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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule 6 - Témoignages du 29 avril 2010


OTTAWA, le jeudi 29 avril 2010

Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd'hui, à 10 h 30, pour examiner la situation actuelle du régime financier canadien et international (sujet : Rapport sur la politique monétaire de la Banque du Canada).

Le sénateur Michael A. Meighen (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour. Comme nous avons le quorum, nous allons ouvrir la séance.

[Français]

Mon nom est Michael Meighen. J'ai l'honneur de présider le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce. La vice-présidente du comité, le sénateur Hervieux-Payette, est malheureusement prise dans un autre comité, mais elle va arriver d'une minute à l'autre.

Aujourd'hui, nous souhaitons la bienvenue encore une fois à Mark Carney, gouverneur de la Banque du Canada.

[Traduction]

Nous attendons toujours avec impatience ces rencontres semestrielles avec vous. Elles nous permettent de poser des questions sur votre plus récent Rapport sur la politique monétaire et d'explorer d'autres enjeux qui relèvent de votre mandat.

[Français]

Je voudrais vous présenter les membres du comité étant donné qu'il y a eu certains changements. À ma gauche, vous avez le sénateur Kochhar, de l'Ontario, le sénateur Moore, de la Nouvelle-Écosse, le sénateur Ringuette, du Nouveau- Brunswick, le sénateur Harb, de l'Ontario. À ma droite, vous avez le sénateur Gerstein, de l'Ontario, le sénateur Greene, de la Nouvelle-Écosse, le sénateur Mockler, du Nouveau-Brunswick, le sénateur Massicotte, du Québec et le sénateur St.Germain, de la Colombie-Britannique.

[Traduction]

S'il semble manquer quelqu'un aujourd'hui, c'est parce que le gouverneur est venu sans son bras droit habituel, Paul Jenkins. Nous avons apprécié les nombreuses occasions où M. Jenkins a témoigné en votre compagnie. Nous lui souhaitons une bonne retraite ainsi que du succès dans ses entreprises futures, et nous le remercions pour son dévouement envers la Banque et le Canada. Nous constatons qu'il sera remplacé en juillet par M. Tiff Macklem, que nous avons hâte de rencontrer lors d'une future séance.

Le gouverneur a accepté ce poste il y a deux ans, à la veille d'une crise financière mondiale. Il a toujours été au bon endroit au bon moment. Il nous a aidés à voir clair pendant la crise, et nous l'en remercions chaleureusement.

Pour montrer à quel point les choses ont changé, il y a un an, nous tentions de comprendre les concepts d'assouplissement quantitatif et d'assouplissement qualitatif, et nous nous réjouissions de voir le baril de pétrole dépasser 50 $. Je crois qu'aujourd'hui, le baril vaut près de 85 $.

Notre économie va mieux que prévu, et elle va certainement mieux qu'ailleurs. Les problèmes ont évolué et nous devons maintenant gérer un dollar fort, relever des défis en matière de productivité, apporter des changements aux règlements et régler de nouveaux problèmes financiers qui dépassent le cadre de nos frontières, cette fois dans l'Union européenne.

Bienvenue, monsieur le gouverneur. Nous souhaitons également la bienvenue à tous ceux qui nous écoutent sur le web. Vous pouvez présenter votre déclaration d'ouverture.

Mark J. Carney, gouverneur, Banque du Canada : Merci, monsieur le président. Je me joins à vous pour féliciter Paul Jenkins et le remercier des services qu'il a rendus à la Banque du Canada et à tous les Canadiens. Il a été un fonctionnaire remarquable et le remplacer sera difficile.

J'aimerais toutefois vous assurer que si quelqu'un peut assurer la relève, c'est bien Tiff Macklem. Il arrivera à la banque le jour de la fête du Canada. D'ici là, il s'occupe de la préparation du sommet du G20 à Toronto pour le compte du premier ministre et du ministre des Finances. Je suis certain que nous parlerons de certains de ces enjeux au cours de cette séance.

Distingués membres du comité, bonjour. Je suis ravi de me présenter devant ce comité aujourd'hui pour discuter du point de vue de la Banque du Canada au sujet de l'économie et de l'orientation de la politique monétaire. Avant de répondre à vos questions, permettez-moi de vous donner un aperçu de la plus récente livraison du Rapport sur la politique monétaire, qui a été publié la semaine dernière.

[Français]

La croissance économique mondiale a été un peu plus forte que prévue. L'activité a été excellente, de façon notable dans les économies de marchés émergents et la plupart des économies avancées affichant une reprise modérée. La banque prévoit maintenant que la croissance mondiale devrait s'établir à une moyenne d'un peu plus de 4 p. 100 par année jusqu'à la fin de 2012. Au Canada, la reprise se révèle un peu plus rapide que la banque ne l'entrevoyait en janvier. Elle est soutenue par le maintien de la détente monétaire budgétaire, l'amélioration des conditions financières, l'accélération de l'activité économique à l'échelle mondiale, la bonification des termes de l'échange et le regain de confiance de la part des entreprises et des consommateurs.

L'année 2010 devrait voir la demande du secteur privé prendre le relais du secteur public comme principale source de croissance. La banque estime maintenant que le rythme de progression du PIB atteindra 3,7 p. 100 en 2010 avant de ralentir progressivement et de s'établir à 3,1 p. 100 en 2011 et à 1,9 p. 100 en 2012.

[Traduction]

Ce profil reflète la croissance plus forte à court terme à l'échelle mondiale, le très grand dynamisme du marché de l'habitation au Canada et l'opinion de la banque selon laquelle les mesures de relance ont donné lieu à un devancement à la fin de 2009 et au début de 2010 d'un plus grand volume de dépenses que prévu. Parallèlement, la vigueur persistante du dollar canadien, la piètre tenue du pays au chapitre de la productivité relative et le bas niveau de la demande américaine, en chiffres absolus, continueront de freiner considérablement l'activité économique au Canada.

La banque estime que le niveau du PIB au premier trimestre de 2010 était d'environ 1 p. 100 inférieur à son sommet du troisième trimestre de 2008, et de quelque 2 p. 100 en deçà de son potentiel. L'économie devrait retrouver son plein potentiel au deuxième trimestre de 2011, soit un trimestre plus tôt que la banque ne l'estimait en janvier.

Les perspectives de l'inflation reflètent les influences conjuguées de la demande intérieure plus robuste, du ralentissement de la progression des salaires et de l'offre excédentaire au sein de l'économie. L'inflation mesurée par l'indice de référence, qui est légèrement supérieure aux prévisions de janvier, devrait reculer quelque peu au deuxième trimestre de 2010, à mesure que l'effet des facteurs temporaires se dissipera, et continuer à avoisiner 2 p. 100 jusqu'à la fin de la période de projection. L'inflation mesurée par l'IPC global devrait se situer légèrement au-dessus de 2 p. 100 au cours de la prochaine année, avant de regagner la cible au second semestre de 2011.

[Français]

Malgré le raffermissement de la reprise à l'échelle du globe et au Canada, des risques considérables pèsent sur les prévisions de la banque. Deux principaux risques à la hausse entourent l'inflation. Il se pourrait que l'élan des dépenses des ménages et de l'investissement résidentiel dépasse les attentes actuelles.

Sur la scène mondiale, une reprise plus rapide qu'escomptée pourrait stimuler la demande d'exportations canadiennes et améliorer les termes de l'échange. Du côté des risques à la baisse, la vigueur persistante du dollar canadien conjuguée au piètre bilan du pays, au chapitre de la productivité relative, bride la croissance d'une façon plus marquée que prévue et ajoute aux pressions à la baisse sur l'inflation.

[Traduction]

Il est également possible que la reprise économique mondiale soit plus lente que projetée en ce moment. À cet égard, il se peut que les inquiétudes liées au crédit souverain s'intensifient, ce qui provoquerait une hausse des coûts d'emprunt et un resserrement plus rapide des politiques budgétaires dans certains pays.

L'un ou l'autre de ces facteurs entraînerait une baisse de la demande privée mondiale par rapport à la projection établie par la banque dans son scénario de référence.

À moyen terme, les déséquilibres macroéconomiques mondiaux continuent de présenter des risques importants pour les perspectives. Bien que ces déséquilibres se soient amenuisés durant la récession, une amélioration soutenue à moyenne échéance suppose non seulement l'assainissement des finances publiques dans les pays avancés, mais aussi un renforcement de la croissance de la demande intérieure et le rajustement des taux de change réels dans les pays affichant de forts excédents du compte courant. En l'absence de telles mesures, les conséquences pour l'économie mondiale pourraient être considérables.

Le cadre du G20 vise à aider l'économie mondiale à progresser dans la bonne direction. La fin de semaine dernière, les pays membres du G20 ont réitéré leur engagement envers cette initiative. Au Canada, en réaction à la récession prononcée et synchronisée à l'échelle du globe, la banque a abaissé rapidement le taux cible du financement à un jour en 2008 et au début de 2009 pour l'établir au plus bas niveau possible. En outre, en avril 2009, elle s'est engagée à le maintenir à ce niveau, sous réserve des perspectives en matière d'inflation. Cette politique non traditionnelle a fourni une impulsion additionnelle considérable pendant une période marquée par une conjoncture économique très défavorable et des risques importants à la baisse pesant sur l'économie mondiale et l'économie canadienne.

À la faveur de l'amélioration récente des perspectives économiques, ces politiques exceptionnelles deviennent moins nécessaires et il convient de commencer à atténuer la détente monétaire en place. C'est pourquoi, le mardi 20 avril 2010, la banque a mis fin à son engagement conditionnel. Cela représente un resserrement de la politique monétaire. À partir de maintenant, rien n'est réglé à l'avance. L'ampleur et le moment où l'on procédera à de nouvelles réductions du degré de détente monétaire seront fonction des prévisions concernant l'activité économique et l'inflation et seront compatibles avec la réalisation de la cible d'inflation de 2 p. 100.

Sur ce, monsieur le président, je serai heureux de répondre à vos questions.

Le président : Merci beaucoup, monsieur le gouverneur. Je vais profiter de ma situation à titre de président pour poser la première question.

Le week-end dernier, comme nous l'avons tous vu à la télévision, vous avez rencontré les gouverneurs des banques centrales et les ministres des Finances des autres pays membres du G20 afin de trouver des réformes qui nous permettraient d'éviter une nouvelle crise financière. Le système financier du Canada a continué à bien fonctionner pendant la crise actuelle. Il n'y a pas eu de faillites ou de sauvetages dans le secteur bancaire. Aucune banque n'a cessé de payer des dividendes et les déposants n'ont pas massivement retiré leur argent des banques canadiennes. Ailleurs dans le monde, quand on donne l'exemple d'un système qui fonctionne bien, on parle du système canadien, ce qui, à mon avis, nous confère une certaine autorité sur le plan moral.

J'aimerais entendre vos observations sur deux éléments. Premièrement, j'aimerais que vous nous parliez des domaines au sujet desquels on s'entend aujourd'hui. J'aimerais ensuite que vous nous disiez, selon vous, dans quel sens iront les discussions en vue du G20 à Toronto.

Deuxièmement, êtes-vous d'accord pour dire que ce ne sont pas seulement les règles, notamment celles concernant les ratios de capital, qui ont permis à nos banques de bien réagir l'an dernier, mais également tout le travail de surveillance exécuté par les responsables de la réglementation des banques? Si c'est effectivement le cas, les pays ne devraient-ils pas envisager non seulement des règles portant sur l'emprunt et les niveaux d'effet de levier, mais aussi le renforcement de leur système de surveillance pour veiller à ce que ces règles soient effectivement mises en œuvre et perçues comme telles, un point qu'a fait valoir Mme Julie Dickson, surintendante des institutions financières.

J'aimerais connaître votre réponse à ces questions.

M. Carney : Merci d'avoir soulevé ces questions importantes. Avant de répondre à la première, à savoir les aspects de la refonte sur lesquels nous nous sommes entendus et que je vais énumérer dans un instant, j'aimerais nuancer ma réponse en précisant qu'il y a entente sur l'orientation. De plus, d'importants progrès ont été réalisés au niveau des détails de cette entente. Toutefois, il faut noter qu'elle sera finalisée au cours des six prochains mois. En fait, la date cible de mise en œuvre d'un certain nombre d'initiatives que je m'apprête à vous dévoiler est novembre.

Le premier point résulte directement de l'expérience du Canada. On s'entend pour dire que, globalement, le système doit avoir davantage de capitaux propres de qualité supérieure. Par « davantage de capitaux propres », j'entends l'injection de plus de capitaux propres de catégorie 1 dans le système. Tandis que par « capitaux propres de qualité supérieure », j'entends que les capitaux propres de catégorie 1 doivent être constitués, comme c'est le cas au Canada, de capital-actions ordinaires et de bénéfices non répartis, c'est-à-dire des fonds propres simples, réels et sûrs. C'était d'ailleurs l'un des points forts de notre système. En ce qui a trait à l'application des règles de Bâle II en vigueur, notre surintendante les a interprétées de façon plus conservatrice et rigoureuse, ce qui a été profitable au Canada. La question qui vise l'ensemble du système, y compris le Canada, est la suivante : quel devrait être ce nouveau plafond minimal? Devrait-il être plus élevé qu'il ne l'est actuellement au Canada, notamment en ce qui a trait à la qualité des capitaux propres? Relever le plafond établi par le Canada fait partie de la question à l'étude. Il serait judicieux d'envisager également pour ce pays un renforcement accru des règles en matière de fonds propres.

Le deuxième aspect sur lequel on s'entend généralement — ce sont d'ailleurs les détails qui posent problème —, c'est la nécessité d'étoffer davantage le système de Bâle, que vous connaissez sans doute, par un simple contrôle des effets de levier, soit la fameuse méthode de la ceinture et des bretelles; une approche qui est déjà en place au Canada. J'aimerais prendre un moment pour expliquer ce concept important — une réalité que nous connaissons au Canada. Les règles de Bâle, axées sur les risques, sont complexes et détaillées, mais elles s'avèrent très efficaces pour repérer les risques que représentent certains actifs dans le bilan d'une banque. Il y a des estimations qui sont ajustées de façon appropriée, ce qui fait que la banque est obligée de mettre de côté davantage de capitaux propres pour un produit comportant de plus grands risques. Ainsi, il faut affecter un montant considérablement plus élevé de fonds propres à des obligations de pacotille par rapport aux obligations du gouvernement du Canada. Une telle mesure restreint la latitude des banques qui seraient tentées d'inscrire à leur bilan des affectations de capitaux propres comportant des éléments très risqués.

Le problème qu'il y a à utiliser uniquement ce système, un des principaux problèmes à l'origine de la crise, c'est que ces actifs que l'on croit sans risque sont effectivement à risque. L'exemple classique que la crise a révélé, ce sont les titres adossés à des actifs ayant la cote triple-A. En fait, un large éventail de ces titres complexes se sont avérés très risqués. Le bilan d'un certain nombre de banques internationales, plus particulièrement en Europe et certaines banques d'investissement américaines, affichait un grand nombre de ces titres que les règles de Bâle n'ont pas été en mesure de repérer puisqu'ils étaient considérés sans risque. Un simple effet de levier, comme celui en vigueur au Canada, permet de repérer ce genre de titres. Nous avons besoin des deux mécanismes, et il faut les équilibrer de façon appropriée. Il y a un assez large consensus concernant cette approche. Le tout repose sur l'équilibre et la définition, ce qui n'est pas un problème en soi; je voulais simplement vous dire que nous y travaillons. Si nous nous revoyons en octobre ou si vous voulez nous rencontrer avant, nous pourrons vous fournir plus de détails sur l'évolution des discussions.

Le troisième aspect sur lequel il y a un vaste consensus est un élément nouveau. Il s'agit d'instaurer dans les institutions financières des normes plus rigoureuses de mesure des liquidités, tant les liquidités à court terme que les liquidités structurelles. De telles normes n'existaient pas auparavant. Il y avait certaines directives à cet effet dont on tenait compte, mais elles n'étaient pas appliquées aussi rigoureusement. Elles ont été mieux définies aux fins de mise en œuvre.

Le quatrième aspect, extrêmement important, sur lequel nous nous sommes entendus, est le besoin de modifier l'infrastructure des marchés. Je n'entends pas entrer dans les détails ici, mais nous pouvons en discuter si vous le souhaitez. Il s'agit d'initiatives comme le transfert de gré à gré vers les plateformes centrales transparentes de produits dérivés, c'est-à-dire des produits dérivés qui peuvent être standardisés. Il est aussi possible de réduire le risque de contrepartie et les liens réciproques entre les institutions financières et, parallèlement, augmenter la transparence de ces marchés, la standardisation ainsi que l'efficacité, et atténuer les risques dans l'ensemble de ce secteur, et c'est là une composante incroyablement importante. Il y a un vaste consensus au sujet de cette orientation, mais il y a beaucoup de travail à faire pour atteindre l'objectif fixé.

Votre deuxième question, qui est extrêmement valable, c'est qu'à moins d'être effectivement mis en œuvre de façon intelligente, les meilleurs règlements ne valent pas grand-chose. Prenons l'exemple des règles de Bâle en vigueur pendant la période précédant la crise, nous pouvons et devons féliciter le Bureau du surintendant des institutions financières, le BSIF, pour sa façon de les interpréter, de les mettre en œuvre et de les renforcer judicieusement, à savoir ne pas les assouplir, mais les rendre plus rigoureuses, afin que notre système soit plus résilient.

En outre, le règlement en matière de surveillance est un processus dynamique. Un des avantages du système canadien, c'est de pouvoir compter sur le Comité de surveillance des institutions financières, le CSIF. Ce comité, présidé par le surintendant des institutions financières, compte parmi ses membres le gouverneur de la Banque du Canada, les responsables de la Société d'assurance-dépôt du Canada, le chef de notre agence de protection des consommateurs, l'Agence de la consommation en matière financière du Canada ou l'ACFC, ainsi que le sous-ministre des Finances.

Nous nous rencontrons régulièrement pour discuter des activités de toutes les institutions financières, notamment les banques et les compagnies d'assurance, en nous concentrant particulièrement sur celles qui ont des problèmes. Il s'agit d'un processus dynamique, à savoir que, s'il y a un problème dans une institution, celui-ci est porté à l'attention des membres du comité qui mettent en place un plan d'action. Dans certains cas, il peut s'agir d'une sanction importante à l'endroit de l'institution jusqu'à ce que le problème soit réglé.

En vertu des dispositions de la loi, je ne suis pas autorisé à entrer dans les détails. Toutefois, je peux vous assurer que ce processus nous a permis de relever des problèmes de contrôle et des problèmes de gestion qui auraient pu dégénérer s'ils n'avaient pas été repérés au départ. Voilà un élément important des règlements.

À la réunion du G20, le Canada est intervenu en faveur de l'adoption des principes d'une solide réglementation afin que les responsables de la réglementation reconnaissent leur responsabilité vis-à-vis ce type de surveillance, et que les gouvernements dont ils relèvent leur délèguent des pouvoirs appropriés et leur donnent des instructions adéquates fondées sur ces principes.

Je m'arrête ici. Toutefois, je serai heureux de répondre à vos questions et de préciser l'un ou l'autre de ces aspects.

Le président : À la suite d'une décision du CSIF, advenant une intervention, celle-ci est-elle rendue publique ou annoncée publiquement? Cet aspect est-il réglementé?

M. Carney : Les échanges entre les responsables de la réglementation et l'institution ne peuvent être divulgués par aucune des parties ou même par aucun des membres du comité. Il s'agit d'un processus qui se fait en plusieurs étapes.

Le président : Si une directive ou une exigence est émise, par exemple, si l'institution visée doit améliorer ses ratios de capital ou mettre fin à telle ou telle mesure, est-ce que tout cela demeure privé?

M. Carney : Le public n'a pas accès à ces renseignements. Si l'institution manque de capitaux, il lui revient, à elle seule, de prendre la décision d'annoncer ce manque, ou le besoin de changer sa stratégie. Toutefois, une telle décision ne s'inscrit pas dans le contexte du rôle de surveillance.

[Français]

Le sénateur Massicotte : Je vous remercie, monsieur le gouverneur, d'être avec nous aujourd'hui pour nous parler de politique monétaire.

J'aimerais discuter de la Grèce, de l'Italie et de l'Espagne. Ce pays a été décoté hier. On en parle beaucoup depuis quelques jours. Pour informer les Canadiens, j'aimerais savoir ce qui va arriver. Est-ce une crise sérieuse? Si la situation ne se règle pas avec l'Allemagne bientôt, qu'est-ce qu'on peut prévoir et comment cela va nous affecter comme Canadiens?

M. Carney : Le fait que vous posiez cette question indique que c'est une situation sérieuse pour l'économie mondiale et pas seulement pour les pays concernés comme la Grèce et quelques autres pays en Europe.

Ce que nous observons maintenant ce sont les limites de l'assouplissement budgétaire à l'échelle mondiale. Il incombe aux pays de régler leurs voies de raffermissement de leurs politiques budgétaires.

[Traduction]

J'aimerais m'attarder un peu à certaines des incidences de la situation en général, sans m'arrêter à un pays en particulier. Nous sommes penchés sur cette question, notamment au moment d'élaborer le cadre du G20 dont j'ai parlé en début d'exposé.

Les mesures de relance ont leurs limites. Le contexte exige que nous empruntions le chemin de la durabilité, et le marché a envoyé des signaux clairs à certains pays, pour ne pas dire à nous tous. Si seuls quelques pays réagissent à ces messages, c'est-à-dire en resserrant les politiques budgétaires et en s'assurant de les remettre rapidement sur la voie de la durabilité, on pourrait faire face à une insuffisance de la demande à l'échelle mondiale. Il n'y aurait pas assez de demande pour appuyer la reprise.

J'ai parlé au début de mes observations d'une croissance de 4 p. 100. Il ne s'agit pas de notre situation de référence, mais c'est un de deux grands risques de fléchissement qui nous guettent. Le premier est le dollar canadien; le deuxième, c'est cette dynamique. J'aimerais en parler de façon un peu plus approfondie.

Certains de nos travaux nous ont permis de constater que seul l'assainissement des finances publiques dans les pays industrialisés permet, de par son ampleur, le rétablissement de la situation à l'échelle planétaire, c'est-à-dire le retour à une situation de faible croissance et de désinflation. Ces rajustements sont nécessaires et doivent être assortis de politiques compensatoires qui servent les intérêts d'autres pays en vue d'accroître la demande nationale, tout particulièrement dans les marchés émergents, pour assouplir davantage les taux de change et pour ne pas ankyloser le système financier mondial et le système commercial international.

Voilà le plus gros enjeu du G20 cette année. C'est d'ailleurs pourquoi la réunion prévue à Toronto revêt autant d'importance, car elle devrait permettre aux dirigeants de prendre conscience de cette dynamique. Pour pouvoir régler un problème, il faut d'abord reconnaître son existence.

Toutefois, la situation est grave. Pour pleinement répondre à votre question, il faudrait également se pencher sur ce que l'avenir nous réserve en l'absence de telles mesures. Je suis en train de vous expliquer la dynamique qui s'installera si ces mesures sont adoptées. Si ces mesures ne sont pas adoptées, j'hésite à y aller de façon trop précise, mais on pourrait s'attendre à une augmentation des taux d'intérêt à plus long terme à l'échelle mondiale.

Même si la situation financière du Canada compte parmi les meilleures des pays du G20 — si elle ne figure pas carrément en tête, aux côtés de l'Australie —, même si nous nous portons mieux que d'autres, nous subirions les contrecoups de la hausse des taux d'intérêt mondiaux. Ces effets négatifs se feraient ressentir du côté des investissements et de la croissance au Canada.

Le sénateur Massicotte : Je vais vous brosser un tableau pour mieux cibler la question. Supposons que l'Allemagne n'intervient pas, que la Commission européenne n'intervient pas et que la Grèce est contrainte de cesser de rembourser sa dette. Les choses débouleraient. Elles pourraient débouler en Espagne et peut-être même en l'Italie et on pourrait voir se désintégrer la Commission européenne en raison de la monnaie commune. Si un tel scénario se produisait, quelles seraient les répercussions pour le Canada? Parlons-nous d'un demi-point de pourcentage de croissance ou d'un retour en force de la récession?

M. Carney : Vous imaginez le pire des scénarios catastrophes. Puisqu'on a soulevé la question, je vais en profiter pour vous dire clairement que nous sommes en étroite relation avec nos partenaires européens, avec le FMI — le Fonds monétaire international — et avec les pays concernés. Des négociations sont en cours.

L'heure est grave en ce moment, mais ce sont des négociations efficaces qui continuent de progresser. Nous nous attendons à un dénouement positif mais, bien entendu, ce n'est pas fini. L'accord global n'a pas encore été conclu avec le gouvernement de la Grèce, avec le FMI et avec la Commission européenne, mais des pourparlers fructueux ont lieu en ce moment même.

L'enjeu est double. Tout d'abord, la consolidation trop rapide pourrait se révéler problématique, tout comme l'assainissement des finances publiques dans quelques pays seulement, comme je l'évoquais tout à l'heure. Ensuite, en l'absence de telles mesures, il y a la possibilité d'une réaction plus vive des marchés aux situations financières précaires — perçues et réelles — dans un certain nombre de pays. Ces circonstances auraient des effets sur les coûts d'emprunt du gouvernement du Canada, des entreprises canadiennes et des Canadiens, mais également sur l'instabilité de divers marchés financiers. Dans ce contexte, on peut s'attendre à ce que les sociétés d'investissement et, malheureusement, les entreprises et les particuliers se montrent excessivement craintifs face aux risques. Cette situation aurait comme résultat direct de nuire à la croissance au Canada. Puisque nous sommes une banque centrale, nous avons pris soin de bien ficeler le tout en une référence sur le risque de perte selon nos prévisions quant au risque-pays. C'est d'ailleurs pourquoi nous en parlons plus en détail aujourd'hui; c'est bel et bien un risque par rapport à la situation d'ensemble. La succession d'événements que vous venez de décrire n'est pas une possibilité que nous envisageons, mais le contexte engendre une certaine dynamique qui pourrait se répercuter sur notre économie.

Le sénateur Gerstein : Je vous remercie d'être des nôtres ce matin. Il ne m'arrivera pas souvent de féliciter un témoin avant de poser une question. Toutefois, je suis persuadé que tous les membres du comité se joignent à moi pour vous féliciter d'avoir été nommé parmi les 100 personnes les plus influentes de 2010 selon le magazine TIME. Compte tenu du contexte économique, nous ne devrions pas nous étonner de voir votre nom dans le peloton de tête, au 21e rang. J'ai tout particulièrement apprécié ce propos formulé à votre égard, comme quoi il est rare d'entendre ce genre de franc- parler de la part d'une personne dont le travail consiste à stimuler l'économie.

Monsieur le gouverneur, le Canada a beaucoup moins souffert de la récession que la plupart des autres pays. Notre gouvernement n'a pas eu à faire appel à quiconque pour le tirer d'affaire et n'a pas eu non plus à se porter au secours de l'une ou l'autre des banques canadiennes. En fait, le Canada a le plus faible rapport dette-PIB de tous les pays du G7; son secteur financier est le plus solide du monde et il détient la cote de crédit la plus élevée possible. Toutefois, d'autres pays ne s'en sont pas si bien sortis, comme nous avons pu le constater au cours des derniers jours. Dans quelle mesure l'endettement de ces grandes économies menace-t-il réellement la reprise économique mondiale?

M. Carney : Merci pour cette question. C'est une menace sérieuse. Il y a 18 mois, au plus fort de la crise, ces grandes économies avaient déterminé que l'ampleur et la rapidité de la chute du PIB mondial nécessitaient une réponse musclée. La politique monétaire était déjà en passe d'être remaniée. Pour notre part, le point culminant a été atteint au printemps dernier, lorsque la Banque du Canada a pris l'engagement conditionnel d'appuyer les mesures de relance additionnelles.

D'une optique brute, les décisions budgétaires des grands pays industrialisés ont fait en sorte de faire passer le rapport dette-PIB d'environ 80 p. 100 du PIB à quelque 120 p. 100 du PIB en quatre ans. C'est ce qu'affirme le FMI, et nous sommes du même avis. C'est une augmentation sans précédent, du moins en temps de paix. Ce changement s'accorde avec les rajustements budgétaires déclarés en ce moment. Certains pays ont établi la voie budgétaire qu'ils souhaitent emprunter, sans toutefois l'étayer de mesures concrètes. Dans bien des cas, ces mesures restent à déterminer, ce qui crée un risque en dépit des changements apportés.

Prenons la chose au pied de la lettre. Chacun atteindra les cibles qu'il s'était fixées et la dette plafonnera à environ 120 p. 100 du PIB en 2014 ou 2015. Cette situation exercera une pression à la hausse sur les taux d'intérêt, pas tout à fait dans la mesure illustrée tout à l'heure; ainsi, cette situation aura pour effet de modérer les emprunts, les investissements et la planification d'avenir du côté des entreprises et des ménages. Le risque, bien entendu, c'est que les gouvernements n'adoptent pas les mesures voulues pour appuyer leurs budgets et qu'ils dépassent les projections. Les taux d'intérêt subiraient alors une pression encore plus forte, simplement du point de vue de la dynamique de l'offre et de la demande dans les marchés de capitaux. La confiance des particuliers et des entreprises sera ébranlée compte tenu de la hausse éventuelle des impôts et des rajustements plutôt ardus qui pourraient devoir être apportés.

Dans une certaine mesure, l'endettement est ce qui risque de nuire le plus à la reprise mondiale.

Le sénateur Harb : J'ai de la difficulté à établir une corrélation entre le taux de financement à un jour de la Banque du Canada et le taux hypothécaire affiché à cinq ans. Je regarde le tableau 2 du Rapport sur la politique monétaire publié en avril 2010 par la Banque du Canada. Le 16 avril, le taux de financement à un jour était de 0,25 p. 100; le taux hypothécaire affiché à cinq ans était de 6,1 p. 100. Il y a deux ans, le 24 avril 2008, le taux de financement à un jour était de 3 p. 100, et le taux hypothécaire affiché à cinq ans était de 6,99 p. 100. Le taux de financement à un jour était de 12 fois inférieur en 2010 à ce qu'il était en 2008, tandis que le taux hypothécaire affiché à cinq ans a varié d'à peine 0,89 p. 100.

Je ne comprends pas. Y a-t-il une corrélation? En tant que consommateur, je me dirais : « Peu m'importe que la Banque du Canada augmente le taux de financement à un jour à 4 ou 4,5 p. 100, puisque le taux hypothécaire affiché à cinq ans ne variera pas beaucoup. »

M. Carney : C'est une question importante. C'est l'une des raisons pour lesquelles nous avons mis ce tableau dans des rapports successifs. Si vous me permettez de faire de la publicité pour notre site web, cette information s'y trouve de façon beaucoup plus détaillée entre chaque publication, et nous totalisons les coûts d'emprunt des consommateurs et des entreprises en un nombre pondéré pour nous permettre d'avoir une idée générale de la tendance relative aux coûts d'emprunt.

Deuxièmement, la réponse technique est la suivante : le taux hypothécaire affiché à cinq ans découle du coût de financement sur cinq ans calculé à un taux fixe pour les institutions financières plutôt que du coût de financement flottant à un jour, ce que prévoit la Banque du Canada. Par exemple, au cours des cinq ou six dernières semaines, nous avons observé qu'en règle générale, partout dans le monde, le taux des obligations d'État à cinq ans a suivi de façon constante le rythme de la reprise mondiale. Lorsque l'inquiétude à propos de la Grèce et l'aversion pour le risque augmentent, le taux diminue un peu, mais en général il a gagné environ 40 points de base au cours de cette période. De plus, le coût de financement pour les banques a lui aussi augmenté indépendamment du taux des obligations d'État, d'environ 15 points de base. Le coût de financement à taux fixe des banques pour cinq ans a augmenté, ce qui s'est répercuté sur les taux hypothécaires fixes pour cinq ans des particuliers.

Il s'agit en partie d'une dynamique. D'une manière générale, c'est la conjoncture mondiale. Que va faire la Banque du Canada à cet égard et quelle est notre contribution à cette dynamique d'ensemble?

Le point que vous soulevez est important. Pour que l'économie canadienne continue de jouir d'un taux d'inflation peu élevé, stable et prévisible, il faut éviter que les taux d'intérêt à long terme subissent une augmentation inutilement abrupte. Comme il n'y a pas de prime de risque-inflation dans les taux d'intérêt à long terme, le fait d'atteindre nos taux d'inflation cibles nous apporte une plus grande stabilité. Toutes choses étant égales, les gouvernements qui ont un exercice budgétaire durable conserveront des taux d'intérêt à long terme mieux ancrés. Les taux d'intérêt à long terme n'ont pas tellement fluctué, ce qui nous porte à croire que le taux fixe procure une plus grande stabilité.

Pour les particuliers, le choix d'un taux fixe ou d'un taux variable dépend entièrement de leurs préférences personnelles en matière de risque et de leur attitude à l'égard des futures fluctuations des taux variables.

Pour faire un lien avec les deux dernières questions du sénateur Gerstein et du sénateur Massicotte, l'un des risques dont nous parlons, c'est que les taux d'intérêt à l'échelle mondiale pourraient augmenter à cause de problèmes financiers qui surviennent ailleurs. Les taux du Canada ne devraient pas augmenter dans la même mesure parce que nous sommes dans une position relativement meilleure, mais il n'en demeure pas moins que nous ne sommes à l'abri de rien compte tenu de l'arbitrage qui existe dans les marchés mondiaux. Nos taux auraient tendance à suivre ceux des autres pays. Toutes choses étant égales par ailleurs, les taux hypothécaires fixes pour cinq ans augmenteraient. Il est important, notamment pour les propriétaires de maison, que de nombreux gouvernements assainissent leurs finances. Nous allons faire notre part pour que l'inflation soit conforme à l'objectif visé et pour que nos taux hypothécaires à long terme n'augmentent pas à cause d'une prime de risque-inflation dans la courbe de rendement.

Le sénateur Greene : La victoire remportée par le Canada à Washington la semaine dernière en ce qui a trait à l'imposition des banques est l'une des victoires les plus importantes que nous ayons remportées à l'échelle internationale. Je ne me souviens d'aucune victoire aussi importante non seulement pour le Canada mais aussi pour d'autres pays.

Tout d'abord, pourriez-vous nous en dire davantage à ce sujet? Deuxièmement, pouvez-vous nous dire si la question touchant l'imposition des banques est réglée pour de bon ou si l'on pourrait en entendre de nouveau parler? Troisièmement, pouvez-vous décrire le mécanisme qui sera utilisé pour remplacer ce qu'une taxe sur les banques nous aurait permis de réaliser?

M. Carney : Les discussions qui ont eu lieu à Washington ont permis de ramener l'attention des décideurs, des ministres, des gouverneurs et d'autres personnes sur les questions les plus importantes que sont le passif fixe et l'infrastructure des marchés, que j'ai décrites un peu dans ma réponse à la question du président.

Pour replacer les choses en contexte en ce qui concerne l'imposition des banques, ou la taxe sur les banques comme on l'appelle, l'un des éléments pertinents réside dans la diversité des motivations déclarées pour justifier une telle taxe. La première est simple et compréhensible d'un point de vue politique. Dans les pays comme les États-Unis et le Royaume-Uni, où les gouvernements ont dû investir des fonds publics pour sauver des institutions, la population veut ravoir cet argent. Les États-Unis en sont l'exemple parfait : une taxe est établie pour une période de 10 ans pour percevoir les 90 milliards de dollars qui ont été prélevés dans les poches des contribuables américains et investis directement dans le secteur financier. Il s'agit d'une imposition ex post, ce qui est compréhensible. La position du gouvernement du Canada est simple : nous n'avons pas eu à investir d'argent et, par conséquent, nous n'avons rien à récupérer.

La controverse porte sur ce que nous allons proposer pour remplacer une telle taxe. La proposition est de créer une taxe ex ante, ce qui, à nos yeux, n'a aucun mérite. L'idée, c'est que nous allons connaître une autre crise à un moment donné; alors nous allons imposer une taxe au secteur financier pour accroître nos réserves ou réduire le déficit, ce qui est encore pire. Ainsi, à la prochaine crise, nous serons en mesure d'intervenir rapidement et de sauver le secteur ou de recoller les pots cassés. C'est la théorie.

Tout d'abord, bonne chance pour ce qui est de réussir à conserver les fonds et de ne pas les réaffecter à autre chose. Deuxièmement, cela va entraîner un changement de comportement dans le secteur financier parce que, s'il le faut, le gouvernement viendra rapidement à la rescousse du secteur avec un gros tas d'argent. Cette idée nous semble tout à fait ridicule, et nous ne voulons pas y être associés. Si d'autres pays veulent faire quelque chose d'étrange, qu'ils le fassent, mais le Canada ne les suivra pas. Je dirais que c'était le sentiment général

La question demeure : comme nous savons qu'il va y avoir des faillites bancaires dans l'avenir, que pouvons-nous faire pour nous assurer que les fonds publics ne seront pas utilisés pour recoller les pots cassés? Il y a bien des façons d'y arriver. Le comité a vu dans le dernier budget des propositions visant la création d'un pouvoir de banque relais pour nos organismes d'assurance-dépôts, de même que d'autres mécanismes de résolution. Le Canada dispose d'un ensemble de pouvoirs très élaborés en matière de résolution, répartis entre le Bureau du surintendant des institutions financières et les organismes d'assurance-dépôts, bien qu'il soit possible de l'améliorer. Si des institutions font faillite, il est possible de les enterrer convenablement de sorte qu'elles n'emportent personne d'autre avec elles.

Le deuxième aspect que le Bureau du surintendant des institutions financières, le ministre des Finances et moi défendons, c'est d'intégrer un fonds dans chaque institution. Ce plan vise à ce que chaque institution ait des fonds propres de réserve. Nous avons parlé plus tôt d'avoir des fonds propres de base — les actions ordinaires principales — au sein des institutions. Ces fonds propres d'urgence s'inscrivent au-delà, disons, de la dette de second rang. Si une institution faisait faillite, cette dette serait convertie en actions ordinaires. Les détenteurs d'obligations deviendraient des détenteurs d'actions; les parts des détenteurs d'actions actuels seraient lourdement diluées; et la banque se refinancerait au moyen de son propre argent.

Ceci aurait de nombreux avantages. Premièrement, l'argent servant à recapitaliser viendrait du secteur. Deuxièmement, les incitatifs seraient justes. Présentement, lorsqu'une institution risque d'être en mauvaise posture, les détenteurs d'actions vont soit tenter le tout pour le tout ou nier la situation. Avec un plan d'immobilisations d'urgence, il est beaucoup plus probable qu'un détenteur d'actions saura que ses actions seront automatiquement converties ou diluées et donc, il appuiera la direction, se débarrassera de quelques actions ou conclura une entente plus restrictive concernant ses actions plus tôt. Ces incitatifs offrent aux actionnaires un bon profil risque-rendement. De toute façon, les capitaux sont là, dans l'institution.

Nous poursuivons activement dans cette voie. Beaucoup d'intérêt a été manifesté à la table du G20 à cet égard. Toutefois, c'est un mécanisme compliqué et nous devons en préciser les détails. Cela va prendre du temps, mais nous y travaillons.

Le sénateur Green : Qu'est-ce qui enclenche le plan d'immobilisations d'urgence?

M. Carney : C'est une bonne question. Dans certains cas, les gens sont en faveur d'un élément déclencheur axé sur les marchés et que la marge du swap sur défaillance, ou CDS, couvre un côté et que les parts de la banque couvrent l'autre côté. Nous pensons que c'est une mauvaise idée à cause de la dynamique très négative des marchés. Les gens ont tendance à diminuer la marge des CDS et à adopter une position longue. On pousse ainsi l'institution à faire une conversion selon la dynamique des marchés. D'après nous, une variante plus intéressante serait une décision réglementaire. Au bout du compte, nous parlons de capitaux qui seraient convertis juste avant que l'organisme de réglementation ne vienne régler le problème de l'institution. Afin d'éviter cela et d'éviter que l'organisme de réglementation se tourne vers les fonds publics pour récupérer la valeur résiduelle, l'organisme déclencherait la conversion des immobilisations d'urgence.

Les marchés ont besoin d'un certain encadrement dans de telles situations, c'est pourquoi nous avons des ratios. Nous sommes à réfléchir à la façon d'établir les exigences en matière de nouveaux capitaux pour les institutions, et c'est un élément essentiel. Ce doit être une décision supervisée et encadrée.

Le sénateur Ringuette : Vous avez dit dans votre déclaration que la croissance mondiale sera de 4 p. 100 jusqu'en 2012. Cette année, la croissance du PIB du Canada sera de 3,7 p. 100. Toutefois, ce pourcentage diminuera probablement de moitié en 2012. C'est à peu près 50 p. 100 de moins que la croissance mondiale.

Je comprends vos explications et vos estimés à cause du retrait des mesures de stimulation qui aura lieu, et le secteur privé ne pourra peut-être pas obtenir le même taux de croissance que le PIB prévu cette année. Nous devons être réalistes, actuellement, certains secteurs de notre économie ont perdu des marchés à cause du dollar canadien. Ces marchés sont perdus pour de bon. Les nouveaux marchés sont difficiles à trouver à cause de la crise mondiale et je me demande si nous devrions bien imposer une date limite aux mesures de stimulation économique, comme vous l'avez proposé. Ai-je bien fait le tour?

M. Carney : La première chose que je veux dire, c'est que la croissance mondiale de 4 p. 100 reflète de mieux en mieux la force de marchés émergents importants. Nous sommes dans une période au cours de laquelle la croissance de marchés émergents constituait la moitié de la croissance mondiale au début de cette décennie. Ce taux se dirige vers les 60 p. 100, soit environ les deux tiers de la croissance mondiale, si l'on calcule sur une base de parité du pouvoir d'achat. Il y a un transfert en termes de pouvoir et, manifestement, la limite de vitesse des économies de marché émergentes est beaucoup plus élevée que celle des économies développées. Il y a beaucoup de rattrapage à faire, alors que l'économie chinoise peut croître de 8 à 10 p. 100 sans imposer de poussée inflationniste ou atteindre les limites de son économie, des économies telles que celles du Canada peuvent croître à un rythme beaucoup plus lent.

En 2010, la contribution du gouvernement à la croissance est très importante et notre opinion là-dessus a toujours été la même. Quant à la participation des gouvernements fédéral et provinciaux à la croissance de 2010, nous constatons que 1,30 p. 100 des 3,7 p. 100 de croissance vient des gouvernements. Toutefois, les plans fiscaux des gouvernements fédéral et provinciaux cette année se stabilisent et commencent à se développer. Ainsi, il s'agit de la dernière mesure de relance du gouvernement fondée sur les plans actuels, ce qui, je crois, est en partie ce que vous dites.

Les gouvernements doivent se prononcer sur la viabilité financière. Il est important de voir que le secteur privé comble les manques, et que pour 2011, la croissance de 3,1 p. 100 provient du secteur privé, au Canada comme à l'étranger.

Pour ce qui est de 2012 et après, l'économie canadienne revient à sa pleine capacité d'ici le milieu de l'année 2011. Par ailleurs, l'économie devrait croître à son niveau de croissance potentiel et le taux de croissance potentiel au Canada et dans toute autre économie est tributaire de la croissance et du coût de la main-d'œuvre, du nombre d'heures que les gens travaillent, du nombre de personnes qui travaillent et de l'augmentation de la productivité.

Au Canada, nous prévoyons que les données démographiques de notre pays feront en sorte que la part de croissance et le coût de la main-d'œuvre, qui plus tôt dans la décennie et même avant contribuaient à un taux de 1,5 p. 100, variaient chaque année selon la croissance annuelle comme nous nous y attendions, soit d'un demi-point environ et qu'il diminuera graduellement au cours de la décennie. Nous nous attendons à ce que la croissance de productivité reprenne assez rapidement en partant des niveaux très bas actuels jusqu'à environ 1,4 p. 100 d'ici 2012 — la somme des deux, les coûts de la main-d'œuvre et la productivité, à savoir 1,9 p. 100 de croissance potentielle pour l'économie. Le fait est que ce rythme est presque aussi rapide que celui que notre croissance économique potentielle peut adopter une fois que le terrain perdu à cause de la récession sera rattrapé.

Pour que l'économie croisse plus rapidement, les Canadiens devront décider de travailler plus longtemps pendant leur vie active et de travailler plus. Un moyen plus intéressant serait peut-être des investissements plus importants et l'adoption de meilleures pratiques d'affaires, ce qui nous permettrait d'améliorer la productivité de l'économie, et nous avons un grand écart de 20 p. 100 avec le taux de productivité des États-Unis, et un écart encore plus grand avec des pays comme la France et l'Allemagne, par exemple. Nous avons donc une grande marge de manœuvre à cet égard et si nous pouvions accélérer la croissance de la productivité de notre pays et obtenir les chiffres qui nous intéressent, ce qui vous préoccupe, il faudrait prendre également une série de décisions dans le secteur privé.

[Français]

Le sénateur Hervieux-Payette : J'allais vous poser la question au sujet du fait que l'Allemagne et la France ont cinq semaines de vacances statutaires chaque année. Ils ont un maximum de 35 heures de travail par semaine et ils prennent leur retraite à 60 ans. Est-ce qu'ils travaillent plus vite? Est-ce qu'ils pensent plus vite? Ont-ils des hommes d'affaires qui investissent plus? Je veux avoir la réponse. Je comprends qu'ici, avec la pyramide d'âge, on peut être obligé de travailler plus tard. Mais vous allez m'expliquer comment, en termes de productivité, ça fait 10 ou 15 ans que j'entends dire par le gouverneur de la Banque du Canada que le Canada n'est pas productif. Qui est le coupable?

Dans le fond, on devrait tous être mieux si on était plus productifs, mais ce n'est pas en travaillant non plus à moins du salaire minimum américain qu'on va devenir plus productifs. Pour les gens qui nous écoutent, c'est important de savoir quels sont les facteurs, les critères qui feront que le Canada sera plus productif et quel est le rôle que le gouvernement peut jouer là-dedans. Somme toute, vous parlez à des parlementaires. Il faut donc une solution à cette productivité.

M. Carney : Merci de votre question.

Le président : Une bonne question qui sera suivie d'une bonne réponse.

M. Carney : J'espère que oui, plusieurs gouvernements canadiens aux niveaux fédéral et provincial ont pris des décisions très importantes afin d'augmenter la productivité de nos entreprises et de notre pays. Il y avait plusieurs réductions des impôts corporatifs et des impôts par rapport aux nouveaux investissements et pour les investissements dans la recherche primaire et dans l'éducation secondaire et postsecondaire. Ce sont de grands investissements qui se font dans les infrastructures de notre pays.

Le niveau d'investissement par rapport à notre PIB, dans notre infrastructure, est à un niveau aussi élevé qu'à n'importe quelle période dans le passé. Ce n'est pas une question du niveau de l'investissement ni une question du niveau de taxe corporative, ni du niveau d'investissement dans la recherche primaire, la recherche publique.

Quel est donc le problème ici? Tout d'abord, il y a une hésitation des entreprises canadiennes d'investir à cause des incertitudes dans l'économie mondiale et surtout à cause de l'incertitude reliée au futur de l'économie américaine. C'est une question actuelle, ce n'est pas une incertitude depuis longtemps. Deuxièmement, il est nécessaire que les entreprises canadiennes changent leur point de vue face à de nouveaux marchés.

[Traduction]

Au bout du compte, notre écart de productivité est considérable. En termes de facteur, c'est même dépassé. Nos entreprises n'investissent pas autant dans la machinerie et l'équipement, dans la formation ou dans la recherche que les entreprises américaines et de nombreuses entreprises européennes. Dans l'ensemble, il reste encore quelques problèmes. Il faut faire davantage. C'est un marathon et non pas une épreuve de vitesse du point de vue de la politique gouvernementale, mais les divers ordres de gouvernement ont déjà fait des progrès dans l'amélioration du milieu des affaires de notre pays.

Nous prévoyons que la réponse prendra la forme d'investissements massifs et permettra à notre croissance de productivité de passer de presque zéro comme elle l'est actuellement à juste un peu moins de 1,5 p. 100 d'ici 2012. Vous affirmez qu'il existe encore un écart considérable entre la productivité des entreprises canadiennes et celle des entreprises les plus productives en Europe.

J'ai été prudent lorsque j'ai dit qu'il revenait aux Canadiens de déterminer s'ils veulent travailler encore quand ils auront 50 ou 60 ans. Je ne dis pas qu'il existe une politique à cet égard, et nous ne devrions certainement pas pénaliser qui que ce soit pour ça. Ça ne devrait pas être moins attrayant.

En France, le choix est réduit. On encourage une baisse des heures de travail, ce qui rend les entreprises plus productives mais amène une baisse générale du bien-être des citoyens. Je crois que le président de la France a été très clair sur les lacunes de ce système.

Le sénateur Ringuette : Vous faites partie d'un comité qui s'appelle CSIF, et qui dépend du BSIF. Lorsque vous examinez les documents financiers, est-ce que vous étudiez également les nouveaux produits financiers qui sont achetés ou créés par nos banques canadiennes dans le marché canadien?

M. Carney : À l'occasion, mais la responsabilité du CSIF est microprudentielle — la sécurité et la bonne santé financière des institutions elles-mêmes. Des questions comme celles que vous soulevez, qui sont importantes, nuiraient à la santé financière de l'institution et ce que cela a signifié, dans le cas des banques, aux déposants — si les déposants obtiennent leur argent au bout du compte — et dans le cas des compagnies d'assurance, aux titulaires de police. Le mandat du CSIF se limite aux questions microprudentielles.

Le sénateur Ringuette : J'ai une brève mais très importante question concernant le G20. Nous savons tous que la crise financière mondiale a été causée par un nouveau produit financier qui a été introduit dans le marché par des institutions financières sans règlements, et tout accord conclu par le G20 devrait comprendre des règlements à cet égard. Si la cause du problème actuel n'est pas examinée par le G20, il n'y a absolument aucune norme dans les marchés financiers globaux.

M. Carney : Je comprends votre point. Il y a plusieurs causes à la crise qui se sont combinées pour la rendre plus virulente, mais il est vrai que l'essor d'un système bancaire fantôme reposant sur plusieurs produits à l'extérieur de la réglementation centrale et qui a atteint rapidement une taille énorme a constitué l'un des facteurs. L'un de nos engagements au sein du G20 est d'élargir le périmètre de réglementation afin qu'une personne ne puisse pas exercer les mêmes activités à l'écart de la réglementation. Autrement dit, il faut mettre fin aux entreprises industrielles dotées d'une grande division de services financiers, qui est en fait une banque, mais qui n'est pas autant réglementée, et il y a différentes façons d'y arriver en élargissant la forme de la réglementation.

On s'entend pour reconnaître le besoin de prévoir les marchés systémiques qui pourraient être développés par de nouveaux produits, comme ceux auxquels vous faites référence, et d'amener ces produits, dans la mesure du possible, dans des marchés boursiers négociables ou des marchés de compensation centralisée afin que les gens puissent voir ce qui se passe et que les marchés puissent être réglementés comme il se doit.

Votre point est tout à fait exact. Cela fait partie du programme de travail, et le défi ne consistera pas tant à déterminer ce qui existe aujourd'hui, parce qu'il est facile de le faire, qu'à élaborer ces règlements d'une façon qui permette de prévoir ce qui sera inventé demain.

Le sénateur Kochhar : Merci de venir témoigner, monsieur le gouverneur. Je suis nouvellement sénateur, et je suis ravi de vous rencontrer pour la première fois.

J'aimerais parler d'un sujet que vous avez déjà abordé, soit la productivité dans notre pays et l'incidence de la hausse de notre dollar sur la productivité. La valeur relativement élevée du dollar a des effets positifs et négatifs. Vous serez d'accord pour dire qu'il ne faut pas se pencher sur le niveau du dollar, mais plutôt sur l'absence de concurrence. Si notre dollar est élevé et que nous ne pouvons pas faire concurrence, ce n'est pas le dollar qu'il faut blâmer, mais plutôt la compétitivité de notre industrie.

Vous serez également d'accord pour dire que l'un des avantages d'un dollar élevé sera d'encourager les entreprises à investir dans la machinerie et la recherche. Vous nous avez déjà dit que les entreprises canadiennes peuvent s'améliorer grâce aux investissements en recherche, en machinerie et dans l'entreprise en général.

Étant donné le concert d'éloges entourant l'état de la politique gouvernementale, quelles mesures supplémentaires la banque peut-elle prendre selon vous pour améliorer la productivité de nos entreprises?

M. Carney : Merci, sénateur. Je vais d'abord vous renvoyer à notre Rapport sur la politique monétaire. À la page 21 de la version anglaise et aux pages 22 et 23 de la version française, le graphique 19 fait état des coûts unitaires de main- d'œuvre au Canada et aux États-Unis, en dollars américains, au cours des deux dernières années. La ligne rouge représente le Canada. On voit que les coûts unitaires de main-d'œuvre, qui constituent une mesure de productivité, augmentent d'environ 10 p. 100 depuis le début de l'année 2007; et on voit que les coûts unitaires de main-d'œuvre aux États-Unis ont chuté d'environ 4 p. 100 au cours de la dernière année. Par conséquent, un écart de 14 p. 100 s'ouvre entre le Canada et les États-Unis simplement pour ce qui est du flux. Si on tient compte du taux de change, un écart de 26 ou de 27 p. 100 s'ouvre entre le Canada et les États-Unis. Voilà un portrait très sombre du sujet de notre discussion.

En réponse à la question importante concernant les mesures additionnelles, j'ai dit plus tôt qu'il s'agissait d'un marathon et que d'autres étapes pouvaient être entreprises. Je dirais qu'il s'agit des mêmes stratégies d'investissement que celles des gouvernements, que nous sommes un chef de file dans le domaine de l'investissement public. La difficulté consiste à déclencher la réaction en chaîne et à obtenir les avantages liés à la commercialisation de cet investissement dans les infrastructures. L'investissement dans les infrastructures se fait mieux sur plusieurs années; ce doit être des infrastructures stratégiques — des infrastructures économiques, si vous voulez — pour que la réaction en chaîne soit maximale.

Il y a deux autres problèmes, et je vais en venir au rôle de la banque dans tout cela. Deux problèmes méritent notre attention. L'un est le degré de concurrence, tant au pays qu'à l'étranger, relativement à l'économie, ce qui favorise l'investissement. La mesure dans laquelle la concurrence, tant au pays qu'à l'étranger, est permise est une décision prise par différents ordres de gouvernement. Je ferai cette observation.

En ce qui concerne le second problème, je crois que votre comité a examiné dans le passé le piège de l'aide sociale sur l'impôt des particuliers. Notre système fiscal présente divers programmes sociaux et crédits d'impôt très appropriés, de même qu'une progressivité, mais le système a malheureusement comme incidence non souhaitée que lorsqu'une personne sort de la pauvreté et commence à travailler, son taux effectif marginal d'imposition est élevé en raison de la disposition de récupération. Le gouvernement a adopté la Prestation fiscale pour le revenu de travail, PFRT, pour aider à adoucir cette incidence du côté personnel; la récupération existe encore, mais elle a été adoucie et réduite.

Si on pense à la même situation pour les petites entreprises, nous avons un taux d'imposition très attrayant pour les petites entreprises. Nous avons un régime attrayant pour les investissements en recherche et développement dans les petites entreprises. Il y a divers autres facteurs qui visent les petites entreprises et qui prennent fin quand les entreprises cessent d'être petites.

Le Canada compte beaucoup plus de petites entreprises que d'autres économies. C'est une bonne chose; cela fournit beaucoup d'emplois. Cependant, nous ne voulons pas que les entreprises soient petites; nous voulons qu'elles soient en mesure de croître. À long terme, dans tous les ordres de gouvernement, il vaut la peine d'examiner si nous avons les bonnes mesures incitatives et si la transition des entreprises de petites à moyennes, jusqu'à grandes, se fait en douceur. Il y a d'autres priorités et enjeux, mais je vous présente celui-là.

La contribution de la banque à cela, d'abord et avant tout, est d'atteindre notre mandat concernant l'inflation afin que la seule chose dont les entreprises et les personnes n'ont pas à s'inquiéter est l'inflation qui ne sera rien d'autre que faible, stable et prévisible. Ainsi, elles peuvent maintenir de faibles coûts de financement et se concentrer sur leur travail.

De plus, nous avons deux autres responsabilités. L'une consiste à travailler avec le ministère des Finances, le ministre des Finances et d'autres organismes comme le Bureau du surintendant des institutions financières dans le cadre de processus comme le G20 pour améliorer notre système financier. On peut toujours l'améliorer pour le rendre davantage résilient et efficace.

Enfin, parce qu'en remplissant nos responsabilités principales nous devons tenir compte de la macroéconomie dans son ensemble, nous devons essayer de cerner ces tendances et enjeux globaux afin que d'autres, qui en sont responsables plus directement, puissent y répondre par des politiques publiques. Il est important de souligner que le message que nous essayons de donner aux entreprises canadiennes au cours des derniers mois, c'est que la reprise a pris une certaine vigueur. Le niveau d'incertitude, bien qu'il soit encore plus élevé qu'à l'habitude, a été réduit, et un écart de productivité s'est ouvert. Les conditions financières sont très bonnes; c'est le bon moment d'investir et c'est un moment nécessaire pour investir. Cependant, nous leur laissons le choix de prendre ces décisions selon ce qu'ils jugent approprié pour leurs entreprises.

Le sénateur Moore : J'aimerais revenir sur une question que le sénateur Massicotte a posée concernant les PIGE européens — Portugal, Irlande, Grèce et Espagne. Le Canada détient-il des bons de ces pays? Dans l'affirmative, quelle somme représentent-ils?

M. Carney : Je n'ai pas les chiffres sous la main. De temps en temps, des sommes du Compte du fonds des changes, qui constitue les réserves du gouvernement du Canada — la banque agit à titre d'agent du gouvernement —, sont placées dans des valeurs de l'État de haute qualité. Ce compte détiendra parfois des titres de haute qualité de certains des pays auxquels vous faites référence. Je n'ai pas les chiffres exacts sous la main.

Le sénateur Moore : Compte tenu de ce qui se passe actuellement en Grèce, soit de la situation abordée par le sénateur Massicotte, et de ce que pourraient être les avoirs, j'imagine que vous êtes probablement en train de vous pencher là-dessus et de surveiller le tout de très près. Est-ce un sujet de préoccupation? Est-ce suffisant pour retenir votre attention?

M. Carney : Pour rassurer le comité, j'aimerais souligner que notre gestion des actifs, qui se fait conjointement avec le ministère des Finances, n'est pas passive. En d'autres mots, nous sommes conscients que ces cotes de solvabilité proviennent d'organismes indépendants de ces pays; nous ne nous fondons pas sur ces cotes pour prendre nos décisions en matière d'investissement.

Elles constituent un filtre initial, mais nous faisons notre propre analyse de la solvabilité des pays et de la pertinence des investissements proposés; nous procédons ensuite aux ajustements nécessaires. Je ne veux pas laisser croire à quiconque ici que nous avons des inquiétudes au sujet des pays auxquels vous faites référence.

Le sénateur Moore : Actuellement, avez-vous des inquiétudes en ce qui concerne la Grèce?

M. Carney : Je n'ai aucune inquiétude en ce qui concerne les investissements dans le Compte du fonds des changes du gouvernement du Canada.

Le sénateur Moore : Ce n'est pas vraiment ce à quoi je m'attendais, mais j'accepterai cette réponse.

M. Carney : Je m'en allais justement la répéter, si nécessaire.

Le sénateur Moore : En ce qui concerne vos remarques au sujet des aspects de la réforme à laquelle vous travaillez, plus précisément en ce qui concerne les fonds propres de niveau 1 — pour que le public comprenne —, vous dites en gros que l'on souhaite qu'une nouvelle norme soit établie par suite de ces négociations et de ces rencontres, soit une norme selon laquelle les banques devront avoir en caisse plus de fonds provenant de bénéfices en capitaux propres ou de bénéfices non répartis pour être en mesure de remplir leurs obligations. Est-ce exact?

M. Carney : Oui, plus de capitaux propres, mais, effectivement, des capitaux propres qui découlent directement des ventes d'actions ou de bénéfices non répartis.

Le sénateur Moore : Vous avez parlé des règles de Bâle, et vous avez parlé de « système bancaire parallèle »; ce que je comprends, c'est qu'il s'agit d'un système dans lequel les « banques » créeraient une coquille vide dans un paradis fiscal à l'étranger, puis la rempliraient de dettes de manière à effacer toutes les dettes de leurs dossiers. Beaucoup de pays qui ont adhéré aux règles de Bâle sont toujours là. Ont-ils reconnu qu'il était mal de mener ce type d'activités, et sont-ils prêts à mettre un terme à tout cela?

M. Carney : Oui, je dirais que vous avez mis le doigt sur un des éléments que l'on associe au secteur bancaire parallèle. On devrait mettre fin à beaucoup d'autres types d'activités. Je fais allusion, par exemple, aux conglomérats industriels dont les filiales de crédit étaient bel et bien des filiales bancaires. Il y avait d'autres méthodes touchant le marché monétaire, notamment la réalisation d'emprunts à très court terme et de prêts à long terme au moyen d'instruments d'investissement à court terme, ce que l'on appelle communément la transformation des échéances et qui est l'une des principales fonctions des banques, dans des cas où il n'existe aucun filet de sécurité. On doit mettre un terme à ces activités en veillant à l'application de règlements cohérents.

Le sénateur Moore : Est-ce que les personnes engagées dans les discussions à ce sujet reconnaissent que cela a joué un rôle important dans ce qui s'est passé, et sont-elles prêtes à prendre des mesures concrètes pour empêcher que cela se produise de nouveau?

M. Carney : Oui. Il nous reste à vous présenter les règles finales sur lesquelles nous nous sommes entendus.

Le sénateur Moore : Je suis heureux d'entendre qu'on s'en occupe.

M. Carney : Je crois que tout le monde a constaté que la plupart du temps, il s'agissait de problèmes découlant d'activités amorcées dans le secteur bancaire parallèle, mais qui revenaient, d'une façon ou d'une autre, dans le secteur bancaire officiel, en raison, disons, d'une obligation morale ou d'obligations contractuelles directes à l'égard de ces entités.

Le sénateur Moore : Je vais revenir sur la question qu'a posée le sénateur Ringuette au sujet des instruments utilisés. On a allégué que certaines institutions des États-Unis ont créé des fonds, les ont remplis avec des instruments à haut risque, les ont vendus aux collectivités, aux institutions et au gouvernement — soit au public — en sachant qu'ils allaient faire faillite, n'ont rien dit aux investisseurs à ce sujet, puis ont misé contre eux et ont procédé à la liquidation. Nous parlons ici d'instruments dérivés non réglementés et de fonds spéculatifs.

Est-ce que c'est votre groupe qui travaille à la formulation des nouvelles règles pour empêcher que de telles activités soient menées et pour réglementer les instruments en question? Même l'investisseur le plus averti ne peut deviner ce qui se cache derrière tout cela. Essayez-vous de dénoncer cela pour que les règlements nécessaires soient établis et pour qu'une diffusion publique soit faite, dans un souci de transparence?

M. Carney : Pour faire une réponse courte, je dirais que c'est le cas. Laissez-moi vous donner deux exemples.

Premièrement, pour ce qui est de la transparence, nous sommes bien au fait de la situation liée aux billets de trésorerie appuyés par des avoirs non bancaires; c'est un exemple classique de système bancaire parallèle qui montre une absence de transparence et un échec évident des organismes de cotation et des investisseurs, qui se fondent essentiellement sur la notation financière. Il est très difficile de trouver un investisseur qui ait fait une analyse indépendante en bonne et due forme de la qualité des valeurs en jeu.

Dans ce cas, pour fournir de la stabilité et des directives à l'autre segment du marché du papier commercial appuyé par des actifs — qui était en fait appuyé par des factures réelles de cartes de crédit, des prêts-autos, et cetera, tous issus de programmes pilotés par nos banques — la Banque du Canada, même si nous ne sommes pas les dernières personnes à le faire, a changé de façon spectaculaire les exigences en matière de transparence avant que nous ne prenions tout cela comme titres remis en nantissement dans nos opérations; en outre, la Banque du Canada en a fait autant pour garantir que l'information que nous avions reçue était mise à la disposition de tous les investisseurs potentiels. À notre avis, il s'agit en quelque sorte d'un modèle que les organismes de réglementation des valeurs mobilières et d'autres responsables devraient suivre au moment de décider s'il doit y avoir une diffusion générale des valeurs appuyées par des actifs. Finalement, on peut dire que les décisions en matière de diffusion reviennent aux organismes de réglementation des valeurs mobilières, et je sais que les ACVM, les Autorités canadiennes en valeurs mobilières, se penchent sur ces questions; nous communiquons régulièrement avec l'ACVM à ce sujet.

Vous vous êtes surtout attardé sur les instruments dérivés complexes et sur les réformes qui pourraient améliorer les choses de ce côté. Je voudrais souligner l'importance de transformer ces produits dérivés normalisés en plateformes de compensation centralisée.

Le sénateur Moore : Par « plateformes », entendez-vous « bourse »?

M. Carney : Pas la bourse en soi, parce que si nous essayions de les faire entrer en bourse, nous en restreindrions la quantité possible. Pour qu'une chose soit cotée en bourse, il faut qu'elle soit absolument identique; ainsi, il faudrait qu'elle soit, par exemple, un contrat de taux d'intérêt qui aurait exactement la même échéance et des lots de même taille. Dans un service central de compensation, vous pouvez avoir différentes échéances pour un contrat fixe d'instruments de nature flottante ou pour un contrat d'échange sur défaillance associé à un certain nom de référence. Une même entité peut s'acquitter de différents aspects. Toutes les opérations font l'objet d'un rapport, donc elles sont toutes publiques, et nous disposons de toute l'information nécessaire, chose qui n'est pas vraie en ce moment. Nous disposerions de l'information nécessaire au sujet des opérations effectuées et des prix demandés. Il est important de souligner que nous obtenons des avantages importants au moyen des contrats de compensation touchant les garanties que l'on conclut pour s'acquitter de façon centralisée de ses obligations.

Le sénateur Moore : Donc, vous savez tout ce que cela comporte.

M. Carney : Vous savez tout ce que cela comporte, et vous réduisez grandement le risque que présentent ces opérations entre entités, ce qui permet d'éliminer les liens qui existent avec l'une des entités visées, l'une des banques qui fait des opérations, si cette dernière fait faillite, et ce sans causer l'effondrement du marché au grand complet.

La troisième chose importante est que si l'on suivait le processus de Bâle, les frais associés aux instruments dérivés qui sont échangés ou dont on s'acquitte par l'intermédiaire d'une contrepartie centrale seraient différents de ceux que l'on associe aux instruments dérivés qui sont juste échangés entre deux banques. Cela serait beaucoup plus dispendieux d'échanger les instruments dérivés entre les deux banques. Ainsi, cela réduirait de façon spectaculaire le nombre d'instruments dérivés en raison du plus grand nombre d'obstacles qui devraient être surmontés, et cela profiterait aux instruments plus sensés, économiquement parlant.

Le sénateur Moore : Je suis d'accord avec vous au sujet de la taxe proposée s'appliquant aux banques. Elle aurait entraîné un risque moral qui se serait répercuté sur les transactions des gens et sur leur mode de fonctionnement. Je suis heureux que nous ayons réussi à l'éviter.

Le sénateur Ringuette : Qui s'occuperait de superviser le système central de compensation pour ces produits?

M. Carney : En vertu de la Loi canadienne sur les paiements, la Banque du Canada est chargée de la surveillance des systèmes de paiement généraux, tandis que, normalement, les organismes centraux de compensation sont également régis par les commissions des valeurs mobilières. Par exemple, le TSX a une contrepartie centrale; la responsabilité est donc partagée. Donc, si cette entité est créée, il faudrait qu'elle s'applique à l'ensemble du système pour bien fonctionner. Autrement dit, il faudrait que le volume de transactions soit assez élevé pour qu'il s'agisse d'un système global, même dans l'éventualité où la contrepartie centrale venait à faire défaut.

Si le processus fonctionne, ce qui reste à voir, nous ferions de notre mieux pour faire désigner le système de paiement. Notre responsabilité serait alors de nous assurer que l'entité est sûre et qu'elle prend des décisions réfléchies, afin que les participants au marché aient confiance en son fonctionnement, de la même façon qu'ils sont convaincus que le Système de transfert de paiements de grande valeur, soit le marché à un jour où se font de nombreuses transactions que nous surveillons, fonctionnera toujours pour leur permettre de transiger.

[Français]

Le sénateur Mockler : Je vais toucher à la question des hypothèques. Comme on le sait que peu importe où l'on vit, les Canadiens et les Canadiennes aspirent à être propriétaires de leur propre maison. Cela dit, on mentionne dans différents milieux de la presse que le gouverneur de la Banque du Canada craint que la hausse des taux affecte les ménages. J'ai trois questions à vous poser.

[Traduction]

La banque a diminué les taux d'intérêt, de sorte qu'il est plus facile d'acheter ou de refinancer une propriété. Or, la banque s'inquiète également du fait que de nombreuses personnes qui ont financé ou refinancé leur propriété à des taux inférieurs pourraient se retrouver dans une situation précaire lorsque les taux finiront par augmenter. Cependant, en février dernier, le ministre des Finances a annoncé de nouvelles règles sur les hypothèques selon lesquelles tous les emprunteurs devront satisfaire aux critères établis pour les hypothèques de cinq ans à taux d'intérêt fixe, quelle que soit la durée de leur prêt hypothécaire. Ces règles ont également pour effet de diminuer la somme prêtée pour un refinancement hypothécaire et d'exiger une mise de fonds minimale de 20 p. 100 pour l'assurance prêt hypothécaire endossée par le gouvernement et souscrite pour des propriétés qui ne seront pas habitées par l'acheteur.

Cela dit, selon la banque, ces mesures prises par le gouvernement sont-elles bénéfiques? Convenez-vous que nous n'avons pas ici de bulle immobilière, mais que nous devons tout mettre en œuvre pour éviter qu'il ne s'en crée une? Enfin, êtes-vous d'avis que le marché immobilier au Canada n'a pas souffert des mêmes excès qui ont entraîné l'instabilité des bulles immobilières ailleurs dans le monde?

[Français]

M. Carney : Ce sont des questions importantes. Je vais y répondre mais premièrement, j'aimerais souligner le fait qu'en ce qui concerne la conjoncture canadienne, selon la Banque du Canada, il y avait un devancement des dépenses des ménages dans la deuxième moitié de l'année dernière et le premier trimestre de cette année, surtout dans le secteur immobilier des ménages. C'est à cause des très bas taux d'intérêt et c'est aussi à cause de la perspective de l'introduction de la TVH en Ontario et en Colombie-Britannique.

[Traduction]

Pour ce qui est des investissements dans le secteur résidentiel, le crédit d'impôt pour la rénovation domiciliaire a favorisé ces investissements.

Par conséquent, pour comprendre nos prévisions, il est important de préciser que la forte croissance dans sa phase initiale y a joué pour beaucoup, même si elle n'explique pas tout. Il y a donc eu une grande augmentation de la demande, particulièrement dans le secteur immobilier et dans les autres biens de consommation à la fin du dernier exercice et au début de l'année. Cette demande finira par s'essouffler, et nous voyons effectivement une diminution marquée des investissements dans le secteur immobilier et domiciliaire dans son ensemble, ce qui comprend la rénovation, pour le reste de l'année en cours. Il ne s'agit pas d'un commentaire sur les prix, mais bien sur le niveau d'investissement.

Quant à la question sur les mesures instaurées par le ministre des Finances, oui, nous estimons qu'elles sont très appropriées. Comme le prévoit la Loi sur la Banque du Canada, le ministre et moi-même, nous nous consultons régulièrement et nous avons discuté de ces mesures avant qu'elles soient prises. Il s'agit évidemment de la décision du ministre, mais nous avons accueilli favorablement ces mesures. Nous estimons qu'elles permettront de ralentir la spéculation dans le secteur de l'immobilier, qui n'est pas justifiée.

Concernant l'état du marché immobilier au Canada, comme chacun le sait, les marchés immobiliers varient énormément en fonction des régions. En général, la valeur des maisons a augmenté considérablement au cours de la dernière année. Le secteur immobilier est considéré comme une valeur sûre ici. Pour ce qui est du niveau d'activité dans ce marché, nous nous attendons à voir un ralentissement.

Enfin, pour ce qui est de votre dernière question, la façon dont le système de financement à l'habitation et les marchés immobiliers fonctionnent au Canada s'explique par des raisons d'ordre structurel et par les avantages qui en découlent. Notre système d'assurance hypothécaire nous permet de réglementer et d'ajuster, au besoin — comme le ministre des Finances vient tout juste de le faire — les règles de prudence qui s'appliquent lorsqu'une personne contracte une hypothèque à haut ratio prêt-valeur. Il est possible de le faire au moyen de la cote de crédit, de la durée de l'amortissement, de l'utilisation des produits, même s'il s'agit d'un immeuble de placement, ou de la mise de fonds exigée. Comme je le disais, ces mesures permettent d'exercer un certain contrôle et peuvent être adaptées, ce que vient d'ailleurs de nous démontrer le ministre.

L'autre avantage du système canadien, particulièrement par rapport aux États-Unis, est l'absence de déductions fiscales des intérêts. Aux États-Unis, on est souvent porté à réhypothéquer une propriété dès qu'on a réuni du capital, parce que c'est souvent avantageux sur le plan fiscal. Toutefois, cela place l'ensemble du système dans une situation plus précaire, comme nous l'avons tous constaté à nos dépens.

Les institutions financières canadiennes ne titrisent qu'environ un tiers de leurs hypothèques; la majeure partie demeure dans le bilan de l'institution et n'est pas assurée. Les institutions s'exposent donc à un risque direct, ce qui justifie le maintien de normes en matière de sélection des risques.

Finalement, il ne s'agit que d'extrapolations, mais s'il devait y avoir un problème dans le régime d'habitation canadien, la nature de l'assurance hypothécaire est telle que les institutions financières ne s'en ressentiraient pas. Ce qu'on a observé aux États-Unis et dans d'autres pays, c'est que l'effondrement du secteur immobilier a entraîné des pertes. Ces pertes ont réduit le capital des institutions financières, qui ne pouvaient donc plus prêter d'argent aux ménages et aux entreprises. Cette situation a accéléré la récession, aggravant ainsi la chute du secteur immobilier, ce qui a eu pour conséquence de réduire d'autant plus le capital, et ainsi de suite.

Au Canada, si jamais il devait y avoir une crise, compte tenu de la structure — qu'elle nous plaise ou non — les coûts iraient directement aux assureurs hypothécaires, et il n'y aurait aucune répercussion sur les institutions financières. Au moins, les institutions financières pourraient continuer de fonctionner. Il y a donc des avantages, mais aussi des inconvénients, mais quoi qu'il en soit, les mesures prises par le ministre étaient tout à fait indiquées.

Le président : À ce sujet, monsieur le gouverneur, ai-je raison de croire qu'aux États-Unis, un facteur qui a contribué à la spéculation dans le marché immobilier était le fait que la garantie se limitait à la maison, alors qu'au Canada, tous les actifs de l'emprunteur sont accessibles?

M. Carney : Vous avez tout à fait raison, tous les deux. Au Canada, effectivement, l'emprunteur doit fournir une garantie pour son prêt hypothécaire, sauf en Alberta. Aux États-Unis, dans la grande majorité des États, il n'y a aucune garantie exigée. Il y a des exceptions à cette règle, mais ce facteur a été à l'origine de certains comportements et a compliqué la situation aux États-Unis.

[Français]

Le sénateur Hervieux-Payette : Lorsqu'on a fait la restructuration de la Loi sur les banques, on a décidé de suivre le modèle international, qui était de permettre aux banques d'acheter des maisons de courtage. J'avais des hésitations à ce moment, mais comme les Américains, et les Londoniens en particulier, avaient mis ensemble ce qu'ils appelaient les quatre piliers, cela devait être la recette formidable pour réussir. La nature même d'une banque, c'est d'offrir la sécurité, la nature du courtage, c'est de prendre des risques. Et finalement, les maisons de courtage avaient un parachute qui était la banque.

Dans l'examen que vous faites avec le G20, est-ce que vous étudiez la possibilité de séparer les deux opérations? On a mis le secteur bancaire en danger à cause de l'agressivité du secteur de courtage.

J'aurai une autre question sur le dollar.

M. Carney : Tout d'abord, je crois qu'il y a des avantages au Canada à cause des fusions des maisons de courtage et des banques commerciales au Canada.

Le superviseur des banques régule les entreprises dans un sens consolidé. Alors la réglementation est la même pour les maisons de courtage et les banques commerciales. Un des problèmes aux États-Unis est qu'il y avait des maisons de courtage avec le SEC et les banques commerciales avec le contrôle de la devise et les autres règlementations. Il y avait de grandes différences entre les réglementations, surtout de ratio de leviers des entreprises. La plupart des problèmes aux États-Unis étaient dans les banques d'investissement à cause d'une forte augmentation de ratio de leviers pendant les années 2000.

Deuxièmement, il est très important de savoir qu'il y a des nouvelles règles en ce qui concerne le montant des fonds qui appuient les activités de l'échange des banques d'investissement.

[Traduction]

Il existe de nouvelles règles sur les instruments de négociation, conformément au cadre de Bâle II, selon lesquelles les capitaux propres requis pour les activités boursières doivent être trois fois plus élevés. Nous avons convenu que les institutions étaient prêtes à mettre en œuvre ces nouvelles règles. En fait, elles devraient être adoptées partout dans le monde. Ce n'est qu'une question de temps. La fin de semaine dernière, à Washington, nous avons discuté avec des représentants d'Europe, des États-Unis et d'Asie au sujet de la date exacte de mise en œuvre. Actuellement, c'est prévu pour la fin de l'année, mais cela pourrait être un peu plus tard. Des responsables de haut niveau des États-Unis nous ont assurés que les règles seraient mises en œuvre aux États-Unis dès qu'elles seraient prêtes à être instaurées ici.

Quant à vos préoccupations, que nous partageons également, concernant le niveau de risque des activités boursières de ces institutions, il importe de mentionner qu'en triplant le capital exigé par les règles sur les instruments de négociation, nous changeons les incitatifs économiques. Nous nous attendons donc à un déplacement des opérations faites sur marge, qui passeraient des banques d'investissement aux banques commerciales, ainsi qu'à une diminution des risques à l'échelle du système.

[Français]

Le sénateur Hervieux-Payette : Si le dollar américain n'était pas considéré comme étant la monnaie d'échange internationale, avant on avait l'or et maintenant on a le dollar, si on évaluait l'état de l'économie américaine versus l'économie canadienne et si on comparait la monnaie américaine, le dollar canadien et l'euro, tout en tenant compte du rôle que la Chine joue en détenant une quantité astronomique de dollars, quelle serait la perspective du dollar canadien de se situer à un niveau acceptable pour notre secteur manufacturier? Les fluctuations sont très grandes. Lorsqu'on passe de 60 cents à 98 cents, on jette quasiment à terre notre secteur manufacturier. Comment pourrait-on avoir une certaine régulation sans avoir un contrôle des changes? Il me semble qu'il y a un jeu qui se fait au détriment du dollar canadien. En fin de compte, quelles sont les mesures que la Banque du Canada prend pour s'assurer qu'on ait un peu plus de stabilité dans le domaine du dollar?

M. Carney : Votre question concerne un des risques à la baisse pour notre économie. C'est un grand risque à la baisse pour notre économie et pour les perspectives d'inflation.

Cet enjeu préoccupe beaucoup la Banque du Canada. La vigueur persistante de notre devise, combinée à notre productivité récente, pourrait avoir un impact sur notre économie, sur les perspectives d'inflation au Canada et sur la politique monétaire de la Banque du Canada. Cela est clair.

[Traduction]

Le dollar américain est la monnaie de réserve et elle le restera dans un avenir prévisible parce qu'il n'existe pas de solution de remplacement viable pour la monnaie américaine. À moyen terme, il est important que les autorités américaines et tous les autres décideurs établissent des plans financiers durables. Le Canada profite du sommet du G20, qu'il copréside avec la Corée, pour encourager de telles mesures. Je présume que cela sera l'un des thèmes centraux de la discussion. Je sais que les autorités américaines comprennent l'importance de cette question.

Le sénateur St. Germain : Monsieur Carney, j'aimerais formuler un bref commentaire sur les mesures de sauvetage qui ont une incidence sur l'économie mondiale. Cela me préoccupe puisque 80 p. 100 de la population ne paye pas d'impôt. Je ne vois pas où cela nous mène, mais c'est simplement une observation de ma part.

Ma question concerne les personnes âgées. L'inconvénient des taux d'intérêt qui n'ont jamais été aussi bas consentis par les banques est l'incidence négative qu'ils ont sur l'épargne-retraite des Canadiens âgés qui détiennent habituellement des certificats de placement garanti, des CPG, et des obligations. Les faibles taux d'intérêt ont forcé certaines personnes âgées à vivre de leur capital parce qu'elles n'ont pas les moyens de vivre des intérêts à des taux aussi faibles. Dans l'espoir d'accroître leur rendement, de nombreuses personnes se sont tournées vers des placements très risqués, qui ne conviennent pas nécessairement aux personnes de ce groupe d'âge et qui comportent des conséquences que certaines personnes peuvent ne pas saisir. Les personnes qui achètent une rente n'ont d'autre choix que d'accepter des versements annuels beaucoup moins élevés aujourd'hui qu'il y a quelques années.

Lorsque vous établissez la politique monétaire et les taux d'intérêt, tenez-vous compte, dans vos délibérations, des effets qu'ils pourraient avoir sur les personnes qui dépendent de revenus en intérêts et de la valeur d'une rente? On insiste tellement sur le fait qu'on doit amener les gens à épargner. Pourtant, ils doivent puiser dans leur capital simplement pour survivre.

M. Carney : Merci de soulever cette question. Nous prenons en considération l'incidence que pourrait avoir notre politique monétaire sur toutes les classes sociales de Canadiens, tout âge confondu, qu'il s'agisse d'épargnants ou d'emprunteurs, ainsi que de l'incidence globale de cette politique sur tous les particuliers et les entreprises d'un point de vue économique et inflationniste.

Nous sommes sensibilisés à cette question, et nous sommes conscients aussi que l'établissement d'une politique monétaire qui empêcherait systématiquement l'atteinte de la cible d'inflation pourrait avoir des effets plus néfastes. En effet, cela pourrait ralentir la croissance de l'économie canadienne ou, encore, elle pourrait continuer de se contracter. Cela pourrait nuire à la richesse du pays et réduire le rendement des placements en actions, ainsi que le rendement des investissements des entreprises et des ménages dans l'ensemble du pays. Par ailleurs, nous sommes pleinement conscients des problèmes que pourrait entraîner, d'une toute autre manière, l'établissement d'une politique de contrôle de l'inflation trop laxiste qui ferait augmenter l'inflation à plus de 2 p. 100. Évidemment, cela pénaliserait surtout les particuliers qui ont des revenus fixes et les personnes âgées qui sont tributaires de certains produits. Après avoir étudié attentivement la question, le gouvernement du Canada et la Banque du Canada ont convenu d'établir une cible d'inflation à 2 p. 100 pour trouver un équilibre entre ces deux aspects. Ainsi, l'inflation n'est pas trop forte pour que les gens en tiennent compte dans leurs décisions, mais elle n'est pas trop faible pour faire plonger l'économie dans une déflation et ses conséquences.

Il est évident que nous tenons compte de ces aspects, mais nous ne pouvons pas établir une politique pour un groupe précis de Canadiens seulement, en fonction de la région où il habite, de son âge ou du type de placement qu'il possède.

Le sénateur St. Germain : Vous avez réduit le taux d'escompte pour le faire passer à 0,25 p. 100, alors que de nombreuses banques ont augmenté leur taux d'intérêt sur les fonds de crédit renouvelables et les prêts aux entreprises. Vous avez pris cette décision dans le but de garder les taux d'intérêt à des niveaux peu élevés afin de stimuler l'activité économique, tandis que les banques ont augmenté leurs taux. Nous voulons que nos banques soient rentables, mais cette mesure semble contre-productive dans la mesure où elles l'ont appliquée dans l'ensemble du pays. Elles ont donné comme excuse que leur coût d'emprunt avait augmenté et que cela reflétait leur décision. Cependant, cela n'avait aucun sens, parce qu'elles semblaient prendre une autre direction que celle que l'objectif que vous tentiez d'atteindre. Pourriez-vous formuler un commentaire à ce sujet, s'il vous plaît?

M. Carney : D'abord, le coût d'emprunt des banques, c'est-à-dire l'écart entre le taux auquel la banque a emprunté et le taux de financement à un jour, ou le taux d'intérêt, s'est creusé pendant la crise financière. Depuis, cet écart s'est réduit, mais demeure plus important qu'il l'était avant le début de la crise financière en août 2007, et cela se répercute sur les taux d'intérêt assortis d'échéances les plus courtes du marché monétaire et sur les échéances plus longues. Le coût que les banques doivent assumer pour se procurer des fonds en termes relatifs a augmenté, et c'est ce qui explique en partie l'augmentation de leurs taux.

Nous avons tenu compte de cette situation, et c'est la raison pour laquelle nous en sommes venus à cette décision, parce que nous avons examiné le prix net que les entreprises et les particuliers du Canada paient et, bien que les gens puissent argumenter sur les écarts du taux préférentiel, le niveau absolu du taux préférentiel n'a jamais été aussi bas, tout comme le niveau du taux d'intérêt variable.

Enfin, pour revenir sur une conversation antérieure portant sur la question du sénateur Harb au sujet des taux hypothécaires fixes de cinq ans, l'une des raisons de la rentabilité des banques a été le coût relativement moins élevé, même avec l'écart de financement, des taux d'intérêt assortis d'échéances plus courtes, ainsi que la différence importante entre les taux à court terme et les taux à long terme et la persistance de ces taux en raison des taux d'intérêt mondiaux.

Le président : Merci. Je crains que nous devions mettre fin à cette discussion. Nous avons dépassé le temps prévu. Il me reste à exprimer, au nom de tous les sénateurs, nos remerciements habituels les plus chaleureux pour votre présence aujourd'hui. Cet échange a été intéressant. Nous apprécions beaucoup votre volonté à participer à nos audiences deux fois par année. C'est enrichissant pour nous tous et pour les personnes qui regardent les Webémissions.

Monsieur le gouverneur, nous vous souhaitons beaucoup de succès dans vos efforts. Nous vous félicitons pour le succès que vous avez remporté jusqu'à maintenant et nous savons que vous continuerez dans cette direction.

Nous allons maintenant procéder à l'étude article par article du projet de loi S-3, visant à mettre en œuvre des conventions et des protocoles conclus entre le Canada et la Colombie, la Grèce et la Turquie en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion fiscale liée à l'impôt sur le revenu. Je tiens à remercier le sénateur Hervieux- Paquette d'avoir accepté de présider la réunion d'hier soir, au cours de laquelle ce projet de loi a été examiné, comme elle a l'habitude de le faire de façon professionnelle et efficace.

Est-il convenu de procéder à l'étude article par article?

Sénateurs : D'accord.

Le président : Êtes-vous d'accord de suspendre l'adoption du titre?

Sénateurs : D'accord.

Le président : Êtes-vous d'accord de suspendre l'adoption du titre abrégé (article 1)?

Des voix : D'accord.

Le président : L'article 2 est-il adopté?

Des voix : Adopté.

Le président : L'article 3 est-il adopté?

Des voix : Adopté.

Le président : L'article 4 est-il adopté?

Des voix : Adopté.

Le président : L'Annexe 1 est-elle adoptée?

Des voix : Adoptée.

Le président : L'Annexe 2 est-elle adoptée?

Des voix : Adoptée.

Le président : L'Annexe 3 est-elle adoptée?

Des voix : Adoptée.

Le président : Le titre est-il adopté?

Des voix : Adopté.

Le président : Le titre abrégé est-il adopté?

Des voix : Adopté.

Le président : Le projet de loi est-il adopté?

Des voix : Adopté.

Le président : Est-il convenu que je fasse rapport de ce projet de loi au Sénat sans amendement, ni observation?

Des voix : Convenu.

Le président : Merci beaucoup.

(La séance est levée.)


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