Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts
Fascicule 10 - Témoignages du 16 novembre 2010
OTTAWA, le mardi 16 novembre 2010
Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui à 17 h 45 pour étudier l'état actuel et les perspectives d'avenir du secteur forestier au Canada.
Le sénateur Fernand Robichaud (vice-président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le vice-président : Je déclare la séance ouverte. Bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts. Je suis le sénateur Fernand Robichaud, du Nouveau-Brunswick. Je vais demander aux honorables sénateurs de bien vouloir se présenter, en commençant à ma droite.
Le sénateur Eaton : Sénateur Eaton, de Toronto.
[Traduction]
Le sénateur Duffy : Sénateur Mike Duffy, de l'Île-du-Prince-Édouard.
Le sénateur Ogilvie : Kelvin Ogilvie, de la Nouvelle-Écosse.
Le sénateur Plett : Don Plett, du Manitoba.
[Français]
Le sénateur Chaput : Sénateur Maria Chaput, du Manitoba.
[Traduction]
Le sénateur Mahovlich : Frank Mahovlich, de l'Ontario.
[Français]
Le vice-président : Le comité poursuit son étude sur l'état actuel et les perspectives d'avenir du secteur forestier au Canada. Aujourd'hui, nous nous pencherons sur la sylviculture, la gestion forestière et la santé des forêts. Nous accueillons aujourd'hui trois groupes.
[Traduction]
Il y a aussi John Betts, directeur exécutif de la Western Silvicultural Contractors' Association.
[Français]
Nous accueillons Brigitte Bigué, coordonnatrice de Réseau ligniculture Québec.
[Traduction]
Nous entendrons en outre Chris Walsh, directeur intérimaire de la Direction des forêts au ministère des Richesses naturelles de l'Ontario.
Je remercie les témoins de prendre de leur temps pour venir témoigner dans le cadre de l'étude que nous menons. Nous sommes prêts à vous écouter.
[Français]
Nous entendrons d'abord M. Betts et poursuivrons selon l'endroit où les témoins sont assis à la table. Le service d'interprétation simultanée est disponible. Une fois que nos témoins auront terminé leur présentation, nous passerons à une période de questions.
Monsieur Betts, je vous invite maintenant à commencer votre présentation.
[Traduction]
John Betts, directeur exécutif, Western Silvicultural Contractors' Association : Je vous remercie, monsieur le vice- président, mesdames et messieurs les sénateurs, de m'avoir invité ici aujourd'hui. Vous le savez déjà, je suis le directeur exécutif de la Western Silvicultural Contractors' Association. Je représente de petites entreprises du secteur du reboisement de la Colombie-Britannique. Nous avons des pépinières; nous retenons par contrat les services d'équipes de lutte contre les incendies, d'équipes de plantation d'arbres et d'arpenteurs, et nous offrons des services de consultation; nous entretenons les plantations, et cetera. Nous sommes en fait l'élément opérationnel sur le terrain du programme forestier de la Colombie-Britannique et de l'Alberta.
Je pensais vous parler aujourd'hui d'un enjeu lié au reboisement et à la régénération en Colombie-Britannique. J'ai vu qu'il est question dans votre mandat de la crise économique dans le secteur forestier. Je me permets de m'éloigner un peu du mandat pour parler de la crise écologique ou environnementale, parce que je pense que l'économie de l'avenir, quelle qu'elle soit, dépend de son issue. Il est clair qu'il nous faut porter le regard vers ce qui se passe en Colombie- Britannique.
Je vais décrire un événement particulier et, de là, tirer quelques conclusions et vous donner un aperçu du processus d'élimination du combustible. La consonance technique de cette description peut être décevante, mais j'espère vous passionner par mon récit. À la fin de ce bref survol, j'essaierai d'exposer l'autre facette, c'est-à-dire les possibilités qui s'offrent au gouvernement fédéral et aux collectivités de la Colombie-Britannique. Voilà pour le résumé.
Commençons par l'incendie survenu à Binta Lake. Vous voyez sur cette photo que c'est un endroit assez majestueux. Cette photo a été prise d'assez loin; je ne saurais dire si c'est 10 kilomètres ou moins, mais ces panaches de fumée ont des allures de formations orageuses, et ils ont quelque chose d'assez spectaculaire, voire de magnifique.
Par contre, de plus près, ils ne sont rien de tel. C'est une espèce de combinaison de ce qui arriverait si vous conjuguiez l'activité d'un volcan à celle d'un ouragan; des incendies de catégorie 5 de ce genre sont capables de déclencher des tempêtes de feu. Ils peuvent faire gronder le tonnerre, provoquer la foudre et faire souffler des vents d'une vélocité phénoménale, et aussi aspirer des matériaux. Nous avons vu une photographie infrarouge d'arbres s'agitant à quelque 5 000 et 10 000 pieds dans le ciel. Vous pouvez voir sur cette photo que ces incendies peuvent projeter de la fumée très, très loin.
Je peux dire que l'un des principaux produits forestiers de la Colombie-Britannique en ce moment, calculé à la tonne, c'est la fumée de bois. Elle comprend la mesure équivalente en dioxyde de carbone, dioxyde de soufre, matières particulaires et cendres qui, mesurés à la tonne, en font l'un de nos principaux produits. C'est aussi l'un des principaux produits que nous exportons, dans le sens où il franchit d'énormes distances à la faveur du courant-jet.
Cet incendie a été particulier dans le sens où aucun des principaux indicateurs d'une saison de feux intense ne permettait de prévoir la saison que nous avons eue l'année passée. Ce n'était pas vraiment une année de sécheresse. Plutôt le contraire, d'ailleurs, car le temps était très humide. Nous n'avions pas eu de longue période de temps sec, ni d'orages hors du commun.
Cet incendie a fait quelque chose d'assez unique. Au moment de cette prise de vue, 270 autres incendies faisaient rage en Colombie-Britannique. Je ne me souviens pas si celui-ci avait été causé par la foudre ou autre chose, mais en un jour et demi, sa superficie est passée de 1 500 à 40 000 hectares. Il a franchi 22 kilomètres du jour au lendemain, un peu à la faveur de fronts froids, des phénomènes météorologiques assez courants. Le fait reste que cet incendie est passé de 1 500 à 40 000 hectares et a franchi 22 kilomètres.
C'était sur la ceinture d'argile, dans le passage est-ouest, à l'ouest de Vanderhoof. Par bonheur, la région n'est pas très habitée; il n'y avait aucune collectivité sur le tracé de cet incendie. Pouvez-vous imaginer l'ampleur du problème, s'il fallait évacuer des gens quand un incendie se propage à cette allure?
Je vous fais mes excuses pour la qualité de cette photo, mais elle illustre le mur de flammes. Je vais maintenant vous expliquer quelques termes techniques. Vous voyez l'intensité du feu, c'est-à-dire l'énergie que dégage le mur de flammes. Je parlerai d'un autre aspect de cet incendie, la sévérité du feu, c'est-à-dire la durée réelle du feu et les dommages qu'il cause. N'oubliez pas ces termes. J'ai aussi fait allusion à la vitesse de propagation. Cet incendie ne progresse pas en un mur uniforme. La topographie des lieux cause ce qu'on appelle la « dissémination des foyers ». Il y aurait un front d'incendie et, probablement, quelque chose de similaire sur ses flancs. Il projetterait des cendres vers l'avant.
Vous pouvez vaguement voir une clairière sur cette photo. C'est en fait une zone de coupe à blanc. Il y a eu beaucoup de coupe dans la région, parce que les gens du secteur forestier essayaient de suivre le bord d'attaque du dendroctone du pin et de couper autant qu'ils le pouvaient pour sauver le bois avant qu'il soit détruit. Dans leur hâte, ils ont laissé derrière eux beaucoup de débris, dans la forêt. Par ailleurs, le public s'opposait au brûlage dirigé, qui aurait permis d'éliminer ce combustible. Il y avait plus loin des zones d'exploitation forestière ou se trouvent ce que nous appelons des « combustibles légers », qui sèchent rapidement. Ces combustibles pouvaient très bien propulser les flammes vers l'avant. Les étincelles emportées par le vent s'y posaient et enflammaient les combustibles légers. Bon nombre de ces zones sont maintenant des plantations, où nous avons planté des semis. L'incendie est ainsi poussé vers d'autres zones boisées.
Je suis désolé de la piètre résolution de la photo, mais vous pouvez aussi voir du bois gris, c'est-à-dire du bois tué par le dendroctone. Cet incendie est tout à fait représentatif de ceux que nous verrons désormais et qui seront déclenchés par un phénomène relativement normal dans des zones ravagées par le dendroctone et des zones de coupe à blanc où il n'y aura pas eu de brûlage dirigé. Ce qui nous inquiète surtout, en ce qui concerne la régénération, c'est que ce genre de conditions, que j'expliquerai mieux tout à l'heure, favorise la propagation des incendies sur 200 ou 300 000 hectares. Ils progressent très rapidement et font d'énormes ravages, non seulement sur les écosystèmes qui se trouvent sur leur passage, mais sur un grand nombre des infrastructures qui en font partie.
J'ai parlé du dendroctone du pin. C'est évidemment l'une des premières choses qui viennent à l'esprit quand on parle de ravages et de crise de la santé des forêts de la Colombie-Britannique. En fait, il y a autre chose dans les bois avant cela.
La Colombie-Britannique lutte contre les incendies, et pour cause, depuis 70 ans. Selon bien des régimes d'inflammabilité, les feux se déclenchent généralement de nouveau dans les zones les plus sèches à intervalles assez courts, de sept ans. Le régime d'inflammabilité, dans la région du Mont Okanagan où 250 maisons ont été détruites, est d'environ sept ans. Il n'y avait pas eu d'incendie depuis 70 ans, donc 10 intervalles avaient pu être évités. Quand l'incendie s'est finalement déclenché, il s'est comporté comme celui de Binta Lake et, dans ce cas-ci, il a emporté 250 maisons.
C'est à cause du combustible qui s'était accumulé avant l'arrivée du dendroctone. Quand on éteint un incendie, les semis peuvent prendre racine dans ce qui pourrait normalement être un pâturage, et le reboisement s'amorce. Vous en voyez un exemple ici. Dans ce cas-ci, vous pouvez voir que le combustible commence déjà à s'accumuler. Dans cette photo, il est possible qu'il y ait un excédent de combustible, mais en plus, dans ce type de forêt sèche, il peut n'y avoir qu'un arbre tous les 50 pieds. On voit dans la vallée de Pemberton, près de Whistler, d'énormes arbres dont les branches latérales vont jusqu'au sol. On en déduit qu'aucun autre arbre ne leur a fait concurrence pendant leur croissance. Maintenant par contre, ils sont entourés de très gros arbres. Les arbres empiètent les uns sur les autres. Cela représente un stress pour l'environnement. Autrement dit, il ne peut y avoir autant d'arbres dans cette région.
C'est la même chose dans les pinèdes. À cause de l'élimination, les pins sont plus âgés que la normale, et plus rapprochés les uns des autres. En temps normal, le dendroctone du pin et d'autres agents perturbateurs fragmenteraient la structure de peuplement. Le feu, s'il y prenait, pourrait manquer de combustible quand il atteindrait une zone dévastée une dizaine d'années plus tôt par le dendroctone du pin. Ainsi, l'écosystème pourrait se rétablir. Plus maintenant. Le paysage ne peut s'adapter qu'à la suite de ces incendies ravageurs. Nous appelons cela des « variations des régimes d'inflammabilité ».
Voyez sur cette photo un peuplement d'arbres où il y a une telle accumulation de combustible qu'un incendie pourrait y causer d'énormes ravages. C'est dans la vallée de l'Okanagan. La photo suivante montre le dendroctone du pin. J'y reviendrai.
Je vis dans le sud de la vallée de l'Okanagan, à Nelson. Le bassin hydrographique de notre région est appelé le bras ouest du lac Kootenay. C'est une forêt mixte, et non pas une pinède. On y trouve presque toutes les essences de conifères. C'est une région plutôt unique, qui n'a pas connu d'incendie depuis 100 ans. Dans ces régions, les cycles de feu peuvent être courts, de 15 ans à 30 ans, selon les pentes et d'autres facteurs. La vallée, un corridor orienté d'est en ouest, est recouverte d'arbres. Si vous revenez à la photo de l'incendie de Binta Lake, vous commencerez à comprendre pourquoi je m'inquiète. Le dendroctone du pin progresse. Notre forêt est surchargée et stressée, les combustibles s'y superposent; et voilà que le dendroctone du pin s'en approche. Vous pouvez vous faire une idée de l'ampleur du danger si un incendie se déclenchait dans ma vallée, qui suit un corridor est-ouest. Une région de la taille de l'Angleterre est la proie du dendroctone. Des millions d'hectares entourant cette région sont surchargés. Toute la région est en train de stocker du combustible. Quand les arbres attaqués par le dendroctone meurent, ils s'écroulent. Ils forment un treillis de combustible qui, s'il prend feu, se consume longuement. C'est l'élément de sévérité du feu.
Normalement, quand les arbres sont debout, c'est leur couronne qui brûle; mais quand ils sont tombés, le combustible projette la chaleur vers le sol, ce qui détruit les nutriments, les bactéries et les lits de semis. Les conséquences peuvent être dévastatrices. Ce ne sont pas des feux régénérateurs; ils brûlent des peuplements forestiers. Ils sont tout à fait capables d'endommager l'écosystème au point où il lui deviendrait difficile de se régénérer.
Ce phénomène prend de l'ampleur dans tout le paysage de la Colombie-Britannique. Il faudra y voir. Nous ne pouvons pas continuer de penser le régler en subventionnant l'élimination. Au cours des trois ou quatre dernières années, le gouvernement du Canada a consacré plus de 300 millions de dollars à l'extinction de ces incendies, en vertu de l'Accord d'aide financière en cas de catastrophe. Je ne dis pas que c'est de l'argent jeté par les fenêtres, mais vous pouvez voir qu'il part en fumée, et la situation ne fera que s'aggraver.
Dale Bosworth, l'ex-chef du Service des forêts américain, a admis que les États-Unis ont le même problème. Ils peuvent éteindre 98 p. 100 des incendies, et même plus, mais ce sont les 1 ou 2 p. 100 restants qui causent 90 p. 100 des dommages. Ce sont les incendies contre lesquels on est impuissant, comme celui de Binta Lake. La seule stratégie efficace de lutte contre ce genre d'incendie, c'est novembre et l'arrivée de la neige, qui les éteint.
Que pouvons-nous y faire? Le dendroctone du pin a attaqué 18 millions d'hectares de terres. Je pense qu'il y a des régions encore plus vastes qui sont ainsi surchargées. Je ne dis absolument pas qu'il faut essayer de récolter et d'éliminer tout cela, mais il existe des stratégies possibles.
Je reviens encore sur ce processus d'élimination du combustible, que je vous ai déjà décrit. Je ne m'en tiendrai pas là. Vous souvenez-vous de mon commentaire sur l'exportation? Si vous pouvez vous situer avec cette photo, vous reconnaîtrez l'Amérique du Nord, vue d'un satellite. Vous pouvez voir le panache de fumée qui se dirige vers le Wyoming voisin. Sur cette photo-ci, on voit un incendie sur le mont Okanagan. Il n'y a rien de plus troublant que de voir cet incendie. J'ai déjà vu des incendies de près. Vous pouvez vous imaginer l'effort à déployer quand il s'agit de penser à ce que l'on va emporter avec soi; c'est absolument terrible.
Comme je ne veux pas exagérer, je terminerai sur une note positive. J'ai bien peur néanmoins que le tableau que j'ai brossé de la situation soit véridique. Nous pourrions commencer par élargir notre rayon de contrôle du paysage au-delà de la zone de deux kilomètres que nous avons définie comme devant être traitée, plutôt que de nous limiter à l'interface entre les zones boisées et les zones urbaines. En réalité, ces incendies prennent leur ampleur dans les profondeurs de ce paysage. Nous pourrions aller dans les bois éliminer les combustibles. Ce bois n'est plus utilisable comme billes de sciage, alors on pourrait créer pour lui une industrie de la bioénergie. Les systèmes de chauffage des écoles de l'Idaho et du Montana sont alimentés aux copeaux de bois. Il faut envisager ce genre de stratégies pour les collectivités. Le gouvernement de la Colombie-Britannique a une stratégie axée sur la construction en bois. Pourquoi ne pas chauffer au bois? Nous pourrions produire de l'énergie thermique. Chaque année, nos récoltes laissent des déchets ligneux qui, à eux seuls, pourraient servir à chauffer tous les foyers de la Colombie-Britannique. C'est à cela qu'il faut en venir.
Il est absolument possible d'éliminer les combustibles. Nous pourrions créer un marché de la bioénergie pour utiliser la matière recueillie. Pour cela toutefois, il faudra favoriser les conditions sur le terrain. C'est ce que je suggère.
Le gouvernement fédéral a un rôle à y jouer. Nous avons eu deux ententes sur la mise en valeur des ressources forestières, entre 1985 et 1995. Il faudrait envisager quelque chose du même genre. Je ne suis pas venu ici la main tendue, pour pousser le gouvernement fédéral à nous donner plus d'argent. Nous pouvons assumer les coûts de l'atténuation de cette menace, consacrer moins d'argent à une lutte que j'estime inégale contre les incendies et réinvestir l'argent dans la modification du paysage et la régénération.
J'ai probablement pris plus de 10 minutes, même en ne faisant qu'un survol de la situation. J'ai fait des affirmations générales et j'ai négligé bien des détails. C'est, en gros, le point de vue de notre secteur. Il s'appuie sur notre expérience sur le terrain. Nous voyons bien trop d'hectares de bois mort, et c'est déchirant. Quand c'est une menace pour nous, c'est effrayant. Je ne veux pas sembler tellement pessimiste, mais c'est la situation telle qu'elle l'est.
Le vice-président : Merci. Nous allons laisser la parole au témoin suivant, M. Walsh. Il nous a remis son texte, mais nous n'avons pas eu le temps de le faire traduire. Est-ce que vous m'autorisez à le distribuer, même s'il est unilingue?
Des voix : D'accord.
[Français]
Le vice-président : D'accord, nous pouvons faire la distribution.
[Traduction]
Chris Walsh, directeur intérimaire, Division des forêts, ministère des Ressources naturelles de l'Ontario : Je voudrais tout d'abord m'excuser de vous avoir remis mon document dans une seule langue officielle. Je l'ai terminé hier soir et je n'ai pas eu le temps de le faire traduire.
Je tiens à vous remercier de nouveau de m'avoir invité à prendre la parole devant vous. L'industrie forestière et le secteur forestier sont essentiels au Canada, et je veux vous aider dans toute la mesure de mes moyens en vous donnant des conseils pour que vous puissiez profiter de mon expérience en la matière. Ma déclaration préliminaire sera brève. C'est ce que m'a conseillé la greffière. La période de questions permettra d'apporter les explications qui s'imposent.
Je voudrais apporter une précision : je suis le directeur de la Division des forêts pour le gouvernement de l'Ontario; notre division est responsable des politiques et non de la recherche. Cependant, j'ai consulté mes collègues de la division chargée de la recherche avant de comparaître.
Je pars du principe que la gestion durable des forêts est la clé d'un secteur forestier en santé. Au Canada, la plupart des forêts appartiennent à l'État. Sans une telle gestion, nous ne pourrons légitimer socialement la coupe nécessaire afin d'approvisionner les scieries. Il est essentiel de mettre l'accent sur la gestion durable des forêts.
Dans chaque plan de gestion des forêts — du moins, en Ontario —, on fait fond sur un juste équilibre économique, social et environnemental, sinon le système est mis à mal. Actuellement, le pilier économique vacille, et cet équilibre est perdu.
Sans les capitaux de l'industrie forestière pour appuyer la gestion durable des forêts, tout le système est perturbé. Le gouvernement peut jouer un rôle à cet égard en déterminant les aspects de cette gestion qui ne peuvent être mis en œuvre en raison de la situation économique et en s'efforçant de trouver des solutions à court terme pour atténuer ces problèmes et appuyer le secteur.
Une conjoncture économique défavorable entraîne des effets néfastes sur la santé et la gestion durable des forêts ainsi que sur la sylviculture. Dans un premier temps, l'industrie forestière perd des travailleurs qualifiés et des professionnels; des entreprises connexes disparaissent. Les étudiants boudent les programmes en foresterie, estimant qu'ils n'offrent aucune perspective d'avenir et ne leur permettraient pas de se trouver un emploi. Lorsque la situation se rétablira dans le secteur forestier, on manquera de professionnels pour gérer les forêts, si cette tendance se maintient. Cette tendance est exacerbée parce que la main-d'œuvre vieillit et que beaucoup prennent leur retraite. Nous sommes aux prises avec un double problème. Les entreprises connexes comme les pépinières ferment leurs portes parce qu'on abat moins d'arbres et qu'il est moins nécessaire d'en planter. Lorsque la situation se rétablira, ces entreprises n'existeront peut-être plus ou ne seront peut-être plus rentables.
Dans l'immédiat, les sociétés forestières cherchent à réduire leurs coûts. L'un des meilleurs moyens d'y parvenir consiste à moins dépenser pour la régénération des forêts, ce qui sera préjudiciable à la productivité des forêts sur laquelle mise l'industrie. Au stade de la planification, on dispose de moins en moins de ressources, ce qui crée davantage de conflits forestiers, dont les journaux vous ont tous mis au courant. Ces conflits, ces obstacles intensifient l'incertitude qui plane sur le milieu des affaires. Les ressources ne seront peut-être plus là lorsque la situation se rétablira dans le secteur forestier.
L'industrie est également moins en mesure de vérifier si elle se conforme aux règlements et aux lois. Ses activités risquent donc d'être plus préjudiciables à l'environnement. En outre, de moins en moins d'argent est consacré à la recherche. En matière de gestion durable des forêts, des questions cruciales restent sans réponse : changement climatique, lutte contre les espèces envahissantes, et cetera. De plus, on est de moins en moins en mesure d'assurer la surveillance des forêts ou de les protéger contre les insectes et les maladies.
Il a été question de l'impact éventuel des insectes et des maladies sur les forêts. En Ontario, les montants consacrés à la lutte contre les insectes sont proportionnels au volume de coupe. Le fonds créé à cet effet augmente avec chaque mètre cube de bois coupé. Si le volume de coupe diminue, ces montants baissent.
La certification forestière favorise l'accès aux marchés. Étant donné l'état actuel du secteur, les entreprises forestières manquent parfois d'argent pour maintenir leur certification ou assumer les coûts annuels de la surveillance en découlant. Dans certains cas, des entreprises n'ont pas renouvelé leur certification, et il leur est donc difficile d'écouler leurs produits sur certains marchés.
Voici un graphique qui illustre la situation en Ontario. J'attire votre attention sur les barres bleues du graphique. Elles indiquent les coupes de 2004-2005 à 2008-2009. En cinq ans, elles ont diminué de près de 50 p. 100. Les barres vertes représentent la baisse de la plantation en découlant. Les pépinières forestières ont donc vu leurs ventes chuter considérablement. La plupart n'ont pas renouvelé leur stock de machines, dont certaines sont sur le point de tomber en panne. Les entrepreneurs en sylviculture — et M. Betts abondera dans mon sens — ont fait face à des difficultés. En Ontario, les Autochtones occupent un créneau important en sylviculture. Particulièrement dans le Nord de l'Ontario, ils ressentent les effets de cette crise. C'est l'ensemble du secteur de la sylviculture qui est aux prises avec des problèmes. Il faudra pouvoir compter sur les Autochtones lorsque la situation se rétablira, sinon il sera difficile d'avoir une forêt durable et saine.
Étant de nature optimiste, je crois que les conditions s'amélioreront au fil du temps. Certains des programmes mis en œuvre par les gouvernement fédéral et provincial commencent à donner des résultats. Ce sont des programmes efficaces. Je reconnais que nous ne pouvons pas faire grand-chose en ce qui concerne les marchés parce que bon nombre des problèmes de l'industrie sont des phénomènes mondiaux, notamment la valeur du dollar canadien. Dans notre rapport provisoire, vous avez examiné entre autres la baisse de la demande de papier journal. Nous pouvons difficilement nous attaquer à ce genre de problème, mais nous pouvons alléger les difficultés et prendre quelques mesures d'atténuation pour nous placer dans une situation avantageuse lorsque la situation commencera à se rétablir. Dans votre rapport, vous avez également reconnu la nécessité que nos programmes de conformité respectent les exigences de l'Accord sur le bois d'œuvre résineux et l'esprit des autres négociations commerciales que nous avons déjà entreprises.
Pour être dans une position avantageuse lorsque la situation se rétablira, nous devons promouvoir la profession de forestier auprès des jeunes, leur faisant valoir que l'industrie forestière est à la fine pointe de la technologie et travaille à la protection de l'environnement, ce qui plaît aux jeunes. En outre, on observe une croissance démographique chez les Autochtones du Nord de l'Ontario, où sont concentrées la plupart de nos activités forestières, alors qu'on constate une baisse démographique chez les autres Canadiens. Il faudrait donc promouvoir la profession de forestier auprès des jeunes Autochtones parce qu'ils sont, je crois, la main-d'œuvre de l'avenir.
Il faudrait également des programmes supérieurs pour améliorer certains des aspects figurant sur cette autre diapositive. L'amélioration forestière devrait s'effectuer près des scieries. Il faudrait disposer dès maintenant d'une source de biocarburant et améliorer davantage les peuplements de façon à ce que les arbres poussent plus vite et à ce que la forêt soit plus productive lorsque la situation se rétablira dans le secteur.
L'amélioration des peuplements comporte d'autres avantages. Elle permet de capter davantage de carbone dans l'atmosphère et d'atténuer les répercussions néfastes des changements climatiques.
D'ici là, il faudrait poursuivre la régénération des forêts dévastées par le vent ou le feu, ce qui donnerait du travail aux entrepreneurs en sylviculture et ferait marcher les affaires. Nous pourrions donc compter sur eux lorsque la situation se rétablira. La régénération comporte bien d'autres avantages.
Nous pouvons atténuer les effets de la crise en finançant la recherche, qui nous procure les outils et les réponses dont nous avons besoin pour mieux appuyer la gestion forestière durable dans l'immédiat. Je ne m'attarderai pas aux mesures incitatives pour favoriser la diversification de l'industrie des produits forestiers, mais une telle diversification serait profitable. Dans une forêt mixte, la qualité des arbres varie. L'industrie recherche certaines essences en raison de leur qualité. Elle s'en sert dans le cadre de ses activités traditionnelles. Dans une forêt mixte, on retrouve également des essences dont la qualité est inférieure et dont la coupe n'est pas rentable à moins qu'il y ait un marché, ce qui n'est bien souvent pas le cas à l'heure actuelle. Il faudrait s'efforcer de trouver un marché. La solution réside peut-être dans la bioénergie.
Un peu plus tôt, il a été question de cette entreprise que vous avez visitée dans le Nord du Québec et qui transforme de petits éclats de bois en bois de charpente laminée. Si nous pouvions trouver d'autres entreprises de ce genre et leur offrir des mesures incitatives, nous en bénéficierons largement.
On a également abordé l'agrile du frêne et le longicorne d'Europe, entre autres. Ces parasites peuvent être aussi dévastateurs que le dendroctone du pin ponderosa ne l'a été dans l'Ouest du Canada. Nous devons faire front commun dans nos mesures pour prévenir l'arrivée de ces parasites et lutter contre eux si la prévention échouait.
D'autres mesures d'atténuation s'imposent, notamment continuer de promouvoir la démarche canadienne de gestion durable et responsable des forêts. Le Canada est renommé pour sa gestion forestière. Aucun autre pays n'a davantage de forêts certifiées par un organisme tiers indépendant. Disons les choses franchement : la réputation de la foresterie a été ternie par des campagnes fructueuses menées à cette fin. Il faudrait réagir pour rétablir cette réputation et montrer les avantages de la foresterie.
Promouvoir l'utilisation du bois favorisera la diversification des marchés. Comme matériau de construction, le bois a une empreinte écologique beaucoup moins prononcée que l'acier et le béton. Il faudrait le faire valoir.
Par rapport à nous, d'autres pays sont avantagés à certains égards : la croissance de leurs forêts est plus rapide, leurs coûts salariaux sont plus faibles et, parfois, leurs normes environnementales sont moins rigoureuses. Il faudrait en profiter pour promouvoir le resserrement des normes environnementales dans les autres pays, de sorte que les règles soient les mêmes pour tous.
Nous pourrions également investir davantage dans l'inventaire forestier. Si nous connaissions mieux ce que contiennent nos forêts sur les plans qualitatif et quantitatif ainsi que la distance qui les sépare des scieries éventuelles, les entreprises seraient mieux à même de prendre des décisions éclairées et d'investir.
Au bout du compte, il en résultera des forêts durables et en santé, ce dont a besoin le secteur forestier pour sortir de la crise. Il faudra miser sur la gestion durable et une main-d'œuvre qualifiée lorsque la situation se rétablira. La recherche devra nous fournir les réponses aux questions essentielles sur les changements climatiques et les espèces invasives si nous voulons mettre en œuvre une gestion forestière durable.
Telles sont les mesures d'atténuation que je propose à court terme. J'ai effleuré les liens qui existent entre ces mesures et la gestion forestière durable. J'en resterai là.
[Français]
Le vice-président : Nous allons maintenant passer à Mme Brigitte Bigué. Si vous voulez bien, madame, commencer votre présentation.
Brigitte Bigué, coordonnatrice, Réseau ligniculture Québec : Monsieur le président, j'aimerais d'abord vous remercier de nous avoir invités à présenter notre expertise dans le cadre de votre réflexion sur l'aménagement forestier et la sylviculture au Canada.
Je suis Brigitte Brigué. Je coordonne le Réseau ligniculture Québec. Je représente aujourd'hui l'ensemble des quelque 20 partenaires membres du réseau.
Le Réseau ligniculture Québec a été créé en 2001. Il s'agit d'un regroupement novateur de recherche, de développement et de transfert de connaissances réunissant les différents acteurs en ligniculture et en sylviculture intensives des plantations au Québec.
Les partenaires activement impliqués dans le réseau proviennent de six universités québécoises, des deux paliers de gouvernement, fédéral et provincial, de sept industries forestières et d'autres organismes majeurs du secteur privé. Nos activités sont déployées dans plus de dix régions du Québec. Notre mission est de coordonner les efforts de recherche dans un secteur de pointe et de développer une expertise québécoise en ligniculture et en sylviculture intensives des plantations, de même qu'en transfert de connaissances, un aspect très important qu'on a souvent tendance à négliger.
Ce sont plus de 60 projets de recherche qui ont été initiés au cours des dix dernières années, aux quatre coins de la province, dans des champs de recherche aussi variés que l'amélioration génétique, la croissance et le rendement des plantations et la transformation des bois.
Nous avons été très intéressés par le rapport provisoire que vous avez produit sur le secteur forestier canadien et par l'intérêt que vous portez à la recherche et au développement, ainsi qu'au développement des meilleurs outils pour aider aux meilleures pratiques d'aménagement forestier.
Nous travaillons dans un esprit d'innovation à développer de meilleures pratiques d'aménagement forestier depuis dix ans par la foresterie de plantation avec des arbres à croissance rapide et à haut rendement. Dans le contexte forestier mondial, avec l'avènement du développement durable, la forêt est dorénavant un patrimoine collectif qui répond à divers usages et qui doit tenir compte des aspects sociaux, environnementaux et économiques. Les pressions sociales sont de plus en plus grandes pour que nous augmentions notre réseau d'aires protégées, que nous conservions la biodiversité et que nous adoptions des pratiques d'aménagement forestier qui soient plus écologiques.
D'un autre côté, notre industrie forestière doit avoir accès à une ressource forestière de qualité, à des coûts avantageux et qui lui permettront d'être compétitive. Comment concilier cette dualité : d'une part, produire autant et même plus de bois pour maintenir et développer une industrie forestière florissante et, d'autre part, consacrer une partie du territoire à la conservation du milieu naturel et aux multiples usages? Notre réponse à cette dualité : la plantation d'arbres à croissance rapide qui donne des rendements exceptionnels en peu de temps sur une petite portion du territoire, à proximité des sources d'approvisionnement et, par conséquent, près des communautés rurales.
La plantation d'arbres à croissance rapide pourrait aussi être exploitée pour la remise en valeur des friches agricoles. Donc, planifier de façon judicieuse ces plantations pourrait avoir des effets bénéfiques, à savoir combler le manque à gagner en termes de matière ligneuse, diminuer la récolte sur de vastes territoires en y pratiquant un aménagement plus écologique ou écosystémique et augmenter le réseau d'aires protégées.
Vous avez soulevé dans votre rapport provisoire que la faible dimension des arbres et leur éloignement représente un désavantage compétitif important pour les usines de transformation, que les arbres ont déjà été plus gros et rapprochés des lieux de transformation et que ce constat questionne les approches d'aménagement des forêts du passé. Nous sommes d'avis que nous devons mettre en application de nouveaux moyens imaginatifs et viables pour concilier les idées contradictoires de produire autant et même plus de bois tout en consentant des efforts réels à la conservation de nos forêts.
L'introduction d'une sylviculture intensive des plantations ou de ligniculture sur une petite portion du territoire pourrait faire partie des solutions pour maintenir, voire améliorer, l'approvisionnement en fibre tout en répondant à ses besoins émergeants. Elle permettrait de combler le manque à gagner en termes de matières ligneuses, de diversifier les sources d'approvisionnement, de garantir une quantité de bois aux usines, de rapprocher la fibre de l'usine et ainsi de diminuer les coûts d'approvisionnement — ce qui est directement en lien avec les constats que vous avez faits.
Au Québec et au Canada, le développement d'arbres à croissance rapide existe depuis plus de 40 ans. L'amélioration génétique est un processus bien établi qui consiste en la reproduction sélective d'arbres ayant les caractéristiques désirables. Elle donne des retombées significatives, tangibles et prévisibles lorsque combinée à des pratiques sylvicoles appropriées. L'amélioration génétique de plusieurs essences tels que les peupliers, les mélèzes et les épinettes blanches ont permis de développer des arbres qui ont des rendements exceptionnels si on compare aux rendements obtenus dans la forêt aménagée de façon traditionnelle.
On parle de rendements pour ces plantations qui peuvent produire de 8 à 20 mètres cubes de bois par hectare par année alors que la forêt aménagée de façon traditionnelle donne des rendements qui oscillent autour de deux mètres cubes de bois par hectare par année. Avec l'utilisation de ces efforts en plantation, on pourrait produire un volume de bois de dix fois supérieur à celui qui pousse en forêt aménagée de façon traditionnelle. J'aimerais faire une petite parenthèse pour vous dire qu'il y a énormément de dollars qui sont investis annuellement pour développer des arbres performants au Canada. Outre les programmes d'amélioration génétique en cours depuis des décennies, pensons aux outils de la génomique développés durant la dernière décennie. Ce qui résulte de tous ces investissements ce sont des arbres exceptionnels qui pourraient donner une grande quantité de bois de qualité. Mais à l'heure actuelle, on utilise très timidement ces arbres à grand potentiel que nous développons à grand frais.
Dans votre rapport, vous soulignez l'intérêt de votre comité à identifier les meilleurs outils à la disposition du gouvernement fédéral afin d'encourager les meilleures pratiques d'aménagement forestier. Nous travaillons sur ces outils avant-gardistes et aussi nous croyons qu'il est temps de passer du mode expérimental au mode opérationnel. Il pourrait être très avantageux pour le futur du développement économique de l'industrie forestière que le gouvernement du Canada encourage et appuie une stratégie globale qui inclut la pratique d'un tel modèle d'aménagement forestier au Canada. Pour que ce modèle soit performant, il est impératif d'y mettre tous les efforts conduisant à sa réussite, dont une part importante d'investissements, pour continuer les efforts de recherche, de transfert de connaissances aux praticiens, et favoriser le déploiement sur le terrain. Une contribution du gouvernement fédéral pourrait grandement aider au développement de cette pratique avant-gardiste.
Est-il farfelu de penser introduire la foresterie de plantation basée sur des arbres performants au Canada? Si on regarde la situation à travers le monde, la FAO prévoit que d'ici 2050, 75 p. 100 du bois récolté à des fins commerciales proviendra de plantation d'arbres à croissance rapide et qu'elles couvriront de cinq à dix p. 100 de la superficie forestière mondiale.
Qu'est-ce qui freine le développement de la foresterie de plantation au Canada? On pense qu'il faut avoir la volonté de le faire. Il faut des politiques qui encouragent de telles pratiques et aussi mettre l'argent nécessaire pour sa réalisation autant en recherche, en transfert de connaissances, et de façon concrète sur le terrain en respectant la séquence des travaux sylvicoles intensifs. Ce sont les conditions nécessaires au succès d'un tel modèle.
En conclusion, notre organisme travaille en collaboration de façon à développer une expertise intégrée et unique au Québec qui inclut des intervenants provinciaux et nationaux, publics et privés. Nous avons développé une expertise enviable en matière d'amélioration génétique de sylviculture intensive des plantations et de ligniculture. Ce sont des avenues innovatrices que nous proposons en lien avec les objectifs poursuivis dans votre réflexion pour résoudre les défis auxquels nous devons faire face, et ce, dans le respect des valeurs de la société et des aspects socioéconomiques et environnementaux du développement durable.
La sylviculture intensive des plantations et la ligniculture représentent les scénarios qui ont le plus fort impact pour le rendement des forêts. Il faut penser intelligemment les endroits où il faut les établir. C'est pourquoi nous proposons un modèle de plantation à proximité des usines et près des communautés rurales. Pensons, par exemple, aux emplois de qualité que cela pourrait créer. En concentrant nos efforts de production de bois sur de petites superficies, la forêt naturelle pourra être utilisée à d'autres fins, comme la conservation de la biodiversité, la création d'aires protégées et un aménagement plus écologique.
Malgré les crises qui sévissent dans l'industrie forestière depuis quelques années, il serait désastreux de négliger les aspects d'aménagement forestier. Cela aurait des effets néfastes à long terme pour l'approvisionnement en bois. Pour aider le secteur de l'aménagement forestier, le gouvernement pourrait favoriser la promotion et encourager des pratiques innovantes comme le modèle que nous proposons.
Ainsi, nous proposons la mise en oeuvre de solutions innovantes et nous insistons sur la nécessité de mettre à jour les façons d'intervenir en forêt en s'appuyant sur l'acquisition et le transfert des connaissances soutenus par des investissements. Il faut adopter une vision à long terme. Pour cela, il faut considérer différentes options basées sur l'innovation.
Le vice-président : Merci, Mme Bigué. Nous allons maintenant passer à la période des questions. Le sénateur Plett sera le premier à poser des questions. Il sera suivi des sénateurs Mahovlich et Eaton.
[Traduction]
Le sénateur Plett : Merci à vous trois de votre présence et de vos propos éclairants.
Ma première question s'adresse à M. Betts. Excusez mon ignorance, mais combien d'hectares donnent 310 kilomètres carrés?
M. Betts : Je pense que c'est 310 hectares, soit un hectare par kilomètre carré. Vous me posez une question piège. Non, un hectare est égal à...
M. Walsh : C'est une grande superficie.
M. Betts : Qu'est-ce qu'un hectare? C'est mille sur mille. Vous me mettez dans l'embarras. J'ai fait tout ce voyage pour venir sur la Colline du Parlement à Ottawa, et voilà que je suis incapable de vous dire combien il y a de kilomètres carrés dans un hectare.
Le sénateur Plett : Je vous prie de m'excuser. Je ne voulais pas vous mettre dans l'embarras.
M. Betts : C'est une grande superficie. Un hectare équivaut à un terrain de football canadien, ce qui est beaucoup moins qu'un kilomètre carré. Le fond de la question, c'est de savoir combien un kilomètre carré contiendrait de terrains de football. Je vous laisse le soin de recourir à votre imagination.
Le sénateur Plett : C'est une grande superficie. Tout va bien. Je sais seulement de visualiser les hectares qui ont brûlé à Binta Lake. C'étaient 310 kilomètres carrés, je crois.
M. Betts : La superficie touchée équivalait à 40 000 hectares, soit 40 000 terrains de football. C'est peut-être plus facile à visualiser. Tous ne savent pas ce que représente exactement un hectare.
Le sénateur Plett : Vous ai-je bien compris? Vous avez dit que le feu de forêt à Binta Lake n'a pas été éteint par les pompiers, mais par la neige ou la pluie?
M. Betts : Je me suis permis d'exagérer un peu pour bien faire comprendre. Les pompiers sont effectivement intervenus, mais ils ont dû retraiter lorsque le feu a atteint son paroxysme. Par la suite, ils ont repris leurs opérations. En fin de compte, l'incendie a pris fin lorsque les flammes ont atteint le sous-bois couvert de neige. Parfois, l'incendie peut s'y poursuivre. L'incendie a fini par être éteint, mais il a fallu que les conditions météorologiques changent et que la température chute. Il faut également tenir compte du fait que le front froid a probablement amené de la pluie. C'est une combinaison de facteurs.
Le sénateur Plett : Mon frère vit à Kelowna. Nous nous téléphonions pour faire le point. C'est donc grâce à l'interurbain que je me tenais au courant de la situation. Mon frère craignait pour sa résidence.
Vous avez indiqué que, près de l'endroit où vous vivez, il n'y avait pas eu de feu de forêt pendant de nombreuses années. Vous avez dit 100 ans, je crois. J'en conclus que ce n'est pas nécessairement bénéfique. Un feu de forêt tous les sept à dix ans, c'est bénéfique. Vous ai-je bien compris?
M. Betts : Ce l'est effectivement sur le plan de la récolte forestière. La nature peut sembler singulière parfois. Pourquoi un feu de forêt tous les sept ans? À juste titre, nous estimons qu'il convient également de nous protéger et d'éteindre l'incendie. C'est bénéfique parce que nous sauvons ainsi une quantité importante d'arbres. Il y a cependant des conséquences non souhaitées : nous nous privons ainsi des bienfaits des cycles naturels du milieu forestier.
Ce dont on se rend compte, c'est que le milieu forestier est saturé d'arbres. Ces arbres sont affaiblis par les pathogènes et les parasites. Ils deviennent alors vulnérables aux feux de forêt. La nature essaie de revenir à la charge, et elle finit par y réussir. C'est toujours elle qui a le dernier mot.
Je ne saurais donc dire si c'est bénéfique ou non. Je ferais plutôt valoir que nous en subissons les conséquences lorsque nous modifions les cycles naturels du milieu forestier. Nous pensions avoir agi pour le mieux, mais nous devons maintenant nous adapter aux nouvelles circonstances que nous avons créées.
J'ajouterai que les changements climatiques viendront exacerber le tout. Le réchauffement climatique allongera la saison des feux, et les forêts où nous avons interrompu les cycles naturels seront davantage vulnérables. Je ne veux pas vous donner une réponse évasive, mais c'est à la fois bénéfique et néfaste.
Le vice-président : Je vais vous interrompre. Grâce à la technologie moderne, notre recherchiste nous informe qu'un kilomètre carré équivaut à 100 hectares.
Le sénateur Plett : Je sais que vous aviez l'intention de le dire, si on vous avait laissé une autre minute. Merci.
Pendant votre exposé, vous avez parlé de recherche et de développement. Vous avez mentionné un thème au début, qui nous préoccupe dans cette étude depuis un peu plus d'un an. Je me rappelle très bien que nous avons reçu des architectes il y a un peu plus d'un an, qui nous ont dit avoir du mal à convaincre les jeunes de s'inscrire à leurs programmes et de les terminer pour diverses raisons, notamment parce qu'ils n'arrivaient pas à trouver du travail.
M. Walsh : Vous parlez d'architectes?
Le sénateur Plett : Oui, mais vous dites la même chose : la grande raison pour laquelle les jeunes n'étudient pas en foresterie, c'est qu'ils n'auront pas de travail à leur sortie de l'école. Je crois que vous avez aussi fait allusion au manque d'argent pour la recherche et à la mauvaise réputation de la foresterie, mais ce ne sont pas les mots que vous avez utilisés. Pourquoi la foresterie aurait-elle mauvaise réputation?
D'autres types d'entreprises dont nous avons parlé, dans le domaine du béton et de l'acier, entre autres, déploient beaucoup d'efforts pour se faire de la promotion. Pourquoi votre organisation ne fait-elle pas plus de promotion?
M. Walsh : Nous n'arrivons pas très bien à nous faire de la promotion parce que je travaille pour le gouvernement et que personne ne croit le gouvernement. C'est un peu comme dans le cas de la chasse au phoque : personne n'aime voir les petits phoques se faire frapper sur la tête. De même, personne n'aime voir un arbre se faire couper. Si vous vous promenez dans les rues de Toronto et que vous demandez aux gens s'il faut couper les arbres, ils vont vous répondre « non », parce que les gens vont se dire que les arbres sont bons pour l'environnement.
Nous avons une population urbaine et une population rurale et nordique. La population urbaine ne comprend pas vraiment la réalité de l'industrie forestière. Je suis certain que pendant votre série de visites, certains d'entre vous avez été très surpris de certaines choses qui se passent en foresterie.
C'est en ville que sont concentrés les électeurs et c'est là où l'on adopte les politiques. On n'y comprend pourtant pas très bien l'aménagement forestier durable et ses avantages.
Je crois avoir répondu à votre question sur les raisons pour lesquelles nous ne nous faisons pas de promotion. L'industrie forestière est confrontée aux mêmes difficultés que nous. La population ne voit pas qu'il est dans son intérêt qu'on coupe du bois et qu'on le transforme.
La certification forestière par des tiers peut beaucoup aider les gens à comprendre que l'aménagement forestier durable est une chose saine. Il y a eu quelques programmes gouvernementaux fédéraux grâce auxquels nous avons fait venir des gens de divers secteurs, des États-Unis ou de l'Europe, pour leur faire visiter nos forêts. Quand ils sont partis, tous nous ont dit : « Je n'étais pas au courant. Pourquoi n'en parlez-vous pas plus? » Il est difficile d'en parler, et la question n'intéresse pas la population tant que ça, parce qu'elle vit surtout en zone urbaine. C'est la réponse à mon avis.
Le sénateur Plett : Est-ce que la certification par des tiers se compare à la certification qui se traduit par une étiquette sur une boîte de Corn Flakes? Est-ce le genre de chose dont vous parlez? Je crois qu'il y a des témoins qui nous en ont parlé la semaine dernière.
M. Walsh : Oui. Les gens ne croient pas les gouvernements ni l'industrie, donc il y a des tierces parties qui établissent une norme forestière. C'est cette autorité qui va certifier les forêts de manière indépendante et attester que oui, telle forêt est bien gérée. Il est probablement plus facile de croire cette autorité en raison de son caractère indépendant.
Si les entreprises demandent la certification, en somme, c'est pour vendre leurs produits sur des marchés où ce point de vue impartial est exigé.
Le sénateur Plett : Madame Bigué, j'espère que je n'ai rien manqué de vos propos avec la traduction. Vous avez lancé l'idée de favoriser des arbres plus gros et vous avez dit avoir besoin de l'appui du gouvernement pour cela. Y a-t-il quelque chose que j'ai mal compris ou est-ce bien cela?
[Français]
Mme Bigué : L'idée n'est pas nécessairement de développer de plus gros arbres. Il faut plutôt savoir que chaque arbre fournira un plus gros volume de bois. En plantant des arbres et en effectuant tous les travaux sylvicoles requis, on produit beaucoup plus de bois en plantation que dans la grande forêt naturelle.
Comme je le disais dans mon exposé, la forêt naturelle aménagée de façon extensive produit annuellement environ 2m3 de bois par hectare, alors que dans une plantation d'arbres génétiquement améliorés de façon naturelle, on remarque que ce sont des arbres plus performants qui produisent en plantation de très grandes quantités de bois sur une petite superficie.
Est-ce que j'ai répondu à votre question?
[Traduction]
Le sénateur Plett : Oui, je pense que vous y avez répondu.
M. Betts a dit dans son exposé, si je ne me trompe pas, qu'il y avait suffisamment de forêts à exploiter en Colombie- Britannique pour chauffer toute la Colombie-Britannique jusqu'à la fin des temps. Je me demande alors pourquoi ce que vous proposez serait nécessaire. Si nous avons toute la forêt dont nous avons besoin et même plus, pourquoi faudrait-il faire ce que vous proposez?
[Français]
Mme Bigué : Je pense qu'il faut voir la situation à long terme. Présentement, on coupe moins de bois et on espère que c'est conjoncturel. Je pense que dans le futur, on aura besoin de beaucoup de bois.
Au Québec et au Canada, il y a des pressions sociales pour qu'on augmente le réseau d'aires protégées, pour qu'on conserve la biodiversité et pour qu'on fasse des interventions en forêt qui soient plus écosystémiques, basées sur le régime des perturbations naturelles. Additionnant tout cela, on récolte moins de bois dans notre grande forêt naturelle.
Si on veut continuer à avoir une industrie forestière qui est vivante et économiquement viable, il nous faut du bois. Il y a beaucoup de produits émergents qui s'en viennent, les biocarburants, la bioénergie et le bioraffinage, sans oublier l'industrie traditionnelle du bois.
Si on veut concilier les nouvelles valeurs de la société qui sont de conserver la forêt et avoir une industrie forestière florissante, il faut avoir du bois. Comment pourra-t-on produire le bois si on peut moins en récolter dans l'avenir?
On pense que depuis plus de 40 ans, on développe des arbres performants. Depuis 40 ans, on sélectionne des arbres qui, de génération en génération, donnent plus de mètres3 à l'hectare que ceux qui poussent en forêt naturelle. On pourrait planter ces arbres sur de plus petites superficies, soit à proximité des communautés rurales ou près des usines de bois. De cette façon, on produirait autant de bois et on pourrait même en produire plus que présentement pour répondre à une demande émergente s'il y a une reprise dans l'industrie forestière. On pourrait aussi concilier les autres usages tout en augmentant la biodiversité et en conservant les aires protégées.
C'est la raison pour laquelle il faut se baser sur cela pour adopter une nouvelle façon de voir l'aménagement forestier au Canada.
[Traduction]
Le sénateur Mahovlich : J'aimerais que nous parlions de l'incendie au lac Binta. La forêt autour était-elle bien gérée? Qui la gère? Est-ce que les gouvernements provincial et fédéral participent à la gestion de cette forêt?
M. Betts : Oui. Les terres de la Couronne sont de la responsabilité de la province. Celle-ci travaillait avec des titulaires de permis qui appliquaient leurs normes de référence sur le terrain. Je n'insinue pas qu'il y a eu négligence de la part de la province, de la Couronne ou des titulaires de permis. Ils exploitaient la forêt selon les règles du marché et les lois en vigueur. Bien sûr, dans les autres zones touchées par le dendroctone du pin, une force de la nature a ravagé le territoire sans égards aux règlements et aux responsabilités en vigueur.
Le sénateur Mahovlich : Qu'est-ce qui serait arrivé à ces dendroctones? Est-ce que le feu les aurait détruits?
M. Betts : Quand l'incendie a atteint ces forêts, les dendroctones étaient partis depuis longtemps. Ils suivent un cycle de deux ans. Ils arrivent et infectent les arbres, y pondent leurs œufs, y creusent leurs galeries, coupent la circulation dans l'arbre, puis s'en vont au bout d'un an ou deux. En fait, certains ont parcouru le continent pour atterrir en Alberta il y a quelques années. Apparemment, ils formaient d'épais nuages à leur arrivée. Normalement, ils ne volent que très peu, mais ils sont si nombreux que nous n'avions jamais rien vu de pareil avant.
Le sénateur Mahovlich : Avant novembre, si on avait brûlé 4 000 hectares pour créer une bande d'arrêt, est-ce que cela aurait aidé?
M. Betts : C'est le genre d'idée que nous allons devoir étudier. Nous avons également déjà une mosaïque des zones d'exploitation terrestre. En fait, l'un des problèmes que nous avons en ce moment, c'est que le territoire brûle trop bien. J'ai décrit en quoi les plantations constituent le meilleur combustible, et les forêts debout présentent exactement ces caractéristiques. Nous avons de la difficulté à établir une ligne d'arrêt pour le feu.
Le sénateur Mahovlich : Vous pourriez peut-être creuser un canal.
M. Betts : Nous songeons en fait à utiliser les arbres à croissance rapide dont Mme Bigué nous a parlé. Nous pourrions planter des corridors de feuillus à croissance rapide pour interrompre les conifères. C'est de la foresterie un peu simpliste, et il y aura beaucoup de controverse autour de l'idée de faire brûler des fauchées, mais ce n'est pas ce que nous allons faire. Il y a un lac et de vieux brûlis. Nous essaierions d'arrêter la propagation et d'ériger des lignes coupe- feu où le combustible serait moindre. Ce ne serait pas une fauchée. Nous essaierions de couper l'alimentation en combustible pour que les feux ne puissent pas s'emballer. Nous avons vu aux États-Unis et un peu au Canada que quand un feu atteint une région traitée où le combustible a été enlevé, le feu perd de sa vigueur et de son intensité, il n'y a plus de mur de feu de 400 mètres, et l'ampleur de l'incendie diminue. Le feu se met à avancer beaucoup plus lentement, et nous pouvons le maîtriser avec nos équipes. C'est ce que nous devons commencer à faire dans la province, donc votre idée d'un canal n'est pas très loin de cela.
Le sénateur Mahovlich : Au sujet des plantations forestières, l'acajou était une essence d'arbre très populaire pour les meubles il y a quelques années. Y a-t-il des plantations d'acajou aux États-Unis?
[Français]
Mme Bigué : Je ne pourrais pas vous dire.
[Traduction]
Le sénateur Mahovlich : Est-ce qu'il y en a en Amérique du Sud?
[Français]
Mme Bigué : Oui, probablement.
[Traduction]
Le sénateur Mahovlich : Est-ce que notre comité pourrait voir une plantation? Est-ce qu'il y a des plantations en Europe?
[Français]
Mme Bigué : Vous pouvez venir au Québec. Nous avons des plantations d'essences à croissance rapide au Québec. Toutefois, c'est plutôt timide.
[Traduction]
Le sénateur Mahovlich : Avez-vous une plantation d'érables?
[Français]
Mme Bigué : Plusieurs compagnies au Québec se sont lancées dans la plantation d'essences à croissance rapide, dont deux majeures, la compagnie Domtar et Norampac.
La compagnie Domtar est située en Estrie. Elle possède des terres privées sur lesquelles elle plante 500 hectares par année, depuis le début des années 2000, des essences à croissance rapide. Il s'agit de peupliers hybrides. Cette entreprise produit du papier couché, une forme de papier fin. Domtar a également réussi à certifier son territoire privé en plantant des essences à croissance rapide.
La compagnie Norampac est située dans la région du Bas-Saint-Laurent, au Québec. Cette compagnie détient également des terres privées. Elle développe, autour de l'usine, des plantations de peupliers hybrides également. Cette filiale de la compagnie Cascades fabrique du carton.
Si vous désirez voir des plantations d'essences à croissance rapide, il nous fera plaisir de vous organiser une visite guidée. Nous avons de très belles choses à vous montrer. Les plantations poussent depuis plus de dix ans. Les arbres peuvent atteindre jusqu'à trois mètres par année. En s'asseyant, on peut presque les voir pousser.
[Traduction]
Le sénateur Mahovlich : Je viens du Nord de l'Ontario et je ne me rappelle pas avoir vu de plantations là-bas. Est-ce qu'il y en a en Ontario?
M. Walsh : Oui. La situation du Nord de l'Ontario ressemble à celle du Québec. Notre Loi sur la durabilité des forêts de la Couronne dicte que nous imitions les perturbations naturelles et essayions de garder les forêts dans leur état naturel le plus possible. Il n'y a pas beaucoup de plantations intensives où l'on pratique abondamment l'espacement, les coupes d'éclaircies, l'émondage et la fertilisation. Il y a des plantations en Ontario. Entre 63 et 80 millions d'arbres y sont plantés chaque année. Il ne s'agit toutefois pas d'un type de plantation hautement aménagé. Il y a des normes d'évaluation environnementale en Ontario qui nous permettent de faire de la foresterie, mais nous devons procéder d'une certaine façon. Sur les terres de la Couronne, nous ne pouvons pas faire d'irrigation, de fertilisation et d'autres choses du genre. Il faudrait modifier nos lois si nous voulions faire de la sylviculture. Il y a des différences entre la plantation et la sylviculture. Les écologistes militent contre la sylviculture parce qu'elle réduit la biodiversité et détruit l'habitat nécessaire à la survie de la faune et de l'environnement naturel. Nous n'en sommes pas là.
Comme je l'ai déjà dit, si l'on coupait moins d'hectares et qu'on en retirait plus, il pourrait y avoir plus de secteurs naturels protégés. C'est un concept dont on entend beaucoup parler.
Organisez une visite du comité au Costa Rica si vous voulez voir de bonnes plantations d'acajous.
[Français]
Le vice-président : Le Costa Rica n'est pas pour demain.
[Traduction]
Le sénateur Eaton : Je vous remercie de vos exposés. Monsieur Betts, je vais continuer dans la foulée des questions du sénateur Plett. Il y a eu beaucoup de discussions sur le parc Yosemite et la question de savoir s'il valait mieux laisser l'incendie suivre son cours ou essayer de l'arrêter. Allons-nous continuer de nous précipiter pour essayer d'arrêter les feux de forêt ou y aurait-il des raisons valables de laisser la nature suivre son cours?
M. Betts : C'est une très bonne question. Dans ce cas-ci, je ne peux pas vous dire ce qui va arriver. Nous avons tant enlevé à la nature que si nous la laissons suivre son cours, les conséquences pourraient être dévastatrices.
Quoi qu'il en soit, nous allons devoir commencer à y réfléchir. Si nous laissons un feu brûler parce que nous ne pouvons pas nous permettre de le combattre, ce n'est pas comme si nous laissons un feu brûler pour qu'il accomplisse son objectif environnemental ultime.
Le sénateur Eaton : Comme de nettoyer la forêt.
M. Betts : Voilà. Je crains que nous n'ayons pas encore les connaissances scientifiques qu'il faut pour prendre de telles décisions sur les forêts. Je pense que les fonctionnaires des gouvernements fédéral et provinciaux devront très bientôt collaborer pour essayer de voir ce qu'il adviendrait si un feu naissait à tel ou tel endroit. Est-ce qu'on observerait le scénario que j'ai décrit, où le combustible ne pourrait plus alimenter le feu un moment donné? Est-ce que le feu s'étendrait sur des terrains et des terrains de football de poussière de lune?
Le sénateur Eaton : Il n'y a pas de dendroctones du pin en Ontario. Chaque été, je vais dans la baie Georgienne, où je vois les bombardiers à eau se succéder. Quelle est la politique de l'Ontario à cet égard? Est-ce que vous y réfléchissez?
M. Walsh : Vous parlez de politiques de gestion des incendies?
Le sénateur Eaton : Oui.
M. Walsh : Il y a différentes régions au sein de la province. Là où l'on exploite les forêts et où l'industrie forestière s'est établie, nous maintenons un certain niveau d'intervention en cas d'incendie. S'il s'agit d'un feu d'origine naturelle et qu'il endommagera des arbres sur lesquels une certaine scierie compte, nous tâcherons d'intervenir et de contrôler ce feu. Au nord de ces régions, dans le Grand Nord, nous permettons à ces feux de brûler naturellement, sauf s'ils empiètent sur une collectivité. Il s'agit habituellement d'une collectivité autochtone établie dans cette partie de la province.
Dans les parcs provinciaux où la gestion vise à permettre les feux d'origine naturelle, lorsque la foudre en allume un, on le laisse brûler pendant un certain temps avant de s'inquiéter du risque qu'il se dissémine vers les collectivités.
Le sénateur Eaton : Est-ce une bonne façon de gérer les ressources forestières, ou la pratique tient-elle davantage de l'expédient politique?
M. Walsh : Je pense que le public exige que les collectivités soient protégées. Si c'est ce que vous entendez par politique, je dirais que oui, c'est une question politique, de même qu'une question économique à laquelle s'ajoute un élément de sécurité humaine.
Le sénateur Eaton : En ce qui concerne le public, vous avez mentionné dans votre déclaration que la population urbaine ne comprenait pas la valeur des forêts. Puis il y a les gens qui vivent dans la nature et qui saisissent mieux leur importance. Aujourd'hui, lorsque je vais à Toronto et que j'oublie d'apporter un sac, cela m'énerve, car on me facture 5 cents pour un sac en plastique. Je me demande sans cesse pourquoi ils n'offrent pas des sacs en papier. Je pense que le gouvernement a un énorme rôle à jouer dans l'éducation du public. Il se démène pour organiser des campagnes antitabac et toutes sortes d'autres campagnes mais, en ce qui concerne cette importante industrie canadienne — cela fait neuf mois que nous entendons des experts, des professeurs d'université, FPInnovations, des forestiers et des représentants de diverses entreprises. À tout le moins, les gouvernements locaux devraient commencer à renseigner les enfants d'âge scolaire. Cette industrie est extrêmement importante pour notre pays, tant sur le plan économique que sur le plan environnemental. Je pense parfois que les gouvernements et les entreprises elles-mêmes ont négligé d'apprendre aux enfants le cycle de vie de l'arbre. Il emmagasine du carbone en ce moment, mais il cessera de le faire s'il vieillit trop.
Pourquoi croyez-vous que le gouvernement hésite à défendre cette cause? Elle pourrait être présentée comme une cause environnementale excitante. Nous parlons sans arrêt des éoliennes; pourquoi ne parlerions-nous pas des forêts?
M. Walsh : Je suis d'accord avec tout ce que vous avez dit. Je ne prends pas ce genre de décisions, mais il nous est arrivé dans le passé de faire ce genre de recommandations. C'est une question de ressources, et l'on doit décider si l'on va construire un hôpital, une autoroute...
Le sénateur Eaton : Ou une éolienne?
M. Walsh : ... ou allouer les ressources nécessaires à la promotion de l'image de marque des forêts ontariennes et des produits qu'elles permettent de fabriquer. Je pense que nous avons été lamentables dans ce domaine. Certaines associations sont également responsables de cet état de choses, que ce soit l'Association forestière de l'Ontario — je crois que vous avez entendu certains de ces membres — ou l'Ontario Professional Foresters Association. Les membres de ces associations, qui connaissent bien ces choses, se chargent d'éduquer la population, là où les électeurs se trouvent, c'est-à-dire dans le Sud de l'Ontario dans notre cas.
Le sénateur Eaton : J'espère que, quand vous rentrerez chez vous, vous ferez cette recommandation à votre ministre de l'Éducation.
[Français]
Madame Bigué, vous avez parlé de l'amélioration génétique naturelle. Est-ce qu'il y a des recherches en cours dans les universités concernant les arbres génétiquement modifiés?
Mme Bigué : Oui. Au Service canadien des forêts, des chercheurs travaillent à produire des arbres génétiquement modifiés. Présentement au Canada, la loi interdit de planter des arbres génétiquement modifiés. Par contre, des recherches sont effectuées au Canada à cet effet et je connais des chercheurs du Service canadien des forêts qui travaillent sur cet aspect ainsi que l'Université Laval et l'Université du Québec. C'est à l'étape expérimentale.
Ce dont je parle, c'est d'arbres améliorés naturellement de génération en génération.
Le sénateur Eaton : Recommanderiez-vous que l'on dépense plus pour des arbres génétiquement modifiés?
Mme Bigué : Présentement, nous avons des arbres génétiquement améliorés que nous n'utilisons pas à bon escient. Nous devrions commencer par utiliser à bon escient ces arbres améliorés que nous développons depuis plus de 40 ans. Si vous saviez tout l'argent qui a été investi pour cela au Canada; et cela ne donne pas les rendements escomptés. Il faut les planter avec les traitements sylvicoles requis; c'est de la culture d'arbres, de la plantation d'arbres avec des arbres génétiquement améliorés. C'est donc par cela que je commencerais.
D'autres pays, dont la Chine, plantent des arbres génétiquement modifiés. Là-bas, ils ont moins de contraintes environnementales.
Le sénateur Eaton : Ils en utilisent en Chine?
Mme Bigué : Oui. Il y a une dichotomie mondiale, si je peux me permettre; et nous, nous avons tout de même des contraintes environnementales. Certains groupes environnementaux ont des points de vue et la société est changeante. Je pense donc qu'il faudrait au moins, pour les arbres génétiquement améliorés que nous améliorons depuis tellement d'années au Canada, pouvoir les planter et faire les traitements requis afin qu'ils donnent les rendements escomptés en termes de volume et de qualité.
Présentement, nous utilisons ces arbres pour combler les parterres de coupe mal régénérés pour ensuite ne plus s'en occuper ou très peu. Cela ne donne pas les rendements escomptés et il faut vraiment penser à cela.
Le sénateur Eaton : Il faut se concentrer sur cela.
Mme Bigué : Oui. En tout cas, ce serait intéressant.
[Traduction]
Le sénateur Marshall : J'aimerais savoir ce que vous pensez de l'état général des forêts dans chacune de vos provinces. Je sais que c'est une question assez vaste mais, lorsque j'entends Mme Bigué parler de plantations, j'ai l'impression que les forêts du Québec sont en assez bon état. Toutefois, lorsque j'entends parler des incendies de forêt qui sévissent dans l'Ouest, j'ai le sentiment que la situation en Colombie-Britannique est problématique.
Est-ce que chacun d'entre vous pourrait me donner une idée de l'état des forêts de sa province et également me dire quelles autres mesures devraient être prises? Pourriez-vous aussi parler un peu de la sylviculture et m'indiquer si vos forêts se régénèrent par elles-mêmes?
[Français]
Mme Bigué : Je pense qu'il est important de conserver la régénération naturelle. Quand on coupe une forêt, si la forêt ne se régénère pas de façon naturelle adéquatement, il faut au moins garder notre couvert forestier comme il l'était avant d'avoir effectué la coupe. C'est important afin de ne pas perdre ce que nous avions. Nous pouvons maintenant faire mieux, comme je le disais, avec la foresterie de plantation. Je ne sais pas si j'ai couvert tous les aspects de votre question.
[Traduction]
Le sénateur Marshall : Au Québec, y a-t-il encore beaucoup à faire, ou la province suit-elle l'évolution de la situation? On coupe des arbres. Les remplace-t-on?
[Français]
Mme Bigué : Nous disposons d'une loi-cadre, c'est-à-dire que lorsque les forêts sont mal régénérées, nous devons replanter des arbres aux endroits requis. Une nouvelle loi a aussi récemment été adoptée.
[Traduction]
Le sénateur Marshall : Est-ce le gouvernement provincial qui surveille ce processus? Qui veille à ce que le travail ait été effectué?
[Français]
Mme Bigué : Oui. Maintenant, avec la nouvelle loi, ce sera la province qui procédera aux plans d'aménagement. C'est toutefois assez compliqué parce qu'avant d'en arriver aux plans d'aménagement, des plans de développement du territoire seront établis par les communautés locales. Tout un processus a été mis en place pour que les gens soient davantage concernés par l'aménagement forestier au Québec.
[Traduction]
Le sénateur Marshall : Que se passe-t-il en Ontario?
M. Walsh : En Ontario, une mesure législative semblable a été adoptée. Elle exige que chaque hectare récolté soit régénéré selon la prescription indiquée dans le plan de gestion durable des forêts qui a été approuvé pour chacune d'elles. Pour chaque mètre cube de bois récolté, une certaine somme d'argent doit être déposée dans un fonds fiduciaire désigné, appelé le Fonds de reboisement. Cette cagnotte est gérée par le gouvernement. Les entreprises sont chargées de régénérer le terrain selon le plan, et les travaux sylvicoles exécutés dans la forêt leur sont remboursés à même le fonds.
La mise en œuvre du plan est surveillée par l'industrie elle-même — et ses représentants doivent nous en rendre compte — ainsi que par le gouvernement, lesquels procèdent à des vérifications ponctuelles, et cetera. Tous les cinq ans, chaque forêt fait l'objet d'une vérification indépendante visant à confirmer que la gestion est en cours. Un rapport contenant les résultats de cette vérification est présenté à l'assemblée législative. Je dois dire que nous progressons vers l'état des forêts désiré que nous avons planifié. Toutefois, cela ne veut pas dire que nous ne pouvons pas améliorer nos pratiques en vue d'accroître la production, en prenant certaines des mesures dont Mme Bigué a parlé, et d'améliorer les peuplements. La nature nous a donné les forêts dont la production peut toujours être enrichie dans le but d'offrir aux scieries des produits de qualité.
Le sénateur Marshall : Vous avez mentionné un fonds où des sommes étaient déposées en vue d'effectuer des travaux sylvicoles ou autre chose. Nous vivons une période économique difficile. Ce fonds est-il toujours intact? Fonctionne-t-il toujours comme prévu?
M. Walsh : Il est intact. Comme je l'ai dit, ils doivent payer pour chaque mètre cube récolté; s'ils ne sont pas en mesure de le faire, ils ne sont pas autorisés à récolter. Nous sommes tenus de maintenir un solde minimum dans ce compte.
Dans certains cas, des entreprises ont fait faillite, et cela a causé des difficultés au gouvernement. À quelques reprises, il a été forcé de renflouer le fonds. Selon la loi, nous devons disposer de cet argent pour régénérer les forêts.
Le sénateur Marshall : En général, les rapports publiés sont-ils positifs ou négatifs?
M. Walsh : Ils sont généralement positifs. Chaque vérificateur formule des recommandations visant à améliorer la situation. Par exemple, dans certains domaines, nous pourrions être plus consciencieux. Lorsque l'on plante des arbres, on ne peut pas simplement tourner le dos au projet et s'imaginer que tout ira bien. Il faut revenir, comme le fait l'agriculteur, et arracher les mauvaises herbes ou la végétation concurrente, sinon les arbres pourraient mourir. Dans certains cas, les vérificateurs affirment que nous ne l'avons pas fait suffisamment. Par conséquent, nous allons tâcher d'y apporter plus de soins. Je pense que c'est tout.
Le sénateur Marshall : Les choses semblent progresser comme elles devraient.
Que se passe-t-il en Colombie-Britannique?
M. Betts : Comme dans les deux autres provinces, nos règlements exigent le reboisement des terrains forestiers.
Depuis que je m'occupe de cette industrie, et cela remonte aux années 1970, nous avons planté six milliards d'arbres. Cela représente un énorme effort de reboisement. De plus, nous nettoyons plutôt bien toute zone perturbée par l'exploitation forestière. Dans le passé, ce travail s'était accumulé, mais nous nous sommes rattrapés grâce aux fonds que le gouvernement fédéral et le gouvernement provincial nous ont accordés au cours des années 1980 et 1990 dans le cadre de l'Entente sur la mise en valeur des ressources forestières. Nous sommes parvenus à nous rendre dans les régions qui avaient été négligées, et nous les avons remises en état.
Comme je l'ai décrit, nous sommes maintenant aux prises avec 18 millions d'hectares de forêts attaquées par le dendroctone. Ce paysage terrestre fait peser une menace sur nous. Nous avons investi 10 milliards de dollars dans son reboisement, sa plantation et sa fertilisation.
À l'heure actuelle, un énorme débat fait rage au sujet des régions de la Colombie-Britannique qui n'ont pas été suffisamment reboisées. Dans la foulée du dendroctone du pin ponderosa, des feux de forêt, et cetera, quels terrains gérés par nous ne se régénèrent pas en ce moment? Pour vous donner une idée de la superficie estimée — parce que nous n'avons pas pu nous rendre sur le terrain pour prendre la mesure des choses —, elle oscille entre 200 000 et quelque 9 millions d'hectares.
Nous avons seulement été en mesure de prélever quelques échantillons sur le terrain entourant la zone qui se régénère naturellement. Nous croyons qu'environ 60 p. 100 de la région touchée commence à se régénérer, mais pas dans des aires clairement définies. La régénération est plutôt inégale.
Dans le contexte d'une menace d'incendie, le fait que la forêt se régénère ou non est sans importance si le terrain n'arrête pas de produire du bois d'allumage. Nous vivons une période d'incertitude quant à l'avenir. Dans le passé, nous avons bien géré les forêts, mais maintenant nous nous heurtons à des obstacles qui dépassent tout ce que nos règlements prévoient.
À l'heure actuelle, nous avons tendance à éviter de faire quoi que ce soit d'audacieux, et cela nous empêche d'avancer de manière décisive. Au point où nous en sommes, il faut que nous déployions quelques efforts afin d'observer ce qui fonctionne ou non. On ne peut pas duper la nature et, en ce moment, celle-ci se dirige inexorablement vers d'autres feux dans le genre de ceux qui ont ravagé Binta Lake, des incendies de l'ampleur de ceux qui endommagent le parc Yosemite et d'autres événements de ce type. Cela ramènera le paysage à la case départ, ce qui nuira aux investissements que nous avons faits jusqu'à maintenant, ainsi qu'à ce qu'ils devaient produire dans l'avenir, sans parler de la menace immédiate.
Le sénateur Marshall : Pour ce qui est des régions qui ont brûlé, cela a-t-il endommagé le sol ou compliqué la régénération à ces endroits?
M. Betts : Oui, je crois que le sol a été endommagé, mais nous n'avons pas encore été en mesure de mener le genre d'études qui nous permet d'analyser les effets du feu.
La plupart des modèles que nous utilisons pour prévoir leurs effets reposent sur des renseignements que nous avons recueillis dans les forêts boréales. Les forêts de la Colombie-Britannique se comportent différemment. Nous venons juste de remarquer ce nouveau comportement des feux et de tenter de le comprendre.
Nous avons vu des régions où le paysage s'est couvert de ce que j'appellerais de la poussière lunaire. Ces terrains mettront beaucoup de temps à se rétablir. Nous avons observé ce phénomène aux États-Unis, dans la forêt Wenatchee et, bien entendu, dans tout l'Idaho et le Montana, en 1910. À cette époque, d'immenses incendies de forêt se sont déclarés. Nous savons que les dommages peuvent être considérables.
À ce stade, il est difficile d'établir les risques que nous courons. J'ai horreur d'évoquer constamment cette question, mais si l'on considère le changement climatique et les conditions sur le terrain, la tendance indique que nous pourrions connaître d'autres incendies préjudiciables de ce genre. De plus, le comportement du feu risque de nous prendre par surprise.
Ce qui m'inquiète le plus, c'est qu'en ce moment, nous choisissons judicieusement les endroits où nous dépêchons nos équipes de suppression des incendies, et nous nous efforçons de ne pas mettre en péril la vie des gens. Nous allons être forcés de prendre encore et encore de difficiles décisions. Nous possédons 11 000 kilomètres de lignes de transport d'énergie dans la province. C'est le principal réseau électrique. Si j'ai bien compris la façon dont l'électricité est acheminée, en été, les lignes s'affaissent littéralement en raison de la demande. Les climatiseurs de la Californie dépendent de nos lignes. Vous voyez où je veux en venir.
Aussi, il y a les bassins versants, auxquels je ne me suis pas attardé. Ma ville — Nelson — a un magnifique bassin versant naturel. Il remplit très bien son rôle. Nous gaspillons l'eau. S'il devait y avoir un incendie de forêt à cet endroit, nous serions soudainement obligés de construire des infrastructures municipales pour remplir ce rôle. Nous serons de plus en plus poussés à prendre de telles décisions, ce qui risque de mettre nos ressources en péril.
[Français]
Le sénateur Chaput : Madame Bigué, votre présentation était très intéressante et mes premières questions vous sont adressées.
Lorsque vous nous parlez du Réseau ligniculture Québec et de ses différents acteurs, vous mentionnez les universités, les deux paliers de gouvernement — fédéral et provincial —, les industries et les organismes majeurs du secteur privé. Où se situent les municipalités dans ce regroupement?
Mme Bigué : Les municipalités ne sont pas concernées. C'est un réseau de recherche, de développement et de transfert de connaissance. Les municipalités ne sont pas concernées en tant que membres du réseau. Par contre, si c'est dans leur intérêt, elles sont informées.
Le sénateur Chaput : Si certaines municipalités désirent devenir un partenaire, les acceptez-vous?
Mme Bigué : Oui. Si elles veulent travailler sur la même chose que nous.
Le sénateur Chaput : Je comprends. Ensuite, vous nous avez parlé de nouveaux moyens pour encourager les meilleures pratiques possible. Vous avez expliqué ce qu'étaient certains de ces moyens ou quel était votre modèle. Avez- vous discuté avec des intervenants d'autres provinces ou s'agit-il, présentement, d'un modèle québécois, au Québec et pour le Québec?
Mme Bigué : Nous faisons partie du Conseil du peuplier du Canada. Cet organisme développe des arbres améliorés et a l'intérêt à le faire dans d'autres provinces. J'ignore si dans d'autres provinces, le modèle est présenté de la même façon que le modèle québécois que nous proposons.
Le sénateur Chaput : Présentement, c'est le modèle québécois.
Mme Bigué : J'ignore si c'est le cas, car il ne s'agit pas d'un modèle québécois comme tel. On parle du concept TRIADE, par exemple, qui vise à protéger la forêt. On veut augmenter le réseau d'aires protégées, on veut faire un aménagement plus écosystémique et sur une tierce partie faire de la ligniculture. L'idée est venue de chercheurs américains. Le modèle n'est donc pas uniquement québécois.
Le sénateur Chaput : Le modèle pourrait s'appliquer à d'autres provinces si l'intérêt se manifestait?
Mme Bigué : Absolument.
Le sénateur Chaput : Vous avez répondu en partie à ma question, mais est-ce que cette pratique se fait à l'extérieur du Canada?
Mme Bigué : La foresterie de plantation se fait, par exemple, au Brésil et en Nouvelle-Zélande. La Nouvelle-Zélande a un très grand territoire de forêts naturelles. Sur une très petite partie, on y cultive du pinus radiata.
Le sénateur Chaput : Et c'est un succès?
Mme Bigué : Oui, absolument.
[Traduction]
Le sénateur Chaput : Monsieur Walsh, dans votre exposé, je crois que vous avez parlé de considérer l'avenir en fonction d'une main-d'œuvre forte parce que — d'après ce que vous nous avez dit — nous en aurons besoin. Si je ne m'abuse, pour ce qui est de cette main-d'œuvre, vous avez dit qu'on devrait tenir compte des Autochtones. Est-ce simplement une idée, ou est-ce maintenant quelque chose de concret? Autrement dit, en avez-vous discuté avec les Autochtones? Désirent-t-ils en faire partie?
M. Walsh : Oui. En fait, j'ai mentionné plus tôt que nous avons, en vertu d'une évaluation environnementale, reçu l'autorisation d'exploiter la forêt en Ontario pourvu que nous respections certaines conditions, et une des conditions que nous devons respecter est d'essayer d'augmenter la participation des Autochtones pour qu'ils profitent davantage des retombées économiques liées à la gestion de la forêt. Chaque gestionnaire de district en Ontario doit communiquer avec les collectivités autochtones et travailler avec les entreprises, le gouvernement et les Autochtones afin d'essayer de trouver des moyens pour que les Autochtones jouent un plus grand rôle dans l'économie.
Il y a beaucoup d'exemples de situations où les Autochtones ont participé davantage et oui, ils souhaitent beaucoup le faire, parce qu'ils recherchent des occasions d'affaires qui leur permettront de régler les problèmes sociaux qu'ils ont dans leurs réserves. Ils cherchent des emplois et des occasions d'affaires.
Le sénateur Chaput : Cela pourrait-il aller jusqu'à la formation et à l'enseignement de ce qui doit être au programme dans les écoles et les collèges?
M. Walsh : Il existe des programmes provinciaux. Il y en a un au Confederation College, à Thunder Bay. Il s'agit d'un programme de foresterie pour les Autochtones. Il y en a eu dans d'autres collèges communautaires, où on a essayé de soutenir la formation des Autochtones qui souhaitaient suivre la formation en foresterie.
De plus, les divers districts ont mis en place des équipes de planification et à l'échelle locale, il y a les comités de citoyens. Il y a aussi des comités organisés en collaboration avec les Autochtones. Les comités se réunissent pour les encourager à aller en foresterie et les renseigner sur les répercussions de l'exploitation forestière, et ils apprennent aussi de cette façon.
Le sénateur Chaput : Merci.
M. Walsh : On peut faire mieux. Il pourrait y en avoir davantage.
Le sénateur Duffy : Monsieur Betts, j'ai été fasciné par votre diaporama sur l'incendie de forêt au lac Binta. Vous avez parlé des zones de coupe à blanc où on a laissé du combustible derrière. Puis, plus loin dans votre présentation, vous avez parlé de l'idée d'utiliser ce combustible — les déchets de bois, pour ainsi dire — à d'autres fins, comme la transformation en chaleur ou peut-être en vapeur, en électricité — peu importe — en le brûlant.
Qu'en est-il sur le plan économique? Le combustible qui a été laissé derrière a-t-il une valeur commerciale? Nous avons entendu beaucoup d'histoires à propos des techniques modernes d'exploitation forestière et de la façon dont on utilise toutes les parties d'une grume. Si le combustible a une quelconque valeur commerciale, pourquoi les sociétés forestières ne le récoltent-elles pas pour l'utiliser dès maintenant?
M. Betts : C'est une bonne question, ce qui est un code pour dire que je ne le sais vraiment pas. Honnêtement, l'industrie utilise une partie de ce qu'on appelle une « récolte accessoire » et qui est un sous-produit de leurs méthodes de récolte et aussi ce qui reste après le sciage. Dans certains cas, ces produits sont utilisés pour alimenter les scieries. Pour l'industrie, c'est logique. De son point de vue, dans les conditions actuelles du marché, elle n'a pas les installations requises pour transformer ce bois en copeaux ou en granulat; donc, cela n'a pas attiré son attention.
Nous avons de la difficulté à évaluer le potentiel commercial. Notre industrie pense qu'il y a environ 48 milliards de dollars d'énergie thermique sur le terrain, sous forme de bois mort qui se transformera, je dirais, en feu, en flammes et en fumée. Nous commençons à peine à en faire l'analyse de rentabilisation.
Un des problèmes que nous avons, c'est que notre cartographie n'indique pas adéquatement la biomasse qui est sur le terrain. Donc, quand on se pose la question à savoir si nous pouvons faire de l'argent avec cela, on travaille avec des inventaires qui ne reflètent pas la réalité. On a aussi tendance à regarder cela du point de vue de l'ancienne économie qui, habituellement, n'accorde pas beaucoup de valeur à cette matière. Aussi, nous n'avons pas encore les écoles. Il n'existe pas encore de centrales ou d'installations qui pourraient utiliser ce produit et qui seraient prêtes à l'acheter. Nous sommes à une croisée des chemins où les circonstances sont favorables au lancement d'un tel projet.
Nous pouvons faire de meilleures analyses qui comptabilisent l'inventaire réel sur le terrain et tiennent compte qu'on n'y trouve pas seulement de la grume de sciage, mais aussi de la biomasse. On a tendance à penser à l'électricité dans ce cas. Je dis que non, parce que la Colombie-Britannique a beaucoup de gravité et d'eau, contre lesquelles on ne peut pas être en concurrence pour la production d'électricité. La valeur proviendra principalement de l'énergie thermique. On entend toujours dire que le gaz naturel se vend 6 $ à certains endroits, mais cela a tendance à être le prix que l'on obtient quand on spécule sur le marché des produits de base. Quand on arrive enfin au bec du brûleur, dans une collectivité donnée, le prix est plus élevé. Il pourrait être deux ou trois fois plus élevé.
Ces analyses de rentabilisation restent à faire. Nous nous y employons actuellement, nous devons faire de la recherche et c'est là que le gouvernement fédéral peut nous aider à faire valoir ces arguments. Il faut aussi tenir compte des autres effets liés à certaines considérations abstraites, comme dire qu'il s'agit d'une solution tout à fait logique parce que nous avons évité des coûts. Cet argumentaire rend l'analyse de rentabilisation ambiguë.
Le sénateur Duffy : Des témoins — et le président le sait bien, parce que je crois qu'il s'agissait de propriétaires de lots boisés du Nouveau-Brunswick — ont parlé d'avoir dans la collectivité de petites centrales thermiques alimentées par la biomasse de la région laissée derrière par les entreprises d'exploitation forestière au Nouveau-Brunswick. À petite échelle et dans une région géographique limitée, on peut le concevoir. Même dans ma ville natale de Charlottetown, on brûle des ordures ménagères et d'autres déchets — d'autres biocarburants — pour produire de la vapeur et ainsi chauffer, je crois, environ 85 édifices de la capitale, dont l'université et les hôpitaux, et cetera. Il semblerait que la technologie existe. Cependant, j'imagine que dans les grands espaces de la Colombie-Britannique, la distance qui sépare la biomasse des collectivités environnantes pourrait aussi être un facteur, mais je crois que vous avez mis le doigt sur quelque chose qui pourrait régler deux ou trois problèmes, si vous décidez d'emprunter cette voie. Qui prend les devants? Comment peut-on faire pour que cela ne s'arrête pas au comité?
M. Betts : Je me suis demandé pourquoi je viendrais ici pour faire un exposé. En toute franchise, je cherche des champions ou des personnes au gouvernement qui peuvent aider à changer la mentalité qui prévaut actuellement. Sénateur Duffy, vous avez frappé en plein dans le mille. Nous ne sommes pas obligés de le faire à grande échelle. Nous ne parlons pas d'attirer des investissements de Singapour afin de construire une grande, une gigantesque centrale où on ferait tout brûler.
Non, soyons intelligents; faisons l'analyse de rentabilité pour les collectivités. Ce seront de petites centrales. D'une certaine façon, on étudiera la réserve bioénergétique, qui est l'idée que nous essayons de faire accepter. Dans une telle situation, on gère la menace que j'ai décrite, on la convertit pour qu'elle profite à l'économie locale, on reboise et on gère aussi la forêt. Voilà le tableau.
On peut retirer certains groupes électrogènes diesel utilisés dans les collectivités des Premières nations et arrêter d'avoir recours au gaz naturel de nos bons voisins de l'Alberta. Toutes ces choses vont de pair.
D'où une idée tient-elle son élan? Je ne connais pas la réponse à cette question. J'ai été en marge de la politique comme vous l'avez été, en votre qualité de journaliste. À quel moment une idée obtient-elle soudainement cette attraction gravitationnelle qui lui permet de se transformer en projet? Quel est le mystère sous-jacent à la politique, où ce qui a du sens apparaît soudainement comme la chose à faire? Aurons-nous besoin de quelques autres accords de Kelowna avant d'y arriver, quoique je déteste faire cette affreuse comparaison? Que nous faudra-t-il?
Je pense qu'il faudra des champions au sein du gouvernement. Les groupes comme le mien sont composés de petits entrepreneurs. Nous vivons sur la frange de l'économie. Nous aimerions penser que cela nous rend intelligents et plus vifs d'esprit. À bien des égards, nous sommes prêts à nous engager, tandis que les titulaires de permis sont profondément attachés à une approche tout à fait différente en matière de foresterie. J'essaie de choisir mes mots avec soin. Les titulaires ne sont pas vraiment prêts pour cette idée. Je pense qu'ils aimeraient en avoir le contrôle, mais je ne sais pas s'ils sont convaincus de se lancer dans l'aventure.
Cependant, les groupes comme mes plus petits joueurs et beaucoup d'entrepreneurs en exploitation forestière achètent des déchiqueteuses et font de l'argent. Ils vendent et c'est logique. Ainsi fonctionne le marché. Peut-être que c'est de cette façon que les choses vont évoluer. Il faut simplement créer les conditions sur le terrain par une quelconque réforme de la tenure et, encore une fois, par l'intermédiaire de personnes qui seraient prêtes à se faire les champions de cette idée. Beaucoup de forces et d'obligations s'y opposent. Je ne dis pas qu'il y a une conspiration, mais il s'agit d'un changement radical par rapport aux pratiques antérieures. Nous devons agir bientôt.
D'une certaine façon, je vous retourne la question, et je ne sais pas si j'y ai répondu.
Le sénateur Duffy : Je suis certain que je parle au nom de tous les sénateurs lorsque je dis que nous avons aimé votre exposé et nous vous remercions d'être venu. Nous sommes désolés que les débats dans la grande Chambre, de l'autre côté de la rue, nous aient retenus, mais nous vous savons gré de nous avoir consacré un peu de votre temps.
Le vice-président : Merci, sénateur Duffy. Je dois faire part au comité de l'expérience vécue par quelques membres du comité quand nous avons visité Williams Lake, en Colombie-Britannique. Ils ont fait exactement ce que vous avez suggéré, sénateur Duffy. C'est le besoin d'avoir une meilleure collectivité, où les scieries et l'usine de granules de bois se sont réunies et ont décidé qu'on devait faire quelque chose avec la forêt parce que c'était le mode de vie de la collectivité qui les a amenés à s'unir.
Il y avait des scieries et l'électricité était produite par les matériaux non utilisés dans les scieries. Les exploitants laissaient une partie de la biomasse sur le sol de la forêt, pas toute, mais ils devaient en laisser assez pour s'assurer que le sol de la forêt serait entièrement recouvert.
Il s'agissait simplement de personnes qui s'unissaient et qui voulaient faire un meilleur usage de leur ressource. Je pense que c'est un très bon exemple.
[Français]
Le vice-président : J'aurais une question pour Mme Bigué. Vous parlez d'amélioration génétique.
Mme Bigué : Oui.
Le vice-président : Vous dites ensuite génétiquement modifié. Pour moi, ce n'est pas la même chose.
Mme Bigué : Non.
Le vice-président : Il faut surveiller les termes employés, car cela pourrait nous causer des difficultés, n'est-ce pas?
Mme Bigué : Oui. Alors dans l'exposé, j'ai parlé seulement de génétiquement amélioré. C'est avec ce matériel qu'on travaille, mais on m'a posé la question sur la mention génétiquement modifiée. C'est pourquoi j'ai essayé de faire la distinction entre génétiquement amélioré et génétiquement modifié. Effectivement, ce sont des concepts qu'on explique constamment pour ne pas mêler les gens. Il y a une loi canadienne qui interdit la plantation d'arbres génétiquement modifiés. C'est très important de faire la distinction.
Le vice-président : C'est la raison pour laquelle je vous posais la question. Il faut s'entendre sur les termes.
Mme Bigué : Nous travaillons sur les arbres génétiquement améliorés.
Le vice-président : Merci beaucoup.
Je tiens à tous vous remercier pour avoir pris le temps de venir nous faire les présentations. Nous avons parlé, entre autres, de sylviculture. Nous allons certainement tenir compte de vos propos dans la rédaction de notre rapport.
Alors, madame, messieurs, merci beaucoup. Si vous aviez d'autres commentaires à nous communiquer plus tard, n'hésitez pas à le faire à notre greffière. Nous serons heureux de les recevoir.
Nous avions une deuxième partie à notre ordre du jour qui était la considération de travaux futurs ainsi que du budget.
Les témoins sont maintenant libres de disposer.
[Traduction]
Faisons-nous la deuxième partie ce soir ou la remettons-nous à jeudi matin? Nous avons perdu quelques joueurs parce que nous avons commencé tard puisque le Sénat a siégé plus tard.
Le sénateur Marshall : Je suis un remplaçant; donc, je trouve cela difficile de parler de ce que nous devrions faire plus tard parce que je ne sais pas ce que nous avons fait avant.
Le sénateur Duffy : Monsieur le président, nous préférerions peut-être attendre à jeudi.
Le vice-président : Sommes-nous d'accord? Nous sommes d'accord.
Puisqu'il n'y a pas d'autres travaux, nous en avons terminé avec l'ordre du jour.
(La séance est levée.)