Aller au contenu
 

Délibérations du Comité sénatorial permanent de la
Sécurité nationale et de la défense

Fascicule 7 - Témoignages du 18 octobre 2010


OTTAWA, le lundi 18 octobre 2010

Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense se réunit aujourd'hui, à 16 h 5, pour étudier et faire rapport sur les politiques de sécurité nationale et de défense du Canada (sujet : la situation actuelle et l'avenir de la Réserve des Forces canadiennes).

Le sénateur Pamela Wallin (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Soyez les bienvenus, sénateurs. Aujourd'hui, nous allons poursuivre notre étude sur la Réserve des Forces canadiennes. Comme le disait Winston Churchill, les réservistes sont « doublement citoyens ». Je pense que c'est toujours vrai de nos jours, comme nous l'ont démontré les témoignages que nous avons entendus jusqu'à présent, et comme nous avons pu le constater en Afghanistan, aux Jeux olympiques et lors du G8.

Notre premier témoin, aujourd'hui, est M. Richard Weitz, auteur, entre autres, de The Reserve Policies of Nations : A Comparative Analysis, une analyse qu'a publiée en 2007 le Strategic Studies Institute of the United States Army War College. M. Weitz est agrégé supérieur et directeur du Centre d'analyse politico-militaire de l'Institut Hudson, un organisme impartial de recherche sur les politiques. M. Weitz est également agrégé supérieur non rattaché au Project on National Security Reform et au Center for a New American Security.

La liste de ses états de service est très longue — Institute for Foreign Policy Analysis, Defence Science Board, Center for Strategic Studies et département américain de la Défense. M. Weitz est titulaire d'un baccalauréat ès arts de Harvard et de deux maîtrises, l'une de la London School of Economics et l'autre de l'Université d'Oxford; il a aussi fait son doctorat à Harvard. C'est un spécialiste de renom dont les travaux sont largement publiés, notamment dans les revues sur la défense.

Nous vous souhaitons la bienvenue, monsieur Weitz, et, si j'ai bien compris vos écrits, vous dites que les forces de réserve du monde sont au milieu d'une révolution. Nous sommes ravis de vous accueillir parmi nous aujourd'hui.

Richard Weitz, directeur, Centre d'analyse politico-militaire, Institut Hudson : Merci beaucoup de m'avoir invité. C'est pour moi un grand honneur que de comparaître devant le Sénat, et particulièrement devant le Sénat d'un proche allié comme le Canada, un pays que nous admirons tous, spécialement pour l'énorme sacrifice qu'il a consenti en Afghanistan en combattant la menace commune.

Je tiens à préciser qu'une de mes collègues, établie ici au Canada, a participé aux travaux d'analyse sur votre pays. Lauren van den Berg se spécialise dans les affaires de sécurité internationale. Elle en est à sa dernière année de maîtrise en politiques publiques. Je vous invite, s'il y en a parmi vous qui ont besoin d'une assistante solide, à lui faire une offre d'emploi, avant que quelqu'un d'autre ne vous devance. Elle étudie à l'Université Carleton.

Je vous invite également à venir nous voir à Hudson, la prochaine fois que vous passerez par Washington. Nous pourrions organiser les choses de façon à ce que vous rencontriez les membres de nos groupes de réflexion qui vous présenteront un autre point de vue sur certaines de ces questions. L'Institut Hudson se trouve à cinq minutes de marche de la Maison-Blanche et il est situé tout près, également, de nombreux autres instituts.

La présidente : Nous allons répondre à votre invitation très bientôt.

M. Weitz : Comme l'a souligné la présidente, nous assistons actuellement au Canada, aux États-Unis et ailleurs à une révolution mondiale dans la manière dont les pays traitent leur force de réserve. Certes, les principes constitutionnels, l'histoire, les ressources économiques et humaines ainsi que la perception des menaces varient d'un pays à l'autre, mais globalement, on se tourne davantage vers la force de réserve et ce, pour toute une série de raisons communes. C'est plus manifeste depuis 10 ans qu'auparavant, et cela devrait s'intensifier dans l'avenir.

Comme vous le savez, pendant la Seconde Guerre mondiale et une bonne partie de la guerre froide, les réservistes étaient considérés comme des ressources stratégiques. On voulait qu'ils soient disponibles pour intervenir dans la Grande Guerre, contre l'Union soviétique ou un autre pays. Cela voulait dire qu'on aurait mobilisé des millions de personnes, refait le jour J, la Seconde Guerre mondiale, si les Soviétiques étaient allés au-delà de l'Allemagne de l'Ouest, ou fait n'importe quelle campagne que vous pourriez imaginer. Cela aurait été une campagne massive. Il aurait fallu du temps pour rassembler tout le monde, donner une année de formation, fournir l'équipement nécessaire et envoyer des renforts.

Évidemment, ce n'est plus adapté au monde contemporain. Les menaces sont diffuses, discutables, fréquentes, et pour les contrer, il faut faire appel à beaucoup de compétences que les civils peuvent exercer, particulièrement dans le cas de contre-insurrections complexes, pour reconstruire après un conflit et pour maintenir la paix en neutralisant les sources de tensions internes. On peut aller jusqu'à dire que les réservistes peuvent plus facilement utiliser ces compétences sur le théâtre des opérations que les militaires traditionnels.

Certes, les militaires s'adaptent de différentes manières. Le plus souvent, en vertu du concept de la force totale que le Canada a adopté, à l'instar des États-Unis et d'autres pays, on traite davantage les forces actives et de réserve de la même manière. Cela peut toucher le salaire, la structure organisationnelle, les avantages médicaux; il faut s'arranger pour qu'il y ait moins de différences afin de pouvoir faire rapidement appel aux réservistes en cas de besoin. Cela permet à ces derniers d'être formés plus vite et de disposer de meilleurs équipements. On peut également réunir des réservistes et des militaires en service actif sur le terrain pour les faire travailler ensemble dans un tout intégré. C'est une idée qui fait son chemin. On parle aussi d'« approche pangouvernementale », un autre concept que partagent les États-Unis et le Canada et qui consiste à faire participer l'ensemble des agences concernées dans le but de régler ces problèmes complexes.

Cela ne s'est toutefois pas fait sans difficultés — en particulier pour déterminer quelles ressources garder surtout dans la force de réserve et quelles ressources maintenir dans les forces actives. À une époque, on a eu tendance, du moins aux États-Unis, à diviser le travail. Par exemple, certaines spécialités médicales sont très techniques, et les affaires civiles, la police militaire, relèvent souvent de civils. Cela a très bien fonctionné à certains égards parce que les États-Unis ont adhéré à la doctrine d'Abrams selon laquelle, pour aller à la guerre, il faut s'assurer du soutien de la Réserve. Par conséquent, on ne ferait plus une autre guerre comme celle du Vietnam, qui n'avait pas recueilli la faveur populaire.

Il reste que cela a aussi causé des problèmes lors de certains débuts de crises, quand il a fallu déployer des forces immédiatement parce qu'on ne pouvait attendre ne serait-ce que quelques semaines. On a du mal à trouver un équilibre dans la répartition entre la force régulière et la force de réserve.

Ce que l'on remarque souvent, dans de nombreux pays, dont le Canada et les États-Unis, c'est que les réservistes se concentrent sur les menaces intérieures. Avec la montée du terrorisme — notamment les catastrophes qu'il peut entraîner —, beaucoup de pays s'affairent à équiper la force de réserve pour faire face à des menaces d'attaques au moyen d'armes de destruction massive. Comme nous l'avons appris avec l'ouragan Katrina, il faut aussi compter sur une bonne force de réserve pour pouvoir gérer les catastrophes naturelles. Le Canada le savait déjà.

C'est ce qui se fait actuellement dans de nombreux pays, et c'est logique. Les réservistes sont dans la communauté; ils connaissent bien la situation et sont souvent les premiers à intervenir. Néanmoins, cela pose le problème de savoir ce qui arrive quand on veut qu'une même personne soit à la fois intervenant de première ligne et réserviste mobilisable pour se joindre aux forces actives. Ce n'est qu'une des complications à gérer.

L'un des plus gros problèmes auquel le Canada et les États-Unis sont confrontés concerne les coûts. Auparavant, la séparation était claire. La force de réserve coûtait beaucoup moins cher. Elle n'était pas mobilisée, mais elle était moins prête, de sorte que si on voulait garder beaucoup de gens prêts à intervenir en cas de besoin, c'était bien. Mais cela a changé.

Si on veut utiliser les réservistes comme une force opérationnelle, il faut moralement les traiter presque comme s'ils étaient en service actif. Il faut leur accorder tous les avantages — soins de santé, meilleur salaire, formation. Bref, on doit donner aux forces de réserve tout ce que l'on consent aux forces régulières.

Se pose alors le problème du coût. Est-il plus avantageux de continuer à compter sur les réservistes pour économiser de l'argent ou faut-il investir davantage dans les forces actives? Le gouvernement américain ne le sait pas encore. Il a entrepris une grande étude, qui devrait se terminer en janvier, pour déterminer quels seraient les coûts. Tout dépend de l'angle sous lequel on voit les choses, mais il y a beaucoup de coûts de renonciation associés au fait de retirer les réservistes de leur emploi dans le civil; en revanche, cela procure certains avantages en retour.

La question des employeurs est importante, du moins aux États-Unis. Nous avons eu des problèmes avec des gens qui ont essayé de contourner une loi de non-discrimination à l'embauche pour les réservistes. Lorsqu'un réserviste retourne sur son lieu de travail, il ne doit pas non plus être victime de discrimination. Comme cette loi n'existe pas au Canada, j'aimerais savoir s'il y a eu des abus à cet égard.

Enfin, les gouvernements ont adopté différentes approches novatrices, qui ne s'appliquent pas indifféremment à toutes les sociétés. La Grande-Bretagne, par exemple, a tenté de choisir un groupe de réservistes, de lui donner des ressources et de le traiter presque comme si ses membres étaient en service actif. Elle a aussi un autre groupe moins actif de réservistes qui coûte moins cher à entretenir, mais qui est aussi moins formé.

Aux États-Unis, on s'est beaucoup opposé à tout ce concept de préparation à plusieurs niveaux. L'argument invoqué est qu'en cas de crise intérieure, comme un ouragan, le gouverneur de l'État concerné doit pouvoir compter sur des ressources disponibles immédiatement. Il reste que le gouvernement fédéral paye pour ce service. Cela devient donc en grande partie un problème fédéral également.

Je serais maintenant ravi de discuter avec vous de ce sujet plus en détail et de répondre à vos questions.

La présidente : Merci beaucoup. Ce sont les provinces qui sont responsables de toute la question des règles et exigences. Il n'y a pas de stratégie nationale à cet égard, et plusieurs provinces ont adopté des dispositions en la matière.

J'ai deux petites questions. Est-ce que l'étude dont vous avez parlé, qui devrait être terminée pour janvier, est réalisée par le département de la Défense?

M. Weitz : Oui, on avait prévu d'examiner le dossier des réservistes dans le cadre de l'examen quadriennal. L'étude a été retardée parce qu'on n'arrivait pas à déterminer les coûts, ce qui est pourtant fondamental. Par conséquent, le département de la Défense a entrepris une étude séparée, qui est réalisée par le bureau du ministre de la Défense et les services. Le gouverneur prend aussi part aux travaux. Le but recherché est d'évaluer les coûts de la force de réserve.

La présidente : Nous sommes impatients de voir cette étude.

M. Weitz : Ce devrait être une étude instructive parce que c'est le résultat d'un effort complexe, qui a nécessité l'engagement majeur du gouvernement fédéral pour y voir plus clair dans l'ensemble des composantes en jeu. Elle devrait pouvoir servir de modèle.

La présidente : À propos du concept de la force totale, pourriez-vous nous dire s'il existe un pays dans le monde — à la lumière de votre étude — qui n'aurait pas adhéré à ce concept ou qui serait contre?

M. Weitz : Non. Certains pays l'appliquent de différentes façons et d'autres vont plus loin encore. En Allemagne, il y a toujours la conscription, mais elle devrait disparaître, ce qui est déjà le cas en France depuis longtemps. Les Chinois, les Russes et la plupart des grandes puissances appliquent ce principe.

La présidente : C'est donc la norme actuellement, n'est-ce pas?

M. Weitz : Effectivement. Il y a trop de ressources précieuses parmi les réservistes, en termes de compétences civiles, de main-d'œuvre et de moyens pour ne pas vouloir en profiter d'une manière ou d'une autre.

Le sénateur Dallaire : Le concept de la force totale est apparu au début des années 1970 et a été appliqué de différentes façons, comme en créant des unités mixtes composées de membres de la force régulière et de réservistes. Cela a fait son chemin; tout dépendait des budgets et des tâches opérationnelles.

À l'heure actuelle, comme vous l'avez indiqué, les réservistes peuvent s'occuper de la sécurité intérieure. Dans les années 1960, si vous vous rappelez bien, la survie de notre nation dépendait des réservistes, qui devaient se charger de la formation en cas d'explosion nucléaire. Ils se sont occupés de toute la logistique, ce qui a eu un effet catastrophique sur leur capacité opérationnelle.

Vous dites qu'on ne devrait plus considérer les réservistes strictement comme une force de mobilisation; ils constituent une force plus préparée, à un autre niveau, que la force régulière, et cela va en augmentant.

Avez-vous songé à avoir des réservistes permanents à temps plein ou temporaires à temps partiel, par opposition à de simples réservistes dans des manèges militaires, que l'on peut appeler, mais qui sont peut-être enregistrés comme faisant partie d'unités intégrées ou d'unités opérationnelles, qui formeraient un bataillon ou une compagnie dans une unité constituée? Y avez-vous réfléchi sérieusement?

M. Weitz : Il y a deux facteurs à prendre en compte à cet égard. Le premier est que beaucoup de pays ont déployé des efforts pour se débarrasser des forces de niveau inférieur, c'est-à-dire des groupes cadres ou des personnes qui se rencontrent deux semaines par année et les samedis et dimanches. On s'est rendu compte que ces gens n'étaient pas capables d'intervenir dans le genre de confrontations immédiates qu'on connaît actuellement.

Et peut-être plus important encore, décider qu'une personne doit être dans la Réserve ou travailler à temps plein relève souvent d'un choix personnel. Le département américain de la Défense a tenté de permettre aux gens de changer de voie au cours de leur carrière; on les laisse être en service actif dans la force régulière pendant un certain temps. Ensuite, ils peuvent retourner dans la force de réserve s'ils veulent fonder une famille. Cela s'applique aux hommes et aux femmes qui veulent passer du temps à la maison. Pour certaines compétences, comme dans les TI et l'informatique, on est très en avance par rapport à ce que l'on retrouve au gouvernement, et cela continuera probablement ainsi. Par conséquent, il est important de garder les personnes qui travaillent dans ces domaines la majeure partie de leur carrière afin qu'elles soient à la disposition du gouvernement en cas de cyberattaque, par exemple. Il faut pouvoir compter sur ces gens immédiatement en cas de problème et, pour ce faire, il faut les garder intégrés dans l'effectif.

Les services ont un peu expérimenté ce qu'ils appellent le statut d'associé; cela a commencé dans la Force aérienne et s'étend depuis. Cela permet aux membres des forces actives et de réserve de se réunir et de se former ensemble. Ils ont la même base et, sur le plan administratif, la même échelle salariale. Cela a fonctionné à certains endroits, mais pas à d'autres.

Tout comme aux États-Unis, au Canada il y a la question fédérale, c'est-à-dire qu'on veut aussi que certaines personnes passent beaucoup de temps dans leur communauté et soient fortement intégrées dans leur milieu. Les réservistes occupent des emplois à temps plein comme maire, policier ou pompier, de sorte qu'ils peuvent être une courroie de transmission importante entre les valeurs civiles et militaires.

Dans la plupart des pays, ce problème s'estompe avec le temps parce que beaucoup de barrières sont tombées. Le personnel militaire se marie souvent et fonde une famille; il n'est pas composé uniquement d'hommes, et cetera. La fonction peut être importante pour les instances fédérales, mais il faut que les gens aient diverses façons de percevoir la situation dans différentes régions et qu'ils puissent en faire état à l'occasion de réunions avec les représentants fédéraux à Washington, à Ottawa ou ailleurs.

Le sénateur Dallaire : Le Corps des Marines compte trois divisions à temps plein et une division de réservistes. Toutefois, la force de réserve compte à peu près 20 p. 100 de membres de la force régulière qui se déploient dans des unités. L'Armée de terre a quelque chose de semblable; je ne sais pas ce qu'il en est pour l'Armée de l'air et la Marine. Je ne crois pas que la Marine américaine ait des bâtiments pour les forces de réserve.

M. Weitz : Il n'y a pas assez de navires pour cela.

Le sénateur Dallaire : Le contexte varie selon chaque service. Est-ce que cela pose un problème pour élaborer une politique sur l'utilisation de la Réserve? Celle-ci n'est plus une base de mobilisation et on veut intégrer ses membres, je suppose, dans les opérations courantes. Avez-vous observé des frictions au sujet des politiques concernant la façon d'utiliser les forces de réserve et leurs conditions d'emploi?

M. Weitz : La question de l'utilisation n'est pas un gros problème, parce qu'il y a suffisamment de ressources. De nos jours, quand quelqu'un entre dans la Réserve, il doit s'attendre à servir dans une mission, avant en Irak et maintenant en Afghanistan.

Traiter les réservistes équitablement est devenu problématique, peu importe le service auquel ils appartiennent. Idéalement, ils aimeraient avoir un seul système de rémunération pour tout le monde. Cependant, étant donné que les réserves fonctionnent différemment d'un service à l'autre, il leur a fallu renoncer à certaines initiatives ministérielles qu'ils avaient entreprises pour uniformiser la rémunération, leurs effectifs et leurs règlements, simplement pour cette raison.

L'emploi est devenu moins problématique que certaines des autres questions, comme l'administration et le traitement équitable. Ils s'efforcent de trouver un équilibre entre leur désir de mettre en œuvre des initiatives pour traiter tout le personnel de manière équitable à l'échelle ministérielle et celui de donner à chaque service un certain pouvoir discrétionnaire.

À mon avis, il est probable qu'une autre question sera épineuse pour le Canada, car cela semble être le cas pour toutes les démocraties. C'est la façon dont on traite le personnel militaire comparativement aux employés civils, que ce soit un agent du service extérieur, un travailleur social ou un agronome qu'on envoie en Afghanistan. Ces gens doivent être traités adéquatement. Les entrepreneurs nous posent un problème particulier : il est souvent plus avantageux pour une personne de quitter l'armée, de travailler pour un entrepreneur privé, de recevoir un salaire trois fois plus élevé et de ne pas avoir à se préoccuper de bon nombre des règlements et des restrictions auxquels les membres de l'armée sont assujettis.

La présidente : Ce problème ne s'applique pas uniquement aux États-Unis.

Le sénateur Lang : Je vous remercie de votre présence aujourd'hui. Je me réfère au livre que vous avez écrit en 2007 intitulé The Reserve Policies of Nations : A Comparative Analysis.

Dans votre étude, avez-vous constaté qu'en raison de la technologie en constante évolution et surtout de la machine de guerre industrielle, on avait moins besoin de réservistes, car leur concours était moins nécessaire ou, au contraire, avez-vous remarqué qu'en général, on avait davantage besoin d'eux?

M. Weitz : Vous pouvez vous procurer mon livre en vous rendant sur le site web du Strategic Studies Institute. On peut le télécharger gratuitement à cet endroit, de même que toutes leurs études, alors servez-vous.

Nous avons constaté que, presque partout, la force active et la force de réserve avaient été réduites. Ils ont besoin de moins de gens parce que la guerre est davantage une question d'armes intelligentes qu'une question d'attrition de masse. Pour faire fonctionner les armes, il faut un effectif plus petit, mais plus qualifié.

En un sens, cela devrait faire pencher la balance vers la force active, car on peut y former des soldats qui travailleront à temps plein. Toutefois, certaines des compétences qui s'avèrent particulièrement utiles dans les conflits auxquels nous prenons part aujourd'hui sont manifestement plus développées chez les civils, ce qui devrait avantager les réservistes. Certains des meilleurs membres des EPR, qui travaillent pour la police militaire, s'occupent des affaires civiles, participent à la reconstruction qui suit les conflits ou réparent des égouts en Afghanistan, font très probablement partie de la Réserve, et non de la force active. Encore une fois, je parle de manière générale, car les compétences de chaque personne sont uniques. Certaines d'entre elles sont liées à la technologie de l'information.

À notre connaissance, les Chinois disposent d'un grand nombre de cyberguerriers qui sont presque tous des réservistes ou qui travaillent au civil. Ils peuvent recevoir de la formation et être prêts à participer, au besoin, sans qu'on puisse nécessairement établir un rapprochement entre eux et le gouvernement, puisqu'ils semblent faire partie d'un groupe quelconque établi dans une ville de Chine.

Cela varie probablement en fonction des compétences requises. Le gouvernement américain s'efforce d'être plus souple quant à la façon dont il permet aux gens de participer, en particulier dans le domaine de la cybernétique, car il est conscient qu'il est difficile de convaincre ces personnes de s'enrôler à temps plein dans l'armée. Peut-être qu'on pourrait conclure une entente avec Microsoft et que les réservistes des services pourraient contribuer à la fois à l'ensemble de la collectivité et à Microsoft en faisant ce qu'ils doivent faire. C'est probablement aussi le cas pour d'autres compétences. Deux forces contradictoires interviennent.

Le sénateur Lang : Cela nous ramène au Canada et, dans un avenir assez rapproché, aux États-Unis d'Amérique, ainsi qu'à leur engagement militaire en Afghanistan.

À votre avis, puisque le Canada jouera un rôle, mais ne prendra pas une part active au travail sur le terrain, si je peux m'exprimer ainsi, devrions-nous conserver nos réserves dans leur état actuel, ou devrions-nous redéployer des militaires au fur et à mesure que nous réévaluons notre situation? Manifestement, le scénario a changé du tout au tout.

M. Weitz : Cela ne se produit pas souvent mais, idéalement, il faudrait que le gouvernement vous dise quels sont les objectifs que vous visez dans le monde et quel rôle les militaires jouent dans leur atteinte, puis que vous déterminiez la stratégie qui vous aidera à accomplir cette tâche. Vous verrez alors quels éléments de la force active et de la force de réserve peuvent vous apporter le genre de compétences dont vous aurez besoin pour y parvenir.

Pensez au rôle que le Canada pourrait vouloir jouer dans le monde. Idéalement, il n'y aura pas d'autres situations comme celles de l'Afghanistan ou de l'Irak. Robert Gates, le secrétaire de la Défense, a dit que nous ne participerions pas de nouveau à une mission de ce genre, s'il nous était possible de l'éviter. Le Canada contribue depuis longtemps à la prévention des conflits et aux efforts de reconstruction qui suivent les conflits. Vous souhaiterez peut-être aider certains pays d'Afrique à se rétablir après un génocide, par exemple, et, si c'est le cas, vous chercherez toujours à assurer la sécurité des gens que vous enverrez là-bas.

De manière plus générale, le Canada et les États-Unis sont étroitement liés à la défense de l'Amérique du Nord. Vous voudrez que des gens compétents combattent les menaces terroristes qui se développent chez vous et qu'ils vous protègent contre les missiles, si cela vous inquiète. Le Canada a toujours joué un rôle clé dans les questions de non-prolifération, alors vous aurez besoin de techniciens.

Vous pourriez aussi bien faire valoir que vous trouverez les gens nécessaires parmi les civils que parmi les militaires. Vous voudrez probablement conserver un certain effectif militaire. Comme le sénateur précédent l'a mentionné, même les unités composées entièrement de réservistes comportent des membres en service actif parce que quelqu'un doit maintenir la structure, préparer les paies, et cetera.

Les États-Unis ne suivent pas toujours cette règle, mais la structure idéale est dictée par la position que vous voulez occuper dans le monde, la contribution que peut apporter le petit élément militaire et les compétences que la Réserve active est la mieux placée pour fournir. Comme vous l'avez souligné plus tôt dans votre question, ces apports évolueront toujours avec la technologie. Par conséquent, il vous faudra rétablir cet équilibre constamment.

Le sénateur Lang : Vous avez mentionné la question des lois en vigueur aux États-Unis et le fait qu'on ne peut pas faire preuve de discrimination lorsqu'il s'agit d'embaucher un réserviste. Les États-Unis indemnisent-ils les employeurs lorsque les réservistes sont appelés à servir? À propos, je crois que la Grande-Bretagne et la France le font dans une certaine mesure.

M. Weitz : Vous avez raison. La Grande-Bretagne et la France ont un bien meilleur système. Ces pays réussissent à établir un dialogue entre les employeurs et la communauté de la défense. Ils s'efforcent de le faire.

En règle générale, l'embauche de réservistes est considérée comme un devoir patriotique, et la possibilité de recevoir une sanction suffit à les convaincre. Comme vous pouvez vous en douter, les conséquences sont beaucoup plus graves pour les petites entreprises. Bien entendu, ce qui est catastrophique, c'est lorsque le seul dirigeant d'une entreprise est rappelé pour être affecté en Afghanistan et qu'il essaie de confier son travail à quelqu'un d'autre. Cela ne fonctionne pas. Ils n'ont pas encore trouvé le moyen de résoudre ce problème.

On pense que l'entreprise en assumera les coûts de la même façon qu'elle le ferait si un employé était appelé à jouer le rôle de juré.

Le sénateur Lang : Il n'y a aucune indemnisation.

M. Weitz : Des prêts sont offerts pour combler les coûts. Si vous aviez l'intention de revoir ce système, je recommanderais que vous suiviez le modèle français ou britannique. Les Américains sont moins avancés dans ce domaine en raison du grand nombre de réservistes et des coûts que cela occasionnerait.

Le sénateur Mitchell : Monsieur Weitz, j'aimerais continuer à vous interroger sur ce sujet. Aux États-Unis, en Grande-Bretagne et en France, pendant combien de temps une entreprise doit-elle maintenir le poste d'un réserviste vacant? Y a-t-il une limite de temps? Partir pendant six mois est une chose; s'absenter pendant trois ans en est une autre.

M. Weitz : La limite s'élève à cinq ans. En moyenne, les réservistes sont rappelés aux cinq ans, et ils font partie de la Réserve pendant 30 ans. La personne sert une année sur six, et elle est protégée jusqu'à son retour. Un poste est censé être disponible pendant cinq ans, puis le réserviste s'absente de nouveau. Il s'agit essentiellement d'une couverture continue. Comme vous pouvez l'imaginer, les gens essaient de contourner la loi. Ils se disputent constamment avec les personnes responsables de l'application de la loi.

Le sénateur Mitchell : Aux États-Unis, s'agit-il d'une loi fédérale ou de lois adoptées par les États? Englobe-t-elle tant les emplois du secteur privé que ceux du secteur public? Au Canada, ce domaine relève des provinces et, si des emplois sont protégés, il s'agit d'emplois du secteur public.

M. Weitz : D'accord. Je peux vous fournir le nom de la loi, parce que je l'ai examinée plus tôt. Elle a été adoptée en 1993, et elle découle d'un problème qui s'est produit après la guerre froide, lorsque nous avons commencé à avoir davantage recours à nos réservistes. Puis, les choses se sont envenimées lors de nos missions en Somalie, en Bosnie, et cetera.

C'est une loi fédérale, et elle s'applique tant au secteur public qu'au secteur privé. Elle s'appelle la Uniformed Services Employment and Reemployment Rights Act. Elle protège les emplois pendant des périodes maximales de cinq années de service échelonnées sur carrière civile de 30 ans.

Le sénateur Mitchell : Vous avez dit qu'il vaudrait mieux suivre le modèle britannique ou français.

M. Weitz : Ces modèles sont plus généreux, mais plus coûteux.

Le sénateur Mitchell : Quel genre d'indemnisation une entreprise reçoit-elle? S'agit-il d'une subvention?

M. Weitz : Je ne sais pas en quoi elle consiste de nos jours mais, d'une certaine manière, bon nombre des coûts étaient remboursés. Il était possible d'obtenir un prêt. De plus, les premières mesures consistaient, entre autres, à remettre à l'employeur une lettre du secrétaire de la Défense qu'il pouvait pendre à sa porte pour afficher son patriotisme. On leur offrait également un soutien moral. Depuis, les choses ont quelque peu changé, et l'on cherche maintenant à indemniser l'employeur plus concrètement. Si l'employeur est en mesure de documenter ses pertes financières, le gouvernement les remboursera. À l'époque, les deux pays employaient un petit nombre de réservistes, alors ils pouvaient se permettre de le faire.

Le sénateur Mitchell : Vous avez mentionné de nombreux points intéressants et, en particulier, vous avez souligné que les réservistes étaient rappelés lorsque des catastrophes naturelles se produisaient. Il existe un lien entre le changement climatique et les catastrophes naturelles. En fait, l'armée américaine élabore en ce moment des politiques visant à déterminer les répercussions que le changement climatique aura sur les besoins en matière de défense, les guerres à l'étranger, et cetera.

Pensent-ils aux pressions que les catastrophes naturelles exerceront sur leurs réservistes? Tiennent-ils également compte de ce facteur quand ils réfléchissent au changement climatique?

M. Weitz : Pour obtenir de plus amples renseignements à sujet, chers sénateurs, j'ai eu l'occasion de participer à la rédaction d'un livre qui parle de l'armée, de la sécurité nationale, du changement climatique et de toutes leurs conséquences. Ce livre est publié par la Brookings Institution.

Jusqu'à maintenant, on pense que le changement climatique aura d'importantes répercussions sur les opérations dans environ 30 ans. On nous dit que, si nous nous ressaisissons et que nous agissons, nous avons encore une chance de nous en sauver.

Manifestement, l'Arctique est une question plus urgente pour le Canada. On estime que certains des effets du changement climatique seront prévisibles et que d'autres ne le seront pas. Si votre pays était touché par de nombreuses catastrophes naturelles, il vous faudrait songer à allouer davantage de ressources aux réservistes et à créer une garde nationale qui relèverait du gouvernement.

Pour toutes sortes de raisons — morales et autres —, l'armée américaine pense que, s'il y a une catastrophe naturelle au Pakistan, comme nous en avons été témoins, ou ailleurs, elle interviendra. Il faut que nous ayons du personnel en service actif qui est en mesure d'être déployé en Haïti, par exemple, afin de les aider également à se relever de cette catastrophe. C'est pourquoi ils pensent aux coûts et à ce qui serait le plus logique, et ils se demandent combien de membres ils devraient conserver dans la Réserve active.

On estime que les changements climatiques poseront surtout des problèmes dans deux ou trois décennies. Il faut songer à la question maintenant, mais nous n'avons pas besoin de planifier des opérations.

Le sénateur Mitchell : Je vous remercie, c'est excellent.

Le sénateur Plett : Je veux poursuivre dans la même veine que le sénateur Lang. J'ai passé la majeure partie de ma vie à gérer une petite entreprise. Cela aurait été catastrophique si, à certains moments de l'année, nous n'avions pas pu compter sur des employés parce qu'ils étaient appelés à servir le pays à titre de réservistes. Lorsqu'un réserviste présente une demande d'emploi, est-il tenu de dire qu'il est militaire?

M. Weitz : Je ne crois pas. Il y a certaines questions qu'on ne peut pas poser, et je pense que c'en est une. On ne m'a jamais demandé si j'étais dans l'armée lorsque j'ai postulé des emplois. Cela dit, on peut poser la question par simple curiosité. À un moment donné, les employeurs doivent bien sûr être mis au courant, mais je ne sais pas s'ils ont le droit de poser la question ou si c'est par habitude qu'on ne me l'a pas demandé. Une personne pourrait dire qu'elle a été congédiée parce que son patron savait qu'elle était réserviste. Les employeurs ne veulent pas que cette information soit sur papier. Jusqu'à présent, on ne m'a pas dit que c'était une question courante.

Le sénateur Plett : Un réserviste appelé en service actif pour une guerre ou un désastre est-il obligé de partir sur-le-champ? Si j'étais dans la Réserve, pourrait-on me demander de cesser de faire ce que je fais pour aller en mission?

M. Weitz : Pour les missions de longue durée comme en Afghanistan et en Irak, la politique est de donner un avis de 24 mois. Néanmoins, si une guerre se déclarait avec l'Iran demain, les réservistes seraient tenus d'y aller. Un réserviste part normalement en mission tous les six ans. On doit informer son employeur deux ans à l'avance pour qu'il prenne des arrangements. Idéalement, cela aide à atténuer certains problèmes.

Le sénateur Plett : Savez-vous pourquoi il y a une énorme différence entre le pourcentage de femmes dans la Réserve par rapport à la force régulière? Je crois que les femmes représentent moins de 15 p. 100 de la Réserve et 25 p. 100 de la force régulière.

M. Weitz : Non, je n'en suis pas certain. Évidemment, les pourcentages augmentent avec le temps. C'est peut-être parce que les États-Unis vont bientôt avoir une femme comme secrétaire de la Défense. Cela pourrait avoir un effet, comme pour le service à l'étranger. Je ne sais pas très bien pourquoi il y a moins de femmes dans la Réserve. C'est peut-être parce que de nombreux réservistes étaient dans la force régulière et que les militaires avaient toujours été des hommes. Étant donné qu'il y a davantage de femmes militaires, l'écart se réduira à un certain moment. La raison n'est pas claire. Pourtant, on ne fait pas de discrimination contre les femmes dans la Réserve. Je ne comprends pas bien pourquoi, car en fait, ce sont souvent les femmes qui possèdent les compétences que nous recherchons.

Le sénateur Plett : Avez-vous dit que la majorité des réservistes ont déjà fait partie de la force régulière?

M. Weitz : Je ne sais pas s'il s'agit de la majorité, mais bon nombre de réservistes ont déjà été dans la force régulière. Les responsables de la Garde nationale et de la Réserve demandent aux gens qui quittent la force régulière s'ils aimeraient poursuivre leur service militaire en prenant moins de responsabilités et en exerçant certaines options d'adhésion à la Réserve. Le personnel qui quitte la force régulière est utile, car il est déjà formé. Les gens de la Réserve s'y intéressent.

Le sénateur Plett : La Défense nationale compte faire passer le nombre de réservistes de classe C d'environ 1 600 à 223 d'ici 2013. Si on exclut que le manque de réservistes peut causer des problèmes, cela va-t-il régler d'autres problèmes dont nous entendons parler?

M. Weitz : À ce que je sache, les réservistes de classe C ont déjà connu ce genre d'expérience. Cela entraînerait certains coûts pour ce qui est des compétences. Il faudrait peut-être plus de temps pour intégrer un réserviste qui n'est pas de classe C; il y a des conséquences négatives. On présume qu'il y a une raison derrière la proposition, par exemple les coûts, alors il faut faire un compromis. Pour les raisons que j'ai énoncées, nous voulons que les réservistes soient prêts à réagir, parce qu'ils pourraient être rapidement ramenés en service actif.

La présidente : Je crois que c'est une question de paiement.

Le sénateur Day : Monsieur Weitz, merci d'être ici aujourd'hui et de nous avoir présenté Mme van den Berg.

M. Weitz : C'est elle qui m'a parlé des réservistes de classe C.

Le sénateur Day : Nous nous intéressons tous à la protection des réservistes, dont ont parlé les sénateurs Lang et Mitchell. Vous parliez tout d'abord de la protection au moment de l'embauche, mais vous avez précisé que la question s'appliquait aussi aux demandes de congé des réservistes qui participent à un déploiement. Aux États-Unis, les secteurs privé et public sont régis par la loi fédérale.

Au Canada, nous avons jugé que les lois applicables au secteur public protégeaient les réservistes. Mme van den Berg vous a peut-être parlé du Conseil de liaison des Forces canadiennes, formé d'un certain nombre de bénévoles du secteur privé qui essaient de convaincre les responsables d'entreprises d'aider les réservistes de bon gré.

Avez-vous déjà vu ce modèle ailleurs ou est-il propre au Canada?

M. Weitz : Bien des ministères de la Défense essaient d'établir le contact avec les employeurs. Aux États-Unis, on parle de la triade de la Réserve, de la force régulière et du secteur privé, parce que les trois sont nécessaires, en plus de la famille.

De nombreux pays vont également fournir des efforts pour inciter les employeurs à se conformer et les encourager à faire plus que ce que la loi exige, en leur offrant notamment des avantages supplémentaires et une compensation pour les réductions de salaire. Par exemple, si vous travaillez pour Microsoft et que vous devez servir dans la Réserve ou la force régulière, votre salaire sera réduit. On déploie beaucoup d'efforts pour convaincre les employeurs de compenser la réduction de salaire, et cela porte parfois ses fruits.

Le sénateur Day : Les employeurs acceptent-ils volontairement de prendre des mesures?

M. Weitz : Oui, car le réserviste acquiert des compétences en leadership. Si on soumissionne un contrat de la défense, on aura une meilleure idée de ce qui peut être utile, et cetera.

C'est rare qu'il n'y ait pas un genre d'exigence légale pour protéger les réservistes d'un pays. C'est pourquoi je veux savoir à quel point la stratégie volontaire a été efficace.

Le sénateur Day : Nous nous intéressons aux comparaisons que vous pouvez présenter. Vous avez parlé d'une révolution. La tendance est-elle à la spécialisation et aux activités menées au pays? Dans la plupart des pays de l'OTAN, s'en tient-on au vieux concept qui consiste à garder les soldats sur le qui-vive presque constant de façon qu'ils puissent intervenir dans leur spécialité avec un peu de préparation?

M. Weitz : Les États-Unis sont l'exemple par excellence. Si je ne m'abuse, il y a encore beaucoup de tensions. Bien des officiers supérieurs ont fait leurs premières armes au Vietnam, mais ceux qu'on enrôle dans la Réserve n'ont pas voulu y aller. Bon nombre de personnes ne vont dans la Réserve que pour un certain temps et ne sont un peu que des militaires du dimanche. Les tensions se dissipent au fil du temps, mais elles sont toujours bien présentes.

C'est aux États-Unis que la situation est la pire. La question crée beaucoup de tensions, en raison des conflits importants résultant de la guerre du Vietnam et de la façon dont certains se sont servis de la Garde nationale pour éviter de servir le pays. On a effectué beaucoup de manipulation concernant ceux qui s'enrôlaient et ce qu'ils faisaient. C'est particulièrement vrai depuis le début des années 1990 et depuis les guerres en Afghanistan et en Irak. On constate beaucoup plus de liens d'amitié, notamment dans les échelons inférieurs. Dans une unité, on est incapable de départager les réservistes des militaires de la force régulière. Je pense que cela s'applique aussi au Canada concernant les unités et la Réserve. Il faudra encore un peu de temps avant qu'il en soit ainsi dans les échelons supérieurs. . On a encore un peu de préjugés, mais c'est sans doute aux États-Unis que la situation est la pire, en raison des tensions qui existent.

Le sénateur Day : Selon vous, la tendance veut-elle que les réservistes soient prêts à combler les besoins de la force régulière?

M. Weitz : En effet.

Le sénateur Day : Les réservistes seraient prêts à aider la force régulière, au lieu de se spécialiser dans la sécurité nationale, les urgences qui se déclarent au pays et au niveau interne ou ce genre de choses. Ces questions vont-elles perdre de l'importance à l'avenir?

M. Weitz : Oui, nous sommes tous aux prises avec des ressources plus restreintes en ce qui concerne les fonds, le personnel, les bateaux, les avions, et cetera. On ne peut pas s'offrir le luxe de demander à un groupe de se concentrer sur une catastrophe au pays qui ne se produira peut-être pas. Par contre, on peut comprendre que certaines personnes le veulent et que cela permettrait aux réservistes de se concentrer sur quelque chose et de développer des compétences de haut niveau. Au lieu de demander aux réservistes de faire un peu de tout, on pourrait leur demander de se concentrer sur une chose d'importance capitale.

Toutefois, mis à part le peu de personnes formées, notamment, dans les armes de destruction massive et dont le mandat est de préparer la Garde nationale à s'occuper d'une urgence au pays, les réservistes pourraient même faire partie d'un contingent de l'OTAN ou prendre part à des activités si quelque chose survenait au Canada ou au Mexique. Avant tout, on ne peut simplement pas se s'offrir le luxe de confiner les réservistes à des rôles de spécialistes; les ressources humaines ou financières sont insuffisantes.

Le sénateur Day : Au Canada, on accorde aux Forces armées un budget global pour la Réserve ou la Milice. Lorsque les Forces armées sont déployées ou ont besoin d'équipement supplémentaire, les réservistes sont les premiers à en souffrir et ils profitent de moins de jours de formation et de moins d'équipement dernier cri. Avez-vous constaté le même état de fait ailleurs? Y a-t-il un pays où les militaires de la force régulière n'ont pas accès aux fonds consentis à la Réserve?

M. Weitz : Aux États-Unis, il y a un fonds spécial, mais étant donné qu'il fait partie des ressources du département de la Défense, il peut faire l'objet de compressions.

Les Marines sont un cas à part et ils ont beaucoup d'influence au Congrès; personne ne touche à leur budget sans en avoir reçu l'autorisation.

Cependant, on peut réduire le budget de la Réserve, et cela provoque parfois des tensions. Par exemple, la Réserve de la Force aérienne et la Garde nationale aérienne ont besoin de nouveaux avions, car les F-16 arrivent à la fin de leur vie utile. Nous commençons à nous procurer des F-35, qu'on appelait les avions d'attaques interarmées, qui seront construits au Canada et dans d'autres pays. Mais la question, c'est de savoir qui va en tirer profit. Auparavant, on aurait pu donner les nouveaux avions à la force régulière, qui aurait cédé ses plus récents F-16 à la Réserve. Cela dit, en raison de restrictions budgétaires, les militaires de la force régulière essaient de se débarrasser de leurs vieux avions avant qu'ils arrivent à la fin de leur vie utile, parce qu'il est trop coûteux de les entretenir. Étant donné que ces militaires essaient de se concentrer sur l'équipement à la fine pointe, les réservistes ne peuvent plus profiter du transfert des appareils.

En revanche, certains pensent qu'il est inapproprié de donner de l'équipement d'occasion aux réservistes, parce que l'équipement de la force régulière et de la Réserve doit être interchangeable. Cela dit, si on achète une énorme quantité d'équipement — et on l'a constaté concernant certains chars et avions de premier plan —, on obtient des rabais en combinant la force régulière et la Réserve. Ensuite, il faut déterminer qui reçoit le premier groupe d'avions. C'est habituellement la force régulière, car c'est elle qui en a le plus besoin. Cependant, cela peut causer des problèmes.

Le sénateur Lang : Nous nous comparons toujours aux États-Unis. Parfois, je pense que la comparaison est injuste.

Qu'en est-il des réservistes en Australie? Comment se comparent-ils à nos réservistes, compte tenu des situations qu'ils doivent affronter? J'imagine que les chiffres se ressemblent quelque peu.

M. Weitz : C'est une bonne comparaison. Je n'ai pas examiné la question dernièrement, mais l'Australie a le même genre de ressources fondamentales et de principes constitutionnels, étant donné qu'elle est aussi une ancienne colonie britannique. Toutefois, la nature de la menace au Canada est différente. Heureusement, les deux pays ne sont pas l'objet d'une menace externe immédiate, mais parce que le Canada est situé si près des États-Unis, si un conflit se déclare entre les États-Unis et des terroristes islamistes, l'Iran ou un autre pays, le Canada peut très facilement en subir des conséquences. On peut émettre différentes hypothèses; que les terroristes débarquent ici ou qu'un missile soit lancé de l'Amérique du Nord, le Canada est partie prenante.

En Australie, la grande question, c'est de déterminer combien de temps encore on veut envoyer des troupes en Irak et en Afghanistan selon divers objectifs. Ces missions permettent à l'Australie de participer aux efforts de l'Alliance occidentale. L'Australie fait partie de l'OTAN, mais il y a beaucoup de discussions sur la possibilité de se rapprocher des puissances asiatiques. Nous nous préoccupons maintenant de la Chine.

Le système de la Réserve en Australie ressemble à la structure opérationnelle hiérarchisée qu'a utilisée les Britanniques, contrairement à ce que font les États-Unis. Le Canada veut peut-être envisager un tel système, même si c'est très différent de ce qu'il fait. Ici, la force régulière et la Réserve sont traitées de façon très semblable par rapport à l'Australie.

La présidente : Ce qui nous amène à un point que je voulais soulever. Vous avez parlé de préparation hiérarchisée. La menace à la sécurité nationale, toujours présente aux États-Unis, rend-elle ce concept inacceptable ou en est-il encore question dans les discussions?

M. Weitz : On en parle au niveau fédéral. Cela dit, ce n'est que la moitié de l'histoire, parce que selon le genre de conflits auxquels nous avons participé, on ne fera appel qu'aux militaires très bien préparés. Nous l'avons constaté durant la guerre du golfe Persique, en 1991. Nous avions des brigades à disponibilité opérationnelle renforcée; les gardes étaient censés participer et s'intégrer facilement au déploiement. Cependant, la force régulière ne faisait pas confiance à ces brigades, parce qu'elles étaient situées un échelon inférieur dans la hiérarchie. Les gens de la force régulière croyaient que ces brigades allaient se faire massacrer et ils craignaient d'être blâmés pour avoir utilisé des troupes mal entraînées; ils les ont donc tenues à l'écart. Cela a beaucoup divisé les gens. On essaie de changer les choses et de rendre les Forces interopérables.

Les réservistes sont nombreux en Afghanistan et en Irak; je pense qu'ils représentent 20 p. 100 des Forces canadiennes et ils ont parfois constitué 40 p. 100 de l'armée américaine. Si on veut utiliser les réservistes de façon active, il faut qu'ils soient prêts et qu'ils participent à des missions.

Toutefois, il y a des discussions au niveau fédéral. Voudriez-vous être le gouverneur d'un État dont l'unité de la Garde nationale n'est pas prête? On a apporté des changements depuis l'ouragan Katrina, mais l'ancien système fonctionnait selon un principe de cascade. S'il y avait une catastrophe, il fallait se fier aux intervenants d'urgence locaux et à la Garde nationale. C'est seulement ensuite et au besoin que les groupes fédéraux apportaient de l'aide. On a constaté que ce système était dangereux, parce que comme pour Katrina, les erreurs se succédaient. Durant l'ouragan Katrina, les premiers intervenants d'urgence n'ont pas pu régler le problème. On a demandé l'aide d'autres personnes, mais elles ne pouvaient pas non plus corriger la situation. Malheureusement, lorsque les renforts fédéraux sont arrivés, il était trop tard.

Vous ne voulez pas être le gouverneur d'un État dont les forces d'intervention ne sont pas prêtes. La question est dorénavant traitée par le gouvernement fédéral.

Le sénateur Dallaire : Vous avez envoyé en Afghanistan et en Irak des unités de la Réserve, des bataillons et des escadrons formés, et cetera, qui comprennent un pourcentage variable de militaires de la force régulière.

M. Weitz : En effet.

Le sénateur Dallaire : Dans quelle situation se trouve le corps qui reste au manège pour poursuivre le recrutement, développer les compétences en leadership et ainsi de suite, de manière à soutenir l'unité lorsqu'elle mène des opérations avant de revenir et de réintégrer la société? Y a-t-il une structure indépendante qui soutient les garnisons de toutes les unités de la Réserve au pays?

M. Weitz : Les choses ont changé. Comme chez vous, dans les années 1970 et 1980, il y avait beaucoup de manèges militaires locaux, d'unités de la Réserve, et cetera. On a éliminé et fusionné bien des ressources, de sorte que la force régulière et la Réserve partagent désormais les installations. La force régulière dirige toujours la base, et même la Réserve. Concernant les manèges militaires, on s'attend souvent des entrepreneurs de la défense qu'ils construisent la version dernier cri beaucoup plus rapidement pour éviter qu'une grande quantité d'équipements traînent dans l'entrepôt.

D'une certaine manière, l'intégration des forces règle le problème. Si certaines unités d'une base sont déployées, la Réserve active qui reste peut s'occuper des tâches administratives.

C'est si nous continuons à réduire le nombre de troupes en se fiant aux militaires plus actifs que nous aurons un vrai problème. Étant donné qu'on ferme des bases, qu'on en fusionne et qu'on compte sur l'administration virtuelle, cela n'a toujours pas posé de réel problème.

Le sénateur Day : Pour préciser les choses, monsieur Weitz, vous avez parlé des réservistes. Vos commentaires portent-ils aussi sur la Garde nationale?

M. Weitz : Oui, aux États-Unis, la Réserve est divisée en sept éléments. La Garde nationale de l'Armée de terre et la Garde nationale de la Force aérienne sont un peu particulières. Elles sont souvent financées par le gouvernement fédéral, mais elles doivent avant tout s'occuper des urgences qui surviennent dans un État. Ces éléments de la Garde nationale relèvent du gouverneur. Cependant, leurs membres ont toujours voulu être disponibles pour le service actif, alors on les considère comme faisant partie de la Réserve.

Il y a aussi cinq autres éléments. En incluant les Marines et la Garde côtière, on arrive à sept.

Le sénateur Lang : Avez-vous dit que les États-Unis réduisaient le nombre de réservistes pour réaliser des économies?

M. Weitz : Non, il y a davantage de réservistes depuis peu. Cela dit, compte tenu de la fin des missions en Afghanistan et en Irak et des difficultés financières du gouvernement fédéral, on s'attend à une réduction des effectifs.

Le sénateur Lang : Va-t-on remercier des militaires déjà en poste?

M. Weitz : On va sans doute effectuer des compressions dans tous les domaines. On réduira le financement de la défense de manière continue. Je pense que la même chose va se produire au Canada. Compte tenu de la fin des missions en Afghanistan et en Irak, on va exercer des pressions pour réduire le budget. Cela va notamment entraîner des compressions de personnel.

Nous ne pouvons pas être certains tant que les choses n'auront pas été tirées au clair, mais si on croit que la Réserve coûte beaucoup moins, on va y transférer des militaires de la force régulière. On pourrait renforcer la Réserve à mesure qu'on réduit les effectifs de la force régulière. Nous devrions être ouverts à la discussion jusqu'à ce qu'on mène une étude à ce sujet et qu'on constate des résultats.

La présidente : Nous verrons bien. Merci beaucoup, monsieur Weitz, auteur de The Reserve Policies of Nations : A Comparative Analysis. Je vous remercie de votre temps et de votre participation aujourd'hui.

Le deuxième témoin est Colin Busby, analyste des politiques à l'Institut C.D. Howe.

Nous nous intéressons à ce que M. Busby a à dire, car il a écrit le document Supporting Employees who Deploy : The Case for Financial Assistance to Employers of Military Reservists, que l'institut a rendu public en janvier. C'est une question dont nous venons tout juste de prendre connaissance durant la dernière heure.

M. Busby a obtenu la bourse de recherche 2007-2008 de l'Institut C.D. Howe, pour lequel il est maintenant analyste des politiques. Il a un baccalauréat en commerce de l'Université de l'Alberta et une maîtrise en économie de l'Université d'Ottawa. Parallèlement à ses études à Ottawa, il a travaillé à titre d'analyste subalterne des politiques à Industrie Canada. De plus, il a notamment étudié à Paris et il a travaillé à Vienne pour l'Organisation des Nations Unies pour le développement industriel.

Bienvenue; je crois comprendre que vous voulez faire quelques remarques liminaires.

Colin Busby, analyste des politiques, Institut C.D. Howe : Merci de m'avoir invité à témoigner aujourd'hui.

D'abord, je veux discuter de la difficulté qu'il y a à équilibrer les activités civiles et militaires pour un réserviste. Ensuite, j'aimerais discuter des coûts qu'entraînent les mesures législatives visant à protéger les emplois des réservistes et du rôle important que peut jouer le gouvernement fédéral pour répartir équitablement les coûts que doit assumer un employeur en raison d'un déploiement et aider le réserviste à mieux équilibrer les aspects civil et militaire de sa vie.

Les réservistes à temps partiel peuvent choisir de servir le pays à temps plein et d'interrompre leur carrière dans le civil. Ainsi, les nouveaux travailleurs ou ceux qui font des études postsecondaires peuvent trouver des occasions de gagner plus d'argent, de partir à l'aventure et d'exercer un sens du devoir en donnant leur nom pour travailler à temps plein dans l'armée.

À l'opposé, ceux qui travaillent dans le civil depuis bon nombre d'années peuvent entretenir des liens étroits avec la communauté et leur employeur et gagner davantage que s'ils poursuivaient une carrière militaire.

Étant donné que, de nos jours, il y a un réserviste pour trois membres de la force régulière, les planificateurs militaires peuvent réduire les frais administratifs et les coûts indirects en temps de paix tout en augmentant la taille globale des forces nécessaires lorsque la demande est plus grande sur le plan opérationnel. Si l'on pense qu'environ 500 des 2 500 militaires canadiens en Afghanistan sont des réservistes, il est clair que la disponibilité des réservistes est essentielle au succès des opérations.

Depuis 2006, l'augmentation de la demande pour les réservistes a conduit les gouvernements fédéral et provinciaux à multiplier les lois pour protéger les emplois. Ces lois ont établi divers critères d'admissibilité, par exemple, la durée du congé, pour que l'employé reprenne un poste au salaire et aux avantages comparables à son retour.

L'employeur n'est pas tenu de verser un salaire au réserviste qui part en mission. Même si les lois visant à protéger les emplois des réservistes sont là afin d'appuyer ceux qui se portent volontaires pour partir en mission, dans les faits, elles demandent aux employeurs de faire les frais des activités militaires. Comme ces lois peuvent entraîner une discrimination au moment de l'embauche, on se demande si elles sont efficaces.

Si le réserviste part en mission, l'employeur va sans doute engager quelqu'un d'autre ou il va augmenter la charge des autres employés. La productivité peut en souffrir et les coûts liés à la recherche d'un employé temporaire peuvent être importants. En outre, il peut arriver que l'employeur doive fournir une formation de recyclage au réserviste qui revient en poste.

D'après des données recueillies aux États-Unis, la capacité de parer à la perte d'un employé varie considérablement selon les entreprises entièrement américaines qui embauchent des réservistes et qui comptent pour 6 p. 100 du nombre total. Les entreprises, notamment les petites entreprises, qui nécessitent des travailleurs hautement qualifiés doivent éponger des pertes importantes et, dans de rares cas, mettre un terme à une partie de leurs activités lorsque des réservistes partent en mission.

Par contre, les grandes sociétés parviennent généralement à combler la perte des employés, sans connaître un important ralentissement de la production et sans devoir engager des dépenses supplémentaires.

L'obligation pour un employeur de protéger l'emploi d'un réserviste est semblable à d'autres exigences légales concernant le milieu de travail, comme la protection de l'emploi dans les cas de congé de maternité et de congé pour fonctions judiciaires ainsi que l'obligation d'accommoder une personne handicapée.

Pour ce qui est du congé de maternité, ce sont relativement tous les employeurs qui engagent des femmes en âge de procréer de sorte que les coûts de cette obligation sociale sont bien répartis. Dans d'autres cas, comme dans celui du congé pour fonctions judiciaires, ce sont quelques employeurs concernés qui doivent assumer les coûts qu'entraînent des activités estimées utiles par la société.

On se demande si toute la société devrait absorber au moins une partie des coûts engagés pour rendre service à des classes particulières de travailleurs, au lieu que ce soit surtout des employeurs précis.

Si le gouvernement assumait les coûts liés au déploiement des réservistes, il permettrait aux réservistes d'avoir une meilleure relation avec leurs employeurs et il protégerait davantage les réservistes dans la société canadienne. Avant d'apporter des changements majeurs, on doit tenir compte de l'influence qu'ils auraient sur la décision de devenir réserviste, la décision d'un employeur d'engager un réserviste et la décision d'un réserviste de se porter volontaire pour partir en mission.

D'autres pays qui comptent aussi sur une Réserve importante, comme l'Australie et le Royaume-Uni, ont déjà appliqué des programmes de compensation pour les employeurs afin d'appuyer les lois sur la protection de l'emploi et de réduire les coûts au minimum.

Les réservistes canadiens, leurs employeurs et la population en général bénéficieraient d'un programme de soutien financier facile à gérer qui accorderait des avantages, jusqu'à un maximum raisonnable, selon le salaire qu'un réserviste fait dans le civil et la taille de l'organisation pour laquelle il travaille. Plus un réserviste gagnerait un salaire élevé, plus le soutien financier serait important; plus la société serait grande, plus le soutien serait réduit. On pourrait offrir des avantages aux employeurs des secteurs public ou privé dont les employés partent en mission en tant que réservistes de classe B ou de classe C pendant plus de 30 jours. Le congé pourrait durer jusqu'à 16 mois.

Les coûts d'un tel programme devraient être faibles, allant de 5 millions de dollars par année en temps de paix à environ 20 millions de dollars par année en temps de guerre. Ces prévisions sont fondées sur les niveaux de déploiement qu'on voit dans la mission en Afghanistan.

Même si les décisions sur le recrutement et le déploiement ne semblent pas poser de problèmes de nos jours, nous devrions songer à maintenir une Réserve importante. On prévoit compter sur 30 000 réservistes en temps de paix. Tant que certains employeurs auront de la difficulté à absorber les coûts de la perte d'un réserviste, la relation entre les employeurs et les réservistes — et, au bout du compte, les Forces canadiennes — pourra se détériorer.

Les employeurs au pays et les Forces canadiennes doivent collaborer pour que les réservistes continuent de participer aux missions et pour qu'ils développent leur potentiel. La relation entre le réserviste et l'employeur est essentielle et elle permet de faire l'équilibre entre les activités civiles et militaires. La politique actuelle, soit le bâton sans la carotte, risque de miner la relation entre l'employeur et le réserviste.

Un pays responsable sur le plan financier doit avoir un programme d'indemnisation pour les employeurs simple et peu coûteux. J'entends par là qu'on devrait garder une force régulière relativement petite et qu'en temps de guerre, on devrait grossir ses rangs grâce à de nombreux réservistes. Le pays doit reconnaître la valeur des réservistes, qui témoignent aux communautés de partout au Canada des réalités des guerres que nous menons.

La présidente : Monsieur Busby, vous semblez parler principalement de deux choses. Vous proposez d'augmenter le nombre de réservistes et de subventionner les employeurs. Je suis certaine qu'on posera beaucoup de questions pour savoir s'il existe un plan de compensation simple.

Le sénateur Dallaire : À notre époque, nous ne mobilisons pas des unités énormes et des dizaines de milliers de troupes pour aller à la guerre comme cela se faisait traditionnellement. Nous ne menons pas des opérations de maintien de la paix comme l'entend le chapitre 6 de la Charte des Nations Unies. En effet, nous participons à toutes les missions, qui concernent Haïti jusqu'à l'Afghanistan. La nature des conflits de notre époque demande à nos forces d'effectuer de la planification et d'être souples.

Pour atteindre ces objectifs, nous pouvons entre autres demander aux réservistes de prêter main-forte à la force régulière et leur donner beaucoup de formation avant de les déployer, parce qu'ils ne sont pas prêts. Cela dit, votre concept m'amène à poser deux questions. D'abord, le secteur privé aurait-il à s'occuper des réservistes blessés, à leur retour?

Ensuite, l'envoi d'un réserviste en mission pendant 16 mois comporte différents aspects. Le réserviste doit notamment suivre des cours pendant quelques mois pour acquérir des compétences en leadership et autres, des connaissances et de l'expérience afin de progresser dans les unités.

Pensez-vous que nous pouvons élaborer un processus avec le secteur privé pour que les réservistes suivent des cours en plus de participer à une mission?

M. Busby : Je n'ai pas beaucoup réfléchi à la façon dont les employeurs pourraient prendre en charge les mesures d'adaptation requises pour réinsérer dans leur effectif des réservistes blessés ou handicapés. Actuellement, la loi exige que les employeurs offrent un emploi comparable à celui qu'occupait le réserviste avant son départ. Il n'est pas question des incapacités en particulier, et je ne suis pas sûr que l'entreprise privée serait désireuse ou heureuse de s'orienter dans cette direction.

Il y a des divergences d'opinions dans le secteur privé, et c'est ce que je veux mettre en lumière dans mon exposé d'aujourd'hui. Bien des employeurs seront heureux d'accueillir les réservistes blessés, tandis que d'autres n'auront pas les moyens de le faire. J'espère que cela répond à votre question dans une certaine mesure.

Pour ce qui est de la deuxième question, j'ai déjà proposé de trouver une façon de soutenir l'employeur qui doit absorber les coûts des déplacements, en raison du congé accordé à un réserviste de classe B ou de classe C. Vous avez parlé de deux à trois semaines de formation à temps plein. J'estime qu'un congé de plus d'un mois est très long et qu'il entraîne des coûts de déplacement importants. Cela me semble une limite raisonnable pour un programme qui concerne le congé accordé à un réserviste. Je crois que, si un réserviste doit partir plus longtemps, nous pourrions trouver des accommodements.

Le sénateur Dallaire : Une loi fédérale garantit que les réservistes peuvent reprendre le même travail à leur retour. Toutefois, il est bien connu que le gouvernement fédéral et même le ministère de la Défense nationale n'ont pas une bonne attitude à l'égard du déploiement des réservistes qui se trouvent dans leurs propres rangs. . Une des principales raisons qui expliquent cette situation tient à l'absence de remplaçants pour les réservistes déployés. La Défense nationale ne reçoit pas davantage d'années-personnes ou de financement pour former des gens appelés à remplacer les réservistes ou pour pourvoir les postes. Ainsi, bon nombre de postes restent vacants.

Vous avez dit que le temps était venu de prendre une décision sur la compensation à accorder aux secteurs privé et public, entre autres pour ce qui est de la protection de l'emploi et de la promotion. Cela dit, n'a-t-on pris aucune décision, depuis cinq ans que de nombreux réservistes sont déployés en Afghanistan, où beaucoup ont été blessés?

M. Busby : Je pense que le temps est propice pour aller de l'avant avec un tel plan. L'objet de la loi, c'est de soutenir la décision d'un réserviste qui souhaite partir en mission. C'était la façon qu'avait trouvée le gouvernement d'alléger le fardeau porté par le réserviste. Mais c'était aussi une solution simple pour transférer une partie des coûts liés au déploiement des réservistes, que doivent actuellement éponger seuls les employeurs.

Comme vous l'avez dit, les grandes sociétés sont en général mieux placées pour absorber les coûts, tandis qu'une entreprise de cinq employés ou moins qui perd un réserviste possédant des compétences particulières peut avoir beaucoup de difficulté à fonctionner. La nécessité d'embaucher et de former rapidement quelqu'un au niveau requis peut avoir un effet important sur les petites entreprises et créer un désavantage concurrentiel.

Même si les situations sont différentes, je pense que le gouvernement ferait bien, pour ajouter la carotte au bâton déjà en place, de mettre en œuvre un programme de compensation pour l'employeur assez simple qui peut s'adapter de manière à avantager les petites entreprises.

Le sénateur Dallaire : Après avoir passé cinq ans à combattre et après avoir utilisé un nombre important de réservistes, n'est-il pas essentiel d'appliquer un mécanisme de compensation pour maintenir l'efficacité opérationnelle en continuant d'employer des réservistes?

M. Busby : En effet, et si on y avait bien pensé, on aurait proposé un tel instrument en même temps que la loi sur la protection de l'emploi.

La présidente : Avez-vous prévu les coûts? Recommandez-vous de financer une telle mesure par l'entremise du ministère de la Défense nationale, ce qui nécessiterait des compressions dans d'autres domaines?

M. Busby : On a recommandé que la Défense nationale finance la mesure, précisément parce que les décisions que le ministère prend à l'heure actuelle ne tiennent pas compte pour ainsi dire des coûts qu'entraîne la perte d'un réserviste pour un employeur. Les décisions du ministère de la Défense nationale à l'égard des ressources humaines doivent être prises en toute connaissance de cause.

La présidente : Il faudrait financer la mesure avec les fonds existants.

M. Busby : C'est exact.

Le sénateur Plett : J'ai posé une question à un autre témoin sur le service volontaire pour les réservistes. J'avais compris que les réservistes n'avaient pas le choix et qu'ils devaient répondre à l'appel. Toutefois, vous nous avez dit que les réservistes peuvent refuser de partir en mission, sauf s'il y a une urgence.

M. Busby : En effet, c'est comme cela que les choses fonctionnent au Canada. Aux États-Unis, ce n'est pas nécessairement le cas. Cela complique les choses.

Le sénateur Plett : Je soutiens une grande partie de vos efforts. C'est rare que j'appuie l'idée d'augmenter les impôts, mais je suis tout à fait en faveur de le faire pour aider les soldats qui vont à l'étranger et qui défendent le pays.

Vous avez dit que certaines entreprises n'embauchent pas de réservistes, en raison des difficultés qu'ils pourraient leur causer. Cependant, je suis porté à croire que les entreprises ne peuvent pas faire de discrimination contre les réservistes. Quelle est l'ampleur du problème des entreprises qui n'embauchent pas de réservistes? Si je dirigeais une entreprise privée, j'essaierais peut-être de trouver une faille dans le système, mais je n'aurais pas le choix d'engager la personne si elle peut faire le travail.

M. Busby : C'est juste. Nous n'avons pas de données précises sur le nombre de conflits entre un employeur et un employé causés par la loi. Mais il reste qu'il coûte plus cher d'engager un réserviste, parce qu'il risque d'aller en mission. Cela dit, les réservistes possèdent des compétences propres dont bénéficient les entreprises, et cela peut réduire certains coûts. Le milieu des affaires permet aussi aux réservistes d'acquérir des compétences particulières qui profitent à l'armée. Au fond, les entreprises qui embauchent des réservistes assument les risques inhérents à la situation; c'est comme cela. Par conséquent, certains employeurs choisissent-ils d'éviter de prendre des risques? À mon avis, c'est fort possible. En revanche, certains employeurs sont prêts à assumer les risques et sont heureux de le faire. L'objectif de la politique, c'est d'aider les entreprises qui n'ont pas de marge de manœuvre; les profits de certaines petites entreprises sont très modestes.

Le sénateur Plett : Les entreprises n'ont pas le droit de faire de la discrimination, n'est-ce pas? Par exemple, en tant qu'employeur, je ne peux pas faire de la discrimination contre les femmes. Si une femme est en mesure d'effectuer le même travail qu'un homme, je ne peux pas l'engager plutôt qu'un homme ou vice-versa. Je dois engager un candidat selon ses compétences. N'est-ce pas la même chose?

M. Busby : Selon ce que je comprends, c'est pareil. Il faut des dispositions dans la loi pour empêcher une telle discrimination. Néanmoins, au bout du compte, la loi prévient-elle ce genre d'abus? Si on doit engager quelqu'un, on comprend que certaines personnes présentent des risques et représentent des coûts supplémentaires.

Le sénateur Plett : Je n'aurais pas le droit de verser un salaire inférieur à un réserviste qui peut faire le même travail qu'une autre personne.

M. Busby : En effet, ceux qui assument les risques et les obligations financières sont visés par la loi et ce sont les employeurs. Au bout du compte, on offre peut-être un salaire moindre ou on trouve un moyen de répartir les risques. Les entreprises ont de nombreuses façons d'y arriver. Il est clair que les États-Unis appliquent des mesures législatives concernant les personnes handicapées. Nous avons pu examiner les données sur les exigences en matière d'emploi pour ces personnes. Dans certains cas, la loi nuisait à l'embauche des personnes handicapées, au lieu de les aider. Même si elles paraissent utiles, ce genre de mesures peuvent entraîner des conséquences qui vont à l'encontre des objectifs fixés au départ.

Le sénateur Lang : J'ai remarqué que vous avez déjà parlé d'un coût calculé au prorata pour les exercices allant de 2006 à 2011. En 2008, vous avez prévu que ces mesures coûteraient 21 millions de dollars; en 2009, c'était 19 millions; en 2010, c'est 26 millions. Je présume que les mesures ne coûteraient que 8 millions de dollars si nous ne participions pas à la mission en Afghanistan. Pouvez-vous me dire où vous avez obtenu ces prévisions et si elles ont été vérifiées? Combien de réservistes seraient touchés?

M. Busby : C'est un calcul simple. Je me suis servi des données sur le déploiement des réservistes recueillies par le ministère de la Défense nationale, plus particulièrement sur la durée du service actif. J'ai tenu compte de la durée du congé et j'ai simplement utilisé le salaire moyen. J'ai également tenu compte du fait que la moitié des réservistes déployés étaient sans doute aux études. Cette hypothèse a été confirmée par la Défense nationale. J'ai fait de simples calculs d'après l'information dont je disposais sur la répartition des entreprises selon la taille et la durée du service actif. Selon moi, il s'agit de très bonnes prévisions sur les coûts du programme; elles sont assurément près de la vérité.

Le sénateur Lang : Comme bien d'autres pays, le Canada est aux prises avec un grave déficit. De plus, nous cherchons à augmenter un budget de millions et de millions de dollars. Il est facile de dire que nous allons consentir 20 millions de dollars supplémentaires et de s'entendre là-dessus si nous n'avons pas à augmenter l'impôt ou à effectuer des compressions.

Je pense que personne ne conteste le principe selon lequel on doit offrir une certaine compensation aux employeurs perdant des réservistes qui partent en mission. Je ne pense pas qu'on puisse s'opposer à cela. D'après vos connaissances sur le domaine militaire et étant donné que nous ne participerons plus aux efforts déployés en Afghanistan et que les coûts seront moindres en 2011, croyez-vous que la Réserve comptera autant de membres que la force régulière? Quelqu'un devra s'occuper de la situation sur le plan financier.

M. Busby : Ce sont de bonnes remarques. Concernant le financement, je suis d'accord avec vous dans la mesure où je ne suis pas vraiment en faveur de donner davantage de responsabilités au gouvernement alors que nous traversons un déficit important. La solution que j'ai proposée est essentiellement économique et elle est censée être facile à gérer. On imposerait un maximum strict pour l'argent qui serait transféré.

Le sénateur Lang : On parle de 16 mois.

M. Busby : En effet, la durée maximale serait de 16 mois. Concernant l'indemnité pour le salaire d'un réserviste, je propose d'utiliser une échelle mobile. Le salaire d'un réserviste permet d'avoir une bonne idée de son utilité et du gain de productivité qu'il représente pour l'entreprise. Il faudrait indemniser les petites entreprises et les entreprises qui comptent moins de cinq employés à 80 p. 100 du salaire du réserviste, jusqu'à 47 000 $, qui constitue le maximum de gains annuels ouvrant droit à pension dont nous nous servons pour le Régime de pensions du Canada durant le présent exercice. C'est une limite que nous connaissons bien en ce qui a trait à la sécurité sociale.

Je propose qu'on établisse l'indemnité versée aux grandes entreprises de 100 employés ou plus à 40 p. 100 du salaire du réserviste. L'idée, c'est d'aider les entreprises à assumer les coûts. Je n'ai pas parlé de mes attentes ou de mon point de vue sur le nombre de réservistes qu'il y aura. J'ai dit que la Stratégie de défense Le Canada d'abord faisait état de 30 000 réservistes et de 70 000 militaires dans la force régulière en 2020. C'est ce à quoi nous devons nous attendre. Un gouvernement responsable doit également examiner des stratégies de réduction du déficit à moyen terme et prendre en compte qu'il faut combler les besoins opérationnels, même dans les temps difficiles. Une Force de réserve importante est plus facile à garder et à financer en temps de paix. C'est un choix responsable et sensé sur le plan financier.

Le sénateur Mitchell : Selon le programme que vous proposez, l'indemnisation serait basée sur le salaire de l'employé réserviste. Vous avez parlé de 80 p. 100, jusqu'à une certaine limite définie par cette formule. Vous dites être absolument convaincu qu'on ne devrait pas demander à une entreprise de payer pour un intérêt social plus large, et que les entreprises devraient être indemnisées, et ce, correctement. Je ne vois pas le lien entre le salaire du réserviste et l'indemnisation, parce que de toute façon, l'entreprise ne verserait pas ce salaire aux réservistes. Elle garderait cet argent. Apparemment, vous voulez qu'on indemnise les entreprises pour les frais d'embauche, les inconvénients et les coûts de formation pour un nouvel employé qui comblera le poste dans l'intérim et pour un réserviste qui pourrait avoir besoin d'une formation à son retour. Avez-vous songé à de tels paramètres? Car il me semble que ce serait à la fois moins coûteux et plus équitable.

M. Busby : C'est un bon point. Le Royaume-Uni a opté pour un programme de ce genre, dans le cadre duquel l'employeur devait remplir de longs documents administratifs lorsqu'un réserviste partait en congé. On fournissait des détails et des documents pour prouver ce qu'il en coûterait exactement de réembaucher quelqu'un, ou pas, dans certains cas. L'expérience britannique a démontré que ce processus entraînait des coûts administratifs élevés, en plus d'être lourd et de demander beaucoup de temps à l'employeur. Au terme de la démarche, il se pourrait qu'on aille à l'encontre du but recherché avec ce genre de procédure détaillée. De plus, il est difficile de calculer combien il en coûtera réellement aux employeurs lorsqu'un réserviste partira en service militaire. L'employeur peut attester, au moyen de documents, combien il en coûte pour annoncer un poste et embaucher un travailleur temporaire pour deux semaines. Il peut fournir cette information, mais cela ne tient pas nécessairement compte de la quantité d'heures travaillées par les autres employés qui se chargeront des dossiers des réservistes, ou qui assumeront leurs responsabilités, ni de la quantité de temps qu'on consacrera à l'embauche de l'autre personne. Bien d'autres éléments compliquent le processus. Ce que vous pourriez économiser en dépenses fiscales en empruntant cette voie, vous le perdriez probablement à cause des coûts administratifs plus élevés. À mes yeux, il y a là une neutralisation, et je n'y vois aucun avantage.

Le sénateur Mitchell : Il fallait trouver un moyen de simplifier les choses.

M. Busby : Oui, exactement.

Le sénateur Mitchell : Vous avez dit que la limite maximale de 20 millions de dollars s'appliquerait à 30 000 $. Vous avez tiré cela de quelque prévision qu'on a effectuée, et à juste titre. Il vous aurait fallu établir certaines hypothèses relativement à l'ampleur, au lieu, aux motifs et à la durée du déploiement. Quelles hypothèses avez-vous formulées au sujet du déploiement?

M. Busby : Les données sur le déploiement que j'ai utilisées dans mes calculs pour les années 2006 à 2011 sont celles qui nous venaient du ministère de la Défense nationale.

Le sénateur Mitchell : Ces chiffres supposent que nous sommes en guerre quelque part.

M. Busby : Ces chiffres sont basés sur le niveau de déploiement actuel, qui compte parmi les plus importants de l'histoire récente du Canada.

Le sénateur Mitchell : Le montant de 20 millions de dollars pourrait être un maximum, et nous pourrions envisager quelque chose de moins élevé en réalité.

D'après ce que je sais de l'Institut C.D. Howe, vous n'aimez pas les augmentations d'impôt et taxes. Est-ce exact? Est-ce bien votre politique? Vous ne pouvez pas en parler?

M. Busby : Madame la présidente.

La présidente : Vous n'êtes pas responsable d'eux.

M. Busby : L'Institut C.D. Howe croit en la responsabilité fiscale.

Le sénateur Mitchell : Vous ai-je bien entendu dire que ce programme n'entraînerait aucune augmentation de taxes? Avez-vous dit que nous mettrions en œuvre ce programme dans les limites du budget dont nous disposons, sans augmenter les taxes?

Le sénateur Day : On avait parlé d'une quantité moindre d'équipement, non?

La présidente : Il a dit que ces fonds devaient provenir du MDN.

Le sénateur Mitchell : Cela voudrait dire qu'il y aurait moins d'argent pour les soins de santé ou autre chose, non?

M. Busby : Dans le contexte des dépenses du secteur public fédéral, je parle d'environ 5 millions à 20 millions de dollars. Bien des gens compareraient cela à une goutte d'eau dans l'océan, mais on pourrait également affirmer qu'il sera peut-être nécessaire d'augmenter ce montant de 5 millions à 20 millions grâce aux taxes. Toutes choses étant égales par ailleurs, en supposant que nous aurons toujours un budget équilibré, s'il nous faut augmenter les taxes, eh bien soit. Est-ce une bonne chose à faire en l'occurrence? Oui.

Le sénateur Mitchell : Parfait. Nous comprenons.

Avez-vous connaissance du dossier du gouvernement fédéral en ce qui concerne l'octroi de congés prolongés aux réservistes, ou est-ce une question que vous avez examinée?

M. Busby : Non.

Le sénateur Day : Ce sera utile pour clarifier les choses, monsieur Busby. Au cours des cinq ou six dernières années, chacune des provinces, chacun des territoires et le gouvernement fédéral ont adopté des lois pour protéger les réservistes qui travaillent dans les secteurs privé et public, n'est-ce pas?

M. Busby : C'est exact.

Le sénateur Day : Nous n'avons pas d'exemplaire d'une telle loi. S'agit-il d'une loi type qui est en vigueur dans chacune des provinces?

M. Busby : Non, ces lois sont assez disparates.

Le sénateur Day : Cela complique légèrement les choses.

M. Busby : À titre d'exemple d'un élément de la loi, les avis d'admissibilité vont du plus tôt possible dans la plupart des provinces, dont l'Ontario et le Nouveau-Brunswick, à 12 semaines en Nouvelle-Écosse. Nous parlons simplement ici du délai préalable exigé pour remettre un avis à l'employeur.

Le sénateur Day : Cela correspond à la période précédant le départ des réservistes, oui.

M. Busby : Il y a d'emblée une différence. Je conviens avec vous que c'est un problème. Établissons les critères d'admissibilité du programme que je propose au plus bas niveau possible dans chaque province. Quels que soient les critères d'admissibilité les plus faibles de n'importe quelle province, nous les établirons à ce niveau. Par conséquent, nous obtiendrons deux résultats. On aura d'abord le cas où un employé réserviste a droit à une protection d'emploi en vertu de la loi, et où son employeur sera remboursé. L'autre cas sera celui d'un employé qui n'a pas droit à la protection d'emploi en vertu de la loi, mais dont l'employeur pourra recevoir ces fonds s'il le souhaite, en garantissant de garder intact le poste du réserviste. C'est une façon de contourner, en quelque sorte, les exigences de la loi.

Le sénateur Day : Les fonds à cet effet ne proviendraient pas tous du gouvernement fédéral, mais peut-être de la province. Si c'est une loi provinciale qui protège le poste de l'employé, on peut présumer que l'indemnisation devrait provenir des coffres provinciaux.

M. Busby : J'ai tendance à préférer la simplicité administrative d'un unique ordre de gouvernement qui assume les responsabilités. Pour donner suite à cette politique, nous pourrions proposer que toutes les provinces s'entendent sur certaines normes harmonisées concernant les exigences en matière d'admissibilité. Ce serait un grand pas en avant.

En même temps, cette politique a pour objet de couvrir certaines personnes du secteur privé. Bien des employeurs du secteur public assument déjà les coûts des départs en congé des réservistes. De nombreuses forces policières du pays ont en place des politiques de ressources humaines où l'on augmente même les revenus des réservistes lorsqu'ils partent en congé, et ce, aux frais des contribuables. Nous parlons ici d'une intervention du gouvernement fédéral, puisque la défense nationale est un service public pour le pays, ainsi que d'une légère réaffectation des coûts et de l'établissement d'un équilibre. En même temps, les dépenses supplémentaires pour les contribuables sont minimes, car ce sont les forces policières et les services des pompiers qui sont les principaux employeurs des réservistes, et ils s'en chargent déjà.

Le sénateur Day : C'est un point intéressant. Nous avons un léger problème de compétences, car la loi en vertu de laquelle le réserviste-employé ferait sa demande est provinciale; cependant, vous dites que les paiements devraient provenir du Trésor fédéral. Il faudrait trouver une solution à cet égard.

Y a-t-il quoi que ce soit, dans la législation provinciale ou fédérale, qui exige la déclaration d'un état d'urgence avant qu'un réserviste puisse partir en déploiement, en déclenchant ainsi cette protection d'emploi?

M. Busby : Lorsque l'état d'urgence nationale est invoqué, l'appel au service des réservistes ne relève plus du choix volontaire.

Le sénateur Day : Je comprends.

M. Busby : Je ne sais pas exactement comment la législation en matière de protection de l'emploi s'applique dans le cas d'une urgence nationale.

Le sénateur Day : Les lois de protection de l'emploi s'appliquent-elles même si le choix revient entièrement aux réservistes de dire : « Je vais aller en déploiement. Je voudrais partir pendant une année »? Évidemment, le gouvernement fédéral ou les forces armées auraient besoin de cette personne, mais ce ne serait pas nécessairement une urgence. À votre connaissance, ces lois ne renferment pas de mots clés ayant un effet déclencheur?

M. Busby : Non.

La présidente : Merci de ces remarques. Je pense que vous avez mis en relief certaines différences intéressantes entre les sphères publique et privée.

Le sénateur Dallaire : Nous devons nous rappeler qu'un déploiement de 16 mois pose problème, mais les réservistes partent souvent pour trois semaines ou deux mois, et dans ce cas, il est plus complexe et exigeant pour l'industrie d'être en mesure de compenser leur absence. Votre indemnisation doit également tenir compte du fait qu'on peut perdre un employé à un moment critique, mais seulement pour une brève période. Il y a tout un processus de formation et de maintien en poste du personnel pour remplacer les réservistes, qu'on laissera ensuite partir en entraînement.

Avez-vous des données concrètes sur les plaintes des réservistes? Avez-vous des renseignements sur des réservistes qui n'ont pas pu partir en déploiement ou en entraînement parce que leur employeur avait exercé des pressions sur eux pour les en dissuader? On pourrait leur avoir dit quelque chose comme : « Vous ne pouvez pas nous laisser tomber ». Y a-t-il des données objectives là-dessus?

M. Busby : Non, il y en a très peu.

Le sénateur Dallaire : Les Forces canadiennes ne vous ont pas fourni ces données non plus?

M. Busby : Non, et je ne suis pas certain qu'elles les aient.

Le sénateur Dallaire : Si nous ne participons pas à des opérations, si nous nous retirons de l'Afghanistan, nous pourrons utiliser une réserve plus importante et faire moins appel à la force régulière, et ce pourrait être plus rentable.

Si on avait des forces assez solides pour soutenir un déploiement initial sans qu'une année et demie de formation préalable au déploiement soit nécessaire, je serais d'accord avec vous là-dessus. Néanmoins, compte tenu de la taille de nos forces, lorsque vient le moment d'une mission, les troupes qui sont déployées doivent être prêtes et opérationnelles. À la deuxième ou troisième rotation du déploiement, on pourra faire intervenir les réserves.

Je dis cela parce que, compte tenu des taux d'attrition, de la disponibilité et du fait qu'on soit libre d'y aller ou non — contrairement à ce que prévoit la politique en vigueur aux États-Unis —, il faut de 6 à 10 réservistes pour combler un poste. Pour 500 militaires déployés, il faut au moins 3 000 personnes derrière eux pour que, sur le lot, on trouve 500 remplaçants. Ce chiffre est multiplié lorsqu'on appuie des opérations et que les gens devront être déployés une deuxième ou une troisième fois. Connaissez-vous une solution à ce problème?

Le sénateur Day : Êtes-vous d'accord? Ne devrions-nous pas établir cela d'abord?

Le sénateur Dallaire : C'est un fait.

M. Busby : Votre question contient plusieurs éléments qui se superposent.

La difficulté est véritablement de maintenir la relation avec les employeurs du privé. C'est une question d'équilibre. Voyons les choses en face : les réservistes travaillent à la fois pour les forces armées et pour les employeurs privés. Ces employeurs se partagent un employé. Nous devons trouver des moyens d'établir cet équilibre.

En ce qui concerne votre remarque sur les forces de réserve et la nécessité de compter sur une personne sur six ou sept, dans une optique stratégique, vous ne songiez pas seulement aux forces de combat. Oui, les réservistes tendent à participer aux forces de combat de façon disproportionnée par rapport aux forces régulières, mais la valeur de créneau des réservistes, c'est qu'ils peuvent avoir des compétences du secteur privé qui sont uniques, et qu'on ne peut trouver nulle part ailleurs dans les forces régulières. C'est leur avantage. Il peut s'agir de compétences médicales ou techniques, par exemple. Cette proportion pourrait alors être de un pour un. Qui sait ce que l'avenir nous réserve, ou ce que pourront être les futurs besoins en génie technique en cas d'urgence nationale? À ce moment-là, on recherchera peut-être quelques réservistes très particuliers, qui changeront énormément la donne pour ce qui est des décisions d'embauche. Je tends à voir un peu au-delà des armes de combat au sens classique du terme, qui étaient ce à quoi vous faisiez référence, je crois. J'espère que cela ajoute un peu à la réflexion sur cette question.

La présidente : Nous allons passer à un autre intervenant.

Le sénateur Dallaire : Ce n'est pas ce à quoi je faisais allusion.

Le sénateur Plett : Pour en revenir à ce que disait le sénateur Day au sujet des problèmes de compétences, d'après ce que j'ai compris, nous aidons l'employeur, et non l'employé. Ce n'est pas l'employé qui présenterait une demande. Les problèmes de compétences ne se poseraient pas tant que ça, n'est-ce pas? Un employeur ne pourrait adresser sa demande au gouvernement fédéral. La subvention irait-elle à l'employeur ou à l'employé?

M. Busby : À l'employeur.

Le sénateur Day : Je veux clarifier les choses pour que vous puissiez lui répondre. C'est une question de discrimination. Si un employé estimait être victime de discrimination parce qu'on lui a dit qu'il ne pouvait s'absenter de son poste, où ira cette personne pour faire entendre sa requête?

Le sénateur Plett : J'avais cru comprendre que vous parliez du problème de la subvention ou de l'argent.

Vous parlez d'environ 80 p. 100 pour les entreprises qui comptent cinq employés ou moins, n'est-ce pas?

M. Busby : C'est exact.

Le sénateur Plett : L'une des réserves que j'éprouve à ce sujet, c'est que si je suis une firme d'ingénierie et que c'est l'un de mes ingénieurs qui part en déploiement plutôt qu'un de mes dessinateurs, il est clair que le travail de formation sera beaucoup moins important pour l'un que pour l'autre. Mais vous proposez une limite maximale de 47 000 $, peu importe le niveau qu'occupe cette personne. Cela me donnerait du fil à retordre, car pour moi, il serait bien plus malcommode de perdre un ingénieur qualifié qu'un dessinateur.

M. Busby : Votre argument est valable.

C'est pour cette raison que j'ai tenté d'intégrer un élément de mesure approximative des compétences d'un réserviste en fondant mes calculs sur son salaire. Le dessinateur est plus susceptible d'avoir un salaire moins élevé que l'ingénieur. Espérons qu'ainsi, on prévoira un élément qui compense le fait que le réserviste travaille peut-être pour une grande organisation. L'objectif est de tenter de tenir compte de cet élément. Votre remarque nous rappelle qu'effectivement, les situations varient d'un employeur à l'autre. Les expériences varient. Certains absorbent les coûts sans problème, d'autres pas. L'idée de cette politique est de tenir compte également des employeurs qui sont en marge.

La présidente : Merci beaucoup, monsieur Busby. Vous avez soumis à notre comité des idées et des interrogations intéressantes.

Chers sénateurs, notre troisième témoin est le commodore (à la retraité) Bob Blakely. De 2004 jusqu'à un peu plus tôt cette année, M. Blakely était commandant de la Réserve navale du Canada. Le commodore Blakely est né et a grandi à Edmonton. Il a rejoint la force de réserve des Forces canadiennes en 1969, en tant que membre de la division de la Réserve navale d'Edmonton, et il a gravi les échelons pour devenir commandant en 1993. Il a commandé divers navires de l'arsenal canadien de Sa Majesté en mer et à terre.

Dans sa vie civile, M. Blakely a été plombier journalier et monteur de tuyaux avant de décrocher un diplôme en droit à l'Université de l'Alberta et de devenir conseiller en ressources humaines agréé. Il est avocat partenaire dans son propre cabinet, en plus d'être le directeur des affaires canadiennes du Département des métiers de la construction de la FAT-COI, la Fédération américaine du travail et du Congrès des organisations industrielles.

M. Blakely a un parcours diversifié et intéressant. Nous lui souhaitons la bienvenue aujourd'hui. Le témoignage que nous entendrons sera axé sur les réserves canadiennes et sur l'expérience directe de M. Blakely en la matière. Nous sommes heureux de le compter parmi nous aujourd'hui.

Commodore (à la retraité) Bob Blakely, ancien commandant de la Réserve navale, à titre personnel : Au cours de mon exposé d'aujourd'hui, je vous ferai part de mes propres réflexions fondées sur mes 40 années d'expérience en tant que réserviste classique. J'ai pratiquement toujours été réserviste à temps partiel, mais j'ai servi à temps plein lorsque j'ai reçu mon instruction de qualification et lorsque, une fois ma qualification de commandement obtenue, je suis parti en congé pour aller commander un petit navire.

J'ai été privilégié de servir dans la Réserve navale. Elle est assez unique, parce qu'elle a une série de missions exceptionnelles. La réserve navale est vouée à des opérations à l'échelle nationale, principalement à la défense du Canada, et les compétences nécessaires à la Réserve navale ne se trouvent habituellement pas dans la force régulière.

Nous équipons en personnel les navires de défense côtière pour une variété de tâches, notamment la formation des officiers de la Marine de la force régulière. Notre sous-spécialité en matière de sécurité portuaire, de contrôles navals et de guidage de la circulation de navires alliés ont permis de fournir du personnel qualifié qui ira sur les eaux pour l'APEC, Los Lobo et le G20 et, récemment, nous avons envoyé en mer 580 marins pour les Jeux olympiques. Cela nous a aussi permis d'appuyer la Force opérationnelle en Afghanistan et de soutenir la flotte. La réserve navale est une entité intéressante; cela dit, elle n'est certainement pas un monde parfait.

Nous avons un grand nombre de réservistes à temps plein, qui servent à temps plein parce qu'il n'y a pas assez de personnel pour remplir le rôle qui est notre raison d'être. Lorsque nous avons planifié le concept d'emploi pour les navires de défense côtière, nous voulions avoir six réservistes qui se traduiraient par une personne à bord des navires. Ce chiffre s'est avéré mauvais.

Nous avons environ 400 personnes à temps plein à bord des navires, et 400 autres personnes qui travaillent à temps plein chaque jour, ce qui signifie que sur 4 000 personnes, environ 20 p. 100 travaillent à temps plein. Sénateurs, sachez que par un jour de juillet, quelle que soit l'année, 70 p. 100 de la Réserve navale, y compris ceux en formation d'été, travaillent à temps plein. Je dépensais 75 p. 100 de mon budget entre les mois de mai et d'août.

La réserve navale a grandement bénéficié d'un certain nombre de commandants de la Marine qui considéraient la Réserve navale comme un investissement pour leur organisation. Ils nous ont protégés des pires coupures budgétaires par le passé, et continuent de le faire maintenant.

Tout bien considéré, nous sommes et nous restons un élément de la force totale. Nous faisons des choses que la force régulière ne fait pas, comme la lutte contre les mines en milieu marin. En théorie, nous devons ouvrir la voie aux grands navires pour qu'ils puissent aller en mer ou entrer dans un port. Dans la pratique, si des mines posent problème sur la côte Est, la Réserve navale canadienne procédera au déminage depuis St. John's, à Terre-Neuve-et-Labrador, jusqu'à Key West, en Floride.

Où allons-nous? Nous avons eu des occasions d'envisager l'avenir. Nous avons beaucoup parlé du navire de patrouille extracôtier de l'Arctique, de ce qu'il sera et de ce qu'il fera; des compétences qu'on devra y maintenir, de l'ensemble de connaissances qu'il nous faudra acquérir et de la façon dont nous pourrons accomplir toutes ces choses. Cela fera partie du concept d'emploi concernant ces navires.

L'une des choses que nous devrons examiner de très près, c'est notre tolérance à l'égard du risque. Dans le cas de nos navires de défense côtière — de merveilleux navires — nous avons généralement du personnel appartenant aux services de réserve de classe B ou C à long terme qui iront sur un navire pour deux ou trois ans. Du point de vue de la formation en mer, c'est certainement une chose formidable. On sait qui est le capitaine, qui est le navigateur et qui occupe les différents postes à divers endroits du navire. Toutefois, il faut que nous puissions faire passer davantage de réservistes de classe A et B par ces navires de façon régulière pour pouvoir regarnir nos rangs. Nous nous imposons un fardeau d'instruction coûteux, et nous avons beau dire que nous adapterons la formation aux réservistes, c'est le réserviste que nous adaptons à la formation.

Où allons-nous? La réponse est très claire — du moins est-ce l'opinion de la Marine — et la Force aérienne voit les choses très clairement, tout comme ses unités mixtes, où les réservistes servent essentiellement au sein d'une unité de la force régulière. Mais pour l'armée, j'ignore si les choses sont toujours aussi évidentes.

Où sont nos difficultés? Elles se trouvent du côté de nos politiques des ressources humaines. Celles-ci sont ponctuelles, incohérentes, et généralement, nous découvrons qu'il y a des problèmes à la suite de plaintes, lorsqu'on applique une politique à un réserviste pour se rendre compte qu'elle ne fonctionne vraiment pas.

Nous éprouvons des problèmes en ce qui concerne les classes de service A, B et C. Un réserviste de classe A effectue normalement des périodes de service de 14 jours consécutifs; pour un réserviste de classe B, cette période sera de 14 jours à 6 mois; et enfin, un réserviste appartiendra à la classe C s'il travaille sur un navire déployé en opération. Si, aujourd'hui, l'un des NDC devait heurter un rocher au large de Victoria et couler, il y aurait quatre catégories de prestations pour ceux qui n'ont pas survécu. Pour les deux ingénieurs de la force régulière, il y aurait un type de prestations, pour les réservistes de la classe C, il y en aurait un autre, et ainsi de suite pour les réservistes des classes B et A.

Notre organisation n'a pas fait du bon travail pour appuyer les réservistes dans leur milieu de travail civil afin de leur permettre d'obtenir une formation et de se tenir à jour, de même qu'en ce qui concerne la valeur qu'ils apportent à ce lieu de travail. Une loi est en place au niveau fédéral et dans toutes les provinces et tous les territoires, et cette loi donne à un réserviste la possibilité de servir. Malheureusement, il y a tout un embrouillamini de prestations auxquelles on a droit. Si vous êtes membre du Régiment de Hull ici, à Ottawa, les prestations auxquelles vous aurez droit dépendront du côté de la rivière des Outaouais où vous vivez.

Nous n'avons pas été à la hauteur pour appuyer les employeurs, et nous avons là une excellente occasion de le faire, de faire connaître aux employeurs la valeur des membres de la Réserve qui travaillent pour eux et qui serviront au sein des Forces armées canadiennes.

Certains trouvent que payer les employeurs est une excellente idée. J'en suis sans doute moins convaincu. Qu'il s'agisse d'un réserviste de classe A, B ou C, et peu importe la durée, accordons un crédit d'impôt à l'employeur d'un réserviste. Si quelqu'un part en congé pour deux semaines, l'employeur obtiendra un crédit d'impôt, et la même chose vaudra pour un congé de deux mois. Si un réserviste ne prend pas de congé du tout, l'employeur aura quand même droit à un crédit d'impôt simplement parce qu'il emploie un réserviste.

Sur le plan structurel, nos organisations devront trouver de meilleures façons de faire. Rappelez-vous ce type des États-Unis qui avait parlé de la façon dont on avait éliminé les unités pour centraliser les choses; il pourrait y avoir un mouvement en ce sens au Canada. Nous avons toujours eu des unités de réserve navale et des navires dans les grandes villes, et des unités de soutien logistique du combat et des armes de combat en milieu urbain également. Nous les avons traitées comme des unités, sauf que nous ne les employons jamais en tant que telles. Peut-être est-il temps pour nous d'envisager d'autres façons de faire.

En 1923, lorsque le Chef d'état-major de la Marine de l'époque, l'amiral Walter Hose, avait licencié une partie de la force régulière et désarmé les navires, à l'exception de deux d'entre eux, pour créer les divisions de la Réserve navale partout au pays, il a tenté de rapprocher la Marine des Canadiens. Nous sommes maintenant dans une position où, compte tenu qu'il faut deux heures à chaque réserviste du Manitoba, de la Saskatchewan, de l'Alberta et de la Colombie-Britannique pour se rendre à Victoria et suivre une formation, nous sommes peut-être obligés de trouver une autre manière de mener nos opérations. Nous ne faisons pas du très bon travail pour intégrer les compétences civiles à notre cadre militaire. La seule exception est la réserve médicale, qui fait un travail impeccable à cet égard.

De façon générale, nous ignorons combien de réservistes nous avons un jour donné. Cela signifie que notre système des RH ne fonctionne pas très bien. De plus, nous ne savons pas combien de réservistes il nous faut vraiment.

C'est dispendieux de faire fonctionner une réserve. Selon la formation et le commandement, les réserves peuvent avoir un budget qui leur est affecté. J'avais un budget de 82 millions de dollars avec lequel j'employais environ 500 personnes à temps plein. Mes collègues de la Réserve de l'Armée de terre, que l'on appelait autrefois la milice, disposaient d'un budget de 1,2 million pour environ le même nombre de personnes. C'est comme comparer des pommes avec des poires. Mais nous n'avons pas encore accepté le fait qu'une réserve, c'est dispendieux. On est toujours tenté d'utiliser le budget de la Réserve pour autre chose.

Comme je l'ai dit, je dépensais 70 p. 100 de mon budget au cours de l'été. La plupart de nos réservistes à temps plein sont des étudiants. Ils restent avec nous quatre ou cinq ans pendant qu'ils terminent leurs études, entre autres. Ils se fient à leur revenu de réserviste pour se loger et se nourrir. Si l'on réduit considérablement leur nombre de jours de formation, ils se trouveront un autre emploi. Habituellement, ils ne sont pas chauds à l'idée de dormir dehors, et ils veulent manger régulièrement.

En terminant, nous devons trouver une façon de montrer aux Canadiens à quel point les réservistes sont importants. Ils sont prêts à renoncer à leur temps libre et à leurs vacances pour combattre des feux de forêts, lutter contre des inondations, travailler aux Jeux olympiques et passer trois mois à bord d'un navire à se faire ballotter.

La présidente : Merci beaucoup, commodore Blakely.

Petite précision. J'ignore quel transporteur aérien vous utilisez, mais il est impossible de faire le trajet entre la Saskatchewan et Victoria en deux heures. Aujourd'hui, ça pourrait même vous prendre deux jours.

Commodore Blakely : Jusqu'à Vancouver, c'est possible.

La présidente : À plusieurs reprises dans votre déclaration, vous avez dit : « Nous n'avons pas fait du bon boulot. » À qui faites-vous référence quand vous dites « nous? »

Commodore Blakely : J'imagine que je ne peux plus utiliser le « nous », puisque je suis à la retraite, mais je veux parler des Forces canadiennes en général.

La présidente : Visez-vous également la gestion de la Réserve?

Commodore Blakely : Non. Il y a le Conseil du chef des réserves et des cadets, mais c'est un organisme plutôt officieux. Il n'y a aucun système de gestion comme tel, sauf pour la Réserve navale qui dispose d'un tel système à son quartier général à Québec, et la Réserve aérienne.

La présidente : Le problème dominant que vous soulevez, c'est que l'on ignore combien de réservistes il nous faut. Nous allons tenter de trouver une réponse à cette question aujourd'hui.

Le sénateur Dallaire : Le Livre blanc sur la Défense de 1987 proposait de confier aux trois réserves et aux réserves des communications à l'époque, des tâches opérationnelles. C'est la raison pour laquelle nous avons acheté 12 navires de défense côtière.

Commodore Blakely : Oui, sénateur.

Le sénateur Dallaire : Le but était de former et de perfectionner les réservistes pour qu'ils soient prêts à exécuter des tâches opérationnelles. Au fil des ans, celles-ci ont-elles empêché les réservistes de servir et d'obtenir de la formation à bord d'autres navires?

Commodore Blakely : En général, c'était uniquement à bord des NDC. Certains ont poursuivi leur carrière ailleurs. La force régulière a embauché un nombre considérable de capitaines de corvette et de capitaines de frégate qui avaient été commandants de NDC. C'est excellent pour eux. Cela a créé un certain vide au sein de la Réserve, mais c'était une bonne chose pour le pays.

Le sénateur Dallaire : Les NDC ne comptent-ils pas des membres de la force régulière sur la liste des réservistes de classe B?

Commodore Blakely : Il y en a deux par navire. Ce sont des électriciens. On disait à l'époque que le système électrique des navires était trop complexe pour les réservistes. C'est pourquoi deux électriciens de la force régulière étaient affectés sur chaque navire. De nos jours, la Réserve navale compte à coup sûr des dizaines de compagnons électriciens.

Le sénateur Dallaire : Je crois comprendre qu'il ne vous reste plus que six navires opérationnels.

Commodore Blakely : À l'heure actuelle, nous en avons huit.

Le sénateur Dallaire : Ils ne sont pas tous équipés de canons antiaériens Bofors de 40 millimètres datant de la Seconde Guerre mondiale, n'est-ce pas?

Commodore Blakely : Oui, ils en sont tous équipés.

Le sénateur Dallaire : Je suis heureux de l'apprendre; les canons navals sont si importants.

Les réservistes qui travaillent à bord de ces navires doivent-ils renoncer à beaucoup de leur temps libre pour recevoir de la formation dans une technique ou en communication, ou est-ce que celle-ci est conçue de façon à ce qu'ils ne soient pas obligés d'être des réservistes de classe B pendant un certain temps pour servir à bord de ces navires?

Commodore Blakely : S'ils ne sont pas réservistes de classe B pendant un certain temps, ils ne le pourront pas.

Le sénateur Dallaire : Vous avez 26 unités?

Commodore Blakely : Nous avons 24 unités, un quartier général et une école navale.

Le sénateur Dallaire : Un peu partout au pays?

Commodore Blakely : C'est exact.

Le sénateur Dallaire : Ils assurent une présence un peu partout au pays, et j'imagine que cela aide au recrutement, non seulement pour la Réserve, mais aussi pour la force régulière?

Commodore Blakely : Tout à fait, sénateur. Nous avons suivi l'exemple de la Réserve navale américaine et ouvert des centres de réserve un peu partout au pays où les gens peuvent se présenter, et c'est tout à notre avantage. La perte de cette présence se traduirait par des pertes importantes pour la Marine. Les gens d'Edmonton, de Winnipeg et de Saskatoon savent que le Canada dispose d'une force navale, parce qu'ils ont vu le NCSM Unicorn, en Saskatchewan, qu'ils ont été intéressés par le travail des marins et qu'ils se sont informés.

Le sénateur Dallaire : Les fonds que vous recevez, tant pour l'exploitation et la maintenance que pour les salaires, sont-ils suffisants pour exploiter huit navires ou devraient-ils être portés à 12? En fin de compte, quel rôle les NDC jouent-ils dans le plan opérationnel de la Marine?

Commodore Blakely : Le NDC devait servir aux opérations de contre-mesure. Il devait effectuer de la surveillance et des patrouilles côtières ainsi qu'appuyer d'autres ministères, ce que nous faisons presque quotidiennement. Nous appuyons l'administration douanière et le ministère des Pêches. Le problème que pose le NDC, c'est qu'il lui manque probablement 400 tonnes et 40 pieds pour se distinguer sur les Grands Bancs ou dans le détroit d'Hécate et appuyer le ministère des Pêches.

Une frégate avec 250 personnes à son bord consomme autant de carburant en une heure qu'un NDC doté de 40 personnes en consomme par jour. Il est clair que l'un est plus économique que l'autre pour effectuer, entre autres, des patrouilles pour le ministère des Pêches et des opérations courantes pour des ministères et organismes, comme le ministère des Pêches et des Océans, la Garde côtière et l'administration douanière.

Le sénateur Day : En ce qui concerne un budget réservé aux NDC, on nous a déjà laissé croire que la situation de la Marine était unique, et ce, à juste titre, car dès que le budget annuel de la Réserve navale est fixé, ce n'est pas la Marine qui l'administre, mais bien vous. Si la Marine avait besoin de fonds supplémentaire pour ses frégates, elle ne pourrait pas puiser dans votre budget, c'est bien cela?

Commodore Blakely : C'est exact. Nous avons un budget réservé et des fonds nous sont affectés. Parfois, je retournais de l'argent et, parfois, j'en recevais, et avec plaisir.

Le sénateur Day : Est-ce que vous faites référence à la fin de l'année?

Commodore Blakely : Nous procédons à trois examens périodiques par année.

Le sénateur Day : Comment la Marine arrive-t-elle à faire cela au sein des Forces canadiennes, alors que la Force aérienne et l'Armée de terre en ont été incapables, ce qui cause beaucoup de problèmes pour la Réserve?

Commodore Blakely : Le commandant de la Marine à l'époque a décidé que son service serait composé de trois formations — les Forces maritimes de l'Atlantique sur la côte Est, les Forces maritimes du Pacifique sur la côte Ouest et la Réserve navale — dirigées par un officier responsable des opérations. C'est ce qui a permis à la Réserve navale de fonctionner ainsi avec succès, et ce, depuis près de 20 ans.

Le sénateur Day : Où est située l'École navale?

Commodore Blakely : L'École navale des Forces canadiennes Québec est située à Pointe-à-Carcy. On ne saurait trouver un plus bel endroit. De la fenêtre du bureau du commandant de l'école, on peut voir les navires marchands du monde entier.

Le sénateur Day : Notre comité a déjà visité cette région. Nous avons également rencontré quelques-uns de vos réservistes de classe B. Ils nous ont dit qu'ils étaient toujours en mer, comme vous l'avez laissé entendre, qu'ils étaient toujours en service et qu'ils travaillaient beaucoup plus fort que leurs homologues de la force régulière.

Commodore Blakely : La plupart des jours de mer d'un commandement maritime sont enregistrés par les NDC.

Le sénateur Day : C'est une chose qui les inquiétait à l'époque. Ils aimaient avoir des jours de mer, mais ils avaient aussi le sentiment que l'on profitait un peu d'eux. Est-ce que c'est à cause d'un manque de personnel ou y a-t-il une autre raison?

Commodore Blakely : Le manque de personnel y était pour quelque chose. Nos normes d'instruction sont très élevées. Par conséquent, bon nombre de ceux qui auraient pu joindre nos rangs ne remplissaient pas les critères. Pendant une bonne partie de l'opération APPOLO, la Marine de la force régulière faisait ce que la Réserve navale aurait dû faire dans la mer d'Arabie.

Le sénateur Lang : Dans votre déclaration préliminaire, vous avez dit qu'il fallait « renouveler notre effectif ». Pourriez-vous préciser votre pensée? Dans la foulée de la question du sénateur Day, abordons le manque de personnel. Combien avez-vous de volontaires? Êtes-vous en mesure de pourvoir tous les postes nécessaires avec des volontaires?

Commodore Blakely : En bref, oui. La Réserve navale compte environ 4 000 membres. À mon départ à la retraite, nous avions suffisamment de personnel. Depuis, l'effectif a diminué. Nous avons réussi à recruter, notamment depuis que la guerre en Afghanistan s'est atténuée. Il n'y a plus de place dans l'armée, alors nous invitons les personnes intéressées à joindre nos rangs. Ils n'ont pas besoin de bivouaquer, et nous leur offrons douches et repas chauds.

Le sénateur Lang : Vers la fin de votre déclaration préliminaire, vous nous avez dit ignorer combien de réservistes il nous faut. Peut-être pourriez-vous nous donner des précisions à ce sujet?

Commodore Blakely : Comme la force régulière, la Réserve navale utilise un tableau d'effectifs. Donc, en théorie, tous les membres de la Réserve navale occupent un poste.

La Réserve aérienne ne fonctionne pas tout à fait de la même façon, et la Réserve de l'Armée de terre n'utilise pas de tableau d'effectifs. Les unités recrutent un certain nombre de personnes. Ensuite, elles déterminent leur effectif grâce à un chiffre de remplacement qui tient compte du nombre moyen de personnes payées chaque mois.

Il faut d'abord déterminer précisément combien de réservistes il nous faut pour accomplir nos tâches et ensuite faire le nécessaire pour atteindre ce chiffre, plutôt que d'essayer de deviner approximativement.

Le sénateur Lang : Dois-je comprendre qu'un jour quelqu'un a décidé qu'il nous fallait 4 000 réservistes pour répondre à nos besoins et que nous allions tout faire pour atteindre ce chiffre?

Commodore Blakely : Ce chiffre est plus près de 30 000, mais c'est effectivement ce qui s'est passé.

Le sénateur Dallaire : La Réserve navale reçoit des fonds pour 4 000 postes.

Commodore Blakely : C'est exact. Notre tableau d'effectifs compte 5 000 employés et nous recevons des fonds pour 4 000. Les amiraux nous ont dit que, si nous pouvions embaucher plus de gens sans que cela demande plus de fonds, nous étions libres de le faire. Cependant, ce ne sont pas toutes les réserves qui ont un tableau d'effectifs.

Le sénateur Manning : Commodore Blakely, je tiens à vous féliciter pour votre doctorat honorifique en droit de l'Université Memorial de St. John's dans ma province natale de Terre-Neuve-et-Labrador.

Je suis intrigué par vos commentaires sur les différentes classes de réservistes et les avantages de ces derniers, et la façon de les rémunérer pour leur service. Vous avez parlé d'un avantage fiscal pour les employeurs. Quelqu'un d'autre aujourd'hui a parlé d'un montant que l'on devrait verser aux employeurs. Vous avez parlé d'un mélange hétéroclite d'avantages.

À votre époque, a-t-on essayé de rendre les choses plus équitables ou de créer un régime d'avantages ou y a-t-il simplement un mélange hétéroclite d'avantages? Quelqu'un a-t-il déjà essayé de régler les problèmes que vous avez soulevés?

Commodore Blakely : Le bureau du Chef du personnel militaire et quelques autres ont tenté de trouver une solution. Le problème selon moi, c'est que le travail vital effectué pour les membres des forces opérationnelles déployées en Afghanistan est beaucoup plus important que la rédaction d'une politique des ressources humaines sur un régime d'avantages.

Le sénateur Manning : En gros, les gens y pensent, mais rien ne se fait, parce qu'il y a des priorités plus importantes.

Commodore Blakely : Il n'y a pas assez d'employés au Quartier général de la Défense nationale pour accomplir toutes les tâches.

Le sénateur Manning : Vous avez parlé d'épauler les réservistes dans le milieu de travail. Que voulez-vous dire par là?

Commodore Blakely : La législation fédérale et provinciale prévoit des avantages distincts et impose des obligations différentes aux employeurs. Si le Forum des ministres du marché du travail pouvait travailler dans le cadre de cette législation et déterminer que tous les réservistes au pays ont droit à ces avantages, il va sans dire que nous serions dans une meilleure position.

Le sénateur Manning : Nous avons parlé un peu plus tôt de la formation des réservistes. Dans votre notice biographique, on mentionne que vous avez également dirigé l'équipe qui a élaboré le programme d'apprentissage à distance de commandement et d'état-major utilisé pour les officiers supérieurs du Canada et des forces alliées. Ce programme s'applique-t-il aux réservistes?

Commodore Blakely : Oui. À l'origine, le programme a été conçu pour les réservistes. Le programme offert aux membres de la force régulière qui ne passeront pas 10 mois au Collège d'état-major et aux officiers de réserve des Forces canadiennes et alliées a été légèrement modifié. Le programme du collège est offert avant tout à distance ou à l'École technique.

Le sénateur Manning : Pourraient-ils suivre une partie de la formation à partir de leur lieu de travail n'importe où au Canada?

Commodore Blakely : Oui.

Le sénateur Manning : Ils pourraient ensuite compléter leur formation au Collège d'état-major, s'il y a lieu.

Commodore Blakely : Oui. Habituellement, le collège offre deux sessions : une à l'automne et l'autre à l'été.

Le sénateur Manning : Les réservistes touchent-ils un salaire différent? Un témoin a suggéré plus tôt un salaire global. Je me pose des questions au sujet du salaire des réservistes. Ils ne peuvent pas toucher le même salaire.

Commodore Blakely : La solde des réservistes suit essentiellement l'échelle salariale des membres de la force régulière. C'est 85 p. 100 de la solde de base. S'ils sont commodores, donc l'échelle salariale no 3, ils touchent 85 p. 100 de la solde d'un commodore de la force régulière. C'est la même chose pour les réservistes de classe B. Les réservistes de classe C, qu'ils travaillent sur un navire ou dans un avion ou qu'ils fassent partie de la force opérationnelle en Afghanistan, touchent presque la même solde que leurs homologues de la force régulière.

Le sénateur Manning : Cet écart dérange-t-il les réservistes?

Commodore Blakely : Je crois que oui. De nombreux réservistes disent : « On fait le même travail, pourquoi est-ce que je n'ai pas droit au même salaire? » Quelqu'un a décidé que 85 p. 100 de la solde, c'était suffisant, étant donné que les réservistes ne sont pas tenus d'accepter une affectation. En fait, un réserviste pourrait refuser une affectation et se porter volontaire chaque fois qu'il endosse son uniforme. Est-ce que c'est un chiffre réaliste? Non.

Le sénateur Mitchell : J'ai été surpris d'apprendre que vous étiez à la retraite. Je n'y avais pas pensé. C'est récent. Je suis déçu de l'apprendre, et je crois que la Marine canadienne est amoindrie par votre départ.

Commodore Blakely : Merci.

Le sénateur Mitchell : Merci beaucoup d'être venu témoigner aujourd'hui.

Vous avez dit plus tôt que les questions relatives aux ressources humaines et aux régimes d'avantages ne sont probablement pas une priorité, compte tenu de tout le travail que nécessite le déploiement de troupes à l'étranger.

N'est-il pas vrai également que ces régimes d'avantages vont coûter plus cher? On tentera inévitablement de faire passer les avantages des échelles salariales A et B au même niveau que ceux de l'échelle salariale C, et ceux de l'échelle salariale C à ceux de la force régulière, n'est-ce pas?

Commodore Blakely : Si ça va coûter plus cher? Oui.

Le sénateur Mitchell : Est-ce la raison pour laquelle le dossier n'avance pas?

Commodore Blakely : Je ne crois pas. Par exemple, à une certaine époque, on disait que les réservistes n'étaient pas admissibles à une indemnité d'affectation. Un grief a été déposé et une solution provisoire a été adoptée, soit l'indemnité de vie chère en région. Finalement, le réserviste a eu gain de cause.

Je ne crois pas que ce soit une question d'économiser de l'argent. Chaque fois qu'un problème a été soulevé, l'état-major des Forces canadiennes a pris les bonnes décisions. Il a donc fallu mettre une équipe sur pied et lui laisser suffisamment de temps pour résoudre ces problèmes. C'est ce qui vraiment pose problème, étant donné toutes les tâches qui nous incombent.

Le sénateur Mitchell : Nous pourrions créer une sorte de groupe de travail composé de commodores à la retraite pour faire cela.

Commodore Blakely : Nous pourrions trouver des gens qui ont de l'expérience en ressources humaines. L'amiral Roger Girard en connaît plus que la plupart des gens dans ce domaine. Je suis sûr qu'il pourrait être convaincu de laisser son poste à l'Université Royal Roads pendant huit mois afin de régler nos nombreux problèmes.

Le sénateur Mitchell : Votre idée d'un crédit d'impôt m'intéresse. C'est simple et ça règle le problème.

Commodore Blakely : En effet.

Le sénateur Mitchell : La seule chose qui me dérange dans cette proposition, c'est qu'un crédit d'impôt ne serait pas très avantageux pour les entreprises plus petites qui n'ont pas ou presque pas de revenus. Elles pourraient être plus désavantagées que les autres.

Commodore Blakely : Elles pourraient bénéficier d'un crédit d'impôt un peu plus élevé.

Le sénateur Mitchell : Il pourrait s'agir d'un crédit d'impôt remboursable.

Commodore Blakely : Oui, tout à fait.

Le sénateur Mitchell : Vous avez soulevé un problème imminent, si ce n'est pas déjà un problème. J'ignore ce qui se prépare, mais plus il y a de pressions sur le plan financier et du personnel, plus nous risquons d'atteindre le point critique où les réservistes n'ont pas suffisamment d'heures de travail et que ça ne vaut plus le coup.

Commodore Blakely : C'est exact.

Le sénateur Mitchell : Quel est le compromis? Pourrions-nous adopter une politique en vertu de laquelle on conserve un nombre moins élevé de réservistes pour pouvoir leur offrir plus d'heures de travail?

Commodore Blakely : Oui. Le vrai problème, c'est que nous risquons de perdre tout l'argent investi dans la formation du réserviste. Il y a beaucoup d'argent d'investi dans le lieutenant de l'Armée de terre qui a été formé comme commandant de peloton et qui a déjà exercé ce rôle. C'est la même chose pour un pilote d'avion ou de navire. Si ces gens partent, nous perdrons l'argent que nous avons investi en eux.

Pourrions-nous adopter une politique qui permet essentiellement de — j'hésite à utiliser le mot « contrat », parce que ce n'est pas le bon mot, mais nous pourrions conclure avec le réserviste une entente qui dirait : « Si vous acceptez de vous joindre à nous, nous vous donnerons l'équivalent de 40 jours de solde pour la période hivernale. » Si nous n'avons pas les fonds nécessaires pour cela, il faudrait peut-être songer à recruter moins de gens.

Le sénateur Mitchell : Nous pourrions établir cette entente de façon à ce que le réserviste ait un revenu confirmé.

Commodore Blakely : Il pourrait ainsi s'assurer qu'il a suffisamment d'argent pour se nourrir.

Le sénateur Mitchell : Vous avez parlé de la difficulté d'intégrer, dans les programmes d'instruction militaires, sauf pour celui du personnel médical, de la formation adaptée à la vie civile. Je suis convaincu que les programmes n'ont pas été structurés jusqu'à maintenant de façon à exclure délibérément ce type de formation. Y a-t-il des obstacles en ce sens qui sont difficiles à surmonter?

Commodore Blakely : Cela a été possible avec certains groupes professionnels, dont ceux de la série 500 pour l'aéronautique, parce que l'aviation civile utilise les spécifications militaires pour les cellules d'aéronef, entre autres. Pour les groupes professionnels en génie construction, comme les plombiers, les chaudiéristes et les menuisiers, nous avons une bonne idée de la façon de corriger la situation, comme nous l'avons fait pour les techniciens de véhicules. Mais, voici l'exemple d'une situation qui m'est arrivée. Un technicien de coque qui était premier maître de 1re classe et qui avait été capitaine d'armes sur une frégate, voulait transférer dans la Réserve navale. Le groupe professionnel de technicien de coque n'existe pas chez nous. Nous lui avons offert le grade de matelot de 1re classe, soit l'équivalent de caporal, et le groupe professionnel mécanicien diesel. C'est idiot. Ce gars devrait assumer un rôle de leader au sein de notre organisation plutôt que de manipuler des burettes de mécanicien dans la salle des machines. Lentement mais sûrement, nous tentons de résoudre ces situations, mais nous devons composer avec tous ces pièges que nous nous sommes tendus.

Le sénateur Mitchell : Vous devez les éviter.

Le sénateur Patterson : Je suis intrigué par vos commentaires sur l'avenir de la Réserve navale et vos hypothèses sur une possible collaboration avec les patrouilleurs océaniques dans l'Arctique. Je suis curieux de connaître vos idées à ce sujet et de savoir où vous pensez dénicher le personnel nécessaire pour faire un travail aussi spécialisé.

Commodore Blakely : Je ne crois pas que le travail sera aussi spécialisé que cela. C'est aussi simple que partir en mer. Ils devront apprendre sur le tas l'art de naviguer dans les glaces. En fait, certains membres d'équipage des NDC se joindront aux équipages de ces patrouilleurs océaniques.

Si les Canadiens ont le sentiment qu'ils ont un rôle à jouer dans la défense de la souveraineté du Canada dans l'Arctique, ils se joindront à nous. Ils croient que l'Arctique nous appartient. Ils savent que le code postal H0H 0H0 est celui du Père Noël et qu'il ne fait aucun doute que lui et ses lutins sont canadiens.

Nous n'aurons pas autant de difficulté que les gens le pensent à doter les nouveaux navires. Les Canadiens croient en la souveraineté du Canada dans l'Arctique et ils se porteront volontaires pour la défendre.

Le sénateur Patterson : Les Rangers auront peut-être un rôle à jouer eux aussi. Merci beaucoup.

Commodore Blakely : Ils vont avoir un rôle extrêmement important à jouer, mais ce ne sera pas en mer.

Le sénateur Dallaire : Votre tableau d'effectifs compte 5 000 personnes, et vous disposez d'un budget pour en payer 4 000. Vous avez huit navires avec, disons, 40 réservistes de classe B. Cela fait 320 réservistes de classe B, mais en réalité, vous en avez 800.

Commodore Blakely : Où sont-ils?

Le sénateur Dallaire : Pourquoi avez-vous autant de réservistes de classe B? Les fonds que vous demandez vous permettraient-ils d'augmenter votre effectif et d'affecter des gens sur d'autres navires que les NDC?

Commodore Blakely : Oui. Les réservistes doivent être prêts à intervenir. Nous avons deux forces maritimes, une sur chaque côte, qui assurent la sécurité en mer et la sécurité portuaire à Esquimalt et à Halifax. C'est donc 100 personnes de plus. À cela s'ajoutent 100 personnes en formation à l'École navale, environ 120 qui travaillent pour les divisions de la Réserve navale un peu partout au pays, et environ 150 qui travaillent au Quartier général de la Défense nationale au sein de l'état-major de la Force maritime.

Le sénateur Dallaire : Pouvez-vous doter 12 navires, oui ou non?

Commodore Blakely : Il y a quelque temps, je vous aurais dit oui, mais aujourd'hui, je n'en suis pas certain. Je suis désolé, mais il faudrait que je devine.

La présidente : Merci beaucoup. Vous avez été divertissant et vos propos ont été instructifs. C'est absolument vrai que le Père Noël est canadien. Cela ne fait aucun doute.

Commodore Blakely, merci beaucoup.

(Le comité poursuit ses travaux à huis clos.)


Haut de page