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Délibérations du Comité sénatorial permanent de la
Sécurité nationale et de la défense

Fascicule 10 - Témoignages du 29 novembre 2010


OTTAWA, le lundi 29 novembre 2010

Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense se réunit aujourd'hui, à 16 h 2, pour examiner la motion visant à faire changer l'appellation officielle de la Marine canadienne.

Le sénateur Pamela Wallin (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Mesdames et messieurs, bienvenue à la réunion du 29 novembre du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense.

Nous poursuivons, à tout le moins au début de notre réunion, notre examen de la motion du sénateur Rompkey :

Que le Sénat du Canada encourage le ministre de la Défense nationale, considérant les longues années de service, les sacrifices et le courage du personnel et des membres des forces navales canadiennes, à désigner les forces navales canadiennes sous l'appellation officielle de « Marine canadienne » au lieu de « Commandement maritime » à compter de cette année, à l'occasion du centenaire de la Marine canadienne, et que cette appellation soit utilisée dès que possible dans tous les documents officiels et opérationnels, dans les deux langues officielles.

Voilà la motion que nous devons examiner. Au cours des dernières semaines, nous avons entendu des témoignages à ce sujet.

Nous accueillons aujourd'hui M. Ian Holloway, doyen de la faculté de droit, Université de Western Ontario. M. Holloway a déjà été premier maître de la Marine canadienne et a participé à la création d'un livre qui vient tout juste de paraître et qui s'intitule Le marin-citoyen : Chroniques de la Réserve navale du Canada 1910-2010. Il faudra vous réinviter une autre fois pour que vous veniez témoigner du volet naval de notre Réserve, puisque c'est un autre sujet que nous étudions.

Bienvenue. Veuillez nous présenter votre déclaration préliminaire.

Ian Holloway, doyen de la faculté de droit, Université de Western Ontario, à titre personnel : C'est un honneur d'être parmi vous. Je disais justement au sénateur Day, juste avant de commencer, que c'est une joie de le rencontrer puisque je viens de son district sénatorial. Je travaille avec l'un de ses condisciples du CMR. Le sénateur Dallaire est diplômé de notre université et a joué au volley-ball au CMR avec l'un de mes collègues. Sénateur Wallin, vous êtes aussi une diplômée de Western. Je suis certain que vous ne vous souvenez pas de cela, mais je vous ai envoyé une lettre d'admirateur quand vous étiez animatrice de Canada AM. Vous m'aviez répondu, et je garde encore la réponse que vous m'avez envoyée chez moi.

La présidente : J'ai une copie de votre lettre sur mon mur.

M. Holloway : Bien sûr, je n'en doute pas.

Comme l'a fait remarquer le sénateur Wallin, je suis entré dans la Marine canadienne à titre de matelot de troisième classe à l'âge de 16 ans et, quand je l'ai quittée, j'étais premier maître. J'ai passé une bonne partie des années 1990 en Australie où j'ai été officier commissionné de la Marine royale australienne. Quand j'ai pris ma retraite, j'étais dans la Marine royale australienne. Pendant mon service, j'ai travaillé autant en mer qu'à terre. J'ai travaillé à bord d'un certain nombre de navires. À terre, j'ai travaillé au sein de divers établissements au Canada, aux États-Unis, en Grande-Bretagne, en Australie aussi, évidemment, et en Norvège.

Comme l'a souligné le sénateur Wallin, j'ai participé à la création du livre sur le centenaire de la Réserve de la Marine royale du Canada. Je suis aussi l'auteur de l'histoire officielle du NCSM Scotian de la Division de la Réserve navale de Halifax.

C'est un honneur d'être parmi vous aujourd'hui parce que je veux faire valoir le plus énergiquement possible que le fait de changer l'appellation officielle du Commandement maritime pour celui de « Marine canadienne » est la chose à ne pas faire. La chose à faire serait plutôt de rétablir le nom par lequel la marine a été désignée pendant trois guerres, et c'est celui de « Marine royale du Canada ».

J'aimerais vous présenter cinq raisons qui expliquent mon point de vue, et j'espère que nous aurons l'occasion d'en discuter un peu plus pendant la période de questions. Premièrement, nous vivons dans un monde de sigles. Dans le contexte canadien, le sigle CN est déjà associé à quelque chose. Comme le diraient mes collègues de l'école de gestion, l'utilisation du sigle CN pour désigner, en anglais, la Marine canadienne, risquerait d'entraîner une « confusion entre les marques » avec notre chemin de fer national. C'est un aspect important.

Deuxièmement, le sigle « MRC » et l'appellation « Marine royale du Canada » ont une élégance et une grâce que n'a pas l'appellation Commandement maritime, et il est plus facile à prononcer. Il en va de même pour le terme « Marine canadienne ». C'est pourquoi nos alliés continuent de nous appeler la « MRC ».

Troisièmement, l'appellation « MRC » décrit plus exactement le contexte constitutionnel dans lequel les forces navales du Canada ont été mises sur pied.

Quatrièmement, le terme « MRC » est celui qui est enraciné dans l'histoire; c'est le nom que portait notre marine à l'époque où nous avions la troisième marine en importance au monde.

Cela me mène au cinquième point, et il concerne le fait que la marine doit envisager l'histoire comme autre chose qu'une simple célébration du passé. Elle doit apprendre à voir l'histoire comme un outil qui lui permet de se préparer pour l'avenir. Les institutions qui sont durables sont celles qui s'approprient leur histoire et qui l'utilisent; elles n'essaient pas de lui tourner le dos. C'est la cinquième raison pour laquelle j'estime qu'il conviendrait de donner à notre marine le nom de « MRC ».

C'est ainsi que je conclus ma déclaration préliminaire, mesdames et messieurs les sénateurs. Je serai heureux de répondre à vos questions.

La présidente : C'est merveilleux : bref et direct. Depuis que nous avons commencé à discuter de cette motion du sénateur Rompkey — depuis qu'elle a été présentée — nous avons entendu de nombreux intervenants qui défendaient les deux points de vue. C'est un débat qui soulève les passions et la ferveur.

Est-ce que c'est un enjeu qui se prépare depuis longtemps?

M. Holloway : Oui, tout à fait. Il se prépare depuis 1968, et c'est la réalité. Si vous allez dans à peu près n'importe quel établissement naval au pays, que ce soit un établissement de la Force régulière sur la côte ou un établissement de la Réserve à l'intérieur des terres, vous apercevrez, placé bien en vue, le pavillon blanc qui représentait notre marine pendant trois guerres. Ce n'est pas tout à fait le même enjeu que dans le cas de l'appellation « MRC », mais cela s'inscrit dans la même veine : dans la Marine, les membres subalternes choisissent encore d'accorder de l'importance à leur histoire, même si certains ne veulent pas s'engager dans cette voie.

La présidente : Je ne veux pas empêcher les autres de poser des questions; je veux simplement, je pense, établir clairement que personne ne veut de l'appellation « Commandement maritime ». C'est par la suite que les points de vue divergent, et c'est là où nous en sommes maintenant.

M. Holloway : C'est exact.

Le sénateur Dallaire : Je veux réagir à certains des cinq points que vous avez mentionnés. J'aimerais que vous me disiez pourquoi les responsables du Commandement maritime ont utilisé, pour l'année du centenaire, l'expression « Marine canadienne » dans les documents officieux et pourquoi ils n'ont pas souhaité, en cette année du centenaire, faire revivre ou sortir de leurs tiroirs l'expression « MRC » si elle est si importante?

M. Holloway : Je ne sais pas. Il faudrait le leur demander, mais je peux vous dire pourquoi c'était, à mon avis, une erreur de leur part.

En janvier, j'ai rédigé un article voisin de la page éditoriale qui a été publié dans le National Post, dans lequel j'affirmais que la marine était en train de passer à côté de son centenaire. Les responsables ont organisé un certain nombre d'événements agréables, auxquels il m'est arrivé de participer, tout comme vous, j'en suis sûr. Cependant, pour ce qui est de se servir du centenaire comme d'un tremplin pour renforcer et élargir sa base politique, ils sont tout simplement passés à côté.

Nous vivons tous dans le présent. Je me souviens avoir entendu l'amiral McFadden dire, au sujet de la boucle d'officier, qu'elle avait le même coût que six semaines de carburant pour nos navires. C'est vrai, il doit tenir compte du présent, mais nous devons aussi penser à l'avenir à long terme.

Laissez-moi vous illustrer à l'aide d'un exemple pourquoi cet agnosticisme en matière de tradition nuit tant aux intérêts de la marine à long terme. J'ai une fille de neuf ans. L'autre jour, elle avait invité une amie à la maison, et je leur ai demandé de me dessiner un marin. Elles ont dessiné un homme avec un chapeau rond, une marinière à encolure en V et des pantalons à pattes d'éléphant. Elles n'ont pas dessiné quelqu'un qui portait un complet et une cravate. À mon avis, cet exemple en dit long sur ce que la marine devra faire si elle souhaite avoir la reconnaissance du grand public canadien. Nous avons tourné le dos à l'histoire, et c'est une grave erreur.

Le sénateur Dallaire : On n'a pas adopté de nouveau cet uniforme parce que, quand on a vu l'équipement moderne et les exigences concrètes du combat, on a opté pour un uniforme beaucoup plus pratique pour le personnel qui travaille à bord des navires, et même pour les personnes qui travaillent à l'arsenal maritime. On a pris la décision d'aller vers le modernisme à ce sujet. Certains éléments du passé ont été conservés, mais, pour d'autres, on s'est tourné vers l'avenir.

Je reviens à ce que vous avez dit à propos du titre. Vous êtes d'accord pour dire que la marque est essentielle à un produit.

M. Holloway : Oui.

Le sénateur Dallaire : Ce que vous soutenez certainement, c'est que le fait de récupérer ou de remettre en place l'ancienne marque permet de faire un lien avec l'histoire de la marine. Ce que je ne comprends pas, c'est votre argument concernant le fait que le retour à cette ancienne marque suppose que vous tenez forcément compte du présent et de l'avenir de la nature de la Marine — le fait de choisir d'adopter « Marine canadienne » plutôt que « Marine royale du Canada ».

M. Holloway : Je le répète, si nous choisissons l'appellation « Marine canadienne », dont le sigle anglais est « CN », cela n'aidera en rien la marque parce que les Canadiens ordinaires vont la confondre avec celle des chemins de fer nationaux du Canada. Le sigle « CN » est déjà pris au Canada. D'un point de vue pratique, et sur le plan politique avec un petit « p », cette option doit être éliminée. Cette appellation ne fonctionnera pas pour ce qui est de l'image de marque de ce volet en tant que tel de nos forces armées.

La définition de la folie, c'est de recommencer toujours la même chose et d'espérer un résultat différent. Depuis 1968, il y a eu au moins quatre, peut-être cinq, programmes de renouvellement de la flotte mis en place par la marine. Pour quelqu'un comme moi, qui a porté un uniforme pendant la plus grande partie de sa vie adulte, ces programmes avaient tout à fait du sens. Cependant, le fait qu'aucun d'entre eux n'a été mis en œuvre dans la forme dans laquelle il avait été présenté donne à penser que notre histoire récente a prouvé que le fait de se réclamer de la modernité et de situer les forces armées dans le contexte moderne ne fonctionne pas.

Nous pouvons continuer comme cela, continuer à présenter des arguments sérieux à propos des exigences militaires : arguments qui peuvent avoir du sens pour moi et qui en ont certainement pour vous — mais cela, nous le savons, ne dit rien au grand public canadien.

Comment se fait-il que l'une des attractions touristiques les plus courues au pays soit d'aller voir en été des jeunes hommes et des jeunes femmes qui portent les tuniques rouges? Les choses n'ont pas été particulièrement faciles récemment pour la GRC; comment se fait-il qu'elle ne s'en soit pas sortie plus mal? C'est grâce au statut d'icône qu'elle s'est elle-même approprié et qui est associé, dans l'imaginaire canadien, à la tunique rouge, au chapeau Stetson et aux gants sang-de-bœuf.

Si l'on compare notre propre histoire au sein des Forces canadiennes à ce que nous connaissons à propos de la réussite des gardes à pied et des Canadian Grenadier Guards — d'autres régiments comme le vôtre, qui ont un volet cérémonial — on constate clairement, à mon avis, qu'il faut être borné pour essayer de dire que la voie à suivre est celle du modernisme.

Le sénateur Dallaire : Si je ne me trompe pas, il n'y a pas eu d'indignation de la part de qui que ce soit en ce qui concerne l'utilisation de l'appellation « Marine canadienne » pendant l'année du centenaire, qui tire maintenant à sa fin.

De fait, j'ai deux enfants qui sont dans la Réserve navale, et ils ne disent pas la « Marine canadienne »; ils disent simplement la « marine ».

L'argument selon lequel l'appellation « CN » en anglais risque de porter à confusion tient, à mon avis, de l'extrapolation en ce qui a trait à la marine. Ce que je veux dire, cependant, c'est que les Forces armées canadiennes ont été créées en 1871 — la Force régulière. Auparavant, il y avait des réservistes ou des Britanniques; avant cela, il y avait des Français. Il n'y a rien de ce régime qui existe dans nos attributs, de quelque façon ou sous quelque forme que ce soit; pourtant, nous avons créé, si je ne me trompe pas, 14 nouvelles unités en 1968, et aucune d'entre elles n'a la mention « royale » dans son appellation, et elles sont toutes françaises.

M. Holloway : Vous connaissez cette partie de l'histoire beaucoup mieux que moi, sénateur, alors je m'en remets à vous à ce sujet. Cependant, s'il est vrai que le 12e Régiment blindé du Canada n'a pas, dans son appellation, le terme « royal », son uniforme présente des attributs royaux. Je collectionne les insignes de coiffure des unités des Forces canadiennes qui ont été représentées au sein de la faculté de droit depuis que je suis doyen. L'une d'entre elles est l'insigne du 12e Régiment blindé du Canada, et la couronne y est aussi présente que dans l'insigne du Royal Canadian Regiment.

J'aimerais aussi dire que, tout récemment, dans les années 1990, il y a eu trois régiments de l'armée canadienne qui ont demandé, avec succès, de porter l'appellation « royal »; il s'agit du Royal Regina Rifles, du Royal Westminster Regiment, et d'un autre, dont je ne me souviens plus.

Tout récemment, dans votre province, sénateur Manning, la Force constabulaire royale de Terre-Neuve a présenté une demande pour porter l'appellation « royale », demande qui a été acceptée. C'est donc faux de dire que l'appellation « royal » remonte au XIXe siècle.

Le sénateur Dallaire : Je viens d'un régiment qui a été créé; il ne porte pas l'appellation « royal », mais il a tous les attributs royaux. C'était un régiment du Horse Artillery. Pour ce qui est de la Marine — même si on parle du Commandement maritime — si vous regardez le drapeau, il y a une couronne sur l'ancre. Même si elle ne s'appelle pas « royale », la couronne est toujours là.

M. Holloway : C'est exact.

La présidente : J'ai une question à ce sujet. Vous dites que l'un des groupes que vous avez mentionnés a présenté une demande pour avoir l'appellation « royal ». Il a présenté une demande à qui?

M. Holloway : Sa Majesté la reine.

La présidente : Il faudrait nous adresser...

M. Holloway : Non, je ne sais pas, mais je crois comprendre qu'il y a, quelque part au gouvernement, un avis juridique selon lequel nous ne serions pas obligés de nous adresser de nouveau à Sa Majesté pour reprendre le titre.

La présidente : C'est une question qui n'est pas tout à fait réglée, je pense.

Le sénateur Plett : Madame la présidente, vous avez posé l'une des questions que j'allais poser. Je vais faire un ou deux commentaires. Comme nous avons exactement le même point de vue sur la question, je n'ai pas besoin de poser beaucoup de questions. J'aurai, à tout le moins, fait part de mes préférences.

Vous avez parlé du Royal Winnipeg Rifles, et je pense que vous avez mentionné le Royal Westminster Regiment, le Royal Regina Rifles et le Royal Highland Fusiliers, de Guelph. On m'a dit qu'ils avaient ce titre depuis seulement 1998; on peut donc sûrement trouver des documents probants à ce sujet.

Je voulais poser une question à propos du besoin d'obtenir un avis juridique, et vous nous avez donné, à tout le moins, les meilleurs conseils que vous puissiez donner à ce sujet.

Madame la présidente, la semaine dernière, j'ai parlé de quelque chose et je crois avoir utilisé le terme « sondage », mais j'aurais probablement dû parler de « pétition ». J'aimerais mentionner, aux fins du compte rendu, qu'on m'a dit la semaine dernière que je ne devrais pas m'exprimer sur certains sujets sans avoir un certain appui. J'ai, avec moi, une pétition signée par 5 054 personnes. Il s'agit d'anciens combattants, de citoyens et de résidents canadiens qui se qualifient tous de « loyaux sujets de Sa Majesté la reine ». Ils ont signé une pétition qui appuie clairement l'appellation « MRC ». Il n'y a pas que quelques-unes des personnes présentes qui appuient cette idée.

Si nous enlevons la mention « royale » de l'appellation de la marine, est-ce que cela n'aura pas des répercussions sur la tradition, apparemment courante et appréciée au sein de la marine, qui veut que l'on porte des toasts?

M. Holloway : C'est apprécié, mais ce n'est pas courant. Au cours de mes 21 années de service, j'ai eu l'occasion de porter un toast une seule fois.

La présidente : En ce qui concerne l'avis juridique, avez-vous fait des recherches à ce sujet, ou avez-vous...

M. Holloway : Non, je n'ai pas fait de recherche, sénateur.

La présidente : Nous ne savons donc pas si les gens ont été interrogés à ce sujet, même au cours de l'année dernière.

M. Holloway : On m'a dit qu'un avis était en cours d'élaboration, mais je ne l'ai pas vu et je ne sais pas qui s'en occupe.

Le sénateur Manning : J'aimerais souhaiter la bienvenue à notre invité d'aujourd'hui et j'aimerais dire que, tout comme le sénateur Plett, j'appuie fermement le retour de l'appellation « Marine royale du Canada »; je veux simplement être certain que tout le monde le sait.

Les personnes qui sont de l'avis opposé sont venues présenter quelques-unes des raisons à l'appui de l'appellation « Marine canadienne ». J'aimerais poser quelques questions inspirées des commentaires d'autres témoins pour avoir votre point de vue à ce sujet.

On nous a dit qu'aucune des personnes actuellement en service dans la marine n'était en service à l'époque où on parlait de la « Marine royale du Canada » et qu'elles ne sont donc pas plus ou moins habituées à ce nom. Nous n'avons eu aucune preuve à ce sujet — cela a été mentionné un peu au fil de la conversation —, mais certaines personnes nous ont dit que, parce qu'elles n'avaient pas été en service à l'époque de la « Marine royale du Canada », elles sont plus ou moins d'accord avec cette proposition et préféreraient l'appellation « Marine canadienne » à l'appellation « royale ». C'est l'un de leurs arguments. J'aimerais connaître votre point de vue à ce sujet.

M. Holloway : Toute personne qui a servi en mer a travaillé sur un navire qui portait le titre de Navire canadien de Sa Majesté. Toute personne qui porte l'uniforme a prêté serment d'allégeance à Sa Majesté; toute personne qui porte un uniforme porte un insigne où l'on voit la Couronne. Il est ridicule et manifestement inexact de dire qu'elles ne sont pas au courant de leur lien avec le service de la reine.

Ce que j'essaie de dire, c'est que ce serait un geste tourné vers l'avenir, qui permettrait à la marine de se servir de son histoire pour s'attirer plus de soutien dans l'avenir.

À mon avis, ce n'est pas important que les personnes qui portent actuellement l'uniforme aient déjà appartenu à la MRC. Ce que je trouve vraiment important — à titre de personne qui se préoccupe de la marine, qui croit en elle et qui en a fait partie pendant la plus grande part de sa vie adulte —, c'est ce que peut faire la marine pour obtenir plus d'appui de la part des Canadiens. C'est ce que doit faire la marine pour prospérer dans l'avenir.

Même si j'enseigne dans une faculté de droit, et non dans une faculté de gestion, je vais tenter de parler comme le doyen d'une faculté de gestion. Comme l'a mentionné le sénateur Dallaire, l'image de marque est absolument essentielle. Dans le contexte martial et militaire, l'image de marque est inextricablement associée à l'histoire, aux valeurs martiales et aux actes glorieux du passé. Elle ne peut pas seulement reposer sur le présent.

La MRC était la troisième marine en importance au monde, et c'est elle qui a été la toute première au Canada à subir des pertes en action pendant la Première Guerre mondiale — il s'agissait de quatre aspirants de marine de la MRC. Pendant la Seconde Guerre mondiale, c'est un officier de la MRC qui a été la dernière perte en action du Canada. C'est aussi la MRC qui a entrepris la toute première mission canadienne au nom des Nations Unies. Ce sont toutes des choses que la MRC a accomplies.

À mon avis, il est faux de dire que la marine ne peut pas, au XXIe siècle, établir des liens avec les Canadiens.

Le sénateur Manning : Certains trouveront peut-être cela étrange, mais je suis à 100 p. 100 de descendance irlandaise. Des gens m'ont demandé pourquoi j'appuyais l'ajout de l'adjectif « royal » en raison des désaccords qui ont existé par le passé. Je pense toutefois que ce n'est pas tant mon lien avec la royauté que mon lien avec l'histoire qui explique mon point de vue, et le fait que je pense que nous devons être fiers de notre passé.

Je crois que l'une des choses les plus importantes que nous possédons à titre de personne, de groupe et de pays, c'est notre identité. Des personnes actuellement en service ont dit que le nom « Commandement maritime » ne leur donnait pas de sentiment d'appartenance. Elles ont l'impression, dans une grande mesure, de ne pas avoir d'identité. Il est important que nous tissions un lien entre les personnes qui font partie de la marine pour qu'elles éprouvent un sentiment d'appartenance.

Savez-vous si le fait d'adopter l'appellation « Marine royale du Canada » aurait des répercussions juridiques?

M. Holloway : Non; cela aurait des répercussions administratives, mais aucune répercussion juridique.

Si vous le permettez, j'aimerais faire un lien entre cette partie de la question et la mention de vos ancêtres irlandais que vous avez faite. Comme je l'ai dit, j'ai été officier au sein de la Marine royale australienne. L'influence irlandaise est beaucoup plus présente au sein de la culture australienne qu'au sein de la culture canadienne. L'Australie a connu un processus d'unification du haut commandement, comme nous l'avons fait dans les années 1960. Le pays continue toutefois de mettre en valeur avec beaucoup de fierté ses liens avec la Marine royale australienne. Je peux vous dire, sénateur Dallaire, que l'uniforme que portent les marins à bord des navires est aussi pratique que le nôtre, mais que leur uniforme de cérémonie leur donne l'allure de marins.

J'en viens donc à la deuxième partie de votre question. J'ai entendu des personnes demander : « Si la MRC devait être rétablie, comment est-ce que des personnes en service pourraient porter un uniforme vert ou l'uniforme bleu de la Force aérienne? » Premièrement, c'est arrivé avant 1968. Deuxièmement, cela se produit en ce moment même en Grande- Bretagne, en Australie et en Nouvelle-Zélande. J'ai passé beaucoup de temps en Inde au fil des ans, et c'est ce qui se passe là-bas.

Il arrive parfois qu'une personne qui appartient au Royal Canadian Horse Artillery est affectée à Stadacona et participe à un défilé aux côtés de membres de la MRC. Cela soulève bien sûr des questions administratives, mais c'est comme ça que ça se passe présentement. Donc, non, je ne pense pas qu'il y ait quelque obstacle juridique que ce soit.

Le sénateur Manning : Comme vous le savez très bien, nous avons, à Terre-Neuve-et-Labrador, la Force constabulaire royale. Nous accueillons toujours la toute première manifestation sportive en Amérique du Nord, les Royal St. John's Regatta, et nous comptons l'un des groupes de soldats les plus fiers au pays, le Royal Newfoundland Regiment. Tout cela nous tient vraiment à cœur, et la façon dont les membres de ces organisations se comportent est assez convaincante. On pourrait dire la même chose de la GRC, entre autres.

Je comprends ce que vous voulez dire quand vous parlez de la « Marine canadienne » par rapport à la « Marine royale du Canada ». Je me demandais seulement si vous pouviez nous donner un aperçu du passé en ce qui concerne les personnes qui ont fait partie de la Légion royale canadienne et d'autres personnes qui ne font pas partie du groupe, mais qui sont actuellement en service. Pour ce qui est des personnes dont vous avez parlé, qui seront appelées à servir, il semble que l'un des arguments contraires que nous entendons est celui qui veut que les soldats de notre marine collaborent présentement davantage avec ceux de la Marine américaine, par exemple, qu'avec ceux de la Marine royale britannique.

Ce sont là les arguments que nous entendons à l'appui d'un certain point de vue. Si vous voulez mon avis, ce sont des arguments très faibles quand vient le temps de dire pourquoi nous ne devrions pas adopter le nom de « Marine royale du Canada ». J'aimerais que vous nous en disiez plus au sujet de l'endroit où servent actuellement les membres de la Marine et de la pertinence de cet argument.

À ce que je sache, notre marine est présente partout dans le monde, mais vous pourriez peut-être seulement nous en dire un peu à ce sujet, s'il vous plaît.

M. Holloway : C'est vrai que la marine passe plus de temps à des opérations conjointes avec les Américains qu'avec les Britanniques, mais c'est une réalité qui existe depuis au moins 1957. Cela a donc peu de poids.

Il est aussi vrai de dire que, bien souvent, les Américains, ou à tout le moins, la Marine américaine, utilise, dans la correspondance, le sigle anglais « RCN » pour désigner notre marine. D'après moi, les arguments en faveur de l'appellation « MRC » n'ont rien à voir avec le fait que nous voulons être britanniques; nous ne sommes pas britanniques, et nous ne l'avons pas été depuis longtemps. Tout ce que nous voulons, c'est mettre en valeur notre identité canadienne, qui s'est forgée en temps de guerre et s'est précisée pendant les missions des Nations Unies, une identité qui reflète toutes les grandes valeurs canadiennes, une identité dont nous ne devrions pas du tout avoir honte.

Pour moi, cela a à voir non pas avec le fait d'être britanniques, mais avec le fait d'être canadiens. On peut même dire qu'il est particulièrement important que nous soyons canadiens si nous devons passer de plus en plus de temps avec la Marine américaine. Il devient d'autant plus important que nous ayons un nom élégant qui reflète notre histoire.

Puisqu'il est question de la Marine américaine, je souligne que le drapeau accroché à la proue de ses navires de combat s'appelle le « Jack »; c'est de là que vient le nom familier du drapeau britannique, le « Union Jack » — c'est une expression navale. À la suite du 11 septembre, la Marine américaine est revenue à l'ancien Jack naval utilisé à la période de la révolution. C'est un drapeau rayé rouge et blanc, et on y voit un serpent, de même que la mention « Don't tread on me ».

Dans un mouvement visant à ranimer l'esprit de patriotisme, l'amour de la patrie et l'amour du service, et à établir des liens avec le passé, les Américains ont récupéré un drapeau de guerre révolutionnaire qui avait plus de 200 ans. Je pense donc qu'il est injuste d'affirmer que, si notre flotte collabore avec la Marine américaine, nous risquons de passer pour des arriérés parce que nous mettons en valeur notre passé — en fait, ce serait tout le contraire. Je serais plutôt d'avis que notre marine a confiance en elle, qu'elle connaît son histoire, et qu'elle en est fière plutôt que d'en avoir honte.

La présidente : Remarquez que je n'ai pas parlé des témoignages présentés par les membres du comité.

Le sénateur Lang : J'ai quelques questions pour vous. Premièrement, vous avez dit que les alliés désignaient souvent notre marine sous le nom « Marine royale du Canada ». Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet parce que c'est la première fois qu'on nous parle de cela.

M. Holloway : J'ai dîné aujourd'hui avec l'un de mes collègues qui travaille toujours au QGDN. Je lui ai dit que j'allais témoigner devant vous, et c'est lui qui m'a dit cela.

Je savais que c'était comme cela dans mon temps. Je faisais partie de la division des communications de la marine, et je m'occupais constamment de messages. Comme je l'ai dit, j'ai servi en Grande-Bretagne, en Norvège et aux États- Unis, et, fréquemment, les étrangers utilisaient le sigle anglais « RCN » pour désigner notre marine. J'ai été étonné et enchanté quand mon ami qui travaille toujours au QGDN m'a dit, aujourd'hui, que c'était toujours le cas. Je vous rapporte des choses qu'on m'a dites aujourd'hui même.

Le sénateur Lang : Pour revenir au point de vue des gens de la marine, des témoins nous ont dit, il y a quelques semaines, que le personnel subalterne qui fait actuellement partie de l'effectif de la marine appuie l'appellation « Marine canadienne ». Évidemment, il s'agit de la jeune génération, mais vous en avez aussi fait partie pendant un certain temps. Diriez-vous que c'est exact? Nous entendons des messages contradictoires à ce sujet.

M. Holloway : C'est intéressant. C'est un sujet très délicat parce que, au bout du compte, le personnel subalterne veut ce que l'amiral veut. Dans une certaine mesure, c'est lui qui détermine les désirs du personnel subalterne.

J'ai échangé des courriels avec un premier maître actuellement en service, et je lui ai parlé de cela. Il a fait un petit sondage officieux à l'endroit où il travaille, et il a dit que les gens étaient à parts égales en faveur des deux options. Ces données ne sont absolument pas scientifiques, mais la moitié des membres en service qu'il a interrogés étaient en faveur de l'appellation « MRC ».

Si je puis me permettre, monsieur le sénateur, il y a une autre chose que j'aimerais dire à ce sujet. Quand il y a eu le débat sur la pertinence du retour de la « boucle d'officier », on a entendu le même type d'arguments que ceux que l'on entend aujourd'hui. C'est rétrograde; nous portons cet uniforme depuis 1968, notamment.

Combien de temps s'est-il écoulé avant que chaque officier de marine en service ait la boucle sur son uniforme? Ça a été une question de jours, parfois, de semaines. La décision a été bien acceptée. J'ai demandé à mon ami avec qui je dînais aujourd'hui si les gens étaient contrariés par le retour de la boucle d'officier. Il m'a dit qu'ils l'avaient au contraire tous adoptée.

Je ne suis pas en service. C'est donc avec conviction, mais sans certitude absolue, que je m'exprime. Cependant, je ne crois pas qu'il y aurait quelque indignation que ce soit chez le personnel subalterne si on décidait de reprendre l'appellation « MRC ».

Le sénateur Lang : J'aimerais en dire un peu plus à ce sujet. Je veux qu'il soit écrit dans le compte rendu qu'aucun membre du comité n'a honte de l'histoire de notre marine. Nous avons la possibilité de changer le nom de la marine, et c'est tout ce dont nous nous occupons. Nous sommes tous fiers des hommes et des femmes qui ont été appelés à servir dans la marine, et nous sommes fiers de leur histoire. Nous nous sommes très bien comportés.

Je crois qu'il est important, aux fins du compte rendu, qu'un témoin vienne dire autre chose que ce que nous avons entendu par le passé, c'est-à-dire qu'il y a un fort mouvement en faveur de l'appellation « Marine canadienne » au sein du personnel subalterne. Ce que nous entendons aujourd'hui, c'est que cet appui est divisé à parts égales. C'est important que ce soit inscrit dans le compte rendu.

Le sénateur Day : Monsieur Holloway, merci beaucoup d'être présent aujourd'hui. J'ai eu l'occasion d'examiner le sondage dont a parlé le sénateur Plett. En fait, je l'ai examiné aujourd'hui même. Il a parlé de 5 054 signatures, mais, d'après le chiffre que j'ai vu, 50 personnes de plus l'avaient signé. De toute évidence, c'est une question qui suscite beaucoup d'intérêt puisque nous en sommes maintenant à plus de 5 100 signatures, et cela se poursuit. Il y en a 5 103; j'ai finalement trouvé le chiffre exact.

Il y a, dans les attendus, un point intéressant que j'ai remarqué. C'est Michael J. Smith qui est à l'origine de cette pétition signée par 5 100 personnes. L'un des attendus se lit comme suit :

Attendu que la désignation « royale » de la Marine canadienne a été instaurée par une proclamation royale qui n'a jamais été révoquée et que le gouvernement du Canada et les Forces canadiennes sont obligés de reprendre l'utilisation de l'expression « Marine royale du Canada » si l'expression « Marine canadienne » est employée dans sa qualité officielle;

Cela fait état de bien plus qu'une ouverture à un changement d'appellation. Il y est écrit que, parce que, en 1911 ou quelque chose du genre, la Marine canadienne est devenue la Marine royale du Canada, et parce que cette désignation n'a jamais été révoquée ni annulée, chaque fois qu'on dit « Marine canadienne », il faudrait plutôt dire « Marine royale du Canada ».

M. Holloway : J'ai lu cela, moi aussi. Cela ne me semble pas juste.

Le sénateur Day : J'ai trouvé très intéressant de voir qu'il y avait une obligation. J'essayais de retrouver ce passage, et je pense que nous devrions absolument obtenir un avis juridique à ce sujet. J'ai lu la note d'information à ce sujet, mais elle ne nous aide pas vraiment à propos de cette question.

Le problème, c'est que la question a été soulevée par l'amiral Buck, un amiral à la retraite qui est venu nous rencontrer. Il a soulevé la question et a affirmé que nous devrions nous adresser à la Reine, mais toutes les autres personnes qui m'ont parlé de cette question affirment que ce n'est pas nécessaire et que le nom a été relégué aux oubliettes.

La présidente : C'est ce qui a été dit dans le cadre d'une campagne orchestrée par courrier électronique, qui, je le sais, a circulé. Cependant, j'ai aussi entendu dire que ce n'était pas le cas, mais je pense que nous avons besoin d'une réponse à ce sujet.

M. Holloway : Vous vous souvenez peut-être que le régiment des Halifax Rifles a été remis sur pied l'an dernier. Il s'agit d'une unité de réserve. Je crois que la position du ministre MacKay était, à l'époque, qu'il n'avait pas besoin de passer par le palais pour avoir ce régiment. Il n'y a pas le mot « royal » dans sa désignation, mais c'est un régiment au service de la reine. On peut dire qu'il était, en quelque sorte, en hibernation. On n'a pas eu à obtenir la permission de la reine pour remettre sur pied l'un de ses régiments.

Le sénateur Wallin a dit que vous souhaitiez obtenir un avis juridique, et c'est ce que vous devez faire. Je ne pense pas que vous aurez à passer par le palais.

Le sénateur Dallaire : Le régiment n'a pas été rayé de l'effectif; il n'a pas été rayé de l'ordre de bataille. Il a été réduit à néant je crois — et c'est ce que j'appuie — que nous devrions nous adresser à la Direction — Histoire et patrimoine du Quartier général de la Défense nationale afin d'obtenir une réponse officielle et de savoir clairement si la « MRC » existe toujours ou si elle a été rayée de l'effectif.

Le sénateur Day : Je vous remercie de cette intervention, sénateur Dallaire.

J'ai aussi reçu une note dans laquelle on me dit qu'un certain M. Chris McCreery affirme que nous n'aurions pas à obtenir l'approbation de la reine pour utiliser la désignation royale. Il ajoute que la proclamation royale n'a pas été révoquée. Par conséquent, le document signé par Sa Majesté George V existe toujours. Il resterait donc simplement au ministre de la Défense nationale à donner son approbation. Je ne sais pas si vous connaissez ce M. McCreery.

M. Holloway : Je le connais.

Le sénateur Day : Je ne l'ai jamais rencontré, mais je vais donner suite à tout cela. J'aimerais mentionner une coïncidence intéressante. J'ai reçu une note de la part d'un officier en service du 12e Régiment blindé du Canada. Vous avez parlé de ce régiment en particulier, et voici ce que dit cet officier :

La notion de couronne canadienne est non seulement au cœur de notre régime politique et de notre société, elle a aussi une importance fondamentale pour les Forces armées canadiennes. C'est la source d'où émanent tous les pouvoirs et tous les ordres, qui donne naissance à toutes les distinctions honorifiques au sein du régime des Forces canadiennes.

Il est donc fermement en faveur du rétablissement de la « Marine royale du Canada » et de l'« Aviation royale du Canada ». J'ai pensé vous le faire savoir.

J'ai reçu 146 courriers électroniques concernant cette question, et 136 d'entre eux étaient en faveur de l'appellation « Marine royale du Canada ».

Tout comme mes collègues, quand nous sommes d'accord, nous ne pouvons pratiquement que dire : « Merci beaucoup de vos commentaires ». Cependant, il y a quelque chose que vous avez mentionné au sujet de l'amiral McFadden. Vous avez dit que la boucle d'officier représentait « six semaines de carburant pour nos navires ». Pouvez- vous nous en dire plus à ce sujet?

M. Holloway : Ce que j'ai compris, c'est que, pour refaire les uniformes, cela a coûté le même prix que six semaines de carburant pour une frégate.

Le sénateur Day : Est-ce que, ce qu'il voulait dire, c'est qu'il aurait préféré avoir du carburant pour six semaines plutôt que la boucle d'officier?

M. Holloway : Je ne peux pas parler à sa place. C'est ce que j'ai compris, mais je ne peux pas me prononcer à sa place.

La présidente : Nous ne pouvons pas entendre un témoignage par l'entremise d'une tierce partie.

Le sénateur Day : Je trouve que des précisions à ce sujet seraient utiles. Que devrions-nous comprendre d'un tel commentaire?

La présidente : Que cela coûte cher.

Le sénateur Day : Exactement, et que nous devrions plutôt faire autre chose. Je pense que, ce que vous vouliez dire, c'est que, pour ces commandants, ce qui compte, ce sont les opérations et ce qui se passe aujourd'hui.

M. Holloway : Et c'est tout à fait normal. Ils vivent dans le présent; ils dirigent nos forces, qui sont en opération au moment où on se parle. Cependant, nous devons aussi penser à l'avenir et le planifier.

Le sénateur Manning : Madame la présidente, il y a une chose que j'aimerais souligner à ce sujet. Qu'il s'agisse d'adopter l'appellation « Marine canadienne » ou « Marine royale du Canada », il y aura un coût. Une chose est sûre, tout le monde veut se débarrasser de l'appellation « Commandement maritime ».

Le sénateur Patterson : J'aimerais remercier le témoin d'avoir présenté deux arguments et deux points de vue tout à fait nouveaux, après des semaines de témoignages. Le premier concerne le fait que le nom de la marine devrait respecter la Constitution du Canada ou, comme vous l'avez dit, le contexte dans lequel le Canada a été créé.

J'aimerais seulement que vous en disiez un peu plus à ce sujet. Je sais que nous sommes une monarchie constitutionnelle. Pouvez-vous aller plus loin et nous dire si cela signifie que la reine est le chef d'État? Dites-m'en plus à ce sujet, s'il vous plaît.

M. Holloway : Selon la Loi constitutionnelle de 1867, la reine est le commandant en chef des forces armées.

Nous disons, au Canada, que c'est le gouverneur général qui est le commandant en chef, mais ce n'est pas constitutionnellement exact. Le gouverneur général est un délégué de la reine. Les pouvoirs de commandant en chef sont conférés à la reine aux termes de la Constitution. Tous les militaires sont au service de la reine, et c'est pourquoi nous prêtons tous le serment d'allégeance le jour où nous entrons dans les Forces.

Qu'on le veuille ou non, les forces armées sont, selon la Constitution, celles de la reine. Je préfère, somme toute, que le titre que nous donnons aux organisations reflète la situation constitutionnelle.

Le sénateur Patterson : J'estime que c'est un argument très convaincant, et je vous remercie de nous en avoir fait part.

Vous avez aussi parlé de l'image de marque. C'est un nouvel argument, et je le trouve passionnant parce que toute cette question d'image de marque est très actuelle. On voit, partout dans le monde, une tendance à l'utilisation de sigles. C'est une tendance généralisée dans l'armée, comme vous le savez. On peut aussi penser aux banques canadiennes : la Banque Royale du Canada est maintenant la RBC. Il y a aussi la CIBC, et bien d'autres.

Je crois que vous dites que le seul débat est celui sur le nom à donner à la marine. Nous sommes tous d'accord pour dire que « Commandement maritime » était une catastrophe sur le plan de l'image de marque. C'est une appellation qui ne s'est pas imposée, et elle n'a jamais été utilisée, sauf dans des communications officielles. Comme l'a dit mon collègue, nous sommes obligés de dépenser pour nous débarrasser de cette appellation et en adopter une nouvelle. Ce que vous dites, c'est que nous devons nous demander si nous voulons le sigle anglais « RCN » ou « CN ». Est-ce que j'ai raison?

M. Holloway : Oui. Soyons honnêtes, et posons la question à toutes les personnes présentes. Qu'évoque, pour vous, le sigle « CN »? Est-ce qu'il vous fait penser à des navires de guerre dans l'Atlantique Nord ou à une gare de triage et à un chemin de fer?

Le sénateur Plett : Je vous remercie de me permettre de poser une question de plus, sénateur Mitchell et madame la présidente. En ce qui concerne le débat concernant le choix de l'appellation « MC » ou « MRC », j'aimerais savoir ce qui coûterait le plus cher : l'appellation « MC » ou l'appellation « MRC »?

M. Holloway : C'est une différence de six caractères.

Le sénateur Dallaire : C'est une différence sans importance. Le gouvernement a dépensé 43 millions de dollars pour nous fournir de nouveaux uniformes en 1986.

Le sénateur Mitchell : Vous serez étonnée de l'entendre de ma bouche, mais je trouve, madame la présidente, que vous dirigez une réunion très disciplinée et que vous avez été très juste et aimable.

Je pense que le sénateur Patterson a appuyé mon point de vue. Il a fait valoir son argument de façon très élégante, mais je ne suis pas d'accord avec lui. Il a mentionné que la Banque Royale du Canada était maintenant la RBC, ce qui signifie qu'elle va dans la direction opposée que ce qu'il essayait de démontrer. La CIBC n'a jamais été « royale », pas plus que la BMO.

Une voix : Elle était « impériale ».

Le sénateur Mitchell : Oui. La tendance va donc aussi dans le sens opposé. Merci de le mentionner.

Je trouve que vous argumentez très bien et de façon convaincante. Très bientôt, vous argumenterez pour l'Université royale Western Ontario.

Je ne veux pas vous faire dire ce que vous n'avez pas dit, mais vous avez dit quelque chose qui m'a frappé. Je ne fais que paraphraser, mais vous avez dit que nous voulions, en quelque sorte, un nom élégant, en laissant supposer qu'il devait contenir la mention « royale ». Est-ce que cela veut dire que, pour vous, l'adjectif « canadienne » est inélégant et dépassé, parce que ce n'est certainement pas mon avis. Pour moi, c'est un adjectif très puissant et fondamental. Je suis un Canadien. Cela veut dire beaucoup pour moi. Je crois que c'est très attirant et stimulant pour les gens, qui ont une idée de ce que nous pouvons devenir.

M. Holloway : Non. J'ai joint les rangs des forces armées canadiennes et j'ai porté un uniforme vert pendant de nombreuses années. J'ai passé la plus grande partie de ma vie adulte dans les Forces canadiennes; je serais donc la dernière personne au monde à dénigrer le patriotisme ou l'engagement envers notre pays des personnes qui ont été appelées à servir depuis 1968. Je pense toutefois que le sigle « MRC », ou, en anglais, « RCN », est plus gracieux et élégant que le sigle « CN » en anglais. C'est mon point de vue.

Le sénateur Mitchell : Oui, et si nous adoptons le sigle anglais « CN », je suis à peu près sûr qu'il retrouverait la grâce et l'élégance qu'il a perdues.

Vous avez aussi dit que l'adjectif « royal » évoque notre histoire, notre passé et toute notre grandeur. C'est un argument convaincant. Nous savons tous qu'il y a eu de grandes réalisations. Je dirais aussi que nous avons connu notre lot de grandes réalisations au cours des 42 dernières années au cours desquelles la marine n'était pas « royale », et que nous nous retrouverions à ne pas tenir compte de ces réalisations et à ne pas les évoquer si nous devions retenir votre solution.

Je pense toutefois aussi que le passé dont vous parlez, celui qu'évoque l'adjectif « royal », est associé à certains éléments qui ne sont pas particulièrement grandioses ni exaltants, comme la période où nous faisions partie du Dominion et de l'empire colonial. De fait, c'est à la suite de certains des plus grands moments de notre histoire militaire — comme Vimy, où les Canadiens ont combattu comme personne d'autre n'aurait pu le faire et où de nombreux militaires sont morts — que nous avons commencé à affirmer notre indépendance par rapport à la Grande-Bretagne et que nous avons pu commencer à faire notre place comme pays de plein droit. Nous pouvions être fiers d'être « canadiens », sans devoir ajouter un adjectif pour nous sentir mis en valeur. Que fait-on quand des éléments de notre histoire qui ne sont pas particulièrement grandioses viennent se juxtaposer à d'autres éléments grandioses?

M. Holloway : Sir John A. Macdonald, notre premier premier ministre, a dit que la Confédération viendrait préserver notre lien avec la Grande-Bretagne; s'agit-il d'un épisode honteux de notre histoire? Non. C'est ce qui s'est passé, et c'est ce qui a mené à la création du Dominion — et c'est toujours sous cette appellation qu'on le désigne dans la Constitution, en passant. Je ne dirais pas qu'il ne s'agit pas de grands moments de notre histoire. Au contraire, je dirais que la MRC a été l'une des premières à nous mener vers notre indépendance.

Selon le droit international, un pays devient un pays quand les autres pays le reconnaissent comme tel. Le 3 août 1914, nous n'avions aucun statut légal sur le plan international, mis à part notre statut à titre de partie constituante de l'Empire britannique. Cela a commencé à changer, en partie à la suite des batailles de la crête de Vimy, quand, à l'instigation de la Grande-Bretagne, nous avons pu prendre part à la Conférence de paix de Paris et signer le Traité de Versailles en 1919.

Dans les années 1930, c'est la MRC qui a mis de l'avant les valeurs canadiennes quand nous avons contribué à réprimer une insurrection au Honduras. De 1939 à 1945, la MRC a aidé à maintenir les routes de navigation ouvertes dans l'Atlantique. C'est aussi la MRC qui a ramené les soldats canadiens, les prisonniers, de Hong Kong. C'est la MRC qui, dans les deux semaines qui ont suivi l'invasion de la Corée du Sud par la Corée du Nord dans les années 1950, s'est faite la porte-parole des valeurs canadiennes. Si l'on donne à penser que la MRC n'a pas participé à l'émergence du Canada dans sa forme actuelle, je pense, malgré tout le respect que je vous dois, sénateur Mitchell, que l'on n'interprète pas l'histoire de la bonne façon.

Est-ce que je peux ajouter autre chose à ce sujet? On entend parfois dire que le fait d'employer l'adjectif « royal » révèle un manque de sensibilité aux enjeux liés à la diversité; on dit qu'il ne reflète pas la diversité actuelle du Canada. J'aimerais mentionner deux choses à ce sujet. Les Canadiens français fréquentent depuis longtemps le Collège militaire royal et le Royal Military College, et cela ne les pas empêchés ni dissuadés de le faire. La GRC a fait, au cours des dernières années, des pas énormes pour accroître sa diversité. Je ne pense pas que la simple présence de la lettre « R » a pour effet de rebuter les gens.

Le sénateur Mitchell : Si vous examinez les statistiques au sujet de la GRC, vous constaterez qu'elle n'est pas particulièrement diversifiée et ses membres ne seraient pas d'accord avec vous, tout comme moi.

Vous avez affirmé qu'il était pertinent d'associer des éléments positifs à l'adjectif « royal »; à mon avis, il existe aussi des raisons d'associer des éléments négatifs à l'adjectif « royal ». Nous avons même accompli de grandes choses sous l'appellation « Commandement maritime », qui ne seront pas évoquées par la nouvelle appellation. Ce que je dis, c'est que je ne comprends pas pourquoi il faudrait ajouter un adjectif avant la mention « du Canada » pour en accroître le prestige.

En ce qui concerne l'existence d'un précédent, vous avez mentionné que, dans la marine, nous prêtons le serment d'allégeance à la Couronne et que c'est donc une bonne raison pour la qualifier de « royale ». Nous prêtons aussi le serment d'allégeance à la Couronne au Sénat. Allons-nous devenir le « Sénat royal du Canada » ou le « Parlement royal du Canada »? Non; ce n'est donc pas une question de précédent.

Si certaines organisations sont qualifiées de « royales », comme certains collèges et régiments, de nombreuses organisations n'ont pas, dans leur appellation, l'adjectif « royal ». Peut-on dire que, parce qu'une organisation a prêté le serment d'allégeance à la Couronne, cela suffit pour justifier l'inclusion de l'adjectif « royal » à son titre?

M. Holloway : Le Sénat n'a jamais été désigné sous l'appellation « Sénat royal du Canada ». Si cela avait été le cas pour la majeure partie de son histoire, j'aurais peut-être un autre point de vue. C'est là qu'il faut faire une distinction. La MRC a porté ce nom pendant plus de la moitié de son existence, y compris pendant les trois grandes guerres auxquelles elle a participé — pendant les actes qui ont permis à des militaires de recevoir la Croix de Victoria. Le fait de dire qu'il s'agit d'une partie négative de notre histoire...

Le sénateur Mitchell : Ce n'est pas ce que je dis. Il y a du positif, et cela évoque aussi des aspects pour lesquels nous avons lutté, comme l'indépendance et l'image de marque du Canada.

M. Holloway : Ne pensez-vous pas que la GRC est le symbole de l'image de marque du Canada, tout comme la Compagnie de la Baie d'Hudson?

Le sénateur Mitchell : Ce n'est pas la Compagnie royale de la Baie d'Hudson.

M. Holloway : Non, mais c'est le gouverneur et la Compagnie des aventuriers d'Angleterre faisant le commerce dans la Baie d'Hudson; c'est son nom officiel.

Le sénateur Mitchell : Ce ne l'est plus. Ils s'en sont débarrassés.

M. Holloway : Non, c'est sa dénomination sociale.

Le sénateur Mitchell : Ils ne s'en servent pas pour la mise en marché, n'est-ce pas? Je regarde vers l'avenir, et les gens qui auront envie d'entrer dans la marine sont maintenant de diverses cultures. Vous pourriez poser la question à de nombreux Canadiens; ils n'ont jamais entendu parler de la « Marine royale du Canada ».

Le sénateur Dallaire : J'aimerais parler de nouveau du centenaire, qui est à la source de tout cela, et des répercussions sur les autres services. Quoi qu'il en soit, ce qu'il faut retenir, c'est que la planification du centenaire n'a pas commencé le 1er janvier 2010. Elle a commencé quelques années auparavant.

Tout au long de cette période, y compris pendant l'année du centenaire, vous pensez peut-être que le personnel subalterne restait au garde-à-vous, à dire : « Oui, monsieur. Bien, monsieur », mais le personnel subalterne a l'occasion de s'exprimer de diverses façons, notamment par l'entremise d'enveloppes brunes.

Y a-t-il eu des personnes qui se sont plaintes ou qui ont manifesté le souhait que l'appellation « Marine canadienne » ne soit pas adoptée, dans le contexte du centenaire, qui a marqué le début d'une nouvelle ère dans l'histoire de la marine, et y a-t-il eu des personnes qui ont insisté, dans le cadre des événements du centenaire, pour l'ajout de l'adjectif « royal », ou y a-t-il eu un mouvement en ce sens?

M. Holloway : Certainement, sinon je ne serais pas ici aujourd'hui. De toute évidence, il y a des gens en faveur du retour de l'appellation « MRC ». Comme je l'ai dit, d'après les données non scientifiques que m'a fournies mon ami premier maître, il semble que, à tout le moins dans son milieu de travail, la moitié des gens sont en faveur de l'appellation « MRC ».

J'aimerais ajouter quelque chose au sujet du centenaire. Je suis né l'année où la marine a fêté ses 50 ans. J'étais en service quand elle a fêté son 70e et son 75e anniversaires. Je me suis demandé, à la suite du 70e et du 75e anniversaires, dont je me souviens très bien, si tout cela avait eu une incidence durable. Nous nous sommes amusés. Nous avons eu beaucoup de plaisir. Mais est-ce que les millions de dollars qui ont vraisemblablement été dépensés pendant ces années d'anniversaire ont entraîné des avantages politiques durables pour la marine? La réponse est non; il n'y a rien eu. Dès que la cloche marquait la fin de l'année, le 31 décembre, tout était oublié.

C'est à cette époque que j'ai commencé à militer, sénateur. Je pense que la marine a une occasion qui ne se présente que tous les 100 ans et peut se servir de ces célébrations pour se distinguer. Nous savons que certaines choses n'ont pas fonctionné. Il est maintenant temps de passer à des choses qui ont fonctionné.

La présidente : Merci beaucoup, monsieur Holloway, doyen de la faculté de droit de l'Université Western Ontario. Nous devrions aussi ajouter qu'il a été premier maître au sein de la Marine canadienne et qu'il a participé à la rédaction d'un nouveau livre intitulé Le marin-citoyen : Chroniques de la Réserve navale du Canada.

M. Holloway : Merci beaucoup de m'avoir écouté.

La présidente : Mesdames et messieurs, nous allons maintenant poursuivre à huis clos pour discuter de nombreux enjeux qui sont à l'ordre du jour, notamment la souveraineté dans l'Arctique.

(La séance se poursuit à huis clos.)


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