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Délibérations du Comité sénatorial permanent de la
Sécurité nationale et de la défense

Fascicule 10 - Témoignages du 13 décembre 2010


OTTAWA, le lundi 13 décembre 2010

Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense se réunit aujourd'hui, à 16 heures, pour étudier et faire rapport sur les politiques de sécurité nationale et de défense du Canada (Sujet : Souveraineté et sécurité de l'Arctique).

Le sénateur Pamela Wallin (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Je déclare ouverte cette séance du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense du 13 décembre 2010. Nous accueillons deux témoins aujourd'hui. Nous avons un horaire un peu serré, car la Chambre tient une session spéciale ce soir à 18 heures.

Nous allons commencer par deux témoignages au sujet de la souveraineté et de la sécurité dans l'Arctique, puis nous tiendrons une courte séance à huis clos pour étudier notre rapport au sujet de la proposition de changement de nom du Commandement maritime.

Notre premier témoin de la journée comparaît par vidéoconférence de Whitehorse, au Yukon. Il s'agit de l'honorable Dennis Fentie, premier ministre du Yukon, qui accueillera cette année le Forum annuel des premiers ministres du Nord. Il est membre de l'assemblée législative, député provincial de Watson Lake, depuis 1996, et il est premier ministre depuis 2002. Il a évolué dans les domaines de l'exploitation forestière, du tourisme, de l'exploitation minière, du camionnage et de la distribution de combustibles — et, du reste, il est de bonne compagnie à table. Lorsque je suis allée au Yukon avec le sénateur Lang, nous nous sommes tous réunis et avons passé une soirée fantastique.

Avez-vous une déclaration préliminaire que vous aimeriez lire pour commencer? Le cas échéant, allez-y, je vous prie.

L'honorable Dennis Fentie, premier ministre du Yukon : Oui. Je serai aussi concis et expéditif que possible.

J'aimerais tout d'abord transmettre mes remerciements et exprimer ma reconnaissance au nom du Nord pour m'avoir donné l'occasion de témoigner devant le comité sur cette importante question. Je suis certain que nous comprenons tous que le Nord — les trois territoires — compose environ 40 p. 100 de la masse terrestre du Canada et couvre, avec d'autres administrations, comme l'État de l'Alaska, des milliers de kilomètres de côte. Le Nord est aussi un trésor de ressources naturelles et pourrait apporter une grande contribution au pays.

J'aimerais aussi saluer tout particulièrement les efforts déployés par le premier ministre Harper et son gouvernement pour attirer l'attention sur la question du Nord dans le cadre de cette initiative. Il y a longtemps que nous n'avons pas profité d'une telle considération de la part de notre gouvernement national. Le dernier exemple qui me vient à l'esprit, c'est l'initiative du premier ministre Diefenbaker qui mettait l'accent sur le Nord et a donné lieu à la construction de la route de Dempster.

Je crois qu'il est juste de dire que le Nord joue depuis longtemps un rôle important lorsqu'il s'agit d'aider le Canada à affirmer sa souveraineté. À mon avis, la meilleure façon de résumer cela — bien qu'il y ait des exemples de la façon dont ce rôle a des racines dans l'histoire et dans le droit international et tient à la présence des Inuits et des Premières nations dans le Nord —, c'est de dire que notre souveraineté dans l'Arctique est bel et bien affirmée par nos gens et nos collectivités nordiques. Il s'agit de notre première ligne.

Il y a des exemples du rôle qu'a donné le Canada au Nord en matière de sécurité et de souveraineté par le passé — je pense au système d'alerte lointaine et à notre participation actuelle au NORAD —, mais nous devrons relever de nouveaux défis liés à l'évolution constante de la conjoncture environnementale et mondiale, à la demande en énergie et en ressources minérales et aux réseaux de transport, qui pourraient bientôt emprunter le passage de l'Arctique ou le passage du Nord-Ouest. Évidemment, les intérêts militaires croissants avec les États-Unis et les préoccupations en matière de sécurité après le 11 septembre et d'autres exemples accroissent l'intérêt et la pression exercée sur le Nord du Canada.

Mon premier argument est évident. La souveraineté et la sécurité dans l'Arctique supposent des collectivités saines et durables qui assurent la présence de première ligne dans le Nord. Elles contribuent assurément à la souveraineté et à la sécurité dans l'Arctique. Toutefois, on peut en dire autant de l'investissement dans les infrastructures, qui est crucial. L'investissement dans l'infrastructure des transports, l'infrastructure de l'énergie et l'infrastructure de la communication et l'investissement dans des ports accessibles à marée haute et en eaux profondes, par exemple, sont autant de facteurs qui contribuent à la sécurité et à la souveraineté dans le Nord, qui sont des enjeux prioritaires.

N'oublions pas aussi que nous devrions renforcer certains éléments, comme nos Rangers canadiens, ainsi que nos cadets de l'armée et nos cadets de l'air. Voilà d'excellents exemples d'autres intervenants qui peuvent contribuer à cette importante initiative. Cela existe déjà en partie dans le Nord et au Yukon, et il importe que nous nous assurions que les Rangers et notre corps de cadets continuent à participer.

Il importe aussi d'investir dans la capacité des peuples nordiques, ce qui contribuera d'autant plus à la souveraineté et à la sécurité dans l'Arctique. Cette idée est en grande partie intégrée à la vision des trois territoires pour le Nord que nous avons présentée au gouvernement Harper — et nous sommes heureux de dire que notre apport transparaît dans la vision nationale globale pour le Nord.

Nous voulons aussi applaudir le fait qu'une politique étrangère de l'Arctique nous attribue un rôle et prévoit notre participation dans le cadre de tribunes comme le Conseil de l'Arctique et le Forum nordique, lequel, comme l'a précisé la présidente, nous allons coanimer. Voilà des secteurs qui peuvent contribuer encore davantage aux intérêts du Canada.

Bien sûr, l'un des défis les plus évidents tient à l'établissement d'un mécanisme de recherche et sauvetage qui donnera lieu à une intervention beaucoup plus rapide. Nous avons établi — ici, dans le Nord — cet aspect important de la sécurité.

Je sais que vous avez des questions. Encore une fois, je vous remercie de cette occasion. J'aimerais conclure en disant que cette initiative fédérale, la stratégie de souveraineté et de sécurité dans l'Arctique, est essentiellement une question de renforcement du pays. Le renforcement du pays, du point de vue du Nord, suppose une fédération qui s'étend du Pacifique à l'Atlantique à l'Arctique.

Le sénateur Dallaire : Monsieur le premier ministre, vous parlez au nom du Yukon, bien sûr, mais vous avez aussi mentionné vos deux autres collègues. En ce qui concerne la population du Nord, à l'exception des collectivités autochtones — nous savons qu'elles connaissent une explosion démographique —, y a-t-il des initiatives visant à amener d'autres gens dans le Nord, à attirer des gens qui ne sont pas nécessairement de souche européenne? Est-ce que vous avez pris des mesures pour augmenter cette population — comme vous l'avez dit —, les collectivités étant l'un des piliers de notre souveraineté dans le Nord et de l'efficacité de nos efforts pour affirmer notre souveraineté dans cette région?

M. Fentie : Oui. Sénateur Dallaire, merci de la question. J'aimerais commencer par une explication.

Je suis ici au nom des trois territoires du Nord, mais je ne parle certainement pas au nom du premier ministre Roland et de la première ministre Aariak. Ils ont peut-être d'autres idées sur la question. Je suis ici au nom du Nord en général.

Quant à la population croissante, il est vrai que nous comptons un grand pourcentage d'Autochtones. Cette proportion est beaucoup plus prononcée au Nunavut et dans les Territoires du Nord-Ouest. Le pourcentage est plus faible au Yukon. La croissance de la population est un phénomène observable aujourd'hui dans le Nord. C'est le fruit d'efforts pour combler le besoin de renforcer la capacité. Nous avons besoin de professionnels et de personnel médical. Nous avons besoin d'enseignants, d'ingénieurs et d'autres employés spécialisés pour contribuer à nos projets dans le Nord, car nous sommes en développement et en croissance. Notre population est croissante et plutôt diversifiée.

Un autre exemple concerne le fait que nous participons au programme des candidats que le pays a lancé, alors nous accueillons des immigrants de souche autre qu'européenne dans le Nord. Cela occasionne des investissements de la Chine et des Philippines, entre autres. Il y a beaucoup d'initiatives et un effort important pour accroître notre population, contribuer à bâtir des collectivités saines et durables et relever les défis en matière de capacité auxquels nous faisons face.

Le sénateur Dallaire : Pour préciser, si vous le permettez : quel est le rôle du gouvernement fédéral pour ce qui est d'amener une plus grande population dans les régions nordiques? À titre d'exemple, dans votre région, nous avons vu certains projets avec les Autochtones qui n'ont pas toujours nécessairement donné de bons résultats. Dans les années 30, en Abitibi, dans le Nord-Ouest du Québec, les Autochtones avaient interagi avec le gouvernement provincial.

A t-on un plan d'action particulier en vue d'accroître la population, compte tenu de tous les différents éléments caractéristiques d'une population, du profil démographique, dans le Nord et en particulier au Yukon?

M. Fentie : J'ignore si vous parlez de l'immigration ou d'initiatives touchant les principaux domaines dont nous avons besoin dans le Nord, alors je ne comprends pas tout à fait votre question. Toutefois, je peux souligner que, à l'étape actuelle, les initiatives sont axées sur l'immigration d'étrangers, par exemple, dans le cadre des programmes de candidats. Cela suppose de l'immigration. Cela comprend un investissement dans les infrastructures prioritaires, comme l'énergie, le logement et d'autres formes d'infrastructures. Cela comprend la conclusion d'ententes avec nous à l'égard du marché du travail et de la formation, du perfectionnement et de l'investissement dans l'éducation.

Cela suppose, soit dit en passant, d'insister considérablement sur la mise en oeuvre des traités et des accords sur les revendications territoriales, car c'est essentiel pour s'assurer d'attirer des gens dans le Nord. Comme j'ai eu peu de temps — bien que je pourrais vous donner encore beaucoup d'autres détails —, c'est le mieux que je peux faire à la dernière minute.

Le sénateur Lang : À titre d'information — pour le sénateur Dallaire et les autres membres du comité —, le taux de chômage au Yukon est le plus faible au pays. Il est de 4,5 p. 100. Le gouvernement du Canada a financé un programme des candidats là-bas. Il y a plus de 400 personnes qui sont venues de l'étranger pour profiter de certains des débouchés d'emploi là-bas. Cela montre à quel point les choses vont bien dans notre partie du monde.

J'aimerais avoir vos commentaires sur quelques sujets. Tout d'abord, il y a la question de la souveraineté — et je parle de la frontière entre le Yukon et l'Alaska. Comme vous le savez, un litige relatif à la frontière fait l'objet de négociation entre les États-Unis et le Canada à l'heure actuelle. Peut-être que vous pourriez nous expliquer l'importance de ces négociations et ce que cela suppose pour le Canada et tout particulièrement le Yukon.

M. Fentie : Les négociations avec les Américains au sujet de la frontière sont essentielles à la définition de notre souveraineté telle que nous voulons l'établir, surtout au large des côtes, et elles englobent la question des énormes possibilités sur le plan de l'exploitation des ressources ainsi que d'autres éléments culturels, surtout dans les pêches, et j'en passe. Il est crucial d'améliorer et de préciser notre position internationale en établissant cette frontière et en distinguant les eaux canadiennes des eaux alaskiennes et américaines. Les discussions jusqu'à maintenant sont encourageantes, mais, cela dit, nous savons que c'est un problème de longue date. Je suis heureux de dire que le gouvernement du premier ministre Harper permet aussi au Yukon de s'exprimer sur de tels dossiers, comme je sais qu'il le fait pour les Territoires du Nord-Ouest et le Nunavut dans le cadre de dossiers touchant leurs zones extracôtières respectives.

Le sénateur Lang : J'aimerais aborder un autre sujet, à savoir la question de la recherche et sauvetage, la SR, dont vous avez parlé plus tôt. Comme vous le savez, l'organisme de SR est situé dans le Sud du Canada, très loin des endroits où pourrait survenir un accident ou un désastre. Par la suite, on est souvent revenu sur la question de savoir si une telle responsabilité ne devrait pas être plus centrée sur le Nord que sur le Sud. Peut-être que vous pourriez nous donner de plus amples détails sur ce dossier aussi.

M. Fentie : Lorsqu'on observe la situation dans le Nord aujourd'hui et on songe à l'avenir, il est clair que l'établissement d'un ou de plusieurs centres de SR partout dans le Nord sera très important. Par exemple, vu le développement et l'ampleur de la circulation — comme, dans bien des cas, le seul moyen de transport possible dans les territoires, surtout à l'extérieur du Yukon, est le transport aérien —, il est crucial qu'un organisme de SR soit capable d'intervenir aussi rapidement que possible en cas d'accident.

Vu l'évolution de la situation dans le passage du Nord-Ouest et tout ce que cela entraîne, l'établissement de centres de SR partout dans le Nord est crucial. Toutefois, de telles mesures montrent clairement que le pays — le Canada — laisse sa trace sur le sol dans le Nord en prenant ce genre d'initiative et en établissant de tels centres dans le Nord du Canada. Actuellement, le point de contact se retrouve à Comox, en Colombie-Britannique, mais si le centre de RS au Canada était situé à Inuvik, à Whitehorse ou à Iqaluit, cela changerait tout.

Le sénateur Lang : J'aimerais revenir sur la question des Rangers et des cadets — tant les cadets de l'armée que les cadets de l'air — sur les ressources qui se trouvent dans le Nord. Vous pourriez peut-être donner de plus amples détails à ce sujet, au sujet de l'importance pour les collectivités et de l'importance de l'expansion de ces programmes particuliers.

M. Fentie : Outre les avantages évidents de l'établissement de ces groupes importants dans le Nord et au Yukon sur le plan de la visibilité, nous devons reconnaître le rôle qu'ils peuvent jouer, même dans le cadre de la SR, par exemple, ou dans l'amélioration de la surveillance sur le terrain et les activités qui ont lieu dans le Nord canadien. Nous devons comprendre et nous rappeler que notre assise territoriale est vaste et que sa modeste population n'y laisse qu'une empreinte limitée. Le rôle que peuvent jouer les Rangers canadiens et les cadets en vue de renforcer ces collectivités et de les laisser grandir et tirer avantage de ce qui se dessine dans le Nord est tout aussi important que l'établissement de ces centres de SR. Nous avons aujourd'hui une capacité sur le terrain qui, correctement renforcée et accrue, pourrait combler un vide et une lacune à bien des égards sur le terrain dans le Yukon d'aujourd'hui et le Nord d'aujourd'hui.

Le sénateur Patterson : Monsieur le premier ministre Fentie, j'aimerais prendre un petit moment pour vous féliciter d'avoir rassemblé avec succès les trois premiers ministres des territoires. Vous avez dirigé cette initiative, et ses retombées étaient fantastiques pour les trois territoires nordiques. Je suis heureux que vous soyez venu témoigner aujourd'hui.

J'aimerais faire suite aux commentaires du sénateur Lang au sujet de la recherche et sauvetage et à votre observation selon laquelle on pourrait transférer des bases dans le Nord. À votre avis, l'industrie de l'aviation privée a-t-elle un rôle à jouer dans le Nord? Nous savons que les appareils dont dispose l'Aviation canadienne à l'heure actuelle accusent leur âge. Ces avions Buffalo, dont la base est située à Comox, devaient en réalité être mis au rancart en 2010, et je crois qu'on les exploite toujours.

Croyez-vous que l'industrie aéronautique du Nord serait en mesure d'assurer un soutien à la SR en ce qui concerne l'équipement et l'infrastructure dans le Nord?

M. Fentie : C'est une question raisonnable et intéressante. Tout d'abord, c'est dans le secteur privé qu'on trouve le plus d'aviateurs expérimentés dans le Nord. Cela ne fait aucun doute. Si on parle des EVASAN, c'est déjà le secteur privé qui s'en charge. La marche ne sera pas très haute pour passer de la situation actuelle — avec le secteur de l'aviation privée dans le Nord — à un rôle en recherche et sauvetage. Par exemple, il arrive souvent que, lorsqu'un avion est perdu ou n'a pas atteint sa destination, des aviateurs du secteur privé et ceux qui disposent d'un avion et qui connaissent le territoire et les trajectoires de vol sont appelés à intervenir. Il n'est pas irréaliste d'envisager pour le Nord un modèle de RS qui fait appel au secteur privé.

Le sénateur Patterson : Quant à la souveraineté dans le Nord, je suis certain que vous conviendrez de l'importance des communications au Canada pour le maintien et l'amélioration de la souveraineté dans le Nord. Si l'on regarde les initiatives militaires à venir dans le Nord du Canada et l'accroissement de la présence militaire — les projets de centre de ravitaillement en carburant des Forces navales à Nanisivik, au Nunavut, et de base d'entraînement à Resolute Bay, au Nunavut, par exemple —, voyez-vous un potentiel de collaboration avec les forces armées pour améliorer les communications, pas seulement dans le domaine militaire, mais aussi pour les gouvernements territoriaux et les collectivités? Pourriez-vous nous parler un peu des progrès que vous avez accomplis au chapitre de l'accès à la large bande et à Internet au Yukon et de la façon dont on pourrait l'étendre encore davantage avec des partenaires?

M. Fentie : J'ai effectivement décrit la question de la communication comme étant essentielle à la sécurité et à la souveraineté dans l'Arctique. Permettez-moi d'aller plus en profondeur. Outre PolarSat, RADARSAT et les autres, on a amplement la possibilité de créer une masse critique avec le secteur privé et les forces armées sur le plan de l'infrastructure de communications.

Par exemple, aujourd'hui, au Yukon, grâce à un bon partenariat avec notre gouvernement fédéral, Northwestel Inc. — la société officiellement responsable des zones de communication — et le gouvernement du Yukon, nous avons effectué de gros investissements dans l'infrastructure qui ont permis à toutes les collectivités du Yukon d'accéder à Internet haute vitesse. Toutefois, je crois que nous devrions aussi reconnaître ici la lacune qui tient au fait que nous n'avons pas un circuit fermé. Une panne du système ou de l'infrastructure peut interrompre complètement la communication de temps à autre. Nous songeons actuellement à la façon dont nous pourrions — au nord du 60e parallèle, d'est en ouest — nous interconnecter et rendre nos systèmes de communication plus efficaces et plus efficients. Cela suppose de faire participer les Alaskiens et d'étendre le réseau tout au long du littoral du Pacifique pour que, peu importe ce qui advient à un endroit ou à un autre dans le circuit, les communications soient toujours en service. Il faut absolument régler cette question lorsqu'on se penche sur la sécurité et la souveraineté dans l'Arctique et sur l'incidence des communications.

Le sénateur Pépin : Monsieur le premier ministre, à votre avis, les Rangers canadiens sont-ils formés et équipés convenablement pour intervenir en cas de danger dans l'Arctique? Si non, que leur manque-t-il à ce chapitre?

M. Fentie : La situation des Rangers aujourd'hui, vu les fonctions qu'ils assurent, est très adéquate. Ces gens sont amplement disposés à améliorer leur rendement grâce à la formation et à un meilleur équipement, par exemple, pour pouvoir jouer un rôle encore plus prépondérant et efficace.

Lorsque l'on songe aux vastes distances, aux nombreux réseaux hydrographiques et à la répartition des gens sur nos vastes terres du Nord, les Rangers, ainsi que d'autres intervenants en SR, peuvent jouer efficacement un rôle accru. On n'aurait pas besoin d'un grand investissement ou d'une formation importante pour que les Rangers puissent jouer un rôle plus prépondérant et utile dans certaines régions de notre assise territoriale.

Le sénateur Day : Nous sommes vraiment intéressés à comprendre, monsieur le Premier ministre, le type de planification que vous effectuez pour surmonter les difficultés potentielles en matière de sécurité. À quelle fréquence, rencontrez-vous les différents ministères? De quel genre de réserve d'équipement disposez-vous pour intervenir en cas d'urgence, et, selon vous, quelles sont les principales difficultés?

Je vis très loin du Yukon — au Nouveau-Brunswick —, mais nous aurions à surmonter bien des difficultés semblables en cas de catastrophe minière. Vous possédez un long littoral et une importante industrie du tourisme. Comment vous en tirez-vous au chapitre de la planification pour ce genre de difficultés potentielles?

M. Fentie : Nous devons reconnaître deux axes particuliers. Premièrement, beaucoup de secteurs ont été dévolus au Yukon, et cette dévolution signifie que la responsabilité est maintenant conférée au gouvernement du Yukon. Au chapitre de l'exploitation minière, par exemple, nous avons établi un programme, mis en place de l'équipement et prévu des éléments aux fins du sauvetage et de la sécurité dans les mines, et il y a aussi un plan global. Nous avons aussi pris en charge le dossier de la lutte contre les incendies durant l'été — la saison des feux —, autre secteur essentiel à la sécurité publique au Yukon. Ces responsabilités sont entièrement de notre ressort aujourd'hui.

Le sénateur Day : Il est question des feux de forêt?

M. Fentie : Oui, nous luttons contre les feux de forêt sur notre territoire.

Quant à la circulation aérienne, grâce à notre travail avec Transports Canada, nous avons considérablement renforcé la sécurité à l'aéroport international de Whitehorse. Bien sûr, lorsque nous traversons la frontière de l'État de l'Alaska, nous pouvons tous constater que les Américains ont établi un processus beaucoup plus rigide et strict au chapitre du contrôle des mouvements transfrontaliers. Nous avons fait beaucoup de chemin, mais, au chapitre de la sécurité et de la souveraineté dans l'Arctique, je suis sûr que nous pouvons en faire beaucoup plus.

Le sénateur Day : Y a-t-il des lacunes que vous aimeriez mettre en lumière pour que le comité les examine? Y a-t-il des secteurs difficiles où, selon vous, vous auriez besoin d'un soutien accru?

M. Fentie : Il y a un grand secteur que nous devrions examiner pour déterminer où se trouvent les lacunes à moyen et à long termes. Il touche les changements climatiques, plus particulièrement la question de l'adaptation. Il faut mieux s'adapter aux répercussions que nous subissons dans le Nord, comme la fonte du pergélisol, les espèces envahissantes, l'ouverture du passage du Nord-Ouest et la fonte des glaces dans l'Arctique. Il faut continuer à travailler sur ces aspects, et nous pourrions probablement trouver de nouvelles façons de renforcer notre capacité de combler ces lacunes.

Voici un exemple fantastique qui est de nature internationale. Notre relation avec les Américains a donné lieu à un investissement de millions de dollars dans la route de l'Alaska — le chemin Haines, qui mène à Haines, en Alaska, et dans la route du Klondike Sud, qui mène à Skagway, en Alaska. Cela donne, à partir de n'importe quel des 48 États de la partie continentale un accès routier convenable à l'État de l'Alaska. Cela nous donne un accès en eaux libres, à Haines et à Skagway, et tout cela, c'est de l'argent américain, gracieuseté du gouvernement fédéral à Washington et grâce au soutien que nous avons reçu de l'État de l'Alaska. Voilà un exemple des ententes internationales qui contribuent à la sécurité et à la souveraineté du Canada dans l'Arctique, et il s'agit d'un investissement dans l'infrastructure du transport, les ponts et les routes.

La présidente : J'ai quelques questions de suivi à propos de choses qui ont été mentionnées plus tôt. Vous avez parlé de RADARSAT et de PolarSat. J'en déduis que vous travaillez en coopération avec la Défense nationale, le MDN. Y a-t-il de véritables avantages pour les civils sur le terrain?

M. Fentie : Mes excuses; je ne peux pas vous donner un exemple concret d'avantage pour les civils. Oui, nous travaillons en étroite collaboration. Nous croyons que cela accroît encore davantage notre capacité de communication.

La présidente : Je veux revenir sur la question du sénateur Day, car nous regardons la situation sous les trois perspectives. Selon vous, quelle est la plus grande menace sur le plan de la sécurité? Nous avons entendu des témoignages selon lesquels les Russes reviennent, ou il y aura peut-être des activités de passage de clandestins ou peut- être que ce sera le changement climatique ou l'échec des négociations avec d'autres pays de l'Arctique au sujet des frontières.

Selon vous, quelle est la plus grande menace sur le plan de la sécurité dans le Nord?

M. Fentie : C'est une question difficile, car il y a beaucoup d'aspects qui pourraient être ou sont maintenant des menaces potentielles. Il est difficile d'établir des priorités et de classer ces choses en catégories afin de déterminer quelle est la plus grande menace sur le plan de la sécurité.

La meilleure réponse que je pourrais vous donner concernerait la question de la mer de Beaufort et de la zone extracôtière. Nous avons évoqué les négociations en cours au sujet de la frontière. Voilà une chose. L'autre chose, c'est qu'il faut comprendre que l'absence d'infrastructures dans bien des secteurs pourrait se révéler un grave problème pour le Canada lorsqu'il voudra affirmer plus fortement et renforcer sa souveraineté dans le Nord. Il se trouve que la première ligne dans le Nord, lorsqu'on parle de sécurité et de souveraineté, c'est le peuple nordique et ses collectivités.

Il y a une foule de choses ici, mais, si je devais en choisir une, je choisirais certainement la question de la zone extracôtière et de la mer de Beaufort.

La présidente : Pourriez-vous encore nous parler de cela pendant 30 secondes?

M. Fentie : De la mer de Beaufort et de la zone extracôtière?

La présidente : Oui.

M. Fentie : Nous sommes exposés à beaucoup de pression à ce chapitre. Vous avez mentionné les Russes. Jusqu'à maintenant, ils ont pris l'initiative de planter leur drapeau en quelque part sur le plancher océanique, mais nous savons tous ce qui s'en vient. Vu la demande mondiale en énergie, entre autres choses, ce scénario se profile, cela ne fait aucun doute. Nous sommes en concurrence avec les Américains pour ces ressources extracôtières.

Notre littoral, comme je l'ai dit, s'étend sur des milliers de kilomètres. Ce que nous ferons pour assurer notre sécurité et notre souveraineté jusqu'à la frontière avec les eaux internationales est crucial. Les pressions auxquelles nous faisons face s'intensifient constamment. Si l'on combine cela avec le besoin de maintenir l'utilisation et l'occupation culturelles et traditionnelles, l'enjeu est urgent, et je le considère comme prioritaire pour le pays.

La présidente : Merci. C'était très instructif.

Le sénateur Dallaire : En 1987, Perrin Beatty a déposé un important livre blanc qui prévoyait le transfert de 1 000 soldats dans le Nord et la construction d'une grande base à Arctic Bay à ce moment-là — et même l'acquisition de sous-marins à propulsion nucléaire pour gérer la région nordique et la région de l'Arctique. Tout cela est tombé à l'eau.

Estimez-vous que nous avons perdu du temps en ce qui a trait aux capacités de déploiement des Forces qui auraient pu être exploitées aux fins du renforcement de notre souveraineté dans cette région? Devrions-nous songer à conclure une alliance avec les Russes plutôt que de les considérer comme une sorte d'ancien adversaire de l'époque de la guerre froide?

M. Fentie : Tout d'abord, examinons votre idée au sujet du temps perdu. Les gouvernements prennent des décisions, et les résultats de ces décisions se font parfois sentir très longtemps. Ce qui importe dans ce dossier, c'est de regarder vers l'avenir. Je crois que nous nous dirigeons dans la bonne voie, sénateur, en ce qui concerne la vision globale de la sécurité et de la souveraineté dans l'Arctique. Les événements de 1987 peuvent certainement avoir un effet et des répercussions aujourd'hui en 2010, mais nous devons nous montrer très attentifs à ce qui arrivera après 2010.

Deuxièmement, pour ce qui est des Russes, le Yukon s'affirme maintenant de plus en plus comme un membre de la communauté internationale. La collaboration — et, dans bien des secteurs, j'imagine que le terme serait « diplomatie » — et la diplomatie se sont toujours avérées des outils efficaces. Si on prend le Yukon indépendamment, comme un membre du conseil de l'Arctique et du Forum nordique, nous collaborons avec beaucoup de pays étrangers, comme la Russie — par exemple, la république de Sakha et le Kamtchatka; le Japon, la Norvège, et j'en passe. Il y a aussi la question des liens et des relations entre les Autochtones.

En ce qui concerne les Russes et d'autres pays étrangers, nous devons veiller à ce que, tout d'abord, nous définissions exactement la zone où le Canada veut affirmer sa souveraineté et que nous y prenions des mesures de sécurité. Toutefois, à partir de là, quelle sera l'incidence sur notre position globale à titre de membre de la communauté internationale?

La présidente : Merci beaucoup, monsieur le premier ministre. Vous avez fait un excellent travail et avez répondu à nos questions de façon concise, car vous saviez que nous avions peu de temps. Je vous souhaite beaucoup de succès au Forum annuel des premiers ministres du Nord; j'espère que ce travail continuera.

M. Fentie : Merci de m'avoir invité. C'était un plaisir.

La présidente : L'honorable Dennis Fentie est le premier ministre du Yukon, poste qu'il occupe depuis 2002.

Nous accueillons maintenant, aussi par vidéoconférence, Charlie Lyall, président et chef de la direction de la Kitikmeot Corporation. L'organisation a pour mandat d'établir une base économique solide pour la région du même nom au Nunavut en investissant dans des entreprises commerciales qui créeront des possibilités d'emploi, de formation et d'affaires pour les Inuits.

M. Lyall a participé à certains contrats actuellement en vigueur avec les Forces armées canadiennes. Il vit au Nunavut — à Cambridge Bay, si je ne m'abuse —, mais il nous parle aujourd'hui depuis Edmonton, en Alberta.

Nous vous sommes reconnaissants d'être ici et de parler au nom du Nord dans le cadre de nos efforts pour entendre des témoins aux horizons divers. Avez-vous une déclaration préliminaire à présenter, monsieur Lyall?

Charlie Lyall, président et chef de la direction, Kitikmeot Corporation : Oui, j'en ai une. Je m'appelle Charlie Lyall, et je suis président et chef de la direction de la Kitikmeot Corporation du Nunavut. Au nom de Charlie Evalik, président de la Kitikmeot Inuit Association, la KIA, et de Nunavut Tunngavik Inc., NTI, c'est un honneur pour nous de présenter ce mémoire à votre estimé Comité sénatorial permanent sur la sécurité nationale et la défense.

Je suis l'un des 33 000 Inuits qui vivent dans la région arctique du Canada. Les Inuits représentent une partie cruciale du patrimoine nordique du Canada, ce qu'ont gracieusement reconnu le premier ministre et son gouvernement.

Pour notre part, les Inuits reconnaissent qu'ils sont l'élément le plus visible et important d'une présence qui témoigne de la véritable souveraineté canadienne dans le Nord. Bref, les Inuits sont, et ont été, les « lignes de front » des intérêts canadiens en matière de souveraineté dans l'Arctique depuis longtemps, bien avant la Confédération.

Bien des Inuits considèrent que les Canadiens minimisent peut-être l'utilité du rôle de soutien qu'ont joué les Forces armées canadiennes dans la transformation du Nord. Ce n'est pas une coïncidence si beaucoup de collectivités du Nunavut sont situées à proximité des postes d'alerte du Nord.

Les Inuits contribuent régulièrement et positivement à la défense nationale du Canada. Depuis 60 ans, les Rangers canadiens ont été les « yeux et les oreilles » des Forces canadiennes à l'échelle du Nord. Les Rangers constituent un moyen flexible, peu coûteux et culturellement inclusif d'arborer le drapeau et d'affirmer la souveraineté canadienne dans le Nord, grâce à une relation que l'on cultive depuis plus d'un demi-siècle. Les Rangers encouragent en outre le leadership local et le renforcement des capacités dans notre collectivité.

Les Forces armées canadiennes sont également un client et un partenaire important des entreprises inuites. Les projets du MDN au Nunavut ont offert aux gens du Nord des occasions importantes de prouver leur valeur, tant comme employés que comme propriétaires d'entreprises. Pour les Inuits, une présence militaire active dans l'Arctique est essentielle et donne lieu à de solides partenariats pour ces grands projets. Deux projets à l'appui de cette dernière observation illustrent des occasions où les Inuits et le MDN ont travaillé ensemble à titre de partenaires.

Tout d'abord, je vais parler de l'assainissement du réseau DEW — le Réseau d'alerte avancée. Ces stations radars ont été un important symbole de la souveraineté canadienne pendant les étapes de construction et de mise hors service. Les négociations entre la NTI et le MDN ont mené à la signature d'un accord d'assistance économique en 2001 pour l'assainissement du réseau DEW, dont certaines des dispositions touchent le contenu d'emploi minimum et le contenu d'entreprises inuites minimum ainsi que des plans de participation des Inuits.

Ces dispositions ont donné lieu à l'offre de formation, à la création d'emplois et à de la passation de marchés au profit des Inuits et de nos entreprises. Cela a aussi permis aux Inuits de renforcer la capacité de leurs entreprises de prendre en charge des contrats dans le Nord et d'acquérir des compétences en restauration des sites et en logistique pour la construction locale. De plus, cette expérience a permis aux Inuits de tirer d'importantes leçons que nous appliquons aujourd'hui dans le cadre de nos négociations avec les entreprises d'exploitation minière.

Le deuxième exemple touche l'exploitation et l'entretien du réseau d'alerte du Nord par la Pan Arctic Inuit Logistics Corporation's — PAIL — avec ATCO Structures & Logistics Ltd., par le truchement de la coentreprise Nasittuq Corporation.

PAIL est un groupe de coordination de sociétés de développement régional inuites qui représente les quatre zones de règlement de revendications territoriales inuites. La Nasittuq Corporation exploite et entretient le réseau d'alerte du Nord depuis 1995, et, grâce à la participation financière de PAIL dans la société, une grande partie des bénéfices est retournée aux collectivités inuites.

Et qu'en est-il de l'avenir? Le premier ministre Harper a attiré l'attention sur le potentiel du Nord et, ce faisant, il a touché nos coeurs et a inspiré les Inuits qui sont désireux de relever les défis du développement nordique et de travailler à titre de partenaires valables au sein du Canada.

Par exemple, la Kitikmeot Inuit Association a montré la voie en créant avec succès la Kitikmeot Corporation — KC —, société que je représente, et son groupe de sociétés. Nous exploitons maintenant d'importants débouchés sur le plan de la construction et de l'exploitation dans le Nord. Nous estimons que les Inuits sont maintenant bien placés pour participer à des projets très prometteurs d'exploitation de mines d'or, de diamant et d'autres minerais dans la région de Kitikmeot et ailleurs. Ces projets, qui n'en sont qu'au stade préliminaire, pourraient devenir des participants majeurs, non seulement au développement économique du Nunavut, mais à celui du Canada tout entier.

En plus du groupe de sociétés de la KC, grâce à l'aide et au soutien financier d'Affaires indiennes et du Nord Canada — l'Initiative d'investissement dans les grands projets d'exploitation des ressources et de développement énergétique d'AINC — et, plus récemment, de CanNor, de la NTI et du gouvernement du Nunavut, la KIA a fait figure de pionnière en introduisant le concept de la Nunavut Resources Corporation, mieux connue sous le sigle NRC. La société a été créée pour acquérir une participation à de grands projets d'infrastructure nordiques, y compris un éventuel contrôle partiel de grands projets.

Ces mesures s'inscrivent dans une nouvelle vague d'entreprises inuites de pointe qui pourraient finir par permettre aux Inuits de mieux maîtriser les activités de mise en valeur de leur territoire et d'attirer des co-investissements du Sud aux fins du développement de l'infrastructure et de la mise au point de projets.

Le NRC témoigne du désir des Inuits d'inviter le milieu des investissements du Sud à travailler avec nous à titre de partenaire financier pour exploiter au maximum les débouchés de développement dans le Nord. Le MDN peut continuer à jouer un rôle vital dans ce processus de développement financier et d'expansion des entreprises des collectivités inuites. Par exemple, les grandes pistes d'atterrissage commerciales que nous construisons au Nunavut peuvent servir d'installations d'atterrissage et d'entretien d'urgence pour d'autres activités commerciales et militaires; et il va de même pour les routes, les quais et les ports. Voilà un cas où les intérêts canadiens sur le plan de la stratégie et de la souveraineté chevauchent les aspirations des Inuits à mieux mettre en valeur et contrôler leurs terres.

Les Inuits considèrent que le manque d'infrastructures de base et les obstacles de longue date à l'accès au capital d'investissement sont les deux barrières les plus importantes au développement du Nord. Le Canada pourrait jouer un rôle majeur au chapitre de la promotion de sa souveraineté et des intérêts économiques des Inuits en accélérant les projets d'infrastructures militaires dans le Nord. Ceux-ci devraient être considérés comme des investissements nationaux, non seulement pour affirmer la souveraineté du Canada, mais également pour procurer des retombées économiques au Nunavut et à tout le Canada.

Les Inuits sont conscients que, pour provoquer l'essor économique du Nunavut, nous devons continuer à soutenir et à mettre au point toute une gamme d'outils, comme nos sociétés de développement économique, et de nouveaux organes, comme la NRC, afin d'encourager l'investissement dans l'infrastructure dont nous avons besoin. En travaillant ensemble à titre de partenaires égaux avec le MDN, les promoteurs privés, les sociétés d'exploitation des ressources et le milieu des investisseurs du Sud, nous pouvons changer les choses, pas seulement pour le Nunavut, mais pour l'ensemble du Canada.

Nous vous remercions de l'intérêt que vous manifestez pour le Nunavut et de votre volonté de nous écouter pour mieux comprendre nos aspirations et les débouchés qui s'offrent à nous. Nous avons hâte de prendre notre place avec fierté parmi tous les Canadiens pour faire en sorte qu'ensemble, nos avenirs interreliés soient plus brillants.

La présidente : Merci beaucoup, monsieur Lyall. C'était un bon exposé.

Lorsque vous parlez à des investisseurs du Sud et que vous cherchez des partenaires et des collaborateurs là-bas, présentez-vous l'argument de la souveraineté ou de la sécurité, ou s'agit-il plutôt d'une interaction strictement commerciale?

M. Lyall : Lorsque je m'adresse à des institutions financières et d'autres entités du Sud, j'aime bien mentionner que la souveraineté fait partie de l'ensemble et qu'elle fait partie de la solution.

Le sénateur Dallaire : Croyez-vous que l'on pourrait renforcer la capacité des Rangers pour qu'ils soient en mesure d'assurer une surveillance sur l'eau, en leur fournissant de petites embarcations, comme des chaloupes, afin de combler cette lacune dans le Nord?

M. Lyall : Je crois sincèrement que oui. Actuellement, la plupart des exercices et des patrouilles ont lieu durant l'hiver. Voilà le grand événement qui a lieu chaque année dans l'Arctique de l'Est, mais, à mon avis, il devrait plutôt viser le Nunavut dans son ensemble.

Le sénateur Dallaire : Comme c'est durant la période estivale que le potentiel de déversement, entre autres choses, est le plus menaçant, est-ce que faire monter les Rangers à bord des navires de la Garde côtière canadienne, la GCC, ou leur fournir des bâtiments assez robustes pour qu'ils puissent surveiller la région ne serait pas une solution?

M. Lyall : Oui, cela serait une solution. Je peux penser à deux exemples, dont la fois où une personne est arrivée à Grise Fiord à bord d'une petite embarcation de 18 pieds. Je ne me souviens même plus de quel pays il venait, mais il est arrivé, et, si les Rangers avaient pu aller sur l'océan, ils auraient peut-être pu l'empêcher d'entrer dans le pays illégalement.

Le sénateur Dallaire : On a récemment décidé de transformer un parc national potentiel en zone ouverte aux prospecteurs. Une bande autochtone a protesté du fait qu'elle n'en aurait pas été avisée au préalable. Il s'agit d'un plateau, mais je ne me souviens plus du nom.

Êtes-vous au courant de cette situation, et croyez-vous que cette façon de faire crée des fictions là-bas?

M. Lyall : Je ne connais pas le projet dont vous parlez, monsieur. J'ignore s'il est situé au Nunavut.

Le sénateur Dallaire : Merci.

La présidente : Je crois que c'est dans une autre région.

Le sénateur Patterson : Je suis ravi d'accueillir M. Lyall parmi nous. J'aimerais le questionner au sujet du potentiel de mise en valeur des ressources minières au Nunavut, en particulier dans la région de Kitikmeot, l'une des trois régions du Nunavut, comme le savent les membres du comité.

Pourriez-vous nous parler un peu du projet de port et de route de Bathurst Inlet — auquel je sais que vous participez depuis plusieurs années — et de la façon dont l'infrastructure, comme cette route, contribuerait au développement économique et à l'exploitation minière et rendrait de telles initiatives possibles?

M. Lyall : Le projet de port et de route de Bathurst Inlet, auquel je travaille depuis environ 15 ans, ouvrirait la région à l'exploitation minière. Je peux penser à au moins cinq projets qui en profiteraient. Il aiderait l'industrie minière, mais aussi les collectivités, en réduisant le coût de l'essence, qui est très élevé dans la région, comme le savent probablement beaucoup de gens. Nous ferions cela en important du carburant en vrac, qui arriverait au port, puis en le distribuant aux différentes collectivités de la région à partir de cet endroit.

La route nous permettrait d'apporter, à partir d'installations d'exploitation du plomb et du zinc, des concentrés à un port commun et de les expédier outre-mer à bien meilleur marché.

Le sénateur Patterson : Vous avez dit que vous considérez l'exploitation minière comme une activité qui contribuera à l'établissement de la souveraineté dans la région. J'aimerais vous questionner au sujet du contrat du réseau d'alerte du Nord, qui fait appel à des sociétés inuites depuis environ six ans, et au sujet de l'assainissement du réseau DEW, qui a bénéficié d'une importante participation de la Kitikmeot Corporation.

Tout d'abord, pourriez-vous nous illustrer la façon dont ces contrats ont contribué au développement des Inuits et des entreprises dans votre région? Comment fonctionnent-ils et quelle capacité ont-ils générée?

M. Lyall : Je vais vous parler du contrat que je connais, qui a trait à l'assainissement du réseau DEW. La Kitikmeot Corporation a participé à ce contrat. NTI, la KIA et le gouvernement du Canada ont pu négocier une obligation minimale d'emploi pour les Inuits — un contenu d'entreprises inuites minimum. Cela nous a permis d'offrir aux Inuits de la formation sur différents aspects de l'assainissement du réseau DEW, comme le nettoyage en espace clos et la conduite de machinerie lourde.

Nous avons mené des activités de base, comme la formation relative au fonctionnement des camps, qui a permis aux Inuits de prendre le relais l'année suivante. Nous avons pu poursuivre les activités avec le même groupe d'Inuits, qui ont acquis une importante expérience à l'égard de tâches qu'ils n'avaient jamais accomplies auparavant. Autrefois, on se contentait d'aller chercher quelqu'un d'autre. Il venait tout juste d'en hériter. En vertu de l'accord sur les revendications territoriales, cette pratique est devenue la norme.

Le sénateur Patterson : Je crois que le contrat de PAIL, qui concerne l'entretien des sites du réseau d'alerte du Nord dans toute la région, de la mer de Beaufort jusqu'au Labrador, est en vigueur depuis six ans. Je crois qu'il doit être renouvelé maintenant. À mon avis, la participation des Inuits à ce contrat, même la formation d'Inuits comme pilotes d'hélicoptère, est le fruit des dispositions d'approvisionnement de l'accord sur les revendications territoriales dont vous avez parlé.

À mesure que nous songeons à l'avenir et au renouvellement de ce contrat ainsi qu'à d'autres initiatives fédérales dans le Nord, dont la nouvelle base d'entraînement à Resolute Bay, des installations d'approvisionnement en carburant pour la Marine à Nanisivik et même le centre de recherche de l'Extrême-Arctique dans votre région, croyez-vous que le gouvernement fédéral continuera de prêter attention aux obligations en matière d'approvisionnement prévues dans les accords sur les revendications territoriales des Inuits — les mesures idéales dont vous avez parlé et qui ont mené à une telle réussite? Le gouvernement fédéral est-il toujours attentif à ses obligations futures à cet égard?

M. Lyall : J'aimerais bien pouvoir dire oui. Toutefois, nous avons dû lutter très fort la dernière fois pour faire inscrire les obligations relatives au contenu inuit dans le véritable contrat régissant l'exploitation du réseau d'alerte du Nord. Nous avons dû livrer un combat énorme pour nous assurer que les accords sur les revendications territoriales étaient respectés.

J'ose espérer que nous ne serons pas toujours obligés de nous battre pour nous assurer que l'accord sur les revendications territoriales est respecté à l'avenir.

Le sénateur Patterson : Vous avez dit que les Rangers sont les yeux et les oreilles du Nord, et nous connaissons le travail qu'ils ont toujours accompli. Le gouvernement du Canada a exprimé des préoccupations au sujet de notre capacité de gérer le nettoyage d'un déversement de pétrole dans les eaux de l'Arctique. La SR est aussi une préoccupation chez les résidents du Nord.

Estimez-vous que les Rangers, s'ils profitaient d'une meilleure formation et peut-être d'équipement supplémentaire, pourraient jouer un rôle dans la SR ou dans la gestion des dossiers environnementaux, comme la pollution ou le nettoyage de déversements de pétrole?

M. Lyall : Oui, je crois que les Rangers pourraient jouer un rôle énorme. Ils connaissent le territoire, ils y ont survécu pendant des milliers d'années. Si nous abandonnions les Rangers, j'ai bien peur que cela coûterait cher en vies humaines. Comme vous dites, en ce qui concerne la recherche et sauvetage, ils connaissent le territoire et les conditions météorologiques — à tout le moins, ils les connaissaient avant les changements climatiques. Je serais très déçu de voir une perte des Rangers canadiens dans le Nord.

Le sénateur Patterson : Je crois que personne ici n'envisage une chose pareille. Je voudrais savoir si vous estimez que les Rangers pourraient jouer un plus grand rôle. Il semble que c'est clairement le cas. Merci beaucoup.

La présidente : Pour revenir à ce que disait le sénateur Patterson, comment a-t-on résolu la question du quota ou de l'embauche préférentielle dans le cadre des revendications territoriales? Vous dites avoir mené un dur combat et espérer que les choses ne fonctionneront pas toujours ainsi. Avez-vous réglé ce problème dans le cadre des négociations actuelles?

M. Lyall : Je ne peux pas vous dire si c'est entièrement réglé. Nous avons fait appel à nos organes politiques, quant aux affaires, je ne suis pas si certain que cela soit le cas.

La présidente : Vous préférez ne pas avoir de difficultés à ce chapitre.

M. Lyall : Non.

La présidente : Je ne saurais imaginer pourquoi il en serait autrement.

Le sénateur Lang : J'ai quelques questions au sujet de vos observations liées à la recherche et sauvetage. Que pensez- vous de la perspective d'un transfert au Nord de la responsabilité en matière de RS dans le Nord, par exemple, au Nunavut, dans les Territoires du Nord-Ouest ou au Yukon?

M. Lyall : Il ne pourrait être qu'avantageux d'installer la capacité de RS dans le Nord, tout particulièrement compte tenu de la longueur du vol de la Nouvelle-Écosse au Nunavut, surtout durant l'hiver, quand il fait si froid. Lorsqu'on fait de la recherche et sauvetage dans le Nord, il n'y a pas une minute à perdre. Pour les gens à Iqaluit, à Rankin Inlet ou à Cambridge Bay, le fait de pouvoir fouiller une zone en quelques heures plutôt qu'en 24 heures a une incidence énorme.

Le sénateur Lang : J'aimerais passer à une autre question. Nous avons la chance, au Yukon, de pouvoir compter sur système de transport qui repose essentiellement sur la construction de la route de l'Alaska durant la Seconde Guerre mondiale. Ce réseau routier, qui parcourt toutes nos collectivités, à l'exception d'une, nous procure des biens et services à meilleur marché ainsi qu'un accès accru à quiconque vit dans les petites collectivités.

J'aimerais entendre vos commentaires sur la situation à long terme, en particulier au Nunavut, en ce qui concerne un éventuel réseau routier. Compte tenu de votre emplacement, devrons-nous nous démener pour trouver un accès à la mer pour la période estivale et un réseau routier minimal qui se rend dans les collectivités?

M. Lyall : J'aimerais bien pouvoir rouler de Taloyoak — le village où j'habite —, au Nunavut, jusqu'à Edmonton ou à Yellowknife, ou même jusqu'à Gjoa Haven, sur une route. Le problème réside dans le coût de la construction. Actuellement, je crois que le coût de la construction d'une route toutes saisons est de un million de dollars par kilomètre, ce qui est prohibitif. Bien des collectivités se trouvent sur une île. Par exemple, Cambridge Bay est située sur l'île Victoria. Que ferions-nous alors? Construirions-nous un pont? Construirions-nous des routes de glace pour l'hiver, ou aurions-nous des traversiers? La mise en place d'une infrastructure de pistes et d'éclairage pour les avions serait un bon début.

La présidente : Nous sommes le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense. Nous entendons de nombreux témoins du Sud nous parler de la réalité des questions de sécurité se rapportant au Nord. Nous avons entendu parler d'une foule d'enjeux de sécurité, comme les Russes et leurs intérêts et activités accrus, le passage de clandestins, les terroristes qui traversent la frontière et les changements climatiques, dont vous avez parlé. Compte tenu de toute la gamme d'enjeux de sécurité, sans vous en tenir à seulement quelques-uns, comment classeriez-vous les enjeux qui se rattachent au Nunavut à l'heure actuelle lorsqu'on parle de menaces à la sécurité?

M. Lyall : Je n'ai jamais vraiment songé à cette question.

La présidente : Vous êtes un homme d'affaires.

M. Lyall : Je suis un homme d'affaires. J'estime qu'il y a matière à être préoccupé. Comme je l'ai mentionné plus tôt, un homme est débarqué à Grise Fiord dans une chaloupe Lund de 18 pieds, et je crois que deux ou trois membres d'un gang ont été arrêtés sur l'île de Victoria après avoir emprunté le passage du Nord-Ouest. Oui, c'est une préoccupation, y compris la possibilité d'entrée illégale de personnes dans le pays. En ma qualité d'ancien policier, je constate qu'il ne serait pas difficile d'introduire des drogues par le Nord et de descendre vers le Sud. C'est une préoccupation.

La présidente : Nous avons parlé des Rangers, mais quelles sont les autres ressources à votre disposition lorsque vous devez vous attaquer à des problèmes sur la ligne de front?

M. Lyall : Je ne voudrais même pas m'avancer ou essayer de le déterminer. Il nous faudra beaucoup de ressources. Je crains que le simple fait de penser à un problème touchant la drogue en fera une préoccupation de premier plan.

La présidente : Êtes-vous prêt ou êtes-vous en train de vous préparer aux problèmes que vous constatez au chapitre des changements climatiques? Estimez-vous que le milieu des affaires ainsi que le milieu politique comprennent l'importance de cet enjeu?

M. Lyall : Oui. En ma qualité d'homme d'affaires, je suis préoccupé. Je crois que nous pourrions en faire beaucoup plus que ce que nous faisons maintenant. Comme je l'ai dit, l'exploitation dans le Nord est onéreuse.

La présidente : Je vous suis reconnaissante de vos commentaires. Je crois que je parle au nom de tout le monde ici lorsque je vous remercie de nous avoir présenté un aperçu de la vie dans le Nord. Lorsque nous entendons des chiffres comme un million de dollars par kilomètre pour construire une route, nous commençons à comprendre certains des problèmes que vous devez affronter. Il nous est utile de le savoir.

Encore une fois, nous aimerions remercier Charlie Lyall, président et chef de la direction de la Kitikmeot Corporation. M. Lyall vit au Nunavut et a comparu par vidéoconférence d'Edmonton.

La présidente : Le comité suspend ses travaux et poursuit la séance à huis clos.

(La séance se poursuit à huis clos.)


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