Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce
Fascicule 12 - Témoignages du 4 novembre 2010
OTTAWA, le jeudi 4 novembre 2010
Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd'hui, à 10 h 35, pour entreprendre la revue statutaire de 10 ans de la Banque de développement du Canada, conformément à la Loi sur la Banque de développement du Canada.
Le sénateur Michael A. Meighen (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonjour. Soyez les bienvenus à cette réunion du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce. Je m'appelle Michael Meighen, je suis un sénateur de l'Ontario et j'ai l'honneur de présider ce comité.
À ma droite, se trouve le vice-président du comité, le sénateur Hervieux-Payette, du Québec; à ma gauche, il y avait le sénateur Ringuette, du Nouveau-Brunswick, mais elle est sortie pour quelques minutes. Il y a ensuite le sénateur Moore, de la Nouvelle-Écosse, puis le sénateur Massicotte, du Québec, et le sénateur Kochhar, de l'Ontario. À ma droite, nous avons le sénateur Gerstein, de l'Ontario, le sénateur Mockler, du Nouveau-Brunswick, le sénateur Ataullahjan, de l'Ontario, et le sénateur Marshall, de Terre-Neuve-et-Labrador, qui remplace aujourd'hui un autre membre. Soyez le bienvenu, sénateur Marshall.
Chers collègues, nous allons reprendre aujourd'hui notre étude de la Loi sur la Banque de développement du Canada, ou Loi BDC.
[Français]
Cet examen prévu par la loi comprend un examen des activités de la BDC en vertu des dispositions de la loi. Le dernier examen de ce type, qui remonte à 2000, portait essentiellement sur les tendances et sur l'évolution des marchés financiers en ce qui concerne les petites et moyennes entreprises de 1995 à 2000, ainsi que sur les moyens dont disposait la BDC pour répondre à leurs besoins.
[Traduction]
Durant la première heure, par vidéoconférence, nous accueillerons Douglas Cumming, de la Schulich School of Business, de l'Université York. Soyez le bienvenu, monsieur Cumming. Je crois qu'il y a un léger retard dans la transmission de votre voix; nous devrons donc nous en accommoder.
M. Cumming fera une déclaration préliminaire, après quoi les membres du comité lui poseront des questions.
Douglas Cumming, professeur de finances et d'entreprenariat, titulaire de la Chaire de recherche de l'Ontario en économie et en études interculturelles, Université York — Schulich School of Business : Je tiens à vous remercier de me permettre de me joindre à vous aujourd'hui pour effectuer la revue de la Banque de développement du Canada, ou BDC. Puisque c'est la première fois que je comparais devant le comité sénatorial, je peux vous parler un peu de ce que j'accomplis dans ma vie professionnelle. J'enseigne le capital d'investissement privé et le capital de risque à des étudiants de maîtrise en administration des affaires et en finances à la Schulich School of Business de l'Université York. J'y enseigne depuis 2007. Avant cela, j'ai occupé un poste semblable aux États-Unis et en Australie, et bien avant, en Alberta.
À l'occasion, je travaille également pour des entreprises privées, ainsi que des organismes gouvernementaux. Par exemple, plus tôt cette année, j'ai évalué les programmes de capital-risque du gouvernement de l'Ontario. J'ai fait de même il y a quelques années pour le ministère de l'Industrie, du Tourisme et des Ressources de l'Australie. Mon travail, à titre de professeur, consiste principalement à enseigner et à faire de la recherche, surtout dans les domaines liés au capital de risque et au capital d'investissement privé, à l'entrepreneuriat et, de façon plus générale, à l'intermédiation financière.
Voilà pour mes antécédents. Dans mon travail, je me fonde principalement sur des données empiriques; je me sers donc de vastes ensembles de données ou d'autant de données que nous puissions obtenir, car je crois fermement qu'il faut se fonder sur des données empiriques, dans la mesure où elles sont disponibles.
Je possède un doctorat en économie et en finances, ainsi qu'un diplôme de droit. Je suis analyste financier agréé et j'ai publié plus de 60 articles et quelques livres; la plupart portent, encore une fois, sur le capital d'investissement privé et le capital de risque.
On m'a invité à me pencher sur cette question il y a environ huit jours. Je suis heureux d'avoir l'occasion de vous présenter mon point de vue. Je sais qu'on a proposé cinq changements : premièrement, permettre aux petites et moyennes entreprises, ou PME, d'accéder à un plus grand éventail d'outils financiers; deuxièmement, donner les pouvoirs de proposer une plus vaste gamme de services non financiers; troisièmement, donner les pouvoirs d'aider les PME à étendre leurs activités au-delà des marchés nationaux; quatrièmement, supprimer les plafonds de capital versé; et cinquièmement, moderniser la structure de gouvernance, ce qui nécessitera des changements mineurs afin d'actualiser la Loi sur la BDC.
À des degrés différents, certaines des modifications ne sont pas controversées, mais d'autres risquent de l'être. Deux recommandations sont liées à des questions financières et trois, à des questions plutôt non financières. Je dirais que les questions financières, à savoir la première et la quatrième modifications proposées, sont sans doute plus discutables que les questions non financières. La première recommandation consiste à élargir les pouvoirs pour offrir aux PME une plus vaste gamme d'outils financiers et la quatrième, à éliminer le plafond du capital versé.
J'aimerais d'abord vous donner une idée des travaux de recherche que j'ai menés ces 10 dernières années sur la politique publique concernant les fonds propres privés et le capital de risque au Canada. J'ai rédigé plusieurs articles sur le programme de fonds de capital de risque des travailleurs du Canada, articles dans lesquels je soutiens que le programme en question n'a pas donné lieu à un accroissement du capital de risque au Canada, mais qu'il a en fait nui au marché du marché du capital de risque au Canada à cause du déplacement des investisseurs privés.
Je tiens à préciser que mes observations s'appuient entièrement sur des données, et non pas sur des opinions. Quand on regarde les statistiques, on constate clairement une expansion des fonds de croissance et des fonds de travailleurs; les fonds de travailleurs ont accumulé tant de gains en capital qu'ils ont dominé le marché. Cela signifie que plus de 50 p. 100 du capital sous gestion dans les fonds de capital de risque au Canada se fait par l'entremise de fonds de travailleurs, la force dominante au Canada. Toutefois, la structure de gouvernance du programme en question était relativement inefficace par rapport à celle des fonds de capital de risque privé. Par conséquent, cela a nui au marché et a découragé les investisseurs institutionnels, notamment les fonds de pension, d'investir dans des fonds privés au Canada.
Les investissements par l'entremise de fonds de travailleurs ont affiché un rendement ultérieur extrêmement faible. Si on examine le rendement des fonds de travailleurs depuis leur création, selon la compétence, on se rend compte que les taux de rendement sont presque nuls — à supposer qu'on investisse un dollar dans un fonds de travailleurs et qu'on compare le rendement de 1990 à aujourd'hui. Ce programme gouvernemental n'a donc donné lieu à aucune valeur économique.
Bien entendu, il ne s'agit pas là d'un examen du programme de fonds de travailleurs, mais je pense que c'est un contexte important pour comprendre le soutien public envers le capital de risque, les fonds propres privés et l'entrepreneuriat en général au Canada. Par rapport à d'autres pays, nous avons une gamme importante d'initiatives financées par le secteur public pour appuyer les entrepreneurs, notamment des fonds de capital de risque. Ailleurs, c'est une chose tout à fait inhabituelle.
Ces dernières années, j'ai vécu dans différents pays du monde : en Allemagne, au Royaume-Uni, en Malaisie, en Chine et en Australie. Quand je parle aux gens de l'appui marqué qu'on trouve au Canada à l'égard du capital de risque et de l'entrepreneuriat grâce à des mesures publiques comme le programme de fonds de capital de risques des travailleurs, ils sont surpris d'apprendre qu'il existe tant d'initiatives gouvernementales à l'appui de l'entrepreneuriat. Par exemple, les fonds de capital de risque représentent, dans leur ensemble, plus de la moitié du marché.
On assiste toutefois à un changement en Ontario, soit l'élimination graduelle du programme de fonds de travailleurs d'ici la fin de 2011 en vue de le remplacer par d'autres initiatives provinciales.
Pour revenir à la BDC, nous pouvons peut-être examiner la quatrième question, à savoir l'élimination du plafond du capital versé. Évidemment, l'examen tombe juste après la crise financière et, d'après ce qu'on peut voir dans les documents publiés de la BDC, celle-ci encourage fortement une plus grande souplesse en prévision de situations comme les crises financières. Ce n'est probablement pas le moment idéal pour songer à des changements législatifs, mais on a tendance à apporter de gros changements juste après les crises. Il faut toutefois examiner la question dans un contexte davantage tourné vers l'avenir, c'est-à-dire déterminer les résultats escomptés.
Dans le contexte de la récente crise, nous pouvons voir les choses de deux façons. D'une part, la BDC a multiplié ses efforts, si on veut, en ce qui concerne les prêts consentis aux entrepreneurs canadiens durant la récente crise financière. D'autre part, la filiale de capital de risque de la BDC a réduit de façon draconienne ses investissements durant la crise. Manifestement, cela a produit des effets opposés.
Je tiens à souligner un point : quand on examine la raison fondamentale pour laquelle on voudrait recourir davantage à l'aide gouvernementale et à l'argent des contribuables pour financer les entrepreneurs, il faudrait avoir des preuves convaincantes qui établissent l'existence de lacunes dans le financement. Cela signifierait que les investisseurs privés ne font pas ce qui s'impose et que les imperfections du marché empêchent l'octroi de financement à des entrepreneurs qui en ont besoin et qui le méritent. Nous voulons avoir des preuves probantes quant à l'existence de telles lacunes avant de justifier l'intervention du gouvernement dans ce contexte-ci, comme dans d'autres.
Voilà donc la grande question : le besoin d'avoir des preuves qui établissent l'existence de lacunes en matière financement. Des preuves convaincantes et empiriques, je ne peux pas dire que j'en ai vu beaucoup à ce sujet. C'est une question qui doit être sérieusement soupesée.
Revenons maintenant à la première question, soit la proposition d'élargir la gamme d'outils financiers. Si on examine attentivement le libellé de la Loi sur la Banque de développement du Canada, à partir de l'article 14, il est clair que la BDC est censée accorder des prêts, donner des garanties d'investissements et tout le reste. Dans les modifications proposées, la BDC demande l'accès à une gamme accrue d'outils financiers, par exemple des fiducies et des investissements dans des organismes sans but lucratif. Or, ces exemples sont formulés de façon si générale qu'il est difficile de dire : « Bien sûr; pourquoi pas? Cela paraît très intéressant. »
Par ailleurs, j'ignore si d'autres mesures sont envisagées en plus de celles-là; en tout cas, il n'y a aucune autre mention. Il est donc difficile de faire des observations sur les exemples évoqués et de déterminer si le mandat de la BDC serait limité à ces types d'outils financiers supplémentaires et s'il engloberait une gamme d'instruments financiers plus vaste.
Pour ce qui est de la loi, je trouve curieux que la division de capital de risque de la BDC semble s'adonner à des activités qui dépassent les dispositions prévues par la loi en ce qui concerne les prêts et les garanties d'investissements. Ces activités n'ont assurément rien à voir avec le capital de risque.
Je vais maintenant parler brièvement des questions non financières, à savoir la deuxième, la troisième et la cinquième recommandations. En ce qui a trait à la deuxième question, il est toujours bon de fournir des services non financiers, notamment des conseils en matière d'investissement. Les entrepreneurs ont besoin de formation. Très souvent, dans la pratique, les gens disent que les conseils reçus sont plus importants que les capitaux. Je ne m'opposerais jamais à cela. Je pense que c'est une chose utile.
La troisième question concerne des pouvoirs accrus dans le domaine de l'exportation pour soutenir des entreprises qui veulent prendre de l'expansion en dehors du marché national. J'appuie sans réserve les arguments qui ont été invoqués dans le rapport de la BDC en ce qui concerne la nécessité pour les entrepreneurs de se tailler une place sur le marché mondial. Nous vivons à l'ère de la mondialisation. La terre est plate — pour reprendre une expression à la mode ces jours-ci, d'après le livre populaire du même titre. Nous avons vu les statistiques à ce sujet. Les entrepreneurs canadiens sont moins portés à conquérir des marchés étrangers que leurs homologues dans d'autres pays, et c'est bon d'être ouverts sur le monde. En tant qu'économiste financier, je ne dirais jamais que la mondialisation est une mauvaise chose. Cela irait à l'encontre de tout ce que j'ai appris.
Le seul problème qui se pose, c'est l'ampleur de la collaboration avec d'autres partenaires, comme Exportation et développement Canada, EDC, et le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international Canada, le MAECI. D'après les documents de la BDC que j'ai consultés, cette collaboration semble être perçue sous un angle positif. C'est un point que je tiens à soulever.
La cinquième question portait sur la modernisation de la structure de gouvernance de la BDC. Je ne vois pas pourquoi on ne devrait pas le faire.
J'espère que je n'ai pas parlé trop longtemps. On me reproche parfois de radoter un peu. Ce sont là mes observations préliminaires, à la lumière de la documentation qu'on m'a remise, et je serai ravi de discuter avec vous de l'une ou l'autre de ces questions.
Le président : Merci, professeur Cumming. Je peux vous assurer que vos observations nous ont été fort utiles. En tant que professeur, vous avez donné des explications, disons-le, remarquablement succinctes et très pertinentes. Vous n'avez pas du tout radoté.
Pour ma gouverne, avant de céder la parole à mes collègues pour qu'ils vous posent leurs questions, j'aimerais revenir au premier point, à savoir la recommandation d'avoir accès à une gamme d'outils financiers plus vaste; si je ne me trompe pas, vous avez dit que cette recommandation ne semble pas poser de problème et paraît tout à fait raisonnable. Si c'est le cas, diriez-vous la même chose à propos de la titrisation, des indemnités et des services de cautionnement qui sont également mentionnés comme étant des pouvoirs que la BDC envisage d'exercer, et estimez- vous que ceux-ci sont appropriés et qu'ils font partie du même domaine que les fiducies?
M. Cumming : Oui. La titrisation est une créature difficile à cerner. Chose certaine, elle a fait couler beaucoup d'encre ces dernières années dans le milieu universitaire et dans le monde des affaires à cause des problèmes qui s'y rattachent, pour vous dire franchement. Je dirais que bien des gens sont d'avis que la titrisation a, à tout le moins, exacerbé les problèmes durant la crise financière.
Il s'agit d'une question épineuse. Si je l'ai à peine abordée dans ma déclaration préliminaire, c'est en partie parce que les objectifs précis de la BDC en matière de titrisation ne sont pas explicitement énoncés dans les documents qu'on m'a remis, d'où ma difficulté à me prononcer là-dessus. J'ignore comment la BDC envisage d'utiliser des produits titrisés. C'est un peu plus délicat pour moi de faire des commentaires à ce sujet.
En règle générale, j'ai constaté qu'il est bon d'avoir une certaine souplesse pour structurer des produits titrisés. Quand les intervenants financiers privés sont en mesure d'agir dans leur intérêt, alors cela ne peut qu'aider les investisseurs et les entrepreneurs. En revanche, la titrisation échoue quand les gens y laissent leur peau, pour ainsi dire. La façon dont le produit pourrait être vendu ne correspond pas exactement à la structure de gouvernance idéale qui s'y rattache.
J'éprouve des sentiments partagés à l'égard de la recommandation de permettre à la BDC d'intervenir dans le domaine de la titrisation. Si le programme est bien établi, tant mieux, mais je ne sais pas exactement comment la BDC envisage de s'y prendre.
Le président : Avez-vous quelque chose à dire brièvement sur les indemnités ou les services de cautionnement?
M. Cumming : C'est un peu plus délicat, je dirais. Ma réaction initiale est que cela pourrait s'avérer être utile, selon le contexte. A priori, je ne vois pas pourquoi on devrait restreindre ce genre d'activités. Pour autant qu'elles soient dotées de structures de gouvernance convenables et que les gens sachent dans quoi ils s'embarquent, elles pourraient aider les entrepreneurs. Tant qu'une gouvernance appropriée est en place, ce genre de services peut donner de bons résultats.
Encore une fois, il n'y avait pas beaucoup de détails dans les documents qui m'ont été fournis. En tout cas, les exemples les plus détaillés que j'ai vus portaient sur des activités plus populaires comme les fiducies, la Fondation canadienne des jeunes entrepreneurs et les organismes sans but lucratif. Il s'agit peut-être d'un argument plus convaincant et moins compliqué pour la plupart des gens, alors que la titrisation et l'indemnisation sont des questions plus compliquées. D'habitude, j'aime disposer de beaucoup plus de détails que ce qu'on m'a donné. Il m'est ainsi plus difficile de faire des observations là-dessus.
Le président : Merci, professeur.
Le sénateur Hervieux-Payette : Merci, professeur, de vous être joint à nous et de nous avoir fait profiter de vos connaissances. Avez-vous publié des études qui comparent la BDC à d'autres institutions semblables dans d'autres pays? Vous semblez avoir beaucoup voyagé et vous avez probablement fourni des conseils à d'autres personnes. Avez- vous publié quelque chose là-dessus?
M. Cumming : Je n'ai pas fait de comparaison directe entre la BDC et des institutions similaires d'autres pays. Dans bon nombre de publications, j'ai utilisé des données de l'Association canadienne du capital de risque, qui viennent en partie de la BDC. Lorsqu'on m'a demandé d'examiner la question il y a huit jours, la première chose que j'ai faite, comme toujours, c'est une recherche dans la documentation existante pour vérifier si quelqu'un avait fait une comparaison directe entre la BDC et des institutions similaires d'autres pays. Je n'ai pas trouvé de travaux, du moins parmi les travaux universitaires, où l'on a étudié attentivement des données — des données quantifiables. Il n'en existe pas. Cela laisse peut-être supposer qu'en tant qu'universitaires, il nous faut entreprendre un tel travail.
Ce que je sais, c'est que les documents promotionnels de la BDC qu'on m'a fait parvenir contiennent des comparaisons avec les services offerts par des institutions similaires dans d'autres pays. J'ai vu qu'on y a fait référence.
Le sénateur Hervieux-Payette : Nous en aurions probablement besoin si nous voulions aller plus loin avec cette institution, pour la simple raison que vous avez évoquée, c'est-à-dire que nous prenons du retard par rapport aux autres pays pour ce qui est d'aider nos entrepreneurs, tout d'abord, sur le marché international. En même temps, si nous n'avons pas l'institution qu'il faut pour aider nos entrepreneurs, comment allons-nous les aider à être plus concurrentiels sur le marché international?
Ce serait peut-être une recommandation à faire à notre ministre : vérifier si nous avons les bons outils, si la BDC est l'un des outils qu'il nous faut pour résoudre la question. Dans ce comité, ma question, qui était peut-être secondaire, concerne le capital de risque.
Vous avez parlé longuement des fonds de travailleurs. Lorsque j'en parle, je les appelle toujours des caisses de retraite, car c'est en grande partie ce qu'ils sont. Ce qui me préoccupe, c'est que le Fonds de Solidarité et la Caisse de dépôt et placement du Québec sont tous les deux des caisses de retraite, mais le Fonds de Solidarité reçoit des crédits d'impôt très importants du gouvernement; il y a donc déjà du financement. Depuis 1990, le taux de rendement est nul, ce qui signifie que nous avons peut-être pris du retard. Je ne sais pas si vous tenez compte de l'inflation, car on remonte à 20 ans en arrière.
Dans ce cas, si le marché du capital de risque est très faible, quel rôle la BDC devrait jouer, selon vous, pour mettre plus d'argent à la disposition de l'entreprise et améliorer sa structure financière — afin qu'elle n'ait pas seulement des dettes, mais aussi des capitaux propres — et ne pas la mettre en danger?
Dans votre exposé, vous avez dit que la tâche de la BDC qui consiste à conseiller l'entrepreneur est très importante. Devrions-nous en faire plus? Est-ce suffisant?
De quelle façon classeriez-vous ce dont les petites et les moyennes entreprises ont besoin pour croître et être concurrentielles? Est-ce des conseils? Est-ce du capital de risque? Avons-nous besoin d'autres outils pour combler les lacunes?
Vous avez dit que pour aider l'entrepreneur, il faut qu'il y ait des signes évidents de pénurie ou d'échec du marché. Depuis un certain temps, nous constatons qu'il y a échec du marché et une grande pénurie. Il nous faut résoudre la question. À la lumière de l'examen de la loi sur la BDC, de quelle façon procéderiez-vous?
M. Cumming : Il y a beaucoup d'éléments ici. Si nous commençons par parler du contexte au Canada, au cours de la dernière décennie — depuis 1998 ou 1999 environ —, les fonds de travailleurs ont représenté plus de la moitié du capital de risque au Canada. Les fonds ont augmenté très vite durant les années 1990, et le capital sous gestion au Canada dans le capital de risque provenait surtout des fonds d'investissement des travailleurs.
Il est très difficile de déterminer s'il y a une pénurie de capital au Canada, étant donné que l'intervention marquée du gouvernement ne date pas d'hier. Pour diverses raisons qui sont liées en grande partie aux dispositions législatives qui régissent le fonds, la structure de gouvernance d'un fonds de travailleurs est beaucoup moins efficace que celle d'un fonds de capital-risque privé. Les fonds sont assortis de clauses restrictives prévues par la loi en ce qui a trait à la diligence raisonnable et aux investissements; le fait de devoir réinvestir l'apport de capital dans une période donnée limite le temps pour la diligence raisonnable.
La taille des fonds a augmenté tellement rapidement au cours de ces années, que le capital sous gestion dont doit s'occuper un gestionnaire est plus important qu'il devrait l'être. Donc, le nombre d'investissements faits par un seul gestionnaire de ce type de fonds est beaucoup plus important que celui fait par le gestionnaire d'un fonds de capital de risque privé.
Dans ce contexte, les conseils qui sont fournis aux entrepreneurs, et la diligence raisonnable dont les gestionnaires doivent faire preuve avant d'investir, ont été fortement compromis par rapport aux fonds de capital de risque privés. Comme ces gestionnaires procèdent à de nombreux investissements, ils ne consacrent pas le temps qu'ils devraient aux activités à valeur ajoutée pour leurs entrepreneurs, et les résultats ont été nettement pires que ceux des fonds de capital de risque privés.
Si l'on tient compte de cette situation, celle du marché du capital-risque au Canada et du financement des entrepreneurs, premièrement, il est difficile de dire qu'il y a une pénurie de capital. Deuxièmement, les données laissent fortement supposer qu'il s'est produit une éviction de l'investissement privé en raison de la présence dominante du secteur public dans le marché du capital-risque.
Cela a été difficile pour l'investissement au Canada. Je ne peux penser à aucun autre pays industrialisé au monde dont plus de 50 p. 100 de son marché du capital-risque provient de subventions à caractère fiscal comme le fonds d'investissement des travailleurs. Nous sommes dans une situation très inhabituelle : la présence dominante du secteur public, des fonds de travailleurs, est inhabituelle.
Je devrais dire une fois de plus qu'en 2005, le gouvernement ontarien a annoncé la suppression graduelle de ce programme. Au départ, elle était prévue pour 2010. En raison de pressions politiques et d'autres facteurs, elle a été reportée à 2011. Par la suite, le gouvernement a présenté d'autres types de programme : il a son propre fonds et il agit à titre de commanditaire dans des fonds privés dans le cadre d'un autre programme.
Il remplace son ancien modèle par un autre, qui est sans doute meilleur. C'est une chose à laquelle j'ai travaillé avec le gouvernement de l'Ontario; j'ai produit un rapport pour lui au cours de la dernière année.
Vous avez soulevé beaucoup de questions. Pour m'en tenir au sujet, la situation du capital de risque, comment obtenons-nous un appui suffisant pour les entrepreneurs d'une façon qui les rendra innovateurs, leur permettra d'internationaliser leurs activités et d'être concurrentiels sur la scène mondiale sans le soutien continu du secteur public? Nous voulons que ces entrepreneurs n'aient pas à dépendre du soutien du gouvernement pendant de nombreuses années.
Encore une fois, les données à ce sujet sont embêtantes. Le secteur le plus difficile, c'est celui des entreprises naissantes, des entrepreneurs qui font leurs premiers pas. On peut penser par exemple à deux personnes qui créent une entreprise dans leur garage; elles ont besoin d'un soutien de moins d'un demi-million de dollars. D'une manière générale, l'investissement est tellement faible que la façon dont les fonds de capital de risque du secteur privé sont organisés, les gestionnaires n'ont pas le temps de faire ce genre d'investissement. Comme les taux de rendement dans ce secteur peuvent varier énormément, les choses pourraient bien se passer ou ne pas bien se passer. C'est un secteur pour lequel bien des gens croient que s'il y a une pénurie de capital, c'est à cet endroit qu'il se trouve.
Dans le secteur des gros investissements, où les investisseurs en capital de risque privés participent généralement, on parle habituellement d'un demi-million de dollars à dix millions de dollars et plus. S'il y a des possibilités, et qu'il n'y a pas de tensions dans un marché, liées à un fardeau fiscal indu par exemple, alors les choses peuvent très bien fonctionner.
J'espère avoir répondu à la plupart des questions que vous avez soulevées. Il est certain que vous avez soulevé bien des questions auxquelles il est difficile de répondre en si peu de temps.
Le sénateur Hervieux-Payette : Recommanderiez-vous à un autre gouvernement provincial d'arrêter de financer les fonds de travailleurs?
M. Cumming : Oui.
Le sénateur Ringuette : Vous êtes d'avis que la BDC devrait financer, avec l'argent des contribuables, les entreprises canadiennes qui veulent se lancer sur les marchés étrangers. J'en conclus donc, et c'est ce que vos données nous laissent croire, que les banques à charte canadienne ne remplissent pas leur mandat auprès des PME canadiennes qui veulent s'établir dans les marchés étrangers.
M. Cumming : C'est une question plus difficile, car encore une fois, il nous faudrait dire qu'il y a un échec du marché en ce qui a trait à la façon dont nos banques canadiennes fonctionnent. Nous savons généralement que nos banques sont peu nombreuses, du moins si nous nous comparons à d'autres pays comme les États-Unis. Elles ont tendance à être plus conservatrices si on les compare à celles d'autres pays comme les États-Unis, ce qui les a bien servies au cours des dernières années.
Il est plus difficile de savoir si les banques font bien leur travail, si elles aident les entrepreneurs à s'établir sur les marchés internationaux, car, généralement, les données que nous aimons avoir ne sont pas toujours disponibles, surtout pour ce qui est des entreprises privées. Je ne peux pas vraiment parler d'un ensemble de données qui vont dans un sens ou dans l'autre.
La seule chose que je puisse dire, c'est que s'il existe un programme comme celui de la BDC qui incite les entrepreneurs à recourir à ses services, alors il serait malheureux qu'ils ne puissent le faire pour prendre de l'expansion sur les marchés internationaux.
Par exemple, si je veux établir une entreprise et que je communique avec la BDC et que j'obtiens de l'aide, et que par la suite je demande : comment dois-je procéder pour rendre mon entreprise internationale? Si, longtemps après que j'ai établi ce lien, la BDC me disait qu'elle ne peut pas m'aider à cet égard, je serais un peu frustré.
Le président : Il s'agit de la situation actuelle, n'est-ce pas? La BDC ne peut pas suivre le client à l'étranger.
M. Cumming : Je le répète, comme on l'a dit, il existe des partenariats avec le MAECI — le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international — et EDC. D'autres organismes gouvernementaux peuvent contribuer à l'internationalisation des entreprises.
Si ces partenariats entre la BDC, EDC et le MAECI sont possibles, il ne semble pas sensé d'établir une institution comme la BDC et de ne pas lui permettre d'offrir des conseils au sujet de l'internationalisation. Il semble que c'est la bonne chose à faire.
Le sénateur Ringuette : Je ne parlais pas de conseils. Je parlais de prendre l'argent des contribuables canadiens pour créer des emplois à l'étranger, et non au Canada, de cette façon.
M. Cumming : Oui. Je dirais également que la meilleure façon de formuler ce type de restriction, si l'on veut, c'est de dire que s'il s'agit d'un organisme qui est mis en place dans l'intérêt du Canada, alors il est inefficace de dire à cet organisme, peu importe qu'il s'agisse de conseils ou de financement, qu'on limite ses activités à l'intérieur des frontières canadiennes. Les entreprises prospères ne sont pas celles qui ne mènent des activités qu'au Canada.
On peut comparer cela à une tarte. Si nous nous limitons au Canada, la tarte est vraiment petite. Si nous pensons à cet organisme en fonction d'un marché international, la tarte grossit soudainement, et le financement sera beaucoup plus avantageux pour les Canadiens et l'organisme, s'il a l'occasion de profiter du marché mondial.
Ne mener des activités qu'au Canada aurait pu fonctionner il y a longtemps, mais pas dans la situation économique actuelle.
Je vous donne rapidement un exemple. Prenez une entreprise du secteur d'Internet : quelles sont ses frontières? Je ne le sais pas. Je ne crois pas qu'il y en ait.
Le président : Monsieur, si nous ne tentons pas d'être brefs, nous n'aurons pas suffisamment de temps pour poser toutes les questions. Je vous remercie de la réponse que vous avez donnée, je remercie le sénateur Ringuette de la question, et je donne la parole au sénateur Gerstein.
Le sénateur Gerstein : Je suis particulièrement heureux d'accueillir M. Cumming, car mon défunt père a agi à titre de président du bureau des gouverneurs de l'Université York durant bon nombre d'années. Au début de ma carrière politique, j'ai eu le privilège de présider la campagne électorale du fondateur de votre école d'administration — qu'on appelle maintenant Schulish School of Business —, M. James Gillies, qui a été député et qui s'est distingué dans l'exercice de ses fonctions pendant bon nombre d'années, de 1972 à 1979.
Monsieur, lorsque les banques à charte accordent du crédit, elles ont comme préoccupations principales de réduire les risques au minimum et d'augmenter leur rendement au maximum. Durant les périodes de difficultés économiques, comme la dernière récession, dans quelle mesure, sur le plan des politiques publiques, croyez-vous que la BDC a l'obligation d'accorder du crédit aux entrepreneurs dans l'intérêt de l'ensemble de l'économie quand les banques à charte se montrent réticentes à le faire?
M. Cumming : C'est une très bonne question. Je pense que pour les gouvernements qui ont des institutions qu'ils financent, comme la BDC, c'est dans ces périodes qu'ils devraient jouer un plus grand rôle. En d'autres termes, ce que nous disons, c'est que de telles mesures de politique publique sont plus efficaces lorsqu'elles sont contracycliques. Si la situation des entrepreneurs est précaire et que les institutions redoutent trop les risques durant les crises financières, alors cela peut nous aider à traverser les crises.
En ce qui concerne les prêts que la BDC a accordés, d'après les données que la BDC a rendues publiques au cours des deux ou trois dernières années, nous savons que c'est justement ce qu'elle a fait. Nous croyons comprendre qu'elle a fait sa part. C'est du moins ce qu'on disait dans la brochure qui faisait partie des documents de la BDC que j'ai reçus.
En revanche, il semble qu'il s'est produit exactement le contraire pour les investissements de capital de risque. Dernièrement, le capital de risque a diminué de façon considérable. C'est exactement dans ce type de situation que la BDC peut intervenir, et elle semble avoir fait du bon travail en ce qui a trait aux prêts qu'elle a accordés.
Le sénateur Massicotte : Monsieur, si je devais résumer votre pensée, vous avez fait des observations au sujet des pouvoirs accrus que la BDC examine, mais je crois comprendre que votre message fondamental, c'est que vous ne voyez pas pourquoi ils existent, car les données ne tendent pas à confirmer un échec du marché, mis à part peut-être en ce qui a trait aux services de capital de risque dans les jeunes entreprises. Est-ce que je résume bien ce que je crois avoir compris?
M. Cumming : C'est plus compliqué. Pour décrire cela de façon plus juste, nous n'avons pas de données qui disent de façon concluante qu'il y a une pénurie de capital. C'est probablement la meilleure façon de le dire.
Concernant les investissements de capital de risque, je dirais qu'étant donné la forte présence des fonds de travailleurs, l'intervention en ce qui a trait aux fonds de travailleurs a fait diminuer la qualité du marché; elle ne l'a pas améliorée. C'est probablement la meilleure façon de décrire l'environnement pour le financement des entrepreneurs.
Le sénateur Massicotte : Tout à l'heure, vous avez dit que même si les données ne sont pas concluantes, elles ont mis en lumière le fait qu'il ne semblait pas y avoir échec du marché.
En ce qui concerne le capital de risque, vous avez dit qu'il y a beaucoup de distorsion dans le marché étant donné la nature politique ou fiscale des fonds de travailleurs. Nous entendrons les représentants de l'Association canadienne du capital de risque et d'investissement, la CVCA. Ils vont nous dire qu'il y a une énorme diminution des fonds recueillis et des investissements de capital de risque. Il y a toute sorte de maux, et les solutions sont moins évidentes.
Alors que la BDC joue un rôle énorme dans le capital de risque, les chiffres montreront en fait une baisse des investissements de capital de risque. Une grande partie des investissements de capital faits par la BDC sont liés à des accords ordinaires; ils ne concernent pas le démarrage d'entreprises et ne comportent pas de risques élevés, souvent pari passu avec les banques, donc cela ne correspond même pas au rôle d'investir du capital de risque dans les entreprises en démarrage, rôle pour lequel il existe un besoin à votre avis. Souscrivez-vous à ces observations?
M. Cumming : Oui, énormément. Je souscris aux observations liées à la baisse des investissements de capital de risque de la BDC, qui ne prend pas les devants en finançant de nouvelles entreprises, mais elle a été plus active au sein des consortiums d'investisseurs. Elle aime investir avec d'autres personnes. Elle ne fait pas ce que nous pourrions penser qu'elle fait, c'est-à-dire jouer un rôle de premier plan pour les entreprises émergentes et les nouveaux investissements.
En plus de traiter de la pénurie de capital de risque au Canada, dans le rapport que j'ai préparé pour le gouvernement de l'Ontario en juillet dernier, nous avons montré, et je ne crois pas que ce soit bien connu, qu'une majorité d'investissements au Canada sont effectués par les États-Unis. Il y a un grand nombre d'investissements transfrontières au Canada. Un grand nombre d'Américains investissent au Canada. Les montants d'investissement ont tendance à être plus importants. Souvent, un investisseur étranger apporte d'autres avantages à l'entreprise, comme l'internationalisation et l'obtention de plus de capital, et peut-être des connaissances spécialisées.
La principale mise en garde, bien entendu, c'est que les entrepreneurs réussissent mieux, toutes choses étant égales par ailleurs, lorsqu'ils ont un investisseur qui est très près et qui peut leur fournir des conseils pratiques au moins chaque semaine, en siégeant au conseil d'administration, et cetera. Cet investissement international n'est pas nécessairement une bonne chose, mais il est très inhabituel de voir autant d'investissements internationaux dans un pays comme le Canada.
Pour diverses raisons, comme la présence dominante des fonds de travailleurs, il n'y a pas eu beaucoup d'incitatifs pour les investisseurs privés à créer des fonds au Canada. Ce n'est pas facile.
Le sénateur Massicotte : Si nous constatons une lacune dans la levée de nouveaux fonds au Canada, je ne connais pas la réponse. Toutefois, en est-il ainsi parce que les rendements sont insuffisants pour les anciens investisseurs et qu'ils sont découragés d'investir dans d'autres entreprises, ce qui est probablement influencé par les fonds de travailleurs pour lesquels les incitations fiscales sont telles que les exigences de rendement sont moindres, ce qui fait que leur succès repose moins sur l'efficacité des investissements? Est-ce là l'explication?
M. Cumming : C'est une explication parfaite, et j'y souscris entièrement. Les fonds de travailleurs n'ont pas les investisseurs institutionnels qui ont des exigences de rendement qu'ont les fonds privés. Les fonds de travailleurs peuvent l'emporter sur les fonds privés. Ils font concurrence aux fonds privés et ils ont des prix et des rendements moindres. Les rendements au Canada pour les investissements de capital de risque sont très bas comparés à ceux des autres pays. Pour faire un commentaire d'ordre général, les politiques publiques fonctionnent mieux lorsqu'elles ne font pas concurrence aux investissements du secteur privé. Il est certain que pour leur part, les fonds de travailleurs font concurrence aux fonds privés, en grande partie, et c'est exactement le contraire de ce qu'on pourrait espérer. Je souscris entièrement à vos propos.
Le sénateur Kochhar : Vous avez dit que la tâche de la BDC qui consiste à conseiller les petites et moyennes entreprises est plus importante que celle qui consiste à fournir les capitaux. Vous avez beaucoup mis l'accent là-dessus dans votre déclaration préliminaire. Dans cette perspective, croyez-vous que nous devrions élargir le mandat de la BDC de manière à ce qu'elle donne davantage de conseils et qu'elle s'attarde moins à accorder des capitaux, ou qu'elle conseille les autres institutions financières sur demande pour que les gens puissent aller voir les institutions habituelles et obtenir les fonds dont ils ont besoin? Elle élargirait son rôle de conseillère à plusieurs égards.
M. Cumming : C'est une très bonne question. Pour le peu de temps qui me reste, je dirais que pour les nouveaux entrepreneurs, les conseils peuvent être d'égale importance, sinon plus importants. Le rôle qui consiste à fournir des conseils et des services professionnels aux entrepreneurs est très lié à la question précédente. C'est formidable lorsque les organismes du secteur public comme la BDC peuvent conclure des partenariats avec le secteur privé pour les aider à atteindre leur principal objectif, qui est d'avoir un marché d'entreprise plus dynamique au Canada. Dans la mesure où l'on croit qu'il y a une pénurie de capital pour les entreprises qui en sont vraiment au tout début de leur développement, où nos organismes du secteur privé ne prennent pas assez de risque, alors les organismes du secteur public peuvent avoir le rôle de fournir des fonds.
Encore une fois, les données empiriques sur l'ampleur de la pénurie de capital sont difficiles à trouver. Toutefois, dans l'incertitude, on peut supposer que dans les premières étapes de l'investissement, pour ces nouveaux entrepreneurs qui ont peu de sûreté accessoire, qui ne répondent pas aux exigences habituelles qu'une banque voudrait avant d'offrir un prêt, alors c'est là que le secteur public peut intervenir et dire qu'il leur donnera des fonds et qu'il pense qu'ils auront de bons résultats. C'est pourquoi, la plupart des pays dans le monde se dotent d'institutions comme la BDC. On peut supposer que dans les toutes premières étapes, lorsque deux personnes démarrent une entreprise dans leur garage par exemple, ce sera à ce moment-là que les entrepreneurs auront le plus de problèmes.
Le sénateur Marshall : Monsieur Cumming, pour en revenir à vos propos selon lesquels vous n'êtes pas convaincu qu'il y a une pénurie de capital, vous dites que vous n'avez pas vu les données qui vous convaincraient. Puis-je en conclure que d'après vous, nous devrions obtenir ces données avant de commencer à élargir le rôle de la BDC?
M. Cumming : Oui, c'est toujours ce qui est préférable. Selon l'approche universitaire, il faudrait tout d'abord recueillir toutes les données disponibles et ensuite écrire un article ou un rapport à ce sujet avant de décider si l'on change les politiques ou non. C'est normalement de cette façon que nous procéderions.
C'est de cette façon que je procède dans ma vie professionnelle. Dans d'autres contextes, par exemple, lorsque j'ai fait une étude pour le gouvernement australien sur ses programmes et sa façon de faire, et de manière similaire en Ontario, sur le programme de capital de risque du gouvernement, ils voulaient avoir des données empiriques avant d'aller de l'avant et de faire autre chose. Encore une fois, je crois que c'est une idée formidable, mais c'est ainsi qu'on m'a formé.
Le président : Sur ce, je crains que nous devions terminer cette partie de notre audience aujourd'hui. Monsieur Cumming, je vous remercie beaucoup d'avoir été patient à notre égard et de comprendre que notre temps est limité. Je sais que les questions ne permettent pas de donner des réponses brèves et qu'il n'est pas toujours facile de répondre seulement par oui ou par non.
Vos connaissances et votre expérience dans le monde nous ont été grandement utiles, et nous serons en mesure de méditer sur ce que vous nous avez dit aujourd'hui lorsque nous préparerons notre rapport. Vous serez peut-être surpris de voir ce qui se trouvera dans le rapport grâce à vos interventions. Merci beaucoup.
M. Cumming : C'est un privilège. Merci.
Le président : Chers collègues, au cours de la deuxième heure de notre séance d'aujourd'hui, nous sommes heureux d'accueillir M. Greg Smith et M. Richard Rémillard, qui représentent l'Association canadienne du capital de risque et d'investissement, la CVCA.
L'Association canadienne du capital de risque et d'investissement représente la majorité des sociétés de capital privé du Canada. Ses activités sont entre autres la défense des intérêts, le réseautage, l'information et le perfectionnement professionnel pour les professionnels du capital de risque et d'investissement.
M. Smith est le président. Il est également l'associé directeur du groupe consultatif de l'infrastructure mondiale de la Brookfield Financial Corporation à Toronto. M. Rémillard est directeur exécutif de la CVCA
Je vous souhaite la bienvenue à tous les deux, et je vous remercie de votre présence. Je vous demande de faire votre déclaration préliminaire et de répondre à nos questions par la suite.
Greg Smith, président, Association canadienne du capital de risque et d'investissement : Merci beaucoup, et bonjour aux sénateurs. Je suis heureux d'être ici aujourd'hui. Comme c'est la première fois que je comparais devant un comité sénatorial, je vous demande d'être indulgents à mon égard, s'il vous plaît.
Comme on l'a mentionné, je suis le président élu de l'Association canadienne du capital de risque et d'investissement et l'associé directeur de Brookfield Financial. Au cours de ma carrière, j'ai participé activement à des entreprises offrant du capital privé, tout d'abord dans l'Ouest canadien et, depuis bientôt deux décennies, en Ontario. Je suis accompagné aujourd'hui de M. Richard Rémillard, directeur exécutif.
Je tiens à remercier le comité d'avoir invité la CVCA à comparaître.
La CVCA existe depuis 1974 et a été fondée par six fonds de capital de risque. Elle compte maintenant plus de 130 membres institutionnels, soit des fonds de capital de risque, de financement secondaire et de rachat, et plus de 1 800 membres individuels. Les capitaux gérés par ses membres excèdent 75 milliards de dollars.
La CVCA représente la plupart des fonds de capital privé, de capital secondaire et de capital de risque au Canada. À ce titre, elle est la seule association nationale pouvant parler au nom de l'industrie du capital de risque privé au Canada. Permettez-moi de dire quelques mots au sujet du secteur du capital de risque de l'industrie des capitaux privés. Je poursuivrai en vous faisant part de certaines réflexions au sujet de la BDC.
Les fonds de capital de risque investissent de 85 à 90 p. 100 de leurs ressources dans les industries de haute technologie, c'est-à-dire les technologies de l'information et de la communication, les sciences de la vie, les technologies agricoles et de l'eau, les médias numériques et la technologie propre. Il s'agit en grande partie d'entreprises émergentes dans de nouveaux secteurs qui, pour la plupart, n'existaient pas il y a 10 ans.
Ce sont là les industries à fort potentiel de l'avenir — des industries dans lesquelles le Canada doit investir et dont il doit favoriser la croissance et le développement s'il veut soutenir la concurrence de l'économie mondiale au XXIe siècle.
Notre rapport de recherche de janvier 2009 — Why Venture Capital is Essential to the Canadian Economy —, financé conjointement par la CVCA, la BDC, Industrie Canada et quatre gouvernements provinciaux, révèle qu'en 2008, on dénombrait 1 755 entreprises soutenues par du capital de risque au Canada. Ensemble, ces entreprises avaient un chiffre d'affaires de 18 milliards de dollars et employaient 150 000 Canadiens. Le rapport en question indique aussi que les entreprises soutenues par du capital de risque croissent cinq fois plus vite que celles qui en sont dépourvues et que 70 p. 100 de leur chiffre d'affaires correspond à des exportations. Manifestement, le financement de ces entreprises innovatrices est indispensable pour accroître la productivité du Canada et pour créer une masse critique d'emplois à haute valeur ajoutée.
Pour ce qui est de l'état de l'industrie, je vais aller droit à l'essentiel. Le capital de risque est aujourd'hui en crise. Cette crise comporte plusieurs aspects et entraîne plusieurs conséquences.
Voici quelques aspects de la crise. L'apport de capital aux fonds de capital de risque est très faible. Nous allons bientôt publier nos statistiques du troisième trimestre en matière de levée de fonds et elles indiqueront que l'industrie a réussi à recueillir seulement 35 millions de dollars au troisième trimestre de 2010. Cela correspond à la période de juillet à septembre. Il est intéressant de signaler qu'il n'y a eu aucune fermeture de fonds au troisième trimestre. Il s'agit là d'un précédent au Canada.
Traditionnellement, les fournisseurs de capital — les investisseurs institutionnels comme les caisses de retraite et les sociétés d'assurances, de même que certains investisseurs particuliers de fonds de détail — s'effarouchent lorsqu'il est question de cette catégorie d'actifs. Les entreprises sont aussi généralement absentes. Comme les témoins précédents l'ont mentionné, les banques canadiennes ne s'intéressent pas à cette catégorie d'actifs. Et il y a très peu d'investissement direct étranger dans nos fonds de capital de risque.
Par conséquent, beaucoup de fonds de capital de risque sont plus petits aujourd'hui qu'ils ne pourraient l'être. Si on se place du point de vue de l'ensemble de l'industrie, nous sommes d'une taille qui, toutes proportions gardées, correspond à la moitié de celle de l'industrie du capital de risque des États-Unis, ce qui signifie que le Canada est moins en mesure d'appuyer ses entrepreneurs et ses entreprises en croissance.
Les capitaux qui ont été récemment dirigés vers la catégorie d'actifs, comblant ainsi une part de l'écart, proviennent directement ou indirectement d'organismes gouvernementaux. Le Fonds ontarien de capital-risque, le Teralys Capital Fund, l'Alberta Enterprise Corporation et le Renaissance Capital Fund Ltd., de la Colombie-Britannique, illustrent ce phénomène. Les gouvernements provinciaux comprennent l'importance d'alimenter les entreprises en croissance et de créer des grappes d'innovation.
Les rendements globaux de l'industrie, bien qu'ils n'aient rien de remarquable, sont à peu près comparables à ceux des industries de capital de risque dans d'autres pays, comme les États-Unis et les pays européens, et ont été supérieurs aux indices NASDAQ et S&P 500 au cours des 10 années se terminant le 31 décembre 2009.
Par suite de l'offre très limitée de capital de risque découlant des difficultés qu'éprouve l'industrie à lever des fonds, le nombre des entreprises obtenant du financement diminue de plus en plus. L'industrie ne finance plus que deux tiers du nombre d'entreprises qu'elle finançait il y a quelques années. Cela signifie que nous offrons du capital à quelque 400 sociétés par année, alors que nous en offrions à plus de 600 dans le passé. De fait, les placements de capital de risque se situent actuellement au niveau le plus bas des 14 dernières années.
De moins en moins de fonds sont offerts à chaque entreprise, et ce, notamment par rapport aux États-Unis où les sociétés de portefeuille obtiennent de 2,5 à 4 fois plus de capital que les entreprises canadiennes. Ce déficit de capital limite la capacité des entreprises canadiennes de concurrencer efficacement ou d'accélérer la mise en œuvre de nouvelles technologies et idées. La pénurie de capital dont souffre notre industrie est ressentie le plus durement par les entreprises de sciences de la vie et de technologie propre, dont les besoins de financement sont relativement plus élevés.
Les investissements de plusieurs milliards de dollars qu'effectue chaque année le gouvernement dans la R-D risquent d'être sans effets, car il arrive fréquemment qu'il n'y ait pas de mise de fonds pour les sociétés en libre entreprise qui résultent de ces investissements. Il s'ensuit que nous perdons de plus en plus d'entreprises au profit d'autres pays, notamment les États-Unis, où l'accessibilité au capital de risque est traditionnellement beaucoup plus grande. Nous n'encourageons pas la croissance de la prochaine génération de Research In Motions, ou RIM.
En gardant cette toile de fond à l'esprit, nous pensons que la BDC est un intervenant clé dans le secteur du capital de risque. Grâce à ses 735 millions de dollars en engagements directs et indirects et au 1,2 milliard de dollars qu'elle a investis au cours des dix dernières années, ce qui comprend les 330 millions de dollars répartis dans 23 fonds de capital de risque, la BDC joue un rôle de premier plan dans le secteur. En fait, on nous a encouragés à lire la soumission de la BDC, dans laquelle on mentionnait qu'un secteur du capital de risque à la fois fort et solide était nécessaire à la création et à la croissance d'entreprises de technologie prospères.
La BDC est également un coinvestisseur majeur dans bon nombre de transactions de capital de risque qui n'auraient peut-être jamais vu le jour sans son intervention. À ce propos, la soumission de la BDC fait référence à son étude des intervenants du marché dans laquelle les répondants ont admis le rôle clé que la BDC jouait dans l'investissement direct, surtout à titre de coinvestisseur fiable, et que le secteur serait aux prises avec des problèmes encore plus graves si ce n'était de la présence de la BDC. Je suis d'accord avec cette affirmation.
La BDC a débloqué 85 millions de dollars en capital de risque pour l'année financière se terminant le 31 mars 2010, et à ce montant se greffait la somme de 467 millions de dollars provenant d'autres investisseurs. Il est intéressant de constater que la BDC a participé à cinq des dix plus importantes transactions de capital de risque dans la première moitié de l'année 2010.
Le rôle de coinvestisseur joué par la BDC a été souligné l'année dernière, lorsque que Capital de risque BDC a gagné le prix Transaction de l'année remis par l'ACCR, avec la Caisse de dépôt et placement du Québec et le Fonds de solidarité, pour leur investissement dans ViroChem Pharma Inc.
À propos de la BDC sur le plan international, comme je l'ai mentionné dans mes commentaires, des études démontrent que les entreprises financées à l'aide de capital de risque, en plus de créer de nombreux emplois et d'être très actives sur le plan de la R-D, sont très internationales; bien plus que les PME elles-mêmes. Les entreprises financées à l'aide de capital de risque savent bien qu'elles ne peuvent pas se contenter d'être les meilleures au Canada et de ne vendre que sur le marché canadien. En conséquence, il est probable qu'elles gagneraient à ce que la BDC soit active sur la scène internationale.
Quant à l'investissement de la BDC dans le capital de risque, nous pensons qu'il est important que sa capacité de participation ne soit pas diminuée par le fait qu'elle a atteint sa limite de capital. C'est pourquoi on doit envisager d'éliminer ou de relever cette limite afin que la BDC soit en mesure d'aider le secteur au cours des dix prochaines années.
L'efficacité du capital est l'élément essentiel qui permet à la BDC de continuer à jouer son rôle contracyclique. Comme il a été mentionné dans la soumission de la BDC, lorsque les conditions de crédit forcent les prêteurs du secteur privé à se retirer, la BDC joue alors un rôle contracyclique, car elle ne retire pas son appui. Le secteur du capital de risque traverse en ce moment une violente tempête et a besoin que la BDC continue de jouer son rôle contracyclique.
L'ACCR est un organisme sans but lucratif; elle jouit d'une relation de travail positive avec la BDC depuis de nombreuses années. Par exemple, comme je l'ai mentionné plus tôt, la BDC a participé au financement et à la rédaction d'une étude majeure portant sur les répercussions économiques du capital de risque, que l'ACCR a publiée il y a presque deux ans.
L'ACCR n'hésiterait pas à essayer de trouver de nouvelles possibilités de travailler en partenariat avec la BDC. Ces partenariats pourraient conduire à des recherches conjointes portant sur les façons d'accroître la connaissance du public sur la catégorie d'actifs ainsi que sur la surveillance et la diffusion de pratiques exemplaires en matière de capital de risque.
Nous serons heureux de répondre à vos questions.
Le président : Avant de prendre les questions, j'aimerais dire que votre exposé était concis, clair et ne recelait aucune ambiguïté.
M. Smith : Merci.
Le président : Vous dites que le secteur du capital de risque est en crise. Pourquoi?
Deuxièmement, vous dites qu'en conséquence il est probable que les entreprises financées par le capital de risque gagneraient à ce que la BDC soit active sur la scène internationale.
N'êtes-vous pas inquiet à l'idée que si on autorise la BDC à suivre ses clients à l'étranger, la société aurait alors moins de temps et moins d'argent à consacrer à des partenariats dans le secteur du capital de risque au Canada, ou que des emplois seraient créés à l'étranger, réduisant d'autant le nombre d'emplois créés au Canada?
M. Smith : Votre question comporte probablement deux volets. Permettez-moi de parler d'abord de la crise et de notre position dans le secteur. L'ensemble du système de capital — que j'appellerai l'écosystème du capital de risque — dépend des événements qui le précèdent et qui le suivent.
Examinez comment une entreprise est créée ou mise sur pied. Nous commençons avec les investissements dans la R- D et dans l'éducation. Un fondateur, qui se sert habituellement de son argent, ou de l'argent avancé par ses amis ou par sa famille, crée une idée, une technologie, pour ensuite la laisser mûrir. Interviennent par la suite les investisseurs providentiels, qui dépendent du départ du capital de risque pour aider l'entreprise à grandir, ainsi que pour la guider, lui offrir des services de gestion, des réseaux internationaux et de l'approvisionnement, en travaillant avec l'entrepreneur, en lui procurant l'accès à l'expérience, la sagesse et le réseautage auxquels il n'aurait pas accès autrement. Les sociétés de capital de risque finissent par se désengager pour laisser la place aux joueurs de haut calibre, aux sociétés de capitaux propres privées ou aux marchés boursiers, selon le cas.
Si une faille se produit dans le système, toutes les autres composantes en souffriront aussi. Si les investisseurs providentiels ne peuvent pas trouver de bons débouchés fiables ou d'autres sociétés de capital de risque pour capitaliser l'entreprise et l'aider à atteindre ses objectifs et commercialiser ses produits, alors ces investisseurs providentiels n'investiront plus dans les entreprises. Il est important de comprendre comment le cycle fonctionne et forme un tout.
À mon avis, les statistiques les plus pertinentes que vous pourriez examiner à ce sujet sont celles selon lesquelles en Ontario seulement, il y a 10 ans, on a investi plus de trois milliards de dollars dans des entreprises financées par du capital de risque. En 2009, ce chiffre a été inférieur à 300 millions de dollars. Partout au Canada, on parle maintenant d'un milliard de dollars en investissements, de la région atlantique jusqu'à la Colombie-Britannique, dans tous les types de technologies : la manufacture de pointe, les communications, les médias numériques, la technologie propre, les technologies de l'eau et les technologies agricoles. Si vous tenez compte de la grandeur de notre pays et des différents sous-secteurs qui sont nés de la nouvelle économie, cet argent ne fait pas vraiment long feu. Nous sommes au point où nous observons le taux d'investissement le plus bas au Canada en 14 ans. Il y a beaucoup plus qu'une émergence, dans ces nouveaux secteurs, qui sera essentielle pour déterminer comment le Canada soutiendra la concurrence au cours de la prochaine décennie.
Le président : Excusez-moi, mais je ne comprends toujours pas pourquoi nous avons atteint un niveau si bas. Cela ne peut être dû aux variations des taux d'intérêt, n'est-ce-pas? Pourquoi y a-t-il une telle pénurie de capital de risque?
M. Smith : Nous pourrions en discuter longtemps.
Le président : Est-ce que vous pouvez penser à une recommandation que nous pourrions faire pour vous aider?
M. Smith : Nous avons mené plusieurs études sur les effets du capital de risque. Je pense qu'il devrait y avoir plus d'études et de recherches dans ce domaine. L'écosystème dans son ensemble a besoin qu'on s'en occupe. Les provinces ont utilisé certains de leurs fonds de façon positive. Ce que la BDC fait dans le secteur du capital de risque est extrêmement important. Elle est un élément essentiel du processus qui garde le Canada concurrentiel. Les conditions seraient pires au Canada si ce n'était des activités actuelles de la BDC en matière d'investissements directs et indirects.
Il existe plusieurs macro-facteurs externes et internes. Le cadre de réglementation qui force les institutions financières à faire correspondre leur actif et leur passif a un effet négatif sur la croissance et le financement des entreprises en démarrage. Des conséquences directes et indirectes pour les actifs immobiliers et l'infrastructure s'ensuivent en raison de réglementations différentes et également de macro-facteurs sur le plan de l'expansion à l'échelle mondiale, ce qui prive les entreprises émergentes de capitaux.
Je sais, et je crois fermement, que l'investissement dans l'économie d'innovation est absolument vital pour garder notre qualité de vie et notre niveau de production. Il est absolument nécessaire que le Canada s'appuie sur sa solide structure fiscale et réglementaire. Le pays devrait profiter de sa sortie de la crise économique pour saisir l'occasion de se tailler une place dans l'exploitation des nouvelles technologies telles que les technologies agricoles, les technologies de l'eau et la technologie propre, en misant sur ses propres atouts naturels et en s'en servant pour soutenir la concurrence à l'échelle mondiale. Nous devons absolument continuer dans cette voie. Il s'agit d'une bonne position à occuper.
Une présence à l'échelle internationale a été accessoire. Ce n'est pas le domaine dans lequel la BDC devrait concentrer ses activités. Les entreprises constatent souvent qu'elles doivent réagir à la demande des consommateurs ou aux perspectives à l'étranger. En l'occurrence, nous avons besoin d'un mécanisme qui nous permettra de réagir rapidement pour tirer profit de certaines de ces occasions. Il y a toujours l'exemple d'une entreprise qui a une usine de fabrication au Canada, qui doit avoir une usine d'assemblage ou un entrepôt de stockage à l'étranger, qui doit être capable de la mettre en place, d'en déterminer la valeur et de se positionner de façon à créer des emplois et des occasions d'affaires au Canada. Un partenariat avec une autre entreprise permet une certaine capacité; les activités internationales de votre entreprise vous procureraient des avantages directs en ce qui concerne la rapidité et la méthode utilisée pour réagir aux conditions du marché. Pour ce qui est de la capacité de s'établir à l'échelle internationale, des critères en matière de gouvernance et d'investissements seraient grandement profitables aux entreprises canadiennes.
Richard Rémillard, directeur exécutif, Association canadienne du capital de risque et d'investissements : Si vous me le permettez, je voudrais ajouter quelque chose à ce que M. Smith a dit; comparez le monde du capital de risque à une barre d'haltères. D'un côté, vous avez le capital qui entre dans l'industrie. De l'autre, vous avez le capital qui en est retiré. Il y a des problèmes aux deux endroits.
Dans le cas du capital qui entre, à peine une poignée des grandes entreprises ont des filiales-risque ou des investissements dans des fonds de capital-risque. Parmi nos membres, il y a TELUS Communication Company, peut- être Rogers Communications inc., et on pourrait inclure le BlackBerry Partners Fund, ce qui en fait donc trois. Aux États-Unis, il y en a des centaines et des centaines. Les grandes entreprises sont actives dans ce domaine. Il y a même une association distincte pour les filiales des grandes sociétés spécialisées dans le capital-risque. Elles ont d'importantes caisses de retraite et des investisseurs institutionnels. Elles s'en occupent elles-mêmes. Il y a de nombreuses raisons à cela, dont certaines découlent de la crise de 2008. Voilà un des bouts de la barre d'haltères.
À l'autre bout, il y a la question des retraits de capitaux. Comment fait-on de l'argent dans ce domaine? On fait de l'argent par l'introduction d'une société en bourse. Nous avons eu un appel public à l'épargne — ou PAPE — en 2008 et un en 2009 — aïe. Ce n'est pas grand-chose. Regardons du côté de l'autre principal moyen de se retirer, les fusions et acquisitions, ou les transactions FA. Le nombre de transactions est en très forte baisse. Jusqu'où se rendront-elles? Qui sait. Les évaluations d'entreprise par transaction sont en très forte baisse. Aux deux bouts de la barre d'haltères, il y a des problèmes.
Le président : Nous allons maintenant passer aux questions.
Le sénateur Hervieux-Payette : Pensez-vous que nous avons et que nous formons la main-d'œuvre nécessaire pour ces entreprises en démarrage? Nous avons beaucoup de chercheurs universitaires. Ils se voient tous comme millionnaires, voire milliardaires, quand ils détiennent la propriété intellectuelle d'un produit parfait, d'une découverte, et cetera. Cependant, les choses ne se rendent pas très loin. Quand vient le temps de l'utiliser à des fins commerciales, les chercheurs semblent ne pas savoir comment s'y prendre. Avons-nous les mesures et les mécanismes appropriés pour utiliser à des fins commerciales toutes les fantastiques inventions qui résultent du financement des universités?
M. Smith : Il y a deux façons d'examiner la question. Quand nous considérons l'ensemble du capital privé ou le marché du capital-risque, la façon d'aborder la question et la présence d'une culture de l'innovation en entreprise sont des facteurs importants. Il y a des organismes — comme les Centres d'excellence de l'Ontario et le Centre MaRS — qui font de l'excellent travail en fournissant formation et ressources aux entrepreneurs et aux nouvelles entreprises pour les aider à commercialiser leurs technologies. Devrions-nous faire plus? Je nous encouragerais à en faire davantage.
Assez souvent, les gens nous demandent si ce qui nous empêche de devenir des entrepreneurs prospères est une question de culture, au Canada. Je ne souscris aucunement à cette idée. Le Canada a de bons exemples — comme Research in Motion — d'entrepreneurs qui connaissent du succès et qui ont créé des entreprises prospères. Il nous incombe tous de nous assurer que nous avons les infrastructures nécessaires; l'accès au capital est un excellent exemple. Je viens du milieu financier, par opposition au milieu universitaire. Quand une entreprise reçoit 50 offres de financement des États-Unis et deux du Canada, il est difficile d'être concurrentiel. Nous devons nous assurer d'avoir un réseau de capital solide, de façon à ce qu'on sache que les occasions de créer des entreprises et des groupes d'entreprises sont nombreuses au Canada.
Notre étude nous a indiqué que des entrepreneurs accomplis font naître davantage d'entrepreneurs florissants, que des investisseurs qui ont réussi en créent d'autres. Une fois l'impulsion ou l'élan donnés, un effet de boule de neige survient au sein d'une industrie. Créer un tel effet dans un certain nombre de sous-secteurs clés de l'industrie du capital- risque engendrera un certain succès au Canada.
Le sénateur Hervieux-Payette : Relativement à ce que vous avez dit au sujet des États-Unis, à quelle étape les investisseurs interviennent-ils habituellement? D'après mon expérience, ils n'interviennent pas dès le début, mais plutôt lorsqu'une entreprise est sur le point d'entrer sur le marché et de commercialiser le produit. L'entreprise a fait la mise au point et le projet pilote, puis elle manque de fonds. Un grand sauveur arrive des États-Unis et achète tous les droits de propriété intellectuelle; les entreprises quittent le pays avec les 25 millions de dollars ou plus qui y sont investis au fil des ans.
Quelle est la cause de notre échec? En quoi la BDC pourrait-elle nous aider? Quand vous intervenez à la quatrième ou cinquième année d'existence de ces entreprises, ce dont elles ont besoin, ce ne sont pas des capitaux de démarrage, mais d'une importante quantité d'argent qui leur permettra de passer à l'étape de la commercialisation. Nous devons savoir quelle somme d'argent est nécessaire à cette étape.
M. Smith : Du point de vue de la BDC, nous avons bien aimé l'approche axée sur la collaboration et le partenariat. On a recours à une stratégie indirecte pour investir dans les fonds, par l'intermédiaire d'un groupe d'investisseurs et de gestionnaires qui ont des connaissances précises de l'industrie au sein des sous-secteurs pointus que sont les médias numériques ou les technologies propres, et cetera. C'est un aspect important du système, tout autant que les investissements directs, qui font d'eux des membres de consortiums bancaires et des partenaires.
J'inviterais la BDC à jouer un rôle actif de la première à la dernière étape des investissements en capital de risque tout au long du processus.
Je pense que tout le monde s'entend pour dire que l'industrie est en crise. Nous avons consacré beaucoup de temps à nos industries primaires, que ce soit la forêt, le pétrole ou le gaz, à essayer de créer une activité économique à valeur ajoutée plutôt que de nous contenter d'exporter nos matières premières. Je vois l'éducation et la R-D du même œil. Nous devons créer cette activité à valeur ajoutée et cette commercialisation au Canada et ne pas simplement exporter notre talent brut. C'est un parallèle intéressant sur lequel nous devrions nous concentrer.
Le sénateur Hervieux-Payette : Nous avons eu la crise des technologies de l'information il y a quelques années. Comment en sommes-nous sortis, et qu'avons-nous appris de cette expérience? Les gens ont perdu confiance envers les investissements dans les actions et sont devenus timides. Nous nous dirigeons, à mon avis, vers une crise financière plus grave encore. Que faire pour rétablir la confiance? Quel rôle accorderiez-vous aux fonds de travailleurs? Ils ne disparaîtront pas, mais s'ils ne donnent pas de résultats, comment peuvent-ils continuer d'exister et de fonctionner conjointement — en quelque sorte — avec vous et la BDC? De quelle façon pourra-t-on établir des partenariats? Le Canada est un petit pays. De quelle manière pouvons-nous conjuguer nos efforts?
M. Smith : J'ai deux ou trois commentaires pour établir le contexte. Le rendement des fonds indépendants privés et des fonds de travailleurs est pratiquement identique. Statistiquement — sur une période de dix ans —, la différence entre les fonds indépendants privés et les fonds de travailleurs n'est pas significative, soit moins de la moitié de un pour cent. Nous examinons la situation dans cette optique. Des améliorations peuvent être apportées aux règles relatives au financement provenant de fonds de travailleurs de sorte qu'il sera plus facile de réagir et de s'ajuster aux conditions du marché. Mais c'est probablement un tout autre sujet.
Je crois que le gouvernement devrait étudier divers outils stratégiques. Vous devez envisager l'adoption de mesures incitatives pour les entreprises, les particuliers et les institutions et examiner le rôle du gouvernement au sein du système. Je ne pense pas qu'il y ait une panacée qui permettrait de régler les problèmes de l'industrie du capital de risque, mais tout doit être complémentaire et agir dans le même sens.
C'est pourquoi je considère que la BDC, à titre de plateforme d'investissement du gouvernement, est une de ces plateformes essentielles, tant les investissements indirects et directs. Le gouvernement devrait explorer d'autres avenues. Je suis convaincu que nous allons passer d'une économie fondée sur les investissements en infrastructure à une économie axée sur les investissements en innovation. Ce sera la pierre angulaire. Nous devons nous concentrer à chercher des façons de transformer la recherche en emplois. Le capital-risque, par sa nature, ne fait que transformer la recherche en emplois; c'est tout ce qu'il fait.
M. Rémillard : Relativement à votre question sur l'aspect international, si vous étudiez nos statistiques des 10 à 12 dernières années, vous constaterez que les investissements étrangers directs dans des entreprises canadiennes étaient habituellement d'environ 20 à 25 p. 100, bon an mal an. Il y a eu des fluctuations. En 2007, si je ne m'abuse, les investissements étrangers directs ont atteint 38 p. 100, et sont actuellement de 20 à 21 p. 100. Quand on regarde les 10 transactions les plus importantes, les transactions les plus importantes au Canada, on remarque que les fonds américains occupent une place prépondérante.
Au sujet du Fonds d'investissement de travailleurs, il faut souligner que nous lui avons décerné le prix Transaction de l'année pour le meilleur rendement. Dans deux des trois dernières années, ce prix a été remporté par un fonds des travailleurs.
Le sénateur Moore : Monsieur Smith, je n'ai pas compris les chiffres. Il y a 10 ans, quelles sommes étaient investies en capital de risque en Ontario?
M. Smith : C'était trois milliards de dollars.
M. Rémillard : C'était 257 millions de dollars en 2009.
Le sénateur Moore : Vous dites 257 millions de dollars?
M. Rémillard : C'est exact, donc une baisse d'environ 92 p. 100.
Le sénateur Moore : Vous représentez la grande majorité des entreprises de capital de risque et de fonds de capital- investissement privés au Canada. Cela inclut-il les investisseurs providentiels et les fonds des travailleurs?
M. Smith : Oui. Cela comprend les fonds des travailleurs et les fonds indépendants privés — de l'entreprise familiale aux caisses de retraite — parmi lesquels il y a, par exemple, l'Office d'investissement du régime de pensions du Canada — l'OIRPC —, le Régime de retraite des enseignantes et des enseignants de l'Ontario — l'OTPP — et l'OMERS, le Régime de retraite des employés municipaux de l'Ontario. C'est un éventail assez diversifié de membres. Nous avons un bon échantillon de l'industrie du capital privé, du capital de risque jusqu'aux acquisitions.
Le sénateur Moore : Parmi vos membres, on retrouve 1 800 particuliers, qui seraient généralement considérés comme des investisseurs providentiels, je présume.
M. Smith : Il s'agit de membres à titre personnel, ce qui inclut les investisseurs en capital-risque spécialisés dans les acquisitions, les fournisseurs de services et les fournisseurs de capitaux.
M. Rémillard : Ce sont des dirigeants d'entreprises membres. Pour ce qui est de nos membres, nous avons une structure fondée sur l'entreprise, comme un fonds de capital-risque ou un fonds d'acquisitions, puis ces entreprises peuvent inscrire un certain nombre de leurs dirigeants à titre personnel. C'est ainsi que nous les comptabilisons.
Le sénateur Moore : Paient-ils des frais annuels?
M. Rémillard : Oui. Ils s'élèvent tout au plus à 3 000 $ pour un organisme comme l'OIRPC, et les frais sont établis en fonction du capital géré : zéro à 50 millions, 51 à 500 millions et 500 millions et plus. Le montant le plus élevé qu'une personne peut payer est 3 500 $.
Le sénateur Moore : Pour ce qui est de la BDC, je m'intéresse à la question de l'autorisation d'investissement de capitaux. J'ai mentionné aux autres témoins que je ne suis pas favorable à l'idée de n'avoir que des investissements ouverts. Lorsqu'il est question de l'argent des contribuables, j'aime bien que les gens comparaissent devant le Parlement pour nous expliquer pourquoi ils veulent l'argent, combien ils veulent et ce qu'ils entendent faire avec.
Monsieur Smith, vous dites qu'il faut éliminer le plafond ou l'augmenter si on veut que la BDC puisse appuyer l'industrie pour les 10 prochaines années. Si nous envisagions de recommander une hausse du plafond, avez-vous un chiffre en tête? Le plafond est maintenant établi à trois milliards de dollars.
M. Smith : Je n'ai pas fait assez de recherches pour savoir exactement à quel montant le plafond devrait s'élever. La recommandation que je ferais au comité, c'est que je ne voudrais pas voir un plafond limiter la capacité de la BDC de réagir à un vide dans les conditions du marché, ce qui se répercute sur l'industrie du capital de risque. J'examinerais les besoins de l'industrie tandis que vous cherchez à déterminer le niveau approprié du plafond.
Le sénateur Moore : Lors du ralentissement de l'économie, le gouvernement du Canada, la Chambre des communes et le Sénat ont réagi en quelques semaines pour augmenter la limite de la BDC afin de lui permettre de fonctionner et de combler les besoins créés par le retrait des autres financiers. En avez-vous tenu compte? Ce n'est pas comme si nous avions attendu des mois ou une année avant d'augmenter le financement de la BDC, pour qu'elle puisse réagir. Avez- vous tenu compte de ce fait lorsque vous avez écrit cette affirmation?
M. Smith : Quand on regarde l'industrie, le temps requis pour la constitution d'un fonds, du point de vue de l'investissement indirect...
Le sénateur Moore : Parlez-vous du capital de risque?
M. Smith : Oui. Je parle du temps nécessaire pour la constitution d'un nouveau fonds. Habituellement, il faut de six à dix-huit mois. Quand on considère un horizon de placement, cela peut se faire aussi rapidement qu'en deux ou trois mois, mais il arrive souvent que la diligence raisonnable et la recherche se poursuivent pendant quelques mois. La prévisibilité et la transparence de la disponibilité des capitaux qui vous permettent de respecter vos engagements envers vos partenaires de l'industrie sont des facteurs importants.
Je suis très heureux de voir que le gouvernement a réagi rapidement lors de la crise économique mondiale. La méthode utilisée pour décider du montant du plafond m'importe peu, pourvu que cela procure au marché transparence et prévisibilité, qui est ce que je recherche.
Le sénateur Moore : Dans la présentation PowerPoint de novembre 2010 que vous avez distribuée, on dit que le rapport du Forum économique mondial — le FEM — classe le Canada au 9e rang pour la compétitivité, mais au 18e pour la disponibilité du capital de risque, ce qu'il a qualifié de désavantage concurrentiel.
Savez-vous si le Forum économique mondial a inclus les activités de la BDC en capital de risque, ou s'agit-il seulement du capital de risque du secteur privé?
M. Rémillard : C'est un rapport très sommaire qui examine l'industrie à l'échelle du pays plutôt que d'en étudier les détails.
Le sénateur Moore : Votre réponse est donc oui, les activités de la BDC en capital de risque seraient incluses?
M. Smith : Je présume qu'elles sont incluses à un niveau macroéconomique.
Le sénateur Moore : Si nous sommes au 18e rang — nous pourrions peut-être obtenir ce rapport —, j'aimerais savoir qui nous devance et connaître les chiffres. Pourriez-vous nous donner des exemples des deux ou trois meilleurs?
M. Rémillard : De mémoire, il s'agit probablement d'Israël, des États-Unis et de Singapour. Je crois que ce sont les trois ou quatre meilleurs. Je dois vérifier dans le rapport. Ce n'est pas celui qui a été publié avant que je ne prépare cette présentation, mais celui qui a été publié aux alentours du mois de septembre 2009.
Le sénateur Moore : Y a-t-il un rapport pour 2010?
M. Rémillard : Oui.
Le sénateur Moore : Nous pourrions obtenir une copie de ce rapport du Forum économique mondial. Y a-t-il eu un rapport en septembre 2010?
M. Smith : Je pourrais vous fournir les rapports de 2009 et 2010. Pour ce qui est de la disponibilité du capital de risque, le rapport de 2009 est plus étoffé que celui de 2010.
Le sénateur Massicotte : Quand j'ai appris que vous veniez de la société Brookfield Financial, j'ai réagi parce que je suis toujours préoccupé par la possibilité de conflit d'intérêts. La bonne nouvelle, cependant, c'est que j'ai déjà investi dans votre entreprise, même si ce n'est plus le cas. Je dois admettre que j'ai perdu de l'argent, mais je ne vous en tiendrai pas rigueur.
M. Smith : Je vais laisser M. Rémillard répondre à votre question.
Le sénateur Massicotte : Pour faire écho à la première question du sénateur Meighen, pourquoi la quantité de fonds est-elle en baisse? Vous avez deux ou trois magazines, et j'ai lu les rapports de rendement et parlé à mes amis du domaine du capital de risque. Ce qu'on me dit, c'est qu'essentiellement les rendements ne sont pas assez élevés. Il n'y a pas assez de bonnes occasions d'investissement dans le marché. Même les spéculateurs ont fermé leur dernier fonds. La question la plus évidente, c'est de savoir pourquoi il en est ainsi. Il y a peut-être un problème de création d'entreprises au Canada. La réponse simple à cette question, c'est que les rendements ne sont pas assez élevés. Quand vous vous targuez d'avoir des rendements comparables à ceux du S & P 500 au cours des 10 dernières années, je l'espère bien. Vous parlez des 500 plus grandes sociétés du monde, qui sont hautement diversifiées, qui assument un risque moins élevé et qui ne sont certainement pas un point de repère.
Convenez-vous qu'il s'agit du problème principal? La solution n'est pas aussi évidente.
M. Smith : J'appuierais totalement le comité s'il décidait d'entreprendre une étude sur l'industrie du capital de risque parce que les relations entre les différentes parties sont complexes. Des conséquences imprévues des divers changements apportés à la réglementation ont été observées à l'échelle internationale et au Canada. Lorsqu'il y a des mouvements démographiques, cela influe aussi sur le comportement des gens. Si vous étudiez le comportement humain, ce qui se passe au niveau des entreprises et des institutions et certains effets de la réglementation, vous constaterez que les répercussions se font sentir à tous les niveaux.
De par sa nature — manifestement —, la force du capital de risque en comparaison avec le marché public nous fait supposer que tout le monde se dirigerait vers le capital de risque au lieu du marché public. Il y a un équilibre dans la façon dont les choses se déroulent. Cependant, même avec les nouveaux règlements de Bâle sur les banques, pour ce qui est de la pratique qui consiste à faire correspondre l'actif et le passif, nous sommes passés, à la fin des années 1980, d'une situation où les sociétés d'assurances appuyaient les capitaux propres privés et le capital de risque, à celle où les banques se sont retrouvées dans la classe des actifs, tout comme les caisses de retraite. Maintenant, l'écart est encore plus grand. Les sociétés d'assurances sont entrées dans l'industrie et en sont ressorties, les banques ont fait de même, et les caisses de retraite sont entrées dans l'industrie; et on a restreint la participation dans l'industrie. Au cours des 20 dernières années, au Canada, il y a eu d'importantes fluctuations qui ont eu des répercussions sur les capitaux propres privés et le capital de risque. C'est pourquoi j'émets l'hypothèse selon laquelle les forces externes et internes qui agissent au sein de ces institutions sont plus difficiles à prévoir.
Le sénateur Massicotte : Le marché fonctionne plutôt bien. Il ne fait aucun doute que dans un marché de capitaux, qui est très profond, si les rendements sont raisonnables, je présume qu'on verrait des fonds de détail et beaucoup plus d'intervenants.
M. Smith : Tout est une question de taille, d'échelle et d'ampleur. Faire un chèque pour 1, 2, 3 ou même 10 millions de dollars n'est pas du tout la même chose que d'en faire un pour 100 ou 500 millions de dollars. C'est faire preuve de gestion active. Vous devez le voir comme une approche très dynamique en matière de gestion de capitaux, par opposition à la gestion plus passive liée aux capitaux propres privés, aux obligations ou aux actifs réels.
Le sénateur Massicotte : Quel a été le rendement de l'industrie du capital de risque au cours des 10 dernières années au Canada?
M. Rémillard : Il a été de moins 1,4 p. 100.
Le sénateur Massicotte : Je pense que c'est la réponse que le sénateur Meighen recherchait.
M. Smith : Je ne peux pas contester que les rendements ne soient pas très positifs. Fait intéressant, M. Rémillard et moi avons assisté à une conférence mondiale, la première conférence annuelle sur le capital de risque, et il y avait 22 personnes de 11 pays. Relativement au capital de risque, les rendements au Canada sont comparables aux rendements observés à l'échelle mondiale.
Le sénateur Massicotte : Sommes-nous plus ou moins intelligents?
M. Smith : Vous devez regarder ce qui se passe dans l'industrie. Allons plus en détail. Il est parfois difficile de défendre de mauvais chiffres, mais il s'agit aussi de regarder derrière soi. Il y a 10 ans, nous avons investi dans les technologies de l'information et les communications. Aujourd'hui, nous investissons dans les sciences de la vie, la technologie propre, la technologie en agriculture et la technologie de l'eau. Devriez-vous juger de la pertinence des investissements dans la technologie de l'eau en fonction du rendement moyen obtenu dans le secteur des communications?
Le sénateur Massicotte : Vous parlez de stratégie macroéconomique et, j'en conviens, il est important de favoriser l'éclosion et d'accorder notre appui aux nouvelles technologies, pour le bien de l'économie canadienne, du marché canadien. Cet argument ne me pose aucun problème. En fait, quand je regarde les recommandations de votre association, vous dites, en somme, que la solution à votre problème de fonds consiste à nous laisser demander aux contribuables de subventionner davantage l'industrie sous forme de crédits d'impôt et autres choses du genre.
Je vais faire un commentaire, au passage. Je suis toujours surpris par le nombre de personnes du marché — et Brookfield est un joueur important sur le marché — qui croient aux lois du marché, sauf lorsqu'elles s'appliquent à elles. Tout le monde veut des subventions; tout le monde veut que quelqu'un d'autre paie pour ses erreurs ou ses investissements.
Cela étant dit, je conviens de son importance, mais je soupçonne que la solution ne consiste pas à subventionner davantage un autre participant au marché, mais peut-être à veiller à ce que les règles du jeu soient les mêmes pour tous. Je ne suis pas surpris que le rendement soit approximativement le même que celui des fonds de travailleurs, sinon quelque chose clocherait. Cela confirme que leur aptitude à sélectionner les gagnants et les perdants est aussi bonne que celle du secteur privé. Toutefois, le problème découle peut-être du fait que nous avons tellement manipulé et chambardé le marché que plus rien ne semble fonctionner. Je ne suis pas certain qu'en tentant de subventionner un autre participant, nous finirons par corriger toutes les distorsions du marché.
M. Rémillard : Je vais tenter de répondre à votre question, sénateur. Premièrement, comme je l'ai déclaré plus tôt, tous les capitaux de risque canadiens ont donné un rendement de moins 1,4 p. 100; le rendement enregistré sur NASDAQ, du 31 décembre 1999 au 31 décembre 2009, s'élevait à moins 5,6 p. 100; et le S&P 500 indiquait moins 2,7 p. 100. Ce que je m'efforce de faire valoir, c'est que, lorsque l'on classe les fonds qui ont eu un rendement de 5,1 p. 100 ou plus dans le quartile supérieur, ce qui est nettement supérieur au rendement de n'importe quel marché public, de la bourse de Toronto et des dix dernières années, la situation est-elle formidable? Je vous laisse le soin d'en juger par vous-même.
Le problème, c'est que même les fonds du quartile supérieur n'arrivent pas à obtenir des capitaux. Ils ne se heurtent pas seulement à l'obstacle du rendement. Pour répondre à votre question directement, c'est une question de rendement auquel s'ajoute un facteur supplémentaire. Quel est ce facteur supplémentaire? C'est le fait que, dans son discours de la semaine dernière, le président de la Banque Royale a déclaré que nous étions une banque, que nous n'investissions pas dans le capital de risque. Même si je souhaitais placer de l'argent dans des fonds de capital de risque, les autorités de réglementation ne cesseraient de me demander pourquoi je négocie des actions de cette catégorie. Le président dirait ce qui suit : « Pourquoi faites-vous cela? Nous nous efforçons de réduire les risques que vous courrez. » Je lui prête des paroles qu'il n'a pas prononcées, mais c'est essentiellement ce qu'il a dit.
Certains des hauts responsables des fonds de retraite du secteur public — je ne les nommerai pas — affirment qu'étant donné que nos actifs se chiffrent maintenant dans les milliards de dollars, ils ne peuvent pas accepter que nous investissions moins de 700 millions de dollars. À l'exception peut-être du Fonds de Solidarité du Québec, aucun fonds de capital de risque ne s'élève à plus de 300 ou 400 millions de dollars. Nous nous heurtons donc à un problème structurel.
Le sénateur Massicotte : Il doit y avoir des fonds de retraite dont la taille moyenne ne représente pas un problème. Il doit finir par y en avoir si vous n'investissez que 1 ou 2 p. 100 de vos actifs.
M. Rémillard : Il y a quelques années, nous avons effectué des recherches en collaboration avec Industrie Canada, mais elles sont un peu périmées. Nous avons mesuré la propension des gestionnaires de fonds de retraite canadiens à investir dans cette catégorie d'immobilisations, et nous l'avons comparée à celles des gestionnaires de fonds de retraite américains. Elle était à peu près pareille pour les fonds de retraite les plus importants, mais, lorsque la taille des fonds de retraite atteignait cinq milliards ou moins, nos gestionnaires n'étaient plus de la partie, contrairement aux gestionnaires américains. Voilà la différence. Encore une fois, cette étude date de plusieurs années.
Le président : Dites-le-moi si j'ai tort, mais, selon les renseignements qui m'ont été communiqués, la BDC retire maintenant les sommes qu'elle avait investies dans le capital de risque, contrairement à ce qui se passe dans le secteur de la dette à terme. On m'a fait parvenir quelques statistiques à ce sujet, mais je n'en suis pas certain. Je vous demande de me dire ce que vous en pensez. Plus précisément, pensez-vous que l'une ou l'autre des cinq demandes que la BDC a présentées dans le cadre de cette revue l'aiderait à participer plus activement au marché du capital de risque?
M. Smith : Pour conclure l'autre sujet, en mai 2010, nous avons mené une étude dirigée par Gilles Duruflé qui porte sur le rôle que le gouvernement joue dans l'industrie du capital de risque et qui établit des comparaisons à l'échelle internationale.
Le président : Pourrions-nous en obtenir une copie, s'il vous plaît?
M. Smith : C'est avec plaisir que nous la transmettrons au comité. Elle pourrait vous aider à comprendre certaines des dynamiques à l'œuvre au sein de l'industrie du capital de risque.
J'ai examiné la première moitié de 2010, et j'ai remarqué que la BDC avait investi 85 millions de dollars pour appuyer les quelque 400 millions de dollars investis par ses partenaires de consortium. Je suis très encouragé de voir la BDC jouer un rôle complémentaire et coopératif qui s'accompagne d'une stratégie d'investissement direct et indirect. Ils ont besoin d'être imités des partenaires. Ils ne peuvent pas le faire par eux-mêmes. C'est un marché où il est nécessaire d'investir conjointement et de collaborer. Même dans le secteur privé, habituellement, on n'investit pas seul dans une société à capital de risque, sauf, bien entendu, si elle en est à ses débuts. Ce genre de partenariat est nécessaire.
J'ai examiné les résultats de la BDC. Je les encouragerais à élargir le rôle qu'ils jouent dans le domaine du capital de risque, mais ils doivent le faire à un rythme modéré, en collaboration avec les partenaires qui sont déjà présents dans l'industrie. Ils doivent trouver des façons d'inciter les investisseurs étrangers et d'autres investisseurs canadiens à placer des fonds dans cette catégorie d'immobilisations. C'est pourquoi il est important de maintenir un solide équilibre entre le financement indirect, qui est manifestement essentiel, et le financement direct, qui représente une plus petite part de leurs activités.
Le président : Ceci n'est pas une critique, mais simplement une affirmation : vous ne pouvez pas dire pour quelle raison leur investissement dans le capital de risque a chuté.
M. Smith : Je ne peux pas répondre à cette question. Vous devriez demander à la BDC d'y répondre. Je ne sais pas exactement pourquoi c'est le cas.
M. Rémillard : C'est une réduction très substantielle. Si vous jetez un coup d'œil à leurs propres chiffres, vous constaterez qu'en collaboration avec leurs partenaires de consortium, ils ont généré des investissements de l'ordre de 599 millions de dollars en 1999 et de 552 millions de dollars en 2010. Ce n'est pas une différence négligeable si l'on considère que, d'une année à l'autre, l'industrie canadienne du capital de risque enregistre en moyenne des investissements de 1,2 à 1,3 milliard de dollars. Ce n'est pas à négliger.
L'un des aspects qui vaudrait peut-être la peine d'être examiné est la mesure dans laquelle le Canada manque de capitaux, et cela fait partie des défis que notre industrie doit relever. Parce que les fonds de capital de risque s'amenuisent de cette manière, lorsqu'un fonds particulier disposant de capitaux cherche des partenaires de consortium avec lesquels investir, il n'a pas énormément de succès. C'est là le problème. Si vous demandez combien il y a de fonds de capital de risque actifs au Canada, vous obtiendrez une liste très courte parce que ceux-ci n'ont pas d'argent.
Le sénateur Massicotte : En ce qui concerne les chiffres de la BDC, voici les deux points que j'ai observés. Voyons si vous serez d'accord avec eux. Oui, pendant la difficile période économique, j'ai remarqué qu'ils avaient légèrement augmenté les sommes qu'ils investissaient dans le capital de risque, soit une hausse de 2 p. 100, je pense. De plus, si l'on examine les projets dans lesquels elles ont été investies, on constatera qu'ils sont ce que j'appelle ordinaires : beaucoup d'investissements très simples dans le capital de risque, très peu de fonds de démarrage, ce qui est probablement important pour un organisme subventionné par le gouvernement. En dépit du fait que nous traversions des moments difficiles et que les marchés financiers manquaient de liquidités, la BDC était censée se montrer à la hauteur à ce moment-là. Elle l'a fait sur le plan de la titrisation, mais, dans le domaine du capital de risque et des prêts aux entreprises, nous n'avons pas remarqué qu'elle avait joué un rôle beaucoup plus important.
M. Smith : Parlez-vous d'investissements initiaux?
Le sénateur Massicotte : En d'autres termes, si l'on examine la période difficile de deux ans, les données n'indiquent pas qu'elle a investi de manière très substantielle dans le capital de risque et les fonds de démarrage. En fait, en ce qui concerne les fonds de démarrage, sa participation est toujours minime.
M. Smith : En général, je suis d'accord avec vos observations. Je pense qu'il sera important qu'elle y participe. Si l'on examine les statistiques sur les sommes investies, on constate que leur valeur fluctue selon qu'elles ont été investies pendant les premières étapes ou plus tard. Au démarrage, le financement accordé aux entreprises oscille entre 250 000 et 500 000 $. Plus tard, les entreprises ont besoin d'apports financiers plus importants, ce qui fausse les statistiques sur les sommes investies. Malheureusement, au Canada, ces sommes s'élèvent à environ trois millions de dollars, alors qu'elles devraient être plus près de sept millions de dollars. Par conséquent, cela fera une différence dans le nombre d'entreprises bénéficiaires et les montants investis. Il faut effectivement trouver un équilibre et faire en sorte que les investissements effectués initialement se poursuivent tout au long du cycle de vie de l'entreprise. Lorsque les capitaux deviennent plus limités, il se peut que vous ayez assez d'argent dans votre portefeuille pour effectuer un investissement initial. Toutefois, vous devez vous assurer de suivre ces investissements réussis par d'autres placements pendant toutes les étapes suivantes. Je peux imaginer que, lorsque la situation économique est difficile et que l'on cherche à commercialiser des produits et à permettre aux entreprises de poursuivre leurs activités, on aura tendance à investir davantage dans les étapes plus tardives du processus.
Pour revenir sur les observations formulées plus tôt au sujet du rendement général, je pense également qu'il est important que la BDC aide l'industrie en axant sa stratégie de financement indirect sur les entreprises et les fonds du quartile supérieur et en appuyant ceux-ci. Cela aura un effet positif sur toute l'industrie, un effet qui s'accentuera à mesure que la stratégie progressera au cours des cinq à dix prochaines années.
Le président : À moins que vous n'ayez de très brefs commentaires ou de très brèves observations à formuler, étant donné que notre temps est écoulé, je vais remercier nos témoins. Je vous remercie de votre présence, de votre professionnalisme et de vos perspectives sur une industrie qui n'a rien de simple. Nous acceptons votre argument selon lequel cette industrie est essentielle à l'avenir de notre pays. Nous vous souhaitons bonne chance et, encore une fois, nous vous remercions d'être venus.
(Le comité poursuit ses travaux à huis clos.)