Délibérations du comité sénatorial spécial sur
l'Antiterrorisme
Fascicule 13 - Témoignages
OTTAWA, le lundi 14 février 2011
Le Comité sénatorial spécial sur l'antiterrorisme se réunit aujourd'hui, à 20 heures, pour étudier des questions relatives à l'antiterrorisme.
Le sénateur Hugh Segal (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Honorables sénateurs, nous en sommes à la 14e réunion du Comité sénatorial spécial sur l'antiterrorisme à la troisième session de la 40e législature. Dans l'attente d'un projet de loi provenant de la Chambre des communes, nous poursuivons notre étude sur la nature changeante de la menace terroriste au Canada. Une partie de cette étude porte sur les expériences d'autres pays qui ont adopté des mesures antiterroristes et où il existe une jurisprudence en la matière.
Aujourd'hui, nous avons la chance d'accueillir des témoins de l'Australie, un de nos alliés. Le premier témoin est M. James Renwick, un avocat réputé de la Nouvelle-Galles-du-Sud, et associé du Centre de droit international de Sydney, qui fait partie de la faculté de droit de l'Université de Sydney. Il est diplômé de l'Université de Sydney où il a reçu, à titre de titulaire de la bourse d'études Parsons, le premier doctorat en droit décerné par une université australienne. Il a été titulaire de la bourse Fulbright. M. Renwick pratique le droit commercial général et public et il est fréquemment appelé à plaider devant la Cour fédérale et la Cour suprême de l'Australie, ainsi que devant un large éventail de tribunaux et d'enquêtes. Il porte le titre de commandant de la Réserve navale royale australienne, ce qui est déjà un fait exceptionnel, au sein de laquelle il participe à des procès disciplinaires et à des enquêtes . Il est un pionnier de l'enseignement du droit sur la sécurité nationale en Australie et il est l'auteur de Counter-Terrorism and Australian Law.
Monsieur Renwick, nous sommes ravis de vous rencontrer, ainsi que monsieur Syrota.
Permettez-moi d'informer mes collègues. M. George Syrota est professeur agrégé à la faculté de droit de l'Université d'Australie-Occidentale et avocat à la Cour suprême de l'Australie-Occidentale. Il est diplômé de l'Université d'Oxford et de l'Université de Virginie. M. Syrota est un ancien conférencier de l'Université Monash à Melbourne, un ancien boursier Bigelow avec charge d'enseignement à la faculté de droit de l'Université de Chicago, ainsi qu'un ancien membre de la Commission de réforme du droit de l'Australie-Occidentale. Il a publié, entre autres, les ouvrages Australia's Counter-Terrorism Offences : A Critical Study et The Definition of `Terrorist Act'.
Nous sommes ravis que vous preniez le temps de nous aider dans nos délibérations, malgré vos horaires chargés, et que vous preniez le temps de présenter vos observations et de répondre aux questions des membres du comité. Je demanderai à M. Renwick de commencer.
Je ne crois pas que vous puissiez nous voir. Est-ce exact? Pouvez-vous nous voir?
James Renwick, associé, Centre de droit international de Sydney, Faculté de droit de l'Université de Sydney, à titre personnel : Je peux vous voir, monsieur.
Le président : Bien. C'était important. Poursuivez, je vous prie. Merci beaucoup.
M. Renwick : Mesdames et messieurs, je vous suis très reconnaissant de me donner la chance de participer à cette audience. Je compte vous livrer mes observations personnelles, fondées sur mon expérience en tant qu'avocat plaidant en pratique privée à Sydney, et éclairées par des procès pour terrorisme, en particulier un procès récent et très important auquel j'ai participé, ainsi que par mon expérience comme avocat enseignant occasionnel en Australie, où j'ai donné des cours de droit en matière de sécurité nationale.
Mes observations reposent principalement sur deux rapports, que vous avez sûrement en votre possession. Le premier est un document intitulé The Challenges of Trying Terrorists as Criminals, rapport issu de travaux que j'ai effectués à Washington à titre de titulaire d'une bourse Fulbright. L'autre document est intitulé Responding to the Threat of Jihadist Terrorism et consiste en un rapport issu d'un autre colloque que j'ai organisé et devant lequel j'ai pris la parole, mais dirigé par un groupe de réflexion australien, la Kokoda Foundation. Les pages 15 et 16 de ce rapport pourraient être très pertinentes le moment venu.
J'ai lu le bref, mais instructif résumé fourni par votre service de l'information au sujet des développements récents ici, en Australie. Tout d'abord, pour ceux qui ne connaîtraient pas bien le système australien, nous formons aussi une fédération. La Constitution de l'Australie énumère les pouvoirs spécifiques du Parlement national et confère tous les autres pouvoirs, sauf les très rares cas d'interdictions, aux parlements des États membres. Il n'existe pas d'équivalent australien à l'article 92 de votre Constitution, qui énumère les pouvoirs exclusifs conférés aux provinces.
Aucun des pouvoirs énumérés n'inclut un pouvoir général d'adopter des lois relatives aux infractions criminelles; c'est une compétence fédérale. Le Parlement national doit s'entendre avec les États, auquel cas ces derniers confient leurs pouvoirs au gouvernement fédéral — ce qui a été fait avec succès dans le cadre des affaires de terrorisme —, sinon il doit se fonder sur un autre champ de compétence, habituellement ses pouvoirs en matière de défense ou d'affaires étrangères, qui autorisent le Parlement à adopter des lois fondées sur des traités. Même si le gouvernement national assume, moyennant entente préalable, la direction des affaires antiterroristes, les parlements et les gouvernements des États ont néanmoins un rôle important à jouer. Dans un long procès pour terrorisme qui a eu lieu récemment, l'État et la police fédérale de l'Australie ont joué un rôle important.
L'équivalent australien du MI5 du Royaume-Uni — pardonnez-moi, je ne suis pas certain du nom exact de l'équivalent canadien —, l'Organisation australienne du renseignement de sécurité, l'ASIO, a le mandat de détecter et de prévenir le terrorisme. Plus particulièrement, les fonctions que lui confère la loi comprennent la protection du Commonwealth, des États et territoires qui le constituent et de leur population contre la violence à des fins politiques, y compris le terrorisme ou la promotion de la violence communale — la violence communale se définit par des activités qui visent la promotion de la violence entre différents groupes de personnes appartenant à la communauté de manière à mettre en péril la paix, l'ordre ou le bon gouvernement du Commonwealth —, que ces actes, et c'est important mesdames et messieurs les sénateurs, soient dirigés ou commis en Australie ou non. En conséquence, des agents du renseignement peuvent être mobilisés dans des opérations antiterroristes et appelés, de ce fait, à livrer des témoignages devant les tribunaux, qui doivent faire en sorte que leur identité demeure secrète.
L'ampleur réelle de la menace que le djihad radical fait peser sur l'Australie est, bien entendu, difficile à évaluer. Le nombre d'Australiens qui se déclarent eux-mêmes musulmans est relativement faible, mais significatif. Selon les données du dernier recensement australien réalisé en 2006 — il faut se rappeler que la question relative à l'appartenance religieuse est facultative —, 45 p. 100 des Australiens sont chrétiens, 1,7 p. 100 sont musulmans — je crois que nous sommes maintenant tout près de 2 p. 100 — et environ 0,5 p. 100 sont juifs.
Dans son rapport annuel au Parlement de 2009-2010, l'ASIO, qui est l'équivalent du MI5, estime que les djihadistes font peser des risques considérables sur l'Australie et sur sa population. Certains djihadistes se radicalisent en Australie, bien que de plus en plus, la radicalisation se produise par le truchement d'Internet, particulièrement lorsque de jeunes musulmans se radicalisent à l'étranger. L'ASIO dit, dans son rapport, que l'interconnectivité mondiale permet aux extrémistes locaux de se rattacher à un réseau terroriste étranger, d'adapter l'idéologie militante au contexte national et de planifier et de lancer une attaque, après mobilisation des ressources nécessaires, sans le soutien matériel d'une organisation terroriste ou sans en faire partie, ajoutant que, au cours des huit dernières années, quatre attentats potentiellement très sérieux, qui auraient pu faire un grand nombre de victimes, ont ainsi été évités.
Mes observations générales se limitent nécessairement aux rouages du droit, et certaines des conclusions que je tire s'inspirent de l'étude et de la pratique de ce droit et de discussions que j'ai eues avec des experts du domaine. Je me contenterai de nommer trois éléments que nous devons toujours garder à l'esprit et de formuler une remarque d'intérêt général.
Premièrement et principalement, il est essentiel — et je suis certain que vous en conviendrez — que la primauté du droit continue de prévaloir et, en particulier, qu'on continue d'observer les lois dûment adoptées par les gouvernements et, en cas de manquement, que des correctifs soient apportés sans tarder, faute de quoi la confiance du public pourrait s'en trouver sérieusement minée, facilitant ainsi le travail des recruteurs djihadistes.
Deuxièmement, je pense qu'il est essentiel que l'indépendance des tribunaux qui instruisent les affaires de terrorisme et que les procureurs, qui agissent à l'abri de toute ingérence politique, continuent d'affirmer et d'établir clairement que les affaires de terrorisme impliquant des menaces ou des attaques par le djihad ne mettent pas en cause l'islam comme tel. J'ai discuté avec des experts du Royaume-Uni et je pense que ce pays a fait un travail important en ce sens; il peut s'agir de choses simples comme envoyer des procureurs discuter dans les mosquées ou aller rencontrer les leaders religieux musulmans pour leur faire part des faits en cause. De la même manière, et comme l'indique le deuxième document, les États doivent monter au créneau et expliquer pourquoi les politiques antiterroristes, nuancées ou musclées — par musclées, on entend militaires —, sont justifiées; lorsqu'il y a injustice, les États doivent y remédier avec célérité et transparence.
Troisièmement, en Australie tout au moins, il faut contrer la radicalisation des musulmans dans le système carcéral, qui est en train de devenir un problème sérieux. En Australie tout au moins, les djihadistes connus qui ont été démasqués sont habituellement de jeunes hommes. Il faut donc déterminer pourquoi de jeunes hommes en Australie, de même qu'au Canada, qui ne sont pas dans le dénuement parce qu'ils ont accès à des services sociaux, empruntent la voie de la violence contre leurs compatriotes. Il sera possible de contrer ce phénomène une fois qu'il sera mieux compris. Dans le deuxième document, on se demande par quel cheminement des gens, et surtout de jeunes hommes, passent pour en venir à vouloir recruter d'autres personnes et tuer d'autres êtres humains, même au péril de leur propre vie.
Une question corollaire se pose : les gouvernements et leurs organismes doivent-ils tenter de remédier aux inégalités d'une manière plus générale et promouvoir l'harmonie et l'intégration culturelles, ou devraient-ils plutôt s'intéresser surtout à ceux qui passent aux actes, et laisser à la police et aux tribunaux la responsabilité de s'occuper d'eux? Est-il possible d'agir efficacement sur les deux tableaux? J'élabore ces idées, ainsi que d'autres, dans les deux documents qui vous ont été fournis. Je serai ravi de répondre à toutes vos questions.
Le président : Merci beaucoup, monsieur Renwick. Nous entendrons maintenant M. Syrota, puis nous passerons aux questions. Monsieur Syrota, pouvez-vous commencer maintenant?
George Syrota, professeur agrégé, Université d'Australie-Occidentale, à titre personnel : Merci beaucoup pour cette aimable introduction, je suis honoré d'avoir été invité à vous présenter cet exposé. J'ai envoyé un document au comité par l'entremise de votre admirable greffière, Mme Reynolds. Je dois la remercier officiellement d'avoir communiqué avec moi en vue de préparer cette vidéoconférence.
J'ai fait distribuer le document au comité et je vais éclaircir quelques-uns des éléments qui s'y trouvent.
L'Australie a adopté une nouvelle loi antiterroriste en 2002, à la suite des attentats terroristes contre New York et Washington le 11 septembre 2001, et dans la foulée de la résolution 1373 (2001) du Conseil de sécurité des Nations Unies, qui invite les États membres à prendre des mesures additionnelles pour prévenir et réduire les menaces terroristes.
La loi antiterroriste australienne ressemble largement à celles du Canada, du Royaume-Uni et de la Nouvelle- Zélande. Elle est fondée sur le même principe fondamental. Je pense que ce principe est mieux connu au Canada sous le terme « activité terroriste », « acte terroriste » en Australie et « terrorisme » au Royaume-Uni, mais il s'agit du même principe dans tous ces pays.
Avant de donner plus de détails au sujet de cette loi, j'aimerais vous parler de l'étendue de la menace en Australie. Le dernier attentat terroriste réussi sur le continent australien a eu lieu en 1986, il y a 25 ans. Si nous n'avons pas été victimes d'attentats terroristes depuis, malgré la radicalisation et la hausse des menaces, c'est en raison du travail des services de sécurité et la police. Le dernier attentat a été perpétré par deux hommes de la Fédération révolutionnaire arménienne. Ils ont fait exploser une voiture piégée à l'extérieur du consulat de Turquie à Melbourne en représailles au génocide allégué des Arméniens par le gouvernement turc en 1915. L'un des deux terroristes était en train de préparer la bombe dans la voiture lorsqu'elle a explosé prématurément. Il en est mort. Il ne s'agissait pas d'un attentat-suicide comme on l'entend, mais l'explosion l'a tué. L'autre individu a été retrouvé et on l'a reconnu coupable d'avoir conspiré, avec la personne décédée, en vue de provoquer une explosion susceptible de mettre la vie des gens en danger, et il s'est vu imposer une sentence de 10 ans de prison. Une seule personne a perdu la vie, soit l'autre terroriste, mais il y a eu beaucoup de dommages matériels.
Même s'il n'y a pas eu d'attentats terroristes sérieux sur le continent depuis, deux attentats à l'extérieur du pays ont été considérés comme des attaques contre l'Australie. Il y a eu tout d'abord l'attentat de Bali en 2002, au cours duquel 202 personnes, dont 88 Australiens, sont décédées. On a considéré que l'attentat constituait une attaque directe contre l'Australie. Trois des terroristes ont été reconnus coupables et exécutés il y a environ deux ans, et le cerveau des opérations, Abu Bakar Bashir, qui dirigeait les opérations, subit présentement un nouveau procès en Indonésie relativement à sa participation à cet attentat.
L'autre attentat, qui a tué neuf personnes, mais aucun Australien, s'est produit à l'ambassade australienne de Djakarta en 2004. Cet attentat, de même que celui de Bali, a été orchestré par Jemaah Islamiyah.
Nous n'avons subi aucun attentat sur le continent depuis 25 ans. Je pourrais bien vous parler d'un ou deux incidents, mais pour le moment, je vais plutôt me concentrer sur la loi elle-même.
À partir de 2002, le Parlement fédéral — M. Renwick vous a expliqué les dispositions constitutionnelles, mais c'est le Parlement du Commonwealth qui a pris les devants — a adopté de nouvelles lois, qui confèrent des pouvoirs supplémentaires de fouille, de surveillance et d'arrestation à la police fédérale, à l'ASIO, l'Organisation de sécurité du renseignement australien, ainsi qu'à d'autres organismes de sécurité. Il a créé 14 nouvelles infractions en matière de terrorisme dont la portée est sans précédent. En Australie, il y a eu beaucoup d'activité sur le plan législatif, du moins plus qu'au Canada ou ailleurs, je crois, plus particulièrement sous le gouvernement Howard. Il y a eu un ralentissement sous les gouvernements Rudd et Gillard. Il n'y a eu que quelques procès en vertu des nouvelles lois, et on n'a commencé à instruire ces procès qu'en 2006. Trois procès visaient plus d'une personne, les autres n'avaient qu'un seul accusé. Les procès qui comptaient plus d'un accusé ont duré plusieurs mois, et un de ces procès a coûté plus de 10 millions de dollars — cette estimation n'a été donnée que par les journaux. Ces procès sont donc coûteux. Vous pouvez deviner qu'ils ont suscité énormément d'intérêt dans la presse, mais je dois insister sur le fait que pour chacune des affaires, il n'y a pas eu de dommages parce que les plans ont été déjoués par la police avant qu'ils ne soient exécutés.
Je vous donne quelques exemples de ces procès pour vous brosser un tableau plus complet, mais je crois que vous constaterez que la situation ici est similaire à ce que vous vivez au Canada et en Angleterre.
Le premier condamné en vertu de la nouvelle loi a été Faheem Lodhi, en 2006. Il voulait faire sauter une partie du réseau australien d'électricité et visait également certaines cibles militaires. Il agissait seul. Il était musulman et voulait faire la promotion d'un djihad violent. Le juge au procès, qui l'a condamné à 20 ans de prison, dont 15 ans sans possibilité de libération conditionnelle, a dit que ses plans étaient amateurs et qu'ils auraient eu peu de chance de réussir, mais que s'il avait commencé à faire sauter des bombes, même si les dommages infligés au réseau électrique australien avaient été mineurs, il aurait pu mettre des gens en danger, risquer de les tuer, et c'est en fait ce qui explique cette sentence sévère.
Le deuxième procès, qui a eu lieu à Melbourne en 2008, visait neuf accusés. Je crois que cinq accusés ont été condamnés et quatre ont été acquittés. Ils envisageaient de faire sauter divers stades de Melbourne alors qu'ils auraient été remplis de monde en vue de faire un maximum de dégâts et de victimes. Les accusés voulaient également, il me semble, assassiner le Premier ministre de l'époque, John Howard.
Le troisième procès, auquel a participé mon collègue, M. Renwick, qui me corrigera si je me trompe, comptait, il me semble, cinq accusés. Ils ont tous été condamnés à Sydney. Ils étaient accusés d'avoir planifié des attentats terroristes parce qu'ils accumulaient des armes et des produits chimiques en vue de produire des explosifs, mais ils n'ont jamais réussi.
Je crois qu'on avait infligé des peines de prison — James me corrigera si je me trompe — de 23 à 28 ans, soit des peines extrêmement longues. Ce complot faisait partie de la mouvance djihadiste.
Le dernier procès, qui ne s'est conclu que tout récemment, juste avant Noël, concernait un complot mettant en cause cinq accusés, dont trois ont été condamnés et deux acquittés, et qui visait à pénétrer dans la caserne militaire de Holsworthy, en banlieue de Sydney. Les terroristes auraient été équipés d'armes automatiques et leur objectif était de tuer le plus de militaires possible. Comme j'ai dit, le complot a été déjoué.
Je vous ai parlé de ces procès pour vous donner quelques statistiques et vous guider sommairement. Ils ne donnent pas un portrait statistique exact, mais ils permettent de mieux comprendre la situation. Je crois que depuis 2006, on a accusé entre 20 et 25 personnes dans le cadre de ces procès. Tout dépend de la manière dont on les compte. La plupart d'entre eux ont été visés par plus d'un chef d'accusation, et environ les deux tiers des accusés ont été condamnés. Comme l'a souligné M. Renwick tout à l'heure, tous les accusés sont des hommes. Ils étaient musulmans de naissance ou convertis à l'islam. Quelques-uns sont nés en Australie, d'autres ont été élevés ou ont vécu de nombreuses années ici. Il s'agit plus de terrorisme local que de terrorisme étranger, comme c'était le cas le 11 septembre 2001. Ces événements ressemblent bien entendu à ce que le Canada et le Royaume-Uni ont vécu.
L'âge des accusés varie entre la mi-vingtaine et la fin de la trentaine. Ce ne sont pas des adolescents, ni vraiment des quadragénaires. Ils correspondent au groupe d'âge où se produit la radicalisation, et dans tous les procès, les accusés cherchaient à promouvoir un djihad violent.
Je reviens sur les taux de condamnation parce qu'il ne s'agit que d'une estimation. M. Renwick a participé plus activement à cet égard et il aimerait peut-être donner son point de vue; il est peut-être même en désaccord avec moi, mais à mon avis, le taux de condamnation n'est pas extraordinaire. On a condamné les deux tiers des accusés et acquitté le tiers qui reste. J'ai lu les déclarations de certains procureurs qui ont participé à ces affaires. Il s'agit d'affaires extrêmement complexes et nous devons lever notre chapeau à ces personnes, qui ont fait un excellent travail dans des circonstances très difficiles. J'ai tout de même entendu dire que le taux de condamnation n'était pas différent de celui qui a cours dans le cadre de procès criminels de droit commun pour meurtre, viol ou vol, mais en réalité, on affecte beaucoup plus de ressources policières dans un procès antiterroriste.
Les policiers et l'ASIO, ainsi que les autres organismes de sécurité, ont des pouvoirs exhaustifs en matière d'interrogation. Il y aurait lieu de se demander, compte tenu de toutes les ressources qui sont affectées, pourquoi les taux de condamnation ne sont pas plus élevés. Je vais tenter une explication partielle dans un instant et M. Renwick ne sera peut-être pas d'accord avec moi. Il a plus d'expérience. Il a participé à ces procès. L'autre jour, après la clôture du procès sur l'attentat déjoué visant la caserne de Holsworthy à Sydney qui a condamné trois accusés sur cinq et acquitté les deux autres, j'ai remarqué que dans les journaux, on disait que les policiers avaient quitté le palais de justice avec un air sombre, ce qui voulait dire qu'ils avaient souhaité un bien meilleur résultat.
Avant de parler du taux de condamnation, je voudrais parler des raisons de cette radicalisation. James en a déjà parlé, mais j'aimerais ajouter quelques éléments additionnels.
Tout d'abord, il y a la participation de l'Australie en Afghanistan. L'Australie a envoyé des militaires là-bas et, comme vous le savez, il en avait aussi affecté en Irak. L'Australie est un allié sûr et actif des États-Unis, d'Israël et du Royaume-Uni, ce qui fait de nous un pays infidèle aux yeux des terroristes. C'est de cette manière déformée qu'ils nous perçoivent.
Le juge Whealy, de la Cour suprême de la Nouvelle-Galles-du-Sud, qui a présidé deux de ces procès, dont celui de Sydney auquel M. Renwick a participé, a publié récemment un article au Royaume-Uni dans lequel il suggérait que les facteurs suivants jouaient un rôle dans la radicalisation des jeunes musulmans. Comme James l'a mentionné, on retrouve tout d'abord un accès instantané à des sites Web qui expliquent précisément comment fabriquer une bombe.
En deuxième lieu, il existe des sites Web extrémistes facilement accessibles qui font la promotion d'un djihad violent et qui prétendent que le djihad constitue une obligation louable et non seulement un droit des musulmans. Ces propos peuvent avoir des effets sur un jeune homme facilement influençable.
Il y a également des extraits vidéo d'exécutions d'otages et d'autres gestes qui peuvent nous paraître effroyables, mais qui, d'un certain sens, peuvent s'infiltrer dans les esprits de ces jeunes musulmans. Je n'ai jamais vu ces extraits moi-même, mais le juge Whealy en parle dans son article et je suis convaincu que c'est exact.
Dans son article, le Juge Whealy soulève un élément intéressant. Je vais vous lire un extrait de son discours et j'enverrai à la greffière le titre exact de l'article. Ce discours a été prononcé peu après les condamnations et le prononcé des sentences de l'affaire de Sydney, où cinq accusés ont été condamnés. Les imams, leaders des musulmans dans la région, ont condamné le procès, ce qui a évidemment déplu au juge Whealy, qui a répondu en ces termes :
[...] après le prononcé des sentences, certains grands imams de la communauté musulmane locale se sont réunis pour examiner les résultats de ce procès. Ils ont envoyé un avis à la police fédérale australienne, décrivant le procès comme une « parodie de justice » et demandant que leur soit montrée la preuve qui permettait d'établir que chacun des contrevenants avait des intentions terroristes lorsqu'ils stockaient des produits chimiques, des armes et des munitions. De telles déclarations publiques sont plutôt décevantes. Elles montrent que certains « leaders » de la communauté musulmane nient les activités d'une minorité de gens qui viennent de leur propre communauté. Ces remarques démontrent une attitude hostile tenace envers notre système juridique et l'équité des décisions du jury. Les leaders de la communauté musulmane ont manqué une occasion de déclarer publiquement qu'ils n'appuyaient pas les actes terroristes et que de telles activités devaient être condamnées par la grande majorité des musulmans d'Australie. Sans donner d'explications, ils ont préféré ignorer le fait, publiquement connu, que quatre autres hommes, complices des contrevenants qui ont été condamnés, avaient plaidé coupables à des accusations graves d'actes préparatoires à une attaque terroriste grâce aux mêmes preuves ou à des preuves similaires.
C'est une déclaration importante parce qu'il est rare que les juges parlent publiquement d'un procès après la fin de celui-ci. Il est encore plus inhabituel pour eux d'attaquer une partie précise de la communauté, mais dans cette affaire, je pense que les observations du juge Whealy étaient bien méritées et que nous devons les appuyer. Dans la dernière phrase que j'ai citée, où il dit que les leaders avaient ignoré le fait que certaines personnes avaient plaidé coupables, le juge Whealy accuse en fait les imams musulmans d'être malhonnêtes.
J'oserais dire que leur point de vue serait différent s'ils étaient ici, mais je voulais vous en parler parce que cet événement donne une idée de la polarisation sous-jacente qui renforce la radicalisation. Le fait que les imams attaquent le système d'instruction devant jury et que les juges doivent se défendre de cette manière ne favorise pas un assainissement de la situation.
Certaines des infractions qui ont été établies en 2002 ou en 2005 ont des définitions parmi les plus étendues. Tout acte préparatoire à une attaque terroriste constitue maintenant une infraction punissable en vertu de l'article 101.6 du Code criminel australien, et même si l'accusé s'est tenu le plus à l'écart possible de l'exécution de l'activité terroriste, il peut être condamné. Le seul fait d'y penser constitue plus ou moins une infraction punissable.
Je vais vous donner deux exemples d'actes qui seraient, techniquement, des infractions en vertu de la loi. Puisque l'article 83.19 du Code criminel du Canada prévoit une disposition équivalente, j'estime que mes observations d'aujourd'hui sont pertinentes. Si deux personnes se rencontrent simplement pour discuter de la possibilité de perpétrer un attentat terroriste à l'explosif, mais qu'elles ne s'entendent pas et que les choses s'arrêtent là, leur discussion serait vue comme un acte commis en préparation ou en prévision d'une attaque terroriste. Il s'agit d'une infraction.
De même, si une âme rebelle télécharge depuis l'Internet des renseignements sur la façon de fabriquer une bombe, tout en ayant l'intention de poser la bombe quelque part à Sydney, à Perth ou ailleurs, sans jamais mettre ce plan à exécution, le simple fait de télécharger cette information constitue un acte criminel passible d'une longue peine d'emprisonnement.
Le juge Whealy a justifié le pouvoir de punir ces actes préparatoires. Il a dit que la police doit pouvoir intervenir dès les premières étapes. Dans un des jugements qu'il a rendus, il déclare que ces nouvelles infractions ont pour objet de punir les gens qui envisagent de poser des gestes de nature interdite.
Il ne suffit que d'envisager un tel geste. Je vous demande si le fait de criminaliser des discussions à proprement parler violerait votre charte des droits et libertés, qui confère le droit de penser et de s'exprimer librement. Les actes en cause sont dépourvus de ces garanties constitutionnelles. Je ne fais qu'évoquer la possibilité que certaines personnes s'opposent au principe et que cette disposition soit déclarée inconstitutionnelle.
Je dirais que les juges sont réfractaires à l'idée d'invalider les lois du Parlement canadien pour des raisons on ne peut plus évidentes. Il convient en outre de souligner que la loi applicable à la haute trahison punit également les actes purement préparatoires. D'une certaine manière, l'invalidation de ces dispositions antiterroristes viendrait compromettre la loi applicable à la trahison, attestée depuis 600 ou 700 ans. C'est beaucoup en demander. Je ne sais pas si un juge serait prêt à le faire.
J'aimerais terminer en parlant de la question que vos analystes m'ont demandé d'aborder, à savoir les différentes pratiques en matière de poursuites appliquées au Royaume-Uni et en Australie. Cela me ramène à mes propos sur le taux de condamnation relativement faible. Compte tenu des ressources, deux tiers, ce n'est pas suffisant.
La définition d'« acte terroriste », sur laquelle se fondent vos lois et celles de l'Australie, tire son origine de propositions mises de l'avant au Royaume-Uni par Lord Lloyd of Berwick. Toutefois, le Parlement du Royaume-Uni en a dilué la teneur. Si vous comparez attentivement la définition du Royaume-Uni à celle que vous avez au Canada et à celle que nous avons en Australie, vous constaterez que le Royaume-Uni s'en est éloigné de deux façons.
Sans entrer dans les détails, une des intentions complexes qui doit être prouvée au Canada et en Australie en lien avec un défendeur, c'est l'intention d'intimider le public ou de contraindre le gouvernement. Est-il vraiment possible de contraindre le gouvernement? C'est difficile lorsque les gouvernements déclarent qu'ils ne cèderont pas aux menaces des terroristes. Les Britanniques ont dit que la définition causerait des problèmes, alors ils s'en sont débarrassés et ont substitué l'intention d'« influencer le gouvernement » à celle d'« intimider le gouvernement ».
Ils sont ensuite allés plus loin. Pour ce qui est des procès pour complot terroriste impliquant des explosifs ou des armes à feu, ils ont déclaré que le ministère public n'a aucunement à prouver l'une ou l'autre de ces intentions, sans doute après que le Home Office ou le Crown Prosecution Service ait fait pression en ce sens. Ils ont lu cette définition, les yeux exorbités, puis ils se sont dit qu'elle ne les mènerait nulle part. Ils n'en voulaient pas.
Ils ont ainsi diminué la pression exercée sur le ministère public. De plus, lorsqu'il n'est pas possible d'accuser le défendeur d'une des infractions prévues dans les lois générales, le Royaume-Uni a pour politique d'appliquer un seul des nouveaux chefs d'accusation de nature terroriste créés et légiférés depuis 2002.
Par exemple, pour en revenir au complot visant à attaquer les casernes de l'armée à Holsworthy, les poursuites ont été intentées en Australie en vertu des nouvelles lois antiterroristes, où le ministère public devait prouver l'intention de servir un idéal religieux, et l'intention d'intimider le public. L'Angleterre ne veut rien savoir de ce genre d'affaires, qu'elle considère trop compliquées, parce que ces poursuites peuvent donner lieu à des acquittements. Je crois que les accusations là-bas auraient porté sur un simple complot pour meurtre. Ils s'en seraient tenus aux infractions d'origine.
Lorsqu'il s'agit de comparer les pratiques du Royaume-Uni à celles de l'Australie et du Canada, il ne faut pas oublier ce qui suit : au total, au Canada, en Australie et en Nouvelle-Zélande, on compte à peine 25 procès au cours des 10 dernières années. La Grande-Bretagne — le Royaume-Uni — poursuit des terroristes depuis 35 ans en ce qui a trait aux problèmes en Irlande du Nord.
Je me demande si les pays du Commonwealth, comme le Canada, l'Australie et la Nouvelle-Zélande, lorsqu'ils ont adopté cette définition utilisée en Grande-Bretagne, savaient que les Britanniques eux-mêmes, après avoir élaboré la définition, se sont tout de suite dit en la relisant qu'elle causerait trop de difficultés. Ils s'en sont éloignés et ne s'en servent pas autant que d'autres pays du Commonwealth. Je me demande si le taux d'acquittement plus élevé est en partie attribuable à cette situation.
On peut également dire qu'en vertu des nouvelles lois antiterroristes, il est nécessaire de prouver une intention de promouvoir une cause religieuse, politique ou idéologique. Vos tribunaux ont beaucoup débattu de cette question. Dans l'affaire Khawaja, je crois que le juge Rutherford a supprimé en première instance une partie de la définition. Il l'a déclarée inconstitutionnelle. Puis, la Cour d'appel de l'Ontario a restitué le texte. Si je ne m'abuse, votre Chambre a formulé des recommandations à l'égard de cette partie de la définition, qui n'ont pas été acceptées par la Chambre basse, la Chambre des communes.
En Angleterre, on se demanderait pourquoi vous consacrez autant de temps à cette question. Pourquoi ne pas simplement intenter des poursuites en vertu des chefs d'accusation courants si possible?
Je terminerai là-dessus. Merci.
Le président : Merci, monsieur Syrota, pour ce tour d'horizon riche en renseignements. Nous passons maintenant aux questions et aux commentaires des membres de ce comité sénatorial spécial. Quatre personnes ont demandé à poser des questions. Je prierais nos collègues ici au Canada de spécifier à qui s'adresse la question, ou de dire si la question s'adresse à nos deux experts en Australie. Je cède la parole au sénateur Wallin.
Le sénateur Wallin : J'aimerais remercier nos deux témoins d'avoir défendu leurs idées. J'aimerais que vous répondiez tous deux à ce qui suit. Monsieur Renwick, dans votre document destiné au Center for Global Risk and Security, à la page 11, vous parlez de la question que vient tout juste d'aborder M. Syrota, à savoir le taux de succès et le recours à des lois antiterroristes et à des tribunaux spéciaux pour traiter de ces affaires. Vous parlez des nombreux obstacles liés aux compétences et à la preuve qui nuisent aux procureurs américains. J'aimerais en savoir davantage sur ces obstacles. Nous en avons entendu parler sous différentes formes et de différentes façons. Y a-t-il un effet dissuasif? Pourrions-nous, en vertu du Code criminel, protéger les sources de la même manière? Pourquoi y a-t-il autant de causes qui déraillent?
C'est une question un peu étrange pour M. Syrota, et je ne veux pas m'écarter trop loin du sujet en partant, mais dans certaines de vos observations, vous avez soulevé toute la question de Julian Assange, à savoir si de telles accusations pourraient éventuellement être portées contre lui en raison des déclarations qu'il a faites à propos du système capitaliste et des événements dont nous avons tous été témoins en Égypte au cours des 10 derniers jours. J'aimerais savoir ce que vous pensez de ces questions.
Allez-y, monsieur Renwick, si vous voulez.
M. Renwick : Pour ce qui est de la page 11 du document, ces observations se fondaient sur certains propos formulés par un ancien procureur expérimenté des États-Unis au sujet des difficultés qui caractérisaient les poursuites de terroristes aux États-Unis. J'ai pu voir fonctionner les deux systèmes. À la fin de 2004, je me suis rendu à Guantanamo Bay afin d'y observer le procès d'un citoyen australien, et j'ai également pu observer brièvement comment fonctionnent les tribunaux des États-Unis.
J'ai été très surpris d'entendre le procureur dire que le système de justice fédéral des États-Unis ne fonctionne pas adéquatement. Les États-Unis n'ont pas encore déterminé quoi faire avec les personnes détenues à Guantanamo Bay ni tranché la question de savoir si elles peuvent maintenant subir leur procès.
Toutefois, d'après mon expérience du système australien, je peux dire que même s'ils subissent une certaine pression, les tribunaux civils ordinaires trouvent le moyen de s'adapter, car ils ont à cœur l'ouverture de la justice, tout comme ici. Je citerais en exemple les affaires qui impliquent du chantage ou des victimes d'âge mineur ou autres, entendues en partie à huis clos. En Australie, les procès pour actes de terrorisme peuvent se dérouler à huis clos et le sont dans les situations où, par exemple, les agents du renseignement sont appelés à témoigner. Parfois, on le fait simplement par précaution.
Par exemple, il arrive qu'un seul mot puisse compromettre les agents du renseignement ou les policiers. Si l'audience se déroule à huis clos, les autorités peuvent ensuite, en 24 ou 48 heures, vérifier la transcription. Si aucun problème n'est décelé, la transcription peut alors être diffusée au public. Les médias sont exclus de la salle d'audience, mais somme toute brièvement.
L'autre chose que j'aimerais dire, c'est qu'à mon avis, il n'y a aucune raison de croire que les jurys civils normaux ne sont pas en mesure de traiter ces questions complexes — en cette époque où tout le monde ou presque sait lire. Notre système de procès devant jury se fonde sur les instructions données par les juges aux jurés, à savoir quel est le rôle des jurés, celui du juge, et quelles sont les directives à respecter.
Pour ma part, je ne vois pas du tout pourquoi l'Australie aurait besoin de tribunaux spécialisés pour les affaires de terrorisme. Je n'en connais tout simplement pas assez sur la situation du Canada pour dire autre chose que ceci : le système de common law est robuste, souple et adaptable et, selon moi, il a bien su s'adapter en Australie.
Le sénateur Wallin : Vous ne faisiez que citer le cas en exemple, plutôt que faire l'apologie des tribunaux spécialisés pour les procès de terroristes?
M. Renwick : Oui. En janvier 2008, des gens du monde entier se sont réunis dans le cadre d'un colloque à Washington. Beaucoup d'entre eux étaient Américains et M. Bush était encore président, alors la question de savoir où et comment ces personnes allaient subir leur procès suscitait bien entendu un vif intérêt.
Bien qu'il s'agisse de Chatham House, sans identifier la personne, je peux vous dire que l'opinion avait été exprimée par un ancien procureur de haut rang et que beaucoup de gens ont été surpris de l'entendre. Mon expérience m'incite à croire que les tribunaux de common law sont compétents et qu'ils sauront s'adapter.
M. Syrota : J'aimerais ajouter quelques points. Une fois de plus, il ne faut pas oublier que ce sont les Britanniques qui ont le plus d'expérience dans ce domaine; il convient donc d'examiner ce qui s'est passé là-bas. Dans l'ensemble, le Royaume-Uni a intenté de nombreuses poursuites. Il a commis une erreur, en quelque sorte, lorsqu'il a introduit l'internement. Cette mesure n'a pas fait long feu.
En outre, les tribunaux Diplock, qui étaient des tribunaux sans jury, ont été créés pour diverses raisons. Ces tribunaux spéciaux avaient été conçus pour s'occuper des terroristes. En un sens, l'idée de voir apparaître de tels tribunaux en Australie me répugne. J'estime que cette situation ne ferait qu'amplifier le sentiment qu'ont les Imams et les dirigeants musulmans d'être pris pour cibles et d'être la proie de discrimination. J'estime qu'il faut privilégier les tribunaux civils ordinaires, dans la mesure où ils sont aptes à traiter ces questions.
Je peux comprendre M. Renwick lorsqu'il dit que certains éléments de preuve doivent demeurer secrets. C'est évident. Il faudra exclure le public de la présentation de certains éléments. Toutefois, dans l'ensemble, le déroulement du procès devrait se rapprocher le plus possible de celui d'un procès ordinaire pour meurtre ou possession d'explosifs. Malgré ce que les imams ont dit d'après la citation que j'ai lue plus tôt, selon laquelle ils estiment que le procès présidé par le juge Whealy était une parodie de justice, je pense qu'on va vous le répéter des dizaines de fois si vous avez recours à des jurys civils. Les verdicts rendus par des jurys ont beaucoup de crédibilité aux yeux du public, et je les maintiendrais à tout prix.
Permettez-moi maintenant d'aborder la question que vous avez soulevée à propos de Julian Assange, parce que chaque fois qu'on allume la radio ou la télévision ici, on parle de lui et de nouveaux éléments de preuve. On ne sait pas trop ce qu'il a fait. Nous nous intéressons beaucoup à lui ici, en Australie, parce qu'il est un des nôtres. Comme vous le savez, c'est un citoyen australien.
Les accusations de haute trahison qui ont été portées contre lui aux États-Unis renchérissent sur la perfection ou sont exagérées. Il y a un léger soupçon de maccarthysme là-bas. Je ne sais pas de quelle nationalité est M. Assange. Je sais qu'il a la citoyenneté australienne. Je ne pense pas qu'il ait la citoyenneté américaine et, s'il ne l'a pas, il ne peut être reconnu coupable de haute trahison là-bas. Pour être reconnu coupable d'une telle infraction, vous devez notamment devoir allégeance au pays qui vous poursuit pour trahison. Je pense que ce n'est pas le cas.
Par ailleurs, je pense que le fondement des accusations qui ont été portées ici est que WikiLeaks a révélé des renseignements qui mettent en danger la vie d'agents de sécurité et de militaires. Là encore, je ne sais pas si cette allégation est fondée.
Supposons, par exemple, que ce soit vrai et que les vies qui sont mises en danger sont celles de militaires canadiens ou australiens. Dans ce cas, je pense qu'il pourrait être reconnu coupable de certaines infractions. Cependant, je doute que des actes de terrorisme puissent lui être reprochés, en raison de la preuve que la poursuite doit produire, à laquelle j'ai fait allusion plus tôt. Elle doit démontrer qu'il y avait une intention d'intimider le public ou de contraindre le gouvernement à faire quelque chose.
En lisant les journaux, j'ai l'impression que Julian Assange cherche à embarrasser et à influencer les gouvernements. Mais « contraindre », c'est un mot très fort; c'est mettre un pistolet sur la tempe de quelqu'un pour le forcer à faire quelque chose qu'il ne veut pas faire. Je n'ai pas vraiment l'impression que cela fait partie de la preuve qui pèse contre lui en ce moment. Je n'irai pas jusqu'à dire qu'il est tout à fait innocent, et je ne serais pas étonné si tout ce dossier s'effondrait au bout du compte, créant beaucoup d'embarras pour le gouvernement américain; mais je ne crois pas vraiment que les lois antiterroristes puissent jouer un grand rôle contre M. Assange. À mon avis, la situation est exagérée.
Le sénateur D. Smith : J'ai une question à poser à chacun des témoins, mais je les invite tous les deux à nous dire ce qu'ils pensent de la réponse de l'autre. Je m'adresse d'abord à M. Renwick.
Ma question reprend en fait la question que vous avez soulevée au point 14 de votre exposé : Quelle est la voie que les gens, particulièrement les jeunes hommes, empruntent et qui les amène au point où ils sont disposés à recruter et à tuer d'autres personnes, au risque de perdre la vie?
Dans le contexte australien, à quelles conclusions êtes-vous arrivé en répondant à cette question? La situation est peut-être la même au Canada ou au Royaume-Uni. Avez-vous tiré des conclusions à l'égard de ce qu'est cette voie?
M. Renwick : Reprenons ce document pour en examiner certaines parties. À la page 4, au point 4a), on constate d'emblée qu'il y a un degré d'asymétrie réellement nouveau dans la conduite de la guerre : il est évident qu'une seule personne ou un petit groupe peut causer des dommages immenses.
Ensuite, à la page 6, il est question du procès auquel M. Syrota faisait allusion. Le juge décrit quatre éléments qu'il a relevés chez les accusés. Tout d'abord, au bas de la page 6, il dit que chacun trouvait sa motivation dans l'idée selon laquelle le monde était, essentiellement, divisé entre ceux qui adhéraient strictement et fondamentalement à un concept rigide de la foi musulmane, voire une vision médiévale de cette foi, et ceux qui n'y adhéraient pas. Deuxièmement, chacun trouvait sa motivation dans la conviction que l'islam était menacé partout dans le monde, particulièrement par les États-Unis et ses alliés, ce qui englobait l'Australie. Troisièmement, chacun était convaincu d'avoir l'obligation, en tant que fervent musulman, de venir à la défense de l'islam et des autres musulmans. Quatrièmement, les accusés estimaient qu'il était de leur devoir, en fait un devoir religieux, de se préparer à une guerre sainte violente en Australie.
Enfin, revenons au passage du document que vous avez cité, plus particulièrement au bas de la page 15, où il est question d'une formation avec ou sans leader. De toute évidence, l'objectif de certaines personnes, c'est en fait de se joindre à Al-Qaïda ou à d'autres organisations. Elles prennent part à des camps d'entraînement à l'étranger, par exemple. Dans d'autres cas, le recrutement comporte peu de contact, comme celui qui se fait au moyen de l'Internet. Il y a aussi les cas où les gens, sans jamais être en contact direct avec des terroristes, disent : « Je suis cette doctrine » — c'est ce que l'on décrit comme le terrorisme franchisé. Il est donc très difficile de déterminer ce qui motive chaque personne.
La meilleure réponse que je puisse vous donner, c'est de vous renvoyer à la page 16, où les auteurs du document examinent un article fondamental intitulé The Staircase to Terrorism : A Psychological Exploration. Dans cet article, on utilise la métaphore selon laquelle l'acte terroriste est la dernière partie d'un escalier qui se rétrécit. Au début, on se trouve au bas d'un large escalier, avec un grand nombre de personnes. Puis, on monte. On monte jusqu'au point où la seule possibilité est de détruire la vie d'autres personnes ou de se détruire soi-même en commettant un acte terroriste.
L'auteur de cet article dresse la liste d'un certain nombre de facteurs. L'un d'eux est l'interprétation que fait la personne des conditions dans laquelle elle vit. Ces conditions peuvent être réelles ou illusoires. Comme je l'ai dit dans ma déclaration préliminaire, dans un pays industrialisé comme l'Australie ou le Canada, où il existe un système de sécurité sociale adéquat, les gens ne vivent pas dans la misère noire, dans des conditions aussi lamentables que dans les pays du tiers monde.
Les solutions qu'il propose pour remédier à l'injustice peuvent sembler, là encore, tenir du délire, ou c'est peut-être le fait que bien des gens estiment qu'il y a une injustice — par exemple, dans la politique étrangère des États-Unis.
Au point d), il est question du désengagement moral de la société, qui est très important. Si vous avez l'impression d'être totalement dissocié de la société ordinaire, si vous avez peu de contact avec monsieur et madame tout le monde et que vous traitez uniquement avec des gens radicalisés, cela peut modifier assez rapidement votre perception du monde; vous risquez donc de vous faire recruter ou de vous identifier comme un membre de l'organisation et, au bout du compte, de perdre vos inhibitions à l'égard des actes de violence.
J'ai proposé quelques mécanismes, qui ne sont pas originaux. Tout d'abord, les gouvernements et les organismes gouvernementaux doivent rendre publique toute bonne explication justifiant l'existence de ces lois et l'exécution de ces poursuites. Durant et après un procès, nous devons en entendre parler. De la même façon, s'il y a eu un fiasco gouvernemental ou si le gouvernement a mal agi, cela doit se savoir parce que, après tout, la force de la démocratie, c'est que nous acceptons de ne pas être parfaits, bien que le système, lui, soit bon.
Ce ne sont que des suggestions générales. Je ne prétends pas avoir des idées de génie, mais il y a manifestement beaucoup de travail à faire.
Le sénateur D. Smith : J'ai quelques questions à poser à M. Syrota. Vous pouvez y répondre, monsieur Renwick, si vous le souhaitez.
Vous avez parlé de la durée de certaines des peines d'emprisonnement imposées en Australie, qui sont de plus de 20 ans. Pensez-vous que la durée des peines a un effet sur la réflexion des gens qui envisagent de se joindre à ce genre d'organisation, et d'abord, s'en font-ils vraiment à cet égard? Je ne sais pas vraiment si cela influence un tant soit peu leur réflexion, surtout s'ils sont de ceux qui sont prêts à se suicider pour la cause.
À Mississauga, une ville de près d'un million d'habitants de la banlieue de Toronto, 18 personnes ont été accusées de complot en vue de faire exploser la tour du CN et d'autres endroits de la ville reine. Au début, nous avons entendu beaucoup de remarques cyniques entre les branches de la part de certains membres de la communauté musulmane. Puis, les accusations contre plusieurs de ces individus ont été retirées par manque de preuve solide. À une exception près, tous les autres accusés ont plaidé coupables. Je pense qu'un seul d'entre eux a fait l'objet d'un procès.
Bien sûr, différents éléments de cette communauté sont associés à différentes approches. Il y a plusieurs mois, le comité a reçu un témoin qui cherchait à mettre en place des programmes pour bien informer les membres de sa communauté, dont la plupart sont des jeunes, dans le but d'influencer leur réflexion et de les orienter vers une autre voie.
Qu'en pensez-vous?
M. Syrota : Je ne suis pas du tout spécialiste de ce domaine. Pour ce qui est des peines d'emprisonnement, à mon avis, ils n'en savaient pas grand-chose et ne s'en souciaient probablement pas beaucoup. De façon générale, ils savaient peut-être qu'ils se verraient imposer une peine d'emprisonnement s'ils étaient reconnus coupables. Il est difficile de dissuader des kamikazes qui sont prêts à mettre fin à leur vie.
L'un des éléments qui motivent ces jeunes gens, c'est la quantité énorme de publicité dont ils font l'objet lorsqu'ils réussissent une attaque. L'histoire fait la manchette au journal télévisé sur CBC et ABC, ici, et c'est ce dont ils ont besoin. Il est difficile de savoir ce qu'il faut faire dans le contexte d'une société où la liberté de presse est importante et doit être respectée. Je ne suis pas en train de dire qu'il faudrait limiter la liberté de presse, mais c'est l'un des aspects négatifs. La publicité dont ils font l'objet les nourrit et les motive.
L'un des premiers terroristes qui ont comparu devant la cour, ici, était un jeune musulman au début de la vingtaine. Il a été acquitté de deux chefs d'accusation liés au terrorisme, mais il a été reconnu coupable, sous un chef d'accusation, d'avoir proféré, de façon irresponsable, une menace à l'égard d'un fonctionnaire de l'État. Il recherchait l'attention des médias. Il a été interviewé par le quotidien The Australian, très heureux de cette publicité. Si vous tapez son nom dans Google, vous allez voir qu'il cherche à créer sa propre émission de télévision. Je ne sais pas dans quelle mesure son initiative suscite l'intérêt. La publicité dans les médias et l'Internet constitue en partie la base du problème.
Par ailleurs, comme je l'ai mentionné plus tôt, si les leaders ou les soi-disant leaders de la communauté ne se dissocient pas des événements et semblent fermer les yeux, il n'y a pas de motivation plus grande.
J'ai bien peur de ne pas avoir d'autre solution que celle-là. À mon avis, c'est un casse-tête et un problème pour tout le monde.
Comme le disait M. Renwick, l'Australie est une société tolérante, juste et accueillante. Il y a des fanatiques, mais ils ne sont pas nombreux. Ces gens ont passé toute leur vie ici et ils ont été plutôt bien traités; pourtant, ils se sont attaqués à la société. Il est difficile de savoir pourquoi. C'est un problème qui existe en Australie, au Canada et au Royaume- Uni, et je pense que personne n'a de solution. En tout cas, moi, je n'en ai pas.
Le sénateur D. Smith : Monsieur Renwick, que pensez-vous des peines imposées?
M. Renwick : Je n'ai rien à ajouter pour le moment.
Le sénateur Marshall : J'aimerais poser ma question à M. Syrota, mais M. Renwick peut aussi y répondre s'il le souhaite.
Vous avez dit à propos du taux de condamnation qu'il n'était pas fameux. Une fois qu'une personne est condamnée, où purge-t-elle sa peine? Ceux qui sont reconnus coupables sont-ils emprisonnés avec les autres détenus? Ceux qui sont condamnés à de longues peines d'emprisonnement sont-ils placés en isolement cellulaire ou purgent-ils leurs peines avec les autres détenus, qu'ils peuvent ainsi rallier à leur cause?
M. Syrota : Je ne le sais pas. M. Renwick est sans doute mieux placé que moi pour vous répondre car il a participé à des procès de ce genre.
Je sais par contre que, dans l'attente de leur procès, certains d'entre eux ont été placés en isolement cellulaire, mis aux fers et fouillés quotidiennement, ce qui a amené certains juges à dénoncer ce qu'ils considéraient comme des mesures excessives. Bon nombre de ces gens-là sont célibataires. Leur culpabilité n'a pas encore été prouvée, et dans certains cas, les accusations sont complètement rejetées. Il n'y a donc à mon avis aucune raison de les traiter comme s'ils étaient sur le point de faire exploser toute la planète.
Pour ce qui est de savoir où ils purgent leur peine, je crois qu'ils sont envoyés dans des prisons ordinaires, mais probablement dans des prisons à sécurité maximum, et même dans des ailes spéciales. Je suppose qu'on essaie plus tard, peu avant la fin de leur peine, de les réhabiliter afin de faciliter leur réintégration dans la société. Mais M. Renwick en sait certainement davantage à cet égard.
Le sénateur Marshall : Monsieur Renwick?
M. Renwick : Que je sache, en Nouvelle-Galles-du-Sud — j'ignore ce qu'il en est dans les autres États australiens —, ceux qui sont accusés ou reconnus coupables d'actes de terrorisme sont emprisonnés dans des conditions de sécurité extrême. Cela ne signifie pas nécessairement qu'ils sont placés en isolement cellulaire, mais plutôt qu'ils sont envoyés dans les quartiers les plus sécurisés d'une prison déjà à haute sécurité. Le professeur a raison de dire que certains juges ont dénoncé ce qu'ils considéraient comme des mesures de détention excessives de la part de la police australienne, étant donné que les détenus n'étaient pas encore reconnus coupables. Voilà pour la première partie de ma réponse.
D'un autre côté, et ce sera la deuxième partie de ma réponse, la radicalisation islamique de la population carcérale en général pose des problèmes importants, et ces mesures de détention sont peut-être nécessaires pour éviter l'intimidation des autres détenus. Ce phénomène de radicalisation n'est pas propre à l'Australie, il existe dans d'autres pays, et il faut le surveiller. Je n'ai pas de solution à proposer, mais je pense que les responsables carcéraux de tous les pays sont conscients de ce problème.
Le sénateur Marshall : Lorsqu'un détenu purge une longue peine d'emprisonnement, savez-vous si on essaie de le dé- radicaliser, de le déprogrammer en quelque sorte? Et que se passe-t-il quand il sort de prison? Est-il libre d'aller où il veut? Que se passe-t-il pendant toute sa période de détention?
M. Renwick : Je ne sais pas en quoi consistent vraiment les programmes de dé-radicalisation, mais j'ai dit, dans ma déclaration liminaire, que ces programmes étaient nécessaires. Pour ce qui est de la période postérieure à l'emprisonnement, il se peut bien sûr que le détenu ait purgé la partie incompressible de sa peine d'emprisonnement mais qu'il soit en liberté conditionnelle. Je suppose que c'est la même chose au Canada, et, à ce moment-là, le détenu a purgé la partie incompressible de sa période de détention, mais il en reste une autre partie. S'il commet une autre infraction ou qu'il se livre à d'autres actes répréhensibles, le tribunal peut lui infliger une autre peine d'emprisonnement, en plus de celle qu'il lui reste à purger.
Il y a ensuite la question de savoir ce qu'on peut faire d'eux à ce moment-là, et au moment où ils ont entièrement purgé leur peine. En Australie, nous avons, tout au moins en théorie, le système des ordonnances de contrôle qui permet à la police de demander au tribunal d'imposer des contraintes aux déplacements, aux communications, et cetera, de ces gens-là afin de s'assurer qu'ils ne commettront pas d'autres infractions et qu'ils ne radicaliseront pas d'autres éléments de la société.
Comme vous le savez, cette idée est controversée, en Australie comme au Royaume-Uni. En Australie, d'aucuns ont contesté la validité de ces lois, mais ils ont été déboutés.
Il n'en reste pas moins que toute entrave à la liberté d'une personne qui n'a pas été reconnue coupable d'une infraction est discutable. Cela dit, nous le faisons lorsque nous plaçons des gens en quarantaine. Et en Australie, dans presque tous les États, la loi prévoit que les personnes qui ont purgé des peines pour des infractions sexuelles et qui ne peuvent pas contrôler leurs pulsions peuvent se voir infliger d'autres peines d'emprisonnement, même si cela ne fait pas partie de la peine déterminée lors de la condamnation.
C'est l'un des dilemmes particulièrement difficiles qui se posent à toute démocratie : que faire de ceux qui ont purgé leur peine mais qui représentent toujours une menace pour la société? Comme je l'ai dit, il y a toute une gamme de mesures possibles.
Le sénateur Marshall : Je vois.
M. Syrota : Que je sache, le système des ordonnances de contrôle dont M. Renwick a parlé a été utilisé dans deux cas, pour Jack Thomas et pour David Hicks.
Si je me souviens bien, ces ordonnances de contrôle sont d'une durée d'un an au maximum, après quoi il faut demander leur renouvellement. Elles peuvent prendre des formes très diverses : l'imposition d'un couvre-feu à une heure précise; l'obligation de se présenter au poste de police; l'interdiction de contacter certaines personnes, et cetera. Si je me souviens bien, dans le cas de Jack Thomas, il lui était interdit de contacter ou d'appeler par téléphone toute une liste de personnes, y compris Oussama ben Laden, dont le nom figure dans l'ordonnance. Cela avait d'ailleurs suscité certaines plaisanteries, car des gens disaient : « s'il connaît son numéro de téléphone, qu'on le laisse l'appeler et comme ça, on pourra tous entendre la conversation ».
Ces ordonnances de contrôle sont controversées parce qu'elles représentent une contrainte et qu'elles peuvent être imposées à des gens qui n'ont pas été reconnus coupables d'une infraction.
Le sénateur Marshall : Est-il arrivé qu'une personne reconnue coupable ait été privée de sa citoyenneté?
M. Syrota : Je ne pense pas que ce soit arrivé, et je ne crois pas qu'une personne née en Australie pourrait se voir privée de sa nationalité. Où irait-elle? Je suppose que vous voulez parler des immigrants. Je ne sais pas si c'est arrivé à l'occasion d'une affaire de terrorisme, mais M. Renwick en sait peut-être davantage.
M. Renwick : Je n'ai, moi non plus, jamais entendu parler d'un cas de ce genre. De façon générale, sénateur, une fois que vous avez la citoyenneté, c'est le problème de l'Australie. Par contre, si vous n'êtes que résident permanent et que vous commettez certaines infractions, le ministre de l'Immigration peut fort bien vous interdire de rester plus longtemps sur le territoire.
Il existe un autre principe général selon lequel vous ne pouvez pas priver une personne de sa citoyenneté si cela la rend apatride. Comme l'a dit le professeur, où pourrait-elle aller?
En revanche, nous avons le pouvoir d'annuler le passeport, et cela se fait de temps à autre lorsqu'on estime qu'il n'est pas souhaitable qu'une personne se rende à l'étranger parce qu'elle représente une menace pour l'Australie ou pour un autre pays, par exemple. C'est un pouvoir controversé, mais qui n'est pas rare dans les démocraties occidentales.
M. Syrota : Il faut donner un préavis, sénateur. J'ai parlé tout à l'heure du cas d'un jeune homme qui cherchait à faire parler de lui. Ce qui avait déclenché sa furie contre l'Australie, c'était le fait que, après une entrevue avec l'ASIO, il s'était vu refuser un passeport. Il était citoyen australien, mais on lui a refusé un passeport parce qu'on craignait qu'il ne se mêle à des activités terroristes s'il se rendait à l'étranger.
Après qu'on lui eut refusé un passeport, il a participé à un complot pour pénétrer dans l'immeuble de l'ASIO et tirer sur les gens qui s'y trouvaient. Finalement, la poursuite n'ayant pas réussi à démontrer le bien-fondé de l'accusation, le jury a estimé que c'était seulement une lubie de la part du jeune homme. Cela dit, il est intéressant de voir que sa dissidence contre l'Australie a été provoquée par le rejet de sa demande de passeport. Par conséquent, oui, on peut, dans certains cas, retirer le passeport d'une personne, comme l'a dit M. Renwick.
Le sénateur Marshall : Je savais que c'était une option possible, qui avait déjà été utilisée.
Le sénateur D. Smith : Je me permets d'intervenir ici pour faire remarquer qu'il y a eu des cas, au Canada, où des procédures ont été intentées contre un immigrant dans le but de lui retirer sa citoyenneté parce qu'il avait menti sous serment pour obtenir le droit d'immigrer au Canada. Ça peut donc être un motif. On ne l'invoque pas souvent, mais ça arrive.
Il a été invoqué dans le cas d'anciens nazis particulièrement impliqués dans l'Holocauste, qui avaient menti pour obtenir le droit d'immigrer au Canada.
Le sénateur Jaffer : J'aimerais vous remercier tous les deux de vos déclarations liminaires. Je m'intéresse particulièrement à ce que vous avez dit au sujet de la nécessité de ne pas mettre en cause la religion lorsqu'une personne a commis une infraction. Pourriez-vous, l'un ou l'autre ou les deux, nous parler des programmes que vous avez mis sur pied pour aller à la rencontre de la communauté musulmane?
Le président : Lequel de vous deux veut bien répondre à la question? Monsieur Renwick?
M. Renwick : Le service d'information et de recherche parlementaires a préparé un document sur ce qu'a fait l'Australie dans ce domaine. Je crois que c'est à la page 1 qu'on indique que le gouvernement australien est en train de préparer un Plan d'action national. Je n'en sais pas plus que ce que vous pouvez lire dans les deux pages du document. Je me contenterai donc de réitérer ce que j'ai dit dans ma remarque liminaire : il est très important, lors des procès, de ne pas mettre en cause l'islam comme tel.
M. Syrota : Je suis entièrement d'accord avec ce que vient de dire M. Renwick. Le problème s'est posé, lors de certains de ces procès, lorsque les accusés ont été acquittés pour insuffisance de preuves. Le cas de Mohammad Haneef en est un bon exemple. Ce médecin d'origine indienne avait d'abord travaillé au Royaume-Uni avant de venir s'installer en Australie, sur la Gold Coast. Il était accusé d'entretenir des contacts avec des terroristes en Angleterre, mais les preuves étaient extrêmement minces. Il a été incarcéré pendant 12 jours avant d'être accusé d'aider une organisation terroriste d'Angleterre. Les terroristes avec lesquels il était accusé d'être en contact étaient des cousins au deuxième degré qui s'étaient livrés à une attaque terroriste contre l'aéroport de Glasgow. On lui reprochait d'avoir laissé son téléphone cellulaire ou la carte de son téléphone cellulaire à ses cousins du Royaume-Uni, et de l'avoir fait délibérément, pour les aider. En fait, la poursuite n'a rien pu démontrer et les accusations ont été retirées. On lui avait retiré son visa, mais on le lui a rendu par la suite. La police a continué sa surveillance pendant un certain temps, même après sa libération, au motif qu'il présentait toujours un intérêt. L'enquête Clarke menée par le gouvernement a totalement innocenté Mohammad Haneef, amenant même le gouvernement à lui présenter ses excuses et à lui verser, récemment, une indemnité substantielle. Dans cette affaire, comme dans d'autres, la poursuite n'a pas réussi à démontrer le bien-fondé des accusations, mais la communauté musulmane s'en est servi pour affirmer qu'elle était injustement ciblée.
À mon avis, elle n'est pas ciblée. Je suis tout à fait d'accord avec vous pour dire qu'il ne faut pas mettre en cause l'islam comme tel. Cela dit, lorsqu'on poursuit des gens, que les accusations ne tiennent pas la route et que le gouvernement doit faire des excuses, la perception existe bel et bien. La loi ratisse tellement large que les gens sont arrêtés, non pas quand ils sont sur le point de commettre un acte terroriste, mais bien avant. Quand on poursuit des gens dès qu'ils commencent à planifier quelque chose, les jurés sont obligés de se demander s'il s'agissait d'un plan sérieux, si l'intention était réelle. Un procès peut tourner court pour toutes sortes de raisons, et cela nous ramène aux infractions générales. Pour être accusé de meurtre en vertu de la loi, il faut avoir tué quelqu'un de façon délibérée. Pour être accusé de tentative de meurtre, il faut avoir commis tous les actes qui précèdent le décès de la victime, par exemple, avoir dirigé son arme vers sa tête, ou avoir versé du poison dans le verre qu'on lui a servi. Dans ces conditions, la poursuite se fonde sur des accusations solides. En revanche, si vous accusez quelqu'un d'avoir planifié une action ou d'avoir vaguement appartenu à une organisation terroriste, il y a beaucoup de preuves par présomption, si bien que, dans certains cas, les jurés décrètent qu'elles ne sont pas probantes et rendent un verdict de non-culpabilité. La communauté musulmane se sert de ce genre de situation pour prétendre qu'elle est ciblée.
La loi est une arme à double tranchant car elle permet à la police d'intervenir très tôt pour empêcher un crime d'être perpétré, ce qui est une bonne chose car personne ne veut que des crimes effroyables soient perpétrés. Cela dit, la police et les procureurs doivent constamment exercer la plus grande prudence lorsqu'ils décident de lancer ou de ne pas lancer des accusations contre certaines personnes. S'ils lancent des accusations et que le procès tourne court, les imams peuvent s'en servir pour prétendre que les musulmans sont ciblés.
M. Renwick : Permettez-moi d'ajouter, entre parenthèses, que l'une des questions les plus difficiles, dans ces cas-là, est de savoir à quel moment il faut lancer des accusations et à quel moment il faut mettre un terme à l'enquête. Un agent du renseignement ne veut évidemment pas que l'acte de terrorisme soit perpétré, mais il veut avoir le maximum de renseignements sur le complot, si c'est de cela qu'il s'agit, qui y a participé et quel était l'objectif. La police est donc soumise à des pressions considérables pour intervenir sans doute plus tôt qu'elle ne le voudrait, en raison du nombre important de vies humaines qui pourraient être menacées par un acte de terrorisme, et des reproches qui pourraient être faits au gouvernement, à tort ou à raison. C'est donc un dilemme épouvantable. Justement, dans le premier document que je vous ai donné, il en est question aux pages 8 et 9, que je vous conseille de lire lorsque vous en aurez le temps.
Le sénateur Jaffer : Pourriez-vous nous donner des précisions sur les mesures de dé-radicalisation que votre gouvernement a prises?
M. Syrota : Malheureusement, je ne peux pas vous donner de détails là-dessus. Vous pouvez consulter notre site Web sur la sécurité nationale, où il est dit que le gouvernement va consacrer cette année plus de 9 millions de dollars à la lutte antiterroriste. On y souligne la nécessité d'avoir des programmes de dé-radicalisation, mais on ne donne pas de détails. Comme l'a dit M. Renwick, l'important est que les procureurs et la police aient des contacts avec la communauté et gagnent son respect. Je suis convaincu que la police devrait commencer par recruter activement des musulmans. J'ignore quels programmes le gouvernement a mis sur pied, mais cela ne veut pas dire qu'il n'y en a pas. Au sein de la communauté islamique, il existe une petite minorité d'imams qui ont une certaine propension au mensonge et qui n'hésitent pas à s'en servir pour fomenter la rébellion. C'est difficile de savoir quoi faire exactement pour lutter contre ça.
M. Renwick : Je ne peux que vous conseiller, à nouveau, de lire la page 1 du document qui a été préparé par le service d'information et de recherche parlementaires, sous la rubrique Initiatives politiques. Je ne peux guère vous en dire plus.
Le sénateur Tkachuk : Ma question s'adresse aux deux témoins. Le terrorisme est un problème qui a existé pendant tout le XXe siècle. Nous avons célébré des terroristes comme Yasser Arafat, aux Nations Unies, et nous avons toléré ce qui s'est passé aux Jeux olympiques de Munich, en 1972. Nous savons que nous devons protéger la sécurité de notre pays contre d'autres pays, mais il faut aussi que nous comprenions bien que nous devons nous protéger contre ceux qui veulent porter atteinte à notre mode de vie et qui ne sont pas nécessairement membres d'un État-nation. Je veux parler des groupes idéologiques, comme l'étaient les communistes jadis. Les communistes fomentaient des troubles partout où ils allaient, au nom d'une certaine idéologie. Ils étaient organisés, ils se rencontraient au sein du Komintern, ils décidaient de s'en prendre à un pays en particulier et ils se livraient alors à des actions terroristes, tout comme les gens auxquels on a affaire aujourd'hui. Nous discutons de savoir comment les traiter. Devrions-nous les traiter comme des citoyens de notre pays qui braquent une banque, ou bien devrions-nous les traiter comme les ressortissants d'un pays qui nous espionne? Il faudrait peut-être trouver une troisième façon de traiter ce genre de personnes. C'est un problème qui n'est pas près de disparaître, et il va donc falloir déterminer, dans la loi, une troisième catégorie bien distincte, au lieu d'argumenter sur la question de savoir si nous devrions les traiter comme des criminels ou comme des prisonniers de guerre.
C'est un problème qui n'est pas près de disparaître. Or, on ne peut pas garder ces gens-là à Guantanamo éternellement. Notre guerre contre le terrorisme risque de durer encore pendant 30, 40 ou 50 ans, aussi longtemps peut- être que la lutte contre le communisme.
Je ne sais pas si vous avez le même débat en Australie, mais chez nous, nous réfléchissons depuis un certain temps à la façon dont nous pouvons nous y prendre. Je sais qu'ils discutent aussi aux États-Unis de la façon de juger ces gens- là.
Il faut bien les juger, mais on ne peut pas les juger comme le criminel du coin qui a dévalisé un dépanneur, il faut trouver une autre façon. On ne peut pas les juger comme les ressortissants d'un État-nation, comme une armée étrangère, il faut donc bien trouver une troisième façon de faire. Il va falloir que les démocraties occidentales trouvent une solution, car le problème n'est pas près de disparaître.
M. Syrota : C'est une question très délicate, et je peux vous dire que le gouvernement britannique préfère, dans toute la mesure du possible, traiter les contrevenants soupçonnés de terrorisme dans le cadre des lois ordinaires plutôt que de lois spéciales. La raison en est que, comme l'indique le rapport de l'enquêteur indépendant sur le terrorisme, Lord Carlile, il est important de ne pas donner aux terroristes la reconnaissance officielle qu'ils recherchent. Et cela est possible en les accusant d'infractions générales comme le meurtre, la possession d'explosifs ou autres infractions peu glorieuses. Voilà pour la première partie de ma réponse.
Par ailleurs, pour en revenir à la définition de « terrorisme » avec laquelle vous ferraillez depuis un certain temps au Canada — on en parle aussi beaucoup ici en Australie et au Royaume-Uni — pour faciliter la condamnation, il faut démontrer l'intention de promouvoir une cause politique, religieuse ou idéologique. C'est tout un programme, et personne ne sait vraiment ce que cela signifie. Qu'est-ce que la guerre sainte violente lorsqu'elle se déroule dans votre propre pays?
Le problème c'est que, s'il faut démontrer qu'une personne fait la promotion d'une cause religieuse, il faut bien l'interroger, lui ou elle, mais c'est généralement lui, sur ses croyances religieuses. Et cela nous pose un gros problème, comme à vous aussi, je crois. Un grand nombre des personnes qui sont interrogées ne sont finalement jamais inculpées, même si on glose beaucoup sur leurs croyances religieuses.
Ça peut en offenser certains, raison de plus de privilégier le recours à des lois générales car, si vous accusez quelqu'un de meurtre ou de participation à un complot en vue de commettre un meurtre, vous ne vous intéressez en fait ni à l'idéologie ni à la croyance de la personne. Par contre, ça peut jouer un rôle important au moment de la détermination de la peine.
Cela dit, la définition de « terrorisme » qui a été retenue par le Canada, l'Australie et la Nouvelle-Zélande oblige en fait les services de sécurité et la police à vérifier les origines raciales et les croyances religieuses de l'accusé, et je me demande si c'est une bonne chose. Si vous pensez que je ne vous ai pas donné une réponse claire, j'ajouterai qu'à mon avis, la solution n'est pas de créer une troisième catégorie dans la loi. C'est peut-être parce que je suis Britannique de naissance que je comprends mieux la méthode choisie par le Royaume-Uni.
Je pense que la solution consiste en partie à ne pas leur donner la reconnaissance officielle qu'ils recherchent et à les traiter comme de simples criminels. C'est tout ce que je peux vous dire, sénateur.
Le sénateur Tkachuk : Avant de vous répondre, j'aimerais savoir si l'autre témoin a quelque chose à dire.
Le président : Monsieur Renwick, je vous en prie.
M. Renwick : Merci, sénateur. Vous avez soulevé une question très grave, avec laquelle l'Amérique est aux prises depuis les attentats du 11 septembre. Je suis de plus en plus convaincu que les lois générales qui nous permettent de juger des infractions pénales peuvent nous permettre de régler la quasi-totalité, voire la totalité des affaires terroristes.
Bien sûr, on peut facilement imaginer un cas où la seule preuve qu'on puisse utiliser contre quelqu'un consisterait à divulguer une source ou une méthode qui risquerait de porter atteinte à la sécurité nationale, et où, par conséquent, les poursuites tourneraient court. Mais ce n'est pas un problème propre au terrorisme. Il arrive, lors de procès liés à la drogue, qu'on ne puisse pas accuser le contrevenant de l'infraction la plus grave parce qu'on ne dispose que d'un seul informateur et que, en révélant l'information qu'il a donnée, on dévoilerait son identité, et sa sécurité serait alors compromise.
C'est un problème auquel font face les procureurs de temps à autre, et ils sont alors parfois obligés de retenir contre le contrevenant une accusation moins grave. Pourquoi? Tout simplement parce que vous ne pouvez intenter des poursuites qu'en fonction des preuves dont vous disposez.
Il arrive parfois que vous ne puissiez pas inculper quelqu'un et que vous soyez alors obligés de vous rabattre sur la détention préventive. Comme je l'ai dit, c'est ce que nous faisons en Australie, de toutes sortes de façons, mais nous le faisons avec beaucoup de réticence car cela contrevient au principe selon lequel le châtiment imposé par les tribunaux est la conséquence d'une infraction à la loi.
Quelles sont les autres possibilités? On pourrait créer un tribunal international, mais ça présente toujours des difficultés. En effet, les superpuissances ont tendance à vouloir conserver un droit de veto.
S'agissant des tribunaux militaires, le problème est que, s'ils appliquent des normes de justice inférieures à celles en vigueur dans le pays dont les soldats accusés sont ressortissants, ils prêtent le flanc aux critiques qui dénonçaient Guantanamo Bay. Si vous les accusez des mêmes infractions devant un tribunal militaire, on en revient à ce que disait Lord Carlile, l'enquêteur spécial en matière de terrorisme, à savoir qu'on accorde une trop grande reconnaissance au terroriste en le traitant comme un soldat, alors qu'il n'en est pas un.
C'est donc un problème très délicat, sénateur, mais j'y réfléchis depuis un certain temps et je peux vous dire qu'à mon avis, le système ordinaire de justice pénale repose sur des assises très solides et qu'il est suffisamment souple.
M. Syrota : Puis-je ajouter quelque chose? Si vous décidiez de créer des tribunaux spécialisés dans les affaires terroristes, vous vous retrouveriez face à un autre problème, celui de définir ce qu'on entend par affaire terroriste.
Nous avons eu chez nous le cas d'un terroriste isolé; je n'en ai pas encore parlé, mais l'acte de terrorisme s'est produit sur le territoire australien, il y a une dizaine d'années. Le terroriste, qui était pro-vie, a attaqué une clinique d'avortement à Melbourne. Je crois qu'il a tiré sur le gardien de sécurité. Il a été accusé de meurtre et condamné à la prison à perpétuité ou quelque chose du genre.
Dans ce genre d'affaires, l'homme pourrait fort bien, de nos jours, être accusé de terrorisme étant donné qu'il faisait la promotion d'une cause idéologique, la cause pro-vie, et qu'il avait l'intention d'intimider le public. Est-ce qu'une telle affaire relèverait d'un tribunal spécialisé? C'est une question difficile, qu'il faut pourtant se poser.
Il y a aussi eu une autre attaque, dont je n'ai pas encore eu le temps de parler. Le consulat français de Perth a fait l'objet d'une attaque à la bombe en 1995 ou 1996 — deux cocktails Molotov ont été lancés par la fenêtre. Personne n'a été blessé, mais les dégâts matériels ont été considérables. Les coupables ont été condamnés en vertu des lois régissant les infractions générales, et ils ont purgé 5, 6 ou 7 années en prison.
L'attaque du consulat français a été perpétrée en représailles à la décision du gouvernement français de reprendre les essais nucléaires. C'était une forme de terrorisme puisque c'était un acte dirigé contre un gouvernement, mais aurait-il été vraiment nécessaire de confier l'affaire à un tribunal spécial? Autrement dit, si vous aviez un tribunal spécial, de quel genre d'affaires aurait-il à connaître? Je pense que ça serait une complication supplémentaire, dont on n'a pas vraiment besoin...
Le président : Monsieur Syrota, je vais laisser le sénateur répondre à cela.
Le sénateur Tkachuk : Je n'ai que quelques remarques à faire. Quand on me dit qu'un individu qui lance une bombe dans une clinique d'avortement est un terroriste — bref, nous savons tous ce qu'est un terroriste, et à mon avis, ça n'en est pas un.
Il est vrai que le terroriste qui est jugé par un tribunal pénal n'obtiendra pas la reconnaissance qu'il recherche, si je comprends bien la mentalité de ces gens-là, et qu'il vaut peut-être mieux le traiter comme les autres. Mais permettez- moi de vous expliquer ce que nous faisons au Canada. Nous arrêtons le contrevenant, nous nous assurons qu'il reçoit ses chèques de bien-être social et ensuite, nous payons ses frais d'avocat. Ils ont raison de dire ce qu'ils disent de nous, que nous sommes une société de mollassons qui ne sont pas capables de se protéger. On leur envoie le message que, s'ils se font prendre, tous leurs frais d'avocats seront payés, qu'ils pourront plaider leur cause devant les tribunaux, et qu'ils pourront continuer à proférer des insanités contre cette culture occidentale honnie. Soyons sérieux. Je ne peux pas croire que des terroristes s'inquiètent de savoir s'ils seront jugés par un tribunal pénal ordinaire car cela diminuera leur statut dans la communauté terroriste. Je suis sûr qu'ils y voient encore plus la vulnérabilité des sociétés qu'ils essayent de détruire.
M. Renwick : Permettez-moi d'ajouter que les Britanniques ont beaucoup d'expérience dans ce domaine. Un document important, intitulé Counter-Terrorism Powers : Reconciling Security and Liberty in an Open Society — qui énonce en fait le problème sans lui apporter une solution — dit ce qui suit : « Le problème consiste donc à protéger nos libertés et nos garanties si chèrement acquises contre toute utilisation arbitraire du pouvoir ou toute condamnation injustifiée, tout en veillant à ce que la démocratie et l'État de droit ne servent pas de couverture à ceux-là mêmes qui visent à les détruire. » Je pense que cela répond à votre question.
Bien sûr qu'il y a des gens qui veulent se servir de nos libertés démocratiques pour renverser nos démocraties. Les tribunaux et les parlements doivent réagir de façon appropriée. Cela est-il possible? Je préfère penser que oui.
Le sénateur Tkachuk : Je pensais qu'il y aurait peut-être une troisième solution. Loin de moi l'idée de suggérer qu'il faut bafouer les droits et les libertés ou qu'il faut adopter des lois supprimant l'État de droit. Je disais simplement que les terroristes sont des gens qui essayent de détruire notre culture et notre société. Pour moi, c'est exactement comme les nazis qui essayaient d'anéantir le peuple juif au nom d'une idéologie. Ces terroristes veulent détruire la culture occidentale au nom d'une idéologie. Nous devons trouver le moyen de les combattre. Les juristes devraient s'intéresser sérieusement à la question, mais je n'ai pas l'impression qu'ils le font.
M. Syrota : Je peux vous dire une chose, c'est que le verdict d'un jury, ça a beaucoup de poids dans la communauté. Il est vrai que, dans le cas dont je vous ai parlé tout à l'heure, les imams se sont plaints du verdict du jury. Cela dit, je pense que pour la plupart des gens, y compris les musulmans, si un jury de 12 hommes et femmes, dans toute leur sagesse, ont décidé que l'accusé était coupable sans l'ombre d'un doute, il est difficile de prétendre que c'est un coup monté. Si vous décidez de remplacer les jurys par des tribunaux spéciaux et des juges — certes, les juges sont indépendants, mais il est plus facile de les dénoncer comme des instruments de l'État que les 12 jurés sélectionnés à même la population. Le recours à des jurys fait partie du processus démocratique, et c'est l'une de nos armes principales contre le terrorisme.
Le sénateur Dallaire : Il a fallu que je fasse partie de ce comité pour entendre parler de toutes ces menaces à ce que, au cours des décennies, nous avons essayé de faire pour défendre nos libertés civiles et pour protéger nos lois. Mais nous vivons dans une société libre et démocratique, et nous avons tous droit à nos opinions.
Dans quelle mesure avez-vous répondu aux préoccupations que les groupes de défense des libertés civiles de votre pays ont exprimées au sujet de l'article 101.6, puisque vous disiez tout à l'heure que vous vouliez pouvoir intervenir le plus rapidement possible et pénaliser la préparation ou la planification de tout acte terroriste?
Dans la même optique, votre pays a-t-il dû faire face à des actions particulières des Autochtones menées contre le gouvernement et les infrastructures du pays pour appuyer leurs revendications ou leurs griefs?
Enfin, quel est l'âge moyen de ceux qui commettent ces infractions? Pensez-vous, surtout s'ils sont très jeunes, qu'ils aient pu agir sans conviction profonde ou qu'ils aient pu être manipulés par des adultes pour perpétrer de tels actes?
Le président : Dans le contexte, et pour la gouverne de nos amis australiens, « revendications » peut se traduire par « griefs légitimes ».
M. Renwick : Je vous remercie de cette précision.
Je vais commencer par la dernière question. Que je sache, aucune personne de moins de 18 ans n'a été accusée de terrorisme. Bien entendu, comme pour n'importe quelle infraction, toute personne condamnée peut essayer de démontrer qu'elle a été manipulée par quelqu'un d'autre, ce qui peut avoir une incidence sur la détermination de sa peine et sur ses chances de réhabilitation.
S'agissant de la deuxième question, je ne suis pas au courant d'infractions commises par des Autochtones.
S'agissant maintenant des libertés civiles, avant de laisser le professeur parler de l'article 101, j'aimerais vous dire que le Parlement australien est extrêmement conscient de la controverse qui a entouré l'adoption de ces lois. Quand elles ont été adoptées, elles ont suscité un nombre presque record de mémoires au Sénat australien, si bien que des changements y ont été apportés. D'aucuns diront que, dans le sillage de la tragédie du 11 septembre, aucun des grands partis ne pouvait se permettre de ne pas approuver ce qu'on considérait alors comme des lois musclées. Quoi qu'il en soit, la procédure suivie a été un exemple de démocratie puisque tout le monde, y compris les défenseurs des libertés civiles, a été invité à y participer, et ils ont été nombreux à dire ce qu'ils pensaient des lois proposées et à suggérer des amendements dont certains ont été approuvés.
M. Syrota : Je suis d'accord avec ce que M. Renwick vient de dire. Je crois qu'on peut dire qu'aucun Autochtone n'a été accusé de tels crimes. Encore une fois, quand on parle d'adolescents de moins de 18 ans, ce n'est pas tout à fait ça. En effet, il s'agit plutôt de jeunes adultes de 25 à 40 ans, et c'est dans cette tranche d'âge que la radicalisation est la plus évidente. Il se peut qu'un ou deux groupes se situent en dehors de cette tranche d'âge, mais c'est la moyenne.
S'agissant des libertés civiles, j'affirme que oui, nous vivons dans une société libre. Notre parlement fonctionne à peu près de la même façon que le vôtre, et nous vivons dans une société libre et transparente. Il est vrai que le gouvernement a imposé un échéancier au Sénat en disant qu'il pouvait faire des consultations, mais qu'il avait un certain nombre de semaines pour le faire. Le lobby des libertés civiles s'en est plaint, estimant que le délai n'était pas suffisant. Je ne me souviens plus du nom du juge qui disait que les difficultés surgissent des menus détails, et que si l'on ne donnait pas aux projets de loi l'attention voulue, on se heurterait à toutes sortes de problèmes plus tard. En tout cas, je crois que les événements lui ont donné raison.
Des concessions ont été faites aux groupes de défense des libertés civiles — ils n'ont pas obtenu tout ce qu'ils voulaient, mais le gouvernement leur a fait des concessions. Pour ce qui est de la création d'une infraction pour la préparation ou la planification d'un acte de terrorisme, il s'agit là de l'infraction la plus générale. C'est le pendant de l'article 83.19 du Code criminel du Canada. Notre libellé est légèrement différent, mais l'esprit est fondamentalement le même. J'ai parlé tout à l'heure des contestations possibles de cet article en vertu de votre charte des droits et libertés.
Il y a aussi le crime de haute trahison, qui est une infraction tout aussi générale : tout acte commis en préparation d'une guerre contre l'État ou de l'assassinat de la Reine a toujours été considéré comme un crime de haute trahison. Les lois antiterroristes ont été calquées là-dessus. Il est donc faux de dire qu'elles n'ont pas de précédents. Elles ratissent très large, mais elles ne sont pas sans précédents. Même s'il est difficile aujourd'hui d'imaginer de poursuivre quelqu'un pour haute trahison dans nos sociétés pacifiques, on pourrait techniquement accuser des terroristes de ce crime, notamment les trois terroristes de Sydney qui avaient planifié une attaque contre la base militaire de Holsworthy, dans la banlieue de Sydney — ils s'acheminaient dans cette direction, avec leurs mitraillettes chargées —, étant donné qu'ils planifiaient un acte de terrorisme.
Si l'Australie était en guerre avec un autre pays ou si la loi martiale était imposée, il serait tout à fait approprié d'accuser ces gens-là de haute trahison, et je pense que, dans ces circonstances, ils seraient reconnus coupable, et peut- être même aujourd'hui. La raison pour laquelle on n'accuse pas les terroristes de haute trahison, et je ne dis pas que c'est ce qu'il faut faire, est qu'il s'agit d'une infraction très ancienne et que c'est en fait le crime le plus grave qui puisse exister. Il ne faut donc utiliser cette accusation que dans des cas exceptionnellement graves, comme c'est arrivé lorsque l'Australie était en guerre contre un autre pays et que des Australiens ont attaqué des casernes de l'armée pour tuer des soldats de Sa Majesté. C'est là l'exemple de haute trahison le plus flagrant.
Si vous consultez la jurisprudence sur les cas de haute trahison, ils remontent généralement au XVIIe et au XVIIIe siècles. On y décrit des situations où des hommes à cheval livrent l'assaut contre le roi. Certes, elles ne sont pas pertinentes à des situations contemporaines, et je ne pense pas qu'il faut envisager d'accuser les terroristes de haute trahison. Laissons donc cette infraction à part. Cela dit, cette infraction est aussi générale que l'article 101.6.
Le sénateur Dallaire : Je suis content de savoir que le crime de haute trahison existe. À une époque, nous avions aussi la peine capitale, mais nous avons corrigé la situation. Nous avions aussi des cours martiales qui avaient le pouvoir d'imposer la peine capitale, et nous avons supprimé cela tout récemment.
J'aimerais revenir à la portée de ces lois. À une époque où le renseignement policier joue un aussi grand rôle et où les nouvelles techniques électroniques nous donnent d'énormes capacités, il me semble que l'adoption d'une loi qui empiète autant sur les libertés civiles de la société est une indication de l'inefficacité des systèmes de renseignement policiers. Je l'affirme dans le contexte des actions révolutionnaires qui ont eu lieu en 1970, par exemple. Nous avons également connu des insurrections autochtones, en 1990. Bref, nous avons eu d'autres exemples de ce genre, où certains groupes de notre société, en l'occurrence les Autochtones, ont mené des actions contre le gouvernement pour exprimer leur mécontentement et obtenir le règlement de leurs griefs.
Dans quelle mesure ces actions relèvent-elles de votre définition du terrorisme et permettent-elles aux autorités d'invoquer ces lois pour les condamner?
M. Syrota : Je ne comprends pas bien où vous voulez en venir. J'ai du mal à vous entendre. Voulez-vous savoir si ces lois devraient ratisser plus large?
Le président : De la place où je suis assis, je crois avoir compris que la question du sénateur portait sur l'interprétation contemporaine qu'on donne aux libertés civiles, la présomption d'innocence et l'acceptation que, dans toute société, il y a des gens qui ont des griefs légitimes, qu'ils peuvent exprimer de différentes façons. Dans quelle mesure cette réalité et la jurisprudence qui l'accompagne coexistent-elles, dans votre pays, avec la jurisprudence dont nous avons parlé ici ce soir, à savoir la protection prophylactique de la société contre les activités terroristes, ou l'inculpation de ceux qui participent d'une façon ou d'une autre à des actes de terrorisme? C'est, me semble-t-il, le sens de la question qui vous a été posée.
M. Syrota : Je vous remercie de vos explications. C'est simplement parce que c'est un raisonnement un peu dur à suivre.
Dans sa définition du terrorisme, l'Australie prévoit des exceptions pour les syndicalistes qui, dans le cadre d'une grève, lancent des pierres contre les immeubles, par exemple. Dans ce genre de circonstances, il y a parfois des dommages matériels, et il arrive que les esprits s'échauffent. La loi fait expressément une exception de ce genre de situation. Je ne me souviens plus de la formulation exacte, mais la loi exempte de la définition toute protestation ou marque de mécontentement qui n'a pas pour objectif principal de porter atteinte à la vie d'autrui.
En l'occurrence, le Parlement a essayé de trouver une formulation qui permette de condamner le djihadiste qui est reconnu coupable de terrorisme, tout en laissant une grande liberté à ceux qui veulent exprimer leurs opinions non seulement de façon pacifique mais même en jetant des pierres, du moment que cela ne porte pas atteinte à la vie d'autrui. Cela ne signifie pas que ceux qui jettent des pierres et vandalisent des propriétés ne tombent pas sous le coup de la loi. Ils seront poursuivis et passibles de sanctions pénales en vertu de la loi. Cela dit, l'objectif est d'éviter que les lois antiterroristes ne s'appliquent à eux. C'est un équilibre délicat à trouver, mais le Parlement a essayé d'y parvenir. Je crois que l'exemption prévue dans la loi canadienne est libellée d'une façon similaire.
M. Renwick : Les termes exacts sont promotion, protestation, dissidence ou mouvement de grève.
Le sénateur Dallaire : Cela ne couvre pas les insurrections d'Autochtones qui se livrent à des affrontements armés non seulement avec la police mais aussi avec l'armée. Estimez-vous que, dans ce cas, il s'agit d'actes de terrorisme ou bien de mouvements de protestation organisés par des gens qui ont des griefs à faire reconnaître? Dans un scénario extrême, ces gens-là devraient-ils être jugés dans le cadre des lois générales, ou bien dans le cadre des lois antiterroristes?
M. Renwick : Au final, le procureur doit être prêt à signer un acte d'accusation et à se dire, tout d'abord, qu'il est prêt à démontrer que l'accusation est fondée hors de tout doute raisonnable et à répondre à toutes les conditions pertinentes, et, deuxièmement, qu'il est dans l'intérêt de la justice de porter des accusations contre ces gens. Je dois reconnaître que l'exemple hypothétique relève à peine de l'application de cette loi. À mon avis, ce genre de situation sera examiné dans le cadre d'une autre loi.
Le sénateur Dallaire : Je l'espère.
Le président : Nous en arrivons à la fin de la période des questions. Au nom des membres du Comité sénatorial spécial sur l'antiterrorisme, j'aimerais remercier nos témoins australiens de nous avoir consacré tout ce temps, de nous avoir fait parvenir de la documentation détaillée et de nous avoir présenté leur point de vue avec clarté et franchise. Ce qui est magnifique avec nos amis australiens de la grande famille du Commonwealth, c'est que nous partageons le même objectif de protéger notre société contre les terroristes d'une façon qui respecte l'État de droit, sans empiéter indûment sur les libertés civiles qui, après tout, sont la caractéristique de notre société, à savoir l'État de droit, la common law et les garanties juridiques. Nous vous remercions de nous avoir présenté votre point de vue. Cela nous a été très utile dans le cadre de notre étude. Merci beaucoup d'y avoir consenti tout le temps qu'il fallait.
(La séance est levée.)