Délibérations du Comité sénatorial permanent de la
Sécurité nationale et de la défense
Fascicule 3 - Témoignages du 19 avril 2010
OTTAWA, le lundi 19 avril 2010.
Le Comité permanent de la sécurité et de la défense se réunit aujourd'hui, à 16 h 2, pour étudier les politiques de sécurité nationale du Canada et faire rapport sur la question.
Le sénateur Pamela Wallin (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Mesdames et messieurs, bienvenue à cette séance du Comité permanent de la sécurité et de la défense. C'est avec plaisir que nous accueillons aujourd'hui le colonel (retraité) Mike Capstick de Kaboul, en Afghanistan.
Depuis 2009, le colonel Mike Capstick est le directeur pour l'Afghanistan du Peace Dividend Trust, une organisation non gouvernementale canadienne qui s'emploie à aider les missions de maintien de la paix. Le bureau principal est situé à Kaboul. Avant cela, le colonel Capstick avait commandé l'équipe consultative stratégique en Afghanistan, l'ECS, de 2005 à 2008.
L'équipe, composée de 15 personnes et commandée par le colonel Capstick, a innové dans le domaine complexe, dangereux et inconnu de la gouvernance. Cette équipe unique réunit des militaires et des civils. Son travail en Afghanistan a aidé à jeter les bases de la fonction publique afghane. L'équipe a développé une stratégie globale pour la réforme de l'administration publique et a aidé les ministères de la Réhabilitation rurale et du Développement, et d'autres ministères et organismes gouvernementaux connexes.
Le colonel Capstick a pris sa retraite des Forces canadiennes à la fin de l'année 2006, après 32 années de service. Les faits sont-ils exacts?
Colonel (retraité) Mike Capstick, Peace Dividend Trust, à titre personnel : Pour la plupart.
La présidente : Vous pourrez nous corriger dans un moment.
Col Capstick : Je n'ai pas été commandant de l'ECS pour toute la période de trois ans. Il y a eu trois commandants différents. Le dernier s'appelait Serge Labbé; il est maintenant l'adjoint du plus haut représentant civil en Afghanistan.
La présidente : Nous allons corriger les faits aux fins du compte rendu.
Le colonel Capstick est aussi professeur agrégé au Centre des études militaires et stratégiques de l'Université de Calgary. Il a reçu l'Ordre du mérite militaire en 2006 et la Médaille du service méritoire pour son service en Afghanistan en 2007 et pour son leadership au sein de l'équipe consultative stratégique.
Bienvenue. Nous allons revérifier les faits. Avez-vous une déclaration préliminaire aujourd'hui? Sinon, j'aimerais que vous nous donniez la définition générale du Peace Dividend Trust.
Col Capstick : Je vais faire une déclaration préliminaire. Je n'ai rien préparé de manière formelle.
Le Peace Dividend Trust est une organisation non gouvernementale enregistrée au Canada, aux États-Unis et au Royaume-Uni. L'organisation au sens large s'occupe de beaucoup de choses. Elle a fait des recherches pour l'ONU, entre autres sur les effets des interventions internationales sur la scène économique.
En Afghanistan, ce que nous faisons, c'est un projet Peace Dividend Marketplace. Il a comme objectif de mobiliser la communauté internationale et son pouvoir de dépenser pour stimuler l'économie locale et pour créer des emplois. Nous avons d'autres projets semblables, mais, en Afghanistan, il s'agit de notre projet pilote et, sans conteste, du plus gros. Ce projet à part entière, financé par l'ACDI, a été lancé en 2008, dont une portion dans la province d'Helmand est financée par le ministère du Développement international britannique.
Nous avons des projets similaires au Timor-Oriental et un nouveau projet a récemment été lancé en Haïti. Nous sommes assez fiers que trois membres de notre personnel afghan soient allés en Haïti pour aider à la mise sur pied du bureau et pour former le personnel national.
C'est là ce que le Peace Dividend Trust et le Peace Dividend Marketplace Afghanistan font. Nous avons des bureaux à Kaboul, à Mazar-e Charif, à Jalalabad, à Kandahar et à Lashkar Gah, dans la province d'Helmand.
Je suis probablement une des rares personnes à avoir de l'expérience du milieu militaire, de la gouvernance et maintenant, un peu, du développement. J'aimerais mettre l'accent sur ce que nous faisons actuellement et non sur les questions de sécurité ou les questions militaires, étant donné que je ne suis pas tout à fait à jour sur ces sujets. C'est fou à quel point le jargon et le langage ont évolué au cours des dernières années en Afghanistan.
Les Canadiens ne pensent tout simplement pas au milieu des affaires afghan. Notre perception du pays est voilée par les opérations de combats à Kandahar. Nous ne voyons pas la croissance, le développement et l'entreprenariat des Afghans — de tout le monde, des hommes qui tirent des chariots dans les rues de Kaboul à ceux qui investissent dans le boom immobilier afghan, dans le chantier de construction qu'est devenu Kaboul.
Ce pays possède un énorme potentiel dans les domaines des mines, de l'agriculture et des services. La communauté internationale contribue à l'essor de ce potentiel, particulièrement dans les services et certaines petites industries manufacturières. Au final, les entreprises afghanes seront les seules entreprises régionales capables de se conformer aux normes internationales. Nous commençons déjà à en être témoins.
Selon moi, et beaucoup de gens seraient d'accord, si des emplois ne sont pas créés dans un des pays les plus pauvres au monde, la stabilité restera toujours hors de portée. Je suis un peu déçu de l'absence de débats et de discussions au Canada. Je tiens à féliciter le comité pour avoir au moins lancé la discussion relativement à ce que nous ferons après 2011. Le Canada peut aider dans un domaine comme le développement économique.
Après la sécurité, l'une des plus grandes critiques que nous entendons quotidiennement de la part des entreprises afghanes concerne la structure gouvernementale pour les entreprises — les lois, les règles et leur application. Beaucoup de travail reste à faire dans ce domaine. L'économie a toujours été dépendante de l'aide, ou c'était le cas avant l'invasion soviétique. Surtout durant l'ère soviétique, elle se caractérisait par des industries gérées par l'État et par une bureaucratie énorme et encombrante. Étant donné que l'économie se réoriente vers le secteur privé, les lois sont un vrai fouillis. Les lois et les règles sont mal rédigées et sont appliquées de manière irrégulière. Il est souvent plus honorable de violer les lois que de les respecter.
Le Canada a beaucoup de bonnes expériences dans ce domaine. Le Canada en a aussi beaucoup dans la réglementation des ressources naturelles et dans les agences de commercialisation, dont l'Afghanistan aura besoin pour en arriver vraiment au point où il pourra exporter ses projets.
Le fossé entre les riches et les pauvres est grand. Pourtant, tous les Afghans auxquels on parle veulent seulement des emplois. Ils ont du ressort, sont animés de l'esprit d'entreprise et désirent travailler. Ils ne veulent qu'un peu de paix et d'ordre, et un bon gouvernement, pour paraphraser l'Acte de l'Amérique du Nord britannique. Ils veulent rendre la vie de leurs enfants un peu meilleure que la leur, mais pour cela, il leur faut du travail. Cela exige un développement économique, et selon moi, le Canada peut aider dans ce domaine.
La présidente : Merci beaucoup. L'une des choses qui m'a le plus marquée là-bas, c'est que les Afghans que j'ai vus, en particulier les femmes, sont extrêmement animés de l'esprit d'entreprise et peuvent créer quelque chose à partir de rien; c'est merveilleux.
Je vous remercie d'être là aujourd'hui. Je sais que vous êtes en Afghanistan et que ce n'est pas un bon moment du jour ou de la nuit pour vous. Nous allons donc essayer de poser des questions brèves et précises pour vous libérer rapidement et pour vous permettre de retourner vous coucher.
Le sénateur Dallaire : J'aimerais vous interroger sur l'aspect de la gouvernance, non seulement au sujet du passé et de votre participation dans l'ECS, mais également au sujet du présent et bien entendu de l'avenir. Croyez-vous que nous avons fourni des instruments par l'intermédiaire du corps diplomatique ou d'autres entités de cette nature, et des gens qui peuvent inculquer et transmettre les connaissances qui permettront la création et le maintien d'une bonne gouvernance dans un État en difficulté, maintenant devenu une démocratie naissante?
Col Capstick : Vous avez toujours été reconnu pour les questions difficiles que vous me posez, général.
Selon mon expérience, l'un des aspects les moins bien réussis de l'effort de la communauté internationale depuis 2005, c'est toute la question de la gouvernance et de l'aide au gouvernement pour réformer les mécanismes gouvernementaux, la fonction publique, la façon dont les gens agissent et les processus au sein de la bureaucratie. Il n'y a jamais eu de programme d'ensemble, comme pour les forces de sécurité nationales de l'Afghanistan.
C'est ma mentalité militaire qui ressort. Avec les forces de sécurité nationales de l'Afghanistan, nous avons une structure, un groupe de dirigeants et une hiérarchie des responsabilités quant à l'aide qui est dispensée. Cela n'existe pas ici. Bon nombre de programmes ont été instaurés dans plusieurs ministères, mais les liens n'ont pas encore été établis.
Ici, il n'y a rien dans un ministère qui est l'équivalent d'un sous-ministre au Canada, c'est-à-dire un haut fonctionnaire. Les sous-ministres sont issus de nominations politiques. La qualité d'un ministère se fonde essentiellement sur le niveau de compétence, l'instinct et le professionnalisme de son ministre. Les ministères qui ont eu un bon ministre sérieux ont progressé; les autres n'ont pas progressé.
Le sénateur Dallaire : Un pays comme le nôtre a une gouvernance stable et bien ancrée grâce à son corps diplomatique, bien qu'il soit réduit. Par le passé, on ne l'a pas nécessairement utilisé pour aider les nations à amener une gouvernance au sein d'États en difficulté. Y a-t-il un organisme dans ce pays qui devrait prendre les rênes et s'engager, à l'avenir, à établir de manière plus délibérée des gouvernances à l'étranger, ou croyez-vous que le corps diplomatique pourrait le faire?
Col Capstick : Je ne crois pas qu'on devrait se tourner vers le corps diplomatique. Le pays a besoin d'aide pour professionnaliser sa fonction publique; elle doit l'être. Le Canada pourrait y jouer un rôle.
Personne ne semble être responsable de réformer la fonction publique ici. Les États-Unis sont manifestement responsables de la réforme de l'armée. Si quelqu'un devait être nommé responsable, je suis persuadé que nous pourrions trouver, au Canada, un ancien sous-ministre ou un ancien greffier du Conseil privé qui, avec une équipe composée de bons fonctionnaires retraités et en service, serait le candidat parfait pour ce genre de travail.
Le sénateur Segal : Colonel, pour commencer, je tiens à exprimer ma plus sincère appréciation quant au travail remarquable que vous avez accompli avec l'ECS. Selon moi, c'était la première fois que les Forces canadiennes avaient ce genre de coopération stratégique avec un gouvernement hôte dans le cadre d'une activité militaire. Selon moi, cela fait honneur au Canada et à tous ceux qui ont servi à vos côtés. Je tiens à vous faire savoir que nous ne tenons pas ce genre de choses pour acquis et que personne ne le devrait d'ailleurs.
Est-ce que la fin de la mission canadienne en 2011 aura une incidence sur ce que vous accomplissez en ce moment? Serez-vous en mesure de poursuivre votre mission actuelle? Je comprends que vous ne souhaitez pas nécessairement discuter de ce que le gouvernement devrait ou ne devrait pas faire. Je respecte cela. Toutefois, du point de vue des organisations comme la vôtre, qui sont sur le terrain en train d'essayer d'accomplir de très belles choses dans le secteur précis du développement économique que tout le monde souhaite voir se poursuivre, est-ce important que les Forces canadiennes soient là après 2011 pour s'occuper de la logistique et de la sécurité de votre mission?
Col Chapstick : Cela ne dérangerait pas vraiment notre mission actuelle ici. Peut-être que cela se ferait sentir un peu dans la province de Kandahar. Dans les autres endroits, nous ne dépendons pas de l'armée pour nous occuper de la sécurité et de la logistique. Nous entretenons d'excellents rapports avec l'ambassade canadienne ici à Kaboul. À Kandahar, nous travaillons beaucoup avec l'équipe provinciale de reconstruction canadienne.
Cela dit, nous travaillons aussi beaucoup avec tous ceux qui investissent de l'argent dans la province de Kandahar. En fin de compte, le mastodonte de la région reste tout de même la mission américaine, qui adopte une politique « les Afghans d'abord » qui s'applique à tous les éléments de la mission : l'aide au gouvernement et l'armée. Cela nous tiendra occupés.
À Kandahar, nous restons discrets pour ce qui est de notre posture de sécurité. Que les troupes canadiennes soient ici ou pas, il y aura tout de même des militaires à Kandahar, et nous allons apprendre à travailler avec eux.
Le sénateur Segal : J'ai une question complémentaire. Bon nombre d'opposants à la fin de la mission, pas seulement du Canada, mais de l'OTAN dans son ensemble, prétendent que la corruption profondément ancrée dans la société et le gouvernement afghan est telle qu'elle rend la tâche tout à fait impossible. Vous avez désormais de l'expérience avec les différentes sections de cette pyramide. Vous possédez une vaste expérience dans d'autres pays, au service de la Reine et du Canada. Pouvez-vous nous donner une vision d'ensemble de cela?
Il me semble qu'il est très facile pour les gens d'un pays de parler d'un autre pays où sévit entre autres la malhonnêteté. Pouvez-vous nous dire comment vont les choses à cet égard et quels progrès sont accomplis selon vous, ou faites-vous plutôt partie des défaitistes qui sont là-bas à temps plein et qui tentent de détruire la mission?
Col Capstick : La corruption existe dans tous les aspects du gouvernement afghan. Sans aucun doute, il y a de la corruption de bas niveau parmi les policiers de la circulation. Cependant, je reste au milieu et j'entends le point de vue international selon lequel la corruption est causée à 100 p. 100 par les Afghans. J'entends également l'opinion des Afghans, qui jettent le blâme sur la communauté internationale.
Les manigances d'entrepreneurs internationaux qui durent depuis huit ans donnent l'impression que certaines des manigances afghanes sont le fait d'amateurs. Nous le savons tous. La corruption pourrait être réduite si l'Afghanistan et la communauté internationale faisaient des efforts conjoints pour y arriver. Dans certains secteurs, des progrès ont été réalisés. Chaque jour, nous faisons affaire avec des entreprises afghanes que nous croyons propres, qui, à notre avis, sont inquiètes de la corruption, car elles ne veulent pas jouer ce jeu. Leur société n'est pas foncièrement corrompue.
Le sénateur Lang : Comme vous le savez, la question de l'Afghanistan fait la nouvelle presque tous les jours au Canada. Nous entendons rarement parler des aspects ou des changements positifs qui existent peut-être. Je suis heureux d'entendre qu'un organisme comme le vôtre fait des changements positifs pour les gens de l'Afghanistan.
Je vais revenir à ce que vous avez dit dans votre déclaration préliminaire au sujet de la question de la gouvernance; ma question est similaire à celles posées par le sénateur Dallaire. Vous avez souligné que plusieurs ministères du gouvernement afghan dépendent essentiellement du ministre politique du jour. Bien entendu, cela suscite des inquiétudes, car il sera difficile d'éliminer la corruption s'il n'y a ni règles, ni fonction publique solide.
Je crois comprendre que vous avez mené l'équipe consultative stratégique en 2005. Vous avez également vécu le passage au Bureau canadien d'appui à la gouvernance, le BCAG, qui est chargé de travailler en collaboration avec la fonction publique. Si vous étiez le responsable aujourd'hui, retourneriez-vous au concept d'équipe consultative stratégique, contrairement à ce qui se passe actuellement?
Col Capstick : Je ne connais pas suffisamment les différences entre le BCAG et l'ECS. Le BCAG est différent en ce qu'il offre une assistance technique plus traditionnelle dans diverses spécialités, tandis que l'ECS tentait plus généralement d'aider les organismes afghans dans leurs capacités de planification stratégique.
Les deux modèles comportent des forces et des faiblesses. Aucun des deux ne suffit pour réaliser la réforme massive de la fonction publique afghane qui s'impose. Une action globale beaucoup plus puissante qui porte sur tous les aspects est nécessaire.
Le sénateur Lang : Pour pousser la réflexion un peu plus loin, avez-vous une idée des moyens à prendre pour faire cette réforme? Comment ce changement serait-il fait? Il semble que c'est fondamental si nous voulons réussir.
Col Capstick : La communauté internationale a besoin d'un programme comparable à l'armée nationale afghane ou aux Forces de sécurité nationale afghanes et d'une agence internationale ou d'un organisme international responsable. Il faut qu'une telle réforme soit menée par la bonne personne, d'un niveau approprié. La personne idéale pour ce type de travail serait un supérieur à la retraite qui a été au service de la fonction publique; et il faudrait qu'il ait la collaboration d'équipes composées de personnes appropriées sur le terrain. Actuellement, dans certains ministères de cette ville, on ne peut pas se déplacer sans tomber sur un conseiller du ministre parce qu'il y en a tellement. Toutefois, il faut faire beaucoup de travail dans les ministères pour les Afghans qui travaillent sur le terrain, pour leur prêter main-forte et leur transmettre les compétences dont ils ont besoin, sans faire le travail à leur place. De plus, il semble qu'une professionnalisation de l'école de la fonction publique s'impose.
Le sénateur Banks : Je vais poursuivre dans la même veine que le sénateur Segal et le sénateur Lang. Pour vous donner un contexte historique, en 2005 et au cours des deux à trois années suivantes, l'ECS était pratiquement un secrétariat qui conseillait le président de l'Afghanistan. On présume qu'il opposait une certaine résistance à certaines des idées proposées par l'ECS à l'époque.
Nous sommes tous d'avis que, sur le plan de la reconstruction et de la réforme de l'Afghanistan, nous voulons une forme de gouvernement qui fonctionne. Il ne s'agira peut-être pas de notre forme de gouvernement ou d'une forme de gouvernement qui nous plairait bien, ou même que nous reconnaissons, mais nous voulons voir un gouvernement qui fonctionne d'une façon ou d'une autre. Vous avez certainement dû être un témoin direct de cette résistance, car si ce que vous décrivez se produit, ce sera uniquement parce que le président l'aura accepté. Nous sommes restés avec cette impression. Lorsque vous étiez là-bas, avez-vous trouvé que le président Karzai était ouvert à l'idée et disposé à envisager le type de réforme de la fonction publique en Afghanistan dont vous parlez?
Col Capstick : Je ne sais pas jusqu'où je peux aller pour cette question. Je sais que le président Karzai était très reconnaissant de l'ECS et qu'il disait aux gens de collaborer. Sur le plan des personnalités, c'était un monde différent et, dans une large mesure, c'était dû au fait que le général Hillier, qui était alors chef d'état-major de la Défense, et l'ambassadeur Chris Alexander entretenaient d'excellentes relations avec le président Karzai à ce moment-là. Lorsque le général Hillier parlait, le président Karzai écoutait, même s'il ne faisait pas toujours ce qu'on lui recommandait.
La résistance tend à se manifester chez des gens qui sont en position de pouvoir ou qui veulent l'être pour des raisons qui leur sont propres. Il est très compliqué d'arriver à accommoder les divers groupes ethniques, les intérêts régionaux et les intérêts politiques, non seulement au sein du gouvernement, mais également à la présidence qui, à l'époque, était composée entre autres d'un grand nombre de conseillers principaux. Pour chaque ministère, il y avait un conseiller principal afghan homologue au bureau du président. Lorsqu'on parlait de finances, on ne savait pas s'il fallait écouter le ministre des Finances ou le conseiller économique principal du président. Je crois que cela a été corrigé.
Le sénateur Banks : Si vous étiez le roi, comment régleriez-vous le problème que vous venez de décrire, celui des gens visés par la réforme qui sont en grande partie ceux qui s'opposent à la réforme et qui ont les moyens de le faire?
Col Capstick : À mon avis, la meilleure façon de régler le problème, c'est de travailler avec les membres du gouvernement qui sont pour la réforme, les encourager et les appuyer. Environ une demi-douzaine de ministres du cabinet actuel veulent aller de l'avant avec la réforme et professionnaliser le gouvernement. Avec le temps, ils feront sortir les opposants. Cela se produira, mais il faudra du temps.
Le sénateur Banks : La solution est de trouver les bonnes personnes et de les récompenser.
Col Capstick : Je ne dirais pas « les récompenser », mais je dirais que nous devons les appuyer et les faire avancer en leur donnant l'aide dont ils ont besoin.
La présidente : J'ai une question liée à cela, pour faire la distinction. Fonctionnez-vous avec des fonds d'aide?
Col Capstick : Si je fonctionne avec des fonds d'aide?
La présidente : Oui, des fonds d'aide internationale.
Col Capstick : Nous sommes financés par l'Agence canadienne de développement international, l'ACDI.
La présidente : Je veux dire, de tout autre organisme.
Col Capstick : Pour notre opération dans le Helmand, nous recevons des fonds du Département britannique pour le développement international.
La présidente : Avez-vous la même obligation de donner un visage afghan à ces fonds dépensés, comme cela a été longtemps la motivation, ce qui ferait croire aux gens qu'ils reçoivent l'aide du gouvernement?
Col Capstick : Non, nous ne distribuons pas de fonds en raison de ce que nous faisons. Essentiellement, nous faisons le lien entre la communauté internationale et les entreprises afghanes.
D'après la façon dont notre projet est mis en place, d'ici 2012, nous voulons que l'entité soit totalement afghane. Nous ne savons rien au sujet des fonds au-delà de 2012. En fait, notre objectif est d'en faire une entité afghane autonome qui facture des services.
La présidente : C'est utile.
Col Capstick : Je ne distribue pas d'argent.
La présidente : Je voulais mettre ces choses au clair pour les fins du compte rendu.
Le sénateur Meighen : Merci de votre présence, colonel. Je veux passer à la question des projets d'infrastructure, que vous connaissez probablement, étant donné que vous êtes sur le terrain. Il y a plus de deux ans, lorsque notre comité était là-bas, nous avons cherché des projets d'infrastructure, mais n'avons pas pu en trouver. Cela nous a énormément déçus. C'était à se demander où était passée toute l'aide canadienne. Lors de notre dernière visite, nous avons vu les routes que l'armée était en train de construire, du lieu d'observation de la base d'opérations avancées de Ma'sum Ghar. Nous sommes au courant du projet du barrage Dahla. Tous les projets d'infrastructure qui ont semblé avoir eu du succès étaient largement menés par l'armée, qui creusait des puits et faisait toute sorte d'autres choses avec l'équipe provinciale de reconstruction. Quel est le statut de sécurité des projets d'infrastructure en cours? Sont-ils constamment menacés? Y a-t-il eu de l'amélioration? Un certain nombre d'organisations non gouvernementales, d'ONG, sont-elles retournées en Afghanistan? Il y en avait peu là-bas, s'il y en avait, lorsque nous y étions.
Col Capstick : La sécurité des projets d'infrastructure dépend en grande partie du lieu où ils sont réalisés dans le pays. Je ne vais pas assez souvent sur le terrain pour pouvoir faire des observations précises sur ces secteurs spécifiques. Je peux vous dire qu'énormément de projets d'infrastructure sont financés par nombre de sources. Je ne sais pas si l'ACDI mène beaucoup de projets d'infrastructure, mais c'est le cas de l'Agence américaine pour le développement international, l'USAID, et l'armée américaine mène des projets d'infrastructure partout au pays. Ils ont l'ambition de se servir d'entreprises afghanes, dans la mesure du possible, pour réaliser ces projets. Par exemple, au cours des deux prochaines années environ, le Département de la défense américain réalisera l'équivalent de 10 milliards de dollars en projets d'infrastructures — routes, ponts, barrages, ponceaux — et il veut se servir du plus grand nombre d'entreprises afghanes possibles pour ce faire. Cela change complètement la situation de la sécurité, car on n'a pas tendance à les attaquer.
Le sénateur Meighen : Est-ce parce que trop de gens en bénéficient légitimement?
Col Capstick : Ils donnent des emplois à la population locale. Si les gens de la population sentent qu'ils ont une part du projet, les choses tendent à se calmer beaucoup. S'il s'agit d'une grande société internationale, c'est une autre histoire.
Le sénateur Meighen : Ma question aurait dû être plus précise. Comme nous sommes allés uniquement au sud, à Kandahar et aux environs, je ne peux pas faire de commentaires sur les projets de développement du reste du pays. Je suis heureux d'entendre que la situation s'améliore ou semble plus stable. Merci.
Le sénateur Nolin : Colonel, je veux revenir à la question de la sécurité de votre organisme, comme l'a soulevée le sénateur Segal. Dois-je comprendre que votre organisme n'a pas recours à la sécurité militaire?
Col Capstick : C'est exact.
Le sénateur Nolin : Qu'en est-il des autres organismes de développement qui évoluent à Kandahar?
Col Capstick : Je n'en connais aucune qui a recours aux Forces canadiennes pour sa sécurité.
Le sénateur Nolin : Je serai très franc avec tous. Après 2011, les Forces canadiennes seront parties. Qu'en sera-t-il de la sécurité de nos propres organismes qui font du développement dans cette région?
Col Capstick : Je ne suis pas certain de pouvoir répondre à cette question. Le seul organisme que je connais bien est le nôtre. Il est de très petite taille. Notre bureau à Kandahar comprend deux membres du personnel qui sont afghans et un expatrié qui travaille en dehors de l'aéroport de Kandahar. Lorsqu'il doit se déplacer à l'extérieur avec l'équipe provinciale de reconstruction ou en ville, il le fait avec une agence de sécurité privée.
Les autres entreprises que je connais qui travaillent là-bas, SNC-Lavalin PAE et Agriteam Canada, ont des agences de sécurité privées. La présence militaire fausse la situation générale en matière de sécurité dans la province, la région et la ville. Les agences de sécurité privées répondent à nos besoins dans ce domaine.
Le sénateur Nolin : Dans un autre ordre d'idées, votre organisme a été l'hôte conjoint d'une conférence sur les femmes afghanes chefs d'entreprises. Pouvez-vous nous donner vos impressions sur les percées que les femmes afghanes réalisent?
Col Capstick : La bataille des femmes entrepreneures afghanes est très difficile et loin d'être gagnée. Comme la culture du pays n'encourage pas les femmes à travailler, il n'est pas question pour elles de diriger une entreprise, mais certaines travaillent très fort à faire avancer les choses. Comme pour toute autre chose, cela ne se produira pas tout seul. L'aide de la communauté internationale est nécessaire. Par exemple, les Américains achètent présentement tous les uniformes, l'équipement, tout ce qu'il faut aux Forces de sécurité nationale afghanes, et ils ont élaboré un projet d'allocation de fonds pour des entreprises appartenant à des femmes. La première tranche sera un contrat de 35 millions de dollars pour fournir des bas et des sous-vêtements aux Forces de sécurité afghanes. Nous travaillons à ce projet avec des femmes entrepreneures depuis plus d'un an.
Le sénateur Nolin : À qui se réfère ce « nous »?
Col Capstick : À notre organisme.
Le sénateur Nolin : Pas aux Forces canadiennes?
Col Capstick : Non, pas aux Forces canadiennes; à Peace Dividend Trust. Nous travaillons avec elles, leur enseignons les projets, et cetera. Nous verrons ce qu'il en résultera.
Le sénateur Nolin : Qu'en est-il des Forces canadiennes?
Col Capstick : Je ne sais pas ce que les membres des Forces canadiennes font, monsieur. À Kandahar, on a beaucoup de mal à trouver une entreprise qui appartient à une femme.
Le sénateur Nolin : Lorsque vous avez organisé cette conférence, des femmes de la région qui savaient que vous étiez un Canadien vous ont-elles demandé pourquoi le Canada ne le fait pas, étant donné que les États-Unis en sont capables?
Col Capstick : Je peux dire que non, car pour la plupart des Afghans, les acteurs internationaux sont les acteurs internationaux. Le Canada ne fait pas le même genre de choses que les États-Unis, comme acheter tout l'équipement pour les forces de sécurité. Ils dépenseront 10 milliards de dollars par année pour les cinq prochaines années. Les Forces canadiennes sont à Kandahar. Je ne connais pas beaucoup d'entreprises qui appartiennent à des femmes dans la province de Kandahar. Il s'agit d'un fait culturel.
Le sénateur Day : Colonel, je commence à saisir ce qu'est le Peace Dividend Trust.
Avant de vous poser des questions précises à cet égard, je dois dire que je croyais que l'équipe consultative stratégique était avant tout un concept du général Hillier, même s'il ne comprenait pas uniquement le personnel militaire. S'il vous plaît, corrigez-moi si je me trompe. Je me demande si le Bureau canadien d'appui à la gouvernance, qui a remplacé l'équipe consultative stratégique en 2008, relève davantage de la Force internationale d'assistance à la sécurité, la FIAS, et s'inscrit dans le leadership global, ou s'il s'agit toujours d'une initiative canadienne?
Col Capstick : Je ne sais pas comment elle est constituée et structurée. Je sais qu'elle n'a rien à voir avec la FIAS. Elle est financée par le gouvernement du Canada. Elle est dirigée par un organisme canadien, CANADEM. Il faudrait probablement demander au chef de l'aide qui est ici ou à l'ambassadeur quel est son rôle en réalité. Je ne travaille pas avec les membres de cet organisme et je n'entretiens pas de relations avec eux.
Le sénateur Day : Passons au Peace Dividend Trust, qui est également une initiative canadienne. Vous inscrivez-vous dans une autre structure mondiale ou étatique? Travaillez-vous étroitement avec l'USAID, par exemple, ou un certain nombre de groupes là-bas tentent-ils d'accomplir les mêmes choses?
Col Capstick : Nous sommes uniques. Notre organisme est le seul à faire ce qu'il fait. Nous travaillons avec le ministère afghan du Commerce et de l'Industrie pour faire ce que nous faisons. Nous collaborons avec l'Agence afghane de soutien à l'investissement, qui relève du ministère afghan du Commerce et de l'Industrie. C'est là qu'on prépare les permis d'exploitation d'un commerce. Par exemple, plus de 5 000 entreprises afghanes sont dans notre base de données. Les gens doivent se présenter avec leur permis et un certificat de taxes. Nous travaillons passablement avec le ministre Shahrani, qui est maintenant ministre des Mines, et l'aidons dans son rôle de leader du noyau économique des ministères.
Nous aiderons n'importe quel organisme international à appliquer sa politique axée sur l'Afghanistan, y compris l'USAID et tout organisme militaire. Nous faisons beaucoup de choses avec les équipes provinciales de reconstruction canadienne et britannique. Concernant les entreprises internationales ici, les entreprises américaines ont compris qu'elles n'obtiendraient pas de contrat américain à moins qu'une composante afghane y soit incluse. Si des emplois afghans sont créés grâce à cela, nous en sommes heureux. C'est le genre de relations que nous entretenons.
Le sénateur Day : Vous traitez avec toutes les entités internationales ou avec le plus grand nombre possible.
Col Capstick : C'est exact.
Le sénateur Day : Vous tournez-vous alors vers le marché, et si vous pensez que quelque chose qui n'est pas produit pourrait l'être et qu'il pourrait être vendu à un organisme international ou à une entité internationale, encouragez-vous cela? Recherchez-vous tous les biens et services?
Col Capstick : Oui, nous faisons la promotion de toutes sortes de choses. Une partie du problème qui se présente pour les Afghans, c'est que la communauté internationale entre dans leurs bulles de sécurité physique. La plupart d'entre nous arrivent ici et pensent que tout ce qu'on peut avoir ici, c'est du gravier et des tapis dans le marché afghan. Comme les entreprises internationales ne peuvent pas partir et les entreprises afghanes ne peuvent pas entrer, nous tentons de déterminer quelles sont les demandes internationales et nous communiquons ces renseignements aux entreprises afghanes. Une fois qu'elles comprennent en quoi consiste la demande, elles vont investir pour répondre à cette demande. Des gens construisent des usines à Kaboul pour faire de la production selon les normes internationales afin de répondre à la demande. Un homme fait des tuyaux en PVC et les exporte maintenant. Pendant ce temps, des entrepreneurs se font encore expédier par avion du matériel de l'Amérique du Nord. Une fois que les entreprises afghanes connaissent la demande, elles vont investir leur propre argent.
Le sénateur Day : Pour ce qui est de ma dernière question, vous renseignez le personnel afghan et les entreprises afghanes sur ce que pourrait être la demande, car ils ne le savent peut-être pas. Est-ce exact?
Col Capstick : C'est exact. Nous apprenons aux petites entreprises qui ont moins d'expérience à remplir les formulaires d'acquisition très complexes et à faire ce genre de choses. J'ai du personnel afghan qui est formé pour faire ce travail.
Le sénateur Day : Merci beaucoup, colonel. C'est intéressant.
Le sénateur Dallaire : Colonel Capstick, je veux revenir à l'époque où vous étiez dans l'ECS. On a parlé ici du concept des trois D : défense, diplomatie et développement. Nous sommes partis de ce concept pangouvernemental. Toutefois sur le terrain, croyez-vous que les fonctionnaires, les diplomates, les gens de l'ACDI qui s'occupent du développement et les représentants sont des travailleurs assez polyvalents pour être en mesure de mettre en commun leurs capacités et de produire des efforts concrets ensemble, ou existe-t-il encore des frictions importantes entre ces différents joueurs sur le terrain?
Col Capstick : J'aurais de la difficulté à donner mon opinion sur ce qui se passe sur le terrain. Lorsque je faisais partie de l'ECS ici, il était évident que, quand nous travaillions ensemble, nous déterminions comment concrétiser les choses sur le terrain, mais nous étions dans un contexte différent en 2005. Cette ambassade était très petite. Il y avait deux ou trois membres de l'ACDI, seulement deux ou trois diplomates et nous. Nous avons réglé ces problèmes. Si vous vous en souvenez bien, lorsque l'équipe provinciale de reconstruction a été formée, il n'y avait qu'un membre de l'ACDI, un diplomate et, après que Glyn Berry a perdu la vie tragiquement, il y a eu beaucoup de perturbations; le contexte était donc différent.
J'ai des contacts avec des Canadiens à l'ambassade canadienne, et nous sommes à des années lumières de la situation de 2005 sur le plan des améliorations. L'ambassadeur est très ouvert. Je suis un civil maintenant et je ne sais pas de quelle façon l'ACDI collabore avec les militaires, mais elle travaille très bien avec nous. Ainsi, la façon d'opérer sur le terrain à Kandahar s'est nettement améliorée. Concernant l'équipe provinciale de reconstruction, vous devez poser la question à ces personnes; je ne la connais pas assez et je ne rencontre pas ses membres de façon quotidienne.
Le sénateur Lang : J'aimerais revenir sur la question de la sécurité et les commentaires que vous avez faits plus tôt concernant votre expérience à Kaboul par rapport à Kandahar. Évidemment, ces villes sont tout à fait différentes l'une de l'autre. J'ai l'impression, et corrigez-moi si je me trompe, qu'il y a un sentiment de sécurité à Kaboul par comparaison à d'autres régions du pays, selon ce que vous avez dit et le fait que vous n'avez pas de militaires pour assurer la sécurité. Je crois comprendre que vous avez recours à l'entreprise privée pour satisfaire vos besoins en sécurité. Pourquoi faites-vous appel au secteur privé plutôt qu'à l'armée?
Col Capstick : Les forces armées ne peuvent pas nous aider à cet égard. C'est aussi simple que cela. Par expérience, je peux dire que ce serait très mal utiliser les troupes.
Même quand il y a des expatriés, il n'y a pas de gardes de sécurité dans nos bureaux de Mazar-e-Charif, parce que ce n'est pas nécessaire dans le Nord. À Jalalabad, nous avons un garde de sécurité non armé, parce que les gens font parfois des commentaires désobligeants à une employée afghane si elle est seule. À Kaboul, nous avons besoin de gardes de sécurité parce que la situation est imprévisible. Il peut y avoir de longues périodes sans que rien ne se passe, ici, puis des périodes de grands troubles. Le plus grand risque que nous courons est d'être au mauvais endroit au mauvais moment.
De plus, dans nos bureaux au centre-ville de Kaboul, nous communiquons les appels d'offres des entreprises étrangères aux gens d'affaires afghans. Nous accueillons plus de 400 ou de 450 hommes d'affaires afghans par mois et nous aimerions penser qu'ils sont tous dignes de confiance, mais nous devons prendre des précautions de base. Nous avons donc des gardes de sécurité armés qui peuvent effectuer des fouilles sommaires et ce genre de choses. En ville, nous nous déplaçons dans des VUS blindés, parce que nous ne voulons pas être au mauvais endroit au mauvais moment dans un véhicule inadéquat. C'est aussi simple que cela. Dans le Sud, nous procédons autrement.
Le sénateur Segal : Vous êtes là depuis un certain temps et vous avez occupé différentes fonctions. Les choses s'améliorent-elles vraiment? Constate-t-on de l'amélioration dans l'activité économique, dans l'embauche de citoyens afghans et dans la qualité de l'investissement pour bâtir un avenir qui ne concerne pas que la guerre, dans ce pays?
Col Capstick : On peut voir que les choses s'améliorent dans les trois ou quatre secteurs que vous venez de mentionner. En 2005, aucune banque n'appartenait à l'entreprise privée. Il y a maintenant 15 banques qui sont la propriété d'Afghans et une ou deux banques internationales.
En 2005, il y avait deux entreprises de cellulaires et la pénétration du marché était très faible. En ce moment, je tiens un BlackBerry fait par Roshan, une entreprise établie à Kaboul, qui me permet d'avoir accès à mes courriels, même dans les rues de Londres. À Kaboul, il y a maintenant des supermarchés où les Afghans peuvent connaître le prix des articles en les passant sous un lecteur de code à barres. Les choses s'améliorent dans ces domaines.
Par contre, les choses ne s'améliorent pas à d'autres égards, même si j'aimerais dire le contraire. À Kaboul et à l'extérieur de la ville, il y a des endroits où je n'irais pas, alors que je me sentais en sécurité d'y passer en voiture en 2005. Ce n'est donc ni noir, ni blanc.
Le sénateur Banks : Ma question peut paraître choquante, étant donné que nos amis les Américains sont les plus généreux qui soient. Cependant, concernant les 10 milliards de dollars supplémentaires qui sont investis à l'heure actuelle et que les Américains veulent consacrer à l'embauche d'Afghans pour construire un pont, une buse ou toute autre infrastructure nécessaire, est-il probable que, par exemple, Kellogg Brown and Root ou Halliburton soit le maître d'œuvre et que les Afghans interviennent, eux, à titre de sous-traitants?
Col Capstick : Si on parle d'un projet majeur et complexe, ce pourrait être le cas. Par ailleurs, l'ambassadeur des États-Unis en Afghanistan, Karl Eikenberry, doit être le premier à avoir dit « les Afghans en premier ». Lieutenant- général et commandant des Forces américaines à mon arrivée ici, M. Eikenberry a, en outre, fait en sorte que l'armée utilise de l'eau provenant d'Afghanistan plutôt que d'ailleurs.
Le général McChrystal fait le même genre de chose, à la FIAS. Aux États-Unis, on a la volonté politique de donner la priorité aux Afghans. La FIAS essaie maintenant de mobiliser la même volonté chez les gens de l'OTAN.
Le sénateur Banks : Je suis heureux de l'entendre. Je vous remercie.
La présidente : Il y a des gens qui affirment que des activités comme les vôtres et l'aide financière contribuent d'une certaine manière à la déstabilisation de l'Afghanistan, parce qu'on finance un gouvernement corrompu ou des représentants du monde des affaires sur la corde raide. Je suis sûre que c'est en partie vrai. Comment faites-vous la part des choses?
Col Capstick : C'est difficile à évaluer. Pour qu'il y ait de la corruption, il faut bien sûr de l'argent. Dans ce pays, les sommes les plus importantes qui sont dépensées le sont pour les projets de développement et les activités des forces américaines. Les gens corrompus essaient d'avoir accès à cet argent. Néanmoins, tout le monde travaille fort pour que la situation ne s'aggrave pas. On a commis des erreurs il y a huit ans, mais on ne peut pas revenir en arrière et on s'évertue désormais à corriger les pratiques qui nous ont menés là où nous en sommes.
La présidente : Je vous remercie beaucoup. Nous vous sommes reconnaissants d'avoir pris le temps de nous parler. Si vous retournez à la maison, vous pourrez peut-être dormir deux ou trois heures avant que le jour se lève.
C'était le colonel à la retraite Mike Capstick de la Peace Dividend Trust, établie à Kaboul, en Afghanistan.
J'ai maintenant le plaisir d'accueillir Terry Glavin, coordonateur de la recherche au Canada-Afghanistan Solidarity Committee, dont il est le cofondateur. Il a déjà été journaliste, chroniqueur et rédacteur en chef du Vancouver Sun et du Globe and Mail. Il a écrit six livres et il a gagné des prix littéraires de premier plan.
Le dernier rapport du CASC, produit en mars, est intitulé Tenir nos promesses—Le Canada en Afghanistan au-delà de 2011 : la voie à suivre. Lors du dépôt du rapport, je vous ai écouté faire des commentaires et j'ai pensé qu'il serait utile de vous inviter à comparaître. Voulez-vous faire une déclaration liminaire?
Terry Glavin, coordonnateur de la recherche, Comité de solidarité Canada-Afghanistan : Merci beaucoup de nous donner l'occasion de vous parler. Nous sommes honorés d'être ici.
La présidente : Pouvez-vous nous dire comment le groupe a été mis sur pied pour que tous les sénateurs connaissent un peu le contexte?
M. Glavin : Je pense que c'est la meilleure façon de commencer. Le groupe a été mis sur pied à l'automne 2007. Ses membres proviennent de tous les milieux. Il y a des Canadiens d'origine afghane, des militants des droits de la femme, des militants des droits de la personne, des écrivains et des universitaires. Vous savez que le Canada est le premier pays en passe de se retirer complètement de la FIAS, une coalition de 39 pays. Nous pensons que nous avons un peu contourné le problème avec la commission Manley, où on a recommandé à peu près les mêmes choses que nous.
Parmi nos membres fondateurs figurent l'honorable John Fraser, Flora MacDonald, ancienne ministre, et Iona Campagnolo, ancienne ministre libérale pour le gouvernement fédéral et ancienne lieutenante-gouverneure de la Colombie-Britannique. Le comité comprend maintenant Grant Kippen, ancien président de la Commission des plaintes électorales en Afghanistan, et Eileen Olexiuk, ancienne numéro deux à l'ambassade de Kaboul, qui a comparu devant le Comité spécial sur la mission canadienne en Afghanistan, il y a deux ou trois semaines.
Dans les derniers mois, nous nous sommes réunis avec le même sentiment d'urgence, parce que nous approchons de 2011 et que selon nous, il n'y a pas la moindre discussion convenable, au Canada, concernant ce que nous pourrions faire.
La présidente : Je vous remercie d'avoir accepté notre invitation et d'entamer les discussions que le comité aura sur la question au cours des prochaines semaines et des prochains mois.
Le sénateur Dallaire : En ce qui a trait au développement, à l'aide humanitaire et à la présence des Nations Unies en Afghanistan, croyez-vous que les organes de l'ONU, comme le Programme des Nations Unies pour le développement, le PNUD, pourraient commencer à prendre des responsabilités qu'assumaient jusqu'à présent des organismes humanitaires et des ONG, ou est-il trop tôt pour cela?
M. Glavin : Je présume que dans différents domaines, ce genre de chose arrivera beaucoup plus tôt qu'on ne peut l'imaginer et que dans d'autres, il faudra beaucoup de temps.
Jusqu'à présent, le travail de développement rural accompli dans le cadre du PNUD est assez impressionnant. Je pense que les responsables de ce programme considèrent que c'est leur plus grande réussite. Nous avons, en effet, des idées à propos de la contribution des organes de l'ONU, du travail fait dans le cadre de la MANUA et de ce que les organismes internationaux tentent d'accomplir en général.
À ce sujet, les personnes que nous avons consultées et bien des responsables de haut niveau sur le terrain ont constaté que si nous ne prenons pas certaines précautions dans nos interventions, nous pouvons faire plus de tort qu'autre chose. C'est ce qui arrive quand des ONG et des organismes internationaux prennent la place des jeunes Afghans les plus compétents au gouvernement. Environ 80 p. 100 du financement pour le développement et l'aide humanitaire ne va pas directement dans le fonds d'affectation spécial pour la reconstruction de l'Afghanistan — qui est le principal moyen de distribuer l'argent —, ce qui peut empirer la situation.
Il est très important de renforcer la fonction publique afghane pour que les gens se prennent en main et que les ministères fonctionnent comme il se doit, et ce, dès que possible. À partir de là, nous ne voulons vraiment pas nous immiscer dans les discussions.
Le sénateur Dallaire : C'est une chose de laisser tomber la préparation des bataillons qu'on déploie sur le terrain — c'est ce que nous faisons à la Sierra Leone et dans d'autres pays —, mais c'en est une autre d'améliorer les organisations — la fonction publique, l'armée ou la police — et de créer un corps d'officiers, de sous-officiers ou de police qui a un code de valeurs et d'éthique pour poursuivre l'encadrement des formateurs et ainsi de suite. C'en est encore une autre de renoncer à ce projet. Selon vous, n'avons-nous fait que tergiverser sur le plan tactique au lieu de changer la nature fondamentale de ces forces?
M. Glavin : En effet, je crois que c'est une conception parfaitement raisonnable des difficultés qui se présentent. Nous avons souvent entendu dire par toutes sortes de gens que ces choses prennent du temps, qu'elles doivent être faites partout au pays et que la meilleure chose que nous pourrions faire pour améliorer la sécurité en Afghanistan est de développer les capacités des Forces de sécurité nationale afghanes. Cela prend bien sûr beaucoup plus de temps que nous ne l'avions imaginé.
Pour la résolution de mars 2008, qui stipule que la date de fin de la mission est 2011, on avait présumé que les Forces canadiennes seraient remplacées par des kandaks de l'Armée nationale afghane et ainsi de suite. Cela dit, il est difficile de former ces bataillons. Par quel moyen peut-on enseigner à des gens comment s'occuper d'un groupe de véhicules militaires tout-terrains s'ils ne savent pas compter au-delà de 20 ni lire?
La formation prend beaucoup de temps. Toutefois, si je peux me permettre, je pense que le rôle des Forces canadiennes — c'est ce que tout le monde nous a dit — explique en grande partie pourquoi le Canada a une occasion unique, parmi les pays membres de la FIAS, d'apporter une contribution très importante à la souveraineté d'une république démocratique afghane. Même s'il n'y a que 2 800 soldats canadiens dans ce pays, les Afghans comprennent que si ce n'était pas de nos soldats, nous aurions perdu Kandahar, puis Uruzgan et Helmand; nous aurions aussi perdu la confiance des Pachtounes et peut-être même tout l'Afghanistan.
Nous avons maîtrisé la situation grâce aux Forces canadiennes et de la dignité avec laquelle elles se sont comportées. Même si on commet des erreurs, on se relève et on n'abandonne pas. Le Canada est respecté en Afghanistan. La contribution des soldats canadiens y est pour quelque chose. Des gens à qui nous avons parlé, personne ne veut que les Forces canadiennes se retirent complètement de l'Afghanistan.
Les gens commencent à comprendre que notre armée est, contre toute attente, petite et qu'elle a déjà assuré plusieurs rotations. Toutefois, au Comité de solidarité Canada-Afghanistan, nous espérons que les parlementaires examineront la possibilité de soutenir l'Afghanistan de diverses manières dont on n'a pas vraiment parlé. Nous avons l'occasion d'apporter une énorme contribution grâce à la réputation de notre pays, acquise par le travail des Forces canadiennes à Kandahar.
Le sénateur Dallaire : Une possibilité est que nous maintenions là-bas des gens très doués qui se concentrent sur les stratégies. L'OTAN offre une formation assez substantielle et un programme de développement, dirigé par un Britannique. Un Canadien, qui porte deux étoiles sur ses épaulettes, a aussi contribué à la formation.
Nous pourrions également garder une capacité d'intervention appréciable, construire des écoles, les équiper, fournir des outils pédagogiques et ainsi de suite. Une autre possibilité est de faire ce que nous avons fait concernant les pays de l'Est à la fin de la guerre froide. Nous avons accueilli beaucoup de ressortissants de ces pays dans nos écoles, au Canada, où ils ont suivi toutes sortes de programmes, allant de cours de langues à des cours de métiers.
Que diraient les Afghans d'aller dans un autre pays pour prendre des cours qui dureraient facilement de un an à un an et demi?
M. Glavin : Je dois renvoyer ce genre de question à des gens comme vous qui ont des compétences dans le domaine militaire. Nous avons assez creusé la question des forces armées. Nous avons une position similaire à celle des participants de la Conférence des associations de la Défense. Dernièrement, on parle davantage de mettre en œuvre un genre de programme national de formation des officiers. Nous n'y voyons aucun inconvénient.
Nous nous attendons à une réduction très importante en 2011de l'effort militaire que le Canada consacre en Afghanistan. Toutefois, cela ne veut pas dire pour autant que nous ne pourrons pas fournir une aide extrêmement utile en formation. On a fait des suggestions plutôt convaincantes à propos du maintien d'une partie de la Force aérienne. L'idée de continuer à donner de la formation dans le cadre du programme de l'ELMO pour améliorer les capacités de la FOI 2 et des gens qui analysent le contexte humain et anthropologique a soulevé beaucoup d'enthousiasme — bien que je ne sache pas si c'est convaincant sur le plan politique. Cela pourrait donner des résultats remarquables dans le Sud.
Même si nous avons été d'ardents défenseurs de la mission militaire, nous n'avons rien à redire contre la proposition de ramener les soldats à la maison et de modifier l'objectif militaire global.
Le sénateur Segal : Je veux remercier M. Glavin pour le travail que le Comité de solidarité Canada-Afghanistan a effectué. Il est souvent difficile de tenir des discussions sur ces sujets en dehors de la sphère parlementaire. Par nature, peu importe les bonnes intentions, les parlementaires sont influencés par d'autres circonstances qui ne sont peut-être pas liées à la grande question de l'Afghanistan.
Tout le monde semble se référer à la résolution de 2008. Selon moi, la résolution paraît sans ambiguïté en ce qui a trait au combat à Kandahar. Selon ce que les deux partis principaux à la Chambre des communes ont négocié, je présume, l'objet de la résolution est clair. Je présume qu'on n'y fait pas de généralisation parce que les gens des deux partis étaient d'avis que les circonstances sur le terrain pourraient changer.
Selon les travaux effectués par votre organisation, savez-vous pourquoi cette proposition, qui ne concerne que le combat à Kandahar, semble justifier le retrait de toutes les troupes, quel que soit leur apport — sur le plan des stratégies, de l'aide humanitaire, de la sécurité ou de la formation? Je relis la résolution et je me demande si quelque chose m'a échappé. Ces choses sont peut-être trop complexes pour moi, qui viens de la campagne ontarienne. Pouvez- vous nous aider à ce sujet?
M. Glavin : Personnellement, je me demande si vous pouvez m'expliquer pourquoi on n'a pas tenu des discussions dans la sphère parlementaire dont vous avez parlé. C'est ce qui est le plus incompréhensible, selon moi.
La présidente : Nous pouvons vous éclairer.
M. Glavin : C'est excellent; je suis très heureux que le comité se penche sur la question.
Je comprends qu'on soit perplexe. Nous avons vécu la même chose. À notre avis, on semble généralement présumer que le retrait de Kandahar signifie que le Canada a accompli sa mission et qu'il n'a plus de responsabilité sur le plan militaire.
Depuis mars 2008, la situation n'est plus du tout la même. La résolution est fondée sur des hypothèses qui n'ont plus leur place. La bonne nouvelle est qu'il n'y a jamais eu autant de soldats américains dans le sud de l'Afghanistan. Le genre de soutien militaire que nous avons apporté n'est plus nécessaire dans cette région.
Sans parler du libellé de la résolution, les gens ne se sont pas concentrés sur les six priorités de la participation du Canada en Afghanistan : la sécurité, la sécurité aux frontières, l'aide humanitaire, le développement, les institutions nationales et la réconciliation. Nous ne savons pas si le Canada va continuer de faire quelque chose après 2011. Nous sommes en terrain inconnu. Je ne veux pas paraître mesquin, mais je vous rappelle que le gouvernement a dit qu'il laisserait les parlementaires décider. Ces gens ont demandé au Comité spécial sur la mission canadienne en Afghanistan de mettre de l'ordre dans le dossier. D'un côté, le comité ne fera rien à moins que le gouvernement participe au processus. De l'autre, le gouvernement est blâmé chaque fois qu'il s'intéresse à la question.
On tourne en rond et aucun Canadien ne comprend tout à fait la façon dont le Canada se retire de l'Afghanistan, je crois. Je ne comprends pas moi-même et, pourtant, je m'intéresse particulièrement à cette question. La situation empêche totalement les responsables des ONG et de l'ACDI de planifier des activités. Tous nos alliés afghans se demandent ce qui arrive au Canada. Où sommes-nous passés? C'est un sentiment très troublant à percevoir en Afghanistan.
L'Afghanistan Compact prend fin en 2011. Regardez les principaux pays qui contribuent à la FIAS, formée de 43 États. Il y a trois choses qui rendent le Canada unique. Premièrement, nous n'avons pas d'histoire de conquête étrangère. Nous ne sommes pas vus comme une puissance impérialiste.
Sénateur Banks : Sauf par certains universitaires.
M. Glavin : C'est exact. En Afghanistan, les gens en savent plus sur le Canada que les universitaires dont vous parlez.
Deuxièmement, le Canada n'est responsable d'aucun des conflits découlant de la guerre froide qui ont laissé ce pays à l'agonie. Nous n'avons jamais tourné les talons; nous n'avons jamais abandonné l'Afghanistan. Nous n'avons rien à voir avec les difficultés que connaissent les Moudjahidins. Enfin, le Canada est une démocratie.
Il y a trois choses qui jouent en notre faveur. On nous connait surtout pour le travail des Forces canadiennes en Afghanistan. Nous sommes dans une classe à part parmi les pays qui prêtent assistance aux Afghans dans la lutte pour la mise en place d'une démocratie embryonnaire.
Concernant la manière dont nous voyons l'Afghanistan, vous savez que je viens du milieu journalistique. Imaginez si tout ce qu'on savait du Canada, on l'avait appris par trois ou quatre reporters qui passent leurs soirées à l'arrière d'une camionnette de police dans le Dowtown Eastside de Vancouver. Je ne veux pas critiquer les correspondants qui travaillent avec l'armée, en passant. Ces journalistes méritent le respect, car ils sont courageux et ils triment dur.
Toutefois, il n'y a jamais plus de trois ou quatre journalistes dans ce pays. Cependant, l'Afghanistan compte 34 provinces. On ne voit pas, comme à Téhéran, les gens courir dans les rues dans le cadre d'un mouvement pour la démocratie. Néanmoins, ce mouvement existe partout en Afghanistan.
Nous avons parlé à tout le monde, de Burhanuddin Rabbani, ancien président, khan de tous les chefs de guerre et dirigeant de l'Alliance du Nord, jusqu'à des jeunes députées féministes, en passant par des journalistes, des médecins, des professeurs et Abdullah Abdullah. Tous étaient très clairs sur un point : depuis 2006, une douzaine de sondages réalisés en Afghanistan montrent que la population souhaite avoir un régime démocratique. Les Afghans veulent désespérément que s'applique la primauté du droit. Ils espèrent avoir la capacité de changer de gouvernement grâce à un processus électoral clair, juste et transparent. Enfin, ils veulent à tout prix s'exprimer librement et être traités sur un pied d'égalité.
La bataille qu'ils livrent, les risques qu'ils prennent et les sacrifices qu'ils consentent pour la démocratie ont de quoi vous époustoufler. Les Afghans ont toutefois besoin d'un appareil démocratique. Il leur faut arriver à comprendre comment toutes les pièces s'emboîtent. Nous tenons ces choses pour acquises : le bref électoral est émis; trois ou quatre mois plus tard, des dizaines de milliers de Canadiens ont rempli leur devoir de citoyen, et nous changeons de gouvernement. On n'en est pas encore là en Afghanistan.
La culture de la démocratie est en émergence dans ce pays. C'est encore un sujet extrêmement délicat. Les Américains craignent de s'en mêler. Personne n'a suffisamment confiance en l'Iran pour lui confier cette tâche; personne autour de cette table ne devrait faire confiance aux Iraniens lorsqu'il est question de l'Afghanistan. Les Afghans croient que les Canadiens peuvent s'en charger. C'est le travail le plus important à accomplir là-bas.
Les aléas de l'histoire ont créé cette situation particulière où le Canada hérite de cette onéreuse responsabilité qui est en même temps une possibilité remarquable. Je vous prie donc de m'excuser si vous sentez un peu de frustration dans ma voix. L'échéance de 2011 approche à grands pas et l'effort diplomatique à déployer est une excellente occasion pour le Canada de contribuer à la cause afghane, une cause pour laquelle, soit dit en passant, plusieurs de nos soldats ont donné leur vie.
Ces soldats ne sont pas morts pour que nous laissions l'Afghanistan à la merci de négociations sordides entre Islamabad, Téhéran et Washington. Nous ne pouvons pas ressusciter nos soldats, mais nous pouvons nous assurer qu'ils ne sont pas morts pour rien.
Il est intéressant de noter que le Canada peut accomplir cela à une fraction du coût d'une mission militaire de guerre, et je ne vois pas pourquoi nous nous priverions de cette possibilité.
Le sénateur Lang : Merci beaucoup. Je tiens à féliciter le témoin pour son exposé et ses commentaires tout aussi réfléchis que passionnés. Je dois d'abord vous dire qu'il est très agréable pour moi en tant que Canadien d'entendre des observations en ce sens au sujet de nos forces armées, surtout dans le contexte des débats qui ont cours quotidiennement. C'est certes une bonne chose que les Canadiens puissent prendre connaissance de l'envers de la médaille relativement à nos actions dans un pays qui a beaucoup besoin d'aide.
J'ai deux questions. Ma première concerne le retrait des forces en 2011. Votre organisation a déclaré que le groupe de combat devrait rentrer au Canada, mais vous estimez par ailleurs que nous avons de toute évidence un important rôle à jouer. Si le Canada devait décider de conserver une certaine présence militaire sur place, la verriez-vous encore jouer un rôle d'encadrement, en plus de la formation, ou devrait-elle se limiter à l'un de ces aspects?
M. Glavin : J'aimerais que le Canada puisse pendant un certain temps encadrer les Forces américaines. Je sais que cela peut paraître étrange, mais vous constaterez que les Forces américaines se tournent effectivement vers le Canada pour obtenir de l'orientation et du leadership à Kandahar. Nous avons tendance à oublier que le brigadier-général Ménard a maintenant sous ses ordres un plus grand nombre de soldats américains que de soldats canadiens, si je ne m'abuse. C'est nous qui avons le plus d'ancienneté dans ce pays.
On parle de la base aérienne de Kandahar comme s'il s'agissait d'une simple petite bande d'atterrissage en plein désert, mais c'est une véritable ville comptant plus de 30 000 personnes. Au cœur de cette population, on retrouve 2 800 soldats canadiens. Je crois que les soldats canadiens sont en moyenne 10 ans plus âgés que leurs homologues américains. Nous connaissons le pays. Les gens nous font confiance.
Je ne suis pas un militaire. Je ne viens pas du secteur militaire, ce qui fait que j'hésite à formuler des recommandations. Cependant, le comité peut compter sur certains militaires, et j'estime que vous avez été très bien informés par des gens qui comprennent bien les questions militaires.
Nous avons quelques suggestions précises quant au maintien sur place d'une certaine capacité militaire, et je ne suis pas convaincu que les Canadiens seraient contre cette idée. Selon un récent sondage, les deux tiers des Canadiens croient que leur pays devrait poursuivre ses efforts en Afghanistan; le Canada devrait assurément demeurer présent sur place pour terminer son travail et tenir ses promesses.
Il y a une autre différence entre Canadiens et Américains. Lorsque de jeunes soldats américains doivent être ramenés au pays dans un cercueil, l'avion atterrit très discrètement sur une base militaire et les proches sont laissés à eux-mêmes avec leur peine. Lorsqu'un soldat canadien perd la vie, nous organisons un grand convoi sur l'artère principale de la plus grande ville du pays. Nous prenons ces choses très au sérieux.
Dans ce contexte, il est extrêmement ardu de faire valoir les nombreuses victoires accumulées par ces soldats pour nos amis afghans comme pour le Canada. Il est difficile d'établir un lien direct de cause à effet entre la mort d'un soldat et une jeune fille qui apprend à écrire son nom pour la première fois, mais ce lien existe vraiment.
C'est la façon dont nous voulons présenter la situation. Comme je le disais, mon approche est celle d'un journaliste et d'un auteur. J'essaie de comprendre comment le débat en est venu à déraper à ce point sur la plupart des tribunes canadiennes.
Nous avons formulé des recommandations pour que l'ACDI en fasse bien davantage pour s'assurer que les Canadiens comprennent ce que nous faisons en Afghanistan. Les ONG qui bénéficient de notre financement accomplissent un travail formidable. La plupart d'entre elles obtiennent des résultats extraordinaires. Il faut toutefois inciter ces ONG à consentir un effort supplémentaire pour faire mieux connaître leurs activités aux Canadiens.
Je ne sais plus trop où je voulais en venir avec tout cela, mais je peux vous dire que nous avons des suggestions très précises quant aux contributions que les Forces canadiennes pourraient continuer à apporter. Nous mettons toutefois l'accent sur l'alphabétisation, la littérature, les bibliothèques, les institutions embryonnaires de la démocratie afghane, l'appareil électoral et l'émergence d'une culture démocratique dans l'espace créé par les Forces canadiennes et bien d'autres soldats de bien d'autres pays.
Le sénateur Lang : J'aimerais aborder un autre aspect. Je crois que vous avez entendu le témoin précédent qui parlait de la faiblesse de la fonction publique du gouvernement national. C'est sans doute une source de préoccupations pour vous et pour quiconque s'intéresse à ce qui se passe en Afghanistan.
Il a recommandé que nous changions notre approche auprès du gouvernement afghan pour mieux l'aider à se doter d'une solide fonction publique apte à offrir les programmes gouvernementaux de façon appropriée.
Avez-vous des commentaires à ce sujet?
M. Glavin : Oui. Il va de soi que nos observations vont dans le sens de celles du colonel Capstick. Nous avons d'ailleurs consulté le colonel lorsque nous étions à Kaboul.
Il accomplit un travail vraiment exceptionnel. Je ne saurais trop vous vanter sa contribution. C'est exactement le genre d'effort que nous devons déployer. Nous nous sommes d'ailleurs demandé s'il ne convenait pas de produire un rapport distinct sur le type de régime de développement économique qu'il s'emploie à établir, car il nous était totalement impossible d'en traiter de façon appropriée dans ce rapport-ci.
Nous avons pu constater — et beaucoup de gens nous en ont parlé — que l'on peut faire parfois plus de tort que de bien, si l'on ne fait pas attention. Il est inutile et ridicule d'envoyer tout cet argent en Afghanistan, de déléguer un groupe d'expatriés et de voir tous ces jeunes gens merveilleux qui iront au ciel après avoir trouvé la mort en roulant aux environs de Kaboul, d'Herat ou de Jalalabad dans ces convois de VUS blancs fortement blindés.
Il faut investir dans l'établissement d'un véritable État afghan. Nous préconisons un partenariat à tous les niveaux, surtout avec les ministères de l'Éducation et de l'Enseignement supérieur. Nous pourrions contribuer de bien des façons à la formation de la fonction publique, et il serait bon de commencer par ne pas faire comme si cette fonction publique n'existait pas.
Le ministère des Finances commence à faire les choses correctement. Nous entendons beaucoup parler de corruption, mais il faut se rappeler que seulement 20 p. 100 des fonds d'aide qui vont à l'Afghanistan se rendent effectivement jusqu'à l'État afghan. S'il y a corruption, on ne peut pas blâmer uniquement la bureaucratie afghane.
Il y a de la corruption dans ce pays à tous les niveaux. Dans la plupart des cas, c'est moins crapuleux que vous pourriez l'imaginer. C'est un problème complexe et il y a tout lieu de surveiller de près la façon dont le citoyen afghan ordinaire peut en souffrir.
Nos recommandations concernant la fonction publique ciblent tout particulièrement la formation des enseignants, la qualité des manuels, la saine administration des districts scolaires et l'établissement de solides partenariats avec les hautes instances de l'éducation. Le pays a besoin de citoyens alphabétisés et il ne suffit pas pour ce faire de donner à chacun un livre à lire. Il faut rétablir et revitaliser le patrimoine culturel et littéraire afghan de telle sorte que les citoyens alphabétisés parlant le dari et le pachtou aient accès à toute la richesse de la littérature afghane d'hier et d'aujourd'hui qui est publiée par des Afghans, mais pas à Téhéran.
C'est l'un des gros problèmes. De plus en plus, du point de vue de la sécurité nationale, nous devons admettre que nos plus grandes craintes viennent non pas d'Islamabad ni de la province du Nord-Ouest, mais bien de Téhéran. Nous n'avons pas prêté suffisamment attention à l'Iran, car nous considérons qu'il s'agit d'une puissance discrète. Si nous n'accomplissons pas ce travail, les Iraniens vont s'en charger. Ils investissent déjà beaucoup dans la formation des enseignants et les manuels scolaires. Cette campagne s'étend aussi loin que le Tadjikistan, où l'on passe de l'alphabet cyrillique à l'inscription en farsi. C'est Téhéran qui est derrière tout cela. L'endroit le plus étincelant à Kaboul est le complexe mosquée-madrasa de Mohammad Asif Mohseni, ayatollah de Téhéran en Afghanistan. Ce n'est pas la direction que souhaitent prendre les Afghans, ou dans laquelle ils veulent être dirigés, pas plus que celle qui devrait guider selon eux la formation de leurs enseignants.
Ou bien nous les appuyons dans cette prise de position, ou bien nous les laissons à eux-mêmes.
Le sénateur Lang : Pourquoi entendons-nous si rarement parler de ce genre de choses? Vivons-nous dans une bulle? On a l'impression que ces informations ne sont jamais communiquées.
M. Glavin : En ma qualité de journaliste, je peux vous dire que les communications à ce sujet sont extrêmement déficientes. C'est principalement dû au fait que l'on parle de l'implication des Iraniens presque seulement lorsqu'on découvre qu'un engin explosif artisanal semble avoir été fabriqué en Iran. Il y a aussi des reportages sur des gardes révolutionnaires iraniens qui fournissent des armes au Hezb-i-Islami ou à d'autres groupes. Cette notion de pouvoir discret nous a incités à prêter très peu d'attention à ces autres éléments. Il en est très peu question dans les médias anglophones. Bon nombre de nos membres parlent le dari et peuvent lire les inscriptions en farsi, ce qui nous a permis de commencer à traduire davantage à partir du farsi.
Il est important de s'employer à établir une culture solide de la démocratie pour aider les Afghans qui y travaillent déjà à faire en sorte que leur palais présidentiel leur rende des comptes, à assurer l'élection en bonne et due forme des députés, à administrer sainement les conseils provinciaux et à développer une culture et une littérature des concepts démocratiques. Il y a actuellement une autoroute à sens unique à 12 voies allant de Téhéran à Kaboul qui est congestionnée par les idées et la propagande iranienne quant à l'avenir de l'Afghanistan. Cela touche 60 p. 100 de la population afghane qui parle les différents dialectes du farsi. Dans une large mesure, il nous est possible de renverser le sens de cette circulation.
Dans le cadre d'un projet mené conjointement avec d'autres pays membres de l'International Communications Consultants Organization, une zone de libre-échange en pleine émergence en Asie centrale, les Iraniens veulent créer une société de radiodiffusion multinationale. Ce projet sérieux inquiète énormément bon nombre de nos amis afghans. Ils souhaitent participer au dialogue et aux débats avec leurs amis iraniens, mais ils ne veulent pas que ce soit Téhéran qui contrôle et surveille les échanges.
Le sénateur Banks : Pourriez-vous nous expliquer brièvement ce que vous vouliez dire en parlant du travail anthropologique que devrait effectuer dans le sud la Deuxième Force opérationnelle interarmées?
M. Glavin : Il est difficile de parler du travail de cette force.
Le sénateur Banks : Nous savons un peu en quoi cela consiste, mais je ne comprends pas l'expression « travail anthropologique ».
M. Glavin : L'analyse du terreau humain, la nouvelle expression à la mode ces jours-ci, vise à mieux comprendre à qui nous avons affaire, notamment pour ce qui est des structures des tribus et des relations entre elles.
La présidente : « Connaître son ennemi », comme on disait autrefois.
M. Glavin : Il faut aussi « Connaître ses amis ». La culture politique de toute la ceinture pachtoune est difficile à pénétrer et à saisir.
L'une des grandes difficultés — et les Forces canadiennes l'admettront franchement — est que nous nous retrouvons dans le Sud dans la position inconfortable de devoir empêcher les talibans de prendre le pouvoir sans toutefois savoir quel type de régime nous défendons. Cette situation est à l'origine de graves complications. Un député afghan a déclaré que le problème pourrait être réglé demain matin si l'on bombardait la résidence du président Karzai. Nous avons bien sûr dû expliquer que nous ne pouvions pas procéder de cette manière.
Le sénateur Banks : Les choses ne sont pas aussi simples.
M. Glavin : Il y a passablement de sympathie à Kandahar pour une partie de ce mouvement d'insurrection parce qu'on le croit animé non pas par la doctrine talibane, mais bien par une animosité justifiable envers les groupes qui ont bénéficié du régime dans la plus grande portion de la région sud. La situation est pénible pour les soldats canadiens qui s'emploient à élargir la portée et le champ d'application de la démocratie, alors que certains ont parfois l'impression que leur travail sert plutôt à étendre la portée et le champ d'application du gangstérisme.
Le sénateur Banks : Le problème auquel nous sommes confrontés a débuté, dans une certaine mesure, après que les États-Unis ont donné un coup de main pour l'expulsion des éléments perturbateurs. L'Afghanistan a été abandonné et le chaos s'en est suivi. Nous revenons encore à ce sujet. Je dois avouer que je ne suis pas d'accord avec la décision de la Chambre des communes de fixer une échéance, bien que mon parti en soit partiellement responsable. J'essaie de m'imaginer Winston Churchill qui déclarerait : « Nous allons combattre sur les plages et dans les airs jusqu'en juin 1942, après quoi nous verrons. » Nous avons choisi une façon de procéder qui n'a jamais été entièrement et clairement expliquée aux Canadiens par l'un ou l'autre des trois premiers ministres sous l'égide desquels ces opérations ont été menées.
J'aimerais savoir quelles ont été vos pistes de réflexion. Si cette décision parlementaire de choisir une date à laquelle notre travail devrait être terminé — ce que je considère comme absurde — n'avait pas été prise, votre rapport serait-il différent? Est-ce que vous y recommandez une ligne de conduite en considérant que cette décision a bel et bien été prise et que nous ne pouvons rien y faire? Si l'on n'avait pas décidé d'agir ainsi, je suppose que votre rapport aurait été rédigé différemment. Est-ce que je me trompe?
M. Glavin : Je pense que je vois où vous voulez en venir. Nous avons soumis un nombre considérable de recommandations au groupe d'experts de M. Manley. Même à ce moment-là, l'échéance de 2011 devait être prise en compte. Il ne faut pas oublier que c'est en 2011 que prendra fin le pacte de l'Afghanistan.
Nous avons notamment recommandé le maintien de l'effort canadien. Nous étions d'avis qu'il faudrait procéder en 2011 à un examen approfondi de nos activités en Afghanistan. Nous devrions alors consulter nos alliés et prendre le temps de bien évaluer comment les choses se sont déroulées, comment les différents participants et signataires du pacte de l'Afghanistan se sont acquitté de leurs responsabilités respectives, et décider à ce moment-là de la suite des événements.
L'interprétation qu'on en a faite, peut-être en raison du libellé utilisé, était que nous allions poursuivre notre travail jusqu'en 2011, après quoi nous quitterions le pays. Il se trouve que les Forces canadiennes sont au bout de leurs ressources. Je ne crois pas que vous pourriez percevoir du côté militaire beaucoup d'intérêt à poursuivre le rôle de combat en Afghanistan.
Il y a aussi le fait que le déploiement d'une force brute qui était nécessaire et que nous avons assuré à notre modeste façon avec nos 2 800 soldats est maintenant pris en charge depuis l'élection de Barrak Obama. Au moins, les États- Unis s'intéressent à la situation. Est-ce que je vous ai aidé à y voir plus clair?
Le sénateur Banks : Oui. Merci.
Le sénateur Nolin : Je suis à la page 3 du résumé de votre rapport concernant les talibans. Vous formulez une suggestion intéressante au troisième point vignette. Vous indiquez qu'une nouvelle politique canadienne en matière de réconciliation menée par les Afghans devrait stipuler que toute négociation avec les groupes armés illégaux, plus particulièrement les diverses factions talibanes, et ainsi de suite. Pourriez-vous nous en dire davantage?
M. Glavin : On en revient encore à la question de l'abandon. Ce qu'on ne nous dit jamais à propos de l'Afghanistan, c'est que la simple idée de négocier avec les talibans suscite une terreur absolue chez la population.
Le sénateur Nolin : Pourquoi le président Karzai s'entête-t-il à en parler?
M. Glavin : Je ne le sais pas. Et c'est intéressant d'ailleurs. Il ne faut pas s'imaginer que les relations de cause à effet sont unidirectionnelles.
Mettez-vous à la place du président Karzai une minute. Que feriez-vous si vous saviez que les Canadiens, les Américains et les Britanniques allaient se retirer du Sud du pays d'ici 2011? Que feriez-vous pour assurer la présence d'une sorte de relève? Comment feriez-vous pour sauver votre propre peau, puisque votre base politique est probablement la plus chauvine de la société pachtoune, de laquelle sont issus les talibans? Vous auriez peut-être tendance à vouloir concocter un accord quelconque.
Personnellement, je crois que si nous pouvions témoigner davantage notre engagement à demeurer aux côtés de la population afghane jusqu'à ce qu'elle soit en mesure de tenir les rennes elle-même, la situation serait probablement très différente aujourd'hui. C'est un peu... Je cherche le mot exact. C'est presque exponentiel. Plus le président Karzai semble vouloir apaiser ou accommoder le chauvinisme pachtoune extrêmement conservateur, plus les Américains ont l'impression qu'il essaie de forger un accord quelconque ou de négocier avec les talibans. Et plus les Américains nourrissent cette impression, plus le président Karzai penche pour cette solution.
Le sénateur Nolin : Vous recommandez une organisation dirigée par les Afghans, pas le gouvernement. Est-ce exact?
M. Glavin : Non, je ne vois pas le président Karzai se rendre à Islamabad ou à Riyad pour négocier une sorte d'entente avec d'autres intervenants en arrière-plan.
Concernant la réconciliation nationale, Christopher Alexander a rédigé un document merveilleux intitulé Ending the Agony : Seven Moves to Stabilize Afghanistan.
Le sénateur Nolin : Parlez-vous de notre ancien ambassadeur?
M. Glavin : Oui. Je recommande aux membres du comité de lire ce document. Il est parvenu à adopter une position très ferme par rapport à la question de la justice transitionnelle, c'est-à-dire de mettre fin à l'impunité et de mettre en place un processus adéquat. Il a aussi pensé à un mécanisme unique permettant de négocier, en quelque sorte, avec les talibans si ceux-ci étaient prêts à le faire, ce qui m'étonnerait beaucoup.
Tout ce que je peux vous dire, c'est que tous ceux à qui nous avons parlé étaient unanimes : il est utopique de penser que l'on pourra négocier une entente avec les talibans. D'aucune façon les talibans ne sont intéressés à négocier quoi que ce soit avec vous, à part peut-être votre mort. Leur djihãd va à l'encontre de la raison, alors « bonne chance » si vous voulez raisonner avec eux.
Parallèlement, cette idée d'écarter des commandants de bas niveau, des personnes impliquées dans la sédition pour les raisons que j'ai décrites plus tôt, sans nécessairement être associées au mouvement du talibanisme, fait bien des adeptes. Tout cela est très compliqué.
Il faut toutefois comprendre que cette réalité fait ombre à une certaine forme d'identité pachtoune. Les Pachtounes forment un peuple formidable. En fait, le mouvement pro-démocratie le plus fort et le mieux organisé entre Delhi et Téhéran se trouve à Pashtoonkhwa, dans la province frontalière au nord-ouest et dans les zones tribales administrées par l'État, moins en Afghanistan parce qu'ils ont un peu la possibilité de voter maintenant. Le Parti national Awami, le Parti Milli Awami et quelques autres partis qui sont pro-démocratie et pro-FIAS sont aussi pachtounes. C'est un phénomène pachtoune.
Ce qu'on craint surtout lorsque le président Karzai parle de négocier avec les talibans, c'est qu'il veuille conclure un accord extra-constitutionnel qui viendrait déposséder les Pachtounes de cette vieille prérogative qu'ils ont de gouverner l'Afghanistan. Les Tadjiks, les Ouzbeks et les Hazaras sont particulièrement terrifiés de cette possibilité, surtout les femmes et les démocrates.
Nous pensons que s'il est urgent d'agir, nous devons le faire de façon ouverte et transparente, et cette intervention ne peut pas être menée uniquement par le cabinet du président. Il faut mettre à partie la Cour suprême de l'Afghanistan, le Parlement et la Commission indépendante des droits de la personne en Afghanistan, et le groupe d'intervention devra aussi répondre de la FIAS.
Pour ce qui est d'avoir peur d'empiéter sur la souveraineté afghane et de penser que tout doit être dirigé par le peuple afghan, tout le monde nous a dit d'arrêter d'être aussi polis. La souveraineté afghane repose sur un rapport triangulaire entre la communauté internationale, le peuple afghan et l'État afghan. Tout le monde nous a dit que nous devrions intervenir davantage pour nous assurer que le gouvernement rend des comptes à la population. C'est à ce niveau que le Canada peut jouer un rôle très important. Comme je l'ai dit, nous avons un avantage que personne d'autre n'a. Et c'est un avantage qui s'avère particulièrement utile pour ce qui est de la réconciliation. La réconciliation est l'une des six priorités établies par le Canada pour sa mission en Afghanistan.
Si l'on évalue objectivement cette politique, en fonction des objectifs repères du Canada pour cette priorité qu'est la réconciliation, on constate qu'aucun indicateur de progrès n'a été rempli. Rien n'a été bâti à partir des bases de référence politiques; nous ne sommes même pas près d'atteindre un seul des objectifs; aucun résultat n'a encore été obtenu. En voici un exemple : en août 2008, on a constaté que le gouvernement afghan avait de la difficulté à transmettre de l'information sur ses programmes, ses politiques et ses objectifs en ce qui a trait à la réconciliation nationale. En février 2010, le palais présidentiel n'avait même pas fait part de ses plans au Parlement afghan. Le président afghan avait parlé de « paix à tout prix ».
Comme je l'ai dit, nous devons nous rappeler que ces rapports de cause à effet vont dans les deux sens. Il faut se mettre dans les souliers de Karzai. Il peut bien être inquiet si les Britanniques, les Français, les Japonais, les Canadiens et les Américains lui donnent l'impression que tout cela ne va pas durer, qu'à cause de la crise économique, et de l'opinion publique peu favorable à l'égard de cette mission, nous allons bientôt les laisser à eux-mêmes. C'est pour cette raison qu'il réagit de la sorte.
Il faut aussi penser que personne ne prend la défense de toutes ces personnes instruites de la société afghane. Le Canada peut jouer un rôle dans la réconciliation en s'assurant que nos amis afghans n'aient pas l'impression qu'on leur plante des couteaux dans le dos. Quelqu'un doit prendre leur défense.
La présidente : Notre temps est écoulé et il nous reste deux questions, alors je vous prierais d'être bref.
Le sénateur Nolin : Merci beaucoup. Il est rafraîchissant de voir autant d'enthousiasme ici, à Ottawa.
Le sénateur Pépin : Merci de votre présence, et je dois dire que vous avez déjà répondu à ma question. Dans des articles parus récemment, vous affirmiez qu'Ottawa n'avait pas de politique concernant l'Afghanistan. Toutefois, en consultant votre rapport que nous venons de recevoir et en vous écoutant aujourd'hui, je pense que vous voudrez peut- être ajouter quelque chose sur ce que devrait être la politique d'Ottawa sur l'Afghanistan. Par contre, il suffit de consulter le document et de vous écouter pour avoir une bonne idée de la voie que le gouvernement canadien devrait emprunter selon vous.
La présidente : Nous allons essayer de déposer ce rapport. On doit au préalable le faire traduire, mais il fera ensuite partie de notre documentation.
M. Glavin : Nous n'avions pas terminé la traduction de notre rapport. Je suis désolé.
Le sénateur Nolin : Qu'allons-nous perdre si nous n'agissons pas de cette façon?
M. Glavin : Nous allons perdre notre honneur. Je ne sais pas. Comment peut-on mettre un prix sur les promesses brisées faites à toutes les familles qui ont perdu des soldats dans cette mission?
Le sénateur Meighen : Le gorille de 80 livres dont nous n'avons pas encore parlé, c'est le trafic de l'opium. Il faut tenir compte de son influence sur la société afghane et des répercussions qu'il a sur nous qui tentons d'éloigner la population des talibans, parce qu'ils ont plus d'argent que nous, c'est ce que l'on pourrait croire parfois, grâce au pavot. Autant que je sache, nous n'avons pas pu établir un plan global crédible et efficace pour remplacer la culture du pavot par une autre culture tout aussi lucrative. Il est encore controversé d'utiliser le pavot à des fins médicales.
D'après ce que vous avez observé et ce que vous savez du pays, avez-vous une idée de la façon dont nous pourrions remédier à la situation?
M. Glavin : Nous assisterons à des décapitations, à l'explosion de bombes artisanales et à des attentats-suicide tant qu'il y aura une narco-économie dans ce pays. Le talibanisme est essentiellement un phénomène lié au narco-terrorisme.
Pour ce qui est de l'opium, nous faisons l'erreur de croire que c'est en fait ce que veulent les Afghans. Ce n'est pourtant pas le cas.
Ce qui complique notamment les choses, c'est que le gouvernement afghan n'est pas particulièrement intéressé à soutenir le développement de médicaments opiacés, et ce, pour différentes raisons. Tout d'abord, beaucoup voient la chose comme étant profondément choquante à l'égard du Coran. Aussi, on déploie de grands efforts pour établir une base agricole au pays. Il faut des infrastructures pour cultiver des produits comme le blé, l'amande ou le raisin, et la moindre supposition que le gouvernement va financer la culture d'opium pourrait décourager les nombreux agriculteurs qui vivent dans la pauvreté de prendre les risques associés aux initiatives visant à rétablir des économies agricoles légales. Finalement, vous pouvez mettre en place le plus sophistiqué des programmes et voir à ce que le gouvernement achète l'opium à prix fort, mais au moment des récoltes, il y aura toujours ce type au turban noir qui va menacer les agriculteurs de tuer leurs enfants s'ils osent encore une fois vendre l'opium à quelqu'un d'autre que lui.
Le sénateur Meighen : On nous a dit qu'un agriculteur pourrait peut-être choisir de cultiver des plants de pavot dans deux champs séparés, un pour vendre ses récoltes au gros prix au gouvernement, et un autre pour les talibans. Il produirait ainsi deux fois plus qu'avant.
M. Glavin : En effet, et ce n'est pas mon intention.
La présidente : Je sais que vous pouvez répondre à la prochaine question en moins de 30 secondes, parce que vous êtes journaliste de métier. Dites-moi, pourquoi les médias ne couvrent-ils pas cette histoire?
M. Glavin : Parce qu'il n'y en a tout simplement plus. C'est à peine s'il reste un média de masse, un média national dans ce pays.
Et c'est en grande partie attribuable à de simples problèmes d'assurance. Je travaille à la pige. Quand je vais en Afghanistan, je passe peu de temps derrière les barbelés. La sécurité ne pose pas de problème pour moi. Je vais où je veux, j'entre où je veux. Si vous êtes rédacteur en chef, voulez-vous prendre le risque de dépêcher un reporter à Paktika pendant un certain temps? Ce n'est pas évident.
Le discours sur l'Afghanistan dans ce pays est devenu stérile et personne n'y porte plus vraiment attention. Il nous faut réorienter le débat et ne pas voir 2011 comme la fin de quelque chose, mais comme le début d'une autre mission. La nature des discussions doit absolument changer. Si nous pouvions en apprendre davantage sur les Afghans et entendre ce qu'ils ont à dire, je pense que les discours entendus au Canada seraient beaucoup moins infantilisants.
Soit dit en passant, en juin 2008, ce comité a produit un excellent rapport qui traitait directement de cette problématique, et nous citons précisément vos conclusions dans notre rapport sur l'infantilisation du débat au Canada. Merci pour le travail que vous faites pour faire monter d'un cran le débat dans ce pays. Je ne peux vous dire à quel point nous l'apprécions.
La présidente : Monsieur Glavin, merci beaucoup d'être venu témoigner devant nous aujourd'hui.
Notre prochain témoin est le brigadier-général Jonathan Vance. Il a été commandant de la Force opérationnelle interarmées en Afghanistan, de février à novembre 2009, pour pratiquement toutes les Forces canadiennes de ce pays, qui sont basées à l'aéroport de Kandahar, dans la ville de Kandahar et à Kaboul. Auparavant, il a été commandant du 1er Groupe-brigade mécanisé du Canada à Edmonton, d'août 2006 à 2008. Le général Vance a joint les rangs des Forces canadiennes en 1982, et il mène depuis une distinguée carrière militaire. Depuis son retour de l'Afghanistan, il tâche de partager sa vision de la situation, et c'est ce qu'il fera aujourd'hui.
Il n'a pas terminé de servir son pays. On a annoncé le mois dernier que le général Vance allait bientôt assumer de nouvelles fonctions au quartier général du MDN ici, à Ottawa, à titre de directeur général, Capacité de la force terrestre.
Bienvenue à cette première audience sur le Canada et l'Afghanistan, et sur ce qui va se passer après 2011. Merci beaucoup d'avoir accepté notre invitation.
Brigadier-général Jonathan Vance, ancien commandant de la Force opérationnelle interarmées en Afghanistan, Défense nationale : Bonsoir, honorables sénateurs, et merci de m'avoir invité à comparaître devant vous.
Je suis rentré de mon commandement en Afghanistan avec un sentiment de grande humilité et de profonde reconnaissance envers tous les Canadiens, militaires et civils qui servent là-bas, et les Canadiens ici au pays pour leur appui inébranlable à l'endroit de nos soldats, marins et aviateurs, hommes et femmes.
Je limiterai mes remarques préliminaires à un seul point que j'aimerais vous communiquer : selon moi, le Canada, ses alliés et la communauté internationale sont actuellement en passe de devenir très productifs, et même de façon plus manifeste, en Afghanistan au cours des 18 prochains mois.
L'année 2009, l'année où j'ai assumé le commandement, en fut une de transition. Nous sommes passés d'une mission qui manquait de ressources internationales et qui avait de la difficulté à appliquer des techniques efficaces de contre- insurrection en raison du nombre relativement faible de soldats sur le terrain, à une mission marquée par une présence militaire et civile accrue qui pouvait utiliser les meilleures pratiques de contre-insurrection. Cet environnement respecte et renforce les objectifs nationaux du Canada en Afghanistan, et remplit largement les conditions que le Canada avait jugé nécessaires pour appuyer un engagement militaire entre 2009 et 2011, ce qui est tout à fait conforme aux conclusions du groupe d'experts sur l'Afghanistan.
Je crois que le Canada a mérité un rôle de leadership dans ce nouvel environnement à Kandahar grâce à la qualité de nos troupes, à notre aptitude à appliquer la doctrine de contre-insurrection et à notre capacité de commander et de contrôler des forces alliées, y compris des forces américaines. L'esprit et les détails du rapport de la Commission nous ont été utiles alors que nous entreprenions d'importantes transitions dans l'environnement renouvelé de la FIAS. Des transitions qui visent notamment à ce que les effets civils appropriés se fassent sentir. On a dénoté une certaine prescience à bien des égards.
Nous apprenons tous les jours en Afghanistan et, à mon avis, nous avons fait beaucoup de chemin pour comprendre comment mener toute la gamme des opérations dans un environnement aussi complexe. Nos alliés ont appris eux aussi. Je crois que nous, au sein de la communauté internationale, faisons notre part et sommes productifs, mais il reste à voir combien il faudra de temps au peuple afghan et à son gouvernement pour en tirer pleinement avantage.
La présidente : J'aimerais mettre l'accent sur ce point et que vous nous en disiez davantage à ce sujet. D'après les témoignages d'aujourd'hui et selon d'autres sources, nous avons accompli beaucoup au niveau militaire, et l'engagement des troupes alliées dans cette dernière opération de contre-insurrection le démontre bien. S'il reste du chemin à faire, c'est du côté de nos partenaires afghans.
Bgén Vance : C'est exactement de cette façon que je décrirais la situation. À la différence d'une guerre linéaire où les armes suffisent pour contrer la résistance, dans une opération de contre-insurrection, il n'est pas possible de recourir uniquement aux armes ou aux effets militaires pour changer fondamentalement l'environnement. Je l'ai déjà dit, mais les techniques de contre-insurrection visent à rétablir les tissus sociaux, politiques et économiques des collectivités, de façon à ce qu'elles se forgent une résistance aux effets coercitifs de l'insurrection.
C'est particulièrement important à Kandahar, parce que ce n'est pas un mouvement qui a pris naissance là-bas. C'est un mouvement exporté du Pakistan et soutenu de cette façon. Une partie de la population de Kandahar a des visées idéologiques. D'après ce que j'ai vu, j'estimerais qu'il est question d'environ 5 p. 100 de la population. D'autres ont parlé de 10 p. 100. Quoi qu'il en soit, la grande majorité des gens sont tout simplement tenus en otages.
Dans un tel contexte, il faut des troupes nombreuses, qu'il s'agisse de forces militaires ou policières (une combinaison d'intervenants internationaux et locaux), pour assurer une présence suffisamment rassurante pour que les joueurs internationaux et nationaux veuillent entreprendre des activités de développement, et qu'on puisse ainsi rétablir le tissu économique du pays. À moins de se sentir en sécurité, personne ne veut abandonner la quiétude de son refuge ou même s'engager dans des processus de réadaptation. Par exemple, le personnel des Nations Unies ne sort pas de son enceinte si on ne lui fournit pas un élément de sécurité.
Dans cet environnement, peu importe ce que fait la communauté internationale, par exemple lorsqu'elle donne à la population locale un sentiment de stabilité, c'est sans importance à moins que les gens puissent voir que leur gouvernement est bel et bien à leur service plutôt que de se contenter d'être présent par procuration. Les gens doivent voir leur gouvernement agir, sinon ils ne constateront qu'un changement en surface. L'enjeu est plus important que la simple prestation de services. La population veut un gouvernement qui œuvre dans l'intérêt général, conformément à la vision que vous et moi avons d'un gouvernement normal. Les Afghans ont exactement le même désir. Ils ont des modèles légèrement différents et vivent dans un contexte culturel légèrement différent, mais ils exigent que leur gouvernement se comporte en toute équité, qu'il soit présent et qu'il offre aux gens la possibilité de bien vivre et d'améliorer constamment leurs conditions de vie.
Si le gouvernement afghan est incapable de se montrer à la hauteur, que ce soit le régime actuel ou un éventuel futur régime, je pense qu'il y a un vrai problème. Mon analyse n'est pas différente de celle de n'importe quel chef militaire commandant actuellement des troupes en Afghanistan ou en ayant déjà commandé.
Le sénateur Dallaire : Général, nous nous trouvons dans une nouvelle ère de résolution des conflits depuis 20 ans. Nous avons été présents dans des États en déroute et sur la scène de diverses catastrophes, ce qui nous a permis d'y puiser de l'expérience.
Nous avons en outre traversé des difficultés importantes dans la sphère politique. En général, sur les autres scènes de ce pays, les militaires sont aux commandes de la mission. Ce sont les militaires qui dirigent la mission en Afghanistan. Les autres organes gouvernementaux n'ont ni l'occasion de faire leur travail, ni les ressources pour y arriver.
Nous en sommes à un point où les diplomates, les bâtisseurs de nation, les travailleurs humanitaires, les artisans du développement et les forces de sécurité, policières ou militaires, doivent trouver un moyen de collaborer pour appliquer des solutions en profondeur. Par exemple, tandis que vous établissez la sécurité, d'autres doivent s'efforcer de doter le pays d'un système de gouvernance. Pendant que certains construisent des infrastructures, d'autres doivent s'employer à établir un minimum de stabilité au sein de la population en général.
Pensez-vous que les fonctionnaires canadiens de l'ACDI et du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international qui sont sur le terrain ont la formation nécessaire pour collaborer étroitement avec les forces de sécurité en vue d'amener les changements importants qui sont souhaités à l'endroit où on les a affectés, c'est-à-dire pour donner à la population un sentiment de sécurité et pour donner suite à leur engagement de faciliter le développement et la saine gouvernance dans les zones de conflit? Avant que vous répondiez, je vous fais remarquer que, de l'avis général, le système employé par le gouvernement du Canada ne permet pas aux fonctionnaires canadiens de faire pleinement leur travail à cause des problèmes de sécurité.
Bgén Vance : C'est une très bonne question. Elle porte sur le dossier qui m'a probablement le plus occupé. En tant que commandant, j'ai essayé de voir à ce que l'équipe puisse s'implanter sur le terrain, en Afghanistan, de manière à obtenir les effets voulus.
Il est faux de voir cette mission comme si elle était soit militaire, soit civile, c'est-à-dire comme si elle commençait par des opérations militaires, puis devenait civile. C'est une façon contre-productive d'envisager les choses. La mission n'est pas linéaire.
Je crois que la doctrine anti-insurrectionnelle la plus efficace est celle qui préconise le recours simultané à des moyens civils et militaires, sur un territoire où c'est faisable. Si on manque de personnel, militaire ou civil, on se contente du territoire d'une province. Si c'est encore trop grand pour le personnel disponible, on se contente d'un district. Si c'est encore trop grand, on se limite à un sous-district ou un village.
Nous pouvons certainement obtenir les effets escomptés en Afghanistan depuis 2009. Auparavant, nous n'y arrivions pas au degré que nous souhaitions parce qu'il manquait de personnel militaire sur le terrain.
Nous nous appuyons sur la prémisse voulant que la lutte anti-insurrectionnelle exige conjointement des moyens civils et militaires de la part de tous les partenaires, afghans et étrangers, sans qu'un groupe donné ait à mettre ces moyens en œuvre à un moment déterminé. Par exemple, dans un village qui se remet d'un conflit, des moyens civils seront déployés par des militaires, par exemple les mesures humanitaires immédiates visant à rétablir l'approvisionnement en eau, qui fait partie des nécessités de la vie.
Cependant, à mesure que l'environnement s'améliore, il devient plus stable grâce à la coopération entre de nombreux acteurs. Alors, de plus en plus de moyens civils peuvent être mis en œuvre par des acteurs civils, qu'ils soient issus de l'Afghanistan, des États étrangers ou des ONG, et c'est vital puisqu'il en résulte un environnement qui se renforce lui-même.
Je crois que les civils canadiens possèdent une formation tout à fait adéquate pour faire le travail que l'on attend d'eux lorsque le moment est venu pour eux d'intervenir. Pendant que j'étais en Afghanistan, des civils travaillaient à l'échelle du district. Ils habitaient avec les soldats pendant des périodes prolongées, dans les agglomérations du district, et exerçaient le rôle de mentors auprès des dirigeants du district. Ils accompagnaient occasionnellement des patrouilles pour se rendre dans des environnements relativement inoffensifs. Ils se déplaçaient avec les militaires.
Il s'agissait ainsi de permettre à des civils de consolider la stabilisation une fois qu'avait commencé à se répandre l'influence stabilisatrice. Les forces militaires et les officiers chargés de la coopération civilo-militaire sont habitués de gagner immédiatement la confiance de la population locale pour lui montrer que nous ne sommes pas là simplement pour combattre.
Pour conclure, je vous dirais que je ne souscris pas à l'idée que les militaires se bornent à assurer la sécurité, alors que les autres s'occupent de tout le reste. Je ne suis pas d'accord avec les gens qui voient la guerre de cette façon, parce que la guerre n'est pas linéaire. Si les militaires se contentaient d'assurer ce qu'on appelle la sécurité, il n'y aurait pas de sécurité, car la sécurité par les armes n'est pas la sécurité, mais bien la défense armée.
Par conséquent, il ne fallait pas nous limiter à la défense armée, mais nous employer à stabiliser l'environnement à l'échelle locale. Et la stabilisation commence à se concrétiser uniquement lorsque la population locale que l'on veut servir se met à participer. C'est le cas, par exemple, lorsque la population nous signale la présence d'engins explosifs improvisés. Les gens comprennent qu'il y va de l'intérêt de leur collectivité.
Nous essayions de réduire au minimum la fenêtre de l'intervention exclusivement militaire, avec des moyens exclusivement militaires. Cette fenêtre était d'une durée allant de quelques heures seulement à peut-être deux ou trois jours. Puis, nous commencions à mettre en œuvre les moyens civils, et la défense armée avait de moins en moins d'importance.
Le sénateur Dallaire : Ma question provenait de l'idée qu'il n'existe plus de généraux ou de troupes possédant uniquement des capacités de combat. Nous avons besoin de militaires qui ont des compétences dans plusieurs disciplines et qui sont capables de s'intégrer aux activités d'autres disciplines, de manière à ce qu'ensemble, les gens puissent trouver des solutions.
Les fonctionnaires canadiens sont-ils protégés? S'ils sont blessés, par exemple, ont-ils la formation nécessaire pour fonctionner dans le cadre militaire? Faisons-nous assez d'efforts à l'école de guerre, à Toronto, pour apprendre les autres disciplines et pour collaborer de manière intégrée avec les gens de ces disciplines?
Bgén Vance : Je crois que la formation des civils de l'ACDI, du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, de la GRC ainsi que du Service correctionnel du Canada s'améliore chaque année. Nous leur permettons de se familiariser de mieux en mieux avec le travail et la mission des militaires. J'ai eu le plaisir de faire un peu de mentorat et j'ai eu une discussion avec le prochain représentant civil du Canada à Kandahar, Ken Lewis. Il était à Fort Irwin, en Californie, pour toute la durée de l'exercice Maple Guardian. Je lui ai expliqué pendant trois heures comment je voyais son rôle dans la province de Kandahar, puisque je venais tout juste de travailler là-bas. M. Lewis était accompagné de toute une cohorte de civils lorsqu'il m'a rejoint à Wainwright, pour l'exercice Maple Guardian. On voit de plus en plus des cohortes annuelles de civils se joindre à leurs collègues militaires.
Il ne fait aucun doute que les militaires doivent conserver leur capacité à se battre. Le jour où un groupe de combat attaque un objectif militaire, tout se passe strictement sur le plan militaire. De tels jours arrivent de plus en plus rarement à mesure que l'environnement évolue et se prête à la lutte anti-insurrectionnelle. Il y aura encore des moments où les armes parleront seules, en particulier lorsqu'on cherchera à étendre l'influence.
Quoi qu'il en soit, je suis d'avis que les civils étaient adéquatement formés. En fait, ce qui est le plus intéressant à leur sujet, c'est leur capacité de remise en question. Ils ne sont pas trop endoctrinés, alors ils sont capables de prendre du recul. On se demande quelle importance de jeunes fonctionnaires canadiens du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international peuvent bien accorder aux affaires municipales en Afghanistan, eux qui ont de l'expérience sur la scène internationale et qui sont formés pour œuvrer dans les capitales, avec les pays et sur la scène mondiale. Or, ils attachent une grande importance à ces affaires parce qu'ils sont intelligents et dévoués, et leurs qualités sont mises à contribution.
Je n'essaie pas d'enjoliver le portrait. Les difficultés sont nombreuses, mais les civils ont bien travaillé avec leurs collègues militaires.
Le sénateur Dallaire : Enfin, ne croyez-vous pas que nous devrions établir des programmes de formation et de perfectionnement en bonne et due forme pour préparer les fonctionnaires, les militaires et les forces de sécurité à œuvrer ensemble et à utiliser de nouveaux concepts faisant davantage appel à la prévention dans les États en déroute, où nous allons encore nous trouver à intervenir en plein conflit? Ainsi, nous pourrons compter sur notre propre personnel pour appliquer une doctrine plus multidisciplinaire au lieu d'espérer que des renforts compétents se joignent à nous.
Bgén Vance : Je suis le produit d'un environnement multidisciplinaire. La doctrine anti-insurrectionnelle est multidisciplinaire par sa nature même. Je suis un produit du système d'écoles de guerre et de collèges militaires des Forces canadiennes, qui forme des gens capables de travailler avec de nombreux acteurs. Par exemple, j'ai acquis de l'expérience dans les Balkans. Nous savons, ne serait-ce que par ce qu'on nous enseigne, qu'il faut davantage que des uniformes, fondamentalement, pour changer un environnement, qu'il s'agisse d'une guerre linéaire ou d'une guerre anti- insurrectionnelle. Je ne pense pas que nous formions notre personnel sur le tas. La formation est conçue à dessein pour être multidisciplinaire.
Nous pouvons faire mieux. Nous devons prendre du recul devant ce que nous avons fait et voir les choses non seulement dans la perspective du ministère de la Défense nationale, mais aussi dans la perspective des autres ministères. Nous devons tous gagner le maximum d'expérience puisqu'à l'avenir, il est probable que, dans le cadre du maintien de la sécurité, nous nous heurterons à des États en déroute qui constitueront des dangers.
Le sénateur Lang : J'aimerais jeter un regard prospectif sur la question de la sécurité. Tenons pour acquis que le Parlement décide de retirer les troupes canadiennes de l'Afghanistan. Vous avez parlé de l'importance de combiner civils et militaires, par exemple à Kandahar, pour y bâtir un environnement sécuritaire et établir, au sein de la population, les liens de confiance qui sont essentiels.
Le Canada sera-t-il encore capable de fournir de l'aide humanitaire dans cette partie du monde sans qu'une force militaire assure la sécurité des gens qui apportent cette aide?
Bgén Vance : Oui, bien entendu. Les forces armées, les civils et les ONG issus de la communauté internationale seront présents après 2011 en Afghanistan aux côtés de leurs partenaires afghans. Je ne sais pas comment l'ACDI et le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international ont prévu d'y arriver avec leurs programmes, mais c'est absolument faisable. J'ignore simplement comment ils comptent faire la transition concrètement après 2011. Je ne pense pas que ce soit déjà précisé.
De nombreux pays contribuent à améliorer les conditions de vie à Kandahar sans avoir de soldats sur le terrain. C'est le cas de l'Inde notamment. L'Inde et le Japon font d'importants investissements humanitaires à Kandahar. On n'a pas besoin d'avoir ses propres troupes là-bas. Il s'agit simplement que des moyens militaires soient présents.
À mes yeux, ce sont les moyens sur place qui sont importants, et non leur provenance. Tant que les moyens sont suffisants pour obtenir les résultats voulus, on peut poursuivre le travail sur le terrain. Les forces militaires et policières afghanes et étrangères peuvent assurer la sécurité nécessaire pour que les autres acteurs mettent en œuvre leurs moyens même si le Canada ne fait pas partie de ces forces après 2011. Les États-Unis ont beaucoup augmenté le nombre de civils qu'ils déploient dans le Sud de l'Afghanistan, et en particulier à Kandahar.
Il n'est pas de mon ressort de déterminer comment on va s'y prendre. Je ne sais pas ce qui va se produire, mais je suis convaincu que l'environnement sera très productif. Les soldats qui iront remplacer les soldats canadiens en Afghanistan feront leur travail pour maintenir un environnement stable.
Le sénateur Lang : Autrement dit, le Canada comptera sur quelqu'un d'autre, comme les États-Unis, et non sur ses propres moyens, pour maintenir la sécurité, n'est-ce pas?
Bgén Vance : Oui. Il est raisonnable de s'attendre à ce que les Afghans eux-mêmes assurent la sécurité, de concert avec les États-Unis et d'autres pays.
Je ne suis pas un expert des dépenses de développement du Canada. Cependant, je crois qu'environ la moitié de l'argent est dépensé dans la province de Kandahar et l'autre moitié, dans le reste du pays. Ce sont les soldats d'autres pays qui permettent au Canada de faire des contributions hors de la province de Kandahar par l'intermédiaire de l'ACDI. Par conséquent, il n'est pas nécessaire d'envoyer ses propres soldats sur le terrain pour y avoir l'effet voulu.
Le sénateur Banks : Comme l'a souligné tout à l'heure une personne du Sud de l'Ontario, la motion adoptée par le Parlement indique que le Canada changera de rôle en Afghanistan, à partir de 2011, et qu'il ne participera plus aux combats dans la province de Kandahar. Je crois qu'on envisage ainsi d'autres contributions de la part du Canada et d'autres utilisations de ses ressources.
J'aimerais que vous nous donniez l'heure juste, car vous avez été sur le terrain beaucoup plus récemment que la plupart d'entre nous. Il est vrai que toutes ces autres activités sont importantes et que les gens doivent avoir l'impression que le gouvernement est à leur service si l'on veut que la lutte anti-insurrectionnelle soit efficace. Cependant, le premier devoir de l'État est de protéger ses citoyens. Comme vous le dites, des moyens militaires doivent être présents, d'une manière ou d'une autre. Nous avons tous entendu des opinions diverses sur le développement de l'armée nationale afghane et, ce qui est plus important encore à certains égards, sur le développement de la police nationale afghane. Vous avez été en contact direct avec ce qui se passe. Pourriez-vous nous mettre au courant des derniers développements? Les choses avancent-elles?
Bgén Vance : La participation de la communauté internationale à la construction de l'armée nationale afghane sera jugée par les historiens comme une grande réussite. Les États-Unis ont assumé le premier rôle. Depuis le début, on a consacré beaucoup de ressources à cette entreprise. L'armée nationale afghane, qui avait déjà un certain poids au pays en tant qu'institution, a profité des conseils de mentors de la communauté internationale depuis le bas de la pyramide jusqu'au sommet. L'utilisation de l'argent a été contrôlée, et des opérations ont eu lieu, notamment pour former les gens. Par exemple, une brigade de Kandahar qui n'avait qu'un seul bataillon pouvant être qualifié d'opérationnel a largement atteint aujourd'hui le jalon de capacité le plus élevé qu'on lui avait fixé comme objectif. Deux de ses bataillons se trouvent au jalon de capacité 1, et d'autres bataillons sont sur le point d'y arriver. Ils sont composés de soldats motivés, bien entraînés et dotés d'un nouvel équipement.
Je pense qu'avec le recul du temps, nous pourrons être fiers du travail accompli, même si, actuellement, il n'est pas encore terminé. Il reste beaucoup de chemin à parcourir pour que l'armée nationale afghane soit totalement autosuffisante. Elle n'a pas encore la capacité de produire son propre corps d'officiers au moyen d'un collège militaire. Nous devons aider les Afghans dans leur effort de guerre en ce qui a trait à la formation de leurs capitaines, de leurs majors et de leurs colonels. Il faut du temps pour y parvenir. Je ne sais pas quand on prévoit arriver à cet objectif.
À l'échelle locale, les Afghans sont de plus en plus capables d'engager le combat militairement ou d'effectuer des opérations anti-insurrectionnelles. Présentement, ils n'en sont pas capables entièrement seuls. Je vais être franc : ils ne sont pas encore capables de gérer les outils dont disposent les forces occidentales. Leur pays n'a pas ces outils et, même s'il les avait, ils ne connaissent pas encore tous les détails de la gestion de ces outils. Il faut du temps pour savoir gérer des jets, des véhicules aériens sans pilote, des pièces d'artillerie, et ainsi de suite. Ils sont en train d'apprendre et font de bons progrès.
Sans ces outils, l'ennemi se trouve pratiquement sur un pied d'égalité. Il possède le même armement et peut envoyer n'importe quand un nombre égal de combattants sur le terrain. Nous sommes en mesure de fournir à l'armée nationale afghane l'avantage dont elle a besoin pour agir de la façon la plus chirurgicale et précise qui soit, de manière à ce qu'elle ne soit pas obligée d'anéantir le paysage.
Avec le recul des années, le cas de la police nationale afghane ne sera pas considéré tout à fait de la même manière. Au départ, la direction n'avait pas les ressources nécessaires à sa disposition. Je ne veux lancer la pierre à personne, mais les ressources nécessaires n'ont pas été au rendez-vous.
Le sénateur Nolin : L'Union européenne devait s'en charger.
Bgén Vance : La tâche était peut-être beaucoup plus considérable qu'on l'avait cru à l'origine. L'institution était en piteux état, y compris le moral des policiers, qui est un facteur vital. À de nombreux endroits au pays, ce sont des moudjahidines qui portent l'uniforme. La police est encore imprégnée des vestiges de la vieille structure des seigneurs de guerre.
À mon avis, nous sommes sur la bonne voie. Qu'est-ce qui me permet de dire cela? La FIAS assume un rôle de leadership. Les frais de fonctionnement de la police sont couverts par le Fonds d'affectation spéciale pour l'ordre public en Afghanistan et le Fonds global de sécurité. Des pays fournissent de l'aide financière. Des programmes de mentorat voient le jour au niveau local. Des personnes extraordinaires, comme le commissaire adjoint Graham Muir, s'affairent à dresser des plans modèles prévoyant un encadrement logistique pour les policiers, et ainsi de suite. Des progrès, quoique lents, commencent à être enregistrés. Il est plus facile, mais plus long, de former un soldat d'infanterie qu'un agent de police. J'ai toutefois assisté à plusieurs cérémonies de remise de diplômes. Les nouvelles recrues sont motivées; elles savent ce qu'elles doivent faire. Je suis convaincu que les connaissances de base sont là, que les rouages de la communauté internationale sont en place et que nous allons observer des améliorations avec le temps.
Nous devons surveiller la situation de près, car les forces de police sont souvent le reflet des maux du pays. Confrontée à la corruption, aux seigneurs de guerre, au chômage, la meilleure force policière ou armée au monde ne saura épauler le gouvernement si elle n'est pas utilisée de manière adéquate ou efficace. Si le Canada, par exemple, était aux prises avec une insurrection, une opération multidisciplinaire englobant plusieurs ministères serait lancée, et le gouvernement contrôlerait et dirigerait attentivement les actions des forces militaires et policières. Nous en avons fait l'expérience lors de la crise du FLQ et des événements d'Oka. Le gouvernement doit être présent.
Il faut établir des ponts entre le pouvoir afghan et les forces de sécurité. Tous les ministères du gouvernement manquent de capacités; toutefois, ils souhaitent ou désirent s'améliorer. Les cols blancs en Afghanistan, ceux qui sont capables de transformer des idées en action, ont été tués ou ont quitté le pays. Il y a d'excellents ministres qui veulent faire mieux, mais les leviers, les rapports avec les forces de l'ordre restent très tendus. La communauté internationale peut jouer un rôle clé à cet égard en les aidant à reprendre les choses en main. Combien de temps faut-il pour former un fonctionnaire capable de diriger un commissariat de police? Il faut du temps et de l'argent. L'objectif ici n'est pas de reproduire une copie conforme de la fonction publique canadienne. Il faut tenir compte des différences culturelles. Il serait facile de s'inspirer d'un moule unique, mais ce n'est pas ce que nous cherchons à faire.
Le sénateur Banks : Est-il raisonnable de fixer une date pour la fin de cette mission?
Bgén Vance : Je suis mal placé pour répondre à la question. Je n'ai vu qu'une petite partie du pays. Je ne saurais vous le dire.
Le sénateur Day : Je pense que le sénateur a essayé de vous tendre un piège. Vous avez bien fait de répondre comme vous l'avez fait.
Bgén Vance : Je suis d'accord.
Le sénateur Day : Concernant les équipes de liaison et de mentorat opérationnel, les ELMO, et la formation des Afghans, vous avez dit qu'il faut « suivre l'argent à la trace ». Lors de notre voyage en Afghanistan, nous avons appris que les Afghans n'étaient pas rémunérés régulièrement. Ils ne sont pas payés comme il se doit. Dans certaines régions, les équipes provinciales de reconstruction ont commencé à leur envoyer de l'argent et de l'équipement adéquat. Est-ce que la situation a évolué? Existe-t-il une source centrale de financement?
Bgén Vance : Faites-vous allusion à l'Armée nationale afghane ou à la Police nationale afghane?
Le sénateur Day : La situation de la Police nationale afghane était plus grave, mais l'Armée nationale afghane a connu, à un moment donné, les mêmes difficultés. Les ELMO se sont chargés de régler le problème.
Bgén Vance : En 2009, l'Armée nationale afghane était rémunérée adéquatement. Des incitatifs étaient versés à ceux qui acceptaient d'être déployés dans le Sud. Les incitatifs ont été supprimés pendant une très courte période, ce qui a causé des problèmes à l'armée. Ils ont été réintroduits. L'indemnité était accordée aux soldats prêts à être envoyés dans le Sud.
Le sénateur Day : Est-ce que l'argent est fourni par le gouvernement national?
Bgén Vance : Oui. Les membres de l'Armée nationale afghane sont bien rémunérés. L'armée s'est dotée de politiques touchant la logistique, les effectifs, les congés, la discipline. Le salaire versé est adéquat. Je sais que la force policière a eu des problèmes de rémunération et de logistique, mais pas l'armée. Les policiers sur le terrain n'étaient pas payés régulièrement. Seulement certains l'étaient.
Comme le régime est grandement influencé par les seigneurs de guerre, il se peut que la recrue qui se présente au travail, au commissariat, soit, ou pas, rémunérée. Cela dépend du chef de police en poste. Or, ces problèmes ont tendance à disparaître quand on fait du mentorat, qu'on est présent. La situation s'est grandement améliorée à Kandahar, suite à l'arrivée du 97e Bataillon de la police militaire de l'armée américaine. C'est moi qui en assumais le contrôle tactique. Les membres du bataillon ont été répartis en petits groupes et chargés d'encadrer et d'accompagner leurs collègues de la Police nationale afghane. Le jeune lieutenant ou sergent pouvait ainsi discuter avec le chef de police et lui demander s'il avait payé ses soldats.
De nombreux efforts ont été déployés par le Commandement de la transition conjointe de la sécurité en Afghanistan, le CTCS-A, pour faire en sorte que les policiers, ou soldats comme ils aiment s'appeler, touchent leur salaire. Ils ont utilisé tous les moyens à leur disposition, allant des téléphones cellulaires à l'adoption de solutions de rechange, pour éviter la corruption.
J'ai trouvé la formule efficace, sauf qu'on ne faisait que traiter les symptômes. Si l'institution est à ce point pourrie qu'il faut la contourner pour payer des soldats, comment peut-on s'assurer qu'elle va bien utiliser ses effectifs? Ce sont des préoccupations réelles. Comme je l'ai déclaré à maintes reprises, il faut absolument assainir le milieu dans lequel évoluent les policiers. L'administration locale joue un rôle important au sein de la collectivité.
Ces efforts louables doivent être poursuivis par le biais de la Mission de formation de l'OTAN en Afghanistan, la NTM-A. Le major-général Mike J. Ward, un Canadien, est responsable de la formation des policiers, ce qui est très bien. Je suis convaincu que l'alliance va faire sa part.
Le sénateur Day : Je suis content d'apprendre que les choses s'améliorent.
Si vous vous souvenez bien, il y a deux ou trois ans, le comité a proposé que les Forces canadiennes fassent une pause. Certaines personnes soutiennent qu'elles ont besoin d'un temps d'arrêt, en particulier les membres des groupements tactiques et les réservistes, étant donné que l'on compte beaucoup sur eux. À votre avis, est-ce pour cette raison, entre autres, que nous allons mettre fin à notre mission en Afghanistan, en 2011? Est-ce que les forces armées ont besoin d'un temps d'arrêt?
Bgén Vance : À mon avis, aucune politique en ce sens n'a été adoptée et il n'y a personne au sein des Forces canadiennes qui souhaite un temps d'arrêt. Je ne suis pas au courant de l'existence d'un tel besoin. Ce n'est pas à moi à dire si les militaires doivent ou non faire une pause.
Nous avons été présents, en même temps, en Afghanistan, aux Jeux olympiques et en Haïti. Si nous quittons l'Afghanistan, nous pourrons nous occuper de la sécurité aux Jeux olympiques, à Haïti et probablement ailleurs. Je n'ai pas eu l'impression, en tant que commandant, que nous avions désespérément besoin de faire une pause. Il faut continuer d'investir dans tous les secteurs d'activité, et c'est ce qui est en train d'être fait. Je vais pouvoir examiner la question plus en détail dans mon nouveau poste. Je n'en connais pas encore assez pour commenter, mais je crois que le niveau d'investissement est satisfaisant.
J'essaie de vous répondre le plus franchement possible. Je n'ai encore rien entendu au sujet de la nécessité de faire un temps d'arrêt.
Le sénateur Day : Pouvons-nous continuer de compter sur les réservistes toujours plus nombreux que nous en voyons là-bas?
Bgén Vance : Je ne suis pas tout à fait d'accord avec ce que vous dites. Le niveau de participation des réservistes, au sein des forces opérationnelles, a été assez constant au fil des ans. Ils sont entre 300 et 500. Il existe au sein des Forces canadiennes des capacités-créneaux qui leur sont exclusivement destinés. Il faut remonter loin dans le temps pour comprendre cet enjeu. Il y a un comité de surveillance du ministre qui a examiné pendant trois ans la question de la mobilisation au sein des Forces canadiennes. On voulait savoir comment la composition des Forces canadiennes pouvait contribuer à favoriser la mobilisation de ses membres. On avait conclu, à l'époque, qu'il fallait doter les réservistes de certaines capacités. La coopération entre les civils et les militaires, par exemple, est une caractéristique propre à la Réserve. C'est quelque chose de positif. La Réserve est composée de gens très compétents qui ont de grandes connaissances et un certain je-ne-sais-quoi en raison du rôle à la fois militaire et civil qu'ils sont appelés à remplir. Cette capacité est mise à profit et utilisée.
On a peut-être l'impression que les Forces canadiennes comptent de plus en plus sur les réservistes. Or, nous allons toujours avoir besoin d'eux. Nous commençons à les déployer. Pour ce qui est des groupements tactiques, Dieu merci que nous avons de solides effectifs au sein de la Réserve de l'Armée de terre qui sont en mesure de les seconder. Ce n'est pas nécessairement un signe de faiblesse. C'est ainsi que nous sommes organisés. Nous pourrions décider, à un moment donné, que les Forces canadiennes doivent être structurées de manière à pouvoir affecter des réservistes à des opérations soutenues au niveau de la brigade. Nous avons besoin de réservistes, et nous faisons appel à eux.
Inversement, lorsque la mission militaire en Afghanistan va prendre fin en 2011, nous n'aurons plus tellement besoin de réservistes. Ils pourront donc être formés en vue de participer à une autre opération. Les réservistes étaient présents en grand nombre aux Jeux olympiques.
Le sénateur Day : Merci de cette précision.
La présidente : On fait allusion, à l'occasion, au travail du comité. Or, le comité a connu différentes moutures. Je vous demanderais donc de parler des rapports qui ont été produits par les comités antérieurs.
Le sénateur Nolin : Je voudrais revenir à la question du sénateur Banks. Je crois comprendre qu'il est impossible de fixer une date précise. Je présume que ce sera après 2011.
En supposant que les règles d'engagement sont respectées, comment pouvons-nous entreprendre une mission axée sur le mentorat et la formation sans participer à des opérations de combat? Est-ce que l'une exclue l'autre?
Bgén Vance : Cela dépend. Les Forces canadiennes vont quitter en 2011. Quelqu'un d'autre va prendre la relève.
Le sénateur Nolin : Nous pouvons débattre de ce que vous allez faire après 2011, mais la motion de la Chambre des communes ne dit pas que vous allez quitter l'Afghanistan, mais que vous allez cesser de participer à la mission de combat à Kandahar. C'est ce qu'elle précise.
Bgén Vance : La chaîne de commandement a indiqué très clairement que nous allions quitter le pays.
Le sénateur Nolin : C'est pour cela que je pose la question.
Bgén Vance : Vous voulez savoir s'il est possible, en théorie, de participer...
Le sénateur Nolin : Non, pas en théorie. Je veux savoir s'il est possible de remplir un rôle de formateur et de mentor auprès de l'Armée nationale afghane et la Police nationale afghane, ou seulement l'un d'entre eux, sans participer à une mission de combat.
Bgén Vance : Si l'on se concentre uniquement sur Kaboul, il y a des pays qui s'occupent de mettre sur pied le collège d'état-major et d'assurer la formation des recrues de l'armée avant qu'elles ne participent à des opérations. Le Canada figure au nombre de ceux-ci.
Le sénateur Nolin : Vous parlez du volet formation.
Bgén Vance : Nous ne nous occuperons pas de la formation, mais il y a d'autres pays qui pourront le faire. Nous ne pouvons jouer un rôle de mentor, les côtoyer de près tous les jours, sans participer à des opérations.
En fait, les opérations, avec le temps, vont cesser d'être principalement axées sur le combat. Elles vont être davantage orientées vers la sécurité. Il va s'agir de missions à caractère civil. Mais il faut continuer de les accompagner dans leur démarche. Autrement dit, nous ne pouvons pas tenir un rôle de mentor et les laisser se débrouiller. Nous devons les guider. Nous devons participer aux opérations, malgré le risque inhérent que cela présente.
C'est exactement ce que nous faisons maintenant. C'est la tâche que nous remplissons. C'est ce que font les ELMO et ELMOP qui collaborent avec la police. Les équipes agissent comme mentors, elles sont présentes, elles prêtent main- forte, elles participent aux stratégies de développement, à tous les aspects des opérations, y compris les combats.
La présidente : Une partie du problème tient au fait que les mots « formation » et « mentorat » sont souvent utilisés de façon interchangeable. Or, ils ne sont pas interchangeables. Ce sont deux choses différentes.
Bgén Vance : Concernant la formation, il y a des gens qui ne participent pas aux opérations de combat parce qu'ils s'occupent des établissements scolaires, si vous voulez, à Kaboul. Le Canada joue un rôle à ce chapitre. Il participe également au programme de formation intégrée, comme l'appelle les Américains, de l'ELMO, un programme qui englobe tous les domaines d'activité.
Je tiens à clarifier que, pour moi, il est évident que l'ensemble des Forces canadiennes quittera l'Afghanistan, même les militaires qui assument un rôle de formation ou d'encadrement.
J'aimerais ajouter que le seul fait d'être à Kaboul représente un certain risque, outre le risque inhérent aux combats et aux offensives.
Le sénateur Nolin : Nous avons vu ce qui s'est passé avec le contingent français à Kaboul.
Bgén Vance : Tout à fait. Ai-je répondu à votre question?
Le sénateur Nolin : Oui, vous y avez répondu.
Le sénateur Dallaire : J'aimerais clarifier un point. On parle d'entraînement, de formation et de perfectionnement. On peut former un corps d'officiers ou de sous-officiers et assurer son perfectionnement dans les établissements officiels, les académies de sous-officiers, les académies militaires et les collèges d'état-major, sans nécessairement faire partie des capacités de combat. On peut le faire grâce à notre expérience, qui nous rend crédibles aux yeux de ces gens.
La présidente : Pouvez-vous répondre à la question en peu de mots?
Bgén Vance : Oui.
Le sénateur Meighen : J'aimerais poser deux questions qui n'ont aucun lien entre elles. La première porte sur une route de l'autre côté de Ma'sum Ghar que les Afghans construisaient avec l'aide de l'armée canadienne et dont j'ai parlé avec le témoin précédent. Lors d'une visite au début de l'année 2008, je crois, nous avions constaté avec étonnement que les talibans distribuaient des tracts dans lesquels on pouvait lire que quiconque travaillait à la construction de la route en question mettait sa santé en danger. Le projet est-il terminé?
Bgén Vance : Je crois que vous parlez de la route Foster, que l'OTAN a rebaptisée la route Hyena.
La construction de la route suivait son cours. Quelque 400 personnes y travaillaient chaque jour. D'ailleurs, le projet tient toujours. À ce moment-là, nous devions réexaminer le travail d'ingénierie et la participation des Afghans aux projets visant leurs communautés et leurs villes. Je ne crois pas que la construction a beaucoup progressé. Après y avoir travaillé pendant près de la moitié de notre affectation, nous avons réalisé que, malgré la quantité considérable de ressources allouées, la route n'avançait que de 18 pouces par mois, et que cette énergie serait plus efficacement dépensée dans d'autres villes, comme à Panjwaii.
Le sénateur Meighen : Vous parlez de construire des infrastructures dans les villes, comme des magasins ou des puits?
Bgén Vance : C'est exact.
Le sénateur Meighen : C'est dommage.
Bgén Vance : Je suis certain que la route sera terminée un jour ou l'autre. À ce moment-là, on ne voyait plus l'intérêt de la terminer.
Le sénateur Meighen : Ma seconde question n'a rien à voir avec celle que je viens de poser. Puisque vous êtes ici et que nous avons la chance de vous interroger, j'aimerais vous demander ce qui se passe avec le recrutement. Pendant de nombreuses années, nous avons entendu parler de problèmes liés aux métiers spécialisés, des difficultés d'embauche et du manque de formateurs — puisqu'ils étaient tous en Afghanistan, personne ne pouvait former les recrues. Est-ce que les objectifs de recrutement sont atteints? Avons-nous suffisamment de formateurs pour le nombre de recrues? Pourriez-vous nous faire un bilan de la situation?
Bgén Vance : Je ne peux pas vous en dire beaucoup à ce sujet, puisque je n'étais pas au pays. Je sais cependant que nous atteignons toujours nos objectifs de recrutement, et que nous les surpassons même à l'occasion. Dans l'ensemble, il y a encore certains métiers techniques pour lesquels on recrute activement. C'est tout ce que je peux vous dire.
En ce qui concerne la formation, nous avons assez bien réussi. Ce sont des anciens combattants de retour au pays qui forment les haut gradés qui prendront la relève. Nos écoles affichent un bon taux de réussite. Chaque année, on doit relever des défis au chapitre de l'organisation de l'instruction pour que tout se passe bien, mais je crois qu'on s'en sort très bien, comme en témoigne notre réussite.
La présidente : Vous assumerez bientôt vos nouvelles fonctions de Directeur général des capacités de la Force terrestre. En quoi consistera votre travail?
Bgén Vance : En tant que Directeur général — Développement des capacités de la Force terrestre, ou DGDCFT — au sein de l'armée, on dit Chef d'état-major Stratégie — mon travail portera essentiellement sur l'avenir de l'armée. Je serai l'officier d'état-major responsable des quatre piliers stratégiques de l'avenir pour les 5, 10 et 15 prochaines années, des plans d'investissement qui s'y rattachent et de l'équipement de l'armée. En résumé, tout ce qui touche à l'établissement des besoins et à la répartition des ressources humaines nécessaires sera de mon ressort. Je serai responsable de l'infrastructure de l'armée, des transmissions et de la lutte contre les dispositifs explosifs de circonstance.
Finalement, quand on parle des quatre piliers, il est aussi question du budget pour les exercices ultérieurs, des crédits de référence et de la gestion des années-personnes et de la main-d'œuvre. Mon rôle sera donc assez vaste.
La présidente : Nous vous convoquerons de nouveau à ce sujet.
Je vous remercie beaucoup, brigadier-général Jonathan Vance, commandant de la Force opérationnelle interarmées en Afghanistan en 2009, qui assumera bientôt ses nouvelles fonctions de grand penseur de l'avenir de la capacité de notre Force terrestre.
Je remercie tout le monde. La séance est levée.
(La séance est levée.)