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Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Énergie, de l'environnement et des ressources naturelles

Fascicule 15 - Témoignages du 2 décembre 2010


OTTAWA, le jeudi 2 décembre 2010

Le Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles se réunit aujourd'hui, à 8 h 9, pour étudier l'état actuel et futur du secteur de l'énergie du Canada (y compris les énergies de remplacement).

Le sénateur W. David Angus (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour, chers collègues, mesdames et messieurs, vous qui nous regardez sur CPAC, sur le Web ou sur le site Web spécial consacré à cette étude. Cette séance du Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles a pour but la poursuite de notre étude du secteur de l'énergie en vue de trouver la voie à suivre et d'élaborer un nouveau cadre de gestion de l'approvisionnement énergétique au Canada et ailleurs.

Ce matin, nous avons la chance d'avoir parmi nous des représentants qui sont déjà venus ici, parfois à d'autres titres. Nous accueillons les représentants de l'Institut canadien des produits pétroliers ou ICPP : le président, M. Peter Boag, et le directeur des carburants, M. Gilles Morel.

Je m'appelle David Angus. Je suis un sénateur de Montréal et le président du comité. Notre vice-président, le sénateur Grant Mitchell, ne peut malheureusement pas être ici aujourd'hui, mais tous les membres sont présents.

Nous avons avec nous nos recherchistes de la Bibliothèque du Parlement, M. Marc LeBlanc et Mme Sam Banks, greffière du comité, Mme Lynne Gordon, ma prédécesseure, le sénateur Tommy Banks, de l'Alberta, le sénateur Robert Peterson, de la Saskatchewan, le sénateur Linda Frum, de Toronto, le sénateur Richard Neufeld, de la Colombie-Britannique, le sénateur Judith Seidman, du Québec, le sénateur Paul Massicotte, du Québec, le sénateur Daniel Lang, du Yukon, et le sénateur Bert Brown, de l'Alberta.

Ce matin, nous approfondirons les questions dont nous sommes saisis. Je crois savoir, messieurs, que vous suivez nos délibérations avec intérêt. Aujourd'hui, j'espère que vous pourrez nous confirmer que nous sommes sur la bonne voie, que vous nous direz ce que vous en pensez et que vous nous parlerez des questions qui vous préoccupent.

L'ICPP est une association nationale de grandes entreprises canadiennes qui raffinent, distribuent ou commercialisent des produits pétroliers pour le transport, la maison et l'industrie. M. Boag mène des activités de défense d'intérêt public et dirige des associations industrielles depuis 18 ans. Après avoir été président-directeur général de l'Association des industries aérospatiales du Canada, il est devenu, en 2007, président de l'ICPP.

Pendant 32 ans, en tant qu'ingénieur civil chez Imperial Oil, M. Morel a géré avec succès des projets de raffinage, de commercialisation et de distribution, en plus d'avoir mis en œuvre des programmes de qualité des carburants.

Monsieur Boag, je pense que nous vous avons déjà vu en tant que membre de l'initiative du cadre, votre autre fonction. Est-ce exact?

Peter Boag, président, Institut canadien des produits pétroliers : Oui, c'est exact.

Le président : Vous en parlez peut-être dans votre déclaration préliminaire — je pense que vous en ferez une —, et nous vous écouterons attentivement. Ensuite, nous passerons à la période de questions.

M. Boag : Merci beaucoup, et bonjour à tous. Nous apprécions l'occasion qui nous est donnée aujourd'hui de participer à ce que nous considérons comme un examen crucial de l'avenir du secteur de l'énergie du Canada. J'espère que notre déclaration et notre participation à la période de questions seront utiles pour l'examen que fait le comité de l'avenir énergétique du Canada, un examen qui est, selon moi, très pertinent.

L'ICPP représente le secteur d'aval de l'industrie pétrolière. Nous sommes des raffineurs et des distributeurs d'essence, de diesel et de carburant aviation, entre autres. Nous produisons et commercialisons les carburants de transport qui, de façon très réelle, font avancer le Canada.

Parmi nos membres, on trouve Chevron Canada Limited, Husky Energy Inc., la Compagnie Pétrolière Imperiale Limitée, division Produits pétroliers et chimiques, North Atlantic Refining Limited, NOVA Chemicals (Canada) Limited, Parkland Income Fund, Shell Canada Limitée, Suncor Energy Products Inc. et Ultramar Limitée. Ces entreprises exploitent 15 raffineries qui alimentent quelque 12 000 points de vente grâce à un réseau de 21 terminaux de distribution de carburant principaux et de 50 terminaux régionaux d'un bout à l'autre du pays.

Le président : Vous avez dit que ces organisations comptaient parmi les membres de votre association. Y a-t-il d'autres membres, ou cette liste est-elle complète?

M. Boag : Nous avons un autre membre, spécialisé dans l'asphalte, et qui n'a donc pas de rapport avec la discussion d'aujourd'hui. Il s'agit de Bitumar Inc., dont le siège est à Montréal. Le pétrole brut est à la base de ses activités, mais le processus de raffinement est axé sur un produit différent.

Si un seul message doit passer aujourd'hui, je voudrais que ce soit celui-ci : nous pouvons très certainement faire du Canada un pays où l'énergie durable occupe une plus grande place dans l'avenir. D'ailleurs, nos membres sont déterminés à atteindre cet objectif. Ils travaillent fort et investissent des sommes considérables pour réaliser cette vision. Cela dit, la pensée magique ne nous y mènera pas à elle seule. Nous devons utiliser le savoir, la raison, la science et les faits.

Dans ce contexte, il est indéniable que les carburants de remplacement, les solutions de remplacement aux produits que nos membres produisent à l'heure actuelle, joueront un rôle de plus en plus important face aux besoins énergétiques du Canada. Étant donné la demande croissante d'énergie, nous aurons besoin de toutes les ressources énergétiques que nous pourrons trouver.

En fait, vous serez peut-être surpris d'apprendre que nos membres, les producteurs de carburant classique, font partie des chefs de file mondiaux de l'élaboration et de la production de sources d'énergie de remplacement pour le transport. À l'heure actuelle, certains d'entre eux sont les plus importants producteurs d'éthanol classique au Canada. D'autres tentent d'élaborer des biocarburants perfectionnés à partir de matières premières comme la paille et la biomasse. D'autres encore explorent la production de carburants de transport liquides à partir d'algues. Ils sont à la fine pointe de la recherche visant à trouver de nouveaux carburants propres et durables qui puissent alimenter nos voitures, nos camions, nos trains, nos bateaux et nos avions pendant longtemps.

Les raffineurs de carburants de transport classiques, et les négociants, savent qu'il faudra beaucoup d'argent et de temps pour concevoir des solutions de remplacement viables sur le plan commercial, des carburants qui pourront rivaliser avec les carburants classiques pour ce qui est du coût, de la fiabilité, de la sécurité et du rendement. Diverses technologies émergentes nous permettront peut-être un jour d'assurer un approvisionnement sécuritaire en carburant abordable, efficace et écologique. Toutefois, nous n'en sommes pas encore là.

Entre-temps, nos membres continueront d'investir aussi dans leurs gammes de produits traditionnelles. Les raffineurs du Canada continueront de répondre aux besoins des consommateurs et d'améliorer continuellement l'essence, le diesel et les autres carburants classiques.

Nous croyons qu'il est judicieux de chercher des carburants de remplacement tout en maintenant et en améliorant les sources existantes. C'est la stratégie énergétique que nous recommandons au comité.

Nous devons nous poser des questions difficiles afin de formuler un plan pour assurer un avenir énergétique durable. Pour ce qui est des carburants de transport, que pouvons-nous réellement accomplir? En combien de temps? Combien faudra-t-il investir, et comment pouvons-nous continuer à répondre aux besoins du pays en matière de transport pendant ce temps? Comment pouvons-nous nous assurer que les marchandises continuent d'être expédiées efficacement, que le commerce avec les États-Unis et d'autres pays n'est pas perturbé, que les aliments sont livrés à l'épicerie, que les compagnies aériennes respectent leurs horaires, que les gens se rendent au travail et que les enfants se rendent à la patinoire ou au terrain de soccer? Bref, comment alimenter un système de transport plus propre et plus durable tout en garantissant l'alimentation en carburant, à un prix abordable, aux Canadiens?

À l'ICPP et au sein de notre secteur d'activité, nous craignons de plus en plus que des décideurs pensent qu'il existe une solution facile, qu'il y a une formule magique pour résoudre ce problème, que nous pouvons nous passer du pétrole simplement en rendant obligatoire l'utilisation de carburants de remplacement, qu'il suffit de mettre en place des règlements pour « qu'il en soit ainsi », comme dirait le capitaine Jean-Luc Picard.

Nous sommes ici aujourd'hui pour vous dire que si une solution magique existait, nos membres l'auraient probablement déjà commercialisée. Ils ont fait de grands progrès au chapitre des nouvelles technologies et des innovations, mais ils ne peuvent pas dépasser les limites de la chimie, du génie ni des ressources financières.

La campagne visant à établir une norme nationale de 2 p. 100 de biodiesel dans des délais que nous jugeons irréalistes est un exemple de pensée magique qui va au-delà de ce qui est possible. L'échéance est trop courte pour régler les problèmes considérables de faisabilité technique associés à la mise sur le marché de ce produit.

Le projet de règlement établissant la date de début et la durée de la première période de conformité n'a pas encore été publié. Cependant, des déclarations d'intention publiques indiquent que nous pourrions être confrontés à une date de début irréaliste qui pourrait mettre les systèmes de carburant et de transport du pays à risque.

Les problèmes de faisabilité technique découlent principalement du fait que, contrairement à l'éthanol — un produit chimique simple utilisé au Canada et à l'étranger depuis des décennies —, le biodiesel présente des difficultés particulières, principalement associées au climat du Canada. À des basses températures, il s'épaissit et devient solide. Évidemment, ses propriétés d'écoulement et ses autres propriétés utiles pour les véhicules sont alors considérablement amoindries.

Par conséquent, il faut bâtir une nouvelle infrastructure de fluidification pour garantir que les consommateurs obtiennent du carburant utilisable de qualité élevée et constante. Il faut élaborer et adopter des normes qui définissent les propriétés critiques du carburant dans différentes applications routières ou autres, en plus de garantir un approvisionnement en biodiesel adapté aux conditions météo du Canada.

Un biodiesel de base différent est aussi requis pour compenser les mauvaises propriétés d'écoulement du biodiesel à des basses températures. La fluidification du biodiesel suppose actuellement l'ajout de 2 à 5 p. 100 de biodiesel au diesel ordinaire ou aux carburants classiques, mais il faut comprendre que cet ajout de 2 à 5 p. 100 exige une modification importante des 95 à 98 p. 100 restants. Il ne s'agit pas simplement d'ajouter de 2 à 5 p. 100 de biodiesel dans le carburant existant; ce carburant doit être modifié au préalable.

Nous avons dit et répété qu'une fois que nous connaîtrons avec certitude la teneur du règlement, il nous faudra trois ans pour préparer la commercialisation de ce nouveau produit. Le travail effectué dans le cadre de l'Initiative de démonstration nationale sur le diesel renouvelable, l'IDNDR, dirigée par le gouvernement, le confirme. Le fait d'exiger que les entreprises de raffinage et de commercialisation du diesel se lancent précipitamment dans le diesel renouvelable pourrait augmenter la dépendance aux sources étrangères de ce diesel, accroître les risques d'interruption de l'approvisionnement et faire grimper le coût de la conformité que devra assumer le secteur.

Je ne veux pas m'attarder sur la question, mais c'est un bon exemple des dangers associés à la mise en œuvre d'une politique sans considération des aspects pratiques et des conséquences éventuelles. Le gouvernement doit bien faire les choses. Les décisions stratégiques ne sont pas prises en vase clos. Elles ont des répercussions très réelles sur des gens réels dans le monde réel. À l'heure actuelle, 55 p. 100 de l'essence et du diesel produits au Canada sont utilisés à des fins commerciales. Nos emplois, notre niveau de vie et notre position concurrentielle dans le monde dépendent de ces carburants.

C'est pourquoi l'ICPP s'inquiète des mythes et des renseignements erronés qui sont de plus en plus souvent considérés comme des faits. On entend de plus en plus souvent dire que l'essence et le diesel ont atteint la fin de leur vie utile, qu'ils peuvent être remplacés par des sources d'énergie de remplacement pratiquement du jour au lendemain, et que les nouveaux carburants sont plus écologiques, moins coûteux et équivalents sur le plan énergétique.

Prenons un peu de recul et examinons ces suppositions.

L'essence et le diesel nous ont bien servis pendant plus d'un siècle. Leur fiabilité, leur abordabilité, leur sécurité et leur commodité nous ont permis de bâtir un grand pays, de profiter d'un niveau de vie enviable et de rester concurrentiels sur la scène mondiale. À l'heure actuelle, les particuliers et les entreprises du Canada consomment quelque 75 milliards de litres d'essence, de diesel et de kérosène aviation par année.

Ces carburants classiques ont-ils atteint la fin de leur vie utile? Je serais tenté de dire que non. Pour le moment, l'essence et le diesel continuent de répondre à la plupart de nos besoins en matière de carburant de transport, sur les routes ou ailleurs. Moins de 2 p. 100 des voitures particulières sont alimentées par des sources d'énergie de remplacement, comme l'électricité, le gaz naturel, le propane et les carburants renouvelables.

Selon l'Agence internationale de l'énergie, l'AIE, les biocarburants comptent pour moins de 2 p. 100 des carburants de transport dans le monde. C'est une statistique qui date de 2008. Même dans 40 ans, en 2050, l'AIE prévoit que les biocarburants compteront pour un maximum de 25 à 30 p. 100 des carburants de transport routier dans le monde. Les hydrocarbures, les combustibles fossiles classiques, seront tout de même nécessaires pour satisfaire la majeure partie de la demande mondiale en carburant de transport.

À quoi la dominance de l'essence et du diesel depuis 100 ans est-elle attribuable? Autrement dit, pourquoi les autres sources d'énergie ne les ont-elles pas remplacés en tant que principaux carburants de transport?

En fait, c'est une question de chimie. L'essence et le diesel ont une densité énergétique élevée, c'est-à-dire qu'ils emmagasinent de grandes quantités d'énergie dans relativement peu d'espace, et ils conviennent donc parfaitement aux utilisations mobiles. En comparaison et à titre d'exemple, l'éthanol, soit le carburant de remplacement le plus utilisé aujourd'hui, ne contient que deux tiers du contenu énergétique de l'essence dans un volume équivalent. L'essence et le diesel sont fiables, sécuritaires et commodes, et ils satisfont aux exigences élevées associées au rendement des moteurs et à la protection de l'environnement. Les carburants de remplacement sont loin de pouvoir fournir au même coût l'énergie de transport dont nous avons besoin, du moins, à l'heure actuelle, et probablement pendant un bon moment encore. En fait, une bonne partie des efforts déployés aujourd'hui pour développer des nouvelles sources de carburant à partir de diverses matières premières ont pour but de garantir qu'on pourra reproduire les caractéristiques liées au rendement de l'essence et du diesel.

Est-ce que l'essence et le diesel polluent? Oui. Lorsque nous les utilisons dans les voitures et les camions, nous produisons des émissions d'échappement. Toutefois, les raffineurs canadiens ont dépensé des milliards de dollars pour rendre ces carburants plus propres, et ils ont fait de grands progrès à ce chapitre. Le plomb a été éliminé. La teneur en soufre a été réduite de plus de 90 p. 100. Le benzène a été coupé de moitié, et même plus. Voilà des exemples des progrès accomplis.

Grâce à la qualité du carburant, à l'amélioration du carburant et aux nouvelles technologies automobiles, nous avons fait des progrès impressionnants au profit de l'environnement. Selon l'Association canadienne des constructeurs de véhicules, l'ACCV, nos homologues dans le secteur automobile, il faudrait que vous fassiez le tour du monde 37 fois dans un véhicule utilitaire sport de 2005 ou plus récent alimenté en essence à faible teneur en soufre pour produire les mêmes émissions que lorsque vous brûlez une corde de bois dans votre cheminée l'hiver. C'est une réduction de plus de 90 p. 100 des émissions depuis 1993.

Les processus de production de ces carburants ont aussi été considérablement améliorés. Par exemple, de 1993 à 2008, les émissions atmosphériques de 9 des 10 substances les plus courantes ont diminué de 61 à 89 p. 100. Et pendant cette période, la production de nos raffineries a augmenté de 20 p. 100.

Depuis 1996, les émissions de CO2 des raffineries — les émissions de gaz à effet de serre ou GES —, soit celles qui sont le plus souvent en cause dans les débats de nos jours, ont été réduites de près de 10 p. 100. Ça s'est produit, encore une fois, pendant que nous augmentions la production.

Pouvons-nous passer à des sources d'énergie de remplacement facilement et rapidement? Même s'il existait un substitut fiable et abordable, ce qui n'est pas le cas à l'heure actuelle, il faudrait dépenser des milliards de dollars pour reconstruire et rééquiper l'infrastructure complexe de production et de distribution qui permet aux Canadiens de se procurer le bon carburant au bon moment et au bon endroit. Un investissement aussi important prendra des années, voire des décennies. C'est possible, mais c'est une question de temps.

Nous ne devons pas oublier que, à quelques petites exceptions près, nos normes en matière de carburant et de véhicule sont harmonisées avec celles des États-Unis. Les Canadiens profitent des avantages économiques considérables de ce marché intégré, qui facilite le commerce et permet de réaliser des économies d'échelle importantes. Si le mélange de carburants et les normes du Canada s'éloignaient trop de ceux des États-Unis, nous pourrions le payer cher.

Qu'en est-il des affirmations selon lesquelles les carburants de remplacement sont plus écologiques que l'essence et le diesel? Il faut faire attention aux généralisations et comparer les répercussions sur l'environnemental des différents carburants sur leur cycle de vie complet, de la production jusqu'à la consommation. C'est ce que nous appelons la comparaison du rendement énergétique global.

Une étude menée récemment souligne ce point.

Le mois dernier, l'Institut pour une politique européenne de l'environnement a fait savoir que si les pays de l'Union européenne augmentaient leur utilisation de biocarburant classique comme prévu, de 27 à 56 millions de tonnes de dioxyde de carbone seraient libérées dans l'environnement dans les 10 prochaines années à cause de l'augmentation de la culture des terres nécessaire pour produire les matières premières.

Ce serait comme ajouter de 12 à 26 millions de voitures supplémentaires sur les routes de l'Europe. Selon le rapport, la promotion de l'utilisation des biocarburants sans tenir compte de l'incidence sur la culture des terres pourrait faire augmenter les émissions de gaz à effet de serre au-delà de celles qui découleraient de la poursuite de l'utilisation des combustibles fossiles. Toutefois, il est vrai qu'on ne sait pas trop comment le changement dans l'affectation des terres influera sur l'analyse du cycle de vie. Cela dit, cet exemple illustre bien la nécessité de disposer de données scientifiques probantes avant de prendre des décisions importantes.

Il est certain que les biocarburants de la prochaine génération produits à partir de cultures non alimentaires, de déchets de la biomasse et même d'algues devraient entraîner la réduction des émissions de GES, mais, à grande échelle, ils ne seront viables sur le plan commercial que dans une décennie, et peut-être même plus tard.

N'oublions pas les coûts. L'analyse coûts-avantages du gouvernement fédéral relative à l'ajout de 5 p. 100 d'éthanol dans les carburants, obligatoire depuis peu, a établi que ce règlement à lui seul pourrait signifier que les automobilistes devront payer 3 milliards de dollars supplémentaires d'ici 25 ans pour acheter l'essence qui fait rouler leur voiture.

Qu'en est-il de l'électricité et des voitures électriques? L'électricité comme carburant pour les véhicules ne peut pas être plus écologique que sa source. En Amérique du Nord, les hydrocarbures sont encore utilisés pour produire une bonne partie de cette électricité. Nous nous en tirons mieux que les autres pays au Canada parce que notre part d'énergie renouvelable est plus élevée, mais nous faisons tout de même partie du marché nord-américain. Ainsi, les répercussions sur l'environnement, soit les émissions, sont produites loin des véhicules et des routes, là où sont situées les centrales électriques.

Nous sommes encore à des années de fabriquer une voiture électrique à un prix concurrentiel, qui réponde aux attentes en matière de rendement des automobilistes canadiens et qui réduise les effets de la conduite sur l'environnement. Les obstacles techniques et économiques sont considérables. Même les chefs de file de l'industrie automobile reconnaissent que seule une petite fraction des conducteurs adoptera les véhicules à batterie dans la prochaine décennie.

Un rapport publié récemment par J.D. Power and Associates insiste sur ce point. On y prédit que les ventes mondiales combinées de véhicules hybrides électriques, ou VHE, et de véhicules électriques à batterie, ou VEB, ne totaliseront que 7,3 p. 100 des 70,9 millions de voitures particulières qui seront vendues cette année-là, soit dans 10 ans.

Je tiens à être clair. Je ne suis pas ici aujourd'hui pour défendre l'essence et le diesel au détriment de tous les autres carburants de transport. Comme je l'ai dit plus tôt, dans les années à venir, les carburants de remplacement joueront un rôle de plus en plus important pour répondre aux besoins des Canadiens. Cela dit, nous devons nous assurer que les changements se font à une vitesse réaliste et ce que nous visons est possible. La pensée magique ne nous y mènera pas. Nous devons laisser les faits, la science et la raison guider la prise de décisions.

Il faudra du temps, de l'argent et de l'innovation pour parvenir à des solutions de remplacement viables à grande échelle sur le plan commercial qui nous apporteront les mêmes avantages que les carburants classiques à un coût comparable. Il n'y a pas de raccourci. Vous ne pouvez pas simplement commander de nouvelles technologies et infrastructures et vous attendre à ce qu'elles soient livrées dans des délais impossibles. L'expérience réglementaire tentée en Californie dans les années 1990 en est un bon exemple. En effet, les législateurs ont tenté d'imposer les véhicules à émission zéro, ou VEZ, sur le marché, ce qui s'est révélé un échec et, en fin de compte, un exercice d'élaboration de politiques fondé sur la pensée magique. Nous devons éviter ça.

Par conséquent, l'essence et le diesel continueront d'alimenter en grande partie nos avions, nos trains, nos automobiles, nos camions et nos bateaux. Il ne faut pas oublier qu'une utilisation plus intelligente et plus efficace des carburants existants peut contribuer à garantir aux Canadiens la durabilité énergétique. La diminution de la consommation d'essence est de loin la façon la plus efficace de réduire l'émission de contaminants atmosphériques et de gaz à effet de serre par les véhicules. Économisez le carburant, épargnez de l'argent et protégez l'environnement du même coup.

J'attends vos questions et la discussion qui s'ensuivra avec impatience.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Boag. M. Morel fera-t-il aussi une déclaration?

M. Boag : Non, je pense que nous avons dit le nécessaire. M. Morel est un technicien expert. Il est ici pour m'aider à répondre à vos questions au besoin, car il sera dans certains cas beaucoup plus qualifié que moi pour le faire.

Le président : Nous avons beaucoup de questions. Je dois souligner, chers collègues, que lors de la prochaine séance, mardi à 17 heures, nous accueillerons des gens de l'Association canadienne des carburants renouvelables. Il est important de faire ces comparaisons.

J'aimerais commencer par poser une question, puisque notre vice-président n'est pas là. Je vous ai senti très inquiet, au début de votre déclaration, lorsque vous avez dit que nous agissions peut-être en pensant qu'il existe une solution facile, et que certaines choses étaient faites sans examen préalable.

Selon le vice-président, entre autres, la formulation de règlements sur le contrôle des émissions et l'adoption de mesures visant l'industrie du camionnage et le secteur du transport en général sont parmi les rares choses que fait le gouvernement. On nous fait croire que ces étapes ne sont franchies qu'après d'étroites consultations avec nos voisins américains, et que des efforts sont déployés pour harmoniser les projets de carburants plus propres et d'utilisation plus propre de l'énergie dans le secteur du transport.

J'aimerais clarifier tout de suite ce que vous avez dit parce que votre déclaration était faite avec franchise. Vous avez répété au moins deux fois que nous devons faire attention à la pensée magique, que nous devons utiliser le savoir, la raison, la science et les faits. Vous avez utilisé cette expression au moins deux fois.

Est-ce qu'on a fait quelque chose de stupide, de mal, ou sans vous consulter? Je suppose qu'il n'y a rien de pire que de se faire imposer toute une série de règlements sans avoir été consulté. Ça doit être comme chercher la quadrature du cercle. J'aimerais entendre vos commentaires à ce sujet.

M. Boag : Ce n'est pas un problème de consultation. Les gouvernements, tant fédéral que provinciaux, consultent beaucoup les parties concernées au moment de l'élaboration de règlements ayant des applications directes et, parfois, indirectes.

Oui, nous avons des inquiétudes, mais elles concernent surtout la rapidité de la mise en œuvre de certains règlements. Je pense, en particulier, à l'exemple des 2 p. 100 de biodiesel exigé par le gouvernement fédéral. Nous appuyons ouvertement depuis cinq ou six ans l'initiative et la norme fédérales visant les carburants renouvelables.

Nous avons toujours dit que nous devions bien faire les choses en accordant suffisamment de temps à la mise en œuvre et à la mise en place de l'infrastructure nécessaire. Au bout du compte, nous devons nous assurer que les consommateurs continuent d'avoir confiance dans les produits. Que ces consommateurs soient des entreprises ou des particuliers, ils doivent être certains que, lorsqu'ils iront faire le plein, le carburant sera là, qu'il respectera les normes de qualité, qu'il sera utilisable et qu'il sera vendu à un prix abordable.

Le président : Avez-vous l'impression de ne pas être entendu?

M. Boag : Comme je l'ai dit à ce sujet, et à titre d'exemple seulement, je ne suis pas venu ici pour parler de la mise en œuvre du règlement fédéral sur le biodiesel ni pour la critiquer. C'est un exemple qui prouve qu'il faut faire les choses à un rythme qui permette une mise en œuvre sensée.

Je le dis honnêtement, je ne suis pas certain qu'on nous écoute. Nous continuons d'entendre que la mise en œuvre aura lieu en 2011. Nous serons en 2011 dans moins d'un mois. De toute évidence, de notre point de vue, ça ne donne pas assez de temps à l'industrie pour mettre en place une infrastructure de fluidification et de distribution qui règle les problèmes de faisabilité technique concernant le biodiesel, soit qu'à certaines températures, il devient un solide. Je le compare à une bouteille d'huile d'olive. L'huile d'olive est liquide dans votre garde-manger, à la température ambiante. Si vous mettez cette huile d'olive dans le réfrigérateur, elle devient solide.

M. Morel peut faire circuler la photo de différents biodiesels entreposés dans un réfrigérateur. Quelle est la température, Gilles?

Gilles Morel, Carburants, Institut canadien des produits pétroliers : La température est de moins 9 degrés, soit la température dans la plupart de nos villes l'hiver. Ça montre, par exemple, ce qui arrive aux biocarburants dans notre système pendant cette période. Le défi consiste à adapter les propriétés d'un produit essentiellement gélatineux qui doit pouvoir circuler à moins 9, à moins 10 et, si vous êtes à Edmonton, probablement à moins 35.

Nous devons ajouter à notre produit 2 p. 100 ou 5 p. 100 d'un des trois produits illustrés ici. Les consommateurs s'attendent à ce que le résultat soit un produit clair et transparent qui leur permettra de démarrer leur voiture ou leur camion le matin. Je vais faire circuler la photo.

M. Boag : Le biodiesel pose un autre problème de faisabilité technique que nous n'avons pas avec l'éthanol. Que l'éthanol provienne du maïs, du blé ou de la canne à sucre, en fin de compte, c'est de l'éthanol. Il n'y a aucune différence entre ces produits. Lorsque vous produisez du biodiesel, selon les matières premières utilisées, les propriétés sont différentes. Il n'y a pas qu'un type de biodiesel. Les réactions aux températures diffèrent aussi. Lorsque vous commencez à ajouter du biodiesel dans du diesel ordinaire, il devient difficile de satisfaire à l'exigence technique de faire fonctionner votre véhicule.

Mis à part l'infrastructure de fluidification, il y a aussi la question de l'élaboration des normes. Le rythme actuel de l'élaboration des normes est tel que les normes pour ces nouveaux produits ne seront probablement pas en place avant l'an prochain, ou même avant 2012. Encore une fois, en ce qui concerne la confiance des consommateurs, ils s'attendent à ce que les produits qu'ils achètent respectent des normes qui sont adaptées aux conditions environnementales et météo du Canada. Il y a une foule de points à prendre en compte pour bien faire les choses et pour que les consommateurs aient confiance dans les produits qu'ils achètent.

Pour répondre à votre question, je ne pense pas que nous soyons entendus. Nous continuons de répéter ces messages. Nous craignons qu'en fin de compte, ce ne soient pas les producteurs de biodiesel qui soient assujettis à ce règlement, mais les fournisseurs de carburant. Ce sont nos membres qui sont réglementés. Lorsque les choses tournent mal ou que des problèmes de conformité surgissent, ce sont nos membres et, en définitive, les consommateurs qui en souffrent.

Ces règlements sont formulés aux termes de la Loi canadienne sur la protection de l'environnement, la LCPE; c'est l'autre problème. Il ne s'agit pas simplement de payer une amende si vous n'êtes pas conforme. La LCPE est fondée sur le Code criminel, et c'est donc une infraction criminelle. Il y a d'importants problèmes à ce chapitre.

Encore une fois, je tiens à dire que nous appuyons cette mesure. Nous déclarons publiquement depuis plusieurs années que nous appuyons les deux éléments de cette norme fédérale, soit l'éthanol et le biodiesel. Il s'agit de trouver le bon moment pour la mettre en œuvre afin de nous assurer de bien faire les choses.

Le président : Comme je l'ai dit, vous avez rédigé votre déclaration avec soin et en usant de diplomatie, mais je sens qu'il y a ici un message plus fort et des inquiétudes. Je veux juste m'assurer que vous ne vous sentez pas obligé de censurer vos propos devant le comité. Nous voulons savoir ce que vous pensez vraiment.

M. Boag : J'utilise ça à titre d'exemple seulement. Cela dit, nous sommes préoccupés par les gens qui disent de plus en plus que nous devons cesser de compter sur le pétrole et que ce sera facile sans comprendre tous les enjeux. Ce n'est pas que ce ne sera pas possible dans l'avenir, mais ce sera dans un avenir lointain. Nous devons adopter un bon rythme. Nous devons nous assurer que les politiques ne sont pas élaborées sans une bonne compréhension des défis auxquels nous sommes confrontés et que nous n'empruntons pas la mauvaise voie.

Le président : Ces commentaires s'appliquent-ils aux Américains aussi, étant donnée l'approche dite harmonisée? Là- bas aussi, il fait froid l'hiver. Je suis certain que vos membres conduisent des camions dans le Montana lorsqu'il fait moins 9 degrés.

M. Boag : Ces commentaires sont universels. Le projet de remplacement du pétrole aux États-Unis obéit à des impératifs différents. La sécurité énergétique et l'importation de pétrole n'entrent pas en jeu au Canada. Toutefois, l'impression générale et les belles paroles entourant le projet de remplacement du pétrole ne reflètent pas la réalité ni les aspects pratiques.

Le sénateur Lang : J'aimerais revenir sur la question du biodiesel et des obligations que vous impose le gouvernement fédéral.

Avez-vous demandé une prolongation, en tant qu'organisation, pour la mise en œuvre? Je crois que ces règlements sont déjà en vigueur.

M. Boag : La date de mise en œuvre n'a pas encore été fixée. Le règlement imposant une norme fédérale sur les carburants renouvelables est entré en vigueur le 1er septembre. La première période de conformité pour les 5 p. 100 de contenu renouvelable dans l'essence, soit principalement de l'éthanol, débute le 15 décembre.

Le gouvernement n'a pas établi la date de début ni la durée de la première période de conformité pour le biodiesel. Ça se fera dans une modification réglementaire, qui devrait être prête d'ici quatre à six semaines, peut-être même dans les deux ou trois prochaines semaines. Le processus habituel suivra son cours. Les modifications proposées au règlement qui établiront la première période de conformité visant le biodiesel seront publiées dans la partie I de la Gazette du Canada. Il y aura ensuite la période habituelle de commentaires de 60 jours, puis la publication de la version définitive dans la partie II de la Gazette du Canada. Ça sera sûrement à la fin du premier trimestre ou au cours du deuxième trimestre de 2011.

Nous n'avons pas demandé de prolongation parce que nous ne savons pas encore quelle sera la date. Par contre, nous martelons ce point depuis plus de cinq ans, soit que le temps requis une fois que nous connaîtrons la teneur du règlement est d'environ trois ans.

Lorsque le gouvernement a annoncé son intention de mettre en œuvre cette norme sur le carburant renouvelable — et, surtout, sur le biodiesel —, il avait au départ fixé la date à 2012 ou après, une fois la faisabilité technique démontrée. Beaucoup de travail a été fait dans le cadre de l'IDNDR en ce qui concerne la faisabilité technique. Certains de ces projets, dont un en particulier, étaient axés sur les besoins en matière d'infrastructure. Le rapport de cette étude n'a pas encore été publié. L'étude a pris fin au début du mois de septembre. Le gouvernement n'a pas jugé bon de publier le rapport pour le moment.

D'après ce que nous comprenons des premières versions transmises aux intéressés au printemps dernier, elles semblent appuyer notre point de vue, soit qu'il faudrait de 30 à 36 mois après la publication du règlement définitif pour mettre en place l'infrastructure nécessaire à l'ajout de 2 p. 100 de biodiesel et pour produire des quantités suffisantes. Nous croyons que le gouvernement dispose de données, tirées d'études logiques, rationnelles et raisonnées, qui le confirment.

Le sénateur Massicotte : J'essaie de comprendre. Vous dites essentiellement que le gouvernement ne vous entend pas. Je soupçonne qu'il n'est pas d'accord. Toutefois, qu'arrivera-t-il si c'est mis en œuvre? Quelles seront les conséquences pour votre entreprise, pour les consommateurs et pour l'économie canadienne?

M. Boag : Je peux vous dire, en termes généraux, ce que seraient les conséquences à notre avis. La qualité du carburant pourrait être compromise, l'alimentation en carburant pourrait être compromise, et le secteur pourrait devoir supporter des coûts importants.

Il est difficile pour moi de donner des détails parce que les entreprises ont chacune leur plan. En tant qu'association commerciale de concurrents, nous veillons à respecter les exigences de la Loi sur la concurrence. On ne discute jamais de ce type de renseignements commerciaux lors des réunions de l'ICPP. Je ne connais pas les plans des membres, et je ne suis pas censé les connaître.

Le sénateur Massicotte : Est-ce seulement une question d'argent? Si le gouvernement vous donnait 2 ou 4 milliards de dollars, ou encore 1 000 $, pourrait-on remédier à la situation?

M. Boag : Selon moi, ce n'est pas tant une question d'argent qu'une question de temps. Nous devons concevoir et construire de nouvelles installations de fluidification qui permettront de régler les problèmes liés aux mauvaises propriétés d'écoulement du biodiesel, ce qui signifie qu'elles doivent être chauffées. Nous devons avoir des installations de stockage chauffées. Nous devons nous pencher sur ces 95 à 98 p. 100 restants. D'après certaines études que nous avons réalisées, l'ajout de biodiesel nécessite une modification du carburant de base. Pour l'instant, il s'agit de diesel classique.

Pour régler les problèmes liés aux mauvaises propriétés d'écoulement du biodiesel, nous devrons remplacer la majorité du carburant de base par du kérosène aviation. Le kérosène aviation est un distillat moyen, comme le diesel. Je ne veux pas trop m'aventurer dans les détails, mais le kérosène aviation possède des propriétés différentes, plus favorables à l'ajout de biodiesel, qui permettent notamment de conserver les propriétés et le point d'écoulement requis pour le biodiesel.

Nous sommes déjà un importateur net de kérosène aviation, ce qui signifie que nous devrons en importer davantage pour ce faire. De plus, puisque nous devons nous conformer à des exigences de faible teneur en soufre pour le carburant diesel routier, il faudra du kérosène aviation à très faible teneur en soufre, ce qui est relativement rare.

Cette situation implique certaines choses. Où le prendrons-nous? Devons-nous investir dans les infrastructures de nos raffineries pour produire davantage de kérosène aviation à très faible teneur en soufre au Canada, ou devons-nous plutôt chercher à augmenter nos importations? Le cas échéant, il faudra modifier nos installations d'importation et de stockage.

Ce sont là quelques-unes des difficultés techniques auxquelles chaque entreprise fait face dans l'élaboration de son plan de conformité. Je ne connais pas ces plans, mais si nous agissons trop rapidement, les entreprises seront contraintes de trancher différentes questions, notamment celle du biodiesel.

Nous sommes conscients qu'une des principales raisons justifiant cette exigence réglementaire est de stimuler et de faciliter la croissance de l'industrie de la production de biodiesel. Je n'ai aucune objection. Les stratégies et les objectifs du gouvernement visent à renforcer l'industrie des carburants renouvelables au Canada? Ainsi soit-il.

Le président : Ce n'est pas différent de ce qui se passe en Europe ou dans d'autres pays.

M. Boag : Non, en effet. Par contre, il est difficile de procéder très rapidement en raison des défis techniques. Hypothétiquement parlant, une façon de contourner ce problème est d'utiliser un carburant qui ne pose pas de défi technique, une sorte de carburant prêt à l'emploi. On n'a pas à s'en soucier, il peut être utilisé comme du diesel ordinaire, car il a les mêmes propriétés.

Les diesels renouvelables existent, mais, actuellement, on n'en produit pas au Canada. Ils sont surtout fabriqués en Europe et en Indonésie. L'objectif stratégique visant à renforcer l'industrie des carburants renouvelables au Canada comporte un certain danger. En voulant aller trop vite, nous pourrions être tentés de nous tourner vers l'importation de diesel renouvelable. À partir du moment où les entreprises membres importent du diesel renouvelable, elles peuvent décider qu'il s'agit de la meilleure solution, et continuer à le faire. C'est un scénario hypothétique, mais il illustre la complexité de ce dossier, qu'il ne faut pas sous-estimer.

Le président : Vos membres sont inquiets.

Le sénateur Banks : Avant de souhaiter la bienvenue à nos invités, monsieur le président, je me permets de faire une annonce à votre intention et à celle du sénateur Massicotte, qui, si je ne m'abuse, étiez les seuls à faire partie de ce comité à l'époque. Quoi qu'il en soit, à la demande du comité, j'avais entrepris la rédaction d'un projet de loi modifiant la Loi fédérale sur le développement durable et la Loi sur le vérificateur général. J'ai le plaisir de vous annoncer que, après un parcours tortueux à l'autre endroit, le projet de loi a été adopté à l'étape de la troisième lecture hier, à 18 h 15.

Le président : À l'autre endroit?

Le sénateur Banks : Oui.

Le président : Parce que nous l'avions déjà adopté à la Chambre rouge.

Le sénateur Banks : Nous l'avons adopté plusieurs fois à la Chambre rouge.

Le président : Félicitations, sénateur Banks.

Le sénateur Banks : Félicitations à nous tous.

Le président : Vous pourriez peut-être rappeler à nos collègues la nature de la modification, qui portait sur un détail, mais un détail important.

Le sénateur Banks : Il y a deux modifications. D'abord, les ministères devront soumettre leurs rapports sur les politiques de développement durable et au Sénat et à la Chambre des communes. Le Sénat avait été retiré de l'équation à l'étape des comités à l'autre endroit. Ensuite, la Loi sur le vérificateur général est modifiée de manière à permettre au commissaire à l'environnement et au développement durable de faire rapport au Parlement plus d'une fois par année. Auparavant, la loi empêchait le commissaire de le faire, c'est pourquoi nous l'avons modifiée. Ça a fonctionné, le projet de loi a été adopté à l'étape de la troisième lecture hier soir. J'ai pensé que vous seriez heureux de l'apprendre, étant donné que vous étiez tous les deux membres à l'époque, et que c'est à la demande de ce comité que nous avons fait ça.

Le président : Vous êtes un législateur très actif. Nous vous verrons dans cette salle dans une heure environ. Vous avez plus d'une corde à votre arc.

Le sénateur Banks : Oui, en effet.

Bienvenue, messieurs Morel et Boag. C'est agréable de vous voir dans un contexte différent de la dernière fois.

Le président a tenu à préciser que ce comité était un bon endroit pour se faire entendre, dans le but de faire appel à votre franchise. Pour ma part, je vais jeter un pavé dans la mare en vous posant une question quelque peu controversée, mais j'espère que vous y répondrez.

Votre industrie est au courant de tout ça depuis un moment déjà. Ça ne date pas d'hier. Vous êtes trop jeune pour vous rappeler, mais je me souviens de la réaction de l'industrie lorsque le gouvernement a ordonné le retrait du plomb dans l'essence. On racontait des histoires d'horreur sur ce qui allait arriver, comme quoi l'industrie allait s'effondrer, que ça mettrait des milliers de gens au chômage, qu'on devrait fermer des raffineries, et que c'était impossible à réaliser dans les délais prescrits.

Le même scénario s'est répété pour d'autres carburants, par rapport aux oxydes d'azote, aux oxydes de soufre et, comme vous l'avez mentionné, au soufre. Lorsqu'on a demandé à l'industrie gazière de retirer le soufre du gaz naturel, elle a répondu que ça mettrait fin à ses activités, et qu'il ne se ferait plus jamais d'exploration. Aujourd'hui, certaines des entreprises visées font plus d'argent en vendant du soufre qu'en vendant du gaz.

Veuillez répondre à ceux qui font preuve d'un peu, voire de beaucoup, de scepticisme à votre égard et vous disent : « Balivernes ».

Par le passé, lorsque de tels changements ont été annoncés dans un délai raisonnable, l'industrie a peut-être dû travailler plus rapidement et dépenser plus d'argent qu'elle ne l'aurait voulu, en plus de devoir mettre d'autres intérêts de côté, mais elle a atteint les objectifs. Il n'y a plus de plomb ni de soufre dans l'essence, et cetera. Pourquoi ne pouvez-vous pas simplement vous dépêcher?

M. Boag : C'est une question pertinente et légitime. Le problème, c'est qu'il est difficile d'élaborer un plan de conformité qui risque de monopoliser considérablement les investissements et les ressources pour sa mise en œuvre alors qu'on ne connaît même pas la teneur du règlement. C'est une chose pour un gouvernement d'afficher de grandes ambitions en publiant un avis d'intention, dans ce cas-ci en décembre 2006. C'en est une autre d'expliciter la façon dont il compte mettre en œuvre une telle politique au moyen d'un règlement. Tout le problème réside dans les détails, si je peux m'exprimer ainsi.

La première partie de l'obligation concernant les carburants renouvelables, qui visait l'éthanol, en est un bon exemple. Nous n'avons vu le projet de règlement qu'en avril 2009, même s'il faisait suite à l'avis d'intention publié en décembre 2006.

Oui, l'industrie et ses membres, qui seront les parties visées par l'obligation, peuvent, à partir de l'avis d'intention, commencer à prendre certaines décisions générales concernant les secteurs dans lesquels ils devront investir et les mesures qu'ils devront prendre. Toutefois, ils ne peuvent pas pousser la démarche très loin, ni investir de grosses sommes, sans en savoir davantage.

Supposons que, dans l'exemple de l'éthanol, les membres de l'industrie aient suivi votre scénario. Sachant ce qu'ils avaient à faire, ils auraient commencé à investir dans leurs infrastructures en vue de l'ajout d'éthanol, partout au pays. Or, finalement, dans le règlement, Terre-Neuve-et-Labrador a été exemptée de cette obligation. C'est donc dire que des entreprises de cette province auraient gaspillé des ressources financières et matérielles importantes en vue de l'ajout d'éthanol à l'essence, pour apprendre par la suite que Terre-Neuve-et-Labrador bénéficiait d'une exemption. Elles auraient dépensé inutilement des sommes importantes.

Ce n'est qu'un exemple, mais il illustre pourquoi les industries ne peuvent, raisonnablement, prendre des décisions d'investissement en fonction d'un avis d'intention général sans connaître la teneur du règlement ni la façon dont le gouvernement souhaite mettre cette politique stratégique en œuvre.

Revenons au soufre. Ça s'est fait à une époque antérieure à mon arrivée dans cette industrie, mais on m'a raconté ce qui s'est passé. La mise en œuvre du retrait du soufre dans l'essence et le diesel au cours des 10 dernières années est un modèle à suivre aujourd'hui. Ça s'est fait par étapes, et tous étaient au courant bien à l'avance. On a élaboré le règlement, et on a accordé suffisamment de temps à l'industrie pour qu'elle s'adapte. Une communication efficace a été maintenue entre les administrations et l'industrie tout au long du processus, qui s'est déroulé sans anicroche. Ça a coûté cher. De 2003 à 2009, l'industrie a dépensé un peu plus de 5 milliards de dollars pour retirer le soufre de l'essence et du diesel. Ça a coûté très cher.

Toutefois, c'est un processus qui s'est déroulé par étapes à la fois pour l'essence ainsi que pour le diesel routier et hors route. On a consulté abondamment l'industrie, on l'a informée de la teneur du règlement, et on lui a donné suffisamment de temps pour prendre des décisions éclairées et, ainsi, limiter l'investissement à 5 milliards. Qui sait combien le processus aurait coûté si les choses s'étaient passées autrement?

Donc, l'épisode du soufre a créé un précédent.

Lorsque les entreprises doivent jongler avec différents projets dans lesquels investir, parce qu'il n'y a jamais assez de fonds pour tout faire, elles doivent connaître avec certitude la teneur d'un projet de règlement avant d'assigner des fonds aux travaux d'infrastructure.

M. Morel : Sénateur Banks, vous avez mentionné qu'on peut parfois tirer beaucoup de bonnes leçons du passé. Par exemple, j'ai participé à l'élimination du plomb. Ça a été une de mes premières affectations lorsque je me suis joint à cette industrie.

Dans certains cas, les mêmes arguments ont été invoqués. Parfois, nous avons eu le temps, mais d'autres fois, non. Au fédéral, je me souviens d'un règlement pour lequel on a manqué de temps. Le gouvernement a été contraint de soustraire une partie du pays à l'application de ce règlement en raison de facteurs qui n'étaient pas de son ressort. Il s'est avéré impossible de transporter l'équipement provenant de l'Asie jusqu'à Montréal et sur la Voie maritime du Saint-Laurent pour terminer les travaux d'infrastructure. Il s'agissait du Règlement sur le benzène dans l'essence. Les provinces de l'Est du Canada ont dû demander une prolongation d'un an.

Dans le cas des règlements provinciaux visant l'ajout d'éthanol, notamment, la Saskatchewan a modifié les dispositions sur la conformité de son règlement à six reprises. Le pourcentage a été changé quatre fois au cours du processus. Ça crée énormément d'incertitude. Par conséquent, ça devient difficile pour la raffinerie qui doit fournir toute l'essence de Vancouver au Nord de l'Ontario tout en préparant un mélange spécial qui réponde aux besoins de la Saskatchewan. Le pourcentage changeait constamment pendant que nous essayions de nous adapter.

C'est ce que nous voulons dire quand nous parlons d'incertitude. Nous apportons des modifications à des investissements de plusieurs milliards de dollars, et il est crucial de réussir du premier coup. Nous ne pouvons pas procéder par essais et erreurs, parce que, franchement, ça ne sera pas rentable ni pour l'industrie ni pour les consommateurs.

M. Boag : Il y a un aspect dont nous n'avons pas parlé. Les investissements dans les infrastructures exigent presque invariablement des permis au provincial et, dans certains cas, au municipal. Le délai d'attente pour l'obtention d'un permis est parfois de plusieurs mois, voire des années. Il faut un permis pour construire un réservoir d'éthanol ou un module dans une installation de fluidification du biodiesel.

L'industrie n'a aucun pouvoir sur ces délais. Donc, une partie du défi réside dans le fait que nous aurons besoin d'un préavis considérable en raison des permis, que ce soit à l'échelon provincial ou municipal.

Le sénateur Banks : Personne n'oserait prétendre qu'on peut se passer de l'industrie exploitée par vos membres. Nous serions dans un sérieux pétrin. Nous nous devons de collaborer.

Cependant, vos deux exemples avaient trait à des cas où le gouvernement, quel que soit l'ordre, a pris des mesures concrètes pour répondre à une obligation qui n'avait pas été remplie à temps. Personne n'est allé en prison, aucune amende n'a été imposée, et les objectifs ont été atteints.

Voici une autre question destinée à attiser la discussion. Croyez-vous que vos membres auraient amélioré d'eux- mêmes le rendement du carburant si on ne les avait pas contraints à le faire?

M. Boag : Si vous parlez d'économie de carburant, c'est dans le domaine de l'automobile.

Le sénateur Banks : Je fais référence aux choses dont vous avez parlé, soit l'amélioration du rendement du carburant et de l'efficacité énergétique. Vous n'avez pas mentionné de contrainte liée aux types de moteur que nous utilisons.

M. Boag : Voilà une question importante. On ne peut pas se concentrer uniquement sur le carburant. Il fait partie intégrante du système d'un véhicule. Les progrès que nous avons réalisés, notamment dans la performance environnementale des véhicules de transport, des voitures particulières, des camionnettes, et cetera, figurent parmi les activités parallèles d'amélioration de la qualité du carburant et des véhicules. Par exemple, on doit éliminer le soufre pour accroître la performance du convertisseur catalytique. Ça va ensemble.

En fait, les normes sur le carburant et les automobiles sont généralement établies conjointement dans le cadre d'un processus intégré. Comme l'a mentionné, il me semble, le sénateur Angus, c'est un processus qui est bien coordonné avec celui des États-Unis. Peut-être que, au fil du temps, les nouvelles exigences réglementaires sur le rendement des véhicules seront pensées en milles au gallon aux États-Unis et en émissions de CO2 au Canada, mais, dans l'absolu, le résultat sera une norme comparable. Ce sont deux approches qui se ressemblent beaucoup. Tous les efforts déployés afin d'établir des normes pour 2017 et au-delà seront conjugués à ceux des États-Unis.

Le sénateur Banks : Bref, peut-on affirmer — et vous avez le droit de réfuter ce que je dis — que vos membres ont fait ces choses parce qu'on les a obligés à le faire?

M. Boag : Évidemment, si on examine les règlements édictés en vertu de la Loi canadienne sur la protection de l'environnement, le plomb, le benzène et le soufre ont tous été soumis à des exigences réglementaires.

Le sénateur Banks : Corrigez-moi si je me trompe, mais sinon, il ne se serait rien passé, non?

M. Boag : Je ne peux pas formuler des hypothèses à ce sujet.

Le sénateur Neufeld : Merci. Le sénateur Banks a déjà posé quelques questions que j'avais en tête, et c'étaient de très bonnes questions.

J'aimerais revenir à la dernière question posée par le sénateur Banks. J'ai acquis une certaine expérience des normes en Colombie-Britannique. Nous vous avions donné trois ans. Comme vous l'avez mentionné dans votre déclaration préliminaire, c'est le délai requis. En fait, vous avez eu droit à plus de trois ans, vous en avez eu quatre. C'était pour que vous puissiez faire bouger les choses en Colombie-Britannique, pour que vous puissiez vous concentrer sur la vallée du Bas-Fraser plutôt que sur le Nord. Nous vous avons donné plus de trois ans pour tout mettre en place.

Un peu comme l'a souligné le sénateur Banks, la plupart des entreprises étudient leur produit et se demandent comment elles peuvent le rendre meilleur que ce qu'offrent les autres, pour ensuite le mettre en marché et le vendre effectivement comme un produit supérieur. Bien souvent, les gens opteront pour ce produit amélioré, même s'il coûte 1 ou 2 ¢ de plus le litre. Je pensais que la plupart des gens cherchaient à améliorer leur produit.

Pourquoi n'est-ce pas la pratique courante? Pourquoi faut-il toujours que le gouvernement mette en place un règlement sévère qui risque de nécessiter quatre ou cinq modifications avant de pouvoir être appliqué adéquatement? Ensuite, vous dites que vous vous y conformerez, mais qu'il vous faudra beaucoup de temps.

Pourquoi l'industrie ne prend-elle pas ces choses en main?

M. Morel : Notre industrie a évolué au fil du temps. Par exemple, je me souviens des débats entourant la présence de plomb et de benzène dans l'essence. Chaque situation nous a permis d'apprendre. Dans le cas du soufre dans l'essence, notamment, il y avait une forte concurrence à l'échelle mondiale pour tenter de trouver la bonne technologie, qui était alors complètement nouvelle. C'était un immense pas vers l'avant que de produire du carburant à faible teneur en soufre. De nombreux éminents chercheurs dans le monde étaient engagés dans une véritable course contre la montre pour trouver la technologie la plus adéquate. C'est pourquoi il faut coordonner le développement de la technologie, la préparation du marché, la disponibilité et la technique, faire tout ça de concert.

Nous avons tiré des leçons de ce processus. Lorsque le gouvernement fédéral a déterminé qu'il fallait réduire le soufre dans le carburant diesel routier, notre industrie a immédiatement fait savoir que c'était possible, et nous l'avons fait. En fait, nous sommes allés plus rapidement et plus loin que les États-Unis.

Par exemple, le 1er octobre, nous avons achevé la transition pour tout le diesel hors route, à l'exception des domaines maritime et ferroviaire. Tout le diesel hors route est désormais à 15 ppm, ou parties par million. Il reste encore deux années entières avant que les États-Unis ne soient contraints d'en faire autant. Notre industrie a décidé qu'il était sans doute plus efficace pour nous d'investir dans une seule étape pour s'attaquer au soufre dans le carburant diesel, plutôt que de suivre plusieurs étapes échelonnées sur plusieurs années. Dans ce cas en particulier, nous sommes allés au- devant des exigences.

Le sénateur Neufeld : Concernant le retrait du soufre, serait-il exact d'affirmer que vous êtes allés au-delà de toute obligation qui aurait pu vous inciter à agir?

M. Morel : Oui. En fait, dans un rapport déposé en octobre par le ministère de l'Environnement, on révélait que, grâce à ces activités, le Canada, en tant que pays, disposait de carburants parmi les plus efficaces et les plus propres du monde, après une année de collaboration avec l'industrie. En tant qu'industrie, qu'organisme de réglementation et que Canadiens, nous devons être fiers de cette réussite. Nous ne nous croisons pas les doigts à cet égard.

Le sénateur Neufeld : Dans le cas de Vancouver, je ne me souviens pas du pourcentage exact, mais je crois que 10 p. 100 de l'ensemble de son parc de véhicules diesel fonctionne au biodiesel. Les particuliers participent à cet effort. Je sais que, en Colombie-Britannique, nous avons une norme de 5 p. 100. C'est très exigeant. Mais, parfois, il faut tendre la carotte plus loin pour atteindre la barre des 2 p. 100.

Je ne veux pas m'éterniser là-dessus. Cela dit, il me semble que l'industrie est en mesure de réfléchir aux améliorations. Lorsque j'ai dit à l'industrie d'amont qu'il fallait réduire le brûlage quotidien de gaz à la torche de moitié en vue de l'éliminer complètement d'ici 2016, c'était la fin du monde. Pourtant, elle a surpassé cette exigence. Pourquoi ne pouvait-elle pas y arriver sans que le gouvernement l'exige? C'est une façon de montrer à la population que nous sommes réellement sensibilisés à ces enjeux.

M. Boag : J'aimerais donner un autre exemple à ce sujet. Nous avons surtout parlé du produit aujourd'hui. Nous n'avons presque pas discuté de son processus de fabrication ni des améliorations effectuées, pour la plupart, de façon volontaire par les entreprises, même s'il y a eu des cas où la réglementation a été nécessaire.

Regardons, notamment, les progrès réalisés par l'industrie en matière d'efficacité énergétique. Ils ont été faits volontairement. Si on compare l'industrie de 1996 à celle d'aujourd'hui, il y a eu une grande amélioration sur le plan des émissions de GES, soit de l'ordre d'environ 10 p. 100, même si la production, de son côté, s'est accrue. Il y a des cas où l'industrie a elle-même pris l'initiative parce que, de son point de vue, ça allait de soi sur le plan des affaires.

Le sénateur Neufeld : Aller de soi sur le plan des affaires et sur le plan social, voilà deux choses qui, selon moi, vont nécessairement de pair.

J'ai écouté attentivement votre déclaration, et je vous en remercie beaucoup. Vous avez mentionné que diverses technologies émergentes nous permettraient peut-être un jour d'assurer un approvisionnement sécuritaire en carburant abordable, efficace et écologique. Pouvez-vous préciser ce que vous entendez par là?

J'ai remarqué que vous avez mentionné le gaz naturel à un certain moment. Pour ma part, je doute que vous puissiez y changer quoi que ce soit de sitôt. Je sais qu'on continuera d'utiliser le gaz naturel pendant longtemps, sans doute beaucoup plus longtemps que ce que la plupart des gens pensent, et je comprends pourquoi nous en avons besoin, et ainsi de suite. En ce sens, pourquoi le gaz naturel n'a-t-il pas fait partie de ces démarches, alors que la plupart des entreprises que vous représentez en produisent des quantités relativement importantes?

M. Boag : Je vais commencer, mais M. Morel a sûrement une meilleure formation technique là-dessus.

Plusieurs technologies en matière de carburants renouvelables font l'objet de recherches. La technologie des biocarburants, c'est-à-dire l'éthanol cellulosique, est sûrement la plus connue. Beaucoup d'argent et de travail y ont été consacrés. Certains de nos membres participent à ces efforts et les dirigent.

Donc, il y a l'éthanol cellulosique, qui pourrait provenir de cultures non alimentaires ou de biomasse traitées selon différents processus, si la technologie le permettait. C'est une activité de recherche et de développement qui dure depuis 20 ans. C'est prometteur, mais ce n'est pas encore viable sur le plan commercial.

On étudie aussi des technologies qui permettraient d'utiliser les algues pour produire du carburant. C'est pour encore plus tard. Toutefois, les membres de notre industrie, par l'intermédiaire de leurs sociétés mères, investissent beaucoup dans les recherches visant à produire du carburant à partir d'algues. D'autres matières premières, comme la jatropha, pourraient servir à produire du biodiesel.

Les entreprises examinent les problèmes associés à l'hydrogène et, en particulier, aux véhicules, pour déterminer si elles peuvent concevoir un véhicule qui puisse fabriquer son propre hydrogène à bord.

Ce sont quelques-unes des technologies étudiées. Cette liste n'est pas complète.

Le sénateur Neufeld : Je pensais que vous alliez parler d'une percée.

M. Morel : J'aimerais parler du gaz naturel. Tout d'abord, il faut comprendre que nous représentons l'association de commercialisation du pétrole, et c'est donc l'autre association, l'Association canadienne du gaz, ou ACG, qui représente généralement le gaz naturel. Nous ne voulons pas parler en leur nom. Ils ont leurs propres moyens pour transmettre leur message.

Pour ce qui est du gaz naturel, la question n'est pas de savoir si on peut en mettre dans les voitures, mais plutôt de déterminer quelle est sa meilleure utilisation. Nous tentons de trouver toutes sortes de sources de carburant de transport, d'énergie et de diesel. Parfois, nous oublions la question fondamentale. Nous avons besoin d'énergie, et nous sommes un pays où les sources d'énergie sont nombreuses. Quelle est la façon optimale d'utiliser cette énergie?

Le marché est un excellent élément de réponse. Le marché a décidé que le gaz naturel était un excellent combustible pour produire de l'énergie et remplacer le charbon, par exemple. C'est beaucoup plus propre. Toutefois, pour passer à l'étape suivante, il faut plus d'énergie, et les fonds ne sont tout simplement pas là, parce qu'il n'y a pas assez de véhicules qui en ont besoin.

Pour ce qui est du gaz naturel dans les carburants de transport, on se concentre principalement là où il y a des parcs. Dans la région de Vancouver, par exemple, beaucoup de parcs sont directement associés à l'aéroport, comme les taxis. Si vous allez dans une station-service de Petro-Canada ou d'Husky près de l'aéroport de Vancouver, il y aura du gaz naturel parce que le nombre de voitures qui y vont régulièrement justifie les centaines de milliers de dollars investis pour fournir du gaz naturel.

Cependant, tout le pays n'a pas nécessairement accès à du gaz naturel. La plus grande partie sert à chauffer, à produire de l'électricité et à remplacer le charbon. En tant que société, nous devons nous demander quelle est la meilleure manière d'utiliser les ressources dont nous disposons.

Le sénateur Neufeld : Je comprends. Vous avez fait une excellente apologie de l'essence et du carburant diesel. De mon côté, je tiens à faire l'apologie du gaz naturel parce que je pense que nous avons de grandes quantités de gaz naturel. C'est beaucoup plus propre pour l'environnement que les produits pétroliers d'aujourd'hui, compte tenu des technologies que nous avons. C'est pour ça que je pose la question. C'est toujours le même argument : c'est trop cher. J'ai entendu le même argument quand on a commencé à utiliser du propane.

Vous avez dit que nous devions nous baser sur les faits. À la page 6, on lit :

Grâce à l'amélioration du carburant et aux nouvelles technologies automobiles, nous avons fait des progrès impressionnants au profit de l'environnement. Selon l'Association canadienne des constructeurs de véhicules, il faudrait que vous fassiez le tour du monde 37 fois dans un véhicule utilitaire sport de 2005 ou plus récent alimenté en essence à faible teneur en soufre d'aujourd'hui pour produire les mêmes émissions que lorsque vous brûlez une corde de bois dans votre cheminée.

Je suis comme saint Thomas, et j'ai du mal à avaler cette couleuvre. Je suppose que ça signifie que si nous arrêtions complètement de brûler du bois au Canada, nous pourrions mettre des centaines de millions de véhicules sur la route, n'est-ce pas? Je ne m'y connais pas en technologie. Par contre, j'ai les deux pieds sur terre depuis longtemps, et quelque chose me dit que c'est un peu exagéré. J'ai un problème avec ça. Expliquez-moi.

M. Boag : Nous faisons référence aux principaux contaminants atmosphériques ou PCA, les précurseurs du smog, à ces types d'émissions.

En effet, ce sont les données pour un véhicule de niveau 2, c'est-à-dire de 2005 ou plus récent, alimenté en carburants de niveau 2. Nous avons éliminé ou diminué les PCA classiques dans les véhicules de 90 p. 100 en seulement 15 ou 16 ans en mettant au point des technologies pour les véhicules et les carburants.

Le sénateur Neufeld : Ce sont les règlements que le gouvernement a adoptés, notamment pour une faible teneur en soufre et en benzène.

M. Boag : Ce sont les normes et les règlements élaborés de façon harmonisée avec les États-Unis pour améliorer le rendement des carburants et la performance des véhicules. C'est un exemple des progrès qui ont été accomplis au chapitre de l'émission des principaux contaminants atmosphériques.

M. Morel : La semaine dernière, j'ai eu une réunion avec le Conseil national de recherches du Canada, qui compte certains des chercheurs les plus brillants du Canada. En fait, les émissions d'échappement ont atteint des niveaux si bas que l'air qui sort du tuyau d'échappement est maintenant plus propre que l'air qui y entre, dans certaines villes. Il faut qu'ils inventent des instruments pour mesurer ce qui sort des tuyaux d'échappement des nouvelles voitures. C'est dire à quel point nous nous sommes améliorés.

Nous nous souvenons tous d'avoir senti, dans notre enfance, par un beau dimanche après-midi, les émanations des voitures sur la route. Ce n'est plus le cas avec les nouveaux véhicules à essence. Depuis 2009, ce n'est plus le cas avec le diesel. Les particules sont les principaux précurseurs du smog, et ce sont elles qui posent le plus de problèmes dans nos grandes villes, comme Vancouver, Toronto et Montréal. Ces problèmes ont été résolus grâce aux nouveaux systèmes de contrôle des émissions et aux carburants propres.

Le sénateur Massicotte : Vous avez dit que les répercussions sur l'environnement de la combustion d'une corde de bois sont équivalentes à celles de tant de tours du monde dans telle voiture. Est-ce exact?

M. Boag : Oui, pour les polluants classiques. Je ne parle pas des émissions de GES, mais des polluants classiques qui causent le smog.

Le sénateur Massicotte : Je ne suis pas un expert, mais j'ai l'impression que cette affirmation signifie que les répercussions sur l'environnement, les répercussions sur la planète, de la combustion d'une corde de bois équivalent à celles d'une voiture faisant 37 fois le tour du monde. Est-ce exact?

M. Boag : Oui, mais nous parlons des émissions d'échappement.

Le sénateur Massicotte : Mon énoncé est-il juste, oui ou non?

M. Boag : Il est juste si vous parlez des émissions d'échappement. Sur le cycle de vie complet, les répercussions sur l'environnement de la coupe de bois dans la forêt peuvent être plus importantes. Ce n'est pas la même chose. Nous étudions les répercussions de la combustion lors de ces deux activités en ce qui concerne les contaminants classiques.

Le sénateur Massicotte : Ça n'inclut donc pas la construction de la voiture, et cetera, seulement ce qui sort des tuyaux d'échappement.

M. Morel : C'est seulement la combustion, ou ce que nous appelons les particules qui sortent du tuyau d'échappement. La quantité de fines particules est si petite qu'il est presque impossible de la mesurer.

Lorsqu'on brûle du bois, par exemple, on crée beaucoup de fumée. Pour produire la même quantité de fumée qu'en brûlant une corde de bois, il faut faire tant de fois le tour du monde dans telle voiture pour produire le même nombre de kilogrammes de fumée.

M. Boag : Nous voulions seulement mettre les choses en perspective.

Le sénateur Massicotte : Je ne suis pas certain où vous voulez en venir; je suis perdu.

Le président : Je suppose que vous ne brûlerez pas de bois cet hiver.

Le sénateur Massicotte : J'utilise du bois non polluant de la Colombie-Britannique.

Le président : C'est la question que j'allais vous poser. Les différents types de bois produisent-ils les mêmes émissions?

M. Boag : Je ne suis pas un expert en bois.

Le sénateur Lang : Je me sens très coupable parce que j'ai brûlé une corde de bois pendant notre dernier congé. Cela dit, je n'ai pas fait le tour de la planète 37 fois.

Je voudrais parler du processus d'adoption d'un règlement en vue d'atteindre un objectif, de la durée de ce processus, et de la façon dont nous travaillons avec des organisations comme la vôtre. Je pense qu'il est important que nous comprenions ça.

Je veux revenir à la science. Je dirai pour commencer que je suis inquiet lorsque j'entends parler du biodiesel dans notre carburant, surtout dans notre partie du monde. La température peut atteindre moins 40, et je ne veux pas avoir à appeler le sénateur Banks pour me plaindre parce que le gouvernement a adopté un règlement trop rapidement.

Vous avez fait allusion au processus que vous avez entrepris avec le gouvernement pour éliminer le soufre dans le carburant, et vous avez dit que ça avait très bien fonctionné.

Aviez-vous d'abord réglé l'aspect scientifique? Aviez-vous déjà établi comment faire pour vous assurer que ce qu'on vous demandait était possible sur le plan scientifique?

M. Morel : Pour ce qui est du biodiesel, en 2006-2007, nous avons discuté avec les gens du gouvernement, comme Ressources naturelles Canada. L'industrie et les spécialistes des biocarburants ont travaillé ensemble à l'élaboration d'initiatives de démonstration du diesel et de projets de recherche pour définir les problèmes potentiels.

Nous avions entendu dire que certaines méthodes fonctionnaient en Suède et aux États-Unis. J'ai un tableau de la température en hiver à Stockholm. Elle descend à peine en dessous de moins 6 l'hiver. J'ai examiné les températures dans nos capitales provinciales, et elles sont toutes inférieures à moins 6 l'hiver, sauf à Victoria. Bref, la pire situation en Europe est tout de même meilleure que la meilleure situation au Canada.

Les gens qui regardent une carte disent que ça fonctionne aux États-Unis. C'est vrai, mais c'est à la frontière nord de ce pays que commence le Canada, qui va jusque dans le Grand Nord. Nous connaissons des températures extrêmes. Nos collègues au gouvernement l'ont reconnu. Des millions de dollars ont été dépensés pour déterminer les principaux aspects qui doivent être pris en compte, et élaborer des solutions en conséquence.

La prochaine étape consiste à appliquer ce que nous avons appris en élaborant une norme, de concert avec le Conseil canadien des normes et Travaux publics et Services gouvernementaux Canada. Notre industrie, l'industrie du biodiesel, l'organisme gouvernemental de réglementation et de nombreuses provinces se consultent continuellement. Une cinquantaine d'experts en biodiesel se réunissent régulièrement en vue d'établir une norme qui protégera les Canadiens et qui garantira, par exemple, qu'un camion démarrera le matin dans le Nord de l'Alberta.

Ce processus prend du temps. C'est un processus de consultation qui nécessite beaucoup de recherches. Par contre, nous sommes près de la ligne d'arrivée.

À cause de la réduction des ressources dans certains bureaux du gouvernement, la version définitive de la norme ne sera probablement pas prête avant la fin de 2011 ou le début de 2012. C'est à ce moment-là que nous aurons une norme de produit qui protégera le consommateur et qui garantira un carburant utilisable.

Tout règlement qui nous forcerait à mettre une trop grande quantité de ce produit sur le marché trop tôt mettrait le consommateur à risque. C'est ce que nous voulons éviter. Les données scientifiques sont importantes, et elles vont nous permettre d'atteindre l'objectif.

Nous savons ce qui doit être fait et comment. Il reste à construire l'infrastructure nécessaire pour importer le kérosène de la Finlande et du Japon au Canada ainsi que le biodiesel de l'Indonésie et de Rotterdam, puis à les stocker dans de grands réservoirs, et nous aurons réussi.

Ce n'est pas que nous ne voulons pas le faire ni que nous ne pouvons pas le faire. Nous savons exactement ce qui doit être fait, mais nous avons besoin de temps pour le faire.

Le sénateur Lang : J'aimerais revenir sur le procédé qui a été utilisé pour le soufre. Faisait-il consensus parmi les scientifiques, et sa validité avait-elle été démontrée avant qu'on vous donne trois ans pour vous conformer au règlement?

M. Morel : Dans le cas du diesel, les preuves scientifiques étaient là. C'était simple. La solution technique était connue, alors, quand le règlement est arrivé, nous savions que nous pourrions nous y conformer, et comment nous le ferions.

Le sénateur Lang : Si je vous ai bien compris, on dirait que dans le cas du biodiesel, les données scientifiques ne sont pas concluantes, ou qu'elles ne font pas l'unanimité à ce point-ci. Est-ce exact?

M. Boag : Non. Grâce au travail dont a parlé M. Morel, nous avons établi ce qui doit être fait, et la façon de le faire. Il va maintenant nous falloir du temps pour mettre ces connaissances en pratique.

Le travail accompli dans le cadre de l'Initiative de démonstration nationale sur le diesel renouvelable — un projet conjoint qui a donné d'excellents résultats et auquel ont participé des intervenants du gouvernement et d'autres secteurs, dont ceux de la production et de la consommation — a ainsi permis de définir, de manière rationnelle, toutes les difficultés à surmonter, de même que les solutions. Il reste maintenant à mettre en œuvre ces solutions.

Mais ça va demander du temps. D'après ce que nous savons des intentions du gouvernement, nous ne croyons pas que nous aurons assez de temps pour concrétiser les solutions élaborées dans le cadre du processus de recherche.

Le sénateur Lang : Comme vous le savez, nous étudions la question des besoins et de l'avenir énergétiques du Canada. J'aimerais savoir ce que, de votre point de vue et compte tenu de vos intérêts dans le secteur pétrolier, vous croyez que le gouvernement du Canada devrait faire, de concert avec les provinces. Que croyez-vous que le gouvernement fédéral devrait faire différemment?

M. Boag : Le besoin le plus pressant est probablement d'accroître l'harmonisation des normes sur le carburant au pays. Nous avons constaté ces dernières années une fragmentation du marché, qui a suivi l'adoption, pour diverses raisons, de normes provinciales comportant parfois des différences relativement minimes d'une province à l'autre quant aux exigences relatives aux produits. Ces différences compliquent toutefois grandement, au bout du compte, les efforts de l'industrie visant à s'assurer que le système soit suffisamment résilient pour garantir un approvisionnement continu à l'échelle nationale.

Le carburant renouvelable est un bon exemple. Nous avons une norme dans une province, puis une autre dans la province voisine et encore une autre dans la suivante, chacune comportant des exigences différentes relativement au carburant. Mais ce carburant ne provient que d'une ou de deux raffineries situées dans une autre province.

Cette raffinerie — M. Morel en a parlé — est donc forcée de raffiner et de produire un carburant qui respecte cette norme-ci dans une province, cette norme-là dans une autre, et cetera. Nous avons tourné le dos à la fongibilité du carburant d'une province à l'autre.

Imaginons un instant que chaque province dispose de sa propre raffinerie. Tout va comme sur des roulettes, et chaque raffinerie produit du carburant pour répondre à la demande de sa province. Un jour, un problème imprévu survient dans une raffinerie. La raffinerie la plus proche a les moyens et la capacité nécessaires pour approvisionner la province où se trouve la raffinerie dont les activités sont interrompues, mais elle ne peut pas le faire immédiatement, parce que le carburant qu'elle produit n'est pas conforme à la norme en vigueur dans cette province.

Nous avons affaibli la capacité du système de répondre à ce genre de situation. Le manque d'uniformité crée des problèmes importants. Nous avons encouragé le gouvernement fédéral à... En fait, c'est ce qui explique notre appui à l'adoption d'une norme fédérale en matière de carburant renouvelable.

Lorsque, au milieu des années 2000, certaines provinces ont adopté des normes en matière de carburant renouvelable, nous avons réalisé que ça poserait un problème à l'industrie et, en fin de compte, au consommateur. Nous nous sommes alors dit qu'il vaudrait mieux adopter une norme fédérale.

Nous appuyons l'adoption d'une norme fédérale en matière de carburant renouvelable afin de freiner le mouvement de fragmentation du marché du carburant. Mais il a fallu tellement de temps au projet de norme fédérale pour franchir les différentes étapes du processus législatif et réglementaire qu'une profusion de mesures provinciales ont vu le jour entre-temps.

C'est donc le problème le plus important à régler en ce qui concerne le carburant; il faut harmoniser et uniformiser davantage les normes sur le carburant d'une province à l'autre, dans tout le pays.

Le sénateur Lang : Les provinces sont-elles d'accord?

Le sénateur Banks : Non.

M. Boag : Non, en effet, et ça ajoute au fardeau administratif de l'industrie. Même lorsque les exigences réglementaires sont à peu près les mêmes, les exigences en matière de mesure et de déclaration qui sont imposées à l'industrie diffèrent sensiblement. À ce jour, la Colombie-Britannique et l'Alberta sont les seules provinces qui, en plus d'imposer des quantités, ont imposé des exigences de rendement associées aux émissions de gaz à effet de serre et à l'intensité des émissions de carbone des carburants. Elles utilisent toutes deux le même modèle d'analyse du cycle de vie pour établir l'intensité des émissions de carbone des carburants, mais elles arrivent à des résultats différents pour les mêmes carburants.

Le sénateur Seidman : Il semble bien que votre présence ici ce matin comme représentant des exploitants de raffineries soit fort opportune. En écoutant les nouvelles ce matin, j'ai appris que le prix de l'essence à la pompe avait grimpé à 1,20 $ le litre, une hausse de 4 cents à Toronto comparativement à hier.

Le président : On ne parle pas du super, mais bien de l'ordinaire.

Le sénateur Massicotte : C'est parce qu'il est réglementé, voilà pourquoi.

Le sénateur Seidman : Ils ont dit que c'était la hausse la plus importante jamais vue en l'espace de 24 heures, et ils ont accusé les « raffineries » d'en être la cause.

Ce n'est rien de nouveau. Je crois bien qu'on est loin de manquer de pétrole, et on fait régulièrement porter le chapeau aux raffineries lorsque les prix augmentent. J'aimerais connaître votre point de vue sur ce sujet.

M. Boag : Je ne saurais dire ce qui s'est passé exactement hier. Je ne commente pas, en temps normal, les hausses de prix ponctuelles, mais je peux quand même expliquer de manière générale la façon dont fonctionne le marché.

Il faut d'abord comprendre que l'essence, comme le pétrole brut, est une marchandise. Elle s'échange sur les marchés. Le New York Mercantile Exchange est le principal lieu où les marchés, c'est-à-dire l'action combinée des acheteurs et des vendeurs et le nombre de transactions effectuées pendant la journée, déterminent le prix de gros de l'essence en tant que marchandise. Le prix de gros sur le New York Mercantile Exchange, ou NYMEX, a une incidence importante sur le pris de gros que les raffineries appliquent aux produits qu'elles fournissent aux détaillants de carburant. Le marché nord- américain est un marché intégré. Il n'existe pas de marché de l'essence et du diesel propre au Canada. Le Canada fait partie du marché nord-américain et compte pour environ 10 p. 100 de ce marché.

Il n'y a, en fin de compte, que trois marchés dans ce secteur. Il y a le marché mondial du pétrole brut, dont le prix, je le répète, est établi par le marché; il y a le prix de gros de l'essence en Amérique du Nord, lui aussi déterminé par le marché; et il y a le prix au détail, à la pompe. Ce prix est déterminé, au bout du compte, par les milliers de décisions prises individuellement par les détaillants en fonction de leur marché local.

Du point de vue des raffineurs, le prix de gros offert par le grossiste aux détaillants dépend principalement des transactions sur les marchés. Dans l'Est de l'Amérique du Nord, c'est au NYMEX que ça se passe.

Parce que ce marché est nord-américain, il existe un certain équilibre entre les marchés adjacents des États-Unis et du Canada. Si vous suivez les prix associés aux transactions sur le marché, vous verrez que le prix de l'essence au Canada ne s'éloigne jamais beaucoup des prix ailleurs en Amérique du Nord, parce que les détaillants pourraient très bien décider de traverser la frontière avec les États-Unis et d'acheter de l'essence au prix de gros du marché le plus près.

Le sénateur Seidman : Si je peux me permettre un commentaire, je trouve difficile à avaler que le prix à la pompe ce matin soit, comme vous le dites, une conséquence du prix d'hier soir à la bourse ou sur les marchés de marchandises.

M. Boag : Je ne peux pas affirmer ça. Je ne suis pas et je ne dois pas être au courant des décisions individuelles des raffineurs. Je ne sais donc pas exactement ce qui peut expliquer cette hausse de prix. Ce que je peux faire, c'est vous dire comment fonctionne le marché de manière générale.

Je le répète, nous sommes tenus de respecter rigoureusement la Loi sur la concurrence. Nous sommes une association d'entreprises concurrentes. Ce genre de débat ou de discussion n'a pas lieu à l'ICPP. Je ne peux pas parler de tout, et je m'en tiendrai donc au fonctionnement général des marchés.

Le sénateur Seidman : Je comprends votre situation, monsieur Boag, mais je ne vous demande pas d'expliquer cette hausse subite des prix en particulier. Je ne fais que m'en servir comme exemple d'une situation plus générale. Je comprends que vous ne puissiez pas, ni ne devriez, discuter d'une hausse particulière avec nous, et que vous ne devriez même pas être au courant, probablement. J'aimerais que nous ayons une conversation d'ordre général. Je suis étonnée que vous ne parliez pas de capacité de raffinement, par exemple.

Je sais que Shell Canada a annoncé son intention de démanteler sa raffinerie de Montréal, et que beaucoup de gens appréhendent une hausse des prix du pétrole au Québec étant donné, entre autres choses, que la concurrence sera moins forte.

Je suis surprise que vous n'ayez pas parlé de réglementation des prix. Nous entendons souvent parler du contrôle des prix par les sociétés de raffinage du pétrole.

Le président : Madame le sénateur, si je peux me permettre, nous n'avons pas invité les témoins pour discuter du contrôle des prix ni de toute autre forme d'établissement des prix. Nous les avons fait venir pour parler du sujet principal. Donc, je ne veux pas que les témoins se sentent obligés de discuter d'un autre sujet.

Le sénateur Seidman : Bien sûr que non. Je comprends. Cependant, je suis d'avis que l'industrie du raffinage dans son ensemble est un sujet tout à fait d'actualité. Il faut parler de capacité et de capacité de raffinage de façon positive, car c'est un fait qu'il ne s'est pas construit beaucoup de raffineries depuis un certain temps, et je me demande si la capacité n'a pas diminué. Je ne suis pas certaine de ce que j'avance, et j'aimerais en savoir davantage à ce sujet.

M. Boag : Tout d'abord, nous avons réduit le nombre de raffineries au Canada au cours des 25 à 30 dernières années. Ce nombre est passé d'environ 40 à 17 raffineries en exploitation à l'heure actuelle. Au même moment, nous avons accru la capacité des raffineries existantes. Notre capacité de raffinage, dans les 17 raffineries, est beaucoup plus élevée que celle des 44 ou 45 raffineries que nous avions il y a 30 ou 35 ans. La capacité de raffinage est plus élevée.

Ensuite, il faut placer tout ça dans le contexte nord-américain, car le marché nord-américain est intégré. De nos jours, nous assistons à la fermeture de nombreuses raffineries aux États-Unis, qui s'inscrivent dans des efforts de consolidation et de rationalisation attribuables à une surcapacité en Amérique du Nord. Cette situation s'explique en partie par le ralentissement économique, qui a eu des conséquences beaucoup plus importantes sur la demande aux États-Unis que sur la demande au Canada.

De plus, il faut aussi tenir compte du fait que le Canada demeure un exportateur net de produits pétroliers raffinés. Notre production est supérieure à nos besoins, et nous sommes un exportateur plutôt important de produits pétroliers raffinés, d'essence surtout, vers les États-Unis. Nous importons certains produits, et nous en exportons d'autres. Je pense que le seul produit dont nous sommes un importateur net est le kérosène aviation. Je crois que notre capacité de raffinage suffit à nos besoins.

Néanmoins, vous mentionnez, avec raison, qu'il s'agit d'un marché extrêmement sensible à l'offre et à la demande. Au risque de me répéter, c'est le marché qui estime l'offre et la demande, et le prix mondial du brut est, au bout du compte, fonction des décisions ou des estimations des courtiers, des acheteurs ou des vendeurs concernant l'offre et la demande — réelles, perçues ou même futures —, et c'est probablement la même chose pour l'essence dans ce contexte, mais ça se fait plus rapidement. L'offre et la demande sont, au final, un facteur dans toute activité de marché.

En ce qui a trait précisément à la capacité de raffinage du Canada, elle est plus élevée aujourd'hui qu'avant, même si nous avons beaucoup moins de raffineries. Cette situation est le résultat d'efforts soutenus pour accroître l'efficacité et de la nécessité de réaliser des économies d'échelle, surtout en raison des investissements faisant suite à l'adoption de nouveaux règlements sur la protection de l'environnement. Il fallait agir de façon intelligente et efficiente. Aujourd'hui, le Canada demeure un exportateur net de produits pétroliers raffinés, notamment d'essence.

Le sénateur Seidman : Merci. C'est là où j'essayais d'en venir, et je vous remercie d'y être parvenu.

M. Boag : D'ailleurs, je suis tout à fait disposé à discuter plus à fond de ce sujet à un autre moment.

Le sénateur Brown : Merci de votre présence ici aujourd'hui.

J'aimerais savoir pourquoi l'industrie met autant de temps à répondre aux signaux d'alarme concernant le CO2 dans l'environnement, qu'on entend depuis au moins quatre ou cinq ans. L'industrie ne se défend pas, elle n'essaie pas de nous faire sentir mieux par rapport à ce que nous utilisons. Avant, il y avait une sorte de diesel pour l'été et une sorte pour l'hiver; maintenant, c'est la même sorte toute l'année. Ça me porte à dire que nous pouvons régler les problèmes liés au biodiesel que vous nous avez montrés dans ces tableaux. Vous pouvez en ajouter de petites quantités et en tirer des avantages.

Je ne m'explique pas pourquoi l'industrie n'a pas bougé plus rapidement. Dans votre documentation, vous dites que, d'ici 40 ans, nous pourrions atteindre une réduction de 20 p. 100 grâce aux sources d'énergie et aux carburants de remplacement. C'est ce qu'on nous a dit à la conférence mondiale de Vancouver, et vous avez exactement les mêmes données, qui sont probablement exactes, à mon avis. Toutefois, pourquoi l'industrie dans son ensemble ne fait-elle pas exactement ce que vous faites ici aujourd'hui, à savoir défendre la situation passée et actuelle?

M. Boag : Je ne suis pas certain de bien comprendre la question, monsieur le sénateur.

Le sénateur Brown : L'industrie ne répond pas aux alarmistes qui clament que le ciel va nous tomber sur la tête, que nous allons tous mourir d'empoisonnement au dioxyde de carbone, qui n'est d'ailleurs pas un poison, que le climat se détériore ou que le monde s'écroule. Depuis des années, l'industrie ne leur répond pas.

M. Boag : Je vais tenter de répondre à votre question de différents points de vue. Je n'arriverai peut-être pas à vous répondre tout à fait, mais je ferai de mon mieux. M. Morel voudra peut-être compléter ma réponse.

Commençons par un point de vue de production industrielle. Après tout, les raffineries sont d'énormes installations de fabrication ou de production. L'industrie s'est efforcée d'améliorer son efficacité énergétique et, donc, de réduire ses émissions de gaz à effet de serre. Les progrès sont importants. J'ai mentionné que, de 1996 à aujourd'hui, nous avons probablement en tant que fabricants réduit nos émissions de gaz à effet de serre de 10 p. 100 tout en augmentant notre production. Le gain en efficacité énergétique a été plus important que la réduction absolue de 10 p. 100 des émissions de gaz à effet de serre. Nous avons travaillé là-dessus.

Du point de vue du transport, du cycle de vie, si on prend les émissions de gaz à effet de serre causées par la consommation de carburant dans un véhicule, environ 15 p. 100 de cette consommation vient d'activités industrielles, du puits jusqu'à la pompe, et de 80 à 85 p. 100 de ces émissions se produisent en fait dans le véhicule.

Nous devons réfléchir aux façons d'utiliser ce produit plus efficacement. Dans les années 1970 et au début des années 1980, nous avons réalisé d'importants gains en efficacité énergétique et en efficacité du carburant utilisé dans les véhicules. Ces gains étaient étroitement liés à l'offre, surtout aux États-Unis, à cause de la situation au Moyen-Orient. Des efforts ont été faits pour accroître l'efficacité du carburant dans les véhicules pendant ces années, des efforts qui ont permis d'importants gains en matière de consommation de carburant et d'émissions de gaz à effet de serre.

Depuis la fin des années 1980, pour l'ensemble du parc de véhicules, les progrès ont été bien minces. Même si l'efficacité des moteurs et les technologies automobiles se sont améliorées, nous achetons des véhicules plus gros — pensez notamment aux véhicules utilitaires sport et aux fourgonnettes —, et nos attentes en matière de performance et de puissance des véhicules sont plus grandes. Donc, même si nous avons amélioré la technologie elle-même, dans les faits, nous avons pratiquement annulé les gains réalisés grâce à une meilleure utilisation du carburant et à la réduction des émissions parce que nous voulons posséder des véhicules plus gros et plus puissants.

Les gouvernements sont en train de mettre en place de nouvelles exigences réglementaires pour les modèles de 2011 et des années suivantes. Ces règlements seront en vigueur jusqu'à 2016, et de nouveaux règlements seront rédigés pour 2017 et les années suivantes.

Pendant ce temps, les membres de l'industrie ne cessent d'innover dans l'exploration, le développement et la recherche visant des carburants qui pourront compléter et même, dans une bonne mesure, remplacer l'essence et le diesel à long terme. Nous avons beaucoup parlé de ça.

Il va sans dire que l'objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre est un élément clé et un moteur de ces efforts. Je pense que l'industrie travaille fort. Peut-être que ce n'est pas aussi évident que ça devrait l'être.

Le sénateur Brown : Je pense que je n'ai pas été tout à fait clair. Je suis d'accord avec votre proposition et avec tout ce que vous dites. Toutefois, pourquoi l'industrie a-t-elle mis autant de temps à se lever et à défendre ses actions? C'est la meilleure défense de l'industrie que j'aie entendue depuis longtemps, sur la modification des carburants pour les rendre meilleurs et plus efficaces. Les constructeurs d'automobiles font la même chose.

J'entends chaque jour des alarmistes qui disent que la fin du monde va arriver si nous ne faisons rien à propos du CO2.

M. Boag : Vous soulevez un point intéressant, monsieur le sénateur. Nos membres font ce qu'ils ont à faire et fournissent aux Canadiens les produits pétroliers dont ils ont besoin pour faire fonctionner ce pays. Leurs efforts visaient à faire en sorte que le carburant soit là, qu'on puisse s'y fier et qu'il y ait un produit de qualité à la pompe, et ce, que les clients soient des gens d'affaires, des particuliers ou des propriétaires de maisons chauffées au mazout qui attendent le camion de livraison. C'est là qu'ils ont concentré leurs efforts.

Par contre, je crois qu'ils se sont rendu compte que, même si leur mission principale demeurait la même, ils devaient s'attaquer aux points que vous avez soulevés, à savoir parler des défis et de leurs efforts pour les relever. C'est pourquoi nous sommes heureux d'être ici pour faire ça, justement.

Le sénateur Frum : J'ai un commentaire à faire sur les remarques de mes collègues. Je me souviens que le Québec a étudié un projet de loi visant à interdire toute forme de combustion du bois. Je ne trouve pas que ces données soient si difficiles à croire que ça.

M. Boag : Encore une fois, je ne veux pas critiquer les gens qui brûlent du bois dans leur cheminée. Les chiffres ne veulent parfois rien dire, donc je voulais faire une comparaison que les gens pourraient comprendre. Le but n'était pas de critiquer qui que ce soit.

Le sénateur Frum : Je comprends. Ces données me paraissent tout simplement très plausibles.

Au sujet des émissions de gaz à effet de serre, vous avez mentionné avoir réduit ces émissions de 10 p. 100 dans la production de biocarburants.

M. Boag : Non, c'est plutôt dans les carburants pétroliers ou les raffineries.

Le sénateur Frum : Nous aimons les biocarburants parce qu'ils sont renouvelables et qu'ils peuvent être fabriqués au Canada. Cependant, en ce qui a trait aux émissions de gaz à effet de serre, selon une école de pensée, leur production pollue davantage que la production de pétrole au bout du compte.

Avez-vous des données là-dessus? À combien se chiffrerait la réduction d'émissions de carbone si on adoptait ces nouveaux règlements?

M. Boag : Il y a beaucoup d'incertitude concernant ce que nous appelons l'analyse du cycle de vie. Les chiffres varient pour la production de biocarburants, car ça dépend des matières premières utilisées, de la source d'énergie utilisée pour traiter ces matières, de la valeur attribuée aux sous-produits — la drêche de distillerie, un autre produit — quant à la réduction des émissions de gaz à effet de serre et du lieu de production. Toute une série de facteurs influent sur les réponses, selon leur méthode d'évaluation et leur importance dans un biocarburant donné.

Pour les biocarburants de la première génération, qui sont faits à partir de cultures comme le maïs et le blé, si nous analysons l'ensemble du cycle de vie, nous constatons dans le meilleur des cas une modeste réduction des émissions de gaz à effet de serre. Dans certains cas, on peut parler d'augmentation, selon le carburant ou la culture qui sert de matière première. Puis, si nous tenons compte d'aspects complexes comme le changement, particulièrement indirect, dans l'affectation des terres, le résultat peut être plutôt négatif. Ces cas sont mentionnés dans l'étude de l'Institute for Environmental Decisions dont nous vous avons fourni un résumé.

Le changement indirect dans l'affectation des terres est le facteur qui comporte le plus d'incertitude. On consacre beaucoup d'efforts à préciser les effets de ce changement.

Tout ça s'applique aux biocarburants classiques, traditionnels, de la première génération. Au mieux, la réduction serait modeste. L'analyse de rentabilité effectuée dans le cadre de l'évaluation de l'incidence du règlement fédéral exigeant l'ajout de 5 p. 100 dans l'essence laisse entendre que la réduction serait modeste.

M. Morel : Ce n'est même pas 1 mégatonne pour l'ajout de 5 p. 100 de biodiesel.

M. Boag : Ce n'est donc même pas 1 mégatonne par année. C'est 0,1 p. 100 des émissions de gaz à effet de serre du Canada. C'est modeste.

Les biocarburants de la prochaine génération qui ne sont pas encore viables sur le plan commercial, ceux produits à partir de biomasse de déchets et de cultures non alimentaires comme le panic raide et l'éthanol cellulosique, permettraient de réduire davantage les émissions de gaz à effet de serre. Cependant, la technologie pour les commercialiser n'est pas prête. Ils offrent un meilleur potentiel, ça ne fait aucun doute.

Le biodiesel a probablement un potentiel de réduction des émissions de gaz à effet de serre supérieur à celui de l'éthanol de la première génération. Donc, oui, il y a des avantages, mais ils sont relativement modestes pour les produits de la première génération.

Le sénateur Frum : Quelle serait votre évaluation des possibilités de capture et de stockage du carbone découlant de l'utilisation de bitume?

M. Morel : Ce serait un autre scénario. Avec le bitume, on peut capturer la totalité de la production de l'usine. Toutefois, avec le biodiesel, on est limité à de petites quantités, soit de 2 à 5 p. 100, en raison du climat. Même s'il y avait une réduction de l'ordre de 50 à 70 p. 100, elle ne s'appliquerait qu'à 2 p. 100 du mélange total. Il serait préférable de trouver des solutions qui vont jouer sur les émissions de la plus grande partie du mélange, comme la capture et la séquestration du carbone.

Le sénateur Frum : Je pense que la plupart des Canadiens et des gens autour de cette table qui se demandent pourquoi les choses ne vont pas plus vite ont l'impression que c'est un produit plus écologique sur le plan des émissions de carbone. Je crois bien que je viens d'entendre que ce n'est pas le cas.

M. Boag : C'est pourquoi j'ai dit dans ma déclaration préliminaire qu'il ne faut pas généraliser. Il faut examiner les caractéristiques des différentes sources de carburant, les étudier attentivement et s'assurer de comparer des oranges avec des oranges, de comparer le rendement énergétique global, et non seulement la combustion. Au sujet de l'éthanol produit à partir de maïs ou, dans le cas du Canada, de blé, la théorie sur les biocarburants est que lorsque vous les brûlez, vous ne faites que diffuser les émissions de dioxyde de carbone qui ont été séquestrées dans la plante pendant sa croissance. Donc, dans l'ensemble, c'est un carburant neutre sur le plan des émissions.

Toutefois, vous devez réfléchir à toutes les émissions qui ont été créées au cours de la production. Je parle de l'engrais utilisé dans le champ, des machines agricoles et ainsi de suite. C'est pourquoi les analyses du cycle de vie sont complexes et comportent encore leur lot d'incertitudes.

Le sénateur Frum : Si nous atteignons les cibles énoncées dans la norme fédérale, nous pourrions en fait augmenter les émissions de gaz à effet de serre?

M. Boag : Je ne peux pas vous donner une meilleure réponse que les données que le gouvernement fédéral a utilisées dans son évaluation de l'incidence du règlement. Dans ce cas, ils ont établi ça à 1 mégatonne par année. Ce chiffre tient compte de la mise en œuvre de l'obligation fédérale et de la quantité supplémentaire de biocarburant utilisée par suite de cette obligation, et aussi de l'existence d'obligations provinciales dans certaines provinces. Je n'ai pas de meilleure réponse que ça.

Le sénateur Frum : Merci beaucoup.

[Français]

Le sénateur Massicotte : Merci, monsieur le président. Je remercie les témoins de leur présence parmi nous. Effectivement, mes questions ont été posées par les sénateurs Banks et Neufeld. Je partage un peu le cynisme « chicken little », on entend cela de puis longtemps. Chaque fois que quelque chose de nouveau est présenté, c'est toujours très grave et les conséquences sont désastreuses. Lorsqu'on regarde votre propre historique, c'est quand même impressionnant, vous vous êtes ajusté au marché, continuellement à l'échelle gouvernementale non seulement dans notre pays, dans chaque province, mais dans le monde entier. Nos commentaires sont un peu cyniques. Nous sommes sûrs que vous allez vous ajuster.

Au lieu de nous parler des conséquences qui peuvent arriver, dites-nous ce que vous ou d'autres pouvez faire pour satisfaire les échéances du gouvernement.

Au lieu de dire que vous ne pouvez pas remplir ces exigences, que pourriez-vous faire pour satisfaire les besoins du gouvernement?

M. Morel : C'est assez difficile de dire ce qu'on peut faire maintenant alors qu'on arrive près de la ligne d'arrivée. Nous avons indiqué au gouvernement, il y a cinq ans, lorsqu'on a signé l'entente commune, qu'on appuyait cette politique, qu'on encourageait le gouvernement à développer la réglementation. Le projet de loi C-63, promulgué en 2008, donnait l'autorité, les amendements nécessaires pour mettre cela en place. Et la consultation a commencé à ce moment.

Il s'est écoulé deux ans entre le début des consultations et la réglementation. Durant cette période, c'était impossible pour nous en tant qu'industrie de déterminer ce qu'on devait faire. Il y a eu beaucoup de changements. Chaque fois qu'on a demandé au gouvernement fédéral si on pouvait considérer les discussions actuelles comme étant assez complètes pour commencer notre planification, on s'est fait confirmer que la réglementation était sujette à changement jusqu'à sa publication finale dans la Gazette du Canada.

On ne pouvait donc pas aller de l'avant avec des investissements ou courir le risque d'investir dans des choses qui n'étaient pas finalisées.

Maintenant que c'est finalisé, c'est simplement une question de temps pour que l'on puisse bâtir les installations nécessaires.

Le sénateur Massicotte : Et les règlements adoptés sont-ils très contraires à ceux qui ont été adoptés il y a cinq ans et à ceux de 2008?

M. Morel : Mon collègue a mentionné tantôt que Terre-Neuve-et-Labrador ainsi que toute la partie au nord du 60e parallèle sont exclus.

Le sénateur Massicotte : Ce sont donc de bonnes nouvelles pour vous.

M. Morel : Le point qu'on essaie de démontrer, c'est que tant que ce n'était pas finalisé, tant que la Gazette du Canada n'a pas été publiée en septembre, on n'avait aucune indication. Cela aurait pu changer.

Le sénateur Massicotte : Je comprends, mais je suis un peu cynique en disant que la gestion des affaires c'est la gestion du risque.

M. Morel : Oui.

Le sénateur Massicotte : En 2005, et cela fait longtemps qu'on parle dans le monde entier du besoin de changer dans le dossier des changements climatiques, le gouvernement conservateur dit, depuis des années, qu'il faut bouger avec les États- Unis. C'est une question de réglementation et non une taxe sur les carbones. Je comprends qu'il n'y a pas d'incertitude mais chaque jour, vous gérez l'incertitude. Et vos compagnies de forage de pétrole prennent des risques énormes. Vous êtes expert dans la gestion du risque.

Dire que vous ne pouvez pas bouger parce que vous attendez que la Gazette du Canada soit publiée, même si c'est une bonne excuse, j'ai un peu de la difficulté avec cela. Vous saviez que cela arriverait et que ce serait imposé, comme c'est déjà arrivé plusieurs fois pendant votre carrière à l'extérieur.

M. Morel : Comme vous l'avez mentionné dans la première partie de votre question, il y a toujours beaucoup d'incertitude et les complications sont vraiment dans les détails. Comme on le dit en anglais : « the devil is in the details ». Et ce sont ces détails qui demandent beaucoup de coordination avec les différents partenaires, avec les compagnies de pipelines, les constructeurs, les ingénieurs qui feront le design. Il y a énormément de coordination. Et tant qu'on n'a pas une certitude relative sur ce qui sera requis, c'est difficile pour nous de procéder.

Je peux vous donner un exemple. J'ai montré une charte tantôt. Les trois différentes qualités de biodiésel dépendent de si la source est faite avec du soya, du canola ou encore avec des huiles recyclées. Dépendamment si on est dans l'Ouest du pays, dans le sud de l'Ontario ou dans les Maritimes, on veut utiliser les produits différents.

Donc, dépendamment de la façon dont la réglementation sera finalisée, on devra gérer des produits différents donc adapter de façons différentes nos principaux produits des raffineries.

C'est pourquoi on ne peut pas aller de l'avant si on est obligé d'utiliser du tallow, qui est un gel qui n'est pas liquide à 15º C. La solution technologique est totalement différente que si on doit utiliser du canola. Malheureusement, personne ne fait la production du canola dans les provinces maritimes.

C'est un peu comme vous dites, l'œuf et la poule. On a besoin de connaître les conditions, les attentes avant de commencer à bâtir. Parce que la solution sera différente d'une place à l'autre.

Le sénateur Massicotte : En conclusion, je suis certain que vous trouverez une solution parce que chaque fois qu'on vous impose des choses, vous en trouvez une. Je vous souhaite bonne chance. On a confiance en vous.

[Traduction]

Le sénateur Peterson : Vous avez parlé de la Saskatchewan et du fait qu'elle a modifié son règlement sur l'éthanol à plusieurs reprises, un bel exemple de politiques publiques qui devancent la réalité.

Lorsque nous nous sommes lancés là-dedans, c'était en partie parce que les grandes quantités de céréales se traduisaient par des prix peu élevés. Le gouvernement croyait pouvoir résoudre tous les problèmes en rendant obligatoire l'utilisation d'éthanol, et il a consenti de généreux allégements fiscaux. Puis, quelqu'un s'est rendu compte qu'on n'avait pas la capacité requise. Tout l'éthanol était fait avec du maïs et venait du Minnesota, et plusieurs modifications ont dû être apportées.

Vous avez dit que le gouvernement ne vous écoutait pas, et que vos relations étaient difficiles. Vous pouvez compter sur des experts, des scientifiques, des gens qui s'y connaissent, et je suis sûr que c'est la même chose au gouvernement. Pourquoi est-il impossible d'harmoniser les faits et d'énoncer des objectifs réalistes sur le plan des politiques? Est-ce que les politiques publiques nuisent à ce processus et orientent les décisions?

M. Boag : Je ne peux pas dire ce qui motive le gouvernement, mais je pense que la consultation a été fructueuse. Au tout début, on a beaucoup consulté les parties concernées pour discuter des points soulevés dans l'avis d'intention publié par le gouvernement, à savoir qu'un certain nombre de questions de faisabilité technique devaient être résolues avant qu'une obligation d'utilisation du biodiesel puisse être mise en œuvre à l'échelle fédérale. Grâce à ces efforts, on s'est entendu sur la façon de décrire les questions de faisabilité technique.

Il y avait trois questions à régler. Ce n'est pas uniquement une histoire de faisabilité technique. Nous pouvons utiliser du biodiesel dans un moteur; ça fonctionne. La question est de savoir si nous avons un système national qui permette la distribution d'un produit fiable, pour que tout le monde puisse en tout temps se fier à la qualité du produit. Les questions de faisabilité technique ont ensuite été définies comme la distribution adéquate de biodiesel et de carburant de base au pétrole.

La deuxième question était l'acceptation par le marché, autrement dit veiller à ce que des normes adéquates soient en place. Puis, la troisième question visait les infrastructures, c'est-à-dire veiller à ce qu'il y ait des installations de fluidification adéquates pour produire les quantités requises.

De façon générale, le consensus était qu'il s'agissait là des trois questions à régler. Nous avons travaillé fort pour trouver comment faire. Entre autres, pour les infrastructures, nous avons établi que 32 installations de fluidification étaient nécessaires au pays pour répondre à l'obligation des 2 p. 100.

Quelques installations de fluidification existent déjà dans l'Ouest du Canada, parce que des provinces comme la Colombie-Britannique ont des exigences visant l'utilisation du biodiesel. Le défi se trouve en Ontario et à l'Est de cette province, où il n'y a aucune exigence de la sorte. D'importantes installations de fluidification doivent être construites en Ontario, au Québec et au Canada atlantique.

Là où nous ne nous entendons pas, je pense, c'est sur le nombre exact d'installations qui seront requises et le temps que ça prendra pour les construire.

M. Morel : C'est un peu comme répondre à la question que le sénateur Massicotte a posée plus tôt. Nous savons ce qu'il faut faire, et il y a une solution. Nous avons dit que nous pouvions le faire. Donnez-nous de 30 à 36 mois, et nous le ferons. C'est ce que nous répétons depuis cinq ans.

Le temps a filé, et le gouvernement a mis deux ans à mettre ça sur papier. On peut donc s'attendre à ce que nous mettions au moins quelques mois pour que ça prenne forme. Par exemple, lorsque nos membres ont voulu construire des réservoirs pour le biodiesel et l'éthanol à Montréal, il s'est écoulé de 18 à 22 mois avant qu'ils puissent commencer la construction et avant qu'ils n'aient le droit de faire entrer des travailleurs sur le chantier pour ce faire. Certains projets ont dû être réduits de moitié par suite de consultations publiques; deux réservoirs supplémentaires et un réservoir chauffé n'ont pu être construits.

Voilà le genre de pression à laquelle nous sommes confrontés. Pour procéder à une évaluation environnementale, les systèmes doivent être bien conçus et bien construits avant même de commencer.

M. Boag : Le processus est enclenché. Depuis le 1er septembre, nous savons ce que contiendra le règlement, dans l'ensemble. Nous savons ce qui est requis. Les entreprises vont de l'avant, elles font leurs plans, et elles commencent à travailler. Elles ne restent pas là à rien faire.

Ce que nous ne connaissons pas encore, c'est la date de début et la durée de cette première période de conformité. Nous travaillons aussi vite que possible pour nous préparer. Cependant, nous entendons le gouvernement continuer de parler de 2011 comme date de mise en œuvre. Nous ne connaissons la teneur du règlement que depuis septembre. On est loin de la période de 30 à 36 mois établie dans le cadre des travaux de l'Initiative de démonstration nationale sur le diesel renouvelable.

Le sénateur Peterson : J'aimerais connaître la position de vos membres sur une éventuelle taxe sur le carbone?

M. Boag : Nos membres ne s'entendent pas là-dessus. L'industrie ne forme pas un seul bloc lorsqu'on parle de politiques sur les changements climatiques. Ce n'est pas un dossier facile. Les membres, et une bonne partie de l'industrie, s'entendraient probablement pour dire qu'une stratégie d'établissement du prix du carbone est un élément essentiel d'une politique sur les changements climatiques à long terme. Toutefois, l'établissement du prix du carbone peut se faire par différents mécanismes. Je ne pense donc pas qu'il y ait une seule opinion sur la taxe sur le carbone.

Par ailleurs, il ne faut pas oublier que le Canada est un pays très actif sur le plan commercial et très sensible à la concurrence. Nous ne pouvons nous positionner avantageusement à l'échelle mondiale sans aligner nos politiques d'une façon ou d'une autre sur celles de nos principaux partenaires commerciaux.

Le président : Vous dites qu'il n'y a pas de consensus quant aux moyens, mais y a-t-il un consensus sur la nécessité d'établir le prix du carbone?

M. Boag : Je pense que, de façon générale, l'industrie est d'avis que l'établissement du prix du carbone fait partie de la solution de gestion à long terme des changements climatiques et des émissions de gaz à effet de serre, en effet.

Le président : Messieurs, j'ai mentionné plus tôt que nous accueillerons la semaine prochaine des représentants de l'Association canadienne des carburants renouvelables. Travaillez-vous avec eux également, ou s'agit-il de deux perspectives complètement différentes et de deux organisations différentes?

M. Boag : Oui et non. Oui, nous avons travaillé avec eux par le passé. Même avant le gouvernement actuel, lorsqu'il était évident que les tendances politiques allaient vers une norme fédérale en matière de carburant renouvelable, nous avons publié un énoncé de politique conjointement avec l'Association canadienne des carburants renouvelables. Ce document exprimait notre opinion commune sur les caractéristiques essentielles de la mise en œuvre réussie d'une norme fédérale en matière de carburant renouvelable. Une des caractéristiques sur laquelle nous nous entendions avec nos collègues de l'industrie des carburants renouvelables était la nécessité de connaître la teneur du règlement suffisamment à l'avance. Une période de trois ans était un élément clé de ce document.

Depuis, nous avons eu des divergences d'opinion à ce sujet. Ils sont d'avis, je crois, que le premier avis d'intention contenait beaucoup d'information. Comme vous avez pu le constater aujourd'hui, nous avons une opinion différente des précisions réglementaires requises pour élaborer un plan de conformité qui dépasse les notions générales.

J'aimerais tout de même vous rappeler que certains de nos membres sont parmi les plus importants producteurs de biocarburants de première génération au Canada, donc, que certains d'entre eux sont aussi membres de cette association.

Le président : C'est là où je voulais en venir.

M. Boag : Nous poursuivons le dialogue et le travail avec eux, mais nous ne sommes pas toujours d'accord. Nous l'étions à une certaine époque. Nous nous en sommes tenus à nos principes et à ce que nous avions convenu en 2006, mais ils ont un peu modifié leur position depuis.

Le président : Monsieur Boag, monsieur Morel, nous avons eu une discussion très intéressante ce matin. Mes collègues vous ont dit à quel point nous avons apprécié votre document et les précisions que vous avez apportées en réponse à nos questions. J'espère que l'exercice vous a été utile à vous aussi. Vous vous êtes fait entendre ici, et j'espère que notre auditoire électronique participera aussi à la diffusion du message.

S'il n'y a pas d'autres questions, je déclare la séance levée.

(La séance est levée.)


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