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Délibérations du Comité sénatorial permanent de la
Sécurité nationale et de la défense

Fascicule 7 - Témoignages du 4 octobre 2010


OTTAWA, le lundi 4 octobre 2010

Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense se réunit aujourd'hui, à 16 h 5, pour étudier, en vue d'en faire rapport, les politiques de sécurité nationale et de défense du Canada (sujets : la souveraineté et la sécurité de l'Arctique; la situation actuelle et l'avenir de la Réserve des Forces canadiennes).

Le sénateur Pamela Wallin (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Mesdames et messieurs, honorables sénateurs, bienvenue à la treizième réunion du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense de la troisième session de la quarantième législature.

J'ai le plaisir d'accueillir deux nouveaux sénateurs au comité : le sénateur Don Plett, du Manitoba, et le sénateur Dennis Patterson, du Nunavut. J'aimerais aussi souhaiter la bienvenue au sénateur Segal, qui est ici aujourd'hui à titre de visiteur. J'ai cru comprendre que le sénateur Grant Mitchell, de l'Alberta, se joindra aussi au comité.

Le sénateur Dallaire : Madame la présidente, si vous le permettez, le sénateur Mitchell remplace le sénateur Banks. J'aimerais que figurent au compte rendu des remerciements pour l'un des membres fondateurs du comité, qui a quitté ses fonctions. Je remercie le sénateur Banks pour les services rendus au fil des années.

La présidente : Nous en convenons tous. Nous sommes reconnaissants envers le sénateur Banks de son travail acharné au comité.

Aujourd'hui, nous allons nous pencher sur une question qui a retenu l'attention du public au cours de l'été et au début de l'automne. En septembre, un pétrolier s'est échoué au Nunavut. Il s'agit du troisième incident du genre à survenir au cours d'une période de quatre à cinq semaines. À ce moment-là, certains des grands spécialistes canadiens ont dit que les incidents soulignaient l'insuffisance des levés hydrographiques de l'océan Arctique. Certains spécialistes ont dit qu'il s'agit de la question la plus importante en ce qui concerne l'Arctique, ce qui a attiré notre attention. Nous avons décidé de demander aux spécialistes de nous en parler dans le cadre de notre étude sur la souveraineté et la sécurité de l'Arctique.

Nous sommes heureux d'accueillir, du Service hydrographique du Canada, Savithri Narayanan, directrice, hydrographe fédérale; et Dale Nicholson, directeur régional, région du Centre et de l'Arctique. Nous avons demandé à Mme Narayanan de parler des responsabilités de la SHC en matière production de documents précis et à jour — cartes marines et autres renseignements — et de nous dire en quoi cette question influe sur les discussions sur le plateau continental étendu obtenu en vertu de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer.

Savithri Narayanan, hydrographe fédérale, Service hydrographique du Canada : Nous vous remercions de nous donner l'occasion de témoigner devant le comité pour vous parler de l'état de la cartographie marine dans l'Arctique, sujet pour lequel l'intérêt, sur la scène nationale et internationale, ne cesse de croître et qui est de plus en plus soumis à l'examen du public en raison des récents échouements.

Le Canada a le plus long littoral du monde — près de 250 000 km —, qui a été utilisé de façon efficace pour mettre sur pied une économie fondée sur le commerce maritime.

Les cartes marines sont les cartes routières des voies navigables du Canada. Elles indiquent les séparations de voies et les limites pour éviter que des navires dérivent vers des zones dangereuses et, surtout, avertir les navigateurs des dangers cachés. Le Service hydrographique du Canada, le SHC, compte près de 130 ans d'expérience dans le domaine de la création et la mise à niveau d'infrastructures — en vue de soutenir l'économie canadienne —, de la sécurité des navigateurs et de la protection de nos écosystèmes.

Conformément au Règlement sur les cartes marines et les publications nautiques découlant de la Loi sur la marine marchande du Canada et de la Loi sur la prévention de la pollution des eaux arctiques, les navigateurs sont obligés d'utiliser et d'avoir à leur bord les cartes marines et les publications connexes officielles publiées par le Service hydrographique du Canada ou par tout autre organisme dûment agréé. La Convention internationale pour la sauvegarde de la vie en mer (la Convention SOLAS), que le Canada a signée, stipule également que les États côtiers s'engagent à fournir des cartes marines adéquates couvrant leurs eaux à titre d'élément essentiel en matière de sécurité de la navigation. Conformément à la Loi sur les océans, le SHC est chargé des levés hydrographiques, de la production et de la distribution des cartes marines gouvernementales officielles en format papier et électronique, ainsi que de toutes les publications nautiques connexes qui doivent guider les navigateurs.

Le SHC gère un portefeuille cartographique d'environ 950 cartes marines et de 50 publications couvrant les trois océans canadiens, en plus des principales voies navigables intérieures. Le SHC diffuse ses produits auprès des navigateurs par l'intermédiaire d'un réseau de plus de 800 distributeurs répartis dans tout le pays et autour du monde. Malgré les travaux continus du SHC, de nombreuses cartes marines canadiennes contiennent des données acquises avant l'avènement des systèmes de positionnement modernes. Par conséquent, l'utilisation de ces cartes marines comporte des risques lorsqu'on les utilise conjointement avec des systèmes de positionnement très précis comme le GPS.

Dans l'Arctique, au nord du 60e parallèle, le territoire dont le Canada est responsable a une superficie de 7 millions de kilomètres carrés, ce qui représente environ les trois quarts de la superficie de l'Europe. De plus, 47 p. 100 de l'Arctique canadien est submergé et est formé de nombreux chenaux, passages et plates-formes continentales qui, pour répondre aux normes cartographiques modernes, nécessitent une bathymétrie à haute résolution. Il faut ajouter que les glaces et les conditions météorologiques réduisent fortement la fenêtre durant laquelle on peut acquérir des données en Arctique. Pour ces raisons, seulement environ 10 p. 100 de l'Arctique a été levé et cartographié conformément aux méthodes internationales et modernes. Les principales routes de navigation en Arctique sont mieux cartographiées, mais seulement 35 p. 100 de celles-ci répondent aux exigences des normes modernes. En comparaison, de 40 à 50 p. 100 de l'ensemble des voies navigables méridionales du Canada sont cartographiés, dont près de 100 p. 100 des chenaux les plus importants.

Pour pouvoir mettre en œuvre les importants efforts requis en vue de la modernisation des cartes marines canadiennes, le SHC a développé en 2002 un outil cartographique de gestion qui tient compte de l'âge et de la rareté des données cartographiques et de la demande croissante pour des couvertures qui ne sont pas encore réalisées. Fondé sur le risque, l'outil classifie les eaux canadiennes en zones à haut, bas et moyen risque. Cette classification est faite selon un certain nombre de critères, dont le type et l'intensité du trafic, les conditions environnementales, l'état des cartes marines existantes et l'historique des accidents. Le SHC a également établi, en collaboration avec l'industrie, des normes de niveau de service qui sont affichées sur le site Web du SHC.

À l'origine, pour l'Arctique, seules 20 cartes marines étaient classées dans la catégorie des risques élevés en raison du faible trafic maritime dans cette région et du coût élevé de la cartographie. Bien que la stratégie déployée à l'époque consistait essentiellement à cartographier les eaux situées le long d'un étroit couloir dans le passage du Nord-Ouest, le SHC a adapté ses plans cartographiques et ses évaluations de risques de manière à répondre aux besoins émergents. Par exemple, nous avons récemment cartographié les approches du port en eaux profondes de Nanisivik pour répondre aux besoins de la Défense nationale, ainsi que celles du port de Pangnirtung en prévision de la construction d'un nouveau port pour petites embarcations.

Bien que la cartographie de l'Arctique présente un certain nombre de problèmes, il existe une bonne nouvelle : les innovations technologiques nous aident à en résoudre certains. Parmi ces technologies, notons la technologie des satellites et celle des équipements optiques spéciaux à laser pouvant être aéroportés, ce qui permettra de délimiter la côte et d'acquérir des données sur les profondeurs jusqu'à environ 50 mètres. Les innovations en matière de technologie acoustique et la croissance des capacités d'acquisition de données des véhicules sous-marins automatisés contribueront sans aucun doute à l'évolution de la cartographie.

Je vais maintenant vous parler des deux derniers échouements en Arctique. Le MV Clipper Adventurer est un bâtiment de croisière qui s'est échoué sur un rocher et qui a subi des avaries, alors que le pétrolier Nanny s'est échoué sur un fond sableux. Heureusement, les conditions météorologiques et l'état de la mer étaient favorables dans les deux cas et ont permis de dégager les bâtiments. Dans les deux cas, on ne déplore aucune perte de vie et de graves conséquences sur l'environnement ont été évitées.

Il faut souligner que les données sur les profondeurs indiquées sur les cartes marines couvrant la zone dans laquelle s'est échoué le bâtiment de croisière sont fondées sur des « lignes de sondages » effectuées avant l'avènement du positionnement précis par satellite. Cela signifie que les profondeurs ne sont mesurées que le long d'une seule ligne et sans que ses abords soient explorés pour découvrir d'éventuels dangers de part et d'autre de la route du bâtiment sondeur. Toutefois, un Avis à la navigation a été émis pour prévenir de la présence d'un haut-fond à proximité du lieu de l'échouement. Cet avis a été émis à la suite d'un rapport rédigé en 2007 par un officier commandant de la Garde côtière canadienne.

Dans le cas du pétrolier, le site de l'échouement est situé le long d'une des approches de la Station de recherche de l'Extrême Arctique, récemment annoncée, ainsi que le long de la voie d'approvisionnement reliant de nombreux peuplements dans la région. La carte marine couvrant cette zone indique aussi des sondages ponctuels et le long de tracés; un Avis aux navigateurs préliminaire a été émis pour prévenir les marins de la présence d'un haut-fond. Ce dernier fut découvert au cours d'un levé exploratoire effectué en 1997 dans cette région.

Le trafic maritime dans le Grand Nord canadien a augmenté régulièrement au cours de ces dernières années. On estime que la tendance à la hausse va se poursuivre en raison des changements dans la configuration du trafic découlant des activités économiques croissantes dans la région et du fait que les eaux sont libres de glace sur de plus longues périodes. De nouveaux utilisateurs, comme les plaisanciers et les bâtiments de croisière, sont de plus en plus nombreux à naviguer dans l'Arctique et à s'aventurer de plus en plus loin des routes connues.

Les récents échouements dans l'Extrême-Arctique sont autant d'avertissements des risques causés par les lacunes existantes en matière de cartographie. Bien que les efforts pour dégager le Clipper Adventurer et le Nanny aient été couronnés de succès, ils ont été entravés par l'absence de cartes marines actualisées des environs. À ce jour, le gouvernement du Canada a dépensé au moins 3 millions de dollars pour remédier à ces deux échouements, dont seule une partie pourra être récupérée auprès des assureurs. Ceci démontre que la prévention d'accidents marins, jumelée à des cartes marines modernes, est la meilleure et la plus efficace des stratégies d'atténuation d'accidents à brève et à longue échéance.

Le Canada fait face à d'importants défis en construisant une infrastructure nordique qui répondra aux exigences de la demande croissante pour des produits et services dans l'Arctique. La Stratégie pour le Nord du Canada va fournir le cadre nécessaire pour relever ce défi.

J'aimerais conclure en vous remerciant, encore une fois, de m'avoir donné l'occasion de venir témoigner.

La présidente : Merci de votre exposé. Par souci de clarté, le rocher que le MV Clipper Adventurer a frappé était-il sur les cartes marines?

Mme Narayanan : Il n'était pas sur les cartes, mais un avis avait été émis.

La présidente : Pour la région?

Mme Narayanan : Oui.

La présidente : Les opérations de sauvetage ont été limitées parce qu'il n'y avait pas de cartes actualisées pour cette région.

Mme Narayanan : Nous avons été chanceux que le premier vaisseau à arriver sur les lieux pour porter secours au navire de croisière soit le CCGS Amundsen, parce qu'il y avait des hydrographes à bord, de même que des instruments de cartographie. Nous avons été en mesure de faire un levé préliminaire.

La présidente : Et de le faire en temps réel?

Mme Narayanan : C'est exact.

Le sénateur Dallaire : Pouvez-vous établir une comparaison entre l'état de nos connaissances et la précision de nos données sur notre partie de l'Arctique et les connaissances et la technologie utilisées dans la région de l'Arctique sous contrôle russe?

Mme Narayanan : Nous disposons d'une bonne technologie et nous avons fait des levés dans les régions canadiennes. À certains égards, nous sommes en avance par rapport à la Fédération de Russie.

Dale Nicholson, directeur régional, région du Centre et de l'Arctique, Service hydrographique du Canada : En ce qui concerne la technologie, nous avons plus de systèmes multifaisceaux, qui sont des systèmes à haute résolution utilisés pour la cueillette des données. Pour ce qui est de la couverture, je dirais que c'est une autre question.

Le sénateur Dallaire : Les Russes utilisent leur région de l'Arctique pour le commerce et disposent d'une très grande capacité en matière de garde côtière. Il y a beaucoup de trafic sur une grande partie de leur région de l'Arctique. Leur technologie et leur connaissance de l'Arctique sont-elles au moins aussi avancées que les nôtres, ou peut-être même un peu plus avancées? Leur compétence en matière d'évaluation des besoins hydrographiques pourrait-elle nous aider à faire notre travail?

Mme Narayanan : C'est un point très intéressant. J'ai assisté aujourd'hui à une réunion où la Russie, le Canada, la Norvège, les États-Unis et le Danemark ont discuté des mesures à prendre pour travailler de concert en vue d'améliorer les conditions dans l'Arctique. Nous discutons de la possibilité de partager la technologie de sorte que l'Arctique, dans son ensemble, sera sécuritaire pour les navigateurs et que notre écosystème sera protégé.

Le sénateur Dallaire : Pendant la guerre froide, la Norvège a construit d'imposantes forteresses dans ses fiords et avait d'extraordinaires données sur l'ensemble de son littoral. Certains d'entre nous étaient engagés dans le domaine de la sécurité circumpolaire et étaient préoccupés par la question de l'utilisation de cette région à des fins militaires. Ne croyez-vous pas que les connaissances sous-marines des anciens membres du Pacte de Varsovie ou des Russes sont plus avancées que les nôtres? Je parle des connaissances canadiennes, pas américaines, au sujet de nos régions sous-marines dans l'Arctique.

Mme Narayanan : La Norvège, toujours selon l'exposé que nous avons eu ce matin, dispose de très bons levés de ses eaux. La Russie utilise toujours une technologie moins récente, mais elle dispose de beaucoup plus de navires que nous pour cartographier l'Arctique.

Le point commun qui a été soulevé au cours de la réunion d'aujourd'hui, c'est qu'il y a toujours de grandes étendues non cartographiées. Vous devez garder en tête que les navires de croisière se rendent dans des régions où personne n'est encore allé. Même si on cartographie les voies navigables habituelles, ces navires veulent aller ailleurs. Ils veulent explorer les eaux inexplorées, et il s'agit d'un des défis que nous devons tous relever.

La présidente : C'est un point très intéressant.

Le sénateur Dallaire : C'est exactement ce que j'allais dire.

Le sénateur Lang : Je veux parler de votre projet pluriannuel visant à cartographier l'Arctique. Je sais que le gouvernement s'est engagé à investir plusieurs millions de dollars. Vous pouvez peut-être nous dire combien d'argent y sera consacré. Quand pensez-vous que le travail sera terminé? Pourriez-vous également nous dire si tout se déroule comme prévu, et nous donner d'autres renseignements sur le programme?

Mme Narayanan : Si nous utilisons les ressources déjà en place et si nous tenons pour acquis que la technologie et les ressources humaines actuelles demeureront les mêmes, il nous faudra beaucoup de temps pour cartographier toutes les zones nécessaires dans l'Arctique.

Le sénateur Lang : Je sais qu'on a pris des engagements publics pour cartographier la plate-forme continentale. Si je ne me trompe pas, on consacre des millions de dollars à ce travail de cartographie.

Vous pouvez peut-être nous dire combien d'argent a été investi. Je présume que cela relève de vous, n'est-ce pas?

Mme Narayanan : Sénateur, faites-vous référence à l'article 76 de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer? Il faut vous rappeler qu'en fait, la délimitation territoriale déterminera notre frontière. Lorsque nous parlons de cartographie, nous parlons de ce qui se trouve sur notre territoire. Le financement auquel vous faites référence sert à définir, à cartographier, à examiner et à faire les travaux de géologie qui nous permettront de déterminer notre frontière avec exactitude.

Ce travail sera effectué et nous présenterons notre proposition en 2013. Nous avions 10 ans pour le faire. Nous avons ratifié la convention en 2003 et nous présenterons notre proposition en 2013.

Le sénateur Lang : Combien d'argent consacre-t-on à ce projet de cartographie du passage du Nord-Ouest chaque année et à la cartographie que vous faites régulièrement dans cette zone au cours d'une année?

Mme Narayanan : Je n'ai pas les chiffres exacts, mais nous avons un budget d'environ 30 millions de dollars. Nous avons consacré 10 p. 100 de cette somme à l'Arctique et le reste aux eaux du Sud, y compris les Grands Lacs.

Le sénateur Day : Avez-vous bien dit 10 p. 100 pour l'Arctique?

Mme Narayanan : Oui.

La présidente : Étant donné que cela ne représente que 10 p. 100 du budget, quelle proportion des eaux arctiques n'a pas été cartographiée?

Mme Narayanan : L'Arctique est très vaste. Il n'est peut-être pas nécessaire de tout le cartographier. Nous devons axer nos efforts sur les routes de navigation principales, l'accès aux collectivités et les zones où des bateaux pourraient naviguer dans l'avenir.

De plus, si les eaux sont profondes, nous n'avons pas à y mettre autant d'efforts, car ce n'est pas très important pour les activités maritimes. De ce point de vue, nous n'avons pas à cartographier tout l'Arctique.

La présidente : Vous consacrez maintenant 10 p. 100 de votre budget à l'Arctique. On met beaucoup l'accent sur l'Arctique présentement. Il y aura beaucoup de pression supplémentaire s'il faut étendre les routes commerciales et si de vilains navires d'excursion à la recherche d'aventures naviguent dans l'Arctique, et quoi encore. Vous devez prévoir et étendre les routes, mais en utilisant une petite partie du budget seulement.

Mme Narayanan : Nous cherchons toujours l'équilibre. Il faut assurer la sécurité des navires qui circulent dans le Sud également. C'est pourquoi nous avons établi ces priorités et nous commençons par les plus prioritaires.

En raison de l'intensification de la navigation en Arctique, nous changeons nos priorités. Par exemple, dans le cas de Nanisivik; nous avons cartographié cette zone, car il s'agit d'un port en eau profonde, et nous tentons d'exiger des droits pour l'accès aux collectivités.

On cherche toujours l'équilibre entre les ressources disponibles, les risques, le trafic et les conditions environnementales. C'est difficile à faire.

Le sénateur Lang : Un autre témoin nous a dit qu'on s'est demandé si le passage du Nord-Ouest était suffisant pour la navigation en eau profonde. Qu'en pensez-vous?

Mme Narayanan : Tout d'abord, comme vous le savez, le passage du Nord-Ouest ne forme pas qu'un seul passage, mais il est constitué d'une série de chenaux. La profondeur de l'eau dans les chenaux varie. Le NGCC Louis S. St-Laurent et le NGCC Amundsen empruntent ce passage.

Je ne suis pas certaine de quel tirant d'eau nous parlons, mais je vais demander à M. Nicholson de nous dire quelle est la profondeur d'eau disponible dans le chenal.

M. Nicholson : Il y a une grande variabilité, mais selon la route qu'ils suivent, les navires à grand tirant d'eau peuvent certainement emprunter le passage du Nord-Ouest. Il y a environ cinq différentes routes, et selon leur tirant d'eau, les navires peuvent trouver une voie sûre.

Le sénateur Patterson : Vous avez parlé du budget alloué à la cartographie traditionnelle et à l'activité hydrographique au Canada, mais je crois que vous participez également au projet de cartographie hydrographique de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (UNCLOS). Ce projet est-il financé par des fonds distincts ou utilise-t-on une partie des fonds consacrés au travail continu de cartographie des eaux navigables canadiennes?

Mme Narayanan : Le projet UNCLOS est financé séparément. Bien entendu, on passe parfois du financement de base à celui du projet UNCLOS et vice versa, mais il est financé séparément pour une période précise. Nous aurons des fonds jusqu'en 2013, soit jusqu'à ce que nous présentions notre proposition.

Le sénateur Patterson : Avez-vous recours à vos ressources humaines actuelles pour le projet UNCLOS, même si son budget est distinct?

Mme Narayanan : C'est le cas dans une moindre mesure, mais c'est en grande partie financé par le projet UNCLOS. Comme nous amenons du nouveau personnel qui est également formé dans le cadre de ce projet, peu de ressources proviennent de nos services votés.

Le sénateur Patterson : Pourriez-vous nous donner un aperçu des fonds supplémentaires que vous avez reçus pour le projet UNCLOS?

Mme Narayanan : Voulez-vous dire, par année?

Le sénateur Patterson : Oui.

Mme Narayanan : Par exemple, pour 2010-2011, nous avons environ 7,8 millions de dollars.

Le sénateur Patterson : Qu'en est-il du financement total jusqu'en 2013?

Mme Narayanan : Nous avons eu droit à deux affectations. La première a été de 69 millions dollars sur 10 ans. C'est pour l'ensemble du projet, et cela inclut RNCan et le MPO. La deuxième est de 40 millions de dollars sur quatre ans.

Le sénateur Patterson : C'est 69 millions plus...

Mme Narayanan : Oui, plus 40 millions.

Le sénateur Patterson : Merci beaucoup.

La présidente : Pourriez-vous expliquer ce que vous ferez dans le cadre de ce projet pour préparer la proposition des limites du plateau continental étendu? En quoi consiste le projet?

M. Nicholson : En collaboration avec Pêches et Océans, le Service hydrographique du Canada recueille des données sur la profondeur. La profondeur est un critère essentiel pour déterminer où se trouve la limite de notre plateau continental. Par conséquent, nous recueillons les données sur la profondeur et nous en faisons l'analyse pour la présentation de notre proposition. RNCan recueille des données sismiques, c'est-à-dire qu'il étudie la géologie de la région, ce qui est également un facteur.

Le sénateur Day : Merci. Je ne poserai pas d'autres questions à ce sujet, même si la plate-forme marine et la proposition relative à l'UNCLOS auxquelles vous travaillez sont très intéressantes et sont des enjeux actuels. Je vous souhaite bonne chance. S'il vous faut plus de fonds, dites-le nous, car il y a un grand potentiel dans ce travail.

La présidente : Le sénateur Day est très riche et il vous donnera ces fonds.

Le sénateur Day : Je suis le président du Comité permanent des finances nationales.

Madame Narayanan, j'aimerais obtenir deux ou trois précisions. Tout d'abord, les navires de croisière aiment naviguer dans des eaux non cartographiées. Il s'agit probablement d'une zone que le Canada revendique. Si ces navires se retrouvent dans le pétrin, qui est responsable? Qui leur porte secours? Pourriez-vous expliquer le processus de réclamations d'assurance lorsque des navires se dirigent vers des zones non cartographiées.

Mme Narayanan : J'ai bien peur de ne pas pouvoir répondre à la deuxième question. Concernant la première, lorsqu'un navire est dans le pétrin, la Garde côtière canadienne est le premier intervenant.

Le sénateur Day : Malgré le fait qu'ils entrent dans une zone qui n'est pas cartographiée, qu'ils le savent, et qu'ils prennent un très grand risque en le faisant, la Garde côtière estime-t-elle tout de même que c'est de son ressort, et les deniers publics doivent-ils financer le sauvetage?

Mme Narayanan : Nous parlons de vies humaines.

Le sénateur Day : Oui, et nous parlons de la décision de l'exploitant d'un navire. Vous avez parlé d'une cartographie fondée sur les risques. C'est pour les aides à la navigation, et vous êtes passée à une analyse fondée sur le risque; mais ensuite, vous avez dit que même si le risque est très élevé, s'il entraîne des coûts importants, vous ne le faites pas. C'est donc dire que l'argent joue un rôle dans l'analyse fondée sur le risque de même que les coûts que cela entrainera pour nous de le faire. Est-ce que je vous comprends bien?

Mme Narayanan : Oui, l'argent joue un rôle, mais s'il s'agit d'une zone où le risque est élevé, et où il y a beaucoup de trafic, alors le facteur de pondération varie entre l'argent et la sécurité.

M. Nicholson : Tout d'abord, il ne s'agit pas d'aides à la navigation, qui relèvent de la Garde côtière. Nous nous occupons de la cartographie. Oui, nous regardons la configuration du trafic; nous regardons le type de navire, et nous tentons désespérément de déployer nos ressources où les besoins se font le plus sentir.

Le sénateur Day : Je suppose que je vous ai bien compris. Je suis vraiment surpris d'apprendre que vous consacrez seulement 10 p. 100 de votre budget à la cartographie de l'Arctique. Nous savons que l'Arctique suscite un intérêt grandissant et que nous n'avons rien fait dans cette région du Nord pendant 145 ans. Il est étonnant que vous n'utilisiez que 10 p. 100 de votre budget pour la cartographie de l'Arctique. Qui décide d'y consacrer seulement 10 p. 100 du budget? Ou alors, cette décision tient-elle à une analyse des risques?

Mme Narayanan : La décision tient essentiellement à l'analyse des risques, mais on doit se rappeler que l'intérêt que suscite l'Arctique est récent. Il faut un certain temps pour recueillir des données, les analyser et produire les cartes marines. Il y a un délai entre le moment où une priorité apparaît et celui où on est capable de produire des cartes hydrographiques et d'autres publications pour pouvoir les utiliser. Le temps est donc un facteur également.

Nous prévoyons du mieux que nous le pouvons, mais parfois, les choses bougent trop rapidement pour que puissions intervenir.

Le sénateur Day : Le dernier point sur lequel je veux obtenir des précisions concerne les deux navires qui, comme vous l'avez dit, se sont échoués cet été : un navire de croisière et un pétrolier. Dans les deux cas, vous avez dit que les cartes marines n'étaient peut-être pas aussi bonnes qu'elles auraient dû l'être, mais qu'un Avis à la navigation avait été émis pour prévenir de la présence d'un haut-fond. L'autre avis était un Avis aux navigateurs préliminaire. Ces avis n'ont vraisemblablement pas été portés à l'attention des exploitants des navires. Y aurait-il une façon de porter ces avis à leur attention pour que nous n'ayons pas à nous rendre dans le Nord pour leur porter secours parce que leur navire a touché un haut-fond?

Mme Narayanan : En vertu de la Loi sur la marine marchande du Canada, et compte tenu de l'équipement exigé à bord, lorsque nous émettons les avis, nous nous attendons à ce que les capitaines les apportent avec eux à bord et les utilisent, et il en est de même pour les cartes marines. Ils doivent se servir de ces avis.

Le sénateur Day : Dans les deux exemples que vous avez portés à notre attention, vous avez dit que des avis avaient été émis. Vous voulez vraisemblablement que nous en déduisions que s'ils avaient lu l'avis, ils auraient évité l'échouement. Que pouvons-nous faire à cet égard?

M. Nicholson : L'établissement des NAVAREA nous aidera à cet égard en diffusant des renseignements à l'échelle internationale et ce type d'avertissement. Je crois que cela nous fera progresser.

La présidente : Pourriez-vous nous expliquer de quoi il s'agit, s'il vous plaît?

M. Nicholson : Les régions maritimes du monde sont couvertes par des NAVAREA, et dans ces régions, les pays prennent la responsabilité d'émettre des avis, des avertissements, y compris des avertissements météorologiques ou pour d'autres dangers. Nous venons d'établir une telle région dans l'Arctique, et ces avertissements seront diffusés à l'échelle internationale. Cela ne change en rien le fait qu'il incombe au capitaine du navire de vérifier ces avertissements, car les cartes marines en format papier ou électronique doivent être à jour. C'est notre façon de les tenir à jour.

Le sénateur Day : J'aimerais que vous nous suggériez des mesures que nous pourrions mettre en œuvre pour améliorer la situation.

M. Nicholson : Je précise que nous ne sommes pas certains que la présence du deuxième navire à cet endroit était intentionnelle. L'équipage ne s'est peut-être pas aventuré dans ces hauts-fonds intentionnellement. Il s'est peut-être passé quelque chose d'autre.

Le sénateur Day : Le vent a peut-être poussé le navire, par exemple.

M. Nicholson : En effet. Je n'ai pas de bonne explication pour l'autre partie.

Le sénateur Lang : Lorsqu'un capitaine se rend dans l'Arctique, avertit-il les autorités de son voyage dans ces eaux et de sa destination? Le cas échéant, ne devrait-il pas être averti à ce moment qu'il pourrait y avoir des modifications et qu'il devrait vérifier les dossiers, et qu'il y ait ainsi, à tout le moins, un avertissement de ces modifications?

La présidente : Nous vous posons des questions qui dépassent peut-être vos compétences. Je crois que c'est le problème. Vous levez les cartes. Vous n'êtes pas responsables du système d'alerte, n'est-ce pas?

M. Nicholson : Vous avez raison. Les Avis à la navigation peuvent être émis par pratiquement n'importe qui. La Garde côtière s'occupe de leur diffusion.

Le sénateur Mitchell : Je ne veux pas m'étendre sur ce point, mais on se dit immédiatement que des accusations devraient être portées contre les capitaines ou les propriétaires de ces navires. On présume qu'ils recevront une amende ou qu'ils devront purger une peine d'emprisonnement pour avoir outrepassé de manière flagrante les protocoles et la réglementation. Toutefois, cette responsabilité ne vous incombe pas. Êtes-vous au courant de quelque chose du genre?

Mme Narayanan : Non.

Le sénateur Mitchell : Madame Narayanan, vous avez souligné quelque chose que je trouve très intéressant, mais qui semble être paradoxal.

[...] de nombreuses cartes marines canadiennes contiennent des données acquises avant l'avènement des systèmes de positionnement modernes. Par conséquent, l'utilisation de ces cartes marines comporte des risques lorsqu'on les utilise conjointement avec des systèmes de positionnement très précis comme le GPS.

On croirait justement le contraire ou on serait porté à le penser; du moins, c'est mon cas. Pouvez-vous nous expliquer cela?

Mme Narayanan : Prenez un point de donnée sur une carte marine. Si cette information a été inscrite avant l'avènement des systèmes modernes de positionnement, on ignore si c'est exactement à cet endroit, ou quelques mètres à gauche ou à droite. Lorsqu'on utilise un GPS, qui nous donne le positionnement exact, on compare ses données avec un point sur une carte marine dont on ne connaît pas exactement l'emplacement. On doit regarder par la fenêtre, on doit consulter son sonar et on doit être conscient de son environnement. L'avertissement se trouve déjà sur la carte marine. Il prévient qu'il s'agit de vieilles données, et les navigateurs doivent en être conscients.

Le sénateur Mitchell : Vous nous avez dit que votre priorité est d'établir la carte marine des routes empruntées traditionnellement ou régulièrement par les navires. On présume qu'aucune glace ne se trouve dans ces régions durant une partie de l'année. La pression commence maintenant à se faire sentir, parce qu'il y a de moins en moins de glace. Comment cela augmenterait-il votre charge de travail, si vous ne vous occupez de toute façon que des routes ou des passages traditionnellement empruntés? Comprenez-vous où je veux en venir? Êtes-vous en train de nous dire que des capitaines emprunteront de nouveaux passages qui semblent être praticables? Y aura-t-il une pression pour en créer? Choisirez-vous de nouvelles routes?

Mme Narayanan : Des glaces peuvent se trouver dans ces passages, parce que la plupart de nos données sont obtenues en perçant un trou dans la glace et en mesurant la profondeur d'eau. Les cartes marines ne couvrent pas uniquement des secteurs libres de glaces, mais également des zones où on retrouve un couvert de glaces.

Nous examinons le trafic maritime et les destinations des gens pour décider des endroits dont nous voulons établir la carte marine.

Le sénateur Mitchell : Les gens décident visiblement d'aller vers différents endroits, parce qu'ils frappent des roches, entre autres.

Mme Narayanan : Oui, sénateur Mitchell, ou ce secteur les intéresse ou il y a une collectivité à cet endroit.

Le sénateur Mitchell : Finalement, vous avez dressé la liste de pays qui s'échangent leurs données. Je ne suis pas certain si nous sommes en concurrence avec l'un ou l'autre de ces pays en ce qui concerne ce qui sera jugé comme étant notre zone de souveraineté, mais la souveraineté est un enjeu très important. Nous échangeons des données avec les Russes, par exemple, et quelqu'un pourrait dire que cela aide la Russie à utiliser notre territoire et à établir sa souveraineté. Comment gérez-vous cette situation? Je ne veux pas vous sembler paranoïaque.

Mme Narayanan : Lorsque nous établissons les cartes marines, nous avons la responsabilité de lever les cartes de notre zone économique exclusive, la ZEE. Nous avons des frontières communes avec les États-Unis et le Danemark. Dans ces cas, nous collaborons avec ces pays pour trouver la meilleure façon de produire une carte marine de cette zone frontalière. Comme dans ces cas avec les États-Unis et le Danemark, oui, nous échangeons effectivement des renseignements pour établir la carte. Cela ne touche pas la question des limites de notre zone de souveraineté, parce que cet enjeu exige beaucoup plus d'analyses. Un différent type de raisonnement est utilisé pour décider de l'emplacement de ces frontières.

M. Nicholson : Nous collaborons avec les autres pays pour la collecte des données dans le cadre du programme de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, l'UNCLOS. En fait, cet été, nous avons collaboré étroitement avec les États-Unis pour la collecte de données dans le bassin canadien.

Le sénateur Mitchell : Et avec la Russie également?

M. Nicholson : En ce qui concerne la Russie, nous avons en effet obtenu leurs données pour que nous puissions échanger nos analyses scientifiques.

Mme Narayanan : Si vous me permettez d'ajouter quelque chose, l'échange de données est une chose, mais le plus important demeure d'établir des normes communes. Le capitaine d'un navire qui quitte le port de Singapour à destination de Montréal doit s'assurer que tous les symboles utilisés sur sa carte marine sont identiques d'un pays à l'autre. Il nous faut des normes communes. Il s'agit d'un sujet de discussion important dans les forums internationaux.

Dans le cadre du programme UNCLOS, c'est une bonne idée de s'échanger les données. Une formule précise dicte les limites territoriales des pays. Si nous utilisons des données communes et qu'une dispute éclate, au moins, nous ne mettrons pas en doute les données. Ce n'est pas une mauvaise idée de partir d'une banque de données communes et d'ensuite les interpréter. La méthodologie et les conclusions sont importantes.

La présidente : Vous nous avez donné l'impression qu'il n'existe pas de code international commun pour les symboles, que vous y travaillez, mais que le processus est encore en cours. Est-ce exact?

Mme Narayanan : Ce code existe, mais nous essayons ensemble de nous assurer que les symboles internationaux sont respectés. Les cartes marines sont modifiées et de nouveaux symboles y sont ajoutés. Nous collaborons pour nous assurer que tous les pays comprennent ces symboles.

M. Nicholson : En tant que membre de l'Association hydrographique internationale, c'est important d'avoir des symboles communs. Il existe encore des fonds marins que nous n'avons pas cartographiés, mais qui pourraient l'avoir été sur une carte au Japon ou ailleurs. Des différences subsistent.

Le sénateur Segal : Nous travaillons avec les Danois, nous collaborons avec les Américains et nous avons de modestes échanges avec les Russes. Une grande partie de notre Arctique se trouve sous l'eau, comme vous l'avez dit dans votre exposé. Les Russes disent eux aussi qu'une grande partie de leur Arctique se trouve sous l'eau, et l'endroit où ces deux sections se rejoignent fait l'objet d'un conflit de moyenne envergure.

Je présume que vous avez une relation technique avec le service hydrographique russe et que vous échangez des données techniques. Savez-vous tout ce que vous devez savoir au sujet de leurs arguments pour que les nôtres soient meilleurs que les leurs, autant du point de vue technique que scientifique? Si ce n'est pas le cas, travaillez-vous avec d'autres organismes gouvernementaux qui pourraient vous aider à obtenir ces renseignements?

Mme Narayanan : En ce qui concerne la qualité ou le détail de leur argumentation, nous devons parler aux gens responsables du programme UNCLOS. Je n'émettrai pas de commentaires, parce que je n'ai pas précisément parlé avec eux de ce sujet.

Au sein du Service hydrographique du Canada, de RNCan et du MAECI, une équipe gère le programme UNCLOS. Les trois équipes travaillent ensemble et s'occupent des négociations et des collaborations sur la scène internationale, et cetera.

Le sénateur Segal : Je présume que vous considérez que votre organisme avec son rôle de chef de file fait partie des membres de l'équipe canadienne qui unissent leurs efforts pour gagner cette dispute et que votre but n'est pas uniquement d'avoir techniquement raison. Est-ce exact?

Mme Narayanan : Oui. L'argumentation du Canada sera rédigée, et je souhaite que notre pays l'emporte. Si c'est le cas, le territoire de fond marin dont nous obtiendrions les droits aurait une superficie équivalant aux trois provinces des Prairies. C'est très important pour le Canada.

La présidente : Comment affrontez-vous le retrait des glaces de l'Arctique? Le considérez-vous comme un enjeu pour le moment? Avez-vous planifié ce changement dans vos budgets? S'il y a plus d'eaux libres, je présume que vous avez plus de travail.

Mme Narayanan : La question de la distribution des glaces de l'Arctique...

La présidente : Nous allons utiliser cette expression. C'est bien.

Mme Narayanan : À mon avis, nous avons beaucoup de travail, même dans la situation actuelle. Comme nous l'avons dit, moins de 10 p. 100 de l'Arctique est cartographié selon les normes modernes. Si la configuration des glaces change, plus de navires emprunteront ces voies, différents types de navires, mais je crois qu'il nous reste passablement de travail.

M. Nicholson : Nous travaillons étroitement avec les différentes clientèles de l'Arctique pour justement essayer d'avoir une longueur d'avance. Dans certains cas, nous n'avons pas levé la carte marine des passages où se trouve une route plus pratique, par exemple, parce que les navires ne s'y aventurent pas en raison du couvert de glaces. Nous essayons de devancer cela autant que nous le pouvons.

La présidente : Votre budget prévoit-il ce changement? Avez-vous prévu dans votre budget des changements à votre personnel, ou dans vos ressources humaines ou financières?

M. Nicholson : Nous essayons d'allouer notre budget aux priorités les plus importantes, et elles changent.

Le sénateur Lang : J'aimerais poursuivre sur les commentaires au sujet des avancements technologiques qui améliorent vos capacités à établir la carte marine de l'Arctique.

Vous avez mentionné la technologie des satellites. Je sais que d'importants changements et avancements sont faits dans le programme des satellites pour le Canada. Pourriez-vous nous dire comment cela vous permet d'augmenter la qualité de vos cartes marines et de cartographier davantage de régions? Pourriez-vous nous décrire comment les nouveaux satellites, les avancements technologiques dans les satellites et peut-être les avancements proposés dans ce domaine vous aideront à accomplir votre travail?

Mme Narayanan : Pour établir une carte marine, nous devons connaître la profondeur d'eau. Nous devons savoir où sont situés le littoral, les câbles sous-marins, les ponts et les ports. Nous avons besoin de bon nombre de renseignements.

Les satellites nous donnent avec précision les renseignements sur le littoral. Cette information apparaît sur nos cartes marines à l'heure actuelle, mais elle repose sur une série de mesures prises au fil des années. La technologie des satellites nous permettra de définir précisément le littoral.

La technologie du radar est aussi très utile, parce que les instruments peuvent être installés sous un avion qui survole la zone côtière. Ces radars peuvent aller jusqu'à 50 mètres dans de bonnes conditions climatiques et maritimes. Nous avons du mal, entre autres, à cartographier les eaux littorales, où les grands navires ont de la difficulté à circuler. L'utilisation de la technologie des radars montée sous des avions nous permettra d'obtenir cette information.

Les véhicules sous-marins autonomes, les VSA, constituent la troisième technologie. Cet été, nous avons testé deux VSA en collaboration avec la Défense nationale. Ces véhicules peuvent parcourir environ 400 kilomètres en une mission. On n'a pas besoin de se rendre directement à l'endroit dont on veut lever la carte. On n'a qu'à mouiller le navire près du couvert de glaces et à larguer le VSA, qui circulera sous l'eau, puis reviendra au navire-mère. Nous en avons testé deux cet été. Dans le cadre du programme UNCLOS et grâce aux VSA, nous espérons être en mesure de lever la carte marine de zones inaccessibles aux brise-glaces. Il s'agit de certaines des innovations technologiques qui nous permettront d'accélérer la cartographie marine de l'Arctique.

Le sénateur Lang : Cartographiez-vous la côte au moyen du système de satellite actuel ou d'un système de satellite à venir?

M. Nicholson : Lorsque Mme Narayanan a parlé de la côte, il n'était question que de la ligne de côte. Les mesures de la profondeur données par les satellites ne sont pas assez précises pour la cartographie. Nous pouvons savoir où la profondeur est importante et dépasse 200 mètres, mais nous ne pouvons pas cartographier la côte avec précision à l'aide d'un satellite.

Le sénateur Lang : Le satellite que vous utilisez actuellement vous fournit-il des données pour cartographier la ligne de côte?

M. Nicholson : Oui, les données du satellite nous aident pour cela.

Le sénateur Lang : Vous n'avez besoin du satellite qu'une fois pour obtenir les données, n'est-ce pas?

M. Nicholson : C'est exact, mais certains endroits changent si on y construit des infrastructures et ce genre de chose.

Le sénateur Dallaire : On a dit que, parce que l'intérêt pour l'Arctique est nouveau, nous ne faisons que commencer à en comprendre les aspects les plus importants. Selon un livre blanc rendu public en 1987, le gouvernement progressiste conservateur a parlé de construire six sous-marins nucléaires, qui auraient notamment servi dans l'Arctique. J'imagine que, si on était allé de l'avant, notre capacité de dresser les cartes marines serait bien plus évoluée. Il s'agissait peut-être d'un concept avant-gardiste à l'époque, mais nous subissons à l'heure actuelle les conséquences importantes de l'abandon du projet.

Je voudrais discuter de votre financement de base, dont a parlé le sénateur Segal, il me semble. Avez-vous dit que, même si le gouvernement entend asseoir davantage la présence du Canada dans le Nord, et j'espère que cela ne changera pas, vous n'avez pas demandé beaucoup plus de fonds pour acheter des immobilisations, couvrir vos frais de fonctionnement et d'entretien et engager du personnel afin de relever les défis importants qui se présentent dans la région de l'Arctique tout en respectant des échéances écourtées?

Mme Narayanan : Vous nous posez une question difficile, monsieur le sénateur. Nous sommes un groupe technique qui produit des cartes. Ce genre de discussion ne relève pas de moi. Je crains de ne pas pouvoir répondre à la question.

La présidente : Nous comprenons.

Le sénateur Dallaire : Pas moi.

La présidente : Dans notre étude sur les grands enjeux que sont la souveraineté et la sécurité, nous pouvons comprendre l'importance de ces cartes. Vous avez dit que seulement 10 p. 100 de la cartographie dans le Nord était conforme aux normes modernes, n'est-ce pas?

Mme Narayanan : En effet.

Le sénateur Mitchell : Vous avez dit que seulement 10 p. 100 du budget était affecté à la cartographie dans le Nord.

La présidente : Merci, madame Narayanan et monsieur Nicholson. Nous comprenons que vous faites de votre mieux pour répondre à certaines questions qui ne dépendent pas de vous. Nous trouverons les réponses; ne vous en faites pas.

Merci à vous deux d'être venus aujourd'hui.

Ces derniers mois, nous avons parfois examiné l'état dans lequel se trouvent les réserves des Forces canadiennes et de quoi sera fait l'avenir pour elles. Nous avons le plaisir d'accueillir le lieutenant-colonel à la retraite John Selkirk, directeur général de Réserves 2000, une organisation qui, d'une certaine manière, fait du lobbying pour la Milice canadienne. M. Selkirk a commencé son service militaire en 1960, lorsqu'il s'est joint à la Royal Hamilton Light Infantry. Il a ensuite été transféré dans la Force régulière et il a servi dans les Canadian Guards et le Royal Canadian Regiment. Avant de prendre sa retraite en 1994, il est revenu dans la Réserve et il a été commandant des Brockville Rifles. M. Selkirk a aussi travaillé comme civil pour le Service correctionnel du Canada. Présentement, il est consultant en affaires et en formation.

Avant de vous laisser faire votre exposé, j'aimerais savoir si vous employez les termes « réserve » et « milice » sans distinction?

Lieutenant-colonel (à la retraite) John Selkirk, directeur général, Réserves 2000 : Non, madame le sénateur, j'essaie de faire la distinction et de dire que la Réserve de l'Armée de terre est la Milice, mais « milice » est le bon terme.

Qu'est-ce que Réserves 2000? Il s'agit d'un réseau de Canadiens venant de tous les milieux, mais la majorité sont des militaires à la retraite qui ont servi à la fois dans la Force régulière et dans la Force de réserve, comme moi. Notre réseau comprend aussi des universitaires et des professionnels, qui prônent le recours aux réservistes pour accroître la capacité de défense du Canada. Nous nous intéressons principalement à la Milice, la Réserve de l'Armée de terre. Les trois autres forces de réserve au Canada sont la Réserve aérienne, la Réserve navale et la Réserve médicale.

Réserves 2000 a été mis sur pied en 1994, lorsque les planificateurs de la défense ont tenté de réduire de moitié les effectifs de la Milice. À l'époque, nous pensions que ce serait fait pour l'an 2000, et c'est pourquoi nous avions choisi ce nom.

Réserves 2000 estime que le Canada a besoin d'une milice imposante. Les Forces canadiennes ne sont pas actuellement en mesure de contrer une grave menace terroriste au Canada, surtout en raison de la taille et de la vulnérabilité de notre réseau énergétique et de notre infrastructure de transport. Selon nous, il faudrait que les Forces canadiennes comptent au moins le double de soldats pour protéger ces infrastructures et gérer les conséquences des dommages qui y seraient causés.

Il y a aussi le rapport coût-efficacité. Un soldat à temps plein de la Force régulière coûte environ cinq fois plus qu'un réserviste, et je peux vous parler de ce calcul plus en détail. La plupart des experts s'entendent là-dessus. Or, un réserviste à temps partiel peut accomplir toute l'année les tâches requises pour sécuriser notre infrastructure très vulnérable.

Cela dit, le ministère de la Défense nationale se prépare à réduire la Milice cette année. Compte tenu de la menace et compte tenu de l'efficacité des réservistes par rapport aux coûts, nous sommes d'avis que le ministère doit revoir ses politiques. Nous traitons ici de questions graves et compliquées. J'espère que mon bref exposé vous aura permis de formuler des questions détaillées, auxquelles j'essaierai de répondre.

La présidente : Je vous remercie. Je ne suis pas certaine que les gens connaissent les chiffres globaux. J'ai été plutôt étonnée d'apprendre qu'il y a 34 915 militaires dans la Première réserve, 15 477 militaires dans la Réserve supplémentaire, 4 398 Rangers canadiens, 10 213 officiers instructeurs de cadets, 370 réservistes de l'Armée de terre dans la 10e rotation des Forces canadiennes en Afghanistan et 242 unités de Première réserve et de Rangers au Canada. Environ 300 communautés canadiennes sont dotées d'une unité de réserve des Forces canadiennes, et 2 540 réservistes ont servi dans des opérations au Canada, cette année.

Le sénateur Dallaire : Lieutenant-colonel, vous êtes le premier témoin que nous recevons pour ce qui sera un important examen de l'efficacité opérationnelle des Forces canadiennes à l'heure actuelle et à l'avenir.

Je suis content de savoir que Réserves 2000 a abandonné le vieux concept de milice de la Seconde Guerre mondiale, qui avait pour objet de reconstituer une seule structure militaire au Canada, et que vous êtes maintenant favorables à la présence de réservistes partout au pays. C'est encourageant de savoir que vous gardez en poste les réservistes pour qu'ils assurent la sécurité au pays et qu'ils s'occupent des problèmes internes, comme le terrorisme. Nous savons qu'on a bâti le pays en pensant que jamais personne ne nous attaquerait.

Depuis 2001, nous avons dépensé des milliards de dollars dans la sécurité nationale. Nous avons créé toutes sortes d'équipes, d'organisations et ainsi de suite. A-t-on accordé des fonds aux réserves pour satisfaire à leurs besoins en infrastructure, en équipement et en formation? A-t-on clairement demandé à la Milice de s'occuper de la sécurité nationale?

Lcol Selkirk : Sénateur, je vais commencer par répondre à la deuxième question. L'ancien commandant de l'Armée de terre a demandé à la Milice de s'occuper des opérations effectuées au Canada. La Milice a reçu des ordres, formé des réservistes et mené des exercices pour répondre aux besoins. Vous constaterez que la Stratégie de défense « Le Canada d'abord » prévoit que la Milice est la première ressource à laquelle on fait appel pour effectuer des opérations au Canada, tandis que la Force régulière est avant tout un corps expéditionnaire. Cela tombe sous le sens. Les corps expéditionnaires doivent être prêts à partir sur-le-champ. Avec de la chance, ils ont un peu plus de temps pour se préparer, par exemple, s'ils ont été avertis d'avance au niveau interne.

La première partie de votre question concerne l'allocation de fonds supplémentaires dans le budget de la défense.

Le sénateur Dallaire : Dans le budget de la sécurité, pas nécessairement celui de la défense. Il y a maintenant un ministère de la Sécurité, à qui on a transféré des milliards de dollars.

Lcol Selkirk : Je ne suis pas bien au courant des fonds qu'on a transférés du ministère de la Défense nationale. Lorsque nous avons commencé, le budget de la défense était d'environ 12 milliards de dollars. Si on inclut l'Afghanistan, nous dépenserons cette année 21 ou 22 milliards de dollars. On n'a pas accordé beaucoup de ces fonds supplémentaires aux unités de la Milice. Je dirais qu'il y a quelques nouvelles pièces d'équipement, mais l'infrastructure est essentiellement la même depuis toujours.

Je pense que vous vouliez dire que, concernant le budget de fonctionnement et d'entretien, on dépense beaucoup d'argent chaque année pour augmenter les centres de commandement au Canada. Nous croyons que les centres de commandement prennent trop de place et que nous devons réinvestir certains fonds dans la Force régulière et les unités de campagne.

Le sénateur Dallaire : Nous ne parlons pas vraiment de la même chose. Les Forces canadiennes ont toujours aidé les autorités civiles. Cependant, depuis le 11 septembre 2001, nous investissons de manière structurée dans la sécurité nationale, ce qui ne se faisait pas avant, car il n'y avait pas de ministère. Beaucoup d'argent a été accordé. Par exemple, les gens de l'Agence des services frontaliers du Canada ont reçu des fonds et, désormais, ils ont même des armes à feu.

La participation des forces de réserve à ce mandat, et c'est différent de ce que nous venons juste de parler, ne s'est pas accompagnée d'un transfert de fonds prévus pour la sécurité nationale à la Défense nationale afin d'améliorer la capacité des forces de réserve. Il n'y a pas eu non plus de transfert de fonds pour l'infrastructure et les unités de campagne, le recrutement, la formation, la réalisation d'exercices, et cetera, n'est-ce pas?

Lcol Selkirk : Vous avez tout à fait raison, monsieur le sénateur.

Le sénateur Dallaire : Étant donné que vous êtes la première personne à témoigner à ce sujet, nous avons beaucoup de questions pour vous. Vous avez dit qu'un réserviste coûte cinq fois moins qu'un militaire de la force régulière. Toutefois, il faut cinq réservistes pour le déploiement d'un seul, et ce ne sera pas nécessairement de façon continue, parce que les réservistes doivent aller à l'école et ce genre de choses. Néanmoins, en cas d'urgence, leur capacité de déploiement est étonnante. Durant la crise du verglas, de nombreux réservistes ne sont pas allés en classe pour participer aux opérations.

À quel point estime-t-on à Réserves 2000 qu'il est essentiel de maintenir en poste les dirigeants de tous les régiments pour qu'on continue de déployer les réservistes? Il y a peut-être plus d'une centaine de régiments d'infanterie, et qui sait combien de régiments d'artillerie.

Avant d'aller plus loin, ce type de structure à l'intérieur de la Milice est-il nécessaire pour fournir tous ces services?

Lcol Selkirk : Nous estimons que l'unité est le cœur et constitue la force des réserves. On pourrait se demander pourquoi une unité de milice qui ne compte que 150 militaires doit être dirigée par un lieutenant-colonel ou un sergent-major régimentaire. Selon nous, le faible coût associé au maintien de ces centres de commandement très modestes n'est rien par rapport aux avantages qu'ils procurent sur le plan de l'image des unités dans les collectivités. Cela ne vaudrait pas la peine et ce serait insensé de s'en débarrasser.

De plus, les gens sont mieux formés s'ils sont du niveau de lieutenant-colonel ou de sergent-major régimentaire. Comme nous l'avons vu ces dernières années, et comme nous pouvons le constater ces temps-ci, lorsqu'il y a environ 4 600 réservistes à temps plein, dont bon nombre effectuent un travail de consultation assez complexe, les réservistes ne pourraient pas en faire autant si nous avions réduit les centres de commandement. Nous ne sommes pas contre l'idée de réduire la taille des centres de commandement à l'intérieur des unités, qui est assez importante. Bien des brigades de la milice comptent 200, voire 300 membres. Avons-nous besoin d'autant de personnes pour organiser l'entraînement des unités d'une brigade, qu'elle contienne 10 unités ou je ne sais combien? Chaque brigade est différente; cela dépend de la région. Il n'empêche que le centre de commandement national est tout à fait disproportionné par rapport à la force que le Canada peut déployer sur le terrain.

Le sénateur Dallaire : Je ne vais pas m'attarder sur la réduction des effectifs, étant donné qu'à la Chambre, on n'a pas parlé de réduire, mais plutôt de plafonner le nombre de militaires à 68 000. Toutefois, s'il y a réduction, c'est un fait nouveau important qui mérite d'être examiné.

Dans quelle mesure le déploiement expéditionnaire permanent des soldats en Afghanistan et le déploiement massif des réservistes de classe B à plein temps qui ont prêté main-forte aux membres de la Force régulière ont-ils compromis le leadership et le renforcement des unités, de même que le recrutement et l'instruction des membres?

Lcol Selkirk : Je dirais que cela a occasionné de grandes difficultés, parce que ce sont les membres déployés qui possèdent les qualités de leadership nécessaires pour le recrutement, l'instruction de base et le travail à accomplir. Ce sont les capitaines, les majors, les adjudants et les adjudants-maîtres qui sont les premiers réservistes de classe B à être appelés pour le service actif.

La plupart des réservistes de classe C qui ont été déployés en Afghanistan sont, en fait, des soldats et des caporaux. Les unités peuvent donc se permettre de les laisser partir. En fait, c'est une bonne chose parce que les réservistes réintégreront leur unité avec énormément d'expérience. Par contre, pour répondre à votre question, cela crée des pressions énormes sur l'organisation dans sa forme actuelle.

La présidente : Nous comptons suivre la situation de près.

Je vais maintenant céder la parole au sénateur Segal, à qui nous avons demandé de participer à l'étude, étant donné qu'il a beaucoup écrit sur le sujet.

Le sénateur Segal : Je serai bref. Le distingué général Leslie a témoigné devant le comité. Lors de sa comparution, on lui a demandé ce qu'il adviendrait des réserves au terme de la mission en Afghanistan. D'après sa réponse, je pense qu'il est juste de dire qu'il ne pourra pas conserver un aussi grand nombre de réservistes à plein temps et qu'au rapatriement des troupes d'Afghanistan, certains de ces postes devront disparaître.

Cela s'est passé au même moment où on tentait de réduire le nombre de jours d'instruction dans les unités de réserve de partout au pays, ce qui, de toute évidence, allait avoir pour effet de réduire la force déployable.

J'aimerais que vous nous disiez comment la situation se présente et que vous nous donniez une idée de la dure réalité à laquelle les unités de réserve devront probablement faire face, à moins que quelqu'un au sein du ministère, du gouvernement ou du Parlement intervienne pour qu'il en soit autrement.

Lcol Selkirk : C'est là le cœur du problème. Tout d'abord, ce dont vous avez parlé était plus qu'une tentative de réduction de la masse salariale; c'était une réduction automatique de la force. En décembre 2009, afin de respecter les exigences liées au réajustement interne du financement, l'armée a annoncé à un certain nombre d'unités qu'on sabrerait dans les budgets alloués à la rémunération. Essentiellement, un réserviste de la Milice à temps partiel participe aux exercices d'entraînement habituellement deux soirs par semaine durant l'hiver, un week-end par mois. Bien entendu, beaucoup de jeunes soldats, qui sont étudiants, ont besoin de leur paye pour financer leurs études.

En décembre 2009, plusieurs unités se sont fait dire qu'il n'y avait plus de fonds et que, par conséquent, il fallait limiter les exercices militaires à un soir par mois, jusqu'au début de la nouvelle année financière. Pendant les trois premiers mois de 2010, un grand nombre de soldats de la Milice n'allaient pas être payés. Que se serait-il passé? Bon nombre d'entre eux auraient abandonné. Ce serait une honte compte tenu de tout l'argent investi dans leur instruction.

Le bureau du ministre a réalisé que cette politique causerait des dommages et l'a annulée. Comme la politique n'a été abolie qu'en février, certains réservistes ont perdu un mois de salaire. Cependant, je ne crois pas que cela a eu une grave incidence sur le maintien de l'effectif. On est intervenu à temps.

Lorsque j'ai dit dans ma déclaration que les politiques actuelles allaient réduire les effectifs de la Milice, je parlais en fait des quotas de recrutement qui ont été fixés pour le présent exercice. Le ministère de la Défense nationale a calculé le nombre de réservistes, dans toutes les classes de service. Je sais que quelques-uns d'entre vous connaissez très bien les différentes classes. Tout d'abord, les réservistes appartenant à la classe A sont employés à temps partiel tandis que les réservistes de classe B travaillent à plein temps. Au besoin, on a recours aux réservistes de classe B pour appuyer les effectifs à plein temps aux unités de réserve. Cependant, ces dernières années, principalement à cause de notre mission en Afghanistan, nous avons demandé à un grand nombre de réservistes de servir à plein temps à un moment où les effectifs de l'armée régulière ne suffisaient pas à la tâche. Enfin, les réservistes en service de classe C occupent un poste à plein temps et reçoivent une rémunération équivalente à celle des membres de la Force régulière. Tous nos soldats qui sont déployés en Afghanistan, dès qu'ils ont reçu leur instruction, font partie de la classe C. Aujourd'hui, il y a probablement 1 600 soldats de la Milice en service de classe C.

Le ministère a regroupé ces trois catégories et a recensé 21 000 ou 22 000 soldats. La Milice devrait compter environ 19 300 membres. Par conséquent, nous nous retrouvons avec un surplus d'effectifs et nous ne pourrons pas recruter beaucoup de nouveaux membres cette année.

J'ai mené un petit sondage auprès de mes collègues et, à ma connaissance, aucune unité au Canada ne dispose d'un quota de recrutement suffisant pour lui permettre d'accroître ses effectifs cette année, et ce, malgré le fait que les réserves devrait accueillir 900 nouvelles recrues, selon le Budget principal des dépenses. Je conviens que les réserves comprennent aussi les réserves navale et aérienne, mais comme ce sont de petites équipes, je ne pense pas qu'elles soient concernées.

En raison de ces petits quotas, le nombre de réservistes de classe A, ceux qui travaillent dans les unités à temps partiel, diminuera parce que les employés à plein temps continueront d'exécuter leurs tâches. Ils ont un contrat; on ne les laissera pas partir.

Dans les unités, on observe une attrition et un roulement constants des effectifs, ce qui est une bonne chose, étant donné qu'on forme davantage de jeunes Canadiens à qui on donne la possibilité de servir leur pays et d'acquérir des connaissances pratiques, de même que des compétences en travail d'équipe et en leadership. C'est un atout pour le Canada. Nous ne déplorons pas le fait que le taux d'attrition soit élevé, mais il est effectivement élevé et il croît rapidement, de sorte que si on n'intervient pas, les unités se rétréciront comme une peau de chagrin. Et quand on en sera là, on se plaindra que beaucoup d'unités sont trop petites, alors on les fusionnera et on en éliminera. C'est là le danger.

D'après le sénateur Dallaire, les unités se maintiennent, mais on recrute moins. Est-ce que cela signifie que nous assisterons à une diminution des effectifs d'ici l'an prochain?

Lcol Selkirk : Exactement.

Le sénateur Segal : D'autres pays sont beaucoup plus généreux à l'égard des civils qui, comme se plaisait à le dire Sir Winston Churchill, sont deux fois citoyens en se portant réservistes. Pour ce qui est de gérer un employé qui s'absente de son travail pendant une longue période, même s'il s'agit d'une petite entreprise, au Canada, nous bénéficions de congés de maternité et de paternité, de congés pour raisons familiales et d'une longue liste de congés qui font partie de la structure d'emploi. Votre organisation a-t-elle déjà songé à une forme de congé pour service militaire, c'est-à-dire une période d'un an au cours de laquelle un réserviste pourrait se porter volontaire pour partir en mission, en Afghanistan ou ailleurs, et percevoir une certaine rémunération pour ne pas nuire à sa situation financière ni à celle de son employeur? Je sais que le gouvernement procède ainsi avec ses employés; on a adopté une mesure législative il y a quelques années pour modifier la loi à cet effet. Mais qu'en est-il du reste de la population?

Lcol Selkirk : Nous avons réfléchi à cette question. Évidemment, une façon d'inciter les employeurs à accepter que leurs employés participent à des opérations militaires serait d'avoir recours au bâton. Si l'employeur ne collabore pas, on sévit.

Dès le début, sans avoir mené d'études exhaustives sur le sujet, nous sommes partis du principe qu'il valait mieux privilégier la carotte et non le bâton pour parvenir à nos fins. Il serait donc préférable d'accorder peut-être des allégements fiscaux aux employeurs pour qu'ils puissent remplacer leurs employés temporairement.

Là où c'est problématique, ce n'est pas chez General Motors ou au gouvernement fédéral, mais plutôt dans les petites entreprises. Il y a des entreprises qui n'ont que deux ou trois employés. Si, par exemple, une entreprise doit laisser partir son principal dessinateur et lui trouver un remplaçant, c'est plus difficile. Par conséquent, il vaut mieux opter pour l'incitatif que la sanction.

La présidente : Le débat est engagé. Beaucoup d'employeurs nous disent que si nous les obligeons à garder les postes ouverts, ils n'embaucheront pas de réservistes.

Lcol Selkirk : C'est toujours une préoccupation. Je sais qu'il y a des réservistes qui n'ont pas informé leurs employeurs de leur situation au moment de leur embauche.

Le sénateur Segal : Si vous me le permettez, j'aimerais apporter une précision. Le sénateur Dallaire nous a dit plus tôt où la majorité des fonds alloués à la sécurité nationale avaient été injectés et à quel point les réserves n'en avaient reçu qu'une infime partie. En toute honnêteté, lorsque le gouvernement a décidé que le terrorisme était un problème de nature criminelle, ce sont les corps policiers et les organismes frontaliers qui ont empoché la part du lion. Je ne conteste pas cette décision; je ne fais que dire ce qui a suivi cette décision. D'autres pays ont adopté une approche quelque peu différente et ont réaffecté les fonds. Si je ne me trompe pas, c'était à l'époque où le gouvernement Chrétien était au pouvoir. Je ne veux pas critiquer; je ne fais que rapporter les faits.

Le sénateur Day : Lieutenant-colonel, merci d'être ici aujourd'hui et merci pour votre travail à l'égard de Réserves 2000. Je tiens aussi à vous remercier d'avoir défini les classes A, B et C pour que nous soyons mieux en mesure de comprendre la situation.

La présidente a lu que, selon certains renseignements, la Première réserve compte 35 000 membres. Est-ce que la Première réserve englobe les réservistes des classes A, B, C et ainsi de suite?

Lcol Selkirk : Non, monsieur le sénateur. On parle ici de tous ceux qui se sont enrôlés dans les Forces armées canadiennes à titre de membres de la Première réserve. Le sénateur Wallin a décrit les autres catégories telles que la Réserve supplémentaire.

L'appartenance à la réserve supplémentaire n'est pas rémunérée. Cette réserve se limite à une liste de noms et d'adresses. D'ailleurs, je suis pas mal certain qu'elle n'est plus du tout à jour. Loin de là.

Le sénateur Dallaire : Elle n'est valide que pour cinq ans.

Lcol Selkirk : Pour répondre à votre question, ce serait la Première réserve.

Le sénateur Day : Réserves 2000 peut-il confirmer qu'il y a 35 000 membres dans la Première réserve au Canada?

Lcol Selkirk : Non. Je ne sais même pas d'où vous tenez cette information. Vient-elle du Budget principal des dépenses?

La présidente : Non, nous venons tout juste d'obtenir le renseignement du MDN. Quel est votre chiffre?

Lcol Selkirk : Je crois que la Première réserve compte environ 26 100 membres. C'est ce que prévoit le budget salarial cette année.

La présidente : Est-ce possible qu'on ait augmenté le nombre d'effectifs à 34 000, compte tenu de certaines activités comme les Jeux olympiques, entre autres?

Lcol Selkirk : Je l'ignore. J'ai ce chiffre également; 35 500. Vous devriez vous informer auprès des responsables du ministère.

La présidente : C'est ce que nous ferons.

Lcol Selkirk : Je sais toutefois que la Milice compte 23 000 membres.

Le sénateur Day : Avez-vous dit 22 000?

La présidente : Il y aussi les réserves aérienne et navale, et cetera.

Lcol Selkirk : Je ne pense pas que cela fasse 35 000 au total.

Le sénateur Day : Pourriez-vous répéter le chiffre que vous avez cité plus tôt pour ce qui est du nombre total de réservistes?

Lcol Selkirk : On a prévu un budget pour 26 100 réservistes cette année.

Le sénateur Day : Il existe une différence entre le nombre de membres « autorisés » et le nombre de membres « prévus au budget ». Pouvez-vous nous l'expliquer?

La présidente : Le chiffre dont il est question ici — 26 000 — se rapporterait au nombre de membres rémunérés, tandis que le chiffre de 35 000 inclurait tous les membres, même ceux qui ne sont pas payés. Est-ce logique?

Lcol Selkirk : Non, madame le sénateur.

La présidente : Nous allons faire ce qu'il faut pour obtenir ces chiffres.

Lcol Selkirk : Ce que l'on vous dira probablement, et je peux peut-être répondre à la question du sénateur Day, c'est que l'on se fie aux chèques de paie qui ont été émis le mois précédent pour calculer le nombre de membres de la Première réserve. À l'ère de l'informatique, cela représente peut-être une mesure brute. Toutefois, c'est ainsi qu'on s'y prend au MDN depuis de nombreuses années. Si un membre a participé aux exercices militaires au cours du mois, il est considéré comme étant en activité. À l'inverse, un membre qui n'a pris part à aucun exercice pendant un mois donné fait partie des effectifs en non-activité. Tous les commandants d'unité font leur possible chaque semaine pour limiter au maximum leurs effectifs en non-activité. C'est extrêmement difficile. Beaucoup d'employés s'absentent pour de bonnes raisons. Toutefois, je sais que les effectifs en non-activité de la Milice sont loin de représenter un ajout de 10 000 membres. J'ignore d'où vient ce nombre.

Le sénateur Day : Qu'advient-il lorsqu'un membre se blesse et qu'il ne peut pas participer aux exercices?

Lcol Selkirk : Il pourrait entrer dans cette catégorie. Comme vous le savez sans doute, lorsqu'un militaire se blesse dans l'exercice de ses fonctions, on ne le renvoie pas tant que le personnel médical n'en a pas décidé ainsi. Certains membres peuvent aussi figurer sur ce qu'on appelle la Liste des effectifs du personnel non disponible.

Le sénateur Day : Vous avez dit qu'il y a une politique visant à réduire les effectifs de la Milice. Est-ce à cause du budget? Ainsi, on ne modifierait pas le nombre de membres autorisés; on vous autoriserait à avoir 100 réservistes, mais on ne vous donnerait de l'argent que pour 75.

Lcol Selkirk : Exactement. La réduction des effectifs ne sera pas causée par l'incapacité de verser des salaires, mais plutôt par l'attrition. Si le quota de recrutement est inférieur à l'attrition, et il en est ainsi dans tous les cas que j'ai examinés, l'unité rétrécira forcément à la fin de l'année.

Le sénateur Day : Le quota de recrutement est-il établi en fonction de l'attrition prévue?

Lcol Selkirk : Je crois que oui. Il y a aussi une question de capacité d'instruction qui, j'en conviens, peut s'avérer assez problématique. Cependant, à mon avis, le Canada a tellement besoin d'une milice imposante que les nombreux effectifs aux centres de commandement devraient être en mesure d'offrir l'instruction nécessaire.

Le sénateur Day : En terminant, j'aimerais apporter une précision. Nous pourrions traiter longuement de ces questions, mais j'estime qu'il s'agit là d'une bonne première séance. Vous avez parlé de l'instruction et du fait que le premier énoncé de politique prévoit que la Milice s'occupe des opérations au Canada et que la Force régulière est un corps expéditionnaire qui peut être déployé à l'étranger. Pourtant, le sénateur Dallaire a dit que les réservistes de la Milice peuvent prêter main-forte au sein du corps expéditionnaire.

L'instruction des miliciens et des réservistes est-elle différente de celle offerte aux membres de la Force régulière? Est-il réaliste de penser que des membres de la Milice peuvent prendre part à une mission au même titre que les membres réguliers, comme c'est le cas actuellement en Afghanistan?

Lcol Selkirk : Absolument, sénateur. Nous en avons la preuve. Nous le faisons.

Avec l'instruction qui est donnée avant le déploiement, les effectifs de grades inférieurs, c'est-à-dire les soldats et les caporaux, sont tout à fait capables de joindre les rangs des unités déployées. Si vous visitez une section d'infanterie en Afghanistan, vous n'arriverez pas à différencier les réservistes des membres de la Force régulière, paraît-il. Par contre, à moins qu'il n'ait déjà acquis de l'expérience au préalable, un commandant de compagnie de la Milice n'accomplira pas le même travail qu'un commandant de compagnie de la Force régulière, ou encore qu'un chef de bataillon.

Cependant, je pense que l'armée canadienne a fait un travail remarquable lorsqu'elle a donné aux réservistes leur instruction individuelle, de même que leur instruction collective avec leurs unités respectives de déploiement. Il s'agissait d'une proposition très coûteuse, mais cela a permis de sauver des vies, j'en suis certain, et de rendre nos soldats plus efficaces sur le terrain.

Le sénateur Day : Le programme d'instruction dure entre 12 et 18 mois.

Lcol Selkirk : C'est un programme d'environ un an. Je pense qu'on l'a raccourci un peu récemment, mais il ne faudrait pas envoyer nos fils et nos filles risquer leur vie sans les former du mieux que nous pouvons. À mon avis, l'armée s'est acquittée de cette tâche avec brio.

Si je peux me permettre, dans le même ordre d'idées, nous croyons que tous les soldats, qu'ils soient de la Force régulière ou de la Réserve, devraient recevoir une instruction de base leur permettant d'accomplir toutes les tâches fondamentales — le champ de tir, l'adresse au tir, et ainsi de suite.

Cependant, les membres de la Force régulière seront forcément meilleurs au cours d'une année donnée parce qu'ils ont plus de pratique. Les réservistes, quant à eux, pourront se perfectionner une fois qu'ils auront réussi l'examen au niveau de base. Ils devront tout de même recevoir davantage d'instruction pour atteindre le niveau des autres.

Il est important de savoir que les réservistes ne doivent pas répondre à des exigences moins rigoureuses. Chacun d'entre eux doit d'abord satisfaire aux critères de base et recevoir une instruction plus poussée qui lui permettra d'être déployé.

Le sénateur Day : Selon cet énoncé de politique, les miliciens et les réservistes seront formés pour mener des activités au Canada. Reçoivent-ils une instruction leur permettant d'intervenir en cas d'actes terroristes ou d'insurrection au Canada? Sont-ils suffisamment formés à cette fin?

Lcol Selkirk : Encore une fois, l'instruction de base leur permet d'atteindre un certain niveau. Je n'affecterais jamais un réserviste à des opérations de sécurité intérieure sans qu'il ait d'abord suivi une période d'instruction individuelle et collective intensive.

Le problème réside principalement dans l'instruction collective; il faut travailler ensemble pour être efficace. Après tout, une armée n'est qu'une masse hétéroclite si ses membres ne sont pas entraînés pour travailler ensemble et travailler correctement. L'instruction collective est donc très importante.

On aimerait avoir pour l'avenir un système d'avertissement sur les dangers qui se présentent; nous pourrions alors offrir ce genre d'instruction. Par exemple, au-delà d'un certain seuil de menace contre la sécurité, nous pourrions commencer à former les réservistes au cas où ils devraient être déployés.

La présidente : À cet égard, vous dites que cela constituerait une bonne utilisation des ressources. Toutefois, selon le sénateur Segal, cela relève davantage du ministère de la Sécurité publique que celui de la Défense. Pourquoi devrait-on former des militaires pour contrer une menace terroriste?

Lcol Selkirk : À mon avis, nous n'avons pas assez de policiers au pays pour les charger du problème.

La présidente : De toute façon, nous n'avons actuellement même pas assez d'instructeurs pour les membres de la Force régulière que l'on veut envoyer en Afghanistan; ils travaillent d'arrache-pied.

Lcol Selkirk : C'est juste, mais nous ne serons pas toujours en Afghanistan.

La présidente : L'instruction de meilleure qualité est plutôt une question de projection prospective. Actuellement, le système est sous pression. Pensez-vous que la pression se relâchera?

Lcol Selkirk : Oui, elle se relâchera. Je dois bien peser mes mots. Je pense que l'instruction fournie est parfaite pour que chacun puisse jouer son rôle dans le cadre d'opérations expéditionnaires à l'étranger. Si toutefois la situation exigeait une intervention au pays, je pense que nous serions très malavisés d'aller chercher des gens du manège militaire et de leur dire d'aller faire ceci ou cela. Il faudrait d'abord une période d'instruction.

[Français]

Le sénateur Pépin : Nous avons reçu la liste des membres de la réserve, de la réserve primaire, des cadets et autres. Quel est le pourcentage de femmes dans la réserve? Existe-t-il un quota de femmes ou une approche particulière pour attirer les femmes?

[Traduction]

Lcol Selkirk : Il n'existe pas de quota, mais je suis heureux de pouvoir dire que depuis mes débuts dans les forces armées, nous avons recruté des femmes en nombres égaux, et je pense que nous avons très bien su intégrer les femmes dans ce qui était alors pour elles un domaine non traditionnel.

Tout s'est passé petit à petit. Pour commencer, elles ne pouvaient avoir que des postes de commis, puis de préposées ou d'autres fonctions du genre. Maintenant toutefois, et je ne doute pas que vous le sachiez, les femmes sont admises dans tous les services des forces armées. Les sous-marins sont, je crois, la seule exception.

Je pense que les Forces canadiennes ont fait un travail remarquable sur ce plan. Je ne suis au courant d'aucun quota. Par contre, je crois que vous constateriez qu'il y a probablement plus de femmes dans la Réserve que dans la Force régulière.

L'origine ethnique est un autre aspect de la diversité, et je pense que la composition ethnique et culturelle de la Force de réserve est plus représentative de la société canadienne dans son ensemble. Je crois que c'est particulièrement vrai dans les grandes villes, principale destination des nouveaux arrivants.

Pour ce qui est de la Milice et des autres éléments de la Réserve, même sans mesurer la capacité de défense, le Canada en a plus pour son argent du fait de l'assimilation des nouveaux immigrants et de leur sentiment d'appartenance au Canada; les femmes ont des chances égales d'emploi.

L'instruction offerte par la Force de réserve comporte bien des avantages qui ne sont pas mesurés en termes de capacité de défense, mais qui sont bénéfiques pour le Canada. À mon avis, il faudrait plus de réservistes.

La présidente : Je vous poserai plus tard une question sur un sujet qui m'est très cher, le COTC.

Au cours des dernières années, notre comité a eu des discussions avec des officiers supérieurs d'état-major au sujet de l'embauche des femmes. Vous avez laissé entendre qu'il y a une plus forte proportion de femmes dans la Réserve que dans la Force régulière.

Pourriez-vous nous donner une idée de ce qui explique cette différence? À quoi devez-vous votre succès à recruter des femmes pour la Réserve?

Lcol Selkirk : Je ne peux pas vous donner de pourcentages car je ne les connais pas. C'est seulement une impression que j'ai. Les raisons sont un peu les mêmes que celles qui expliquent la plus grande diversité culturelle au sein de la Réserve.

Bien des jeunes gens, particulièrement ceux qui sont d'autres ethnies, hésitent à s'engager et à s'éloigner de leurs familles pour se soumettre à l'instruction, travailler et ce genre de choses, alors ils ne s'engagent pas dans la Force régulière parce qu'ils devraient alors suivre les ordres et aller où on les envoie.

Par contre, la possibilité de se joindre à l'organisation tout en restant chez soi est plus attrayante. Je pense que c'est un facteur.

La présidente : D'autres ont aussi laissé entendre que c'est une question de milieu; que les sociétés urbaines d'où viennent les réservistes sont plus homogènes, par opposition au milieu rural dont semblent généralement être issus les membres de la Force régulière.

Lcol Selkirk : C'est vrai, absolument. Vous constaterez qu'il y a beaucoup d'unités de la Réserve dans les circonscriptions rurales, et qu'elles ne sont pas aussi diversifiées, mais il faut dire que les circonscriptions en question ne sont pas diversifiées elles non plus.

Le sénateur Lang : Parlons de la situation qui se profile à l'horizon pour le Canada. Nous allons bientôt quitter l'Afghanistan, même si ce n'est pas fini, et les Forces vont être rapatriées. Notre point de mire et nos priorités vont maintenant changer radicalement, et la gestion au jour le jour des forces sera très différente de ce qu'elle est aujourd'hui.

J'ai lu que l'effectif militaire à temps plein du Canada compte plus d'officiers, en pourcentage de l'effectif total, que celui de nos plus proches alliés — nettement plus. Est-ce vrai?

Lcol Selkirk : Je connais ces chiffres puisqu'ils me concernent. Oui, c'est environ 20 p. 100.

Le sénateur Lang : Je vois ici 22 p. 100.

Lcol Selkirk : D'accord, c'est peut-être un peu plus maintenant.

Le sénateur Lang : Ce sont les chiffres de 2004.

Lcol Selkirk : Oui, je crois qu'il existe des statistiques historiques convaincantes qui démontrent que moins il y a d'officiers, plus l'armée est efficace.

Je parle dans ce document de l'expérience des Allemands durant la Seconde Guerre mondiale. Ils ont commencé avec un très faible pourcentage d'officiers, et à la fin de la guerre, ils en avaient encore moins parce qu'ils n'avaient jamais modifié les normes de promotion des officiers. Je ne crois pas qu'il y aurait grand monde pour soutenir que la Wehrmacht était une armée efficace.

Je crois que cette situation mérite d'être sondée. Il est intéressant qu'à l'époque terrible qui a suivi les événements de la Somalie, des universitaires qui s'étaient penchés sur les problèmes des Forces canadiennes — Jack Granatstein et Desmond Morton — avaient conclu tous deux que le problème méritait que nous y réfléchissions. Nous n'en avons rien fait, à ce que je sache.

Le sénateur Lang : Vous citez des statistiques de 2004. En avons-nous pour 2009?

Lcol Selkirk : Il en existe. Il faut seulement que je mette ce document à jour. Si vous en avez les moyens, je pense que ce serait un excellent sujet d'étude.

Le sénateur Dallaire : Il faut prendre garde aux chiffres; si votre bataillon d'infanterie n'a que 500 soldats et celui d'un autre pays en a 1 000 pour le même nombre d'officiers, les proportions changent toutes vos statistiques.

Nous avons fait la même chose en commençant avec les généraux. Nous avons décrété qu'il y avait trop de généraux pour le nombre de troupes. Quand tous ces postes civils ont été créés, lorsque le quartier général des Forces armées est devenu partie du ministère de la Défense nationale, des équivalences ont été établies entre civils et généraux, de telle sorte que des postes ont été créés où les civils et généraux sont interchangeables.

Quand on s'arrête à ces chiffres, il faut voir plus loin que le nombre d'officiers, qui est en quelque sorte proportionnel selon la structure. Il faut regarder les extrants opérationnels de ces organisations. Les forces combattantes de nos unités manquent de personnel comparativement à tous nos alliés. C'est pourquoi il y a tant d'officiers. Nous pourrions en débattre, mais c'est un facteur déterminant qui explique le nombre d'officiers dans les Forces canadiennes. Vous n'êtes peut-être pas d'accord?

Lcol Selkirk : Je ne suis pas d'accord dans la mesure où dans les forces de campagne, comme vous le savez bien, un bataillon d'infanterie, de nos jours, compte probablement encore une quarantaine d'officiers pour quelque 800 soldats.

Le sénateur Dallaire : Non, 500 tout au plus.

Lcol Selkirk : D'accord. Quoi qu'il en soit, il y a très peu d'officiers au niveau des unités, dans l'armée canadienne. Tous ces officiers sont dans nos énormes quartiers généraux. Voilà encore autre chose; si on réduisait la taille des quartiers généraux, il ne faudrait pas autant d'officiers. Avec moins d'officiers, les coûts globaux diminuent. Il n'y a pas à les former.

Le sénateur Dallaire : J'en conviens, dans la mesure où ils ne sont pas remplacés par un tas de civils, ce qui a été le cas.

Lcol Selkirk : Je sais, je suis tout à fait d'accord.

Le sénateur Dallaire : Les civils ne coûtent pas moins cher.

Lcol Selkirk : Oui, exactement. J'en conviens.

Le sénateur Lang : De toute évidence, c'est une question qui...

La présidente : Témoignage du sénateur Dallaire.

Le sénateur Dallaire : Ayant déjà été SMA des ressources humaines, je crains bien d'être visé.

La présidente : Oui, c'est un fait.

Le sénateur Patterson : J'ai des questions très précises à vous poser. Le gouvernement a récemment déposé une loi qui vise à protéger l'emploi des réservistes à leur retour d'une période de service, et certaines provinces ont adopté des mesures en ce sens. Il est aussi maintenant possible aux réservistes de racheter des périodes de service et de cotiser à un fonds de pension. Qu'en pense Réserves 2000?

Lcol Selkirk : Pour nous, ce sont deux initiatives très positives. À propos de la loi, même si je suis prêt à parier qu'il n'y a pas une compagnie ou un particulier qui ait été poursuivi sous le régime de ces lois, son existence à elle seule constitue un excellent message.

Deuxièmement, au sujet de la cotisation à des régimes de retraite, oui, je pense que c'est une bonne chose. Nous sommes tout à fait d'accord avec ces deux mesures.

Le sénateur Dallaire : Les membres de la Réserve sont rémunérés à la journée, alors que ceux de la Force régulières sont à contrat. La rémunération de la Réserve provient du budget de fonctionnement et d'entretien et non d'une enveloppe salariale, comme celle de la Force régulière. La structure salariale est donc à la merci de toute variation; on troque les munitions, le carburant et les pièces de rechange contre la paie de la Réserve.

Lcol Selkirk : Absolument.

Le sénateur Dallaire : Pensez-vous qu'il faudrait adopter une structure salariale plus formelle pour la Réserve? Ce genre de réforme aurait-elle pour effet de stabiliser la Réserve, de la renforcer et, peut-être même, d'en réduire l'attrition?

Deuxièmement, parlons des normes en matière d'instruction. Pour monter du grade de caporal à celui de sergent et d'adjudant, et de lieutenant à celui capitaine ou major, sommes-nous trop exigeants — pas seulement dans la Milice, mais aussi dans les réserves des forces aérienne et navale —; les normes sont-elles à ce point rigoureuses que les réservistes ont du mal à obtenir les congés nécessaires pour recevoir cette instruction? Cela ne cause-t-il pas du tort à vos structures de leadership?

Lcol Selkirk : Pour répondre à la première partie de votre question, nous avons justement parlé de ce problème avec le cabinet du ministre. Nous prônons l'adoption d'une politique qui ferait exactement ce que vous dites. Selon la catégorie dont ferait partie la rémunération de la Réserve, toute personne qui s'engage dans la Réserve serait en quelque sorte à contrat. Ainsi, le réserviste aurait une idée de son salaire annuel.

Le sénateur Dallaire : Comme avec un poste permanent à temps partiel.

Lcol Selkirk : Exactement. Le ministre nous a répondu le 18 août, et je vous résume sa réponse. Il dit avoir chargé le vice-chef de réfléchir à une politique. En passant, toute cette histoire découle de la situation dont j'ai parlé, ce qui s'est produite en décembre 2009.

Le ministre a décidé qu'il faut faire quelque chose. Le CEMD en a aussi été saisi et, manifestement, il a chargé le VCEMD de se mettre au travail et de faire quelque chose. Jusqu'à maintenant, il n'y a rien de nouveau. Cela dure déjà depuis quelque temps. Peut-être dans vos délibérations futures pourrez-vous revenir sur la question, parce que c'est un enjeu fondamental pour la vigueur de la Réserve.

Au sujet de la deuxième partie de votre question, sur les cours, oui, il est vrai que nous exigeons énormément des membres de la Réserve, et aussi de ceux de la Force régulière. Nous en sommes pratiquement au point tournant où nous devrons demander aux officiers intermédiaires surtout — c'est-à-dire les sergents et capitaines — de suivre de très longs cours loin de chez eux.

Les responsables du calendrier de formation, qu'ils soient de la Force régulière ou de la Réserve, doivent être plus sensibles au mode de vie des membres de la Réserve — au fait qu'ils ont une famille et un emploi. On entend beaucoup trop d'histoires d'horreur, de celles où le réserviste est allé annoncer à son employeur qu'il doit aller suivre un certain cours. Le réserviste a pris congé et une semaine avant le début du cours, il reçoit une lettre du manège militaire lui annonçant que le cours est annulé parce qu'il manque de participants, ou autre chose. Je pense qu'avec les années, on a soulevé cette question si souvent que l'armée a fait un effort, mais elle subit des pressions actuellement, avec l'Afghanistan. À l'avenir cependant, si nous n'avons pas plus d'égards pour nos gens, nous perdrons les meilleurs. C'est malheureux, mais c'est ainsi.

La présidente : Vous ne voulez tout de même pas dire que les membres de la Réserve devraient avoir exactement le même traitement que ceux de la Force régulière, sur le plan de la rémunération?

Lcol Selkirk : C'est-à-dire qu'ils toucheraient un salaire?

La présidente : C'est cela.

Lcol Selkirk : Non.

La présidente : Pas au même taux salarial.

Lcol Selkirk : Non, mais il faudrait conclure avec eux une entente formelle stipulant que s'ils signent, ils peuvent s'attendre à toucher au moins tel montant pour une certaine période, à condition de recevoir l'instruction requise. Si l'armée régulière ne dispense pas d'instruction à un soldat salarié, ce soldat touche quand même son salaire. Si la Milice ne dispense pas l'instruction, le réserviste n'est pas payé.

Le sénateur Dallaire : Pardonnez-moi, mais la question visait surtout à ce que l'enveloppe salariale de la Réserve soit protégée, ce qui n'est pas le cas actuellement.

Lcol Selkirk : J'en conviens, et c'est ce à quoi le Vice-chef d'état-major est censé être en train de réfléchir.

La présidente : Merci beaucoup, lieutenant-colonel Selkirk. C'est notre première incursion dans le dossier de la Réserve. Nous vous sommes reconnaissants de nous avoir exposé clairement la situation.

Chers sénateurs, mesdames et messieurs, nous allons poursuivre la séance à huis clos.

Lcol Selkirk : Merci beaucoup, madame la présidente et merci, mesdames et messieurs les sénateurs, de m'avoir écouté.

(Le comité poursuit ses travaux à huis clos.)


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