Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Énergie, de l'environnement et des ressources naturelles
Fascicule 15 - Témoignages du 30 novembre 2010
OTTAWA, le mardi 30 novembre 2010
Le Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles se réunit aujourd'hui, à 18 h 16, pour étudier l'état actuel et futur du secteur de l'énergie du Canada (y compris les énergies de remplacement).
Le sénateur W. David Angus (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Mesdames et messieurs, chers collègues et témoins, bonsoir. Je déclare ouverte cette réunion officielle du Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles, tandis que nous poursuivons notre étude du secteur de l'énergie en vue de, avec un peu de chance, parvenir à élaborer un cadre politique, car nous évoluons dans un monde qui subit à tout moment les pressions exercées par l'économie, l'explosion de la population ainsi que les menaces terribles posées par les changements climatiques, dont le réchauffement de la planète. Nous concentrons nos efforts sur la nécessité d'établir un équilibre des relations entre l'énergie, l'environnement et l'économie.
Ce soir, nous entrons dans une nouvelle dimension. Nous avons consacré une semaine plutôt bien remplie à l'industrie nucléaire. Tous les collègues qui y ont assisté savent que c'était tout un événement. Pour ceux d'entre vous qui n'y étiez pas, vous avez raté quelque chose, et je suis disposé à vous rencontrer, en groupe ou individuellement, pour vous informer de ce qui s'est passé pendant une séance incroyablement fascinante.
Ce soir, nous allons tourner vers un nouveau secteur, soit les pipelines d'énergie canadiens. Mme Brenda Kenny connaît bien notre comité. Nous sommes très heureux de vous accueillir une fois de plus parmi nous, ainsi que votre collègue, M. Bloom. D'après ce que je comprends, vous êtes les grands patrons de l'Association des pipelines.
À notre auditoire, qui suit nos travaux sur la Chaîne parlementaire, sur Internet et sur notre site web consacré à cette étude, www.avenirenergiecanadienne.ca, ainsi que sur Twitter, où des gens commencent à nous suivre, je tiens à dire que nous en sommes à nos débuts, et que nous sommes des néophytes. Cependant, je pense que nous sommes en train de nous mouiller les pieds dans les eaux des médias sociaux. C'est le point de rencontre pour tous ceux qui partagent ces préoccupations avec nous, et il sert notamment à faire la promotion de ce dialogue, que nous estimons être de la plus grande importance afin de comprendre la situation. Les Canadiens doivent comprendre la véritable dynamique ainsi que tout ce qui a trait aux sources d'énergie : les sources d'énergie traditionnelles qui sont peut-être moins bonnes qu'on ne le croit, les nouvelles sources qui pourraient se révéler d'excellentes solutions de rechange ainsi que la manière dont nous pourrions réaménager notre système énergétique pour le rendre beaucoup plus efficace, plus durable et surtout, plus propre.
La transmission de l'énergie, ou son transport, que ce soit entre les frontières provinciales ou nationales ou au-delà de ces dernières, est importante. Il est important de déplacer le gaz, le pétrole et nos autres ressources. Nous en saurons plus sur ce sujet ce soir.
Je m'appelle David Angus, sénateur de Montréal, au Québec et je préside le comité. Immédiatement à ma droite se trouve le sénateur Grant Mitchell, d'Edmonton, en Alberta. À sa droite, voici nos deux compétents attachés de recherche de la Bibliothèque du Parlement, Marc Leblanc et Sam Banks. Vient ensuite mon prédécesseur, un autre sénateur de l'Alberta, Tommy Banks — aucun lien de parenté avec Sam, pour autant que nous sachions. À sa droite, de la Saskatchewan, voici le sénateur Robert Peterson. À côté du sénateur Peterson, le sénateur Paul Massicotte, du Québec. À ma gauche, je vous présente notre compétente greffière, Lynn Gordon. À sa gauche, le sénateur Richard Neufeld, de la Colombie-Britannique; le sénateur Judith Seidman, de Montréal, au Québec; le sénateur Bert Brown, de l'Alberta; le sénateur Linda Frum, de Toronto; enfin, le dernier mais non le moindre, le sénateur Daniel Lang, du Yukon.
Chers témoins, je m'excuse de notre retard. Le comité est contraint de ne pas siéger en même temps que le Sénat, à moins qu'une permission spéciale ne nous ait été accordée. Ce soir, nous n'en avons pas fait la demande, et elle ne nous a pas été accordée, en raison d'une convention selon laquelle cette permission n'est habituellement accordée qu'en cas de comparution de ministres qui ont temporairement laissé leur portefeuille de côté pour nous ménager une place dans leur horaire chargé.
Madame Kenny et monsieur Bloom, vous vous êtes montrés patients. J'aimerais dire quelques mots à votre sujet, à l'intention de l'auditoire et de mes collègues.
La plupart des sénateurs vous ont déjà vus. Brenda Kenny est présidente et chef de la direction de l'Association canadienne de pipelines d'énergie, poste où elle collabore avec des partenaires de l'industrie pour élaborer les positions et le plaidoyer de l'industrie relativement à un éventail étendu de questions touchant notamment la sécurité, les changements climatiques, l'efficacité de la réglementation et la compétitivité financière. Mme Kenny possède une expérience considérable en matière de réglementation énergétique, de développement durable et de stratégie. Avant de se joindre à la CEPA — pouvons-nous appeler l'Association ainsi?
Brenda Kenny, présidente et chef de la direction, Association canadienne de pipelines d'énergie : Oui.
Le président : Le sénateur Banks avait une règle selon laquelle tout témoin qui mentionnait un sigle devant le comité sans d'abord nous l'expliquer devait mettre 25 sous dans la cagnotte. En raison de l'inflation, il faut maintenant mettre un dollar. Toutefois, nous venons de l'expliquer.
Mme Kenny a passé plusieurs années au service de l'Office national de l'énergie, où elle a exercé des fonctions de leadership au niveau exécutif dans les domaines des politiques, des examens réglementaires et des finances.
Chers collègues, vous vous souviendrez peut-être que, en août dernier, sous la gouverne du sénateur McCoy, nous avons participé à une journée de groupe de discussion en compagnie de spécialistes chefs de file dans leur domaine; Mme Kenny était l'un de ces spécialistes qui avaient consacré de leur temps à cette activité. J'étais assis à ses côtés, et elle a participé activement — avec un peu de chance, c'était parce que le sujet l'intéressait et la stimulait tout particulièrement, et non pas parce que je l'ai beaucoup asticotée.
Un autre sénateur de l'Alberta se joint maintenant à nous, le sénateur Elaine McCoy. Bienvenue parmi nous.
La dernière comparution de Mme Kenny devant notre comité remonte au 14 mai 2009, lorsque nous examinions des éléments du projet de loi C-10, qui portaient sur la Loi sur la protection des eaux navigables.
Aujourd'hui, elle est accompagnée par Doug Bloom, président des opérations de Spectra Energy Transmission, dans l'Ouest du Canada, également responsable de diriger quatre des divisions de la société basées dans l'Ouest : BC Pipeline, BC Field Services, Midstream et Natural Gas Liquids, ou NGL.
Madame Kenny, je crois que vous avez une déclaration préliminaire à faire, puis nous passerons à la période habituelle de questions et réponses. Si vous voyez des sénateurs s'échapper, cela ne reflète en rien leur appréciation de votre excellent exposé; c'est plutôt dû au fait que nous commençons une heure et demie en retard, et qu'il leur faut siéger à d'autres comités et se rendre à d'autres engagements. En temps normal, ils n'osent pas partir avant moi, mais s'ils le font aujourd'hui, vous ferez montre de compréhension.
Mme Kenny : Nous comprenons. Merci beaucoup.
Nous avons effectivement quelques déclarations préliminaires. Étant donné que certaines personnes doivent nous quitter, je vous en prie, n'hésitez pas à poser vos questions au fur et à mesure de notre exposé. Nos déclarations seront plutôt brèves, mais s'il y a une question pressante, c'est parfois préférable de la poser dès le départ.
Merci de nous avoir invités à comparaître devant vous. L'Association canadienne de pipelines représente toutes les principales sociétés de pipelines de pétrole et de gaz au Canada, dont fait partie Spectra. Dans un an, M. Bloom assumera la présidence de notre association.
Imaginez le Canada sous la forme d'un réseau d'énergie, en commençant par son lieu de production pour aller jusqu'au lieu où il est consommé : nous sommes les autoroutes de ce réseau. Nous transportons environ 97 p. 100 de tout le pétrole et le gaz naturel produits et consommés au Canada. Il est indéniable que les intérêts des sociétés membres de la CEPA sont essentiels à l'intérêt national du pays. Ensemble, nos sociétés possèdent et exploitent plus de 100 000 kilomètres de pipelines majeurs au Canada et aux États-Unis. Les pipelines sont le seul moyen de transport sur terre d'énormes volumes de pétrole brut et de gaz naturel, et c'est également le moyen le plus sécuritaire.
Le président : Est-il juste d'affirmer que les pipelines sont tous réglementés par l'Office national de l'énergie?
Mme Kenny : L'Office national de l'énergie réglemente les principaux pipelines qui traversent une frontière provinciale ou nationale; c'est juste. Les quelques systèmes importants dont les limites se situent à l'intérieur d'une province donnée sont réglementés au sein de cette province.
Le président : Et par cette province?
Mme Kenny : Exact.
Votre comité permanent s'est engagé sur une voie importante et passionnante : explorer les thèmes clés de l'énergie en vue d'élaborer une vaste stratégie d'énergie durable pour le Canada. La CEPA loue les efforts que vous déployez pour accomplir cette importante tâche. De nos jours, bon nombre de conversations sur l'énergie et l'environnement se déroulent au Canada. Nous sommes convaincus que les Canadiens peuvent se tourner vers l'étude du Sénat puisqu'elle procure une forme de convergence, qu'elle aborde la question dans une perspective à long terme, qu'elle est neutre et véritablement mobilisatrice.
Le président : Pourriez-vous répéter ce mot qui commence par la lettre N? N-E-U-T-R-E? Pourriez-vous répéter ce mot?
Mme Kenny : Merci. Vous voulez dire : « véritablement mobilisateur »?
Le président : Neutre.
Mme Kenny : C'est vrai, neutre. Excusez-moi. Oui, à long terme, neutre et véritablement mobilisatrice.
L'équilibre entre l'énergie, l'environnement et l'économie pour répondre aux besoins actuels et futurs des Canadiens est l'une des questions d'intérêt public qui offrent les possibilités les plus palpitantes, tout comme les défis les plus colossaux.
Les déclarations que je vous présente aujourd'hui reflètent la perspective d'un secteur majeur enraciné dans un solide sens du devoir d'habiliter la réponse aux besoins énergétiques, et ce devoir est encadré par un sentiment clair et fort de responsabilité à l'égard de la sûreté, du rendement environnemental et de la gestion du risque. En outre, l'industrie a le devoir de se faire entendre quand elle observe des signaux d'alarme qui pourraient mettre à risque les intérêts canadiens en matière d'infrastructure de pipeline.
Aujourd'hui, je vais examiner la situation dans l'optique des pipelines et me concentrer sur trois domaines clés : les marchés et le commerce, la sécurité et le risque, et la réglementation et la prise de décisions.
En ce qui a trait aux marchés et au commerce, vous avez entre les mains différentes représentations visuelles; remarquez tout particulièrement les cartes qui se trouvent au début de ces documents. Je sais que vous connaissez bien l'envergure du secteur énergétique canadien, alors je n'entrerai pas dans les détails. Cependant, je mettrai en évidence le fait que les sables bitumineux du Canada contiennent plus de 170 milliards de barils de pétrole, sans compter la production extracôtière en l'Atlantique. De fait, à titre de nation, le Canada possède plus de 51 p. 100 des réserves mondiales de pétrole accessibles. En 2010 seulement, on estime que les investissements en pétrole et en gaz s'élèvent à presque 42 milliards de dollars, y compris l'exploration de la ressource et le développement des infrastructures pour l'exploiter partout au pays. Cela correspond à environ 20 p. 100 des dépenses en investissements de 2009. Au cours des 25 prochaines années, ces investissements encourageront la création de 500 000 emplois et rapporteront presque 491 milliards de dollars en revenus pour les différents ordres de gouvernement, dont 188 milliards en impôts pour le seul gouvernement fédéral.
En ce qui concerne les pipelines, la réussite énergétique du Canada n'est possible que grâce à la capacité de déplacer l'énergie là où on en a besoin. C'est notre raison d'être. Ces cartes illustrent à quel point la réussite canadienne s'appuie sur un vaste réseau interrelié.
Il y a très longtemps, le Canada a décidé d'organiser ses systèmes de transmission par pipeline sous forme d'entreprises privées réglementées. Les droits de péage et les tarifs sont réglementés de manière à garantir que ces autoroutes énergétiques sont ouvertes à tous; les frais facturés sont équitables et reflètent les coûts réels d'exploitation et un rendement concurrentiel du capital investi.
Je tiens à insister auprès des membres de votre comité sur le fait que les sociétés membres de la CEPA n'engrangent pas davantage de profits quand le prix de l'énergie augmente. Notre rôle consiste à transmettre de l'énergie de manière fiable et sécuritaire au quotidien, ainsi qu'à proposer de nouveaux projets là où des infrastructures supplémentaires sont nécessaires pour réagir aux variations de l'approvisionnement et de la demande des marchés. Il faut constamment rééquilibrer pour réagir de manière adéquate à ces variations. Les projets doivent continuellement aller de l'avant afin de répondre à cette demande accrue et d'agir au bon moment.
Il est essentiel de reconnaître que l'industrie du pipeline exerce ses activités dans un secteur concurrentiel. Le choix du bon moment joue un rôle important pour attirer les investissements et être en mesure de mettre les pièces en place quand l'occasion se présente. On ne peut tenir pour acquise l'infrastructure qui est en place pour répondre aux besoins canadiens et créer des possibilités pour le pays. Les pipelines exigent d'énormes investissements en capital, de nombreux choix s'offrent aux investisseurs, et le capital est de plus en plus impatient. J'en parlerai un peu plus tard en ce qui a trait à la réglementation et à la prise de décisions.
En ce moment, la capacité de nos oléoducs approche de la capacité des besoins. De nouveaux raccordements deviendront nécessaires en raison des sources de gaz naturel nouvellement accessibles. Il est intéressant de souligner que ces nouvelles sources incluent les gaz de shale, dont vous avez sûrement beaucoup entendu parler dans des présentations antérieures. Si l'on se tourne vers les 20 prochaines années — vous trouverez une carte qui illustre les prévisions des investissements en matière d'infrastructure énergétique —, nous prévoyons de nombreux projets majeurs pour répondre aux besoins du Canada. Le montant total de ces investissements dépasse les 80 milliards de dollars. À eux seuls, ces projets représentent des dizaines de milliers d'emplois. Sans ce genre de projets, nous renonçons non seulement à ces avantages, mais la nation renonce également à tous les avantages économiques et sociaux connexes en amont et en aval pour les consommateurs d'énergie dans toutes les régions desservies par les pipelines.
Il est important d'agir au bon moment et de comprendre l'importance de fournir de l'énergie et de la valeur aux Canadiens. Les infrastructures de ce genre fonctionnent de manière saccadée. Les grands projets changent la donne, et peuvent ajouter une nouvelle capacité de transport considérable d'un seul coup, comme si on ouvrait une nouvelle autoroute pour la première fois. Les marchés nous aident à nous assurer que nous agissons au bon moment, mais il est tout aussi important de savoir que les pénuries de pipelines perturbent les marchés en limitant l'approvisionnement dans certaines régions. Cela peut entraîner des augmentations abruptes des prix ou pousser les acheteurs à se méfier des produits canadiens et à les dévaluer.
Bien que nous nous efforcions toujours de mettre en place de nouvelles infrastructures et de relier de nouvelles sources d'énergie aux marchés au bon moment, il nous faut reconnaître qu'il est préférable que le Canada ait un peu plus de conduites que ce qu'exigent ses besoins, plutôt que d'en avoir un peu moins. C'est toujours préférable d'éponger le coût des conduites supplémentaires plutôt que de subir les perturbations de marché qui surviennent quand elles ne sont pas au bon endroit au bon moment.
En guise de conclusion sur la composante des marchés et du commerce, au moment d'examiner les nouvelles infrastructures de pipeline du point de vue des politiques qui orientent l'exploitation durable de l'énergie, il nous faut reconnaître que l'intérêt national à long terme a des répercussions qui se font sentir pendant des décennies, peut-être même des siècles, que nos choix soient judicieux ou non. Imaginez à quoi ressemblerait le Canada aujourd'hui sans pipeline. À titre de comparaison en matière d'infrastructure essentielle, imaginez à quoi notre nation ressemblerait si nous n'avions pas construit le Chemin de fer Canadien Pacifique ou la Voie maritime du Saint-Laurent. La mise en place des infrastructures adéquates a de profondes répercussions, aujourd'hui ainsi que pour des générations à venir.
Notre tout premier devoir est certainement d'assurer la sécurité et la protection de l'environnement dans nos activités quotidiennes. C'est primordial. Je dois insister sur le fait que, pour les sociétés de pipeline canadiennes, il n'y a aucun facteur incitatif financier qui puisse les détourner du devoir d'assurer la sécurité. Tous les coûts associés à l'entretien et à l'intégrité des pipelines sont facturés aux producteurs au moyen des droits de péage; ainsi, nous sommes motivés en tout temps à agir en bon citoyen. Il n'y a aucun avantage concurrentiel à faire des économies de bouts de chandelle ou à couper les coins ronds en matière de sécurité. De fait, chaque année, plus de 1,6 milliard de dollars sont dépensés dans ce secteur pour faire la promotion des mesures de sécurité.
Vous trouverez dans votre trousse de documentation quelques exemples des choses que nous faisons en matière de sécurité. Nous sommes fiers d'investir dans des mesures et des technologies dont nous croyons qu'elles sont nécessaires pour assurer la sécurité et la protection environnementales. Nous adaptons nos programmes de sécurité et de protection environnementale pour suivre l'évolution des pratiques exemplaires.
Les sociétés canadiennes sont parmi les plus avancées au monde sur le plan technique. Depuis de nombreuses décennies, nous sommes des chefs de file dans l'élaboration de nouvelles technologies. Nous avons des centres de contrôle qui fonctionnent 24 heures sur 24, sept jours sur sept, et qui sont équipés de senseurs informatisés à la fine pointe de la technologie qui peuvent localiser avec précision des fuites et arrivent généralement à fermer rapidement les vannes.
Le président : Parlez-vous de la photo dans la trousse avec les cartes?
Mme Kenny : Oui. Il y a une photo d'un centre de contrôle où une personne est assise devant une série d'écrans d'ordinateur.
Le président : Je vois : le type dans le chandail rouge?
Mme Kenny : Oui, c'est ça.
Sur la prochaine diapositive, vous trouverez ce qui constitue probablement le progrès le plus important, en lien avec les technologies d'inspection internes et de détection. Nous procédons à la vérification régulière de nos principaux systèmes en faisant circuler des appareils dans le pipeline. C'est ce que vous pouvez voir sur la photo. Ces appareils sont appelés des « cochons » — pigs — parce que, au moment de leur création, ils couinaient comme des cochons tandis qu'ils circulaient dans le pipeline. Les données que nous réussissons à recueillir maintenant à l'aide de ces appareils sont formidables. Nous utilisons ces technologies de pointe, qui nous permettent de voir les problèmes au fur et à mesure qu'ils se produisent. Nous intégrons ces renseignements dans nos programmes d'intégrité et de gestion.
Le prochain diagramme illustre les données historiques relatives aux ruptures de pipelines : vous constaterez que la réduction de ces ruptures au cours des 20 dernières années est considérable. Cependant, nous ne pouvons nous permettre de nous asseoir sur nos lauriers. Nous améliorons continuellement nos processus et sommes engagés à élaborer des pratiques et des outils encore meilleurs à l'avenir.
En dépit de nos meilleurs efforts, un autre élément important de la sécurité est quelque chose que nous ne pouvons pas contrôler : les dommages causés par autrui. Bien que ces gestes soient souvent involontaires, quelqu'un qui touche à des conduites ou qui creuse à proximité peut causer de graves conséquences. Les résultats de recherche ont démontré que les dommages causés par l'excavation par de tierces parties constituent un risque majeur pour les pipelines, et par conséquent pour la sécurité publique. Aux États-Unis, on estime que les incidents associés à des excavations par des tierces parties sont à l'origine de 31 p. 100 des problèmes majeurs de pipelines. Jusqu'ici, nous avons été extrêmement chanceux d'avoir réussi à éviter ce problème, mais, sur le diagramme inclus dans votre trousse, vous pouvez constater que l'Office national de l'énergie a signalé que les accès non autorisés sur les droits de passage sont passés de 42 à 150 au cours des dix dernières années. C'est une situation dangereuse.
Le président : Pardonnez-moi de vous interrompre, madame Kenny. Je ne me souviens pas avoir lu grand-chose sur des ruptures ou des fuites de pipelines jusqu'à tout récemment. Au moins deux incidents ont reçu beaucoup d'attention de la part des médias. Je crois que, dans les deux cas, des entreprises canadiennes étaient en cause, même si les ruptures ont peut-être lieu aux États-Unis, où elles attirent certainement beaucoup l'attention.
Ai-je raison? Pourriez-vous nous expliquer cette situation, parce que cela relève de cette section.
Mme Kenny : Oui, vous avez parfaitement raison. L'été dernier, il y a eu un incident majeur sur un pipeline au Michigan dont le propriétaire exploitant est Enbridge, l'un de nos membres canadiens ainsi qu'une société canadienne de longue date qui possède de grandes exploitations au Canada également. Nous attendons toujours de connaître la cause de cet incident. Je peux vous assurer que le secteur entier tient à savoir exactement ce qui s'est produit, tout comme la société elle-même.
À l'occasion, quelque chose nous échappe. Nous travaillons fort afin que les technologies progressent pour nous assurer que, à l'avenir, nous pourrons prévoir ces événements avant qu'ils ne se produisent. Le fait que vous vous souveniez qu'il n'y a pas eu beaucoup d'incidents, comme l'indiquent les résultats sur l'historique des ruptures que vous avez sous les yeux, est une indication du fait qu'ils sont si inhabituels qu'ils attirent notre attention. Voilà qui est bien, parce qu'ils méritent notre attention. Ils sont inhabituels, compte tenu de l'envergure des activités au Canada et aux États-Unis.
Le président : Après la première rupture d'un pipeline d'Enbridge, où on a contenu l'écoulement et limité la pollution des eaux environnantes, il semble y avoir eu une autre rupture ailleurs. Ce qui m'a traversé l'esprit à ce moment-là, c'était que ces pipelines sont en place depuis un sacré bout de temps. Je me souviens que, pendant ma première année à l'université, j'ai travaillé sur le pipeline West Coast à Fort St. John et à Buick Creek.
Mme Kenny : Qui est maintenant exploité par M. Bloom.
Le président : Je me demandais si ces pipelines n'atteignent pas tout à coup un certain âge, et si nous n'allons pas subir de nombreuses ruptures en même temps. Était-ce une simple coïncidence?
Mme Kenny : Vous posez une question importante. En ce qui a trait à l'acier des pipelines, rien ne devrait nous pousser à croire que le vieillissement est un problème. D'après les renseignements scientifiques dont nous disposons aujourd'hui, rien n'indique que cela se produit. Ce qui se produit, c'est qu'il faut accorder davantage d'attention à l'entretien tandis que les années passent, un peu comme quand vous possédez une maison âgée de 10 ans, par opposition à une autre âgée de 50 ans. L'attention que vous accordez à l'entretien change au fil du temps, et nous l'intégrons dans nos programmes d'entretien. Ces technologies qui nous permettent de vérifier les conduites de l'intérieur sont un élément de sécurité de plus. Nous ne connaissons toujours pas les causes des incidents de cet été, et vous avez raison de dire qu'il y a eu un second incident. D'après ce que je comprends des conclusions préliminaires, le second incident était très différent, et n'avait rien à voir avec le pipeline lui-même. Il y a eu une perturbation en lien avec un autre établissement à proximité, et la nature exacte de l'incident sera déterminée dans un proche avenir.
Un troisième incident, que je vais décrire aux fins du compte rendu et qui était encore plus préoccupant pour nous tous, était la terrible tragédie en Californie causée par l'incident de San Bruno. Une fois de plus, ce n'était pas un pipeline d'un membre de la CEPA, mais nous souhaitons tous apprendre ce qui s'est passé lors de cet incident. Selon les premières indications, des dommages causés par une tierce partie sont une possibilité très claire.
Enfin, je vous signalerai un autre incident canadien majeur qui a eu lieu il y a environ deux ans dans la région de Burnaby, lequel était complètement attribuable à des dommages causés par une tierce partie. Un entrepreneur municipal a frappé un pipeline, sans avoir appelé au préalable pour le faire localiser; il a cru que c'était une pierre et a décidé de tenter de la déplacer. Une dizaine de maisons ont été inondées de pétrole brut.
Il y a deux catégories de préoccupations en matière de sécurité. La première catégorie porte sur le bon entretien du pipeline lui-même. Avons-nous toute l'information que nous pouvons recueillir quant à la manière d'assurer son intégrité, et faisons-nous tout ce qui est possible pour poursuivre son exploitation sécuritaire? C'est la partie sur laquelle nous devons rendre des comptes, et nous prenons cette responsabilité au sérieux. Je laisserai M. Bloom en parler, parce qu'il vit cette situation au quotidien.
La deuxième catégorie consiste à éviter les dommages causés par autrui, quand un quelconque entrepreneur décide de ne pas téléphoner avant d'excaver, et qu'il frappe ensuite le pipeline. Ce qui peut tout transformer en tragédie, c'est que, inévitablement, un être humain se trouve à proximité quand cela se produit, parce que quelqu'un manœuvre la pelle rétrocaveuse. Le risque de perte de vie monte en flèche. Nous souhaitons voir mettre en place beaucoup plus d'affichages rigoureusement encadrés, l'exigence de téléphoner avant d'excaver et la capacité pour les organismes de réglementation comme l'Office national de l'énergie d'imposer des amendes afin de favoriser un changement de comportement.
Douglas P. Bloom, président, Spectra Energy Transmission West : Dans notre industrie, la plus grande partie de nos actifs sont enfouis cinq ou six pieds sous terre, et ils y resteront pendant des décennies et des décennies. C'est certes dans notre intérêt d'assurer l'intégrité de nos actifs et de concentrer nos efforts sur la sécurité de nos propres ouvriers ainsi que sur celle du public des régions environnantes. Soyez assurés que nous nous préoccupons davantage de sécurité que n'importe quel autre secteur. Comme l'a décrit Mme Kenny, nous concentrons effectivement nos efforts sur l'inspection interne de nos conduites. Nous menons des expériences au moyen de technologies avancées de raclage des canalisations pour tenter de mieux connaître l'état de nos conduites, en tenant compte du fait qu'elles sont enterrées et qu'il n'est pas facile de les inspecter visuellement. Nous mettons en place un grand nombre de pratiques pour nous assurer de protéger la sécurité du public en tout temps.
L'une des choses avec lesquelles nous avons besoin d'aide, c'est la possibilité que de tierces parties — par ignorance, pour accélérer le travail ou pour une autre raison — décident de commencer à excaver à proximité des pipelines et qu'elles puissent mettre les autres ainsi qu'elles-mêmes à risque. C'est la deuxième catégorie de protection de la sécurité décrite par Mme Kenny. Nous avons exhorté les autorités à, très franchement, réglementer davantage. Il est inhabituel pour une industrie d'exhorter les autorités à réglementer davantage son domaine, et nous admettons que c'est un peu inhabituel, mais c'est tout simplement parce que nous comprenons la gravité des conséquences de la rupture d'un pipeline et que nous voulons faire tout en notre possible pour empêcher que cela ne se produise.
Le président : Monsieur, vos propos me poussent à poser la question suivante. Quand vous avez dégagé le droit de passage, excavé la tranchée, déposé, enveloppé, soudé et enterré la conduite, je ne vois pas comment il pourrait y avoir un risque de dommages causés par une tierce partie si le pipeline était protégé par une clôture de chaque côté. Je suis convaincu que c'est sans doute impraticable, ou alors ce serait fait, ou ce l'est peut-être dans certains cas. Mais je me demande pourquoi ce n'est pas fait?
M. Bloom : En temps normal, nous nous efforçons de pouvoir accéder à nos pipelines au cas où nous aurions besoin de le faire, pour différentes raisons : à des fins d'entretien régulier, pour faire des réparations au besoin, ou encore pour nous assurer d'accéder aux pipelines en cas de situation d'urgence. Normalement, les pipelines enfouis ne sont pas clôturés. Cela ne veut pas dire que le droit de passage ne peut pas servir à d'autres utilisations, comme la randonnée, le vélo ou d'autres activités, mais comme nous tenons à ce que les pipelines soient accessibles en cas d'urgence, nous avons tendance à ne pas placer d'obstacles supplémentaires.
Le sénateur Massicotte : Si vous avez un droit de passage, vous n'êtes pas propriétaire de la terre, alors vous n'avez pas le droit d'ériger une clôture.
M. Bloom : C'est exact. C'est habituellement le cas. Dans de nombreux cas en Colombie-Britannique et ailleurs — c'est certainement le cas en Colombie-Britannique, où se trouve le réseau de pipelines dont je suis responsable —, la majorité des conduites sont enfouies sur des terres publiques. Nous avons une entente de droit de passage à cette fin. Dans certains cas, les conduites sont enfouies sur des terres privées, mais, une fois de plus, nous obtenons un droit d'utilisation.
Nous tentons de nous assurer que l'emplacement du pipeline est clairement indiqué, afin que personne n'y touche par inadvertance. En même temps, nous voulons également que l'emplacement soit dégagé pour servir à d'autres fins et également pour nous permettre d'y accéder, si nécessaire.
Le président : L'un de nos sénateurs doit partir. Le sénateur Brown avait une question pressante. Voyez-vous comme il piaffe d'impatience?
Le sénateur Brown : Vous avez sans doute des problèmes avec une quatrième partie, c'est ainsi que je l'appelle, quand des gens excavent à l'aide de pelles rétrocaveuses ou de chaînes de creusement ou allez savoir quoi, et qu'ils brisent la protection cathodique, mais qu'ils ne le signalent pas. Il n'y a pas de rupture de la conduite. Cela déclenche-t- il une réaction en chaîne qui, au fil des mois et des ans, pourrait éventuellement causer une fuite? Avez-vous souvent ce genre de problème?
M. Bloom : C'est une excellente question. Je suis heureux de vous dire que cela ne se produit pas très souvent. La protection cathodique est importante pour tenter d'empêcher la corrosion de la conduite, alors c'est un élément important à mettre en place.
Heureusement, nous avons peu d'incidents de ce genre. Dans notre cas, le potentiel de dommages ou d'un incident de sécurité très grave est si important que nous ne voulons pas que cela se produise, en aucune circonstance. Si qui que ce soit creuse à proximité de nos pipelines, nous voulons être certains qu'il emploie les bonnes pratiques, ce qui inclut le fait de nous téléphoner afin que nous puissions nous rendre sur place, localiser très précisément l'emplacement de notre pipeline et nous assurer que l'intéressé utilise des pratiques sécuritaires pour excaver à proximité du pipeline, et surtout pas trop près.
Le sénateur Neufeld : Un grand nombre de vos pipelines traversent des champs d'agriculteurs. De toutes les provinces du Canada, l'Alberta est traversée par ce qui est sans doute le plus grand écheveau de pipelines. Si vous érigiez des clôtures sur toutes ces terres que vous louez pour pouvoir vous rendre jusqu'en Saskatchewan, il ne serait pas possible de les cultiver. Est-ce exact?
M. Bloom : C'est juste. Nous nous efforçons d'enfouir les conduites à une profondeur qui autorise la poursuite normale d'autres utilisations. L'agriculture est un excellent exemple, sénateur. L'une des choses dont nous sommes fiers, c'est qu'avec les pratiques adéquates, les pipelines et les autres utilisations de surface de la terre arrivent à coexister plutôt bien. Cela dit, certaines utilisations sont complètement incompatibles avec la présence de pipelines.
Mme Kenny : Pour clore cette question, vous verrez dans votre trousse des images qui montrent le type d'indicateur de ligne que l'on trouverait normalement, ainsi qu'un travailleur qui cherche à localiser un pipeline. Je tiens à insister sur le fait que, comme l'a dit M. Bloom, les pratiques de coexistence entre l'agriculture et les pipelines fonctionnent très bien depuis longtemps.
Au-delà des questions de sécurité, les Canadiens veulent de l'énergie et en ont besoin, et c'est la même chose pour les emplois rémunérateurs, les revenus fiscaux, les redevances et tout ce qui vient avec; pour cela, il faut davantage d'infrastructures. Là où des pipelines sont nécessaires, il est important qu'il y ait une réglementation qui exerce une influence positive sur les résultats et la prise de décisions. Dès le début des projets, les sociétés canadiennes sont aux prises avec les vestiges d'anciens règlements, qui sont souvent eux-mêmes régis par une pléthore de lois disparates. Ce système ne fonctionne pas très bien. Je suis déjà venue parler de ces préoccupations devant votre comité par le passé. À l'heure actuelle, au Canada, des projets majeurs de ressources, dont la valeur approximative s'élève à 100 milliards de dollars, sont en attente de décisions. Si nous pouvions lancer la première pelletée de terre de ces projets, dans la mesure où ils sont d'intérêt public, cela contribuerait de manière positive à l'économie et aux emplois.
À la suite du débat sur les pipelines dans les années 1950, la Loi sur l'Office national de l'énergie a été adoptée. Grâce à cet instrument juridique, le gouvernement fédéral a disposé, au cours des 50 dernières années, d'un organisme de réglementation indépendant très utile. Le devoir de l'industrie est de placer l'environnement et la sûreté au-dessus de tout; c'est à l'organisme de réglementation qu'il revient de nous tenir responsable de ces attentes. L'organisme de réglementation met à l'essai des hypothèses, élabore et met en œuvre de meilleures pratiques et nous pousse continuellement vers de nouveaux sommets afin que nous réalisions ce qui est nécessaire pour assurer l'intérêt public canadien.
Nous apportons notre soutien plein et entier à un processus réglementaire ouvert, transparent et inclusif, et nous nous engageons à cet égard. Nous croyons qu'il est tout aussi important de faire preuve de célérité que d'efficacité. Rien ni personne ne tire profit des retards. Le processus réglementaire du pipeline Mackenzie est toujours en cours après plus de cinq ans. C'en est l'exemple le plus évident. Cependant, d'après notre expérience, toutes les prises de décisions réglementaires sont considérablement plus longues au Canada. Cela entraîne le risque d'accroissement des coûts de projets d'intérêt public et en retarde le moment d'en retirer les avantages économiques.
Il est important de se rappeler que, dans l'histoire canadienne, malgré des évaluations environnementales très exhaustives dans chaque cas, on n'a jamais conclu qu'un pipeline avait eu un effet important sur l'environnement, même en terrain difficile. Dans le Nord, un pipeline existant, le Norman Wells, est exploité dans la moitié supérieure de la vallée du Mackenzie depuis plus de 20 ans. Bien que, par exemple, le terrain typique du Nord présente des défis de conception particuliers, cette situation n'a rien d'extraordinaire, pas plus que celle des autres pipelines proposés. Rien ne s'oppose à ce que nous allions de l'avant. En ce qui a trait à l'utilisation de la terre, en matière de sécurité et d'agriculture, selon les résultats de sondages indépendants sur les droits de passage, 91 p. 100 des propriétaires de partout au pays qui cohabitent avec des pipelines hiver comme été sont convaincus qu'ils sont essentiels; 81 p. 100 affirment que les pipelines sont un moyen de transport fiable et sécuritaire pour les produits. La vaste majorité, soit les trois quarts, des personnes directement touchées pensent que nous faisons un excellent travail de protection de l'environnement.
Au cours de la dernière année, il s'est produit des événements qui ont changé l'opinion du public nord-américain au sujet de l'industrie de l'énergie et de ses organismes de réglementation. Nous nous attendons donc à observer des changements de réglementation qui apporteront des assurances supplémentaires pour convaincre le public de la bonne gestion des risques. Pour la suite des choses, il est essentiel d'établir un mode de gouvernance du rendement environnemental axé sur les résultats qui soit à la fois efficace et efficient, afin d'obtenir les meilleurs résultats possible. Il doit avoir pour objectifs clés l'intégration et l'harmonisation améliorées de diverses lois, y compris la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale, la Loi sur les espèces en péril, la Loi sur la convention concernant les oiseaux migrateurs, la Loi sur la protection des eaux navigables et la Loi sur les pêches. En assurant l'intégration et la reddition de comptes améliorées, ainsi qu'une prise de décisions plus éclairée axée sur les résultats, nous pourrons mieux servir les intérêts de tous les Canadiens. Nous devons prendre les bonnes décisions au bon moment, afin d'avoir les infrastructures au bon endroit. C'est essentiel.
En plus de ces événements et d'éventuels changements réglementaires, un autre facteur point à l'horizon. Je ne peux faire de commentaires sur la validité de ces renseignements, mais je vous ferais observer que de récents articles dans les journaux rapportent que de très importantes sommes d'argent provenant des États-Unis seraient apparemment injectées dans le seul but de perturber la procédure d'approbation canadienne. Nous savons en outre que les États-Unis envisagent la possibilité de dresser des barrières commerciales de facto relatives aux exportations de pipelines, dont les plus récentes touchent le pipeline Keystone XL. Il faut maintenir la capacité du Canada de prendre des décisions d'intérêt public pour le pays. Quand vient le moment de prendre des décisions relatives à l'approvisionnement et au commerce de l'énergie nationale, il faut absolument que les Canadiens puissent se faire entendre. Les intervenants clés doivent nous faire connaître leurs véritables préoccupations, de la manière la plus franche possible. Nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour trouver des solutions à ces préoccupations afin que les décideurs connaissent les faits au moment de prendre les décisions qui auront des conséquences nationales relativement au fait d'aller de l'avant avec ces projets de pipelines, et, le cas échéant, de déterminer les conditions qui encadreront ce processus.
Pour conclure, l'industrie du pipeline a un devoir à l'égard du Canada. Il nous faut non seulement fournir à notre pays les autoroutes de l'énergie nécessaires pour répondre à la demande, mais il nous faut également faire montre de diligence en matière de sécurité et d'environnement. Les pipelines d'énergie sont essentiels aux intérêts nationaux du Canada; les sociétés canadiennes de pipelines sont des entreprises qui ont le sens du devoir et des responsabilités et sont des chefs de file mondiaux en matière de sécurité et de prévention des dommages. En matière de sécurité publique, nous avons besoin d'appuis pour l'introduction d'un numéro national « Téléphonez-avant-de-creuser » et l'adoption d'outils de mise en application efficaces.
En ce qui a trait aux projets majeurs au Canada, il nous faut apporter des changements qui mettront en place un cadre intégré, plutôt qu'une approche décousue, ainsi qu'une prise de décisions plus efficace et efficiente.
Voilà qui conclut nos déclarations.
Le président : Merci beaucoup. Nous allons maintenant passer à la période de questions.
Le sénateur Mitchell : Je pense que Mme Kenny est venue ici assez souvent pour mériter le titre de membre honoraire du comité.
En matière de conversion des centrales électriques alimentées au charbon en centrales au gaz naturel, manifestement, certains endroits se tourneront vers le nucléaire, mais sans doute pas l'Alberta. Cela aura une incidence sur la demande pour votre produit. Que pensez-vous de la rigidité de la déclaration du gouvernement selon laquelle, à partir de 2017, le Canada n'autorisera plus de nouvelles centrales électriques alimentées au charbon? Qu'est- ce que cela signifie quant aux possibilités de prolongation de la durée de vie des centrales de l'Alberta?
Mme Kenny : Voilà une excellente question. Je ne suis pas spécialiste de la production d'énergie électrique à l'aide du charbon, pas plus que je ne peux parler de la politique gouvernementale, actuelle ou future, en cette matière.
Cependant, je vous dirais que, dans le cadre de la chaîne de valeurs du gaz naturel, il est d'un grand intérêt pour les Canadiens d'utiliser davantage et mieux le gaz naturel afin de répondre à nos futurs besoins énergétiques ainsi que pour servir de point de comparaison afin d'établir une norme de production d'énergie propre.
Une centrale électrique alimentée au gaz à cycle mixte de grande efficacité est un excellent choix dont l'installation est rapide et l'exploitation est peu dispendieuse, et qui est très sécuritaire. En matière de qualité de l'air, il y a des effets positifs. Du point de vue des pipelines, il ne nous est pas difficile de fournir des raccordements qui permettront de répondre en toute souplesse aux variations de la demande sur le marché. À mon avis, je pense que c'est un élément clé du fondement sur lequel nous construirons notre avenir. La société de M. Bloom joue un rôle actif dans le domaine du gaz naturel; je vais donc lui céder la parole pour lui permettre de faire d'autres commentaires.
M. Bloom : Selon les normes établies pour le gaz naturel annoncées en juin par le ministre de l'Environnement, après 2020, l'exploitation de centrales électriques alimentées au charbon pourrait se poursuivre, mais ces dernières devraient respecter les normes établies par un générateur équivalent alimenté au gaz naturel.
Je pense que cela vise à permettre aux exploitants de choisir entre la prolongation de la vie de leur centrale au charbon ou la possibilité de mettre à niveau leur équipement en y ajoutant des technologies d'efficacité énergétique visant à réduire leurs émissions à un niveau équivalent à celui d'un générateur alimenté au gaz naturel; ils pourraient également se convertir à un générateur alimenté au gaz naturel ou à une autre source d'énergie, qui pourrait être renouvelable, qu'elle soit hydroélectrique ou autre, selon ce qui est disponible.
Il est difficile pour moi de faire des commentaires sur ce qu'il adviendra des centrales alimentées au charbon, sur le fait que l'on autorisera la poursuite de leur exploitation ou encore sur la possibilité d'une importante conversion vers le gaz.
À notre avis, le Canada, tout comme les États-Unis, d'ailleurs, a la possibilité de saisir l'importante occasion que lui offrent les nouvelles vastes ressources de gaz que nous avons réussi à découvrir, tout particulièrement au cours des cinq dernières années. Il est bien probable que nous observerons d'importantes conversions du charbon vers le gaz au fil du temps, et ce, à un rythme sans doute relativement progressif.
Comme l'a mentionné Mme Kenny, dans notre industrie, l'exploitation exige d'importants moyens financiers. Nous savons qu'il n'est pas possible de tout bonnement apporter des changements en bloc du jour au lendemain sans imposer un énorme fardeau financier aux sociétés et aux contribuables. La mise en place d'une procédure raisonnablement ordonnée, assortie d'un calendrier relativement long et caractérisée par la transparence des conditions que devrait respecter l'exploitant d'une centrale, est une bonne manière de prendre une décision onéreuse de nature, qui exige d'importants moyens financiers.
Le sénateur Mitchell : Il s'agit en fait de déterminer si la conversion au gaz est plus onéreuse que l'exploitation d'une centrale au charbon à laquelle on ajouterait les coûts de captage du carbone. C'est l'aspect économique du projet qui en décidera. Cela élimine toute question relative aux émissions de gaz à effet de serre de l'une ou l'autre des solutions.
Ma deuxième question porte sur Kitimat. On se perd en conjectures quant au fait qu'il serait presque impossible de construire le pipeline vers Kitimat en raison de la présence de collectivités autochtones, tout particulièrement en Colombie-Britannique; de plus, il semble que les collectivités qui se trouvent en Alberta s'agitent un peu plus ces jours- ci. Cela soulève également la question de savoir si les sables bitumineux nous permettront de produire suffisamment de pétrole pour pouvoir en vendre aux États-Unis. Peu importe ce qui se dit là-bas, même si c'est une question qu'il faut se poser, ce marché semble insatiable. Quelle est la probabilité que ce pipeline soit réellement construit dans un avenir rapproché? Il serait possible de doubler la capacité du pipeline Kinder Morgan, et ce serait peut-être moins onéreux.
Mme Kenny : Tout d'abord, il est important de commencer en posant la question de politique fondamentale suivante : la diversification des marchés est-elle une bonne chose pour le Canada en tant que nation? Certes, les États-Unis ont été un bon partenaire commercial pour notre pays, et continueront de l'être.
Au Canada, nous avons la possibilité de nous tourner vers des marchés étrangers pour écouler nos produits; cela nous permettrait peut-être d'avoir une meilleure position de négociation ainsi que des options, ce qui pourrait, au bout du compte, rapporter aux Canadiens : pas seulement aux sociétés, mais également à ceux qui touchent les redevances et les impôts. Ainsi, le pays serait mieux placé pour ses négociations futures.
Ce n'est pas la position de la CEPA, mais, à mon avis, je suis également convaincue qu'il est fondé de tenir compte de l'atout géopolitique que procure davantage de commerce avec des partenaires étrangers. Nous entretenons effectivement une bonne relation avec les États-Unis, que nous devons honorer et poursuivre. Cependant, il nous serait probablement utile d'établir des liens plus étroits avec d'autres nations émergentes, et le commerce de l'énergie est un véhicule formidable pour y parvenir.
Si vous êtes d'accord avec le point de vue selon lequel l'accès aux marchés asiatiques servirait bien les intérêts nationaux du Canada, alors, manifestement, la prochaine question est la suivante : comment faire? Il y a plus d'un moyen pour y arriver; cependant, pour mettre en place le commerce à grande échelle et à long terme, les pipelines sont le moyen qui permettra d'accéder, dans le cas qui nous intéresse, à la côte Ouest et d'amorcer des échanges de plus grande envergure.
Ce sera aux organismes de réglementation de répondre à cette question. On a déjà mis sur pied un comité mixte qui doit se pencher sur la proposition du pipeline Gateway. Le pipeline Kinder Morgan a fait l'objet d'expansions progressives. Les organismes de réglementation examineront et envisageront différents facteurs pour prendre des décisions relatives à l'une ou l'autre de ces possibilités, ou aux deux, et ce sera aux marchés de décider s'ils sont prêts à appuyer ces propositions sur le plan économique et à respecter les modalités établies, ainsi que le moment opportun pour le faire.
Les commentaires que j'ai faits concernant un processus réglementaire véridique, efficace, efficient et fondé sur des données probantes sont au cœur de cette proposition, parce qu'il nous faut nous montrer respectueux des préoccupations soulevées par tout projet d'importance; il nous faut également nous appuyer sur des faits quand vient le temps d'évaluer les répercussions, réelles ou perçues. Il est encore trop tôt pour savoir exactement comment ces décisions seront prises, ou encore quelles seront les préoccupations ou les appuis qui seront suffisamment solides ou fondés sur des données probantes et des résultats d'évaluation pour contribuer à cette prise de décisions difficiles et importantes pour la nation. Cependant, il est particulièrement vrai, pour votre comité ainsi que d'autres parties ailleurs au pays, qu'il nous faut renforcer notre mainmise sur notre droit de prendre les bonnes décisions pour notre pays, puis trouver des moyens équitables, raisonnables et efficaces de protéger l'environnement et divers autres intérêts, ainsi que d'assurer en premier lieu les intérêts nationaux.
Le président : Sénateur Lang, d'après nos informations, vous avez un lien direct avec ces organisations américaines. J'espère que vous allez interroger nos témoins sur cette question.
Le sénateur Lang : Je vous remercie de votre présence parmi nous ce soir. Tout comme mes collègues, je vous présente mes excuses pour notre retard. Comme d'autres, je dois bientôt partir.
Dans votre exposé, vous avez mentionné, pour répondre en partie à cette question, les renseignements qui ont été publiés au cours des dernières semaines relativement aux sommes d'argent qui proviennent principalement des États-Unis, et qui entrent au Canada par le truchement de fondations afin de procurer des moyens financiers à des organisations qui s'opposent manifestement aux pipelines, aux sables bitumineux et au développement tous azimuts, selon les lieux. Pourriez-vous nous donner des détails à ce sujet? D'après ce que je comprends, un montant qui s'élève aux alentours de 200 millions de dollars, sinon plus, est entré au pays. Est-ce vrai?
Mme Kenny : Comme je l'ai dit dans ma déclaration, je ne peux confirmer la véracité de ces renseignements. Tout comme vous, j'ai lu dans les journaux des rapports préliminaires sur ces questions, et j'ai entendu des rumeurs, mais je n'accorde pas d'importance à ces dernières. Je pense que certaines de ces questions émergent au grand jour, grâce aux recherches menées par les journalistes. Il s'agit d'une question importante pour votre comité, étant donné le fait que, au Canada, nous continuons à prendre des décisions d'intérêt public pour les Canadiens d'une manière équilibrée et fondée sur des données probantes.
Si l'on examine la question du point de vue des décisions en matière d'infrastructure, cette situation me préoccupe. Depuis plus de 50 ans, nous organisons des audiences publiques, que je qualifierais d'assez judicieuses, qui ont permis de recueillir des faits et de susciter l'intérêt de différentes personnes. Quand des gens comparaissent, on se fie au fait que les propos qu'ils tiennent devant un organisme de réglementation expriment leurs sentiments ou encore qu'ils s'appuient sur les faits pour refléter ce qu'ils perçoivent et savent. Je ne crois pas qu'il soit utile pour l'intérêt public de s'imaginer que ces audiences publiques sur les pipelines ou sur n'importe quel autre projet majeur puissent être manipulées par des gens animés d'intentions cachées qui pourraient mener à une mauvaise perception des faits ou encore nuire aux intérêts canadiens.
C'est la raison pour laquelle j'ai fait cette observation aujourd'hui. Il est de plus en plus difficile de faire en sorte que la prise de décisions d'intérêt pour les Canadiens se fasse de manière efficace et fondée sur des données probantes. Les questions qui nous intéressent sont des enjeux complexes et importants, et c'est la raison pour laquelle votre comité a décidé de mener cette étude sur l'énergie et l'environnement, initiative que nous saluons. Le développement de l'énergie, qui vise à répondre à nos besoins et à cerner de nouvelles possibilités pour le Canada, entraîne de nombreuses dichotomies. J'espère que les renseignements que nous recueillerons au cours d'audiences publiques et dans d'autres tribunes seront issus d'une expression authentique des intérêts canadiens, et qu'ils ne seront faussés d'aucune manière.
Le président : Vous disiez avoir besoin d'un éclaircissement?
Le sénateur Mitchell : Oui, si vous le permettez, j'ai une autre question. Je comprends l'enjeu, mais n'est-il pas vrai que les Américains investissent d'énormes sommes de l'autre côté de notre industrie énergétique et de son développement? D'une part, vous êtes d'accord avec ces investissements, mais d'autre part, vous affirmez qu'il n'est pas juste que des groupes environnementaux canadiens soient financés par de l'argent américain. Je ne vois pas comment vous pouvez avoir le beurre et l'argent du beurre. Je comprends vos propos sur la nécessité d'avoir des données véridiques, et cetera, et qu'il nous faut également croire des données scientifiques. C'est vrai; il nous faut insister là-dessus. Mais il y a deux côtés à cette médaille. C'est la question que je pose.
Mme Kenny : C'est une question intéressante. Il vaut peut-être la peine de discuter d'une partie de ce qui fait naître cette question. Il s'agit du type de question sur laquelle le comité voudra peut-être se pencher.
Je vous ferais observer, sénateur, que, à mon avis, le Canada est un pays qui a été bâti au moyen d'investissements étrangers directs, grâce auxquels les Canadiens ont pu disposer d'énormes quantités de capitaux pour entreprendre des projets d'intérêt national. Indépendamment de l'origine de ces capitaux, les Canadiens ont choisi de créer un environnement économique qui suscite et encourage les investissements étrangers directs. Je fais allusion au lieu où sont prises les décisions quant à ce qui est dans l'intérêt public du Canada, au moment où ces décisions sont prises et au fait que l'on nous dise que nous entendons parler de l'intérêt de la population canadienne.
Le sénateur Lang : Si vous le permettez, j'aimerais que nous continuions à examiner cette question.
Je ne sais pas si mon bon ami le sénateur Mitchell savait cela, mais pour ma part, en tant que Canadien, j'ignorais totalement que diverses organisations canadiennes recevaient d'organisations de l'étranger des sommes totalisant environ 200 millions de dollars — si ce chiffre est exact — afin qu'elles puissent se présenter à des audiences publiques; de toute évidence, de façon générale, ces sommes ne sont pas divulguées sur la place publique. J'ignorais que des sommes aussi substantielles étaient versées. Il est perturbant que ces sommes ne soient pas divulguées. Nous sommes tout à fait conscients du fait que ce type d'investissements étranger au Canada a une influence sur la vie politique, la politique environnementale et, en fin de compte, sur la politique commerciale du pays. Cela me semble très important.
Le président : Avez-vous une question? Je ne veux pas que nous nous lancions dans un débat.
Le sénateur Lang : Oui. Je ne connais pas si bien que ça la situation aux États-Unis, et je ne sais pas à quel point vous êtes au courant de ce qui se passe là-bas.
Il devient de plus en plus évident que, peu importe ce qui est proposé, les projets de ce type suscitent ce genre d'opposition. Il semble y avoir une opposition automatique à de tels projets de construction. On saute immédiatement aux conclusions en ce qui concerne les facteurs environnementaux, sociaux et économiques et les décisions qui sont prises. Avez-vous observé cela en ce qui a trait à la construction de pipelines aux États-Unis? Ces projets suscitent-ils aux États- Unis le même type d'opposition qu'au Canada?
M. Bloom : Je peux peut-être formuler des commentaires à ce propos. L'entreprise que je représente exploite un important réseau de pipelines et d'installations de stockage non seulement au Canada, mais aussi aux États-Unis. Il est juste de dire que, de façon générale, les projets de ce genre font naître une opposition croissante. Cette opposition n'est certainement pas l'apanage du Canada — on peut également l'observer aux États-Unis.
Comme Mme Kenny l'a mentionné, l'important, c'est de ne pas étouffer toute opposition — d'ailleurs, il n'est certainement pas dans notre intérêt de le faire. Nous avons plutôt intérêt à tenter de comprendre clairement les faits et les préoccupations fondamentales. S'il y a des faits importants que nous avons omis de prendre adéquatement en considération, nous, les promoteurs de projet, devrons connaître ces faits. Nous devons disposer d'un processus efficient nous permettant, au bout du compte, de nous prononcer sur ces faits.
Comme Mme Kenny l'a souligné, un processus qui serait constitué à partir de divers textes législatifs qui n'ont pas nécessairement été conçus au départ pour être combinés les uns avec les autres pourrait se révéler inutile au moment de faire face de façon efficiente à de l'activisme ou à une opposition vigoureuse, ou même incapable de nous aider à dissiper une foule de préoccupations soulevées par un projet.
Dans notre secteur d'activités, nous sommes à la poursuite de l'excellence, tout comme les autres intervenants — qu'ils soient producteurs ou clients en aval — des secteurs connexes. Au bout du compte, si nous voulons tirer la valeur maximale des ressources énergétiques dont nous disposons au pays, nous devons nous assurer, dans le secteur tant privé que public, que nous disposons des meilleurs processus possible pour examiner et réglementer ces projets. Nous devons déployer des efforts à cette fin. Si nous devons peaufiner ou rajuster les processus réglementaires du Canada, de la même façon que nous pourrions être appelés à le faire aux États-Unis dans une situation similaire, faisons-le et efforçons-nous de mettre en place un processus nous permettant d'examiner les faits de façon efficiente et permettant aux organismes de réglementation de prendre le plus rapidement possible des décisions d'intérêt public.
Le sénateur Frum : Je veux revenir sur la discussion que vous avez eue avec le sénateur Mitchell à propos de Kitimat. Vous avez probablement lu dans le Edmonton Journal qu'une conférence avait eu lieu hier. En gardant présent à l'esprit ce que vous avez dit il y a quelques instants en ce qui a trait au fait qu'il fallait s'entendre sur la voie à suivre et qu'il existait de nombreuses options à cet égard, je mentionnerai que le vice-président de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada a indiqué que le CN était en mesure d'expédier autant de pétrole qu'un pipeline conventionnel. Le CN et le CP affirment tous deux qu'ils sont capables de faire le même travail que les pipelines, et que les infrastructures nécessaires à cette fin existent déjà. Avez-vous des observations à formuler là-dessus?
Mme Kenny : Assurément, en ce qui concerne le transport du pétrole, les camions, le train et les pipelines ont chacun un rôle à jouer. Si vous consultez les statistiques, vous constaterez que les pipelines constituent le moyen le plus efficient et, de loin, le moyen le plus sécuritaire et le plus judicieux sur le plan environnemental de transporter d'importantes quantités de pétrole sur une longue période.
Il est vrai que des infrastructures sont déjà en place. Je sais que du pétrole est transporté au moyen de ces infrastructures, et cela est utile. Cependant, lorsqu'on examine les choses sous l'angle de l'établissement d'un commerce actif qui s'étendra fort probablement sur de nombreuses décennies, on peut avancer qu'il serait dans l'intérêt du Canada d'envisager l'option d'un pipeline. Les marchés examineront la question du coût, même si celui-ci ne représente pas l'obstacle principal vu l'ampleur du commerce dont il est question. Sur le plan de la sécurité et de l'environnement, la mise en place d'une infrastructure souterraine représente l'option la plus avantageuse.
Le sénateur Frum : La différence entre les coûts est énorme. Les transporteurs ferroviaires font valoir que leur bilan de sécurité en matière de transport de pétrole est aussi bon que celui des pipelines. C'est l'argument qu'ils présentent. Je veux simplement entendre ce que vous avez à dire là-dessus. Je ne sais pas. Les transporteurs ferroviaires soutiennent que, en cas d'accident, le déversement sur un chemin de fer est d'une ampleur bien moindre et est plus concentré et que ces déversements seraient peu nombreux. La possibilité que du pétrole s'échappe d'un wagon-citerne est très faible.
Mme Kenny : J'aurais besoin que l'on s'engage à analyser cette question de façon plus approfondie sans répondre directement. Cependant, la conséquence, c'est que l'interruption du transport serait aussi extrêmement limitée. Je crois qu'un déraillement ou un autre incident du genre poserait également un problème. Cependant, je ne tiens pas à dénigrer le transport ferroviaire — il s'agit d'un élément valable et important de l'éventail de moyens de transport dont nous disposons. À l'heure actuelle, au Canada, de façon générale, nous avons établi, à la lumière des résultats et de la vaste expérience acquise en la matière, que les pipelines sont plus valables que les autres moyens de transport pour ce qui est de la sécurité et de la protection de l'environnement. Quant à la question des capitaux, je laisserai le soin aux marchés d'y répondre, et ils pourraient faire justement cela, mais si l'intention est de faire du commerce sur une longue période, je soulignerai que, au fil du temps, il a été prouvé que l'investissement de capitaux dans un pipeline était bénéfique pour les marchés.
Le sénateur Frum : Comme le sénateur Mitchell l'a souligné, il y a aussi le problème de la réglementation. Le fait que les infrastructures ferroviaires soient déjà en place est une chose; l'obtention de permissions et la conclusion de traités en vertu desquels des pipelines pourront être construits et traverser des terres en est une autre — il semble que ce processus pourrait se révéler long et prohibitif.
Mme Kenny : Là encore, il faut faire des distinctions et comprendre à quoi tient véritablement l'opposition à tel ou tel projet. Je ne parlerai pas spécifiquement du projet en question, mais je dirai que, d'après ce que nous avons observé dans le cadre de quelques projets récents, il est évident que l'opposition souhaite non pas tenir une discussion honnête de politique publique à propos des intérêts nationaux en ce qui a trait aux sables bitumineux ou au gaz naturel et du rôle des infrastructures pour ce qui est du transport sécuritaire de ces combustibles, mais empêcher la construction du pipeline afin de mettre fin à l'exploitation des sables bitumineux, le remplacement général du pétrole étant considéré comme une panacée.
Comme M. Bloom l'a mentionné précédemment, ce que nous souhaitons, c'est d'être en mesure de collaborer avec tous les opposants à tout projet, d'écouter les inquiétudes réelles qui sont soulevées et de trouver des moyens de départager les inquiétudes réelles et les inquiétudes perçues, lesquelles peuvent n'avoir absolument rien à voir avec le projet proposé, et n'être qu'un moyen utilisé pour atteindre un quelconque objectif caché.
Le sénateur Banks : Cela est intéressant. La question de la sécurité des chemins de fer est intéressante. Tout le monde affirme toutes sortes de choses.
Je ne suis pas économiste, mais je crois que la plupart des pays conviendraient et semblent avoir convenu que la valeur ajoutée est non pas une mauvaise chose, mais une bonne chose. Si j'ai bien compris, ce que propose Enbridge pour ce qui est de l'expédition aux marchés, c'est d'expédier du bitume brut. Est-ce exact?
Mme Kenny : Oui, je crois que c'est en cela que le projet consiste à ce moment-ci.
Le sénateur Banks : Nous avons déjà un pipeline qui envoie du bitume brut, du bitume non traité de l'Alberta aux États-Unis, où il est transformé.
Quel est le point de vue de l'association qui vous représente — pour autant que vous soyez représenté par une association — sur la question de savoir s'il est plus avantageux pour l'économie nationale du Canada d'exporter des matières premières pour qu'elles soient transformées à l'étranger que de les transformer ici même, de manière à créer des emplois au pays, d'avoir notre propre usine de transformation et que les investissements soient faits au Canada?
Mme Kenny : L'Association canadienne des pipelines de ressources énergétiques n'a aucune position sur cette question. Nous sommes conscients du fait qu'il s'agit d'une question qui a donné lieu à quelques discussions, et je suis certaine qu'elle continuera de le faire.
En ce qui concerne les propositions relatives à la construction d'une nouvelle infrastructure de pipeline, elles sont généralement très souples. Si le marché ou les politiques étaient modifiés et que l'on délaissait le bitume au profit du pétrole brut non corrosif, de l'essence ou du carburéacteur, nous pourrions nous adapter à cela. L'essentiel, c'est d'établir un lien commercial — de nature assez similaire à celui qui est établi au moyen d'une nouvelle route — qui permet au commerce de se dérouler plus rapidement et de façon plus sécuritaire.
Le président : Avez-vous terminé?
Le sénateur Banks : J'ai terminé.
Le président : Sénateur Banks, je m'attendais à plus de questions de votre part.
Le sénateur Banks : Les pipelines ne font pas intervenir de questions politiques majeures. Les pipelines servent simplement à transporter des choses. D'autres personnes décident ce que ces pipelines transporteront, la manière dont ils transporteront cela et dans quelles circonstances ils le feront. On veut être propriétaire du distributeur, non pas de la ressource.
Le président : Mais il faut que vous deveniez le distributeur, et il y a 80 000 obstacles sur leur route — c'est ce que j'entends ce soir.
Le sénateur Neufeld : J'aimerais remercier les deux témoins de leur exposé.
J'ai fait un petit calcul rapide en ce qui concerne le transport par rail. Le résultat auquel j'arrive n'est pas exact, mais il est relativement près de l'exactitude — pour transporter 400 000 barils par jour, il faudrait 1 000 wagons qui circulent chaque jour, tous les jours. L'expédition par rail de 400 000 barils de bitume pose des difficultés, et si je me souviens bien, la ligne de chemin de fer qu'utiliserait le CN à cette fin a besoin d'être grandement modernisée. À l'heure actuelle, le CN a suffisamment de difficultés à assurer les expéditions de charbon, de bois et de produits finis.
J'aimerais revenir sur la première diapo, celle qui indique que les réserves totales s'élèvent à 57,9 billions de pieds cubes. Est-ce que ce chiffre inclut un quelconque gaz non conventionnel? Le chiffre en question figure tout en haut de la carte de la première diapo.
Mme Kenny : La première diapo sur la carte. Non.
M. Bloom : Non, sénateur. Je tente de le trouver.
Le sénateur Neufeld : Il se trouve dans le coin supérieur droit de la première carte de votre document.
M. Bloom : Ce chiffre ne comprend pas tous les gaz non conventionnels.
Le sénateur Neufeld : Je ne vous demande pas de me dire s'il comprend tous les gaz non conventionnels, mais je présume qu'il s'agit des réserves prouvées, n'est-ce pas?
M. Bloom : Il s'agit probablement des réserves prouvées.
Le sénateur Neufeld : Est-ce que cela comprend de quelconques réserves prouvées de gaz de shale ou devrais-je plutôt dire de gaz non conventionnels?
Mme Kenny : Je crois que cela pourrait comprendre une certaine partie des réserves initiales du Nord-Est de la Colombie-Britannique. Ces statistiques remontent à 2009, et la majeure partie des changements se sont produits par la suite.
M. Bloom : À l'heure actuelle, il existe deux zones gazières importantes pour ce qui est du gaz non conventionnel dans le Nord-Est de la Colombie-Britannique — la zone de Montney, et le bassin de la rivière Horn, où une foule d'activités d'exploration ont été entreprises en 2008 et en 2009. En ce moment, on produit environ 300 millions de pieds cubes par jour au bassin de la rivière Horn, dans le nord de la région de Fort Nelson, production relativement modeste en comparaison avec les estimations relatives à la quantité totale de gaz qui se trouve à cet endroit, soit approximativement 500 billions de pieds cubes. Il ne s'agit pas de réserves prouvées.
Le sénateur Neufeld : Vous parlez de la rivière Horn, n'est-ce pas?
M. Bloom : Oui. La zone de Montney, où l'on trouve également du gaz non conventionnel — non pas du pur gaz de shale, mais du gaz non conventionnel tout de même —, se trouve en grande partie dans le Nord-Est de la Colombie- Britannique, mais s'étend aussi dans certaines parties du Nord-Ouest de l'Alberta. Quelques experts estiment que cette zone recèle des réserves variant de 250 à plus de 1 000 billions de pieds cubes. L'entreprise que je représente estime généralement ces réserves à environ 450 billions de pieds cubes. Là encore, il s'agit non pas de réserves prouvées, mais d'une estimation de la quantité de gaz qui se trouvait sur place à l'origine — pour ce qui est des ressources récupérables, elles représenteraient une certaine fraction de ce nombre.
Cela dit, il faut ajouter ces ressources aux ressources de base du Canada pour obtenir une estimation des ressources potentiellement récupérables, lesquelles seraient bien supérieures aux réserves prouvées que nous avons mentionnées.
Le sénateur Neufeld : Pour faire suite à la question du sénateur Banks touchant la transformation du pétrole brut ou du gaz naturel, j'ai de nouveau fait un calcul. Ainsi, les résultats auxquels j'arrive ne sont peut-être pas tout à fait exacts, mais ils indiquent que, d'après les chiffres qui figurent sur la diapo 1, le Canada exporte environ 48 p. 100 de son gaz naturel, et environ 75 p. 100 de son pétrole. Est-ce que la proportion de gaz naturel qui est consommée au pays — 52 p. 100 de la production — est utilisée principalement aux fins du chauffage domestique ou de la fabrication de produits comme les produits fertilisants? Disposez-vous de données ventilées en ce qui a trait à l'utilisation?
M. Bloom : Vous parlez de l'utilisation du pétrole ou de celle du gaz?
Le sénateur Neufeld : Je parle de l'utilisation du gaz. Le Canada exporte 75 p. 100 de son pétrole, mais seulement 48 p. 100 de son gaz.
M. Bloom : Le pétrole est utilisé principalement aux fins du transport. Quant au gaz, il est utilisé à toutes sortes de fins. Nous pourrions vous transmettre des données ventilées concernant l'utilisation du gaz, si cela peut vous être utile.
Le sénateur Neufeld : Si cela est possible, j'aimerais bien.
M. Bloom : Le gaz est utilisé à des fins résidentielles — par exemple le chauffage des résidences et de l'eau —, à des fins commerciales — là encore, il s'agit de chauffage des locaux et de l'eau, mais dans des bâtiments commerciaux —, et à des fins industrielles — tant au sein de l'industrie légère que de l'industrie lourde —, par exemple pour la fabrication de produits fertilisants, de produits de pâtes et papiers et de plastique.
Le sénateur Neufeld : Il serait utile pour nous d'examiner ces données.
La diapo intitulée « Historique des ruptures de pipelines » indique le nombre de ruptures de pipelines canadiens transfrontaliers. Ces chiffres ne comprennent aucune rupture de pipelines provinciaux — ils ne concernent que les ruptures de pipelines transfrontaliers, est-ce exact?
Mme Kenny : C'est exact, oui.
Le sénateur Neufeld : Il est intéressant de constater qu'il n'y a eu aucune rupture de 2003 à 2006.
Mme Kenny : Si les statistiques touchant les ruptures de pipelines peuvent être trompeuses, c'est que les ruptures sont très rares, heureusement. On se retrouve donc avec ce phénomène étrange : pendant des années, aucun incident ne survient, puis il se produira trois ou quatre ruptures par année pendant deux ou trois années de suite, lesquelles seront suivies, de nouveau, par quelques années sans ruptures. Cela ne signifie pas que quelque chose d'épouvantable s'est produit au cours de l'année où trois ou quatre ruptures sont survenues, ou que quelque chose de miraculeux s'est produit au cours des années où il n'y a eu aucune rupture.
Ce qui me rassure, c'est que, d'une décennie à l'autre, les choses s'améliorent de façon évidente. Nous ne pouvons pas faire disparaître complètement le risque de rupture. Nous nous efforçons de réduire à zéro le nombre de ruptures — cela constitue notre objectif. Des incidents se produiront de temps à autre, tout comme d'autres tragédies aériennes se produiront. Nous tentons de tirer le plus de leçons possible des incidents qui surviennent, et nous renforçons nos outils de gestion de l'intégrité et nos pratiques exemplaires. Dans le cadre de sa mission, la CEPA doit notamment être capable de mettre en contact ses membres pour qu'ils échangent entre eux les connaissances qu'ils ont acquises de manière à ce que toute l'industrie en profite.
Le sénateur Neufeld : Ma dernière question concerne la sécurité. Je vous suis reconnaissant de tous les travaux que vous menez en ce qui a trait à la sécurité et aux autres choses du genre.
D'aucuns aimeraient que des pipelines explosent de manière non accidentelle — ces gens sont des terroristes. Je les qualifie de terroristes parce qu'ils tuent des gens. Ils n'ont pas le moindre scrupule à tuer des gens qui font leur travail normal. Pierre, Jean Jacques se rendent travailler le matin, et un cinglé fait exploser de la dynamite dans un pipeline. Une telle explosion pourrait facilement tuer des gens. Cela s'est produit dans le Nord-Est de la Colombie-Britannique. Quelles mesures l'industrie des pipelines prend-elle pour prendre en charge la sécurité et lutter contre le terrorisme? Il y a, à la surface, des voies d'accès que l'on utilise, par exemple, pour effectuer le raclage des canalisations. Quelles sont les procédures qui sont en place pour prendre en charge ces questions? Je refuse d'adresser la parole à quiconque utilise des explosifs de ce genre.
M. Bloom : Nous sommes d'accord là-dessus, sénateur.
Nous faisons de nombreuses choses. Nous nous assurons que nos installations vulnérables sont conçues pour résister le plus possible aux événements auxquels elles pourraient être exposées. Heureusement, les divers attentats à la bombe qui ont eu lieu dans le Nord-Est de la Colombie-Britannique ne se sont soldés par aucune blessure ou perte de vie. J'espère qu'il en sera toujours ainsi.
La conception du matériel est l'une de nos priorités. En outre, nous mettons l'accent sur la sécurité dans toutes nos installations, qu'il s'agisse des usines de traitement du gaz, des stations de compression, des pipelines ou des sites où se trouvent des vannes de surface. Dans tous les cas, nous nous efforçons de concevoir ces types d'infrastructures en fonction du niveau de sécurité approprié. De toute évidence, en ce qui concerne une installation comme une usine de traitement du gaz, et nous en avons de nombreuses au Canada, nous devons nous employer à sécuriser le site et veiller à ce que l'accès des visiteurs soit sécurisé et contrôlé. Tous les visiteurs qui accèdent au site sont escortés. Une foule de procédures sont exécutées. L'ampleur des procédures que nous mettons en place pour assurer la sécurité d'une installation est fonction des préoccupations que soulève l'installation en question. Nous faisons toute une série de choses du genre, et nous allons même jusqu'à étudier les conditions du sol où sont enfouies les canalisations.
Dans bien des cas, nous tentons de protéger le public non pas du terrorisme, mais de phénomènes comme les mouvements de sol attribuables aux importants ruissellements qui se produisent chaque année à la fonte des neiges. Nous tentons de prendre en considération une foule d'éléments différents au moment de concevoir nos installations, et d'en assurer l'entretien et la surveillance pendant qu'elles sont en exploitation.
Le sénateur Neufeld : Il s'agit là d'une norme qui s'applique non seulement à Spectra Énergie, mais à l'ensemble des entreprises de l'industrie.
Mme Kenny : Oui. J'ajouterais que l'ensemble des entreprises de l'industrie collaborent activement en ce qui a trait aux évaluations des menaces. Partout au pays, les gens, y compris les fonctionnaires, participent à l'évaluation des menaces. Si une quelconque menace est perçue, l'ensemble du système en est avisé, de manière à ce que tout le monde puisse prendre des mesures supplémentaires de diligence raisonnable. On ne peut jamais éliminer complètement le risque qu'un événement fâcheux se produise, mais, comme M. Bloom l'a souligné, notre service de renseignement de sécurité, notre coefficient de sécurité et notre facteur d'exploitation sont très bons, de sorte que nous pouvons tenter de réduire le risque au minimum.
Le sénateur Peterson : Merci de vos exposés.
À l'heure actuelle, quel est votre facteur de capacité?
Mme Kenny : Il varie d'un système à l'autre, sénateur. Bon nombre de pipelines fonctionnent presque à pleine capacité. Un ou deux pipelines fonctionnent actuellement en deçà de leur capacité, ou même à 60 p. 100 de leur capacité. Cela dépend de la dynamique du marché et de l'utilisation d'un système particulier à un moment donné.
Le sénateur Peterson : D'aucuns ont avancé qu'il était possible que des pipelines soient utilisés au-delà de leur capacité. S'agit-il là d'une chose que vous avez observée?
Mme Kenny : À l'heure actuelle, dans certaines régions du pays, certains pipelines sont légèrement surutilisés. Nous constatons que certains prennent des mesures pour s'adapter aux marchés, et que quelques-uns procèdent à des conversions, par exemple TransCanada Keystone Pipeline, qui a converti un gazoduc en oléoduc.
Le sénateur Peterson : Transportez-vous des produits pétroliers raffinés aux États-Unis?
Mme Kenny : Je crois qu'il y a de modestes échanges commerciaux avec les États-Unis qui se produisent dans l'Est du Canada, oui — c'est principalement là que se produisent ces échanges.
M. Bloom : Des lots de produits pétroliers raffinés sont expédiés par le système d'Enbridge.
Le sénateur Peterson : Les ruptures dont nous parlons sont-elles attribuables à des défauts de soudure ou au fait que les canalisations sont vieillissantes?
Mme Kenny : Il existe un certain nombre de causes possibles. Aujourd'hui, les défauts de soudure sont rares; auparavant, les défauts de soudure étaient l'une des premières causes possibles de rupture sur lesquelles nous nous penchions. Comme je suis ingénieure en soudage, j'ai examiné d'assez près les problèmes de ce genre.
Heureusement, nous avons tiré des leçons de cela, et au fil du temps, nous avons procédé à l'évaluation de la plupart des canalisations. La cause des ruptures varie d'un cas à l'autre. Une rupture peut être provoquée par une instabilité des talus ayant entraîné une torsion de la canalisation. La plupart des problèmes de ce genre peuvent être détectés de façon proactive. Il arrive parfois que l'amincissement de la paroi d'une canalisation ou une fissuration ait échappé à notre attention; après avoir détecté un tel problème, nous en déterminons la cause, et tentons de le régler dans l'ensemble du système.
Le sénateur Peterson : Un propriétaire foncier peut-il vous refuser l'accès aux emprises?
Mme Kenny : Lorsque nous avons besoin d'accéder à un pipeline pour effectuer des réparations, bien sûr, nos entreprises membres collaborent de façon proactive avec le propriétaire des terres auxquelles nous devons accéder pour tenter de s'entendre avec lui sur la meilleure façon de procéder pour ne pas porter atteinte à ses terres. En fait, il est rare que cela pose un problème, mais nous pouvons obtenir une ordonnance nous autorisant à accéder à des terres s'il est considéré qu'il est dans l'intérêt de la population que nous y accédions.
En ce qui concerne un tout nouveau système de pipeline, au Canada, il existe un droit de propriété, même si celui-ci est rarement invoqué. S'il est dans l'intérêt de la population que cette nouvelle route de l'énergie soit construite, et si la Couronne estime qu'il est dans l'intérêt fondamental du pays que cette route traverse une ou deux parcelles de terre n'ayant fait l'objet d'aucune entente, le propriétaire de ces parcelles peut être exproprié. Toutefois, à l'heure actuelle, il est extrêmement rare que de telles mesures soient prises.
Le sénateur Peterson : De façon générale, les propriétaires fonciers ont-ils le sentiment d'être traités de façon équitable? Reçoivent-ils un montant forfaitaire ou touchent-ils des droits annuels?
Mme Kenny : Le type d'indemnisation est déterminé à la suite de pourparlers, mais généralement il s'agit d'un montant forfaitaire. Les sondages que nous avons menés indiquent assurément que les propriétaires sont passablement satisfaits du traitement dont ils font l'objet. Il y a toujours place à l'amélioration, mais nos entreprises travaillent d'arrache-pied pour faire en sorte que leurs relations avec les propriétaires fonciers soient positives.
Il convient de garder présent à l'esprit que, au moment où on a commencé à construire ces canalisations — lesquelles forment la majeure partie de l'épine dorsale du pays —, le contrat social, si vous me passez l'expression, consistait essentiellement à veiller à ce que tout le monde y trouve son compte, de sorte que les terres ont été payées à leur juste valeur et que les propriétaires fonciers ont été indemnisés pour tout dommage aux récoltes et tout désagrément qu'ils ont subi. Notre politique n'a pas changé. Nous ne voulons pas que quiconque soit jamais pénalisé par la construction nécessaire de cette infrastructure nationale.
Le sénateur McCoy : Deux ou trois choses m'ont frappée dans la discussion que nous avons eue plus tôt. D'une part, vous êtes ici à titre de représentante de la CEPA, et nous sommes tout à fait conscients de ce que cela représente. D'autre part, comme vous l'avez mentionné, vous faites partie de la chaîne de valeur. Nous n'avons pas beaucoup entendu parler du système, si je peux dire.
Comme le sénateur Banks l'a mentionné, et je pense que vous l'avez également souligné, vous êtes ici ce soir pour exprimer le seul point de l'organisation que vous représentez. Je ne sais pas trop comment formuler ma question, mais accepteriez-vous une invitation du comité à participer, avec d'autres groupes de témoins, à une réunion qui aurait pour but d'éclairer les membres du comité en ce qui a trait à l'ensemble du système, de manière à ce que nous puissions mieux comprendre les pressions et les contraintes de cette industrie très complexe, les relations entre les diverses entreprises du secteur et les différences régionales?
Mme Kenny : Oui, sans aucun doute, nous serions heureux de faire partie d'un groupe de témoins, et j'estime que vous avez fait une observation importante, à savoir qu'il est souvent difficile d'obtenir une compréhension fondamentale d'un système énergétique en étudiant isolément les divers éléments qui le composent.
À cet égard, je tiens à souligner que quelques-unes des réunions auxquelles M. Bloom et moi avons participé aujourd'hui avec quelques personnes à Ottawa à propos du gaz naturel étaient très axées sur la question de la chaîne de valeur. Le gaz naturel est un exemple de combustible très important dont il est difficile de comprendre les tenants et aboutissants si l'on n'examine pas l'ensemble de la chaîne de valeur et si l'on ne saisit pas la dynamique de la production. Qu'en est-il des pipelines, qu'en est-il des multiples utilisations finales, comme l'a expliqué M. Bloom? Il peut être utile de discuter de ces sujets sous l'angle de la chaîne de valeur, de comprendre les répercussions des gaz à effet de serre, des combustibles liquides, de la mobilité, de tous ces éléments. Oui, nous serions heureux de participer à cela.
Le sénateur McCoy : Le comité est tombé dans un piège du XXe siècle, si je peux m'exprimer ainsi, à savoir qu'il s'est efforcé d'acquérir une compréhension de la forêt en examinant chacun des arbres l'un après l'autre. Vous représentez un élément de très grande valeur, et vu la nature de l'entreprise que vous représentez, ce que vous visez à faire durant la présente réunion et ce que nous vous avons demandé de faire durant la présente réunion — et que vous êtes justement en train de faire —, vous nous avez encouragés à réfléchir à la question de l'intérêt du Canada.
Êtes-vous en mesure de nous dire en quoi devrait consister, selon vous, l'intérêt du Canada? Sinon, ce n'est pas grave.
Mme Kenny : Je pourrais risquer quelques observations personnelles, et je m'attends à ce que mon collègue fasse peut-être de même, vu la vaste expérience directe qu'il a acquise dans le secteur privé.
À mon avis, sur le plan des systèmes énergétiques, le Canada est à la croisée des chemins, et ce, à un moment crucial. Nous sommes placés devant le fait que les Canadiens souhaitent véritablement que le pays s'attaque aux émissions de gaz à effet de serre et devienne un chef de file mondial et responsable en matière de développement énergétique.
En outre, par le hasard de la géographie, nous sommes dépositaires d'énormes quantités de ressources énergétiques — aucun autre pays du monde ne peut se vanter d'en posséder autant, et j'estime que l'on causerait du tort aux Canadiens d'aujourd'hui et à ceux des générations futures, et que nous nuirions au rôle que nous devons jouer dans le monde, en nous déchargeant du fardeau inhérent à la gestion de ressources de cette ampleur et en soutenant de quelque façon que ce soit que nous pouvons arrêter la production, car une telle attitude procède d'une vision très limitée de ce que sont nos responsabilités.
Je crois que nous pouvons et que nous devrions nous entendre sur une stratégie éminemment avantageuse pour les Canadiens, et que nous parviendrons à le faire, notamment grâce au travail du comité et à d'autres discussions; je crois que nous parviendrons à élaborer une stratégie énergétique propre au Canada, une stratégie qui reflète la fédération canadienne, qui met à contribution toutes les nations fondatrices du pays et qui met en évidence et traduit notre responsabilité de produire et de consommer l'énergie de façon modérée et d'aller de l'avant en tentant d'obtenir les meilleurs résultats possible pour les Canadiens.
La méthode fragmentaire que nous employons actuellement est peu susceptible de produire les meilleurs résultats possibles pour les Canadiens ou nos partenaires du reste du monde.
M. Bloom : Je ne pense pas qu'il y ait quoi que ce soit à ajouter à ce que Mme Kenny vient de dire. Elle a fait un excellent travail. Si vous avez une quelconque question d'intérêt public à me poser sur un sujet, un projet ou un problème en particulier, je serai heureux de tenter d'y répondre.
Le sénateur McCoy : Il serait peut-être préférable de traiter de cela dans le cadre d'une étude du système de chaîne de valeur. Il se fait tard.
J'aimerais poser une autre question. L'association que vous représentez a participé, bien sûr, à l'Initiative de cadre énergétique, en plus d'être très active à l'échelle tant nationale qu'internationale. Un nombre croissant de personnes demandent qu'une stratégie énergétique nationale soit mise en place, comme le comité l'a mentionné dans son rapport préliminaire.
Comme nous procédons au coup par coup, de façon fragmentée et cloisonnée, si nous voulions satisfaire notre curiosité, nous serions bien avisés de demander à chaque association de nous indiquer l'incidence qu'aurait une stratégie énergétique nationale sur son secteur d'activités.
Mme Kenny : C'est une excellente question. Bon nombre des sujets que nous avons abordés durant la présente réunion tirent leur origine du fait que la principale stratégie énergétique du Canada est, d'une part, axée sur les marchés — et nous sommes d'accord avec cela —, et que, d'autre part, elle est réglementée, en quelque sorte, de façon graduelle.
En ce qui concerne le résultat escompté pour le Canada, il y a relativement peu de choses auxquelles on peut s'attendre en matière de stratégie. J'estime que la stratégie énergétique nous donnerait une idée de quelques-unes des caractéristiques que pourrait présenter le Canada en 2030, disons, et des résultats politiques que les gens aimeraient que nous obtenions.
Sur un plan plus pragmatique, pour l'industrie de l'énergie, une partie des craintes suscitées par la construction de nouvelles infrastructures découle de l'absence de discussions politiques ou d'une orientation politique. Par conséquent, d'un projet à l'autre, nous sommes constamment amenés à réexaminer des questions sans réponse relatives à ce qui importe aux Canadiens à l'échelle globale, et que nous devons examiner de façon particulière dans le cadre d'un projet donné. Si nous avions l'occasion de procéder à une évaluation neutre et axée sur les faits des éléments clés d'une stratégie, cela serait utile.
Même si des décisions sont prises, si nous avions un meilleur point de vue en matière de stratégie énergétique au Canada, cela aurait pour effet non pas d'accroître, mais de diminuer les tensions entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux. Les gens repensent au Programme énergétique national et se demandent si une nouvelle stratégie énergétique canadienne n'aurait pas pour seul effet que de faire réapparaître ces appréhensions. Pour ma part, j'estime que cela pourrait avoir l'effet inverse, et qu'une fédération moderne et enthousiaste, qui aura bientôt 150 ans, pourrait comprendre. Le Canada est un pays mature, et il sait de quoi il retourne. Une telle stratégie énergétique reflèterait un équilibre adéquat des compétences respectives du gouvernement fédéral et des gouvernements provinciaux, rendrait compte du respect approprié des obligations constitutionnelles dont s'assortissent ces compétences, et constituerait un moyen judicieux grâce auquel des décisions conformes à l'intérêt public pourraient être prises plus rapidement, alors qu'à l'heure actuelle, nos résultats en matière d'énergie découlent de l'absence de décisions ou de décisions prises de façon cloisonnée.
Le président : Cela est très intéressant.
Le sénateur Dickson : Merci de votre exposé, qui était très efficace, surtout vers la fin. Vous avez mis en évidence le nœud du problème que le président, le vice-président et les membres du comité, qui ont beaucoup plus d'expérience que moi, ont pour tâche d'examiner.
Vous avez eu une discussion à propos du processus. Quelles modifications législatives ou réglementaires suggéreriez- vous au comité de formuler dans son rapport en ce qui a trait à une approche ponctuelle et à un processus? Tenir une discussion à ce sujet représenterait une tâche énorme. Nous avons de la difficulté à tenir une discussion en ce qui concerne la politique en matière de soins de santé. Je peux imaginer les difficultés que poserait une discussion sur la politique énergétique. Pouvez-vous répondre à ma question concernant les mesures réglementaires et législatives? Il s'agit de questions sur lesquelles nous pouvons nous pencher de façon spécifique.
Mme Kenny : Je dirai, pour faire un lien avec la suggestion qu'a faite plus tôt le sénateur McCoy, qu'il s'agit d'une question qu'il pourrait être intéressant de poser ultérieurement à un groupe de témoins. Il serait utile d'étudier vraiment cette question, car elle comporte de nombreux volets.
Si l'on disposait d'une stratégie énergétique claire, on pourrait se poser des questions à propos des moyens grâce auxquels des décisions sont prises afin de respecter cette stratégie. Par « stratégie énergétique », j'entends clairement une stratégie intégrant les intérêts environnementaux — ceux-ci doivent absolument faire partie de la stratégie —, les intérêts économiques et les intérêts sociaux — j'entends donc une vision de l'énergie véritablement axée sur le développement durable.
Si l'on disposait d'une telle stratégie, nous devrions nous poser la question de savoir si les moyens que nous employons actuellement pour prendre des décisions d'intérêt public conviennent bien à cette stratégie. À mon avis, la Loi sur l'Office national de l'énergie est un assez bon instrument, sur lequel nous pourrions davantage nous appuyer. Par hasard, dans les années 1950, elle a été conçue d'une manière telle qu'elle met en évidence l'importance du développement durable. D'après cette loi, avant de prendre une décision, il faut réfléchir à ce qui importe aux gens et recueillir des faits.
En ce qui a trait à la question de savoir si une évaluation doit être menée pour chaque projet, j'estime qu'il est important de stabiliser les mesures législatives de manière à ce que des choses se passent véritablement de cette façon, et que les évaluations soient solides, transparentes et stimulantes, et qu'elles mènent à la prise de décisions.
À l'heure actuelle, les mesures législatives auxquelles nous sommes assujettis comportent souvent des dispositions de récupération auxquelles nous nous heurtons. Par exemple, la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale, qui a été conçue pour combler l'important besoin pour le pays de posséder un bon système d'évaluations environnementales, et que nous soutenons toujours, est devenue un instrument juridique à force d'être enclenchée. Avant que le gouvernement fédéral ne prenne une décision, il faut qu'une évaluation environnementale soit menée. Avant que le gouvernement fédéral ne verse de l'argent, il faut qu'une évaluation environnementale soit menée. Cela n'est pas fondé sur l'idée selon laquelle une étude environnementale doit être menée s'il s'agit d'une affaire importante. Cela n'a rien à voir avec ça. Nous pouvons faire mieux que cela au Canada, et si nous commencions par déterminer ce que nous tentons d'accomplir par de telles décisions, pour ensuite nous demander comment nous devons nous y prendre pour créer une méthode intégrée de prise de décisions, nous n'en serions plus à nous demander quelle mise au point nous pouvons apporter à telle ou telle loi. Il faut tenter de collaborer par-delà les frontières plutôt que de dire : « Nous faisons la même chose. Nous sommes équivalents. Je te délègue ceci ou cela. Va de l'avant, et respecte ces normes. » Il faut acquérir la capacité d'aller au cœur de ce que constitue une bonne prise de décisions.
Le sénateur Dickson : Pour établir une comparaison entre les États-Unis et le Canada, est-il exact de dire que la politique des États-Unis n'est pas aussi souple que celle du Canada en ce qui concerne la réglementation des pipelines?
Mme Kenny : Cela dépend en partie des produits — M. Bloom a de l'expérience à ce chapitre. Très schématiquement, les oléoducs sont réglementés à l'échelon des États, même s'ils traversent le pays, et les gazoducs sont réglementés à l'échelon fédéral.
M. Bloom : De façon générale, la nature et les objectifs de la réglementation du Canada et de celle des États-Unis, et la volonté des deux pays de prendre une décision sur la question de savoir si la mise en œuvre d'un projet ou la construction d'un pipeline est conforme à l'intérêt public, sont essentiellement les mêmes. Il y a des différences. Il s'agit d'une observation à caractère général. Il y a probablement plus de similitudes que de différences entre les deux pays à ces chapitres.
Aux États-Unis, les gazoducs inter-États sont réglementés par la Federal Energy Regulatory Commission, un peu comme le sont les pipelines interprovinciaux au Canada, lesquels sont réglementés par l'Office national de l'énergie en fonction de principes fondamentalement similaires.
Les différences se situent sur le plan des organismes en cause et de la manière dont nous abordons certains aspects de la réglementation. De façon générale, au Canada, nous avons tendance à nous concentrer davantage sur les résultats et les solutions fondés sur le risque, approche que nous préconisons au sein de l'industrie, alors qu'aux États-Unis, d'après ce que nous pouvons observer, on a tendance à privilégier une démarche prescriptive, où l'on indique les tâches à effectuer pour en arriver à une solution.
Au Canada, nous sommes portés à adopter une méthode un peu plus axée sur les résultats et le risque. Nous croyons qu'il s'agit de la méthode sage et judicieuse à adopter pour régler les problèmes auxquels nous faisons face. De façon générale, cela vaut également pour ce qui est de la réglementation des infrastructures.
Le sénateur Dickson : Merci beaucoup de vos réponses concises, et j'ai hâte de vous rencontrer dans le cadre d'une réunion avec un groupe de témoins. Lorsque ce groupe sera constitué, je serai sans aucun doute plus à l'aise à l'idée d'appuyer le rapport qui sera produit. Vous avez présenté ce soir un exposé exhaustif et très succinct, et, pour cette raison, je tiens à vous remercier tous les deux.
Le président : À ce propos, le sénateur Neufeld a une question supplémentaire à poser, tout comme le sénateur Banks. Je crois que nous pourrons ensuite conclure la réunion.
Le sénateur Neufeld : Nous parlons d'une stratégie nationale, et je me rends compte du fait que nous devons en avoir une. J'hésite toujours un peu lorsque le gouvernement fédéral aborde ces questions. Qu'il me suffise de mentionner la Loi sur la protection des eaux navigables dont il est question dans les dernières diapos de votre document — je me souviens que le comité s'est penché sur cette question. À ce moment-là, on aurait dit que nous nous apprêtions à faire disparaître toutes les voies navigables du pays, et que personne ne pourrait plus jamais embarquer sur un canot. Je me dis que nous devons être prudents, que nous devons être certains de ce que nous voulons avant de le demander.
Au Canada, nous avons tendance à croire que nous sommes moins bons que les autres. Est-ce que les États-Unis disposent d'une stratégie énergétique nationale? Quelqu'un peut-il me dire : « Lisez cela, sénateur, et vous saurez en quoi consiste la stratégie énergétique américaine »? Je me trompe peut-être, mais je suppose que la réponse est « non ». J'ai hâte d'entendre votre réponse.
En ce qui a trait à l'équivalence, depuis que je fais partie du comité, je tente de faire en sorte que les provinces obtiennent l'équivalence dans le cadre de la Loi canadienne sur la protection environnementale, mais en vain. Je pense que nous devons indiquer à tout le monde, et non pas seulement aux provinces, ce qui doit être fait. Toutefois, je crains que le gouvernement fédéral n'arrive avec ses gros sabots et nous dise : « Voici la stratégie nationale, et voici comment vous vous y prendrez pour faire ceci ou cela ». Je pense que l'éducation du public constitue un élément extrêmement important de cela. Je ne crois pas qu'il y a beaucoup de gens qui savent pourquoi nous accordons de l'importance aux sables bitumineux, au gaz naturel ou à d'autres choses du genre. Il faut qu'un plus grand nombre de Canadiens comprennent ce que nous tentons de faire, et ce sont des gens comme vous et d'autres membres de l'industrie qui doivent le leur expliquer. Êtes-vous d'accord avec cela? J'aimerais que vous répondiez par oui ou par non. J'aimerais connaître leur stratégie.
Le sénateur McCoy : Accepteriez-vous que l'on vous réponde par oui et par non?
M. Bloom : Si je répondais par « oui », il faudrait que je présente ce document. Je ne pense pas que je puisse le faire, alors j'imagine que la réponse est « non ».
Bon nombre d'entre vous avez soulevé des questions et des préoccupations légitimes à propos de la nécessité d'une stratégie énergétique nationale et des raisons pour lesquelles il faudrait en élaborer une. À ce chapitre, il est important de se rappeler bon nombre des choses que Mme Kenny a expliquées plus tôt. Je crois qu'il faut établir une distinction entre un plan ou un programme et une stratégie et des objectifs. Cela est terriblement important.
À mon avis, il y a peu de gens parmi nous qui croient qu'une chose aussi complexe, intégrée et dynamique, et aussi assujettie à une kyrielle de facteurs externes et indépendants de notre volonté que peut l'être l'énergie peut se réduire à un plan national. Si c'est le genre d'idée que vous vous faites...
Le sénateur Neufeld : Non, ce n'est pas le genre d'idée que nous nous faisons — du moins, ce n'est pas le genre d'idée que je me fais.
M. Bloom : ... laissez-moi vous assurer que nous ne sommes pas de cet avis.
Cela dit, j'estime qu'il y a des questions importantes que nous devons nous poser, des questions fondamentales pour notre stratégie. Il ne s'agit pas non plus de réécrire la Constitution ni de quoi que ce soit du genre. Prenons conscience des ressources dont nous disposons, et réfléchissons aux types d'objectifs que nous souhaitons nous fixer. Quelles sont les possibilités qui s'offrent à nous? De quels marchés souhaitons-nous être au service? Quels sont les meilleurs moyens que nous devrions employer pour servir ces marchés? Quel type de régime de réglementation devons-nous mettre en place pour optimiser le bien-être des Canadiens? Je crois qu'une stratégie nationale ou une stratégie pancanadienne peut traiter, d'une façon ou d'une autre, de chacune de ces questions.
En fin de compte, je crois que la plupart d'entre nous souscrivent à l'idée selon laquelle il revient au gouvernement de fixer les règles à suivre et de créer un climat au sein duquel les intervenants du secteur privé — qu'il s'agisse d'entreprises ou de citoyens — peuvent fonctionner. C'est à ces derniers qu'il revient ensuite de s'employer à optimiser leur propre bien-être au sein de ce climat.
À notre avis, il n'est aucunement nécessaire que nous apportions des modifications à nos rôles respectifs ou à certains des principes fondamentaux qui font du Canada le pays qu'il est. Cela dit, nous sommes à la croisée des chemins; le Canada a la chance d'être un pays aux ressources abondantes. Il n'est pas le seul pays du monde à être dans une telle situation. Le moment est venu pour nous de réfléchir à ce que nous voulons faire de ces ressources, aux principes que nous voulons défendre et aux stratégies que nous pourrions devoir mettre en place au pays pour tirer le meilleur parti des possibilités qui s'offrent à nous.
Le président : Très intéressant. Sénateur Banks, je crois que c'est vous qui aurez le dernier mot ce soir.
Le sénateur Banks : Si l'on tient pour acquis qu'une certaine politique, structure, stratégie ou quoi que ce soit d'autre sera élaboré, la meilleure façon de procéder consisterait à fixer d'abord les objectifs, pour ensuite déterminer quels sont les moyens de les réaliser. Mme Kenny a en quelque sorte fait allusion à cela lorsqu'elle a dit « neutre et axée sur les faits », et je pense qu'elle a aussi employé le terme « politique » — cela serait chose facile si nous pouvions en arriver à un consensus sur les faits. C'est cela, le problème.
J'ai deux brèves questions à vous poser. Le sénateur McCoy a évoqué notre mentalité de cloisonnement, et le fait que nous tentions de comprendre une forêt en étudiant les arbres qui la composent. Votre responsabilité ne peut pas se limiter — et ne se limite pas — au pipeline en tant que tel — vous devez, d'une façon ou d'une autre, vous préoccuper de ce qui se passe avec ce qui entre dans le pipeline et de ce qui se passe avec ce qui en ressort.
Pour revenir au projet Enbridge Northern Gateway, il y a une question qui a soulevé un intérêt considérable, soit celle de savoir s'il devrait y avoir des pétroliers qui iraient ramasser le produit, peu importe de quoi il s'agit, à l'extrémité d'un pipeline à Kitimat, pour l'emporter à des endroits où, selon bon nombre de personnes, ces pétroliers ne devraient pas se rendre, à savoir la côte Nord de la Colombie-Britannique et l'extrémité nord de l'île de Vancouver. J'imagine que c'est une question à laquelle vous vous intéressez de près, et que vous avez une opinion sur elle, car il ne sert à rien de construire un pipeline si aucun pétrolier ne peut y accéder. J'aimerais que vous formuliez des commentaires là-dessus, dans la mesure du possible.
En outre, nous avons entendu les observations de l'association des propriétaires fonciers — je suis certain que vous connaissez cette association — concernant quelques-unes des observations — ou l'absence d'observations — formulées par vos membres et d'autres intervenants en ce qui a trait à l'engagement d'enlever les canalisations d'un pipeline qui n'est plus utilisé, et au fait, comme vous l'avez mentionné, de ne laisser aucune empreinte. Certaines des allégations qui ont été faites à cet égard étaient d'un caractère assez sérieux, tout comme les témoignages qui nous ont été présentés.
J'aimerais que vous formuliez des commentaires à ces deux sujets, si vous le voulez bien.
Mme Kenny : Permettez-moi de répondre d'abord à la question concernant ce qui se passe lorsqu'un pipeline n'est plus utilisé et n'est plus utile.
L'Office national de l'énergie est responsable de la réglementation d'un pipeline tout au long du cycle de vie de celui-ci, y compris sa mise hors service, laquelle, en l'occurrence, vu la quantité considérable de gaz naturel et de pétrole brut actuellement disponibles, ne se produira pas avant un très long moment, selon la plupart des prévisions. À l'issue d'une audience publique, l'Office nationale de l'énergie a conclu qu'il faut dès maintenant commencer à mettre de l'argent de côté en vue de la future mise hors service de ces pipelines, et nous appuyons cette conclusion.
Pour notre part, il s'agit là d'un aspect sur lequel nous nous penchons depuis un bon moment, depuis au moins deux ou trois décennies. Nous avons mené quelques analyses techniques préliminaires pour déterminer la meilleure façon de prendre en main la fin du cycle de vie des pipelines. Dans certains cas, sur le plan de la sécurité et de l'environnement, la meilleure chose à faire est de laisser tout cet acier dans le sol plutôt que de perturber des terres simplement pour déterrer ces canalisations.
Je crois que, grâce à un dialogue ouvert et axé sur les faits, aux autres essais sur le terrain qui seront menés au cours des prochaines décennies, à une réglementation permanente et à une adaptation à ce qui sera déterminé comme étant la solution judicieuse, nous finirons par trouver la bonne réponse. Aucune réponse définitive n'a encore été trouvée, mais je peux vous dire en toute honnêteté que, d'après notre évaluation initiale, il est préférable, dans certains cas, de laisser ces canalisations enfouies dans le sol. Nous serons heureux d'avoir l'occasion de participer à des discussions ouvertes et pragmatiques concernant les meilleures mesures à prendre dans chaque cas.
Pour ce qui est de la question touchant ce qui se passe à l'extrémité d'un pipeline, nous ne sommes assurément pas d'avis qu'il nous revient, d'une manière ou d'une autre, de déterminer en quoi consisteraient les mesures appropriées à prendre quant aux pétroliers et aux voies qu'ils empruntent. Là encore, il serait judicieux que cela soit examiné dans le cadre d'audiences publiques et fasse l'objet d'une réglementation. Cela nous ramène à la question politique fondamentale, c'est-à-dire, en gros, celle de savoir si le Canada prévoit nouer des relations commerciales en matière d'énergie au-delà des frontières de l'Amérique du Nord.
Tout compte fait, il y a de nombreuses raisons de prendre cette question très au sérieux, et de ne pas nous borner à la réponse la plus évidente, à savoir « non », et d'ainsi tourner le dos à cette occasion qui s'offre à nous. Pour répondre à cette question, il faut mener une évaluation d'un niveau approprié, établir un dialogue franc et tenir une discussion franche et transparente à propos des principales préoccupations et problèmes qui sous-tendent cette question, et de la manière dont nous pourrions atténuer ces préoccupations ou régler ces problèmes.
Le sénateur Banks : Pour revenir à ce que nous disions précédemment, je suppose que la CEPA n'a pas d'opinion précise sur la question de savoir si le pipeline du Nord doit être construit.
Mme Kenny : Non, nous n'avons absolument aucune opinion précise là-dessus. Comme vous pouvez le comprendre, sénateur, quelques-uns de nos membres sont en concurrence directe, et ont donc des points de vue différents quant à la manière dont le pétrole doit être transporté hors de la côte Ouest de la Colombie-Britannique. Notre association n'a donc pris aucune position à ce sujet.
Le sénateur Neufeld : À titre informatif, je signale que l'on exporte du pétrole brut à partir du port de Vancouver depuis plus de 50 ans. Cela n'est pas nouveau. Cela se passe depuis un moment. Je crois qu'il y a de un à trois grands pétroliers de brut qui naviguent chaque jour le long de la côte de la Colombie-Britannique, de l'Alaska à Washington. De toute évidence, le cas du chenal marin de Douglas est différent, mais il s'agit d'un vaste canal qui est utilisé depuis longtemps pour le transport de toutes sortes de produits.
Je suis tout à fait d'accord avec Mme Kenny. Je pense qu'une discussion réaliste doit être tenue sur ces sujets et sur ce que nous voulons faire. Voulons-nous diversifier nos marchés au Canada pour le bénéfice non pas des seuls résidents de la Colombie-Britannique, mais de tous les Canadiens? Je fournis ces quelques renseignements de manière à ce que les gens ne croient pas que nous n'avons jamais expédié de pétrole brut depuis la Colombie-Britannique.
Le président : Madame Kenny et monsieur Bloom, la réunion de ce soir a été très inspirante. Je vous remercie tous les deux de vos observations franches et du très bon exposé que vous nous avez présenté au début de la réunion. Je pense que le dialogue honnête et la discussion franche et transparente dont il a été question sont en cours. Lorsque vous vous présenterez de nouveau ici avec d'autres groupes de témoins, lorsque nous aurons déterminé combien il y a d'arbres et d'essences d'arbres dans la forêt, je suis certain que nous aurons fait d'énormes progrès.
Merci, sénateurs. Nous nous réunirons ici jeudi matin, à 8 heures.
(La séance est levée.)