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Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Énergie, de l'environnement et des ressources naturelles

Fascicule 3 - Témoignages du 20 avril  2010


OTTAWA, le mardi 20 avril 2010

Le Comité permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles se réunit aujourd'hui à 17 h 35 pour étudier l'état actuel et futur du secteur de l'énergie du Canada (y compris les énergies de remplacement.

Le sénateur W. David Angus (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Bonsoir et bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles. Je m'appelle David Angus. Je représente la province de Québec au Sénat et je suis président du comité.

[Traduction]

Sont présents ici ce soir le sénateur Grant Mitchell, de l'Alberta, vice-président du comité; Sam Banks et Marc Leblanc, de la Bibliothèque du Parlement; le sénateur Richard Neufeld, de la Colombie-Britannique; le sénateur Tommy Banks, de l'Alberta; le sénateur Paul Massicotte, du Québec; le sénateur Elaine McCoy, de l'Alberta; Mme Lynn Gordon, greffière du comité; le sénateur Judith Seidman, du Québec, le sénateur Linda Frum, de l'Ontario; le sénateur Dan Lang, du Territoire du Yukon; le sénateur Robert Peterson, de la Saskatchewan; et le sénateur Bert Brown, de l'Alberta.

[Français]

J'aimerais souhaiter la bienvenue à M. Pierre-Olivier Pineau, professeur agrégé aux HEC, l'École des hautes études commerciales, associée à l'Université de Montréal.

[Traduction]

Fondée en 1907 par la Chambre de commerce de Montréal, l'École des HEC de Montréal est devenue l'un des établissements les plus réputés en matière de formation et de recherche en gestion au Canada.

M. Pineau s'intéresse particulièrement aux politiques sur l'électricité et l'énergie. Il est tout à fait de circonstance qu'il ait accepté de venir nous faire part de ses réflexions dans le cadre de notre étude sur l'énergie. Ses travaux portent plus spécifiquement sur les modèles d'investissement, la réforme des institutions et l'intégration des marchés.

[Français]

Ses principaux intérêts de recherche portent sur les politiques publiques dans les secteurs de l'électricité et de l'énergie. Professeur, je vous souhaite encore une fois la bienvenue.

[Traduction]

Nous vous savons gré de vous être présenté devant nous ce soir. Je crois que vous avez eu l'occasion de discuter avec notre recherchiste, Marc Leblanc, avant la présente réunion. Vous nous avez fourni un document PowerPoint que vous allez nous expliquer, si j'ai bien compris. Tous les honorables sénateurs doivent avoir reçu un exemplaire de ce document fourni dans les deux langues officielles.

Pierre-Olivier Pineau, professeur agrégé, Service de l'enseignement des méthodes quantitatives de gestion, HEC Montréal : Merci, je suis honoré d'être ici. Je suis un spécialiste des politiques en matière d'énergie, et je m'intéresse plus particulièrement à la réforme du secteur de l'électricité. Toutefois, ce soir, je vous parlerai de façon plus générale des problèmes liés à l'énergie et de la demande d'énergie.

HEC Montréal est une école de commerce établie à Montréal. Fondée en 1907, l'École des HEC est le plus vieil établissement du genre. Nous dispensons des cours en anglais, en français et en espagnol à quelque 12 000 étudiants. Pour ma part, je donne mes cours en anglais, mais bien sûr, ma langue maternelle est le français. Ma carrière a débuté à l'Université de Victoria, où j'ai enseigné pendant cinq ans. J'ai eu le plaisir d'occuper ce poste tandis que le sénateur Neufeld était ministre de l'Énergie, des Mines et des Ressources pétrolières de la Colombie-Britannique. Il m'est arrivé de me prononcer sur les réformes du secteur de l'électricité et sur les politiques énergétiques en Colombie-Britannique. Je suis revenu à Montréal, où j'habite actuellement, mais je garde un excellent souvenir des cinq années que j'ai passées en Colombie-Britannique.

Le président : Tous les sénateurs ont eu le privilège d'écouter un important discours sur la dualité linguistique canadienne — la présence de l'anglais et du français. Le discours a été livré dans les deux langues officielles, et mettait en évidence la richesse de notre merveilleux pays. Comme vous l'avez mentionné, vous avez eu l'occasion de vivre dans deux grandes régions, à savoir en Colombie-Britannique, dans l'ouest du Canada, et surtout, au Québec. Vous êtes bien placé pour nous aider à comprendre de quelle façon nous pouvons nous y prendre pour élaborer un cadre stratégique pour une politique canadienne en matière d'énergie. Je vous remercie de nouveau d'être ici.

M. Pineau : Durant mon exposé, je mettrai l'accent sur la demande d'énergie, au détriment de la question de l'offre d'énergie. J'imagine que vous avez beaucoup entendu parler de la question de l'offre d'énergie. Je ne crois pas que l'offre d'énergie pose problème; selon moi, c'est plutôt la demande d'énergie qui est problématique.

Mon exposé portera essentiellement sur les mesures que nous pouvons prendre pour utiliser moins d'énergie, et ainsi enrichir le Canada. La croissance de notre société repose principalement sur la productivité de ses membres. Nous devons être plus productifs; à cette fin, nous devons, entre autres, nous livrer aux mêmes activités que celles que nous menons actuellement, mais en utilisant moins d'intrants. Nous n'utilisons pas judicieusement nos intrants énergétiques.

Mon exposé portera sur trois points. Premièrement, l'électricité n'est pas suffisamment commercialisée au Canada. Deuxièmement, je parlerai du secteur du transport, plus précisément du fait que le transport coûte trop cher aux Canadiens. Il y a des moyens de faire en sorte que le transport coûte moins cher, et c'est là dessus que notre politique énergétique devrait être axée. Troisièmement, les immeubles : nos immeubles sont perdants, dans tous les sens du terme. Nos immeubles perdent trop d'énergie, et tout le monde y perd au change.

Le document que je vous ai fourni contient deux diapos qui offrent un aperçu général de la façon dont les Canadiens utilisent l'énergie. Ces diapos donnent une idée des diverses manières dont l'énergie est utilisée au Canada. À cet égard, vous pouvez constater que les Canadiens utilisent l'énergie principalement aux fins de transport. Le secteur des transports est la principale source de consommation d'énergie. Toute discussion sur les politiques énergétiques doit aborder la question des politiques en matière de transport. Si nous produisons et raffinons du pétrole, c'est d'abord et avant tout pour faire fonctionner nos voitures. Énergie rime avec transport. Il est important de ne pas perdre cela de vue.

Presque tous nos moyens de transport fonctionnent à l'aide de produits pétroliers raffinés. Il est crucial de garder cela présent à l'esprit si nous voulons comprendre pourquoi nous sommes aux prises avec des prix élevés pour le pétrole. Les émissions de gaz à effet de serre représentent un problème, et les transports sont la principale source de ces émissions.

Je passerai rapidement sur le secteur de l'industrie, même s'il s'agit d'un secteur de première importance. L'industrie consomme de l'énergie pour faire des profits, et il s'agit du premier secteur à être devenu écoénergétique. Les coûts en énergie occupent une place si importante dans la structure de coûts globale des entreprises que celles-ci ont été les premières à investir dans le domaine de l'efficience énergétique. On ne peut en dire autant du secteur du transport, ou encore du secteur résidentiel, où l'énergie est utilisée pour le chauffage des maisons. Même dans le secteur commercial et le secteur institutionnel, les problèmes au chapitre de l'efficience énergétique sont énormes. Les immeubles utilisent de l'énergie. C'est la raison pour laquelle j'affirme que les immeubles posent problème.

Je vais tout d'abord vous parler de l'électricité, car l'électricité est un élément essentiel de notre société. Au Canada, nous utilisons environ la moitié de l'énergie que nous produisons. Cela signifie que nous produisons deux fois plus d'énergie que nous en utilisons. Je vais vous donner un chiffre : 8 millions de térajoules. Il s'agit de l'équivalent de 3,5 millions de barils de pétrole par jour. Notre consommation d'énergie correspond à la production de pétrole en Alberta, en Saskatchewan et dans d'autres provinces. La production canadienne de pétrole suffirait à elle seule à combler nos besoins en matière d'énergie. Bien sûr, nous produisons également du gaz naturel, de l'hydroélectricité, de l'électricité nucléaire et du charbon. Nous produisons bien d'autres types d'énergie au Canada. Nous produisons deux fois plus d'énergie que nous n'en avons besoin.

Nous exportons une partie de cette énergie, nous en consommons une autre partie, puis nous en utilisons aux fins de production d'électricité. Sur la diapo suivante, vous pouvez voir un graphique concernant l'électricité que nous produisons : une proportion de 75 p. 100 de cette électricité est produite à partir de sources non émettrices, par exemple les centrales hydroélectriques et nucléaires, et une proportion de 25 p. 100 de l'électricité est produite à partir de charbon et de gaz naturel. À peine 25 p. 100 de l'électricité canadienne est produite à partir de combustibles fossiles. Comme nous le verrons, cela est un problème, car cette production est coûteuse, et émet en outre beaucoup de gaz à effet de serre. Nous pourrions avoir avantage à réduire ces émissions.

Comme nous pouvons le voir à la diapo suivante, les quatre provinces les plus peuplées utilisent l'énergie de façon différente. Les chiffres indiquent la consommation d'énergie par habitant, par secteur. Dans l'ensemble du Canada, l'utilisation d'énergie du secteur industriel équivaut à 75 gigajoules par habitant. Ne tenez pas compte des chiffres. Ce qui est important, dans ce graphique, c'est la taille de chacune de ces bandes. C'est en Ontario, représentée par la bande grise, que la consommation industrielle d'énergie par habitant est la plus basse. Cela est attribuable au fait que l'économie ontarienne repose en grande partie sur le secteur des services, lequel n'utilise pas d'énormes quantités d'énergie. En Alberta, l'exploitation des ressources naturelles représente une part colossale des activités industrielles, et, par conséquent, l'industrie albertaine a des besoins élevés en énergie. L'Ontario utilise beaucoup moins d'énergie par habitant dans le secteur industriel.

La population est prise en compte puisque la consommation d'énergie est calculée per capita, c'est-à-dire par personne. Pour en arriver aux résultats figurant dans ce graphique, on a divisé la quantité d'énergie utilisée dans une province par le nombre d'habitants de cette province. Les bandes du graphique révèlent quelles sont les provinces qui utilisent le plus ou le moins d'énergie.

Dans le secteur des transports, par exemple, chaque Québécois utilise annuellement 60 gigajoules pour se déplacer, alors que chaque Albertain utilise à cette fin 117 gigajoules par année, à savoir près du double. Dans le secteur résidentiel, certaines provinces utilisent davantage d'énergie par habitant que d'autres; cette disparité est attribuable non pas à la structure industrielle de chaque province, mais à la manière dont les habitants utilisent l'énergie pour se déplacer et pour chauffer leur résidence. Les différences importantes que nous pouvons observer mettent en évidence la diversité canadienne au chapitre de l'utilisation de l'énergie.

Ce que je veux faire valoir, c'est que certaines provinces qui utilisent mieux leur énergie auraient des choses à apprendre aux autres, et qu'il est possible de comprendre pourquoi certaines provinces utilisent plus d'énergie que d'autres. Une province peut avoir de bonnes raisons d'utiliser plus d'énergie par habitant que d'autres provinces, mais elle pourrait avoir avantage à s'inspirer de ces provinces qui utilisent moins d'énergie qu'elle par habitant. Une province peut offrir à ses habitants le même type de services d'habitation ou de transport en utilisant moins d'énergie. Certaines provinces ont sûrement des conseils à fournir à d'autres à ce chapitre.

Passons au secteur de l'électricité. À la diapo 5, l'axe horizontal du graphique représente le prix de l'électricité par kilowattheure. Par exemple, au Nunavut, un kilowattheure d'électricité coûte 45 cents. C'est la raison pour laquelle on utilise très peu d'électricité là-bas. La consommation d'électricité par habitant au Nunavut est inférieure à 5 000 kilowattheures par année. La consommation d'électricité en kilowattheures par habitant est représentée sur l'axe vertical du graphique. Dans des provinces comme le Québec, le Manitoba et la Colombie-Britannique, où le prix de l'électricité est très bas, à savoir 6 cents le kilowattheure environ, la consommation par habitant est extrêmement élevée. Il y a une corrélation entre le prix de l'électricité et la consommation d'électricité. Tous les économistes comprennent que plus une chose coûte cher, moins on l'utilise. Lorsque quelque chose coûte cher, on trouve des solutions de rechange. On trouve d'autres moyens de faire ce que nous devons faire.

Pourquoi le prix de l'électricité est-il si bas dans certaines provinces et si élevé dans d'autres? L'écart de prix entre la Colombie-Britannique, le Manitoba, le Québec, l'Alberta et l'Ontario ne semble pas si considérable sur le graphique, mais en réalité, il s'agit d'une différence de 50 p. 100. Le kilowattheure d'électricité coûte environ 6 cents en Colombie- Britannique, au Manitoba et au Québec, alors qu'il coûte à peu près 10 cents en Alberta et en Ontario. Il s'agit d'une différence de près de 50 p. 100. Par conséquent, les Albertains et les Ontariens consomment moins d'énergie que les autres. Toutefois, le prix n'est pas le seul facteur; il y en a d'autres, par exemple le climat et la structure industrielle. Le prix n'explique pas tout, mais il en dit long.

Comment expliquer que le prix de l'électricité soit bas dans certaines provinces et élevé dans d'autres? Certaines provinces ont la chance de pouvoir produire de l'hydroélectricité à vil prix. La Colombie-Britannique, le Manitoba et le Québec produisent de l'hydroélectricité à un coût extrêmement bas, et ils conservent cette électricité pour maintenir des tarifs peu élevés sur leur territoire, au grand plaisir des consommateurs. Le hic, c'est que ces bas tarifs n'incitent pas les consommateurs à faire des choix écoénergétiques. Ils ne songent pas à isoler leur résidence ou à réduire leur consommation d'énergie. Par exemple, ils chauffent leur sous-sol. Mes parents possèdent un chalet au Québec, et ils le chauffent à 10 degrés Celsius pendant tout l'hiver. Cela n'est pas écoénergétique, mais pourquoi se donneraient-ils la peine de baisser le chauffage si l'électricité est relativement bon marché?

Les Ontariens et les Albertains paient beaucoup plus cher pour leur électricité. Ce qui est triste, c'est que les consommateurs qui sont satisfaits de leurs tarifs d'électricité peu élevés consomment beaucoup plus d'énergie que les autres, et leur province ne leur vend pas l'électricité au prix du marché. Par conséquent, ces provinces ne font pas de revenu. Elles n'exportent pas leur électricité vers d'autres provinces, et celles-ci doivent payer plus cher pour leur propre électricité. L'Ontario investit actuellement des milliards de dollars dans des projets de production d'énergie renouvelable, mais les résultats de ces projets pourraient être réalisés par l'exportation en Ontario d'hydroélectricité du Québec. Si le Québec exportait de l'hydroélectricité vers l'Ontario, cette province n'aurait pas besoin d'investir des milliards de dollars dans des projets de production d'électricité, et le prix de l'électricité diminuerait. En outre, le Québec pourrait faire de l'argent en vendant de l'électricité au prix fort à l'Ontario. Bien sûr, le Québec devrait augmenter ses tarifs d'électricité afin de procéder à certains rajustements en matière d'efficience énergétique qui lui permettrait de réaliser des économies d'énergie et d'exporter davantage d'électricité.

Le Québec, la Colombie-Britannique et le Manitoba ont de nombreuses possibilités d'économiser de l'énergie. Toutes les provinces disposent d'organismes spécialisés en efficacité énergétique, lesquelles ne cessent de répéter que nous pourrions économiser d'énormes quantités d'électricité si seulement les gens agissaient de manière judicieuse. Sans réduire leur qualité de vie, les consommateurs pourraient économiser beaucoup d'électricité, laquelle pourrait être vendue à d'autres provinces ou aux États-Unis. Cela rapporterait beaucoup d'argent.

Pour l'essentiel, la politique énergétique de ces provinces est comparable au programme énergétique national qui était en place dans les années 1970, et selon lequel nous devions conserver notre pétrole au pays et ne pas le vendre au prix du marché mondial. En Colombie-Britannique, au Manitoba et au Québec, la politique consiste à vendre l'électricité à bas prix sur le marché local, et non pas aux prix élevés du marché en cours de l'autre côté de la frontière. Cela est mauvais, car nous n'optimisons pas nos ressources. L'Ontario fait face à des problèmes similaires en raison de la réglementation des prix de l'hydroélectricité et de l'énergie nucléaire.

Il serait très important de changer cette politique de façon à stimuler le commerce interprovincial. Au Québec, en Colombie-Britannique et au Manitoba, il faudrait déréglementer les tarifs de manière à ce qu'ils augmentent, dans une certaine mesure.

Sur le plan politique, il peut sembler impossible d'augmenter les tarifs au Québec et au Manitoba — et le sénateur Neufeld sait très bien qu'il est difficile de faire accepter aux résidents de la Colombie-Britannique de payer des tarifs plus élevés —, mais la bonne nouvelle, c'est que les gens sont de plus en plus disposés à payer davantage pour l'énergie. C'est la raison pour laquelle une jolie grenouille figure sur la diapo 6.

Je viens tout juste de découvrir qu'une entreprise — avec laquelle je n'ai aucun lien et dont je ne suis pas actionnaire — avait adopté le slogan « Payer plus cher pour l'énergie ». Cette entreprise veut attirer les consommateurs en leur demandant de payer plus cher pour l'énergie qu'elle leur vend puisqu'il s'agit d'énergie verte.

Je mène actuellement une étude économique expérimentale à Montréal, dans le cadre de laquelle j'invite les sujets dans une pièce et leur explique pourquoi il serait avantageux pour l'ensemble de la société que nous payions plus cher pour l'électricité. Au total, 52 p. 100 des sujets étaient disposés à payer plus cher leur électricité après que les avantages sociaux, économiques et environnementaux d'une hausse des tarifs d'électricité leur ont été exposés.

Il est difficile de bien l'expliquer, mais il est possible de faire passer le message aux consommateurs. Cela est essentiel — les gens changent d'idée lorsqu'on leur explique pourquoi il conviendrait de payer l'électricité plus cher. Essentiellement, ces raisons sont les suivantes. Cela enrichirait la société, réduirait les émissions et permettrait de promouvoir l'efficacité énergétique de façon beaucoup plus efficiente qu'aujourd'hui.

Pour profiter de tels avantages, nous devons être capables de faire du commerce. Nous devons instaurer un libre marché pour l'électricité entre l'Ontario et le Québec, et entre l'Alberta et la Colombie-Britannique. Certains pays l'ont fait.

Sur la diapo suivante figure une carte de la Norvège, du Danemark, de la Suède et de la Finlande. Ces pays nordiques ont créé un marché commun de l'électricité. Ces pays n'ont aucun gouvernement fédéral ni aucune institution en commun. Ils ont décidé d'harmoniser leur réglementation en matière d'électricité de façon à créer une zone de libre-échange où l'électricité peut être vendue ou achetée sans égard aux frontières. Dans ce marché, l'électricité s'échange à un prix unique. Sur le plan énergétique, la Norvège est l'équivalent de l'Alberta et du Québec combinés, ou si vous préférez, de l'Alberta et de la Colombie-Britannique combinées. La Norvège possède beaucoup de pétrole et d'hydroélectricité. En fait, toute l'électricité de ce pays est d'origine hydroélectrique. Le pays a décidé de vendre aux consommateurs son pétrole et son électricité au prix du marché. Les Norvégiens paient très cher leur électricité et leur pétrole parce qu'ils le paient au prix du marché. C'est ce que nous devons dire aux habitants du Québec, du Manitoba et de la Colombie-Britannique : payez votre électricité au prix du marché. Mais les pays scandinaves semblent très loin de nous; d'aucuns affirment que leur réalité est trop éloignée de la nôtre, et que nous ne pouvons pas établir de comparaison puisque les différences entre eux et nous sont trop considérables.

Prenons le cas des États-Unis. Comme l'illustre la diapo 8, 13 États — lesquels forment ce que nous appelons l'interconnexion PJM — ont décidé de mettre en commun leur électricité et de l'acheter à un prix unique. Tous ces États paient le même prix pour l'électricité. Ils ont créé un marché commun de l'électricité; ils font du commerce, et profitent tous du fait de pouvoir acheter de l'électricité ailleurs à meilleur marché lorsqu'elle est disponible et d'ainsi réduire les coûts à un autre endroit.

Notre société est fondée sur le principe selon lequel le commerce est bon pour tous. Ce principe est appliqué dans presque tous les secteurs, hormis dans celui de l'électricité au Canada, et aux États-Unis si l'on fait abstraction des exceptions à petite échelle comme l'interconnexion PJM. Dans de nombreux États, l'électricité est toujours réglementée comme elle l'est au Canada, où il s'agit d'une compétence provinciale et où chaque province ne voit pas plus loin que le bout de sa frontière. Nous ratons d'extraordinaires occasions de faire plus d'argent, de rendre le Canada plus productif et de réduire les émissions de gaz à effet de serre.

Le président : Pourriez-vous préciser ce que signifie l'acronyme « PJM »?

M. Pineau : Il signifie Pennsylvanie, New Jersey et Maryland, les trois premiers États à fusionner leur marché de l'électricité. D'autres États se sont joints à eux par la suite.

Je sais que les marchés de l'électricité relèvent des provinces, et qu'il est difficile pour le gouvernement fédéral d'intervenir dans les domaines de compétence provinciale. Toutefois, dans un premier temps, nous devons expliquer aux Canadiens pourquoi il est judicieux de payer plus cher.

Certaines entreprises le font. L'entreprise dont je vous ai parlé plus tôt explique aux consommateurs pourquoi il est avantageux de payer plus cher. Le gouvernement fédéral pourrait adopter une démarche similaire. Il pourrait expliquer pourquoi il serait bon pour certaines provinces d'augmenter leurs tarifs d'électricité et d'ainsi réduire le prix de l'électricité en Alberta et en Ontario. Si l'Ontario importait davantage d'électricité du Québec, le prix de l'électricité diminuerait en Ontario et augmenterait au Québec. Tout le monde en tirerait profit.

Le gouvernement fédéral pourrait inciter les provinces à discuter davantage d'énergie. Il existe déjà, dans les provinces de l'Atlantique, un centre de recherche et de développement sur l'énergie, dont les activités ont ralenti, pour une raison ou une autre, lorsqu'il a été question du rachat de New Brunswick Power par Hydro-Québec. Cependant, les activités de ce centre reprendront puisqu'il a été annoncé qu'Hydro-Québec ne se porterait pas acquéreur de New Brunswick Power.

Je souligne au passage que le rachat de New Brunswick Power par Hydro-Québec aurait été avantageux pour tous. Il s'agit exactement du type d'intégration que je préconise. Les parties concernées ne s'y sont pas prises de la bonne manière, dans la mesure où il s'agissait de l'achat et d'une prise de contrôle d'une entreprise par une autre entreprise, mais c'était tout de même un bel exemple d'intégration visant à tirer profit des prix peu élevés de l'électricité au Québec et des prix élevés qui ont cours au Nouveau-Brunswick.

Il y a l'Accord canadien sur le commerce intérieur. Bon nombre d'entre nous ignorent que le libre-échange à l'intérieur du Canada pose problème. Nous faisons plus de libre-échange avec les États-Unis qu'à l'intérieur même de notre pays. Cet accord comporte un chapitre sur l'énergie, mais ce chapitre est vide : rien n'y est inscrit. Nous disposons d'un accord qui fait quelque 200 pages, mais dont le chapitre sur l'énergie est vide puisque les provinces n'ont pas réussi à s'entendre sur les règles régissant le libre-échange en matière d'énergie.

Nous devons rédiger ce chapitre. Si le comité sénatorial peut faire campagne en faveur de l'élaboration du chapitre sur l'énergie de l'actuel Accord canadien sur le commerce intérieur, cela constituerait un important pas dans la bonne direction. Bien sûr, l'objectif devrait être l'accroissement du commerce interprovincial.

Le gouvernement fédéral négocie actuellement des accords internationaux de libre-échange, et les services énergétiques font partie de ces accords. L'objectif de ces accords de libre-échange est l'ouverture du marché, lequel empêche une province de restreindre ses échanges commerciaux à son seul territoire. Hydro-Québec devrait offrir son électricité à bas prix non seulement aux résidents du Québec, mais également aux résidents de toutes les provinces.

Grâce à l'ouverture du marché, n'importe qui en Ontario pourrait acheter de l'électricité au Québec. En ce moment, Hydro-Québec ne vend pas son électricité en Ontario au même bas prix qu'au Québec. Les Ontariens se font répondre qu'ils doivent s'adresser à leur fournisseur en Ontario. Si nous ouvrons le marché, quiconque pourra acheter de l'électricité au Québec. Évidemment, le maintien de tarifs peu élevés au Québec est lié à des motifs politiques. Cependant, l'ouverture du marché aura pour effet de supprimer un tel écart de prix — les prix doivent augmenter au Québec et correspondre davantage à ceux des autres provinces, et le Québec recueillera les dividendes du commerce.

Il s'agit là d'un domaine où le gouvernement fédéral pourrait déployer davantage d'ardeur pour faire en sorte que les services énergétiques fassent partie des accords de libre-échange. Cela devait être le cas dans le cadre de l'Accord de libre-échange des Amériques, et cela fait toujours l'objet de discussions dans le cadre des négociations de l'Organisation mondiale du commerce qui se tiennent à Doha. Il y a quelques années, les négociations ont été rompues pour des questions liées aux subventions à l'agriculture, mais les services énergétiques faisaient partie des pourparlers.

Une part importante de nos émissions proviennent du secteur de l'électricité, lequel est, pour l'essentiel, le deuxième secteur en importance au chapitre des émissions de gaz à effet de serre. Si nous voulons nous attaquer aux émissions de gaz à effet de serre, nous devons nous préoccuper du secteur de l'électricité. Il serait relativement facile, sur le plan des techniques, d'expédier davantage d'hydroélectricité en Alberta, en Ontario et en Saskatchewan. Les provinces voisines pourraient fournir une certaine quantité d'hydroélectricité. Cela permettrait de réduire les émissions de gaz à effet de serre et d'enrichir tout le monde, car ce commerce aurait pour effet de faire baisser les prix dans ces provinces et d'accroître les profits des autres provinces.

Le secteur des transports se classe au premier rang en ce qui concerne les émissions de gaz à effet de serre. Il s'agit également du secteur le plus énergivore. Ce secteur consomme beaucoup de pétrole. Dans quels domaines cette énergie est-elle utilisée? Dans les domaines maritime, ferroviaire, aérien et routier.

Une proportion de 76 p. 100 de l'énergie utilisée dans le secteur des transports est consommée sur les routes, comme cette route déserte qui figure à la diapo 10. Les bateaux et les trains offrent un très bon rendement énergétique. On ne peut en dire autant des avions, mais dans ce cas, la consommation est limitée puisque nous ne prenons pas l'avion si souvent que cela. À peu près tous les déplacements se font sur les routes.

L'utilisation de l'énergie dans le domaine routier comporte deux volets. Les ventes au détail à la pompe comptent pour 62 p. 100 de la consommation énergétique totale, et les camions et les autobus, pour 14 p. 100. Le domaine routier représente 76 p. 100 de la consommation énergétique du secteur des transports, et si nous ne tenons pas compte de la consommation énergétique attribuable aux camions et aux autobus — à savoir 14 p. 100 —, il en résulte que les voitures, les véhicules utilitaires légers et les véhicules utilitaires sport comptent pour 62 p. 100 de la consommation énergétique totale du secteur des transports. C'est là que nous consommons notre énergie.

La section orange du diagramme représente les ventes au détail à la pompe. Celles-ci n'entraînent à peu près aucun gain de productivité pour la société. Le fait de vous rendre au travail dans une grosse voiture plutôt que dans une petite ne vous rend pas plus productif au travail — vous consommez simplement plus d'énergie pour vous déplacer. Cela ne contribue pas à accroître la productivité des Canadiens ou de l'économie. Plus vous consommez de pétrole pour vous déplacer, moins vous êtes productif, car vous dépensez davantage pour vous déplacer d'un point A à un point B. Cela nous coûte beaucoup d'argent.

À la diapo 11, nous pouvons voir combien d'argent nous dépensons chaque année dans le secteur des transports, y compris dans les domaines routier, aérien, ferroviaire et maritime. Au total, les coûts annuels liés au transport s'élèvent à 184 milliards de dollars, et l'essentiel de cette somme est dépensé pour le transport routier. Chaque année, nous dépensons 160 milliards de dollars pour nous déplacer sur les routes, et la majeure partie de cette somme est attribuable aux déplacements en voiture. La plus grande partie de nos dépenses en transport est imputable à l'essence que nous achetons pour faire le plein de nos voitures. Puis, bien sûr, nous devons payer pour les routes, pour les terrains sur lesquels sont construites ces routes et pour l'entretien de ces routes. Tout cela exige beaucoup d'argent. L'entretien des routes est subventionné par les contribuables. L'argent que nous dépensons pour payer les taxes sur le carburant et l'immatriculation de nos voitures ne couvre pas les coûts nécessaires pour entretenir l'ensemble de l'infrastructure routière.

Et puis, évidemment, les gens achètent des voitures. En moyenne, les Canadiens dépensent annuellement 4 000 $ pour leur voiture. Cela ne comprend pas les coûts sociaux liés aux transports. Une pléthore d'accidents surviennent sur les routes, et les coûts qui y sont liés s'élèvent à 15 milliards de dollars par année. C'est ce qui nous en coûte pour soigner toutes les personnes qui ont subi un accident de la route. Cela représente beaucoup d'argent.

J'ai mis deux heures pour venir ici depuis Montréal. À mon départ, pour sortir de la ville, j'ai mis près d'une demi- heure, puis, à l'arrivée, j'ai mis autant de temps pour entrer dans la ville. J'ai envisagé des solutions plus productives. J'aurais aimé prendre l'autobus ou le train, mais ces moyens de transport ne m'auraient pas permis d'arriver à temps à un rendez-vous que j'avais ce matin. J'ai perdu une heure de mon temps en raison de la lenteur de la circulation. Mon temps n'est pas si précieux que ça, mais il s'agit tout de même d'une perte de temps. C'est une perte pour la société. Lorsque je me trouve dans un bouchon de circulation, je n'évalue pas mes étudiants, je ne prépare pas mes cours et je ne présente pas de conférences. Je n'avais aucun autre choix. C'est ce que coûtent les retards.

Il y a des problèmes liés à la pollution de l'air, par exemple les problèmes respiratoires et l'asthme. De nombreuses personnes sont atteintes d'asthme. Il s'agit de dépenses de santé annuelles directement liées au transport routier. Ces renseignements ne m'ont pas été fournis par Greenpeace, et je ne les invente pas : ils m'ont été fournis par Transports Canada.

Pouvons-nous faire mieux? La réponse est oui, même si nous continuons d'utiliser nos voitures. Comme le montre la diapo 12, le parc automobile canadien a un rendement énergétique de 21 milles au gallon, à savoir 11 litres aux 100 kilomètres. En Grande-Bretagne, on consomme 25 p. 100 moins d'énergie pour faire la même distance — on se rend 25 p. 100 plus loin avec la même quantité d'essence. Là-bas, on est plus productif parce qu'on se rend plus loin avec la même quantité d'essence. Même dans la province la plus britannique du Canada, le Québec, on consomme beaucoup plus d'énergie qu'en Grande-Bretagne. Si je qualifie le Québec de province canadienne la plus britannique, c'est simplement parce qu'il s'agit de la province où le rendement énergétique des véhicules est le plus près de celui de la Grande-Bretagne. La province canadienne la moins britannique, toujours du point de vue de l'efficience énergétique, est l'Alberta, où on consomme 12 litres aux 100 kilomètres.

Nous ne faisons pas preuve d'efficience dans nos déplacements. Nous pourrions être plus efficients. Nous pourrions réaliser des gains de productivité en consommant moins d'énergie pour mener les mêmes activités que nous menons actuellement.

D'aucuns me diront que nous ne disposons pas des technologies nécessaires, et que les dispositions législatives qui auront pour effet de réduire notre consommation viennent tout juste d'être adoptées. Le gouvernement du Canada a récemment accepté d'harmoniser les normes canadiennes en matière d'émissions des nouvelles voitures avec celles des États-Unis. Je tiens à souligner que je suis fier que nous ayons adopté ces nouvelles dispositions législatives; cependant, les objectifs que nous tentons de réaliser d'ici les cinq prochaines années ont été réalisés par l'Union européenne l'an dernier.

La diapo 13 porte sur le rendement moyen des véhicules que nous nous sommes fixé comme objectif, à savoir 6,87 litres aux 100 kilomètres d'ici 2015. Dans les faits, cet objectif est supérieur à celui qu'a atteint l'an dernier l'Union européenne en matière de rendement des nouvelles voitures. Les Européens ont atteint l'an dernier l'objectif que nous nous sommes fixé pour 2015. Lorsque j'examine ces normes, je dois dire que je ne suis malheureusement pas fier d'être canadien, car la technologie est là — elle est disponible. Pourquoi ne l'utilisons-nous pas? Cela me dépasse.

La diapo 14 concerne la technologie. J'attire votre attention sur la Chevrolet Cobalt, une belle voiture pouvant accueillir cinq personnes. Les normes que nous nous sommes fixées pour les trois prochaines années en ce qui a trait à la consommation d'essence et aux émissions ont déjà été adoptées par l'Union européenne. Par « normes en matière d'émissions », on entend la quantité de gaz à effet de serre émise par kilomètre. C'est la façon dont les normes ont été conçues. Nous visons 178 grammes par kilomètre dans trois ans, en moyenne, pour l'ensemble du parc de nouvelles voitures. Nous pourrions réaliser cet objectif dès maintenant, mais, pour une raison ou une autre, nous autorisons la vente de véhicules offrant un rendement inférieur à cela.

D'aucuns me diront que les gens ont besoin de grosses voitures, que nous grandissons avec le désir de posséder une grosse voiture et que tout le monde en rêve et souhaite instinctivement avoir une grosse voiture. Cela est peut-être vrai, mais la publicité aide cet instinct à s'épanouir dans nos esprits. Je vais vous fournir une statistique : 24 p. 100 de l'argent dépensé en publicité est affecté aux publicités de voitures et de véhicules utilitaires sport. Il est peut-être naturel d'aimer les grosses voitures, mais certaines entreprises tentent de nous vendre des voitures encore plus grosses. Nous n'en avons pas besoin, mais elles paraissent attrayantes à la télévision, et par conséquent, nous en voulons une.

Je n'ai rien contre la publicité. La publicité est utile et fournit beaucoup de renseignements. Cependant, si nous estimons être aux prises avec un problème énergétique, et si nous estimons que l'énergie est importante, alors nous devons comprendre comment nous utilisons l'énergie. Nous l'utilisons pour faire fonctionner nos voitures, et certaines personnes dépensent beaucoup d'argent pour faire croire aux gens qu'ils ont besoin d'une voiture plus grosse que celle dont ils ont réellement besoin. Cela est contre-productif.

Le comité tente de régler notre problème énergétique, autrement dit de régler le problème du transport, alors que, au même moment, certaines entreprises déploient des efforts pour que les gens achètent de plus grosses voitures. Cela place les consommateurs canadiens dans une situation où ils doivent dépenser beaucoup d'argent pour acheter leur voiture et faire le plein d'essence. Hélas, cela se traduira par une augmentation du nombre d'accidents, un accroissement de la pollution de l'air, une augmentation de la congestion sur les routes et une baisse de la productivité de l'ensemble de la société.

La diapo 16 énonce quelques pistes de solutions en vue d'expliquer le bien-fondé d'une politique plus efficace. Nous devons expliquer aux gens les avantages économiques, sociaux et environnementaux pouvant découler d'une meilleure politique en matière de transport. Le gouvernement du Canada pourrait hausser la taxe fédérale sur les carburants afin de financer les moyens de transport de remplacement comme les transports en commun. Les transports en commun sont très utilisés, et il pourrait y avoir davantage de trains entre certaines villes, par exemple entre Edmonton et Calgary. Cela serait merveilleux. Si vous avez pris le train dernièrement, vous avez pu constater certains problèmes. J'ai pris le train récemment, et cela n'était pas plaisant. Prendre le train pourrait être une expérience plaisante. En Europe, c'est le cas.

Nous pourrions réaffecter aux transports en commun et aux transports ferroviaires une partie du financement fédéral destiné aux infrastructures routières. Nous pourrions adopter des normes plus ambitieuses en matière d'émissions de gaz à effet de serre. Je ne tente d'aucune façon de dire que l'Union européenne s'en tire mieux que nous, mais à certains égards, nous pouvons tirer des leçons de ce qui se fait là-bas. En matière d'émissions, l'Union européenne est beaucoup plus ambitieuse que le Canada. Pourquoi ne pouvons-nous pas nourrir des ambitions similaires à celles des Européens?

Enfin, je me demande pourquoi les contribuables doivent soutenir l'industrie automobile. Pourquoi devons-nous subventionner les constructeurs de véhicules qui font la promotion de leurs grosses voitures, alors que, dans les faits, nous avons besoin de plus petites voitures? Nous subventionnons notre industrie automobile. Nous avons récemment prêté de l'argent à des entreprises qui auraient dû faire faillite. Le marché aurait dû leur faire savoir qu'elles n'avaient pas bien planifié leur avenir, que leurs produits n'étaient pas bons, qu'elles n'avaient pas bien géré leurs affaires et qu'elles devraient déclarer faillite. Dans un système capitaliste comme celui dans lequel nous vivons, les mauvaises entreprises font faillite. Nous avons plutôt décidé d'aider de telles entreprises, au moment même où nous sommes aux prises avec un problème énergétique.

C'est quelque chose que j'ai de la difficulté à m'expliquer. La réponse est de nature politique, et je comprends tout à fait les tenants et aboutissants politiques d'une telle décision. Il n'en demeure pas moins que nous avons besoin de politiques audacieuses, surtout dans le secteur de l'énergie. Nous devons prendre notre courage à deux mains, et prendre les décisions politiques qui s'imposent et qui rendront le Canada plus productif.

Le troisième secteur dont je veux parler est celui des immeubles. Comme on peut le voir à la diapo 17, la majeure partie de l'énergie consommée dans ce secteur est utilisée pour chauffer les immeubles. Dans le secteur résidentiel, 63 p. 100 de l'énergie est utilisée aux fins de chauffage. Dans le secteur commercial et institutionnel, 50 p. 100 de l'énergie sont utilisés aux fins de chauffage, et 6 p. 100, aux fins de climatisation.

Nos maisons perdent de l'énergie ou perdent de la chaleur. La chaleur s'échappe par les murs, les fenêtres, les portes, les conduits de ventilation, le sous-sol et le toit parce que les maisons sont mal isolées. Une proportion de 58 p. 100 des Canadiens vivent dans des maisons mal isolées. Ils pourraient économiser de l'argent si leur maison était mieux isolée. Ils pourraient réduire leur consommation d'énergie si leur maison était mieux isolée. Bien sûr, cela signifie qu'ils devraient investir de l'argent pour rénover et mieux isoler leur maison. Les Canadiens seraient plus productifs s'ils le faisaient, car ils pourraient utiliser à d'autres fins l'argent qu'ils économiseraient. D'un point de vue financier, il est avantageux d'investir pour mieux isoler sa maison.

Pourquoi les gens ne le font-ils pas? Parce que cela fait intervenir beaucoup d'inconvénients. Ils doivent réfléchir à ce qu'ils vont faire, s'adresser à des entrepreneurs et organiser les rénovations. Il s'agit d'une procédure complexe. Les gens se disent que cela ne vaut pas la peine d'investir dans une maison qu'ils revendront dans cinq ans. Et même s'ils n'ont pas l'intention de revendre leur maison dans cinq ans, cette seule possibilité fait en sorte qu'ils s'abstiennent d'investir dans des rénovations. En outre, les agents immobiliers leur conseillent de rénover leur cuisine et leur salle de bains, car ce sont ces investissements qui augmenteront la valeur de leur maison. Le fait d'isoler une maison ne constitue pas un bon investissement si l'on ne vise qu'à augmenter sa valeur de revente. Nous pourrions changer cette vision des choses.

Comme on peut le voir à la diapo 19, il y a d'énormes variations au Canada. Prenons l'exemple d'une maison unifamiliale en Alberta et au Manitoba, deux provinces dont le climat est similaire. Une maison manitobaine consomme 22 p. 100 moins d'énergie au mètre carré qu'une maison albertaine. La maison manitobaine est plus efficiente.

Le président : Pourquoi?

M. Pineau : En raison du code du bâtiment ayant régi sa construction. Je ne peux pas vous fournir de réponses précises puisque je n'ai pas mené d'études concernant le Manitoba. Les statistiques que je vous fournis proviennent de l'Office de l'efficacité énergétique de Ressources naturelles Canada. Je peux vous indiquer les sources de toutes les statistiques que je vous présente. La plupart d'entre elles proviennent de Transports Canada ou de Ressources naturelles Canada.

Les codes du bâtiment et l'application de ces codes varient selon les provinces. L'une de mes recommandations, c'est de renforcer les codes du bâtiment à l'échelle nationale. Le Code national du bâtiment du Canada existe, mais chaque province peut l'adapter à son gré. Nous pourrions corriger cela en adoptant un code du bâtiment plus ferme, selon lequel les constructeurs seraient tenus de bâtir de meilleures maisons. Même si cela hausse le prix des maisons, à long terme, tout le monde y gagnerait.

Le sénateur Banks : Avez-vous l'impression que les hivers sont plus courts et plus chauds?

M. Pineau : Oui. Nous consommons à présent davantage d'énergie pour climatiser nos maisons durant l'été. Hydro- Québec a conclu que des hivers plus doux se traduiraient par une réduction de la consommation d'électricité, et que cette réduction ne serait pas neutralisée par l'accroissement de la consommation d'énergie pendant l'été aux fins de climatisation. Hydro-Québec veut réduire la consommation d'énergie de manière à accroître ses réserves d'énergie disponibles pour l'exportation. Hydro-Québec tente d'inciter les consommateurs québécois à réduire leur consommation d'énergie. La Colombie-Britannique et le Manitoba veulent également avoir davantage d'électricité disponible pour l'exportation. Il est difficile de convaincre les résidents de la Colombie-Britannique, du Manitoba et du Québec de réduire leur consommation puisqu'ils paient des tarifs d'électricité très bas. Comme on peut le voir à la diapo 20, la consommation d'énergie croît proportionnellement au revenu des ménages.

Le sénateur Peterson : Nous devrions peut-être diminuer leur salaire.

M. Pineau : Ce n'est pas ce que je préconise. Ce qu'il faut retenir, c'est que les ménages dont le revenu est élevé ont les moyens d'investir dans l'isolation de leur maison. Nous ne demandons pas aux personnes à faible revenu de dépenser des sommes importantes pour isoler leur maison puisque ces personnes ne consomment pas beaucoup d'énergie. Les ménages à revenu élevé pourraient investir dans l'isolation de leur maison. Nous pourrions les soutenir en leur offrant des subventions ou en prenant d'autres mesures pour les inciter à faire de tels investissements. À l'heure actuelle, ils investissent pour rénover leur cuisine et leur salle de bain. Il s'agit d'un bon investissement, mais sur le plan énergétique, il ne s'agit pas d'un bon investissement.

Nous sommes ici pour discuter de politiques énergétiques. Nous devons orienter nos mesures incitatives de manière à ce que les gens fassent des investissements ayant une incidence sur la consommation d'énergie. Récemment, l'Office de l'efficacité énergétique de Ressources naturelles Canada a fait paraître un sondage qui indiquait qu'un ménage canadien sur cinq n'avait jamais pris la moindre mesure pour accroître l'efficacité énergétique de sa maison.

Que pouvons-nous faire? Nous pouvons expliquer aux gens pourquoi cela est bon pour eux. Je ne veux pas dire que les gens ne savent pas ce qui est bon pour eux, mais ils adoptent parfois une vision à court terme. Nous pouvons les aider à voir les choses de façon plus globale. Le gouvernement fédéral pourrait prendre part à une telle démarche.

Nous pourrions nous doter d'un code du bâtiment plus solide. La question des codes du bâtiment est essentielle. Nous pouvons faire en sorte que les provinces mettent en œuvre ces codes du bâtiment. Ce qui intéresse les promoteurs, c'est de bâtir de nouvelles maisons qui se vendent rapidement. Ces maisons ne sont pas des plus efficaces sur le plan énergétique. Dans quelques provinces, si l'on se fie aux tendances observées à certains endroits, les nouvelles maisons offrent un rendement énergétique au mètre carré inférieur à celui des maisons construites il y a dix ans. La modification des codes du bâtiment pourrait accroître notre productivité.

Tout ce que je propose aurait pour effet d'enrichir les Canadiens, car ils commenceraient à investir ou changer leurs habitudes. À court, à moyen et à long terme, ils consommeraient moins d'énergie. Ils auraient plus d'argent dans leurs poches, et pourraient le dépenser à d'autres fins. Cet argent stimulerait l'économie, et cela serait productif. À ce moment-ci, nous jetons tout simplement notre argent par les fenêtres. Nous gaspillons notre argent pour faire fonctionner nos tanks et chauffer nos maisons, nous le gaspillons parce que nous ne consommons pas judicieusement l'hydroélectricité, et, dans certaines des provinces, nous le gaspillons en consommant du charbon et du gaz naturel.

Nous pouvons réaliser des gains environnementaux. Dans les faits, tout ce dont je vous ai parlé aurait pour effet de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Ce que je soutiens, et la principale chose que je veux faire valoir, c'est que, même si nous croyons que la réduction des gaz à effet de serre n'est pas une bonne chose en soi, la réduction de la consommation d'énergie telle que je vous l'ai présentée serait avantageuse pour l'économie. Il est avantageux pour l'économie canadienne que nous soyons plus productifs et que nous fassions tout ce que nous faisons en ce moment en consommant moins d'énergie. Cet objectif est réalisable. Nous pouvons le faire. Certaines provinces font mieux que d'autres. Nous pouvons modifier les règles régissant le commerce de l'électricité — il s'agit là du but que nous devrions viser.

Je vais conclure là-dessus, car si je poursuivais, je ne ferais que me répéter.

Le président : Nous vous remercions, monsieur, de cet exposé éclairant. Vous n'êtes pas un socialiste. Vous nous avez fourni des idées intéressantes pour notre rapport en établissant un lien entre la productivité et l'accroissement de la productivité et la réduction de la consommation d'énergie.

Le sénateur Mitchell : Je suis très intéressé par ce que vous dites, monsieur Pineau. Le lien que vous avez établi avec la productivité, de même que le lien entre la réduction de la consommation et l'accroissement des revenus constituent des idées qui sortent de l'ordinaire et dont je n'avais jamais entendu parler auparavant.

Le président : Les membres du Parti conservateur en parlent souvent.

Le sénateur Mitchell : Pourquoi ne pas y donner suite? J'aimerais que vous inscriviez ces idées dans vos politiques.

Le président : Nous le ferons.

Le sénateur Mitchell : Ma question porte sur l'électricité. Vous avez parlé de la vente d'électricité dans l'ensemble du Canada, et de la vente de l'électricité au sud de la frontière. Quels seraient les coûts associés à la mise en place d'un réseau de distribution d'électricité orienté d'est en ouest? Préconisez-vous également la vente de l'électricité aux États- Unis?

M. Pineau : À l'heure actuelle, nous faisons les deux. Nous vendons de l'électricité du nord au sud et d'est en ouest, mais il n'existe pas le moindre réseau de distribution orienté d'est en ouest. Je ne suis pas en train de dire que nous devrions bâtir un tel réseau; ce que je dis, c'est que la Colombie-Britannique devrait commercer davantage avec l'Alberta. Il existe une connexion; BC Hydro vend de l'électricité à l'Alberta.

Actuellement, les producteurs d'hydroélectricité agissent d'une façon nuisible pour l'environnement. En effet, ils achètent de l'électricité au charbon durant la nuit pour ne pas puiser dans leurs réservoirs d'eau et pouvoir ainsi vendre de l'électricité à l'Alberta et à l'Ontario durant les heures de pointe. Comme l'autre témoin l'a dit, l'Ontario exporte davantage d'électricité au Québec qu'elle n'en importe de cette province, car le Québec achète beaucoup d'électricité des centrales thermiques alimentées au charbon de l'Ontario durant la nuit, lorsque l'électricité est très bon marché. Hydro-Québec agit ainsi pour économiser de l'eau. Hydro-Québec peut revendre l'électricité qu'elle a économisée durant la nuit aux Américains et aux Ontariens lorsque le prix de l'électricité est élevé. Une telle pratique est efficace sur le plan financier, mais du point de vue environnemental, cela est nuisible puisque cela accroît la production d'énergie au charbon durant la nuit.

Ma réponse est la suivante : nous disposons des interconnexions nécessaires pour faire du commerce à court terme. Ce que nous devons faire, c'est de les utiliser davantage. Nous pouvons le faire. Les interconnexions sont construites pour durer 50 ans, un assez long horizon. Il s'agit d'investissements majeurs, mais durables. La construction de nombreuses nouvelles lignes de transmission est prévue. Terre-Neuve prévoit bâtir quelques lignes de transmission pour transmettre de l'électricité du Labrador aux États-Unis ou au Nouveau-Brunswick. Ces lignes de transmission seront là pour 50 ou 100 ans. Nous avons déjà des lignes de transmission, mais elles ne sont pas utilisées à leur plein potentiel. Évidemment, si nous accroissons le commerce et prévoyons transporter davantage d'énergie, nous devrons accroître la capacité de ces lignes de transmission. Cela n'est pas si coûteux.

Le sénateur Mitchell : Une grande partie de ce que vous dites revient au changement des comportements, surtout celui des consommateurs. Tout le monde convient que nous devons instaurer une tarification pour le carbone. Opteriez-vous pour le système de quotas et d'échanges ou pour une taxe sur le carbone?

M. Pineau : J'opterais pour une taxe sur le carbone, car un prix fixe procurerait aux entreprises de la stabilité et leur permettrait de faire des prévisions. Cet argent pourrait être réutilisé aux fins de réduction des taxes, mais ce que je recommanderais, c'est d'utiliser ces revenus pour offrir d'autres solutions aux consommateurs. Si j'utilise l'énergie, je paie une taxe sur le carbone, mais que puis-je faire d'autre? On ne m'offre aucune autre solution. Les revenus de cette taxe pourraient servir à financer ces solutions. On peut instaurer une taxe sur le carbone, ce qui, pour l'essentiel, aurait une incidence sur le prix de l'essence et du gaz naturel, mais si on n'offre pas de solution de rechange, par exemple des services d'autobus, les gens n'auront d'autres choix que de prendre leur voiture et de payer la taxe sur le carbone. Avec les revenus de ces taxes, nous devons financer d'autres moyens de transport de façon à ce que le public en retire un avantage. Même ceux qui continuent d'utiliser leur voiture gagneront à payer la taxe puisqu'il y aurait moins de voitures sur les routes et donc moins de bouchons de circulation. Moins de gens prendront leur voiture si une taxe sur le carbone ou sur le carburant a pour effet d'augmenter le prix de l'essence. Les gens prendront le transport en commun, et il y aura moins de voitures sur les routes. Les gens qui paient davantage paient pour une circulation plus fluide, car il y aura moins de voitures sur les routes, et donc moins de bouchons de circulation. Nous devons utiliser cet argent pour financer des solutions de remplacement, de façon à ce que les gens ne soient pas contraints de prendre leur voiture et de payer la taxe. Nous voulons éviter au public de payer la taxe en lui offrant des solutions de remplacement. La taxe visera principalement l'essence, et, par conséquent, nous devons offrir d'autres solutions au public.

Le sénateur Mitchell : En ce qui concerne l'incidence des transports sur les émissions, le chiffre que vous nous avez présenté est éloquent. À certains égards, comme vous l'avez si bien dit en parlant de la Chevrolet Cobalt, il ne serait pas si difficile de réduire nos émissions, si nous avons la volonté de le faire. Considérons une proportion de 30 p. 100 de nos émissions totales; nous pourrions déterminer qu'à peu près 2,5 milliards de gigajoules proviennent des transports, puis qu'une proportion de 60 p. 100 de ces émissions est attribuable aux voitures, cela représente environ 18 p. 100 de nos efforts totaux. Si nous pouvions réduire cela du tiers, nous aurions le tiers du chemin de fait en vue de la réalisation de notre objectif.

M. Pineau : Et cela n'entraînerait aucun coût pour l'économie canadienne.

Le sénateur Mitchell : Nous épargnerions de l'argent. Comment vous y prendriez-vous? Hormis une taxe sur le carbone, quelles mesures prendriez-vous pour changer le comportement des gens et faire en sorte qu'ils veuillent conduire, à moindre coût, de plus petites voitures?

M. Pineau : Pour faire réagir les gens, il faut prendre des mesures qui ont une incidence sur leur portefeuille. Il faut hausser les prix d'une manière ou d'une autre, en instaurant une quelconque taxe sur le carburant ou sur le carbone, et ensuite offrir de bonnes solutions de rechange. Des autobus, des trains et des stations de métro peuvent être de bonnes solutions de remplacement. Il n'est pas nécessaire que ceux-ci soient aussi rebutants qu'ils le sont la plupart du temps. Lorsque vous prenez le train, vous pouvez travailler, vous détendre ou dormir, ce que vous ne pouvez pas faire lorsque vous conduisez une voiture. Ainsi, il y aurait de réels avantages à utiliser ces recettes fiscales pour financer les systèmes de transport en commun et les rendre plus attrayants. Les gens se rendront compte du fait qu'ils sont plus productifs et plus détendus lorsqu'ils prennent le transport en commun. Lorsqu'ils rentrent à la maison, ils ne sont pas stressés. Ils se sentent bien.

Le sénateur Neufeld : Merci de votre exposé. Je suis d'accord avec certaines choses que vous avez dites, et en désaccord avec d'autres. Je conviens que le prix de l'énergie est le principal facteur qui amènera les consommateurs à réduire leur consommation d'électricité, d'essence ou de quelque autre type d'énergie que ce soit. Vous avez affirmé que les entreprises étaient motivées par l'appât du gain, et qu'elles utilisaient donc leur énergie de façon beaucoup plus consciencieuse. Ce n'est pas ce que j'ai constaté en Colombie-Britannique. Là-bas, l'industrie a continué à consommer de l'énergie jusqu'à ce que les tarifs échelonnés entrent en vigueur. Fait assez intéressant, après la mise en œuvre des tarifs échelonnés, lorsque ce système s'est concrétisé, les entreprises ont commencé à prendre des mesures en vue d'accroître leur efficacité énergétique. Il s'agit d'un cas assez classique.

Les comparaisons entre le Canada et une petite partie de l'Europe m'ont toujours dérangé. On pourrait faire rentrer la Grande-Bretagne dans la seule circonscription de la Colombie-Britannique que je représente. Les gens conduisent de grosses voitures parce qu'ils n'ont pas le choix.

M. Pineau : Non.

Le sénateur Neufeld : Contentez-vous de m'écouter attentivement — parce qu'ils n'ont pas le choix. J'aurais aimé que vous veniez passer l'hiver avec moi à Fort St. John, région où l'on trouve des entreprises pétrolières et gazières. Vous auriez compris pourquoi on conduit là-bas de grosses voitures. Il y a une bonne raison à cela. Cela vaut en grande partie pour l'Alberta.

Je ne vous parle pas des voitures que l'on trouve à Victoria. À mes yeux, ce qui se passe là n'a rien à voir avec la réalité. La réalité, c'est ce qui se passe dans la vraie partie de la Colombie-Britannique. Certaines personnes doivent utiliser de gros véhicules.

Je connais le prix de l'électricité dans certains pays d'Europe. Il ne fait aucun doute que vous consommerez moins d'énergie si vous devez la payer 30 cents ou 45 cents le kilowattheure. En outre, les gens là-bas parcourent des distances beaucoup moins grandes qu'ici pour se rendre au travail, où certaines personnes, par exemple dans ma région d'origine, doivent parcourir parfois 400 kilomètres chaque jour pour se rendre au travail.

Je suis absolument d'accord avec le postulat selon lequel une hausse des prix entraîne une réduction de la consommation. Si vous voulez mettre fin à votre carrière politique, augmentez substantiellement et rapidement les tarifs d'électricité.

Vous avez dit que nous pourrions accroître les échanges d'électricité si nous améliorions les connexions entre les réseaux. Il existe deux connexions reliant l'Alberta et la Colombie-Britannique, l'une au nord, et l'autre, au sud. Cela n'a tout de même aucune incidence sur la façon dont l'électricité est consommée. Pendant la nuit, l'industrie et le public ne consomment pas l'électricité de la même manière qu'ils le font pendant le jour.

Vous dites que nous pouvons harmoniser tous ces tarifs, et que, soudainement, vu que tout le monde paie le même tarif, tout le monde utilisera l'énergie de façon plus avisée, mais pour qu'une telle mesure ait une réelle incidence, il faut amener les gens à changer la façon dont ils vivent et travaillent. Pendant la nuit, la consommation d'énergie chute radicalement, et c'est la raison pour laquelle les centrales thermiques au charbon doivent vendre leur électricité à 2 cents, 1 cents ou 1,5 cents environ, quel que soit le prix du marché.

La Colombie-Britannique est active sur le marché. Elle vend, achète et échange de l'électricité sur le marché. La Colombie-Britannique est non pas un exportateur net, mais un importateur net. Que faire pour régler ce problème, professeur? Dites-moi comment vous feriez cela.

M. Pineau : En ce qui concerne les voitures, je suis entièrement...

Le sénateur Neufeld : Je parle de l'électricité.

M. Pineau : En un mot, le Canada contient des régions rurales, et les personnes qui vivent dans ces régions ont effectivement besoin de grosses voitures, de camions et de camionnettes. En ville, cela est beaucoup moins vrai. La majeure partie des Canadiens vivent en milieu urbain, et n'ont pas besoin de camionnettes. Vous constaterez que, en ville, les camionnettes sont toujours vides et toujours propres. Cela en dit long.

Le sénateur Neufeld : Il y a trop d'asphalte dans le sud des provinces. C'est probablement l'une des raisons.

M. Pineau : Pour ce qui est de l'électricité, il est vrai qu'il y a des choses que nous ne pouvons pas changer. Il y aura toujours des fluctuations entre le jour et la nuit. Je suis entièrement en faveur du commerce, et je suis donc entièrement favorable à l'achat d'électricité à bon marché et au stockage d'eau. Là encore, il s'agit de prix incitatifs.

Les gens peuvent différer une partie de leur consommation d'énergie. Par exemple, est-il nécessaire de faire fonctionner votre lave-vaisselle immédiatement après le souper? Il est aujourd'hui facile de programmer un appareil pour qu'il fonctionne durant la nuit. La même chose vaut pour la lessive : vous pouvez programmer votre machine à laver pour que votre lessive se fasse durant la nuit. De telles pratiques permettent de faire des économies.

Par exemple, dans certaines provinces, au Québec entre autres, l'eau contenue dans les chauffe-eau et dans les réservoirs d'eau est chauffée non pas au gaz naturel, mais à l'électricité. Vous pouvez faire en sorte que votre eau soit chauffée durant la nuit et, si l'appareil est bien isolé, il ne sera pas nécessaire de faire chauffer l'eau durant le jour. Il y a certaines choses comme cela que l'on peut faire durant la nuit plutôt que durant le jour, et il s'agit là d'un gain que vous pouvez réaliser.

L'isolation, des immeubles plus efficients et des isolants thermiques plus efficaces permettent de réduire la consommation d'énergie, et donc de réaliser des gains majeurs. Les résidents du Québec chauffent leur maison nuit et jour. Si leur maison était mieux isolée, ils pourraient facilement réduire leur consommation de 10, de 15 ou de 20 p. 100, et l'électricité économisée de cette façon pourrait être vendue en Ontario.

Je ne suis pas en train de dire que nous devrions anéantir les entreprises de production d'électricité de l'Alberta et de l'Ontario en vendant de l'hydroélectricité à ces provinces. Ce que je dis, c'est que nous pouvons accroître les exportations ou le commerce interprovincial. Cela se traduirait par une hausse des prix en Colombie-Britannique, au Manitoba et au Québec, laquelle viserait à ce que les gens investissent dans l'efficacité énergétique. Actuellement, le rendement énergétique de ces provinces n'est pas élevé puisque les tarifs d'électricité sont trop bas.

Les gens n'achèteront pas d'électroménagers Energy Star si cela n'est pas profitable pour eux. Ils n'isoleront pas leur maison puisque cela ne vaut pas la peine, étant donné les tarifs actuels. C'est ce que je dis. Ces provinces peuvent économiser une certaine quantité d'électricité, et la revendre à meilleur prix à d'autres provinces.

Le président : Vous avez beaucoup insisté sur les obstacles au commerce intérieur auquel nous nous heurtons au Canada, et qui ont nui à la productivité. Cela est un fait bien établi. Au sein du Conseil de la fédération, qui existe depuis quelques années et se réunit ces jours-ci, avez-vous constaté la moindre amélioration? S'agit-il d'une tribune qui pourrait contribuer à ce que les mesures dont vous parlez se concrétisent?

M. Pineau : Chaque année, les provinces se réunissent pour poursuivre les négociations. En 2009, un communiqué de presse indiquait que le Conseil avait fait des progrès sur la question de l'énergie, mais aucune précision n'était fournie quant au type de progrès réalisé.

Je dis simplement qu'il s'agit d'une tribune, et que des discussions y ont déjà été tenues. Si le gouvernement fédéral annonçait qu'il aidera les provinces à harmoniser leurs tarifs et qu'il veillera à ce qu'une règle commune s'applique à toutes les provinces canadiennes, j'estime que cela serait utile.

Le Conseil travaille déjà là-dessus. Il a peut-être besoin d'un certain soutien. Il a peut-être besoin de sentir que le gouvernement fédéral l'appuie sur de telles questions. Je n'ai pas entendu le gouvernement fédéral prendre position sur l'intégration Nouveau-Brunswick-Québec en ce qui concerne l'électricité — je parle de la prise de contrôle de New Brunswick Power par Hydro-Québec. Je n'ai pas entendu le gouvernement fédéral formuler quelque commentaire que ce soit.

Quelle est la position du gouvernement fédéral à propos d'une telle intégration? L'Office national de l'énergie devrait avoir son mot à dire là-dessus. Il s'agit d'un accord commercial interprovincial, domaine qui relève de l'Office national de l'énergie.

Le gouvernement fédéral aurait pu se prononcer en faveur de cet accord, mais il fallait s'assurer que le Nouveau- Brunswick en profiterait également. Quoi qu'il en soit, j'estime que cela aurait été le cas. Il serait tout de même formidable d'avoir un gouvernement fédéral qui souscrive à des transactions de ce genre.

Le sénateur Lang : Je veux poursuivre sur la question du commerce interprovincial. Le sénateur Neufeld et vous- même avez souligné qu'il y a des échanges commerciaux entre la Colombie-Britannique et l'Alberta. J'en déduis qu'il y a des échanges commerciaux entre l'Ontario et le Québec, mais vous avez mentionné que nous devrions modifier certaines règles. De quelles règles parlez-vous? D'après ce que je crois comprendre, deux provinces ont le droit de procéder à des échanges si elles décident de le faire.

M. Pineau : En ce qui concerne la possibilité de faire du commerce, il n'y a aucun problème : les provinces peuvent faire autant d'échanges d'électricité qu'elles le veulent. Ce qui pose un problème, c'est le prix. Un consommateur albertain ne peut acheter directement de l'électricité à BC Hydro.

Un Québécois qui se rend à Ottawa peut acheter du lait dans n'importe quel magasin de détail ou acheter de l'essence dans toute station-service de cette ville, mais il ne peut s'abonner à Ottawa Hydro. Comment se fait-ils que seuls les Québécois ont le droit de s'abonner à Hydro-Québec? Pourquoi les Ontariens ou les Albertains ne peuvent-ils pas s'abonner à Hydro-Québec? Pourquoi ces bas tarifs sont-ils réservés aux Québécois?

Cet accès limité au marché constitue un obstacle au commerce. L'accès au marché et les achats sur le marché ne sont pas permis à tous. Il faut modifier ces règles régissant l'accès au marché de manière à ce que quiconque puisse acheter de l'électricité au tarif fixé par BC Hydro, Manitoba Hydro, et ainsi de suite, ce qui est impossible en ce moment. Si cela devenait possible, bon nombre de consommateurs résilieraient leur abonnement actuel pour faire affaire avec BC Hydro. Bien sûr, celle-ci ne peut fournir de l'électricité aux Albertains. Le seul commerce actuellement autorisé est celui avec les producteurs; les consommateurs ne peuvent en profiter.

Le président : Professeur, tout cela semble logique, mais disons que le sénateur Lang veut acheter de l'hydroélectricité du Québec, ou qu'un résident de l'Île-du-Prince-Édouard veut acheter de l'électricité de la Colombie-Britannique. Comment cette électricité leur sera-t-elle transmise?

M. Pineau : La transmission d'électricité sur d'aussi longues distances pose des difficultés. Beaufort Power produit de l'électricité dans diverses provinces; elle place son électricité sur le réseau, lequel fait office de bassin. Une autre entité, située à un autre point du réseau, peut acquérir une partie de l'électricité. En théorie, cela ne pose aucun problème. Il s'agit simplement d'un contrat financier. Puis, il y a des ingénieurs qui s'occupent du réseau pour veiller à ce qu'il demeure en équilibre, c'est-à-dire que de l'électricité soit placée sur le réseau chaque fois que quelqu'un vient d'en prendre. Cela est possible sur le plan technique, mais impossible sur le plan juridique.

Le sénateur Lang : Je veux maintenant aborder la question des cibles de rendement en matière d'émissions. Vous avez mentionné que nous visions un rendement de 6,48 litres aux 100 kilomètres d'ici 2016. À l'heure actuelle, en Europe, le rendement est de 6,78 litres aux 100 kilomètres. Cela s'explique-t-il par le fait que nos voitures sont munies non pas de moteurs diesel, mais de moteurs à essence?

M. Pineau : En partie. Les voitures européennes sont plus petites et plus efficientes que les nôtres. Elles sont légères et fonctionnent au diesel. Nos voitures sont plus grosses et plus lourdes que les leurs. L'écart dont vous parlez est attribuable à une combinaison de facteurs; le diesel est l'un de ces facteurs, mais il n'est pas le seul.

[Français]

Le sénateur Massicotte : Merci monsieur Pineau d'être parmi nous. Je dois dire que j'apprécie beaucoup votre optimisme quant à la possibilité de convaincre le consommateur de payer plus cher pour le même produit. Je noterais qu'il y a plusieurs premiers ministres au Canada, qui apprécieraient ce service et cette compétence et qu'il y a plusieurs compagnies qui vous embaucheraient comme vice-président au marketing.

Cela étant dit, je suis également convaincu que le marché, via une augmentation des prix de consommation, va nous permettre de rendre plus efficaces le consommateur et les industries. Il est certain qu'on réagit tous au prix. Le défi, cependant, c'est comment s'y prendre. La logique est claire, mais il y a un défi politique énorme de convaincre les consommateurs d'y arriver.

J'aimerais plutôt parler du fait qu'on est dans un marché international en ce qui a trait au pétrole, surtout, et même à l'électricité, si on a une ouverture d'esprit sur le libre-échange. À ce point-ci, le gouvernement canadien prend la position qu'on ne peut pas bouger au sujet de la taxe sur le carbone, qu'on ne peut pas bouger sur le « cap and trade » parce qu'un gros pourcentage de produits, le pétrole par exemple, est une commodité mondiale. Or, on doit suivre les politiques américaines et attendre de voir comment les Américains veulent procéder. Est-ce que c'est via une taxe sur le carbone, via le « cap and trade », via la réglementation qu'on y arrivera? Quelle est votre opinion? Devons-nous être dépendants de la politique américaine avant de réagir et de décider nous-mêmes quelle politique adopter?

M. Pineau : Ma position est qu'on ne doit jamais attendre pour faire les bonnes choses. C'est une bonne chose de réduire sa consommation d'énergie, donc il faudrait le faire aujourd'hui.

On pourrait le faire sans mettre les compagnies productrices de pétrole dans une mauvaise position parce que la taxe sur le carbone s'applique essentiellement à celui qui consomme l'énergie. Qui consomme? Où les émissions se font-elles? Quatre-vingt-cinq p. 100 des émissions se font lorsqu'on utilise l'essence, pas lorsqu'on la produit. Celui qui va payer la taxe sur le carbone, c'est le consommateur.

À l'acétate no 3, on voit que sur le plan du transport, ce sont vraiment les consommateurs qui vont payer la taxe. Les compagnies pétrolières ne vont pas payer beaucoup de taxes parce qu'elles émettent relativement peu de CO2 lors de la production. De plus, pour les exportations, on pourrait très bien les rendre exemptes de taxes.

Le sénateur Massicotte : Le gouvernement réagit à cet argument qui, je pense, est valable. Les Canadiens se sont exprimés clairement à la dernière élection sur le plan de Stéphane Dion. Ils ont rejeté clairement toute taxe sur le carbone. Or, il n'y a pas d'intérêt politique de procéder comme tel. Êtes-vous d'accord avec cela?

M. Pineau : Politiquement, c'est effectivement très difficile. Je pense qu'on n'avait pas la meilleure personne en Stéphane Dion pour expliquer aux Canadiens pourquoi une taxe sur le carbone est bonne. Il faut aussi constater que la population a une allergie au mot « taxe ». C'est dommageable. Donc il est très difficile pour des politiciens d'expliquer pourquoi une taxe peut être bonne.

Le gouvernement fournit énormément de services extrêmement importants pour la société. On aime la justice, on aime l'éducation, on aime le système de santé. Votre présence ici est financée par tous les payeurs de taxes au Canada. Donc les payeurs de taxes devraient se rendre compte de la qualité de nos institutions. On devrait, d'une manière générale, essayer de mieux expliquer à la population pourquoi payer les taxes est une bonne chose, et que cela nous donne des services qu'on apprécie.

Le sénateur Massicotte : Or, il faut changer le vendeur. Les Canadiens vont accepter de payer plus cher si l'on peut mieux vendre notre salade.

M. Pineau : Si l'on explique bien les bénéfices économiques, sociaux et environnementaux, je pense que les Canadiens peuvent comprendre. Cela demande une maturité politique de la part des Canadiens, mais aussi des partis politiques. Cette maturité, on ne la trouve pas dans la population et pas toujours dans les partis politiques. Cependant, je crois fortement qu'en expliquant les raisons aux Canadiens, on va pouvoir les convaincre.

[Traduction]

Le président : Je ne peux m'empêcher de suggérer au sénateur Massicotte de demander à M. Dion de revenir pour expliquer cela.

Le sénateur Brown : Merci de votre exposé. Je l'ai trouvé très intéressant. Je suis d'accord avec tous les commentaires du sénateur Neufeld, mais je veux que nous nous arrêtions sur la question de savoir si vous avez tenu compte des distances considérables qui doivent être parcourues aux fins du transport des aliments. Six mois par année, une partie de nos aliments nous arrivent du Mexique, et même d'aussi loin que de l'Argentine. Pour traverser les chaînes de montagnes qui se dressent sur leur route, les camions doivent être dotés de moteurs d'une puissance inouïe.

Dans un premier temps, examinons plus particulièrement la conversion au gaz naturel. L'un des graphiques que vous nous avez fournis indique que le gaz naturel est beaucoup moins polluant que d'autres combustibles, et qu'il s'agit actuellement de l'une des énergies les moins chères que nous puissions obtenir.

M. Pineau : Nous avons besoin de camions, mais ce ne sont pas ceux-ci qui posent problème. Si vous jetez un coup d'œil à la diapo 10, vous verrez que les camions ne comptent que pour 14 p. 100 de notre consommation d'énergie. Le problème, ce sont les voitures et les moyens de transport individuel, lesquels comptent pour 62 p. 100 de notre consommation énergétique. Ce ne sont pas les camions qui posent problème, même s'ils pourraient être plus efficients.

En ce qui concerne le gaz naturel, nous avons du gaz de schistes. Il semble que les ressources du Canada en gaz naturel soient supérieures à ce que nous pensions. Ces ressources doivent être exploitées prudemment, car nous devons tenir compte de questions liées à la protection de l'eau et de l'environnement. Là où le bât blesse, c'est que, à l'heure actuelle, le prix du gaz naturel est bas. Cependant, pour cette raison même, le recours au gaz naturel va beaucoup augmenter, puis son prix va doubler. Je prévois que le prix du gaz naturel doublera d'ici deux ou trois ans, pour atteindre son prix d'il y a deux ou trois ans.

Le sénateur Neufeld : Je suis d'accord avec vous. Vous venez tout juste de dire que le prix du gaz naturel augmentera. Je suis d'accord avec le sénateur Brown en ce qui concerne l'utilisation du gaz naturel comme carburant de transport dans l'avenir. En fait, il fera partie des énergies que nous consommons. Cependant, les prix augmenteront, et cela incitera les gens à la prudence et à moins utiliser leur voiture.

M. Pineau : Je ne suis pas contre les voitures. Je dis simplement que nous devrions faire en sorte qu'une partie de la population délaisse la voiture au profit des transports en commun, des trains et des autobus. Une portion du public est disposée à le faire, et nous pourrions agir de façon plus efficace à cette fin. Puis, ceux qui choisissent d'utiliser leur voiture pourraient se tourner davantage vers les voitures écoénergétiques actuellement disponibles, mais ils ne le font pas parce qu'aucune mesure incitative n'est prise pour rendre ce choix attrayant sur le plan financier.

Le sénateur McCoy : Merci beaucoup. Votre façon d'envisager les choses sort de l'ordinaire. Vous insistez sur l'aspect de la consommation, du moins en ce qui a trait à l'utilisation d'énergie par les ménages, et j'estime que cette piste de recherche pourrait se révéler très utile dans le cadre de notre étude. Je suis absolument d'accord avec votre affirmation selon laquelle la réduction de la consommation d'énergie nous permettrait de dégager une partie de nos ressources de manière à ce que nous puissions les vendre à d'autres et faire plus d'argent. C'est un calcul qui me plaît.

Le président : Collègues, je crois que nous sommes tous d'accord avec le sénateur McCoy. Il s'agit d'une approche utile et profitable.

[Français]

Je vous remercie sincèrement d'avoir été des nôtres ce soir; ce fut une présentation extrêmement utile pour notre étude.

[Traduction]

En outre, elle fait honneur à la bonne réputation de HEC Montréal. Merci de vous être présenté devant le comité.

Le deuxième témoin que nous recevons ce soir est le professeur David Keith, qui a de nouveau fait les manchettes la fin de semaine dernière. Il est le directeur éminent et bien connu de l'Institut de l'énergie durable, de l'environnement de l'économie de l'Université de Calgary, où il est titulaire de la chaire de recherche du Canada sur l'énergie et l'environnement.

Le professeur Keith travaille depuis environ 20 ans sur la question des liens entre les sciences du climat, les technologies énergétiques et les politiques publiques. Ses travaux sur l'évaluation des technologies et des politiques sont axés sur le captage et le stockage du CO2, les tenants et aboutissants de l'ingénierie climatique mondiale et les technologies en la matière, les aspects économiques et les répercussions climatiques de la production d'énergie éolienne à grande échelle et les perspectives d'avenir en ce qui a trait à l'utilisation d'hydrogène comme combustible.

Le professeur Keith a fait partie de nombreux groupes consultatifs de premier plan. Par exemple, il a participé à l'étude de géo-ingénierie de la U.K. Royal Society, du GIEC, le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat et de divers groupes et conseils d'experts canadiens.

J'ai distribué à tous les honorables sénateurs trois documents que le professeur Keith a fournis au comité, à savoir « Dangerous Abundance », un chapitre tiré du livre Carbon Shift :How the Twin Crises of Oil Depletion and Climate Change Will Define the Future; « Research on global sun block needed now », un article cosigné avec Edward Parson et Granger Morgan, et « A win-win-win solution », un article paru dans The Globe and Mail et cosigné avec Thomas Homer-Dickson.

David Keith, chaire de recherche du Canada en énergie et environnement, Université de Calgary : Je vous remercie de m'accueillir par vidéoconférence. Je viendrai à Ottawa ce week-end avec mes enfants, mais nous n'avons pas pu trouver une heure qui convienne à tous pour que je vous rencontre en personne.

J'ai fait circuler ces documents parce que je croyais qu'ils pourraient être utiles, mais je ne suis pas certain de savoir ce que vous attendez de moi. Je vais faire quelques déclarations préliminaires, puis je répondrai à vos questions. Je vais présenter brièvement quatre idées en vue de provoquer la discussion.

La première se rattache à la recherche et au développement énergétiques. Je parle non seulement de la recherche et du développement en milieu universitaire, mais aussi de la mise en valeur des technologies et de l'expertise en matière d'énergie ainsi que de l'industrie de l'énergie propre. Le Canada doit centrer ses activités. La situation est très différente aux États-Unis. Je passe une plus grande partie de mon temps à exercer un rôle de conseiller sur ces dossiers aux États- Unis qu'au Canada. Aux États-Unis, il est plus réaliste de songer à laisser le marché trancher et d'adopter une approche tous azimuts.

Bien que le Canada soit un pays merveilleux et un endroit dynamique, sa population dépasse à peine les 30 millions. Vu la réalité de la concurrence, du marché mondial de l'énergie et des marchés de l'énergie propre, si le Canada essaie de tout faire — de bâtir de véritables industries éolienne, nucléaire et solaire ainsi qu'une industrie des combustibles fossiles modernes —, nous sommes voués à l'échec. C'est triste, mais c'est assez clair.

J'inviterais le comité à examiner le rapport de la commission dirigée par Angus Bruneau il y a environ quatre ans. J'ai siégé à cette commission et j'estime que ses travaux étaient remarquablement bien menés et qu'elle était dotée d'un personnel efficace et attentif aux besoins du Canada en matière de recherche et de développement énergétiques. Nous avons tenté de mettre ce point en valeur dans le rapport.

Ma deuxième idée se rapporte aux politiques climatiques générales. Évidemment, nous comprenons tous que le Canada ne peut pas prendre les devants sur les États-Unis, que nous le voulions ou non, parce que les retombées économiques seraient abominables. Cela ne signifie pas que nous en sommes réduits à attendre passivement que les États-Unis prennent une décision. Cette stratégie ne serait probablement pas fructueuse pour le Canada, car, lorsque les États-Unis prendront une décision, ils apporteront soigneusement de petites modifications aux lois afin d'écarter les concurrents canadiens. Les gens ne sont pas des idiots; c'est de la vraie politique.

Il y a d'autres options. Par exemple, on peut se tourner vers les négociations sous l'égide de la convention-cadre internationale. Plus intéressant encore, les pays peuvent prendre des engagements conditionnels. Beaucoup d'universitaires y ont pensé, mais certains pays ont tenté de le faire.

Si l'on retenait cette option, le Canada s'engagerait à fixer un certain prix pour le carbone — par l'intermédiaire d'une taxe ou je ne sais quoi — qui serait explicitement lié à ce que font les États-Unis. Tout le monde serait convaincu que le Canada fait réellement quelque chose — et il serait juridiquement tenu de respecter ses engagements, mais la mesure dans laquelle nous le ferions serait en quelque sorte liée à ce que font les États-Unis. J'aimerais que le lien amène le Canada à en faire plus que les États-Unis. Ces engagements conditionnels imbriqués constituent une façon plus crédible de mobiliser la communauté internationale autour de la question des changements climatiques qu'une initiative à l'onusienne où 192 pays négocient et sont tous libres d'exercer leur droit de veto.

Troisièmement, j'aimerais faire un commentaire général au sujet des conseils techniques prodigués au gouvernement. Je suis fier d'être Canadien : j'ai grandi à Ottawa, et j'aime mon pays pour beaucoup de raisons. Toutefois, j'ai passé environ la moitié de ma carrière aux États-Unis. Je suis dépité de la piètre qualité des institutions qui sont censées offrir au gouvernement du Canada des conseils indépendants et de haute grande en matière de science et de technologies. Ils sont beaucoup plus faibles que certains de nos grands concurrents. La faute ne revient pas à une personne ou au gouvernement. Le problème remonte en partie à l'élimination du Conseil des sciences du Canada, il y a plusieurs décennies.

Par exemple, au Royaume-Uni, j'entretiens des relations avec David Mackay et je le rencontrerai, avec Bill Gates, cette semaine. Il s'agit du conseiller scientifique en chef du ministère de l'Énergie et du Changement climatique du Royaume-Uni. Il est l'un des premiers spécialistes au monde sur le sujet. Il doit rendre des comptes à des experts scientifiques en chef au Royaume-Uni par le truchement d'un mécanisme indépendant. Une équipe est chargée de fournir des conseils indépendants et de grande qualité en vue d'analyser ce que produisent les collaborateurs du ministre. Il s'agit d'un mécanisme efficace, et il n'y a rien de comparable au Canada.

L'Académie nationale des sciences des États-Unis a la capacité de produire des rapports de très grande qualité dont la plupart — pas tous — sont indépendants, et les gouvernements ont le choix d'en tenir compte ou non, mais ces travaux sont utiles. La structure de la Société royale du Canada ne lui permet pas de jouer ce rôle.

Par exemple, d'autres organismes américains, comme le Bureau de la responsabilité fédérale des États-Unis, sont maintenant structurés de façon à pouvoir produire des rapports technologiques de grande qualité sur des sujets précis à l'intention du Congrès, indépendamment de la présidence. Ces rapports contiennent de l'information précieuse indépendante des documents que les ministères fournissent au Congrès américain.

Ces activités ne sont pas dispendieuses. Le Canada pourrait faire certaines de ces choses à très bon marché. Cela doit être multipartite. Qui pourrait s'opposer à recevoir de la meilleure information technique? Sans information, il est plus difficile pour le Canada de prendre des décisions judicieuses.

Je vais m'arrêter ici. Je pourrais aussi formuler des commentaires généraux au sujet de l'état du débat canadien sur l'énergie et l'environnement et la raison pour laquelle nous semblons faire du surplace.

Le président : Merci, monsieur. En réponse à votre première remarque selon laquelle vous n'êtes pas certain de bien comprendre ce que nous attendons de vous, notre comité est mandaté par le Sénat pour étudier le secteur de l'énergie en vue de mieux définir notre perspective. Vous venez d'avancer que nous devons centrer nos activités dans le pays. Vous avancez que nous devons prodiguer des conseils au gouvernement sur la forme que devrait prendre la politique nationale en matière d'énergie propre. À cette fin, nous avons entendu le témoignage de Bruce Carson, de l'Université de Calgary, mardi dernier. Il vous a chaudement recommandé et nous a pressés d'entendre votre témoignage. Son organisme a entrepris une étude semblable à celle que nous menons, tout comme le fait l'EFI, l'Energy Framework Initiative, lancée par les grandes sociétés pétrolières et gazières et quelques autres groupes industriels.

Nous tentons de collaborer avec des organes comme le Conseil canadien de l'énergie, qui est affilié au Conseil mondial de l'énergie, afin d'éviter le chevauchement des efforts. Nous voulons concevoir une démarche centrée et efficace. Nous sommes encore aux étapes préliminaires de la compréhension des dossiers. L'un de nos collègues parle d'« éducation énergétique ». Nous savons qu'un peu de savoir est une chose dangereuse pour des profanes comme nous, mais nous faisons de notre mieux, et nous espérons pouvoir compter sur votre aide en cours de route.

M. Keith : Il est fantastique que le Sénat ait pris cette initiative. C'est peut-être moi qui ai oublié de lire la documentation préparatoire. Le domaine est assez large, et je ne suis pas certain de ce que je peux faire pour vous aider, mais je me ferai un plaisir d'essayer.

Le sénateur Mitchell : Compte tenu de vos antécédents et de mon expérience de travail avec vous pendant la journée de l'atelier à Calgary, en compagnie de Preston Manning et du petit groupe avec lequel nous avons travaillé, je suis certain que vous ne pourrez vous empêcher d'être utile. Merci d'être venu parmi nous.

J'aimerais revenir sur vos propos au sujet de l'expert scientifique en chef et de la structure qui permet de donner des conseils techniques à un gouvernement. Pourriez-vous faire un résumé ou donner la liste de ces choses? Un expert scientifique en chef en est une. Y a-t-il autre chose?

M. Keith : Le Royaume-Uni est un système parlementaire, évidemment lié au nôtre — ou le nôtre est lié au leur. Si je comprends bien — et je ne suis pas expert en la matière, bien que je connaisse certaines des personnes concernées —, un expert scientifique en chef est affecté à chaque ministère et relève, je suppose, du sous-ministre, mais rend aussi des comptes à l'expert scientifique général du Royaume-Uni. Ces gens dirigent une équipe relativement modeste. Cette structure donne lieu à un suivi indépendant des conseils scientifiques et techniques et permet de remettre en question les données produites par le ministère. L'idée, c'est d'établir une voie indépendante.

Le scientifique en chef relève du Cabinet ou du BCP, j'imagine, ou j'ignore comment on désigne l'équivalent du BCP au Royaume-Uni. Je ne connais pas les détails exacts, mais je sais que c'est là la relation hiérarchique fondamentale. Lorsque le gouvernement a d'importantes questions d'ordre technique, il peut consulter l'expert scientifique en chef des différents ministères et obtenir les réponses techniques, qui diffèrent de la réponse directe qui serait le fruit d'une politique ministérielle. Il y a un lien, mais c'est distinct.

Aux États-Unis, il y a John Holdren, à l'Office of Science and Technology Policy, situé à la Maison Blanche, et cet organisme compte des dizaines d'employés. Il ne s'agit pas d'un poste à l'échelon du Cabinet, car aucun ministère ne s'y rattache, mais il s'agit d'un poste de coordination de l'échelon supérieur qui traite de toute une panoplie de dossiers en matière de sciences et de technologies, de la sécurité nucléaire et du contrôle des armements à l'énergie et à l'environnement, sujets de tout premier ordre pour M. Holdren. Il s'agit d'un bureau central, en quelque sorte. Normalement, ce bureau contient des gens qui sont parmi les plus compétents qu'on puisse imaginer, et ils connaissent à fond ces dossiers aux États-Unis. Vous avez mentionné Ted Parson, aussi Canadien, qui a servi à l'OSTP à la Maison Blanche sous l'avant-dernier président. Des gens de haut calibre y travaillent et offrent des conseils indépendants au gouvernement américain par l'intermédiaire de ce bureau. Encore une fois, il n'y a rien d'équivalent au Canada, à ma connaissance.

Enfin, l'Académie nationale des États-Unis est dotée d'un financement, d'une structure et d'un système qui lui permettent de produire des rapports de fond, sérieux et de grande qualité qui envisagent habituellement les différentes perspectives et distinguent de façon utile les faits techniques des valeurs, et ces rapports jouent un rôle crucial dans la politique américaine en matière de sciences et de technologies. La Société royale tente d'en faire autant ici, mais elle ne réussit pas vraiment pour des raisons qui n'ont rien à voir avec son personnel, mais qui se rattachent à sa structure.

Le sénateur Mitchell : Par ailleurs, mais de l'autre côté de l'équation — il y a la question du gouvernement qui, en plus de recevoir ou de comprendre l'information, doit aider les Canadiens à comprendre cette information. À la lumière de l'entrevue et d'autres lectures, j'ai l'impression que beaucoup de gens éprouvent de la frustration du fait que toute cette science est accueillie avec scepticisme, que les Canadiens ne l'adoptent pas ou ne comprennent pas les conséquences du changement climatique. Vous avez décrit ces conséquences en termes très évocateurs. Nous n'avons pas besoin d'une nouvelle technologie pour réduire les émissions; nous avons besoin d'une nouvelle technologie pour convaincre les gens qu'ils doivent réduire les émissions. Comment peut-on faire avancer le débat de façon constructive et amener les gens à comprendre?

M. Keith : Voilà la troisième idée que je n'ai pas abordée, alors je vais prendre une minute pour exposer mon point de vue.

Le débat sur la climatologie a un peu pris le dessus sur le débat au sujet de ce que nous devrions faire. À vrai dire, la majeure partie du débat, au fond, ne s'appuie pas sur la science. J'exagère un peu, mais j'espère que ce sera utile. On pourrait dire qu'il y a les « écolos » et les groupes plutôt à gauche qui ont dressé une liste de faits relatifs à la climatologie qui, à mon avis, sont un assez bon reflet de la réalité, mais ils ont aussi dressé une liste de ce qu'ils estiment être les solutions. Il s'agit d'une caricature, bien sûr, mais il y a d'importants groupes et d'importantes ONG au pays qui croient qu'une quelconque combinaison de petites sources d'énergie renouvelable décentralisées et de gains d'efficience est la clé et que c'est là la bonne réponse, point à la ligne. Le débat ne va nulle part, en ce sens que les gens, à partir des faits liés à la climatologie, font essentiellement le saut vers les hypothèses sur ce qu'on devrait faire.

À tout le moins de mon point de vue et de celui de bien des gens du milieu de l'énergie, il n'est absolument pas certain que cet ensemble de solutions soit le seul. J'avancerais que, si nous voulons vraiment gérer le problème du climat, ce qui suppose d'amener les pays riches à complètement éliminer les émissions dans un délai inférieur à une vie humaine, alors il faudra se tourner vers des choses moins attrayantes, parce qu'il y en a qui sont beaucoup plus économiques et beaucoup plus viables. On n'aura pas intérêt à balayer du revers de la main des technologies majeures, comme l'énergie nucléaire, qui, de fait, est l'un des seuls procédés connus permettant de produire des gigawatts d'électricité sans émission de carbone et que nous pourrions mettre en œuvre partout dans monde aujourd'hui.

On a intérêt à recourir à d'autres technologies industrielles moins attrayantes comme ça et à entreprendre sérieusement des projets avantageux sur le plan économique. Nous sommes pris dans une situation où selon une idée bien en vogue, nous devrions tous installer des panneaux solaires sur notre toit, et pourtant, le véritable coût d'une telle initiative en Ontario, compte tenu du tarif de soutien, est bien au-dessus de 1 000 $ par tonne de CO2. En revanche, les gens disent qu'il est beaucoup trop coûteux d'entreprendre des initiatives de CSC — captage et stockage de carbone — à l'aide du nucléaire, alors que le facteur de coût de cette activité est de 5 à 10 fois plus avantageux pour la même quantité de carbone.

Je ne veux pas dire que ces autres technologies sont parfaites. Elles ont de gros défauts. Toute technologie énergétique à grande échelle a de nombreuses retombées environnementales et sociales qui devraient nous préoccuper, mais le débat s'en tient à un ensemble de solutions très étroit. Ce qui arrive, c'est que les gens qui appartiennent peut- être au milieu des affaires du secteur énergétique mondial considèrent que ces solutions ne sont pas viables, et ils répliquent que les données climatologiques sont erronées, bien que l'on puisse présumer que la plupart de ces personnes sont assez instruites pour savoir que, au fond, ils ne croient pas vraiment ce qu'ils disent.

Le sénateur Mitchell : Votre article paru dans la revue Nature, intitulé « Research on global sun block needed now », a piqué ma curiosité. L'article portait sur la SRM, la gestion du rayonnement solaire. Vous avez soulevé un certain nombre d'idées intéressantes à ce sujet. Ce type de technologie est-il réel et viable? Je crois que c'est ce que vous avez dit, mais j'aimerais que vous donniez plus de détails.

M. Keith : Je consacre probablement la moitié de mon temps à cette question. C'est un dossier très chaud à l'heure actuelle, et je serais heureux d'en parler. Le comité aura peut-être intérêt à prendre connaissance de cette question.

Cela n'a rien à voir avec le débat sur l'énergie, mais c'est pertinent. Pour vous donner une idée de l'intérêt suscité par ce dossier, j'ai comparu devant un comité parlementaire du Royaume-Uni et devant un comité des sciences de la Chambre des représentants des États-Unis pour parler de cette question au cours des derniers mois, alors la situation a vraiment été mouvementée.

Je crois que, ce qui est clair, c'est que vous pourriez le faire. Si vous le vouliez, vous pourriez rafraîchir la planète en émettant des particules réfléchissantes dans la stratosphère à un coût à peu près nul; cette mesure est tellement meilleur marché que d'autres. Toutefois, il est clair que cela ne compensera pas complètement les répercussions environnementales du CO2 dans l'air. Au mieux, cela pourrait — et je dis bien « pourrait », car il n'y a pas eu assez de recherche pour le confirmer — atténuer certaines des répercussions environnementales du changement climatique causé par le CO2.

Il y a deux choses à dire à ce sujet. Il est certain que ces mesures peuvent agir rapidement. La réalité des émissions de CO2, c'est que, même si nous éliminons les émissions très rapidement, nous ne percevrons pas les effets sur le climat avant au moins 50 ans. Voilà l'énorme échelle du temps associée au CO2 dans l'atmosphère, un couteau à deux tranchants.

C'est la raison fondamentale pour laquelle des gens comme moi sont très préoccupés par le changement climatique. Ce n'est pas l'intensité du phénomène que nous observons actuellement, qui est anodin; c'est la prévision, qui repose sur des données scientifiques, que, si nous continuons à faire ce que nous faisons, le CO2 s'accumulera dans l'atmosphère et, au cours du siècle à venir, nous observerons des changements climatiques carrément 10 fois supérieurs à ceux que nous avons pu observer durant les 50 dernières années.

Le CO2 s'accumule très lentement, alors, si vous interrompez toutes les émissions aujourd'hui, ce que, évidemment, vous ne pouvez faire que si la terre entière s'engage dans la lutte — on serait toujours aux prises avec le problème climatique, car l'effet du CO2 dans l'atmosphère dure des milliers d'années. Or, nous savons que l'émission de particules réfléchissantes dans la stratosphère aurait pour effet de refroidir la planète rapidement — en un an. Nous savons que c'est vrai parce que les gros volcans font cela. On n'est pas certain que le volcan actuellement actif aura cet effet, mais le Pinatubo, par exemple, a émis 10 millions de tonnes de souffre dans l'atmosphère, et la planète s'est refroidie d'un demi-degré en un an au début des années 1990.

Il y a aussi des préoccupations profondes sur le plan géopolitique. J'ai assisté à une réunion qui visait à rassembler de hauts dirigeants en matière de politique étrangère, dont certains possédaient une expertise dans le domaine de la sécurité nucléaire.

Seulement pour vous donner un exemple, on a des raisons de croire que le gouvernement chinois se préoccupe de plus en plus du changement climatique. Il craint l'affaiblissement de la mousson asiatique, qui pourrait avoir des retombées sur la capacité de nourrir la population. Les gens qui s'intéressent à ces choses font valoir que, les gouvernements chinois changent lorsqu'ils sont incapables de nourrir les gens.

Si la Chine tentait de rafraîchir les océans près de la Chine pour renforcer la mousson, que cela fonctionne ou non, on s'en fiche. Supposons qu'elle le fait et supposons que, en Inde, on croit que cette mesure aggrave la mousson. Encore une fois, ce qui se produit vraiment a peu d'importance. Il s'agit de deux États qui disposent d'armes nucléaires. Nous n'avons aucun mécanisme pour régler les chicanes de thermostat, alors les conséquences de ces technologies inspirent des préoccupations très réelles.

Je pourrais continuer et vous raconter ma mise en situation habituelle à ce chapitre pour toute la session, si vous le voulez, et je pourrais recommander d'autres gens. En pratique, en ma connaissance, essentiellement, rien ne se passe au Canada. Je participe aux travaux du groupe directeur à Washington D.C., qui aide à établir la structure du financement. Je participe aux travaux du comité de la Royal Society du Royaume-Uni, mais, autant que je sache, le Canada n'a pris aucune mesure à ce chapitre. Essentiellement, je n'ai tenu aucune discussion avec les représentants du gouvernement à ce sujet.

Le sénateur Peterson : Pour ce qui est des projets de captage de carbone et de démonstration, à votre avis, approchons-nous l'étape de la commercialisation?

M. Keith : On ne pourra jamais procéder à la commercialisation avant de fixer un prix pour le carbone. À peu près tout ce qu'on fait pour réduire les émissions de carbone coûte plus cher que de ne rien faire. Il est toujours plus économique d'utiliser l'atmosphère en guise de dépotoir gratuit. Ainsi, nous devons trouver de véritables moyens de dissuader les gens de déverser leurs déchets dans l'atmosphère.

J'estime qu'une taxe sur le carbone assortie de mesures de recyclage du revenu serait la mesure idéale. Je crois que la façon de vendre l'idée, c'est de dire que l'impôt sur le revenu et l'impôt sur les bénéfices font obstacle à l'emploi. En principe, c'est ce qu'on fait : on impose l'emploi.

Nous voulons plus d'emplois et moins de carbone. Si on trouvait une façon de clairement faire valoir que les retombées sur le revenu seraient neutres — on baisse l'impôt sur le revenu personnel et les bénéfices des sociétés et on augmente la taxe sur le carbone en même temps — je crois qu'il y a beaucoup de données démontrant que cette mesure serait la plus efficace.

Toutefois, que l'on procède ainsi ou que l'on recoure carrément à des interdictions ou à des systèmes de plafonnement et d'échange importe peu, tant que l'on fasse quelque chose; sinon, ces technologies ne se rendront jamais sur le marché — ni l'énergie éolienne ni la technologie de CSC. Si on éliminait les mesures incitatives pour l'énergie éolienne, ce secteur s'écroulerait.

Le sénateur Peterson : Je suis d'accord. Nous avons assisté à la conférence Globe 2010 il y a un mois ou deux, et certains des conférenciers ont dit que les industries et les gouvernements devront collaborer davantage et échanger leurs renseignements scientifiques, ce qui ne semble pas se produire actuellement. Est-ce un problème de propriété intellectuelle, ou refusent-ils de communiquer?

M. Keith : Si une industrie met au point une technologie exclusive, elle veut en tirer profit. Je vais vous donner deux exemples. Alstom Power, l'un des premiers fournisseurs mondiaux d'équipement lourd pour l'industrie de l'électricité — nombre de ces centrales chinoises sont essentiellement inspirées du travail de cette société — consacre 150 ou 200 millions de dollars par année pour mettre au point des technologies de CSC. Elle a maintenant conclu un nouveau contrat, financé par le gouvernement albertain, en vue d'établir un système de captage postcombustion à l'usine de Wabum de TransAlta.

Je crois que cette technologie est très intéressante, car le captage postcombustion dans les centrales est le moyen de régler le problème du parc de centrales chinois. Le gouvernement albertain répète constamment qu'Alstom devrait, d'une façon ou d'une autre, partager toute cette technologie. Au bout du compte, aucun marché n'a été conclu.

Je connais assez bien le vice-président en chef de la division de la technologie d'Alstom, et je crois que la société plierait bagage. Cela irait à l'encontre des intérêts de ses investisseurs. On est dans une économie de libre marché. Le Canada a vraiment intérêt à encourager Alstom à le faire, mais s'il essaie de conclure un marché qui obligerait Alstom à tout dévoiler, il n'y aura pas de marché. Cela revient tout simplement à la structure des marchés.

J'ai commencé par être un genre de socialiste de gauche. Nous devons songer à la façon d'établir une concurrence ouverte et d'encourager l'innovation, mais, en général, cela ne se produit jamais dans un monde où tout le monde partage tout.

Je crois que le procédé de CSC comporte deux volets complètement différents : le volet captage et le volet stockage. Le volet captage, selon moi, peut être exploité comme une entreprise normale, car tout le monde peut mesurer le rendement. Dans le cadre d'une entreprise normale, on peut voir ce qui fonctionne, ce qui ne fonctionne pas et quels sont les coûts.

Le volet stockage suppose des risques à long terme potentiels pour le public et, en fait, n'est pas très coûteux; tous les coûts se rattachent au captage. À mon avis, le volet captage devrait être exploité plus ou moins selon les règles normales de la concurrence, qui s'appliquent à l'énergie éolienne ou à l'énergie solaire ou je ne sais quoi — pour ce qui est du captage —, et nous devrions demander une forte participation du public. On pourrait même faire valoir que cette activité devrait être intégrée aux services publics, car elle n'est pas très coûteuse, et le gouvernement a un intérêt à long terme qui consiste à assurer la sécurité publique. On ne peut pas se fier à une société à ce chapitre, car l'existence du risque est plus longue que celle d'une société.

Le sénateur Lang : J'aimerais vous renvoyer à votre article intitulé « Dangerous Abundance ». C'est une lecture intéressante qui met en lumière beaucoup d'informations au sujet de l'énergie et de la question du changement climatique.

Dans votre déclaration préliminaire, vous avez fait allusion à la nécessité de prendre des décisions importantes au chapitre de l'énergie en vue de régler la question des émissions de gaz à effet de serre et nos problèmes climatiques.

Vous avez mentionné l'énergie hydroélectrique et l'énergie nucléaire dans votre article. De toute évidence, vous en savez long au sujet de l'énergie. Pour ce qui est de l'énergie nucléaire et de l'expansion de ce secteur au Canada, par exemple, êtes-vous convaincu qu'on a mis en place tous les mécanismes de sécurité? Que nous, en notre qualité de Canadiens, pouvons dire que cette voie est sécuritaire et nous permettra de combler nos principaux besoins en matière d'énergie?

M. Keith : La sécurité dans quel domaine? Quelles sont les grandes préoccupations des gens à l'égard de l'énergie nucléaire? Les déchets, la sécurité du réacteur, le coût et l'armement. Les gens n'ont pas tous la même idée de l'enjeu qu'ils considèrent comme le plus grave. À mes yeux, l'armement est de loin l'enjeu le plus inquiétant. Selon la plupart des normes, la gestion des déchets nucléaires est extrêmement sécuritaire comparativement à d'autres activités des sociétés technologiques. Après l'armement, mon plus grand souci tiendrait probablement à la sécurité du réacteur. Le public place sans doute les déchets nucléaires au premier rang de ses inquiétudes, mais j'ai de la difficulté — à l'instar probablement de la plupart des experts du milieu — à comprendre pourquoi.

Pour vous donner une idée du risque relatif — tout d'abord, toutes les technologies énergétiques comportent des risques. Le parc de centrales au charbon de l'Amérique du Nord tue aujourd'hui quelque chose comme 10 000 personnes par année à cause de la pollution atmosphérique par les particules fines. Ce n'est pas de la propagande de gauche. Cela reflète pas mal les données épidémiologiques avérées. Même la tragédie de Tchernobyl — et nous sommes certains que cela ne se produirait jamais ici, car c'était le fruit d'un régime soviétique tordu — a fait moins de morts que l'exploitation sur un an du parc de centrales en place.

En vérité, nous faisons des choix alors qu'il n'y a pas de solution parfaite. Si quelqu'un vous dit que l'énergie nucléaire n'entraîne aucun risque, cette personne vous ment. Vous devez comparer les risques, et les risques de l'énergie nucléaire, à tout le moins les risques normaux, m'apparaissent minimes.

Ma principale préoccupation au chapitre de l'énergie nucléaire — et l'orientation que prendrait mon vote dans le cadre d'un référendum — dépend du moment; mon opinion n'est pas fixe. Cela dépend en grande partie de la technologie exploitée. Si j'ai de graves préoccupations au sujet de l'énergie nucléaire, elles se rattachent soit à la nature dysfonctionnelle de l'industrie nord-américaine et canadienne, soit à l'armement.

Si l'Occident commence à axer ses capacités sur la production d'énergie nucléaire pour gérer le changement climatique — et, à mon avis, on pourrait faire valoir que ce serait une bonne chose —, il ne fait aucun doute qu'on déclenchera une tendance mondiale à exploiter cette technologie. Nous vivons dans un monde où beaucoup de gens sont en colère, et nous recourons encore à la guerre pour régler ces différends. Un objet gros comme ça peut anéantir Ottawa.

Le sénateur Lang : Je ne suis pas certain de vous avoir bien compris. Vous avez parlé de sociétés dysfonctionnelles. Est-ce bien ce que vous avez dit?

M. Keith : Examinons tout d'abord l'exemple des États-Unis, puis je vais m'attaquer au Canada, qui, à certains égards, est encore pire.

Il s'agit d'une opinion assez courante dans l'industrie. Je siège maintenant au conseil consultatif de l'Electric Power Research Institute des États-Unis, principale association de l'industrie, alors je vois beaucoup de représentants de l'industrie nucléaire. Je crois que nombre d'entre eux s'entendraient pour dire que, à l'époque où se constituaient les réacteurs aux États-Unis, presque chaque réacteur était différent. En général, pour chaque réacteur, il y avait un vendeur de réacteurs, l'entreprise de services publics et un entrepreneur principal. Les trois mêmes personnes ne collaboraient presque jamais sur plus d'un projet. Il y avait très peu d'apprentissage par la pratique. C'était en quelque sorte une période anarchique où beaucoup de choses ont été construites rapidement. Vous ne serez pas étonnés d'entendre qu'il y a eu d'énormes dépassements de coût. La situation a été tout autre en France. En effet, la France a adopté une démarche disciplinée en construisant la même chose et en l'améliorant graduellement; les résultats sont éloquents.

À bien des égards, durant son développement, l'industrie nucléaire américaine a obtenu de piètres résultats, et cela se reflète dans ses statistiques relatives à la fiabilité. Il y a 20 ans, bon nombre de ces réacteurs ne pouvaient générer de l'énergie que 70 p. 100 du temps. Maintenant, on assiste à une vaste fusion des exploitants. Les coûts de fonctionnement ont chuté, et nombre de réacteurs sont désormais exploités à plus de 100 p. 100 de leur capacité initiale. La quantité d'énergie produite aux États-Unis a en fait augmenté, même si certains réacteurs ont été déclassés.

Le cas du Canada est étrange. La technologie canadienne en matière de réacteurs est unique et diffère de la tendance mondiale à l'heure actuelle. De nombreuses raisons justifiaient la mise au point de cette technologie durant la guerre, et de nombreuses personnes intelligentes y ont contribué, mais je crois que le Canada fait face à une décision difficile. Soit nous injectons un financement massif — le double, le triple ou le quadruple de l'argent que nous affectons actuellement à ce secteur — et nous essayons d'être véritablement en mesure de soutenir la concurrence et de décrocher en Chine des contrats pour construire des réacteurs, soit nous éliminons ce secteur.

Au moment de la commission Bruneau, nous avons demandé à notre personnel d'effectuer une vérification. Les représentants du secteur nucléaire n'ont pas été les premiers à nous donner ce chiffre, mais le personnel de Ressources naturelles Canada l'a prouvé. Nous dépensions environ 200 millions de dollars par année de l'argent du gouvernement canadien par l'intermédiaire d'EACL, et la probabilité de réellement percer le marché à l'aide du réacteur CANDU semblait faible.

Le sénateur Lang : J'aimerais revenir à la question que vous avez soulevée au sujet de la liquéfaction du charbon. Vous avez fait allusion à la quantité d'usines qui s'installent en Chine. Pourriez-vous donner plus de détails à ce sujet?

M. Keith : Il est difficile de déterminer la quantité. J'ai beaucoup d'amis qui gagnent leur vie dans ce domaine, et personne n'est certain. Chaque consultant a une opinion différente à ce chapitre. Ces usines prennent le charbon et le gazéifient — ou utilisent une autre méthode — pour en faire de l'essence et du diesel. Ce procédé a été utilisé à des fins commerciales. Il a été mis au point durant la guerre. En effet, l'effort de guerre des Allemands a été axé en grande partie sur cette activité. J'éprouve parfois de la frustration lorsque des Albertains du milieu des affaires prétendent que la gazéification du charbon serait risquée, que c'est une nouvelle technologie de pointe. Je me dis que les Allemands avaient trouvé le moyen de le faire à grande échelle tout en se faisant bombarder pendant les années 1940. Il est évident que nous savons comment faire, et on le fait à grande échelle aux quatre coins du monde. Parfois, les représentants de l'industrie disent de telles choses pour se soustraire à l'obligation de prendre des mesures.

La Chine le fait. Le gouvernement consent d'énormes investissements à ces usines qui produisent chaque jour 20 000 barils. Elle considère cela comme une protection contre l'augmentation du prix du pétrole, mais cette mesure sera la source de beaucoup d'émissions de CO2 si on ne met en place aucun procédé de captage.

Le président : Monsieur Keith, vous avez parlé du parc de centrales au charbon. Parliez-vous de la situation mondiale?

M. Keith : Le chiffre se rattachait à l'Amérique du Nord. En Chine, le chiffre est supérieur.

Le président : Vous avez parlé de l'incidence sur les poumons, notamment, des personnes qui travaillent là, et le chiffre que vous avez donné est renversant.

M. Keith : Je ne parle pas des personnes qui travaillent là. Je parle de nous tous. La pollution par les particules fines est le produit de différentes sources, comme les voitures et les centrales. Il y a aussi de curieuses sources indirectes. L'alimentation des bovins produit de l'azote, qui entraîne également ce phénomène.

Cette pollution par les particules fines en Amérique du Nord est responsable de la mort de quelque 5 000 à 10 000 personnes par année. C'est ce que nous ont révélé les études épidémiologiques, qui comparent le nombre de personnes admises dans les hôpitaux aux mesures de la qualité de l'air.

Le président : J'ai entendu dire que, tous les deux jours, on construit une nouvelle centrale au charbon en Chine. Avez-vous des données analogues pour le reste du monde, comme la Russie?

M. Keith : Dans le reste du monde, les chiffres sont supérieurs de beaucoup en ce qui concerne la pollution atmosphérique totale, mais ils varient selon les sources. En Amérique du Nord — chez les riches —, on a assez bien nettoyé les automobiles, et il n'y a plus de combustion locale dans les villes. À l'échelle mondiale, le problème de la pollution atmosphérique par les particules fines frappe surtout les pays pauvres, et cela est imputable à la cuisson intérieure. Dans les régions les plus pauvres du monde, les personnes les plus touchées sont les femmes qui utilisent une cuisinière à bois à l'intérieur, ce qui ne se fait plus ici. Les causes de mortalité varient selon les endroits dans le monde.

La Chine est actuellement en transition. Nous voyons souvent la Chine comme un pays abominablement sale, et cette perception est assurément fondée, dans une certaine mesure. Toutefois, dans son parc de centrales au charbon, la Chine a mis sur place une capacité de désulfuration supérieure à celle des États-Unis. C'est signe que le gouvernement chinois réagit aux revendications — il y a eu des manifestations où l'on a fait feu sur des personnes, et il reconnaît que cela se produit — au sujet de la qualité de l'environnement en Chine en procédant à l'établissement d'une réglementation digne de ce nom.

Le sénateur Banks : Le ministre de l'Environnement nous a parlé l'autre jour. J'ai l'impression que l'industrie énergétique est impatiente de connaître les règles du jeu et d'enfin pouvoir faire quelque chose. L'autre jour, lorsque le ministre est venu témoigner, il a répondu sans équivoque à une question du sénateur Mitchell au sujet du système de plafonnement et d'échange. Le ministre a dit que, si les États-Unis le font, nous le ferons; et si les États-Unis ne le font pas, nous ne le ferons pas. J'aimerais que vous nous disiez si vous croyez que cette réponse nette est une bonne chose.

Deuxièmement, j'aimerais que vous donniez plus de détails sur votre commentaire selon lequel nous avions tort de dire : Voilà le problème et voici la solution. Quel est l'aspect de cette relation qui nous échappe? Le raisonnement que la plupart d'entre nous ont adopté consiste à dire : Voici l'ensemble des problèmes; comment allons-nous les résoudre? Quelle solution de rechange devrions-nous adopter? S'agit-il tout simplement de recourir aux conseillers scientifiques dont vous avez parlé?

M. Keith : Ce sont des questions difficiles. Je crois en avoir entendu trois. Tout d'abord, je vais me prononcer sur la mesure dans laquelle l'industrie est sérieuse lorsqu'elle dit qu'elle veut savoir à quoi s'en tenir avant d'aller de l'avant. Deuxièmement, je vais parler du système de plafonnement et d'échange, puis je répondrai à la dernière question.

Je vis à Calgary depuis six ans et j'adore cette ville. C'est un endroit incroyablement novateur et dynamique. Quand je suis arrivé dans cette ville, j'étais un professeur aux idées assez libérales. J'ai trouvé fantastique de pouvoir parler autant aux gens qui dirigent l'industrie énergétique et de constater à quel point ils ont l'esprit ouvert. Cela me fait plaisir. J'ai entendu encore et encore l'affirmation suivante : Si ces gens du gouvernement peuvent finir par bouger, nous sommes prêts à y aller. Au début, je prenais ce commentaire au pied de la lettre, mais avec du recul, je m'aperçois que ce n'est pas si simple. Si la « certitude » qu'ils réclament prenait la forme d'une taxe sur le carbone de 100 $ la tonne, les gens de l'industrie ne seraient pas contents. Il veut une certitude, mais à prix modique. Vous avez aussi entendu des déclarations étranges au sujet de la certitude, comme : Nous ne pouvons pas prendre de décisions sans certitude. Attendez. Il est évident que les dirigeants de tous les secteurs, surtout celui du pétrole, prennent constamment des décisions face à l'incertitude. C'est leur travail. Parfois, lorsqu'ils disent que tout va rentrer dans l'ordre quand les représentants du gouvernement prendront une décision, ce n'est que du vent; cela ne reflète peut-être pas leur point de vue réel. Il n'est pas trop brutal de dire cela.

Pour ce qui est du système d'échange et de plafonnement, je suppose que le ministre décrit probablement bien ce que ferait le Canada à court terme, dans la mesure où, si les États-Unis mettaient sur pied un programme d'échange et de plafonnement, je ne peux pas voir pourquoi le Canada s'abstiendrait d'y participer. Si les États-Unis ne le font pas, il demeure possible, mais moins probable, que le Canada le fasse.

Certes, je suis sûr que d'autres gens vous ont dit que, à Washington, la tendance s'éloigne nettement du système d'échange et de plafonnement, ce qui est en partie imputable à la crise financière, et chaque révélation au sujet de Goldman Sachs aggrave les choses. Les gens sont sceptiques devant un système d'échange qui laisse beaucoup de place à la spéculation et accorde une grande valeur potentielle à ces permis échangeables. Les Américains sont de plus en plus nombreux à constater que, même si personne n'aime les taxes, la plupart des mesures qui semblent viables proposées au Sénat reviennent essentiellement à des taxes, sous un autre nom. Je crois que c'est une bonne chose. Quelle qu'en soit la forme, c'est un fait.

Quant à votre dernière question, j'ai probablement été un peu vague. Je songe à deux choses. Nous aurions tous avantage à établir la distinction entre les faits et les valeurs dans le cadre du débat environnemental. Il y a certains faits qui établissent la mesure dans laquelle le climat changerait et on est incertain de ce qui se produirait si on ne faisait rien. En revanche, de nombreuses valeurs environnementales entrent en jeu, comme l'importance que nous accordons à nos petits petits-enfants relativement aux gens ici aujourd'hui, aux gens ailleurs dans le monde comparativement à nous- mêmes ou à la nature comparativement aux purs intérêts humains. Les opinions divergent sur ces questions, et c'est légitime. On peut légitimement faire valoir que nous ne devrions pas tant nous attacher au changement climatique, car il est plus important de promouvoir la santé et de lutter contre la maladie à l'échelle mondiale. Cela ne reflète pas nécessairement mon opinion, mais c'est tout de même un point de vue cohérent. Parfois, les militants les plus radicaux pour la lutte contre le changement climatique nuisent à la cause en disant : « Voici les données scientifiques, nous devons recourir à l'énergie solaire et renouvelable et assurer l'efficience en procédant exactement ainsi. » Ce n'est pas un argument crédible. Entre ces deux points de vue se trouvent les décisions difficiles que nous devons tous prendre à titre de société et que les membres du Sénat doivent nous aider à examiner. Les experts techniques ne peuvent pas prendre ces décisions pour nous. Ils peuvent nous aider à prendre connaissance des faits, mais ces questions complexes sur la façon de concilier les différentes valeurs de la population relèvent de votre expertise. Nous aurions tous intérêt à essayer d'établir une distinction judicieuse entre ces deux choses. Sur ma rue, à Calgary, les gens ne débattent pas au sujet de la climatologie, parce que la plupart de ses détracteurs n'ont jamais rien lu sur la question. Ils débattent, en quelque sorte, de la compétence qu'a Ottawa pour contrôler leur vie ou de la façon dont le gouvernement devrait gérer les dossiers environnementaux.

J'espère que cela vous a été utile.

Le sénateur Seidman : Monsieur Keith, vous avez commencé votre exposé par trois ou quatre déclarations provocantes qui stimuleraient la discussion. J'aimerais revenir à la toute première déclaration provocante que vous avez faite lorsque vous avez dit que le Canada doit centrer ses activités, que nous ne sommes que 30 millions et que nous ne pouvons pas tout faire.

Si j'ai bien compris, nous ne pouvons pas tout faire — l'énergie éolienne, solaire, nucléaire et marémotrice. Pourriez- vous donner plus de détails à ce sujet? Comment déterminons-nous sur quoi nous devons nous concentrer? Comment convainquons-nous les personnes concernées de la nécessité de nous concentrer sur ces activités? Comment mettons- nous cela en œuvre? Peut-être que nous ne pourrons pas faire le tour de cette question ce soir.

M. Keith : Je vais commencer par vous renvoyer la balle et vous dire que, au bout du compte, vous êtes les experts en matière de décisions. Ces décisions sont de nature politique, et c'est bien comme ça. La politique sert à résoudre de grands problèmes sociaux.

Permettez-moi de parler de la nécessité de centrer nos activités. Je pense à la stratégie environnementale et à la stratégie industrielle. À certains endroits, l'énergie éolienne peut s'avérer un moyen très efficient et important de produire de l'électricité à faible émission de carbone. Le Canada installe beaucoup d'éoliennes, alors on pourrait dire que le Canada possède une industrie éolienne. Toutefois, il ne s'agit pas d'une industrie éolienne qui produira le genre de rendement qui permet d'employer des gens de façon classique, car il s'agit d'une industrie de service. L'industrie de base qui consiste à construire des turbines est une vaste industrie qui est assortie d'une énorme composante de propriété industrielle et dont la valeur ajoutée est énorme, mais aucune des sociétés n'est établie au Canada. Par exemple, j'ai siégé à des comités gouvernementaux, comme celui avec Ressources naturelles Canada, qui sont censés financer la recherche. Les modiques sommes consenties — 100 000 $ par-ci, 100 000 $ par-là — sont censées aider les professeurs à mener des travaux de recherche et de développement en matière d'énergie, et ces travaux doivent ensuite trouver une application dans le monde commercial. Les gens ne sont tout simplement pas conscients de l'envergure de ce secteur d'activités, qui est maintenant une industrie mondiale d'une valeur d'environ 20 milliards de dollars ou plus par année. On ne réussira à créer au Canada une société éolienne comme Vestas que si nous concentrons nos efforts comme nous l'avons fait avec Bombardier. C'est le genre de concurrence à laquelle nous devons nous mesurer.

Pour le meilleur ou pour le pire, les opinions varient énormément. L'industrie aérospatiale, au Québec, jouit d'un soutien systématique grâce à la combinaison de Pratt & Whitney et de Bombardier. De plus, notre secteur de l'exportation est prospère. Le gouvernement a pris une décision stratégique, et des décisions difficiles ont été prises. Nous n'arriverons pas à créer une industrie éolienne à pareille valeur ajoutée au Canada juste en installant des éoliennes, car la majeure partie de l'argent sortira du Canada et ira aux fabricants de turbines.

Le CANDU est un autre exemple du genre de choix qu'il faut faire. La tendance actuelle consiste à tout simplement jeter de l'argent par les fenêtres. Il faut soit viser l'expansion à grande échelle ou se trouver un créneau pointu que l'on peut dominer, soit abandonner.

L'industrie nucléaire canadienne ne se limite pas au CANDU. SNC-Lavalin a décroché le contrat d'IAC pour le réacteur modulaire à lit de boulets qui sera construit en Afrique du Sud — il s'agit de l'un des nouveaux réacteurs les plus intéressants au monde. Ses composantes sont sécuritaires, il est plus écologique, et la technologie est améliorée. Il y a une véritable expertise canadienne au rendez-vous, mais elle n'assure pas la direction.

Nous devons tout simplement prendre une décision, ce que savent tous les gouvernements. J'ai parlé à des gens des deux partis et j'ai appris qu'ils sont conscients de l'enjeu, mais estiment que la prise d'une décision est difficile sur le plan politique. Au bout du compte, nous devons prendre des décisions. Je ne dis pas que nous devrions investir tout notre argent dans le captage et le stockage du carbone ou dans l'énergie solaire, mais nous devons prendre des décisions stratégiques afin que le pays puisse dominer dans certains secteurs et être passif dans d'autres. Ces décisions devraient influer sur l'orientation des mesures incitatives destinées à l'industrie et au milieu de la recherche.

Si nous décidons de ne pas mener une concurrence sérieuse et de mettre en valeur l'industrie et la technologie de pointe de l'énergie solaire — je ne dis pas que nous ne devrions pas le faire, cette technologie me plaît —, nous devons prendre l'argent que nous consacrons à ce secteur et le mettre ailleurs. C'est ce que nous devons faire. Le besoin est criant et bien compris, mais il est difficile de déterminer comment procéder dans notre pays, car il y a tant d'intérêts divergents. Le Québec et l'Alberta possèdent des systèmes énergétiques très différents, et cette situation est une source naturelle et inévitable de tensions politiques. Nous devons trouver une façon de travailler malgré cela et de tout de même arriver au but.

J'ignore quelle est la solution, mais je suis persuadé que nous pourrions nous en sortir beaucoup mieux qu'à l'heure actuelle.

Le sénateur Seidman : Merci beaucoup. Encore d'autres points qui stimulent la réflexion.

Le sénateur Neufeld : Merci, monsieur Keith, d'être ici. La conversation est très intéressante.

J'aimerais que vous parliez de la question de l'énergie solaire plus en profondeur. Vous venez de mentionner que vous êtes un tenant de cette solution.

Vous avez attiré mon attention lorsque vous avez dit que le tarif de soutien en Ontario est équivalent à environ 1 000 $ par tonne de GES. Je comprends ce qu'on veut dire en ce qui concerne l'utilisation pour les maisons — cela touche non pas tant le tarif de soutien que l'alimentation du chauffe-eau, par exemple —, mais je veux en savoir plus sur la production d'énergie solaire à grande échelle. On m'a dit qu'il faudrait produire de l'énergie solaire à grande échelle.

Quelle est la capacité de distribution d'un réseau d'énergie solaire à grande échelle? J'aimerais avoir une idée de la taille du territoire qu'il faudrait couvrir de panneaux solaires pour produire 100 mégawatts d'électricité.

M. Keith : On exploite deux types de technologies solaires complètement différents dans le monde. Premièrement, il y a la technologie héliothermique : on capte les rayons du soleil au moyen de miroirs afin de réchauffer un fluide, comme l'eau, pour actionner une turbine. On appelle cela la technologie héliothermique. Deuxièmement, il y a la technologie solaire photovoltaïque — les photopiles, que nous connaissons. Actuellement, la technologie héliothermique est considérablement plus concurrentielle que la technologie solaire photovoltaïque. Si vous vouliez exploiter l'énergie solaire à l'échelle industrielle, il ne fait aucun doute que c'est la solution gagnante.

La deuxième raison pour laquelle l'énergie héliothermique l'emporte se rattache à votre question au sujet de la distribution. L'un des problèmes de l'énergie solaire photovoltaïque, c'est qu'elle est extrêmement variable — beaucoup plus que l'admettront normalement les intervenants de cette industrie. Avec mes collègues de l'université Carnegie Mellon — je suis aussi professeur là-bas —, nous disposons de milliers d'heures d'enregistrements à la seconde de certaines des plus grandes centrales solaires. La variabilité était supérieure à ce que nous attendions, ou peut-être à ce qu'attendaient les représentants de l'industrie de l'énergie solaire. Le coût d'une variation à la baisse est élevé. Le coût de l'énergie solaire est encore plus élevé qu'il le semble, en raison de cette grande variabilité rapide. Il n'y a évidemment aucune capacité de distribution de l'énergie solaire photovoltaïque : il y a de l'énergie lorsqu'il y a du soleil.

L'énergie héliothermique est différente. Un système héliothermique permet de stocker de la chaleur de haute température et d'activer les turbines à n'importe quel moment. De plus, si vous investissez dans des turbines, vous pouvez réduire le coût des immobilisations et profiter d'une solution de secours à essence. Si on compare les coûts à l'économie de carbone, la formule semble assez compétitive.

Je dirais que la technologie héliothermique prend son envol, mais seulement à des endroits très ensoleillés — nulle part au Canada. Si la technologie héliothermique finit par s'implanter, on la verra dans le Sud de l'Espagne. On parle beaucoup de l'installation d'une centrale héliothermique dans le Sahara. On en installera dans le Sud-Ouest des États- Unis, mais je ne saurais imaginer qu'on exploite un jour l'énergie héliothermique à grande échelle au Canada. Il n'y a pas beaucoup de soleil, et la technologie n'est pas très bien adaptée à notre cycle de demande.

À l'heure actuelle, la technologie solaire photovoltaïque coûte si cher qu'on l'installe seulement dans l'espoir que son coût diminuera. Si vous ne vous souciez que du carbone et que vous envisagez les coûts actuels, vous n'installerez jamais de panneau solaire sur votre toit. Les gens le font seulement parce qu'ils espèrent pouvoir réduire le coût de l'énergie solaire à long terme.

Le groupe de l'Université Carnegie Mellon a considérablement travaillé sur la question. Disons que vous voulez réduire le coût de l'énergie solaire. Est-il plus avantageux d'appuyer l'industrie actuelle, de façon à stabiliser, dans une certaine mesure, les intervenants qui y sont, ou d'affecter beaucoup d'argent à des activités de recherche et développement à risque élevé et à rendement élevé susceptibles de réduire de beaucoup le coût de l'énergie solaire photovoltaïque? À mon avis, il serait peut-être plus avantageux d'adopter cette dernière stratégie. En vérité, nous sommes très loin de la réalité pour ce qui est de l'énergie solaire photovoltaïque. Le coefficient des prix est d'environ 10 fois supérieur à celui des autres énergies à faibles émissions de carbone.

Pour ce qui est de la surface nécessaire, l'énergie solaire exige remarquablement peu d'espace. C'est l'un des systèmes énergétiques dont la production est la plus intense, alors l'espace est faible. Une centrale de 100 mégawatts occuperait 10 millions de mètres carrés. C'est l'un des avantages de l'énergie solaire et l'une des raisons pour lesquelles, à long terme, cette technologie pourrait faire partie du système énergétique. Son empreinte terrestre est limitée.

Le sénateur Neufeld : Pourriez-vous me rafraîchir la mémoire un peu au sujet de la taxe sans incidence sur les recettes?

M. Keith : C'est de la politique, et il n'y a aucune façon de s'en sortir. Pour être tout à fait honnête, j'ai eu des conversations téléphoniques avec les collaborateurs de M. Dion — et je ne dis pas qu'ils ont nécessairement suivi mes conseils.

Voici le cœur de la question, à mon avis. C'est purement politique, et non technique. Si vous dites aux gens que vous allez prendre les recettes d'une taxe et les affecter à toutes les choses chères aux « verts », comme le financement des toits solaires ou du financement pour une quelconque technologie verte qui plaît à quelqu'un, alors vous érigez un nouveau programme gouvernemental au moyen d'une nouvelle taxe. À mon avis, il sera politiquement difficile de faire cela. Et à juste titre. Les gouvernements vont aussi loin que nous le souhaitons en ce qui concerne la part du PIB. C'est mon opinion.

Il est essentiel, si on veut vendre cette idée, de donner l'impression qu'il n'y a aucune incidence sur les recettes. Chaque nouveau dollar de cette taxe — il s'agit d'une nouvelle taxe — est un dollar de moins ailleurs dans le système. Ainsi, on peut vendre l'idée d'une façon que j'estime convaincante.

Je suis un universitaire — et, de toute évidence, cela n'a pas marché —, mais il semble que l'impôt sur le revenu et l'impôt sur les bénéfices des sociétés sont des mesures fiscales qui découragent, de fait, le travail et l'emploi. Si nous nous efforçons de réduire ces impôts et prenons plutôt des mesures fiscales pour nous attaquer à des choses que nous ne voulons pas, comme les émissions, nous pouvons profiter des mêmes recettes fiscales, de la même somme d'argent qui entre dans les coffres du gouvernement, mais d'une façon qui nous permettrait de réduire l'impôt sur les bénéfices et l'impôt sur le revenu et d'enrayer un problème qui nous importe. Si on le fait bien, je crois naïvement que l'idée doit être vendable, car elle est si efficiente. L'avantage potentiel d'une taxe sur le carbone est extraordinaire dans sa simplicité administrative et permet de résister à la spéculation.

Le sénateur Neufeld : Dans ma province, j'ai été membre d'un gouvernement qui a instauré une taxe sur le carbone sans incidence sur les recettes. Une taxe sur le carbone est imposée à l'échelle de la province, à la pompe et sur les maisons chauffées au gaz naturel. Elle ne vise pas les grandes sources d'émissions, car on comptait les assujettir au système de plafonnement et d'échange. La loi prévoit qu'il n'y a pas d'incidence sur les recettes. Toutes les recettes qui découlent de cette taxe doivent être remises, sous forme d'économies d'impôts, aux personnes et aux entreprises. La province, à mesure que la situation évolue, continue de réduire l'impôt sur le revenu et l'impôt sur les bénéfices des sociétés.

Cela s'inscrit assez bien dans vos propos. Je peux vous dire que de faire accepter cette idée n'a pas été facile sur le plan politique, mais notre premier ministre se trouve parfois des talents de vendeur, et il a réussi.

Avez-vous étudié ce dossier un peu? C'est assez nouveau, et il s'agit du seul système de la sorte dans les environs, à notre connaissance. Comme je l'ai dit, cela date de deux ans et est réparti sur trois ans, afin que nous puissions obtenir environ 30 $ la tonne en trois ans. Ce chiffre a été choisi parce que tous les experts nous ont dit que cela correspondrait au prix probable.

M. Keith : J'ai trouvé cela fantastique. C'est peut-être l'un des systèmes les plus propres au monde. J'aurais dû vous dire plus tôt que la Colombie-Britannique mérite d'être applaudie pour cela.

J'ai aussi eu un aperçu des processus qu'ils ont adoptés pour prendre des décisions. J'étais très impressionné. Ils ont mis en place plusieurs systèmes de consultation différents. Ils ont organisé des réunions lors desquelles le Cabinet ne parlait qu'à des experts. J'y étais un jour, et j'avais 45 minutes avec la majeure partie du Cabinet. David Suzuki me suivait, et l'Association canadienne des producteurs pétroliers me précédait. Il semble qu'ils aient tenu des réunions hebdomadaires et entendu toute une gamme de points de vue, démarche très saine. Je n'habite pas en Colombie- Britannique et j'ignore les détails de la démarche, mais j'ai l'impression que le gouvernement a suivi un processus assez minutieux et a sérieusement réfléchi à la question avant d'agir et, pour ma part, je peux dire qu'ils ont fait un très bon travail.

Le sénateur Neufeld : Merci. Je voulais faire inscrire cela au compte rendu.

Le sénateur Lang : M. Keith — je sais qu'il se fait tard et que les gens aimeraient passer à autre chose — vous semblez de plus en plus conservateur à mesure que nous avançons. Je crois que c'est une bonne chose.

J'aimerais revenir à vos commentaires au sujet de l'énergie nucléaire. Nous avons parlé des décisions difficiles qu'on devra prendre pour s'attaquer à la pollution, que ce soit au Canada ou ailleurs. Je vous ai posé une question relativement à la sécurité de l'énergie nucléaire, et vous avez exposé un certain nombre de facteurs, puis vous avez dit que vous ne saviez pas trop si vous voteriez en faveur de cela à un moment donné.

Je dois dire que cela m'a étonné, car j'espérais que vous exprimeriez une position nette quant à l'intérêt de l'énergie nucléaire comme source d'énergie de rechange. Dites-vous que nous devrions peut-être nous concentrer, comme la Colombie-Britannique, sur l'expansion de l'énergie hydroélectrique lorsque c'est possible? Voilà les décisions que nous devrons prendre si nous voulons changer la situation actuelle.

M. Keith : Je me suis peut-être mal exprimé. Je crois que l'énergie nucléaire est une chose qui doit absolument être prise en considération. Si on regarde une poignée des grandes technologies à faible émission de carbone qui s'appliquent partout au monde, cette option fait partie du petit peloton de tête, cela ne fait aucun doute.

Je suis en désaccord complet avec les gens qui, pour des motifs idéologiques, rejettent l'idée d'emblée. Ce que je voulais dire lorsque j'ai parlé de mon vote, c'est que je crois qu'il y a de véritables problèmes structurels dans l'industrie, et le problème des armes nucléaires m'inquiète beaucoup. Certains de mes professeurs ont participé au projet de mise au point de la bombe. J'ai eu l'occasion de faire un exposé devant le JASON Group aux États-Unis, alors je connais certaines personnes dans le monde de la sécurité nucléaire. Je crois que mes étudiants et beaucoup de jeunes gens oublient que nous vivons dans un monde rempli de pays qui disposent d'armes nucléaires, mais pas moi, alors je prends toujours cette menace au sérieux et je vois un certain lien — et c'est difficile à évaluer — qui explique pourquoi je dis que, dans une certaine mesure, je suis indécis.

Toutefois, il ne fait aucun doute que l'énergie nucléaire doit être sérieusement prise en considération et, au bout du compte, je crois que nous devons trouver une façon de l'intégrer à la solution, car, si on pense à long terme, il faut des systèmes d'énergie qui laissent une empreinte minime. Je suis un environnementaliste. J'aime laisser une empreinte minime sur le territoire, et nous voulons un procédé qui permet de produire de grandes quantités d'énergie à faible émission de carbone. Nombre de sources d'énergie renouvelable, utilisées à l'échelle mondiale, auraient un immense impact environnemental; ainsi, l'idée d'alimenter une importante partie du monde au moyen de la biomasse est absurde. Même l'énergie éolienne, si vous la rameniez à l'échelle de, disons, un dixième de l'approvisionnement mondial en énergie, commencerait à avoir d'énormes impacts environnementaux. Pour cette raison, je prends l'idée de l'énergie nucléaire au sérieux, mais nous devons façonner l'industrie de certaines façons et peut-être innover au chapitre des centrales nucléaires.

Pour faire un lien avec l'armement — pardonnez-moi d'entrer dans des détails techniques — la plupart des centrales d'énergie nucléaire fonctionnent maintenant selon un cycle à passage unique, ce qui signifie qu'on extrait l'uranium, peut-être qu'on l'enrichit, puis on le passe dans le réacteur; après, c'est un déchet. En procédant ainsi, il n'y a pas assez d'uranium pour alimenter un système mondial si l'énergie nucléaire est une grande partie de l'ensemble de sources d'énergie mondiales. Si on procède au retraitement à l'aide de différents cycles de combustible avancés, alors il est assez facile de faire de l'énergie nucléaire une source essentiellement inépuisable, mais on se trouve alors dans une situation où l'on produit un matériau susceptible d'entrer dans la confection d'une bombe, et c'est là que la politique entre en jeu.

Je vais vous raconter une histoire sur la France. Si vous voulez recycler ou retraiter comme le font les Français, idéalement, vous aimeriez que le tout soit isolé : ainsi, il ne vous resterait qu'à apporter le combustible. Le combustible ne présente pas une grande menace dans les mains des terroristes, car il est protégé par sa propre radioactivité. Vous ne pourriez pas simplement prendre une grappe de combustible dans un réacteur, car vous mourriez. Pendant le cycle de retraitement, on produit du plutonium. Le plutonium n'est pas dangereux; vous pouvez en prendre dans vos mains, alors vous pouvez en voler 10 kilogrammes — c'est tout ce dont vous avez besoin pour fabriquer une bombe — et le transporter dans une valise. Une fois que vous l'avez réintégré dans les barres de combustible, il est difficile de le voler, alors, idéalement, on aimerait que ce processus soit isolé et protégé par des gardes armés — et c'est ce que ferait toute personne raisonnable.

Or, la politique est la politique. Je suis certain que les Français voulaient que ce procédé soit isolé, car c'est la chose à faire pour assurer la sécurité. Toutefois, il était question d'un programme d'emploi, alors on a fini par installer une partie du cycle de traitement — j'ai oublié laquelle, peut-être la fabrication de combustible — à Marseille, et l'autre partie dans le Nord de la France. Par conséquent, on transporte le plutonium d'un endroit à l'autre. On vit dans un monde avec Al-Qaïda. Il y a vraiment des préoccupations. Si on entreprend un tel processus à grande échelle partout dans le monde, ces matériaux sont plus accessibles aux terroristes. Je voudrais vivre dans un monde où cela n'est pas une préoccupation, mais ce n'est pas le cas. Je suis en faveur de l'énergie nucléaire, mais nous devons modifier notre façon de penser.

Pour vous donner un exemple de quelque chose d'intéressant, Bill Gates a investi dans une société dénommée TerraPower, qui a conçu une technologie novatrice qui reporte de 30 ans les activités de retraitement et de rechargement du combustible et pourrait s'avérer assez économique. Voilà un exemple du genre d'innovation que doivent apporter à l'industrie nucléaire des gens de l'extérieur.

Le président : Monsieur, vous avez mentionné que les activités canadiennes dans le secteur nucléaire ne se limitent pas à EACL et que des experts canadiens participaient à un projet avec SNC. Je crois que le projet est situé en Afrique du Sud. Est-ce exact? Pourriez-vous nous donner plus de détails sur ce projet?

M. Keith : L'une des technologies les plus intéressantes dans le secteur nucléaire est quelque chose qui s'appelle un réacteur modulaire, à température élevée, refroidi au gaz. Il y a deux ou trois variétés, l'une d'elles étant le réacteur modulaire à lit de boulets, le PBMR, un réacteur à haut rendement. Ces réacteurs semblent susceptibles d'être beaucoup plus sécuritaires, et on pourrait croire qu'ils seront beaucoup plus économiques pour deux raisons. Premièrement, les matériaux qui les composent sont sécuritaires. Cela signifie qu'on pourrait dynamiter le principal tube de force et rien ne se produirait. Ils sont sécuritaires pour ce qui est de la physique de base, tout comme les réacteurs médicaux sont sécuritaires; il ne peut y avoir de fuite.

Bon nombre des optimistes à ce chapitre croient que, si on construit ces réacteurs, on pourrait alléger, en grande partie, les freins et contrepoids qu'on a installés pour régir ces réacteurs afin de renforcer la sécurité, ce qui fait augmenter le coût. Actuellement, la sécurité de la plupart des réacteurs dépend de toute une gamme de systèmes de sécurité actifs qui s'ajoutent font gonfler le coût. Ces réacteurs modulaires seront peut-être plus avantageux sur le plan économique parce qu'ils sont composés de matériaux sécuritaires et parce qu'ils sont plus petits, ce qui permet de construire plusieurs réacteurs identiques dans un établissement central et de tirer des connaissances en se préparant à passer à l'échelle industrielle. Les gens parlent de ce projet fascinant depuis des années.

Actuellement, seuls les Chinois et les Sud-Africains, étrangement, ont véritablement entrepris ce projet. Il y a au moins un an et demi — mais je pourrais me tromper —, SNC-Lavalin avait un intérêt majeur dans un contrat d'IAC — ingénierie-approvisionnement-construction — pour le PBMR. J'ai oublié les détails. Je mentionne cela, car c'est un exemple de l'expertise canadienne dans le secteur nucléaire à l'étranger, qui n'est pas purement rattaché au réacteur CANDU.

Le président : Monsieur Keith, au nom de mes collègues du Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles, j'aimerais vous dire à quel point nous sommes heureux d'avoir pu vous parler à l'aide de ce média. Ce n'est le premier de choix de personne — ni vous ni nous. Maintenant que nous savons que vous allez venir ici demain, vous avez piqué notre curiosité. J'espère que nous pourrons rester en communication avec vous à mesure que nous avançons. Nous nous sommes engagés dans un domaine qui nous rend nerveux aussi, car il est si technique.

Ce que vous venez de dire au sujet de l'énergie nucléaire met réellement les choses en perspective. Voilà une solution évidente, et pourtant, vous avez mis en lumière toutes les raisons pour lesquelles il s'agit de la véritable solution sur le plan scientifique, mais que cette solution présente des dangers sur le plan géopolitique. Merci beaucoup d'avoir pu vous libérer ce soir. J'espère que nous pourrons faire appel à votre expertise à mesure que nous avançons.

M. Keith : Merci beaucoup de m'avoir donné cette occasion, et je m'excuse de ne pas avoir pu vous rencontrer en personne. Je serais ravi d'avoir l'occasion de venir témoigner en personne, et c'est avec plaisir que j'essaierais de vous aider et d'inciter d'autres personnes de mon établissement ou d'ailleurs à vous aider.

Le président : Merveilleux. La séance est levée.

(La séance est levée.)


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