Délibérations du comité sénatorial spécial sur
l'Antiterrorisme
Fascicule 7 - Témoignages du 4 octobre 2010
OTTAWA, le lundi 4 octobre 2010
Le Comité sénatorial spécial sur l'antiterrorisme se réunit aujourd'hui, à 13 h, pour examiner des questions relatives à l'antiterrorisme.
Le sénateur Hugh Segal (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bienvenue, chers collègues. Nous entamons la huitième réunion du Comité sénatorial spécial sur l'antiterrorisme de la troisième session de la 40e législature du Canada.
En attendant le renvoi d'un projet de loi de la Chambre des communes, nous continuons d'examiner la nature changeante de la menace terroriste au Canada. Aujourd'hui, notre réunion comporte deux volets; d'abord, nous recevons un groupe de témoins composé de deux spécialistes en recherche sur l'antiterrorisme et, deuxièmement, un leader communautaire nous présentera un exposé sur un programme de déradicalisation de 12 étapes qui a été mis en place à Toronto.
Je vais présenter nos invités.
[Français]
Notre premier témoin est M. Stéphane Leman-Langlois, professeur de criminologie à l'École de service social de l'Université Laval, à Québec. Il est titulaire de la chaire de recherche du Canada en surveillance et construction sociale du risque, et directeur de l'Équipe de recherche sur le terrorisme et l'antiterrorisme au Centre international de criminologie comparée de l'Université de Montréal.
Il est également membre de l'Institut québécois des hautes études internationales, à Laval, et de la Chaire Raoul- Dandurand en études stratégiques et diplomatiques de l'UQAM. Ses travaux ont porté sur la justice en période de transition politique, sur la police, le renseignement de sécurité, le terrorisme et les nouvelles technologies de surveillance. Ses plus récentes publications sont, avec Jean-Paul Brodeur, en 2009, Terrorisme et antiterrorisme au Canada, en 2008, Technocrime : Technology, Crime and Social Control, et, en 2007, La Sociocriminologie.
Sur le même panel, nous recevons aussi le professeur Guillermo Aureano, chargé de cours au département de science politique de l'Université de Montréal et chercheur associé au Centre d'études sur la paix et la sécurité internationale depuis sa création.
Le professeur Aureano a effectué des études post-doctorales à l'Institut d'études politiques de Paris et offert ses services de consultant à l'UNESCO et au ministère des Affaires étrangères du Canada. Son principal domaine d'enseignement et de recherche est les nouvelles menaces à la sécurité internationale (terrorisme, crime organisé, trafic de drogue, corruption et blanchiment).
En 2007, il a reçu le Prix d'excellence en enseignement de la faculté des arts et des sciences. L'année suivante, l'Université de Montréal lui décernait également le prix d'excellence en enseignement.
[Traduction]
Nous sommes ravis de pouvoir profiter de vos conseils et de vos recommandations, et nous serions très heureux de pouvoir par la suite vous poser des questions, tant sur le fond de votre exposé que sur le travail que vous avez réalisé sur cette question.
Monsieur Aureano, nous allons commencer avec vous.
[Français]
Guillermo R. Aureano, coordonnateur des stages, Département de science politique, Université de Montréal, chercheur associé, CEPSI, à titre personnel : Monsieur le président, je vais faire une présentation sur la lutte au financement du terrorisme. Déjà, deux ans avant les attentats du 11 septembre, un ancien de la CIA, reconverti à l'enseignement universitaire, Paul Pillar, estimait que la riposte financière au terrorisme était chimérique et qu'elle le resterait. Il disait qu'il était impossible de prévenir des attentats en suivant la piste de l'argent. Toutefois, il a insisté également sur l'importance de l'utilité symbolique de la lutte au terrorisme, notamment par son effet intimidant et aussi pour démontrer que le gouvernement agissait contre le terrorisme sur tous les plans.
Du point de vue pratico-pratique, donc, son utilité lui semblait, déjà avant le 11 septembre, limitée. Les faits semblent avoir donné raison à Paul Pillar. On ne connaît pas vraiment des attaques ou des complots de grande envergure qui auraient été déjoués suivant cette piste de l'argent. Mais la lutte au financement du terrorisme s'est avérée, du point de vue géopolitique, un outil stratégique de la plus grande importance.
Après le 11 septembre 2001, il y a eu, de par le monde, un processus d'harmonisation du droit pour lutter contre le terrorisme qui a été peut-être le plus rapide que l'on ait connu dans l'histoire contemporaine. Presque tous les pays ont légiféré pour lutter contre le financement du terrorisme. Même les pays qui disposaient déjà d'un appareil, d'un arsenal législatif assez imposant se sont vus dans l'obligation de légiférer encore.
La plupart de cette harmonisation du terrorisme repose en fait sur une simple adaptation de l'arsenal du dispositif législatif et juridique, qui existait pour lutter contre l'argent de la drogue. Il y a eu peu d'innovations à ce niveau. Cependant, on peut souligner deux changements importants : d'une part le GAFI, qui est un organisme international de première ligne dans la lutte contre le blanchiment — le Groupe d'action financière internationale, mis sur pied par le G7 —, a beaucoup insisté en faisant écho de certains soupçons sur le financement du 11 septembre, sur la nécessité de contrôler les œuvres de charité, notamment islamiques, et cela a été toute une nouveauté qu'on ait mis cette nécessité de l'avant.
Un autre changement important avec la United States Patriot Act, c'est le fait que les États-Unis sont devenus une sorte de pompe à informations, en changeant de manière radicale la législation qui régit la banque de correspondance, qui permet à un grand nombre de banques américaines de transiger avec de petites banques locales de par le monde. Désormais, la collection des informations, à partir de toutes les transactions en banque de correspondance, est devenue obligatoire.
Ces deux grands changements ont connu un sort très différent. Le GAFI a dû se rendre compte que, pour différentes raisons — je pourrais approfondir plus tard —, le contrôle des œuvres de charité et surtout de tous les systèmes d'Awallah très utilisés par les travailleurs migrants pour envoyer de l'argent dans leur pays d'origine était très, très difficilement contrôlable. Encore aujourd'hui, on fait le même constat.
Cependant, les États-Unis ont réussi à collecter une grande quantité d'informations et le font régulièrement encore sur la banque de correspondance. Il y a même un projet de loi en ce moment au Congrès américain, non seulement pour exiger aux banques de colliger ces informations et de faire des déclarations des soupçons, mais également pour transmettre toutes les informations colligées à une agence centrale du gouvernement des États-Unis.
En fait, toute la discussion sur la lutte au financement du terrorisme repose sur quelques suppositions, sur quelques a priori somme toute assez simples. On suppose, par exemple, que les terroristes ont besoin des grandes sommes d'argent pour commettre des attentats organisés et qu'ils se servent, en grande partie, du système financier formel ou que les contrôles de ces systèmes peuvent être adaptés à un système plus informel. Ce sont toutes des a priori, des suppositions dont on peut douter. En fait, comme le disent plusieurs professeurs, dont Tom Naylor, les attentats sont commis, en grande partie, avec l'autofinancement des membres, des gens qui les préparent. Et, par ailleurs, il faut également tenir compte que le gouvernement doit démontrer qu'il agit. Donc, on est dans une sorte de cul-de-sac dans la lutte antiterroriste. D'une part il y a, dans la communauté scientifique et même chez les chercheurs, une conscience assez claire que c'est très difficiles de saisir, dans la masse de transactions, celles qui vont permettre de dépister un futur attentat, si ce n'est impossible, mais, d'autre part, les gouvernements doivent démontrer qu'ils agissent contre le terrorisme sur tous les plans, y compris le plan financier.
Stéphane Leman-Langlois, professeur, Université Laval, directeur, Équipe de recherche sur le terrorisme et l'antiterrorisme, à titre personnel : Je vous remercie, monsieur le président, de m'avoir invité. C'est un honneur pour moi de venir vous présenter mes petites recherches devant ce comité.
On m'a demandé de présenter un portrait global des tendances dans le terrorisme, ce que j'ai fait dans les trois ou quatre sections de mon papier. Je vais faire référence à quelques petits graphiques que j'ai inclus dans ce papier. Si vous voulez suivre avec moi, cela pourrait peut-être aider.
Ce dont je vais vous parler aujourd'hui est basé sur la construction d'une banque de données sur les actes terroristes au Canada depuis 1973. Vous remarquerez que nous indiquons l'évolution de la menace terroriste au Canada de 1973 à 2006, — c'est 2006 non pas 2010 — parce qu'on attend d'avoir plus d'informations sur des actes terroristes avant de les inclure immédiatement dans la banque de données. Donc, les tendances dont je veux vous parler aujourd'hui finissent en 2006, mais je ne pense pas qu'il y ait eu beaucoup de différence entre 2006 et 2010. Le mieux qu'on pourrait faire aujourd'hui, c'est peut-être d'inclure les données de 2009, parce que l'année 2010 n'est pas encore terminée. Je pense que c'est tout à fait valide même si on n'est pas à la seconde près.
La première chose à noter, selon la banque de données du moins, il semble que le terrorisme a été surtout une activité au Canada dans les années 1980. Sur le graphique no 1, vous voyez très bien une assez forte activité dans les années 1980 suivie d'une période d'activité très faible et même on pourrait dire statistiquement proche de zéro. Et vous voyez deux courbes sur le graphique parce qu'on a fait une distinction. Comme vous le savez, il y a beaucoup de discussions sur la définition du terrorisme. Donc, selon qu'on définisse le terrorisme d'une façon plus ou moins large, il va y avoir plus ou moins d'actes de terrorisme à y inclure. Ce que vous avez sur le premier graphique, c'est une courbe qui est l'ensemble du terrorisme que j'appelle des nuisances ou du bruit de fond terroriste, qui consiste essentiellement en des menaces, des complots qui n'ont pas abouti, des actes de vandalisme importants et cetera. Et vous avez une autre courbe qui vise le terrorisme plus violent, ce qui est probablement plus proche d'une définition plus universelle du terrorisme. Vous voyez que les deux courbes, — enfin il y a eu une période d'activité qui correspond à peu près, dans les années 1980 dans les deux cas — se suivent à peu près de façon constante dans les autres années qui suivent. Et cette courbe n'est pas unique au Canada. Si on calque la courbe internationale ou des courbes de pays étrangers différents et que l'on met les années par-dessus la courbe du Canada, cela va ressembler à peu près à celle-là, également avec une forte intensité dans les années 1980 et une baisse pour le moins vertigineuse ensuite.
Je vous ai mis une référence : par exemple, Europol amasse des statistiques sur les événements terroristes qui ont lieu en Europe et les découpe selon que ce soit du terrorisme séparatiste, du terrorisme de gauche ou du terrorisme islamique. Et dans tous les cas, on a une variation d'environ 40 à 43 p. 100 à la baisse dans l'année qui vient de se terminer, soit 2008 à 2009. Le cas du Canada ici n'est pas différent des autres pays du monde.
Si on regarde un peu la figure no 2, elle reprend ce que je viens de dire, que finalement la courbe du bruit, comme vous le voyez déjà dans le graphique no 1 est beaucoup plus haute que la courbe de la violence; la pointe de tarte nous montre la même chose. Si on s'imagine que terrorisme égale violence sans distinction, très, très grande destruction, vous avez quelque chose comme la plus petite des pointes de tarte qui est représentée par cela, c'est moins de 2 p. 100, ici arrondi dans le graphique, c'est moins de 1,5 p. 100. Et là il faut aller chercher à l'international du contenu canadien. Par exemple, il va y avoir des incidents qui se sont passés au Pérou; quand on attaque l'ambassade du Canada au Pérou, cela entre dans notre banque de données parce qu'on tient compte de toutes les attaques où le Canada est impliqué, que ce soit des Canadiens, que ce soit des terroristes ou que ce soit des victimes, ou que le Canada soit visé de façon symbolique.
Et donc si, même en prenant tout cela dans notre immense salade de terroristes, on arrive quand même à des actes de gravité très faibles. Probablement que si on faisait la même pointe de tarte dans tous les pays du monde, le Canada aurait la pointe où il y a le moins de violence, ou disons très, très proche des derniers de cette catégorie.
Une chose intéressante par contre, c'est qu'on peut découper le terrorisme aussi, pas seulement selon la gravité des actes commis, mais également selon la motivation, le motif politique recherché par les personnes qui ont posé les gestes.
Vous avez, dans la figure 3, comme un découpage du type de terrorisme par rapport aux motifs des terroristes qui ont attaqué. Je ne veux pas commencer à vous définir tout cela parce que c'est passablement long, et je peux vous référer à autre chose pour aller plus en détails. Si on regarde le bon vieux terrorisme classique de revendication ou le terrorisme de séparatisme, vous voyez que ces types de terrorisme — et là on parle du Canada, évidemment — vont faire appel à des actes de terrorisme de gravité beaucoup moindre. Et ceux qui font appel à des actes de terrorisme de gravité plus grande, incluant des complots qui étaient relativement crédibles, c'est ce qu'on appelle le terrorisme de restauration qui inclut le fameux terrorisme d'Al-Qaïda dont il est fortement question dans les médias, mais cela inclut, au Canada, toute sorte de choses comme l'attaque d'Air India, entre autres. Et on voit qu'avec ce type de motif, on a tendance à viser beaucoup plus large et, évidemment, à causer des dommages en conséquence.
On ne peut pas trop s'avancer dans les conclusions là-dessus parce qu'on juge quand même à partir d'un nombre très faible. Il ne faut pas se lancer dans des conclusions sur les tendances statistiques parce qu'on n'a pas des nombres qui sont suffisants pour ces tendances. Il est quand même intéressant de voir que le fameux terrorisme de restauration, ce n'est pas celui qu'on voit dans les années 1980. Dans les années 1980, il n'y en a pratiquement pas. Et c'est un terrorisme, qui est beaucoup plus contemporain à notre époque.
Comme je vous l'ai mentionné, c'est sujet à une analyse statistique non existante, mais on a quelque chose comme peut-être un changement dans la teneur du terrorisme au Canada, parce que le type de terrorisme qu'on y pratique a été transformé.
Deuxième partie, j'aimerais vous parler de quelques petites tendances au niveau peut-être plus qualitatif. J'aimerais parler de ce qu'on appelle le « homegrown terrorism » — souvent on dit « terrorisme domestique », mais je ne pense pas que cela corresponde tout à fait à la définition de « homegrown terrorism ». Le « homegrown terrorism », c'est quelque chose qu'on s'est imaginé observer à partir du 11 septembre, premièrement parce qu'on a porté un peu plus d'attention au terrorisme à partir de ce moment, mais également parce que le sujet d'attention, jusqu'à cette époque, c'était beaucoup plus le terrorisme international, donc le terroriste qui change de pays, qui est basé à l'étranger et qui attaque un pays étranger. En fait, c'est surtout en Grande-Bretagne qu'on a commencé à parler de « homegrown terrorism », quand on s'est aperçu que des citoyens de longue date, des immigrants reçus de longue date, se mettaient à commettre des actes sur le territoire britannique, on s'est dit que c'était un nouveau phénomène.
Ce qui est important de noter, ce n'est pas le fait que des terroristes sont soudainement motivés localement et attaquent localement. Cela n'a rien de nouveau. En fait, le « homegrown terrorism » n'est pas un nouveau phénomène parce que maintenant on attaque des cibles locales, mais bien parce que la motivation qui fait agir ces gens vient de l'extérieur. C'est ce qui est quand même un peu plus nouveau.
On a toujours eu des terroristes motivés localement, donc pour des causes politiques locales. Cependant, des terroristes qui attaquent en Grande-Bretagne à cause d'événements internationaux à l'extérieur de la Grande-Bretagne, c'est quand même nouveau. Ce qui est nouveau, ce n'est pas le « homegrown terrorism », c'est la motivation extérieure.
Une dernière remarque là-dessus, peut-être une hypothèse, mais encore là, on a très peu de chiffres à se mettre sous la dent à ce sujet. Mon prochain point a trait aux technologies de l'information. Je note trois choses importantes, je vais d'ailleurs finir là-dessus.
Premièrement, on parle souvent des technologies de l'information comme étant une puissance de recrutement des terroristes. Jusqu'à maintenant, c'est assez peu démontré par les faits. On ne voit pas beaucoup de terroristes qui deviennent des terroristes parce qu'ils ont été en contact avec d'autres terroristes sur Internet.
Deuxièmement, on voit que les terroristes sont de plus en plus informés sur ce qui se passe à l'extérieur. C'est peut- être une des explications de la fameuse motivation par des événements extérieurs. C'est-à-dire que les technologies nouvelles de l'information mettent des gens en contact avec une série d'événements internationaux qui peuvent augmenter leur sentiment d'impuissance, d'injustice subie, comme on dit en criminologie, et donc pousser un certain nombre d'individus — on parle évidemment d'une infime minorité — à agir en fonction de ce qu'ils croient être une attaque indue contre les personnes auxquelles ils s'identifient.
Troisièmement, ces technologies ne sont pas utilisées pour commettre du terrorisme directement, donc on ne peut pas vraiment observer le cyberterrorisme pour l'instant. Il n'y en a presque pas, à moins qu'on utilise une définition très large de cyberterrorisme. Ce qu'on peut noter cependant, c'est que l'utilisation de l'Internet ou des technologies de l'information par les terroristes transforme la manière dont ils s'organisent. Ils ont donc beaucoup moins besoin de se rencontrer et ils peuvent utiliser ces nouvelles technologies pour organiser leur groupe et communiquer les uns avec les autres. Cela peut changer la façon dont les réseaux terroristes sont structurés. On ne fera pas d'analyse de réseau, mais l'important est de voir qu'il y a probablement une transformation des structures des cellules terroristes. Encore là, on ne peut pas vraiment se fier sur les chiffres, c'est plutôt qualitatif qu'autre chose.
Le président : Nous allons maintenant passer à la période de questions. Je vais demander au coprésident du comité, le sénateur Joyal, de bien vouloir commencer.
Le sénateur Joyal : Merci, monsieur le président. Bienvenue messieurs. Ma première question s'adresse à M. Leman- Langlois, et, ensuite, je poserai une question à M. Aureano.
Monsieur Langlois, vous semblez soutenir que la mobilisation, qui peut amener des Canadiens de première, deuxième ou troisième génération à poser des gestes de terrorisme, serait plutôt extérieure que celle d'une injustice ressentie au Canada. C'est-à-dire que c'est plutôt par l'information internationale qui circule qu'un individu, un Canadien, pourrait être amené à se raccorder à un réseau ou encore à puiser dans l'information internationale la motivation qui correspond à ses valeurs d'interprétation des gestes qu'il doit poser.
Si tel est la constatation que vous faites, quelle serait, à ce moment-là, l'approche que l'on devrait développer pour surveiller ou pour prévenir ce type de mobilisation? Comment peut-on y faire face?
M. Leman-Langlois : Je pense qu'il n'y a pas vraiment de recette miracle d'application directe immédiate. C'est sûr qu'on peut parler de la position du Canada dans le monde, de sa réputation. Qu'est-ce que le Canada semble être en train de faire dans le monde? Et qu'est-ce que l'image du Canada va être dans ces sources d'information qui nous viennent de l'extérieur? Mais cela, c'est strictement à long terme. Ce sont des changements importants dans la politique extérieure, dans les activités du Canada à l'extérieur, dans les interventions qu'il fait sur les territoires étrangers. Selon moi, l'image du Canada à l'étranger reste encore très bonne pour l'instant. Dans ces sources d'information extérieures, le Canada est généralement complètement absent, dans l'immense majorité des cas. Dans le reste de ces sources, il fait quand même relativement bonne figure, sauf pour ce qui est en rapport à l'Afghanistan.
Il n'en reste pas moins que si on cherche une solution maintenant, on pourrait dire qu'on va censurer Internet, et c'est probablement le premier réflexe qui nous arrive, mais c'est une stratégie autodestructrice qui, finalement, ne donnera pas grand-chose et qui va probablement avoir beaucoup plus de conséquences négatives que positives. Selon moi, on peut espérer transformer la façon dont les Canadiens perçoivent les phénomènes et les événements à l'étranger en fonction du Canada — c'est ce qui nous intéresse maintenant —, en faisant attention à l'image qui est renvoyée du Canada par ces informations à l'extérieur. Encore là, ce n'est pas un bouton sur lequel on peut appuyer pour soudainement transformer cette image.
Le sénateur Joyal : Vous avez parlé, à la page 3 de votre mémoire, de trois cas sur le plan des réseaux internationaux. Ahmed Ressam ou Saïd Namouh, le « terroriste de Maskinongé », comme vous le décrivez, ou encore Mohammed Khawadja, ce sont plutôt des Canadiens qui se sont rattachés à des réseaux internationaux. Ils ne visaient pas le Canada parce qu'ils étaient mécontents du Canada. Ils s'attaquaient au Canada ou à une cible quelconque parce qu'ils partageaient les objectifs d'un groupe international. À mon avis, c'est un des éléments particulièrement importants dans l'approche que l'on doit développer à l'égard de la prévention. Selon moi, il y a un élément important de prévention dans une politique antiterroriste qu'on doit arriver à comprendre. Pour la comprendre, il faut percevoir où est le maillon de la conviction qu'un individu obtient qu'il est motivé ou mobilisé à poser un geste. Il me semble que d'après les cas que vous soulignez, ce n'est pas à l'égard du Canada qu'est la critique, c'est plutôt dans le contexte plus global de la politique internationale, de la question du Moyen-Orient, de la manière dont certains organismes internationaux interviennent dans des conflits régionaux. C'est plutôt dans ce contexte, à mon avis, que l'attention doit se concentrer. Ai-je raison ou ce n'est pas là qu'est la cible prioritaire?
M. Leman-Langlois : Je pense que vous avez tout à fait raison. Premièrement, ces trois cas ont des histoires personnelles de radicalisation qui sont très différentes. Par exemple, Ahmed Ressam s'est radicalisé au contact d'un groupe de personnes en tant que petit criminel de bas étage, qui volait des manteaux et des portefeuilles. Donc, le processus qui a suivi s'est révélé complètement différent et n'a rien à voir avec l'information internationale et les technologies de l'information. C'est sûr. Par contre, vous avez le cas de Saïd Namouh qui est pratiquement le contraire, c'est-à-dire que c'est quelqu'un qui est très impliqué dans la diffusion de cette information au sujet de l'intervention dans les pays étrangers.
Vous avez également raison de dire que ces personnes ne visaient pas des cibles canadiennes. Par contre, la chose à laquelle il faut faire attention, c'est que dans les trois cas, on a des personnes qui ont été sur le radar du SCRS, qui ont été arrêtées ou arrêtées in extremis après que le SCRS en ait perdu la trace, comme dans le cas de Ressam, par exemple, mais il s'agit d'aiguilles dans des bottes de foin. Ici, on a quand même des enquêtes qui se font de façon traditionnelle et qui ont mis fin à ces complots-là. Cependant, si vous voulez quelque chose qui va être automatisé au sens où vous allez pouvoir détecter la radicalisation de personnes sans faire d'enquête, je pense que c'est carrément impossible parce que vous parlez de cas tellement uniques, tellement exceptionnels, qui ont une historique tellement particulière qu'il n'y a pas de moyens qui vont s'appliquer à tout le monde et qui vont pouvoir détecter ce genre de passage au radicalisme, qui est amplifié dans ces cas-là.
Le sénateur Joyal : Monsieur Aureano, vous ne semblez pas soutenir que le financement du terrorisme à l'échelle internationale est un élément important de la formation des terroristes en herbe. Quand on prend connaissance du passé de plusieurs auteurs d'actes terroristes, on se rend compte qu'ils sont allés quelque part, en Afghanistan à l'époque ou dans un autre pays — que je ne nommerai pas pour ne pas créer d'incident diplomatique —, pour une période d'entraînement, un camp de formation, et cetera, qui est quand même coûteux. Les gens doivent se déplacer, ils doivent payer des billets d'avion, ils doivent séjourner dans ces pays et cetera. Il me semble que suivre la filière du financement d'un certain nombre d'organismes internationaux, qui sont sur la liste des organismes proscrits par la Loi antiterroriste, c'est une activité à laquelle le gouvernement ne peut pas se désintéresser. Cela reste un élément important, à mon avis, de la croissance des groupes et de la possibilité d'un acte terroriste qui soit posé à grande échelle. Je suis d'accord avec vous, un individu qui se fait sauter comme kamikaze, cela ne représente peut-être pas un investissement important en termes de préparation et d'implication. Un seul individu peut causer des dégâts considérables, mais il n'en demeure pas moins que les réseaux internationaux existent et que ces réseaux se financent à travers des activités illicites ou du financement qui devient illicite parce qu'on le dirige vers des fins illicites. Est-ce que vous ne croyez pas que cela reste quand même un des éléments essentiels? Ce n'est pas le seul, mais dans une stratégie globale de lutte au terrorisme, la trace du financement des groupes terroristes est un élément important.
M. Aureano : Tout à fait. C'est-à-dire qu'il y a une fonction dissuasive que vous mentionnez par rapport aux organisations déjà connues qui est importante. Cela est difficile à faire parce que ces organisations vont sûrement emprunter un nom, créer des sociétés, et cetera, pour continuer à transiger.
La fonction dissuasive est indéniable, elle est importante. Ce serait inutile de le nier, c'est très important. La fonction symbolique également. Pour les gouvernements, on démontre qu'on est préoccupé, qu'on agit sur tous les plans contre le terrorisme. La fonction analytique est également importante. Après les attentats, on peut suivre et mieux comprendre comment certaines cellules fonctionnent. Quant à la fonction préventive, la plupart des auteurs en ont des doutes. Tom Naylor, chercheur au Canada, Ibrahim Warde ou encore des auteurs hollandais, qui effectuent des recherches sur le plan international, tous s'entendent pour dire que la fonction préventive est plus difficile. C'est-à-dire qu'on ne connaît pas vraiment de cas où la piste de l'argent a permis de prévenir des attentats.
Quand vous parlez de l'entraînement dans des pays tiers, que je ne nommerai pas non plus, prenez l'exemple de ce qu'on connaît sur l'attentat raté du 1er mai à New York — vous vous en souvenez sûrement — par Faisal Shahzad. Selon ses dires, il a mis de côté 4 500 dollars pour sa préparation, c'est-à-dire un voyage et plus de cinq jours d'entraînement, qui n'ont pas servi à grand-chose parce qu'il n'a pas pu monter son engin explosif. Ses comparses auraient mis 4 900 dollars. Donc en dessous de 10 000 dollars.
Si vous prenez, par exemple, un cas où on connaît bien mieux le financement, celui des attentats de Madrid, il y a déjà trois ou quatre ans, vous voyez que ce sont des terroristes qui ont pris énormément de risques pour pouvoir se financer. Ils commettaient de menus délits et ils couraient toujours le risque de se faire attraper, par exemple par une petite transaction de drogues ou un vol à la tire, hypothéquant de cette façon la préparation d'un grand attentat. Or, suivre la piste de l'argent dans ce cas, a posteriori, cela nous permet d'apprendre plus sur le terrorisme.
De façon dissuasive, il est important d'avoir un arsenal contre le financement du terrorisme. Cependant, du point de vue de la prévention des attentats, l'état des travaux ne permet pas d'avoir une vision positive ou une vision trop optimiste. C'est extrêmement difficile, et c'est la même logique que mon collègue mentionnait tantôt, c'est-à-dire la logique de l'aiguille dans la botte de foin.
Dans le monde, il y a des quantités de travailleurs migrants — tel que je le mentionne dans le document que j'ai transmis — qui effectuent des milliers et des milliers de petites transactions pour venir en aide à leur famille dans leur pays d'origine. Or, détecter, dans des milliers de transactions, la transaction qui contribue à financer directement ou indirectement un réseau terroriste, c'est extrêmement difficile. Nous sommes loin de là. Cependant, il est vrai que la fonction dissuasive de devoir s'enregistrer, de devoir communiquer ses informations et de faire des déclarations de soupçons est certaine, mais il y a une fonction dissuasive plutôt que préventive.
[Traduction]
Le sénateur Marshall : Ma première question s'adresse à M. Leman-Langlois. J'aimerais revenir encore une fois au concept de la radicalisation et des immigrants de deuxième et troisième générations. Quelles sortes d'analyses ont été réalisées? Vous avez dit qu'il n'y avait pas de recette et que nous cherchons une aiguille dans une botte de foin. Avons- nous accompli suffisamment de travail pour essayer d'évaluer ce qui incite les gens; quelles sont les caractéristiques qui font en sorte que l'on retient certaines personnes? Avons-nous fait suffisamment de travail à cet égard et, sinon, qui devrait l'entreprendre? Pouvez-vous nous parler de cette question? Il semble que nous ayons ciblé une certaine partie de la population, mais existe-t-il une façon qui nous permettrait de déterminer à l'avance qui peut être à risque?
M. Leman-Langlois : Jusqu'à ce jour, il n'y en a pas. Il y a de plus en plus d'information sur cette question, mais c'est loin d'être suffisant. Une partie du problème découle du fait qu'il n'y a pas suffisamment de dossiers nous permettant d'établir un modèle. Ce qu'on peut voir, quand on examine les différents cas, c'est que les récits de radicalisation sont extrêmement différents. Dans certains cas, cela peut prendre quelques années et, dans d'autres, cela se fait en quelques heures. Lorsque cela se produit en quelques heures, il s'agit essentiellement de la goutte qui fait déborder le vase et qui fait en sorte que quelqu'un lance un cocktail Molotov sur un monument juif, geste qui peut blesser certaines personnes et donner lieu à divers résultats. La radicalisation est extrêmement imprévisible, et elle comporte tellement de facettes qu'à ce jour, nous n'avons toujours pas un modèle de radicalisation. Lorsque nous en aurons un, je crains qu'il y ait tellement de facettes aux cas de radicalisation qu'il sera difficile de déterminer ce que nous pouvons faire pour y mettre un frein.
L'autre problème ayant trait à la radicalisation, c'est qu'il est difficile de distinguer les divers cas de radicalisation les uns par rapport aux autres. Une bonne partie de la radicalisation a lieu par la parole; c'est-à-dire par des discours radicaux. Les gens parlent de tuer M. X ou M. Y et de faire sauter telle ou telle chose, et ils en parlent beaucoup, d'après ce qu'on a pu déterminer. Bien des gens parlent de ce type de geste et nous pensons tous à Al-Qaïda ici, mais il y a de nombreux radicaux néo-nazis, et il y a également la montée de la droite extrémiste et de milice aux États-Unis. Cela aura probablement des répercussions au Canada tôt ou tard, et je soupçonne que ces groupes ont déjà une incidence ici. Bien des gens parlent d'actions extrêmes; ils parlent de commettre des meurtres et de la façon dont ils vont exécuter ces meurtres. Seule une petite minorité ira jusqu'à fomenter un complot quelconque. Il existe une grande différence entre ces deux groupes.
Bien souvent dans Internet, parce que je navigue sur Internet bien souvent moi-même, je me retrouve en présence de discours où il y a de la surenchère. Je ne parle pas de terrorisme, mais plutôt d'appareils-photo ou du sujet ou du passe- temps qui m'intéresse à ce moment-là. Quelqu'un mentionne quelque chose sur un sujet et j'ai le goût d'en dire davantage alors j'en écris encore davantage. Ensuite, quelqu'un d'autre dans le forum de discussion dit, « Ah non, mais vous n'êtes pas au courant de telle ou telle chose. »
Les gens ont souvent tendance à agir et à discuter ainsi sur Internet, et c'est difficile pour quelqu'un qui fait de la surveillance de déterminer qui est sérieux sur tel sujet et qui, en plus d'en parler, prendra des mesures concrètes pour mener son projet à bien. C'est ce qui pose problème avec la radicalisation. Il est presque impossible de déterminer quelle est la limite.
Le sénateur Marshall : Par rapport à cet exemple, je vous pose la question : Comment déterminer qui sont les grands parleurs et qui vont passer à l'acte? Comme vous l'avez dit plus tôt, il n'y a pas de recette. Toutefois, lorsqu'on examine cette situation, c'est presque comme si on évalue les risques.
Je vois que vous êtes titulaire de la Chaire de recherche du Canada en surveillance et en construction sociale du risque. Qu'est-ce que la construction sociale du risque? Y a-t-il un lien avec ce dont on discute maintenant?
M. Leman-Langlois : Oui, tout à fait. La construction sociale du risque examine la façon dont nous percevons le risque et dont nous décidons ce qui constitue un risque plus ou moins important; la construction sociale du risque examine la façon dont nous décidons si nous allons nous rendre quelque part en voiture ou en avion et comment cette décision se compare avec la probabilité que survienne une menace. Cela s'avère être difficile, la façon dont nous percevons les choses. Par exemple, nous avons tendance à accorder moins de risque aux choses qui nous sont familières ou que nous contrôlons — par exemple, conduire une voiture — et nous associons davantage de risques aux choses qui nous sont moins familières, comme prendre l'avion, même si je suppose que les gens ici présents volent beaucoup plus que la moyenne des Canadiens. Nous n'avons aucun contrôle dans un avion. Nous nous assoyons, les portes sont verrouillées et quelqu'un d'autre pilote l'avion. Nous ne voyons même pas le pilote; nous entendons son nom si nous prêtons attention au moment où on enclenche les moteurs. Nous percevons le vol en avion comme étant un risque supérieur. Statistiquement, la réalité est tout à fait contraire; nous sommes davantage en sécurité dans les airs que sur la route.
Il y a un récit concernant le 11 septembre. Un certain nombre de personnes ont annulé leurs vols et ont conduit pour se rendre à leurs destinations à la suite du 11 septembre. On a relevé près de 4 000 accidents routiers de plus après le 11 septembre, parce que les gens ont décidé de se rendre à destination en voiture plutôt que de prendre l'avion.
Le sénateur Marshall : Cela revient à ce que vous disiez plus tôt; il n'y a pas de recette.
Revenons au document qui a été distribué il y a quelques minutes et qui contient les données qui remontent à 2006, y a-t-il un problème pour ce qui est d'accéder à des données actuelles? Vous avez dit que le nombre de dossiers est faible, mais qu'il y avait un problème pour ce qui est d'obtenir des données? Vous avez besoin de données pour poursuivre votre évaluation. Y a-t-il des difficultés pour ce qui est d'obtenir des données actuelles? Si nous avions des données jusqu'en 2010, que pourrions-nous y voir?
M. Leyman-Langlois : J'ai ces données. Je ne les saisis pas dans la banque de données avant que la cause soit entendue par les tribunaux et que nous devions présenter les éléments de preuve. Pas que je m'en remette au tribunal en tant qu'autorité finale pour déterminer ce qui est vrai; un tribunal suit un processus spécial qui nous permet de tirer des conclusions juridiques, mais nous attendons d'avoir l'ensemble des données avant d'intégrer un dossier à la base de données. Toute cette information a été recueillie, mais n'a pas encore été intégrée dans une base de données. J'imagine que nous pourrions en tirer ce que nous voyons dans ce document. Je ne pense pas qu'il y ait de nouvelles tendances.
Le sénateur Marshall : Ce sera dans le même ordre d'idée.
M. Leman-Langlois : Sans aucun doute, oui.
Le sénateur Marshall : Monsieur le président, ai-je le temps de poser une question à M. Aureano?
Le président : Oui.
Le sénateur Marshall : Quand on parle de suivre les pistes de l'argent, j'ai l'impression que cette piste n'a pas été d'une très grande utilité et que cette mesure a été prise davantage à titre préventif.
Est-ce que j'ai raison de dire que les pistes de l'argent seraient suivies dans tous les pays? On suit les pistes au Canada et par la suite aux États-Unis? Savez-vous s'il y a un pays où on fait un meilleur suivi par rapport aux autres pays, ou bien est-ce que tous les pays adoptent les mêmes pratiques? Est-ce qu'on assure un meilleur suivi en Israël, et les États- Unis se retrouvent-ils au deuxième rang?
Pouvez-vous nous parler davantage de ces pistes? J'ai de l'expérience comme comptable, de sorte que l'argent m'intéresse toujours. Pouvez-vous nous parler davantage de cette question? Je suis intéressé par ce que vous avez à dire à ce sujet.
[Français]
M. Aureano : De toutes les lectures effectuées il n'y a pas un modèle qui ressort. Si on parle en termes d'efficacité, un excellent article a été publié dans le New York Times le 12 septembre dernier, qui s'intitule « Following the dirty money ». L'auteur de cet article est un ancien agent secret qui a réussi à déstabiliser complètement, à acculer à la faillite la BCCI, la Bank of Credit and Commerce International, ce qui a été un des grands scandales financiers de blanchiment. Il nous rappelle une chose essentielle : il n'y a pas de système anti blanchiment qui fonctionne bien s'il n'y a pas d'activités de renseignement simultanément, c'est-à-dire des agents doubles qui se font passer pour des délinquants ou des gens qui ont besoin de services. Mais ce sont des opérations de piégeage, qui sont très coûteuses, qui demandent un personnel hautement qualifié. Elles sont difficile à préparer, difficile à réaliser, et c'est pourquoi, peut-être, on n'en fait plus tellement ou on n'a pas de nouvelles sur ce type d'opérations.
Dans la plupart des pays, aujourd'hui, il y a une centralisation des informations à partir des cellules de renseignement financier, comme le CANAF ici au Canada. Ces cellules sont critiquées année après année, du fait d'une certaine lenteur. Toutefois, il faut dire que ces cellules travaillent à partir des déclarations de soupçon qu'elles reçoivent de la part des banques ou des agents financiers. Donc, elles sont toujours à la traîne, elles ne provoquent pas, ne produisent pas des informations. Je pense que cet agent double, Mansour — c'est son nom de famille —, a raison dans une très large mesure : il faut aller de l'avant, préparer ces opérations de provocation ou d'incitation — là où cela semble justifié, bien évidemment, parce que, autrement, il y a un problème légal.
Il y a eu également, — et votre question est très importante — un grand phénomène de standardisation à partir du 11 septembre, comme je l'ai dit au début de mon allocution, et c'est peut-être le plus rapide au monde concernant une question aussi délicate. Avant le 11 septembre, tous les pays étaient réfractaires, parce que très jaloux de leur indépendance en matière pénale et fiscale. Mais de toute façon, tous les pays se sont accommodés, même s'ils ont adopté un même modèle anti blanchiment, et tous se sont donné une certaine marge de manœuvre au niveau de leur application.
Une très bonne recherche sur la marge de manœuvre de chaque pays vient également d'être publiée en France.
[Traduction]
Le sénateur Furey : Merci, messieurs, d'être ici aujourd'hui. J'aimerais savoir ce que vous pensez de l'utilisation d'Internet par les terroristes, pas forcément en ce qui a trait à son usage pour faire du prosélytisme, du recrutement ou, comme l'a dit M. Leman-Langlois, de l'organisation, mais plutôt pour ce qui est de semer la pagaille et le chaos dans nos institutions au jour le jour comme les banques, les gouvernements, les services municipaux et les hôpitaux, entre autres.
M. Leman-Langlois : Il y a des récits selon lesquels les gens créent ce genre de problèmes mais, jusqu'à maintenant, il ne s'agit pas de terroristes mais plutôt de pirates informatiques et bien souvent, de jeunes pirates. Certains récits sont faux ou douteux, comme celui concernant un jeune pirate informatique qui aurait presque réussi à ouvrir le barrage principal de Hoover Dam, par exemple.
Cette histoire circule beaucoup et fait maintenant partie de la mythologie du cyberterrorisme. Cet incident ne s'est jamais produit, mais c'est le genre de récit qui reste dans l'esprit des gens comme exemple de ce que les terroristes pourraient faire s'ils réussissaient à accéder au Supervisory Control and Data Acquisition System ou le SCADA américain. Il s'agit des ordinateurs servant à assurer le contrôle des barrages et des systèmes de purification d'eau en passant par le réseau de distribution électrique.
Bien sûr, les réseaux d'information eux-mêmes sont utilisés par les banques pour effectuer des opérations financières, ainsi que par les organismes gouvernementaux, entre autres; tous ces réseaux sont, dans une certaine mesure, vulnérables à toute forme d'attaque cybernétique.
Le gouvernement du Canada a décidé récemment de dépenser 90 millions de dollars supplémentaires pour protéger une partie de cette infrastructure contre les cyberattaques — non pas contre le cyberterrorisme en tant que tel, mais à l'égard des cibles du cyberterrorisme. Heureusement, jusqu'à maintenant, il n'y a pas eu de véritable tentative d'attaque de ce genre. Bien sûr, il faut faire la différence entre une attaque effectuée sur Internet en tant que telle — c'est-à-dire visant les sites Web ou les bases de données sur le Web — et le recours à Internet pour causer des dommages dans le vrai monde par l'entremise, par exemple, de l'infrastructure. Si on s'en tient aux attaques sur Internet, on peut voir que certains groupes ont commencé à avoir recours à des attaques traditionnelles — « traditionnelles » est un mot étrange à utiliser relativement à Internet — pour refuser le service, par exemple, à des sites Web gouvernementaux lorsqu'ils sont en désaccord avec les gouvernements. Certaines personnes incluent ce genre d'attaques dans la définition du cyberterrorisme. Elles disent qu'il y a eu un certain nombre d'attaques cyberterroristes parce que tel ou tel site Web a été modifié ou que de l'information a été volée, modifiée ou détruite, entre autres. Je pense qu'une bonne définition du cyberterrorisme doit comprendre certains effets dans le monde réel. Lorsqu'on attaque uniquement le réseau en tant que tel, je ne pense pas que cela soit suffisant pour constituer du cyberterrorisme. Bien souvent, les attaques contre ces sites Web sont très mineures et elles peuvent être réparées en l'espace de quelques heures ou bien, dans le pire des cas, en quelques jours, de sorte que nous parlons de quelque chose qui a une incidence beaucoup moindre.
Je ne crains pas ces attaques parce que je ne pense pas que les terroristes soient particulièrement intéressés par ce type d'attentat, mais on devrait se pencher sur la façon dont les terroristes peuvent s'attaquer à l'infrastructure en se servant d'Internet. J'ai l'impression que les terroristes ne sont pas intéressés par ce type d'attentat parce que même si nous estimons que ces attaques nous porteraient un tort immense, pour les terroristes, il ne s'agit pas d'attentat de type militaire intéressant avec des explosions, donc ce serait un événement spectaculaire qui ne ferait que des demi-martyres. Les terroristes aiment laisser une cicatrice immédiate dans notre infrastructure et ce type d'attaque ne leur permettrait pas de le faire. C'est soit cela, soit les terroristes sont complètement incompétents et ne savent pas comment faire, mais j'estime que c'est parce qu'ils ne sont pas particulièrement intéressés par ce type d'attentat.
Le président : Monsieur Aureano, aimeriez-vous intervenir?
[Français]
M. Aureano : Un des problèmes majeurs, c'est sans doute qu'on peut se faire peur très longtemps et c'est très facile de se faire peur. Mais jusqu'à présent, comme mon collègue vient de le dire, les attaques possibles et véritables ont été de beaucoup moindre importance.
Je cite toujours un exemple : il y a eu des émissions entières à Radio-Canada, qui est pourtant loin d'être une chaîne à sensation, sur la possibilité que des terroristes fassent sauter l'ensemble des grandes digues d'Hydro-Québec dans le Nord du Québec, sans qu'on se pose quelques questions préalables — que le journaliste aurait pu se poser. Par exemple, combien de camions de dynamite faudrait-il pour le moindrement provoquer un problème dans un de ces immenses barrages de béton? Quand on se pose la même question sur la possibilité de contaminer toute l'eau potable de Montréal, d'Ottawa ou d'une grande ville canadienne, quelle quantité de culture bactériologique faudrait-il? Est-ce qu'un groupe terroriste peut faire cela? Est-ce qu'il a non seulement la volonté mais la capacité de le faire? Quand on veut se faire peur, on peut se faire peur à l'infini, c'est certain, mais la question est toujours de se demander : si ces attaques étaient aussi faciles à mener que certains journalistes, certains chercheurs, certains politiciens également nous le disent, pourquoi n'ont-elles pas déjà été faites? C'est, je crois, la question que nous devons toujours nous poser.
Entre la volonté de faire mal et la capacité de le faire, il y a une brèche importante, il y a souvent un fossé. C'est la même chose pour les armes de destruction massives, biologiques, radiologiques ou chimiques. Il y a peut-être une volonté de les utiliser, mais, de là à ce que ce soit faisable, il y a un fossé important. Je crois que c'est toujours important de tenir compte de cette différence entre la volonté affichée et la capacité réelle de nuisance.
[Traduction]
Le sénateur Furey : J'examine votre graphique, monsieur Leman-Langlois, où on trouve une gradation des attentats terroristes au Canada en fonction de leur gravité. Je crois vous avoir entendu dire que le graphique était semblable à ce qui se passe ailleurs dans le monde. Est-ce parce que l'on fait de l'aussi bon travail que les autres pays ou y a-t-il d'autres facteurs en jeu? J'aimerais aussi demander à nos deux messieurs s'ils pensent que le Canada devrait peut-être suivre l'exemple du Royaume-Uni et des États-Unis et créer un comité de surveillance de type parlementaire pour les renseignements et l'antiterrorisme.
M. Leman-Langlois : D'abord, je ne pense pas que le graphique soit vraiment lié à l'antiterrorisme. Il l'est dans une certaine mesure. Dans les années 1970, toutes sortes de mesures ont été prises pour lutter contre le détournement d'avion, par exemple. Il est difficile de croire aujourd'hui qu'on ne fouillait même pas les gens avant l'embarquement il n'y a pas très longtemps ou que ceux-ci pouvaient enregistrer leurs bagages sans prendre l'avion. Nous ne pouvons plus faire ce genre de choses. Ces mesures existaient déjà dans les années 1980. Au cours de cette période, un certain nombre de questions sont devenues pressantes. Certaines questions constitutionnelles au Canada ont entraîné un débordement dans d'autres domaines, si je puis dire. Depuis, certaines questions ont perdu de la visibilité pour la même raison qu'il y a eu une réduction du taux de criminalité depuis. Prenons les statistiques sur la criminalité. Nous constatons qu'il y a non seulement une réduction de celui-ci, mais un déclin constant depuis la fin des années 1980. La raison qui explique ce phénomène, c'est que la population vieillit. Cela semble un peu étrange, mais nombre de jeunes hommes qui commettent des crimes, y compris des actes terroristes, vieillissent et passent à d'autres choses. Ils acquièrent de nouveaux intérêts ou vont en prison. La population vieillit, ce qui a une incidence sur le taux de criminalité et le type de crime que nous appelons terrorisme. La population vieillit, et je pense que c'est la raison sous-jacente.
Votre deuxième question porte sur la surveillance des renseignements. Oui, je pense qu'on a besoin d'un tel mécanisme. J'aimerais que le comité ait ce genre de fonction de surveillance des services de renseignement au Canada. Il aurait une perspective parlementaire qui n'a rien à voir avec ce que je viens de mentionner. Je pense que nous devrions emprunter cette voie, oui.
[Français]
M. Aureano : Vous savez peut-être que je viens de l'Argentine, qui est un pays qui souffre d'un déficit démocratique et institutionnel important, alors je ne peux être que pour un comité, car cela renforce ce qui est propre à la démocratie, c'est-à-dire le système de reddition de comptes, qui est définitif. C'est surtout vrai pour une communauté du renseignement qui est un peu éparpillée dans différents organismes et qui a toujours des problèmes de jalousie institutionnelle, et, parfois, est habitué à une certaine autonomie. Je pense également, comme mon collègue, que, pour nous chercheurs, ce serait éventuellement une mine d'information. Donc, c'est d'un point de vue analytique également, mais surtout du point de vue institutionnel que cela s'avère, j'en suis absolument persuadé, d'une grande importance.
[Traduction]
Le sénateur Tkachuk : Monsieur Leman-Langlois, vous avez parlé de la surveillance des renseignements de sécurité par un comité parlementaire. Pensez-vous que le SCRS, le Service canadien du renseignement de sécurité, devrait en être responsable? Envisagiez-vous quelque chose de semblable à ce que l'on trouve aux États-Unis, où les parlementaires, les députés de la Chambre et les sénateurs sont tenus au secret sous la foi du serment et participent à des réunions spéciales? Je pense que nous devrions disposer de mécanismes de surveillance de ce genre, mais j'aimerais connaître votre avis sur la façon de procéder.
M. Leman-Langlois : Je ne me suis pas préparé pour cette question.
Le sénateur Tkachuk : C'est vous qui en avez parlé.
M. Leman-Langlois : À mon avis, ce serait la deuxième option. Des fonctionnaires seraient responsables d'assurer la surveillance non seulement pour le SCRS, mais pour quiconque exerce des activités dans le domaine du renseignement, y compris la GRC et de nombreux autres organismes. Je pense que l'Agence des services frontaliers du Canada exerce beaucoup d'activités dans le domaine du renseignement dont nous ne savons rien. L'ASFC est très active dans ce dossier. Elle dispose d'une base de données colossale qui comprend des programmes de forage de données dont je tairai le nom. Elle utilise aussi toutes sortes de technologies. Bien sûr, on ignore tout de ces activités, alors imaginez les surveiller, examiner leurs processus et leurs conséquences.
Le sénateur Tkachuk : Quoi faire avec le Bloc?
M. Leman-Langlois : Le Bloc québécois ou l'autre bloc?
Le sénateur Tkachuk : Je parle du Bloc québécois qui est à la Chambre, oui. En ce qui concerne le comité de surveillance, qu'est-ce qu'on ferait avec le Bloc?
M. Leman-Langlois : Je l'ignore. Je n'y ai pas trop pensé.
Le président : Non, nous pourrions nous pencher sur ce sujet un autre jour.
Le sénateur Wallin : Merci à nos invités d'être venus ici aujourd'hui. Je suis intéressée par une distinction importante que vous avez tous les deux faite. Le terrorisme intérieur n'est pas synonyme de terrorisme sur place et vice versa parce que l'aspect clé ici, c'est la motivation. Peu importe si les terroristes sont fâchés contre le Canada ou non. Ce pays serait leur cible parce que manifestement, ils saisissent les chances qui s'offrent à eux.
J'ai deux questions qui portent sur deux aspects liés à ce point. L'une porte précisément sur le travail que vous faites. Pour régler ce problème — et tout le monde l'a dit, il est compliqué —, ferait-on mieux de l'aborder du point de vue individuel ou communautaire? On se demande toujours si on peut vraiment toucher les gens dans ces dossiers, mais c'est une question importante.
Passons à l'autre aspect. Au comité, l'une des questions qui est de temps en temps soulevée est la suivante : traitons- nous les gens qui commettent des actes terroristes comme des criminels, comme des combattants ennemis ou comme des soldats dans la guerre contre le terrorisme? Si ce sont des citoyens ou des résidents, puisqu'il est difficile de définir les termes en cette ère de mondialisation et de guerre contre le terrorisme, à quoi pensons-nous lorsque nous parlons de terrorisme sur place ou intérieur? La définition soulève une autre question. J'aimerais savoir ce que tous deux, vous en pensez.
[Français]
M. Aureano : En ce qui a trait au plan d'intervention du gouvernement, je vais encore faire référence à mon pays d'origine où il y a eu du terrorisme issu des classes moyennes et des classes, qu'on appelle en Argentine, patricienne, très riche, immensément riche. Donc, la motivation est toujours très difficile à saisir et le niveau d'intervention, je crois, doit être collectif. Si on regarde avec le recul qui s'impose pour la formation des guérillas et des terroristes en Argentine, vous voyez, par exemple, que beaucoup ont été « recrutés » dans des activités d'organisation catholique de droite et d'extrême droite et que, par une sorte de revirement dans les années 1960, se sont reconvertis au marxisme, à différentes branches du marxisme. Il aurait peut-être fallu une intervention collective et des programmes pour éviter cette radicalisation qui était dans l'air et qui était connue de tous. Je crois que du point de vue du gouvernement, les interventions individuelles sont improbables, voir impossibles.
L'autre question, si j'ai bien compris, vous vous demandez quel serait le statut à accorder à ces terroristes surtout du point de vue légal. Je crois, et c'est une opinion très personnelle, que le statut doit être exactement le même que celui de tout autre citoyen qui commet un crime d'une telle gravité et qui serait déterminée par le Code criminel courant.
Créer un statut différentiel signifie qu'on donne une importance, qu'on fait ressortir un individu et éventuellement, qu'on crée des martyrs. C'est peut-être un des objectifs d'Al-Qaïda. D'après de nombreuses recherches, Al-Qaïda, qui n'a pas un projet politique de créer un pays, qui n'a pas un modèle d'organisation sociale à proposer autre que celui de recréer une communauté musulmane qui n'a jamais existée, peut-être que l'objectif politique le plus immédiat d'Al-Qaïda est de donner des martyrs à l'Islam. Si nous donnons un statut différentiel aux terroristes, surtout à ceux d'origine islamique, nous les convertissons en martyrs et il en va de même pour les suprématistes blancs ou pour tout autre groupe ou groupuscule qui verrait confirmé le statut de martyr de ceux qui se sont sacrifiés pour la cause.
C'est pourquoi je crois qu'il faut donner une sorte de bain, de rien d'extraordinaire, mais d'arriver à le traiter dans les canaux prévus pour ce type de crime sans en faire un cas spécial, car cela concorde avec les objectifs des groupuscules radicalisés.
[Traduction]
Le président : Monsieur Leman-Langlois, avez-vous quelque chose à ajouter?
M. Leman-Langlois : Je n'ai pas grand-chose à ajouter, mais qualifier ces gens de « soldats » leur fait jouer le rôle qu'ils se sont attribués. Les gens qui les regardent pensent que ce sont des soldats. Ce sont des soldats de la liberté, de la justice, de l'islam, et cetera. Les militants d'extrême droite aux États-Unis se voient comme des soldats. Ils s'habillent comme des soldats, ils utilisent des armes et ils font partie d'organisations militaires. Si vous confirmez qu'ils sont des soldats, vous agissez d'une façon très contre-productive au point de vue de l'idéologie.
Nous ne sommes pas les seuls à l'affirmer. L'un des principaux experts en terrorisme international, Marc Sageman, affirme la même chose dans son dernier livre. Lorsque nous arrêtons ces gens, nous les traitons comme des criminels. Nous ne montons pas leur arrestation en épingle. C'est difficile, mais nous évitons tout de même de le faire. Nous ne montrons pas les milliers de policiers qui ont contribué à les traduire en justice. Nous ne faisons pas grand cas de l'affaire. Nous ne plaçons pas de tireurs d'élite sur les toits. Chaque mesure de sécurité additionnelle donne une impression qui renforce cette approche.
Le sénateur Wallin : Je comprends cette théorie. Un peu plus tôt, vous avez fourni l'exemple d'un voleur à la tire. Si ce voleur veut obtenir 10 $ afin de s'acheter un hamburger et un Coke, ou encore peut-être un joint, c'est une chose. Mais si les gens sont en train de voler pour financer des activités terroristes, est-ce que l'État ne devrait pas réagir autrement?
M. Leman-Langlois : Nous avons déjà des lois en ce qui concerne le financement du terrorisme. Les lois sont assez importantes pour couvrir la différence entre ces deux points. Si les gens volent à la tire afin de financer le terrorisme, alors ils sont responsables de quelque chose de bien différent que de simplement vouloir acheter un hamburger.
[Français]
M. Aureano : Je crois que le changement des statuts est carrément contre-productif.
[Traduction]
Le sénateur Smith : Certains d'entre nous voyagent beaucoup. Dernièrement, il y a eu l'incident de la tour Eiffel. Vous connaissez tous cet incident. Plusieurs gouvernements européens ont émis des niveaux élevés de sécurité. Les gouvernements canadien et américain l'ont fait également. Cela m'a rappelé les semaines et les mois qui ont suivi les événements du 11 septembre. J'allais souvent à New York pour les affaires. Il était impossible de monter à bord d'un avion sans se sentir un peu nerveux, et plus particulièrement lorsqu'on se rendait à New York. Je me rappelle bien d'un incident qui n'est peut-être pas politiquement correct, mais je ne peux résister à l'envie de vous le raconter.
J'étais assis à l'avant de l'avion. Le siège d'à côté était vide. Ils ont annoncé qu'il manquait encore un passager avant que l'avion ne puisse décoller. Tout d'un coup, à la toute dernière minute, est entré un homme massif. Il avait un sac et il avait l'air stressé. Il a dit environ une phrase aux agents de bord et j'étais certain qu'il n'était ni Canadien ni Américain. Ce fait a d'ailleurs été confirmé. Il s'est assis et l'avion s'est dirigé vers la piste de décollage. Je me suis demandé : « Qui est donc cet homme? ». Nous étions presque sur la piste et les moteurs de l'avion avaient commencé à vrombir. J'étais tout à fait calme. J'étais vraiment calme car — et c'est la vérité — du coin de l'oeil, je l'avais vu faire le signe de la croix.
Le sénateur Joyal : Je pensais que vous étiez anglican.
Le sénateur Smith : Je suis baptiste — mais cela importe peu.
Existe-t-il des comportements typiques représentant les membres d'Al-Qaïda? Notre définition actuelle d'Al-Qaïda ou de ce qui s'y rattache est très peu claire. Est-ce que les gens prennent plaisir à savoir que tout le monde dans les pays occidentaux sont, comme vous l'avez vaguement décrit, stressés, nerveux et inquiets? Est-ce que ces fuites sont réelles?
Quand nous entendons toutes ces histoires et ces avis d'alertes maximales, je sais que vous ne pouvez qu'émettre des hypothèses — et, en passant, j'aimerais souligner que l'homme en question était Argentin — que pensez-vous? Qu'est- ce qui vous vient à l'esprit lorsque bon nombre de gouvernements occidentaux disent qu'ils ont des renseignements qui devraient nous rendre nerveux parce qu'il semblait y avoir de bonnes chances que les terroristes planifient un gros attentat?
M. Leman-Langlois : Cela permet à bon nombre d'idéologues terroristes de rester pertinents et de dire qu'ils sont encore présents dans les médias et même qu'ils font la une; bien qu'ils ne fassent rien, on parle quand même tout le temps d'eux.
Le nom de Oussama ben Laden se trouve dans le journal, ainsi que celui d'Al-Qaïda bien que, comme vous le dites vous-même, il s'agisse d'un terme très vague. Les gens aiment même l'inscrire sur leur carte d'affaires s'ils veulent avoir l'air important dans le monde du terrorisme.
Ces alertes sont un écho d'une attaque terroriste éventuelle qui ne se produit pas, mais cela permet au mouvement et à l'idéologie de rester à la une.
Le sénateur Smith : C'est peut-être le cas, mais seulement pour un petit groupe. Pour la plupart des groupes au sein de la collectivité islamique, cela ne fait que les aliéner davantage.
M. Leman-Langlois : Bien entendu.
Le sénateur Smith : Lorsque l'incident du groupe des 18 de Toronto s'est produit, bon nombre de gens ont dit que la police exagérait. Ces mêmes personnes n'arrivaient pas à y croire lorsque plus de la moitié du groupe des 18 de Toronto ont plaidé coupable. De tels incidents ne font que les aliéner de la vaste majorité des gens de la collectivité islamique. Peut-être qu'ils ne se soucient pas d'eux. J'aimerais savoir ce que vous en pensez.
[Français]
M. Aureano : Toutes ces vagues de menaces, surtout à l'égard de l'État français, ont eu lieu dans un contexte très particulier, c'est-à-dire un gouvernement qui s'est montré presque intraitable sur la question de certains immigrants, dont les gitans de l'Europe de l'Est, mais également sur toute la question, dont nous entendons très peu parler, mais qui est très présente en France et en Europe, du voile islamique. Ces menaces se font dans un contexte très particulier et surtout les gouvernements sont toujours inquiets et ont toujours besoin de prendre à témoin la population et de montrer qu'on agit. C'est mieux d'avoir relevé la menace, qu'après coup si quelque chose arrive, montrer qu'on n'a pas agit à temps. C'est aussi une façon de démontrer qu'on est préparé devant la menace terroriste avec le contrecoup essentiel signalé par mon collègue Stéphane, que l'on démontre aux terroristes qu'ils sont toujours partis du jeu et que l'on contribue d'une certaine façon à la mise en scène de la menace qu'ils veulent déployer contre l'Occident. C'est un jeu qui a toujours ses ambivalences, qui n'est pas un jeu linéaire, celui de relever le statut de la menace. Aux États-Unis, on a vu très clairement avec la diminution constante, on passait d'un niveau à un autre dépendamment de certaines menaces dont on ne connaissait pas l'origine. Cela tenait la population en alerte et démontrait que la réalité était pro active.
[Traduction]
Le sénateur Mitchell : Je vais d'abord vous poser une question très large, et j'aimerais que vous y répondiez au meilleur de vos connaissances.
Croyez-vous que le Canada a déployé suffisamment de ressources et qu'elles ont été bien gérées afin de protéger adéquatement les Canadiens contre les actes et les menaces terroristes dans le contexte actuel? Êtes-vous en mesure d'évaluer cette situation?
M. Leman-Langlois : Bon nombre de ressources ont été déployées. Ce sujet comporte de nombreux aspects.
Dernièrement, nos principales agences policières — et j'utilise le terme « police » au sens le plus large — dont le SCRS, la GRC et les forces policières municipales, nous ont indiqué que dans les huit ou neuf dernières années, ils ont trouvé un moyen de travailler ensemble. Ils sont beaucoup plus efficaces lorsqu'ils mènent des enquêtes. L'affaire Ahmed Ressam était probablement le dernier contre-exemple qui montrait que les deux agences avaient failli lamentablement à la tâche. Ce n'était que le mot « extrémiste » qui a fait en sorte que le douanier américain a arrêté Ahmed Ressam à la frontière, alors que cela faisait bien longtemps qu'il était sous la mire de la GRC et du SCRS. Depuis, le système est beaucoup plus efficace, et l'on déploie et utilise mieux les ressources. Il y a eu également quelques pépins avec l'affaire Maher Arar, ce qui a entaché la réputation de nos forces policières même si, au bout du compte, elles n'étaient pas responsables de toute l'affaire.
Avec les dernières arrestations, et celles du groupe des 18 de Toronto, nous pouvons voir qu'ils peuvent travailler ensemble. L'affaire des motards au Québec est un autre exemple outre celui d'Ahmed Ressam qui a permis de montrer qu'il fallait faire quelque chose. Ces événements ont créé une nouvelle façon d'effectuer le maintien de l'ordre. On a grosso modo créé des organisations spéciales de forces policières. On les a ensuite utilisées pour combattre le terrorisme. Je pense que ces deux événements permettent de comprendre pourquoi nous avons un meilleur maintien de l'ordre de nos jours.
Pour ce qui est du financement, eh bien, je pense que nous dépensons beaucoup d'argent pour lutter contre le terrorisme. Il s'agit d'un montant faramineux. En revanche, ce montant dépend de ce que nous définissons comme tombant sous la rubrique « lutter contre le terrorisme ». Si nous disons que nous nous trouvons en Afghanistan pour lutter contre le terrorisme, alors nous pourrions parler de tout l'argent que nous dépensons là-bas. Si nous parlons d'autres choses, alors il s'agit d'une situation différente.
Le sénateur Mitchell : Je parle du maintien de l'ordre.
M. Leman-Langlois : Nous faisons un très bon travail dans le domaine du maintien de l'ordre.
[Français]
M. Aureano : Je pense également que si l'on tient compte, par exemple de l'avis de la Maison-Blanche après l'attentat raté de Noël l'année dernière dans un aéroport américain, on ne peut que partager l'avis de Stéphane, car la coordination semble plus importante encore que la quantité des ressources disponibles.
La coordination, surtout dans un pays aussi grand que le Canada et si divers, est encore plus importante que le nombre de ressources. Elle détermine la possibilité de réussir cette coordination. Cela n'empêche pas que l'histoire de toutes les institutions, sans exception, démontre que la coordination demeure extrêmement difficile. Les jalousies institutionnelles, les querelles de clocher sont aussi importantes que les efforts de coordination. Il ne faut pas le perdre de vue et croire qu'on a atteint une sorte de nirvana de la coordination ni au Canada ni nulle part ailleurs. On a avancé peut-être et la police s'est réjouie de cette coordination lorsque trois supposés terroristes ont été arrêtés à Ottawa, il y a un peu plus d'un mois. C'est une chose extrêmement difficile non seulement pour les institutions policières, mais pour toutes les institutions.
[Traduction]
Le sénateur Mitchell : La réponse à ma question se trouve peut-être déjà dans les réponses que vous avez fournies au préalable, mais je vous demanderais de m'en faire un résumé. J'ai lu un article dans, si ma mémoire est bonne, le New York Times. Il était écrit par un homme qui était haut placé dans ce domaine aux États-Unis. Il était positif, car il disait que l'on pouvait s'attendre à ce que le terrorisme soit un cycle qui se termine. Il indiquait que, bien que ce soit difficile à croire, bon nombre des chefs d'Al-Qaïda avaient été tués et qu'une bonne partie de l'organisation était maintenant isolée.
On pourrait dire que la direction d'autres groupes terroristes a subi un peu le même sort. Ainsi, de nombreux jeunes hommes, laissés à eux-mêmes, essaient de coordonner les opérations sur Internet, souvent en se vantant et en ayant recours à un langage excessif. Même s'ils sont sérieux, il ne peut pas y avoir de direction efficace, parce que le groupe est trop dispersé.
L'expert en question s'attend à ce que ce genre de terrorisme disparaisse. Pour ceux d'entre nous qui pensent ne jamais en voir la fin, c'est encourageant. Qu'en pensez-vous? Cette analyse est-elle bien fondée?
M. Leman-Langlois : En ce qui concerne Al-Qaïda et le terrorisme multinational qu'il représentait, il est vrai que cela a fait son temps. Il s'agissait d'une aberration sur le plan statistique. En effet, en matière de terrorisme, Al-Qaïda est plus une exception qu'une règle. Le groupe ne représente pas le terrorisme dans son ensemble, et ce genre d'activité a presque disparu. Aujourd'hui, des gens reprennent le nom Al-Qaïda parce qu'il est plus évocateur qu'une soupe à l'alphabet, qu'un acronyme quelconque ou que n'importe quel autre titre qu'ils pourraient se donner. S'ils s'appellent Al-Qaïda, ils obtiennent immédiatement une couverture médiatique, ce qui est à leur avantage.
Le groupe Al-Qaïda centralisé des années 1990, dont les attaques étaient dirigées par un petit réseau de gens responsables du commandement et du contrôle, fait partie d'une ère révolue. Cependant, cela élimine-t-il la possibilité de terrorisme? Les terroristes n'ont pas besoin d'organisation centralisée. Ici, lors de la crise du FLQ, on a constaté que les cellules du Front de libération du Québec n'entretenaient que très peu de contacts, voire pas du tout. Les cellules isolées partageaient une idéologie, qu'elles exposaient dans leur journal, La Cognée, et dans d'autres communiqués. Elles ne coordonnaient aucunement leurs actions entre elles, et pourtant, une crise a bien éclaté.
Je pense que l'ère Al-Qaïda est terminée et qu'on passe au prochain chapitre. On ne peut absolument pas prétendre que d'ici 2010, 2015 ou 2035, il n'y aura plus de terrorisme. C'est impossible.
[Français]
M. Aureano : Si on regarde les attentats perpétrés aux États-Unis et au Canada, ils ont tous été ratés ou court-circuités par la police; ce qui est de bon augure. Cela veut dire que Al-Qaïda, ou ceux qui se réclament de Al-Qaïda, n'arrivent pas à recruter ou à entraîner des terroristes bien comme il faut qui puissent réussir leur coup. Il y a aussi que chaque attentat raté ou court-circuité par les autorités remémore le 11 septembre, donc la puissance symbolique même d'un attentat raté en Occident est importante.
Je crois qu'on va voir apparaître des bandes, comme on en voit déjà en Afrique, qui se réclameront de Al-Qaïda pour se mettre sous le feu de la rampe, mais qui seront peut-être plus intéressés par les rançons, l'argent qu'ils peuvent soutirer des gens qu'ils ont kidnappés, que par différents types de revendications d'origine religieuse ou idéologique. Il est également difficile de le prévoir, car nous ne savons pas comment évoluera la situation en Asie centrale. Il y a deux pays qui sont occupés par l'Occident et d'autres pays, qui font face à de graves problèmes politiques et économiques. C'est donc extrêmement difficile de prévoir de quelle manière évoluera la situation au Moyen-Orient et en Asie centrale. Donc, c'est possible que Al-Qaïda soit chose du passé, mais que Al-Qaïda soit revendiqué ou ravivé par d'autres groupes. C'est toujours possible pour différentes raisons, surtout pour se mettre, comme je le disais tantôt, sous le feu de la rampe.
Je suis optimiste parce que les derniers attentats ont démontré la grande difficulté à attirer de bons terroristes ou à les entraîner convenablement. De ce point de vue, je suis plutôt optimiste. Il y a un grand amateurisme. Toutefois, du point de vue de l'évolution de la situation sociopolitique en Asie centrale et au Moyen-Orient, je suis un peu moins optimiste.
[Traduction]
Le président : Chers collègues, voilà qui clôt notre première séance. Je tiens à remercier, en votre nom, MM. Leman- Langlois et Aureano de leurs conseils réfléchis et constructifs ainsi que de leurs réponses franches à diverses questions.
Nous avons le privilège d'avoir avec nous Sayyid Ahmed Amiruddin, président et fondateur de la Fondation Al Sunnah du Canada, et vice-président du Conseil suprême islamique du Canada. En 2006, il a créé le concept d'un programme de déradicalisation systématique afin de prévenir la radicalisation au Canada à la suite du complot terroriste des 18 de Toronto en 2006. Son programme est spécialement conçu pour miner les bases de l'idéologie extrémiste. Depuis, plus de 50 mosquées et organisations islamiques au Canada ont fait la promotion de son programme de déradicalisation auprès de leurs fidèles. Aujourd'hui, il nous parlera des principales composantes de son programme en 12 étapes, puis il répondra à nos questions.
Je souhaite donc la bienvenue à notre invité ici aujourd'hui. La plupart des témoignages jusqu'à maintenant ont porté sur la façon d'analyser ce qui se passe et d'appuyer l'application de la loi et la coordination. Notre invité est un Canadien qui s'emploie à prévenir de malheureux événements, et je pense que ses conseils et ses idées seront d'une aide précieuse à notre comité.
Monsieur Amiruddin, à vous la parole.
Sayyid Ahmed Amiruddin, président, Fondation Al Sunnah : Merci. Les Canadiens ont été douloureusement confrontés au fait que certains citoyens, qui sont nés ou qui ont grandi au pays, sont sensibles à la propagande et à la manipulation des extrémistes. Comme nous le savons, un certain nombre d'entre eux ont subi un processus de radicalisation et ont été recrutés dans un mouvement de « jihad contre le Canada », dont la perspective ultime est le martyre.
Ces groupes, qui présentent un danger imminent pour la sécurité nationale, ont été radicalisés sur une certaine période de temps, par des moyens de toutes sortes, mais, de ce que j'en sais, surtout par la propagande d'Al-Qaïda répandue partout par Internet.
Les audiences du tribunal, dans l'affaire de l'attentat terroriste des 18 de Toronto, en 2006, ont révélé que le groupe s'était laissé inspirer par la propagande d'Al-Qaïda, tout en vivant à Mississauga et dans la région du Grand Toronto.
Le risque que pose l'extrémisme d'Al-Qaïda au Canada, comme nous le savons, s'est transformé en un danger considérable et permanent, venant tant de l'extérieur que de l'intérieur du pays. Depuis les quelques cas isolés de 2003 et 2004, soit ceux de Mansour Jabarah et de Momin Khwaja, jusqu'à l'arrestation du groupe des 18 de Toronto en 2006, il semble qu'un processus de radicalisation soit à l'oeuvre ici même au Canada.
Contrairement à l'équation Israël-Palestine, le processus de radicalisation à l'oeuvre en Occident n'est pas alimenté par l'oppression, la perception de souffrance, le désir de vengeance ou le désespoir, mais plutôt par l'idéologie.
Selon le rapport de la Commission d'enquête sur les événements du 11 septembre, l'un des premiers documents sérieux sur la question, à la page 362 :
Oussama ben Laden et les autres leaders du terrorisme islamiste s'appuient sur la longue tradition d'intolérance extrême qui caractérise l'un des courants de l'Islam (une tradition minoritaire), dont les origines remontent au moins à Ibn Taymiyya en passant par les fondateurs du Wahhabisme [...] Ce courant est motivé par la religion et ne fait pas de distinction entre la religion et la politique, ce qui contamine les deux... Avec elle, il n'y a pas de terrain commun — et même pas le respect de la vie — à partir duquel engager un dialogue.
L'idéologie jihadi-salafi est le moteur de la radicalisation...
Le président : Monsieur Amiruddin, pourrais-je vous demander de ralentir un petit peu? Nos interprètes s'efforcent de rendre chaque mot, alors si vous pouviez ralentir un peu, cela les aiderait énormément. Merci beaucoup.
M. Amiruddin : L'idéologie djihadiste ou jihadi-salafi invite des jeunes hommes et des jeunes femmes nés en Occident à se livrer à un « djihad autonome » en commettant des actes de terrorisme contre leurs pays. Bien que de nombreux adeptes de ce courant de l'islam ne soient pas partisans d'un djihad axé sur des actes de terrorisme, et soient même opposés à la violence, il reste que ce courant idéologique de la tradition islamiste est le seul qui contribue directement au processus de radicalisation et qui recommande un « djihad autonome » pour en prendre la forme d'actes de terrorisme.
L'idéologie Salafi a servi d'inspiration à divers groupes de terroristes « maison », et notamment aux poseurs de bombes de 2004 à Madrid, au groupe Hofstad d'Amsterdam, aux poseurs de bombes de juillet 2005 à Londres et au groupe des 18 de Toronto arrêtés en juin 2006.
En 2005, avant l'arrestation du groupe des 18 de Toronto, notre fondation avait réalisé une étude détaillée de la radicalisation et de l'extrémisme « maison » au Canada. Nous avions fait part de nos inquiétudes aux autorités et aux leaders communautaires afin de mieux leur faire comprendre le risque imminent de danger que posait ce phénomène de radicalisation. En 2006, les inquiétudes formulées par notre fondation se sont concrétisées, lorsque les 18 terroristes de Toronto ont été arrêtés.
Nous avons constaté que pour créer et mettre en place des stratégies efficaces de déradicalisation, il faut faire intervenir trois grands facteurs de contre-terrorisme. Tout d'abord, il faut prévenir la radicalisation en favorisant un partenariat actif avec des spécialistes présents au sein des communautés qui travailleront à délégitimer l'extrémisme violent. Deuxièmement, il faut répandre un contre-discours islamique qui intègre la réalité de l'appartenance au Canada. Troisièmement, il faut s'adresser aux gens sur le plan individuel, social et politique.
Notre fondation entend centrer son attention sur la priorité suivante, dans un effort pour prévenir la radicalisation et soutenir une démarche déradicalisation : Nous nous engageons à déterminer les causes, les moteurs et les moyens de la radicalisation et à élaborer activement des plans et des stratégies visant à désamorcer et idéalement à éliminer les éléments subversifs et destructeurs présents au sein des communautés culturelles à risque du Canada.
Nous avons conçu une stratégie, ou un programme, de déradicalisation systématique. Notre stratégie mise avant tout sur le développement psycho-spirituel et la réhabilitation idéologique de la jeunesse à risque. Nous comptons y parvenir grâce à un programme en 12 étapes.
J'avais à l'origine fourni un document, qui vous sera distribué après mon exposé. Étant donné la quantité de renseignements qu'il contient, nous n'avons pas eu le temps de le faire traduire.
Les personnes qui suivent notre programme en 12 étapes apprennent dès le départ à connaître les aspects théologiques, éthiques et juridiques de leur propre culture, ce qui permet d'éclairer les croyances, les états et les actes qui donnent lieu à l'extrémisme. Elles se font également transmettre un savoir portant sur les paradigmes de perfectionnement psycho- spirituel qui ont cours dans leur culture. Une fois franchies les 12 étapes du programme, toute trace ou tout vestige d'extrémisme se trouve éradiqué.
Nous mettons ce programme en oeuvre à deux niveaux. Nous l'offrons à la population générale depuis 2006. Plus de 50 mosquées au Canada ont mis en oeuvre des parties de notre programme dans leur congrégation respective. Si nous voulons nous attaquer à la source du problème de radicalisation au niveau national, nous croyons que notre programme doit bénéficier de financement.
La réussite de notre stratégie de mise en oeuvre repose sur un groupe de professionnels et d'experts avec lesquels nous traitons. Ceux-ci sont énumérés dans le document plus volumineux que vous pourrez consulter après la séance.
Par exemple, nous avons des médecins, des psychologues et des psychiatres, qui nous conseillent dans la mise en oeuvre de notre programme, et qui peuvent nous orienter et nous donner des conseils d'ordre médical ou nous renseigner sur d'autres facteurs pouvant favoriser le processus de radicalisation, et qui pourraient vous surprendre, comme l'hyper-religiosité, soit un diagnostic de bipolarité traitée par des médicaments.
Nous avons aussi accès à des universitaires et faisons appel à des travailleurs sociaux qui peuvent nous renseigner sur les problèmes sociaux qui pourraient pousser les gens à s'engager sur le chemin de la radicalisation. Nous avons en outre établi des relations efficaces avec le clergé et des leaders oecuméniques afin qu'ils nous aident à rejoindre la population.
Le premier niveau de mise en oeuvre de notre stratégie visant à prévenir la radicalisation et le terrorisme « maison » au Canada comprend une campagne de communication de masse, la création d'un site Web, une ligne téléphonique directe, des brochures et le lancement d'une campagne de publicité dans les journaux à grande diffusion et dans les journaux ethniques pour faire connaître l'existence d'un organisme indépendant, non lié aux forces de l'ordre, et sa volonté d'aider les Canadiens.
Nous comptons établir des contacts avec les systèmes d'éducation public et privé afin d'y faire des présentations annuelles, comme celles qui cherchent à prévenir la consommation de drogues. Nous désirons également donner une formation aux leaders communautaires et à d'autres personnes désireuses de s'initier au programme de déradicalisation en 12 étapes et à obtenir une accréditation, comme c'est le cas pour les cours de l'Ambulance St-Jean ou d'autres organisations communautaires. Nous comptons ainsi repérer les signes distinctifs du processus de radicalisation et le traiter au cas par cas.
Nous avons également prévu un plan d'évaluation. Plus précisément, grâce à la mise en oeuvre de notre stratégie de déradicalisation partout au Canada, nous entendons dissuader les gens et les prévenir contre la radicalisation et le terrorisme, surtout dans notre groupe culturel. Nous espérons accroître le dialogue invitant les gens à rejeter le terrorisme et les moteurs qui sous-tendent le processus de radicalisation au sein de nos communautés. Nous souhaitons également une réduction de l'antisémitisme, puisque nous avons constaté qu'il s'agit là d'un des principaux moteurs de la radicalisation, du côté de la droite, comme il en est question aux États-Unis, par exemple, mais également chez ceux qui adhèrent à un extrémisme inspiré de celui d'Al-Qaïda.
Nous souhaitons en outre une réduction des autres sentiments négatifs visant l'Occident et le monde séculier dans notre communauté, et la promotion d'un contre-discours plus constructif visant à délégitimer l'idéologie qui pousse les jeunes hommes et femmes qui ont grandi ici à commettre des actes de terrorisme dans leurs pays.
Enfin, nous voulons que notre initiative favorise la participation des membres de notre communauté au processus démocratique.
On pense surtout aux musulmans canadiens, puisqu'il est question de radicalisation dans le contexte de l'extrémisme inspiré d'Al-Qaïda. Il convient de noter que les musulmans du Canada forment le groupe confessionnel affichant la plus forte croissance au pays, avec un taux de plus de 128,9 p. 100 depuis 1991, selon Statistique Canada.
Or, nous avons l'impression de ne pas bénéficier du soutien financier et de l'engagement nécessaires de la part du gouvernement pour mettre en oeuvre nos programmes. J'offre le mien depuis 2006 et je n'ai pas encore reçu, ni demandé, de financement gouvernemental parce qu'il n'existe aucun programme, à ma connaissance, qui appuierait expressément nos efforts en cours. J'offre ce programme par mes propres moyens et grâce à l'appui de ma communauté.
Étant donné qu'on ne met pas suffisamment de ressources à notre disposition pour mettre en oeuvre notre stratégie à grande échelle d'un bout à l'autre du pays, je constate une tendance croissante au sein de notre communauté et de la population en général qui a pour effet de détruire l'harmonie dans notre société multiculturelle. Celle-ci contribue allègrement à nourrir la méfiance entre une tranche de 3 p. 100 de la population et le reste du Canada, chacun en venant à considérer l'autre comme « étranger ».
L'anecdote du sénateur Smith est un bon exemple. Il a parlé de son expérience en avion, du fait qu'il était nerveux et que, dès que la personne en question a fait ce qu'elle a fait, il s'est senti beaucoup plus à l'aise.
Nous avons estimé, grâce à nos comptables, le coût minimal de la mise en oeuvre d'un programme comme le nôtre, comme vous pouvez le constater dans le document.
Nous considérons que notre programme est la solution logique qui permettra de réduire les coûts du contre- terrorisme au pays et préviendra la radicalisation des jeunes des collectivités à risque, comme nous en avons déjà fait la preuve avec succès. En bref, notre programme marche. Si le gouvernement veut que les 3 p. 100 de sa population, dont l'âge médian est le plus bas au pays, règlent le problème de la radicalisation avant qu'il n'atteigne des proportions nécessitant l'intervention des forces de l'ordre, il doit financer des initiatives proactives et des solutions comme celles que nous proposons.
Nous espérons de tout coeur établir un rapport fructueux avec les autorités, comme par le passé, et maintenir celui-ci afin de soutenir notre programme, lequel, nous en sommes convaincus, se révèlera bénéfique pour l'ensemble des Canadiens et sauvera des vies.
Le président : Merci, nous allons maintenant passer aux questions. Je vais me prévaloir de la prérogative du président et poser une question bien précise.
Vous avez parlé de votre démarche en 12 étapes. Lorsque nous entendons cette expression, nous pensons, vous y compris, j'en suis certain, aux programmes bien connus qui aident les gens à se sortir d'une dépendance quelconque, soit à l'alcool, au tabac ou autre. Ce genre de programmes reposent habituellement sur une participation constante au sein de la communauté, qu'il s'agisse d'un groupe d'Alcooliques anonymes ou d'autres groupes de soutien, où les gens sont appuyés dans leur désir de se défaire de ce qui est considéré comme une activité destructrice, et non constructive.
Votre démarche prévoit-elle un mécanisme de soutien après que les gens à risque aient été repérés, invités à envisager d'autres options et à voir d'un oeil nouveau l'hyper-religiosité, par exemple? Votre programme prévoit-il un mécanisme d'aide au sein de la communauté? De toute évidence, les gens ont l'appui de leur pairs, donc l'isolement leur complique la tâche, à eux, mais également à vous et à ceux qui vous aident.
M. Amiruddin : Jusqu'à maintenant, nous travaillons avec diverses organisations au sein de notre communauté : plus de 50 mosquées ont déjà mis en oeuvre ce programme. Nous constatons que les élèves des écoles secondaires sont de plus en plus réceptifs à la propagande d'Al-Qaïda, qui est grandement répandue sur Internet.
J'ai l'impression que certaines organisations au sein de la communauté ont pu contribuer à leur endoctrinement. Le service de police de New York, dans son rapport sur l'extrémisme local, a divisé le processus de radicalisation en quatre étapes, dont le troisième est l'endoctrinement. Il ne s'agit pas d'un appel aux armes contre les pays d'origine de ces gens. Cependant, il est selon moi important d'établir un réseau national nous permettant de travailler directement avec les écoles secondaires et non pas seulement avec les centres communautaires, les mosquées et les institutions religieuses partout au pays. Il faut être proactif dans la lutte contre le processus de radicalisation.
Le sénateur Joyal : En vous écoutant, je ne pouvais m'empêcher de penser que le facteur religieux est particulièrement important pour ceux qui sont plus réceptifs à un message religieux que politique, par exemple, pour des raisons évidentes.
Dans ce cas, comment prévenir efficacement l'endoctrinement basé sur une interprétation des croyances religieuses qui mènent à un djihad?
M. Amiruddin : Nous sollicitons l'opinion d'experts dans ce domaine. Ceux-ci ont cerné, au sein de la tradition islamique, par exemple, une idéologie particulière qui ne pousse pas nécessairement à la perpétration d'actes terroristes ou au terrorisme en général, mais qui favorise le processus de radicalisation.
Dans le contexte de la communauté musulmane canadienne, il serait peut-être possible de mettre en oeuvre ce programme sans intervenir directement dans les affaires religieuses de la communauté, mais plutôt en offrant des programmes aux organisations qui diffusent un contre-discours plus susceptible de favoriser l'intégration au sein de la population canadienne et d'appuyer le concept de démocratie comme faisant partie de l'identité canadienne.
Le sénateur Joyal : Si je me souviens bien des renseignements qui ont été publiés concernant l'incident du groupe des 18 de Toronto, la plupart d'entre eux allaient régulièrement à une mosquée où l'imam prêchait presque que le recours à la violence. Comment surveiller ces activités — si cela est même possible —, dans les limites de la Charte canadienne des droits et libertés, tout en respectant la liberté de religion, et comment empêcher que ce genre de croyances soit transmises à des gens plus vulnérables parce qu'en général plus jeunes et plus susceptibles de répondre à l'appel?
Par opposition, les gens ayant un certain niveau de maturité — comme l'ont dit nos témoins plus tôt — qui ont, disons, 40 ou 50 ans, ont une vision différente de la vie et sont moins susceptibles d'adhérer à ces croyances ou de répondre à un appel au djihad. Voilà qui, selon moi, décrit bien la situation.
M. Amiruddin : Je pense que si nous adoptons les pratiques exemplaires employées par nos alliés partout dans le monde, nous n'avons pas à nous inquiéter de réinventer la roue pour trouver des solutions à ce problème.
Le Canada, comme d'autres démocraties occidentales, garantit un certain nombre de droits à ses citoyens à l'égard de la liberté de religion et de parole. Cependant, dans le cas précis de l'extrémisme d'Al-Qaïda, bien que nous devions toujours être politiquement corrects et protéger les droits de nos concitoyens, il n'en demeure pas moins que certaines personnes exposées à un certain type d'endoctrinement pouvaient être attirées par la radicalisation. Selon moi, c'est le catalyseur qui transforme une personne endoctrinée en un terroriste en puissance. Ce n'est même pas quelque chose qu'on apprend dans les mosquées, mais il s'agit plutôt une propagande répandue partout sur Internet.
Vous pouvez, par exemple, consulter sur YouTube des vidéos de propagande d'Al-Qaïda de la Russie ou d'ailleurs dans le monde. De ce que j'ai retenu du groupe des 18 de Toronto et des autres groupes sur lesquels je me suis penché, la meilleure solution pour prévenir l'étape finale du processus de radicalisation, appelée jihadisation, consiste à trouver un système ou une stratégie qui empêcherait la propagande d'Al-Qaïda de pénétrer dans notre pays et d'être consultée. C'est comme empêcher les gens de consulter de la pornographie juvénile ou d'autres sujets inacceptables dans notre société. Ce qui mène à la quatrième étape du processus de radicalisation, qu'on connaît sous le nom de jihadisation, où les personnes sont poussées à commettre des actes de terrorisme contre leurs concitoyens, ne devrait pas être admis au pays.
Il faudrait voir quelle est la situation à l'échelle internationale. Au Canada, nous nous sommes déjà dotés de nombreuses initiatives au sein de notre communauté. Nous nous sommes donnés beaucoup de mal pour prouver aux autres Canadiens que nous n'acceptons pas cette idéologie, que nous la rejetons. Par exemple, notre organisation, le Conseil suprême islamique du Canada, ainsi que notre fondation ont émis plus tôt cette année une fatwa condamnant encore une fois le terrorisme, ce qui vient s'ajouter aux efforts déjà déployés depuis les attaques du 11 septembre. Un autre imam canadien, Sheik Tahir-ul-Qadri, qui a récemment émigré du Pakistan, a émis une fatwa de 600 pages contre le terrorisme expliquant clairement aux jeunes hommes et femmes que ces appels à commettre des actes de terrorisme n'ouvrent pas dans l'islam la porte du paradis, mais plutôt de l'enfer.
Nous rejetons cette idéologie et cette attitude sur tous les fronts, mais nous sommes limités parce que nous sommes des organisations communautaires. Il nous est difficile de contrer l'impression de légitimité de cette idéologie, puisqu'elle est bien ancrée au coeur du monde islamique du Moyen-Orient — nul besoin de nommer de pays précis.
Cette idéologie, le mentor de la radicalisation des jeunes hommes et femmes de l'Occident, et particulièrement du Canada, est largement considérée comme légitime dans le monde musulman et même au Canada. Mon organisation, qui tente de délégitimer cette idéologie, n'a pas la tâche facile étant donné le monopole dont elle jouit au coeur du monde musulman.
Peut-être pourrait-on envisager une autre initiative, soit de faire en sorte que des membres de notre gouvernement travaillent en collaboration avec leurs homologues du Moyen-Orient, plus particulièrement dans le pays responsable de la propagation de cette idéologie, pour essayer de mettre fin au monopole que détient ce petit groupe au coeur du monde musulman. Pas que nous nous intéressions à la religion qui est pratiquée dans un autre pays, mais il faut garder à l'esprit que chaque année, plus de 4 000 Canadiens se rendent dans ce même pays pour un pèlerinage.
On s'inquiète de ce qu'ils ramènent ici, et de ceux qui pourraient être endoctrinés. Tous les pèlerins ne sont pas endoctrinés, mais ils n'en demeurent pas moins exposés à cette idéologie. Cela est largement considéré comme légitime au sein du groupe culturel en question en raison de son omniprésence. L'initiative proposée contribuerait donc grandement à dissuader ou à prévenir la radicalisation.
Le président : Merci beaucoup. Maintenant, un certain nombre de sénateurs voudraient poser des questions.
Le sénateur Tkachuk : À mon avis, les nazis et les communistes étaient les plus grands terroristes du XXe siècle. Ils avaient leurs ennemis. Les nazis n'aimaient pas les Juifs, et les communistes n'aimaient pas les capitalistes.
Qui est l'ennemi des terroristes extrémistes?
M. Amiruddin : Les ennemis des terroristes extrémistes sont ceux qui s'opposent à leur vision du monde et à leur modèle mondial idéal de gouvernement. Ils demandent le rétablissement du califat quelque chose de semblable à ce qui était en place au temps de l'Empire ottoman, mais paradoxalement, le gouvernement vers lequel ils tendent, ce gouvernement mondial, est très différent de ce qui était en place au temps de l'Empire ottoman. Par conséquent, leurs ennemis, ce sont tous ceux qui s'opposent à cette vision mondiale.
En Afghanistan, ce que l'on oublie sans cesse de mentionner, notamment les médias, c'est que la légitimité du djihad mené contre les soldats occidentaux et le gouvernement de Hamid Karzaï découle précisément du fait qu'ils ont nommé un chef, le mollah Omar, au poste de calife de ce califat mondial. Ils se considèrent comme les soldats du califat du mollah Omar qui combattent pour établir ce type de gouvernement en Afghanistan. Ils cherchent à établir ce gouvernement dans la région de l'Asie centrale, dans différentes parties du monde qui ensuite se joindraient à ce califat.
Le sénateur Tkachuk : Dans votre programme à 12 étapes, l'incident le plus efficace et le plus spectaculaire est celui du USS Cole, du 11 septembre et certains autres qui sont publics, comme les attentats suicides à la bombe. Nous luttons contre ces attentats suicides à la bombe en Afghanistan et les Américains le font en Irak. Comment aborder le sujet? Comment traiter des attentats suicides à la bombe dans votre programme, avec les parents qui laissent leurs enfants — voyez-vous ce que je veux dire? Cela dépasse tout ce que je connais. Comment s'attaquer à ce processus mental lorsqu'il y a des imams ou des groupes qui répandent ce genre de croyances.
M. Amiruddin : La composante la plus importante de notre programme est la délégitimation d'une idéologie qui favorise le processus de radicalisation et légitime les actes de terrorisme. Notre stratégie et celle des groupes qui cherchent à contrer ce discours de par le monde et qui travaillent avec leur propre gouvernement ou d'autres dans le monde pour lutter contre l'appel au terrorisme lancé par Al-Qaïda vise en partie à délégitimiser l'idéologie qui rend le terrorisme acceptable.
N'oubliez pas que ces personnes sont très dévotes. Ces gens, s'ils sont des hommes, préfèrent ne pas regarder une jolie femme qui marcherait dans la rue. Ils respectent leur principe religieux de façon rigoureuse. Ils ne consomment pas de viande qui n'est pas halal. Ces gens sont particuliers et dévoués à leur confession. Comment quelqu'un qui est si dévot et dévoué à sa religion et à la foi peut-être convaincu dans son coeur et dans son esprit que les attentats suicides commis contre ses concitoyens sont justifiés?
Les experts mondiaux en matière de terrorisme sont arrivés à la conclusion que ce processus est motivé par l'idéologie. Dans notre programme de 12 étapes, nous tentons de contrer ce processus par la délégitimation de l'idéologie qui justifie ces types d'attaques, pour les rendre inacceptables, pour faire comprendre aux gens que, d'un point de vue islamique, parce que c'est la communauté dont nous parlons, de tels actes n'ouvrent pas les portes du paradis comme le promettent les chefs d'Al-Qaïda ou différents groupes qui radicalisent les gens. Ces actes les mènent plutôt directement où ils ne veulent pas aller, c'est-à-dire en enfer, pour un musulman ou une personne religieuse.
Le sénateur Furey : Merci beaucoup d'être venu aujourd'hui. Je voudrais vous féliciter pour votre programme. Je pense qu'il est excellent. Je conviens que le programme est une solution logique pour contrer la radicalisation. La mise en oeuvre de celui-ci par le biais de communication de masse, la collaboration avec le réseau scolaire et la formation des fonctionnaires me laissent croire que le programme est justement axé sur cela : la prévention.
Est-ce efficace? Ou est-ce qu'il y a quoi que se soit d'efficace pour ces jeunes hommes et ces jeunes femmes qui adhèrent déjà à l'idéologie du jihad ou qui se considèrent salafistes et qui ont rejoint le mauvais côté? Y a-t-il de l'espoir pour ces gens où la prévention ne peut-elle fonctionner que pour les prochaines générations?
M. Amiruddin : En ce qui concerne les gens qui sont tombés dans la radicalisation, je vous renverrais aux quatre étapes du phénomène. Si nous parlons de gens qui en sont à la première ou à la seconde étape, l'étape de la préradicalisation et de l'identification, où l'on commence à explorer l'idéologie salafiste ou même à la troisième étape, où les gens sont endoctrinés complètement, si nous arrivons à communiquer avec eux par notre stratégie de déradicalisation et nos efforts pour changer leur processus mental et délégitimiser la perpétration d'attentats suicides, eh bien, nous serons efficaces.
Toutefois, les gens qui ont dépassé la troisième étape de la radicalisation consomment la propagande d'Al-Qaïda sur Internet et sont prêts à perpétrer des attentats au bon moment lorsqu'ils en auront l'occasion. Nous ne pensons pas disposer des capacités ou des ressources pour intervenir auprès de ces gens. Nous espérons que notre appareil de sécurité national et que les efforts internationaux de lutte contre le terrorisme seront plus efficaces avec ces gens.
Le sénateur Smith : Combien de personnes ont terminé votre programme et comment déterminez-vous qu'une personne est arrivée à la fin de celui-ci? Est-ce que les participants doivent assister à un certain nombre de cours? Y a-t- il des groupes de travail? Doivent-ils passer des examens ou rédiger des textes? Quels sont les critères utilisés pour déterminer qu'on a terminé le programme et combien de personnes y sont arrivées? A-t-on de beaux exemples de réussite?
M. Amiruddin : Nous en avons assurément. À ce jour, depuis 2006, un peu plus de 200 personnes ont terminé notre programme à douze étapes. On ne leur a pas dit précisément que le programme comportait 12 étapes, qu'ils étaient radicalisés et que nous voulions les déradicalisés. Cette démarche ne fonctionnerait pas et irait à l'encontre de toute notre stratégie.
Ce que nous avons établi, et vous pouvez le voir sur notre site Web aujourd'hui, ce sont des grands objectifs d'apprentissage précis en lien avec différents points d'intérêt au sein de la communauté culturelle au chapitre de l'idéologie et de la théologie qui mènent au processus de radicalisation. Nous visons à délégitimiser cette idéologie par le biais de ces grandes lignes d'apprentissage.
Comme je l'ai dit, plus de 200 personnes ont terminé le programme, à ce que je sache. C'est une option. Ces objectifs comprennent des questions et des réponses. Lorsqu'elles terminé le programme, certaines personnes, surtout dans notre cas, participent à une session de questions et de réponses avec moi. Puis, on leur accorde ce que nous appelons dans notre communauté un ijazah, ou une certification islamique, une licence qui précise que le participant a été formé et certifié en tant que sheik ou instructeur dans une discipline particulière.
Le sénateur Smith : J'aimerais poser une autre question en lien avec l'approbation ou la bénédiction que vous obtenez de ces groupes de coordination, si je puis dire? Je sais qu'au cours des derniers jours, nous avons vécu une petite controverse liée au fait que les chefs actuels n'ont pas été invités à prononcer leur discours en raison des mots néfastes qui avaient été utilisés par un chef précédent. Je connais certains de ces groupes de coordination. Vous connaissez celui-là. Y en a-t-il qui inclut, disons, des groupes sunnites, des groupes chiites ou d'autres factions? Je sais que certains ismaéliens, certains musulmans, ne se considèrent pas comme des musulmans authentiques.
De qui recevez-vous votre approbation, relevez-vous d'un groupe en particulier? Est-ce un groupe sunnite? Vous savez de quoi je parle. Éclairez-nous sur ce point.
M. Amiruddin : Je pense que pour répondre à cette question, nous devons mieux comprendre le groupe qui est à risque. L'extrémisme inspiré d'Al-Qaïda ne touche pas directement les gens de confession chiite ou les soufis. Ces gens adhèrent à l'interprétation sunnite de l'islam, tout comme ma propre organisation, qui est aussi sunnite.
C'est une façon de voir les choses.
Le sénateur Smith : Les wahhabi sont un groupe. Je pense que le pays auquel vous faisiez allusion est l'Arabie saoudite.
M. Amiruddin : Oui, c'est vrai. Dans ce domaine précis, il y un regroupement d'organisations. Par exemple, il y a le Centre d'études arabes contemporaines, qui fait partie des organisations musulmanes canadiennes affiliées à l'islam sunnite. Cette organisation appuie le modèle ou l'interprétation traditionnelle qui, je dirais, est ouvert au soufisme et ne le rejette pas. L'une des principales caractéristiques des gens vulnérables à la manipulation des extrémistes, de ces groupes, c'est leur rejet du soufisme en tant que discipline au sein de l'islam, par exemple.
Ces groupes avec lesquels nous travaillons représentent maintenant une majorité silencieuse au sein de notre communauté. Ils sont sunnites et donc, nous travaillons à l'édification de ponts avec d'autres groupes semblables aux nôtres. À ce jour, comme je l'ai dit, plus de 50 organisations font partie de cette stratégie.
Ces groupes formant le groupe sunnite, en général, peuvent distribuer des documents qui peuvent mener à la radicalisation. Ces groupes, bien sûr, rejetteraient nos arguments. Pas nos arguments justifiant nos préoccupations au sujet du processus de radicalisation. Ces arguments sont les conclusions de groupes tels que la police de New York et celui responsable du rapport de la commission sur les événements du 11 septembre. Ils ont accès à d'importantes ressources et à des renseignements que nous ne pouvons contester.
Le sénateur Marshall : Merci beaucoup d'être venu ici aujourd'hui. J'ai noté que dans le document que vous avez distribué, vous parlez aussi des mises en oeuvre. Vous visez des groupes généraux. Vous avez un site Web, des affiches et organisez des visites dans les écoles.
Ciblez-vous des gens ou des groupes précis en plus de ces groupes généraux? Ciblez-vous des groupes précis?
M. Amiruddin : Cela dépend de ce que nous voulons faire. Malheureusement, le terrorisme est maintenant un phénomène international. Je ne pense pas qu'il y ait un élève du secondaire au Canada qui, par exemple, ne sache pas que le terrorisme existe ou qui n'est pas exposé à la couverture que font les médias du terrorisme.
Une fois qu'ils en apprennent sur le terrorisme d'Al-Qaïda, ils comprennent aussi ce qu'est l'islam ou ce qu'il n'est pas. Ils ont aussi des idées préconçues à ce titre. En ce qui concerne Al-Qaïda, les connaissances se rapportent à l'islam ou à la soi-disant guerre islamique contre l'Occident ou d'autres personnes qui s'opposent à leurs programmes ou objectifs.
Nous avons structuré notre programme de 12 étapes de façon à adopter une approche généralisée et non pas à cibler ou offenser un groupe en particulier. Nous n'utilisons pas les termes « musulman » ou « islam » par exemple. Nous utilisons le terme « communauté culturelle à risque » ou « groupe culturel ». Notre programme en 12 étapes peut être appliqué à ce dont nous discutions un peu plus tôt, des groupes de droite en Amérique, par exemple. Pour ce faire, tout ce que nous avons à faire c'est de travailler avec un groupe religieux précis ou un groupe qui comprend bien le contexte idéologique ou théologique et qui peut appliquer le même modèle en 12 étapes à son propre groupe. Nous ne ciblons pas un groupe culturel précis dans le cadre de ce programme.
Le sénateur Marshall : Vous parlez d'évaluation, en fait vous le mentionnez dans votre document qui donne de plus amples renseignements sur le processus. Comment mesurez-vous l'efficacité du programme? Si vous voulez investir de l'argent dans le programme, comment pouvez-vous déterminer si ce dernier est efficace?
M. Amiruddin : Dans le document que vous recevrez tout à l'heure, vous pourrez en apprendre plus long sur nos objectifs et sur les méthodes employées pour mesurer les résultats obtenus. Par exemple, nous utilisons les médias et les rapports sur les cas de terrorisme ou de terrorisme maison. De plus, nous collaborons étroitement avec nos associés et la police, étudiant les rapports ou les plaintes qu'ils veulent bien partager avec nous à titre d'organisation communautaire. Souvent les parents ne savent pas vers qui se tourner. C'est une autre façon d'étudier la question.
Nous avons également recours à des données et des sondages obtenues de façon confidentielle au sein de la collectivité, par l'entremise de questionnaires par exemple. Ces données nous permettent de mieux saisir l'efficacité du processus. Dans le document qu'on vous remettra je donne de plus amples détails sur cette façon de faire les choses. J'espère que ce document saura vous éclairer.
Le sénateur Marshall : Pouvez-vous nous dire d'où provient votre financement? Est-ce que j'ai bien saisi, avez-vous bien dit que vous ne recevez aucune aide financière du gouvernement?
M. Amiruddin : Nous n'avons reçu aucune aide du gouvernement depuis que j'occupe mon poste. Il importe de signaler que j'assume cette responsabilité à titre de bon citoyen canadien. Je suis né au Canada, le Canada est mon pays. Je pense que le travail que je fais est une chose très importante compte tenu le climat international actuel caractérisé par le terrorisme, le terrorisme islamique en fait, ce qui me touche directement à la fois comme Canadien et comme musulman. C'est pourquoi je fais ce travail.
Même si ma vie et ma sécurité personnelle sont en péril en raison de mon travail, je persévère. Depuis 2006, lorsque nous avons mis sur pied ce plan, nous n'avons reçu aucune aide du gouvernement. Peut-être le gouvernement n'a-t-il pas suffisamment d'argent. C'est possible. Le fait est que nous n'avons pas l'impression que nous ayons vraiment eu l'occasion de demander le financement nécessaire pour lancer notre stratégie.
Le sénateur Marshall : Lorsque vous dites que vous n'avez reçu aucune aide financière du gouvernement, est-ce que cela veut dire que vous n'avez pas présenté de demande ou que vous avez présenté une demande qui a été rejetée?
M. Amiruddin : Il n'existe pas de programme dans le cadre duquel nous pourrions demander une aide financière qui corresponde vraiment aux services que nous offrons. À ma connaissance, il n'existe aucun programme particulier dans le cadre duquel je pourrais demander une aide financière pour mon projet.
Le sénateur Joyal : Je constate, d'après les réponses que vous avez données au sénateur Marshall, que vous n'avez pas participé à la table ronde où étaient invités des représentants de divers groupes et organisations communautaires pour discuter des meilleures pratiques et pour offrir des conseils au ministre de la Sécurité publique quant aux initiatives que devait adopter le gouvernement.
M. Amiruddin : Non, nous n'avons pas participé à cette table ronde.
Le sénateur Joyal : Vous n'avez jamais été invité?
M. Amiruddin : Nous n'avons jamais été invités. Si nous composions avec ce problème de façon honnête et faisions ressortir les dangers associés à l'idéologie extrémiste et à certaines interprétations qu'on retrouve au sein de notre communauté culturelle et qui donnent naissance à ces opinions extrémistes et à la radicalisation, nous serions marginalisés aujourd'hui n'eût été le groupe de quelque 50 mosquées et organisations du Canada que nous avons mises sur pied. Ces autres groupes communautaires reçoivent un financement important de gouvernements étrangers pour faire avancer leur programme idéologique.
D'après le Globe and Mail, une mosquée de Mississauga, d'où je viens d'ailleurs, a reçu plus de 5 millions de dollars pour mettre sur pied son programme et le lancer et 1,5 million de dollars chaque année pour poursuivre ses activités.
Si nous disions à cette organisation que, bien qu'ils ne constituent pas un appel au terrorisme commis à l'endroit du Canada ou d'un autre pays, les idées, livres et enseignements que l'on peut trouver dans leur mosquée ou dans la bibliothèque de leur mosquée incitent tout de même à la radicalisation du processus, cela poserait tout de suite problème. On aurait du mal à travailler avec eux, car ils rejetteraient nos conclusions. Ces conclusions ne sont pas les nôtres, mais plutôt celles des spécialistes dans le domaine.
Le président : Peut-on donc conclure que, parce que votre organisation était si directe et prête à affronter les sujets délicats que les gens ne voulaient pas aborder, tant au sein de votre collectivité — qui n'est pas monolithique — qu'au sein de la collectivité plus vaste du Canada, votre travail a mis les gens mal à l'aise car vos efforts étaient toujours tellement directs et à propos? Est-ce que j'exagère?
M. Amiruddin : Non, je pense que vous expliquez les choses telles qu'elles sont. Il s'agit précisément de la situation à laquelle nous faisons face.
Si vous me permettez, j'aimerais conclure comme suit : J'espère que cette réunion permettra au comité de comprendre l'importance de financer — ou d'appuyer par l'entremise de ressources — des organisations similaires à la mienne, qui travaillent pour atteindre un objectif important, qui profitera à tous les Canadiens.
Le président : Sheik, j'aimerais vous remercier d'avoir pris le temps de venir nous voir cet après-midi. Ma voix fait écho à celle de tous mes collègues. Cela a été fort rafraîchissant et encourageant que d'entendre un jeune chef canadien qui prend une telle initiative et a bien voulu la partager avec nous cet après-midi. Merci beaucoup.
M. Amiruddin : De rien.
Le président : Chers collègues, nous allons maintenant passer à huis clos pendant deux minutes afin de parler des travaux futurs du comité.
(Le comité poursuit ses travaux à huis clos.)