Délibérations du Comité sénatorial permanent de la
Sécurité nationale et de la défense
Fascicule 11 - Témoignages du 14 février 2011
OTTAWA, le lundi 14 février 2011
Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense, auquel a été renvoyé le projet de loi S-13, Loi portant mise en œuvre de l'Accord cadre sur les opérations intégrées transfrontalières maritimes d'application de la loi entre le gouvernement du Canada et le gouvernement des États-Unis d'Amérique, se réunit aujourd'hui, à 16 heures, pour examiner le projet de loi.
Le sénateur Pamela Wallin (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Mesdames et messieurs, bienvenue à cette séance du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense. Nous poursuivons aujourd'hui l'étude du projet de loi S-13, Loi portant mise en œuvre de l'Accord cadre sur les opérations intégrées transfrontalières maritimes d'application de la loi, mieux connue sous le nom de programme Shiprider, l'appellation que nous avons employée la semaine dernière. Il s'agit de deux ou trois projets pilotes visant à aider les policiers et les agents d'application de la loi à combattre le crime dans les eaux limitrophes du Canada et des États-Unis.
En vertu du traité, le représentant du commissaire de la GRC est l'autorité centrale au Canada. Il peut nommer les agents qui doivent effectuer des opérations transfrontalières maritimes et il doit diriger et gérer les opérations du côté canadien. Comme on l'a dit la semaine dernière, les dispositions législatives canadiennes s'appliquent au Canada et ce sont celles des États-Unis qui s'appliquent si l'activité criminelle a lieu de l'autre côté de la frontière, sur un lac ou une rivière.
Nous recevons deux témoins importants aujourd'hui. M. Bob Paulson, sous-commissaire, Police fédérale, Gendarmerie royale du Canada, a beaucoup d'expérience et il a travaillé sept ans dans les Forces canadiennes. À la GRC, il a travaillé à la Sous-direction du renseignement sur les crimes graves et le crime organisé avant de passer à la Police fédérale, qui s'occupe de presque tout, selon ce que je comprends :les dignitaires en visite, l'intégrité des frontières, la lutte contre la drogue, le crime organisé, le crime financier, le maintien de l'ordre à l'échelle internationale et les enquêtes criminelles de sécurité nationale portant sur le terrorisme.
Nous accueillons également M. Joseph Oliver, surintendant principal, directeur général, Intégrité des frontières, Opérations fédérales et internationales, Gendarmerie royale du Canada. M. Oliver travaille à la GRC depuis 1986 et il a coprésidé le Groupe de la police des frontières du Forum sur la criminalité transfrontalière, qui est à l'origine des discussions entre les deux pays, si je ne m'abuse.
Nous avons beaucoup de questions à poser. Nous savons que la GRC a évalué les essais du programme Shiprider et nous avons hâte d'entendre vos exposés.
Bob Paulson, sous-commissaire, Police fédérale, Gendarmerie royale du Canada. Merci. Malheureusement, je n'ai pas préparé d'exposé pour ne pas ralentir le processus. Je répondrai aux questions avec plaisir. Par ailleurs, j'ai pris connaissance de certains témoignages que vous avez entendus.
La présidente : C'est parfait; nous pouvons tout de suite aller au fond des choses. Vous pourriez simplement nous situer le contexte. En 2005, le gouvernement précédent a lancé le projet Shiprider, qui fait l'unanimité. Veuillez nous dire un peu comment l'idée a germé.
M. Paulson : L'idée a été lancée avant 2005. Nous avons commencé à l'appliquer et à l'essayer en 2005. On a lancé l'idée, car il peut être difficile de mener des opérations transfrontalières maritimes d'application de la loi et de maintien de l'ordre, et les frontières constituent parfois un obstacle arbitraire qui nous empêche de pourchasser les criminels et d'enquêter.
Le programme a été élaboré pour répondre, de manière concrète, à un besoin. Il a ensuite intéressé les autorités d'application de la loi et les responsables de la Garde côtière. Le programme s'est inspiré de l'expérience de la Garde côtière et d'autres autorités ailleurs dans le monde. Il nous a été profitable dès sa mise en œuvre. Cependant, nous avons compris toutes les difficultés que présentent l'application de la loi aux frontières et les enquêtes.
Nous avons mené une évaluation du programme en 2007 et une autre plus récemment. La première évaluation nous a permis de constater que nous devions nous améliorer à divers égards et accorder davantage d'attention à certains facteurs. Cela dit, le programme est plus évolué, aujourd'hui. Il a connu beaucoup de succès à plusieurs reprises et il a donné le genre de résultats auxquels nous nous attendions. Le programme est vu comme une solution aux problèmes que nous rencontrons à la frontière.
La présidente : Pour les questions, nous allons commencer par le vice-président.
[Français]
Le sénateur Dallaire : M. Paulson, de quel endroit êtes-vous originaire?
M. Paulson : Je viens de Lachute, Québec.
Le sénateur Dallaire : Je voudrais aborder deux sujets. Le premier concerne la menace dont on dit qu'elle exige un projet de loi de cette envergure. Le deuxième, c'est la capacité de faire face à la menace. Bien qu'on n'ait pas entendu le point de vue des Américains, on nous donne l'impression qu'ils ont tout sur la Terre, qu'ils ne connaissent absolument aucune limite et que, du côté canadien, nous allons tout simplement en profiter.
Revenons à la menace. En ce qui a trait à l'étude ou à l'essai qui a été mené, et de l'évolution de la menace telle qu'elle semble présentée par certains individus, y a-t-il là une telle recrudescence que cela exige qu'on augmente nos opérations et qu'on intègre nos autres relations avec les États-Unis, ou est-ce que, du fait qu'il y a tellement de ressources du côté américain et qu'ils sont en train d'inventer tellement de choses, on se dit qu'il faudrait peut-être que nous fassions quelque chose de notre côté?
M. Paulson : Il y a là plusieurs questions, sénateur. Je commencerai par la menace, qui représente deux choses : la sécurité nationale et le crime organisé. Ce n'est pas une menace qui vient des États-Unis ou du Canada. Cela vient des deux côtés, du monde en général. Vous voudrez bien m'excuser, mais je vais continuer dans ma langue maternelle.
[Traduction]
Les deux grandes menaces à la sécurité nationale dont j'ai parlé viennent des deux pays et d'ailleurs. Toutefois, les grandes causes de la menace sont le crime organisé, la contrebande à la frontière et toutes les choses associées au crime organisé, d'abord la drogue, puis les armes, le tabac, et cetera.
Le crime organisé est fascinant, dans la mesure où la marchandise n'est pas forcément illégale. Mais on profite de comportements en général associés au crime organisé — comme la violence — pour avoir l'avantage sur le commerce légitime.
C'est ainsi que je décrirais la menace, que nous réévaluons sans cesse. La plus récente mise à jour portait sur la menace à la sécurité nationale et le crime organisé.
Le sénateur Dallaire : Avez-vous augmenté vos capacités de collecte de renseignements et recueilli beaucoup d'information que vous avez communiquée aux autorités américaines, durant l'essai du programme? Nous parlerons des Américains dans un moment, mais travaillons-nous à la collecte et à la mise en commun de renseignements de façon marquée, ou collaborons-nous simplement de façon plus étroite avec les États-Unis?
M. Paulson : Je pourrais commencer par répondre à la première partie de la question, concernant le renseignement. Nous ne faisons pas qu'échanger des données brutes et des renseignements, même si j'en parlerai dans un instant. Pour faire une réponse courte, nous avons amélioré la communication d'information et notre capacité d'analyser et de réagir à l'information et aux renseignements, pendant les essais.
Cela dit, je pense que notre plus grand succès, c'est l'intégration de la prise de décisions et de l'analyse d'information par la mise à profit du programme Shiprider et de nos ressources d'application de la loi à la frontière dans les régions où nous pouvons en tirer le meilleur parti. Je pourrais vous donner divers exemples.
Je pense que la question portait avant tout sur la communication de l'information. Je dirais donc que, oui, nous nous sommes améliorés à cet égard. L'équipe intégrée de la police des frontières, l'EIPF, recueille des données, produit des renseignements et dirige les ressources limitées dans les régions où elles donnent les meilleurs résultats.
Le sénateur Dallaire : Durant l'essai du programme — sans parler de ce que nous projetons pour l'avenir —, vos confrères des États-Unis n'ont pas démontré que, pour protéger leurs sources, ils vous avaient exclus de la divulgation intégrale des renseignements , en particulier concernant la sécurité nationale, parce que cela semble être la principale raison pour laquelle nous voulons adopter cette façon de procéder.
M. Paulson : Permettez-moi d'en douter, sénateur. J'étais responsable du programme de sécurité nationale, au Canada. Depuis l'affaire Arar, la communication d'information est structurée, précise et très efficace. En tant que sous-commissaire à la police fédérale chargé de la sécurité nationale et de l'intégrité des frontières, je supervise des réunions quotidiennes avec mes subordonnés directs pour que la mise en commun d'information sur la sécurité nationale nous permette de progresser dans les enquêtes sur le crime organisé.
Les agents de première ligne ne reçoivent sans doute pas les renseignements les mieux protégés. Toutefois, nous nous faisons un devoir de réduire les obstacles et de communiquer les renseignements lorsque nous déployons les agents sur le terrain ou que nous avons besoin d'eux.
Joseph Oliver, surintendant principal, directeur général, Intégrité des frontières, Opérations fédérales et internationales, Gendarmerie royale du Canada : Au cours des opérations dont vous parliez, nous avons employé toutes les ressources pour offrir la meilleure information aux agents.
Concernant les projets pilotes réalisés dans la région de Cornwall, l'EIPF a tenu des séances d'information quotidiennes sur ce qu'indiquaient les technologies de surveillance, les enquêtes criminelles en cours et les renseignements recueillis grâce aux observations tirées du programme Shiprider. Les données étaient recueillies et communiquées aux responsables tous les jours.
Dans le cas des activités du programme Shiprider liées au sommet du G20, un poste d'opérations conjointes a été établi au Centre des opérations de la sûreté maritime, le COSM, situé dans la région de Niagara. En plus d'avoir accès aux cinq principaux partenaires qui forment le COSM, les gens du centre des opérations conjointes pouvaient compter sur la patrouille frontalière des États-Unis, l'Agence des services frontaliers du Canada, l'ASFC, et la Garde côtière américaine, qui pouvaient consulter les systèmes de données. Lorsqu'une opération d'application de la loi était en cours, tout le monde vérifiait s'il y avait quelque chose de nouveau dans les systèmes de données et s'il pouvait aider dans la direction des opérations quotidiennes.
La présidente : Vous dites que la mise en commun des informations ne présente pas de problèmes; la communication est assez bonne, n'est-ce pas?
M. Paulson : Oui. Je dirais néanmoins que, même si la communication des informations et des renseignements est bonne sur le plan tactique, nous demeurons prudents. Il n'y a pas beaucoup de problèmes, mais je ne pourrais pas dire que nous n'avons pas de problèmes; c'est normal, dans le milieu du renseignement. Par ailleurs, l'initiative nous permet de travailler ensemble, d'établir des relations de confiance et de communiquer davantage d'information.
La présidente : Je pense que ce n'est qu'une question de perception. Si des agents américains et canadiens sont sur le même bateau...
M. Paulson : Il faut bien se parler.
La présidente : Oui. Un agent vous dira qu'il faut arrêter telle personne, mais que vous n'avez pas à vous demander pourquoi. Je présume que vous vous servez mutuellement cette médecine.
M. Paulson : C'est exact.
Le sénateur Lang : Je vous remercie d'être ici, cet après-midi, et de nous communiquer de l'information sur le projet de loi.
Comme le sénateur Dallaire, j'aimerais en savoir plus sur le besoin d'adopter le projet de loi pour vous permettre de mieux vous occuper de vos responsabilités quotidiennes.
Vous avez dit que le projet a commencé en 2004, alors que d'autres partis étaient au pouvoir. Selon ce que je comprends, tous les partis en Chambre appuyaient le projet et ils comprenaient que le Saint-Laurent et la Colombie- Britannique présentaient des problèmes.
La population a le droit de connaître la gravité de la situation. J'ai été surpris de lire qu'il y avait 40 organisations criminelles dans la région du Saint-Laurent et environ 140 en Colombie-Britannique.
Pourriez-vous nous décrire ces organisations? Parle-t-on de 2 000 ou de 3 000 personnes impliquées en tout temps dans des activités criminelles qui troublent la paix et qui compromettent la sécurité des Canadiens?
M. Paulson : Il convient de se rappeler que, pour évaluer la menace et établir les statistiques, nous employons la définition du Code criminel, qui dit qu'une organisation criminelle se compose d'au moins trois personnes qui commettent des infractions graves pour obtenir pour elles-mêmes ou pour procurer au groupe des avantages matériels.
Je comprends qu'il s'agit d'un terme juridique. Cependant, il est tout à fait vrai que des groupes criminels cherchent toujours de nouvelles façons de gagner de l'argent et d'obtenir des avantages sans effort. C'est essentiellement ce que font les groupes du crime organisé.
Selon les évaluations de la menace que j'ai lues avant de témoigner ici aujourd'hui, 130 ou 140 groupes sont actifs à la frontière canadienne et commettent toutes sortes de crimes.
Ce sont des chiffres considérables, mais il faut se rappeler que nous enquêtons sur pas mal d'organisations qui sont mêlées à des activités criminelles un peu partout au Canada. Lorsque nous en parlons et que nous avançons ce genre de chiffres, les gens semblent, à juste titre, très inquiets, mais il ne faut pas croire que les 140 organisations sont aussi importantes que les Hells Angels.
Des organisations criminelles font de la contrebande nuit et jour et elles peuvent passer de la marijuana, de la cocaïne ou des armes à feu à la frontière. Quand beaucoup de gens planifient de telles activités, effectuent de la contre- surveillance et prennent des moyens pour nous éviter, cela donne des chiffres impressionnants.
Le sénateur Lang : Il faut revenir à l'importance du projet de loi et à la manière dont il va nous aider à maintenir la paix et à protéger les Canadiens. J'aimerais obtenir des précisions sur deux choses.
Nous avons parlé des 140 organisations criminelles qui sévissent dans la région du Saint-Laurent et des Grands Lacs.
M. Paulson : Elles sont présentes un peu partout au Canada.
Le sénateur Lang : Veuillez m'excuser, cela concernait la Colombie-Britannique et le Canada et vous avez parlé de 40 organisations criminelles. Vous avez dit que cela s'appliquait au Canada, et j'imagine qu'il y a beaucoup plus de groupes aux États-Unis qui aident ces organisations.
Compte tenu des deux ou trois programmes que vous avez dirigés pour évaluer la collaboration avec les autorités américaines, vous pourriez nous dire comment les gens qui vivent près des frontières perçoivent les mesures. Ces gens étaient-ils contents de vous voir et se sentent-ils plus en sécurité en raison de la collaboration?
M. Paulson : Je dois avant tout émettre des réserves concernant les 140 groupes qui mènent des activités de ce côté-ci de la frontière. L'évaluation de la menace que j'ai lue parlait de groupes criminels qui effectuent de la contrebande à la frontière. Je me suis peut-être trompé, mais ce sont tout de même des chiffres importants.
Le sénateur Lang : Cela m'a interpellé lorsque j'ai lu les notes d'information.
M. Paulson : Je sais que les communautés ont très bien accueilli le programme Shiprider. J'inviterais M. Oliver à en parler, car il en sait davantage à ce sujet.
Nous sommes également en train de réaliser un programme particulier, à Lacolle, au Québec. Même si le programme ne ressemble pas à Shiprider, la communauté est très enthousiaste des résultats obtenus, concernant l'intégrité de la frontière.
M. Oliver : Dans certains cas, les avis sur le programme Shiprider sont partagés. J'étais un des principaux intervenants auprès de la communauté d'Akwesasne lorsque Shiprider a été mis en œuvre en 2007. On a émis des réserves concernant la façon dont les opérations étaient menées. Les gens comprenaient les avantages que le programme pouvait entraîner, mais ils avaient des réserves concernant la consultation et la participation de la communauté, au début du processus. Dans d'autres régions, les gens rencontrés étaient étonnés que nous n'ayons pas commencé les opérations plus tôt.
Grosso modo, les réactions sont positives, sauf dans les cas où les gens ont des problèmes avec la police. Certains ne sont pas contents de rencontrer les policiers, mais en général, le programme est bien reçu.
Le sénateur Lang : Concernant Akwesasne, les notes d'information indiquent qu'on a formulé des préoccupations en 2007. Si le projet de loi est adopté et que la question devient une responsabilité continue pour vous, quelles mesures prendrez-vous pour faire participer la communauté d'Akwesasne et pour remplir votre mandat?
M. Oliver : Nous avons pris l'engagement de faire participer la communauté d'Akwesasne si nous recevions le soutien nécessaire à la mise en œuvre du programme. Les gens m'avaient même parlé de leurs préoccupations avant 2007. Avant la mise en œuvre de Shiprider, nous avons adopté des stratégies d'atténuation, comme des cours sur les cultures pour les agents canadiens et américains déployés et des cours de sensibilisation à la sécurité des bateaux pour les communautés. C'est le genre de formation que nous avons donnée. Nous avons convenu de ne pas imposer, durant un certain temps, de sanctions pour les infractions relatives aux bateaux afin de sensibiliser les communautés à la circulation maritime.
Nous avons adopté certaines mesures. De plus, nous avons produit des rapports chaque semaine sur le rythme des opérations et le temps passé dans la communauté d'Akwesasne et les environs. Nous avons tenu des discussions. Il aurait pu y avoir davantage de consultations au départ, mais la consultation s'est effectuée de manière continue durant le processus.
La présidente : En revanche, vous avez dit dans le rapport d'impact de 2000 qu'Akwesasne représentait une brèche dans la frontière internationale, où les gens et les marchandises passaient pratiquement à tout moment. Est-ce toujours le cas?
M. Paulson : Oui, cela fait partie de la menace et de ce qui nous rend vulnérables concernant la contrebande et les autres crimes.
Le sénateur Plett : Je vais poursuivre dans la même veine que le sénateur Lang et la présidente. Je n'irai pas par quatre chemins, car l'évaluation d'impact est très claire sur le transit, qui se fait pratiquement à tout moment, comme la présidente l'a dit. Je vais lire un passage du rapport :
Les criminels exploitent cette faille pour se livrer aux lucratifs trafics de cigarettes, de drogue, d'armes, ainsi qu'au passage de clandestins et d'autres marchandises de contrebande. Les bateaux utilisés sont spécialement conçus et équipés pour naviguer rapidement et de nuit. Alors que l'équipe d'évaluation sillonnait la région, plusieurs de ces bateaux étaient visibles au grand jour dans la communauté. Comme on le mentionnait plus haut, une récente évaluation de la menace chiffrait à plus d'une quarantaine les organisations criminelles actives dans la région et ses environs.
Nous accueillerons des gens de la région d'Akwesasne ce soir et j'espère avoir l'occasion de leur poser la même question. Lorsque le gouvernement met en œuvre ce genre de programme, la GRC constitue, en général, le meilleur organisme pour l'administrer. La semaine dernière, nous avons reçu des représentants de la police provinciale de l'Ontario, la PPO, et d'autres services de police municipaux qui ont semblé d'accord avec moi, même s'ils ont dit qu'ils espèrent participer et qu'ils considèrent qu'ils ont une contribution utile à apporter. Je suis certain que les gens de la région d'Akwesasne sont du même avis.
On a effectué du travail avec les policiers mohawks, dans la région de Cornwall. Comment pourrions-nous faire participer ces gens? Selon le rapport, il est clair que les gens n'appuient pas le programme. Il s'agit d'une des plus importantes régions de contrebande. Que comptez-vous faire pour changer les choses?
M. Paulson : Une des forces de la GRC, c'est sa vaste expérience du maintien de l'ordre dans les communautés. Nous essayons de convaincre les gens que nous sommes sincères et que nous voulons réduire les effets négatifs du crime. C'est tout ce que nous pouvons faire pour amener les communautés à participer. D'après notre expérience, lorsque nous faisons montre de franchise, d'honnêteté et d'ouverture, nous réussissons en général à convaincre les gens qui ont le même objectif que nous. Certaines personnes ne partagent pas notre objectif; les criminels ne souhaitent pas vraiment qu'on les convainque d'arrêter leurs activités.
Il faut maintenir l'équilibre délicat concernant les besoins et les problèmes des collectivités. La résistance rencontrée ne provient probablement pas seulement des discussions entourant la répression et l'éradication de la criminalité. Toutefois, partout où le projet pourrait être mis en œuvre d'un côté ou de l'autre côté de la frontière, nous veillerons à ce que les habitants des collectivités locales comprennent ce qui se passe. À juste titre, les gens pourraient être un peu déroutés de voir des agents de la GRC faire appliquer la loi aux États-Unis s'ils ne s'y attendent pas. De la même façon, nous pouvons parfois froisser les gens si nous ne leur disons pas à l'avance ce que nous comptons faire. Il ne s'agit pas de préciser l'endroit où nous serons, l'heure à laquelle nous y serons ni la vigueur de l'opération; il faut trouver l'équilibre. C'est le défi que nous devons relever. Je vous assure que nous tendrons la main aux collectivités et discuterons sérieusement avec elles. D'ailleurs, nous avons déjà commencé à le faire, et M. Oliver pourra vous en parler davantage.
M. Oliver : Nous allons aussi mettre à contribution nos partenaires de la région. En plus du Service de police communautaire de Cornwall et de la Police provinciale de l'Ontario, nous sommes associés aux services de police de l'État de New York, l'organisme d'application de la loi aux États-Unis. Ces services de police font tous partie de l'équipe intégrée de la police des frontières, ou EIPF, de même que les services de police du territoire mohawk d'Akwesasne et de la réserve de St. Regis.
Ce sont les principaux partenaires de l'EIPF de la région. Il existe aussi une Équipe d'enquête mixte financée par Sécurité publique Canada, qui compte des policiers affectés provisoirement et qui est dirigée par le Service de police du territoire mohawk d'Akwesasne. En ce moment, différents services de police sont donc en train de signer des partenariats.
Au printemps, nous envisageons de former d'autres patrouilleurs pour le projet Shiprider. La Garde côtière des États-Unis et la GRC ont l'intention d'inviter les services de police des réserves à suivre la formation. S'ils le souhaitent, les agents d'application de la loi pourront ainsi être désignés dès l'adoption du projet de loi, le cas échéant.
Le sénateur Plett : Il semble que la GRC joue un rôle majeur dans ce projet et que les autres organismes travailleront sous sa direction. À votre avis, qui devrait être responsable des opérations maritimes d'application de la loi?
M. Paulson : En vertu du projet de loi, c'est le commissaire de la Gendarmerie royale du Canada qui détiendra l'autorité centrale, ce qui lui donnera le droit de désigner les agents. J'aurais horreur de dire que nous serons le corps de police en charge, pour ainsi dire, parce que nous comptons sur l'aide de nos partenaires. Par contre, nous serons l'organisme principal étant donné que nous détiendrons l'autorité centrale.
Le sénateur Plett : Croyez-vous que notre souveraineté sera menacée par le fait que, de toute évidence, nous sommes loin de mener le bal sur le plan de l'équipement?
M. Paulson : Non.
Le sénateur Harb : Je vous remercie de votre exposé et du rapport que vous nous avez présenté. Ce dernier est complet, mais j'aimerais quand même vous poser une question à ce sujet.
La Police provinciale de l'Ontario et le Service de police de Windsor ont signalé des problèmes de communication entre les deux côtés de la frontière. Rencontrez-vous des difficultés semblables lorsque vous voulez échanger des renseignements de façon sécuritaire?
Ma question semblera peut-être hors de propos, mais qu'arrive-t-il si l'eau gèle? On pense que les patrouilleurs du projet Shiprider n'ont qu'à monter dans un bateau pour se lancer à la poursuite de criminels. Existe-t-il un protocole en cas de gel? Que faites-vous alors?
Si vous me le permettez, madame la présidente, il conviendrait peut-être de parler du Groupe de travail sur la police des frontières, ou le groupe BEST.
Si vous avez le temps, la 10e constatation du rapport d'évaluation est très révélatrice : « Actuellement, les moyens nautiques de la GRC sont inadéquats pour assurer une présence crédible sur l'eau. » Vous recommandez fortement qu'un groupe Shiprider soit établi en permanence.
La présidente : Nous avons abordé certaines des questions liées au groupe BEST la semaine dernière. En présence de glace, le programme Shiprider n'est plus responsable. Veuillez répondre très brièvement à ces questions.
M. Paulson : En ce qui concerne la sécurité des communications, j'ai assisté ce matin à une séance d'information où l'on présentait une solution possible au problème. Celle qui était proposée est très novatrice et vient du Canada. Nous avons donc trouvé une solution à cela.
Encore aujourd'hui, les communications quotidiennes entre les services de police sont parfois difficiles, mais nous nous y attendions, et je suis satisfait de la solution technique trouvée. À vrai dire, nous pourrons bientôt communiquer d'un bout à l'autre du pays, de part et d'autre de la frontière et partout ailleurs.
Au sujet de la glace, je ne suis pas certain de vous être d'un grand secours. J'imagine que les bateaux resteront au port si l'eau est gelée.
M. Oliver pourrait vous parler du groupe BEST, une mesure coercitive à la frontière adoptée aux États-Unis.
Enfin, pour ce qui est des ressources, l'étude se penche sur les conditions idéales. L'un des avantages du programme Shiprider, c'est qu'il nous permet de tirer le maximum de nos ressources. Il y aura toujours au moins un agent d'application de la loi de plus partout où nous irons; nous aurons accès aux ressources des États-Unis, et eux auront accès aux nôtres. C'est l'une des façons d'améliorer considérablement la situation.
M. Oliver : En période de gel, le protocole dépend de l'épaisseur de la glace. Lors du 40e Super Bowl en 2006, nous avions planifié des opérations dans les glaces. Nous pensions que l'eau ne serait pas complètement gelée pendant l'évènement. La Garde côtière des États-Unis possédait des bateaux à glace, ou des hydroglisseurs, qui peuvent effleurer la surface de l'eau comme de la glace. Tous nos policiers étaient formés pour le sauvetage en eau froide et ainsi de suite. Cette capacité existe, selon l'épaisseur de la glace. Le programme Shiprider avait prévu ces opérations en eau froide pour renforcer la sécurité pendant le 40e Super Bowl.
Lorsque la glace est assez épaisse pour supporter le poids d'un camion ou d'une motoneige, je ne crois pas que le programme Shiprider soit en vigueur.
Le groupe BEST est une initiative des services américains de l'immigration et des douanes. Il s'agit d'équipes américaines situées à Buffalo, à Détroit et à Blaine, qui sont aussi autorisées à faire appliquer la loi du côté canadien de la frontière. Des agents canadiens sont chargés de la liaison avec ces équipes. Essentiellement, il s'agit d'une force d'intervention américaine qui cible la criminalité transfrontalière entre le Canada et les États-Unis.
Ce genre de groupe n'a rien d'inhabituel, car le Canada aussi possède des forces d'intervention similaires, comme le Groupe spécial interpolices. Ce qui est exceptionnel, c'est que le programme prévoit la désignation d'agents étrangers autorisés à appliquer la loi des deux côtés de la frontière. Par contre, cette mesure n'a pas la même ampleur que dans le cadre du programme Shiprider, où la réciprocité est complète, c'est-à-dire que les agents sont totalement autorisés à faire appliquer la loi dans les deux pays et peuvent faire la navette de part et d'autre de la frontière.
Le sénateur Mitchell : Même si cela va sans dire, le Groupe de travail Brown a indiqué que la GRC ne devrait pas endosser de nouvelles responsabilités sans d'abord s'assurer d'en avoir les moyens. Aucune somme supplémentaire n'a été accordée pour les projets pilotes du programme Shiprider. Aujourd'hui, un budget supplémentaire est-il prévu pour le programme?
M. Paulson : Non. Par contre, nous avons les EIPF. L'un des obstacles que nous devons relever, comme tout le monde ces jours-ci, c'est d'essayer de ne pas toujours tenir compte de la manière dont nous avons procédé dans le passé. Je crois que nous avons l'occasion d'utiliser les ressources des EIPF et d'autres forces d'intervention spéciales, comme l'a mentionné M. Oliver. En bref, la réponse à votre question est non.
Le sénateur Mitchell : De toute évidence, vous avez préparé un budget puisque vous devez prendre de l'argent des EIPF ou d'autres programmes. Combien le programme Shiprider coûte-t-il, peu importe d'où provient l'argent? Vous avez certainement un budget concret.
M. Paulson : En tout et partout, le Programme de l'intégrité des frontières représente actuellement 200 millions de dollars environ. Je peux calculer le coût des EIPF à partir des chiffres, mais M. Oliver le connaît probablement par cœur.
Le coût des opérations dépend des résultats escomptés. Pour relever le vieux défi de la prévention du crime, il faut que des agents de police travaillent côte à côte au centre-ville. Ce n'est pas le cas. Les options qui s'offrent à nous vont des déploiements axés sur les renseignements à la mobilisation terrestre ou maritime de nos agents.
Dans mon secteur, je préfère déployer les ressources disponibles en fonction des renseignements. Les ressources supplémentaires seront déployées intelligemment. Nous enverrons les agents là où ils seront les plus efficaces en fonction des chances de réussite, de la nature de la menace et du danger pour le public.
Le sénateur Mitchell : J'aimerais que vous me donniez les chiffres. Votre réponse était évasive.
Y a-t-il quelqu'un de votre rang, un officier supérieur ou un groupe, qui soit responsable du programme Shiprider? Dans l'affirmative, quel est le budget demandé au début de l'exercice? S'agit-il de 10 ou de 20 millions de dollars?
M. Paulson : Je vais demander à M. Oliver de vous donner le budget des EIPF, car le programme Shiprider n'existe pas encore. Nous avons réalisé quelques essais et mené quelques études à partir du budget d'autres programmes. Le programme Shiprider n'existe pas encore, mais nous espérons qu'il verra le jour.
La présidente : Ne pouvez-vous donc pas nous donner le montant du côté américain?
M. Paulson : Très bien. M. Oliver peut vous indiquer combien coûtent les EIPF.
M. Oliver : Le programme des EIPF coûte environ 25 millions de dollars et englobe quelque 150 personnes. En plus de veiller à interdire le passage des criminels, les EIPF mènent des enquêtes criminelles complexes. Elles ciblent la traite de personnes et le passage de clandestins.
Il s'agit d'établir l'ordre de priorité en fonction des ressources disponibles. Selon les renseignements dont nous disposons, est-ce ici que nous en aurons le plus pour notre argent? Puis-je utiliser un outil comme Shiprider pour amener les organisations criminelles jusqu'à un point de passage obligé où nous pourrons mieux observer leurs activités ou même leur barrer la route en toute sécurité?
Shiprider sera un outil de plus dont nous pourrons faire usage afin d'obtenir de meilleurs résultats, même avec les ressources actuelles.
Le sénateur Mitchell : Merci. Vous avez dit que le programme cible deux domaines, soit le crime organisé et la sécurité nationale. J'imagine que bien des gens pensent au terrorisme. Même si ce n'étaient que de petits échantillons, vos projets pilotes ont donné de bons résultats dans le cas de la cigarette, de la drogue, et même du passage de clandestins, je crois. Il n'y a eu aucun signe de complot terroriste.
Avez-vous une idée de l'ampleur de la menace terroriste, en comparaison à la menace criminelle? Avez-vous pensé avoir besoin de l'armée dans certains cas? Existe-t-il des protocoles à cet effet? Jusqu'à maintenant, l'armée a-t-elle joué un rôle dans le cadre du programme?
M. Paulson : Pas de cette façon. La menace à la sécurité nationale le long de la frontière n'est ni visible ni identifiable. Lorsque je travaillais à la sécurité nationale, nous révélions les complots. Nous savions qui en faisait partie, où ces gens se rendaient et quand ils risquaient de traverser la frontière. Nous demandions ensuite de l'aide au Programme de l'intégrité des frontières.
Il ne faut pas oublier qu'un moyen de dissuasion crédible, efficace et convaincant à la frontière — c'est-à-dire, être capable de pourchasser ceux qui traversent la frontière, de lancer des enquêtes et de les résoudre — compte parmi les façons de contrer la menace. En effet, certains considèrent à tort ou à raison que notre frontière est poreuse et que des organisations terroristes pourraient s'en prendre à l'un ou l'autre des pays.
Le sénateur Mitchell : J'aimerais formuler une dernière remarque. Il ne fait aucun doute que ce programme est important; vous l'avez bien fait comprendre. En revanche, je saisis mal pourquoi le gouvernement n'y a alloué aucune somme additionnelle pour vous permettre d'accomplir un excellent travail. J'imagine que vous pouvez trouver de l'argent en renonçant à certaines dépenses; dans ce cas, quelle était l'importance de celles que vous avez laissé tomber ces 20 dernières années?
M. Paulson : C'est une question légitime. Mais en vérité, le cadre législatif nécessaire pour assurer la permanence de l'opération n'est toujours pas en place. Beaucoup d'argent est attribué au Programme de l'intégrité des frontières — une somme de 200 millions de dollars par année représente une assez vaste opération. Il ne faut pas croire que nous ne patrouillons pas dans les voies navigables ou que nous ne sommes pas efficaces. Ce programme nous permettra d'être encore meilleurs.
La présidente : Des fonctionnaires du ministère de la Justice vont venir témoigner. Tout le monde sait que l'argent n'est attribué qu'après l'adoption des lois, et c'est du projet de loi dont nous discutons. Jusqu'à maintenant, il n'y a eu que des programmes expérimentaux.
Sénateur Lang, vouliez-vous poser une question complémentaire?
Le sénateur Lang : Ma question s'adresse au sénateur Mitchell. Selon les documents d'information dont j'ai pris connaissance, les contribuables canadiens ont consacré plus de 1 milliard de dollars en 10 ans à cette préoccupation particulière à la frontière. Nous y investissons déjà une somme assez considérable au quotidien.
Le sénateur Day : Je me demande si la somme indiquée par le sénateur Lang comprend la collaboration entre la Marine et la Garde côtière, qui n'a rien à voir avec le projet de loi. C'est un autre sujet de préoccupation constant à la frontière, surtout la collaboration en haute mer, mais il porte sur une autre zone.
Nous convenons que le projet de loi ne vise pas cela. Il touche essentiellement la GRC et la Garde côtière dans les eaux frontalières.
M. Paulson : Il porte surtout sur l'application de la loi et les agents de la paix.
Le sénateur Day : Il pourrait aussi arriver que les infractions à la loi exigent des mesures antiterroristes.
M. Paulson : Tout à fait.
Le sénateur Day : Commençons ici. Le projet de loi vise la mise en œuvre d'un accord cadre conclu il y a deux ans entre le Canada et les États-Unis, qui trace les grandes lignes du fonctionnement général de ce genre de programme. J'imagine que la GRC a suivi la situation de près depuis le début, étant donné son rôle de premier plan dans le projet?
M. Paulson : Oui.
Le sénateur Day : Un premier projet de loi avait été déposé pour mettre en œuvre l'accord cadre, mais il est mort au Feuilleton. Le Sénat vient d'en déposer un nouveau à cette fin. Nous traitons donc de la mise en œuvre l'accord cadre.
Aimeriez-vous que certaines dispositions du projet de loi soient modifiées, ou bien croyez-vous qu'il reflète généralement votre compréhension de l'accord?
M. Paulson : Oui, il reflète très bien ma compréhension de l'accord. Je l'ai lu deux ou trois fois. Je ne suis qu'un policier, mais le projet de loi semble plutôt simple, et il traite du pouvoir de désignation et de désignation transfrontalière tout en respectant notre souveraineté, notre Chartre et les droits de la personne. C'est un document simple.
Le sénateur Day : J'aimerais éclaircir deux ou trois aspects. Tout d'abord, pour qu'un bateau puisse intervenir de la façon prévue dans le projet de loi, son équipage doit se composer de Canadiens et d'Américains, n'est-ce pas?
M. Paulson : Oui, vous avez tout à fait raison. Par exemple, si notre bateau se trouve en eaux canadiennes lorsqu'il quitte le port, un agent de la Garde côtière américaine sera à bord. Si nous lançons une enquête en eaux canadiennes, mais que les criminels mettent le cap vers les eaux américaines, nous en sommes responsables jusqu'à la frontière. À ce moment, nous cédons à la Garde côtière américaine le commandement, et elle peut alors exercer les pouvoirs qu'elle détient aux États-Unis. C'est nous qui possédons ces pouvoirs en eaux canadiennes. Les agents canadiens peuvent lui prêter main-forte.
Le sénateur Day : Ce petit changement pourrait être intéressant. En avez-vous réglé les détails? Par exemple, dans le cas d'un bateau canadien, le capitaine céderait-il le pouvoir à un agent américain ou bien resterait-il à la barre? Comment allez-vous veiller au bon fonctionnement du commandement et du contrôle?
M. Paulson : Je ne crois pas que le changement touchera nécessairement l'équipage du bateau; il vise plutôt le pouvoir décisionnel qu'exerce l'agent des douanes aux États-Unis ou l'agent de la paix au Canada. L'équipage obéit au pouvoir en place; l'enquête et l'exécution des pouvoirs en dépendent.
Le sénateur Day : C'est peut-être une question de sémantique. Je vais bientôt m'adresser au surintendant principal. Le sous-commissaire dit que le changement ne toucherait probablement pas l'équipage, mais à l'article 2, on peut lire « un bateau dont l'équipage se compose d'agents désignés du Canada et des États-Unis ».
M. Paulson : Pardonnez-moi, monsieur le sénateur, mais je faisais allusion au commandement. L'équipage du bateau doit certes se composer d'agents des deux pays, mais je ne pense pas que cela touche celui qui tient le gouvernail ou qui fait marcher les moteurs. L'équipage doit se composer d'agents des deux pays. En passant, je ne veux manquer de respect envers personne. Le transfert de l'autorité ne porte pas sur les tâches entourant la navigation, mais bien sur l'exécution des pouvoirs de la police.
Le sénateur Day : C'est là où je voulais en venir. Pardonnez-moi, monsieur le surintendant principal, mais je voulais préciser le terme « équipage ».
M. Oliver : Le facteur déterminant est la localisation du bateau. Une opération menée aux États-Unis sera commandée par un agent américain. Il pourrait alors arriver qu'un agent de la GRC dirige le navire de la GRC, puisqu'il s'agit de notre équipement courant, même si un agent américain est aux commandes des opérations. L'inverse aussi est vrai au Canada.
En fait, je peux vous donner l'exemple concret d'un navire que la Garde côtière américaine a vu quitter les eaux américaines et qui semblait transporter des produits de contrebande. Elle a suivi le navire suspect jusqu'au Canada, où elle l'a intercepté. Dans un cas semblable, l'agent de la GRC à bord du navire de la Garde côtière américaine intervient, et les agents américains lui viennent en renfort. Si ces derniers doivent intervenir, ils agissent à titre d'agents de la paix canadiens. À l'inverse, lorsque nous sommes en eaux américaines, nous servons de renfort à titre d'agents des douanes américains.
Le sénateur Day : Merci. C'est utile. Vous pouvez nous le faire comprendre puisque vous en avez déjà fait l'expérience.
J'aimerais éviter tout malentendu : si un agent américain a été désigné en vertu du projet de loi, il ne pourra exercer ce pouvoir que sur un bateau américain ou canadien dont l'équipage se compose d'agents désignés du Canada et des États-Unis, n'est-ce pas?
M. Oliver : C'est exact, selon ma compréhension du projet de loi. C'est ainsi que les choses se passent actuellement.
Le sénateur Day : Très bien. J'espérais aussi que vous pourriez éclairer ma lanterne sur un autre point, soit les zones non contestées de la mer ou les eaux internes longeant la frontière internationale, sur lesquelles porte le projet de loi.
Nous avons beaucoup discuté des eaux internationales. Les zones non contestées de la mer se trouvent au large de Vancouver, entre la Colombie-Britannique et l'État de Washington, et près de chez moi, de l'embouchure de la rivière Ste-Croix jusqu'au large du Maine et du Nouveau-Brunswick.
Jusqu'à quelle distance des côtes le pouvoir en question pourra-t-il s'exercer en mer, étant donné que ce sera possible? En vertu du projet de loi, où sera la limite des opérations dans ces zones?
M. Oliver : Le rythme opérationnel dépend de la localisation. Toutefois, je crois que dans le cas des zones litigieuses, il devient difficile de déterminer qui détient le pouvoir d'application de la loi si l'on ignore quel pays doit diriger les opérations. Selon moi, c'est pourquoi l'accord cadre ne portait pas sur ces zones.
Toutefois, rien n'empêche de mettre en œuvre le programme sur l'île Machias Seal, dans la baie de Fundy, ou bien dans le détroit qui sépare la Colombie-Britannique et Washington. Le projet de loi pourrait s'appliquer à ces endroits. Un jour, il serait possible de déployer le programme Shiprider dans l'océan Arctique — il y a encore des zones litigieuses là-bas —, car le projet de loi n'en limite pas la capacité.
Le sénateur Day : On nous demande à nous, parlementaires, d'autoriser les opérations dans les zones non contestées de la mer et dans les eaux internes longeant la frontière.
Quels sont vos plans? Admettons que nous décidons d'adopter le projet de loi et que la Chambre des communes nous emboîte le pas, combien de bateaux et d'agents seront nécessaires au cours des cinq prochaines années pour mettre en œuvre le programme dans toutes les zones non contestées de la mer entre le Canada et les États-Unis et dans les eaux internes longeant la frontière?
M. Paulson : Si le projet de loi est adopté, nous allons commencer par planifier le déploiement des agents actuels conjointement avec la Garde côtière américaine. Nous nous mettrons à déployer des efforts annuellement pour l'obtention de ressources, jusqu'à ce que notre capacité atteigne un niveau que tout le monde reconnaîtra, je crois, comme la façon la plus efficace d'utiliser les ressources.
Le sénateur Day : Avez-vous une idée des actifs que vous demanderez pour le programme?
M. Oliver : Au cours des deux ou trois dernières années, nous avons amélioré notre capacité maritime. Nous avons fait l'acquisition de plusieurs navires exprès pour le programme Shiprider. Dans l'ensemble, la GRC possède 429 petites embarcations, qui servent toutefois aux services de police tant communautaire que fédérale.
Dans le cadre du programme Shiprider, nous voulons adopter un modèle officiel afin que les équipages travaillent sur les mêmes navires dans les Grands Lacs comme sur les côtes. C'est une question de familiarisation. La Garde côtière américaine a fait de même. Nos équipages vont comprendre. Nous avons quatre bateaux Shiprider officiels; trois se trouvent actuellement sur la côte Ouest et l'autre, sur la côte Est. Nous y travaillons en ce moment.
La présidente : Sénateur Day, je dois laisser la parole au prochain intervenant.
Le sénateur Day : Vous m'avez décrit la situation actuelle, mais que prévoyez-vous après l'adoption du projet de loi? Combien de bateaux supplémentaires seront nécessaires pour accomplir votre travail?
M. Paulson : Sénateur, cela dépend du montant qui nous sera accordé.
Le sénateur Day : Je vous demande le nombre de bateaux dont vous aurez besoin.
Le sénateur Lang : J'aimerais poursuivre sur la question de l'accord, qu'examinait le sénateur Day. Ce n'est pas la première fois qu'un tel accord est mis en place. D'après le document d'information, je crois comprendre que la Garde côtière américaine a conclu, il y a longtemps, des accords avec certains pays des Caraïbes. Savez-vous si ces accords ont bien fonctionné? Vous pourriez peut-être nous les expliquer, si vous en savez plus.
M. Paulson : Je connais peu ce programme, mais je sais qu'il diffère du nôtre en ce qu'il ne permet pas la pleine réciprocité que prévoit notre accord avec les États-Unis. L'accord passé entre les États-Unis et les pays des Caraïbes est davantage orienté vers les Américains. J'ai cru comprendre qu'il a très bien fonctionné.
Le sénateur Plett : Comme nous l'avons dit bien des fois, c'est le gouvernement précédent qui a proposé l'accord. Tout comme mes amis d'en face, je trouve étrange que le gouvernement ait présenté un aussi bon projet de loi. Bien sûr, c'est pourquoi il y a mis autant de temps.
Croyez-vous que le Canada et les États-Unis ont l'équipement nécessaire pour exécuter le programme?
M. Paulson : C'est une question difficile, sénateur. Lorsque nous l'avons mis en œuvre dans des zones restreintes, nous avions l'équipement pour le faire. Nous n'allons envoyer aucun agent en déploiement opérationnel sans l'équipement adéquat.
Le sénateur Dallaire : Je trouve brouillonnes les réponses ayant trait à ce qu'il vous faut pour atteindre les objectifs. S'il était question d'un déploiement considérable des forces armées dans une nouvelle région, et que nous avions besoin d'une loi pour le faire, vous pouvez être certain qu'on annoncerait sans détour qu'il faut 4 ou 5 bataillons et 5 milliards de dollars d'équipement.
Pour augmenter votre capacité — c'est votre objectif, car vous n'avez pas la capacité nécessaire à l'heure actuelle; vous en avez fait l'essai —, vous avez sûrement besoin d'un certain nombre d'années-personnes, de mesures d'opération et d'entretien, ainsi que des biens d'équipement.
La semaine dernière, on nous a répondu que c'était bénéfique à tous parce que les Américains ont tant de matériel. Lorsqu'on a les Américains qui ont tant de matériel, qui mènera le bal? Celui qui a tout le matériel.
Allez-vous avoir cet équipement? Avez-vous une AP, un plan d'équipement, un plan d'exécution pour la mesure législative proposée?
M. Paulson : D'après ma lecture du projet de loi, il nous permettrait de nous engager dans un déploiement d'officiers interarmées afin de profiter des autorisations aux États-Unis et au Canada. Ce n'est pas présenté comme un programme de ressources additionnelles.
Je veux plus de ressources. Si je peux obtenir plus de ressources, je vais essayer d'en avoir plus. Je ne veux pas que vous pensiez que je finasse autour de la question des ressources, mais c'est simplement une mesure législative portant sur les autorisations.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : J'aimerais m'éloigner le plus possible de la politique et parler d'opérations policières. Ce sujet m'intéresse beaucoup. Pour commencer, merci de votre présentation et de votre compétence. J'ai œuvré pendant 20 ans dans le domaine de la sécurité publique auprès du gouvernement du Québec, donc j'ai eu à travailler avec beaucoup de forces policières.
Avez-vous une bonne connaissance des opérations conjointes policières au Québec, entre la GRC, la police de Montréal, la Sûreté du Québec, surtout lors du démantèlement des grands réseaux de drogue dans les années 2000, 2005?
M. Paulson : Je pense que oui, j'ai travaillé avec mes partenaires au Québec dans des enquêtes contre le crime organisé, en l'occurrence les motards. Je travaillais en Colombie-Britannique à cette époque et mes partenaires au Québec travaillaient sur les motards à Montréal. J'ai travaillé avec la Sûreté du Québec et le service de police de la Ville de Montréal.
Le sénateur Boisvenu : Vous avez dû sûrement travailler avec les États-Unis, avec le FBI, surtout lorsqu'il était question de trafic de drogue, avec les mafias américaine et canadienne qui avaient des relations très étroites.
M. Paulson : Oui.
Le sénateur Boisvenu : Dans le cadre de ces opérations, le fait d'avoir intégré le commandement, les outils d'investigation, d'avoir un programme de formation conjoint, — je me souviens qu'à l'époque il y avait des programmes de formation conjoints de part et d'autre de la frontière — en quoi cette espèce d'intégration opérationnelle a-t-elle joué pour cette réussite reconnue presque internationalement?
[Traduction]
M. Paulson : L'élément le plus important, c'est que toutes les ressources d'application de la loi sont réunies dans une sorte de programme de commandement intégré, de sorte que la mission consiste à attraper les criminels et non à chercher à obtenir le crédit de l'avoir fait.
J'allais vous expliquer le rôle qu'ont joué la Sûreté du Québec et la police de Montréal quand nous avons regroupé nos ressources — celles de la GRC — dans le cadre de l'Opération printemps, mais qui a été principalement menée au Québec par la Sûreté du Québec. C'était un exemple éloquent des résultats extraordinaires qui peuvent être atteints avec l'appui de la collectivité, des pouvoirs judiciaires et de tous les autres, lorsqu'on le fait correctement, de façon intégrée et que les gens ne visent pas des résultats qui servent leurs intérêts particuliers, mais plutôt l'obtention de résultats généraux.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : La globalisation du commerce et des activités d'échanges mondiales, tous les experts disent que cela a mené à la globalisation de la criminalité.
M. Paulson : Oui, c'est déjà arrivé.
Le sénateur Boisvenu : Le projet de loi que nous avons devant nous va encore plus loin avec l'intégration des forces policières canadiennes. Elle ne se ferait pas seulement entre les provinces, mais aussi avec nos voisins du Sud.
Selon vous, la globalisation des forces policières sur le plan de la lutte contre la criminalité est-elle une étape inévitable dans le futur?
M. Paulson : Oui, d'après moi c'est vrai.
[Traduction]
M. Paulson : C'est une façon de démontrer étape par étape que nous prenons en compte les intérêts de chacun. Parfois, on a l'impression que les choses vont lentement, mais nous avons une occasion unique de pouvoir démontrer aux Canadiens que nous avons tenu compte de tous ces facteurs et que nous continuerons de respecter notre souveraineté et la Charte canadienne des droits et libertés, mais nous serons meilleurs dans notre rôle, qui consiste à arrêter les criminels qui nuisent au commerce et à la sécurité des Canadiens.
La présidente : Monsieur Paulson, monsieur Oliver, je vous remercie de nous avoir donné de votre temps et d'avoir répondu à nos questions aujourd'hui.
Nous allons poursuivre notre étude du projet de loi S-13 avec notre prochain groupe de témoins. Il y a eu beaucoup de questions la semaine dernière, et certaines ont été soulevées plus tôt au cours de la séance de ce soir, et nous sommes heureux que nos prochains témoins aient accepté d'être ici pour répondre aux questions que certains d'entre nous pourraient avoir. Nous accueillons, du ministère de la Justice, Michael Zigayer, avocat-conseil, Section de la politique en matière de droit pénal, et Jacqueline Palumbo, avocate-conseil et chef d'équipe, Service d'entraide internationale. Nous entendrons aussi Sophie Beecher, conseillère juridique, Services juridiques de Sécurité publique Canada.
Michael Zigayer, avocat-conseil, Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice Canada : Nous sommes heureux d'être ici pour vous aider dans le cadre de votre étude du projet de loi S-13. Comme l'a dit un des témoins précédents, le projet de loi a pour objectif de créer un cadre juridique qui autorisera la tenue de ces opérations spéciales d'application de la loi.
J'ai remis au greffier un certain nombre de documents, dont un calendrier indiquant que nous avons débuté en 2004. J'ai également fourni des photos qui vous montrent le genre de navires qui ont été utilisés dans les opérations Shiprider précédentes.
La semaine dernière, le ministre de la Sécurité publique vous a parlé des difficultés que rencontrent les policiers américains et canadiens chargés de surveiller la frontière, et plus particulièrement la frontière maritime.
Il importe d'abord de comprendre que tel que nous l'avons conçu, le projet Shiprider — le projet Shiprider entre le Canada et les États-Unis — se démarque de l'approche traditionnelle de l'application de la loi à la frontière. Ce qui le rend si unique, c'est que tant le Canada que les États-Unis ont convenu d'autoriser des agents d'application de la loi spécialement formés et désignés des deux pays à faire appliquer leurs lois respectives dans leurs eaux territoriales. Pour que ce soit un peu plus clair, les agents américains qui travaillent avec leurs homologues canadiens seront autorisés à faire appliquer la loi canadienne dans les eaux territoriales canadiennes, et les agents canadiens qui travaillent avec leurs homologues américains seront autorisés à faire appliquer la loi américaine dans les eaux territoriales américaines. La loi américaine ne sera pas appliquée au Canada.
On vous a parlé, cette semaine et la semaine dernière, des opérations fondées sur le renseignement. Ce programme consiste à déployer des patrouilles afin de dissuader et d'empêcher l'entrée de personnes ou de marchandises de contrebande dans les deux pays.
Le ministère de la Justice a commencé à collaborer à ce projet en 2004. Nous avons participé à la recherche et à la résolution des nombreux problèmes d'ordre juridique qui se posent, comme on est en droit de s'y attendre, dans une telle entreprise. Relativement aux aspects clés du projet de loi, j'attirerais votre attention sur l'objet et l'énoncé des principes. Je vous parlerais aussi de l'octroi des autorisations d'application de la loi; c'est essentiel. Une surveillance civile de tous les participants engagés dans les opérations Shiprider a aussi été incluse. Il y a des dispositions spéciales sur l'échange des renseignements, et il y a des dispositions sur la coopération sur le plan juridique et d'autres procédures.
Plus tôt cet après-midi, une question a été soulevée par rapport à la souveraineté. On voulait savoir si nous concédions, de quelque façon que ce soit, une partie de notre souveraineté. Je vous dirais, bien respectueusement, qu'en réalité, nous renforçons la souveraineté canadienne en déployant davantage d'agents d'application de la loi dans ces eaux communes. Quand on désigne un officier de la Garde côtière américaine, de la police de l'État de New York ou l'un des partenaires américains, il agit à titre de policier canadien. On a augmenté le nombre de policiers canadiens. Je dirais que nous avons amélioré la souveraineté canadienne en améliorant la protection du Canada.
Deuxièmement, je suis heureux que nous ayons enfin, je crois, réglé la question de la glace une fois pour toutes.
La présidente : Je l'espère. Nous ne cessons de le demander.
M. Zigayer : Lorsque nous avons commencé à négocier l'accord, nous n'avons pas tenu compte des opérations dans des situations où l'eau se serait transformée en glace. La question a été soulevée la semaine dernière, et ce n'est pas une question bête du tout. Comme on l'a dit la semaine dernière, la question des endroits sans eau sera étudiée un autre jour.
Le projet de loi dont vous êtes saisis est conçu pour mettre en oeuvre un traité précis entre les Américains et nous.
Enfin, pour ce qui est du contrôle du bateau ou du navire, cela n'a pas d'importance s'il s'agit d'un navire de la Garde côtière américaine, de la GRC ou de la police provinciale de l'Ontario; la question est de savoir qui déterminera à quoi ils serviront. Dans les eaux canadiennes, ce sera toujours un agent canadien, peu importe si c'est la GRC, la police provinciale de l'Ontario ou la police de Windsor. Dès qu'ils entrent en territoire américain, le commandement est automatiquement transféré à la personne responsable aux États-Unis.
L'essentiel dans tout cela est d'avoir un bon GPS, car on doit savoir où on se trouve, si on veut faire respecter les lois en vertu de cet accord. Sur ces propos, mes collègues et moi serons heureux de répondre à vos questions.
La présidente : Merci. Je pense que la question des allers-retours d'un côté et de l'autre de la frontière a été un petit point sur lequel tout le monde s'est concentré. Nous sommes d'avis que la coopération qui existe entre ces gens qui travaillent ensemble indique que cela n'a jamais été un problème; on ne nous a jamais parlé d'une situation pour laquelle quelqu'un aurait dit : « Nous avons simplement dérivé dans les eaux américaines, redonnez-le-moi. » Les gens semblent avoir compris, et quand ils jettent un coup d'œil à leur GPS, ils savent très bien ce qui se passe. Est-ce la lecture que vous en faites? Pouvez-vous nous dire si le projet de loi inclut de telles situations?
M. Zigayer : Ce que j'en conclus, c'est que cela a très bien fonctionné. Il est également important de savoir où vous vous trouvez, parce que lorsque vous arriverez en cour, les questions qui peuvent se poser sont les suivantes : où devra être traité ce cas? Étiez-vous en territoire canadien? Pour intenter des poursuites, on doit savoir où le crime a été commis. Ce sera important à l'avenir. Nous devons être prudents afin de nous prémunir contre la question de la dérive, qui a été soulevée la semaine dernière par la police de Windsor ou la police provinciale de l'Ontario.
Une autre question soulevée la semaine dernière, dont nous n'avons pas parlé aujourd'hui, c'est celle de la poursuite immédiate. Nous avons discuté de la poursuite immédiate dans le contexte suivant : supposons que les gens que vous poursuivez ont réussi à gagner la rive, pouvez-vous continuer à pied? La réponse est oui. L'accord-cadre prévoit que vous pouvez prendre en chasse les contrevenants, mais il est évident qu'il faut aussi demander d'avance l'aide de la police locale. Vous ne les pourchasserez pas jusqu'à Yellowknife. Il doit y avoir de bonnes communications radio. À l'approche du rivage, vous devez être en mesure de dire au service de police local : « Nous approchons de votre territoire et nous poursuivrons ces criminels à pied; aidez-nous à les intercepter, s'il vous plaît. »
Par rapport à l'autre genre de poursuite, comme nous l'avons dit aujourd'hui, en vertu de la loi actuelle, on doit s'arrêter à la frontière lorsqu'on poursuit quelqu'un que l'on soupçonne de transporter de la marchandise de contrebande dans son bateau. En vertu de ce qui est proposé aujourd'hui, si la substance est aussi considérée comme de la contrebande de l'autre côté, on n'est pas tenu d'arrêter le bateau, mais, en un sens, la poursuite en vertu de la loi où vous étiez prend fin, et vous vous retrouvez à poursuivre en vertu de la loi de l'autre pays.
Prenez le trafic de marijuana, par exemple : dans les eaux canadiennes, les agents du projet Shiprider pourchassent les contrebandiers qui réussissent à franchir la frontière. Cependant, le trafic de stupéfiants ou de médicaments ou la possession de telles substances aux fins de trafic est aussi une infraction aux États-Unis. Dans un tel cas, la poursuite continue, mais maintenant l'agent applique la loi américaine, et non la loi canadienne.
La présidente : Merci. Je pense qu'on en a un peu parlé la semaine dernière, mais je vous remercie d'avoir clarifié ce point; nous l'examinerons plus en profondeur.
Le sénateur Dallaire : Vous avez une opération conjointe en cours, de part et d'autre de la frontière, mais vous utilisez aussi des moyens aériens, des UAV, des véhicules aériens sans pilote, ou des hélicoptères, peut-être même un avion monomoteur. Supposons que nous nous retrouvons dans les eaux américaines sur une poursuite, mais que nous avons un hélicoptère canadien et seulement un pilote canadien à bord. Cet hélicoptère peut-il continuer la poursuite?
M. Zigayer : Oui.
Le sénateur Dallaire : Sans Américain à bord de l'appareil, pourvu qu'il y en ait dans le bateau?
M. Zigayer : S'ils sont déployés dans le cadre du projet Shiprider, je crois comprendre que le jumelage s'appliquerait aussi dans les airs. Je peux me tromper, mais c'est ce que j'en comprends. Pour Shiprider, les pilotes et les observateurs ont les mêmes autorisations que les officiers désignés. Votre question en est une à laquelle je ne peux répondre. Si vous me donnez quelques instants, je vais jeter un autre coup d'œil au projet de loi.
Le sénateur Dallaire : Cela m'amène à ma deuxième question, qui porte sur les règles d'engagement. Les Américains ont une grande puissance de feu, qui est bien supérieure à la nôtre. Relativement aux règles d'engagement en cas de poursuite, ils pourraient se débarrasser de n'importe quoi sur les Grands Lacs.
Cependant, dans la formation des Shiprider, les règles d'engagement de l'utilisation de la force seront-elles les mêmes des deux côtés de la frontière? Autrement dit, en êtes-vous arrivé à un accord sur le recours à la force, sur le genre d'armes utilisées, et cetera, afin d'atteindre votre objectif, qui a été élaboré et accepté des deux côtés de la frontière, de sorte que nous ne nous retrouvons pas dans un scénario où la force utilisée pourrait devenir un obstacle à l'arrestation?
M. Zigayer : Tout à fait. C'est l'un des critères principaux de cette entente.
Le sénateur Dallaire : Cela ne figure pas dans le projet de loi.
M. Zigayer : En effet, mais quand nous disons que les opérations doivent respecter la primauté du droit, cela signifie qu'elles doivent aussi se conformer au Code criminel, qui établit certaines limites à l'usage de la force par la police ou par quelqu'un d'autre.
Je pense que vous avez parlé de la formation au début de l'après-midi, et un des aspects de cette formation est l'acquisition d'une connaissance approfondie de l'usage de la force, de ce qui est permis et de ce qui ne l'est pas.
Pour ce qui est des systèmes d'armes, encore une fois, il est entendu que les deux autorités centrales désignées discuteront de ce qui est approprié et de ce qui ne l'est pas. Jusqu'à présent, il n'y a pas eu d'armes à feu sur le pont ni des systèmes d'armes à bord. Nous parlons plutôt de petits bateaux et de policiers équipés de leur arme de service régulière, ce qui pourrait être une arme de poing, un vaporisateur de poivre, mais pas un pistolet Taser, j'espère. Il pourrait aussi s'agir de fusils de chasse ou de fusils semi-automatiques. Je ne sais quelles armes ils auront, mais c'est une chose qui relève aussi des deux autorités centrales.
Le sénateur Dallaire : Bien.
M. Zigayer : La réponse est oui
Le sénateur Dallaire : Merci.
Le sénateur Mitchell : Je pense que vous étiez ici lorsque nous avons discuté du budget. Un témoin précédent a dit que cet accord ne consiste qu'à nous autoriser à le faire, mais il comporte aussi des exigences. Savez-vous s'il y a un processus budgétaire? Connaissez-vous un chiffre? Êtes-vous au courant des ressources?
Je vais aller un peu plus en profondeur. Vous avez mentionné quelque chose au sujet du déploiement des ressources et du nombre de policiers. Avons-nous un chiffre? L'accord contient-il des exigences précises que nous aurions chiffrées, en quelque sorte?
M. Zigayer : L'accord ne comporte aucune exigence précise concernant les ressources qui seront fournies par chacun des deux pays. Il y a seulement l'idée qu'en cas de déploiement, il y aura un partenariat entre un Américain et un Canadien. Concernant les ressources, je ne peux pas vous aider.
Le sénateur Mitchell : Je sais que Mme Palumbo est chef d'équipe au Service d'entraide internationale. Donc, on pourrait penser que cela consiste à travailler quotidiennement avec les gens qui sont sur le terrain. Savez-vous combien de personnes nous envisageons envoyer sur le terrain et d'où viendra l'argent pour les payer?
Jacqueline Palumbo, avocate-conseil et chef d'équipe, Service d'entraide internationale, ministère de la Justice Canada : J'aimerais préciser le rôle du Service d'entraide internationale, parce qu'il y a tout le domaine de l'échange de renseignements entre les services de police, et le Service d'entraide internationale ne s'occupe pas de cet aspect. Notre tâche est de mettre en oeuvre les traités d'entraide juridique que le Canada a signés avec les États-Unis et de nombreux autres pays et les traités d'extradition que nous avons avec les partenaires de traités.
Ce cadre juridique ne porte ni sur la possible augmentation des demandes d'entraide juridique ou d'extradition, ni sur le budget requis. Ce dont il est question, c'est l'échange des renseignements entre les divers organismes d'application de la loi. Ce qui n'est pas une chose dont s'occupe le Service d'entraide internationale, de sorte que nous n'aurons certainement pas donné notre avis sur les questions budgétaires.
Le sénateur Mitchell : Si le budget...
La présidente : Peut-être pourrions-nous obtenir un éclaircissement. Vous faisiez allusion au droit conventionnel.
Mme Palumbo : Indépendamment de cet accord-cadre, il y a un traité d'entraide juridique en matière pénale et d'extradition entre le Canada et les États-Unis. Ce traité porte sur l'aide formelle sur le plan de la preuve, plutôt que sur l'échange informel de renseignements principalement visé par cet accord.
Le sénateur Mitchell : Pour changer de cap un peu, vous avez dit que nous allons traverser la frontière et nous mettre immédiatement à appliquer la loi des États-Unis, et vice versa. Nos agents recevront-ils une formation sur les lois américaines?
M. Zigayer : Oui. Les deux autorités centrales vont travailler ensemble pour établir le programme de formation. Essentiellement, la question a été examinée à plusieurs reprises dans le cadre des deux projets pilotes et des trois opérations de sécurité maritime qui ont eu lieu. Avant leur déploiement, les personnes concernées ont dû suivre une formation, qui est essentielle à la réussite du programme. Elle permet de les protéger et elle les aide à mieux faire leur travail. Ainsi, nous pourrons mener les poursuites de façon efficace et éviter de voir les accusations tomber en raison d'un vice de procédure.
Le sénateur Mitchell : Avez-vous une idée de ce que cela coûtera?
M. Zigayer : Encore une fois, je ne peux pas vous fournir ces chiffres.
La présidente : Est-ce pour cela que la mesure législative s'accompagne d'un projet de loi? Nous revenons toujours au budget. Il s'agit d'un accord-cadre.
Je ne pense pas que nos invités peuvent répondre aux questions sur le budget, ce n'est pas pour cela qu'ils sont ici. Je pense donc que nous pouvons passer à autre chose.
Le sénateur Lang : Je voudrais aller un peu plus loin sur la question de la souveraineté et sur la façon dont le projet de loi a été conçu. Vous en avez parlé dans votre exposé et en réponse à une question qui vous a été posée. Veiller à ce que le Canada exerce sa souveraineté lorsque c'est nécessaire est une question qui préoccupe certains Canadiens.
Vous pourriez nous éclairer, à l'aide d'une comparaison avec d'autres traités que nous avons avec les Américains, dans ce cas. Ce projet de loi est-il plus musclé? Vous avez parlé du comité civil d'examen du projet de loi. Pourriez-vous nous en dire davantage à ce sujet, et plus particulièrement pour les auditeurs?
M. Zigayer : Sénateur, ce traité est sans précédent, il n'existe nulle part ailleurs sur la planète. Il n'y a rien de tel.
Un aspect du projet de loi, qui est aussi dans l'accord-cadre, c'est que les agents désignés qui commettent une infraction pénale dans le cadre de leur travail sont assujettis non seulement à notre système de justice pénale — ou à des poursuites civiles —, mais aussi à la surveillance de la Commission des plaintes du public contre la GRC, ou CPP. Si vous souhaitez avoir de plus amples renseignements à ce sujet, ma collègue, Mme Beecher, pourra vous en parler.
Sophie Beecher, conseillère juridique, Services juridiques, Sécurité publique Canada, ministère de la Justice Canada : Le projet de loi ne fait pas qu'assujettir les agents de la GRC à la CPP; il inclut aussi tous les agents qui participent aux opérations intégrées transfrontalières maritimes d'application de la loi, y compris les officiers américains qui seront du côté canadien dans le cadre du projet Shiprider. La CPP peut soudainement utiliser tous ses pouvoirs d'enquête si une personne du public dépose une plainte concernant la conduite d'un agent américain au Canada.
Le sénateur Lang : Je veux continuer dans cette veine pour avoir des précisions. Si une poursuite est intentée contre un policier qui se trouve à avoir été désigné et qui est un policier américain dans sa vie de tous les jours de l'autre côté de la frontière, son cas peut être traité par notre système juridique; nous n'avons pas à demander son extradition. Au contraire, il doit comparaître devant nos tribunaux, et le cas sera étudié. Est-ce exact?
Mme Beecher : Oui, nos lois s'appliquent. Comme M. Zigayer l'a dit, le Code criminel s'appliquerait. Quelqu'un pourrait certainement déposer une requête devant les tribunaux. En vertu du traité, je crois que nous sommes tenus de prendre toutes les mesures nécessaires pour fournir des renseignements aux commissions d'enquête canadiennes, et ce genre de chose.
Toutefois, le système juridique s'appliquerait et la CPP aurait compétence pour les actes commis au Canada par ces officiers américains.
La présidente : Le présumé criminel peut-il remettre en question la compétence des tribunaux comme moyen de défense? Je pense que le sénateur cherchait plutôt à savoir si quelqu'un était préoccupé par le fait que les Canadiens exercent leurs activités aux États-Unis ou vice versa.
Le sénateur Lang : En fait, je veux poursuivre sur le même sujet. Il est important de le clarifier, pour le compte rendu. En 2008, un certain nombre d'arrestations ont été faites, des accusations ont été portées, un grand nombre de bateaux de contrebande de tabac ont été interceptés, et bien d'autres choses ont été faites pendant cette très courte période de deux mois. On a prouvé que ce genre d'opération donne des résultats.
Pour ce qui est des personnes arrêtées, cependant, a-t-on eu recours à l'argument selon lequel elles ont été arrêtées dans les eaux américaines et non dans les eaux canadiennes dans le but ultime d'échapper au système juridique, en fin de compte?
M. Zigayer : À ma connaissance, s'il y a eu des poursuites au Canada, les personnes ont été appréhendées dans les eaux canadiennes en possession de la marchandise de contrebande. Par conséquent, l'enquête criminelle et la poursuite auraient suivi le cours habituel, soit de passer par le système canadien.
Je vais parler uniquement des projets pilotes. Si la participation d'un agent américain à l'arrestation avait été contestée, nous aurions fait remarquer que l'agent de la Garde côtière américaine concerné avait été désigné comme un agent spécial en vertu de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada. Le projet de loi retire cet aspect de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada et crée une toute nouvelle loi. Ensuite, nous modifierons le Code criminel pour y inclure une disposition selon laquelle la personne nommée à titre d'officier désigné en vertu de cette loi — le titre sera écrit au long — est un agent de la paix. Ensuite, il y aura une autre disposition dans la loi elle-même, selon laquelle l'autorité de l'agent ne s'applique pas seulement dans tout le pays, mais qu'elle est aussi égale au pouvoir d'application de la loi d'un agent de la GRC. Ce sont des pouvoirs plus larges que ceux des gendarmes spéciaux nommés à titre surnuméraire, qui ne peuvent pas faire appliquer certaines choses.
Le sénateur Plett : J'ai bien aimé le commentaire selon lequel il s'agit d'une loi sans précédent, il n'y a rien de tel nulle part ailleurs. J'ai besoin d'applaudir les architectes de ce projet de loi et de dire combien il me fait plaisir que les deux principaux partis politiques au Canada appuient ce merveilleux projet de loi.
J'ai quelques questions précises, toutefois. Vous avez brièvement parlé de l'idée que la contrebande peut être légale d'un côté de la frontière, mais pas de l'autre. Bien sûr, il y a certaines choses; les cigares cubains sont légaux au Canada, mais pas aux États-Unis, comme il est possible que des bottes en peau de crocodile soient légales aux États-Unis et non au Canada.
Que se passerait-il si vous êtes arrêté du côté de la frontière où la marchandise de contrebande est illégale, mais que vous tentiez de la faire passer de l'autre côté de la frontière?
M. Zigayer : Si vous êtes arrêté dans le pays où la possession de l'objet est légale, vous ne pouvez pas être poursuivi pour cette possession simple. Par contre, s'il existe des preuves permettant de croire qu'il y a un complot pour importer et enfreindre les lois de l'autre pays, il y a l'avenue des enquêtes et des poursuites judiciaires. Si vous le voulez, Mme Palumbo pourrait vous donner de plus amples renseignements à ce sujet.
Mme Palumbo : Je voudrais ajouter que tout dépendra de l'endroit où est appréhendée la personne qui fait l'objet de l'enquête. Si cette personne est appréhendée du côté canadien de la voie maritime commune et que les gestes commis constituaient une infraction au Canada, mais non aux États-Unis, il est évident que la personne serait poursuivie au Canada. Les États-Unis ne pourraient pas et ne voudraient pas obtenir l'extradition de cette personne, car il n'y aurait pas d'acte criminel aux États-Unis.
La situation est plus complexe dans le cas suivant : un individu est arrêté au Canada avec de la marchandise de contrebande qui n'est pas illégale au Canada, mais qui est illégale aux États-Unis, et les États-Unis cherchent à obtenir son extradition afin d'intenter des poursuites. En vertu de notre processus d'extradition, nous ne pouvons pas extrader une personne à moins que les faits pour lesquels on demande l'extradition soient aussi illégaux au Canada. Si nous ne considérons pas ces actes comme illégaux, l'extradition n'est pas possible.
Le sénateur Plett : Je veux être parfaitement clair sur ce point : certaines personnes ont une cargaison de cigares cubains qui sont illégaux aux États-Unis. De toute évidence, ils ne prévoient pas tous les fumer eux-mêmes. Le bateau zigzague et se retrouve tantôt en eaux américaines, tantôt en eaux canadiennes. Les personnes à bord diront que tant qu'à se faire arrêter, vaut mieux que ce soit au Canada, et à la toute fin, elles dirigent le bateau au Canada. C'est terminé. Nous ne pouvons pas les poursuivre. Est-ce exact?
Mme Palumbo : Si elles décident de faire un voyage aux États-Unis, elles pourraient être arrêtées et poursuivies. Je dis qu'aux États-Unis et au Canada, il y a une exigence en matière d'extradition, qu'on appelle la « double criminalité ». Autrement dit, pour que nous acceptions une demande d'extradition, les actes pour lesquels l'extradition est demandée, s'ils avaient été commis au Canada, devraient être considérés comme des infractions criminelles. C'est une exigence fondamentale pour qu'une extradition s'applique.
Le sénateur Plett : De toute évidence, aucune loi n'est parfaite, et je suppose que c'est l'unique défaut de celle-ci.
Quelle incidence la nationalité de la personne appréhendée ou du bateau a-t-elle?
Mme Palumbo : Je ne peux pas parler de la nationalité du bateau, mais je peux parler de la nationalité de la personne. Je le répète, mon domaine, c'est l'extradition.
Si un citoyen canadien est appréhendé du côté canadien et que les Américains veulent le poursuivre pour un acte commis pendant une opération maritime transfrontalière, le fait qu'il soit Canadien ne l'empêcherait pas automatiquement d'être extradé. Cependant, cela pourrait être un facteur à prendre en compte, en particulier pour déterminer s'il doit être poursuivi au Canada ou aux États-Unis.
Il faut noter que ces situations sont évaluées au cas par cas. Il est difficile de dire, en vase clos, de quelle façon le processus s'appliquerait en général. Tout ce que je peux dire, c'est que les citoyens canadiens qui font l'objet d'une demande d'extradition de la part des États-Unis peuvent avoir recours à l'article 6 de la Charte canadienne des droits et libertés, soit le droit de demeurer au Canada, mais ce droit peut être écarté si on considère que l'extradition est la voie la plus efficace pour poursuivre ces personnes au Canada.
Tout cela pour dire que la citoyenneté canadienne n'empêche pas qu'on puisse être extradé aux États-Unis pour faire face à la justice; cela se produit tout le temps dans d'autres contextes.
Le sénateur Patterson : Dans ma courte expérience, il s'agit d'une situation unique, parce qu'il s'agit d'une mesure législative visant la mise en oeuvre d'un traité signé en mai 2009. Je veux poser une question délicate sans empiéter sur le privilège parlementaire de qui que ce soit.
Étant donné que le projet de loi met en oeuvre un traité assez détaillé et qu'il est identique des deux côtés de la frontière, peut-il être modifié? Si oui, dans quelle mesure? S'agit-il d'un cas pour lequel nous nous sommes engagés envers notre voisin d'avoir un cadre juridique parallèle?
M. Zigayer : Oui, le traité peut être modifié. L'article 19...
Le sénateur Patterson : Ma question porte sur le projet de loi.
M. Zigayer : Oui, vous pouvez modifier le projet de loi, à condition que ce soit conforme au traité.
Le sénateur Patterson : Voici ma question. Essentiellement, avons-nous une obligation, à titre de signataire du traité, de fournir un cadre juridique qui appuie le traité et, en conséquence, y a-t-il des obstacles à la modification du projet de loi?
M. Zigayer : Je pense que le Parlement est l'instance suprême. Vous pouvez faire toutes les modifications que vous jugerez appropriées. Ensuite, cela devient alors une question de savoir ce qui entrera en vigueur ou non. Pour modifier le traité, les dispositions supplémentaires — si elles sont complètement différentes de ce qui y est déjà — devront être négociées et acceptées par l'autre partie. Je ne sais pas si c'est de ce genre d'amendement que vous parlez.
Le sénateur Patterson : Je pense que ce que vous dites, c'est que tant que nous nous conformons à l'accord-cadre et au traité, il ne sera pas nécessaire de modifier le traité en conséquence.
M. Zigayer : Exact. Je vais y aller d'une question hypothétique. Supposons que vous voulez parler de la glace.
La présidente : C'est ce que j'allais faire.
M. Zigayer : Supposons que c'est l'objet de la modification que vous voulez faire. Je dirais que c'est une chose sur laquelle nous devrions avoir une plus longue discussion.
Je ne crois pas qu'il existe vraiment beaucoup d'équipement pour nous engager dans ce genre de patrouilles sur glace, au beau milieu de l'hiver. Il s'agit d'opérations fondées sur le renseignement, et je pense que plutôt que d'utiliser cet accord, il y a probablement des ressources plus efficaces que l'on pourrait déployer pour s'occuper des personnes qui traversent la frontière en motoneige.
Par ailleurs, pour aller plus loin, jusqu'à un accord élargi qui couvrirait, pour ainsi dire, toute la frontière — sur terre comme sur l'eau — voilà ce qui devrait faire l'objet de négociations ou de discussions distinctes avec les Américains.
La présidente : Vous allez l'expliquer, mais d'après ce que nous croyons comprendre, tout amendement doit cadrer avec la mesure législative proposée. Nous ne parlons pas de glace, de terre, de silos ou de quoi que ce soit d'autre. Nous parlons du programme Shiprider.
M. Zigayer : Nous y reviendrons plus tard.
Le sénateur Patterson : On semble parler de poursuite dans le traité. Ce sujet est-il couvert dans le projet de loi?
M. Zigayer : La poursuite dont on parle dans l'accord-cadre se fait essentiellement sur terre. Nous ne pensions pas qu'il y avait un besoin d'incorporer des dispositions législatives à cet égard, car les agents de la paix canadiens et américains ont tous les deux un statut d'agent de la paix qui équivaut à celui des agents de la GRC.
Supposons que c'est un agent de la Police provinciale de l'Ontario ou de la Sûreté du Québec qui est l'agent désigné nommé par le Canada. Il détiendra les mêmes pouvoirs qu'un agent de la GRC. L'Américain aussi. En tant qu'agents de police canadiens, qu'agents de la GRC qui ont le même pouvoir, j'imagine qu'ils peuvent aller où ils veulent sur terre pour poursuivre la personne qui s'est rendue sur la rive.
Le sénateur Patterson : Donc, on s'en occupe.
M. Zigayer : Oui, on s'en occupe.
La présidente : Comme nos autres témoins nous l'ont dit tout à l'heure, ils se coordonnent à un moment donné.
Le sénateur Harb : En ce qui concerne les autorités d'exécution de la loi, un agent désigné aura tous les pouvoirs et toutes les obligations d'un agent canadien. Pour être un agent canadien, il faut être citoyen canadien ou être résident en quelque sorte. Je n'ai pas lu le projet de loi, mais je suppose qu'il couvre la question quelque part.
M. Zigayer : Ce n'est pas nécessaire.
Le sénateur Harb : Pouvez-vous nommer quelqu'un qui n'est pas citoyen canadien en tant qu'agent qui, en vertu des lois canadiennes, doit être citoyen canadien?
M. Zigayer : Mis à part toutes les exigences à respecter pour être un agent de la paix canadien, nous permettons à un citoyen étranger d'être nommé agent de la paix au Canada et d'avoir les mêmes pouvoirs qu'un agent de la paix canadien.
Le sénateur Harb : Est-il réputé citoyen dans l'exercice de ses fonctions?
M. Zigayer : Il n'est pas réputé citoyen, mais il est réputé agent de police canadien.
Le sénateur Patterson : Temporairement.
M. Zigayer : Seulement lorsqu'il prend part aux opérations.
Le sénateur Harb : Certains de mes collègues se sont penchés sur les incidences financières du projet de loi. Évidemment, l'adoption du projet de loi entraîne des coûts. Je ne sais pas si ce projet de loi, lorsqu'on a commencé à en parler, était à l'étude devant la Chambre des communes ou s'il a toujours été au Sénat.
Je crois comprendre qu'en vertu de la Constitution canadienne, les projets de loi qui sont soumis au Sénat ne peuvent pas être des projets de loi de finances. Vous y avez probablement pensé. Le projet de loi est-il soumis au Sénat en parfaite conformité avec les règles, ou aurait-il dû être soumis à la Chambre des communes et ensuite au Sénat? Je suis désolé. Il se peut que ma question soit irrecevable.
La présidente : C'est seulement que nous y revenons toujours. C'est un projet de loi pour la mise en œuvre de l'accord cadre. Ce n'est pas une mesure législative qui exigerait des programmes devant apparaître dans le budget des dépenses.
Le sénateur Harb : Nous pourrions peut-être permettre au témoin de nous répondre. Je suis curieux d'entendre sa réponse.
M. Zigayer : Je crois que les fonctionnaires de Sécurité publique Canada, la semaine dernière, et ceux de la GRC, aujourd'hui, ont indiqué que le projet de loi qui est devant nous, qu'on vous demande d'examiner et d'approuver, est un cadre législatif qui permettrait le déploiement d'opérations intégrées transfrontalières maritimes d'application de la loi. Le financement et les ressources qui y sont liés sont des questions distinctes, et je n'ai certainement rien à dire à ce sujet.
Le sénateur Day : C'est une question délicate dont nous sommes en train de discuter, mais nous en discuterons une autre fois. On adopte une mesure législative qui coûtera de l'argent, et on doit acheter des bateaux et embaucher des gens. Nous en parlerons plus tard.
La présidente : C'est la prochaine étape.
Le sénateur Day : Laissons les choses telles quelles.
L'article 11 pourrait répondre à la question qu'a posée mon collègue un peu plus tôt au sujet des agents de la paix, car ils sont réputés agents de la paix uniquement au cours de l'opération conjointe. Ils sont des agents désignés une fois qu'ils ont passé tous les examens et une fois que l'autorité centrale leur dit qu'ils sont agents désignés, et qu'ils peuvent donc participer à l'une de ces missions conjointes au cours de laquelle ils sont agents de la paix. C'est prévu ainsi. Êtes- vous d'accord?
M. Zigayer : Oui.
Le sénateur Day : Dans le projet de loi que j'ai devant moi, j'ai remarqué quelque chose aux pages 9 et 17. J'ai vu qu'à un endroit, on répète la Partie VII.2. Ensuite, j'ai vu l'article 22 à la page 9. J'aurais probablement demandé à mon recherchiste d'examiner cela, mais étant donné que vous faites partie de Justice Canada, je suis certain que vous pouvez m'aider à cet égard.
Où en est le projet de loi C-38? La moitié du contenu du projet de loi que nous sommes en train d'étudier ne s'appliquerait pas si le projet de loi C-38 devait être adopté. Pouvez-vous nous aider à ce sujet?
M. Zigayer : Je vais demander à ma collègue, Mme Beecher, de répondre.
Mme Beecher : À l'heure actuelle, le projet de loi C-38 est à la Chambre des communes. Je crois qu'il a franchi l'étape de la première lecture. Je ne crois pas qu'il ait été soumis au comité; veuillez me corriger si je me trompe.
Quoi qu'il en soit, notre projet de loi a dû composer avec cette situation, car ce projet de loi pourrait être adopté avant le projet de loi C-38 ou après son adoption, ou peut-être qu'aucun des deux ne sera adopté. Nous ne le savons pas.
Il nous a fallu inclure à la fois des dispositions qui entreraient en vigueur si le projet de loi C-38 devait ne pas être adopté et des dispositions s'il devait être adopté. Vous remarquerez quelques différences entre les deux ensembles de dispositions.
La raison pour laquelle nous avons inclus des dispositions au cas où le projet de loi C-38 ne serait pas adopté, c'est que nous devons respecter le cadre actuel de la Commission des plaintes du public contre la GRC pour examiner les activités de la GRC et le projet de loi.
Si le projet de loi est adopté, comme nous devrons respecter également la décision du Parlement d'adopter ce nouvel ensemble de pouvoirs, nous avons inclus quelques modifications. L'une d'entre elles serait que si une plainte du public devait être faite, elle serait soumise directement à la Commission des plaintes du public (CPP) et ne serait pas envoyée tout d'abord à la GRC, examinée, et ensuite possiblement portée en appel devant la CPP. Elle serait soumise directement à la CPP. La raison, c'est la présence d'agents américains. En raison du caractère délicat de la situation, nous avons cru bon qu'on soumette les plaintes directement à la commission.
La deuxième différence est d'ordre technique. Le projet de loi C-38 permet de donner des renseignements confidentiels à la CPP lorsque des plaintes du public font l'objet d'enquête, et nous devrons respecter ces dispositions. Le transfert de renseignements confidentiels sera permis uniquement lorsque ces renseignements seront pertinents pour les enquêtes de la CPP.
Le sénateur Day : Madame Beecher, c'est très utile. Les honorables sénateurs tentaient de comparer les deux dispositions pour trouver les différences. Vous venez de nous les expliquer, et je vous remercie de l'avoir fait.
L'autre chose que je voulais savoir concerne ce que M. Zigayer a mentionné un peu plus tôt. Je comprends le processus de plaintes et les modifications à la Loi sur la GRC à cet égard. Il s'agit de la surveillance civile des activités. Toutefois, où mentionne-t-on dans le projet de loi que les agents désignés américains et canadiens seront assujettis au Code criminel et au droit civil, ainsi qu'au processus de plaintes? Je n'ai pas pu trouver l'endroit où on le mentionne. Si vous pouviez nous le montrer, ce serait utile.
M. Zigayer : Ce n'est pas dans le projet de loi, mais c'est dans l'accord cadre. Pour l'essentiel, toute personne qui se trouve sur le territoire canadien est assujettie à la règle de droit. Si une personne se livre à des actes criminels, elle est assujettie aux cours criminelles ordinaires, peu importe qui elle est.
Pour être plus précis, je pourrais vous renvoyer directement à l'article 11 de l'accord cadre qui porte sur la reddition des comptes.
Le sénateur Day : Je l'ai ici.
M. Zigayer : Au paragraphe 1 de l'article 11, on peut lire ce qui suit :
Lorsqu'il participe aux opérations intégrées transfrontalières maritimes d'application de la loi, l'agent désigné maritime transfrontalier d'application de la loi est assujetti aux lois internes de la partie sur le territoire de laquelle une infraction criminelle aurait été commise de même qu'à la compétence des tribunaux de cette partie, sous réserve des droits et privilèges que pourrait invoquer dans la même situation un agent d'application de la loi ou le pays d'accueil.
Le sénateur Day : Cela signifie-t-il essentiellement qu'il n'y a pas d'immunité, mais que si l'agent de la paix était un Canadien et qu'il pouvait compter sur certains éléments de défense, alors les Américains pourraient faire la même chose?
M. Zigayer : Ils sont traités exactement de la même façon.
Le sénateur Day : Pourquoi cet élément n'est-il pas inscrit également dans la mesure législative proposée?
M. Zigayer : Le Code criminel est une loi d'application générale.
Le sénateur Day : Pensiez-vous que ce n'était pas nécessaire?
M. Zigayer : Ce n'était pas nécessaire.
Le sénateur Day : Bien qu'il ait été nécessaire de l'expliquer clairement dans l'accord cadre entre les parties au niveau politique, d'un point de vue juridique, vous pensiez que ce n'était pas nécessaire?
M. Zigayer : C'est exact.
La présidente : Je veux aborder deux questions que vous avez soulignées dans votre déclaration préliminaire; l'une porte sur la coopération spéciale qui pourrait s'avérer nécessaire dans le cadre de procédures judiciaires. Parlez-vous d'une coopération transfrontalière ou également nationale? Voulez-vous dire que dans une certaine mesure, vous pourriez devoir composer avec une loi fédérale et une loi provinciale?
M. Zigayer : Il est certain que dans le contexte d'une poursuite judiciaire, il s'agirait d'une poursuite fédérale faisant intervenir le Canada et les États-Unis. Dans une telle situation, on s'attendrait à ce que des consultations aient lieu. Je trouve intéressant que vous ayez mentionné la compétence provinciale.
La présidente : Je pense plutôt à des situations d'opérations de poursuite, où quelque chose s'est passé sur l'eau, et ces règles et règlements sont très clairs. Ils téléphonent ensuite au service de police de Windsor à qui ils disent qu'une personne est en train de traverser, et il peut alors y avoir différentes questions de compétence. Je ne suis pas certaine. Nous n'avons pas abordé la question avec eux. Envisage-t-on cette possibilité?
M. Zigayer : Encore une fois, en ce qui concerne les agents de la GRC, le statut d'agent de la paix est accordé par la modification au Code criminel, et je crois que cela correspond à l'article 18 du projet de loi, et également, selon une disposition, ils ont ces pouvoirs partout au Canada. Ils auraient le pouvoir d'agir dans l'exemple de Windsor.
La présidente : Alors, vous vouliez probablement parler davantage de coopération transfrontalière.
M. Zigayer : Oui, quoique vous ayez soulevé une question intéressante. Supposons qu'il s'agit simplement d'une situation où une personne conduit un bateau en ayant les facultés affaiblies. Le Code criminel confie aux procureurs généraux provinciaux les poursuites judiciaires pour toute infraction au Code criminel. À un moment donné, oui, les agents de la paix désignés prépareraient essentiellement une cause qu'un procureur provincial prendrait en charge.
La présidente : L'autre question que vous avez soulevée, c'est qu'à votre avis, l'accord cadre accroît ou assure la souveraineté canadienne. Nous ne l'admettons peut-être pas toujours, mais ce pays a plus de poids et plus de ressources que le nôtre, et cetera. Cependant, l'accord cadre nous assure un rôle d'égal à égal à la table et sur le bateau.
M. Zigayer : Sur le bateau, peu importe le nombre de bateaux, c'est toujours nous qui tenons les rênes lorsque nous sommes dans les eaux canadiennes.
J'aimerais répondre à la question que le sénateur Dallaire a posée un peu plus tôt au sujet de l'avion. Après avoir examiné le projet de loi, je ne suis pas convaincu qu'un partenariat devrait exister à bord des avions — c'est nécessaire sur l'eau —, mais je suppose qu'un observateur pourrait se trouver à une plus haute altitude pour diriger l'interception parce qu'il voit ce qui se passe de plus haut; il peut voir plus loin que l'horizon. C'est le type d'aide que nous nous attendrions à recevoir des ressources aériennes si elles étaient déployées. Il nous faut leur donner les mêmes pouvoirs, car elles aussi traversent la frontière avec des armes à feu et participent à des opérations d'application de la loi.
Le sénateur Dallaire : Qu'on soit à bord d'un avion en train d'observer ce qui se passe à l'aide d'outils comme un infrarouge à vision frontale et un système d'imagerie, c'est une chose; qu'il y ait une mitrailleuse Gatling dans l'avion et qu'on s'en serve pour menacer la personne, c'est autre chose. Si l'avion est armé, il devrait être intégré au processus. Je ne vois pas pourquoi un de nos hommes devrait se trouver dans l'avion si c'est un avion américain qui entre dans notre zone, tant qu'il est intégré au plan de poursuite déjà établi sur l'eau.
M. Zigayer : Je ne crois pas que quiconque envisage d'envoyer des avions armés. Ce sont des observateurs, et ils pourraient avoir une arme individuelle sur eux, comme une arme de poing, mais je ne crois pas que nous parlions d'avion armé.
La présidente : La semaine dernière, on nous a donné l'exemple du Service de police de Windsor qui a parlé d'un hélicoptère de la Garde côtière donnant des renseignements à 30 000 pieds d'altitude.
Le sénateur Dallaire : La personne est descendue un peu et a montré son arme. Rappelez-vous qu'on a affaire à la Garde côtière et non à la GRC. Comme la Garde côtière a des armes, si un avion de la Garde côtière intervient, oui, il sera armé. Ce n'est pas l'utilisation des armes du système qui entre en jeu, mais plutôt celle des armes individuelles des agents.
M. Zigayer : Vous soulevez une très bonne question. En ce qui concerne le statut de la Garde côtière, dans une certaine mesure, il s'agit d'un organisme du gouvernement américain qui joue plusieurs rôles. C'est un organisme militaire — une branche des forces armées —, mais c'est aussi un organisme d'application de la loi. Nous concluons une entente avec les services d'application de la loi de la Garde côtière américaine. Elle a un statut d'organisme d'application de la loi aux États-Unis, et c'est pourquoi nous faisons affaire avec elle.
Le sénateur Dallaire : C'est ce qu'on appelle un traité, bien qu'on utilise le terme « accord cadre ». Je ne sais pas pourquoi nous parlons d'« accord cadre » plutôt que de « traité », tout simplement. Le terme « accord » est même contenu dans la définition de « loi-cadre ».
Si nous examinions un projet de loi qui porte sur une convention des Nations Unies, ne faudrait-il pas faire également une analyse des coûts? Lorsque nous avons signé l'accord, je suis certain que le Canada et les États-Unis ont examiné les coûts et ont dit « nous ne pouvons pas être d'accord avec vous, car les coûts sont trop élevés; donc, nous ne voulons pas le faire. ». Peut-être que cela a été fait. Appliquerait-on le même principe dans le cadre d'une convention?
M. Zigayer : Je crois que je peux répondre à cette question, car j'ai participé aux négociations de traités et à l'adoption des lois pour les mettre en œuvre, tant pour ce qui est de la Loi antiterroriste et, plus récemment, de traités négociés avec l'OACI, l'Organisation de l'aviation civile internationale, que nous devrons présenter à un moment donné.
La plupart du temps, ces traités créent de nouvelles infractions et juridictions extraterritoriales pour les tribunaux canadiens. Nous ne fournissons pas de financement. Ce n'est pas un phénomène unique aux conventions. C'est très souvent le cas lorsque nous modifions des dispositions législatives.
À titre d'exemple, lors de la création de la disposition législative sur les mandats autorisant le prélèvement d'échantillons corporels à des fins d'analyse génétique, à laquelle j'ai également participé, aucun financement n'a été fourni, et je suppose que la GRC a dû la financer à même son budget jusqu'à l'exercice budgétaire suivant.
Le sénateur Dallaire : Je m'en souviens. Je faisais partie du conseil consultatif et nous avons dû absorber les coûts. Vous avez tout à fait raison. Nous n'avons pas obtenu l'argent lors du budget suivant.
La présidente : Merci. Vous avez précisé bien des éléments qui nous échappaient. Merci, maître Zigayer, maître Palumbo et madame Beecher.
Chers collègues, nous continuons notre étude du projet de loi S-13; nous examinons les opérations intégrées transfrontalières d'application de la loi et les projets pilotes Shiprider. L'un de ces projets pilotes a été mis à exécution en 2008 sur une étendue de 100 km dans le secteur Cornwall-Massena du fleuve Saint-Laurent. Les Mohawks d'Akwesasne — ce qui signifie « la terre où règne la perdrix » — sont au nombre des gens qui habitent dans ce secteur.
Nous accueillons maintenant trois témoins qui représentent le gouvernement mohawk : Brian David, grand chef intérimaire, chef William Sunday et chef Wesley Benedict. Je vous souhaite la bienvenue et je vous demande de bien vouloir présenter votre déclaration préliminaire.
Brian David, grand chef intérimaire, Gouvernement mohawk, Conseil mohawk d'Akwesasne : Ma déclaration préliminaire sera très brève. Tout d'abord, bonjour à tous. Je suis ravi d'être ici. Je veux vous dire certaines choses et j'ai un message à vous transmettre de la part d'Akwesasne au sujet du projet de loi S-13.
Je crois que toute initiative dont l'objectif principal est l'harmonisation efficace de l'environnement, du cadre légal, du contenu des lois et du milieu opérationnel d'Akwesasne serait certainement bien accueillie dans le cadre de ce que nous tentons d'accomplir par notre initiative d'édification nationale avec le Canada.
Nous avons entendu que c'est beaucoup en raison de la guerre de 1812 si le territoire fait partie du Québec, de l'Ontario, du Canada et des États-Unis. Cependant, nous en sommes à un point où nous commençons à discuter de plus grandes questions — de choses qui fonctionnent et d'autres qui ne fonctionnent pas.
Le monde a beaucoup changé depuis 1812, et le message que nous passons est le suivant : il s'agit d'un traité entre le Canada et les États-Unis, mais il ne concerne pas que deux nations. Le traité aura des répercussions sur une troisième nation. Il aura des répercussions sur les Premières nations, les collectivités des Premières nations au Canada. Je ne veux pas qu'on l'oublie.
Le terrorisme nous frappe tous, mais nous voulons tous la même chose. Au bout du compte, nous avons le même objectif — assurer la sécurité de la collectivité. Nous voulons vivre dans un milieu sain, sécuritaire et harmonieux, et c'est le type de milieu que nous aimerions laisser à nos enfants et à nos petits-enfants.
Je crois que je vais m'arrêter ici, et que nous partirons de là.
La présidente : Merci. Êtes-vous en train de dire que vous ne reconnaissez pas le traité entre le Canada et les États- Unis? Devrait-on le signer?
M. David : En principe, je ne crois pas que nous soyons contre le traité. Il y a environ deux ans, on a entrepris un projet pilote, qui a eu beaucoup de succès. On ne nous a pas donné beaucoup de renseignements à l'avance sur le projet. Nous en avons entendu parler par la suite. À cet égard, il aurait été préférable qu'on nous renseigne davantage sur le projet.
Pour les gens d'Akwesasne, la dernière fois qu'il a été question d'un traité, c'était le traité entre le Canada et les États-Unis sur la Voie maritime du Saint-Laurent. Il en a résulté un énorme désastre environnemental au cours des années 1950 duquel nous venons à peine de nous remettre. Nous parlons maintenant d'un projet similaire. C'est un traité international, mais il concerne la sécurité publique et le terrorisme.
La présidente : Oui, il touche toutes les activités illégales, y compris le terrorisme.
M. David : Toutes les activités illégales. Nous avons des préoccupations. Comment la police distinguera-t-elle les bons des méchants à Akwesasne? De quelle façon les activités prévues nuiront-elles aux activités traditionnelles que nous menons sur le réseau hydrographique, comme la pêche ou le trappage et à notre utilisation du réseau hydrographique? Comment le traité s'inscrit-il dans certains de nos droits qui ont déjà été déterminés par la Cour suprême du Canada et ceux qui le seront peut-être bientôt? Comment le traité cadre-t-il avec la voie dans laquelle s'engage notre collectivité par son initiative d'édification de la nation — les négociations sur l'autonomie gouvernementale avec le Canada?
C'est difficile à dire. Je peux voir en quoi le traité pourrait être profitable, mais s'il n'est pas bien géré, il pourrait aussi nuire à bon nombre d'initiatives en cours.
La présidente : Je veux vous donner la chance de répondre. Certains d'entre vous savent que la question a été posée à la GRC. Elle résulte de l'évaluation que la GRC a faite du programme mené dans votre secteur. D'après le rapport d'évaluation de la GRC, le projet Shiprider n'est pas parti du bon pied à Akwesasne, et Akwesasne forme un trou dans la frontière internationale par lequel des biens et des personnes transitent, légalement et illégalement, pratiquement à tout moment. Croyez-vous que c'est le cas?
M. David : Je crois qu'il ne fait aucun doute que des biens traversent le fleuve. Je crois également qu'il y en a qui sont dangereux. Nous avons donc les mêmes préoccupations que la GRC.
La présidente : C'est bien. Vous avez préparé le terrain pour les discussions. Nous allons commencer par entendre le sénateur Dallaire.
Le sénateur Dallaire : Le Canada et les États-Unis se sont entendus sur l'accord cadre ou le traité, qu'ils ont signé en mai 2009. Des Autochtones ont-ils participé aux phases menant à la signature de l'accord pendant que les deux pays y travaillaient?
M. David : En 2009, je ne faisais pas partie du conseil. J'étais toujours pêcheur.
Le sénateur Dallaire : C'est une très bonne réponse. J'aimerais pouvoir en dire autant.
Chef Wesley Benedict, Gouvernement mohawk, Conseil Mohawk d'Akwesasne : Je siégeais au conseil cette année-là. À notre connaissance, aucun membre de notre collectivité n'a participé aux négociations. On nous en a parlé moins de deux semaines avant la mise en œuvre du programme. Une présentation a été faite au bureau de la GRC situé à Cornwall. On y a invité des membres de notre conseil, des membres du Conseil tribal mohawk de Saint-Régis et un représentant du Conseil des chefs de la Nation mohawk, je crois. M. Oliver, qui a comparu tout à l'heure, était présent. Il y avait également un représentant haut placé de Washington, qui nous a dit qu'il avait l'attention du président.
Ils ont fait une présentation aux membres du conseil et leur ont dit que des négociations avaient eu lieu entre Ottawa et Washington pour la mise en œuvre du projet pilote. Toutefois, comme je l'ai déjà dit, la collectivité d'Akwesasne a été informée moins de deux semaines avant la mise en œuvre du projet pilote.
Le sénateur Dallaire : Je tente de situer les choses dans le temps. Le projet pilote date de 2007 et ils font cela. On ne vous a pas très bien informé au sujet de la mise en œuvre du projet. Un rapport final sur le projet a été établi. Les représentants du Canada et des États-Unis se sont rencontrés, ont discuté et se sont entendus sur les aspects techniques de l'accord. Après la période d'essai et ce qui en a résulté, il y a eu l'étape de la rédaction de l'accord entre les deux pays. Avez-vous participé à la phase de rédaction de l'accord?
M. Benedict : Avant la rédaction du rapport final, on nous a fait parvenir les documents et on nous a demandé notre opinion sur le déroulement du projet. Nous avons donné notre opinion à cet égard, mais c'est tout.
Le sénateur Dallaire : Encore une fois, vous n'avez pas officiellement signé d'accord cadre ou participé à la signature de l'accord cadre lorsque les États-Unis et le Canada l'ont fait, bien que votre territoire national faisait partie du territoire qui est en cause dans le cadre de l'accord, n'est-ce pas?
M. Benedict : Je dirais que c'est exact. Nous n'avons pas eu notre mot à dire, mis à part le fait que nous avons donné notre opinion publiquement durant la période de commentaires.
Le sénateur Dallaire : J'ai une dernière question. Vos forces policières ont participé. Ont-elles collaboré avec la GRC et la police provinciale pour la conclusion d'un accord quelconque? Les forces établissent des protocoles d'entente, des PE. Savez-vous si elles l'ont fait?
M. Benedict : Comme on l'a indiqué tout à l'heure, nos forces de l'ordre font partie de l'équipe intégrée de la police des frontières, l'EIPF, et il y a une autre unité qui fait partie d'une autre équipe.
La présidente : Je crois que vous faites partie du programme de l'EIPF.
M. Benedict : Oui.
Le sénateur Dallaire : Elles ont fait partie de l'opération à mesure qu'elle évoluait. Vous n'avez pas participé politiquement, mais vous avez joué un rôle pour ce qui est des services policiers, n'est-ce pas?
M. Benedict : Oui.
Le sénateur Plett : Je vais revenir à la question que la présidente a posée au tout début. Tout d'abord, chef David, j'approuve certainement ce que vous avez dit dans votre déclaration préliminaire, le fait que nous avons un objectif commun. Nous voulons tous être en sécurité et nous sentir en sécurité lorsque nous revenons à la maison le soir. Je vous remercie et je suis d'accord avec vous à cet égard.
L'évaluation de l'impact qu'a menée la GRC n'est pas totalement flatteuse. On y affirme que des biens et des personnes transitent pratiquement à tout moment.
Les criminels exploitent cette faille pour se livrer aux lucratifs trafics de cigarettes, de drogue, d'armes, ainsi qu'au passage de clandestins et autres marchandises de contrebande. Les bateaux utilisés sont spécialement conçus et équipés pour naviguer rapidement et de nuit. Alors que l'équipe d'évaluation sillonnait la région, plusieurs de ces bateaux étaient visibles au grand jour dans la communauté. Comme on le mentionnait plus haut, une récente évaluation de la menace chiffrait à plus d'une quarantaine les organisations criminelles actives dans la région et ses environs.
Chef, vous avez dit que des biens transitent. Vous vous demandiez s'ils étaient dangereux. À mon avis, peu importe qu'ils soient dangereux ou non, s'ils sont illégaux, ils sont illégaux. Nous avons des armes ici. Selon le rapport d'évaluation, « à plusieurs occasions, ils [les Mohawks] ont pris à partie des Patrouilleurs sous prétexte que leurs bateaux n'avaient pas le droit de se trouver dans leurs eaux ».
Chef, à votre avis, qui devrait faire appliquer le droit maritime? La GRC n'est-elle pas notre organisme d'application de la loi le plus important? Des représentants de la GRC ont comparu un peu plus tôt aujourd'hui, quoique je ne sais pas si vous étiez dans la salle à ce moment-là. Ils ont dit qu'ils étaient prêts à collaborer avec la Police provinciale de l'Ontario, le Service de police de Windsor et le Service de police du territoire mohawk d'Akwesasne. Toutefois, où devrait se trouver le centre de commandement?
Ne convenez-vous pas qu'il nous faut un organisme principal, qui gérerait le tout et qui travaillerait avec les autres forces policières?
M. David : D'après la façon dont les choses évoluent, il semble presque qu'il y aura deux centres de commandement. L'un d'eux mènera des activités, surtout à l'échelle fédérale, qui sont liées au traité entre le Canada et les États-Unis, entre la Garde côtière et la GRC.
L'initiative à laquelle nous travaillons à Akwesasne consiste à faire quelque chose de similaire. Il s'agit de collaborer avec nos forces policières et le service de police de la réserve et de travailler à la mise en œuvre d'un accord qui nous permettrait de mener des opérations conjointes sur notre territoire. Je crois que nous évaluerons le besoin de coordonner les opérations entre Shiprider et l'initiative que nous sommes en train de négocier.
Ce que nous voulons dire en partie, c'est qu'on peut envisager d'autres initiatives et axer nos efforts en ce sens.
À ce moment-ci, nous n'allons pas débattre des compétences; nous ne débattrons pas la question de savoir qui possède quoi. Ce débat se tiendra dans un tout autre lieu. Nous ne parlerons pas de droits ici. Nous parlons de créer des programmes efficaces qui répondent aux besoins à la fois d'Akwesasne, du Canada et des États-Unis. Si le programme se déroule sur le territoire d'Akwesasne, il faut qu'on prenne Akwesasne en compte. C'est l'idée que nous mettons de l'avant.
Le sénateur Plett : Merci. Permettez-moi d'ajouter qu'il ne s'agit pas d'un accord entre la GRC et les États-Unis, mais bien entre les gouvernements américain et canadien. Ils concluent un accord sur la façon de mettre en œuvre le programme Shiprider. La responsabilité appartiendra à l'organisme auquel le gouvernement canadien l'aura donnée, c'est-à-dire la GRC. C'est ce que je pense étant donné que ses représentants ont dit qu'ils étaient très ouverts à collaborer avec d'autres organismes, qu'il s'agisse de vos forces policières, de la Police provinciale de l'Ontario ou du Service de police de Windsor. Considérez-vous que vous pourriez travailler dans ce contexte?
À ce sujet, voici ma dernière question : depuis l'évaluation de l'impact du projet Shiprider, la situation s'est-elle améliorée en ce qui a trait à la contrebande de drogues, d'armes à feu et d'autres marchandises à la frontière? Que fait votre organisation policière pour enrayer cela? Si c'est principalement là où se situe le problème et que nous n'arrivons pas à le régler, une autre organisation doit-elle venir nous donner un coup de main?
M. David : En réponse à la première question, je suppose que c'est le message que nous vous apportons. La réponse est oui.
Pour la deuxième question, qui porte sur ce à quoi a participé notre corps policier, je vais demander au chef Benedict de répondre.
M. Benedict : Comme on l'a mentionné tout à l'heure, nous faisons partie de l'EIPF et d'autres organisations. Nous sommes une petite agence de 24 hommes qui doivent surveiller une vaste région comportant bien des cours d'eau et des îles. Comme dans tout service de police municipal, les gens veulent prendre des vacances et d'autres congés; nous sommes donc malheureusement limités. En ce qui concerne la rivière, nous ne disposons pas d'une unité active de patrouille maritime, même si nous avons un bateau et le matériel nécessaire. Toutefois, l'important, ce sont les membres de notre effectif. Ils participent activement aux enquêtes et ils ont effectué d'importantes saisies de drogues illicites. Ils le font souvent de concert avec l'organisation externe.
Le sénateur Plett : Monsieur Benedict, vous laissez entendre et vous convenez que vous avez besoin d'aide.
M. David : Bien sûr que oui.
Le sénateur Lang : Je vous remercie de votre présence. Monsieur David, vous avez souligné que le monde évolue et que, selon votre point de vue et celui de toutes les personnes ici, le nœud du problème est la sécurité publique et la présence du terrorisme dans nos vies. Ce dont nous ne parlions pas il y a à peine 10 ans fait maintenant partie, semble- t-il, de nos discussions hebdomadaires.
Ce projet de loi est un traité entre le Canada et les États-Unis. C'est une mesure législative habilitante qui expose de façon claire et précise la responsabilité de chaque pays et énonce clairement dans la loi quel pouvoir détient l'agent de la paix, qu'il soit des États-Unis ou du Canada, et comment il doit appliquer cette loi pour s'assurer que les droits des Canadiens sont protégés.
En fait, ce que j'entends aujourd'hui, c'est que vous appuyez en général le projet de loi, mais que vous voulez intervenir d'une manière ou d'une autre sur les voies navigables situées entre les diverses terres dont vous avez la responsabilité. Est-ce bien cela?
M. David : Oui.
Le sénateur Lang : Très bien. Je suis heureux de l'entendre.
Le sénateur Patterson : J'ai été ravi d'entendre M. David et ses collègues dire que ce n'est pas une question de compétence ni de droits. Bien que je respecte ces questions, je crois qu'il faut parfois envisager des objectifs communs. Selon moi, c'est une bonne mesure à prendre dans ce domaine.
J'ai examiné l'évaluation du projet pilote. Il semble que dans votre collectivité, il ait été question de la façon dont s'est déroulée l'opération. Je comprends pourquoi; on ne vous a averti que très peu de temps à l'avance. Malheureusement, les gouvernements ne sont pas toujours doués pour les consultations. Dans ma région du Nunavut, même si nous aimons notre gouvernement fédéral, nous avons les mêmes problèmes en ce qui le concerne.
À la suite de l'évaluation, on a recommandé de mieux consulter et de faire participer davantage les collectivités ainsi que de faire jouer un rôle actif aux Services nationaux de police autochtones et aux Services de police autochtones de la Division O de la GRC. Vous avez dit souhaiter que les forces policières du programme Shiprider et la police autochtone travaillent en étroite collaboration. Dois-je comprendre que vous seriez ouverts à l'idée de faire participer davantage vos services policiers au projet Shiprider et d'en discuter?
M. David : Je crois qu'il est possible d'en discuter. Vous devez tenir compte du fait qu'à Akwesasne, sur le territoire dont nous parlons, il y a environ 170 kilomètres de voie navigable, environ 432 îles et des gens qui connaissent suffisamment la voie navigable pour y circuler durant la nuit, d'un côté comme de l'autre. On doit mettre d'importantes ressources à la disposition des organismes d'application de la loi, s'il y a une mission commune, comme je le crois.
Le sénateur Patterson : Cela fait plaisir à entendre. Nous utilisons les services des Rangers canadiens dans le Nord, d'où je viens. Les militaires trouvent très utile la connaissance locale du territoire — dans votre cas, des cours d'eau — pour l'atteinte des objectifs communs. Il me semble que nous devrions profiter de cette offre et de cette connaissance pour améliorer notre coopération au moment où nous nous apprêtons à mettre en œuvre cette mesure législative. Merci.
Le sénateur Harb : Je vous remercie de votre exposé. Je crois que vous avez un exemplaire du rapport de la GRC. Tout au long du rapport, il est question des territoires mohawks. La GRC semble comprendre et reconnaître l'importance de faire participer la communauté à la stratégie de lutte contre le passage illégal de marchandises d'une rive à l'autre.
Comme l'a indiqué le sénateur Patterson, c'est très encourageant de vous entendre dire presque la même chose que la GRC, soit qu'il est dans le meilleur intérêt de tous que vous travailliez ensemble. J'ai bon espoir que vous saisirez cette occasion de collaborer avec la GRC à l'élaboration de cette stratégie qui vise à résoudre les questions d'intérêt commun — le vôtre comme celui de l'ensemble des Canadiens.
Le sénateur Dallaire : Votre territoire chevauche la frontière; vous avez 110 kilomètres de frontière et un tas d'îles, entre autres, en plus de capacités intrinsèques en matière d'observation et de signalement. J'ignore de quel équipement vous disposez et ce dont vous auriez besoin.
Dans le cadre de la planification de la mise en œuvre de l'accord, vous attendez-vous à ce que le gouvernement canadien, par l'entremise de la GRC, vous demande de former des membres de votre personnel, vous fournisse de l'équipement afin que vous puissiez exercer la même surveillance qu'ailleurs le long de la frontière? Avez-vous les fonds nécessaires pour embaucher les personnes pour effectuer ce travail ou vous attendez-vous à ce que la GRC paye pour cela?
M. David : J'ai aimé le début de votre intervention; j'ai presque eu l'impression qu'il s'agissait d'une offre.
Le sénateur Dallaire : Je suis sénateur; je n'ai pas ce pouvoir.
Le sénateur Day : Nous ne pouvons rien dépenser.
M. David : Je comprends tout à fait. Non, il n'y a pas d'attentes à ce stade-ci. Nous évaluons nos propres ressources locales.
Les pêcheurs bénévoles à la ligne sont l'une de nos ressources inexploitées; ce sont nos pêcheurs et nos agriculteurs, qui observent continuellement ce qui se passe sur la voie navigable. Ils savent qui ne devrait pas se trouver là.
Nous avons souvent des signalements. Les gens viennent nous dire : « Il y a des choses qui se passent là-bas, et nous ne voulons pas le signaler aux state troopers ni à la GRC. Je suis venu vous en parler. Pouvez-vous vous assurer que quelque chose est fait concernant cette personne? »
Il y a des Indiens illégaux qui traversent la frontière sur les glaces et qui s'installent dans des maisons sur l'île. On a porté ce problème à mon attention. Ce sont des renseignements stratégiques. Autrement, la police n'y aurait pas accès. C'est ce type de ressources disponibles, de surveillance collective, qui rendrait ce programme très efficace s'il était soutenu à la base par la collectivité.
C'est la raison pour laquelle je dis qu'il nous faut une approche mieux coordonnée. Nous pourrions même parler de partenariat lorsqu'il est question de la conception du programme lui-même.
Le sénateur Dallaire : En fait, avec la mise en œuvre de l'accord, vous vous attendez à participer pleinement à la surveillance de votre territoire en collaboration avec eux. Vous le ferez peut-être différemment dans votre secteur, grâce à la communauté, mais vous prévoyez prendre part à cet exercice et assurément y être invités, n'est-ce pas?
M. David : Oui.
La présidente : Monsieur Benedict, vouliez-vous prendre la parole?
M. Benedict : Oui, je tiens à faire une précision. Vous avez dit que notre territoire chevauche la frontière entre les États-Unis et le Canada; en fait, c'est l'inverse : notre territoire était là d'abord, puis on a délimité la frontière.
Le sénateur Dallaire : C'est juste.
Le sénateur Day : Vous avez raison de le signaler, car il est important pour nous de le comprendre et de nous en souvenir.
Qui procède à la nomination de vos agents d'application de la loi sur votre territoire?
M. Benedict : Nous avons mis en place un processus d'embauche de nouvelles recrues pour le service de police. Les gens viennent présenter leur candidature et ils suivent les étapes du processus habituel, comme dans tout autre corps de police municipal. Il y a une vérification des antécédents et tout un processus d'embauche.
S'ils sont acceptés, ils sont envoyés au Collège de police de l'Ontario, à Aylmer. Ils reçoivent la même formation que les membres de la PPO et de tout autre service de police municipal.
En plus, ils doivent se rendre au Québec pour assister à un court séminaire de formation et se qualifier là-bas également. Ils sont qualifiés en Ontario et au Québec.
Le sénateur Harb : Parlez-vous d'Aylmer au Québec ou en Ontario?
M. Benedict : Près de London, en Ontario. Ils doivent ensuite se rendre à Nicolet, au Québec, pour une période équivalente.
Le sénateur Day : Considérez-vous que les agents d'application de la loi de votre territoire sont des agents de police nommés ou embauchés en vertu de la loi provinciale de l'Ontario ou de celle du Québec?
M. Benedict : Les deux.
Le sénateur Day : C'est utile, car je craignais qu'ils soient mis de côté ici. L'article 7 permet, alors, à vos agents de la paix d'être nommés agents désignés en vertu de ce projet de loi, pourvu qu'ils correspondent à cette définition.
M. Benedict : Ils satisfont aux mêmes critères que les autres policiers municipaux de l'Ontario ou du Québec et ils suivent la même formation que les membres de la Police provinciale de l'Ontario.
La présidente : Messieurs, nous vous sommes reconnaissants d'être venus aujourd'hui nous faire part de votre point de vue. Je tiens à remercier le chef intérimaire David, le chef Sunday et le chef Benedict.
Voilà qui met fin à nos audiences d'aujourd'hui sur le projet de loi S-13 et le programme Shiprider. Je suis certaine que nous allons revenir sur cette question. Je vous remercie de votre présence.
(La séance est levée.)