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ANTT - Comité spécial

Antiterrorisme (Spécial)


Délibérations du comité sénatorial spécial sur
l'Antiterrorisme

Fascicule 12 - Témoignages


OTTAWA, le lundi 7 février 2011

Le Comité sénatorial spécial sur l'antiterrorisme se réunit aujourd'hui, à 13 heures, pour examiner des questions relatives à l'antiterrorisme.

Le sénateur Hugh Segal (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Chers collègues, aujourd'hui, en attendant que la Chambre des communes nous renvoie un projet de loi, le Comité sénatorial spécial sur l'antiterrorisme entendra les hauts dirigeants du CANAFE, l'organisme de surveillance des transactions financières qui est chargé d'évaluer les mouvements de trésorerie pour déceler toute activité qui pourrait être inappropriée.

[Français]

Laissez-moi vous présenter les membres du Centre d'analyse des opérations et déclarations financières du Canada que nous accueillons aujourd'hui. Denis Meunier, directeur adjoint, Analyse financière et communications de cas. Monsieur Meunier a passé la majeure partie de sa carrière à l'Agence de revenu du Canada et a occupé divers postes supérieurs. Il a aussi dirigé pendant plusieurs années le Service des opérations régionales et de la conformité de CANAFE avant de faire le saut à la direction d'Analyse financière et communications de cas. C'est un expert du blanchiment d'argent et de la conformité de l'application de la loi.

[Traduction]

Gina Jelmini, gestionnaire de la Section de l'analyse du financement d'activités terroristes, est aussi avec nous aujourd'hui. Mme Jelmini a une formation en droit et a été agente de la Gendarmerie royale du Canada. Elle supervise la communication des cas sur le financement des activités terroristes. Mme Jelmini a conçu des programmes de formation pour les nouveaux services de lutte contre le blanchiment d'argent un peu partout dans le monde et a participé à de nombreuses séances de formation.

[Français]

Yvon Carrière, avocat-conseil, Services juridiques. M. Carrière est entré à la division de droit fiscal du ministère de la Justice en 1988. En 1999, il s'est joint à l'équipe d'avocats qui a participé à la mise sur pied du nouveau Centre d'analyse des opérations et déclarations financières du Canada. Lors de la création de CANAFE, il est devenu avocat principal au service juridique, poste qu'il occupe toujours.

[Traduction]

Nous vous sommes très reconnaissants d'avoir pris le temps, malgré vos responsabilités difficiles et exigeantes, de venir nous faire part de votre point de vue et nous expliquer le travail que vous effectuez. Nous sommes ravis de donner la parole à M. Meunier.

Denis Meunier, directeur adjoint, Analyse financière et communications de cas, Centre d'analyse des opérations et déclarations financières du Canada : Avant de commencer, j'aimerais remercier les honorables sénateurs de ce comité spécial d'avoir invité le CANAFE à venir expliquer ses activités et sa contribution à la sécurité publique au Canada et, plus précisément, aux organismes canadiens d'application de la loi et aux activités liées au renseignement de sécurité.

Gina Jelmini, gestionnaire de la Section de l'analyse du financement d'activités terroristes de ma direction, et Yvon Carrière, avocat-conseil, m'accompagnent aujourd'hui.

D'abord, j'aimerais dire quelques mots au sujet de notre mandat et de nos activités. La loi adoptée par le Parlement en 2000, c'est-à-dire la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, a entraîné la création d'un organisme indépendant, le CANAFE, qui rend des comptes au ministre des Finances. Son mandat est de détecter, de dissuader et de prévenir le blanchiment d'argent. En 2001, après le 11 septembre, la Loi antiterroriste a ajouté la lutte contre le financement d'activités terroristes à notre mandat qui, à mon avis, est le volet qui nous intéresse le plus.

Le CANAFE est l'unité du renseignement financier, ou URF, du Canada. Nous comptons un peu plus de 300 employés et trois bureaux régionaux en plus de notre administration centrale. Le CANAFE est un organisme unique en son genre au Canada, car son mandat consiste à analyser les renseignements sur les opérations financières et à communiquer certains renseignements aux enquêteurs dans les limites prescrites par la loi.

Même si plus de 130 pays ont un genre d'unité de renseignement financier, très peu reçoivent l'éventail de déclarations que nous recevons, effectuent des analyses et produisent des communications de cas aussi détaillées. Aussi, nous sommes presque les seuls à recevoir pratiquement toutes les déclarations par voie électronique.

Le ministre des Finances est responsable envers le Parlement de notre loi et de la formulation de propositions de changements à cette loi ou à ses règlements d'application. Toutefois, en tant qu'organisme opérationnel, le ministre s'attend à ce que nous l'informions, de ce point de vue, de l'application de la loi.

Pour vous donner un meilleur aperçu du CANAFE, j'aimerais souligner ce que nous ne sommes pas. Le centre n'est pas un organisme d'enquête et il n'a pas les pouvoirs pour réunir les éléments de preuve, porter des accusations, saisir et geler des biens ou dresser des listes de surveillance de financiers soupçonnés d'activités terroristes. Le CANAFE n'enquête pas sur les infractions présumées et n'intente pas de poursuites en ce sens. Le centre est plutôt un organisme d'analyse qui produit des renseignements financiers pouvant être communiqués, le cas échéant, afin de faciliter les enquêtes menées par les organismes d'application de la loi et de sécurité.

Dans quelques instants, Mme Jelmini vous expliquera comment nous procédons pour établir un cas en vue de le communiquer. Pour les besoins de la cause, ce sera un cas de financement d'activités terroristes.

[Français]

La loi a été soigneusement et délibérément rédigée afin de donner de l'information très précise et claire sur le genre de renseignements que nous recevons et le genre de renseignements que nous communiquons. Elle stipule que nous ne pouvons communiquer des renseignements que lorsque nous avons des motifs raisonnables de soupçonner que les renseignements seraient utiles aux fins d'enquête ou de poursuite relativement à une infraction de recyclage des produits de la criminalité ou de financement d'activités terroristes. De plus, lorsque CANAFE atteint le seuil requis de « motifs raisonnables de soupçonner », la loi oblige CANAFE à communiquer ces renseignements. Pareillement, lorsque CANAFE a des motifs raisonnables de soupçonner que certains renseignements se rapporteraient à des menaces à la sécurité du Canada, la loi stipule que le centre doit communiquer ces renseignements au Service canadien du renseignement de sécurité.

Bref, nous fournissons aux organismes d'application de la loi et de sécurité nationale des indices de nature financière. Nous sommes une source de renseignements pour tous les services de police du Canada et possédons une capacité unique de suivre la piste de l'argent issue d'activités criminelles partout au pays et à travers le monde. Nous communiquons également des renseignements à l'Agence du revenu du Canada, à l'Agence des services frontaliers du Canada et au Centre de la sécurité des télécommunications lorsque certains critères législatifs concernant la divulgation à ces organismes sont remplis. Enfin, nous pouvons également communiquer des renseignements aux unités du renseignement financier étrangères.

Notre tâche première est de recevoir tous les jours des milliers de déclarations sur différents types d'opérations financières et provenant de multiples entreprises, que nous appelons les entités déclarantes. Les entités qui nous font parvenir le plus grand nombre de déclarations sont les banques, mais nous recevons également des déclarations des casinos, des caisses populaires, des compagnies d'assurance-vie et des entreprises de services monétaires, pour n'en nommer que quelques-unes, entités qui, conformément à la loi, sont toutes tenues de nous transmettre des déclarations.

[Traduction]

Nous recevons plusieurs types de déclarations. Nous sommes autorisés, en vertu de la loi, à recevoir des déclarations de biens appartenant à un groupe terroriste, des déclarations d'opérations douteuses et de tentatives d'opérations douteuses, des déclarations d'opérations importantes en espèces de 10 000 $ ou plus, des déclarations de déboursement de casinos et des déclarations de télévirement internationaux de 10 000 $ ou plus. Comme nous vous l'expliquerons plus tard, les déclarations de télévirement sont très importantes le moment venu de repérer des activités de financement terroristes.

Au fil des années, nous avons monté une très vaste base de données comprenant ces déclarations. Grâce à nos programmes informatiques sophistiqués et au talent de nos analystes hautement qualifiés, nous pouvons analyser ces données, ainsi que de l'information provenant d'autres sources, comme les bases de données des organismes d'application de la loi, les bases de données commerciales ou accessibles au public et, parfois, de l'information provenant d'unités du renseignement financier étrangères.

En termes simples, nous prenons des données sur des opérations financières, nous y ajoutons l'information à laquelle nous avons accès, analysons le tout et divulguons notre produit analytique sous la forme d'une communication de cas. Nous prenons des données brutes et les transformons en renseignements financiers.

Nous sommes à l'affût d'opérations et de tendances financières qui permettent de cibler des activités présumées de blanchiment d'argent ou de financement du terrorisme. Comme vous pouvez l'imaginer, les déplacements de fonds illicites sont habituellement très discrets et complexes et concernent des centaines, et parfois même des milliers, d'opérations ainsi que des dizaines de personnes et d'entreprises. Les organisations criminelles utilisent parfois plus d'une dizaine d'institutions financières différentes partout au pays et dans le monde pour recycler leurs profits. Il est donc facile de comprendre comment les ressources d'un seul service de police peuvent ne pas suffire à la tâche et pourquoi le rôle du CANAFE est si important.

Nous avons mis du temps à nous accommoder à notre rôle d'analyse du financement d'activités terroristes. Néanmoins, au cours des dernières années, nous avons trouvé notre rythme de croisière, et maintenant notre produit est en très grande demande de la part du Service canadien du renseignement de sécurité et d'autres partenaires. La piste de l'argent, et les renseignements financiers qui en découlent, est devenue un aspect important des enquêtes en matière de renseignement de sécurité au Canada. De plus, les commentaires que nous avons reçus soulignent que nous sommes considérés comme un intervenant qui contribue considérablement aux enquêtes.

Nous croyons sincèrement qu'il est important de toujours examiner ces renseignements en tenant compte des renseignements traditionnels comme le renseignement humain et le renseignement électromagnétique. Les renseignements financiers permettent de mettre à jour des opérations qui sont parfois reliées au financement d'activités terroristes. Ils peuvent aider les enquêteurs à décider où chercher des preuves, qui inclure dans l'enquête et qui en exclure. Ils peuvent aussi indiquer comment les différents sujets sont reliés et quelle direction prendra le financement. Ils permettent parfois de jeter une lumière ou de donner des indices sur la structure organisationnelle de groupes terroristes ainsi que les méthodes et la portée de l'appui qu'ils reçoivent et, vraisemblablement, sur leurs activités. Nous tenons toujours compte du fait que nous jouons un rôle complémentaire de soutien qui consiste à contribuer aux enquêtes sur les renseignements de sécurité.

[Français]

Au cours du dernier exercice, comme l'indique notre rapport annuel, nous avons produit 73 communications de cas présumés de financement d'activités terroristes et de menaces à la sécurité du Canada. Outre ces communications, il y en avait 36 autres qui portaient sur des cas présumés de blanchiment d'argent, de financement d'activités terroristes et de menaces à la sécurité du Canada.

Les renseignements stratégiques font également l'objet d'une demande croissante et, alors que nous évoluons et acquérons de l'expérience, nous avons été en mesure d'accroître notre capacité en matière d'analyse stratégique. En expliquant les tendances en matière du blanchiment d'argent et en nous penchant sur la situation dans son ensemble, nous informons nos entités déclarantes pour qu'elles soient plus efficaces dans la détection et la dissuasion aux premières lignes. Par exemple, nous avons récemment rédigé un rapport sur les casinos.

[Traduction]

J'aimerais maintenant passer à un enjeu très important pour nous, la protection des renseignements personnels. Notre loi a été rédigée minutieusement afin de protéger de la meilleure façon possible les renseignements personnels, tout en permettant la communication de certains renseignements aux organismes d'application de la loi. Nous sommes le seul organisme fédéral dont le mandat comprend expressément l'obligation d'assurer la protection des renseignements personnels qu'il détient. En vertu de notre mandat, une grande quantité de renseignements personnels nous sont confiés et c'est une responsabilité que nous prenons très au sérieux. Nos mesures de sécurité sont rigoureuses et complètes, comme l'indique une vérification récente du Commissariat à la protection de la vie privée. Aucun organisme de l'extérieur ne peut avoir accès à nos banques de données. La loi prévoit de lourdes sanctions pénales en cas de communication non autorisée de renseignements.

Enfin, vous trouverez à la fin de mon mémoire un tableau qui illustre notre processus opérationnel. Je sais qu'il serait trop long pour moi de vous en expliquer les détails aujourd'hui, mais il donne un bon aperçu de notre fonctionnement.

C'est avec plaisir que nous vous expliquerons les étapes pour établir une communication de cas liés au financement d'activités terroristes.

Merci. Monsieur le président, si je peux demander...

Le président : Non, vous ne pouvez pas le faire car je ne laisserai pas Mme Jelmini prendre la parole tant que je n'aurai pas distribué le tableau. Donnez-nous quelques instants, s'il vous plaît.

Barbara Reynolds, greffière du comité : Il y avait un tableau à la fin du mémoire de M. Meunier qui n'a pas été distribué aux sénateurs en même temps que son mémoire.

Le président : Je comprends cela, mais qu'en est-il du tableau dont Mme Jelmini s'apprête à nous parler? Est-ce celui qu'on est en train de distribuer?

Mme Reynolds : Oui. Il nous faut une motion pour le joindre en annexe.

Le président : Puis-je demander que quelqu'un propose une motion pour que ce tableau puisse être joint en annexe?

Le sénateur Wallin : J'en fais la proposition.

Le président : Merci beaucoup. Nous avons maintenant le tableau et nous sommes entre vos mains.

Gina Jelmini, gestionnaire, Section de l'analyse du financement d'activités terroristes, Centre d'analyse des opérations et déclarations financières du Canada : Honorables sénateurs, vous devriez avoir le tableau qui illustre un cas épuré que le CANAFE a communiqué à un organisme d'application de la loi ou de renseignement, lorsque nous atteignons le seuil juridique selon lequel nous soupçonnons que les renseignements pourraient être pertinents lors d'une enquête ou de la poursuite d'une infraction liée au financement d'une activité terroriste.

En utilisant le tableau, je vous expliquerai les diverses étapes de notre processus analytique, notamment les divers types de renseignements que nous recevons et que nous analysons. Je vous expliquerai les quatre principales cases qui figurent au tableau et je vous expliquerai quel est le lien entre ces cases en ce qui concerne les transactions et les individus. Il s'agit des cases A, B, C et D.

Il y a plusieurs éléments qui peuvent déclencher l'analyse de nos cas, notamment une déclaration d'opérations douteuses, une répétition d'activités financières douteuses et des renseignements provenant de sources ouvertes ou de divulgations de renseignements transmis volontairement, ou DRTV, acronyme que j'utiliserai pendant mon exposé.

Les DRTV sont des renseignements qui ont été transmis volontairement au CANAFE par des organismes d'application de la loi et de renseignement ou par le public lorsque ces derniers soupçonnent des activités de blanchiment d'argent ou de terrorisme. Le CANAFE effectue une analyse indépendante des DRTV et de tout autre renseignement qu'il reçoit ou recueille et, lorsque le CANAFE atteint le seuil juridique pour divulguer des renseignements expressément désignés, ces renseignements sont communiqués aux organismes d'application de la loi ou de renseignement appropriés.

Le président : Lorsque vous dites « seuil juridique », voulez-vous parler de quantité ou du fait que les éléments dont vous êtes saisis justifient un examen plus approfondi de la question?

Mme Jelmini : Le seuil juridique tel qu'il est établi dans la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, la LRPCFAT, stipule, « des motifs raisonnables de soupçonner qu'ils seraient utiles [...] ».

Le président : Avez-vous une définition de ce qui constitue des « motifs raisonnables »?

Yvon Carrière, avocat-conseil, Services juridiques, Centre d'analyse des opérations et déclarations financières du Canada : Nous faisons une analyse au cas par cas et les faits sont différents chaque fois. Il y a des précédents juridiques pour indiquer ce qui constitue « un motif raisonnable de soupçonner ». Il s'agit d'un seuil moins élevé que si on avait « un motif raisonnable de croire », mais il faut que ce soit plus qu'une simple intuition ou impression. Il faudrait avoir une raison que l'on puisse expliquer.

Encore une fois, dans chaque cas, nous nous assurons d'avoir de tels motifs raisonnables de soupçonner que les renseignements pourraient être utiles aux fins d'enquête ou de poursuite relativement à une infraction de recyclage des produits de la criminalité ou de financement d'activités terroristes.

Le président : Je suppose que cette analyse serait faite par plus d'une personne, c'est-à-dire par l'équipe qui s'occuperait de ce dossier, n'est-ce pas?

M. Meunier : Oui, nos analystes comprennent la loi en ce qui concerne le seuil à atteindre. Leur décision est examinée par les gestionnaires et ultimement, j'approuve cette décision au nom du directeur.

Mme Jelmini : Dans ce cas en particulier, nous recevons des renseignements transmis volontairement par un organisme d'application de la loi qui nous décrit une enquête en cours sur le financement d'une activité terroriste.

J'aimerais attirer votre attention à la case A, qui montre des renseignements que nous recevons de l'organisme d'application de la loi. La DRTV indiquait que deux sujets étaient soupçonnés de fournir un soutien financier à un groupe terroriste. La DRTV précisait que les sujets étaient propriétaires d'un certain nombre d'entreprises et qu'ils étaient soupçonnés de recueillir des fonds pour une organisation terroriste en exerçant des activités légales et illégales. À la case A, on a la personne 1 et la personne 2 et les sociétés auxquelles elles sont associées.

La première étape de notre analyse, après l'évaluation de la DRTV, consiste à faire une recherche dans la base de données du CANAFE pour des transactions financières. Une fois que nous avons terminé l'analyse de ce cas, le CANAFE a relevé plus de 700 rapports d'opérations totalisant plus de 11 millions de dollars canadiens. Les rapports d'opérations comprenaient plus de 680 rapports d'opérations importantes en espèces, 12 rapports de télévirements internationaux et huit déclarations d'opérations douteuses.

Les 11 millions de dollars en transactions que nous avons communiqués reflètent les transactions que le CANAFE soupçonne comme pouvant être utiles aux fins d'enquête ou de poursuite relativement à une infraction de recyclage des produits de la criminalité ou de financement des activités terroristes. Grâce à ces pistes de transactions financières, les organismes d'application de la loi et de renseignement peuvent faire une enquête plus approfondie afin de déterminer si une partie des fonds a été utilisée pour financer un groupe terroriste.

Revenons maintenant aux activités financières des personnes et des entreprises dans la case A. On voit que la personne 1 a fait de nombreux dépôts en espèces dans un certain nombre de comptes, notamment dans des comptes qui étaient détenus par ces entreprises et dans les comptes d'affaires de la personne 2. Après avoir fait une analyse plus approfondie de ces transactions, nous avons constaté que des télévirements avaient été reçus dans deux de ces comptes en provenance d'une personne située dans le pays B, que l'on peut voir en haut du tableau au-dessus de la case A et qui est désignée comme étant la personne 24.

Un télévirement avait par ailleurs été fait à partir de l'un des comptes d'affaires dans le compte d'une autre personne située dans le pays B, la personne 23 en haut du tableau. Le pays B est le pays où le groupe terroriste mentionné dans la DRTV a été déclaré comme étant actif.

On peut voir que d'autres transactions associées aux personnes 1 et 2 ont un lien avec d'autres cases dans le tableau. Je vais maintenant vous expliquer notre analyse des transactions à la case B.

Cette case regroupe un certain nombre de personnes pour lesquelles le CANAFE a pu établir un lien à la suite d'une analyse de renseignements provenant de sources ouvertes, notamment des renseignements provenant des registres de sociétés et d'autres déclarations reçues par le CANAFE.

Grâce aux bases de données d'entreprises, nous avons déterminé que la personne 3 avait un lien avec l'entreprise de la personne 2. Cette entreprise est l'entreprise 3 à la case B. Elle se trouve à gauche de la personne 3. La personne 3 a par ailleurs fait des dépôts en espèces à l'entreprise qui était associée à la personne 2, comme l'illustre une ligne mauve au- dessus de la personne 3. Le CANAFE a par ailleurs pu repérer un certain nombre d'autres sujets qui étaient liés à la personne 3 car elles avaient une adresse commune. Ces personnes sont désignées comme étant les personnes 4, 5 et 6 dans la case. Elles sont à la droite de la personne 3.

Nous avons retracé et analysé les transactions effectuées par ces personnes supplémentaires et nous avons constaté qu'elles avaient toutes acheté des télévirements en espèces à une succursale particulière d'une entreprise de transfert de fonds qui était associée à la personne 6. Il s'agit de la société 5 à la case B, juste en dessous de la personne 5.

L'achat des télévirements a été déclaré dans des rapports concernant des transactions douteuses, car l'entité déclarante soupçonnait que les individus essayaient de structurer les transactions afin d'éviter le seuil de 10 000 $ qui mène à une déclaration automatique de télévirement au CANAFE. Les virements bancaires ont été effectués au profit d'un certain nombre de personnes, aussi situées dans le pays B qui, comme je l'ai mentionné plus tôt, était un endroit visé pour les opérations du groupe terroriste.

La case B est liée à la case C par les transactions associées aux personnes 4, 5 et 6. Si vous regardez la personne 4, à la case B, vous verrez qu'elle a demandé un télévirement à la personne 17 dans le pays C, à la case C. Cette transaction est représentée par la ligne orange au-dessus de la personne 4. Le bénéficiaire de ce télévirement, la personne 17, était également le bénéficiaire des télévirements demandés par les autres individus que le CANAFE avait précédemment reliés à une enquête sur le même groupe terroriste. De plus, la personne 4 et une de ses entreprises avaient émis des traites bancaires à des individus qui faisaient également l'objet d'une autre enquête au sein du même groupe terroriste.

Ces transactions ont été considérées comme douteuses par l'entité déclarante. Notre analyse des transactions du bénéficiaire des traites a révélé que les personnes 5 et 6 — dans la case B à droite — avaient également émis des traites bancaires au nom des mêmes personnes reliées à d'autres enquêtes sur des activités terroristes dans la case C.

Je vais maintenant vous expliquer les liens aux individus et aux activités financières dans la case D, au bas du tableau. Si nous examinons encore une fois les transactions financières de la personne 6 dans la case B, à l'extrémité droite de la case, nous voyons que cet individu et la société à numéro 5 détiennent les comptes 16 et 17, situés dans la case D, juste en bas de cette case. Des déclarations de transactions douteuses ont été déposées pour ces comptes de même que d'autres dans la case D.

Une entité a déclaré que la personne 2 — qui, je vous le rappelle, a fait l'objet de l'enquête initiale dans la case A — avait déposé des chèques au cours d'une semaine dans le compte 14 de la case D et que des traites bancaires avaient ensuite été émises à partir de ce compte. Les chèques initialement déposés ont ensuite été retournés comme chèques sans provision une fois les traites bancaires émises.

Notre analyse des bénéficiaires des traites bancaires a révélé qu'une a été émise au compte de la personne 6 dans la case B et aux personnes 15 et 16 à l'extrémité droite de la case D. Par l'analyse de leurs transactions financières, nous avons découvert que ces individus avaient également fait des dépôts en espèces dans le compte d'affaires de la personne 2, qui avait été l'objet de la DRTV initiale.

Les rapports concernant des transactions douteuses, portant sur des comptes de la case D ont indiqué que les activités de ces comptes correspondaient à des stratagèmes de détournement avec fuite. Un détournement avec fuite a lieu lorsqu'un titulaire de carte utilise, ou essaie d'utiliser, un chèque frauduleux ou sans provision pour effectuer un paiement sur une carte de crédit ou d'autres comptes, pour augmenter sa marge disponible, pour faire des achats ou des avances en espèces, sachant que le chèque sera ensuite retourné comme étant sans provision. On suspecte que des détournements avec fuite ont été utilisés pour le financement du terrorisme et d'autres activités criminelles.

Enfin, lors de notre analyse, nous avons également comparé les transactions financières avec des indicateurs du CANAFE et des indicateurs reconnus sur le plan international au sujet du blanchiment d'argent et du financement du terrorisme, et nous avons constaté que les indicateurs suivants s'appliquaient à ce cas. Il y avait différents individus et entités opérant à partir de la même adresse et de multiples entités déclarant des transactions douteuses. Le client préférait des transactions sous le seuil de déclaration, probablement pour éviter ces déclarations, et faisait des télévirements de petites sommes envoyées aux mêmes individus. Les déclarations de l'entité indiquaient des liens possibles à des activités criminelles et enfin, les méthodes ou les types de transactions étaient semblables à celles d'un groupe ou d'une entité terroriste.

Grâce à cette analyse, nous avons été en mesure de fournir des renseignements financiers aux forces policières au sujet de leur enquête, de même que de nouveaux individus et des comptes que nous avions découverts. Les divulgations du CANAFE comprennent normalement un tableau i2, comme celui que vous avez devant vous, et qui, comme vous pouvez le constater, nous aide à expliquer comment les personnes sont liées l'une à l'autre et comment le transfert de fonds se fait au pays et, selon le cas, dans des comptes étrangers. La majorité de nos dossiers de financement d'activités terroristes comprennent des télévirements internationaux, qui peuvent nous fournir des pistes d'enquête sur de nouvelles cibles et des associés dans des pays étrangers.

Vous pouvez voir dans le tableau que ces renseignements fournis par les forces policières dans la case A nous ont permis de retracer des individus, des comptes et des entreprises liés aux personnes sous enquête, et nous avons pu établir des liens entre certains de ces individus et d'autres enquêtes sur le financement du terrorisme qui ne semblaient pas y être reliés.

Voilà un avantage clé de notre analyse des transactions financières sur les enquêtes concernant le blanchiment d'argent ou le financement du terrorisme. L'argent laisse des traces et peut révéler qui participe à ces activités et quelle est la portée de cette participation, et mène souvent à la destination probablement finale des fonds. Suivre la piste de l'argent fournit un point de vue unique qu'on n'obtient pas à partir des autres sources de renseignements.

[Français]

Il me fera plaisir de répondre à vos questions.

[Traduction]

Le sénateur Furey : À titre de renseignement, quelle serait la taille des télévirements ou des dépôts en espèces, ainsi que des autres transferts? Sont-ils d'une taille particulière?

Mme Jelmini : Oui, les DOIE, les déclarations d'opérations importantes en espèces, doivent être d'au moins 10 000 $. En moyenne, il y avait eu un bon nombre de dépôts en espèces dans ces comptes. C'était une entreprise utilisant beaucoup l'argent comptant.

Le sénateur Furey : Une fois que vous recevez cette déclaration volontaire, vous examinez les plus petits montants également. Est-ce exact?

Mme Jelmini : Les plus petits montants ont fait l'objet de déclarations des transactions douteuses. Les traites bancaires et les télévirements signalés au CANAFE sont de 10 000 $ ou plus. Les transactions de moins de 10 000 $ se retrouvent seulement dans les déclarations d'opérations douteuses. Dans ce cas précis, les traites bancaires achetées étaient de moins de 10 000 $, probablement, comme je l'ai dit, pour contourner les exigences de déclarations au CANAFE. Il y avait une gamme de transactions dans cette déclaration. Certaines étaient de moins de 10 000 $, et les télévirements avaient tendance à être, évidemment, en différents montants de plus de 10 000 $.

Le sénateur Furey : La plupart des montants pour les traites bancaires sont moindres, mais les télévirements sont plus importants.

Mme Jelmini : Ils sont de plus de 10 000 $, oui.

[Français]

Le sénateur Joyal : Ma première question est liée au cadre légal qui régit vos opérations. Depuis son adoption, en 2001, avez-vous constaté dans la loi des éléments qui nécessiteraient un amendement ou une modification afin de vous permettre d'atteindre vos objectifs, ou si le cadre législatif actuel vous satisfait pleinement?

M. Meunier : Depuis 2001, des changements législatifs ont, en effet, été apportés et entérinés par le gouvernement. En 2006, l'adoption du projet de loi C-25 a amené des changements bénéfiques pour notre organisation et pour le régime comme tel.

À tous les cinq ans, une révision de la loi est prévue. Nous approchons de cette date. Non seulement cette revue, mais celles réalisées par le vérificateur général nous ont toujours été très utiles. D'ailleurs, le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce a formulé des recommandations, qui furent entérinées et qui nous ont beaucoup aidés du point de vue législatif. Les changements apportés ont inclus l'élargissement des données que l'on pouvait divulguer ainsi qu'un accroissement du nombre d'entités déclarantes devant se rapporter ou se conformer à la loi. Ces modifications visaient notamment les notaires de la Colombie-Britannique, les détaillants en matière de pierres précieuses et aussi les personnes qui font le développement de maisons.

Le sénateur Joyal : Les promoteurs immobiliers?

M. Meunier : Oui. Ces changements nous ont permis d'augmenter l'efficacité, l'utilité et le nombre de divulgations que nous avons effectuées depuis 2001, soit depuis l'entrée en vigueur de la loi. On a ajouté également un nouveau type de rapport : les déclarations de déboursements de casino. Ces nouvelles mesures nous ont permis d'être plus efficaces et de fournir des informations plus pointues aux corps policiers pour leurs enquêtes.

Le sénateur Joyal : Vous n'avez donc aucune recommandation ou aucun amendement à proposer pour la révision quinquennale de la loi?

M. Meunier : Nous consulterons le ministère des Finances et commencerons notre examen sous peu pour identifier des améliorations possibles à loi.

Le sénateur Joyal : Vous avez mentionné plus tôt, monsieur Carrière — et j'utilise les termes même de la loi — « des motifs raisonnables de soupçonner ». Dans une poursuite en vertu du droit pénal, il suffit de soulever un doute raisonnable pour que l'accusé soit libéré de l'accusation qui pèse contre lui.

Dans le cas particulier de vos opérations, qui évalue s'il existe des motifs raisonnables de soupçonner? En d'autres mots, quelle est l'autorité qui vous supervise eu égard à la conclusion que vous tirez que, dans un cas particulier, il existe des motifs raisonnables de soupçonner?

M. Carrière : Évidemment, une expertise est produite au sein de CANAFE pour savoir si on a atteint le seuil légal et des conseils juridiques sont fournis au besoin. CANAFE se soumet également à un examen, à tous les deux ans, par le commissaire à la vie privée sur l'utilisation des renseignements sous son contrôle. Le vérificateur général peut également faire un examen de CANAFE — et cela s'est déjà produit. Dans les deux cas, les rapports ont clairement indiqué que CANAFE avait respecté ses obligations en vertu de la loi.

Le sénateur Joyal : Prenons l'exemple d'une personne qui apprend qu'elle fait l'objet d'une évaluation de votre part. Cette personne estime qu'elle est tout à fait honnête et qu'il n'existe aucun motif douteux derrière les transactions en cours. Malgré tout, vous la soupçonnez. Vers quelle autorité juridique cette personne pourra-t-elle se tourner afin de demander que l'on cesse l'opération en cours?

M. Meunier : Les informations que nous divulguons ne constituent que des soupçons et non des preuves. Dans certains cas, les personnes font l'objet de demandes d'accès à l'information. Parfois, pour des rapports de transactions transfrontalières en matière d'espèces, il est possible de savoir si effectivement la transaction a été rapportée à CANAFE. Toutefois, la personne ne peut savoir si nous avons divulgué cette information aux corps policiers. Pour l'instant, le demandeur ne peut s'adresser à personne, car nous ne sommes pas autorisés à divulguer cette information aux individus. Est-ce que je me trompe?

M. Carrière : Les renseignements que CANAFE divulgue aux forces policières permettent à celles-ci de faire enquête si elles le jugent approprié. Ce serait plutôt aux forces policières de déterminer si les renseignements que CANAFE leur fournit sont effectivement des preuves d'une activité criminelle ou non.

Le sénateur Joyal : Un individu ne peut donc pas faire cesser une évaluation de ses transactions lorsqu'il se sent lésé dans son droit à la vie privé, même s'il n'a rien à se reprocher, alors que vous le soupçonnez néanmoins. Par conséquent, la loi ne prévoit pas, pour cette personne, la possibilité d'obtenir d'une autorité judiciaire quelconque un arrêt de l'évaluation que vous effectuez pour les transactions en cause?

M. Carrière : Des mesures sont prévues à la loi pour garantir la protection des renseignements que CANAFE possède.

Supposons qu'une entité déclarante ait fait une déclaration d'opérations suspectes à mon sujet auprès de CANAFE. En tant que citoyen, je ne serai pas au courant de cette déclaration. À moins que ces renseignements soient divulgués, une fois le seuil légal atteint, et à moins que les policiers fassent enquête et déposent des accusations, cette démarche n'aura pas un grand impact sur moi. Je ne serai au courant de rien, ces renseignements demeureront protégés à l'intérieur de CANAFE et ne seront pas partagés avec qui que ce soit.

Le sénateur Joyal : Est-ce que vous ne devriez pas vous pencher sur cette question lors de la révision de la loi qui aura lieu au cours des prochains mois?

M. Meunier : Le ministre des Finances est la personne responsable de notre loi et nous lui soumettrons cette question.

Le sénateur Joyal : Parce que si je cite la loi qui vous constitue, le paragraphe au milieu de la page 2 de votre mémoire :

Notre loi stipule que nous ne pouvons communiquer des renseignements [...] que lorsque nous avons des motifs raisonnables de soupçonner qu'ils seraient utiles aux fins d'enquête ou de poursuites relativement [...],

Soit une infraction de recyclage des produits de la criminalité, dans le cas éventuel des groupes de crime organisé, les gangs de motards par exemple ...

[...] ou de financement d'activités terroristes [...],

Donc un organisme terroriste qui a été déclaré organisme terroriste en vertu de la Loi antiterroriste au Canada.

Vous couvrez donc deux terrains, vous couvrez à la fois l'antiterrorisme, les organismes qui serviraient à recevoir des fonds probablement pour financer du terrorisme, mais également les enquêtes sur la criminalité en général. C'est, encore une fois, très général.

Quelle part de vos activités d'enquête est consacrée aux poursuites relativement aux produits de la criminalité versus celles relatives au financement d'organismes terroristes?

M. Meunier : Je dirais que la proportion est d'à peu près 80 p. 100 des divulgations concernant le blanchiment d'argent, alors qu'à peu près 20 p. 100 de nos divulgations touchent nos soupçons par rapport aux activités terroristes.

Le sénateur Joyal : Donc une grande part de vos activités, de votre surveillance de transferts financiers — parce qu'on parle essentiellement de transferts financiers — est principalement reliée à des activités de blanchiment d'argent qui peuvent être reliées au crime organisé?

M. Meunier : C'est exact.

Le sénateur Joyal : Vous mentionnez, à la page 1 de votre rapport :

Même si plus de 130 pays ont un genre d'unité du renseignement financier [...]

Est-ce que vous avez des ententes de transfert d'information avec un certain nombre de pays? Et est-ce que ces ententes sont régies d'une certaine façon par des conventions internationales, ou si ce sont des ententes que vous négociez de gré à gré entre chaque pays concerné? Et combien avez-vous d'ententes de ce genre?

M. Meunier : Nous avons 71 protocoles d'entente à ce jour, avec des unités étrangères. La loi prévoit justement que nous ne pouvons échanger de renseignements financiers avec nos pairs étrangers sans le protocole. M. Carrière pourrait peut-être expliquer ce protocole.

M. Carrière : La loi exige que le protocole précise les fins auxquelles les renseignements peuvent être utilisés. Cela doit être à des fins d'enquêtes ou de poursuites relativement à une infraction de recyclage des produits de la criminalité, ou une infraction de financement des activités terroristes ou une infraction essentiellement similaire. Le protocole d'entente doit également prévoir que les renseignements seront traités de façon confidentielle par le pays qui les reçoit. Et au contraire des divulgations que le CANAFE fait aux forces policières, dans ce cas-ci, la loi prévoit qu'on a le choix de divulguer ou pas. Par contre, la loi précise qu'on ne peut échanger avec ces pays que des renseignements désignés. On ne parle donc pas de n'importe quel renseignement que le CANAFE possède mais uniquement les renseignements désignés définis dans la loi et le règlement.

Le sénateur Joyal : Prenons le cas de deux pays particuliers, la Tunisie et l'Égypte, deux pays au centre de l'actualité actuellement. Est-ce que vous avez des ententes d'échange d'informations avec ces deux pays?

M. Meunier : Nous avons une entente avec l'Égypte mais pas avec la Tunisie.

Le sénateur Joyal : Pas avec la Tunisie. Par conséquent, dans tout le débat public actuel sur la source ou l'acquisition de fonds présumés appartenir à des dirigeants ou aux familles des dirigeants de ces pays, est-ce que, dans le contexte de l'attention internationale et du contexte particulier dans lequel ces pays se retrouvent, vous êtes en mesure de suivre les fonds qui pourraient transiter entre différentes entités financières ou les personnes dans le contexte des activités de votre organisme?

M. Meunier : La loi nous empêche de parler spécifiquement de cas, particulièrement des cas que tout le monde connaît. Cependant, je dois vous dire qu'en général, même avec les pays avec qui nous n'avons pas d'accord, nous ne pouvons pas faire de demande d'information, mais il est toujours possible pour nous de recevoir des informations volontairement de ces pays.

Et j'aimerais rajouter que cela ne nous empêche pas de recevoir les informations qui nous sont fournies par les entités déclarantes. Particulièrement dans les cas de télévirements internationaux, les institutions financières nous donnent ces informations. Donc nous savons exactement s'il y a eu des transferts de fonds d'un pays vers le Canada ou du Canada vers ces autres pays. Alors nous avons ces informations.

De plus, lorsqu'on parle de divulgation d'informations, les corps policiers peuvent nous donner des informations volontairement via leur propre réseau. Donc, via le réseau, ils peuvent toujours obtenir des informations concernant des transferts et nous les remettre volontairement.

[Traduction]

Le sénateur Wallin : J'ai un point de vue philosophique un peu différent. Je m'inquiète que vous n'ayez pas suffisamment de pouvoir pour faire ce que vous faites. Je m'inquiète qu'il y ait trop peu de restrictions lorsque je lis une phrase qui énonce que : « Le Centre n'est pas un organisme d'enquête et il n'a pas les pouvoirs pour réunir les éléments de preuve [...] » Je comprends que saisir et geler des fonds et déposer des accusations sont des actes juridiques, mais parlez- vous d'« éléments de preuve » seulement au sens juridique? Car évidemment, vous rassemblez des renseignements.

M. Meunier : C'est exact. Nous l'utilisons au sens juridique. Nous recevons et analysons des renseignements, et parce que nous devons respecter certaines conditions, c'est-à-dire les soupçons raisonnables, nous fournissons ces pistes aux policiers et cela leur donne l'occasion de trouver des preuves grâce aux outils prévus par le Code criminel. Nous ne rassemblons pas les preuves. On pourrait dire que nous rassemblons des renseignements.

Le sénateur Wallin : Ensuite, vous analysez.

M. Meunier : Nous analysons.

Le sénateur Wallin : Cependant, si vous constatez quelque chose de préoccupant, avez-vous les pouvoirs pour communiquer avec l'entité qui vous a fourni les renseignements, que ce soit une banque ou une autre institution, pour lui dire que vous vous posez des questions et lui demander de vous aider à clarifier la situation? Avez-vous la capacité de faire cela?

M. Meunier : Nous n'avons pas la capacité de retourner voir une entité déclarante et demander des renseignements supplémentaires. La loi est claire et on comprend que cela pourrait être considéré comme une violation des droits prévus par la Charte comme une fouille et saisie déraisonnables.

Nous recevons les renseignements, et à cause du type d'agence que nous sommes et du fait que nous recevons des renseignements de nombreuses entités déclarantes, nous pouvons fournir une bonne image des transactions. Lorsque nous fournissons ces renseignements aux policiers, ils peuvent, s'ils le veulent, poursuivre l'enquête et déposer des affidavits.

Le président : Si je comprends bien, à l'appui de la question de la sénatrice Wallin, vous rassemblez les données, vous les avez. Les données viennent à vous par le système normal de déclaration, qui n'est pas exactement passif mais prescriptif — il est toujours appliqué en vertu de la loi — ou est-ce que vous le faites parce qu'une agence vous a demandé de faire enquête sur des dossiers qui ont été expliqués avec compétence par Mme Jelmini à l'aide du tableau.

Lorsque vous recevez les renseignements, vous n'avez pas un mandat pour aller plus loin, mais les organisations policières — et le SCRS ou d'autres — ont la capacité d'obtenir un mandat et d'utiliser les renseignements que vous leur avez fournis pour justifier le mandat. Une fois un mandat obtenu, les policiers ont la capacité juridique de poursuivre les enquêtes dont parlait la sénatrice Wallin. Ai-je bien compris?

M. Meunier : Oui.

Le président : Est-ce une bonne explication du fonctionnement?

M. Carrière : Le CANAFE a des pouvoirs en matière de conformité, donc si une entité déclarante ne fournit pas les renseignements exigés, le CANAFE peut utiliser ces pouvoirs pour obtenir les renseignements en question.

Le sénateur Wallin : Je vais revenir à la question du sénateur Joyal et essayer encore une fois. Y a-t-il une chose, si vous aviez la capacité de la mettre en œuvre, qui vous rendrait la vie plus facile et vous permettrait de travailler plus rapidement? Y a-t-il une chose qui vous aiderait à avoir un accès plus efficace aux renseignements?

Le président : Autre que de permettre à votre loi de contourner la Charte des droits et libertés, qui est une recommandation à laquelle nous ne songerons pas.

Le sénateur Joyal : Je ne l'appuierais pas de toute façon.

Le président : Je suis ravi d'entendre cela.

M. Meunier : Lors du dernier examen, nous avons rassemblé toute une équipe du CANAFE pour examiner tous ces aspects. Les suggestions que nous avons présentées sont examinées par le ministère des Finances afin d'en déterminer les avantages et les inconvénients. Toutes les agences de renseignement vous diraient qu'elles en veulent plus. L'élément essentiel pour une agence de renseignement, c'est l'analyse. Plus on obtient de renseignements, plus cela coûte cher pour en faire l'analyse et la disséminer. Nous sommes également préoccupés par la protection de la vie privée, car c'est un facteur important.

En général, je vous dirais qu'il est préférable d'obtenir plus de renseignements, mais il faut tenir compte des questions de protection de la vie privée, des coûts d'opération et des coûts d'analyse.

Le sénateur Wallin : Vous dites dans vos faits saillants que le Commissariat à la protection de la vie privée vous a félicité pour votre travail. Il est évident que vous faites attention à cette question.

Savez-vous s'il y a des pratiques exemplaires qui pourraient profiter à d'autres organisations? Dans un autre comité, nous examinons le projet de loi S-13, l'Accord Shiprider, et il y a certaines préoccupations concernant l'échange de renseignements avec les Américains. Nous en avons encore entendu parler à l'aube de l'Accord sur le périmètre de sécurité entre le président Obama et le premier ministre Harper vendredi. Avez-vous tiré des leçons à ce sujet tout en exécutant votre travail?

M. Meunier : C'est une question difficile.

Le sénateur Wallin : L'avocat a une réponse.

M. Carrière : En tant qu'avocat, je suis ravi que la loi et les règlements décrivent en détail ce que nous avons le droit de faire, ce que nous devons faire, ce que nous devons recueillir et ce que nous avons le droit de recueillir. Cela ne résout pas tous les problèmes, mais cela nous offre certainement de bonnes lignes directrices à tout le moins quant à ce que nous devrions faire.

M. Meunier : Si vous me le permettez, je dois dire que cela ne touche pas nécessairement qu'à la protection de la vie privée. Le CANAFE est unique car très peu d'organisations dans le monde font ce que nous faisons de la façon dont le faisons, surtout en ce qui concerne les télévirements. Très peu d'organisations comme la nôtre reçoivent ces renseignements de façon électronique et sur les télévirements de plus de 10 000 $. C'est utile non seulement dans les cas de blanchiment d'argent que nous analysons, mais aussi pour le financement du terrorisme. S'il y a une pratique exemplaire sur le plan mondial, c'est celle-là.

Les États-Unis discutent maintenant d'adopter une approche semblable avec FinCEN, une organisation semblable à la nôtre. Il y en a une en Australie, mais il n'y en a que quelques-unes dans le monde. Si nous voulons nous attaquer au financement du terrorisme, voilà des renseignements essentiels. Nos partenaires de la police et nous savons à quel point c'est utile.

Cela ne touche pas à la protection de la vie privée, mais il s'agit certainement d'un obstacle que nous avons surmonté au Canada.

Le sénateur Wallin : C'est une bonne réponse, merci.

Pourquoi avez-vous des bureaux régionaux? Quelle en est la raison d'être?

M. Meunier : Nos bureaux régionaux sont situés à Montréal, Vancouver et Toronto, et ils couvrent chaque section du pays. Ils s'occupent surtout de la conformité, et ils travaillent avec toutes les entités déclarantes comme les banques, les casinos, les services financiers, les entreprises et l'immobilier afin d'interpréter les politiques, d'offrir de l'aide à ce sujet et de veiller à ce que toutes ces organisations respectent la loi.

Le sénateur Wallin : Les règles diffèrent-elles énormément d'une province à l'autre?

M. Meunier : Non, mais il y a parfois des différences au sujet de l'identification que l'on doit fournir. Certaines provinces ne permettent pas, par exemple, l'utilisation des cartes d'assurance-maladie comme pièces d'identité du gouvernement, mais ce sont de petites différences. La loi est appliquée.

Le président : Je respecte le fait que vous ne puissiez pas discuter de dossiers précis. Cependant, serait-il juste pour un citoyen de conclure, lorsque l'un de nos réseaux nationaux décide de déclarer une transaction énorme à un casino qui semble dépasser le seuil de 10 000 $, que vos systèmes analysent ce type de transaction? Serait-il juste de conclure que si quelque chose attire votre attention, vous pouvez l'examiner, si vous croyez que c'est nécessaire, selon les dispositions des lois? Est-ce une conclusion juste que pourrait tirer un citoyen?

M. Meunier : Il serait juste de tirer cette conclusion. Cependant, nous avons des logiciels qui analysent ces choses, et cela ne représente pas la grande majorité de nos dossiers. Comme nous l'avons dit, les déclarations volontaires constituent un important déclencheur pour nous. Toutefois, nous avons des logiciels qui examinent certains types de transactions dans des secteurs particuliers, et nos analystes utilisent les résultats de ces recherches informatiques pour déceler des habitudes.

Le président : Si quelqu'un entrait dans un casino au Canada et achetait pour 100 000 $ de jetons d'un coup, est-ce le type de transaction normative qui se retrouvait dans votre système?

M. Meunier : Pour des raisons opérationnelles, je ne dirais pas qu'obligatoirement cette transaction s'afficherait, mais il y a une combinaison de règles que nous avons prévues qui repèrent des types de transactions, leur fréquence, leur emplacement, et cetera. Il ne s'agit pas d'un seul critère, mais d'une série de critères.

Le sénateur Marshall : Vous parliez plus tôt des différentes organisations ou personnes qui doivent faire des déclarations, et vous parliez des banques, des casinos et des institutions financières. Comment savez-vous que vous avez repéré tout le monde? Il y a non seulement des banques, que vous pouvez repérer, mais il y a aussi des personnes, comme des comptables. Comment savez-vous que vous avez tous les gens qui doivent effectuer des déclarations?

M. Meunier : Eh bien, je vais essayer de répondre de deux façons. La loi précise quels secteurs sont réputés vulnérables, non seulement au Canada, mais un organisme international a également ciblé certains secteurs de l'économie où le risque de blanchiment d'argent ou de financement du terrorisme est plus élevé. Cela comprend les comptables, les courtiers et agents immobiliers, et cetera. Le ministère des Finances, en collaboration avec le secteur privé et les forces policières, a déterminé les secteurs généraux qui sont à risque. Pour chaque groupe, par exemple, nous n'exigeons pas l'inscription des comptables ou des agents immobiliers, et cetera, mais nous exigeons l'inscription des entreprises de transfert de fonds ou de vente de titres négociables. C'est considéré comme un secteur de l'économie où le risque est plus élevé pour ce type d'activité, que ce soit le blanchiment d'argent ou le financement du terrorisme. La loi a évolué, et les règlements couvrent ces secteurs.

Le sénateur Marshall : Est-ce que votre organisation a repéré des personnes ou des organisations qui n'ont pas fait de déclaration mais qui auraient dû le faire? Est-ce possible que diverses organisations ou personnes passent entre les mailles du filet? Je pense que nous parlons de milliers de personnes et d'organisations. Êtes-vous certain de repérer tout le monde? Et une fois que vous avez dépisté tout le monde, êtes-vous certain d'être informé de toutes les transactions?

M. Meunier : Les agents régionaux de la conformité ont pour tâche de s'assurer de la conformité aux règlements. Nous avons estimé, de façon très approximative, qu'il y a environ 300 000 entités déclarantes au Canada. Notre programme de conformité est fondé sur les risques. En gros, nous visons les secteurs et les personnes œuvrant dans les secteurs où nous croyons qu'il y a un risque plus élevé de non-conformité, soit parce que les déclarations ne sont pas adéquates, que les clients ne sont pas bien repérés ou qu'il n'y a pas de tenue de registres, parce qu'il y a des obligations à ce sujet également. Il y a aussi les obligations en vertu du régime de conformité et la détermination des risques. Chaque entité déclarante doit adapter son régime de conformité au risque de sa clientèle. Voilà ce que ces entités examinent; il y a une composante aléatoire et une composante ciblée. Nos agents de la conformité ont relevé un certain nombre d'entités déclarantes qui ne sont pas conformes, et dans de nombreux cas, on a émis des amendes ou on a transféré aux forces policières les cas où il semble y avoir de graves possibilités de malversation.

M. Carrière : La loi autorise le CANAFE à établir des accords d'échange de renseignements avec les organismes de réglementation et de supervision de l'industrie, et le CANAFE collabore avec les associations et différents secteurs. Toute association est généralement très au courant de qui sont ses membres.

Le président : Lors d'un discours à Halifax en juillet 2009, je pense que votre directrice s'est dite mal à l'aise de la relation avec l'industrie du jeu, notant que les systèmes de déclaration n'étaient pas aussi solides qu'elle le souhaiterait. Elle a aussi parlé de lancer un projet pilote avec la Commission des jeux de l'Ontario, et c'est tout à son honneur.

Lorsque vous répondrez aux questions de mon collègue, pouvez-vous nous dire si ce projet pilote ou le travail fait depuis juillet 2009 vous a permis de mesurer l'ampleur du problème?

M. Meunier : Vous avez raison. Notre directrice a effectivement tenu ses propos dans un discours prononcé à Halifax. Malheureusement, je n'ai pas reçu le plus récent compte rendu sur le partenariat ou le projet pilote.

Le président : Pourriez-vous transmettre au comité les renseignements que vous obtiendrez à ce sujet?

M. Meunier : Volontiers.

Le sénateur Marshall : En vertu de la loi, certains renseignements doivent vous être transmis. Vous arrive-t-il d'avoir des difficultés à obtenir toute l'information à laquelle vous avez droit? Vous avez dit tout à l'heure que vous recevez de l'information, mais vous ne pouvez pas demander des renseignements additionnels ou des éclaircissements à ceux qui vont l'ont fournie. Avez-vous du mal à recevoir toute l'information que la loi oblige les gens à vous fournir?

M. Meunier : Il y a un volet d'assurance de la qualité au CANAFE. Quand nous recevons des rapports incomplets, ils sont rejetés et n'entrent même pas dans le système s'il manque des éléments d'information importants.

Nous remarquons parfois des erreurs banales comme celles qui sont dues au système informatique d'une institution financière. Celle-ci peut alors nous envoyer de l'information incomplète. Dans ce cas, nous la relançons, parce qu'évidemment cela va toucher des centaines de rapports. Il est possible de le faire s'il s'agit d'un problème technique, par exemple.

Quand nos employés chargés de vérifier la conformité procèdent à un examen, ils peuvent nous signaler ce genre d'erreur dans les rapports reçus et prendre les mesures nécessaires pour assurer la conformité.

Le sénateur Marshall : Comment vos analystes traitent-ils les données? Vous recevez des données de 30 000 ou 40 000 particuliers ou sociétés, et vous aviez instauré certaines modalités, que vous avez améliorées au cours des dernières années, si bien que vous disposez à présent d'un bon produit. Parlez-nous des analystes. Qui fait votre programmation? Se fait-elle à l'interne? Qu'en est-il du respect de la confidentialité? Qu'arrive-t-il aux données? Votre organisme en accumule une quantité importante.

M. Meunier : Nous recevons environ 65 000 rapports par jour. Évidemment, nos outils informatiques sont extrêmement importants. Nous recevons en moyenne 200 transactions douteuses par jour, et elles nous amènent parfois à demander une explication dans le rapport, c'est-à-dire les motifs raisonnables de soupçonner. C'est l'élément d'information clé.

Mme Jelmini : Dans 99 p. 100 des cas, les rapports nous sont transmis par voie électronique, et nous utilisons les outils que nous avons conçus à l'interne. Le système fait des recoupements entre les rapports soumis à partir des noms, des dates de naissance. D'autres types de rapports seront appariés à une déclaration d'opérations douteuses. Un chef d'équipe ou un gestionnaire détermine ensuite si le cas sera renvoyé à un analyste pour qu'il procède à un examen plus approfondi et voit s'il est nécessaire d'aller plus loin. Nous disposons d'appareils très puissants capables de faire les recoupements de données nécessaires pour que nous puissions faire une première évaluation afin de déterminer s'il y a lieu d'ouvrir un dossier.

Le sénateur Marshall : Votre organisme a-t-il déjà été soumis à un examen de sécurité, relativement au respect de la confidentialité? Y a-t-il de tels examens en permanence?

M. Meunier : La Commissaire à la protection de la vie privée est tenue de réaliser un examen tous les deux ans. Sa dernière vérification nous était très favorable, mais elle a bien sûr noté certains points à améliorer. Toutefois, son évaluation de notre infrastructure de sécurité était très élogieuse et elle a souligné que nous avions instauré certaines pratiques exemplaires. Sur ce plan, nous avons été très bien cotés.

Le sénateur Marshall : Vous avez signé des protocoles d'entente avec d'autres pays. Y a-t-il un échange constant de données, ou obtenez-vous de l'information selon les besoins?

Mme Jelmini : Cela se fait au cas par cas quand nous souhaitons analyser certaines transactions faites dans un pays donné; nous recevons aussi des demandes d'autres pays pour leurs enquêtes. La disposition sur l'information désignée décrit les renseignements que nous pouvons communiquer à un autre pays. Nous ne pouvons transmettre à une unité du renseignement financier que les renseignements expressément désignés par la loi. L'analyste chargé d'un cas détermine la nécessité de faire une demande au pays X. Nous envoyons alors une demande d'information au dit pays expliquant notre enquête et nos soupçons à l'origine de cette demande. C'est ainsi qu'on rédige des protocoles d'entente avec d'autres pays. De notre côté, nous recevons aussi des demandes d'information du même genre.

Le sénateur Joyal : Quand vous recevez une demande d'information d'un autre pays, êtes-vous en mesure d'évaluer si elle est fondée sur des motifs raisonnables? Évaluez-vous le principe ou le critère en fonction duquel ce pays a jugé une transaction douteuse? Ou prenez-vous ses affirmations pour argent comptant, d'après le nom du titulaire du compte et le numéro de celui-ci et l'information abstraite que vous devez fournir?

[Français]

Évaluez-vous la pertinence de cette demande en fonction des critères qui vous gouvernent, lesquels basés sur des motifs raisonnables de croire?

[Traduction]

Mme Jelmini : Quand nous recevons une demande d'information de l'unité du renseignement financier d'un autre pays, nous procédons à une évaluation. Il faut tout d'abord avoir un protocole d'entente en vigueur pour pouvoir échanger de l'information désignée, si la demande répond à nos autres critères.

Si nous avons effectivement un protocole d'entente avec le pays, nous évaluons la qualité de la demande de renseignements reçue de son unité du renseignement financier : qui est visé par l'enquête, de quelle activité suspecte s'agit-il et quel est le lien avec le Canada? Ensuite, nous analysons le dossier à la lumière de l'information que nous avons, comme nous le ferions pour n'importe quel autre cas. Ensuite, en nous fondant sur nos critères de divulgation, nous évaluons si l'information que nous avons est pertinente pour l'enquête de ce pays étranger.

Les critères de divulgation s'appliquent lorsque nous détenons l'information. Après avoir reçu une demande, nous évaluons l'information comme s'il s'agissait d'un dossier d'information volontaire communiquée par la police ou un particulier, d'après les renseignements qu'on nous a transmis.

Le mandat des unités du renseignement financier comprend la réalisation d'enquêtes sur le blanchissement d'argent et le financement d'organisations terroristes. Quand un pays nous informe d'une enquête sur un cas de blanchissement d'argent, il nous donne les détails et nous procédons à une analyse indépendante; avant de communiquer l'information à l'unité du renseignement financier qui en a fait la demande, nous déterminons si cela satisfait aux critères de divulgation.

Le sénateur Joyal : Autrement dit, vous imposez aux demandes étrangères les mêmes critères qu'aux demandes de source canadienne?

Mme Jelmini : Oui, effectivement.

M. Meunier : J'ajouterais que nous pouvons divulguer des renseignements, mais nous ne sommes pas tenus de le faire. Il arrive qu'après avoir signé un accord avec un pays, la situation politique ou celle de la sécurité change dans ce pays. Pour ces raisons, nous jugeons parfois nécessaire de revoir une évaluation déjà terminée. Par conséquent, nous pouvons décider de ne pas communiquer l'information demandée.

Le sénateur Joyal : Comme vous le savez, les gens qui détiennent le pouvoir dans un pays peuvent se servir de ces renseignements pour poursuivre leurs propres citoyens. Certains exemples me viennent à l'esprit, mais je ne veux pas les citer pour ne pas vous plonger dans l'embarras.

M. Meunier : Je comprends.

Le sénateur Joyal : Ce pourrait être une pratique courante dans bien des cas.

Le sénateur Furey : Merci d'être des nôtres aujourd'hui. Monsieur Meunier, vous avez dit que le CANAFE est un organisme d'analyse qui recueille des renseignements pour ensuite les communiquer à des organismes d'enquête. Êtes- vous autorisés à communiquer vos analyses et, si oui, le faites-vous souvent?

M. Meunier : Nous ne communiquons à personne nos rapports d'analyse. Il arrive que nous séparions certaines données parce que nous avons parfois des renseignements non désignés. La loi prescrit ce que nous avons le droit de divulguer, mais il arrive dans les rapports que nous recevons des entités déclarantes qu'il y ait des renseignements qui ne répondent pas aux critères de divulgation, si bien que nous ne les communiquons pas.

Le sénateur Furey : Si votre loi vous permettait de communiquer également vos analyses, cela serait-il utile pour les organismes d'enquête?

M. Meunier : Les corps policiers peuvent obtenir une ordonnance de communication de même qu'une autorisation judiciaire s'ils estiment que nous avons d'autres renseignements qui pourraient leur être utiles.

Toutefois, notre façon de traiter les demandes de divulgation a beaucoup changé au cours des cinq dernières années. En fait, les divulgations ont augmenté de plus de 244 p. 100. Elles grimpent en flèche depuis 2005-2006, grâce aux connaissances poussées de nos effectifs, à des ressources supplémentaires, aux changements apportés à nos modalités et à l'amélioration de nos outils d'analyse. Les changements législatifs nous ont permis de rendre nos rapports encore plus efficaces. Les corps policiers et autres organismes d'application de la loi avec lesquels nous traitons se disent extrêmement satisfaits de la qualité de nos rapports, de l'augmentation du nombre de comptes divulgués, du nombre de personnes associées, et ainsi de suite.

À la suite de ce changement, je crois que nous n'avons pas reçu d'ordonnances de communication. Je n'en ai pas le nombre exact, mais je me rappelle que de deux ou trois cas environ.

M. Carrière : Pas beaucoup plus.

M. Meunier : Au début, la police se demandait si nous avions beaucoup d'autres renseignements à leur transmettre. À présent, nous sommes très rapides et dans le cas d'affaires particulièrement importantes, par exemple le financement d'activités terroristes, nous pouvons donner suite à la demande de la police en moins de 24 heures. C'est notre priorité et nous consacrons à de tels cas toutes nos ressources disponibles.

Cependant, voilà environ trois ans, notre délai de réponse était de 134 jours en moyenne pour les affaires de blanchiment d'argent et de financement d'activités terroristes. Il est beaucoup plus court dans le cas du financement d'activités terroristes. Aujourd'hui, il est d'environ 60 jours, en moyenne. Cela ne veut pas dire que si nous recevons une demande du SCRS le vendredi, nous travaillerons pendant la fin de semaine pour y répondre.

Le sénateur Furey : D'après votre rapport de 2010, de 60 à 70 rapports portaient sur le financement d'activités terroristes. Savez-vous combien de ces cas ont abouti à des mises en accusation ou si les enquêtes sont toujours en cours?

Mme Jelmini : Je n'ai pas de nombre quant aux accusations portées. Quand nous divulguons des renseignements, nous demandons à nos partenaires de nous en informer. Nous suivons également à l'interne ce qui se dit dans les médias pour voir s'il est question de cas auxquels nous avons contribué par de l'information précise.

Je n'ai pas de statistiques précises, mais je sais que nous contribuons aux enquêtes sur un grand nombre d'affaires qui sont rapportées dans les médias lorsque des accusations sont portées.

Le sénateur Furey : Madame Jelmini, merci de ce tableau. Il est complet et très compliqué. À la case D, vous parlez des motifs de soupçon, entre autres le dépôt de chèques, des traites bancaires émises et des chèques sans provision. Pourriez-vous expliquer ces motifs? Si une personne dépose un chèque puis fait un retrait sur le même compte, je ne comprends pas pourquoi la banque accepterait d'encaisser le chèque avant qu'il soit vérifié. Je suis un peu perplexe.

Mme Jelmini : Il s'agit souvent d'un genre de fraude appelé « détournement avec fuite ». L'individu peut utiliser sa propre identité ou une fausse identité, le but étant d'obtenir une bonne cote de crédit. Ainsi, lorsqu'il y a un certain laps de temps entre le dépôt des chèques, on fait des retraits. Le système est vulnérable sur ce plan, mais il arrive tout de même à déceler certains profils. Voilà en gros ce qu'on appelle « détournement avec fuite ».

L'individu finira par disparaître ou par déclarer faillite. C'est une fraude délibérée visant à faire de l'argent rapidement.

Le sénateur Furey : Il n'y a pas un seul dépôt et un seul retrait, mais une multitude de transactions bancaires.

Mme Jelmini : Exactement. On voit à la case D que plusieurs DOD ont été signalées relativement à ce type d'activité. J'ai essayé de réduire au minimum les activités indiquées dans les cases.

Le président : Avant de passer au deuxième tour, j'ai une question au sujet du tableau. Il en ressort très clairement que si un de nos corps policiers ou organismes de renseignement vous demande une analyse, vous parcourez vos ensembles de données pour trouver l'information pouvant correspondre à sa demande et vous la lui communiquez une fois que vous avez déterminé que la divulgation est justifiée. Tout cela me semble bien normal.

Qu'arrive-t-il si, en l'absence d'une déclaration volontaire et sans avoir reçu une demande précise d'un organisme de sécurité nationale ou d'un corps policier, vous décelez dans vos données courantes deux ou trois transactions qui vous semblent mériter un examen plus poussé? Cela peut arriver parce que l'information atteint un certain seuil ou correspond à un profil, et vous décidez qu'elle devrait être divulguée.

Comment prenez-vous cette décision, ne sachant pas si la transaction dénote de l'évasion fiscale, du blanchiment d'argent, de la contrebande de cigarettes ou du virement de fonds à différents groupes terroristes d'Amérique centrale? Comment déterminez-vous à qui transmettre l'information? La décision se fait-elle à l'interne? Décidez-vous de communiquer l'information parce que c'est le dossier sur lequel vous travaillez? J'aimerais savoir comment vous prenez cette décision.

Mme Jelmini : Ces cas retiennent notre attention parce qu'ils correspondent à un profil suspect d'activités financières; nous évaluons donc ces renseignements et nous avons accès à différentes bases de données. Si les individus sont connus ou ont été mentionnés dans les médias, nous essayons de faire le lien avec des données de source libre. Nous consultons aussi les bases de données de corps policiers et d'organismes de sécurité nationale. Cela nous aide à déterminer si les transactions douteuses pourraient être liées à une enquête sur le financement de groupes terroristes, sur des menaces ou sur du blanchiment d'argent, ou encore si les individus en question font l'objet d'enquêtes de la part d'un corps policier ou d'un autre organisme étranger; si c'est mentionné dans les médias. Pour constituer notre dossier, nous consultons un éventail de sources. Les renseignements que nous obtenons nous aident à déterminer s'il s'agit de blanchiment d'argent ou de financement d'activités terroristes. Il faut qu'un facteur autre qu'un emplacement suspect lie les transactions au financement d'activités terroristes. Enfin, nous fondons notre décision sur un ensemble de facteurs.

Avant de transmettre le dossier à l'ARC ou à l'ASFC, nous devons satisfaire à deux critères établis dans la loi pour déterminer si les renseignements peuvent avoir un lien avec soit le blanchiment d'argent, soit le financement d'activités terroristes. Ensuite, nous devons déterminer s'ils correspondent au mandat de l'organisme. Nous devons également déterminer s'il pourrait s'agir d'évasion fiscale. Tout cela se fait, encore une fois, à l'aide d'indicateurs. Nous collaborons avec nos partenaires pour établir des indicateurs possibles d'évasion fiscale. Nous nous servons de ces indicateurs dans notre analyse pour déterminer s'ils s'appliquent. Après avoir établi que les renseignements correspondent bien à ce deuxième critère, nous recommandons que les renseignements soient également communiqués à l'ARC.

Le président : Ces indicateurs font-ils partie d'un logiciel qui vous aide à prendre ces décisions le plus vite possible, étant donné la quantité colossale d'information que vous recevez tous les jours, ou est-ce que tout repose sur les analyses du meilleur cas par des analystes compétents qui s'efforcent de travailler aussi vite que possible?

Mme Jelmini : Exactement. Dès la réception des données, un mécanisme vérifie les règles et le système peut signaler certaines transactions suspectes. Au cours de l'analyse du cas, nous observons les indicateurs que j'ai mentionnés dans mon exposé. Ils sont dérivés d'indicateurs reconnus dans le monde comme ceux du GAFI, ou d'indicateurs déterminés par des groupes de travail sur la typologie et les unités de renseignement financier du Groupe Egmont. L'ARC a également ses propres indicateurs de cas potentiels de blanchiment d'argent. Ces indicateurs découlent de typologies établies par des experts du domaine. Nous examinons alors les transactions pour voir si elles correspondent aux indicateurs.

Le président : Un autre comité a récemment eu des échanges cordiaux avec une délégation de parlementaires d'un pays exportateur de pétrole de la région du Golfe. Un de nos collègues de l'Île-du-Prince-Édouard a posé des questions au sujet des dons que ce pays faisait à des écoles du Canada à différentes fins. La délégation a donné une réponse modérée et réfléchie : « Bien sûr que nous faisons des dons à des écoles du Canada. Nous le faisons parce qu'ils sont approuvés par la Couronne. » La délégation était bien intentionnée, mais elle a peut-être confondu l'approbation de la Couronne avec l'émission d'un reçu d'impôt.

Si quelqu'un donnait 250 000 $ à une école ou à un centre communautaire qui produisait ensuite un chèque émis par une banque canadienne pour ce montant ou la confirmation d'un dépôt, et si cette école ou ce centre communautaire agissait selon les schèmes indiqués sur votre tableau, le système signalerait-il cette transaction?

Mme Jelmini : Nous sommes informés des transactions importantes en espèces. Chaque fois qu'un dépôt en argent comptant excède 10 000 $, l'entité déclarante doit nous le signaler. Si l'institution financière trouve la transaction douteuse, elle envoie au CANAFE une déclaration d'opérations douteuses en précisant les motifs de ces soupçons. Voilà les cas où nous recevons ces renseignements.

Le sénateur Joyal : J'aimerais revenir sur votre réponse au sénateur Furey au sujet du nombre de dossiers ouverts à la suite du transfert d'information. Je suis étonné que vous n'ayez pas de recueil de ces dossiers, puisque c'est vraiment la seule façon de mesurer l'efficacité de votre organisme. Vous pouvez obtenir des renseignements, mais ils doivent être traités quelque part — que ce soit par le SCRS, l'ARC, la GRC ou un autre corps policier.

J'ai du mal à croire que vous n'ayez pas ces statistiques — à moins que vous ne vouliez pas les divulguer. C'est à mon avis la seule façon d'évaluer votre efficacité.

M. Meunier : Excusez-moi, monsieur le sénateur, je ne suis pas sûr d'avoir bien compris le sens de votre question. Vous parlez de dossiers ouverts? Je peux essayer de répondre.

[Français]

Le sénateur Joyal : J'ai de la difficulté à comprendre que vous n'ayez aucun chiffre sur le nombre d'enquêtes qui ont été initiées soit par le SCRS soit par la GRC soit par un corps de police provincial ou municipal, soit par une autre agence concernée dans les informations que vous rassemblez. Cela permettrait de déterminer si l'évaluation que vous faites des motifs raisonnables de déclarer est juste dans la majorité des cas, si vous suivez les bons filons. Parce que, ultimement, cela mènerait à des accusations dans les cas de terrorisme, de financement d'organismes terroristes, ce qui est défendu par la loi ou dans le cas du ministère du Revenu, d'évasions fiscales, et cetera.

J'ai de la difficulté à comprendre que vous ne suiviez pas, avec toute la capacité informatique que vous avez, les causes, sinon de vous en remettre aux journaux. Vous ouvrez le journal le lundi matin et vous êtes heureux d'y voir une arrestation.

Cela m'apparaît un peu gros comme réponse, sauf tout le respect que je vous dois. Avec tous les millions dollars des contribuables canadiens que vous dépensez, forcément, avec les 300 personnes à votre service.

M. Meunier : Je vais tenter de répondre à votre question. D'abord, nous avons des déclarations de renseignements transmis volontairement DRTV, en anglais les VIRS. Dans presque tous les cas, lorsque nous recevons des DRTV c'est qu'il y a une enquête en cours. De prime abord, nous savons que lorsque l'information nous est transmise volontairement, c'est qu'il y a une certaine connexion, un bien-fondé. Cela représente 80 p. 100 de nos cas. Donc, dans les situations où nous recevons une DRTV et que nous n'avons pas de renseignement ou peu ou ne rencontrons pas le seuil pour divulguer, à ce moment, nos recherches se terminent là.

Les provinces aussi poursuivent des enquêtes, particulièrement sur le blanchiment d'argent. Il faut une certaine coordination avec la Couronne provinciale, et cetera, pour suivre tous ces dossiers. Si on pouvait bâtir un système qui pouvait nous donner toutes ces informations ce serait idéal.

Cependant, ce qui est important n'est pas nécessairement d'avoir toute cette information puisque notre rôle est de fournir des renseignements utiles aux corps policiers. Et nous le mesurons depuis quelques années. Depuis deux ans, nous avons mis en place des questionnaires qui sont remis aux corps policiers à qui on demande de la rétroaction dans les 30 jours après la réception de notre divulgation et aussi, à la fin de leur enquête, pour nous indiquer son statut. Comme vous le savez, les enquêtes criminelles peuvent prendre plusieurs années. Nous commençons maintenant à recevoir des informations sur les cas que nous avons divulgués il y a deux ans avec le nouveau questionnaire. J'anticipe que d'ici quelques années, nous aurons une meilleure base de données qui nous permettra d'identifier les cas où on a fait des divulgations ainsi que leurs issues.

C'est un programme que nous avons mis en place il y a quelques années. Suite aux recommandations de la vérificatrice générale et du commissaire à la vie privé, nous devrions obtenir des renseignements sur notre rendement qui pourra, lui, s'améliorer au fur et à mesure.

Le sénateur Joyal : C'est ce que j'allais soulever. J'imagine que l'équipe de la vérificatrice générale, Mme Fraser, a dû, tout simplement avoir recours au principe « value for money », à savoir que si telles sommes sont dépensées au sein de cette agence, que peut-on réellement en retirer ou quelle utilisation pratique est faite des informations qui sont rassemblées par cette agence.

M. Meunier : La rétroaction des corps policiers est aussi très bonne. Nous en mesurons la satisfaction. Nous ne pouvons pas juger nous-mêmes des activités et des ressources disponibles pour les corps policiers. Ils ont leurs priorités et, même si nous leur donnons des pistes à suivre, ils sont eux aussi limités au niveau de leurs ressources. Nous ne pouvons donc pas nous attendre à une conclusion unique pour tous les cas.

À l'occasion, nous avons déjà constaté des divulgations faites séparément; il y a deux ou trois divulgations et on s'aperçoit qu'elles concernent un réseau en particulier. Ils doivent alors décider s'ils vont effectivement poursuivre 50 personnes ou plutôt trois ou quatre personnes. Nous pouvons avoir émis une dizaine de divulgations et qu'en fin de compte les informations ne soient utilisées pour enquête que sur deux ou trois des plus importants individus en question. Il est difficile d'utiliser ces mesures à titre de mesures de rendement. Nous faisons ce que nous pouvons avec le nouveau questionnaire afin de jauger l'appréciation des corps policiers concernant la qualité de l'information que nous leur transmettons.

Le sénateur Joyal : Vous dites avoir un programme en place depuis deux ans et que ce programme vous aidera à évaluer votre efficacité et vos cibles de travail.

Parmi les ententes avec les pays tiers concernant les échanges d'informations, vous est-il déjà arrivé de vous buter au secret bancaire de certains pays, pour ne pas nommer la Suisse?

Mme Jelmini : Nous n'avons pas actuellement de protocole d'entente avec la Suisse. Nous n'avons pas réussi à conclure une entente avec ce pays et ce n'est donc pas un des pays avec lesquels nous procédons à des échanges. Naturellement, certains pays ont des règles différentes et certains pays n'auront pas nécessairement l'information disponible. Toutefois, l'échange se déroule normalement bien avec les pays avec lesquels nous avons des protocoles d'entente.

Le sénateur Joyal : Je serai plus précis encore; avez-vous des ententes avec d'autres pays reconnus comme étant des paradis fiscaux?

M. Meunier : Je dirais que oui : les Bahamas, la Barbade, les Bermudes, les Îles Vierges et les Îles Caïman. Nous avons des protocoles d'entente avec ces pays qui, d'après l'OCDE, ont déjà été identifiés par le passé comme étant des paradis fiscaux.

Le sénateur Joyal : J'aimerais obtenir une précision concernant les négociations au G8 au sujet de l'ouverture des pays qui imposent le secret bancaire. Parmi les objectifs définis, est-ce que l'objectif concernant la relaxation du secret bancaire — qui est poursuivi au sein du G20 et en particulier à l'intérieur de l'Union européenne — cela faciliterait votre travail si on en arrivait à une relaxation du secret bancaire?

M. Meunier : Cette question relève du ministre des Finances; CANAFE ne s'occupe pas de traités en vertu de la fiscalité. Nous transigeons avec nos pairs qui sont des unités de renseignements financiers à l'étranger. Dans le cadre de nos échanges d'informations, nous ne nous concentrons normalement pas sur l'évasion fiscale, mais bien sur le blanchiment d'argent ou, encore, sur le financement d'activités terroristes. Pour nous, les échanges d'informations se font avec nos pairs à l'étranger et c'est à eux de décider. Lorsque nous faisons des demandes d'informations, les demandes sont faites au niveau du blanchiment d'argent.

Mme Jelmini : Les échanges se font avec certains pays que M. Meunier a très bien identifiés. Il y a échange d'information au point de vue de la cellule de renseignements financiers.

M. Meunier : C'est du renseignement qui touche spécifiquement le blanchiment d'argent et le financement d'activités terroristes. J'avais l'impression que vous parliez peut-être d'évasion fiscale.

Le sénateur Joyal : Je parlais des trois volets puisque l'évasion fiscale est tout de même un acte criminel.

M. Meunier : Effectivement, sauf que l'évasion fiscale est une infraction sous-jacente au blanchiment d'argent que depuis le mois de juillet de cette année, si je ne m'abuse.

Le sénateur Joyal : Mais dans le cas du blanchiment d'argent, c'est une activité extrêmement importante. On sait très bien comment la Suisse est utilisée par plusieurs dictateurs, plusieurs organismes criminels à travers le monde pour servir de lieu où on blanchit l'opération, afin de lui donner un caractère de légitimité par la suite. Ça m'apparaît un élément extrêmement important de l'efficacité de vos activités d'être face à un pays comme celui-là qui, finalement, n'aide pas les pays comme le Canada et d'autres qui essaient de lutter contre le blanchiment d'argent et le financement d'activités terroristes.

M. Meunier : Que ce soit ce pays ou d'autres pays qui sont des paradis fiscaux ou peu importe, ce qui attire notre attention, notre analyse, ce sont les transactions qui suivent — j'allais dire les tendances de blanchiment d'argent — qui répondent aux indices de blanchiment d'argent et aux activités terroristes. Cela ne nous empêche pas non plus d'identifier des cas où il y aurait possiblement de l'évasion fiscale, mais je dois dire que notre mandat nous focalise sur les transactions qui ressemblent pas nécessairement à de l'évasion fiscale, mais plutôt au blanchiment d'argent. Dans certains cas, les indices sont semblables. Je ne veux pas dire qu'on ignore les cas où les transactions qui nous proviennent de paradis fiscaux. Au contraire, on s'en occupe. Mais là où notre attention se concentre, ce sont sur les tendances de transactions financières qui ressemblent au blanchiment d'argent.

M. Carrière : L'important est de faire la différence entre le blanchiment d'argent et l'infraction sous-jacente. Par exemple, si je vends de la drogue, c'est un crime; mais je n'ai pas nécessairement blanchi de l'argent parce que j'ai vendu de la drogue. Si je suis un consommateur, je peux facilement consommer tout mon profit et ne pas blanchir d'argent du tout. C'est la même chose pour beaucoup d'autres infractions. CANAFE s'occupe vraiment du côté blanchiment et non pas du volet qui concerne les infractions sous-jacentes au blanchiment d'argent, donc pas à l'infraction qui a servi à produire le produit de la criminalité.

[Traduction]

Le sénateur Wallin : Je comprends votre réticence à donner des chiffres puisqu'il y a un mécanisme automatique qui déclenche votre intervention et que vous n'avez aucun contrôle sur les poursuites intentées par d'autres pays ou les activités au Canada.

Vous avez donné quelques chiffres et on a mentionné aujourd'hui que beaucoup plus de dossiers sont liés au blanchiment d'argent qu'au financement d'activités terroristes. Cela se comprend, car il est beaucoup plus difficile de repérer et de confirmer le financement d'activités terroristes.

Votre travail est-il plus difficile parce que vous n'avez pas accès aux renseignements des organismes sans but lucratif, caritatifs ou pseudo-religieux, ou parce que des restrictions s'appliquent? Nous savons que c'est le cas aux États-Unis, et j'imagine que le même problème se pose au Canada.

Mme Jelmini : Environ le tiers des renseignements communiqués par le CANAFE touchent des œuvres de bienfaisance. Le site Internet de l'ARC nous donne accès à beaucoup de renseignements. Lorsqu'on soupçonne un organisme caritatif d'être impliqué dans une transaction douteuse, on obtient beaucoup de renseignements de la part de la Direction des organismes de bienfaisance de l'ARC. Le CANAFE communique aussi des renseignements pertinents à cette direction.

Le sénateur Wallin : Le problème se pose lorsque l'organisation caritative ou l'organisme sans but lucratif n'a pas de statut officiel.

M. Meunier : À ce moment-là, le secteur privé ou les entités déclarantes jouent un rôle capital. Nous leur fournissons des lignes de conduite leur permettant de repérer les transactions douteuses. Évidemment, ils peuvent surveiller les transferts électroniques de fonds — les TEF — et nous transmettre les rapports concernant des transactions douteuses ou même les rapports de petits dépôts. Lorsqu'ils décèlent des profils, ils nous envoient des renseignements sur différentes activités, notamment sur les dépôts faits par une personne ayant plusieurs comptes où sont versés des fonds recueillis ailleurs. Ils peuvent déceler ces profils et nous envoyer des renseignements à ce sujet. Ces rapports concernant des transactions douteuses peuvent nous être très utiles.

C'est une tâche difficile et complexe. Je dirais que 95 p. 100 de nos communications renferment des rapports provenant de banques; 50 p. 100 des transactions viennent de banques d'épargne et environ 5 p. 100, des casinos. Quand nous montons un dossier, nous obtenons des renseignements de nombreuses entités déclarantes. Celles-ci — tout particulièrement les banques et les banques d'épargne — nous ont aidés à détecter les transactions douteuses, particulièrement en ce qui concerne le financement d'activités terroristes.

Le sénateur Wallin : On nous a parlé de sommes faramineuses versées pour Haïti et même d'argent envoyé en Égypte. Il est bien difficile de savoir où va cet argent et à quoi il sert.

M. Meunier : Dans certains cas, nous faisons appel à la police et au SCRS.

Le sénateur Wallin : C'est à l'autre bout.

M. Meunier : Ils ont des activités internationales du fait qu'ils ont des agents de liaison et des collègues dans d'autres corps policiers et d'autres organismes de sécurité. Peu importe la destination de l'argent, si on soupçonne le financement d'activités terroristes, ils nous en font part ou du moins nous comptons sur eux pour nous mettre au courant. Nous avons toujours eu d'excellentes relations avec eux, mais nos relations se sont intensifiées au cours des dernières années et ils nous mettent au courant dès le début de leurs enquêtes. J'espère avoir répondu à votre question.

Le sénateur Wallin : Cela me rassure.

Le sénateur Joyal : J'ai une question sur la sécurité de votre système informatique. Est-il vraiment impénétrable? Nous apprenons aujourd'hui par les médias que le système confidentiel d'une institution financière a été mis sur écoute et qu'il y a eu une fuite d'information. Et pourtant, les employés de cette banque pensaient que leur système était protégé par les règles de sécurité les plus strictes.

[Français]

Jusqu'à quel point votre système est-il sécuritaire?

M. Meunier : À notre avis, notre système est très sécuritaire. Personne n'a accès à nos données de l'extérieur. À ce sujet, je puis vous référer au rapport du commissaire à la vie privée qui, justement, a fait un examen portant sur la sécurité de nos systèmes informatiques et a conclu qu'ils sont très robustes.

Je ne sais pas si mes collègues ont quelque chose à ajouter sur ce point. Nous avons confiance en la sécurité de nos systèmes. Personne n'y a accès de l'extérieur. Lorsque nous embauchons du personnel, les candidats sont soumis à une vérification. Chaque employé de CANAFE doit posséder une cote secrète et doit remplir les conditions pour le niveau « très secret ».

Donc, du point de vue de la sécurité nationale, nous avons grande confiance en notre personnel. Comme je vous l'ai mentionné, personne n'a accès à nos systèmes de l'extérieur.

Le sénateur Joyal : Ce sera le cas aussi longtemps que vous ne serez pas victime d'une entité telle Wikileaks, comme on l'a vu au cours des derniers mois. Vous fonctionnez parmi les organismes les plus sensibles du gouvernement canadien, avec les corps de police et la Gendarmerie royale. Vous êtes liés à la sécurité de l'État directement. Il me semble que vous avez un devoir de responsabilisation à l'égard de la sécurité de votre système qui m'apparaît exceptionnel, compte tenu des informations que vous détenez sur les individus et sur les gouvernements.

M. Meunier : Vous avez raison, et nous prenons cette responsabilité très au sérieux. Nos partenaires sont du SCRC et de diverses communautés de la sécurité au Canada. Je vous assure qu'ils ne partageraient pas leur information avec nous s'ils n'avaient pas confiance en nous.

Nous faisons l'objet de vérifications en matière de sécurité et d'infrastructure par le Communications Security Establishment (CSE). Nous sommes satisfaits et confiants de la sécurité de notre infrastructure et de notre personnel. Heureusement, à ce jour, nous n'avons pas connu de difficulté de ce côté. Évidemment, nous espérons que cela se poursuivra. Toutefois, nous prenons ces responsabilités très au sérieux.

Cette semaine, notre personnel participera justement à une campagne annuelle de rafraîchissement des règles de sécurité. Nous suivons la politique gouvernementale en matière de sécurité de façon presque exemplaire, d'après les propos du commissaire à la protection de la vie privée. Nous estimons donc être en bonne position, et nous prenons nos responsabilités très au sérieux.

[Traduction]

Le sénateur Marshall : Êtes-vous au courant d'une infraction à la sécurité?

M. Meunier : Je ne suis au courant d'aucune infraction à la sécurité, quoi qu'il y ait eu d'autres infractions.

Le sénateur Marshall : Comme le fait de laisser un porte-document dans une voiture?

M. Meunier : Non, laisser quelque chose sur votre bureau; nous avons une politique en matière de rangement des bureaux. Les gens ne peuvent pas entrer librement dans nos bureaux. Notre personnel de sécurité effectue des inspections périodiques.

Le sénateur Marshall : Avez-vous déjà eu des raisons de soupçonner que votre système avait été infiltré?

M. Meunier : Absolument pas. Nous sommes très conscients de la sécurité.

[Français]

Le sénateur Joyal : Monsieur Meunier, j'imagine que, comme tous les Canadiens, vous regardez ce qui se passe à l'étranger. Quand vous apprenez que la situation politique d'un pays est extrêmement délicate et que les personnalités dans ce pays ont des actifs connus au Canada, est-ce que cela déclenche chez vous une réflexion ou une activité quelconque?

M. Meunier : Nous lisons les journaux quotidiennement. Un service nous informe des questions qui nous intéressent. Qu'il s'agisse de blanchiment d'argent ou d'activités de financement terroriste, nous sommes informés sur une base quotidienne. Lorsque nous jugeons approprié, nous poursuivons les sources ouvertes qui nous sont disponibles pour vérifier s'il y a lieu de poursuivre avec une analyse.

Le sénateur Joyal : Votre critère de « motifs raisonnables de conclure» est moins rigoureux que celui que l'on connaît en droit pénal. Votre sensibilité doit donc être plus aigüe et vos antennes doivent avoir une plus grande portée pour capter les situations qui, à l'œil, peuvent soulever un doute raisonnable.

M. Meunier : Nous poursuivons avec notre lecture et la recherche de sources ouvertes dans les secteurs qui nous intéressent ou qui intéressent les corps policiers ou les services de sécurité.

Il n'est pas nécessaire pour nous d'avoir un doute raisonnable pour déclencher un processus ou pour lire les journaux. C'est au moment de la divulgation que nous devons rencontrer le seuil. Nous sommes aux aguets de ce qui se passe au plan mondial.

Le sénateur Joyal : On vous enverra donc des articles de journaux.

M. Meunier : Nous disposons d'un service très efficace, qui nous dessert très bien.

Le sénateur Joyal : Est-ce que vous fonctionnez souvent à partir de dénonciations anonymes?

M. Meunier : Pas souvent, mais il arrive que nous recevions des dénonciations transmises volontairement par le public. La plupart ne contiennent pas suffisamment d'informations et elles sont anonymes. Toutefois, il y a des cas où nous avons poursuivi nos enquêtes et nous avons pu faire des dénonciations aux corps policiers ou à d'autres agences.

M. Carrière : J'aimerais préciser que la loi autorise CANAFE à recevoir des informations du public uniquement si ces renseignements indiquent un soupçon concernant des activités de blanchiment ou de financement pour des groupes terroristes. Ce ne sont donc pas des dénonciations en général.

Le sénateur Joyal : Il ne s'agit pas de quelqu'un qui en veut à quelqu'un et qui donne le nom de quelqu'un tout simplement pour l'embêter en déclenchant une enquête sur ses opérations bancaires ou financières. Mais en termes courants, dans votre pratique, sur la base de l'éthique qui vous gouverne, je serais intéressé de savoir comment vous y arrivez au-delà de la simple manipulation des systèmes informatiques, comme on dit, tout à coup, lorsqu'il apparaît 10 000 dollars de plus chez tel et tel individu. Quelles sont les autres informations qui vous sont transmises qui peuvent susciter une évaluation d'une situation particulière?

Mme Jelmini : Il y a plusieurs façons d'ouvrir de nouveaux dossiers en nous basant sur des schémas d'opérations douteux ou à partir de sources médiatiques. Nous disposons aussi d'une information classifiée qui pourrait nous mener à déterminer l'ouverture d'un cas concernant une entité quelconque. Il y a une variété de sources d'informations qui nous portera à produire une analyse et ultimement à dénoncer un cas auprès d'un service approprié, services de renseignements ou autres.

Le sénateur Joyal : Un corps de police peut faire une arrestation et lors du questionnement d'un suspect découvrir de nouvelles informations qui nécessitent une enquête plus poussée de votre part en ce qui concernerait, par exemple, le blanchiment d'argent ou même d'une activité terroriste. Un présumé terroriste peut donner de l'information au cours d'une enquête qui nécessite précisément une enquête de votre part.

M. Meunier : Et cette information pourrait nous être transmise volontairement par la police à n'importe quel moment, soit au début de l'enquête ou plus tard, en fonction des faits qu'ils découvrent. On pourrait les aider à ce moment-là.

Le sénateur Joyal : Très bien, merci.

[Traduction]

Le président : Pour terminer, avez-vous une mise à jour que vous accepteriez de nous communiquer, à la suite du rapport de 2009, Typologies et tendances en matière de blanchiment d'argent et de financement du terrorisme au sein du secteur canadien des banques? Avez-vous décelé de nouvelles tendances depuis la publication de ce rapport? Est-ce que vos collègues et vous avez constaté des nouvelles tendances à l'égard desquelles nous pourrions formuler des conseils ou des réflexions qui pourraient vous être utiles, puisque c'est notre rôle de fournir des conseils sur les mesures antiterroristes?

M. Meunier : Je pense que rien n'a vraiment changé depuis. Au fil du temps, nous avons observé trois ou quatre éléments clés, surtout en ce qui concerne le financement d'activités terroristes et les menaces. Il continue à y avoir d'importants transferts électroniques de fonds. Ce n'est pas nouveau, mais ces transferts continuent. Nous constatons une utilisation continue d'entreprises comme moyen d'amalgamer ou de déguiser des fonds. En fait, je pense que cette pratique a peut-être légèrement augmenté. On continue d'utiliser des organismes sans but lucratif et des organismes de bienfaisance. C'est le principal moyen, et cela n'a pas beaucoup changé.

S'il y a une chose qui a changé légèrement au cours des quatre ou cinq dernières années, et cela doit être interprété de manière très prudente, c'est que notre détection s'est améliorée. Cela ne veut pas dire qu'il y a une augmentation de ces activités, mais simplement que nous arrivons mieux à les détecter. Nous réussissons à établir davantage de liens entre le blanchiment d'argent, le financement d'activités terroristes et les menaces à la sécurité du Canada. Nous constatons qu'un plus grand nombre de transactions s'apparentent au blanchiment d'argent. Il y a quatre ou cinq ans, environ 19 p. 100 de nos cas étaient liés au blanchiment d'argent — et je parle de cas de menaces à la sécurité du Canada et de financement d'activités terroristes — et aujourd'hui, ce taux s'élève à environ 33 p. 100. Donc, il y a eu un changement à ce niveau, mais mis à part ce que vous venez de dire, les autres éléments clés sont restés les mêmes.

Le président : Je sais que je parle au nom de tous mes collègues du comité en vous remerciant profondément, pas seulement de votre présence aujourd'hui, mais du travail extraordinaire que vous faites pour les Canadiens, pour notre sécurité nationale et pour l'intégrité de notre système financier. Nous vous remercions de nous avoir fait part de cette information, et nous vous souhaitons bonne chance dans toutes vos entreprises futures.

Pour la gouverne de tous ceux qui nous regardent et des membres du comité, notre prochaine réunion aura lieu le 14 février, à 20 heures. Nous nous rencontrerons à cette heure-là afin de pouvoir accueillir par téléconférence MM. Renwick et Syrota, d'Australie.

(La séance est levée.)


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