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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule 13 - Témoignages - 17 novembre 2010


OTTAWA, le mercredi 17 novembre 2010

Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd'hui, à 16 h 20, pour étudier le projet de loi S-216, Loi modifiant la Loi sur la faillite et l'insolvabilité et la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies en vue de protéger les prestataires de régimes d'invalidité de longue durée.

Le sénateur Céline Hervieux-Payette (vice-présidente) occupe le fauteuil.

[Français]

La vice-présidente : La séance est ouverte. Je veux souhaiter la bienvenue à mes collègues et à notre invité d'aujourd'hui et à ceux qui comparaîtront plus tard.

J'aimerais, avant de commencer, vous présenter mes collègues. Le sénateur Ringuette, du Nouveau-Brunswick, le sénateur Harb, de l'Ontario, le sénateur Moore, de la Nouvelle-Écosse, le sénateur Merchant, de la Saskatchewan, le sénateur Kochhar, de l'Ontario, le sénateur Gerstein, de l'Ontario, le sénateur Greene, de la Nouvelle-Écosse et le sénateur Massicotte, du Québec.

Nous commençons l'étude du projet de loi S-216, Loi modifiant la Loi sur la faillite et l'insolvabilité et la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies en vue de protéger les prestataires de régime d'invalidité de longue durée.

[Traduction]

Notre premier témoin sera le sénateur Eggleton, de l'Ontario, le parrain du projet de loi.

Nous vous souhaitons la bienvenue. La parole est à vous.

L'honorable Art Eggleton, parrain du projet de loi : Je vous remercie beaucoup. C'est un peu étrange pour moi. Je siège d'habitude de l'autre côté de la table, avec un autre comité qui se réunit normalement à cette heure-ci à l'autre bout du couloir, mais je suis ravi d'être ici avec vous aujourd'hui.

J'aimerais souligner la présence de Judy Sgro, la députée de York-Ouest, qui s'est beaucoup investie dans ce dossier et d'autres questions touchant les pensions, à la Chambre des communes.

Je vais vous parler aujourd'hui du projet de loi que j'ai parrainé, le projet de loi S-216, Loi modifiant la Loi sur la faillite et l'insolvabilité et la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies en vue de protéger les prestataires de régimes d'invalidité de longue durée.

Honorables sénateurs, avant de vous dire ce que contient ce projet de loi et ce qu'il accomplit, j'aimerais parler de ce qu'il n'accomplit pas. Je crois que c'est important. Tout d'abord, il ne porte pas sur les pensions. C'est une autre question. Il porte exclusivement sur l'invalidité de longue durée. Deuxièmement, le projet de loi n'est pas seulement destiné aux employés de Nortel, bien que la faillite de cette société ait précipité la présentation de cette mesure. Il est destiné aux employés d'aujourd'hui et de demain dont le régime d'invalidité de longue durée subit le même sort que celui de Nortel.

Le but du projet de loi est simple : protéger les employés qui touchent des prestations d'invalidité de longue durée. Malgré sa portée étroite, le projet de loi S-216 traite de plus larges questions comme l'équité, la justice et le respect. Il vise à faire en sorte que les travailleurs les plus vulnérables ne finissent pas dans la misère et réaffirme le principe élémentaire selon lequel les gens qui cotisent à un régime et qui respectent les règles ont le droit de s'attendre à toucher les prestations qui leur ont été promises.

En ce moment, environ un million de travailleurs canadiens reçoivent des prestations d'invalidité en vertu des régimes auto-assurés de leurs employeurs. Si une entreprise qui offre des prestations d'assurance-invalidité de longue durée dans le cadre d'un régime auto-assuré fait faillite, ses employés qui touchent des prestations se retrouvent au même rang qu'un créancier ordinaire.

En 2001, Amy Stahlke écrivait ceci dans le magazine Benefits Canada au sujet de ce problème imminent :

Au Canada, les régimes auto-assurés sont peu réglementés. Les employeurs ne sont pas tenus de constituer des réserves suffisantes pour couvrir les charges futures du régime. Si des réserves sont constituées, il n'y a aucune restriction à la manière dont les fonds sont investis. Les employeurs ne sont pas tenus non plus de garder les fonds en fiducie pour les mettre à l'abri des créanciers. Cela signifie qu'une faillite peut sonner le glas d'un régime, y compris des prestations versées aux personnes handicapées.

Honorables sénateurs, les employés handicapé s qui ne peuvent pas travailler ne devraient pas être laissés pour compte. Même après la faillite de leur employeur, ils ont encore des besoins. Il leur faut encore des médicaments, des traitements et des services de réadaptation. Ils ont encore besoin de tout ce que leur régime de pension d'invalidité de longue durée leur procurerait.

Dans le projet de loi, il est proposé de protéger les prestataires de régimes d'assurance-invalidité de longue durée en leur accordant un statut préférentiel. Ainsi, ils continueraient de toucher leurs prestations jusqu'à l'âge de 65 ans, ils pourraient payer leurs frais médicaux et échapper à la pauvreté.

Certains pourraient s'inquiéter du coût de ce projet de loi et de son incidence sur les marchés du crédit et sur notre compétitivité en général. J'ai déjà entendu formuler ces préoccupations, mais tout démontre non seulement que c'est possible, mais aussi que bien des pays du monde le font déjà, ou font encore plus.

Parmi les pays faisant l'objet de l'étude de l'OCDE et de la Banque mondiale, 34 pays sur 54 accordent déjà soit une grande priorité, soit un statut préférentiel aux demandes des employés dans leurs lois sur la faillite. Cela comprend toutes les demandes de pension, pas seulement les régimes de pensions d'invalidité de longue durée. Les marchés du crédit de ces pays fonctionnent bien et sont encore concurrentiels. Par conséquent, les deux ne sont pas incompatibles. Il est possible de protéger nos employés les plus vulnérables tout en protégeant la vitalité de nos marchés du crédit et en demeurant concurrentiels.

Au moins 12 autres pays, notamment l'Allemagne et le Royaume-Uni, exigent que les sociétés paient des cotisations d'assurance afin de financer leurs régimes de pension publics et leurs régimes de pension d'invalidité de longue durée. Nous ne le faisons pas, mais au moins 12 de nos principaux partenaires commerciaux le font.

Le système du Royaume-Uni va encore plus loin. En 2004, ce pays a mis en œuvre un fonds visant à protéger les pensions selon lequel, si une entreprise insolvable n'a pas suffisamment doté son régime de pension d'invalidité de longue durée, le gouvernement y contribuera afin de protéger les employés. Par conséquent, les employés sont protégés avant même qu'une entreprise ne déclare faillite puisque le gouvernement exige que cette dernière finance ses régimes de pension d'invalidité de longue durée. S'il y a un manque à gagner, le gouvernement interviendra pour le combler. Essentiellement, les gens les plus vulnérables sont protégés.

Aux États-Unis, le fonds de garantie des prestations de retraite protège les employés qui touchent une pension d'invalidité de longue durée. En vertu de la loi fédérale sur la sécurité du revenu de retraite, les employés ont aussi un recours judiciaire pour toucher des prestations d'invalidité de longue durée à la suite d'une faillite. Les Canadiens n'ont aucun recours de ce genre. Par ailleurs, aux États-Unis, le programme de prestations d'invalidité de la sécurité sociale est plus généreux. Il verse plus du double de ce que verse le programme de prestations d'invalidité du Régime de pensions du Canada. Il s'agit ici de notre principal partenaire commercial.

Honorable sénateurs, le cas des employés de Nortel est un exemple frappant de l'injustice de la situation actuelle. Pendant que cette entreprise s'emploie à partager ces biens, plus de 400 de ses employés touchant des prestations d'invalidité de longue durée sont laissés pour compte. Ces biens, en passant, se chiffrent à plus de 6 milliards de dollars.

Actuellement, le tribunal de la faillite a accepté une entente de dissolution de la fiducie de santé et de bien-être de Nortel. Cette fiducie avait été établie pour financer l'assurance-vie, les prestations d'invalidité de longue durée et d'autres avantages sociaux pour les 18 000 travailleurs de Nortel. Le fonds a été sous-financé pendant des années et ne peut remplir qu'environ 35 p. 100 des obligations que représentent la totalité des employés. C'est une situation pénible pour les employés de Nortel bénéficiaires du régime d'invalidité de longue durée, dont l'âge moyen est de 54 ans et qui pourraient avoir besoin de prestations pendant encore bien des années.

Ces employés vont se tourner de plus en plus vers l'aide sociale et vont recourir davantage aux services sociaux. Ils vont devoir prendre des décisions déchirantes, comme choisir entre acheter des médicaments ou de la nourriture, ou entre subir un traitement ou payer le loyer.

En fait, Nortel aura refilé ces coûts aux contribuables. Ce sont eux qui vont les assumer, parce que ces gens devront faire appel à l'aide sociale. Entre-temps, l'entreprise a 6 millions de dollars d'actifs, et il y a à peine un an, elle a versé quelque 8 millions de dollars en prime à sept de ses cadres supérieurs. Cette entreprise va tout simplement se décharger de ses responsabilités.

J'ai mis un document sur la table. Comme il n'a pas été traduit officiellement, il ne vous pas été distribué. Il comporte 28 témoignages, certains en français, d'autres en anglais, selon la langue d'origine de leur auteur. Lisez-les, et vous verrez combien la situation de ces gens est désespérée. L'un d'eux parle de tentative de suicide. Je vous invite à lire ce document pour vous faire une idée de la situation. Le comité entendra aussi le témoignage de deux de ces personnes.

Honorables sénateurs, les employés de Nortel ne sont pas les seuls à se trouver dans cette situation. Il y a aussi les travailleurs du groupe Pacific Newspaper Group, qui appartient à CanWest. Ils ont connu ces incertitudes plus tôt cette année. Fort heureusement, CanWest a survécu aux procédures de faillite. Cependant, s'il avait fallu liquider ses biens, comme dans le cas de Nortel, ses employés auraient pu se retrouver dans la même situation. Le problème n'est pas non plus nouveau. Nous l'avons déjà vu. En 1988, lorsque Massey Combines a déposé son bilan, 350 employés ont perdu leurs prestations d'invalidité. Dix ans plus tard, la faillite d'Eaton a privé des centaines d'employés de leurs prestations.

Honorables sénateurs, les régimes d'invalidité de longue durée se fondent sur un marché très simple : tant que le bénéficiaire paie ses cotisations, il est couvert s'il lui arrive quelque chose qui l'empêche de travailler. Dans le cas de Nortel et d'autres entreprises, ce marché a été rompu. Mais à l'avenir, si aucune mesure n'est prise, des marchés semblables seront encore rompus, et ce sont les contribuables qui finiront par payer les pots cassés.

Le projet de loi que je propose aujourd'hui vise à mettre fin à cette pratique. Il établit de façon très nette que le fait de promettre un soutien à long terme, puis de prendre des décisions à court terme qui vont à l'encontre de la promesse faite n'est pas une simple question de passif actuariel. C'est une pratique injuste et inacceptable.

Ce projet de loi apportera non seulement une plus grande mesure d'équité au processus de faillite, mais il permettra aussi de protéger certains de nos citoyens les plus vulnérables maintenant et à l'avenir. Je vous remercie.

Le sénateur Massicotte : Merci, sénateur Eggleton, pour cet exposé.

Je crois comprendre les modifications proposées à la loi. J'ai lu d'autres témoignages. Je m'efforce de me renseigner.

Si les cotisations de l'employé à un régime d'invalidité de longue durée ne sont pas assurées, elles vont dans les coffres de l'entreprise plutôt que dans un fonds fiduciaire. En droit, les retenues sur le salaire des employés au titre de l'impôt sur le revenu, et cetera, constituent des sommes en fiducie. Par conséquent, les conseils d'administration seraient tenus juridiquement responsables s'ils utilisaient cet argent à d'autres fins que celle qui est prévue. Si je comprends bien, la différence dans ce cas-ci, c'est que les cotisations des employés à l'assurance-invalidité n'ont aucun statut particulier. C'est bien cela?

Le sénateur Eggleton : Nortel et d'autres compagnies ont établi une fiducie de santé et de bien-être, mais rien ne les y oblige. Et puis quand elles le font, il n'y a aucune règle quant à la dotation du fonds ni à la façon dont il est investi. Dans ce cas-ci, le régime n'a pas été suffisamment capitalisé. L'entreprise ne l'a pas suffisamment doté pour pouvoir s'acquitter de ses obligations.

Le sénateur Massicotte : Les sommes retenues sur le salaire de l'employé ne doivent pas obligatoirement être placées en fiducie, au sens légal?

Le sénateur Eggleton : Cet argent n'a pas été placé en fiducie.

Le sénateur Massicotte : Donc comme ces fonds n'ont pas été mis dans un compte distinct, ils n'étaient pas automatiquement considérés comme étant placés en fiducie? Ce n'est pas l'argent de l'entreprise, mais celui de ses employés.

Le sénateur Eggleton : Je pense que rien ne les oblige à considérer cet argent comme appartenant aux employés. La compagnie y contribue aussi.

Le sénateur Massicotte : Je soupçonne que ce sont des fonds en fiducie, mais cela ne signifie pas que l'employeur paye sa part. Certains employeurs paient davantage. C'est quand l'employeur n'y cotise pas qu'il y a un problème de capitalisation insuffisante.

Le sénateur Eggleton : Je ne suis pas convaincu que la question est de savoir si c'est l'argent des employés en tant que tel. À ce que je sache, il a été mis dans la fiducie de santé et de bien-être. Le problème, c'est que l'entreprise n'y a pas suffisamment contribué.

Le sénateur Massicotte : Je ne connais pas les statistiques, mais à part les quelques grandes entreprises dont vous avez parlé, je soupçonne que 90 p. 100 des faillites au pays surviennent une fois que le créancier garanti a retiré ses actifs. Il ne reste jamais rien pour les créanciers ordinaires. Si mes chiffres sont exacts, bien que je sois en faveur des modifications proposées, je crains que cela ne résolve pas grand-chose, à part pour les Nortel de ce monde, parce que le plus souvent, dans le cas des PME, une fois que les créanciers garantis en ont fini, il ne reste plus rien pour les créanciers ordinaires.

Le sénateur Eggleton : La plupart des entreprises ont un régime d'assurance. Elles achètent de l'assurance pour environ 90 p. 100 des employés couverts par un régime d'invalidité de longue durée. À peu près 10 p. 100 des employés, soit environ un million de personnes, cotisent à un régime autofinancé. Dans la plupart des cas que nous connaissons, les grandes entreprises estiment avoir les ressources nécessaires pour s'auto-assurer. C'est bien beau, sauf quand leur régime n'est pas suffisamment capitalisé et qu'elles font faillite. Ce sont les employés, à ce moment-là, qui en font les frais. Ce sont eux que nous voulons protéger avec cette loi.

Dans cet exemple particulier, et dans d'autres cas antérieurs, les actifs étaient importants — pas nécessairement les actifs à court terme, mais les immobilisations. Si une compagnie doit liquider ses biens, tous les actifs entrent en jeu, comme il se doit.

Le sénateur Massicotte : Les compagnies d'assurance-vie affirment qu'une entreprise qui travaille avec elles n'aura aucun problème. Cependant, à ce que je comprends de leur exposé, le terme « assuré » ne signifie pas forcément que l'on est assuré. L'argent est confié à la compagnie d'assurance, qui est chargée de l'investir. S'il n'y a pas assez d'argent dans ces fonds, il n'y en a pas assez non plus pour les employés. Ai-je bien compris? Nous employons le terme « assuré », mais rien n'est vraiment assuré. Tout ce que cela signifie, probablement, c'est que les fonds sont gardés à part.

Le sénateur Eggleton : Les entreprises qui, dans une proportion de 90 p. 100, font affaire avec des compagnies d'assurance s'entendent vraisemblablement sur les modes de paiement, pour que les engagements soient tenus. C'est ce que devrait stipuler l'entente conclue avec la compagnie d'assurance. Dans le cas des régimes « auto-assurés », la compagnie d'assurance peut être de la partie, comme dans ce cas particulier, mais son rôle se limite à l'administration. C'est l'argent de l'entreprise, que la compagnie d'assurance ne fait qu'administrer. Les employés ont ainsi l'impression trompeuse qu'il y a une compagnie d'assurance derrière tout cela, qui fait plus que de l'administration.

De fait, les employés de Nortel ont ignoré très longtemps que la compagnie d'assurance ne recevait pas des fonds suffisants pour capitaliser le régime, qu'elle n'en était que l'administratrice.

Le sénateur Massicotte : Je ne vois pas de problème. Nous sommes censés entendre d'autres témoins. Des gens ont dit que la capitalisation poserait problème. J'ai longtemps été dans les affaires, et je peux comprendre qu'il puisse y avoir de petits problèmes de capitalisation. Je ne pense pas que la vraie question soit là. Je trouve votre proposition très louable. Si j'hésite, c'est que je crains qu'elle n'offre pas de solution à la plus grande partie des problèmes qui surviennent. Autrement dit, peut-être qu'il y aurait moyen de forcer les entreprises à mettre l'argent dans un compte distinct, comme elles le font des autres retenues salariales, mais il n'en est pas question dans votre projet de loi qui, par ailleurs, est très louable. Peut-être faudrait-il faire plus avec les lois à venir, parce que je crains que celle-ci ne résoudra rien pour les PME, dans 80 p. 100 des cas. Pour les grandes entreprises, oui; mais c'est un premier pas valable.

Le sénateur Eggleton : J'en conviens tout à fait, c'est un premier pas et il faudra faire plus. J'ai déjà dit que d'autres pays font déjà plus. Les États-Unis, le Royaume-Uni, l'Allemagne, beaucoup de nos principaux partenaires commerciaux sont allés plus loin à bien des égards. Même en matière de faillite, 34 de ces pays font plus que nous. Nous avons des créanciers non garantis. Ils ont au moins des créanciers privilégiés, et bon nombre d'entre eux ont des créanciers hautement prioritaires.

Le sénateur Massicotte : Ils passent avant les créanciers garantis?

Le sénateur Eggleton : Certains, oui. Je ne dis absolument pas que c'est ce que propose le projet de loi.

Le sénateur Massicotte : Je comprends.

[Français]

La vice-présidente : Vous pourriez penser à un amendement si vous croyez qu'il ne sera pas protégé.

[Traduction]

Le sénateur Kochhar : Est-ce qu'il serait possible d'imposer à l'entreprise de créer un fonds sûr, assurable et distinct? N'y aurait-il aucun mécanisme pour obliger l'entreprise à garder cet argent séparément afin qu'il soit accessible le moment venu?

Le sénateur Eggleton : C'est notamment ce que fait mon projet de loi. En cas de procédure de faillite ou de procédures déposées sous le régime de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, ce genre de fonds doit être créé.

Le sénateur Kochhar : Est-ce avant la faillite?

Le sénateur Eggleton : C'est stipulé dans la LACC. Si vous parlez d'une entreprise ordinaire, non, et je pense que nous devons y voir.

Le sénateur Kochhar : Si vous faites cela, alors, votre projet de loi devient redondant; les modifications que propose le projet de loi son inutiles.

Le sénateur Eggleton : Cela ne servirait à rien aux gens de Nortel. Si vous voulez les aider, c'est la voie à suivre.

Le sénateur Greene : L'entente, il me semble, comporte une clause qui la protège contre les modifications aux lois sur la faillite et autres. Si c'est le cas, comment votre projet de loi peut-il la contourner?

Le sénateur Eggleton : Avec l'article 8 du projet de loi. C'est une disposition transitoire, qui stipule :

Il est entendu que la présente Loi s'applique au débiteur contre lequel les procédures entamées sous le régime de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité ou de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des entreprises avant l'entrée en vigueur du présent article.

C'est le cas de Nortel.

Le sénateur Greene : Oui, mais cela n'aide pas nécessairement les gens de Nortel, parce qu'il faut une décision subséquente qui fasse que votre projet de loi s'applique à l'entente conclue.

Le sénateur Eggleton : Au moment de la rédaction du projet de loi, il s'y appliquait.

Le sénateur Greene : Cette décision relèverait d'un tribunal ou d'une autre instance.

Le sénateur Eggleton : Au moment de la rédaction du projet de loi, c'était considéré suffisant dans cette situation. C'était au printemps. La décision du tribunal sur le règlement est entrée en vigueur depuis lors, et a fait naître quelques doutes sur l'efficacité de cette disposition particulière. On pourrait encore faire valoir qu'il est très efficace. Des avocats divers à qui on poserait la question auraient des avis divers.

Je pense que l'ajout de quelques mots pourrait neutraliser l'effet de ce qui s'est passé entre le moment de la rédaction du projet de loi et maintenant. Ce pourrait être les most suivants : « et nonobstant toute décision ou ordonnance judiciaires rendues dans cette affaire ».

Ainsi, ce serait limpide. Je pense que le libellé actuel y suffit, mais si nous voulons qu'il soit parfaitement clair que la disposition s'applique au jugement rendu depuis, je propose d'ajouter ces quelques mots.

Le sénateur Greene : Ils n'empêcheront probablement pas que cela finisse devant les tribunaux.

Le sénateur Eggleton : C'est une directive claire du Parlement du Canada. Elle s'applique à la situation des gens de Nortel, et aussi aux procédures en cours. Je pense qu'avec ces quelques mots de plus, qui la rendent tout à fait limpide, elle serait utile.

Le sénateur Greene : Peut-être, mais elle pourrait encore n'avoir aucun effet.

Le sénateur Gerstein : Je poursuis dans la même veine que le sénateur Greene, sénateur Eggleton. Tel que je le vois, je ne suis pas sûr que votre projet de loi change les droits juridiques des anciens employés de Nortel.

Permettez-moi de dire tout d'abord combien je sympathise avec les employés de Nortel. Si votre projet de loi est adopté, est-ce qu'il ne risque pas d'engendrer des poursuites? Vous avez dit vous-même que des avocats divers ont des avis divers, qu'ils pourraient paralyser pendant des années les règlements ordonnés par le tribunal pour les anciens employés de Nortel. En fait, n'est-il pas possible que votre projet de loi ne fasse qu'aggraver la situation de ces gens-là mêmes que vous essayez d'aider?

Le sénateur Eggleton : Non, je ne le pense pas du tout. Je suppose qu'au Canada, n'importe qui peut essayer d'intenter des poursuites pour n'importe quoi, mais nous avons discuté avec des avocats experts de ces questions. Le libellé du projet de loi original, nous a-t-on dit, serait efficace. Comme certaines choses ont changé depuis le dépôt du projet de loi, je pense que ces quelques mots dissiperaient l'incertitude.

Le sénateur Gerstein : Vous n'allez tout de même pas jusqu'à dire qu'il n'y aurait pas de poursuites.

Le sénateur Eggleton : C'est toujours possible.

Le sénateur Gerstein : Les poursuites pourraient durer des années.

Le sénateur Eggleton : Je ne le pense pas, mais il y a une chose que je sais. Vous parlez de possibilités diverses, et nous savons que dans le contexte juridique, il est facile à certains de soutenir ce type d'arguments, mais il y a une chose dont nous sommes certains, c'est que le temps est compté pour ces gens. S'ils n'obtiennent pas gain de cause d'ici la fin de l'année, ils auront de très graves problèmes.

Le sénateur Gerstein : Je comprends, mais permettez-moi d'insister. Est-ce que vous ne reconnaissez pas que c'est possible et, de fait, que ceci pourrait engendrer des poursuites qui remettraient en cause le règlement, qui risqueraient de bloquer pendant des années les paiements aux anciens employés de Nortel?

Le sénateur Eggleton : Non, je ne le pense pas.

Le sénateur Gerstein : Même à ceux qui ne touchent pas de prestations d'invalidité de longue durée.

Le sénateur Eggleton : Non, je ne le pense pas. Il n'est question que des prestations d'invalidité de longue durée.

Le sénateur Gerstein : Oui, mais si le gouvernement commence à légiférer sur un élément nouveau, les gens ne vont pas simplement dire : « D'accord, puisque c'est ainsi, nous paierons ». Il y aura quelqu'un pour intenter des poursuites, et je présume qu'aucune prestation ne sera versée jusqu'à ce qu'on en connaisse l'issue. Je ne suis pas avocat. Je ne fais que poser la question et je vous demande si on ne risque pas d'aggraver la situation de ceux-là mêmes que nous cherchons à aider.

Le sénateur Eggleton : Non, je ne le pense pas. Leur situation ne peut être pire qu'elle l'est aujourd'hui. Tout sera fini d'ici la fin de l'année.

Si vous vous inquiétez de la situation de ces gens maintenant, mais ne pensez pas que ce soit la meilleure solution, que proposez-vous?

Le sénateur Gerstein : C'est ce que nous essayons de voir.

Le sénateur Massicotte : À quelle date la modification proposée à la loi doit-elle entrer en vigueur?

Le sénateur Eggleton : À la date de sa ratification ou de l'obtention de la sanction royale. Cependant, l'article 8, la disposition transitoire, porte sur tout ce qui est devant les tribunaux, y compris l'affaire Nortel. Elle comporte une disposition de rétroactivité, ce qui n'a rien d'inhabituel. Nous avons adopté ces dernières années plusieurs projets de loi qui en comportaient. Cela n'a pas été la fin du monde et je ne pense pas que ce le soit cette fois encore.

Le sénateur Massicotte : Avec la LACC, le juge n'a de pouvoir discrétionnaire que sur les créanciers ordinaires. Vous dites qu'il est déjà arrivé que le juge prenne une décision concernant le genre d'arrangement qui a été conclu, et que la décision portait toujours sur les créanciers ordinaires. L'adoption de ce projet de loi avec l'article 8 prive le juge de son pouvoir discrétionnaire sur les obligations, parce que la loi s'appliquera aux obligations. Le juge ne pourra pas dire « Mes décisions antérieures relativement à ces obligations ne sont pas touchées ». Je pense que c'est une solution, mais c'est compliqué.

Le sénateur Eggleton : Je pense que oui. Je souligne que le juge ne peut prendre de décision qu'à la lumière des renseignements qu'il a en main.

Si ce jugement entre en vigueur à la fin de l'année, les employés perdront d'abord leurs prestations d'assurance des frais médicaux. C'est en moyenne, m'a-t-on dit, environ 12 000 $ par année, en plus de l'assurance-maladie; c'est 12 000 $ par année, pour les médicaments d'ordonnance et bien d'autres choses encore. Ces gens souffrent du cancer, de maladies cardiaques, d'un large éventail de problèmes de santé. Ils ont besoin de médicaments et de services de réadaptation, et ils ne toucheront plus aucune prestation dès la fin de l'année. Comme il reste tellement peu d'argent dans la fiducie de santé et de bien-être, leur revenu va chuter. Certains recevront 20 p. 100 de moins que maintenant. N'oublions pas qu'ils ne touchent déjà que la moitié de leur salaire d'employés, parce que la plupart de ces régimes d'invalidité ne paient pas plus de 50 p. 100. Certains ont payé plus pour bénéficier de la disposition des 70 p. 100. Donc ces gens-là ne touchent déjà que la moitié de leur salaire d'employés; maintenant, ce sera moins de la moitié de cette moitié. Ce ne sera pas assez pour vivre.

C'est pour ces gens une source de stress énorme. L'échéance de la fin de l'année approche à grands pas, ils sont malades et leurs maux ne font que s'aggraver.

Le sénateur Merchant : Je vous félicite d'avoir présenté ce projet de loi. Je lisais justement un article paru dans l'Ottawa Sun du 4 juin. Scott Taylor y cite un commentaire de l'analyste financière indépendante, Diane Urquhart, sur le projet de loi S-216 :

Ce projet de loi, si le gouvernement conservateur l'adopte, pourrait protéger les prestataires du régime d'invalidité de Nortel.

Je crois bien que nous devons entendre le témoignage de Mme Urquhart demain.

C'est ce que nous souhaitons. Je pense que les quelques mots que vous proposez d'ajouter à l'article 8 pourraient en être la garantie. Les chances pourraient être égales, mais au moins, ces mots dissipent l'incertitude et rendent les choses plus claires. J'appuie la proposition; ce serait une très bonne modification mais, de façon générale, j'appuie votre projet de loi.

Le sénateur Eggleton : Je vous remercie. Je crois que ces quelques mots de plus à l'article 8 seraient utiles, par souci de clarté et pour mieux nous assurer que cette loi s'applique aux employés de Nortel. Nous voulons qu'elle s'applique à d'autres cas, mais j'espère bien que d'ici peu, les choses bougeront aussi pour d'autres.

J'espère que nous suivrons l'exemple d'autres pays. J'aimerais que nous puissions faire en sorte d'empêcher qu'un problème s'envenime au point qu'il faille recourir à la Loi sur la faillite ou à la LACC, et qu'il puisse être prévenu au moyen de quelque règlement et de la capitalisation d'un fonds. C'est ce que font d'autres pays, dont le Royaume-Uni. Les États-Unis ont diverses dispositions qui protègent les employés. Nous n'avons rien. Ils sont considérés comme des créanciers ordinaires, sur le même pied que les détenteurs d'obligations de pacotille. Mais ce sont des employés.

Le gouvernement a promulgué en 2007 la Loi sur la protection des salariés, qui porte sur les actifs à court terme, les biens liquides. Elle reconnaît qu'il faudrait accorder la priorité absolue aux fonds de pension et aux salaires.

C'est un projet de loi émanant du gouvernement, la Loi sur la protection des salariés de 2007. En vertu de cette loi, les régimes de pension et les salaires ont la priorité absolue. Je précise, en passant, que cela ne concerne que les actifs à court terme et non l'ensemble des actifs.

Quoi qu'il en soit, le gouvernement a reconnu la nécessité de rehausser la priorité de ce qui revient aux employés. C'est plus encore que ce que je propose ici — c'est la priorité absolue. C'est celle qui est accordée au gouvernement, à l'ARC et à tout le monde au gouvernement.

Je dis seulement que c'est aller un peu plus loin. Une décision définitive doit être rendue au sujet des 6 milliards de dollars d'actifs de Nortel. Je pense que c'est une suite logique de ce que le gouvernement impose déjà avec la loi de 2007; mais il faudra proposer autre chose, plus tard, pour protéger les gens à l'avenir et empêcher que les choses n'aillent jusque-là.

C'est cependant le seul moyen. L'ajout de ces quelques mots, sénateur Merchant, permet, je pense, de protéger les employés de Nortel et de toute autre entreprise qui pourrait se retrouver dans cette situation d'ici à ce que d'autres mesures soient mises en œuvre.

Le sénateur Ringuette : J'aimerais faire une observation sur la question des poursuites. Le Comité des finances étudiait hier le deuxième projet de loi budgétaire. Les témoins du ministère des Finances nous ont dit que la loi qu'ils voulaient adopter visait notamment à aller à l'encontre de poursuites mettant en cause la Loi de l'impôt sur le revenu. Le projet de loi C-47 demande au Sénat du Canada de mettre un terme à ces poursuites.

Pour ce qui est de la limpidité, je conviens qu'une modification au projet de loi préciserait clairement — sans aucune zone grise — ce qu'il faut faire des fonds.

Sachons à quoi nous en tenir. Quand, au plus tard, le Parlement devra-t-il ratifier ce projet de loi pour que les fonds soient répartis dans le cadre de la procédure de faillite?

Le sénateur Eggleton : À la fin de l'année. Par le terme Parlement, j'entends les deux chambres du Parlement. Ce n'est encore qu'une première étude, et nous ne sommes pas encore retournés présenter le projet de loi au Sénat pour une troisième lecture. Il devra ensuite passer par la Chambre des communes. Je sais que des députés ont exprimé des doutes quant à certains aspects du projet de loi, mais à ce que je sache, ils n'ont pas encore adopté de position définitive à son sujet. J'espère qu'ils le feront. S'ils décident de l'appuyer, la Chambre des communes pourrait ratifier assez rapidement le projet de loi.

Quand je dis la fin de l'année, la Chambre s'ajourne à la mi-décembre, et nous sommes déjà le 17 novembre. À vrai dire, il ne reste guère de temps pour agir. Je lance un appel à tous les membres du Sénat et du gouvernement pour un règlement rapide de la question.

Le sénateur Ringuette : Absolument. Je conviens tout à fait que cela a déjà trop traîné quand on pense à toute l'angoisse que vivent ces gens au quotidien.

Le sénateur Eggleton : J'ai déposé ce projet de loi le 25 mars, et la deuxième lecture a eu lieu le 17 juin. Nous sommes le 17 novembre, et ceci en est le premier examen en comité.

Le sénateur Ringuette : Les contribuables du Canada ont acheté un immeuble de Nortel, ici à Ottawa, par l'intermédiaire du gouvernement, pour 216 millions de dollars, je pense.

Le sénateur Eggleton : Je n'ai pas les chiffres devant moi, mais je pense que c'est à peu près cela.

Le sénateur Ringuette : Si nous n'adoptons pas ce projet de loi, combien de ce montant sera versé aux prestataires du régime d'invalidité?

Le sénateur Eggleton : Je ne sais pas s'ils en toucheront le moindre sou. Je crois que Judy Sgro a demandé au gouvernement de garder une partie du montant qu'il doit verser à Nortel et de conclure avec l'entreprise une entente pour qu'une part de cet argent soit versée dans la fiducie de santé et de bien-être. À ce que je sache, toutefois, cela ne s'est pas fait.

Le sénateur Ringuette : Donc le gouvernement n'a rien fait en ce sens.

Le sénateur Eggleton : À ce que je sache, c'était un simple achat de propriété.

Le sénateur Ringuette : Une entreprise qui est en faillite verse 8 millions de dollars à sept de ses cadres supérieurs — et ce ne sont que les primes, en plus des salaires. Ils vivent au pays des rêves, ou quoi?

Le sénateur Harb : Ils ont mené l'entreprise à sa perte.

Le sénateur Ringuette : Ils ont mené l'entreprise à sa perte, tout en se mettant à l'abri. Ce sont les employés qu'ils auraient dû mettre à l'abri. En plus, ils se versaient aussi des primes.

C'est assez. Si j'étais le juge chargé de cette histoire de faillite et je constatais que les cadres supérieurs se sont payés 8 millions de dollars en primes alors que les employés ont besoin de médicaments et ignorent s'ils pourront acheter les prochains — c'est tout simplement — enfin, c'est assez.

Le sénateur Eggleton : Puis-je faire un commentaire?

Le sénateur Ringuette : J'ai certainement mon avis sur la question.

Le sénateur Eggleton : Je ne peux retenir un petit commentaire. Moi aussi, je trouve cela tout à fait révoltant, et c'est caractéristique de ce qui s'est passé au cours des dernières années avec la crise économique, particulièrement au sud de notre frontière.

Lorsque des gens souffrent alors que de telles primes sont versées, il faut, c'est certain, obliger l'entreprise à rendre des comptes. Pourquoi dirions-nous maintenant « non seulement vous vous en tirez, mais en plus, au lieu de vous faire assumer vos responsabilités, nous allons utiliser l'argent des contribuables pour aider ces gens par l'intermédiaire du système d'aide sociale »? Nous devons leur faire assumer leurs responsabilités. Ce projet de loi ne coûte rien aux contribuables.

Le sénateur Ringuette : Je vous remercie, d'abord, pour votre compassion et pour la patience dont vous avez fait preuve dans le cheminement de ce projet de loi.

Le sénateur Moore : Monsieur le sénateur, merci d'être ici et d'avoir pris l'initiative d'améliorer la loi pour tous ceux qui sont touchés, y compris les employés de Nortel.

En réponse à l'une des questions, vous avez dit que les actifs de Nortel représentent 6 milliards de dollars. Avez-vous en main une copie des notes d'information de la Bibliothèque du Parlement? Pourriez-vous aller à la page 3?

Le sénateur Eggleton : Oui, j'ai le document entre les mains.

Le sénateur Moore : Monsieur le sénateur, au troisième paragraphe, on dit qu'en 2009, « la valeur de l'encaisse et des placements détenus par la fiducie de santé et de bien-être se chiffrait à 80 millions de dollars », et que « la valeur actualisée des prestations que Nortel doit à ses employés en date du 31 décembre 2010 est de 548,2 millions de dollars, dont 112,5 millions de dollars sont dus aux bénéficiaires du régime d'invalidité de longue durée ».

Étant donné vos recherches et votre travail auprès des employés de Nortel, savez-vous si ces chiffres sont exacts?

Le sénateur Eggleton : Je crois que ces chiffres sont assez justes — il n'y a pas une grande différence entre 80 et 78 millions de dollars. Je crois que ces chiffres sont relativement près de la valeur de la fiducie.

Comme vous l'avez souligné, la somme de 548,2 millions de dollars comprend les régimes de retraite; il s'agit du passif total. C'est sur les 112,5 millions de dollars que porte le projet de loi S-216. Une partie des 80 millions de dollars, soit 26 millions de dollars, ont déjà été attribués en prestations d'ILD en vertu d'une décision judiciaire; selon mes calculs, il manque encore au moins 68 millions de dollars. Si les chiffres des analystes sont exacts, il faudrait un tout petit peu plus d'argent à Nortel pour verser les prestations dans le cadre du régime d'invalidité de longue durée jusqu'à ce que les bénéficiaires aient 65 ans.

La vice-présidente : Si les 112,5 millions de dollars étaient versés dans un fonds fiduciaire, ce montant couvrirait-il seulement les prestations de santé?

Le sénateur Eggleton : Non, seulement les obligations en matière d'invalidité de longue durée. Les prestations de santé qui font partie du régime d'invalidité longue durée seraient payées.

La vice-présidente : Lorsque les actifs seront vendus et que les 6 milliards de dollars auront été récupérés, les 112 millions de dollars proviendront-ils de cette somme?

Le sénateur Eggleton : Oui.

La vice-présidente : C'est un pourcentage relativement faible.

Le sénateur Eggleton : La somme requise n'est pas astronomique, puisque 26 millions de dollars ont déjà été affectés aux prestations d'invalidité de longue durée à partir de la fiducie existante. S'il faut 112,5 millions de dollars et que 26 millions de dollars ont déjà été attribués, il faudra donc 86 millions des 6 milliards de dollars.

La vice-présidente : Il est important de connaître la portée de ce dont nous discutons.

Le sénateur Eggleton : Lorsque nous comparons les deux chiffres, cette somme ne semble peut-être pas importante, mais elle change tout pour ceux qui souffrent.

La vice-présidente : Sur le plan personnel, je suis d'accord avec vous. Le problème surgit lorsque l'on compare ce montant avec la valeur de l'actif à réaliser. Je suis tout de même d'accord avec mes collègues pour dire que le projet de loi, une fois adopté, éclaircira assez bien cet aspect.

Avez-vous consulté des conseillers juridiques du Parlement et d'ailleurs?

Le sénateur Eggleton : Oui, nous avons d'abord fait appel à des conseillers juridiques qui ne travaillent pas au Parlement, des experts qui connaissent bien le domaine. Les avocats de la Bibliothèque du Parlement ont ensuite participé à la rédaction finale du projet de loi.

Le sénateur Moore : J'aimerais aborder un autre élément dont il sera sans doute question aujourd'hui ou demain, c'est-à-dire la possibilité d'un effet rétroactif. Quelle incidence le projet de loi S-216 pourrait-il avoir à cet égard? Avez- vous quelque chose à dire là-dessus?

Le sénateur Eggleton : Seules les procédures judiciaires qui sont toujours en cours et qui ne sont pas terminées pourront être soumises à un effet rétroactif. Le projet de loi ne permettrait pas de revenir sur nos pas et, par exemple, d'attraper Massey Combines Corporation en 1988. Son libellé nous permettra seulement d'agir sur les dossiers encore devant les tribunaux et qui ne sont pas réglés.

Dans ce cas-ci, un jugement a été rendu à propos de la fiducie de santé et de bien-être. C'est de ce jugement dont nous avons parlé. Par contre, tous les dossiers qui touchent les procédures de faillite et la liquidation ne sont pas encore fermés.

Le projet de loi proposé vise ces dossiers, puisqu'ils sont toujours ouverts. Ce sont les seuls qui seront soumis à un effet rétroactif, et l'article 8 ne concerne que Nortel, à ma connaissance.

Le sénateur Greene : La rétroactivité me dérange encore puisque vous dites que ce sera peut-être le seul élément rétroactif. Or, on a dit non à la rétroactivité dans l'accord.

Le sénateur Eggleton : De quel accord parlez-vous?

Le sénateur Greene : L'accord, le...

La vice-présidente : [inaudible]

Le sénateur Greene : Ce n'est pas de bon augure pour votre projet de loi, parce que lorsque l'accord a été passé, on avait prévu qu'un projet de loi comme le vôtre pourrait un jour être présenté, et tout le monde s'est entendu pour dire qu'il ne devrait y avoir aucun effet rétroactif.

Le sénateur Eggleton : Non, veuillez m'excuser, mais les choses ne fonctionnent pas ainsi. Le Parlement est l'instance suprême et ce projet de loi, une fois adopté, sera appliqué; la situation était la même avec le projet de loi C-37, la Loi modifiant la Loi sur la citoyenneté, qui a été adoptée il y a deux ans, ainsi qu'avec le projet de loi C-33, la Loi modifiant la Loi sur les allocations aux anciens combattants. Dans ces cas, l'effet rétroactif remontait à une date encore plus lointaine. Le projet de loi S-7, que nous venons d'examiner au printemps dernier, comporte aussi un effet rétroactif. Il y a donc d'autres projets de loi qui prévoient des dispositions rétroactives.

Le sénateur Greene : C'est vrai, mais étant donné que votre projet de loi met en jeu des sommes considérables et des institutions financières importantes, je suis convaincu que nous nous retrouverons devant les tribunaux.

Le sénateur Eggleton : De nos jours, on peut finir au tribunal à propos de n'importe quoi, mais je ne crois pas que cela arrive. J'ai démontré il y a quelques minutes que la somme d'argent en cause n'est pas importante.

Le sénateur Greene : Le reste de l'argent sera immobilisé.

Le sénateur Eggleton : Non, pas nécessairement. Il faudra peu de temps aux fiduciaires pour se conformer aux dispositions du projet de loi. L'argent ne sera pas immobilisé. Le projet de loi aura très peu de répercussions; des études menées au Canada et en Australie démontrent que ses effets seront minuscules sur les marchés, par exemple. Dans tous les cas, il s'agira de moins d'un demi p. 100. Le projet de loi aura seulement une incidence majeure pour les gens touchés, à qui il permettra d'obtenir une certaine justice.

Je n'ai pas trouvé de meilleure idée pour aider les employés de Nortel à court terme et d'autres à long terme, mais s'il en existe une, je serais ravi de l'entendre. J'ai tout de même consulté des avocats à ce sujet, et je crois que cela peut fonctionner. Par contre, il se peut que d'autres avocats aient un avis différent.

La vice-présidente : Vous pourriez nous présenter la jurisprudence qui admet qu'une ordonnance judiciaire peut avoir préséance sur une loi du Parlement, mais je n'ai jamais vu cela dans ma province. C'est peut-être vrai ailleurs. Toutefois, nous sommes prêts à recevoir de la documentation à cet effet.

Le sénateur Greene : [inaudible]

La vice-présidente : Veuillez m'excuser.

Le sénateur Harb : Sénateur Eggleton, merci beaucoup de vous occuper de ce dossier.

Vous avez dit que la somme réelle n'est pas tellement élevée puisqu'il s'agit de la différence entre 112 millions de dollars et 80 millions de dollars. Devant le comité, vous avez souligné combien il est important que le Sénat adopte le projet de loi le plus rapidement possible, afin que le Parlement puisse s'en occuper avant les échéances. Les tribunaux se sont penchés sur l'accord; cependant, les bénéficiaires de prestations d'invalidité de longue durée n'ont pas eu droit à leur part du gâteau.

Auparavant, Nortel finançait ce régime à même ses activités courantes. Pour une raison quelconque, l'entreprise a décidé de doter le régime au moyen de la fiducie de santé et de bien-être.

J'aimerais vous poser deux ou trois questions. Tout d'abord, disons que demain, l'équipe de l'administration ou de la gestion de Nortel décidait sagement de mettre l'argent qu'il manque de côté. À votre avis, l'actif de 6 milliards de dollars de Nortel lui permettrait-il aujourd'hui de le faire?

Le sénateur Eggleton : Les ressources financières existent. Par contre, je doute que les dirigeants de Nortel aient la capacité de le faire. Puisqu'ils sont soumis à la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, ils ne sont pas libres de faire ce qu'ils veulent. C'est au tribunal de décider.

Le sénateur Harb : Toutefois, l'équipe de gestion ne s'est prononcée sur aucune avenue en matière de financement, n'est-ce pas?

Le sénateur Ringuette : Seulement sur la question des primes.

Le sénateur Eggleton : Je n'ai pas entendu.

Le sénateur Harb : Les primes. D'accord.

Avez-vous le libellé de l'amendement que vous voulez proposer?

Le sénateur Eggleton : Oui, je vais le présenter. Ce qui se trouve actuellement dans le projet de loi y restera. À la fin, j'ajouterai les mots suivants : « et nonobstant toute décision ou ordonnance judiciaires rendues dans cette affaire ». Cela clarifie tout à fait la disposition.

Le sénateur Harb : Merci.

Le sénateur Eggleton : Je vous remettrai l'amendement, mais je peux vous le lire lentement, si vous voulez le noter.

Commencez par ajouter une virgule après le dernier mot, puis ajoutez les mots « et nonobstant toute décision ou ordonnance judiciaires rendues dans cette affaire ».

Le sénateur Ringuette : Pourriez-vous présenter l'amendement en bonne et due forme?

Le sénateur Eggleton : Oui, je vais le faire. Après mon témoignage, soit aujourd'hui et demain, j'aurai le grand honneur de siéger de ce côté en tant que membre substitut du comité.

Le sénateur Ringuette : Merci.

Le sénateur Harb : Merci beaucoup. Vous avez dit quelque chose de très intéressant. Les fonds proviendront soit de l'argent de la fiducie actuelle, soit de l'aide sociale, ou bien des deux.

Le sénateur Ringuette : Tout à fait.

Le sénateur Harb : Pour le gouvernement, le Parlement et les Canadiens, c'est un avantage net si la question se règle grâce aux fonds actuels.

Le sénateur Eggleton : Il n'y a pas suffisamment d'argent dans la fiducie pour tout payer.

Le sénateur Harb : Je parle des 6 milliards de dollars.

Le sénateur Eggleton : Très bien. Il est vrai qu'il y a suffisamment d'actifs, mais il faut les liquider. Les actifs suffisent donc à mettre de côté l'argent nécessaire pour verser les prestations jusqu'à ce que les bénéficiaires aient 65 ans. C'est ce que mon projet de loi prévoit pour ces gens. Toutefois, le mécanisme législatif doit d'abord être en place, et c'est l'objectif du projet de loi.

Le sénateur Harb : Merci.

La vice-présidente : J'aimerais vous faire part d'un bref commentaire sur le système d'aide sociale au Québec. Habituellement, on évalue la valeur des biens mobiliers, de la voiture, de la maison et du reste, et une personne doit devenir pauvre avant d'avoir droit à l'aide sociale. Ainsi, une personne, surtout si elle a 55 ans, devra vendre sa maison et se départir de sa voiture et du reste avant de même penser avoir droit à l'aide sociale, et il pourrait y avoir des délais. De toute façon, elle n'aura pas suffisamment d'argent pour attendre de recevoir ses prestations de retraite.

Au Québec, les gens peuvent commencer à recevoir des prestations d'invalidité à partir de 60 ans, et même plus tôt pour ceux qui sont atteints d'une invalidité totale. Une personne a donc accès à l'aide sociale et aux prestations d'invalidité. Je ne connais pas les systèmes des autres provinces, puisqu'ils sont différents de celui du Québec.

Le sénateur Ringuette : Le fonctionnement est le même.

La vice-présidente : Tout cela est donc géré au niveau provincial. Même si la question ne touche pas seulement le gouvernement fédéral, nous ne recevons aucun témoin des provinces. Or, ce sont justement les gouvernements provinciaux principalement qui paieront la note pour ces gens.

Il est important de préciser que le projet de loi ne fait que nous dégager de toute responsabilité, et que celle-ci incombera alors aux provinces. C'est ce qui me pose problème.

Le sénateur Eggleton : Toutefois, il faut aussi garder à l'esprit que nous payons une part considérable de l'aide sociale et des prestations d'invalidité du Régime de pensions du Canada au moyen des paiements de transfert aux provinces. Il faudrait encore beaucoup d'argent du gouvernement fédéral. Par contre, la situation de la province de Québec que vous avez décrite est très semblable à celle de l'Ontario et de pratiquement tout le pays.

À la lecture des déclarations des victimes, on apprend que bon nombre d'entre elles possèdent une maison, car elles disent qu'elles devront la vendre. Qui veut vivre de l'aide sociale? Qui veut être obligé de se départir de tous ses actifs pour avoir recours au système d'aide sociale? Pourtant, c'est ce qui attend ces victimes si nous n'agissons pas d'ici la fin de l'année. Le temps presse.

La vice-présidente : Sénateur Massicotte, je peux vous accorder deux minutes. Je sais que vous êtes toujours bref.

Le sénateur Massicotte : Très bref.

Puisqu'il est question d'amender l'article 8, vous devriez envisager de modifier une partie du libellé suivant : « Il est entendu que la présente loi s'applique au débiteur contre lequel des procédures entamées sous le régime... ». Le mot « entamées » peut se rapporter aux [inaudible] dernières années. Je crains que le juge ne dise que c'est trop imprécis. Ce mot fait référence à des millions de dossiers en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies. On dira « au diable la modification », et celle-ci ne sera pas adoptée.

À mon avis, dans votre amendement, vous devrez conserver le mot « entamées » en plus de ce que vous avez dit plus tôt : « dont le jugement n'a toujours pas été rendu ». N'utilisez pas les mots « en traitement », car les dossiers ont été traités. Je crois que vous devrez trouver des mots très clairs, comme « entamées et toujours pas résolues ». Autrement, même une procédure « terminée » a été « entamée ».

Le sénateur Eggleton : Je ne suis pas avocat; ce sont les mots de deux avocats externes ainsi que de ceux du Parlement. Je suis ouvert à tout amendement qui dit catégoriquement qu'il est question des procédures en cours relativement à Nortel.

Toutefois, puisque je ne suis pas avocat, je crois que c'est l'avis des conseillers juridiques s'y connaissant bien qui compte, et ces derniers m'ont effectivement dit que c'est le libellé qu'il faut utiliser.

Le sénateur Massicotte : Les mesures législatives en matière de faillite?

Le sénateur Eggleton : Oui, tout à fait.

Le sénateur Massicotte : Eh bien, si vous en êtes sûr.

Le sénateur Eggleton : Dans la mesure où je peux l'être, puisque je ne suis pas avocat.

Le sénateur Massicotte : Je ne voudrais pas que le projet de loi soit adopté, mais qu'il ne règle rien.

Le sénateur Eggleton : Il y aura peut-être des avocats parmi les experts convoqués. Vous pourrez leur poser la question.

[Français]

La vice-présidente : Merci, sénateur Eggleton, vous avez fait un travail très important. Je pense que tous mes collègues démontrent qu'ils sont intéressés à aider ces personnes qui ont d'abord eu le malheur d'être malade, d'être invalide, et d'avoir en plus une entreprise qui disparaît. C'est beaucoup pour une même personne. Nous croyons que, d'ici à la fin de nos travaux, nous pourrons trouver une solution. D'ici à demain, pour soumettre des amendements, il y aura possibilité de consulter nos experts afin d'avoir le texte qui va régler ce petit problème d'incertitude.

[Traduction]

Bill Randle, chef adjoint du contentieux et secrétaire aux banques étrangères, Association des banquiers canadiens : Bonjour. Je m'appelle Bill Randle, et je suis le chef adjoint du contentieux de l'Association des banquiers canadiens. Je suis accompagné par Bill Kennedy, vice-président de l'unité d'intervention à la Banque Nationale du Canada. Nous vous remercions de nous donner l'occasion de comparaître devant le comité afin de discuter du projet de loi S-216.

Nous sommes conscients des problèmes des employés qui pourraient perdre des prestations, telles que les prestations d'invalidité de longue durée, si jamais leur employeur fait faillite, et nous compatissons avec eux. Il s'agit certes d'un grave problème, et nous applaudissons les efforts des parlementaires, y compris le sénateur Eggleton, qui cherchent à y trouver des solutions.

À titre de participants des marchés financiers, nous sommes ici pour vous donner notre point de vue sur le projet de loi S-216, et pour vous faire part de notre avis relativement à ses répercussions possibles sur l'avenir de l'économie.

Comme vous le savez, l'objectif du projet de loi S-216 est de veiller à la préservation des prestations d'invalidité de longue durée en cas de faillite en leur conférant le statut de créances privilégiées, les mettant ainsi au-dessus des créances ordinaires. Nous comprenons les facteurs motivant un tel projet de loi, et nous louons les efforts déployés afin de trouver une solution à ce problème. Ceci dit, la solution suggérée pourrait bien se révéler inefficace dans le cas des prestataires et pourrait avoir de graves conséquences négatives sur l'économie en général. En effet, le projet de loi utilise les mesures législatives en matière de faillite pour traiter un problème de capitalisation. À notre avis, une telle approche mène à plus de problèmes qu'elle n'en résout.

Au fil des ans, un équilibre délicat a été atteint dans l'ordre de priorité accordé par la loi en matière de faillite. Cet équilibre délicat veille à ce que les divers créanciers puissent obtenir leurs droits dans la mesure du possible, tout en préservant la capacité des entreprises canadiennes à accéder à du crédit abordable à l'avenir. Des modifications à l'ordre de priorité en cas de faillite représentent une menace pour cet équilibre délicat, et leurs effets se feront ressentir dans l'ensemble de l'économie.

Le projet de loi est susceptible de réduire le montant que certains créanciers auraient espéré recouvrer en cas de faillite. Pour ceux qui désirent investir dans des entreprises canadiennes en achetant des instruments financiers non garantis, comme les obligations, un changement dans l'ordre de priorité augmentera le risque de perdre leur placement si jamais l'entreprise fait faillite. Ce risque accru rendra les investisseurs moins enthousiastes à acquérir des obligations de sociétés, ce qui, selon nous, privera les entreprises de financement, ou enclins à le faire seulement si la prime de risque sur ces obligations est plus importante, ce qui implique un coût de financement plus élevé pour les entreprises. En fait, un risque plus élevé augmente le coût de financement, ce qui aura un effet inhibiteur sur la capacité de certaines entreprises de financer efficacement leurs activités ou leur expansion. Au bout du compte, le résultat sera une croissance économique réduite et une création d'emplois limitée.

En plus des effets sur les marchés financiers et du coût de financement pour les entreprises, le statut de créances privilégiées aura d'autres conséquences, dont les suivantes. Les entreprises qui offrent un régime d'invalidité de longue durée se trouveront en situation concurrentielle désavantageuse par rapport aux entreprises qui n'offrent pas un tel régime, et peut-être par rapport aux compétiteurs internationaux qui sont basés dans d'autres pays. Si les coûts sont insoutenables pour l'entreprise, l'employeur pourra choisir de cesser d'offrir ces avantages à ses employés.

D'autres créanciers non garantis, comme les fournisseurs, dont un grand nombre sont des PME, feront face eux aussi à la possibilité de ne pas pouvoir récupérer leur dû, ce qui nuira à leur propre situation financière.

Enfin, en perturbant le marché obligataire, cette mesure pourrait avoir un effet nuisible sur l'épargne et les fonds de pension de millions de Canadiens. Les obligations des sociétés sont largement détenues par les épargnants, par les régimes privés de retraite et par des investisseurs institutionnels.

Durant cette présentation, j'ai mentionné plusieurs fois le terme « équilibre ». Il s'agit de savoir comment atteindre le parfait équilibre entre trouver une solution aux prestations d'invalidité de longue durée non capitalisées et préserver la capacité des entreprises d'obtenir un financement à l'avenir. À notre avis, la modification de la législation en matière de faillite et de solvabilité ne représente pas une solution adéquate et pourra même produire un déséquilibre sur le marché qui entraînera des répercussions futures négatives sur l'économie. Nous recommandons vivement au comité, aux parlementaires et au gouvernement de chercher d'autres options pour régler le problème du manque de provisionnement des prestations d'invalidité de longue durée, et nous les assurons de notre volonté de participer à trouver cette solution.

John P. Farrell, directeur administratif, Employeurs des Transports et Communications de Régie Fédérale (ETCOF) : Je vous suis reconnaissant de me donner l'occasion de vous rencontrer aujourd'hui.

L'ETCOF regroupe la plupart des grands employeurs des secteurs des transports et des communications qui sont de ressort fédéral. Nos membres ont à leur emploi environ 600 000 travailleurs.

Je souhaite tout d'abord vous faire savoir que je reconnais que la faillite de Nortel est une affaire extrêmement triste et qu'elle laisse des employés atteints d'une invalidité sans prestations d'invalidité de longue durée et sans certaines prestations pour soins de santé, ce qui est vraiment très malheureux.

Je reconnais également les bonnes intentions qui ont motivé le sénateur Eggleton à présenter une proposition législative visant à réduire les difficultés des employés atteints d'une invalidité qui sont susceptibles de perdre des prestations d'invalidité de longue durée ou des prestations pour soins de santé offertes par l'employeur, advenant malheureusement la faillite d'une entreprise.

Les employeurs sont toutefois inquiets de ce que l'approche proposée par le sénateur Eggleton dans le projet de loi S-216 ne fasse dans l'ensemble plus de tort que de bien, et c'est le point de vue que je veux aujourd'hui faire connaître aux sénateurs.

Il n'y a pas grand doute que la mesure législative proposée tire son origine de pressions exercées de manière extrêmement efficace par d'anciens employés de Nortel. Dans une certaine mesure, le projet de loi proposé aidera prétendument les employés de Nortel, mais il ne sera pas nécessairement avantageux pour tous les employés du Canada.

Les employeurs estiment que le projet de loi proposé a des failles. Il tente de prescrire une solution au problème par des modifications à la Loi sur la faillite et l'insolvabilité et à la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, qui auront des conséquences nuisibles importantes. Les prestations d'invalidité de longue durée relèvent de programmes discrétionnaires fournis par les employeurs aux employés ou négociés bilatéralement avec les syndicats représentant les employés.

Il existe une très grande variété de régimes pouvant être adoptés par les différents employeurs et représentants des employés. Voici des exemples de différences relatives à la structure du régime. Il y a d'abord différentes définitions d'« invalidité » et différents pourcentages de salaire couvert par le régime d'invalidité de longue durée. Il peut s'agir d'un pourcentage ou d'un montant fixe. La durée minimale de la période d'indemnisation est de deux ans, et elle peut se poursuivre jusqu'à l'âge de 65 ans. Il y a donc toute une gamme d'options. Certains régimes d'assurance-invalidité de longue durée sont intégrés à d'autres prestations d'invalidité. Enfin, la période d'attente avant que le bénéficiaire ne reçoive des prestations varie.

Par conséquent, il existe toute une gamme de régimes d'assurance invalidité de longue durée possibles, et non une seule formule normalisée qui dure jusqu'à ce que le prestataire atteigne 65 ans. Ce fait semble avoir été mal compris par ceux qui ont rédigé le projet de loi S-216. Les prestations d'invalidité de longue durée sont relativement coûteuses, car elles fournissent une part du remplacement du revenu d'emploi en cas d'invalidité, et ce, potentiellement pour de longues périodes, parfois même jusqu'à ce que le prestataire atteigne 65 ans.

Bien qu'il faille souligner qu'il existe diverses formules de régimes d'assurance invalidité de longue durée, ces régimes sont risqués et donc coûteux à assurer. Le coût des prestations en cas de réclamation est élevé, et il est très coûteux d'administrer le régime sur de longues périodes comparativement à d'autres prestations.

La majorité des régimes sont assurés par des sociétés d'assurance. Par contre, certains régimes sont auto-assurés par l'employeur qui les fournit. Dans ces cas, des compagnies d'assurance sont souvent embauchées pour administrer le régime, car elles possèdent l'expertise pour le faire. Les régimes d'assurance invalidité de longue durée auto-assurés permettent à leur promoteur de faire des économies de coûts substantielles, car celui-ci n'a pas besoin de verser une prime de risque aux compagnies d'assurance ni d'établir des provisions mathématiques qui font partie aussi de l'assurance.

Dans le cas des régimes d'assurance invalidité de longue durée auto-assurés, on suppose toutefois que l'entreprise continuera d'exister. Ce ne fut malheureusement pas le cas de Nortel. En cas de faillite, les salaires et les autres avantages sociaux, y compris les régimes d'assurance invalidité de longue durée auto-assurés, cessent une fois que l'entreprise n'existe plus. Les régimes auto-assurés reçoivent le même traitement que n'importe quels avantages sociaux.

S'il est vrai que Nortel n'a pas fait clairement savoir à ses employés que leur régime était auto-assuré, c'est vraiment regrettable, en effet. Les employés auraient dû savoir que, advenant la faillite de l'entreprise, ils ne recevraient pas la portion auto-assurée de la provision relative à l'invalidité de longue durée.

Dans n'importe quelle industrie donnée, ce ne sont pas toutes les entreprises qui offrent des prestations d'invalidité de longue durée ou des prestations pour soins de santé. Par conséquent, les coûts supplémentaires que le projet de loi S- 216 représenterait seraient injustes pour les employeurs qui offrent un régime d'assurance invalidité de longue durée auto-assuré et des prestations de maladie, payés par l'entreprise, par rapport aux entreprises qui n'offrent pas de tel régime. Le projet de loi S-216 créerait des coûts supplémentaires imposés par le gouvernement à certains employeurs qui offrent un régime couvrant l'invalidité de longue durée à leurs employés, tandis que certains de leurs concurrents ne seraient pas tenus de payer ces coûts.

Tenter de résoudre les problèmes auxquels sont confrontés les employés handicapés de Nortel sera complexifié de manière exponentielle s'il faut recourir à une solution qui englobe les modifications à la Loi sur la faillite et l'insolvabilité et à la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies. La création d'un fonds à partir des actifs qui autrement auraient été disponibles aux créanciers aurait de toute évidence des conséquences négatives sur les créanciers existants. Surtout, cette façon de faire aurait une incidence négative sur les entreprises qui tentent de réunir les capitaux nécessaires pour se réorganiser, pour continuer de fonctionner, pour se sortir de l'égide de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, pour éviter la faillite, pour survivre un jour de plus et aussi pour continuer à générer de l'emploi.

L'approche proposée par le projet de loi S-216 ralentirait, compliquerait et compromettrait le processus de réorganisation aux termes de la LACC, en imposant des délais additionnels avant que les entreprises puissent se soustraire à la protection de la loi. Ces délais additionnels susciteront plus d'incertitude qui, à son tour, entraînera des coûts plus élevés et possiblement plus de faillites.

J'aimerais conseiller au comité sénatorial un document préparé par l'Association canadienne des professionnels de l'insolvabilité et de la réorganisation publié le 25 juin et qui parle du projet de loi S-216 et d'autres projets de loi actuellement à l'étude au Parlement. Je n'entrerai pas dans les détails de ce rapport. Ce document a été déposé au comité.

Je ne ferai pas d'autres commentaires sur l'effet de cela sur les marchés du crédit et tout le reste, parce que je suis du même avis que Bill Randle, mais je vous demande de lire le document préparé par l'ACPIR.

J'aimerais maintenant parler des effets du projet de loi S-216. Dans le cas de Nortel, il est clair que le fait de corriger les difficultés causées par la perte de prestations d'invalidité de longue durée et de certaines prestations de santé est rare. Toutefois, la solution à ces problèmes ne devrait pas être de modifier la LFI et la LACC. Cette solution est trop compliquée et trop onéreuse et causerait beaucoup de dommages collatéraux chez les autres parties concernées par les procédures de faillite. Une perte de confiance à l'égard du processus d'insolvabilité, de réorganisation et de faillite mènera à davantage de liquidations et à moins d'emplois.

Les régimes d'assurance-invalidité de longue durée coûtent très cher et, règle générale, ne sont offerts qu'aux entreprises ayant plus de 1 000 employés. Bon nombre d'employeurs n'ont pas de régimes d'assurance-invalidité de longue durée, et ce n'est pas une norme qui est suivie mondialement par tous les concurrents d'une même industrie.

Voici la triste réalité : si les entreprises qui permettent actuellement à leurs employés de cotiser, de façon volontaire, à des régimes d'assurance-invalidité de longue durée auto-assurés font face au risque de devoir essuyer d'importantes augmentations des coûts ou à des risques accrus associés à la réduction de la disponibilité du crédit et de leur capacité de pouvoir se restructurer pendant des périodes économiques difficiles, ces entreprises devront s'interroger sérieusement à savoir si elles continuent d'offrir des régimes d'assurance-invalidité de longue durée sous leur forme actuelle. Je ne peux pas prédire ce qu'une entreprise quelconque fera ou la manière dont elle le fera, mais les conséquences possibles incluraient la réduction du montant des prestations, la conversion à des régimes financés en totalité par les employés et la cessation de la couverture pour les employés qui ne reçoivent pas de prestations à l'heure actuelle.

Autrement dit, avec ce projet de loi, vous modifiez la structure des régimes d'assurance-invalidité de longue durée. Ensuite, une fois les changements mis en place, qu'on le veuille ou non, les employeurs devront revoir la structure des régimes qu'ils offrent à leurs employés actuellement, et bon nombre de ces entreprises décideront d'apporter des changements. De plus, les entreprises qui n'en ont jamais eu et qui envisagent cette possibilité verront l'augmentation des risques et choisiront probablement de laisser tomber.

J'aimerais vous parler d'un autre aspect. Je ne suis pas certain que des recherches suffisantes ont été menées sur l'effet que ce projet de loi aura sur les autres employeurs canadiens. Je représente des entreprises sous juridiction fédérale, mais je crois que très peu d'employeurs canadiens sont au courant de la tenue de cette séance ou de l'existence de cette question et que le comité devrait leur demander l'effet que cela aura sur leurs entreprises, avant de songer à faire adopter ce projet de loi.

Mesdames et messieurs les sénateurs, êtes-vous vraiment au courant de ce qui incombera potentiellement aux entreprises qui ont un régime d'assurance-invalidité de longue durée auto-assuré et de l'effet éventuel que cela aura sur ces entreprises? Avez-vous une idée de ce que ces employeurs pourraient faire s'ils sont aux prises avec une augmentation des coûts relatifs aux régimes d'assurance-invalidité de longue durée qui coûtent déjà passablement cher? Savez-vous environ combien d'employés perdront leur régime d'assurance-invalidité de longue durée à cause du projet de loi S-216? Si les risques associés aux régimes d'invalidité de longue durée augmentent lorsque le projet de loi S-216 deviendra loi, combien d'employés refuseront, dans l'avenir, de souscrire à un régime facultatif d'assurance-invalidité de longue durée à la charge des employés?

Bien entendu, il est important pour les employeurs et les employés participants à des régimes auto-assurés de savoir que ces plans demeurent en place tant que l'entreprise maintient ses activités. Malheureusement, cela n'a pas été le cas avec Nortel. Ce type de problème important relève normalement des lois sur les normes d'emploi. Ce serait une approche beaucoup plus pratique.

Patrick Shea, avocat, à titre personnel : J'aimerais vous remercier de m'accueillir ici. J'ajouterai que je suis d'accord avec les propos de mes amis en ce qui concerne la situation tragique de Nortel. Je ne ferai qu'un très bref exposé.

À mon avis, les sénateurs doivent comprendre qu'en situation d'insolvabilité, par définition, il n'y a pas assez d'argent pour tout le monde. Des discussions difficiles ont lieu et des décisions stratégiques sont prises en ce qui concerne la distribution de l'argent entre les créanciers. Les gens prennent des décisions en matière de prêts et d'autres sujets lorsqu'ils font affaire avec une entreprise en tenant compte, notamment, des règles en matière d'insolvabilité. Par exemple, les banques prêtent des fonds aux entreprises en tenant compte du rang qu'elles occuperont par rapport aux autres créanciers, et les créanciers non garantis allouent des crédits commerciaux en fondant leur décision sur le même principe.

Cette mesure législative modifie, dans les faits, de façon rétroactive le paysage pour les créanciers de Nortel. Selon moi, beaucoup de gens sont fâchés de la décision de la direction de Nortel et, comme j'ai entendu un sénateur le dire, des primes consenties aux membres de la direction. Il faut comprendre que ce projet de loi n'aura pas de répercussions sur les dirigeants et ne permettra pas de récupérer les primes versées. Le projet de loi redistribuera aux employés des fonds qui auraient autrement été versés aux fournisseurs qui ont peut-être, eux aussi, des employés et qui sont peut- être, eux aussi, dans une situation difficile. Les fonds seront redistribués aux employés qui ont certainement besoin de cet argent, mais cela se traduira dans les faits par un changement rétroactif du paysage.

Je crains aussi que les dispositions du projet de loi ne soient pas capables de produire les résultats escomptés. Les dispositions rétroactives du projet de loi feront certainement l'objet de recours devant les tribunaux, selon moi, mais plus important encore, d'autres dispositions de cette mesure législative ne produiront peut-être pas les résultats escomptés.

Par exemple, Nortel fait actuellement l'objet de procédures prévues par la LACC. Les dispositions de ce projet de loi qui traitent des prestations à verser en vertu de la LACC prévoient que cela doit faire partie d'un plan. Il serait très peu probable que Nortel dépose un plan. Si Nortel ne le fait effectivement pas, ce projet de loi n'aidera pas ces employés. Il est important de bien le saisir.

Si on me demandait de proposer une solution, je dirais que nous devrions peut-être adopter une mesure législative semblable à celle dont j'ai appris l'existence alors que j'étais un jeune stagiaire en droit : la Loi sur la restructuration de l'Abitibi Power and Paper Company. Il s'agit d'une loi précise conçue pour s'occuper d'une entreprise et d'un problème précis, au lieu d'une mesure législative d'application générale qui vise à régler un problème précis, mais qui ne le règlera peut-être pas.

Je suis désolé que mon exposé soit si court et si cru, mais il s'agit de mes commentaires, et vous pourrez me poser des questions à cet égard.

Le sénateur Moore : J'aimerais régler une question d'entrée de jeu. Merci à tous d'être présents ici aujourd'hui. Est- ce que l'un des témoins a ou a eu un lien avec Nortel Networks?

M. Farrell : J'ai déjà eu affaires avec Nortel Networks il y a plusieurs années.

Le sénateur Moore : Quelle en était la nature, monsieur Farrell?

M. Farrell : Je coordonne les négociations collectives pour diverses entreprises de l'Est canadien et j'ai un organisme qui n'est plus en activité, mais nous avions l'habitude de rencontrer des entreprises représentées par le Syndicat des communications, de l'énergie et du papier. Notre rôle consistait à réunir ces entreprises pour qu'elles discutent de leur relation avec le syndicat et de leurs problèmes de négociations.

Le sénateur Moore : Organisiez-vous cela pour les employés?

M. Farrell : C'était pour les employeurs. Mon rôle était de les réunir pour discuter de sujets d'intérêt mutuel sur les relations de travail.

Le sénateur Moore : Quand avez-vous cessé de faire cela avec Nortel?

M. Farrell : C'était avant que l'entreprise ne se place sous la protection de la LACC. Je dirais il y a environ 14 ans.

Le sénateur Moore : Maître Shea, vouliez-vous prendre la parole?

M. Shea : Oui. Je possède des actions de Nortel et je serais heureux de les vendre si quelqu'un parmi vous les veut afin d'éliminer ce conflit d'intérêts. Sérieusement, je représente un certain nombre de créanciers non garantis de Nortel dans les procédures en vertu de la LACC.

Le sénateur Moore : À titre de conseiller juridique?

M. Shea : Oui.

Le sénateur Moore : Avec qui vos clients seraient-ils en concurrence si ce projet de loi était adopté?

M. Shea : En ce qui concerne l'effet de l'adoption de ce projet de loi sur mes clients, étant donné l'argent en jeu, ce serait négligeable. Je représente également des créanciers qui sont sur le même pied d'égalité que ces gens actuellement. Si le projet de loi était adopté, les créances de mes clients seraient subordonnées aux leurs.

Le sénateur Moore : MM. Randle et Kennedy, avez-vous des liens avec Nortel Networks?

Bill Kennedy, vice-président, Unité d'intervention, Association des banquiers canadiens : Non, pas à ma connaissance. Aucune demande concernant Nortel n'a passé par mon bureau.

Le sénateur Ringuette : Je crois que vous étiez présents lorsqu'il a été dit plus tôt qu'un grand nombre de pays, 34 des 54 pays, protège les prestations des employés en cas de faillite, qu'il s'agisse de prestations d'invalidité de longue durée ou de retraite.

Dans la présente situation, vos deux commentaires sur la compétitivité ne sont pas pertinents. Prenez par exemple l'un des 34 pays; 80 p. 100 de nos exportations se font aux États-Unis. Selon un arrêté, le gouvernement américain doit garantir contre la faillite les régimes d'invalidité et les caisses de retraite. Les Américains sont nos voisins et de gros concurrents. Je crois que beaucoup de banques canadiennes ont récemment acheté des institutions financières au Royaume-Uni. Ce pays possède aussi des plans qui garantissent les prestations en cas de faillite. L'argument de la compétitivité que vous avez tous les deux présenté n'est pas, selon moi, pertinent pour ce projet de loi.

L'une de mes questions importantes porte sur l'analyse des risques. Messieurs Randle et Kennedy, vous avez soulevé la question de l'analyse des risques en lien avec le marché obligataire et tout le reste. Au cours des dernières années, nous avons remarqué beaucoup d'obligations à haut risque, et j'aimerais savoir de quelle manière les banques canadiennes les évaluent. Dans votre analyse des risques, quelle importance accordez-vous à la gestion de l'entreprise?

M. Kennedy : Merci de votre question. Je travaille dans le secteur de la gestion des risques. Comme vous le savez, toutes les banques se préoccupent beaucoup des risques et y accordent beaucoup d'importance.

Le sénateur Ringuette : Elles accordent aussi beaucoup d'importance aux taux d'intérêt.

M. Kennedy : En effet.

Le sénateur Ringuette : Oui.

M. Kennedy : Prenons l'exemple des papiers commerciaux. Une grande entreprise veut émettre des papiers commerciaux pour financer ses besoins à court terme pour son fonds de roulement pour des périodes de 30 jours. Pour vendre cette dette sur le marché, la société devra trouver une banque qui consentira à lui accorder une ligne de liquidité essentiellement de la même valeur que la dette. Si la société doit amasser 1 milliard ou 100 millions de dollars de fonds à court terme, elle ira chez un courtier pour émettre un prospectus, mais elle aura besoin d'une analyse à court terme faite par la banque.

Pour obtenir les papiers commerciaux, on doit les faire coter. Par contre, pour que la société obtienne sa ligne de liquidité, l'institution financière mènera sa propre analyse des risques. L'émission de papiers commerciaux d'une valeur de 100 millions de dollars sera une créance non garantie dans le bilan financier, et si elle est utilisée, c'est ici que l'on retrouvera la banque; ce serait donc une créance non garantie de 100 millions de dollars. La banque analysera le rang de cette créance par rapport aux autres. En gros, tous les créanciers non garantis, à l'exception des cas prioritaires en vertu de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité et des créances garanties, sont sur le même pied d'égalité, ou pari passu, dans notre jargon.

Si nous créons le statut de créancier privilégié pour certains créanciers non garantis qui étaient sur le même pied d'égalité que nous — les fonds sont actuellement partagés, mais ces créanciers auront dorénavant priorité en raison de leur statut privilégié —, cela modifie l'analyse des risques. Selon cette analyse, les banques ne voudront peut-être pas prêter autant d'argent, les émetteurs d'obligations pourraient ne pas accepter d'en émettre autant ou le prix pourrait augmenter.

Le sénateur Ringuette : Monsieur Kennedy, je vous remercie de nous avoir expliqué le fonctionnement du système pour l'émission des papiers commerciaux. Cependant, ma question portait précisément sur l'analyse des risques faite par les banques. Quelle priorité accordez-vous à la gestion de l'entreprise?

M. Kennedy : C'est en haut de la liste. Tous les émetteurs de prêts vous diront que lorsqu'ils analysent les risques, ils examinent aussi le bilan financier, mais également la qualité et le rendement de la gestion.

Le sénateur Ringuette : La qualité et le rendement de la gestion se trouvent-ils dans les 10 ou les cinq premiers éléments analysés?

M. Kennedy : C'est le premier facteur.

Le sénateur Ringuette : C'est le premier facteur qui entre en ligne de compte dans l'émission de papiers commerciaux.

Le sénateur Oliver : Avec le bilan financier.

Le sénateur Ringuette : Ce n'est pas le premier élément, sénateur Oliver. La gestion de l'entreprise est le facteur numéro un.

M. Kennedy : Nous avons un vieil adage. On parle des trois points : la sûreté accessoire, le rendement et la qualité de l'ensemble de la gestion.

Le sénateur Ringuette : Selon votre expérience dans l'analyse des risques et l'émission des papiers commerciaux, combien d'obligations une entreprise pourrait-elle vendre si le facteur de la gestion de l'entreprise est dans le centile inférieur de votre analyse des risques? Quelle priorité accordez-vous au risque de faillite dans votre classement?

Néanmoins, ma question fondamentale est la suivante : selon votre expérience et en ce qui concerne le risque de faillite — qui se trouve, je l'espère, parmi les cinq principaux éléments de votre analyse des risques, et vous avez déjà mentionné que le premier était la gestion de l'entreprise —, si ces deux valeurs, selon votre analyse, sont extrêmement faibles pour une société, comment cette entreprise pourrait-elle réussir à faire émettre des obligations?

M. Kennedy : C'est une bonne question, mais chaque dossier a son propre lot de faits uniques. Je ne peux pas vous donner une réponse définitive sans connaître tous les faits.

Le sénateur Ringuette : C'est exactement ce que je croyais, monsieur Kennedy. Au sujet des commentaires des représentants de l'Association des banquiers canadiens, la garantie des prestations d'invalidité de longue durée et de la caisse de retraite n'est pas un facteur de risque supérieur qui influe sur le taux d'intérêt qui devra être payé sur les prêts, et ce n'est pas non plus un facteur important dans l'émission d'obligations pour financer les fonds de roulement. Merci beaucoup.

Le sénateur Harb : Ce n'était pas une question.

Le sénateur Ringuette : Je dirai ceci, mais j'essaye de saisir l'importance de la question. Lorsqu'on parle d'une loi sur les faillites, il est évident que nous prenons un certain montant d'argent et essayons de le distribuer le plus équitablement possible. Évidemment, certains créanciers ne récupéreront pas tout; c'est la raison de la faillite. Je vous remercie de vos commentaires. C'est difficile, parce que, en gros, vous en favorisez un et en défavorisez un autre. C'est dur. À mon avis, nous, les législateurs, prenons cette responsabilité au sérieux et nous avons l'intention de le faire. Voilà pourquoi nous sommes ici.

J'aimerais aussi ajouter quelque chose d'autre. Je suis sénateur depuis sept ou huit ans et j'ai déjà eu affaires à la loi sur la faillite. Nous l'avons modifiée cinq ou six fois. Je dois dire que chaque fois nous entendons un témoin nous prévenir que le monde arrêtera de tourner si nous apportons la modification. Je ne me laisserai pas influencer par vos commentaires, bien que je sache qu'ils sont sincères. Chaque fois, il s'agit d'un désastre inimaginable, mais le Canada est toujours l'un des pays les plus riches au monde, malgré que nous ayons apporté tous ces changements. Nous ne ferons rien qui pourrait nuire à notre pays et au bien-être de nos citoyens.

Si nous faisons cette modification, en quoi va-t-elle nuire à l'équité et à la croissance économique? Quelle est l'ampleur du problème? Je comprends que l'on accorde à des créanciers non garantis un rang de priorité plus élevé. Vous favorisez quelqu'un. Nous rationalisons tous, mais il y a une tendance mondiale, et cela inclut le Canada; si l'on regarde ce qui a été fait au cours des 20 dernières années, on constate qu'on a favorisé les employés et leurs réclamations. Partout dans le monde, on a décidé de leur donner la priorité et de leur accorder une attention un peu plus particulière. Nous l'avons fait avec des mesures législatives. Il y a ce mouvement.

Cela nuira-t-il à la création d'emplois ou à la croissance économique? C'est important. Nous parlons d'employés qui se font avoir, mais je ne resterais pas indifférent si cela nuisait beaucoup à la création de nouveaux emplois, car c'est aussi inquiétant.

Quelqu'un pourrait peut-être m'aider à cet égard. À ce sujet, lorsqu'on regarde le passif — et parlons de Nortel —, pouvez-vous me dire à combien s'élèvent environ les réclamations non garanties de la demande de prestations d'invalidité? Quel est ce montant comparé au total des réclamations non garanties et au total des dettes de l'entreprise? En d'autres termes, s'il s'agit de 50 p. 100, je serai d'accord avec vous. Si l'on commence à changer ce pourcentage, on peut alors nuire aux marchés du crédit. Est-ce que quelqu'un d'entre vous peut m'aider? Connaissez-vous la réponse? Quel est le montant des réclamations non garanties par rapport au montant de toutes les réclamations dans le dossier Nortel?

M. Shea : Je ne connais pas la réponse à votre question, mais je ne pense pas que changer la situation pour Nortel, par exemple acquiescer dans le cas particulier de Nortel, adopter des mesures législatives pour donner la priorité ou en quelque sorte favoriser la conclusion d'une entente où la priorité serait accordée, que cela soit nécessairement l'enjeu. L'enjeu, c'est premièrement le caractère rétroactif, et deuxièmement, l'effet d'entraînement sur d'autres entreprises.

Je ne pense pas honnêtement que cela causera l'effondrement de nos marchés de crédit. Le fait est que les changements que vous apportez au régime d'insolvabilité amèneront les gens à prendre des décisions différentes. Nous n'assisterons pas à l'effondrement de tout le système.

Par exemple, si une banque se trouve devant une situation, et je vais faire une hypothèse, où ces mesures législatives ont été adoptées, elle considérera de façon différente les entreprises qui ont un régime d'invalidité de longue durée autofinancé et celles qui ont un régime d'invalidité de longue durée assuré.

Je vais vous donner un exemple concret que j'ai vu : lorsqu'on a la priorité qui a été créée dans le cadre d'une mesure comme le Programme de protection des salariés, les banques prélèvent maintenant 2 000 $ par employé de la capacité d'emprunt. Les entreprises ne seront pas capables d'emprunter autant qu'auparavant. Il peut en résulter que certaines entreprises ne seront pas capables de continuer à mener leurs activités, mais peut-être qu'elles n'auraient pas dû se lancer en affaires au départ.

Le sénateur Massicotte : Je tente d'obtenir un pourcentage. J'ai ces mesures législatives, et en tant que banque, je dois me poser la question suivante : quel est ce pourcentage? Si je devais deviner, et d'autant que je me souvienne, j'ai eu beaucoup d'employés dans ma vie — c'est probablement 1 ou 2 p. 100 du total des salaires. Selon l'entreprise, il pourrait s'agir de 40 p. 100 des revenus, ou même de 80 p. 100, si on travaille dans le secteur de la consultation. Est-ce un pourcentage important? Si l'on parle de 1 ou 2 p. 100 ou de 40 p. 100, la banque se dira qu'elle coure un risque. Tout d'abord, la plupart des banques font partie des créanciers garantis. Je présume que dans votre cas, de 80 à 90 p. 100 des créanciers sont garantis. Ils ne sont probablement pas des créanciers non garantis. Est-ce exact?

M. Kennedy : Vous parlez de deux marchés différents, le marché commercial et celui des entreprises, où l'on trouve le papier commercial non garanti. Le marché commercial, qui se compose de petites et moyennes entreprises, est en général garanti, comme vous le savez.

Le sénateur Massicotte : C'est uniquement dans les grandes entreprises que le créancier obligataire est non garanti. Par expérience, je sais que la plupart des fournisseurs font affaire avec des gens. Ils ne disent pas qu'ils veulent vérifier leur bilan, connaître le statut de leur régime d'invalidité. Cela se produit rarement. Peut-être que les grandes sociétés ouvertes et ensuite le créancier obligataire vont s'inquiéter si vous demandez à obtenir une notation financière; je peux comprendre cet aspect. Cependant, l'enjeu est-il important au point où cela réduirait la capacité d'émettre des obligations et empêcherait des entreprises de s'établir et de créer de l'emploi? J'imagine que non, mais je ne connais pas le pourcentage.

M. Shea : Je veux faire une mise au point, sénateur Massicotte. Le projet de loi crée une créance privilégiée en cas de faillite, et il crée une créance garantie pour les restructurations qui aurait priorité sur les créanciers garantis.

Le sénateur Massicotte : Pourriez-vous expliquer cela, s'il vous plaît?

M. Shea : D'après ce que propose le projet de loi, si l'on veut restructurer, peu importe quel rang occuperait normalement cette réclamation, il faut la payer. Il ne s'agit pas d'une créance privilégiée; cela devient une priorité.

Le sénateur Massicotte : Même par rapport à celles qui sont garanties?

M. Shea : Il faut la payer. On ne peut pas restructurer à moins de payer ce montant.

Le sénateur Massicotte : Est-ce le cas?

M. Randle : Sénateur, si vous jetez un coup d'œil au projet de loi, vous constaterez que pour une proposition dans le cadre de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité, ou pour un plan ou un arrangement dans le cadre de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, selon notre interprétation — et heureusement, le sénateur Eggleton est ici...

Le sénateur Oliver : De quel article parlez-vous?

M. Shea : Il s'agit de l'article 6 du projet de loi, qui se trouve à la page 3. Il s'agit de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies.

M. Randle : Lisez l'article 3, qui porte sur l'article 60 de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité. On parle d'une proposition. Le tribunal ne peut approuver une proposition que s'il est convaincu que l'employeur est en mesure d'effectuer, et effectuera les paiements prévus par ce qui est défini dans un régime d'invalidité.

Le sénateur Massicotte : Dans le cadre de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, oui; mais on peut faire une proposition dans le cadre de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité également.

M. Randle : Dans le cadre de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité, oui.

M. Shea : Dans le cas d'une proposition faite en vertu de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité, ou dans le cas d'une restructuration en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, cela devient une réclamation ayant une super-priorité, pour ainsi dire.

Le sénateur Massicotte : Je n'en suis pas sûr, mais je crois comprendre qu'une proposition n'est relative qu'à des créances non garanties. Les dispositions législatives ne permettent pas au juge d'intervenir dans les créances garanties, n'est-ce pas? Le tribunal ne peut pas dire : « vos créances garanties n'ont pas été modifiées ». C'est un droit contractuel; il n'a pas le pouvoir de le faire. On peut prétendre qu'il n'a pas le pouvoir d'intervenir dans le régime d'invalidité, mais il va devoir le faire de toute façon, au même titre qu'un créancier garanti.

M. Randle : Me Shea et moi disons qu'il n'est pas clair dans le libellé du projet de loi que, dans une situation de proposition, le tribunal pourrait approuver la proposition à moins que, dans le cadre de la proposition, le montant complet des créances du régime d'invalidité ne soit payé.

Le sénateur Massicotte : Pour préciser les choses, n'est-ce pas ainsi pour tous les créanciers qui ne sont pas des créanciers non garantis? En d'autres termes, on obtient une liste.

M. Randle : Ce que nous disons, c'est que le projet de loi prétend lui donner un statut de créancier de rang antérieur. Cela n'a pas été jugé par les tribunaux — et il s'agit du champ de compétence de Me Shea —, mais tout comme lui, je suis préoccupé parce qu'il semble que d'après le libellé, un tribunal peut seulement approuver une proposition si toutes les créances liées au régime d'invalidité de longue durée sont payées.

Le sénateur Massicotte : D'accord.

M. Randle : On lui donne un rang plus élevé afin que le montant au complet soit versé plutôt qu'une partie. Est-ce ainsi que vous l'interprétez?

M. Shea : C'est exact.

Le sénateur Massicotte : C'est le cas pour tous les créanciers autres que les créanciers non garantis, car la proposition faite aux termes de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité ou de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies concerne seulement une redistribution des réclamations non garanties. Si on les classe maintenant parmi les 10 super priorités ou d'autres priorités, bien entendu, il faut s'en occuper.

M. Shea : Sauf que dans tout autre cas où l'on a des dispositions comme celles-là, on parle de montants exigibles à la date de la demande. Dans le cadre d'une proposition, les créances salariales doivent être payées en priorité, et il en est de même pour certaines créances liées aux régimes de retraite, bien qu'il y ait une échappatoire dans ce cas, c'est-à-dire que les montants sont exigibles à la date de la demande. On parle des obligations futures qui doivent être payées présentement pour pouvoir procéder à la restructuration.

Le sénateur Massicotte : En se fondant sur une opinion concrète ou professionnelle sur le montant du passif?

M. Shea : En fait, l'entreprise continuera à mener ses activités et à les payer dans le cours normal de ses activités. Comme cela sera imposé, la banque devra donc tenir compte du fait que quelqu'un devra fournir beaucoup d'argent à cette entreprise, dès le départ, pour qu'elle puisse se restructurer et poursuivre ses activités.

Le sénateur Massicotte : Évidemment, vous n'avez pas tous le même point de vue. J'ai tendance à conclure que cela ne nuira pas à la création de nouvelles entreprises, car ce ne sont pas de gros chiffres pour la plupart des entreprises. Cela ne nuira pas concrètement la création d'emplois.

Maître Shea, vous dites que ces chiffres pourraient être si importants qu'ils pourraient nuire au succès des restructurations, mais que représentent ces chiffres? Quels sont ces chiffres?

M. Randle : Ce que Me Shea et moi disons, c'est que selon le libellé du projet de loi, il semble que ces créanciers auraient droit à leur montant global.

Le sénateur Massicotte : Je n'y vois aucun problème. J'approuve cela.

M. Randle : Cependant, dans toute proposition, tout créancier, y compris surtout les créanciers non garantis, conclut une entente pour que l'entreprise puisse poursuivre ses activités. Comme de toute évidence elle est en difficulté parce que son passif est plus grand que son actif, il doit y avoir une restructuration. Si l'on va de l'avant, si vous faites partie du groupe des créanciers liés aux prestations d'invalidité de longue durée, rien ne vous incite à négocier, car si une proposition se concrétise, la proposition qui figure dans le libellé doit fournir le montant global.

Le sénateur Massicotte : Oui et non. C'est comme pour la retraite. Tout employé dira : « J'ai un choix, je peux obtenir toutes mes prestations d'invalidité ou je peux avoir un emploi. » Comme la plupart des gens voudront avoir un emploi également, ils peuvent accepter dans le but d'avoir un emploi.

M. Shea : La loi ne le permet pas.

Le sénateur Massicotte : Est-ce que quelqu'un connaît la réponse?

M. Randle : Sénateur, pardonnez-moi de vous interrompre, mais le problème ici et, encore une fois, je ne veux pas entrer dans les détails, c'est que je ne vois pas comment le libellé du projet de loi rend cela possible, car d'après l'interprétation que j'en fais, on ne peut pas faire cette concession. Aucune disposition ne le permet.

M. Shea : C'est différent des dispositions relatives à la retraite, qui permettent de faire une concession. Le projet de loi rend cela définitif. On ne peut pas s'y soustraire, tandis que les dispositions sur la pension qui faisaient partie des dernières modifications à la Loi sur la faillite et l'insolvabilité permettaient de le faire.

Le sénateur Massicotte : Mais, n'en est-il pas de même pour les créanciers garantis?

M. Shea : Les créanciers garantis peuvent se soustraire. Lorsque vous dites que les créanciers garantis ne peuvent pas être touchés par la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, en fait, ils peuvent l'être s'ils le veulent. La loi ne dit pas qu'il faut payer les réclamations garanties. Elle ne dit même pas qu'on ne peut pas faire de transaction. Ce qu'elle dit essentiellement, c'est qu'ils doivent accepter la transaction.

Dans ce cas, le projet de loi exige le paiement de prestations futures.

Le sénateur Massicotte : Je tente de comprendre ce que vous dites. Aux termes de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, les créanciers garantis ne peuvent pas être désavantagés, mais ils peuvent accepter des montants inférieurs pour continuer à prêter de l'argent, par exemple.

M. Shea : Oui.

Le sénateur Massicotte : Êtes-vous en train de dire que, par rapport au fonds du régime d'invalidité, le passif, il n'y a aucun mécanisme en place qui leur permet d'accepter moins pour un emploi?

M. Shea : Les créanciers garantis peuvent accepter de financer, mais pour ce qui est des obligations en matière de régime de retraite, d'après la façon dont on a rédigé le projet de loi, on ne peut pas payer un montant inférieur. Il n'y a aucune disposition.

Le sénateur Massicotte : C'est comme pour les créanciers garantis, mais ils doivent prendre une décision. La Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies fera toujours l'objet de négociations. A-t-on mis en place un mécanisme où ils accepteraient moins de 100 p. 100 pour que l'entreprise puisse survivre?

M. Shea : Non, pas dans le projet de loi.

Le sénateur Eggleton : Tout d'abord, laissez-moi préciser que la question du statut ne se présente que dans la Loi sur la faillite et l'insolvabilité. La loi prévoit un statut de créancier privilégié, qui est en fait toujours non garanti. Ce n'est pas la même chose qu'un statut de créancier garanti, mais le créancier privilégié se situe à un rang plus élevé que le créancier non garanti.

Dans la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, la disposition du projet de loi force le tribunal à s'assurer qu'on s'occupe des régimes d'invalidité de longue durée avant que l'entreprise puisse se sortir de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies. Comme on l'a souligné, les créanciers doivent voter là-dessus au bout du compte, mais le tribunal doit tout d'abord exiger de l'entreprise qu'elle remplisse ses obligations. Qu'y a-t-il de mal à cela? Il est naturel de s'attendre à ce qu'elle le fasse pour ses employés, qu'elle s'acquitte de ses obligations.

Oui, les créanciers peuvent décider de ne pas voter pour le régime, mais ils examineront tous ses aspects. Ils sont également en mesure d'assurer leurs pertes. Ils ont un certain avantage sur les employés qui dépendent des prestations d'invalidité de longue durée.

Cependant, aux termes de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, on ne parle pas de statut, que ce soit celui de super-priorité, ou n'importe quel autre. Je comprends l'argument de Me Shea. Il tente probablement d'aider ses clients, mais aucune disposition ne porte sur un statut. Toutefois, le projet de loi contient une disposition qui force un règlement en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies.

L'Association des banquiers canadiens a soulevé des points importants : le statut de créance privilégiée pourrait avoir des effets sur les marchés financiers et sur le coût de financement pour les entreprises, c'est-à-dire les taux d'intérêt. Sur quoi vous appuyez-vous pour dire que c'est ce qui se produit? Sur quoi vous appuyez-vous à cet effet? S'agit-il seulement d'une théorie, d'un soupçon? S'agit-il seulement de quelque chose qui pourrait entraîner des coûts, et peut-être que ce serait le cas pour cela aussi? Qu'est-ce qui soutient vos propos?

D'après les études que j'ai vues, cela a un effet très limité, infime sur les marchés. J'ai lu des études canadiennes et australiennes. Si l'on ajoutait les régime de retraite, oui, la situation serait tout à fait différente, mais il ne s'agit que de l'invalidité de longue durée. J'aimerais savoir qu'est-ce qui sous-tend cette préoccupation.

De plus, l'autre problème que vous avez soulevé, c'est que le statut privilégié pourrait créer une situation concurrentielle désavantageuse. Le sénateur Ringuette a souligné, et je l'ai dit dans mes observations, que la plupart des pays de l'OCDE ont une telle disposition maintenant. Sur 54 pays, 34, c'est même plus que l'OCDE, ont inclus un statut privilégié ou un statut de super-priorité dans leur procédure en matière de faillite. On nous a dit que des pays comme le Royaume-Uni, l'Allemagne et les États-Unis ont tous des dispositions différentes, mais qu'ils ont tous des dispositions qui protègent davantage ces employés. Nous savons même que le gouvernement actuel a fait adopter la Loi sur le Programme de protection des salariés en 2007. Le projet de loi porte sur l'actif courant et a accordé aux régimes de retraite un rang de super-priorité.

Tout ce dont nous parlons, c'est d'accorder le statut privilégié — le statut de super-priorité, même au-dessus du statut de créances garanties — au même rang que les réclamations pour salaires, par exemple. Certaines réclamations pour salaires ont déjà une super-priorité présentement et un plus grand nombre d'entre elles ont un statut privilégié. Ce sont en grande partie des salaires pour les personnes handicapées. Je ne peux pas imaginer ce qui peut y avoir de mal à tenter d'élever leur statut.

Je ne comprends pas pourquoi cela dissuaderait d'autres entreprises de se doter d'un régime d'invalidité de longue durée. Nous ne leur demandons pas de le faire. Nous ne leur demandons pas de prendre des engagements. Ce que nous disons, c'est que si l'on prend des engagements, il faut les respecter. Il faut y donner suite.

M. Farrell : Puis-je répondre à la question?

Le sénateur Eggleton : Oui, aussitôt que j'aurai terminé de la poser. Elle est précédée d'un long préambule, j'en suis désolé.

Il est difficile pour moi de comprendre pourquoi le fait de demander à une entreprise de s'acquitter de ses obligations, de tenir ses promesses, nuira aux marchés, aux entreprises qui veulent offrir un régime. Où étiez-vous lorsque le gouvernement a fait adopter la Loi sur le Programme de protection des salariés en 2007? Le monde s'est-il écroulé à cause de cela?

M. Farrell : Chaque entreprise a la responsabilité de s'acquitter de ses obligations. Cela ne fait aucun doute dans l'esprit de tous les employeurs. On tient ce débat au niveau macroéconomique sur les effets du projet de loi sur les marchés, et cetera, mais on perd de vue les dommages collatéraux qu'il pourrait causer en milieu de travail au Canada, c'est-à-dire qu'un employeur qui offre une gamme de prestations à ses employés et qui offre un régime d'invalidité de longue durée auto-assuré, et qui voit que ce régime augmente ses risques en tant qu'employeur, augmentera les coûts, car on pourrait exiger de lui qu'il assure un régime qui était auto-assuré auparavant. Ce faisant, il risquera de se retrouver dans une situation où il sera au bord de la faillite à un moment donné et où, lorsqu'il fera faillite, il faudra décider qui obtient quoi, et ainsi de suite, ce qui prendra beaucoup de temps. Cela alourdira l'application de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies.

En regard de tout cela, lorsqu'on examine ces questions du point de vue des employeurs et de leurs activités, ils se disent que leurs régimes d'invalidité de longue durée peuvent devenir plus risqués. Cela les rendra plus risqués. Si c'est le cas, ils pourraient décider qu'il faut changer la structure de ces régimes ou qu'il est préférable ne pas se doter de ces régimes s'ils présentent autant de risques.

Le fait est que bon nombre de Canadiens profitent de prestations d'invalidité très généreuses. Si l'on change le profil des risques de ces prestations, il y a de bonnes chances que les entreprises prennent des décisions sur la façon dont elles offriront les prestations à l'avenir. Cela aura pour résultat qu'en bout de ligne, dans l'avenir, moins de Canadiens vont profiter d'un régime d'invalidité de longue durée aussi généreux qu'aujourd'hui.

Le sénateur Eggleton : Vous dites que les entreprises, lorsqu'elles conçoivent ces régimes, se disent qu'elles pourraient faire faillite et que donc, elles doivent se préparer en conséquence; cela ne fonctionnera pas très bien. Les salaires ont un statut privilégié. En fait, certains salaires font partie des réclamations ayant une super-priorité. Il s'agit de salaires.

M. Farrell : Le gouvernement a adopté cette loi en ce qui concerne les salaires, mais examinons la question du point de vue de l'entreprise. Une entreprise qui offre des prestations d'invalidité de longue durée et qui éprouve des problèmes prendra en considération toutes les façons dont elle peut gérer ses affaires efficacement. Elle examinera la gamme de prestations qu'elle offre et elle décidera que si certaines présentent trop de risques, elle changera le profil de ces prestations. Il en résultera que certaines entreprises changeront le profil de leurs prestations en se basant sur l'augmentation des coûts de l'invalidité de longue durée.

Le sénateur Gerstein : Je remercie les témoins de comparaître devant nous. J'aimerais tout d'abord dire que je ne suis pas avocat.

Bien que le projet de loi S-216 sera d'application générale s'il est adopté, en ce moment, il vise vraiment la situation de Nortel en particulier, et mes questions porteront sur ce sujet.

D'après ce que je crois comprendre, Nortel et ses anciens employés se sont entendus sur un règlement exécutoire en cour. Je crois comprendre que ce règlement contient des dispositions qui empêchent précisément toute autre réclamation, s'il n'y a pas de raison juridique qui accorderait à leurs réclamations un rang de priorité plus élevé qu'à des réclamations de créanciers non garantis.

Selon vous — et j'accepte que votre point de vue soit biaisé; il y a 101 points de vue sur le sujet —, si le projet de loi était adopté avec la modification que le sénateur Eggleton a proposée, cela changerait-il les droits des anciens employés de Nortel? Également, si le projet de loi était adopté, croyez-vous qu'il mènerait à des poursuites qui pourraient porter atteinte aux droits des employés de Nortel qui ont été ordonnés par le tribunal?

M. Shea : Je suis d'accord avec le sénateur Eggleton lorsqu'il dit qu'on peut intenter des poursuites au sujet de n'importe quoi. Je crois aussi qu'il serait possible de rédiger un texte qui permettrait de renverser la décision du tribunal. Je ne pense pas que le texte du sénateur Eggleton le permet, mais il serait possible pour le Parlement de renverser l'ordre d'un tribunal en adoptant une mesure législative.

Je ne crois pas que cela empêcherait les poursuites et à mon avis, les poursuites se retrouveraient devant la Cour suprême en ce qui concerne la question de savoir si le texte était bon. De plus, alors que cette mesure législative pourrait être rédigée de façon à atteindre l'objectif, je ne crois pas que cela fonctionne dans le cas de Nortel, en ce sens que le dossier de Nortel relève de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies. Il n'y aura pas de plan.

La seule façon de faire fonctionner la mesure législative pour Nortel, c'est si quelqu'un accule l'entreprise à la faillite ou si l'on nomme un séquestre. Il faudra faire une demande au juge, et on soulèvera tous les arguments pour savoir si l'entreprise devrait être mise sous séquestre ou en faillite afin de créer ces droits.

Je ne crois pas que le Parlement ait le pouvoir de mettre une entreprise en faillite et de nommer un séquestre pour une entreprise. Il peut adopter une mesure législative.

Le sénateur Gerstein : Si c'était contesté, ce que je comprends de votre point de vue, aussi partial soit-il...

M. Shea : Aussi partial soit-il.

Le sénateur Gerstein : Vous avez dit que cela pourrait aboutir à la Cour suprême. Est-ce que cela porterait atteinte au règlement qui a été conclu avec les employés de Nortel?

M. Shea : Peut-être, mais cela ne doit pas nécessairement se passer ainsi. Je tiens à être honnête. Il serait possible de retenir suffisamment de fonds afin de régler la question et de procéder à une répartition provisoire.

Le sénateur Gerstein : Cela requiert également du temps.

M. Shea : En toute honnêteté, il serait également nécessaire d'intenter des poursuites, car...

Le sénateur Gerstein : Les gens ont des points de vue différents.

M. Shea : De plus, soyons honnêtes. Les avocats de Nortel y trouvent probablement davantage leur compte. Non, cela ne se produirait pas, monsieur le sénateur.

Le sénateur Moore : Je pensais justement à ce que M. Farrell a dit concernant les régimes d'invalidité de longue durée, qui coûtent cher et qui ne sont habituellement accessibles qu'aux grandes entreprises.

Lundi dernier, Industrie Canada a présenté un document d'information selon lequel 63 p. 100 de la population active canadienne, ou 10,6 millions de travailleurs, ont une couverture d'invalidité de longue durée quelconque, que les régimes d'invalidité de longue durée assurés couvrent 90 p. 100 de ceux qui ont une couverture d'invalidité de longue durée. Il semble que nous soyons sur la bonne voie.

C'est le modèle qui a été établi, négocié, adopté et mis en place par des employeurs et des employés — 63 p. 100 de la population active. Ce n'est pas comme si c'était quelque chose de nouveau que les gens ne connaissent pas et qui pourrait coûter cher. Je n'appuie pas toutes les mises en garde que vous avez exprimées.

M. Farrell : Monsieur le sénateur, ce que je dis, c'est qu'il n'est pas approprié de régler la question dans le cadre de ces lois. Les ministères du Travail des différentes provinces pourraient le faire de manière satisfaisante en se fondant sur les normes du travail, ce qui serait préférable à ruiner la Loi sur la faillite et l'insolvabilité. C'est dans ce cadre que l'on discute de ces questions et qu'on les règle normalement à l'avantage des entreprises, des syndicats et des employés qui travaillent pour l'entreprise.

Le sénateur Oliver : Tous les témoins ont commencé par dire qu'ils étaient très désolés pour les employés de Nortel qui sont touchés, et ensuite les représentants de l'Association des banquiers canadiens ont expliqué pourquoi ils n'aiment pas la mesure législative. Enfin, M. Randle a dit que le projet de loi n'est pas la solution qui convient pour régler le problème, mais que son association nous aiderait à trouver une solution.

Monsieur Randle, je suis sûr que vous avez beaucoup réfléchi à la question. Quelle solution recommandez-vous dans les circonstances?

M. Randle : J'y ai réfléchi, mais pas autant que d'autres membres de notre association et probablement pas autant que certains sénateurs. À mon avis, il faut examiner cette question très attentivement. Comme d'autres l'ont mentionné, même si le sénateur Eggleton dit qu'il ne s'agit pas d'un projet de loi sur Nortel, et qu'il est d'application générale, les effets qu'il aura sont d'application générale et les préoccupations que nous avons soulevées sont de nature générale.

Le sénateur Oliver : Donc, avez-vous une solution?

M. Randle : La solution, c'est d'analyser le problème; il faut se pencher sur la question de la prévention plutôt que celle d'un remède pour régler les problèmes qui ont été soulevés dans le cadre de ces affaires et d'autres.

Comme d'autres personnes l'ont dit, on examine le Code canadien du travail pour ces types de régime. Ils pourraient être mieux régis ou assurés par des tiers. Il existe plusieurs solutions.

Je ne suis pas un spécialiste dans le domaine. Je me suis présenté ici parce que je travaille dans le domaine de l'insolvabilité, mais je suis sûr que si vous teniez des audiences sur le sujet, nous pourrions amener d'autres personnes à vous aider, ce que nous tentons de faire aujourd'hui. Nous essayons de trouver une vraie solution qui n'entraînerait pas les effets négatifs sur les petites entreprises et d'autres que le projet de loi entraînerait selon nous.

La vice-présidente : Je dois dire que je suis ravie que vous soyez venus nous donner votre opinion et des suggestions honnêtes — mais je dirais que vous ne nous avez pas donné suffisamment de solutions de rechange. Toutefois, j'aimerais vous dire que nous allons continuer notre travail en comité, au sein duquel je siège depuis 15 ans.

Nous pourrions présenter une autre mesure législative plus tard. Nous devons nous occuper de 350 personnes dont la vie est presque en danger. Nous devrions parler d'une mesure législative d'urgence, mais nous aurons le temps après.

En collaboration avec le gouvernement, nous sommes prêts à trouver une solution à long terme, car ces régimes sont auto-assurés. Je ne crois pas que la plupart du temps, les employés sont conscients des risques associés à ces régimes. On nous a dit qu'ils étaient l'exception; la règle veut habituellement qu'ils soient financés.

J'ai le sentiment que nous devons quelque chose à ces gens. Ils sont touchés par le problème de Nortel depuis très longtemps. Ils vivent un stress inutile et cette période terrible a eu des conséquences dramatiques pour un grand nombre d'anciens employés de Nortel. J'ai beaucoup de sympathie pour eux. Je les traite comme s'ils étaient mes frères et sœurs. Je n'ai ni frère ni sœur, et je me sens près de ces gens malheureux.

Je crois que nous serions prêts à aborder la question avec vous en 2011. À ce moment-là, nous trouverons probablement une solution globale. Cependant, dans ce cas, il nous faut trouver une solution pour ces gens. Je félicite mon collègue pour avoir tenté de régler ce problème immédiat et de trouver une solution pour l'avenir.

Je vous remercie de votre présence, et nous examinerons votre témoignage.

(La séance est levée.)


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