur Eaton. Pouvez-vous parler plus fort?

Senator Eaton : Je suis désolée, j'ai une petite voix. Je faisais simplement allusion à vos observations selon lesquelles il est parfois utile d'avoir un peu de concurrence et un climat économique un peu rigoureux. C'est d'ailleurs le message que nous avons entendu dans les témoignages des représentants de l'industrie forestière, qui ont dit avoir été poussés à innover et à envisager de nouveaux produits. Il y a assurément de l'espoir pour bon nombre d'entre eux.

Comme vous semblez être attaché à une université, et vous avez parlé dans votre déclaration préliminaire de notre mentalité qui tend à éviter les risques et notre manque de compétitivité en affaires, considérez-vous cela comme un problème qui mérite d'être sérieusement examiné par les écoles de commerce qui offrent des programmes de MBA — par exemple, Rotman, Ivey, celle à Montréal — pour essayer de préparer la prochaine génération de Canadiens qui se lancent en affaires?

M. Thompson : Oui.

Le sénateur Eaton : Est-ce qu'elles le font? Y pensent-elles?

M. Thompson : J'enseigne un peu à Rotman. Même si je suis chancelier à Western, je n'ai pas enseigné à Ivey.

Je vous dirais que Roger Martin, le doyen de Rotman, y accorde beaucoup de priorité.

Le sénateur Eaton : Il venait de Harvard, n'est-ce pas?

M. Thompson : Oui, mais il dirige la stratégie à l'école.

Le sénateur Eaton : Oui, de même que Joe Rotman.

M. Thompson : J'en ai parlé à Carol Stephenson de l'école Ivey. Elle en est très consciente. Je ne connais pas assez les programmes pour être en mesure de dire si on enseigne ces questions dans les écoles de commerce et si les finissants les comprennent très bien. Chose certaine, ils comprennent mieux la stratégie. Je présume que s'il y avait un nombre accru de titulaires de MBA, de maîtrise ou de diplômes de niveau supérieur en génie ou en affaires, la plupart de ces entreprises seraient plus concurrentielles et s'en tireraient mieux que maintenant.

Je ne suis pas convaincu que les écoles de commerce n'enseignent pas les bonnes choses. En fait, nous avons peut- être besoin de plus de ressources humaines dans les entreprises elles-mêmes, et particulièrement les petites entreprises. Les grandes entreprises, les grandes banques, et cetera, embauchent beaucoup de personnes, et leurs organisations sont remplies de gens hautement qualifiés, contrairement aux petites et moyennes entreprises. Il faut peut-être créer un effet de percolation.

Le sénateur Eaton : Vous avez dit que les biens d'équipement constituent vraiment un moyen d'acquérir de l'innovation. Y a-t-il quelque chose en matière d'allégement fiscal qui pourrait encourager les entreprises canadiennes à acheter de nouveaux biens d'équipement?

M. Thompson : Oui, des incitatifs de ce genre sont toujours offerts et ils ont tendance à donner de bons résultats. Ils ont été récemment appliqués ici. Ils existaient certainement dans les années 1980. Nous avons tendance à y recourir quand nous traversons une période de ralentissement, et ça fonctionne. Ils permettent d'attirer des investissements, et je pense que c'est bien. Alors, la réponse à la question, c'est oui.

Le sénateur Mercer : Monsieur Thompson, merci d'être ici. Je pense qu'il est important que nous vous remerciions également d'avoir été une des personnes qui se sont portées volontaires. J'ai travaillé dans le secteur du bénévolat toute ma vie. Je connais la valeur des bénévoles, et particulièrement celle des personnes âgées comme vous qui donnent de leur temps. Sachez que c'est grandement apprécié.

Je vais revenir à la question du sénateur Eaton pour l'approfondir un peu. Dans la discussion concernant l'éducation, le sénateur Eaton a mentionné la Rotman School et la Ivey School of Business, et j'ajouterai la Sobey School of Business qui se trouve à St. Mary's, à Halifax. C'est d'ailleurs ce qui constitue un des problèmes, me semble-t-il.

Nous parlons de notre manque d'innovation en affaires et de notre tendance à minimiser les risques. Nous ne donnons pas une bonne image du risque aux jeunes. Comme nous avons pu le constater au fil des audiences, une certaine innovation se fait sentir. Je pense que vous avez tapé dans le mille en ce qui concerne le problème : un grand nombre de ces tentatives d'innovation sont dirigées par des ingénieurs, mais aucun expert en vente n'est mis à contribution.

Poursuivons la ligne de pensée du sénateur Eaton et retournons à la racine du problème. Ne devrions-nous pas intégrer les étudiants des écoles de commerce aux départements de génie et de recherche des universités? Nous pourrions ainsi affirmer que les diplômés en marketing doivent se tenir au courant des derniers développements en recherche dans leur université et que les ingénieurs et eux doivent se consulter. Il n'y a aucun avantage à introduire une innovation sans l'exploiter pour en tirer profit.

Êtes-vous d'accord?

M. Thompson : Oui, mais je ne suis pas sûr de vouloir remanier les programmes d'études à la place des doyens des écoles de commerce ou des écoles de génie. Pour ma part, j'ai été formé en génie. À mes débuts, j'ai travaillé comme ingénieur chez IBM, mais je me suis rendu compte que, pour gravir les échelons et réussir, il était impératif que je m'y connaisse plus en affaires. Je suis donc retourné aux études à temps partiel dans une école de commerce. Je suis allé à l'Université Western Ontario où j'ai étudié dans deux programmes, et ensuite à l'Université Northwestern, à Chicago, où j'ai entrepris un genre de mini M.B.A. Lorsque je fais le point sur ma carrière, je réalise que j'ai appris beaucoup de ma formation en commerce et que mon expérience en tant qu'ingénieur a amélioré mes habiletés en résolution de problèmes. Vous vous retrouvez ainsi avec une solide combinaison de talents ou d'aptitudes qui est très utile pour résoudre certains de ces problèmes.

Toutefois, cela dépend des gens dans une certaine mesure. Il y a en effet des personnes qui adorent le travail d'ingénieur et c'est ce qu'ils veulent faire, alors que d'autres ne s'y intéressent pas du tout et préfèrent se consacrer aux affaires. Je pense donc que les différents choix doivent être offerts. La plupart des grandes universités offrent la possibilité de combiner certains de ces programmes. Pourrions-nous essayer d'en augmenter le nombre? Oui, peut-être, mais le choix revient à la personne, jusqu'à un certain point, selon ce qu'elle veut faire.

Ce qui importe cependant, si je suis à la tête d'une entreprise — disons de pâtes et papier —, c'est de pouvoir compter sur une variété de ressources. Je ne parviendrai peut-être pas à trouver une personne qui possède toutes les compétences, mais je peux m'entourer d'une équipe de cadres qui ont une bonne connaissance des clients, des marchés, des prix et de l'exportation. En même temps, j'ai dans mon personnel des cadres qui dirigent de grandes usines et qui sont très productifs. Une bonne équipe dont les membres s'entendent pour mettre en œuvre une stratégie contribue bien plus au succès d'une entreprise que si celle-ci était dirigée seulement par des ingénieurs ou des experts en vente.

Le sénateur Mercer : Monsieur Thompson, dans votre étude, avez-vous inclus votre propre secteur, celui des services financiers?

M. Thompson : Oui.

Le sénateur Mercer : Je pensais que la solidité de nos institutions financières aurait contribué, dans une certaine mesure, à notre succès dans ce secteur. Vous possédez plus de succursales aux États-Unis qu'au Canada, et la BRC se préparerait à faire de même. Qu'en est-il de la Banque Scotia?

M. Thompson : La Banque Scotia est maintenant en Amérique latine, effectivement.

En effet, nous avons effectué une analyse du secteur des services financiers selon une perspective historique et nous avons aussi essayé de comprendre pourquoi cet oligopole existe maintenant seulement au Canada. Il semble que les banques étaient plus occupées à essayer de fusionner entre elles qu'à chercher à diversifier leurs activités. Depuis quelques années, nous observons une plus grande ouverture d'esprit quant à la façon d'agrandir une entreprise et d'augmenter la valeur de ses actions. Non seulement les cadres supérieurs mais également le conseil d'administration ont réalisé qu'il fallait réinvestir une partie des profits dans la croissance de l'entreprise, au lieu de miser sur le rachat d'actions ou de plus gros dividendes.

Lorsqu'on est établi dans un petit pays qui compte cinq banques et que chacune d'elles s'est taillé une part de marché de 20 p. 100, on en vient à obtenir des rendements décroissants, à voler à ses concurrents un pourcentage de marché ici et là. Alors, il vaut mieux envisager une stratégie qui nous permettra de nous développer au-delà de nos frontières.

À l'heure actuelle, la Banque TD est la dixième en importance aux États-Unis, et la Banque Royale est systématiquement l'une des 15 banques en importance dans le monde. Nous, les Canadiens, avons obtenu d'excellents résultats, ce qui confirme ce que j'ai dit plus tôt. Notre ADN n'est pas défectueux. Ce n'est pas que nous soyons incapables de le faire; c'est que nous ne l'avons pas encore fait.

Le sénateur Marshall : Plus tôt, dans vos propos, vous avez effleuré la question de l'accès au capital, et vous avez mentionné qu'en règle générale, les entreprises étaient assez prospères au Canada et obtenaient de bons rendements qu'elles pourraient réinvestir dans leurs activités. Que pensez-vous de l'accès au capital? Est-il problématique au Canada? Quelle incidence cela a-t-il eue sur l'innovation?

M. Thompson : Premièrement, je parlais de l'investissement d'un capital de risque, d'entreprises naissantes et d'accès à un capital que l'on risque entièrement. Lorsqu'une entreprise à risque démarre, ses propriétaires ne peuvent pas aller à la banque et obtenir un prêt parce qu'ils n'offrent aucune garantie et que la banque prête l'argent des déposants. Par conséquent, la banque ne leur accordera pas un prêt; ce n'est pas sa raison d'être.

Habituellement, ce sont les investisseurs providentiels qui fournissent d'abord le capital de risque. Puis, les investisseurs en capital de risque prennent la relève en recueillant des fonds et en injectant des capitaux dans ces entreprises. Ils s'attendent à ce que, peut-être, 70 p. 100 d'entre elles échouent, mais les 30 p. 100 qui réussissent, qui atteignent peut-être le stade du PAPE ou qui sont achetés par quelqu'un d'autre représentent le gros lot du point de vue de l'investisseur. Comme je l'ai mentionné, aux États-Unis, le taux de rentabilité interne à long terme s'élève à environ 20 p. 100, alors qu'au Canada, le taux de rendement du capital de risque est beaucoup moins élevé.

La disponibilité des fonds de capital de risque est très faible au Canada. Bon nombre des entreprises canadiennes prometteuses déménageront aux États-Unis pour se procurer des fonds de capital de risque, car non seulement il leur est plus facile d'obtenir de l'argent, mais elles ont également accès à des organisations qui savent comment les aider à faire fructifier leur entreprise. Ces organisations nomment des experts qui siègent à leur conseil d'administration et les aident à réussir.

Passons maintenant aux entreprises plus stables, aux petites et moyennes entreprises. Celles-ci obtiennent des prêts et des marges de crédit auprès de leur banque. Pendant la brève période qui a suivi la faillite de Lehman Brothers, de Bear Stearns, et de leurs pareils, il était difficile d'obtenir des prêts en raison de la crise de liquidité. Mais peu de temps après, les banques ont rouvert leurs coffres, et je ne crois pas que, depuis, les entreprises canadiennes qui présentent un risque de crédit raisonnable aient eu du mal à emprunter.

Le sénateur Marshall : Pensez-vous que l'un des obstacles à l'innovation et à la productivité soit de nature culturelle?

M. Thompson : Dans la mesure où nous sommes moins enclins à prendre des risques, je dirais que oui. Le sénateur qui a parlé en premier a mentionné un certain nombre des conclusions qui ont été tirées il y a de nombreuses années et qui indiquaient que les Canadiens jouissaient de nombreux droits. Le Canada est un pays où il fait bon vivre, et les salaires y sont satisfaisants.

Le sénateur Marshall : C'est la prochaine question que j'allais poser.

M. Thompson : Nous avons eu moins besoin de prendre des risques et, oui, cela a imprégné notre culture dans une certaine mesure.

Le sénateur Marshall : Je me demande si nos programmes sociaux offrent plus de prestations que, disons, ceux des États-Unis, et si cela a une incidence sur notre comportement.

M. Thompson : Après avoir vécu ici pendant 15 à 20 ans, je dirais que oui.

Toutefois, quelqu'un d'autre a mentionné que nous étions différents. Notre pays est très diversifié et compte beaucoup de petites villes. Les États-Unis ne possèdent pas un territoire comme Terre-Neuve où les gens seraient peut- être sans le sou pendant de nombreux mois de l'année si le gouvernement ne leur accordait pas des prestations d'assurance-emploi. De plus, cela pourrait entraîner des problèmes sociaux si graves que cela vous pousserait à vouloir offrir de meilleures prestations.

Ce n'est pas mon domaine, alors je ne peux pas vraiment répondre à cette question. Je pense néanmoins que les Américains ont droit à moins de prestations sociales, si c'est ce que vous voulez savoir. Au Canada, nous avons un meilleur filet de sécurité sociale et, à certains endroits, c'est nécessaire et justifié.

Le sénateur Marshall : Oui, et il se pourrait que cela ait une incidence sur l'innovation.

Je pense que vous avez mentionné que certains gouvernements accordaient des fonds pour l'innovation. Dites-le-moi si j'interprète ce que vous avez dit incorrectement, mais je crois comprendre que les gouvernements ont tendance à octroyer des fonds aux universités et à d'autres organismes publics. Pensez-vous que le gouvernement devrait investir peut-être dans l'industrie plutôt que dans les universités et les autres organisations publiques?

M. Thompson : J'aimerais que le gouvernement fédéral finance des projets universitaires dans le cadre desquels il faudrait que les universités travaillent davantage en collaboration avec l'industrie. Je ne veux pas priver les universités de cet argent, mais j'aimerais qu'on les incite quelque peu à collaborer avec des intervenants du marché du travail afin de garantir la commercialisation des innovations.

Le sénateur Marshall : Oui. Le lien n'existe pas.

M. Thompson : Le lien n'est pas là dans la mesure où il devrait l'être.

En passant, ce lien existe dans certains groupes. Waterloo, par exemple, a tissé un étroit lien avec l'industrie, et c'est aussi le cas à d'autres endroits comme Kanata.

Le sénateur Marshall : Nous aimerions qu'il y ait plus de liens.

Le président : Avant que nous demandions aux autres témoins de venir s'asseoir à la table, deux autres sénateurs ont des questions à poser.

Le sénateur Duffy : Monsieur Thompson, je vous remercie d'être venu aujourd'hui. Je me fais l'écho des propos de mon collègue en disant que c'est très généreux de la part de quelqu'un dans votre position d'avoir consacré autant de temps à bâtir un Canada meilleur. Nous en prenons bonne note, et nous vous en sommes très reconnaissants.

Le sénateur Ogilvie, qui a été obligé de partir pour assister à une autre séance de comité, a mentionné le fait que notre pays s'entend sur 3,000 milles et que la densité de sa population est faible. Lorsque j'ai entendu cela, j'ai pensé à votre développement aux États-Unis — j'ai traversé récemment la Nouvelle-Angleterre et j'ai aperçu des succursales de la Banque TD partout. Je soupçonne que votre capacité de vous installer aux États-Unis ne découle pas simplement du fait que vous gérez une banque. Elle est imputable en partie au fait que vous avez appris comment faire des profits en exploitant électroniquement une série de succursales établies dans de petites collectivités des quatre coins du pays. Dans le passé, il n'y avait pas d'énormes réseaux bancaires aux États-Unis, et je présume que vous avez été en mesure d'importer ce savoir-faire technologique aux États-Unis. Je vous en félicite. Comme vous en conviendrez sûrement, certaines des leçons que nous avons tirées ici s'appliquent là-bas.

Parlons maintenant des compétences des travailleurs dans le secteur forestier. Au cours de notre voyage, nous avons visité des scieries extraordinaires, y compris celles que possèdent et exploitent les Irvings. On y faisait des choses incroyables à l'aide de billes de bois brutes, d'un laser et de tous ces autres outils. L'ouvrier qui commande cette machine informatisée dans la scierie doit posséder certaines compétences. Lorsque vous et votre conseil songez à notre productivité future, craignez-vous que le taux de décrochage scolaire au niveau secondaire soit trop élevé, et que nous ne poussions pas suffisamment les jeunes à faire des études plus avancées? Peut-être que, d'une certaine manière, il est trop facile d'abandonner l'école sans même terminer ses études secondaires.

M. Thompson : C'est une bonne question, sénateur Duffy, et je n'en connais pas la réponse. Pour y répondre, il faudrait que je devine, et je ne tiens pas vraiment à le faire. Je ne connais pas les statistiques sur le décrochage scolaire. Permettez-moi de faire marche arrière et de dire que les études sont la clé d'une main-d'œuvre productive. Plus il y aura de gens instruits, plus vous obtiendrez des innovations et une productivité élevée. Je pense que le principe fonctionne.

Le sénateur Duffy : Dans toute la chaîne?

M. Thompson : Oui. Ce que j'ignore, c'est si notre taux de décrochage scolaire est du même ordre que celui des autres. Personnellement, je pense que le système d'enseignement secondaire est bien meilleur au Canada qu'aux États- Unis. Je ne sais pas s'il soutient la comparaison avec les autres pays. Je ne peux pas vous donner une réponse très intelligente à ce sujet, mais je peux vous dire qu'à mon avis, le principe voulant qu'une main-d'œuvre plus instruite soit plus productive et novatrice est absolument correct.

Le sénateur Duffy : Mme Osika pourrait vouloir ajouter quelque chose à cela.

Renata Osika, directrice des programmes, Conseil des académies canadiennes : Cette question est importante et, en fait, lorsque les membres du groupe d'experts délibéraient, ils ne répondaient pas aux questions directement du point de vue de l'enseignement primaire et secondaire. Cette question a été soulevée à plusieurs reprises lorsque nous avons présenté le rapport après sa publication.

Comparativement aux pays scandinaves, par exemple, nous avons tendance à considérer l'innovation comme un problème lié à l'éducation supérieure ou aux entreprises. En revanche, lorsqu'on parle d'innovation dans les pays scandinaves, on parle d'intégrer des activités novatrices dans le programme d'éducation de la maternelle, afin que les enfants grandissent dans un milieu où il est acceptable de prendre des risques et qu'ils apprennent à tolérer les erreurs parce qu'elles ont des effets positifs.

Parmi les faits étudiés, le groupe d'experts a analysé non seulement l'importance de la scolarisation, mais aussi celle du rôle des conseillers. Compte tenu de la discussion qui a eu lieu ici et des questions qui ont été posées, il est clair que le capital de risque revêt une grande importance. Cependant, au Canada, nous souffrons d'une pénurie de personnes capables de conseiller les entrepreneurs jeunes et vieux qui n'ont peut-être pas beaucoup d'expérience dans le démarrage de nouvelles entreprises. Si vous n'avez pas acquis cette expérience, les investisseurs pourraient être moins enclins à investir dans vos projets. Si nous disposions d'un important bassin de conseillers sur lesquels les gens pouvaient s'appuyer, cela faciliterait les choses, nous l'espérons. Le problème qui touche la gestion des talents a trait à la scolarisation et à l'encadrement non structuré.

Le sénateur Duffy : Merci. Le sénateur Eaton connaît peut-être le nombre, mais j'ai rencontré un certain nombre de gens provenant des écoles de commerce qui me disent que les gens font la file pour entrer dans leurs institutions. Peut- être devrions-nous rendre hommage aux entrepreneurs et à l'important rôle que les entreprises jouent dans notre société et les élever au rang d'aspirations, non seulement dans les universités, mais dans tout le système scolaire. À mon avis, les gens commencent à s'enthousiasmer pour ce champ d'études, mais nous devrions accentuer cette inclination, si nous le pouvons.

Mme Osika : En fait, immédiatement après la publication du rapport sur l'innovation, le conseil en a publié un autre qui portait sur la pertinence de la gestion en matière de recherche commerciale et financière pour les entreprises canadiennes. Ce rapport traite de ces questions. Je serais heureuse de le remettre au comité en tant que données supplémentaires.

Le président : Je vous en remercie.

Le sénateur Wallace : Je vous remercie, monsieur Thompson, de votre excellent exposé.

Comme vous l'avez dit — et cela ne prévient certainement pas en faveur du secteur commercial canadien —, nos entreprises ne font pas tellement preuve d'innovation ou manquent d'ambition comparativement à celles des autres pays. C'est manifestement une affirmation très grave que vous avez pourtant appliquée au pays en entier. C'est un énoncé général qui englobe l'ensemble de nos provinces et de nos territoires, ainsi que l'ensemble de nos industries et de nos entreprises.

Habituellement, pour corriger ce problème, les entreprises examinent les pratiques exemplaires de concurrents établis dans d'autres régions. Pour parvenir à cette conclusion, avez-vous procédé à une analyse par province et par industrie? Je me demande si votre étude a révélé des exemples de pratiques exemplaires au sein de notre pays. Nous n'aurions pas à étudier la Finlande ou à nous rabattre toujours sur les États-Unis. Nous pourrions suivre l'exemple de certaines industries ou de certaines régions où l'on fait davantage preuve d'innovation commerciale? Pouvons-nous apprendre de nos compatriotes?

M. Thompson : Oui. Je crois que nous avons effectivement accompli une partie de ce travail. Malheureusement, nous n'avons pas analysé le secteur forestier, alors je ne peux pas vous aider précisément à cet égard.

Je vous dirais qu'en matière d'innovation et de productivité, on constate que le secteur qui se classe au plus haut rang est l'industrie financière et que l'industrie des services, principalement les services de vente au détail et de vente en gros, arrive au dernier rang. La fabrication ne fait pas si mal, mais vous devez creuser pour en savoir plus.

Ce que vous constatez, par exemple, dans une usine de fabrication d'automobiles, c'est que l'usine elle-même est très productive comparativement à une usine située à Détroit ou en Allemagne. Cependant, ce que vous constatez, c'est qu'une grande part de l'innovation qui provient du travail de conception, et cetera, ne se fait pas au Canada parce que nous avons rationalisé nos activités pour devenir un bon fabricant seulement. Ce n'est pas entièrement mauvais, parce que si nous ne l'avions pas fait, nous importerions 100 p. 100 des voitures que nous achetons, plutôt qu'une certaine partie. Cela nous ramène à la question de savoir où se situent les sièges sociaux des entreprises. Vous voyez des exemples des deux côtés. Vous avez des cas où les sièges sociaux ont déménagé dans un autre pays et où les emplois ont suivi. Certains de ces emplois avaient exigé beaucoup de perfectionnement. Par exemple, nous avons vu cela lorsque Nortel s'est installée au Research Triangle Park à Nashville. Il y avait encore des bons emplois ici chez Bell-Northern Research, et certaines des usines étaient bonnes, mais nous avons vécu un exode des cerveaux à la suite de ce départ et une partie du talent en innovation a quitté le pays.

Par ailleurs, nous avons un exemple comme IBM, mon ancienne compagnie. IBM possède maintenant un des plus grands laboratoires au pays, qui est un laboratoire de recherche et développement qui produit des logiciels à Markham. IBM possède également des laboratoires de développement satellites à Ottawa et à Vancouver. Ce sont probablement certains des endroits les plus productifs et innovateurs que possède IBM dans le monde pour la production de logiciels.

IBM a pour philosophie d'essayer d'équilibrer le commerce. Nous exportions certains produits pour les marchés mondiaux à partir d'ici et nous importions d'autres produits provenant à 100 p. 100 d'ailleurs, mais nous essayions de nous rapprocher d'un commerce équilibré. Ce genre de stratégie permet d'avoir beaucoup plus de talent en profondeur dans une industrie. Vous voyez cela dans une certaine mesure dans l'industrie pharmaceutique, mais dans certaines autres industries où nous avons perdu les sièges sociaux, le travail de conception et la R-D ont quitté le pays également.

On peut se demander comment analyser ce problème, là où nous avons des sièges sociaux et là où nous n'en avons pas, et quelle est la nature de la stratégie de développement, de R-D et d'innovation de ces entreprises. Certaines font mieux que d'autres en termes d'investissements.

Il se passe certainement beaucoup de choses autour de la grappe de Waterloo, où il y a un jumelage entre des universités de très haut calibre et certaines des entreprises de technologie qui ont réussi et qui, par conséquent, créent beaucoup d'emplois et font de l'externalisation et de la vente dans la région. Cela crée de l'essaimage. Des employés quittent et démarrent leur propre entreprise. Toute cette grappe semble fonctionner. On en voit quelques-unes au Canada. On devrait les encourager, parce qu'elles créent un centre, qui est un bon modèle que d'autres peuvent suivre.

Mme Osika : Je peux donner des exemples précis. Il y a souvent de l'hésitation au sein des gouvernements au sujet du fait de jouer des rôles d'approvisionnement stratégique. Il y a eu des exemples tout au long de l'histoire du Canada où cela a très bien fonctionné. Télésat est un exemple. Cela a commencé par un partenariat public-privé et c'est devenu une entreprise qui a beaucoup de succès.

De plus, le PARI, le Programme d'aide à la recherche industrielle, a été populaire. Bien des gens d'affaires le considèrent comme un facteur de succès clé en ce qui concerne leur accès aux marchés. Encore une fois, c'est à la fois parce que le programme les a aidés à trouver un marché et leur a procuré des fonds, et parce qu'ils ont pu s'appuyer sur l'expertise en affaires des représentants du PARI qui ont travaillé avec eux.

En ce qui concerne les programmes plus récents qui ont été essayés au Canada et qui ont connu du succès dans d'autres pays, le Programme de coupons innovation vient à l'esprit. Dans le cas de ce programme, une petite somme d'argent est donnée à l'entreprise. L'entreprise décide où elle investit cet argent et la communauté de recherche est jumelée en termes de besoin. Il s'agit d'une décision d'affaires plutôt qu'une décision de recherche, pour inverser la séquence des décisions. Nous ne commençons pas par créer plus d'idées de recherche, et ensuite, essayer de vendre cela sur le marché, mais plutôt, nous faisons en sorte que ce soit le marché qui crée la demande pour les idées de recherche. L'Alberta a expérimenté cela et a connu un certain succès.

Le sénateur Wallace : Un avantage réel qu'un organisme comme le vôtre peut apporter à la discussion, c'est de mettre en relief ces exemples positifs que vous voyez au pays sur la façon dont nous pouvons bâtir et étendre cela à d'autres régions du pays. Cela serait très utile.

Le président : Monsieur Thompson et madame Osika, merci d'avoir accepté notre invitation à comparaître. Il ne fait aucun doute que vous avez abordé beaucoup de sujets.

Le président : Honorables sénateurs, je vous présente maintenant les témoins qui font partie de notre deuxième groupe. James Lee, gestionnaire de portefeuille, Sustainable Chemistry Alliance. Tony Roy, chargé de projet, et Nathalie Charbonneau, secrétaire-trésorière, Biotech Foresterie. Merci d'avoir accepté notre invitation à comparaître et de partager vos connaissances et votre professionnalisme avec le présent comité du Sénat. Je vous invite maintenant à faire vos exposés, qui seront suivis d'une période de questions et réponses. La greffière m'informe que ce sera M. Lee qui fera le premier exposé.

James Lee, gestionnaire de portefeuille, Sustainable Chemistry Alliance : Merci de m'avoir invité à prendre la parole. Je vais vous parler de l'expérience de la Sustainable Chemistry Alliance et de ses transactions d'affaires pour aider à commercialiser de nouvelles entreprises durables.

Je vais vous donner une brève description de ce dont je veux parler.

Je veux dire un mot sur la Sustainable Chemistry Alliance elle-même et sur certaines des occasions que nous avons constatées dans la valorisation de la biomasse, tant la biomasse forestière que la biomasse agricole, en produits commercialisés. Je vais terminer en proposant certaines initiatives de politique qui, d'après la Sustainable Chemistry Alliance, sont de nature à accélérer la commercialisation des innovations.

Commençons par la Sustainable Chemistry Alliance. Il s'agit d'un organisme sans but lucratif créé en 2008. Il est financé par les centres d'excellence en commercialisation et en recherche. Nous avons 5 millions de dollars à offrir aux entreprises ayant des technologies vertes durables pour la commercialisation de leurs produits ou de leurs procédés. Le but ultime de la Sustainable Chemistry Alliance est de s'autofinancer à partir des revenus provenant de nos investissements.

Au sein de ce portefeuille de la Sustainable Chemistry Alliance, nous avons neuf placements en actions. Quatre de ces placements nécessitent de la biomasse agricole ou forestière pour fabriquer un produit. Comme vous le savez probablement à partir des journaux, et cetera, dernièrement, la principale raison à l'origine d'un grand nombre d'innovations a été la conversion de la biomasse en carburant. Nous avons deux exemples où ces entreprises ont la possibilité de convertir la biomasse soit en carburants soit en produits chimiques.

Du point de vue de l'industrie, le Canada est un exportateur mondial de ressources naturelles. Nos ressources naturelles créent de la richesse pour la nation, en grande partie dans des chaînes de valeurs qui sont cloisonnées. En fin de compte, nous savons que ce n'est pas une façon durable de faire des affaires. Les matières que nous produisons ne sont pas durables à long terme. Toutefois, nous avons constaté qu'avec le temps, les choses ont changé. Il y a une réceptivité et une demande plus fortes chez les consommateurs à l'égard de l'énergie et des produits durables.

Aujourd'hui, les cloisonnements tombent. Il y a des occasions d'encourager la convergence dans la façon dont nous gérons nos ressources naturelles au-delà des cloisonnements traditionnels. Cela mène à l'intégration de différentes chaînes de valeur. Cela entraîne une utilisation plus efficiente de nos ressources naturelles limitées, de la pollinisation croisée et de l'intégration de nos connaissances et de nos ressources. En fin de compte, nous fabriquons des produits qui améliorent la durabilité. Au bout du compte, le consommateur est le consommateur et c'est dans son environnement que nous produisons des produits de valeur plus grande, et nous faisons preuve d'une plus grande responsabilité dans les domaines social, environnemental et économique.

Je vais prendre l'Ontario comme exemple. Si vous regardez la façon dont Statistique Canada catégorise les différents secteurs manufacturiers en Ontario et si vous ajoutez tous les secteurs qui utilisent le traitement chimique pour leurs activités d'affaires, nous voyons que le traitement chimique arrive nettement au premier rang comme moyen de fabrication générateur de richesse dans la province de l'Ontario. De toute évidence, c'est la bonne chose à faire que d'encourager l'innovation en foresterie ou en conversion de la biomasse pour chercher à obtenir une valeur plus grande pour le pays.

Il y a un certain temps, une étude a été entreprise à Sarnia pour examiner les occasions pour des nouveaux produits durables dans la province de l'Ontario. L'Ontario est unique. Si je regarde la situation mondiale, il y a trois régions sur la planète qui ont à la fois les ressources techniques et les matières premières pour être des chefs de file mondiaux dans le domaine de la durabilité. Il s'agit du Brésil, des États-Unis et du Canada et, au sein du Canada, l'Ontario occupe une place particulière.

Traditionnellement, nos industries ont été des industries non durables fondées sur les combustibles fossiles. Les articles récents dans les médias n'ont pas présenté ces industries sous un beau jour. C'est une grave erreur, parce que ces industries peuvent fournir le talent et l'infrastructure nécessaires pour créer nos entreprises et nos industries durables. Le faire de cette manière nous donne une longueur d'avance. Pourquoi repartir à zéro alors que nous pouvons bâtir sur ce que nous avons déjà? En superposant des occasions durables sur les entreprises de base existantes, nous pouvons accélérer le développement d'une industrie hybride durable au Canada.

Dans les trois prochaines diapositives, je vais vous parler de certaines des observations faites par la Sustainable Chemistry Alliance dans la commercialisation des produits chimiques verts et durables. De façon générale, la demande à l'égard des produits durables est liée à trois grandes catégories. Premièrement, les mécanismes du marché ou la demande du marché. Dans cette catégorie particulière, les magasins à grande surface comme Wal-Mart et Canadian Tire sont des exemples de chefs de file qui sont sensibles à cette demande. Ils exigent des produits verts durables à leurs fournisseurs. La récompense, c'est plus d'espace d'étalage dans les magasins de vente au détail. C'est quelque chose d'important, l'espace d'étalage dans les magasins de vente au détail.

La deuxième catégorie, c'est un mécanisme de type Économie 101 où la réglementation favorise le développement d'un produit durable. Le Règlement sur les carburants renouvelables du gouvernement fédéral en est un bon exemple. Sans ce règlement, qui exige une teneur de 2 à 5 p. 100 de carburant renouvelable dans les carburants, nous ne verrions pas d'usines de production d'éthanol ou d'entreprises, comme Iogen à Ottawa, qui développent de nouvelles technologies à commercialiser. C'est un bon exemple où une politique a stimulé l'innovation et l'industrie au Canada.

La troisième catégorie est une sorte d'énigme. C'est par le biais des innovations qui représentent une percée. Du côté de la chimie, typiquement, cela signifie créer un produit qui offre de nouvelles fonctionnalités pour le marché. Dans le cas des projets liés à la conversion de la biomasse, la Sustainable Chemistry Alliance a observé deux tendances. Premièrement, c'est la valorisation des matières premières à faible coût. Typiquement, cela veut dire la canne de maïs ou ce qui reste après que l'on a récolté les épis sur la tige de maïs. Un autre bon exemple, ce sont les forêts de pins dévastées en Colombie-Britannique, où vous avez des hectares et des hectares de forêt dévastée. Dans une perspective d'affaires, cela représente une véritable occasion. Il y a beaucoup de biomasse forestière qui peut être convertie en matière de plus grande valeur. En partenariat avec l'industrie forestière, les entreprises peuvent exploiter la forêt dévastée, reboiser et, en même temps, traiter la matière forestière dévastée pour en faire des produits de plus grande valeur.

Un autre objectif est d'essayer d'obtenir la valeur la plus élevée pour votre produit. Typiquement, nous constatons qu'il y a aujourd'hui deux domaines : l'énergie, ce qui va de soi, et les produits spécialisés et les produits de créneau. Dans le cas des occasions que nous avons observées, je suis heureux de constater que les entreprises que nous examinons ne cherchent pas le plan d'entreprise qui leur permettra de claquer un coup de circuit. En fin de compte, les matches se gagnent par une série de coups simples. Les produits spécialisés et de créneau offrent une série de coups simples pour permettre d'avoir du succès dans des entreprises durables.

Devant le choix entre un produit vert et un produit qui n'est pas aussi vert ou traditionnel, on constate aujourd'hui qu'on est plus ouvert à l'idée d'essayer un produit vert.

Toutefois, sur le chemin de la commercialisation, les produits nouveaux, verts ou durables doivent faire face à des défis. Cela signifie qu'il faut de l'aide pour que ces produits connaissent du succès.

Je parle surtout des petites et moyennes entreprises. Les grandes entreprises et les entreprises mondiales n'ont pas besoin d'autant d'aide. Elles ont les ressources financières nécessaires pour mettre en œuvre n'importe quel plan d'entreprise qu'elles peuvent se permettre d'avoir, et c'est beaucoup. Ce sont vraiment les petites et moyennes entreprises qui ont besoin d'aide.

Dans le cas d'un produit qui est prêt techniquement et qui est prêt pour le marché, certains de ces obstacles comprennent — et certains de ces obstacles ont été discutés dans une séance antérieure — l'aversion pour le risque, le manque d'accès au capital et quelque chose dont on parle rarement, l'économie du changement.

Si je proposais à un fabricant d'automobiles un tout nouveau produit vert pour fabriquer une pièce de sa voiture, il devrait payer pour adapter sa machinerie et intégrer cette pièce dans sa voiture. Il y a un coût lié à cela. Dans cette ère de concurrence, si le concurrent ne le fait pas, le fabricant fera-t-il? Je n'en suis pas certain.

La diapositive suivante présente certaines suggestions pour surmonter certains de ces obstacles. Premièrement, une stratégie nationale sur la durabilité. Le Canada est un très grand pays, mais sa population ne représente que le dixième de la population des États-Unis. Compte tenu de notre taille, le Canada peut être agile et réussir à déployer une stratégie nationale sur la durabilité.

Deuxièmement, prendre ce que nous avons appris avec le Règlement fédéral sur les carburants renouvelables et appliquer cela à d'autres produits renouvelables pour inciter les gens à fabriquer des produits renouvelables et à les rendre accessibles à la population.

Troisièmement, l'accès au capital. Je vous dirais que l'industrie chimique dans son ensemble a vu sa cote de crédit baisser presque partout à la suite du ralentissement économique récent. Des entreprises ayant la cote A ont vu leur cote tomber à BBB, et cela a rendu l'accès au capital encore plus difficile pour les entreprises chimiques en démarrage. Malheureusement, l'information que j'ai, c'est que les prêteurs utilisent encore des indicateurs économiques vieux de sept ans, époque où l'économie mondiale se portait beaucoup mieux. Les gens ont une fixation sur les codes de crédit AAA, mais la réalité, c'est que les cotes de crédit AAA sont très rares.

Pour aider à replacer les attentes des prêteurs, il y a une occasion de prendre certaines décisions de politique pour appuyer ces entreprises afin d'essayer de combler le besoin en crédit pour investissement. Une autre solution, c'est d'étendre l'admissibilité aux actions accréditives, qui sont traditionnellement réservées aux entreprises pétrolières, gazières et minières, à des entreprises durables admissibles. Troisièmement — et ce qui est plus intéressé —, c'est continuer d'appuyer des organismes comme la Sustainable Chemistry Alliance qui aident les entreprises à commercialiser les innovations. Et enfin, une suggestion qui a été proposée par de nombreuses personnes, c'est aider à améliorer les caractéristiques économiques des investissements de capitaux en prolongeant la déduction pour amortissement actuelle de trois ans, à cinq ans.

En résumé, je pense qu'aujourd'hui, nous sommes rendus à un excellent point pour le Canada. Nous avons l'occasion de faire preuve de leadership mondial dans l'industrie biologique et durable. Il serait très imprudent de penser qu'on peut aller à 100 p. 100 vers les produits biologiques durables, parce que ce n'est pas ce qu'il faut faire.

Nous devons reconnaître l'industrie existante et essayer de cultiver une industrie hybride qui est à la fois fossile, non fossile et biologique. Dans une perspective mondiale, étant donné que l'Ontario jouit d'une excellente réputation comme centre de fabrication au Canada, il y a une occasion pour l'Ontario d'être un chef de file mondial pour le Canada.

Je dois insister sur le fait qu'il y a un sentiment d'urgence. Je vais vous raconter une histoire. Il n'y a pas si longtemps, je travaillais à un projet de cogénération à Houston, au Texas. Tout était fin prêt. Toute la paperasse était réglée. La dernière chose qu'il me fallait, c'était la signature finale de l'une des sociétés de capital-risque participant à la transaction. Nous sommes allés voir la société qui nous a dit : « Vous avez fait une excellente négociation, mais c'était trop lent pour nous. Nous avons trouvé une autre entreprise dans laquelle investir avec un rendement supérieur. Elle a été plus rapide que vous et l'argent qui vous était réservé s'est envolé. »

C'est un exemple de ce qui arrive tout autour de nous. Dans un monde où les décideurs se fondent sur la valeur actualisée nette (VAN), le temps, c'est de l'argent. Dans le cas des petites et moyennes entreprises qui essaient d'innover, il existe quelque chose qui s'appelle la consommation des liquidités. Une fois que les liquidités sont consommées, elles ne reviennent pas au point de départ. Elles s'en vont ailleurs. Merci.

Le président : Merci, monsieur Lee.

[Français]

Nathalie Charbonneau, secrétaire-trésorière, Biothec Foresterie : Monsieur le président, je vais d'abord décrire notre compagnie, et ensuite, M. Roy pourra vous expliquer les problèmes que nous rencontrons dans le démarrage de celle-ci. Biothec Foresterie est une entreprise dont le siège social sera déplacé bientôt à Saint-Tite, notamment parce que la ressource s'y trouve en abondance et que plusieurs acériculteurs y sont déjà implantés. Biothec Foresterie œuvre essentiellement dans le domaine forestier et emploie, au plus gros de la saison, plus de 40 employés.

Cette division nous sert surtout à financer notre division biopharmaceutique. À ce titre, nous voulons commercialiser, dans les deux prochaines années, quatre produits issus de la forêt boréale québécoise. Ils seront composés essentiellement de l'eau de bouleau et d'un champignon particulier. De plus, nous y insèrerons d'autres produits à valeur ajoutée, qui seront uniques au monde. Toutefois avant de pouvoir commercialiser ces produits, nous devons faire encore plusieurs analyses, et c'est ce que nous faisons présentement. Nous sommes en train de faire l'inventaire de ce champignon ainsi que la réalisation d'un cahier des charges conforme aux normes de traçabilité exigées par Santé Canada.

Ces nouvelles avenues positionneront Biothec Foresterie, sans nul doute, sur le marché international déjà florissant de l'eau de bouleau. De plus, nous avons des associations avec les syndicats des producteurs de bois de la Mauricie et la coopérative forestière du Bas-Saint-Maurice pour ce qui est des récoltes sur les terres publiques et privées.

Biothec Foresterie a également une expertise unique et particulière en ce qui a trait à la récolte et à la transformation de l'if du Canada. Nous sommes présentement en train de faire une demande à la ministre Normandeau pour avoir, un centre de biotransformation à Saint-Tite. M. Tony Roy pourra vous expliquer où nous en sommes avec notre centre, et toutes les embûches que nous rencontrons quotidiennement dans la conduite de notre projet.

Tony Roy, chargé de projet, Biothec Foresterie : Monsieur le président, Biothec Foresterie est principalement une entreprise qui œuvre dans le domaine des travaux forestiers, notamment les travaux sylvicoles, et qui finance, comme Mme Charbonneau l'a souligné, la plupart de ses travaux de recherche en biopharmaceutique à partir des profits qu'elle réalise dans son autre division.

Nous travaillons avec le milieu universitaire, par le biais des centres de transfert technologique du Québec. Madame Charbonneau soulignait qu'au Québec, le contexte est extrêmement particulier lorsqu'il y a développement au niveau de la forêt privée et publique, à cause du lobby connu de l'UPA. Il faut des ententes sur la forêt privée et sur la forêt publique pour pouvoir procéder à des récoltes de bioproduits.

Un des premiers bioproduits visés par Biothec Foresterie — qui procède actuellement à la finalisation d'une étude du marché, et qui a déjà des clients dans les domaines des nutraceutiques et du biopharmaceutique, en Europe et en Asie —, c'est l'exportation de plusieurs centaines de milliers de litres d'eau de bouleau issu de la forêt québécoise.

L'eau de bouleau est un marché extrêmement florissant depuis plusieurs années en Europe, en Asie, notamment au Japon et en Corée. Il est surprenant qu'au Canada, on ne se soit pas attaqué plus tôt au développement de ce produit.

En procédant à des analyses de conservation afin de livrer un produit de qualité, nous avons développé des contacts avec le milieu universitaire qui nous ont permis de faire un comparatif avec les produits qui se retrouvaient actuellement en Europe et les produits que nous importions d'Europe pour la consommation. J'ai été très surpris d'apprendre qu'on consommait de l'eau de bouleau de la Suisse au Québec. C'est un des produits qui est très intéressant.

L'autre produit est aussi issu d'un champignon du Québec. Nous parlons d'un champignon, nous ne parlons pas directement du produit parce qu'en fait, nous sommes à l'acquisition d'un produit forestier non ligneux (PFNL) et certaines choses m'empêchent d'en parler actuellement. Mais plusieurs recherches ont été faites par les milieux universitaires et plusieurs études sont en voie d'être terminées.

Toutefois, nous pouvons penser à la commercialisation de ce champignon sur les marchés nord-américains et européens, de façon très réaliste, pour la fin de l'année 2011. Notre association avec une entreprise œuvrant dans le domaine pharmaceutique au niveau international et avec des gens qui exportent en Europe est extrêmement prometteuse.

Pour ce qui est de l'if du Canada, un des derniers produits que nous développons, j'ai travaillé avec la défunte compagnie Bioxel Pharma, au Québec, et nous avons réactivé la filiale avec des clients en Chine et au Japon. Nous avons aussi des clients de l'Inde qui se sont manifestés.

Toutefois, au Québec, il y a toujours le contexte extrêmement particulier « forêt publique-forêt privée » qui est assez complexe. Ce qu'on voulait dire c'est que Biothec Foresterie a innové par le fait qu'elle a rapidement entamé des pourparlers avec la forêt privée et conclu des ententes qui nous permettent de récolter sur les forêts publiques. Toutefois, il nous reste à mettre sur pied des territoires exclusifs de récolte, car pour la récolte de l'if du Canada, cela ne fonctionne pas comme en Ontario et au Nouveau-Brunswick, par exemple, où Chatham Biothec est bien implantée. On peut procéder à la récolte sans avoir à payer de prélevé, comme on le fait au Québec, aux différents paliers, soit au niveau privé ou au gouvernement du Québec. Ce genre de prélevé tend à être diminué. Notre rencontre au bureau de la ministre et avec la direction des programmes forestiers semble avoir porté fruit.

Ce qu'il est important de comprendre, c'est que Biothec Foresterie crée beaucoup d'emplois en forêt et va générer aussi beaucoup d'emplois en transformation. On est à la fois générateur d'emplois et compétitif internationalement. Qu'il s'agisse de l'eau de bouleau ou du champignon, cela crée des emplois pour la base, pour les électeurs, pour les gens simples, et on parle d'emplois rémunérateurs. On parle toujours d'emplois entre 500 $ et 700 $ nets, pour des gens qui ont peu d'éducation. Il faut comprendre que la plupart des gens qui vivent en région éloignée, en forêt, ne sont pas nécessairement des gens qui sont issus du milieu collégial ou universitaire. Toutefois, nous générons aussi beaucoup d'emplois de techniciens et d'ingénieurs en foresterie et du domaine de la technique, de la rédaction, des choses qui sont reliées à cela.

Comme je l'ai dit, à cause du contexte particulier du Québec, Biothec Foresterie rencontre plusieurs embûches. Toutefois, on cherche à trouver des capitaux d'investissement avec Développement économique Canada, des capitaux qui vont nous permettre d'aller plus rapidement dans le développement, parce qu'il est évident qu'on pourrait se faire concurrencer rapidement par le marché international à d'autres points de vue. Notamment, pour ce qui est de l'eau de bouleau, on a un potentiel incroyable. On doit avoir des gens qui sont prêts à investir dans du capital de risque. On a déjà fait des investissements faramineux comparés au chiffre d'affaires de l'entreprise. C'est la totalité des bénéfices de l'entreprise qui sont réinvestis depuis deux ans dans le développement des produits biopharmaceutiques.

Je ne dirais pas qu'on est essoufflé; on est très emballé, mais c'est sûr qu'on va avoir besoin de capital de risque.

On a des gens qui nous épaulent au fédéral. Je suis issu du milieu syndical, ma formation est en gestion de ressources humaines, j'ai travaillé pour la Fédération des travailleurs du Québec, et j'ai connu la crise forestière de l'intérieur, et j'ai vu comment ça se produisait. C'est quelque chose que je comprends. Je vis en Mauricie où l'on a des papeteries, des scieries qui ferment. J'ai vu et vécu ces choses avec des proches. Mon frère est directeur d'usine dans une scierie. C'est donc quelque chose que je comprends très bien.

Je vois aussi des investissements faramineux pour maintenir des entreprises qui, à court terme, vont devoir fermer leurs portes parce qu'elles ne sont pas compétitives.

Il faut plus d'investissements dans le domaine des biopharmaceutiques. On n'a qu'à constater le marché mondial actuellement qui est vraiment facile à observer et on a tout le potentiel, au Québec et au Canada, pour mettre en marché des produits compétitifs et créer beaucoup plus d'emplois que les scieries n'en créent actuellement.

Non pas que je sois pessimiste quant à l'avenir des scieries, mais je sais qu'il faudra de la spécialisation, tant au niveau des pâtes et papiers que dans le milieu des scieries, pour qu'il y ait une survie à long terme de ce genre d'entreprises. Il faut également une diversification en foresterie pour être en mesure, au Québec et au Canada, de survivre à la crise forestière et être compétitif au niveau international.

Le sénateur Robichaud : Vous avez parlé de l'eau de bouleau.

M. Roy : Oui.

Le sénateur Robichaud : Qu'est-ce que ça fait?

Mme Charbonneau : L'eau de bouleau est essentiellement un dépuratif, qui contient beaucoup d'ingrédients, beaucoup de particularités, dont des antioxydants. En France, ils mettent de l'eau de bouleau dans les shampoings. Ils en font également des produits de santé. Ils en ont presque partout. Il y a une particularité à exploiter dans cette eau.

M. Roy : Je peux répondre plus particulièrement à la question. Il semblerait que ce soit notamment utilisé comme traitement pour purifier les dépôts qui se seraient emmagasinés au niveau des reins. C'est aussi simple que cela. Sauf que c'est aussi contenu dans beaucoup de shampoings européens et beaucoup d'autres produits à valeur ajoutée.

Je vais vous donner une idée de mise en marché actuellement en Corée. Il se vend deux à trois millions de bouteilles de 250 ml par période de trois mois. Ces bouteilles se détaillent à environ 22,50 $ US. Ce sont donc des possibilités de mise en marché au niveau de l'aspect financier.

En ce qui a trait à l'aspect médical, on dit « biopharmaceutiques », on pourrait le qualifier de « produit de santé naturelle ». Il y a des toluènes, des polyphénols, qui sont des super antioxydants, contenus dans le bouleau de façon naturelle.

Pour avoir fait des analyses comparatives de produits avec les produits européens qu'on trouve sur le marché, on sait, par exemple, que nos bouleaux au Québec et ailleurs au Canada ont une très bonne valeur en toluènes et en polyphénols, ce qui fait qu'actuellement, on est extrêmement compétitif.

Il existe d'autres marchés comme le sirop de bouleau, qui vise à remplacer un produit comme le glutamate monosodique, qui est un accélérant de saveur. Donc le sirop de bouleau est aussi une avenue à envisager. Mais chez Biothec, on s'intéresse particulièrement à transformer l'eau de bouleau en tant que telle, à la conserver et à la vendre à des entreprises européennes qui, elles, veulent en importer des milliers de litres.

On parle d'industries reliées aux cosmétiques parce que les valeurs, les teneurs en toluène, en polyphénol et en super antioxydant ont des vertus incroyables pour des crèmes extrêmement dispendieuses, fabriquées par Dior, par exemple.

Le sénateur Robichaud : Vous n'avez pas eu à faire beaucoup de recherche. Le marché était déjà là. Il s'agissait de trouver l'eau de bouleau.

M. Roy : Oui, mais aussi de procéder à des recherches comparatives de qualité et de connaître l'impact sur le plan de la récolte d'eau de bouleau sur les arbres. Il fallait s'assurer de la quantité d'eau qu'un bouleau peut produire et si le fait d'entailler un bouleau allait nuire à sa croissance. On a procédé à une étude qui nous permettait d'établir avec certitude, au niveau du ministère, qu'on puisse obtenir une bétulaie, un territoire exclusif de récolte et de ne pas endommager les bouleaux afin qu'ils puissent être récoltés plus tard. L'idée même d'entailler le bouleau, c'est qu'en plus de l'entailler on puisse le récolter pour l'industrie forestière plus tard. Le bouleau étant un arbre intermédiaire qui vit une soixantaine d'années.

Le sénateur Robichaud : Vous avez aussi parlé de champignons.

M. Roy : Je parle aussi de champignons que je n'ai pas développés sous le nom du champignon parce que c'est un champignon d'utilité biopharmaceutique. On en est encore au niveau du développement du PSN final. Il risque d'être extrêmement prometteur. Ce champignon est déjà importé au Canada à partir de la Russie et d'autres pays européens. Toutefois, après des analyses comparatives de produits européens et russes, on a constaté que le champignon qui pousse au Québec est plus riche en antioxydant, en toluène, en polyphénol et aussi en acide bétulinique; ce sont vraiment des produits recherchés sur le plan du traitement.

Je ne veux pas entrer dans la revue de littérature qu'on a fait produire qui parle du VIH, du sida et du cancer; ce n'est pas quelque chose que l'on tend à démontrer. Ce que l'on tend à dire, c'est que c'est un excellent produit de santé naturel qui vise à être exporté au Japon, en Corée, aux États-Unis et à développer le marché au Canada, car on n'a pas une très grande culture sur le plan du marché des champignons. Nos parents nous disaient de ne pas les manger, que c'était poison. Alors, la culture du marché du champignon au Canada est à développer et fait peur. On s'attaque aux marchés européens et asiatiques où il y a une forte demande pour ce type de champignons. Nous en sommes à établir et à finaliser un plan de mise en marché parce qu'on a fait faire des analyses de marché comparatives de notre champignon.

Ce qui nous différencie aussi c'est que la plupart des produits que l'on met en marché assurent une traçabilité complète. On a travaillé avec des ingénieurs forestiers pour créer un processus de traçabilité complet. La plupart des produits que l'on retrouve sur le marché n'ont pas de traçabilité. On a la possibilité de faire quelque chose qui est complètement différent; on peut savoir l'état de l'arbre sur lequel il a poussé, car le champignon peut accumuler des polluants et des choses toxiques et c'est important de le dire. Tous les champignons ont été analysés, toutes les études ont été faites et la traçabilité sera complète pour la mise en marché des champignons. Des clients se sont montrés fortement intéressés par cela notamment, et les Européens développent énormément à ce niveau.

Le sénateur Eaton : C'est très intéressant, mais comme vous dites, la culture des champignons en Europe est bien établie. Les Européens aiment les champignons et ils les cueillent en forêt.

[Traduction]

Vous semblez avoir fait tellement de recherche et vous avez créé les produits en question. Votre dossier commercial suit-il le développement des produits? Avez-vous reçu l'aide financière dont vous avez besoin? En dehors du gouvernement du Canada, avez-vous attiré l'intérêt de gens du domaine du capital de risque? Vous faut-il des capitaux de l'extérieur? Avez-vous des mentors?

[Français]

Mme Charbonneau : On est présentement en émergence. On est en recherche justement de tout ça. Je travaille beaucoup ces temps-ci avec mon CLD.

Le sénateur Eaton : Qu'est-ce qu'un CLD?

Mme Charbonneau : C'est l'organisme de notre municipalité qui aide les entreprises à démarrer, les aide à chercher des fonds et les oriente. Sauf que notre domaine est innovateur et on a de la difficulté à trouver des ressources. On ne sait pas où aller. Je travaille un peu avec Développement économique Canada et Innovation Canada, mais depuis un an et demi, on n'a rien reçu. On a reçu 5 000 $ d'aide jusqu'à maintenant. Personne ne nous dirige de façon adéquate pour trouver des fonds. On cherche encore. On n'a pas d'aide directe et indirecte. Il faut travailler fort et fouiller sur les sites Internet des gouvernements du Canada et du Québec pour essayer de trouver des choses parce que sinon, on n'a pas d'aide.

Le sénateur Eaton : FP Innovation n'est pas intéressée?

Mme Charbonneau : Je ne les connaissais pas. C'est vraiment difficile.

Le sénateur Eaton : Ils sont venus témoigner à plusieurs reprises. Je suis certaine que la greffière pourra vous indiquer quelques adresses pour vous aider.

Mme Charbonneau : Ils peuvent aider des petites entreprises comme la nôtre. Comme monsieur Roy le dit, actuellement, c'est difficile parce que toute la division forestière ne sert qu'à des levées de fonds pour qu'on puisse atteindre notre objectif, le biopharmaceutique. Nous sommes trois dans le système administratif et nous nous accordons tous des petits salaires pour injecter le plus d'argent possible dans notre recherche et nos projets. À la longue, cela devient essoufflant.

Le sénateur Eaton : C'est ce qui vous manque.

Mme Charbonneau : Et on sait que les produits sont bons.

Le sénateur Eaton : Vous avez un marché.

Mme Charbonneau : Tout est là sauf les sous, l'aide financière fait défaut. On a de la difficulté à trouver parce qu'on ne sait pas où chercher. Il n'y a pas de ressources pour nous aider.

Le sénateur Eaton : Il y en a, mais vous ne les connaissez pas et ils n'ont pas assez de profils.

Mme Charbonneau : Exactement.

Le président : Merci madame le sénateur.

[Traduction]

Le sénateur Marshall : Ma question s'adresse à M. Lee; elle est semblable à celle que le sénateur Eaton a posée à Mme Charbonneau. L'accès au capital pose-t-il problème? Pendant votre déclaration, vous avez parlé d'un fonds de cinq millions de dollars qui a servi à financer neuf entreprises. Le financement pose-t-il problème? Par rapport aux entreprises que vous financez, êtes-vous assez avancés pour savoir si elles s'en tirent bien?

M. Lee : D'un point de vue réaliste, nous ne nous attendons pas à connaître de résultats d'ici trois ou cinq ans. Pour ce qui est du financement que ces entreprises recevaient avant de se tourner vers Sustainable Chemistry Alliance, la majorité de leur argent provenait de subventions du gouvernement. Il y avait également beaucoup de fonds privés et personnels.

Le sénateur Marshall : Ce sont toutes de nouvelles entreprises en démarrage. Les compagnies que vous connaissez ont-elles réussi à accéder facilement au financement qu'il leur fallait, ou cela pose-t-il problème?

M. Lee : Cela pose toujours problème. Divers programmes gouvernementaux financent la recherche et l'essai de nouvelles découvertes scientifiques. Or, il n'y a pas suffisamment de financement pour aider les entreprises à passer de l'étape de l'essai à celle de la commercialisation. C'est sur ce plan que la SCA prête main-forte.

Le sénateur Marshall : Elle fait le pont. Merci.

[Français]

Le sénateur Robichaud : Vous avez découvert qu'il y avait un marché pour les produits que vous êtes en train de mettre sur le marché. Tout le problème est là. Vous avez parlé de la récolte, de différentes ententes avec les propriétaires, mais vous avez un problème de marketing à ce moment-ci et un problème de recherche pour trouver tous les bénéfices que vous pouvez retirer de la matière que vous récoltez.

Mme Charbonneau : Nous sommes rendus à ce stade. Admettons qu'on parle de financement; pour faire l'inventaire de notre champignon, nous avons demandé un volet deux. Le champignon que nous voulons mettre sur le marché se cueille en hiver, c'est un champignon particulier. Nous commencerons l'inventaire la semaine prochaine. Nous avons reçu une aide financière, de 10 000 $, je crois, pour faire notre inventaire.

M. Roy : Nous avons reçu 10 000 $ pour un projet qui va nous en coûter environ 40 000 $. Il faut être réaliste, les sommes qui nous sont versées, en comparaison aux sommes que nous réinvestissons en temps/homme/heures/travail sont ridicules pour la quantité d'emplois qui sont générés et créés. Souvent, on va voir des fonds disponibles pour du très long terme. Quand on parle de compétitivité et de marché, de façon réaliste, il nous faut aller chercher des fonds pour la mise en marché, car nous avons déjà le marché, nous avons déjà le produit et nous pouvons déjà créer beaucoup d'emplois. Donc, c'est sur ce point que les programmes, parfois, ne vont pas nécessairement s'appliquer.

Je suis issu du milieu universitaire, je travaille avec le milieu universitaire, et j'ai souvent de la difficulté à faire comprendre à l'ensemble de mes collègues, que nous travaillons dans un contexte de compétitivité d'entreprise; et souvent c'est moi qui vais raccourcir les dates butoir avec ces gens et leur dire : « L'analyse ce n'est pas dans cinq mois, je me fiche que cela coûte 5 000 $ de plus, tu me la fais maintenant, c'est maintenant que j'en ai besoin ». C'est souvent à ce niveau qu'il est difficile d'arriver où l'on veut arriver. Là où l'on manque d'argent, c'est justement dans les investissements à court terme pour vraiment mettre le centre sur pied.

Nous avons déjà la municipalité de Saint-Tite, par exemple, qui nous fait la concession d'un terrain, qui est prête à financer la bâtisse — le centre de transformation, je parle de la bâtisse extérieure — sur plusieurs années, à titre de loyer sans intérêt, et on leur paye sur dix ans. Il y a des gens qui sont prêts à investir parce qu'ils savent que c'est générateur d'emploi. Ils savent très bien que des emplois sont reliés à la forêt, à la cueillette, que des emplois de techniciens y sont reliés, en plus de la division forestière. Car de ce que nous faisons vont découler également des travaux forestiers non conventionnels. Nous faisons déjà travailler 40 personnes, mais les travaux forestiers reliés à l'établissement de la tubulure pour 200 000 entailles, c'est beaucoup de travail pour beaucoup de gens, et ce sont des gens qui vont travailler à environ 15, 16, 17 $ de l'heure. On ne parle pas de diplômés universitaires, on parle de gens qui ont besoin de travailler et qui sont en perte d'emploi actuellement parce qu'il y a eu des compressions dans l'industrie forestière. Ce sont ces gens que nous récupérons, et qui travaillent déjà pour nous à des salaires très compétitifs.

Nous avons aussi besoin de techniciens et d'ingénieurs, mais nous avons besoin de faire travailler la base : des gens dans la tubulure, des gens au niveau de la cueillette, que nous allons former pour assurer le processus de traçabilité, et qui vont être encadrés par des techniciens et des ingénieurs. Pour Biothec Foresterie, pour être tout à fait réaliste, on parle de la création de 200 emplois au minimum, et c'est beaucoup d'emplois bien rémunérés. Quand on voit qu'on investit 10, 20, 30 millions de dollars pour sauver 50 emplois en scierie, on s'interroge; particulièrement, quand on dit au gouvernement qu'on a besoin d'argent pour faire de l'inventaire et qu'on nous donne 10 000 $ en nous disant « c'est le maximum qu'on peut faire ». On s'interroge en se disant : « tu en mets 10, j'en mets 30 »; si je ne faisais pas travailler de gens, je me dirais que ce n'est pas générateur d'emploi, mais je fais déjà travailler beaucoup de gens.

Le sénateur Robichaud : Quelle est l'agence qui vous avance ces fonds?

M. Roy : Au niveau du volet 2, c'est l'agence de mise en valeur; je dirais que c'est la Conférence régionale des élus, le CRÉ au Québec, qui est l'ensemble de la Mauricie, qui alloue des volets 2. On leur avait demandé, je crois, 22 500 $, qui était à peu près la moitié de ce que cela allait nous coûter pour procéder à un inventaire de qualité. Rien qu'en frais d'ingénieurs, on va frôler les 6 000 $ à 7 000 $. À ce prix là, on n'a pas payé les techniciens, ni la cartographie; on n'a pas parlé du géomaticien qui va travailler pour tracer les cartes. C'est comme si on vivait dans une réalité qui était déconnectée. On crée beaucoup d'emplois, mais on a droit à très peu de subventions. C'est comme cela qu'on le voit. Donc, on cherche des investisseurs et du capital.

Évidemment, il y a des gens qui se sont manifestés, mais il faut être extrêmement prudent dans le domaine biopharmaceutique, parce qu'il y a des requins qui se sont manifestés. Ils savent qu'on a un excellent bioproduit, qu'on a procédé à des analyses et que, même si on travaille avec des centres de transferts technologiques universitaires, il y a quand le même des risques de fuites; on doit s'assurer chaque semaine qu'on a des ententes de confidentialité convenables au niveau des travaux qu'on paye et qu'on fait.

[Traduction]

Le sénateur Duffy : Je tiens à vous féliciter de vos idées novatrices. Selon ce que vous nous dites, vous avez cogné à tellement de portes que vous devez avoir les mains contusionnées. Montréal est le centre de l'industrie pharmaceutique canadienne, et avec des propositions comme les vôtres, vos idées, vos innovations, l'if, et cetera — tout cela est très excitant —, j'aurais cru que les entreprises situées le long de la Transcanadienne à Montréal sauteraient sur l'occasion de s'associer à vous.

[Français]

Mme Charbonneau : Ce que nous voulons faire, c'est développer nous-mêmes le produit. Nous pourrions, certes, être un vendeur de première transformation de matière première pour les industries pharmaceutiques, sauf que, nous voulons vraiment développer le produit parce que nous savons que le potentiel est là, et nous ne voulons pas seulement vendre la matière première pour les industries. Nous voulons aller plus loin que cela.

M. Roy : J'ajouterais à ce que Mme Charbonneau vient de dire que des entreprises se sont montrées intéressées, mais il y a toujours un risque, au niveau de l'investissement de la part de ces entreprises, qui est une absorption complète. J'ai travaillé avec la défunte compagnie Bioxel Pharma dans l'if du Canada. Bioxel avait développé le decataxel, un produit innovateur à l'échelle mondiale, avec quatre chercheurs — dont l'un était un ami personnel. Il y avait 400 chercheurs dans le monde entier qui travaillaient là-dessus, et c'est Bioxel Pharma qui a développé le decataxel. Ils ont dû malheureusement fermer leurs portes faute de capitaux à risque à investir, et le brevet du produit s'est retrouvé aux mains d'une compagnie — qui cherche d'ailleurs à nous acheter de l'if du Canada à valeur de millions de livres.

Ce fameux decataxel nous a échappé, au Canada, et nous tentons, je dirais, de développer un marché qui nous ressemble et nous croyons que, au Canada, nous allons être capables d'avoir une entreprise biopharmaceutique qui va produire ses propres produits, et que cela va se faire chez nous, que ce ne sont pas des entreprises qui vont risquer de nous absorber. Il y a un grand danger; on nous a offert des choses très attrayantes. Nous aurions pu être une entreprise qui allait tout simplement exporter en Europe de l'eau de bouleau pour qu'ils fabriquent quelque chose, et notre champignon pour qu'ils fabriquent autre chose. Mais nous voulons exporter un produit fini, être l'exemple de quelque chose. Nous ne voulons pas être que l'exportateur d'un premier produit pour que l'Europe nous le revende.

Actuellement, par exemple, on achète de l'eau de bouleau venant de la Suisse; c'est un non-sens. Six gélules buvables d'eau de bouleau valent 56 $. C'est incroyable, mais on achète cela ici au Québec et au Canada, dans les centres de santé naturelle, et cela vient de la Suisse. On achète des shampoings et des crèmes spécialisées faites à partir de bouleau. On parle de crèmes spécialisées qui valent jusqu'à 250 $. On achète ces produits à la Suisse.

[Traduction]

Le sénateur Plett : Ma question va un peu plus loin que ce que le sénateur Duffy a déjà mentionné. Je ne sais pas si j'ai mal compris quelque chose, mais 10 000 $ de fonds pour un projet de 40 000 $ équivalent à 25 p. 100 de financement, ce qui est assez considérable.

Vous affirmez qu'il y a un marché pour votre eau de bouleau. Je ne sais pas si j'ai le bon nombre de litres ou les bons chiffres, mais vous dites que les bouteilles d'eau de bouleau se vendent pour des centaines de dollars, et qu'il y a un marché pour 325 millions de bouteilles. Ces chiffres me semblent tout à fait astronomiques.

Si ce marché existe, je ne peux m'imaginer que les investisseurs privés ne seraient pas nombreux à vouloir s'associer à vous, mais vous semblez dire : « Nous ne voulons pas d'associés; nous voulons simplement recevoir de l'argent et tenir nous-mêmes les rênes. » Il y a peut-être quelque chose qui m'échappe.

L'une de mes émissions favorites s'intitule Dragons' Den; elle est diffusée sur les ondes de la CBC. Je pense que Kevin O'Leary s'intéresserait peut-être à votre produit. Je sais qu'il voudra une grande part de votre entreprise s'il vous finance.

Je vous suggère fortement de tenter de trouver des associés dans le secteur privé; 49 p. 100 de quelque chose qui va bien, c'est peut-être mieux que 0 p. 100 d'un échec. En fait, cela ne fait aucun doute. Voilà ce que je voulais dire. Si je fais erreur, je vous prie de me corriger.

[Français]

M. Roy : Sénateur Plett, l'eau de bouleau se vend 22,50 $ pour 250 millilitres. Il existe un important marché. Cette part de marché est détenue par les Européens et les Russes, qui exploitent l'eau de bouleau. Pour devenir compétitifs sur ce marché, nous pourrions nous tourner vers l'industrie privée. D'ailleurs, nous n'avons pas rejeté cette option. Toutefois, nous tenons à développer davantage l'entreprise avant de nous lancer dans des pourparlers officiels pour nous associer à des compagnies privées, capitalistes, qui pourraient investir des fonds de capitaux à risque.

Lorsque vous parlez de financement de l'ordre de 25 p. 100, ce chiffre est mineur compte tenu des investissements faits, par exemple, au Québec, dans des industries qui génèrent beaucoup moins d'emploi et par rapport aux capitaux investis de la part du gouvernement du Québec et du gouvernement du Canada depuis la crise forestière.

[Traduction]

Le sénateur Plett : Est-ce le 10 000 $ ou le 25 p. 100 qui est mineur? Merci.

Le président : Monsieur Lee, merci d'avoir accepté notre invitation et de votre déclaration.

[Français]

Monsieur Roy et madame Charbonneau, je vous remercie de votre présence et de vos commentaires.

[Traduction]

Au nom du comité, je vous remercie. Mesdames et messieurs les sénateurs, la séance est levée.

(La séance est levée.)


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