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Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Énergie, de l'environnement et des ressources naturelles

Fascicule 17 - Témoignages du 8 février 2011 (réunion du matin)


MONTRÉAL, le mardi 8 février 2011

Le Comité permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles se réunit aujourd'hui à 8 h 10 pour étudier l'état actuel et futur du secteur de l'énergie du Canada (y compris les énergies de remplacement).

Le sénateur W. David Angus (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Bonjour à tous. Il s'agit d'une séance régulière, mais pas tout à fait puisque nous sommes à Montréal, dans la belle province de Québec. Aujourd'hui, nous continuons notre étude sur l'état actuel et futur du secteur de l'énergie du Canada, y compris les énergies de remplacement.

Nous sommes très heureux ce matin de recevoir nos témoins montréalais. Il s'agit de M. Normand Mousseau, professeur de physique et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en physique numérique des matériaux complexes. Bonjour, monsieur Mousseau. Vous êtes le bienvenu devant le comité.

Deuxièmement, un homme que nous connaissons bien car il a déjà témoigné devant le comité à Ottawa. Il a fait une longue présentation très intéressante et a contribué d'une excellente façon à notre étude. Il s'agit du professeur Pierre- Olivier Pineau, professeur agrégé, Service de l'enseignement des méthodes quantitatives de gestion, de l'École des hautes études de Montréal.

Notre troisième témoin ce matin M. Benoit Gratton, président, directeur, Approvisionnement énergétique, Groupe Cascades, une entreprise bien connue au Québec dans les affaires forestières.

Benoit Gratton, président, directeur, Approvisionnement énergétique, Groupe Cascades de l'Association des consommateurs industriels de gaz : Principalement en produits recyclés, nous sommes dans l'industrie des pâtes et papiers en produits recyclés.

Le président : Ce matin, nous allons discuter des secteurs de collaboration pancanadienne en matière d'énergie et de l'adoption d'une approche collaborative pour les engagements intergouvernementaux.

Je m'appelle David Angus, je suis un sénateur du Québec et le président du comité. À ma droite, le sénateur Grant Mitchell, d'Edmonton, qui est vice-président du comité. À sa droite, ce sont nos deux préposés de la Bibliothèque du Parlement, qui nous aident dans la préparation de nos recherches et de nos rapports, il s'agit de M. Marc LeBlanc et de Mme Sam Banks.

Je vous présente un autre sénateur québécois, Paul Massicotte, de Montréal; le sénateur de la Colombie-Britannique, ancien ministre des Ressources naturelles en Colombie-Britannique, le sénateur Richard Neufeld, un expert des sujets et des enjeux qui nous préoccupent; à côté de lui, un sénateur de la Saskatchewan, Robert Peterson, ancien administrateur de Cameco inc., un autre homme bien formé relativement aux questions qui nous interpellent; et, un autre sénateur de l'Alberta, le sénateur Bert Brown, le seul sénateur élu, il s'occupe beaucoup des affaires ayant trait à la réforme du Sénat, il a aussi une grande connaissance du secteur énergétique; à ma gauche, Mme Gordon, notre greffière; le sénateur du Territoire du Yukon, le sénateur Daniel Lang, qui apporte une perspective des situations dans le Grand-Nord et dans les Territoires et sur le plan international; mon prédécesseur, de l'Alberta, sénateur Tommy Banks, membre de l'Ordre du Canada, un homme très compétent. Peut-être l'avez-vous connu dans une autre vie, quand il était chef d'orchestre, fonction qu'il assume presque, aussi, parmi nous, et c'est à son initiative, avec d'autres, de faire cette étude de manière approfondie du secteur énergétique.

Vous savez tous qu'on ne peut pas faire une étude sur le secteur de l'énergie sans un regard sur la situation de l'environnement et des changements climatiques qui nous préoccupent beaucoup, et, bien sûr, faire le lien entre les deux.

Nous avons déterminé que malgré les énormes ressources dont nous disposons au Canada et la chance qui nous comble depuis longtemps ici, on a des barrières, presque entre les provinces qui empêchent le développement d'un plan stratégique pour un système d'énergie qui serait beaucoup plus efficace, plus sain, plus vert et, peut-être, plus renouvelable.

C'est donc dans cet esprit que nous sommes ici ce matin. Nous faisons une recherche des faits au Québec cette semaine. Hier, nous avons eu l'occasion de visiter les grandes compagnies, Hydro-Québec, avec le président et directeur général, M. Vandal, et dans l'après-midi, Gaz Métropolitain. Hier soir, nous avons fait une démarche dans le secteur des gaz de schiste avec une des compagnies qui s'occupent bien de ce secteur.

Professeur Mousseau, la parole est à vous.

Normand Mousseau, professeur de physique et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en physique numérique des matériaux complexes, Université de Montréal : Monsieur le président, je suis professeur de physique à l'Université de Montréal et je m'intéresse à la question énergétique un peu comme un à-côté. Je fais des recherches sur la maladie de l'Alzheimer, je travaille en nanotechnologie comme théoricien, et je travaille également sur l'énergie. J'ai commis quelques livres sur le sujet depuis quelques années, dont un sur les gaz de schiste, qui est sorti il y a quelques mois, et un autre sur l'indépendance énergétique pour le Québec.

Je ne garantis pas que ce que je vais dire va être original puisque cela fait déjà pas mal de temps que vous vous penchés sur le sujet.

Vous savez certainement que, au Canada, la difficulté de la fédération rend difficile le développement d'une politique nationale de l'énergie canadienne parce que les ressources naturelles sont de juridiction provinciale. Il en résulte que toutes les questions hydroélectriques, des hydrocarbures, des éoliennes et ainsi de suite, sont en bonne partie de juridiction provinciale.

Au Canada, en fait, les responsabilités fédérales sont plus abstraites et plus retirées du quotidien. On ne les voit pas toujours, toutefois elles existent de manière importante. C'est aussi une question de développement économique, qui est aussi de juridiction fédérale, et qui est cruciale. L'énergie est au coeur du développement économique, à la fois aux niveaux local et national, en termes de compétitivité mondiale.

Au Canada, le fédéral est aussi responsable, en bonne partie, du financement de la recherche, c'est-à-dire de la maîtrise des nouvelles technologies qui est certainement une responsabilité nationale. De plus, dans certains cas, le soutien financier du fédéral par des mesures fiscales ou des subventions directement à certains secteurs de l'économie canadienne a également un impact.

Tel que vous l'avez remarqué dans votre rapport, le Canada dispose de très grandes ressources énergétiques, par exemple d'hydrocarbures, de minerai d'uranium, de ressources hydroélectriques et éoliennes.

Il est certain qu'on ne compte pas les ressources toujours comme cela, mais à titre d'exemple pour le Québec, les ressources en énergie éolienne sont estimées à 14 000 térawattheures, soit 150 fois la production d'électricité actuelle au Québec. C'est donc quatre fois la demande nord-américaine en électricité que représentent les ressources éoliennes québécoises à elles seules.

Le président : Pas encore développées.

M. Mousseau : Non, elles ne sont pas développées. On est en train de construire.

Le président : Le potentiel est quand même énorme.

M. Mousseau : Oui, et cela n'inclut pas le potentiel des autres provinces. On voit donc, quand on additionne le tout, que nous avons des ressources canadiennes absolument incroyables.

Disons que le Canada, présentement, n'a pas de politique nationale. Il est donc difficile pour les provinces de faire des progrès réels, de travailler ensemble et surtout de gérer la question environnementale associée à toute la question des hydrocarbures et autres ressources énergétiques.

Si on construit un barrage hydroélectrique, il y a des coûts environnementaux. Le développement des parcs éoliens entraîne aussi des coûts environnementaux. Tout n'est donc pas simplement associé à la question des hydrocarbures, bien que ceci joue un rôle très important dans l'assiette énergétique.

Le président : Et comme vous le suggériez, tous les deux, l'énergie et l'environnement sont de compétence provinciale, n'est-ce pas?

M. Mousseau : Cela cause des problèmes.

Le président : Cela soulève des problèmes, mais si je comprends bien, cela n'empêchera pas, s'il y a lieu, une politique fédérale sur les deux secteurs, n'est-ce pas?

M. Mousseau : Je pense qu'il faut faire attention quand même.

Le président : Oui.

M. Mousseau : Il y a aussi la question de la recherche. Par exemple, dans ce secteur c'est clairement le fédéral qui ne fait pas son travail. C'est-à-dire que l'essentiel des fonds qui devraient aller en recherche sur les énergies renouvelables est présentement destiné à la captation du CO2.

En autant que je sache, les hydrocarbures ne sont pas de l'énergie renouvelable. Et, en plus, on est très à l'étroit dans notre financement, c'est-à-dire qu'on choisit à prime abord une technologie.

La politique nationale de l'énergie des années Trudeau a quand même causé beaucoup de dommages au niveau de l'unité canadienne, surtout en Alberta, où l'effet a été majeur quant aux relations avec le fédéral. Et ce qui a mené, lorsque M. Brian Mulroney a été élu en 1984, à l'élimination de cette politique qui n'avait que quelques années.

Le président : Une politique ou un programme? Je me demande toujours la différence entre une politique nationale sur l'énergie et un programme.

M. Mousseau : C'était une politique dans le sens qu'on voulait construire des géants canadiens, entre autres, et assurer une propriété canadienne et un contrôle des ressources naturelles.

Il y avait également un programme, mais c'était une politique qui avait une vision directe qui dépassait simplement les détails, si l'on veut. Je dirais que lorsqu'on a une vision, on peut indiquer qu'il s'agit là d'une politique.

Aujourd'hui, la question de l'énergie n'est pas réglée. Je pense que la maladie hollandaise, dont on parle assez peu au Canada, est quelque chose qui risque de nous toucher à mesure que les prix du pétrole augmentent. On a vu déjà une déstabilisation.

La maladie hollandaise — j'imagine que vous le savez parce que vous êtes sur le comité depuis quelque temps — c'est le fait que lorsqu'on investit trop, qu'il y a un secteur qui prend trop d'importance dans une économie, cela déstabilise l'essentiel de l'économie du pays, détruisant les autres industries parce que cela crée de l'inflation. Les salaires seront déséquilibrés et les investissements iront surtout dans un domaine.

Avec le développement des sables bitumineux, qui exige des investissements massifs et beaucoup de personnel — et avec le lien, par exemple, entre le prix du baril de pétrole et le dollar canadien — on voit que déjà il y a un coût ressenti par les provinces qui ne sont pas productrices d'hydrocarbures, entre autres, l'Ontario et le Québec qui sont des grands centres de développement industriel, et pour lequel on n'a pas vraiment entamé de discussions ou de débats.

Je pense que les gens sont conscients, mais il n'y a pas eu d'efforts pour dire ce que l'on doit faire, et si l'on attend que la crise frappe pour vrai ou non. Ce n'est pas clair.

Il faut aussi que le fédéral, pour une question d'unité nationale, soutienne la diversité et l'intégration des différentes sources d'énergie.

Encore une fois, le fédéral a mis l'ensemble, ou presque, de ses oeufs dans un panier, celui des hydrocarbures. Il a aussi pendant longtemps, mais c'est moins vrai maintenant, soutenu le développement de l'énergie nucléaire, qui a été financé en bonne partie par le fédéral, donc par l'ensemble des Canadiens. C'est une industrie qui est quand même centralisée en Ontario.

Il n'y a pas eu de soutien de la part du fédéral des autres sources d'énergie, c'est-à-dire, par exemple, des énergies renouvelables où le fédéral est très absent. Et en termes d'économie de l'énergie, de mise en place de normes on a toujours été à la remorque des États-Unis.

Si on regarde, par exemple, les normes sur les électroménagers, essentiellement on suit les normes américaines. C'est la même chose pour le secteur de l'automobile; on vient d'annoncer des normes qui sont pratiquement calquées sur celles des États-Unis.

Le président : Est-ce que c'est parce que le secteur du transport est de compétence fédérale, ce qui demande alors des réglementations à ce niveau?

M. Mousseau : Oui. En fait, on peut les avoir aux deux niveaux. Le Québec avait proposé d'adopter des normes pour les automobiles avant que le fédéral le fasse. Le fédéral a finalement adopté les mêmes normes que celles de la Californie.

Le président : Oui. Voilà pourquoi nous n'avons pas aujourd'hui d'uniformité entre les règlements du Québec, par exemple, et les autres règlements.

M. Mousseau : Oui, mais ce sont différentes normes aussi. Il y a des normes d'efficacité énergétique, mais il y a d'autres normes pour le port de la ceinture de sécurité ou autres.

Le président : Oui. Mais c'est une des barrières, si je comprends bien. Parce que quand M. Charest annonce, à titre d'exemple, de très bons règlements pour minimiser les GES, les gaz à effet de serre, c'est moins qu'on a ailleurs. C'est ce qu'on nous a expliqué. Peut-être que ce n'est pas vrai, mais on va voir.

M. Mousseau : En termes de normes, présentement on adopte les normes américaines.

Le président : Oui, across the board?

M. Mousseau : Pour le secteur de l'automobile, mais dans beaucoup d'autres secteurs. Et d'après moi c'est un peu le défi pour le Canada : on dispose de très grandes ressources énergétiques, on est un grand producteur énergétique, mais on est un nain en termes de positionnement à l'échelle internationale.

Le Canada se conduit comme une colonie aujourd'hui pour la valorisation de ses ressources énergétiques et pour sa position internationale dans le domaine de l'énergie. On dispose présentement des plus grandes ressources d'hydrocarbures au monde. On peut décider comment on les compte. Politiquement, on choisit de dire : «On a autant de pétrole, de réserves pétrolières que l'Arabie saoudite.»

En fait, si on inclut les développements à venir, il est certain qu'on dispose de ressources d'hydrocarbures beaucoup plus grandes que l'Arabie saoudite dans les sables bitumineux.

On dispose également d'uranium et d'autres ressources et, malgré tout, le Canada refuse de prendre un leadership mondial dans le domaine de l'énergie. On n'est associé à aucun grand groupe, même pas de près ou de loin, par exemple, avec l'OPEP. On est très loin des centres de décisions.

Essentiellement, comme dans beaucoup de domaines, le Canada a abdiqué à ce qui devrait être, en fait, un rôle de leadership au niveau mondial dans le développement. Et pourquoi? Parce que, premièrement, on a une politique de client unique : 99,7 p. 100 du pétrole exporté du Canada va vers les États-Unis. On ne peut donc pas avoir une politique de leadership mondial quand on a qu'un seul client; parce que, finalement, on est dépendant du client plus que le client est dépendant de nous.

À part l'hydroélectricité, essentiellement, l'ensemble des ressources énergétiques canadiennes sont contrôlées par des intérêts privés et très souvent étrangers. C'est-à-dire que le Canada a abdiqué tout rôle de développement de son industrie énergétique, soit directement ou via les provinces. Les provinces ne font pas un meilleur travail. Je ne veux pas juste critiquer.

Le président : D'après vous, c'est une abdication générale?

M. Mousseau : C'est une abdication historique.

Le président : Est-ce que c'est une abdication provinciale ou fédérale, ou les deux?

M. Mousseau : Les deux. Le Canada n'a jamais atteint une maturité politique, et ce n'est pas exclusif à ce domaine. On a quitté le giron de l'Angleterre pour adopter le giron des États-Unis, et sauf peut-être pour quelques périodes, on n'a jamais eu vraiment une politique nationale de leader. On est bien content de suivre.

Suite à l'Accord de libre-échange nord-américain, on a aussi réduit considérablement le contrôle qu'on peut avoir sur les hydrocarbures avec les clauses qu'on a signées dans le cadre de cet accord. Par exemple, le Canada n'a aucune réserve stratégique d'hydrocarbures. C'est-à-dire qu'on n'a pas de réserve d'essence, par exemple. On n'a pas de réservoirs. Si on avait un problème majeur, il faudrait qu'on se tourne vers les États-Unis pour nous assurer d'une fourniture en essence.

Les États-Unis a des réserves très importantes, près d'un milliard de barils en réserve, dont ils peuvent disposer. Ce sont des réserves stratégiques, ce qui leur permet de se mettre à l'abri de crises. Le Canada n'a pas cela.

Et à cause de l'ALENA, en fait, on serait incapable de construire une réserve rapidement parce qu'on est obligé d'exporter à peu près 80 p. 100 de notre pétrole vers les États-Unis, peu importe la situation économique, parce qu'on doit considérer les Américains comme des Canadiens, au terme de notre exportation de pétrole.

Or, par exemple, l'Est du pays, c'est-à-dire l'Ontario et le Québec, est très exposé au marché international du pétrole malgré nos ressources importantes et notre production importante. On produit 135 millions de tonnes de pétrole, à peu près, par année. On en consomme 90 millions, donc on devrait être correct, mais on en exporte 90 millions. On doit donc importer 45 millions de tonnes de pétrole annuellement.

De plus, le Canada n'a aucun géant énergétique. Les États-Unis n'ont pas une politique énergétique directe mais ils disposent de plusieurs géants, Exxon et autres, qui gèrent leur politique énergétique mondiale. En plus, les Américains sont très actifs à l'échelle internationale en ce qui a trait à la politique de l'énergie.

L'Angleterre et les Pays-Bas disposent du géant Shell; la Norvège dispose du géant Statoil, qui est possédée à environ 65 p. 100 par le gouvernement, bien que ce soit un géant privé formellement.

Le Canada n'a aucun géant. Encore une fois. on a abdiqué, si on veut, notre rôle de leader à l'échelle mondiale. Le Canada n'a pas réagi à ce qui est la plus grande révolution énergétique depuis longtemps, c'est-à-dire les gaz de schiste. Cela a fait chuter les prix du gaz naturel aujourd'hui à un quart des prix du pétrole en termes de densité, pour la même énergie. Donc, par gigajoule, aujourd'hui le gaz naturel est quatre fois moins cher que le pétrole. Du jamais-vu.

L'impact au Canada est immense. On l'a vu en Ontario, par exemple où l'on vient d'annoncer qu'ils allaient remplacer leurs centrales au charbon par des centrales au gaz naturel, alors qu'il y a quelques années encore on parlait de remplacer de telles centrales par de l'énergie renouvelable.

Cependant à 4,00 $, 4,50 $ le gigagjoule, il est absolument inconcevable de développer des énergies renouvelables. Le gaz naturel aujourd'hui est tellement peu cher qu'il n'y a rien qui peut lui faire concurrence sauf le charbon. Même au Québec, où on est en train de construire la Romaine, on la construit à 0,12 $, 0,10 $/0,12 $ le kilowattheure. Grosso modo, le gaz naturel produit de l'électricité à 0,05 $ le kilowattheure présentement au privé.

Il y a aussi la question des éoliennes. L'Ontario a eu un plan ambitieux, mais comment construire des éoliennes à 0,12 $/0,15 $ le kilowattheure si le gaz naturel est tellement peu cher aujourd'hui qu'on le vend à 0,05 $? C'est impossible.

On a vu un bouleversement majeur dans le domaine de l'énergie en Amérique du Nord, et qui touche toute la planète, et on n'a eu aucune réaction du fédéral. Or, cela touche directement notre capacité à faire concurrence, entre autres, pour les exportations de gaz naturel.

Les Américains ont produit plus de gaz naturel de schiste qu'ils en ont importé du Canada l'an dernier. Cela touche aussi directement notre capacité d'exporter du gaz naturel et notre capacité de développer cette ressource, que ce soit au Québec, au Nouveau-Brunswick, en Saskatchewan, en Colombie-Britannique, en Alberta et en Nouvelle-Écosse. Presque toutes les provinces sont touchées.

Est-ce qu'on est prêt pour le futur? L'essentiel de l'investissement en recherche sur les énergies renouvelables aujourd'hui va dans la captation du CO2. Or, le panier énergétique de l'avenir va être beaucoup plus vaste que simplement prendre du pétrole puis enlever le CO2, ou du charbon puis enlever le CO2.

Il faut que le Canada soit présent dans les autres énergies renouvelables non seulement pour des raisons technologiques, mais pour la compétitivité et le savoir.

Je suis un chercheur physicien et c'est quelque chose qui me préoccupe énormément. Je vois qu'on n'a pas de programme fédéral intelligent ou présent pour l'énergie solaire, l'énergie éolienne, les énergies de la biomasse de deuxième et troisième générations.

On a aussi très peu, en fait, des énergies couplées, c'est-à-dire hydro-éolien ou autres, ce qui pourrait se faire à travers les frontières des provinces.

On a aussi, au fédéral, confondu la production d'hydrocarbures et la protection de sa consommation nationale. La Norvège, qui est un grand producteur d'hydrocarbures, a dit : «Nous, on produit le pétrole pour l'exporter. Cela ne nous empêche pas d'être une économie verte.»

La Norvège dispose d'immenses ressources hydroélectriques et, essentiellement, 50 p. 100 de son énergie utilisée est renouvelable; comme le Québec d'ailleurs, 50 p. 100 seulement vient des hydrocarbures. En moyenne, mondialement 85 p. 100 de l'énergie vient des hydrocarbures.

Il n'y a donc rien qui justifie que le Canada aujourd'hui ait une politique qui défende l'utilisation des hydrocarbures contre les autres sources d'énergie, comme on l'a présentement. On doit viser l'exportation. Le marché, la demande mondiale d'hydrocarbures, est là.

Si le Canada décidait d'être vert mur à mur et de ne pas utiliser une seule molécule de pétrole, on pourrait vendre toute notre production à l'étranger sans aucun problème. La Chine est prête à le recevoir. On a un marché international dans le pétrole. On met le pétrole dans un bateau, il va se rendre quelque part. Il n'y a pas d'inquiétude.

Le président : Une telle politique, quand même, n'est pas verte, la production de ces ressources pour l'exportation.

M. Mousseau : La production, non. Je suis d'accord.

Le président : Ce n'est pas vert mur à mur.

M. Mousseau : Je suis d'accord. C'est un peu la même chose pour la Norvège, mais il y a certainement moyen de travailler là-dessus. Toutefois, je pense que cela ne justifie pas le fait que le fédéral se soit opposé à mettre des mesures d'efficacité énergétique sur les voitures qui soient plus strictes que celles des États-Unis. Il n'y a aucune justification. On sent au fédéral le besoin de défendre l'industrie pétrolière en disant que nous en avons besoin et qu'il faut qu'elle soit utilisée ici. Les Canadiens, contrairement aux Vénézuéliens, paient le pétrole le prix du marché mondial. En défendant le pétrole et l'utilisation canadienne, en fait, le fédéral ne défend pas les Canadiens, ne les protège pas contre des prix élevés. Et cela aussi, c'est grave : pour soutenir une industrie, le gouvernement est prêt à faire payer tous les Canadiens plutôt que de les protéger en mettant des infrastructures, en diminuant la consommation d'énergie, ou en cofinançant, par exemple, le transport en commun.

On peut mettre des normes sur les automobiles, qui se rapprochent de celles de l'Europe, par exemple, plutôt que de celles des États-Unis, et en poussant vers une diminution et une protection du pouvoir d'achat des Canadiens. Ce qu'on ne fait pas présentement. Il faut viser l'exportation si l'on veut produire ces énergies.

Le fédéral a des leviers qui n'empiètent pas sur les juridictions provinciales : des investissements en recherche, des normes dans le transport, des normes d'efficacité énergétique, soutien au transfert vers des énergies propres, taxe sur le carbone. La seule façon de contrôler quelque chose, c'est de lui mettre un prix, mais il faut le faire.

En ce qui a trait au soutien au secteur des énergies renouvelables, il est peut-être temps qu'on soutienne d'autre chose que les hydrocarbures au fédéral par les soutiens directs et indirects dans les impôts et dans le financement direct. L'hydroélectricité a reçu zéro soutien du fédéral. Pourquoi alors que, par exemple, le nucléaire a été financé à coup de milliards et continue de l'être?

L'Ontario nous dit : «Nous, on voudrait bien avoir des nouvelles centrales nucléaires pour remplacer les vieilles, mais pour ce faire, il faudra que le fédéral paie.» Le fédéral, c'est-à-dire l'ensemble des Canadiens, paie pour construire des centrales nucléaires alors que ce n'est pas le cas pour les autres sources d'énergie.

Je pense aussi que le Canada doit devenir un joueur majeur à l'échelle internationale. Ce n'est pas facile parce que cela demande quand même un changement majeur de politique au fédéral. Il faut absolument que le gouvernement joue son rôle. Et pour ce faire, on doit développer une nouvelle approche en termes de clients. Il faut qu'on diversifie de manière importante nos clients pour être capables de devenir indépendant des États-Unis sur la question énergétique, parce que cela a beaucoup trop d'impact pour qu'on soit simplement des serviteurs serviles des États-Unis.

Il faut nous protéger. Je dirais qu'une politique nationale de l'énergie est essentielle pour protéger les Canadiens dans un marché de l'énergie très volatile, afin de permettre le développement d'un panier diversifié d'offres énergétiques et garder le Canada dans la course à la création d'une énergie plus verte. Alors que la Chine, la Corée, entre autres, investissaient des sommes astronomiques dans le cadre de leur plan de soutien à l'économie, avec la récession, dans les énergies vertes, le Canada s'est contenté de construire des routes et des ponts, d'investir dans des édifices, mais sans mettre d'argent dans le développement des énergies vertes. Et cela, c'est une perte.

On a déjà de ce fait pris de l'arrière par rapport aux compétiteurs, et ça continue. Présentement on ne fait même pas du surplace; le Canada recule, et ce n'est pas une situation qui est tenable, à mon avis.

Le président : Monsieur Mousseau, nous comprenons bien votre perspective. J'aimerais simplement mentionner que le Sénat fait partie de système fédéral, mais la grande partie de notre mandat, comme sénateurs indépendants, c'est de protéger, de promouvoir et de défendre les intérêts provinciaux parmi d'autres. C'est exactement pourquoi nous avons démontré un certain leadership en initiant cette étude, parce que nous reconnaissions les mêmes situations dont vous venez de discuter. C'est un dialogue dans lequel nous nous sommes engagés avec vous tous afin de soulever ces questions très importantes. C'est au moins un petit commencement.

M. Mousseau : Oui. Je reconnais que ce n'était pas très original.

Le président : Je vous remercie de votre présentation. Je pense qu'au lieu de passer tout de suite aux questions, j'aimerais entendre les présentations de tous les témoins. Je laisse la parole est au professeur Pierre-Olivier Pineau.

[Traduction]

Pierre-Olivier Pineau, professeur agrégé, Département des sciences de la gestion, HEC Montréal : Merci beaucoup. J'ai déjà comparu devant votre comité en avril dernier et je suis heureux d'avoir l'occasion de le faire à nouveau.

Je vous remercie de m'avoir invité encore une fois. Je vous félicite pour votre rapport provisoire que j'ai beaucoup apprécié. J'estime qu'il est excellent et j'ai bien hâte de voir le produit final.

Ma déclaration sera moins longue que la dernière fois et je serai aussi plus bref que M. Mousseau, car je ne crois pas avoir tellement de choses à ajouter par rapport à ce qui a déjà été dit. J'ai quelques diapositives au sujet de la collaboration pancanadienne en matière d'énergie, une question extrêmement importante et tout à fait pertinente au sujet de votre étude.

J'ai trois points principaux à faire valoir. Je crois qu'il y a une volonté de collaboration au Canada et je vous citerai à cet effet quelques exemples des nombreux groupes qui sont en faveur d'une plus grande collaboration. J'estime en outre que le gouvernement fédéral peut diriger l'opération. C'est un élément essentiel qu'il est bon de rappeler à tous et je vais reprendre quelques exemples déjà cités par M. Mousseau. Il y a toutefois des difficultés à surmonter et si nous voulons y parvenir, il est primordial de bien comprendre en quoi consistent ces difficultés et quels obstacles se dressent devant une collaboration accrue. C'est d'ailleurs le sujet de ma dernière diapositive.

Je vous dirais d'abord que de nombreux groupes au Canada préconisent une collaboration plus soutenue en faveur d'un cadre national ou même d'une politique énergétique canadienne. J'ai une diapositive où figurent une partie de ces organisations parmi lesquelles on retrouve de nombreux groupes de réflexion, mais aussi des entités et des associations du secteur de l'énergie. Même Ressources naturelles Canada a soutenu en 2005 qu'un accroissement des activités commerciales pour la transmission d'électricité serait profitable pour tous au Canada.

Il est très important que le Sénat puisse, par l'entremise de votre comité, prendre conscience du fait que l'effort de collaboration doit passer par la mobilisation de nombreux groupes et individus, de telle sorte que vous puissiez les intégrer au processus et compter sur le maximum d'alliés possible.

Tout récemment, la Fondation David Suzuki, l'Académie canadienne du génie et la Fondation familiale Trottier ont lancé le Projet Trottier pour l'avenir énergétique qui permettra d'étudier la situation canadienne dans son ensemble afin de déterminer sur quels systèmes énergétiques on devrait miser. Grâce au travail soutenu des ingénieurs affectés au projet et à l'étroite contribution de la Fondation David Suzuki, on souhaite en arriver à un cadre national pour l'énergie au Canada.

Ces efforts vont directement dans le sens du Winnipeg Consensus, dont vous avez sans doute entendu parler, une initiative lancée en Alberta qui mobilise maintenant des intervenants de partout au Canada, toujours en faveur d'un cadre énergétique pancanadien. Lorsqu'un tel cadre est souhaité à la fois par des groupes aussi diversifiés que la Fondation David Suzuki et les producteurs pétroliers de l'Alberta, je crois qu'on peut espérer que l'initiative sera couronnée de succès. Bien qu'il persiste certains obstacles que je vous mentionnerai tout à l'heure, le fait demeure que les Canadiens veulent une action concertée semblable dans le secteur de l'énergie.

Le gouvernement fédéral peut jouer un rôle important à ce chapitre. Cela m'amène à vous parler encore une fois de l'Accord sur le commerce intérieur (ACI). J'y ai déjà fait allusion lors de ma comparution en avril, mais il y a certains faits nouveaux. Si vous vous souvenez bien, cet accord vise la surveillance du commerce intérieur au Canada, et l'énergie est bien évidemment l'un des secteurs visés. Cependant, le chapitre de l'accord à ce sujet est muet. À toutes fins utiles, il n'y a aucune règle régissant les échanges énergétiques dans le cadre de l'ACI au Canada.

En janvier de cette année, une ébauche de ce chapitre a été rédigée et nous devons nous assurer qu'il favorise effectivement l'accroissement des échanges énergétiques, surtout dans le secteur de l'électricité, au Canada. Comme je vous l'ai déjà indiqué, si nous souhaitons une meilleure répartition de nos ressources énergétiques, nous devons intensifier les échanges commerciaux entre les provinces de telle sorte que l'hydroélectricité des provinces les mieux nanties en la matière puisse être vendue à celles qui sont moins bien pourvues, ce qui permettra à ces dernières de moins recourir au charbon et au gaz naturel pour produire leur électricité. Tout le monde en sortirait gagnant; tout le monde ferait plus d'argent. En fait, tout le monde serait plus riche si nous augmentions nos échanges, surtout dans le domaine de l'électricité.

Le président : Concernant ce chapitre rédigé récemment, est-ce le fruit de la réunion des ministres provinciaux de l'énergie et des ressources qui s'est tenue à l'occasion du Congrès mondial sur l'énergie, ou est-ce que ça origine d'ailleurs?

M. Pineau : On ne peut pas vraiment savoir d'où vient l'initiative et je n'ai moi-même pas lu l'ébauche de chapitre en question. Je ne crois pas qu'elle ait été rendue publique.

Le président : Qui l'a rédigée?

M. Pineau : Il s'agit probablement des délégués de ces ministres provinciaux de l'énergie. Ils ont un site Web d'où je tire mon information. Je ne suis pas dans le secret des dieux; je consulte simplement le site pour voir s'il y a eu des progrès. On devrait mettre davantage en lumière les initiatives semblables de telle sorte que nous pussions faire valoir que des progrès ont été réalisés.

Nous sommes en train de négocier un accord de libre-échange avec l'Union européenne, mais il n'y a même pas de libre-échange à l'intérieur du Canada. Il est tout à fait illogique que nous négocions avec d'autres pays alors même qu'il n'y a pas de libre-échange énergétique entre nos propres provinces. C'est un élément clé. Le libre-échange énergétique à l'intérieur du Canada est l'une des composantes fondamentales du cadre global. Nous ne pourrons jamais avoir un cadre énergétique pancanadien, si les provinces ne peuvent pas s'échanger librement de l'énergie entre elles.

Le président : Ce n'est pas non plus uniquement une question d'énergie; il y a bien d'autres produits.

M. Pineau : Tout à fait. Je pense notamment à la main-d'œuvre. Mais comme je comparais devant le comité de l'énergie, je me suis limité à cet aspect-là. Le gouvernement fédéral pourrait exercer un peu plus de pression en faveur d'une initiative semblable.

M. Mousseau a déjà traité des problèmes réglementaires liés à la consommation de carburant par les véhicules, et j'aimerais y revenir. Dans son analyse des coûts et avantages des nouvelles règles, des nouvelles normes d'émission des véhicules, Environnement Canada a démontré que les avantages de la mise en œuvre des normes actuelles étaient trois fois plus élevés que les coûts. Ainsi donc, l'application des normes plutôt timides à notre disposition rendrait les Canadiens trois fois plus riches par rapport à ce qu'ils auront à débourser pour acquérir les nouvelles technologies.

Je me demande donc pourquoi le gouvernement canadien ne met pas en œuvre des normes encore plus rigoureuses, car celles-ci permettraient des gains encore plus importants. C'est exactement ce qu'Environnement Canada a démontré grâce à son analyse coût-avantage. Les économies d'énergie résultant de l'application de normes réglementaires plus strictes relativement à la consommation seront également plus avantageuses du point de vue financier. C'est une constatation que nous ne devons jamais perdre de vue. En économisant de l'énergie, en réduisant sa consommation, le Canada deviendra un pays plus riche.

Le gouvernement canadien pourrait prendre l'initiative sur le front des transports en déterminant qu'il veut en faire plus que les États-Unis et s'aligner davantage sur le modèle de l'Union européenne, dans le but de faire du Canada un pays mieux nanti et d'aider les Canadiens à économiser. Il y a des calculs qui semblent échapper à certains Canadiens qui arrivent difficilement à comprendre qu'en payant un peu plus pour un véhicule plus efficient, ils économiseront beaucoup plus au long de la durée utile de ce véhicule. Il y a bien des façons d'économiser et si nous souhaitons améliorer le sort des Canadiens, nous devons parfois leur donner un peu petit coup de pouce en mettant en œuvre des règlements qui les aident à prendre les bonnes décisions.

Cela n'empêche pas le gouvernement canadien d'appliquer également une taxe sur le carbone et d'offrir bien d'autres incitatifs commerciaux, mais il arrive que la voie réglementaire soit tout à fait acceptable. C'est d'ailleurs ce que nous faisons déjà. Alors, pourquoi ne pas miser sur des normes rigoureuses qui bénéficieront à tous?

J'aimerais terminer en parlant des obstacles se dressant devant ces réformes et des moyens à mettre en œuvre pour accroître la collaboration entre les Canadiens. Les consommateurs ayant accès à de l'hydroélectricité bon marché figurent parmi les principaux groupes qu'il sera difficile de convaincre de la pertinence d'une intensification des échanges d'électricité, un élément clé dans l'établissement d'un cadre de collaboration pancanadien. C'est ce que nous pouvons constater au Québec où la résistance est très forte lorsqu'il est question d'augmenter les prix. Si les prix de l'électricité demeurent faibles au Québec, nous ne pourrons jamais en vendre ailleurs. C'est la même chose en Colombie-Britannique et au Manitoba. Les gens de ces provinces ne vont pas accepter facilement une hausse de prix. Il existe toutefois des façons d'augmenter les prix en s'assurant l'assentiment des consommateurs.

Notez par exemple ce qui se passe en Iran. Je sais que c'est un pays très lointain qui ne semble pas nécessairement pouvoir nous servir d'exemple, mais considérons que le prix de l'essence y a été multiplié par quatre en décembre. On a en effet décidé de supprimer les subventions sur l'essence et le prix a augmenté instantanément en conséquence. Parallèlement à cela, le gouvernement a versé un montant équivalent à 80 $ directement dans le compte bancaire de tous les Iraniens. On a dit aux Iraniens qu'ils allaient recevoir des transferts semblables à tous les deux mois par la suite.

Voilà donc un exemple d'une approche économique très brillante pour faire en sorte que la population accepte une hausse de prix. On verse l'équivalent en paiements de transfert aux consommateurs ou à l'ensemble de la population de telle sorte que personne ne se plaigne. C'est ce qu'on pourrait faire au Québec, au Manitoba et en Colombie- Britannique. Les gens vont accepter de payer un prix plus élevé pour leur électricité si, en échange, on leur verse un paiement direct. Dans une certaine mesure, l'Alberta a déjà effectué des transferts semblables lorsque le prix du gaz naturel était élevé. Les gens acceptent alors de payer un peu plus. Il existe des moyens novateurs de faire évoluer les politiques de manière à changer le système. Il faut se monter créatifs, et si l'Iran est capable de le faire, je pense que le Canada le peut tout aussi bien.

C'est le premier obstacle que nous devons franchir pour apporter des changements. Si des mesures favorisant l'efficience énergétique permettent de libérer davantage d'hydroélectricité au Québec, au Manitoba et en Colombie- Britannique, de plus grandes quantités d'électricité pourront être vendues en Alberta, en Saskatchewan et en Ontario, ce qui ne fera pas le bonheur des producteurs de ces provinces. Ainsi, les producteurs d'électricité albertains ne verront pas d'un bon œil les importations massives d'hydroélectricité bon marché en provenance de la Colombie-Britannique. Il nous faut donc gérer ces zones de résistance. Il faut s'assurer que ces producteurs trouvent le moyen de limiter leurs pertes. Je n'ai pas de solution miracle. Ils devront accepter le fait que leur secteur évolue et que l'accroissement des échanges les exposera à une concurrence plus vive qui fera baisser leurs ventes s'ils n'arrivent pas à réduire leurs coûts.

Il faut toutefois noter qu'en dépit de leur marché de l'électricité moins réglementé, l'Alberta et l'Ontario ne se réjouiront pas d'un accroissement de l'offre en provenance d'autres provinces. C'est plutôt paradoxal. On trouve dans ces provinces davantage de commerce intérieur et un régime plus concurrentiel, mais des fournisseurs des autres provinces n'y sont pas les bienvenus. Nous devons en tenir compte.

En outre, nous devrons nous assurer que les fournisseurs de produits pétroliers raffinés ne feront obstacle à aucun de ces changements dans le contexte de l'évolution planétaire qui entraînera une baisse d'utilisation de leurs produits. Il y a d'ailleurs un lobby en faveur de normes d'efficience peu rigoureuses pour les véhicules.

Si le gouvernement fédéral n'a pas mis en œuvre des normes plus strictes en matière d'efficience des véhicules, c'est en raison des pressions exercées par l'industrie de l'automobile et, dans une certaine mesure, peut-être aussi par le secteur des produits pétroliers raffinés. C'est un élément que nous devons prendre en compte en sachant bien que certains autres groupes ne sont pas aussi puissants et aussi bien représentés. Il faut défendre les intérêts généraux des Canadiens et mettre en œuvre des normes plus rigoureuses, même si aucun puissant lobby n'exerce de pressions en ce sens.

J'ai essayé d'être aussi bref que possible. Si vous avez des questions, je me ferai un plaisir d'y répondre.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Pineau. Tout cela était fort intéressant et je suis persuadé que nous aurons des questions. J'ai déjà d'ailleurs une longue liste de sénateurs qui souhaitent intervenir.

[Français]

Nous passons maintenant à M. Benoit Gratton, le président du conseil de l'Association des consommateurs industriels de gaz, directeur de l'Approvisionnement pour Cascades inc., une usine multinationale de fabrication de produits d'emballage et de papiers fins. Je crois que vous nous avez fait parvenir deux documents.

Benoit Gratton, président du conseil de l'Association des consommateurs industries de gaz, directeur de l'Approvisionnement, Groupe Cascades : Vous avez reçu deux documents. Le mémoire et le SlideDeck PowerPoint.

Le président : Parfait. Vous avez la parole, monsieur Gratton.

M. Gratton : Merci beaucoup, monsieur le président.

[Traduction]

Je vais vous présenter la plus grande partie de mon exposé dans ma langue maternelle, mais je note au bénéfice de tous que je vous ai fourni le texte ainsi qu'une présentation PowerPoint dans les deux langues officielles. Je pourrai également répondre ensuite à vos questions, en anglais comme en français.

[Français]

C'est un honneur pour moi de pouvoir comparaître ce matin et vous présenter notre vision de l'énergie en tant que consommateur industriel, mais aussi en tant que représentant d'une entreprise canadienne qui a fait preuve de leadership en développement durable depuis 1964.

Je suis un passionné de l'énergie et j'en ai fait ma carrière depuis 22 ans. Déjà en 1988, je travaillais à un projet de conversion au gaz naturel de moteurs d'autobus urbains à l'École polytechnique de Montréal. Je suis responsable de l'approvisionnement d'énergie chez Cascades depuis 2002.

Cascades est une entreprise canadienne dont le siège social est situé à Kingsey Falls au Québec et qui emploie environ 12 500 personnes dans une centaine d'unités de production à travers le monde. Elle se spécialise dans l'emballage et les produits de papier tissu principalement faits de fibres recyclées.

Le président : Pour la connaissance de mes collègues qui viennent de d'autres provinces, Kingsey Falls est située où dans la province?

M. Gratton : Kingsey Falls est située à mi-chemin entre Québec et Montréal, environ 50 kilomètres au sud de Drummondville.

Le président : Effectivement, dans l'Estrie?

M. Gratton : Dans le coeur du Québec, oui.

Parmi les produits fabriqués par Cascades, on retrouve les mouchoirs, papiers hygiéniques, essuie-tout, essuie- mains, les emballages de carton et carton ondulé, les papiers spécialisés comme le papier sécuritaire, et des emballages de toutes sortes.

À l'instar d'autres acteurs de l'industrie des pâtes et papiers, Cascades est une grande consommatrice d'énergie, principalement d'électricité et de gaz naturel.

Mes activités chez Cascades m'ont amené à m'impliquer dans l'Association des consommateurs de gaz naturel, l'ACIG ou, en anglais, l'IGUA, Industrial Gas Users Association. Cette association, dont le siège social est basé à Ottawa, représente les intérêts des grands consommateurs de gaz du Québec, de l'Ontario et du Manitoba.

Je suis actuellement président du conseil d'administration de l'ACIG, qui regroupe environ 35 compagnies membres. Nous veillons, entre autres, à assurer à ce que les conditions de transport et distribution de gaz naturel soient équitables et nous faisons des représentations auprès d'organismes de réglementation, comme la Régie de l'énergie, l'Ontario Energy Board, et au fédéral, bien sûr, l'Office national de l'énergie.

Je suis particulièrement satisfait de voir qu'un comité sénatorial se préoccupe de l'énergie. En effet, l'énergie a connu depuis plus d'un siècle un rôle prépondérant dans le développement économique, et voici pourquoi.

D'abord, les faibles coûts d'énergie attirent ou retiennent les entreprises manufacturières. Ces entreprises sont souvent le moteur de toute une économie qui se développe autour d'elles. On peut penser à la construction d'usines, à la construction de logements pour leurs employés, aux entreprises de services qui vont se développer autour des usines et de leurs employés pour leurs besoins personnels, et, finalement, les impôts dont toute la société profitera.

Avec la mécanisation et l'énergie on augmente la productivité des usines en améliorant la quantité de biens produits ou exportés, générant par le fait même encore plus de richesse collective.

Cependant, vous ne verrez pas en moi un utilisateur d'énergie irresponsable. S'il est vrai que l'énergie amène une économie prospère, il n'est aucunement question de la gaspiller, ni de mal l'utiliser.

La page 5 vous montre les émissions de carbone depuis 1980 jusqu'à aujourd'hui. Les émissions de carbone dues à l'utilisation des combustibles fossiles n'ont cessé de progresser sur la planète depuis des décennies. Si la tendance est à l'amélioration depuis quelques années dans les pays industrialisés, il n'en est rien lorsqu'on regarde les émissions des pays asiatiques qui croissent à un rythme effarant.

Nous devons réduire notre utilisation et utiliser plus efficacement toute l'énergie disponible. Je crois que madame la greffière vous a aussi passé cette page qui montre les émissions de carbone à travers le monde pour les différents pays. Le Canada se retrouve au septième rang. Et à peu près tous les pays du monde ont réussi à réduire leurs émissions de carbone. Par contre, en Chine, on voit qu'il y a eu une augmentation de 13 p. 100, entre 2008 et 2009, et c'est toujours en croissance.

À la page 6, je vais revenir à Cascades et vous montrer ce qu'on a pu faire, de quelle façon on a fait notre part pour réduire nos émissions de carbone.

Depuis 1964, Cascades a sans cesse innové en termes de développement durable, et c'est encore le cas aujourd'hui. Cascades s'intéresse aux trois aspects du développement durable : social, environnemental et économique.

À la page 7, nous retrouvons nos procédés de fabrication de papier, principalement à partir de fibres recyclées qui évitent l'utilisation de pas moins de 37 millions d'arbres à chaque année. Les arbres ainsi épargnés continuent donc d'absorber le CO2 et compensent une partie des gaz émis par la combustion d'énergie fossile.

Cascades a réussi à réduire sa consommation d'eau à seulement dix mètres cubes par tonne métrique de papier fabriqué. C'est six fois moins que la moyenne de l'industrie canadienne. Finalement, comme la valorisation des déchets fait partie intégrante de la culture de l'entreprise, nous valorisons aussi nos résidus de fabrication de façon à limiter au maximum l'envoi de déchets aux lieux d'enfouissement.

À la page 8, dès 1998, Cascades a innové en mettant sur pied un groupe d'intervention en énergie. Un groupe formé d'ingénieurs qui travaillent à temps plein à améliorer l'efficacité énergétique des usines. Parmi les réalisations, mentionnons seulement la récupération de la chaleur, la réduction de la consommation d'eau, les améliorations portées à l'éclairage, à l'amélioration de l'enveloppe des bâtiments et des systèmes de chauffage, ventilation et climatisation.

Quelques années plus tard, Cascades a créé un fonds en efficacité énergétique. Ce dernier a crû au fil des années en remboursant les investissements à même les économies générées par les usines qui l'utilisaient. Tout cela a été fait à l'interne, sans subventions externes.

Le président : Accordez-vous des incitatifs à vos employés pour motiver une telle réussite?

M. Gratton : Oui. L'efficacité fait partie de la culture de l'entreprise. Il y a plusieurs outils de promotion d'efficacité, que ce soit publicité, prix de reconnaissance, et tous les employés ont vraiment cela à coeur chez nous.

Le président : C'est très impressionnant ce que vous avez réussi.

M. Gratton : Merci. À la page 9, un mot sur le développement des nouvelles énergies.

Il est clair que le Canada est un joueur important dans les énergies traditionnelles. Ce qui est moins visible et qui doit être développé, c'est la compétence et l'innovation dont on sait faire preuve en efficacité énergétique, en développement de nouvelles énergies et en développement d'énergies vertes.

Il faut cependant faire attention. Ces nouvelles énergies ne pourront pas remplacer du jour au lendemain toutes les formes d'énergie. Les nouvelles formes d'énergie ont souvent un coût élevé. Et lorsque ce coût élevé rend les industries canadiennes moins compétitives, elles risquent de délocaliser et s'installer là où l'énergie est plus abordable.

Par ailleurs, certains projets sont tout à fait rentables et doivent être encouragés. Nous devons toutefois commencer par faire un meilleur usage de l'énergie.

Le président : C'est très intéressant. Nous avions des témoins, soit ici, soit en Colombie-Britannique qui ...

[Traduction]

Ils soutiennent que les politiques vertes en matière de gestion et de production permettent directement de réaliser des gains et que le principal incitatif est bien sûr...

M. Gratton : Les économies qu'on peut en tirer.

[Français]

Le président : Avez-vous constaté cela?

M. Gratton : Oui, absolument.

[Traduction]

Le président : C'est l'un des éléments moteurs de votre politique.

[Français]

M. Gratton : Oui. On devrait dire qu'à Cascades, on dit :

[Traduction]

« Nous étions verts avant même que le vert soit à la mode. »

[Français]

C'est un peu la philosophie de l'entreprise. Il faut dire que les frères Lemaire ont commencé l'entreprise en allant travailler au dépotoir, et sortir ce qui était valorisable des dépotoirs. C'est comme cela que, petit à petit, ils ont décidé de s'installer dans le recyclage du papier et faire du papier à partir des vieux papiers qu'ils allaient chercher au dépotoir.

[Traduction]

Le président : Il parle des frères Lemaire, qui sont les fondateurs et les actionnaires principaux, même s'il s'agit maintenant d'une société ouverte.

M. Gratton : Oui, mais ils possèdent encore environ 30 p. 100 des actions.

Le président : Oui. Ils ont donc été des visionnaires dans ce domaine.

M. Gratton : Tout à fait.

Le président : Merci. Poursuivez.

[Français]

M. Gratton : Une quantité énorme d'énergie est rejetée sous forme de chaleur par toutes les usines de production d'électricité nucléaire et thermique. Pourtant, pendant qu'on dissipe cette chaleur dans l'air ou dans l'eau il existe, à quelques kilomètres, des centaines de maisons et de commerces qui brûlent l'énergie fossile pour se chauffer.

Les entrepôts frigorifiques et des dizaines d'autres utilisateurs industriels doivent dissiper des surplus de chaleur alors que cette chaleur pourrait être utilisée aux fins de chauffage de l'eau ou de l'air. Finalement, l'énergie doit être au coeur des nouveaux développements urbains : circulation du froid et du chaud, optimisation des transports et ainsi de suite.

Un dernier exemple de meilleure utilisation de l'énergie — et M. Pineau en a parlé un peu tantôt — le gaz naturel qui sert à produire l'électricité en Ontario avec une efficacité globale, au mieux, de 50 à 60 p. 100 et qui pourrait remplacer l'électricité au Québec comme source de chauffage avec des appareils qui ont un rendement supérieur à 92 p. 100 d'efficacité. L'hydroélectricité ainsi économisée, cette énergie noble pourrait alors servir comme force motrice en Ontario ou ailleurs.

Voyons à la page 11 quelques exemples d'utilisation d'énergie récupérée chez Cascades.

D'abord, à environ huit kilomètres de l'usine Cascades Groupe Papiers Fins inc, division Rolland, de Saint-Jérôme, se trouve un dépotoir de déchets propriété de Waste Management. Le processus de décomposition des déchets entraîne la formation de méthane, la même molécule CH4 qui est le constituant principal du gaz naturel.

Cascades s'est entendue avec Waste Management et Gaz Métro pour récupérer ces biogaz au site d'enfouissement, les transporter vers l'usine et les récupérer comme combustible de chauffage. Ils sont utilisés depuis 2005 en remplacement du gaz naturel. Il y a donc un double impact : on réduit notre consommation de gaz et on évite les émanations de méthane à l'atmosphère. Le méthane est un gaz à effet de serre qui a 21 fois plus d'impact que le CO2.

Dans le même ordre d'idées, on avait une usine située près d'un incinérateur à déchets dans la région de Toronto. Ce dernier rejetait des quantités énormes de chaleur à l'année, alors que nous consommions d'énormes quantités de gaz naturel pour la fabrication du papier. Nous avons installé une ligne d'alimentation de vapeur qui conduit la chaleur de l'incinérateur vers notre usine de production de papier. Nous avons fait une installation semblable aussi dans la région de Vancouver.

Finalement, à Kingsey Falls, Cascades a été pionnière au Canada en installant, en 1991, une usine de cogénération qui, avec du gaz naturel, produisait de l'électricité et utilisait les rejets de chaleur pour le séchage de papier dans trois usines. Comme vous le voyez, il existe des moyens de mieux utiliser notre énergie et rendre nos entreprises plus compétitives, tout en protégeant l'environnement.

À la page 12, on pose la question : faut-il alors promouvoir les programmes de subvention à l'efficacité énergétique?

Malheureusement, ces programmes ont parfois été peu efficaces. Ils ont coûté cher à administrer et ont parfois servi à des utilisateurs qui auraient fait les projets quoi qu'il en soit. Ils ont parfois encouragé des projets qui avaient peu de sens puisque affublés de périodes de retour sur l'investissement trop longues.

Par exemple, le programme du Fonds Vert au Québec a coûté à Cascades et Boralex près de 1 million de dollars par année depuis 2008. C'est donc plus de 3 millions de dollars que nous avons dépensés dans ce fonds et qui auraient grandement bénéficié à nos usines si nous avions pu l'investir dans nos propres mesures d'efficacité énergétique.

Il faut éviter de confondre le coût de l'énergie avec les programmes sociaux. Nous avons démontré, en début de présentation, l'importance du coût de l'énergie sur notre compétitivité mondiale. Toute charge spéciale imposée aux payeurs d'énergie pour supporter les programmes sociaux viendra automatiquement réduire notre compétitivité et, par ricochet, le nombre d'usines et d'emplois, et la participation aux coûts sociaux de l'État. Il est donc essentiel de garder les deux budgets distincts et d'aider les plus démunis à partir du trésor réel.

En terminant, à la page 13, un mot sur notre principale infrastructure de transport de gaz naturel, le réseau TransCanada.

Nous voyons, depuis quelques années, déjà une augmentation significative des coûts de transport de gaz naturel au Canada. Les coûts de transport et de distribution au Québec et en Ontario peuvent représenter jusqu'à 50 p. 100 des coûts totaux d'un utilisateur industriel de gaz naturel.

Le réseau TransCanada a une capacité de près du double des besoins actuels et prévisibles. Dans l'industrie privée, une surcapacité se solde par la réduction de capacité et, éventuellement, par une radiation d'actifs.

TransCanada continue à faire absorber l'ensemble de ses coûts, y compris un taux de rendement sur les actifs inutiles, par les utilisateurs finals. La seule façon de mettre fin à cette pratique est de participer aux audiences de l'Office national de l'énergie.

L'ACIG est le seul représentant des consommateurs finals de gaz naturel. Son budget est limité, contrairement à TransCanada qui inscrit ses coûts de représentation dans sa base tarifaire.

Il existe une méthode de remboursement des coûts de représentation des participants provinciaux qui permet à l'ACIG de récupérer ses coûts de représentation. Votre appui pour l'application d'une pratique semblable au fédéral serait non seulement apprécié, mais il permettrait un meilleur développement du transport du gaz au Canada.

En conclusion, j'aimerais vous remercier pour votre attention, vous rappeler que l'énergie est un enjeu majeur pour les utilisateurs industriels, et que nous demeurons à votre service pour vous guider dans le choix des stratégies énergétiques au pays.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Gratton. C'est une autre présentation très utile et très impressionnante. Votre entreprise semble être un leader dans ces démarches. C'est excellent.

Voici donc la période de questions. J'ai une liste de noms des sénateurs qui veulent poser des questions et je procède comme d'habitude avec le vice-président en premier.

Le sénateur Mitchell : Merci beaucoup à vous tous pour vos présentations, c'était très intéressant, je l'apprécie et je sais que tous mes collègues apprécient aussi.

[Traduction]

Ma première question s'adresse à M. Gratton, mais vous pouvez tous intervenir. Les répercussions économiques négatives constituent l'un des principaux éléments controversés lorsqu'il est question de lutte contre les changements climatiques. De nombreux faits probants indiquent qu'il n'y aura pas de telles conséquences, mais bien des gens croient qu'il y en aura. Votre exposé sur l'expérience de votre entreprise vient directement contrer les opinions en ce sens en faisant valoir que les efforts déployés pour réduire les émissions de toutes sortes et réaliser des gains d'efficience sont bons pour les affaires. C'est manifestement le cas au sein de votre industrie.

Dans une perspective plus générale, pourriez-vous nous dire comment cela pourrait s'appliquer également aux autres industries? Pourriez-vous aussi nous parler — et c'est peut-être une réalité plus difficile à saisir — des industries qui risquent d'être plus touchées par rapport à d'autres? Croyez-vous que cela s'applique à toutes les industries — assurément en tout cas dans le secteur manufacturier? Qu'en est-il du secteur énergétique, de l'industrie pétrolière, par exemple, dans ma province?

M. Gratton : Je crois que l'efficience énergétique sera bénéfique pour tous les Canadiens et non seulement pour certains secteurs en particulier. Par exemple, nous achetons la chaleur résiduelle récupérée de l'incinérateur. Nous payons pour cette chaleur et l'incinérateur en tire des revenus. Par le fait même, nous réduisons nos propres émissions de gaz à effet de serre. Alors, c'est rentable sur tous les plans.

Si toutes les industries en viennent à pouvoir ainsi récupérer leur chaleur résiduelle au profit d'autres Canadiens qui en ont besoin, parfois même si elle est de moindre qualité, pour le chauffage d'édifices commerciaux ou de même de résidences, c'est une activité qui permettra de créer de la valeur. Par ailleurs, pour ce qui est de l'économie canadienne et de l'importance des activités de production et d'exportation de pétrole ou de gaz naturel, je crois que la demande pour ces deux types d'énergie n'a jamais cessé de croître.

L'an dernier, la Chine a devancé les États-Unis quant au nombre d'automobiles vendus au cours de l'année. Il y a toutefois encore un milliard de Chinois qui attendent d'acquérir leur propre véhicule. Je pense donc que la demande pour le pétrole et le gaz va continuer à croître et que nous ne mettons pas en péril notre industrie de production en assurant une plus grande efficience dans la consommation.

M. Pineau : Je voulais seulement souligner le fait que tous les producteurs exploitant des sables bitumineux en Alberta sont extrêmement actifs en matière d'efficience énergétique, car ils souhaitent réduire leur impact sur l'environnement. Nous n'avons pas à leur vanter les mérites de l'efficience énergétique, car ils ne cessent de s'améliorer à l'égard de tous les aspects qui s'y rattachent.

Nous devons diminuer notre consommation de pétrole et je ne crois pas que cela va se faire au cours des prochaines années. Par conséquent, nous devons tout mettre en œuvre pour modifier nos habitudes de consommation. Les principaux débouchés des producteurs pétroliers seront touchés si nous optons pour des voitures plus petites et si nous utilisons davantage le covoiturage ou les transports publics. Nous devons le faire pour le mieux-être de la société. Si nous parvenons ainsi à modifier nos habitudes de transport et de déplacement, les entreprises pétrolières n'atteindront pas le niveau de croissance et le degré de profitabilité qu'elles visent.

Il va de soi que c'est une industrie qui va souffrir à long terme. Cependant, il restera toujours nécessaire de produire du pétrole, même si nos besoins en la matière vont diminuer au fil des 40 prochaines années. L'Alberta continuera à vendre beaucoup de pétrole même si nous allons en réduire graduellement notre utilisation, car il s'agit d'une ressource stable et sécuritaire et que de nombreux arguments militent en faveur de la production pétrolière dans cette province.

M. Mousseau : En ma qualité de physicien et de directeur de Calcul Québec, le centre de calcul de haute performance au Québec, je me permets de contester votre première déclaration à l'effet qu'il n'existe aucune preuve du réchauffement planétaire. Tous les modèles révèlent qu'il y a bel et bien un tel réchauffement.

Le sénateur Mitchell : Non, non. Je vous prie de me croire : je pense bel et bien qu'il y a des preuves du réchauffement climatique.

Le sénateur Neufeld : Je crois que vous vous trompez de personne.

Le sénateur Mitchell : Vous m'avez mal compris. Je ne veux pas remettre en question le réchauffement de la planète. Ce que j'essayais de dire, c'est que je ne pense pas que les solutions qu'on pourra apporter à cet égard nuiront à l'activité économique.

[Français]

Le président : Il disait qu'il y a d'autres personnes qui doutent.

Le sénateur Mitchell : Je ne crois pas qu'il y aura un effet négatif sur l'économie si nous essayons de réparer les problèmes de changements climatiques.

[Traduction]

De fait, j'estime que les mesures prises pour contrer le changement climatique auront pour effet de stimuler l'économie.

M. Mousseau : Je suis d'accord avec vous.

Le sénateur Mitchell : Si vous me permettez un exemple en ce sens, dans à peu près tous les hôtels où j'ai séjourné à l'extérieur du Canada, et je dirais même à l'extérieur de l'Amérique du Nord, il faut que j'entre dans la chambre et que je place ma carte d'accès dans un dispositif près de la porte pour avoir de l'électricité. Tant que je n'ai pas fait ça, il n'y a ni éclairage ni climatisation. En quittant la chambre, je reprends ma carte et tout s'éteint.

Il me semble qu'il s'agit là d'économies faciles à réaliser, mais je n'ai jamais vu de tels dispositifs dans des hôtels canadiens, même les plus récents. Dans ce dernier cas, il n'y a pourtant même pas de coût de conversion à considérer. Pourquoi ne prenons-nous pas de telles mesures au Canada? Est-ce parce que l'électricité est si bon marché qu'il n'est pas rentable d'installer ce petit outil technologique supplémentaire à l'entrée de la chambre? Qu'est-ce qui explique notre attitude à cet égard? Pour les grandes entreprises, il peut en résulter des économies de plusieurs millions de dollars.

M. Gratton : Je crois qu'il s'agit davantage d'une question de culture que d'une affaire de coûts. Nous pourrions même avoir des dispositifs semblables à la maison.

Le sénateur Mitchell : Oui, c'est vrai. C'est là où je veux en venir.

M. Gratton : Ce serait très facile. Il y a quelques années à peine, il n'y avait aucun interrupteur pour l'éclairage à l'administration centrale d'Hydro-Québec.

Le président : Vous voulez dire que les lumières demeuraient allumées en tout temps.

Le sénateur Mitchell : J'ai déjà sondé votre opinion à tous quant aux mesures les plus efficientes que nous pourrions prendre pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre; je vous pose maintenant la question officiellement. D'abord et avant tout, croyez-vous effectivement que nous devons réduire nos émissions? Et croyez-vous que nous devrions attribuer un prix au carbone et, le cas échéant, quelle serait la meilleure façon de procéder?

[Français]

M. Mousseau : Une des réalités mondiale c'est que la production de pétrole stagne, en fait, depuis quelques années. Donc, si on veut être capable d'éviter une explosion des prix, il faut absolument réduire notre consommation pour être capable de tout simplement avoir suffisamment de pétrole pour répondre à la demande.

Ce n'est pas une question qu'on va manquer de pétrole, mais bien que la production est de plus en plus difficile à assurer. C'est dans ce cadre, certainement, plus la question des gaz à effet de serre. Ce n'est pas simplement une question purement économique, il faut le faire.

Il y a deux façons de toucher les gens, en fait : il faut certainement de l'éducation, mais il faut aussi, à un certain point, que les prix reflètent la position et les valeurs. Si les prix ne reflètent pas les valeurs, c'est extrêmement difficile pour les gens de maintenir une action à long terme. Par exemple, si on peut prendre une voiture et que c'est beaucoup plus économique de prendre la voiture pour venir au centre-ville plutôt que de prendre le transport en commun, les gens vont prendre la voiture.

Il faut donc absolument mettre en place un coût. La façon la plus claire de le faire, c'est via une taxe sur le carbone, ce qui est le plus facile à calculer à la fois pour les gouvernements et pour l'industrie. Il est beaucoup plus facile de prévoir où est-ce qu'on s'en va quand les prix sont clairement affichés.

À un certain moment, il faut de la stabilité et une façon de prévoir où on s'en va pour décider des investissements : certains investissements peuvent être très importants et si on n'est pas certain qu'ils vont être rentables, on ne les fera pas.

Pour moi, la question de taxation du carbone dans ce cadre, à la fois pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et pour se protéger contre l'augmentation des coûts des hydrocarbures, surtout dans le cas du pétrole, est essentielle.

[Traduction]

Le président : Quelqu'un d'autre veut répondre?

M. Pineau : Je crois que nous devons réduire nos émissions de gaz à effet de serre. Même pour quelqu'un qui ne croit pas aux changements climatiques, il y a beaucoup d'autres excellentes raisons pour le faire, dont les considérations économiques, les problèmes de congestion, les pertes de productivité dans les villes, les accidents et la tendance à l'obésité. Il est important que les gens soient plus actifs ne serait-ce qu'en marchant, en utilisant leur vélo ou simplement en prenant l'autobus. Toutes ces questions sont interreliées. Pour la santé et le mieux-être de notre société, nous devons donc agir même si nous ne croyons pas aux changements climatiques, ce qui n'est pas mon cas, soit dit en passant. Tous les facteurs en place nous incitent à passer à l'action.

Je suis aussi en faveur d'une taxe sur le carbone, mais même en l'absence d'une telle taxe, nous pouvons prendre bien d'autres mesures. Les codes du bâtiment en vigueur au Canada sont déficients; nous avons besoin de règles beaucoup plus strictes et rigoureuses en la matière. Le gouvernement fédéral pourrait prendre l'initiative dans le dossier, et les provinces devraient lui emboîter le pas. Dans le domaine du transport, nous pouvons beaucoup améliorer les choses en l'absence d'une taxe sur le carbone en fournissant simplement des solutions de rechange valables.

Comme le disait M. Mousseau, si vous avez des parcours d'autobus desservant efficacement le centre-ville à partir de nombreux secteurs, les gens vont utiliser ce service. Toutes les villes canadiennes se plaignent d'un manque de financement pour les transports publics. Ce n'est pas un problème lié aux changements climatiques. Cela fait partie de l'équation, mais si nous finançons davantage nos transports publics, tout le monde en sortira gagnant. Les entreprises verront leur taux de rentabilité s'accroître du fait que leur main-d'œuvre pourra se rendre plus facilement au travail.

Voilà donc autant d'éléments qui nous incitent à agir. J'aimerais beaucoup qu'il y ait une taxe sur le carbone, mais cela n'est pas absolument nécessaire. Nous n'avons pas besoin d'une taxe sur le carbone pour passer à l'action et faire énormément bouger les choses. Nos principaux secteurs d'intervention devraient en fait être les édifices et les transports, ainsi que l'électricité. Si nous parvenons à accroître nos échanges d'électricité, à nous doter de codes du bâtiment plus efficaces et à accroître notre offre de transport public, nous pourrons en fait en accomplir davantage, même sans taxe sur le carbone. Si nous appliquons une telle taxe sans ne rien faire du point de vue des codes du bâtiment, des échanges d'électricité et de l'amélioration des transports publics, les gens vont simplement payer la taxe en continuant à agir comme auparavant, ce qui ne va pas améliorer les choses. En définitive, il serait néfaste d'instaurer une taxe sur le carbone si nous ne prenons pas toutes ces autres mesures qui s'imposent.

Le sénateur Mitchell : Monsieur Pineau, vous avez parlé de l'importance ou des avantages des échanges commerciaux est-ouest pour ce qui est de l'électricité. J'ai souvent pensé qu'en Alberta, pour vous donner un exemple, je pourrais m'approvisionner auprès d'une source d'énergie de substitution comme Bullfrog Power Inc., au sud de la province, très loin de chez moi. L'entreprise alimente le réseau, ce qui me permet théoriquement d'avoir accès à cette énergie, peut-être en payant un peu plus.

Il serait possible de faire la même chose pour l'ensemble du pays. Un résident de la Saskatchewan pourrait déterminer que l'électricité est moins chère au Nouveau-Brunswick et l'acheter de cette province. Pourquoi pas? Toutes les entreprises qui interviennent à ce sujet soutiennent qu'il leur faut être plus concurrentielles et qu'on ne doit donc pas leur imposer des coûts supplémentaires. Nous devrions donc favoriser cette capacité concurrentielle. Permettez-moi d'acheter mon électricité n'importe où au Canada et on verra bien qui offre les meilleurs prix. Ces entreprises vous répondraient que ce serait trop coûteux, qu'une telle formule n'est pas envisageable. Est-ce qu'un réseau est-ouest serait trop coûteux?

M. Pineau : Je ne suis pas vraiment partisan d'un réseau est-ouest, mais il ne fait aucun doute que nous — au Québec — devrions avoir des liens plus étroits avec l'Ontario, tout comme l'Ontario avec le Manitoba, et la Colombie- Britannique avec l'Alberta. Il y avait une initiative en ce sens entre le Québec et le Nouveau-Brunswick. Cela promettait d'être avantageux pour tout le monde. Hydro-Québec voulait acquérir Énergie NB pour toutes les bonnes raisons — économie, environnement — mais des considérations politiques ont fait avorter la transaction. En outre, ce fut une catastrophe du point de vue des communications. Je ne sais pas qui a conseillé le premier ministre du Nouveau- Brunswick, mais le projet a été présenté à la population de la province de manière tout à fait épouvantable. Hydro- Québec et Énergie Nouveau-Brunswick souhaitaient conclure cette transaction parce qu'elle était bénéfique dans une perspective économique.

Je ne dis pas que le Québec devrait essayer de vendre de l'électricité à l'Alberta. Je fais simplement valoir que de nombreux échanges commerciaux pourraient être effectués à l'échelle régionale à l'avantage de tous. On ne fait toutefois rien à ce chapitre. Nous n'agissons pas de façon concrète pour atteindre cet objectif.

M. Gratton : En Amérique du Nord, l'infrastructure a été construite en fonction de la population. Sur la côte Ouest, le réseau d'alimentation s'étend pour ainsi dire du sud ou nord, ou inversement, et c'est un peu la même chose sur la côte Est. C'est la raison pour laquelle il n'existe pas beaucoup de connexions permettant le transfert d'électricité entre l'est et l'ouest de l'Amérique du Nord.

Il existe toutefois plusieurs possibilités d'échanges entre le nord et le sud. Il y a actuellement de nombreux transferts entre l'Ontario et les États-Unis, l'Ontario et le Québec, le Québec et les États-Unis. À l'autre extrémité du pays, on constate un peu la même chose entre l'Alberta et la Colombie-Britannique, la Colombie-Britannique et l'État de Washington, jusqu'à la Californie plus au sud. Ces échanges font actuellement appel à toute la capacité de l'infrastructure et du réseau.

Le sénateur Lang : Monsieur Mousseau, je me demandais si vous étiez au courant de l'existence du fonds vert de 500 millions de dollars du gouvernement fédéral. Corrigez-moi si je me trompe, mais je crois que cela fait partie du Plan d'action économique du Canada. Cet argent est disponible pour la mise au point de technologies et la construction d'installations en lien avec les énergies renouvelables partout au Canada.

Au Yukon, nous avons été très chanceux. Nous avons obtenu 80 millions de dollars pour mettre de l'avant notre projet de 170 millions de dollars pour étendre notre réseau au moyen de ressources renouvelables, à savoir l'hydroélectricité. Ce projet augmente donc notre réseau et notre production hydroélectrique.

Vous avez prétendu que le gouvernement du Canada ne finançait pas de projets qui visent l'exploitation des ressources renouvelables. Ne connaissez-vous pas ce fonds vert?

M. Mousseau : Il ne s'agit que d'une goutte d'eau dans l'océan comparativement aux autres investissements. En ce sens et à mes yeux, ce n'est presque rien. Oui, c'est 500 millions, mais ce n'est vraiment rien si nous le comparons, par exemple, aux milliards de dollars investis dans l'infrastructure routière et dans les autres projets au cours des deux dernières années. C'est à peine le coût d'un aréna à Québec : c'est un peu plus, mais c'est proche.

Je suis d'accord pour dire que ce fonds existe, mais c'est peu. Nos investissements ne représentent qu'une fraction de ce qui a été investi en Corée du Sud.

Le sénateur Lang : Eh bien, ce n'est pas une goutte d'eau dans l'océan pour nous au Yukon. C'est très important pour les contribuables et l'avenir économique de ma région au sein de notre grande nation, dans laquelle nous sommes chanceux de vivre.

Monsieur Mousseau — et les autres témoins peuvent intervenir —, vous avez mentionné que nos exportations de pétrole et de gaz doivent être mises à la disposition d'un client unique, à savoir le marché américain. Je crois que nous fournissons 70 p. 100 des besoins énergétiques des États-Unis à l'heure actuelle. Nous y exportons notamment de l'hydroélectricité, du pétrole et du gaz naturel. Il me semble que c'est 70 p. 100. Le pourcentage est très élevé. Nous sommes chanceux que les États-Unis achètent notre énergie, parce que nous aurions autrement beaucoup de problèmes.

Vous avez parlé de diversifier l'économie, et je crois que tous les gens ici aimeraient diversifier notre économie et trouver de nouveaux clients.

Une demande a été faite pour construire un oléoduc entre l'Alberta et la Colombie-Britannique dans le but d'exporter du pétrole vers d'autres marchés. Par la même occasion, cet oléoduc permettrait d'avoir accès à un port et d'exporter du gaz naturel liquéfié, du GNL. J'aimerais vous entendre à ce sujet. Croyez-vous que nous, le gouvernement fédéral, et les gouvernements provinciaux devrions appuyer un tel projet s'il respecte nos exigences environnementales?

M Mousseau : Oui et non. L'une des raisons est que l'industrie est déjà extrêmement rentable. Je crois que nous devrions appuyer le projet, mais je ne suis pas certain que nous devrions le financer.

Le sénateur Lang : Je n'ai pas parlé de le financer.

M. Mousseau : Je crois que nous devrions l'appuyer. Le Canada devrait adopter une politique officielle visant à diversifier sa clientèle pour être en mesure de devenir un vrai chef de file. Tant que le Canada dépendra d'un client unique, nous ne pourrons pas y arriver. Il est essentiel que nous nous engagions dans cette voie.

Le président : Avez-vous des commentaires?

M. Gratton : Avant de songer à exporter de l'énergie vers d'autres continents, si nous pouvons avoir un avantage et que nous pouvons l'utiliser pour être plus concurrentiels, nous serions mieux d'investir davantage dans l'industrie pour développer ce que nous pouvons avec l'énergie; c'est le moteur de plusieurs industries.

M. Pineau : Le secteur de l'énergie est très important au Canada, mais il ne faut pas croire que notre économie repose principalement sur l'énergie ou même les ressources naturelles. Ces domaines sont très importants, mais l'économie canadienne repose en fait sur les services. Selon les statistiques, je n'ai pas les données exactes, mais la majorité de notre PIB repose sur le secteur tertiaire. Nous avons beaucoup d'entreprises dans le domaine de l'énergie, mais cette industrie n'est pas aussi importante que ce que le lobby de l'énergie aimerait laisser croire aux Canadiens.

Dans l'édition du week-end du Globe and Mail, il y avait une partie sur le Canada, le pétrole, et l'importance de cette ressource dans l'économie canadienne. Ce n'est pas aussi important que ce que les gens de l'industrie veulent nous faire croire. Même en Alberta, l'industrie n'est pas aussi forte que certains le prétendent. Je ne dis pas que nous devrions ignorer ce secteur, mais nous ne devrions pas croire que notre économie repose uniquement sur l'énergie.

Nous devrions exporter, mais les gens accepteraient davantage les projets que vous avez mentionnés, si le Canada adoptait des politiques fortes en matière d'efficacité énergétique et d'économie d'énergie. Nous pourrions ainsi dire légitimement aux Canadiens : « Oui, nous exportons, mais nous sommes des chefs de file en matière de consommation énergétique. » Tant que notre consommation ne sera pas exemplaire, les gens ne verront pas ces projets d'un bon œil, parce qu'ils les considéreront tout simplement comme de la consommation additionnelle. Nous devons être conséquents avec nos politiques.

Le sénateur Lang : J'aimerais sauter du coq à l'âne, monsieur Gratton. J'aimerais vous dire que je vous remercie de vos observations en tant qu'entreprise et de ce que vous avez accompli. Évidemment, vos réalisations vous ont non seulement permis d'atteindre vos objectifs environnementaux, mais ont aussi été rentables pour votre entreprise à long terme. Vous pourriez servir de modèle pour les autres entreprises : vous n'avez pas demandé de subventions, mais vous avez apporté des modifications novatrices afin d'atteindre vos objectifs.

Le président : Vous savez, monsieur le sénateur, les Québécois ont un dicton : « Le Québec sait faire. »

Le sénateur Lang : La fin de votre exposé concernait l'Office national de l'énergie, l'ONE, et vous avez fait une suggestion très concrète. Avez-vous comparu devant l'Office national de l'énergie pour exprimer vos inquiétudes au sujet de TransCanada PipeLines Limited et de leurs droits? Si c'est le cas, quels ont été les résultats et avez-vous demandé le remboursement des frais relatifs à votre participation aux audiences?

M. Gratton : Nous avons signé un accord de cinq ans et nous en sommes rendus à la dernière année. Selon les prévisions d'il y a cinq ans de TransCanada PipeLines, cet accord devait maintenir les droits de transport par gazoduc à environ 1 $, 1,01 $, 1,02 $ le gigajoule.

Selon la demande de révision, les droits provisoires pour l'année 2011 s'établissent à 2,22 $.

Le sénateur Lang : C'est le double.

M. Gratton : C'est plus que le double. Il y a un grave problème avec TransCanada PipeLines : le réseau est tout simplement trop gros. Si une entreprise continue de payer pour un gazoduc trop gros, il faut qu'elle double ses tarifs.

Il faut revoir l'ensemble des tarifs. Bien entendu, si j'étais à la place de TransCanada PipeLines, je ne changerais rien, parce que j'ai le droit de tirer un revenu de chaque dollar de mes actifs. Par conséquent, je ne voudrais pas les déprécier.

Voilà pourquoi il faut que cette situation soit débattue devant la Commission de l'énergie de l'Ontario, la CEO. Actuellement, nous ne pouvons pas demander le remboursement des frais relatifs à notre participation aux audiences.

Le sénateur Lang : Avez-vous dit que vous ne pouvez pas le faire? En avez-vous fait la demande? Les responsables ont-ils répondu qu'ils n'ont pas l'autorité légale de le faire ou qu'ils ne veulent tout simplement pas le faire?

M. Gratton : Oui. Depuis 2010, la loi est modifiée pour permettre à l'ONE de s'occuper du recouvrement des frais. Cependant, jusqu'à présent, la CEO dit : « C'est le gouvernement qui décide, et il devrait nous obliger à vous rembourser. »

Le sénateur Lang : Qu'est-ce que la CEO?

M. Gratton : Désolé, ce n'est pas la CEO. Je voulais dire l'ONE, l'Office national de l'énergie.

Le sénateur Lang : De quel montant parlons-nous?

M. Gratton : Dans le dossier de ces tarifs, des tarifs sur cinq ans, les coûts sont environ de 300 000 à 400 000 $. Ce montant englobe les honoraires des spécialistes que nous devons faire témoigner aux audiences pour expliquer le fonctionnement d'un meilleur modèle, les honoraires des avocats que nous devons engager et les frais relatifs à la préparation du dossier.

C'est évidemment difficile pour 35 personnes de mener ce combat au nom de tous les Canadiens.

Le sénateur Banks : Merci aux témoins. Je suis heureux de vous revoir, monsieur Pineau.

Monsieur Mousseau, j'aimerais que vous m'expliquiez ou corrigiez l'un de vos commentaires. Vous avez dit que nous sommes dans le pétrin si une crise énergétique internationale éclate, parce que le Canada est obligé, quoi qu'il se passe, de maintenir au même niveau ses exportations aux États-Unis. Ce n'est pas ma compréhension de l'ALENA. Pourriez-vous me dire où se trouve cette notion? Selon ce que je comprends, à moins que nous réglementions et restreignions les exportations, aucune obligation de ce genre ne pèse sur nous en ce qui concerne nos exportations aux États-Unis.

M. Mousseau : Je n'ai pas les détails du traité avec moi, mais il s'agit en fait d'une sorte de clause de la nation la plus favorisée. Ce n'est pas appelé ainsi dans l'ALENA. En résumé, nous ne pouvons traiter les Américains différemment des Canadiens.

Le sénateur Banks : Toutefois, cette clause concerne les prix. Elle ne régit pas l'exportation de pétrole dans ce marché. Ai-je raison?

M. Mousseau : La clause porte sur les prix. Cependant, si une crise éclate, nous ne pouvons pas refuser de vendre du pétrole aux Américains sous prétexte que le Canada en a besoin. Le robinet doit rester ouvert. Bien entendu, le prix peut fluctuer, mais nous ne pouvons pas garder le pétrole pour nous. Nous devons maintenir un certain pourcentage moyen sur une période de trois ou cinq ans.

Le sénateur Banks : Je vais devoir relire le traité.

Partout où nous allons, bon nombre de témoins nous disent que le résultat de notre bon travail sera bénéfique et n'aura pas d'effets négatifs à long terme. J'aimerais vous entendre sur le fait que la dernière fois que l'Alberta a connu une politique énergétique nationale — et c'est un fait purement anecdotique —, les taux d'intérêt ont atteint 21 p. 100.

Lorsque cette politique énergétique nationale a été mise en œuvre, j'ai regardé les camions partir. Une conséquence immédiate s'est fait sentir; les gens qui doivent investir beaucoup de capitaux très patients dans des projets très risqués ne sont pas prêts à se lancer dans l'aventure dans certaines circonstances, à savoir celles prévues dans le Programme énergétique national. Par conséquent, les camions d'exploration sont partis.

Croyez-vous que nous pouvons faire les choses différemment aujourd'hui que par le passé?

M. Mousseau : Je vais vous donner l'exemple de la Norvège. En 1973 ou 1974, le pays a décidé que le gouvernement s'occuperait du développement de son industrie pétrolière. Chaque nouveau projet d'exploitation pétrolière devait être géré au moins à 51 p. 100 par le gouvernement, avec une participation du secteur privé à 49 p. 100.

La Norvège n'a rencontré aucun problème à attirer des capitaux. Le modèle a changé; ce n'est plus tout à fait le même actuellement, mais l'État y participe encore énormément — 77 p. 100 des revenus de l'industrie pétrolière reviennent à l'État, ce qui représente le double de l'Alberta. Il faut que le modèle soit clairement défini. Les premières années, comme nous l'avons remarqué au cours des dernières années en Alberta, les entreprises essayeront de faire chanter les gouvernements en menaçant de partir, de fermer leurs portes. En fin de compte, les ressources se trouvent dans le sol; les entreprises ne peuvent pas investir ailleurs. Par conséquent, je suis persuadé qu'elles finiront par revenir.

M. Pineau : Au sujet de l'électricité, je propose en fait de supprimer le Programme énergétique national que nous avions, parce qu'il abaissait le prix du pétrole au Canada, ce qui nous empêchait de l'exporter au prix des cours mondiaux. C'est ce qui se passe actuellement avec l'électricité. Son prix est bas, et cela nous empêche de vendre l'électricité à l'étranger au prix du marché. Nous devons d'abord vendre l'électricité dans les provinces jusqu'à ce que leurs besoins soient comblés. Ensuite, nous pouvons exporter l'électricité au prix du marché. Toutefois, Hydro-Québec ou BC Hydro ne peuvent pas en vendre à ce prix autant qu'ils le souhaiteraient.

J'estime que nous devrions abolir notre programme d'énergie provincial actuel. Nous avons la même chose en ce qui concerne l'électricité. Je ne comprends pas pourquoi il n'y a pas plus de gens qui se plaignent, car nous avons des règlements qui nous forcent à maintenir les prix de l'électricité très bas dans certaines provinces, ce qui empêche de la vendre au prix du marché. Cette proposition au sujet de l'électricité ne causerait pas les problèmes que nous avons eus dans le cadre du Programme énergétique national.

Par ailleurs, chacune des propositions sur le transport contribuerait à l'enrichissement de tous. Le prix à payer, c'est qu'il nous faudrait amener les gens à changer leurs habitudes de vie, à devenir moins dépendants de leur voiture et à se tourner vers l'autopartage, le covoiturage et le transport en commun. Au bout du compte, ils seraient plus heureux. Toutefois, les gens doivent changer leurs habitudes, ce qui est très difficile psychologiquement. C'est comme lorsqu'on est à la diète; il y a un prix à payer pour avoir un régime alimentaire plus sain, pas sur le plan financier, mais bien sur le plan psychologique.

Je n'entrevois pas de problèmes économiques si nous faisons ce qu'il faut. Il y a un prix à payer sur les plans politique et sociologique.

Le sénateur Banks : Les deux enjeux dont vous venez de parler exigent l'intervention du gouvernement, si je peux m'exprimer ainsi. Dans votre cas, monsieur Mousseau, il faudrait que le gouvernement devienne propriétaire, dans un certain sens, et qu'il investisse massivement dans les industries. Dans le vôtre, monsieur Pineau, il faudrait des mandats en ce qui concerne le transport, car nous avons tenté de séduire les gens, de les convaincre, et nous avons réservé des voies sur lesquelles les voitures qui circulent doivent compter au moins deux personnes. Nous avons tout essayé. Nous avons essayé de sensibiliser les gens et nous les avons implorés de changer leurs habitudes.

Monsieur Pineau, faire ce que vous dites nécessiterait des mandats du gouvernement. Monsieur Mousseau, pour concrétiser ce que vous proposez, en ce qui concerne l'exemple que vous avez donné, je crois qu'il faudrait que le gouvernement décide de devenir l'investisseur majeur dans l'exploration pétrolière. Est-il vrai que nous devons procéder de cette façon?

M. Mousseau : Ce n'est pas ce que je recommandais. Tout ce que je disais, pour répondre à votre observation précédente, c'est qu'il est faux de dire que l'industrie pliera bagage si l'on met en place une telle chose. Cependant, ce n'est pas ce que je recommande, car ces ressources sont de compétences provinciales; je ne pense donc pas que le gouvernement fédéral pourrait aller en Alberta et acheter la moitié de l'industrie sans qu'il y ait une révolution.

Ce n'est pas du tout ce que je recommande. Je voulais seulement dire que, dans une large mesure, il est important d'établir des règles claires. Une fois qu'elles sont claires, il y aura des investissements.

Je recommande toujours que le Canada se définisse comme chef de file sur la scène internationale. Je disais qu'un des problèmes, c'est que nous n'avons pas de société privée qui joue le rôle de leader national et qui est un gros joueur dans le secteur énergétique. Voilà la situation. Je n'ai pas de solution à ce problème. Il faut trouver d'autres façons de faire du Canada un leader.

M. Pineau : Je ne demande pas que le gouvernement intervienne davantage dans l'électricité, mais bien qu'il y ait des changements mineurs. Par exemple, le gouvernement du Québec a déjà inclus une légère augmentation du prix de l'électricité dans son budget pour 2014 afin de le rapprocher du prix du marché. C'est déjà intégré; nous pourrions augmenter les prix très facilement au Québec sans que le gouvernement intervienne.

En ce qui concerne le transport, toutes les initiatives qui ont déjà été mises en œuvre n'étaient pas coordonnées, et il n'y avait pas de péage urbain dans les villes ou de choix de transports en commun suffisants. Nous devons être plus actifs et non faire intervenir davantage le gouvernement. Il nous faut mettre l'accent sur le péage urbain et les politiques dynamiques en matière de transport en commun sans que la participation du gouvernement change.

Le sénateur Neufeld : Je vous remercie tous de vos exposés.

Monsieur Gratton, j'aime ce que vous dites, et vous êtes un chef de file. Je viens d'une province dont l'économie basée sur l'exploitation forestière est la plus importante au Canada, c'est-à-dire la Colombie-Britannique, et l'industrie dans son ensemble a montré en grande partie ce dont vous parlez, notamment par la production d'électricité au moyen de déchets ligneux. Je crois que l'industrie en Colombie-Britannique produit près de 5 000 mégawatts de son électricité à partir de déchets que l'on avait l'habitude de déposer dans les sites d'enfouissement. L'industrie forestière a beaucoup évolué, du moins dans ma province, et j'aime ce que vous dites.

Monsieur Mousseau et monsieur Pineau, je suis d'accord avec vous à certains égards. Je vis dans une région de la Colombie-Britannique qui produit tout son pétrole et son gaz, et je me souviens de ce dont le sénateur Banks a parlé lorsque le Programme énergétique national a été mis en place. Il nous a anéantis. J'ai failli perdre mon entreprise. Étant donné que j'œuvrais dans l'industrie pétrolière et gazière, je le sais très bien, et la situation a été catastrophique pour bien des familles de ma collectivité, tout à fait catastrophique.

Je ne m'oppose pas à votre idée d'un Canada comme géant énergétique à l'échelle internationale; il devrait en être ainsi. Au Canada, une entreprise canadienne est certainement l'une de celles qui arrivent très bien à s'imposer. Par contre, d'après votre témoignage, j'ai l'impression que lorsque vous parliez de l'ancien Programme énergétique national auquel nous venons de faire référence, vous disiez que nous devrions peut-être refaire ce genre de choses.

Ai-je mal compris, ou croyez-vous que nous ayons besoin d'une société pétrolière nationale? Si c'est le cas, avons-nous besoin d'une société d'électricité nationale qui nationaliserait l'électricité de certaines provinces? Metteriez-vous cela en corrélation?

M. Mousseau : Ce n'est pas ce que j'ai dit. J'ai expliqué pourquoi le Canada est un nain sur la scène internationale. C'est en partie dû au fait que nous n'avons pas de géant énergétique. Je n'ai pas dit que nous devons en créer un.

Le sénateur Neufeld : D'accord.

M. Mousseau : Je voulais seulement expliquer pourquoi nous nous retrouvons dans la situation actuelle. Lorsque je parle du rôle que devrait jouer le gouvernement fédéral, je ne dis pas que nous devrions créer un nouveau géant énergétique, ni dans le secteur privé, ni dans le secteur public.

Le sénateur Neufeld : Oh, le secteur privé, oui. Vous voulez un géant énergétique, n'est-ce pas?

M. Mousseau : Non, j'ai dit que nous n'en avions pas et que cette situation nous nuit. Je ne suis pas en train de dire que nous devrions en créer un. Il est difficile de dire, voilà, j'en crée un maintenant; ce n'est pas ce que je dis.

Le sénateur Neufeld : C'est arrivé à un moment donné.

M. Mousseau : S'il n'en a pas été ainsi, soit; nous n'en avons pas, c'est tout. Cela n'empêche tout de même pas le Canada de s'y prendre autrement pour tenir une place enviable sur la scène internationale.

Le sénateur Neufeld : D'accord.

Le président : J'aimerais faire une remarque. Je ne sais pas si elle est pertinente, mais dans une certaine période de ma vie, j'étais président du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce, et on discutait beaucoup au Canada du besoin d'avoir un champion national. Nous avions de grandes banques, dont la Banque Royale du Canada, qui occupaient les 4e, 5e et 6e rang des banques dans le monde, et qui ont glissé au 17e et au 18e rang. Cette situation a soulevé un tollé et les gens disaient que nous avions besoin d'une banque championne nationale, étant donné la mondialisation et le secteur des services financiers.

Nous n'avons pas changé notre façon de faire, et maintenant, bien que nos banques figurent au bas du classement, on nous dit que notre système bancaire est le meilleur au monde. Nous avons survécu à l'effondrement de l'économie et aux crises. Je ne sais pas si mes propos sont pertinents pour la discussion que nous avons présentement, mais il me semble que c'est une bonne analogie. Je voulais le signaler.

Le sénateur Neufeld : Merci, monsieur le président. C'est une observation intéressante.

Vous avez tous les deux parlé de libre-échange dans le domaine de l'énergie, de l'électricité. Le libre-échange de l'électricité me porte à croire que quelqu'un veut obtenir quelque chose pour rien et qu'il y a toujours une source importante quelque part au gouvernement fédéral qui paie pour toutes sortes de choses.

Je me demande si vous pourriez m'expliquer pourquoi vous pensez qu'il y a des problèmes en Alberta. L'Alberta et la Colombie-Britannique font le commerce de l'électricité depuis longtemps. Je connais bien la situation. Nous faisons du commerce avec les États-Unis durant la période de pointe et en dehors de cette période. Nous avons signé des accords avec certains États américains pour la vente d'électricité. Lorsqu'on parle de libre-échange de l'électricité, qu'est-ce qui a empêché l'Ontario de collaborer avec le Québec pour construire une ligne et importer une partie de cette énergie propre? Je sais de quelle façon et pour quelles raisons le système a été créé; comme j'ai été responsable de B.C. Hydro pendant huit ans, j'en ai une très bonne idée.

Qu'est-ce qui empêche cela? Je ne sais pas si l'un d'entre vous a examiné ce qui se passe entre l'Alberta, la Colombie- Britannique et la Saskatchewan dans le cadre de l'Accord sur le commerce, l'investissement et la mobilité de la main- d'œuvre, l'ACIMMO — le premier accord du genre au Canada. En fait, notre problème majeur, c'est d'amener certaines associations, comme celles des ingénieurs, à se mettre d'accord sur un ensemble d'ententes de base dans les trois provinces. Nous avons beaucoup de difficultés à y parvenir, mais nous avons amorcé le travail ou examiné le système d'échange de droits d'émission de carbone en Colombie-Britannique, qui n'a pas d'incidence sur les recettes et qui est le premier en Amérique du Nord.

Bon nombre de ces projets ont commencé en Colombie-Britannique et ce sont de grandes questions et, de toute évidence, elles sont aussi très controversées — j'étais là lorsqu'on nous a lancé des tomates.

Avez-vous examiné la question? Lorsque vous parlez de libre-échange et d'électricité, qu'est-ce qui empêche les provinces d'acheter l'électricité d'autres provinces?

M. Pineau : Rien ne les en empêche. Le problème, c'est la subvention à la consommation que reçoivent les consommateurs britanno-colombiens, manitobains et québécois. Vous connaissez tous ces subventions patrimoniales, qui vont à l'encontre de tout accord de libre-échange. On ne peut pas les maintenir dans le cadre d'un accord de libre- échange.

Bien entendu, ils peuvent échanger des surplus, mais ce type de subventions à la consommation indirectes que l'on donne aux consommateurs locaux pour des raisons historiques sont dépassées. Nous devrions simplement établir un système selon lequel tout le monde paie le prix du marché, exactement comme lorsqu'on a éliminé le Programme énergétique national et que tout le monde payait le prix international du pétrole.

La seule chose que je prône, c'est que tout le monde paie l'électricité au prix du marché de façon à ce que nous ne donnions pas de subvention à la consommation d'énergie aux consommateurs. Nous devons abolir les subventions pour pouvoir concevoir l'énergie de façon cohérente.

Le sénateur Neufeld : Vous savez, les gens de la Colombie-Britannique ne pensent pas qu'il reçoivent une subvention. Lorsque j'étais ministre dans cette province, ils croyaient qu'ils payaient au-delà de ce qu'ils devaient. Je recevais des milliers de lettres et de courriels, et je vous assure que c'est ce qui se passe lorsqu'on augmente les tarifs. Les Britanno- Colombiens paient pour ce système, et comme il est réglementé, c'est un taux de rendement équitable pour les actionnaires, c'est-à-dire les Britanno-Colombiens.

C'est facile pour vous de dire qu'ils devraient payer les prix du marché. Vous devriez venir en Colombie-Britannique, vous présenter aux élections, être nommé ministre et dire aux Britanno-Colombiens « vous savez, vous recevez des subventions pour vos tarifs d'électricité, et nous voulons augmenter grandement ces tarifs de sorte que vous payerez le même que les Californiens ». Je vous garantis que ce serait fini pour vous dès la première journée.

M. Pineau : J'ai travaillé à Victoria pendant cinq ans. J'ai tenu les mêmes propos lors de ma participation à des émissions de radio à Vancouver. Comme je connais bien la situation, je connais extrêmement bien la Colombie- Britannique, et la situation est exactement la même ici.

Ce que je suis en train de dire, c'est qu'on peut mettre au point des paiements de transfert pour que les gens acceptent, surtout parce que les plus grands consommateurs d'énergie, dans les zones résidentielles, ce sont les gens les plus fortunés. Ainsi, notre système actuel fait que les citoyens riches consomment la plus grande part de l'hydro- électricité et que les citoyens pauvres ne sont pas capables d'en consommer beaucoup, ce qui est injuste du point de vue social. Beaucoup d'arguments et d'approches économiques vont dans le sens d'un changement de système.

Le sénateur Neufeld : C'est facile à dire à titre personnel, mais cela l'est moins lorsqu'on est derrière le lutrin.

M. Pineau : Je sais que, politiquement parlant, c'est extrêmement difficile.

Le sénateur Neufeld : Monsieur Mousseau, vous avez étudié bon nombre des questions que j'ai abordées à propos de la situation en Colombie-Britannique?

M. Mousseau : De nombreuses études ont été menées. Non, je ne les ai pas examinées en détail. J'ai étudié un peu l'industrie gazière et ce que vous faites par rapport au gaz de schiste, et cetera, afin de comparer les différentes circonstances en Amérique du Nord, mais je n'ai pas examiné la question de l'hydroélectricité.

Le sénateur Neufeld : Je vous suggérerais de consulter le site Web et de jeter un coup d'œil au plan énergétique de la Colombie-Britannique. J'en ai produit deux. Ils traitent de la question relativement à fond. Examinez le ministère de l'Environnement et découvrez les mesures que, dans bon nombre de cas, nous avons prises en Colombie-Britannique pour encourager la production de gaz naturel, car la province est le deuxième producteur gazier en importance au Canada. Examinez la façon dont nous gérons notre électricité, nos gaz à effet de serre, notre main-d'œuvre et sa mobilité, et il se peut que cela vous rassure sur ce qui se passe au Canada.

[Français]

Le président : C'est pourquoi nous avons ce dialogue national.

Le sénateur Massicotte : Merci à tous nos témoins de ce matin. Vos présentations sont très appréciées. C'est un débat très intéressant qui n'affecte pas seulement les Québécois, mais tous les Canadiens et qui a un impact mondial.

J'aimerais procéder en faisant quelques commentaires relativement aux remarques que vous avez partagées avec nous et connaître votre réaction.

En écoutant vos propos, en résumé, monsieur Mousseau, vous indiquez que nous avons un problème du fait d'un client important, soit les Américains. En ce sens, on n'est pas suffisamment diversifié. On est très exposé, comme toute entreprise ou organisme qui dépend d'un client unique. C'est un monopole qui dérange.

On n'a pas de compagnies géantes. C'est un négatif et ce n'est peut-être pas une situation très recommandable. Et, on n'a pas de stratégie nationale. C'est un fait. Évidemment, la Constitution précise que les ressources nationales appartiennent aux provinces. On n'a pas assez d'argent au fédéral et pas beaucoup le sens de l'énergie.

Monsieur Pineau, vous parlez beaucoup du fait que les prix d'énergie ne représentent pas leur vrai coût. Conséquemment, on est gaspilleur, on n'est pas efficace dans l'utilisation.

Cependant, monsieur Gratton, vous donnez des exemples clairs et très indicateurs que les corporations comme telles peuvent agir dans leurs intérêts mais, en même temps, satisfaire les intérêts de la communauté, même à l'échelle mondiale. C'est quand même un bel échantillon. C'est quand même un très bon débat.

On peut regarder les gouvernements fédéral et provinciaux, et on peut certainement choisir des éléments qui ne fonctionnent pas bien. Vous donnez de bons exemples d'un manque de cohérence.

Il est vrai qu'on a subventionné certaines entreprises pétrolières, et on n'en a pas subventionné d'autres. Toutefois, le dilemme c'est qu'il y a un choix à faire en bout de piste. Et dans ce cas-ci, c'est le premier ministre et le Conseil des ministres, avec l'approbation du Parlement, qui décident d'aller dans une telle direction.

Il est vrai qu'il y a plusieurs personnes, et ça va continuer, même si vous n'êtes pas d'accord, parce qu'il y a toujours un point de vue différent. Il est aussi vrai que chaque fois qu'on tranche, il y a un bon côté, il y a des désavantages et une minorité qui ne sera pas d'accord.

La solution, où se situe-elle? C'est cela qui m'importe : qu'est-ce qu'on fait dans le futur?

Au point de départ quand on regarde l'histoire, et même les études le démontrent clairement, que chaque politique industrielle qu'on peut nommer politique nationale, ou toute politique industrielle d'un gouvernement, à ce jour, n'est pas efficace. À ce jour, ils se trompent souvent tant au Québec qu'au Canada. Quand le gouvernement essaie de choisir ses gagnants, on se trompe énormément. Dans le marché, comme pour le consommateur, les choses changent très vite. Les gouvernements, incluant la Chine, ne réagissent pas assez vite aux circonstances du consommateur ou du marché. Et souvent, les erreurs gouvernementales durent longtemps.

La difficulté que j'ai, c'est que je n'ai pas confiance, malgré vos commentaires, que le gouvernement fédéral puisse choisir une politique particulière d'aller de l'avant avec l'énergie éolienne ou l'énergie solaire.

On a fait des choix. L'Ontario a fait beaucoup de choix. Et quand on regarde le Danemark et l'Espagne, on remarque qu'on a fait de graves erreurs de choisir la mauvaise technologie, c'est trop coûteux et on annule les subventions. Il y a beaucoup de contrats d'annulés à cause des pressions financières.

Je me demande si la solution n'est pas du côté du marché. En d'autres mots, plutôt que de dire : « Monsieur le gouvernement, retirez-vous du marché mais assurez-vous que le prix, le prix aux consommateurs, le prix que Cascades va payer, représente le coût total, incluant le coût du carbone.» Quelle est votre réaction à ces commentaires? Plutôt que de dire : «Monsieur le gouvernement, on veut vous diriger là», peut-être que le gouvernement devrait se retirer du marché et laisser le marché dicter les décisions.

M. Mousseau : Je suis d'accord qu'il ne faut pas choisir de source d'énergie favorable. Une taxe sur le carbone, par exemple, a l'avantage d'être neutre en termes de solution de technologie. C'est-à-dire qu'on met un prix qui nous apparaît correct sur les coûts environnementaux et autres, des hydrocarbures, et ensuite on laisse, par exemple, les gens aller où ils veulent.

Par contre, en termes de recherche et développement, il faut aussi, à un certain point, soutenir différentes alternatives pour leur permettre de se développer, pour donner au Canada le savoir-faire nécessaire pour aller de l'avant. Et cela manque présentement, gravement.

Donc, dans ce sens, on n'a pas de vision. Ce que je propose, par exemple, ce n'est pas de dire : «On choisit un gagnant.» Mais justement, au contraire, c'est de diversifier. Présentement, le fédéral a choisi un gagnant qui est le secteur des hydrocarbures. Il avait un gagnant avant dans le secteur du nucléaire, qu'il est en train d'abandonner.

Au contraire, je pense qu'il faut soutenir l'assiette au complet, mais on doit aussi, quand on fait des politiques, les réviser régulièrement. Il faut mettre des objectifs qui sont détachés des technologies puis permettre de soutenir les technologies pour aller dans la bonne direction, mais les ajuster au fur et à mesure. Parce que, comme vous le dites, les temps changent rapidement.

Toutefois, tout n'est pas toujours perdant, si on regarde les politiques de Hydro-Québec, par exemple, ou en Colombie-Britannique, je pense que les choix qui ont été faits dans l'hydroélectricité, les investissements ont été très rentables comparativement au secteur privé.

M. Pineau : Je suis entièrement d'accord avec vous. Je dirais que pour l'électricité, il faut que le gouvernement se retire un petit peu de la tarification pour laisser le prix du marché prévaloir sur les marchés.

Actuellement, en transport, les gouvernements fédéral et provinciaux investissent énormément dans des infrastructures routières. Il s'agit donc d'une implication gouvernementale. Le gouvernement fait le choix d'ajouter plus de ponts, plus de routes, plus d'autoroutes. C'est un secteur où on a très peu de concurrence. On ne permet pas à des alternatives de se développer. C'est parce que les gouvernements actuels font les choix dans les infrastructures routières qu'on vit le problème actuel.

La solution, c'est que le gouvernement doit jouer un rôle en transport mais en offrant davantage d'alternatives : le rail, le transport en commun, plus d'incitatifs fiscaux pour le covoiturage. C'est vers là qu'on doit aller. Pour l'instant, on a tous nos oeufs dans un panier, soit celui de la voiture individuelle, et c'est la problématique.

Et en ce qui concerne le bâtiment, qui est un autre secteur très énergivore, il faut simplement continuer une implication du gouvernement au Code national du bâtiment, mais avec de très bons standards. Malheureusement, il y a trop de défaillances de marché qui font que les acheteurs de bâtiments n'optent pas naturellement pour les meilleurs bâtiments, des bâtiments qui sont rentables financièrement, mais parce qu'ils ont un horizon de planification trop court pour faire les bons choix. Il faut les forcer, à travers le Code national du bâtiment, à de meilleurs standards.

M. Gratton : Je pense que la taxe sur le carbone a un effet positif en ce sens que cela va forcer les gens qui émettent à payer. Qui va utiliser ces fonds et comment?

Nous, comme entreprise, si on a fait beaucoup d'actions hâtives, on ne veut pas continuer à contribuer à une taxe qui va permettre aux retardataires de nous rattraper. C'est un débat qui peut être réglé partiellement avec la bourse du carbone. Encore là, s'il y a une bourse du carbone, quelle sera l'année de référence? Est-ce qu'on pourra aussi considérer le fait que le recyclage évite la coupe de forêt? Est-ce qu'on pourra mettre en compte le fait qu'en retirant de notre système de déchets des tonnes et des tonnes de vieux papiers, on contribue aussi à l'environnement?

Si la réponse est oui à toutes ces questions, évidemment, on est fortement d'accord à l'instauration d'une bourse du carbone.

[Traduction]

Le sénateur Peterson : Monsieur Mousseau, vous parlez sans ambages de ce que je préfèrerais appeler une stratégie canadienne en matière d'énergie. Pour en élaborer une, croyez-vous qu'il nous faut une stratégie environnementale qui est compatible avec la politique énergétique?

M. Mousseau : Il est nécessaire d'avoir une politique environnementale pour administrer de nombreux secteurs — pas seulement celui de l'énergie —, mais il est clair qu'à l'heure actuelle, l'énergie est étroitement liée à la question des émissions de gaz à effet de serre.

Le sénateur Peterson : Je soutiens que ces questions sont grandement tributaires l'une de l'autre, parce que si l'on veut tenter de protéger l'environnement, il est indispensable d'avoir une stratégie énergétique compatible avec cet objectif.

Nous parlons également d'une taxe sur le carbone qui, utilisée en ce sens, ne se concrétisera jamais en raison de sa nature. J'estime qu'il nous faut lui donner le nom de surtaxe d'énergie ou quelque chose de semblable parce que, dans le cadre de notre discussion, il est primordial de ne pas oublier que la politique intervient encore grandement dans ces décisions. Nous pouvons affirmer qu'il faudrait faire telle ou telle chose mais, au bout du compte, les votes entrent en ligne de compte.

La même chose s'applique au transfert d'énergie, monsieur Pineau. Selon moi, les provinces qui sont riches en hydroélectricité utilisent cette énergie bon marché pour stimuler leur développement industriel. Par conséquent, elles ne donneront pas cet avantage à une autre province qui pourrait entrer en concurrence avec elles. Pendant ce temps, comment hausserez-vous les tarifs des consommateurs qui paieront davantage afin que ce système puisse continuer de fonctionner? Nous sommes aux prises avec toutes ces difficultés politiques qu'à mon avis, nous ne devons pas perdre de vue.

Le sénateur Brown : Monsieur Gratton, j'ai été fort impressionné par ce que vous avez dit au sujet de la présentation de Cascades Inc. et des mesures que votre entreprise prend. Je pense qu'il est préférable que l'industrie privée apporte ce genre d'améliorations.

Vous avez mentionné que vous récupériez la chaleur des gaz produits par l'incinérateur. Savez-vous quoi que ce soit à propos du Plasco Energy Group? Il s'agit d'une entreprise située à l'extérieur d'Ottawa qui traite toutes les ordures, y compris les machines à laver, les sécheuses, les éviers, les légumes, le papier et le plastique, à l'aide de piles à combustible qui ne sont pas munies de cheminée. Rien ne s'échappe de l'usine. Elle produit un gaz que les propriétaires de l'entreprise n'ont même pas encore nommé, mais qui est acheminé vers des génératrices situées sur place. L'énergie produite à partir de ce gaz alimente directement le réseau électrique d'Ottawa.

Ils se servent également de tous les dérivés non gazeux — les agrégats sont utilisés pour paver les routes et toutes sortes de fertilisants sont vendus aux exploitations agricoles. L'eau produite par une tonne d'ordures est potable mais, pour le moment, on s'en sert pour l'irrigation. Cette entreprise est incroyable, et elle est en train de s'établir à Red Deer, en Alberta. Ils construisent une usine en Espagne et trois au Portugal et dans d'autres pays européens. Je tenais simplement à mentionner leur existence.

Vous avez mentionné que le pipeline qui sert à transporter le gaz naturel est surdimensionné. Je me demande si vous avez pris en considération l'énorme différence qui existe entre la quantité de gaz naturel consommée par les Canadiens en été et celle consommée en hiver. Je pense que cela explique la taille du pipeline.

M. Gratton : En moyenne, on tire quotidiennement du principal pipeline un volume de gaz naturel de l'ordre de quatre milliards de pieds cubes. C'est le volume le plus substantiel auquel on peut s'attendre, et le système a une capacité de plus de sept milliards de pieds cubes. La plupart du temps, on transporte une quantité égale de gaz quotidiennement, été comme hiver. Pendant l'été, l'excédent est stocké près de la région consommatrice, et il est utilisé durant l'hiver pour compenser les différences de température.

Le sénateur Brown : Je vous ferais remarquer que les coûts de construction d'un nouveau pipeline seraient extrêmement élevés comparativement à ceux des pipelines déjà en service.

J'ai une autre observation à formuler. On dit que le Canada n'a pas de géant énergétique. Nous avons Encana Corporation, qui possède, au Canada et aux États-Unis, des zones de gaz naturel plus importantes que celles de toute autre entreprise. Le plus grand géant énergétique du monde se trouve également au Canada. On l'appelle la région des sables bitumineux de l'Alberta, dont une petite part appartient à la Saskatchewan. C'est le plus grand géant énergétique du monde. Quatre-vingt-huit millions de barils de pétrole sont consommés quotidiennement dans le monde, et nous satisfaisons à 40 p. 100 des besoins du plus important consommateur de pétrole — du moins, le plus important en Amérique du Nord —, à savoir les États-Unis. À l'heure actuelle, 40 p. 100 de leur pétrole importé proviennent du Canada. Il se peut, à mon avis, que la Chine en utilise encore plus.

[Français]

Le président : Je constate que le prochain témoin est déjà arrivé. J'aimerais, au nom de mes collègues de ce comité du Sénat, vous remercier sincèrement tout d'abord pour votre assistance et expertise, pour votre intérêt, vos commentaires et vos mémoires, qui étaient bien présentés et bien préparés.

Monsieur Mousseau, j'espère que vous constatez qu'un organisme fédéral est très impliqué dans la question qui est devant nous tous, non seulement à titre de Canadiens ou Québécois, mais comme des citoyens du monde. On a besoin d'un remaniement de notre système de production d'énergie pour l'avenir et pour nos petits-enfants.

Comme j'ai dit tout à l'heure : «Québec sait faire!»

Cette réunion du Comité sénatorial sur l'énergie, l'environnement et les ressources naturelles se tient au Québec pour faire la recherche pour les fins de notre étude approfondie sur le secteur énergétique au Canada.

Nous avons déjà entendu des témoins intéressants ce matin et, hier, nous avons visité Hydro-Québec, Gaz Métropolitain et Questerre.

Ce matin nous sommes fiers et chanceux de vous souhaiter une bienvenue très chaleureuse. M. Claude Robert, est ici comme représentant de sa compagnie, le Groupe Robert inc. Plusieurs témoins qui ont comparu devant nous, monsieur, ont parlé en des termes très favorables envers Groupe Robert inc., une compagnie que je connais bien étant donné que je demeure à Magog, dans l'Estrie. J'ai même utilisé les bons services de votre compagnie pendant plusieurs années. Et quand quelqu'un nous a expliqué ce qui est arrivé à Robert Transport en coopération avec, je pense, le gouvernement québécois, pour un projet pilote peut-être pour l'emploi de gaz dans les camions, tout le monde semble être de l'avis que c'est quelque chose, un grand « breakthrough », et un exemple pour le reste du pays à suivre à l'avenir.

Merci beaucoup, monsieur Robert de votre présence parmi nous. Je vais simplement vous présenter les sénateurs présents aujourd'hui.

Je suis David Angus, sénateur de Québec. Je suis Le président du comité; à ma droite, le sénateur Grant Mitchell, d'Edmonton, en Alberta. Il est le vice-président du comité; nos préposés de la Bibliothèque du Parlement, Marc LeBlanc et Mme Banks; un autre québécois, le sénateur Paul Massicotte; le sénateur Richard Neufeld de Vancouver, Colombie-britannique, ancien ministre des Ressources naturelles et autres portefeuilles importants en Colombie- britannique; le sénateur Robert Peterson de la Saskatchewan, ancien administrateur de Cameco inc., un grand homme d'affaires et il est aussi un collecteur de fonds en Saskatchewan; le seul sénateur élu, le sénateur Bert Brown d'Alberta; et à ma gauche immédiate, une dame que vous connaissez bien, je pense, c'est Lynn Gordon, notre greffière très habile et efficace, et très gentille comme vous l'avez constaté; à sa gauche, du le Territoire du Yukon, le sénateur Daniel Lang, il était membre de l'Assemblée législative du Yukon, il a fait une carrière renommée et nous sommes chanceux de l'avoir parmi nous au Sénat maintenant; et mon prédécesseur, membre de l'Ordre du Canada, le sénateur Tommy Banks, qui a fait ses preuves dans plusieurs domaines.

Monsieur Robert, je vous laisse la parole.

[Traduction]

Claude Robert, président et chef de la direction, Robert Transport Inc. : J'ai préparé une présentation très brève que je vous ai remise. Je n'entrerai pas dans les détails, car vous aurez beaucoup de temps pour la lire. Mon objectif consiste plutôt à attirer votre attention sur certaines de nos préoccupations et sur bon nombre des difficultés que nous devons surmonter.

Je vais vous communiquer brièvement l'histoire de notre entreprise. Elle a été lancée il y a 60 ans, et elle emploie environ 2 500 travailleurs surtout au Québec et en Ontario. Elle comprend aussi une petite exploitation en Indiana.

Le président : Où en Indiana?

M. Robert : À Fort Wayne.

Je dirais qu'au fil des ans, l'entreprise a toujours cherché à appliquer les pratiques exemplaires de l'industrie. J'entends par là que nous avons toujours cherché à adopter les nouvelles technologies. Ce comportement ne date pas d'aujourd'hui; cela fait 20 ans que nous agissons ainsi.

Naturellement, lorsqu'on entreprend des initiatives de ce genre, cela exige des déplacements. Je me suis rendu en Europe probablement 20 fois, au bas mot, afin d'examiner les nouvelles technologies, de voir le nouveau matériel qu'ils utilisent là-bas, de réduire notre consommation de carburant et d'améliorer la façon dont nous nous servons de notre matériel, et cetera. Nous avons rapporté de nos voyages de nombreuses nouvelles technologies utilisées là-bas, et nous avons forcé les constructeurs de matériel du Canada et d'Amérique du Nord à les installer dans nos véhicules. Il faut toujours lutter pour apporter des changements, car les gens sont attachés à leurs vieilles habitudes. Ils aiment faire les choses de l'ancienne manière. Toutefois, si l'ancienne manière était satisfaisante autrefois et si elle a continué de l'être pendant longtemps, elle ne suffit plus aujourd'hui.

Depuis deux ans et demi, nous travaillons avec Westport Innovations Inc., à Vancouver, afin de nous familiariser avec le produit; nous commençons à le comprendre. Nous avons pris cette décision parce que nous avions déjà étudié presque toutes les améliorations que nous pouvions apporter, par exemple, l'installation de pneus efficaces sur le véhicule, l'aérodynamique et la surveillance du comportement du camionneur pendant sa conduite. Nous avons installé des systèmes de surveillance dans les véhicules. Ainsi, nous pouvons donner des directives au conducteur, lui indiquer la meilleure pratique à utiliser pour réduire la consommation de carburant, et cetera.

Le président : La compagnie Westport Innovations à Vancouver est-elle également une entreprise de camionnage?

M. Robert : Non.

Le président : Elle vous apporte les connaissances auxquelles vous faites allusion en ce moment.

M. Robert : Oui. Si vous me le permettez, nous reparlerons plus tard de la compagnie Westport.

Lorsqu'en 1998 et 1999, les Américains ont décidé de créer la U.S. Environmental Protection Agency, la EPA, celle-ci a imposé de nombreuses normes visant à contrôler l'évolution de la pollution produite par les moteurs au cours des 10 années qui allaient suivre. Toutefois, ses normes ont également entraîné une consommation accrue de carburant. Par exemple, à l'heure actuelle, nos moteurs sont munis d'un dispositif de recirculation des gaz d'échappement, un dispositif de RGE. Les gaz d'échappement sont renvoyés dans le moteur afin d'y être brûlés une deuxième fois, ce qui exige l'utilisation de carburant supplémentaire.

Par conséquent, toutes les luttes que nous avons menées auprès des motoristes afin qu'ils améliorent le rendement énergétique de leurs moteurs ont été compromises par ces normes.

Le président : En fait, vous consommiez davantage de carburant.

M. Robert : La EPA a imposé des normes qui ont effectivement obligé les gens à consommer davantage de carburant pour réduire la pollution. Si, par exemple, vous utilisiez, disons, 50 gallons de carburant pour accomplir une certaine tâche, aujourd'hui, vous devez en utiliser 70 pour accomplir la même tâche, sous prétexte de réduire la pollution et d'améliorer l'environnement.

Maintenant, les Américains reconnaissent que ce n'était pas la bonne voie à suivre et, il y a de cela peu de temps, le président Obama a prononcé un discours dans lequel il indiquait clairement qu'il ne fallait pas qu'un dispositif visant à améliorer l'environnement entraîne une consommation accrue de carburant.

Le président : Je m'excuse de vous interrompre, monsieur, mais, à titre d'information, s'ensuit-il qu'en utilisant, comme vous le dites, 40 p. 100 plus de carburant, c'est-à-dire un ajout de 20 gallons aux 50 gallons requis au départ, vous augmentez, en fait, les émissions de gaz à effet de serre?

M. Robert : Cela entraîne effectivement une émission accrue de gaz dans l'air, parce que vous consommez davantage de carburant. Cependant, les gaz que vous répandez ne sont pas aussi polluants, bien que leur volume soit supérieur. Au bout du compte, on observe très peu d'améliorations.

Le président : De plus, il vous en coûte davantage.

M. Robert : Pour vous donner une idée de l'ampleur du problème, de 2000 à 2010, les coûts supplémentaires que cette nouvelle technologie a occasionnés à l'industrie, juste pour le moteur, s'élevaient à environ 20 000 $ par camion.

Donc, les conséquences sont graves. Pour ce qui est de notre entreprise, une fois que nous nous sommes rendu compte que nous ne pouvions plus rien faire pour améliorer notre économie de carburant, nous avons voulu contribuer à réduire la pollution de l'air et les risques pour l'environnement. C'est alors que nous nous sommes adressés au personnel de Westport Innovations.

Nous avons mené de nombreuses luttes. Il nous a également fallu passer un accord avec Gaz Métro afin qu'il approvisionne nos camions en GNL. Après avoir conclu des ententes avec Westport Innovations et Gaz Métro, il nous a fallu convaincre les gens qui fabriquaient les camions d'intégrer cette nouvelle technologie dans leur conception, ce qui a représenté un autre défi. Lorsque vous abordez M. Pigott, le propriétaire de PACCAR Inc., et que vous lui dites que vous voulez des camions qui fonctionnent de telle ou telle manière, laissez-moi vous dire qu'il n'apprécie pas tellement qu'un type de Rougemont, au Québec, vienne lui dire quoi faire dans les années à venir. Il nous a fallu être très persuasifs et nous engager à commander un certain nombre de camions, parce qu'autrement, nous aurions été forcés d'oublier cette idée.

Nous avons été en mesure de franchir les étapes suivantes : premièrement, nous avons conclu une entente avec Westport Innovations; deuxièmement, nous avons signé un accord avec Gaz Métro pour qu'elle nous approvisionne en GNL; et troisièmement, nous avons négocié une entente avec les motoristes et les fabricants de camions. Nous en sommes maintenant à la quatrième étape, à savoir composer avec la démocratie et la bureaucratie. La bureaucratie comprend Transports Canada qui ne m'autorise pas à transporter du GNL. Le ministère me permet de transporter de l'hydrogène, du propane et de l'oxygène. Tous ces gaz cryogènes sont permis, mais le GNL n'a jamais été utilisé dans le secteur des transports. Le ministère n'a donc aucun règlement concernant son utilisation. Son personnel doit maintenant faire des recherches et créer des règlements.

Nous sommes maintenant aux prises avec Transports Canada. Lorsque vous essayez de construire une station de remplissage dans votre cour, vous devez traiter avec la municipalité et le gouvernement provincial pour régler les questions liées à l'environnement. Vous devez faire affaire avec ces gens qui ignorent tout du GNL et du gaz naturel, mais qui veulent paraître importants et tout préserver, même les choses qui n'ont pas besoin de l'être.

Nous sommes coincés dans cette situation et, à l'heure actuelle, après deux ans et demi de démarches, notre cour contient trois camions équipés de moteurs Westport que nous ne pouvons pas approvisionner en gaz. Comme je l'ai déjà mentionné, j'ai commandé 180 camions sur une période de trois ans, alors nous recevrons bientôt 60 camions. Le premier d'entre eux sera envoyé à Vancouver où il sera mis à l'épreuve dans le cadre d'un essai pilote. Le camion sera à Vancouver dans quelques semaines — deux, trois ou quatre, au plus. Ensuite, ils seront prêts à nous l'expédier, ce qu'ils ne manqueront pas de faire, mais nous n'avons toujours pas la permission de remplir son réservoir.

Le président : À Rougemont ou où que ce soit?

M. Robert : Oui. Nous pouvons aussi faire le plein à Boucherville ou à Toronto. Cela fait deux ans et demi que nous attendons.

Le président : Qui fabrique les camions?

M. Robert : Dans le cas présent, c'est Peterbilt. Nous avons sélectionné cette entreprise qui est une filiale de PACCAR.

Avant de terminer, j'aimerais vous communiquer un message en particulier. Ensuite, je pourrai répondre à toutes les questions que vous souhaitez me poser. Une chose est claire : nous ne bâtirons pas un pays à l'aide de gens qui n'ont ni la capacité, ni la volonté de prendre des décisions. Ils suivent des règles qui ont été établies il y a 10, 15 et peut-être même 20 ans, et ils s'en tiennent à elles.

Si vous avancez de nouvelles idées qui ne sont pas prévues par ce règlement, il est nécessaire d'entamer une toute nouvelle procédure. Pour tenter d'élaborer quelque chose, vous êtes forcé de repartir à zéro, alors qu'en fait, bon nombre d'excellents ingénieurs pourraient examiner les pratiques exemplaires, les mettre en œuvre et donner le feu vert, parce que l'avenir en dépend. Dès qu'on regarde devant soi, on se tourne vers l'avenir. Lorsqu'on regarde dans un miroir, on aperçoit ce qui est derrière soi, ce qui appartient au passé. Je répète sans cesse que ces gens n'ont pas de pare- brise, seulement des miroirs. Par conséquent, au lieu de regarder en avant, ils regardent en arrière.

En raison des difficultés que nous rencontrons, nous nous efforçons de profiter de toutes les occasions de sensibiliser nos politiciens et nos députés à notre message. Il s'applique à l'industrie du camionnage ainsi qu'à bon nombre d'autres secteurs de l'économie.

Je pense que notre attitude à l'égard de l'avenir laisse à désirer. Tout le monde se plaint et demande au gouvernement des subsides ici et là, mais personne ne veut payer les impôts qui s'y rattachent. Les gens s'attendent à ce que tout leur soit accordé et ont l'impression d'y avoir droit, mais ils ne veulent rien faire pour l'obtenir.

Je suis le genre d'homme qui demande à ses employés ce qu'ils peuvent faire pour l'entreprise. Je leur indique ce que je suis en mesure de leur offrir mais, d'abord, je leur demande ce qu'ils peuvent apporter à l'entreprise. Je pense que le même principe s'applique à notre pays, à savoir ce que les citoyens sont en mesure d'accomplir pour lui — et, oui, le pays pourra les aider en retour.

Voici quelques-uns des obstacles auxquels nous nous heurtons et que nous devons surmonter. La situation est très frustrante pour nous, pour Gaz Métro, pour les fabricants et pour les personnes de ce genre, parce qu'à l'heure actuelle, nous faisons face à des problèmes qui n'ont rien à voir avec la provenance du gaz, que celui-ci vienne du Québec ou de l'Alberta. Pour commencer, nous devons développer un réseau d'approvisionnement en gaz naturel, parce que chaque fois qu'on utilise un litre de gaz naturel, on réduit les émissions de GES de 25 à 28 p. 100.

Il faut une solution de rechange. Peut-être que dans 25 ans, tout sera à l'électricité ou à l'hydrogène. Peut-être que ce sera — je ne sais pas moi, je ne suis pas ingénieur, je ne peux pas prévoir si loin dans le temps. Peut-être que Jules Verne le pouvait, mais pas moi.

Une chose est sûre, les moteurs à combustion qui devaient disparaître en 2010 seront encore là d'ici 15 à 20 ans parce qu'on peut encore les améliorer. Naturellement, les gens comme ceux de Westport Innovations ont trouvé une nouvelle technologie, de nouvelles façons de faire. Je suis sûr qu'ils vont nous permettre de continuer pendant encore 10 ou 15 ans. Et dans 15 ans, la technologie sera peut-être différente et nous utiliserons une énergie d'un nouveau genre, mais pour l'instant, nous n'avons pas d'autre choix.

Comme vous l'avez dit, nous produisons beaucoup de pétrole, ce qui est excellent. Le plus nous en vendons, le mieux s'en portera notre pays. Nous avons besoin d'un carburant de substitution, comme le gaz naturel. Beaucoup de gaz naturel se perdant dans l'air, nous devons en récupérer le plus possible et le transformer en énergie qu'utiliseront nos moteurs. Je crois que c'est la voie de l'avenir.

Pour ce faire, il doit y avoir une harmonisation à l'échelle du pays. À l'heure actuelle, la lutte se déroule au Québec. Le gouvernement de la province accepte entre autres de financer l'amortissement. Le Québec est unique en ce sens. De son côté, la Colombie-Britannique a un programme spécial de réduction fiscale et offre un crédit à l'utilisateur final, à cause de ses camions qui roulent au gaz naturel liquéfié. Il y a aussi beaucoup de camions de ce genre dans le sud-ouest des États-Unis — notamment en Californie, au Texas et dans l'État de Washington. Aux États-Unis, c'est le problème de l'œuf et de la poule : sans station de ravitaillement, pas de camion au gaz naturel liquéfié. Si par contre, il n'y a pas de camion au gaz naturel liquéfié, personne ne construira de station de ravitaillement.

Il faut s'entendre et arrêter d'être en désaccord sur tout. Comme je le vois, il nous faut un réseau de stations de ravitaillement en gaz naturel liquéfié. Pas nécessairement partout, puisque les camions diesel ont une autonomie d'environ 600 miles. Tant que toutes les zones essentielles du pays sont couvertes, disons une station tous les 100, 150 ou 200 miles, tout le monde sera satisfait. Elles seront implantées sur les autoroutes et on pourra traverser tout le pays en véhicule au gaz naturel liquéfié. Ce n'est qu'une question de temps.

En Alberta, j'ai un ami qui travaille dans une entreprise de transport du lait et autres denrées. Et comme la province a déjà certaines infrastructures, il aura son camion la semaine prochaine ou la suivante. Nous, nous attendons parce que nous nous battons encore contre le gouvernement fédéral et d'autres instances, tandis qu'en Alberta, on est déjà autorisé à transporter du gaz naturel liquéfié; même chose en Colombie-Britannique. Dans l'Ouest du Canada, on est déjà sur la bonne voie et on fait les choses comme il faut.

Dans l'Est, c'est toujours la misère. Nous demandons par exemple à Transports Canada pourquoi il ne parle pas aux gens de la Colombie-Britannique et de l'Alberta, puisqu'il fait cela tout le temps. Pourquoi ne pas prendre les bonnes pratiques et ne pas les mettre en œuvre dans l'Est? Où est le problème? Réponse : il faut faire une étude parce que c'est quelque chose de nouveau pour nous ici. Nous disons qu'ils doivent parler aux autres, harmoniser les pratiques.

Voilà l'un des plus graves problèmes que je voulais porter à votre attention. Savez-vous que selon une nouvelle technologie, vous pourriez par exemple utiliser un pneu au lieu de deux et réduire ainsi la consommation de carburant de 10 p. 100. Savez-vous que nous ne pouvons pas traverser le pays avec des pneus uniques? En arrivant au Manitoba, il faut les enlever et monter des pneus doubles. Nous sommes censés être un pays et nous avons 10 provinces.

Si j'ai une plainte ou une observation à faire, c'est que pendant des années le gouvernement fédéral s'est débarrassé de ses pouvoirs et contrôles pour les donner aux provinces, qui font aujourd'hui ce qu'elles veulent et ne se parlent pas beaucoup entre elles. Au lieu de cela, elles se disputent et attirent toute l'attention sur elles. Elles ne pensent pas au pays et qu'il faut bien faire les choses à l'échelle du pays, au lieu d'avoir des spécificités pour le Québec, d'autres pour l'Ontario, d'autres pour la Colombie-Britannique, d'autres pour Terre-Neuve : c'est ridicule. Cela crée un blocage qui freine notre économie à un degré incroyable.

Il y a deux semaines, j'ai passé sept jours en Allemagne. De là, on peut se rendre en Allemagne, en Suisse, en France, au Luxembourg, puis en Hollande, et c'est partout pareil. On n'a pas besoin de s'arrêter. À la frontière, on nous dit simplement « Bienvenue » ou « Au revoir » et rien d'autre.

Qu'est-ce qui ne va pas dans notre pays? Nous avons toutes sortes de normes qui s'appliquent au Québec, mais qui ne sont pas reconnues en Ontario, et la même chose pour les autres provinces. Je parle du Québec et de l'Ontario, mais c'est la même chose ailleurs. Tout cela est très inquiétant pour notre industrie.

Nous avons besoin d'une autre énergie et le gaz naturel peut l'être, et c'est la raison pour laquelle je suis ici. Dans l'Est du Canada, pour vous donner une idée de la situation, nous n'utilisons pas le gaz ou le pétrole produit dans l'Ouest canadien. Le gazoduc passe par Sarnia, en Ontario, et Ultramar Ltée a une grande raffinerie à Saint-Romuald, au Québec. Or, il faut acheter le pétrole brut de l'étranger et le recevoir par bateau, alors que nous avons beaucoup d'énergie au Canada. Il y a quelque chose qui ne va pas.

Si pour régler le problème, vous essayez de construire un pipeline, vous trouverez aussitôt 50 000 personnes qui s'y opposent, juste pour le plaisir d'argumenter. Vous connaissez l'adage : « Être pour le fait d'être contre ». Voilà comment sont les gens aujourd'hui avec leur refrain : « Pas dans ma cour, ni dans celle du voisin, ailleurs peut-être ». Qu'en est-il de l'avenir? L'avenir, c'est changer, et il faut commencer par quelque chose.

Ces gens vous diront : « Nous voulons changer l'environnement, nous voulons changer ceci, cela. » Et je leur réponds : « C'est très bien, mais qu'est-ce que vous êtes prêts à faire vous-même? Dites-moi ce que vous allez faire. Trouvez une solution. » Ils sont bons pour critiquer, mais ils ne font rien. Si vous les mettez en face des faits et leur demandez de trouver une solution, ils vous répondront qu'il n'y a pas besoin de solution. Pourquoi en est-on là?

Je suis privilégié d'avoir une conduite de gaz naturel en face de chez moi. Je vis dans une grande ferme, et tous les bâtiments sont chauffés au gaz naturel. Imaginez si je devais utiliser du carburant à l'heure actuelle, sachant que son prix dépassait 1,03 $ hier à Montréal.

Autrefois dans l'industrie, la main-d'œuvre représentait 36 p. 100 des coûts et le carburant environ 10 p. 100. Aujourd'hui, le diesel ou le carburant représente à peu près 40 p. 100 des coûts et celui de la main-d'œuvre est tombé à 29 p. 100. Ce n'est pas parce que nous payons moins nos chauffeurs. Le prix du carburant pour nos camions est passé de 25 cents le gallon, quand j'ai commencé dans l'industrie, à 4,50 $ aujourd'hui.

Laissez-moi vous rapporter la conversation typique que j'ai eue à un souper avec quelqu'un qui se plaignait des « maudits camions » ajoutant : « Oh, le carburant, c'est terrible, les camions, c'est terrible, tout est terrible. » Quand il s'est présenté et m'a demandé ce que je faisais dans la vie, je lui ai répondu : « Je suis camionneur. » Petite gêne, naturellement. Pendant la conversation, je lui ai demandé ce qu'il avait contre les camions. Il ne savait plus quoi répondre. Alors j'ai ajouté : « Je vais vous dire une seule chose. Si vous voulez savoir c'est quoi le camionnage, suivez le camion à ordures jusqu'à la décharge. Allez-y dans votre Mercedes avec votre sac à ordures et vous apprécierez alors le camionnage. Et ce ne sont que les déchets. De la même façon, tout ce que vous avez dans votre réfrigérateur et vos placards est livré par camion, mais je voulais juste vous parler des ordures. » Inutile de vous dire qu'il a vite coupé court à la conversation.

Le réseau de camionnage est un des moteurs de l'économie; s'il ne fonctionne pas efficacement, tout est paralysé. Pourquoi avons-nous besoin d'un soutien par rapport au gaz naturel et pourquoi aller dans cette voie? Je ne crois pas, en premier lieu, que la crise du pétrole soit terminée. Toute exportation est bonne pour le Canada. Toutefois, si nous sommes assez intelligents pour exporter de l'énergie et vivre de denrées de base qui sont moins chères, ce serait très utile pour réduire les déficits, commencer à reconstruire notre économie et faire les choses différemment.

Nous devons actuellement importer du carburant, ce qui influe sur notre balance commerciale qui, comme vous le savez, est déjà déficitaire. Nous devons trouver des moyens de rééquilibrer notre économie, de commencer à fabriquer des biens à des coûts très concurrentiels que nous pourrons vendre aux États-Unis ou ailleurs. Et pour ce faire, il faut changer. L'énergie est à mon avis l'un des atouts sur lesquels nous devons capitaliser. Il nous faut donc l'infrastructure correspondante et tout ce qui va avec.

Voilà quelques-uns des messages que je voulais porter à votre attention. Je serai maintenant ravi de répondre à vos questions

Le président : C'était très instructif, monsieur. Étant donné notre emploi du temps, j'aurai à restreindre le temps de parole, chers collègues. J'avais moi-même huit questions à vous poser, mais je les reporterai à plus tard puisque vous devriez être disponible ultérieurement.

M. Robert : Oui.

Le sénateur Mitchell : Merci beaucoup, monsieur Robert. Mises à part les frustrations que suscitent les différentes bureaucraties, pensez-vous qu'il faudrait un système d'encouragements pour généraliser la conversion des entreprises comme la vôtre, bien que vous convertissiez la vôtre sans aide? Qui devrait lancer l'initiative de créer ce réseau de stations de gaz naturel liquéfié? L'initiative serait-elle financée par le gouvernement ou par une association d'entreprises de camionnage ou de carburants?

M. Robert : La question est très pertinente. Comme vous le savez, au Québec, le gouvernement en a reconnu la nécessité, mais cela ne s'applique qu'à une partie de la province. Tout d'abord, le premier ministre Charest s'est engagé à réduire les émissions de gaz à effet de serre de 20 p. 100, soit au niveau prévu pour les industries. Pour ce faire, il a autorisé l'amortissement à 60 p 100 de tous les véhicules achetés à partir de 2010.

Deuxièmement, il reconnaît que si vous utilisez du gaz naturel, vous réduisez de 25 p 100 votre impact sur l'environnement. Il a donc offert la possibilité d'un amortissement d'un pourcentage supplémentaire de 85 p. 100 de la valeur du véhicule.

Le président : Cela s'applique-t-il à toutes les entreprises ou à Robert Transport seulement?

M. Robert : Non, à toutes, je me suis battu pour que tout le monde en bénéficie.

Le président : Très bien.

M. Robert : Un camion vaut normalement environ 140 000 $. Disons cependant qu'il coûte 100 000 $, auquel cas un camion au gaz naturel coûtera 200 000 $ à cause des deux réservoirs de carburant. La partie du système d'injection et l'ordinateur correspondant qui permettent de faire fonctionner le moteur coûtent de 25 000 $ à 30 000 $, mais les deux réservoirs de carburant coûtant environ 35 000 $ chaque, ce qui fait un total de 100 000 $.

Le sénateur Mitchell : Vous parlez de deux réservoirs de carburant au gaz naturel liquéfié? Vous n'avez pas de réservoir à essence et de système de conversion au gaz naturel liquéfié ou hybride?

M. Robert : Nous avons un petit réservoir au diesel. Vous a-t-on expliqué comment ça fonctionne?

Le sénateur Mitchell : Non.

M. Robert : Pour allumer le carburant, il faut deux choses, soit une étincelle ou un système de compression. Si la compression est forte, une explosion s'ensuit et cela produit de l'énergie. Il en va de même pour le gaz naturel. Comme le gaz naturel peut-être comprimé sans fin, on l'utilise sous forme liquéfiée. Si l'on met du gaz dans un piston, on peut le comprimer sans fin. Que faut-il donc faire pour l'allumer?

Westport Innovations a mis au point une technologie selon laquelle l'injecteur laisse tomber une goutte de carburant, qui provoque une étincelle. L'essence arrive à ce moment et le piston descend. C'est ainsi que l'on crée l'énergie et la contribution.

Une nouvelle technologie est prévue dans les prochaines années; en effet, Westport Innovations est en train de mettre au point une bougie d'allumage comme celles qu'on trouve dans les voitures. On obtiendra donc un moteur diesel équipé d'une bougie d'allumage, qui enflammera le gaz au lieu d'une goutte de diesel; une fois l'explosion provoquée, vous récupérez l'énergie.

Ce système sera moins nuisible pour l'environnement. En fait, on utilise actuellement certains de ces moteurs, par exemple, dans les autobus et dans toutes sortes d'équipement spécialisé, mais il s'agit de petits moteurs. Ils ne sont pas conçus pour « faire de la route », comme on dit. On est en train de mettre au point et de fabriquer des moteurs de régime moyen à élevé qui seraient dotés d'une capacité d'au moins 13 litres. Les moteurs d'une capacité de 15 à 16 litres sont les gros moteurs qu'on installe dans les camions; on considère les moteurs d'une capacité de 12 à 13 litres comme moyens, mais ils conviennent tout de même. En 2012, ces moteurs seront équipés de bougies d'allumage.

Nous remplirons les réservoirs de gaz naturel liquéfié, car il permet une meilleure autonomie, et nous pouvons en comprimer une grande quantité. Le gaz naturel liquéfié est transformé, à basse pression, en gaz; il est ensuite injecté dans le piston, et la bougie d'allumage l'enflammera. Nous prévoyons ces développements d'ici deux ou trois ans.

Entretemps, on utilisera le gaz naturel liquéfié. Si vous utilisez du gaz naturel comprimé, le volume et la densité du gaz utilisable sont si faibles que le camion doit être muni de plusieurs réservoirs pour pouvoir parcourir environ 200 miles, alors qu'avec des réservoirs de GNL, le camion peut parcourir jusqu'à 600 miles. De plus, ces réservoirs sont à l'épreuve des explosions. Ce qui est bien avec le gaz naturel, c'est qu'en cas d'accident, la probabilité que le réservoir explose est pratiquement nulle, car le raccord cédera en premier. Il s'agit d'un petit tube en aluminium ou en acier inoxydable et, dès que le gaz naturel liquéfié est libéré, il se change en gaz, puisque sa température était de moins 260 degrés. Il est invisible.

En fait, si vous demandiez une démonstration à Gaz Métro, on verserait une petite quantité de gaz dans un seau, et le temps de parler un peu et de regarder aux alentours, le gaz aurait disparu. En effet, il ressemble à de l'eau de vaisselle sale, mais il disparaît très rapidement.

C'est pourquoi le risque est complètement différent de celui associé à d'autres produits comme le propane, et cetera. Les gens ne comprennent pas la nature du produit et ils ne cherchent pas assez à savoir. Par contre, si vous cherchiez « GNL » dans Internet, vous trouveriez assez d'information pour lire sur le sujet pendant au moins un mois. Partout ailleurs dans le monde, on l'utilise dans un mélange moitié-moitié avec de l'essence. Si on vient à manquer de GNL, on retourne à l'essence à 100 p. 100. Ce n'est pas plus compliqué que cela.

Cependant, la technologie que nous mettons au point ici est beaucoup plus complexe. Vous nous demandiez si nous avions besoin de soutien; la réponse est oui, nous en avons besoin du côté de l'infrastructure. Les gens ne veulent pas vraiment de l'argent; ils veulent de la reconnaissance, afin d'obtenir le flux de trésorerie nécessaire pour payer le véhicule.

En ce qui a trait au flux de trésorerie, si nous pouvons financer une pièce d'équipement sur une période de six ans, par exemple, nous devons être en mesure de récupérer la valeur de notre investissement sur une période de six ans également. Un véhicule a une durée de vie de 10 à 12 ans. Après, il générera des profits, et nous paierons de l'impôt.

De cette façon, le gouvernement ne subira aucune perte. Il va reporter une partie de ses revenus à une date ultérieure, mais à quel coût? Nous allons lui donner une réduction; en effet, un camion peut réduire les émissions de carbone d'environ 50 tonnes par année. Si on multiplie par le nombre de camions en circulation au Canada, imaginez seulement la quantité que cela représente. Les camions produisent de 35 à 40 p. 100 des émissions de gaz à effet de serre; si l'industrie du camionnage se convertissait au gaz naturel, on atteindrait de 36 à 40 p. 100 de l'objectif fixé pour 2020.

Je pense qu'il est très important que les gens du domaine de la finance comprennent cela, car nous, les utilisateurs finaux, voyons les choses sous deux angles différents. Au moment de l'achat, nous devons régler la facture du véhicule, donc nous avons besoin du flux de trésorerie; et lorsque nous utilisons le camion, nous ne payons pas de taxe pour le moment au Québec et en Ontario, ce qui nous donne une meilleure chance de récupérer l'investissement considérable que nous avons effectué.

Le sénateur Mitchell : Sur quoi est-ce que vous ne payez pas de taxe?

M. Robert : Sur le carburant.

Le sénateur Mitchell : Vous ne payez pas la taxe sur le carburant sur le GNL?

M. Robert : Exactement. De plus, le prix du gaz naturel est resté stable depuis environ un an et demi ou deux, alors que les prix du pétrole brut et du carburant sont à la hausse, et pour de bon. C'est d'ailleurs un secret de polichinelle.

Plus nous pouvons produire de gaz naturel et l'utiliser, mieux ce sera pour l'environnement. Toutefois, il se peut que cela se produise plus vite que vous ne le pensez; en Colombie-Britannique, j'ai vu des automobiles qui roulaient au gaz naturel, et elles sont beaucoup plus efficaces que les modèles hybrides. Tout ce dont nous avons besoin, c'est d'une infrastructure, d'un réseau de stations pour faire le plein.

Le sénateur Mitchell : Merci.

Le sénateur Brown : Votre industrie m'intéresse beaucoup, et ce que vous tentez d'accomplir avec le GNL aussi. Nous avons reçu l'association du gaz naturel il y a une ou deux semaines, et les témoins ont soulevé deux problèmes. L'un était lié au besoin de construire les stations de GNL assez rapprochées pour permettre aux camions de se rendre de l'une à l'autre sans manquer de carburant. L'autre concernait l'adaptation au GNL du très grand nombre de camions existant dans le réseau aujourd'hui. Vous avez parlé d'un cycle de 10 ou 12 ans pour les nouveaux camions. Dans ce cas, nous devons trouver une façon de vous aider à payer l'adaptation de vos moteurs.

Nous sommes aux prises avec le problème des stations de GNL. D'après ce que je comprends, la seule façon pour le gouvernement d'aider serait de permettre un arrangement concernant les taxes. Je pense que c'est une solution qui serait bien vue au pays pour deux raisons; on réduirait ainsi la quantité de carburant utilisée, et les émissions de gaz à effet de serre par la même occasion. Vous avez parlé de 35 p. 100 de GES.

M. Robert : Entre 25 et 27 p. 100.

Le sénateur Brown : Vingt-cinq pour cent, désolé.

M. Robert : Cela dépend de la façon dont il est utilisé.

Le sénateur Brown : Oui. Avez-vous inclus d'autres polluants provenant du diesel dans vos calculs, en plus des gaz à effet de serre? Les GES ne sont pas vraiment des polluants. Tout le monde s'en inquiète par rapport à l'environnement, mais il y a aussi des gaz vraiment mauvais qui sont mélangés au diesel. J'ai été agriculteur pendant de nombreuses années, alors je connais l'odeur du diesel; je connais aussi l'odeur dégagée par les autobus au diesel, et la fumée qu'ils produisent. Cela ferait aussi partie du calcul au sujet des changements apportés par l'utilisation du GNL.

M. Robert : Absolument.

Le sénateur Brown : Avez-vous des données concernant ces gaz, ou vous occupez-vous seulement des GES?

M. Robert : J'ai beaucoup de documents que je pourrais laisser à la greffière. Cela vous donnera beaucoup de détails sur l'aspect technique et aussi sur les résultats que l'on obtient à la sortie du tuyau d'échappement.

Une chose est sûre : en ce moment, les camions sont fabriqués selon les normes de l'Agence de protection de l'environnement des États-Unis. Comme je l'ai dit, dès l'arrivée de l'allumage commandé en 2012, les constructeurs seront en mesure de tout éliminer, comme la recirculation des gaz d'échappement. Ils vont supprimer les filtres à particules qu'on trouve sous les véhicules et aussi la réduction sélective catalytique, ou SCR, qui est de l'ammoniaque qu'on remet dans le tuyau d'échappement pour nettoyer les résidus.

C'est la preuve parfaite qu'utiliser le gaz naturel comme carburant — avec le système d'allumage approprié — éliminera non seulement les détonations, les GES, le carbone et toutes ces choses, mais fera faire un grand bond en avant à la technologie. Cependant, nous devons toujours composer avec les Américains et l'EPA. Et comme je l'ai dit plus tôt, Transports Canada n'a pas posé la question suivante : « Par rapport à l'environnement, quelle est la meilleure pratique à adopter pour un moteur utilisé au Canada? » Transports Canada a seulement copié ce que font les États- Unis. Puisque les États-Unis utilisent toujours la technologie de recirculation des gaz d'échappement, les filtres à particules et la SCR, nous sommes condamnés à les utiliser.

Lorsque j'étais en Europe, les gens disaient, « Claude, tout cela est passé; regardez dans le rétroviseur. Nous avons une nouvelle technologie. » Nous essayons de l'importer. Je vous prie de me croire : nous essayons d'importer d'Europe des camions qui satisfont à la norme Euro 6, c'est-à-dire les normes de 2012, et Transports Canada ne nous permet pas de le faire.

Le sénateur Brown : Je cherche de meilleurs arguments, plus convaincants, pour vous aider à résoudre le dilemme du passage au GNL.

Vous avez parlé de chausser les camions de pneus uniques plutôt que de pneus doubles. Je sais qu'il y a beaucoup de camions qui transportent des choses comme des croustilles, qu'on peut mettre en quantités considérables dans un camion de transport, mais il y a aussi des véhicules qui servent à transporter des tiges de forage et des choses du genre. On ne pourrait pas s'en tirer en les chaussant de roues ou de pneus simples, n'est-ce pas?

M. Robert : Vous avez raison.

Le sénateur Brown : À moins d'avoir quelque chose de très large.

M. Robert : C'est exact. Nous avons une division de véhicules gros porteurs qui transportent des pièces comme les éoliennes et des choses de ce genre. Évidemment, pour ces énormes charges lourdes, nous devons utiliser les pneus doubles, mais dans 90 p. 100 des cas, nous pouvons équiper les camions de pneus simples. Cela ferait l'affaire et nous permettrait d'économiser.

L'autre aspect qu'on oublie parfois — et que vous pouvez voir dans mon diaporama —, c'est que maintenant, pour le transport entre le Québec et l'Ontario, nous remorquons des trains routiers. Les transporteurs font de même en Alberta et en Colombie-Britannique, et on a commencé à le faire en Saskatchewan aussi. Certains, détenteurs d'un permis spécial, vont au Manitoba. Utiliser des trains routiers, c'est-à-dire un camion qui tire deux remorques, permet de réduire les émissions de gaz de 40 p. 100.

Un député fédéral de l'Ontario a dit, « Non, le transport par rail est préférable. » C'est vrai, parce que les transporteurs ferroviaires jouissent d'un monopole; ce sont les seules entreprises au Canada qui peuvent faire autant de profits. Cependant, grâce aux trains routiers, nous pouvons tenir la concurrence en tout temps et avoir un niveau de GES beaucoup plus bas qu'aujourd'hui. Nous devons mener une bataille acharnée pour convaincre les gens d'utiliser les trains routiers. Les gens disent : « Vos trains routiers roulent à 90 km/h; c'est dangereux parce que les automobilistes pourraient arriver à 120 — même si la limite de vitesse est de 100 — et vous heurter par l'arrière. » En Allemagne, j'étais sur l'autobahn et nous filions à 200 km/h, tandis que les camions roulaient à 90 km/h dans la voie de droite; c'est normal.

Les gens voient des problèmes là où il n'y en a pas. Parfois, ils font appel à leur créativité pour penser aux problèmes plutôt que de parler des solutions.

Le sénateur Brown : Merci des renseignements. Je vous dirais simplement que mieux nous serons informés, mieux nous pourrons essayer de vous aider.

Le président : Oui. Nous examinerons deux points de vue.

Le sénateur Banks : Si Transports Canada crée des obstacles, nous pourrions être en mesure d'intervenir assez directement. Cependant, je suis confus, parce que comme vous l'avez indiqué, il y a des trains routiers, des voitures et des camions partout en Alberta et en Colombie-Britannique. De toute évidence, Transports Canada n'a pas empêché la délivrance des permis requis en Alberta, en Colombie-Britannique et ailleurs, peut-être. Quelle est la nature exacte de l'obstacle mis en place par Transports Canada et qui vous empêche de faire ce que vous voulez faire? Je ne comprends pas. Est-ce lié aux camions ou au ravitaillement en carburant?

M. Robert : Pour être honnête, c'est une combinaison des deux. Il y a un réseau en Alberta et en Colombie- Britannique. Donc, en cas d'incident ou d'accident, vous pourriez toujours aller voir un autre camionneur ou aller dans une autre station pour mettre en œuvre un plan d'urgence. Dans les Maritimes, il n'y a pas de réseau. À Montréal, il y a deux stations qui desservent tout l'Est du Canada; nous sommes propriétaires de l'une d'elles et l'autre appartient à Gaz Métro. Si quelque chose se produit, une des deux entreprises devra venir en aide à l'autre.

Comme je l'ai dit plus tôt, c'est un peu comme l'histoire de la poule et de l'œuf. Avant de commencer, il n'y a pas d'infrastructure, mais après, on aura graduellement un réseau semblable à celui qui existe dans l'Ouest du Canada et qui permet, en cas d'incident, de pomper le gaz d'un camion-citerne à un autre et de sortir le camion du fossé, par exemple. C'est de ce genre d'incident dont on parle. De même, en cas de fuite dans une station de ravitaillement, le ministère veut s'assurer qu'on a la capacité nécessaire pour pomper le carburant et le remettre dans un réservoir pendant les réparations, et cetera.

Comme il n'y a rien dans l'Est du Canada, le ministère ne veut pas délivrer les permis.

Le président : De quels permis parlez-vous?

M. Robert : Des permis de transport et de ravitaillement.

Le président : Ce que le sénateur Banks veut savoir, c'est s'il est question de Transport Canada, du gouvernement du Québec ou d'un autre ministère.

M. Robert : On doit commencer par avoir un permis de Transports Canada.

Le président : D'accord. Est-ce à cela que vous voulez en venir?

M. Robert : Ensuite, on doit obtenir un permis du ministère de l'Environnement du Québec. Troisièmement, on doit s'adresser à la municipalité en question pour obtenir l'autorisation de construire une station de ravitaillement.

Il faut avoir les trois permis, mais on doit commencer par le haut de la liste, c'est-à-dire le permis pour transporter le GNL par camion-citerne. Ce sont des permis difficiles à obtenir. C'est Transports Canada qui les délivre; l'exigence est qu'en cas d'incident avec un camion-citerne, on doit avoir un véhicule prêt à prendre la relève.

Il faut commencer quelque part. Donnez-nous les permis et nous aurons les camions-citernes. Si nous n'obtenons pas les permis, nous ne pourrons pas fournir le service.

Le sénateur Banks : J'espère que nous allons en discuter avec Transports Canada.

Le président : Je l'espère aussi. Monsieur, voilà pourquoi nous sommes ici. Je pense que vous avez de très bons arguments.

Le sénateur Lang : J'aimerais parler un peu plus de la question soulevée par le sénateur Banks parce que, de toute évidence, c'est urgent. Les municipalités et le gouvernement du Québec vous ont-ils indiqué que vous aurez les permis si Transports Canada vous donne son autorisation? Où en êtes-vous avec Transports Canada? Avez-vous des raisons de croire que vous aurez bientôt une réponse?

M. Robert : Cela fait trois mois qu'on nous dit que nous aurons bientôt un permis.

Le président : De Transports Canada?

M. Robert : Oui. Nous avions encore une réunion avec eux lundi, hier. Mon personnel rencontrait les gens de Transports Canada dans l'espoir de faire avancer les choses rapidement mais nous ne le savons toujours pas.

La question des stations de ravitaillement concerne les villes. En toute franchise, nous n'en sommes pas encore là. Nous avons donc décidé d'utiliser un réservoir portatif, comme un camion-citerne, pour approvisionner les camions directement, jusqu'à ce que nous puissions obtenir un permis municipal. On nous a dit que cela pourrait prendre de six mois à un an pour en avoir un.

Le président : De quelles municipalités?

M. Robert : Boucherville, où nous sommes installés, et Mississauga, en Ontario. Ce sont les deux premières. Gaz Métro aimerait en aménager une.

Nous avons fait une présentation il y a deux semaines. Un député de Rivière-du-Loup — M. Généreux, je pense — est favorable à l'établissement d'une station de gaz naturel liquéfié à Rivière-du-Loup parce qu'il a l'impression que la société Irving Oil, qui contrôle le GNL dans les Maritimes, a l'intention d'y construire une station pour permettre aux camions de se rendre jusqu'à Rivière-du-Loup, puis à Québec — nous avons accepté que les camions se réapprovisionnent à nos installations —, pour ensuite poursuivre leur route jusqu'à Toronto. Cependant, il faut que cela soit mis en œuvre avec l'appui des municipalités. C'est la bataille que nous livrons en ce moment.

[Français]

Le président : Lâche pas, lâche pas.

[Traduction]

M. Robert : J'ai parlé aux représentants du ministère de l'Environnement du Québec, et ils commencent graduellement à ne plus intervenir dans le dossier parce qu'ils reconnaissent que notre pratique est fondée sur les pratiques exemplaires de l'Ouest du Canada et des États-Unis.

Maintenant, il y a un autre joueur à Québec, les gens qui s'occupent du logement ou quelque chose du genre, qui surveillent ce qui se fait dans la ville par rapport à l'environnement, entre autres. Cela découle des graves problèmes qu'a connus Toronto avec le propane il y a environ six ou huit mois; il y a eu une grosse explosion. Nous avons expliqué aux gens de Québec que le GNL et le propane sont complètement différents, ce sont deux mondes à part.

Le président : Oui.

M. Robert : Comme je l'ai dit, on doit faire quelque chose à l'échelle nationale et mettre en œuvre une pratique exemplaire à laquelle tous doivent se conformer. Tant que vous satisfaites aux normes, vous avez le feu vert, point. Nous allons nous y conformer.

Le président : Monsieur, je vous demanderais d'essayer de donner des réponses courtes. Il reste trois autres sénateurs qui veulent poser des questions.

Sénateur Peterson, sénateur Neufeld et sénateur Massicotte, vous avez une question chacun. Je suis désolé, mais nous avons deux autres témoins à entendre avant le dîner, et nous sommes déjà 45 minutes en retard. Ce n'est pas comme à Ottawa.

Le sénateur Patterson : Je vous remercie de votre exposé franc et instructif. Quand on sait que 60 à 70 p. 100 des gaz à effet de serre proviennent du secteur des transports, vous entendre dire que tous vos projets sont retardés est plutôt ahurissant. C'est tout simplement incroyable. Plus tôt, vous m'avez dit que vos camions doivent être fabriqués aux États-Unis parce que nous sommes soit trop paresseux, soit trop incompétents pour établir nos propres normes. C'est insensé.

Par rapport au diesel, quelles sont les principales différences lorsqu'on construit une station de ravitaillement pour le gaz naturel liquéfié? En quoi cela serait-il si difficile? Ou peut-être que ce n'est pas difficile, mais pourquoi est-ce perçu ainsi?

M. Robert : Je n'en ai pas la moindre idée. Comme vous le savez, les réservoirs eux-mêmes sont des citernes réfrigérées très solides. Les cloisons ont cette épaisseur. La possibilité qu'une citerne explose est digne de Mission Impossible. On pourrait briser un tube flexible, mais dans un tel cas, la citerne se viderait très lentement jusqu'à ce que vous fermiez la valve. S'il touche le sol, ou quoi que ce soit d'autre, le gaz s'évapore. Honnêtement, nous ne comprenons pas.

Le président : Vous frappez en plein dans le mille ici et je pense que vous pouvez voir et sentir que nous vous écoutons attentivement, et que nous sommes choqués. Toutefois, nous croyons savoir que le premier ministre Charest soutient votre projet et que la province vous a accordé des incitatifs au niveau des impôts et de l'amortissement. Ne peut-il pas donner une directive au gouvernement disant : « Écoutez, arrangez cela. Rendez M. Robert heureux »?

M. Robert : Eh bien, comme je l'ai dit plus tôt, je pense que les fonctionnaires ont beaucoup à voir dans cette question. Comme vous le savez, lorsque nous essayons de faire avancer quelque chose, même si vous êtes ministre ou quelque chose du genre qui pousse sur une question, assez souvent, rien ne se produit. C'est parce que vous devez passer par toutes ces étapes de la bureaucratie. C'est tellement frustrant pour le ministre et les gens comme vous.

Le président : Oui.

Le sénateur Peterson : Je vous félicite de continuer à vous battre malgré toutes ces difficultés. Félicitations.

Le sénateur Neufeld : Monsieur Robert, comme je viens de la Colombie-Britannique, je suis un défenseur du GNL depuis longtemps. Je ne viens pas de Vancouver; en fait, je viens du nord de la Colombie-Britannique, où nous le produisons. J'ai passé 25 ans de ma vie dans l'industrie du camionnage. Je peux comprendre presque tout ce dont vous avez parlé et la frustration que vous ressentez.

Monsieur le président, vous m'avez rappelé lorsque je posais une question à une autre personne qu'au Québec, il y a un vieil adage qui dit que l'on doit bien faire les choses. Peut-être que dans le cas du problème soulevé par M. Robert, nous pourrions bien faire les choses, parce que nous avons déjà réussi à bien faire en Colombie-Britannique et en Alberta. C'est simplement quelque chose que je voulais mettre sur la table. Je pense que c'est merveilleux que vous ayez recours aux services de Westport, une entreprise de la Colombie-Britannique.

Je n'ai pas vraiment de question à vous poser. Je veux simplement dire que nous avons besoin d'une personne comme vous pour parler non seulement au gouvernement, mais également au mouvement environnemental qui, en fait, voudrait qu'on réduise l'exploration et la production dans le cas du gaz naturel. Nous en avons besoin dans nos carburants pour le transport, simplement pour la question des gaz à effet de serre. Je serais enchanté que vous fassiez ces choses, parce que vous venez véritablement de la base, là où les choses se passent vraiment du point de vue pratique, et je peux comprendre toutes ces choses dont vous nous avez parlé. Toutefois, vous devez également faire ce travail auprès du mouvement environnemental, avec nous.

L'autre chose, c'est que vous devez faire attention à ce que vous désirez avoir, parce que vous ne voulez pas que le gouvernement fédéral réglemente tout. Les heures de service pourraient fonctionner pour les conducteurs de grands routiers, mais cela ne fonctionne pas dans l'industrie gazière et pétrolière; cela ne vaut rien. Je veux simplement vous rappeler ce genre de choses.

M. Robert : Oh, non, je sais.

Le sénateur Neufeld : Parfois, nous obtenons quelque chose que nous ne voulons pas.

Le président : Ce que vous avez dit est intéressant parce que les deux prochains témoins viennent du mouvement environnemental et ils écoutent attentivement.

Vous avez le dernier mot, sénateur Massicotte, rapidement.

[Français]

Le sénateur Massicotte : Monsieur Robert, merci beaucoup. On a répondu à ma question, j'aimerais simplement faire un commentaire.

Je vous remercie pour vos efforts. Il est évident que vous faites une différence au sein de votre industrie et de la société. Ne perdez pas courage. Ce sont des problèmes de bureaucratie, on va essayer de vous aider aussi de notre côté. Alors, chapeau, et continuez vos bons efforts!

M. Robert : Merci.

[Traduction]

Le président : Monsieur Robert, vous avez ici une initiative extraordinaire. Nous écoutons attentivement, et si nous pouvons vous aider d'une manière quelconque, tenez-nous au courant.

[Français]

Et ne lâchez pas dans vos efforts, monsieur Robert.

M. Robert : Merci beaucoup.

[Traduction]

Le président : Sénateurs, je suis heureux de présenter notre prochain témoin.

[Français]

Je vous souhaite la bienvenue, monsieur Bonin. Patrick Bonin est le coordonnateur climat-énergie pour l'Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique.

[Traduction]

Cela signifie, chers collègues, qu'il mène la charge contre la pollution atmosphérique.

Nous vous sommes reconnaissants d'être venu ce matin, monsieur Bonin. Je ne veux pas ajouter plus de détails parce que je suis certain que vous allez nous parler de votre organisme.

[Français]

Vous allez nous parler de vous-même, vos arguments et vos idées pour nous relativement à notre étude. La parole est à vous.

Patrick Bonin, coordonnateur climat-énergie, Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique : Merci, monsieur le président. Merci à vous tous d'être ici aujourd'hui. Je ferai la présentation en français. Par contre, je pourrai répondre à des questions en anglais si vous préférez.

Je suis coordonnateur énergie et climat à l'Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique. Je dois également préciser que je suis administrateur au Réseau Action Climat Canada, qui regroupe plus de 85 ONG canadiennes travaillant sur la question des changements climatiques.

Je suis également délégué au sein de l'AQLPA pour les conférences internationales de l'ONU sur le climat, dont les deux dernières ont eu lieu à Cancun et à Copenhague, et dont vous avez sûrement entendu parler.

Malheureusement et heureusement, nous avons été contactés la semaine dernière pour la présentation. Je n'ai donc pas eu le temps de finaliser un mémoire. Par contre, l'essentiel des notes et des références dont je ferai mention dans ma présentation seront disponibles pour vous dans quelques jours.

Le président : Et sentez-vous libre de nous les faire parvenir.

M. Bonin : Tout à fait.

Le président : Dès que vous pourrez.

M. Bonin : L'AQLPA, Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique, existe depuis 1982. Elle avait au départ comme mission de lutter contre les pluies acides. Son mandat s'est ensuite transformé, nous nous attaquons maintenant à la pollution atmosphérique. C'est donc de travailler sur toutes les problématiques de pollution atmosphérique, incluant, bien sûr, les polluants qui affectent la santé, l'environnement et également le niveau de CO2, donc les émissions de gaz à effet de serre.

On a été de plusieurs, en fait de tous les grands débats au Québec sur l'énergie, à commencer par un débat public sur l'énergie dans les années 1995, et le débat au Québec, qui a eu lieu au début des années 2000 sur la centrale thermique au gaz naturel, Le Suroît, qui a amené un virage complet au Québec en termes d'énergie; donc, un virage vers les énergies renouvelables.

Dans un premier temps, nous sommes très intéressés de voir que le comité sénatorial s'intéresse à la question de l'avenir énergétique, c'est une question primordiale.

D'emblée, je dois vous préciser que nous trouvons, par contre, un petit peu paradoxal de se présenter devant vous dans un contexte où le seul projet de loi fédéral qui existait, soit C-311, a été rejeté par le Sénat sans aucun débat sur la question, alors même que les députés avaient passé le projet de loi à la Chambre des communes.

Il y a une énorme incompréhension de notre part à ce sujet, et j'aimerais vous entendre parler là-dessus. Nous pensons que ce projet de loi était majeur. C'était le premier projet de loi qui nous permettait de se donner des objectifs scientifiques crédibles pour lutter contre les changements climatiques, et c'était l'endroit idéal pour parler des questions d'énergie. On fait difficilement le lien entre la consultation actuelle et le rejet unilatéral par le Sénat. À part le sénateur Brown, à ma connaissance, vous êtes tous non élus, tout aussi respectables que vous puissiez être, et vous êtes allés à l'encontre d'une décision des députés élus. J'aimerais vous entendre par la suite sur cette question.

Le président : Il y a plusieurs côtés de cette médaille. On va laisser cela de côté pour l'instant. Toutefois, vos commentaires sont bien notés. C'était vraiment la faute de mon collègue ici, si la loi n'est pas passée. Mais ce n'est pas vrai.

Le sénateur Mitchell : Ce n'est pas vrai.

Le président : C'est un enjeu qui a été réglé devant un autre forum, mais vous avez énoncé votre point de vue.

M. Bonin : Tout à fait. Merci. Dans un premier temps, permettez-moi de remettre en contexte où on en est à l'échelle internationale dans la lutte aux changements climatiques. Vous avez compris que le GIEC, le Groupe intergouvernemental sur l'évolution du climat, ou IPCC en anglais, en 2007, a reconnu que l'activité humaine était responsable de la majorité du réchauffement planétaire auquel nous faisons face.

Il y a également plusieurs indicateurs. Le National Oceanic and Atmospheric Administration aux États-Unis a relevé dix indicateurs qui confirment les tendances de réchauffement planétaire. Ce sont des indicateurs physiques tant au niveau de la température au-dessus des continents, que la température des continents et celle des océans, le niveau des océans, la température, l'humidité globale, la température générale de la troposphère et beaucoup d'autres. Il me fera plaisir de vous soumettre ces dix indicateurs qui révèlent clairement le réchauffement climatique actuel auquel nous faisons face.

Le Canada, entre autres, l'année passée, a connu son hiver le plus chaud. C'est variable, mais on parle de quatre à six degrés d'augmentation pour le Canada. C'est une réalité des changements climatiques, et le GIEC, je le répète, est assez clair à ce sujet.

Le Canada a reconnu l'importance de la lutte aux changements climatiques en devenant signataire de la Convention- cadre sur les changements climatiques. Plus récemment, le Canada a signé le protocole de Kyoto, — qui, malheureusement, n'a pas été respecté, et n'est toujours pas respecté au Canada — et a également signé l'accord de Cancun tout récemment, en décembre dernier.

L'accord de Cancun qui reconnaît, encore une fois, les deux degrés Celsius comme étant la limite au-delà de laquelle on ne devrait pas aller pour éviter des changements climatiques catastrophiques au niveau mondial.

Présentement, si on regarde ce que veulent dire ces deux degrés Celsius pour les pays développés, on parle d'une réduction de 25 à 40 p. 100 des émissions de gaz à effet de serre d'ici 2020, et ce, par rapport aux chiffres de 1990.

Le président : Je veux simplement vous poser la question suivante : étiez-vous présent lorsque M. Robert a témoigné?

M. Bonin : Oui.

Le président : Peut-être avant de terminer, vous pourrez faire vos commentaires. D'après lui, il fait un grand effort afin d'aider les gouvernements à atteindre ces objectifs de réduction des gaz à effet de serre. Avez-vous des commentaires sur le témoignage de M. Robert? Continuez. Je m'excuse de l'interruption.

M. Bonin : Tout à fait. Oui, je répondrai aux arguments avancés par M. Robert, que je ne partage pas en grande partie, et ce, pour plusieurs raisons, entre autres, le cadre et le mode de développement actuel des gaz de schiste au Québec, qui est un débat très chaud d'ailleurs.

Je continue ma présentation concernant la réalité mondiale. Présentement, les objectifs qui sont sur la table à Cancun nous amènent à un réchauffement planétaire de 3,5 degrés Celsius.

Je ne sais pas si c'est ce qui vous fait rigoler, monsieur Brown, mais 3,5 degrés Celsius, c'est 1,5 degré de plus élevé que le 2 degrés Celsius qu'on s'est donné au niveau international. Et ceci, encore une fois, c'est pour éviter des changements climatiques catastrophiques.

Présentement, malgré ce qu'il y a sur la table, il faut que tous les pays industrialisés renforcent leurs objectifs, incluant le Canada, pour se donner, selon le GIEC, 50 p. 100 de chances d'éviter les 2 degrés Celsius. On est loin d'avoir le travail accompli présentement, autant à l'échelle nationale qu'internationale.

D'autant plus qu'au Canada nous n'avons pas de plan d'action de lutte aux changements climatiques. Encore plus, si on regarde sur le site d'Environnement Canada, on voit que le Canada atteint à peine un tiers des objectifs qu'il s'est fixés, soit moins 17 p. 100 par rapport à 2020, soit moins 17 p. 100 d'ici 2020 par rapport à 2005.

En ce moment, le chef économiste de l'Agence internationale de l'énergie qui, pas plus tard que la semaine passée, est sorti en disant que l'objectif de 2 degrés au niveau international ne sera pas atteint, et ce, pour deux raisons principales : le manque de leadership de la part des pays qui devraient s'illustrer dans la réduction des émissions, et aussi en raison de l'émergence des gaz de schiste, au niveau international.

Je passerai sur la question du manque de leadership, sachant très bien ce qui se passe au Canada. Je pense que ma position est claire là-dessus.

Par contre, relativement à la question des gaz de schiste, ce qui se passe, et selon l'argumentaire de l'économiste en chef de l'Agence internationale de l'énergie, l'émergence et l'abondance de gaz naturel sur le marché, en raison de la possibilité d'exploiter les gaz de schiste, nuit à l'émergence des énergies renouvelables au niveau international.

À titre d'exemple, il prend les États-Unis en disant que les investissements en énergies renouvelables de l'an passé ont diminué de 50 p. 100, en raison de l'exploitation des gaz de schiste.

On voit alors un gaz naturel en compétition avec d'autres sources d'énergies vers lesquelles on devrait tendre. En ce qui concerne les objectifs de 2020 dont on a parlé, je ne vous cacherai pas que le GIEC, d'ici 2050, parle d'une réduction de 85 à 95 p. 100 des émissions dans les pays industrialisés. C'est pratiquement d'arriver à zéro émission dans les pays industrialisés pour éviter des changements climatiques catastrophiques.

Je sais que vous avez rencontré la compagnie Questerre, hier. Je ne sais pas si on vous a présenté rapidement de quoi il s'agit quand on parle des gaz de schiste au Québec. C'est un territoire de 10 000 kilomètres carrés entre Montréal et Québec, au sud du fleuve Saint-Laurent, entre le Saint-Laurent et l'Autoroute 20. C'est l'endroit le plus populeux, ou presque, du Québec. C'est une zone d'agriculture, c'est un terrain très habité.

On parle de 10 000 puits qu'on voudrait mettre au Québec, avec d'énormes impacts environnementaux, autant au niveau de la qualité de l'air que de la qualité de l'eau.

Le président : Vous dites qu'on envisage 10 000 puits?

M. Bonin : Dix milles puits, 15 000, 20 000, ce n'est pas défini.

Le président : Jusqu'à maintenant, il n'y en a que 30, n'est-ce pas?

M. Bonin : Jusqu'à maintenant, on a une trentaine de puits, en fait, dont 12 où l'on a vu des fuites, des émissions atmosphériques, entre autres, de méthane, parce qu'on ne fait que quantifier le méthane pour le moment.

C'est exactement au coeur du Québec. On en a pour environ 200 ans, il y a donc une problématique. Si on accepte que d'ici 2050, on devrait avoir pratiquement anéanti toutes nos émissions, on a beaucoup trop de gaz naturel.

D'un point de vue environnemental, on voit que les analyses de cycle de vie du gaz de schiste sont méconnues. En fait, il y en a très peu de disponibles. Je vous donne l'exemple le plus récent : au mois de novembre dernier, l'Agence de protection environnementale des États-Unis, EPA, Environmental Protection Agency, a produit une étude avec des calculs refaits sur les facteurs des émissions pour production de pétrole et de gaz. Ils ont doublé les émissions attribuables à la production de pétrole et de gaz aux États-Unis dans leur inventaire, simplement parce qu'ils avaient sous-estimé les émissions reliées à l'exploitation, entre autres, du gaz de schiste, où l'on voit une augmentation jusqu'à 9 000 fois plus grande que ce qui était prévu. Concrètement, cela signifie qu'on a rajouté dans le bilan des États-Unis les émissions du Québec en une année, simplement en changeant les facteurs.

Présentement, au Québec, nous sommes à étudier au Bureau d'audiences publiques en environnement la question des gaz de schiste. On constate qu'on n'a pas de données sur les émissions de gaz à effet de serre. Le ministère de l'Environnement n'a pas de données sur l'impact des émissions de gaz à effet de serre, de l'exploitation des gaz de schiste, en raison, entre autres, des fuites et de tout ce qui est pipeline et ainsi de suite.

Le président : Avez-vos comparu devant le BAPE lors des auditions sur les gaz de schiste?

M. Bonin : Oui. L'AQLPA a présenté un mémoire relativement exhaustif avec une feuille de route, d'ailleurs, qui permettrait d'avoir potentiellement un développement intelligent des gaz de schiste au Québec.

Je tiens à préciser qu'au moment où l'on se parle, une pétition signée par 130 000 personnes est présentée à l'Assemblée nationale du Québec pour exiger un moratoire sur les gaz de schiste. Pourquoi? Parce que, justement, on n'a pas d'information.

Je vous ai parlé rapidement des gaz à effet de serre. En gros, l'étude de l'EPA mentionne que, présentement, selon les nouveaux chiffres, la différence entre le gaz naturel et le charbon est possiblement nulle, voire peut-être de 25 p. 100 à peine, et tout cela en considérant l'analyse du cycle de vie complet. Il me fera plaisir de vous faire parvenir ces études.

Le président : Et cela, c'est déjà établi scientifiquement?

M. Bonin : Au niveau du charbon?

Le président : Oui.

M. Bonin : La comparaison avec le charbon?

Le président : Oui?

M. Bonin : Non.

Le président : Vous dites que la différence est nulle?

M. Bonin : Bien, selon l'étude qu'on prend. On peut prendre l'étude de M. Hobart de l'Université Cornell, qui considère que toutes les émissions reliées à l'exploration, à l'exploitation, feraient en sorte que le gaz naturel, à partir des gaz de schiste, émettrait davantage de charbon. Et encore là, c'est sujet aux chiffres qui sont utilisés.

Le président : Oui.

M. Bonin : Tout à fait. Toutefois, c'est la réalité. Si vous êtes en mesure de nous présenter quelque chose de certain qui démontre noir sur blanc qu'il y aura des gains environnementaux au niveau des gaz à effet de serre, nous sommes évidemment très intéressés à la chose.

Il faut considérer également que l'EPA fait une étude présentement sur les impacts environnementaux des gaz de schiste; étude qui sera publiée en mars 2012. C'est à peu près l'étude la plus exhaustive qui existe. D'ici là, il manque beaucoup de données, et même l'Institut national de santé publique du Québec dit la même chose, soit qu'il manque énormément de données.

Le président : Donc ça va mal, au Québec, pour le gaz de schiste!

M. Bonin : Bien, je pense que c'est dans l'ensemble du Canada. Si on fait un virage pour passer du charbon, ou d'autres sources polluantes au gaz de schiste, et que c'est la solution, sans avoir d'études nous pensons que c'est extrêmement problématique. Je vous parle de gaz à effet de serre. Au niveau de la qualité de l'air, c'est très clair, il y a des modélisations, entre autres, qui sont faites à Hainsville, aux États-Unis, qui démontrent clairement les projections avec 2 000 puits, on parle d'une augmentation significative des émissions polluantes, soit les oxydes d'azote et les composés organiques volatiles qui créent le smog, avec une augmentation des périodes de smog, avec tous les problèmes de santé et problèmes environnementaux qui peuvent en découler. C'est à partir de modélisations très concrètes avec à peu près le même nombre de puits envisagés au Québec. On a donc un problème identifié de qualité de l'air.

L'Institut national de santé publique a déposé un rapport préliminaire, qui parle également du manque d'études et de la problématique de la qualité de l'air comme étant très préoccupant.

J'imagine que vous avez entendu parler de la problématique de la qualité de l'eau reliée à l'exploration des gaz de schiste. On parle de millions de litres utilisés pour chaque fracturation; des tonnes de produits chimiques qu'on injecte sous terre à chaque fracturation; on parle peut-être de 50 p. 100 des produits de l'eau et des produits chimiques qui restent sous terre une fois la fracturation effectuée, ce qui occasionne des problématiques potentielles de passage de l'eau, de strates inférieures aux strates supérieures.

En ce sens, il va me faire plaisir de déposer un document de M. Durand, un professeur à la retraite de l'Université du Québec à Montréal, qui a déposé un mémoire au BAPE à ce sujet.

Le président : Vous allez entendre bientôt le représentant de Horne Lake Development, en Colombie-britannique, qui peut-être ne partage pas vos opinions. C'est quand même important, on en prend note.

M. Bonin : En bout de ligne, on pense qu'il y a une gestion de compétence qui doit se faire au sujet de l'énergie. Vous savez très bien que l'énergie, c'est de compétence provinciale. Par contre, il y a des compétences et des responsabilités fédérales qui ont à voir avec l'énergie.

En ce sens, si vous envisagez une politique énergétique pancanadienne, elle doit être développée de concert avec les provinces et avec ce qui se fait dans les provinces, tout en respectant les compétences et la juridiction.

Le fédéral a un rôle à jouer, ne serait-ce qu'au niveau des gaz à effet de serre, où il se trouve à être l'intervenant. Le fédéral doit aussi se pencher sur les différentes normes de qualité de l'air, les eaux de surface, les subventions et la fiscalité.

Présentement, il y a 1,4 milliard de dollars, sinon plus, qui sont donnés en subventions ou en allégements fiscaux de toutes sortes aux pétrolières et gazières à travers le Canada. Vous comprendrez que lorsque vous votez pour un budget en faveur de cela, c'est extrêmement problématique pour nous, sachant que 70 p. 100 de la population canadienne est contre ce type de financement.

En terminant, j'aimerais revenir sur la question du forage en haute mer, à propos duquel vous avez publié récemment un document, enfin, un rapport dont le titre indiquait : Les faits ne justifient pas l'interdiction des opérations actuelles de forage en mer.

De notre côté, étant membres de la Coalition Saint-Laurent qui se penche sur l'exploitation en mer, nous avons été extrêmement surpris de ce rapport, de la conclusion du rapport, alors que si l'on regarde ce qui se passe mondialement, suite à la catastrophe de BP, c'est exactement le contraire qui se passe. On parle davantage de prudence, alors que le message qui est envoyé par les sénateurs est complètement en direction opposée de la tendance mondiale.

Il y a une évaluation environnementale stratégique au Québec qui est en train d'être faite sur l'exploitation du pétrole en mer. Il serait important de se pencher sur cette question et de voir les évaluations faites par des scientifiques sur cette question. La dernière évaluation environnementale stratégique que nous avons eue sur le fleuve Saint-Laurent a mené à un moratoire sur l'exploration et l'exploitation du pétrole et du gaz sur le Saint-Laurent.

La future évaluation environnementale stratégique portera sur le golfe du Saint-Laurent. Je pense que pour votre comité il serait intéressant que vous vous penchiez sur ce rapport lorsqu'il sera disponible.

En terminant, je peux donner ma réponse aux propos de M. Robert. Il y aura une étude qui sera publiée au mois de mars et qui fera l'analyse des opportunités pour le Canada de faire le virage, entre autres, du charbon vers le gaz naturel. Selon les réponses ou les recommandations actuelles de ce que j'ai pu voir de cette étude, on parle d'une diminution minime des émissions de gaz à effet de serre, entre autres, pour les raisons que j'ai mentionnées à propos des gaz de schiste. Il faut considérer tous les investissements à mettre en place pour changer les infrastructures, pour faire les modifications, et ce serait probablement pour une diminution d'à peine 25 p. 100, des émissions, et ce, sur une période de temps qui nous amènerait à un moment où l'on devrait être déjà plus loin. Donc, d'investir de l'argent pour soutenir des énergies non renouvelables comme les gaz de schiste est questionnable. Il y a des alternatives présentement au Québec, entre autres, le biogaz et le biométhane fabriqué à partir des matières résiduelles, qui est une ressource renouvelable et beaucoup moins dommageable pour l'environnement en termes de cycle de vie et qui émet moins de gaz à effet de serre.

Le sénateur Mitchell : Merci beaucoup, monsieur Bonin. Je dois dire que je partage beaucoup votre passion et vos frustrations avec le maigre progrès concernant les changements climatiques.

Je dois dire aussi que, quand le président a dit que c'était ma faute que le projet de loi C-311 avait été défait, il a fait une blague.

J'étais commanditaire de ce projet et j'étais absolument frustré avec le dénouement. Les libéraux ont voté pour le projet de loi C-311.

[Traduction]

Ayant dit cela, je suis très préoccupé par le changement climatique, comme vous l'êtes, et je n'arrive pas à comprendre pourquoi nous ne pouvons pas en faire davantage. Il y a des avantages économiques à régler ce problème; il y a des avantages concurrentiels dans le monde; il y a un leadership dans le monde et il y a notre place dans le monde.

Je suis frustré par les gens de votre camp, par votre exposé dans un sens, parce que chaque fois qu'une solution est proposée pour atténuer les changements climatiques, il y a toujours un problème. Et cela vient souvent des groupes environnementaux : nous ne pouvons pas utiliser l'énergie nucléaire parce qu'il y a un danger lié aux déchets radioactifs; nous ne pouvons pas recourir à l'hydroélectricité parfois, parce que cela détruit de vastes superficies de terre; nous ne pouvons pas recourir à l'énergie éolienne, parce que cela entraîne des problèmes de santé et tue des oiseaux; nous ne pouvons pas recourir à l'énergie solaire — même en ce moment, dans certains endroits aux États- Unis, on a déplacé cette activité — j'exagère pour mettre l'accent sur la question, peut-être; nous ne pouvons pas recourir au GNL, à cause de ce que vous venez juste de nous dire.

Toutefois, premièrement, disons simplement que les études qui sont défavorables au GNL — à savoir qu'il ne constitue pas un avantage par rapport au charbon — sont très minces parce que, je pense, la prépondérance de la preuve démontrera qu'il s'agira d'un grand avantage. Deuxièmement, disons que tous les camions au pays utilisent du GNL et que la politique du gouvernement est d'appuyer également les autres formes d'énergie de remplacement, soulignant le fait que le GNL est une source de transition.

Dans la sphère politique, nous devons être pratiques. Nous devons adopter des politiques pratiques. Nous ne pouvons pas combattre et éliminer chacune des solutions proposées. Je pense, malgré tout le respect que je vous dois, que vous limitez les possibilités et que vous frustrez les gens qui, dans le domaine des affaires et au gouvernement, désirent faire quelque chose de concret; lorsque tout est mal, rien ne fonctionne.

En fin de compte, vous êtes amenés à la conclusion que nous ne pouvons utiliser que des formes d'énergie très limitée qui ne sont aucunement concurrentielles et qui, à bien des égards, ne sont même pas pratiques. Je dis cela du point de vue d'une personne qui a beaucoup de respect pour ce que vous voulez faire et qui veut en faire autant que vous. Pourriez-vous commenter cela?

[Français]

M. Bonin : On a une situation catastrophique potentielle mondialement; il faut la régler. Vous êtes en train de proposer des solutions dont on ne connaît pas tous les impacts environnementaux pour lesquelles on a énormément de doute que cela risque de créer peut-être même plus de problèmes, si on parle de qualité de l'air, de l'eau, de gaz à effet de serre.

Vous nous dites qu'il n'y a pas de solutions, qu'on ne propose pas de solutions, c'est un argument utilisé par l'industrie à outrance. C'est une stratégie de relations publiques qui existe envers les groupes environnementaux actuellement au Québec en ce qui a trait aux gaz de schiste. C'est complètement faux.

On a proposé et mis sur la table des millions de solutions. Les énergies renouvelables existent : on a un potentiel éolien d'à peu près 4 000 mégawatts au Québec; on ne fait aucune efficacité énergétique, ou presque, au Québec; on pourrait électrifier le parc automobiles sans problème, et ce, d'ici 2020, mais en faisant une graduation là-dedans. La géothermie, l'énergie solaire, le biogaz, dont je vous ai parlé, existent.

Quand on dit qu'on s'objecte à tout, ce n'est pas vrai. On s'objecte à des mauvaises solutions, des fausses solutions, des solutions avancées et non supportées par des documents qui permettent d'être certains des impacts environnementaux.

Présentement, c'est le seul problème. On ne dit pas qu'on est contre les gaz de schiste; on dit qu'on veut un moratoire parce qu'on n'a pas les informations au Québec pour pouvoir prendre des décisions éclairées sur les gaz de schiste. Notre position c'est d'y aller avec prudence et d'avoir les données sur la table, d'utiliser le principe de précaution voulant que si l'on n'est pas certain, qu'on risque d'engager des problématiques ou des conséquences catastrophiques, on ne va pas de l'avant tant qu'on n'a pas les données scientifiques; et l'absence de données scientifiques n'est pas une raison pour aller de l'avant.

Je suis absolument désolé que vous ayez fait mention que nous sommes contre tout. Je peux vous présenter une panoplie de solutions, et c'est vraiment le gouvernement fédéral qui ne fait absolument rien dans la lutte aux changements climatiques. Il n'a même pas de plan d'action. Et vous dites que ce sont les écologistes qui empêchent d'aller de l'avant?

Je suis désolé, mais vous devriez regarder ce qui se passe présentement avec les députés fédéraux, et ce qui se passe au sein d'un comité sénatorial qui a rejeté le seul projet de loi qu'on avait et qui nous aurait amenés à nous poser des questions sur ce qui se passe et quelles sont les solutions.

[Traduction]

Le sénateur Banks : Monsieur Bonin, beaucoup d'entre nous sont d'accord avec un bon nombre de vos idées, mais nous comprenons également ce que vient de dire le sénateur Mitchell. Vous dites que vous pouvez nous apporter un sondage qui dit que 70 p. 100 des gens s'opposent à ce type de développement.

M. Bonin : Je voulais dire subvention, désolé.

Le sénateur Banks : Cependant, 100 p. 100 des gens désirent être bien au chaud pendant l'hiver et aiment conduire leur voiture, mais il s'agit d'un aparté.

Vous avez dit avoir des études qui démontrent que le gaz de schiste pourrait être aussi mauvais pour l'environnement que le charbon. Pourriez-vous, s'il vous plaît, les faire parvenir à notre greffière lorsque vous le pourrez pour que nous puissions les avoir?

Vous n'avez pas besoin d'en parler maintenant; il suffit de les faire parvenir à notre greffière, s'il vous plaît, de sorte que nous puissions les avoir, parce que je pense que nous pourrions les trouver très intéressantes.

Le sénateur Peterson : Merci de votre exposé.

Salvador Dali a dit que nous ne devrions pas nous préoccuper de la perfection, parce que nous ne l'atteindrons jamais.

Vous parlez avec passion du changement climatique, à savoir les gaz à effet de serre, et c'est bon; 60 à 70 p. 100 de ces derniers sont attribuables au transport. Pourquoi votre groupe ne deviendrait-il pas un champion de Robert Transport?

M. Bonin : De quoi, désolé?

Le sénateur Peterson : De Robert Transport et de ses efforts.

M. Bonin : Au Québec, c'est 43 p. 100 des GES qui viennent du transport.

Le président : C'est un chiffre élevé.

M. Bonin : C'est un chiffre élevé et c'est un problème. Dans le reste du Canada, c'est un peu moins.

De toute évidence, nous travaillons sur la question du transport; c'est maintenant notre mission. M. Robert a dit que le GNL est une solution sans aspects négatifs, et que cela ne fait aucun doute. C'est ce que j'ai entendu. Mais ce n'est pas ce que je vois lorsque je regarde ce qu'en dit le Réseau des ingénieurs du Québec. Ces gens ont des interrogations en ce qui concerne l'utilisation du GNL dans les camions à cause de l'origine de ce gaz. Il provient du gaz de schiste au Québec pour lequel nous ignorons quels sont les impacts environnementaux? Je ne sais pas d'où cela vient, mais il y a des répercussions.

De plus, le réseau des ingénieurs — et je peux vous donner cette référence également — a des préoccupations au sujet des fuites. Je ne sais pas si M. Robert est là pour en parler, mais je pense qu'il a eu suffisamment de temps, alors, je vais prendre le temps qui m'appartient.

[Français]

Il y a des problèmes au niveau du fonctionnement de la soupape : les ingénieurs nous disent que la soupape doit faire sortir le surplus de pression, ce qui amène des émissions de méthane dans l'atmosphère. Le méthane, c'est un facteur de réchauffement 21 fois plus grand que le CO2, et, à court terme, c'est 78 fois plus grand que le CO2. Présentement l'enjeu planétaire, si on veut éviter les changements climatiques catastrophiques, c'est de plafonner les émissions en 2015 et les réduire par la suite. Si on émet dans l'atmosphère du méthane à 78 fois, sur 20 ans, plus puissant que le CO2, on n'est pas en train de s'aider du tout.

Le Canada a commencé à bouger en faisant des améliorations, entre autres, des transmissions des véhicules lourds, mais il y a d'autres moyens de faire des gains qui seraient plus intéressants, que ce soit l'aérodynamisme ou de travailler sur les pneus versus donner des subventions énormes pour encourager une industrie dont on n'est pas tout à fait certain.

Le LNG pourrait peut-être être intéressant si on l'utilise à partir du biogaz : le gaz dans les sites d'enfouissement qu'on récupère, qu'on capte et qu'on utilise; et non pas en prenant des combustibles fossiles sous terre et les mettre dans l'atmosphère.

C'est là le problème présentement. Il ne faut pas en remette dans l'atmosphère. Nous sommes tout à fait d'accord de capter le méthane et de faire du biogaz. Toutefois, il faut se poser les bonnes questions et de mettre des solutions de l'avant en ayant réfléchi à toutes ces questions.

[Traduction]

Le sénateur Peterson : N'oubliez pas ma déclaration liminaire. Nous devons faire quelque chose parce que ne rien faire n'est pas bon.

Le sénateur Lang : Je respecte la passion évidente que vous mettez dans cette question. En même temps, si ce que nous faisons à l'heure actuelle pour répondre à nos besoins en matière d'énergie fait ce que vous dites à l'environnement, je pense que l'on peut dire sans trop se tromper, au nom du public en général, que nous nous attendons à ce que des organismes comme les vôtres proposent des solutions de remplacement constructives, logiques, raisonnables.

Le mouvement environnemental est en train de devenir une grosse industrie dans le monde, et jusqu'à un certain point, à juste titre. Il s'agit d'une grande préoccupation pour nous tous. Nous devons respirer 24 heures par jour.

J'aimerais savoir combien de membres compte votre organisme. Où obtenez-vous votre financement et recevez-vous du financement de l'extérieur du pays, directement ou indirectement, pour gérer votre organisme?

[Français]

M. Bonin : Nous avons 15 000 membres environ au Québec, sinon plus. Nous recevons le financement d'un organisme à but non lucratif. Nous ne recevons aucune somme, à ma connaissance, qui vient de l'extérieur du pays. Nous recevons un financement statutaire de la part du ministère de l'Environnement du gouvernement du Québec. En fait, c'est un programme conjoint avec le ministère de l'Environnement du Québec. Sinon, nous faisons de l'autofinancement par projets. Nous n'avons pas de financement de fondations particulières ou d'autres organisations.

Le président : Sénateur Neufeld est le sénateur de la Colombie-Britannique. Il connaît bien le projet de Horne Lake.

[Traduction]

Le sénateur Neufeld : Merci de votre exposé. J'admire votre passion également.

M. Robert a dit que l'utilisation du GNL dans l'industrie du transport réduirait les émissions de gaz à effet de serre de 25 p. 100, ce qui est une réduction importante. Seriez-vous d'accord pour dire qu'il s'agit d'un pas dans la bonne direction? Je ne veux pas parler du gaz de schiste parce que c'est une question différente. Toutefois, seriez-vous d'accord pour dire que nous devrions poursuivre ce genre d'initiatives?

[Français]

M. Bonin : On doit viser des réductions de gaz à effet de serre, et si c'est de 25 p. 100, ça peut être intéressant. Il faut être certains qu'il y ait de vraies réductions et que ces réductions soient à un coût accessible et qu'elles ne nuiront pas au développement de d'autres alternatives, qui permettraient de le faire peut-être à moindre coût et à moindre impact.

[Traduction]

Le sénateur Neufeld : Ce serait là quelque chose de merveilleux que vous pourriez nous présenter. Vous pourriez nous présenter quelque chose qui coûte moins cher et qui a des répercussions moins importantes pour transporter des biens d'un bout à l'autre de notre grand pays, partout en Amérique du Nord et partout dans le monde, comparativement à ce que nous utilisons aujourd'hui. Dites-nous s'il y a quelque chose de meilleur que nous pourrions utiliser.

Savez-vous que nous produisons du gaz de schiste en Colombie-Britannique depuis pas mal d'années maintenant?

M. Bonin : Oui.

Le sénateur Neufeld : Nous en sommes encore aux premiers balbutiements, pourriez-vous dire. Cela a commencé dans la formation de Barnett au Texas il y a 10 à 15 ans, là où la technologie a été mise au point. Vous avez parlé du gaz de schiste. Le gaz de schiste et le gaz naturel sont la même chose. Ils auront des constituants différents selon les différentes couches d'où ils proviennent, mais ils sont exactement la même chose.

Êtes-vous d'accord pour que nous continuions le forage pour extraire ce gaz dans l'Ouest canadien, à la fois en Alberta et en Colombie-Britannique, et que nous continuions à l'expédier au Québec par pipeline, ou aimeriez-vous voir le Québec avoir l'occasion de développer une grande ressource de gaz de schiste qu'on dit présente sur son territoire — sa présence n'a toujours pas été démontrée avec certitude — qui pourrait être viable du point de vue économique? Cela aiderait la province et permettrait de créer de nombreux emplois. Est-ce que ce ne serait pas une bonne idée?

[Français]

M. Bonin : Il y a, d'emblée, une différence majeure entre l'exploration et l'exploitation qui ont lieu présentement en Colombie-britannique et avec ce qui se fait au Québec. En ce sens qu'au Québec on parle de la région la plus peuplée du Québec, le centre même de l'histoire du Québec, une région agricole. Et on parle de mettre trois puits, quatre puits à chaque kilomètre carré et de mettre un réseau d'oléoducs en conséquence. Avec 10 000, 15 000 ou 20 000 puits, imaginez le réseau d'oléoducs qui serait mis en place, et imaginez les perturbations ainsi provoquées. C'est pourquoi les gens disent : «Attendez. On s'en va où? Présentez-nous de quoi on parle exactement.» Ce n'est pas la même réalité que dans le nord de la Colombie-Britannique.

Ceci étant dit, peut-être que vous êtes allés trop vite de l'avant en Colombie-Britannique en évaluant mal les impacts environnementaux. On doit tenir compte de toutes les études. La France a décidé, pas plus tard que la semaine passée, de mettre un moratoire sur l'exploration/exploitation des gaz de schiste parce qu'ils voient qu'il y a des problèmes et des questions auxquelles on n'a pas répondu.

Aux États-Unis, ils ont envoyé des millions de litres de diesel sous terre. Il a fallu suspendre le Clean Water Act, le Clean Air Act pour aller de l'avant avec l'exploitation des gaz de schiste. Si c'est cela qu'il faut faire pour aller de l'avant, vous pouvez y aller de l'avant en Colombie-Britannique parce que vous êtes souverains, mais au Québec il n'en est pas question. La population ne trouve pas que c'est intéressant d'aller de l'avant en ne respectant pas l'environnement et en ne sachant pas quels sont les impacts environnementaux, sociaux et économiques.

Au Québec présentement il n'y a pas de gain économique envisagé, ou presque. On parle de 200 millions de dollars par année de revenus pour les Québécois, sur ces revenus de 200 millions, il faut ensuite payer pour les routes, les problèmes de santé, les coûts sociaux et il faut payer pour la dépollution de l'eau. Les coûts sociaux et environnementaux font en sorte que ce n'est même pas intéressant au point de vue économique.

Si vous êtes capables de nous donner un plan stratégique disant que d'accord, vous voulez être sérieux, qu'il y a une problématique mondiale de changements climatiques, que vous allez fixer des objectifs comme gouvernement et que vous allez développer une stratégie énergétique cohérente qui vous permettra d'atteindre les objectifs, je vais peut-être vous suivre à ce moment-là. Oui, ça pourrait être intéressant.

Cependant, on ne parle pas juste de changements climatiques. Il faut vérifier ce qui se passe avec l'eau et l'air. Si vous arrivez avec une politique de lutte aux changements climatiques qui respecte la science; si vous arrivez avec une politique énergétique qui y est arrimée, on ne s'y opposera pas.

À ce jour, vous avez rejeté la seule politique qu'on pouvait avoir, la seule loi sur les changements climatiques, et vous êtes en train de vouloir faire une stratégie énergétique qui est arrimée à quoi? On ne le sait pas du tout. Vous pouvez dire ce que vous voulez mais nous, nous voulons un plan cohérent pour le Canada, qui prenne sa position, qui travaille avec les provinces, mais à l'heure actuelle, ce n'est pas la situation.

[Traduction]

Le sénateur Neufeld : Il faut vraiment que vous veniez en Colombie-Britannique avant de faire ce genre d'affirmation et voir ce qui se passe exactement sur le terrain. Je sais que ce ne serait peut-être pas une expérience positive — je pourrais presque parier là-dessus —, mais nous avons d'assez bonnes mesures de contrôle en place; nous avons en place le Plan d'action sur le climat. Nous sommes la seule province au Canada à avoir une taxe sur le carbone sans incidence sur les recettes. Nous avons un tas de choses en place. Avant de dire que la Colombie-Britannique fait mal, vous devriez venir voir par nous-mêmes.

M. Bonin : Je ne dis pas que la Colombie-Britannique fait mal. Je dis que vous pouvez le faire si vous voulez. Toutefois, au Québec, nous voyons qu'il y a des problèmes avec l'exploitation du gaz de schiste. Nous ne voulons pas nous précipiter dans cette activité sans en connaître les répercussions.

Le président : C'est un bon point, monsieur. Nous avons lu dans les journaux les propos du premier ministre du Québec qui disait qu'il n'y aurait pas de développement du gaz de schiste au Québec tant qu'on ne sera pas convaincu que cela se fera d'une manière sûre.

Nous avons votre témoignage, et nous avons entendu cela également, alors, pour le moment, je pense que tout va bien.

[Français]

À cause des limites de temps, nous allons entendre le témoignage de Greenpeace qui, j'imagine, partage essentiellement vos idées.

Pour l'instant, nos portes sont toujours ouvertes à Ottawa. Nous aimerions que vous veniez nous voir et si vous avez quelque chose à dire, nous sommes toujours prêts à vous entendre. Merci beaucoup pour votre témoignage, monsieur Bonin.

M. Bonin : Merci à vous.

[Traduction]

Le président : Nous allons maintenant entendre le témoignage d'un homme très patient, M. Éric Darier.

[Français]

Monsieur Darier était ici à 8 h 00 ce matin, il a pris ses plusieurs tasses de café avec nous. Je vous félicite, monsieur, de votre patience, et j'imagine, pour votre intérêt extraordinaire des affaires climatiques et environnementales.

Monsieur Darier, nous vous souhaitons une bienvenue chaleureuse. Si je comprends bien, vous êtes le directeur de Greenpeace au Québec. Vous avez soumis un mémoire.

[Traduction]

Nous l'avons tous en main, je pense, dans les deux langues officielles. Nous avons certainement très hâte d'entendre ce que vous avez à dire, monsieur. Sans plus tarder, je vous cède la parole, et ensuite, nous allons essayer de vous donner autant de temps que possible.

[Français]

Comme vous pouvez le voir, madame la greffière est très stricte avec moi parce que c'est rare que nous sommes ici au Québec, et nous voulons entendre tous les témoins. La parole est à vous, monsieur.

Éric Darier, directeur, Greenpeace au Québec : Monsieur le président, je vous remercie de m'accueillir aujourd'hui et surtout de me donner l'opportunité de vous parler de l'avenir énergétique au Canada.

Avant d'entrer dans le vif du sujet, je voudrais vous accueillir premièrement aussi au Québec et vous signaler que, aujourd'hui, à l'Assemblée nationale, sera remise une pétition, de plus de 120 000 noms, qui exige un moratoire sur l'exploration et l'exploitation des gaz de schiste au Québec.

Pour votre intérêt, cette pétition générée par le système de pétitions de l'Assemblée nationale est la deuxième pétition par le nombre de signataires recueilli. En fait, la première, c'était celle qui demandait la démission du premier ministre Jean Charest. Un moratoire serait une pause qui permettrait d'avoir des détails.

Le président : Vous espérez peut-être que la pétition d'aujourd'hui aura plus d'effet que celle concernant monsieur Charest?

M. Darier : Oui. C'est une question de temps, je pense.

Le président : Il est toujours là, si je comprends bien.

M. Darier : Oui. C'est toujours une question de temps, en politique, et vous le savez.

Le président : Exactement.

M. Darier : Un moratoire serait en fait une pause qui permettrait de connaître plus en détail les impacts de l'exploitation du gaz de schiste. Ce serait aussi un moment de réflexion nécessaire afin d'adopter la meilleure stratégie énergétique qui réponde à la fois aux contraintes écologiques, comme les changements climatiques, la qualité de l'eau, la qualité de l'air, mais aussi comme stratégie économique vers une plus grande indépendance énergétique.

Greenpeace vous invite à enclencher une véritable révolution énergétique. À cet effet, nous vous avons envoyé un document, dans les deux langues, qui s'appelle [R]évolution énergétique, que vous avez. C'est un document résumé de 12 pages.

Ce document, que vous avez reçu, résume une étude plus détaillée de 120 pages. J'étais très heureux d'entendre certains des commentaires précédents. Voici le plan : vous avez les alternatives, et il y en de nombreuses, sur environ 120 pages, qui expliquent comment le Canada pourrait sortir des énergies sales, notamment fossiles et nucléaires, d'ici 2050.

Cette étude adaptée au Canada provient d'une étude internationale faite par Greenpeace et le Conseil européen des énergies renouvelables. Ce scénario indique une marche à suivre pour bâtir, à l'échelle mondiale, un avenir fondé sur les énergies renouvelables. Il recense les moyens promettant d'éliminer graduellement les combustibles fossiles et de réduire les émissions de CO2 tout en garantissant la sécurité énergétique en fournissant de l'énergie à deux milliards de personnes qui n'ont pas accès à l'électricité et en créant, sur la planète, des millions d'emplois verts.

Ce scénario de la [R]évolution énergétique montre comment, d'ici 2050, les sources d'énergies renouvelables pourraient fournir 96 p. 100 de l'électricité produite au Canada et répondre à 92 p. 100 de notre demande totale en chauffage.

Je signale, en aparté, que tout ceci est basé sur des scénarios de technologies qui existent actuellement et de l'innovation technologique qui est déjà en place. Il ne s'agit pas de choses abstraites.

Ce scénario, s'il était suivi, permettrait de créer, d'ici 2030 environ, 72 000 emplois dans le secteur des énergies renouvelables. Les économies totales en coûts de carburant pourraient atteindre 228 milliards de dollars ou 5,3 milliards de dollars, par an, au Canada.

Le Canada peut entreprendre une révolution énergétique en développant l'efficacité énergétique et les énergies renouvelables, tout en éliminant graduellement ses sources d'approvisionnement énergétique tirées du charbon, du pétrole et du nucléaire.

La solution consiste à investir massivement dans les énergies renouvelables et dans les communautés locales en mesure de les développer. En revanche, continuer de subventionner des énergies fossiles polluantes ne permettra pas de mettre le Canada sur la voie d'un avenir énergétique vert.

Pour lutter contre les changements climatiques, une révolution énergétique est indispensable. On l'a dit, celle-ci est déjà en marche à l'échelle internationale, et au pays, puisque des marchés d'énergies renouvelables voient le jour.

Dans la première édition de la [R]évolution énergétique, publiée en janvier 2007, Greenpeace prévoyait un potentiel de production énergétique renouvelable de 158 gigawatts d'ici 2010. Toutefois, le plus gros du travail reste à faire, c'est- à-dire opérer un changement radical dans la façon de produire l'énergie, de la distribuer et de la consommer.

Ce nouveau paradigme est au coeur du scénario de la [R]évolution énergétique, qui signifie, pour quelques éléments importants : efficacité énergétique et l'électrification des transports.

Le président : Ces exemples que vous énumérez sont les parties-clés de la révolution énergétique dont vous parlez?

M. Darier : Effectivement, et vous avez tout le détail dans les 120 pages. Je ne veux surtout pas lire 120 pages. L'efficacité énergétique, en fait, c'est réduire de 38 p. 100 la consommation d'énergie totale. C'est vraiment dans l'efficacité et l'économie d'énergie. L'électrification des transports, comme vous l'avez signalé, est importante puisque le secteur des transports est un grand contributeur des gaz à effet de serre, et la cogénération, dans les cas où c'est approprié, bien entendu.

Le président : Êtes-vous au courant du fait que nous sommes d'accord avec vous qu'il faut une révolution énergétique?

M. Darier : Absolument, et j'espère qu'on va pouvoir sortir avec un plan.

Le président : Nous partageons le besoin, la nécessité d'identifier un moyen.

M. Darier : Il faut faire la transition. Je pense qu'il y a également un besoin pour l'électricité renouvelable, de chaleur renouvelable, on parle de géothermie mais également de solaire. Je pense qu'il y a un très grand besoin pour l'efficacité des transports.

Énergie primaire renouvelable : on pense que d'ici 2050, 74 p. 100 de la demande d'énergie primaire sera constituée de renouvelable contre 15 p. 100 actuellement. Et, bien entendu, l'élimination graduelle des sables bitumineux d'ici 2030.

Le président : Ceci est une autre révolution, la « advanced energy revolution »?

Ou est-ce la même, c'est juste plus tard?

M. Darier : En fait, il y a différents scénarios dépendant de la façon et la rapidité à laquelle on veut aller. En gros, c'est cela.

Le président : D'accord. Merci.

M. Darier : Ces scénarios créés de la révolution énergétique permettent de créer plus d'emplois. Je vous le rappelle, d'ici 2015 une révolution énergétique avancée, c'est-à-dire le scénario le plus avancé, permettrait de créer plus de 67 000 emplois dans les énergies renouvelables.

Le scénario de la [R]évolution énergétique conduirait à la création de 52 000 emplois dans l'industrie des énergies renouvelables, mais toujours en 2015.

En conclusion, premièrement, on doit sortir des énergies fossiles d'ici 2050 et préparer dès maintenant, et j'espère que ceci commencera aujourd'hui, ici, avec vous, la transition, c'est-à-dire comment le faire. Si on veut y arriver, il faut commencer tout de suite.

Deuxièmement, abolir les subventions de 1,4 milliard de dollars aux entreprises pétrolières, et vous allez avoir une bonne opportunité. Si vous voulez une tâche à faire, le budget fédéral sera déposé bientôt, le Sénat a un rôle important à jouer en ce qui a trait au budget, il serait intéressant de supprimer cette subvention aux compagnies pétrolières qui font, merci, pas mal de profits et qui n'ont pas besoin de subventions publiques. On pourrait rediriger, par exemple ces 1,4 milliard de dollars, ailleurs, aux énergies renouvelables et aux économies d'énergie, par exemple.

Troisièmement, encourager les énergies propres et renouvelables plutôt que les sables bitumineux. Le pétrole en mer, on parle de Old Harry ici, ou dans l'Arctique, après tout, et bien entendu les gaz de schiste.

Bref, en conclusion, il faut encourager les énergies du XXIe siècle, pas celles du siècle dernier. Et pour cela, on compte sur vous.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Darier. Nous apprécions votre coopération et votre compréhension face à nos restrictions de temps. J'aimerais laisser l'occasion à mes collègues de vous poser des questions. Je commence par sénateur Mitchell, suivi par sénateurs Brown, Lang, Massicotte and Banks.

[Traduction]

Le sénateur Mitchell : En ce qui concerne l'électricité renouvelable, vous dites que le secteur de l'électricité sera le pionnier de l'énergie renouvelable, que 96 p. 100 de l'énergie viendront de sources renouvelables, principalement l'énergie éolienne et l'énergie solaire. Ces sources d'énergie ne sont pas constantes, alors, il faut qu'elles soient complétées par autre chose. Êtes-vous en train de dire que seulement 4 p. 100 de l'énergie proviendront de l'hydroélectricité?

M. Darier : Non. Cela dépend; premièrement, certains des scénarios sont fondés sur un scénario global, et, essentiellement, certains des chiffres et certaines des données que nous avons pu trouver pour le Canada se trouvent dans ce modèle. Il s'agit de certains chiffres qui démontrent que cela pourrait effectivement se faire.

Cela varie énormément d'une province à l'autre. De toute évidence, au Québec, ces 96 p. 100 proviennent effectivement de l'hydroélectricité. De plus, nous devons également examiner cela en fonction d'une vision pancanadienne; il y a une grande diversité et c'est un tableau qui est fortement régionalisé.

Encore une fois, je pense que nous devrons voir d'où cela provient, oui.

Le président : Juste pour que nous comprenions, il s'agit essentiellement de chiffres mondiaux et vous essayez de les adapter, est-ce exact?

[Français]

M. Darier : Oui. En fait, les chiffres des données énergétiques qu'on avait ont été adoptés au Canada. Cela vous donne une direction. Bien sûr, on parle de 2050. Est-ce que ce sera 90 p. 100 ou 88 p. 100?

Je pense que c'est important d'avoir une vision, et c'est le but ici aujourd'hui, soit que le gouvernement ait une vision dans quelle direction on s'en va, après cela il ne reste qu'à planifier la transition. . .

Le président : Ce sont des flèches.

M. Darier : ... comment le mettre en place dès maintenant et quelles politiques adoptées. Je vous suggérais, par exemple, d'abolir la subvention aux compagnies pétrolières, qui n'en ont pas besoin, comme première étape et de mettre ces ressources ailleurs.

[Traduction]

Le sénateur Mitchell : Lorsque vous parlez d'abolir les subventions de 1,4 milliard de dollars aux entreprises pétrolières et gazières, il s'agirait d'un argument puissant s'il s'agissait de chèques en bonne et due forme rédigés au nom des sociétés pétrolières, par exemple : « Voici 1,4 milliard de dollars, allez et faites votre travail ». Toutefois, ce qui est frustrant pour moi dans le cas de ces solutions, c'est qu'il ne s'agit pas de chèques à proprement parler. Je pense qu'il s'agit d'une réduction des redevances. En passant, quel est le niveau normal des redevances?

Avez-vous des faits démontrant que le gouvernement fait effectivement parvenir aux sociétés pétrolières des chèques qu'il ne fait pas parvenir aux entreprises du secteur de l'énergie éolienne, si vous voyez ce que je veux dire? Il s'agit d'un argument tellement plus puissant que cette réduction des redevances.

[Français]

M. Darier : Vous êtes les experts, comme sénateurs. Un des principaux mandats du Sénat, c'est justement sur les questions budgétaires et fiscales. Je pense que les subventions indirectes et directes aux compagnies pétrolières ont été identifiées. C'est un travail que vous pourriez entreprendre pour voir à ce que les contribuables canadiens ne financent pas des compagnies qui n'en ont pas besoin puisqu'elles font d'énormes profits, et que l'argent public soit utilisé pour la vision à long terme, c'est-à-dire de diminuer notre dépendance aux énergies fossiles, et rediriger ces ressources vers des secteurs tels l'efficacité énergétique ou les énergies renouvelables, pour envoyer un message clair à l'industrie et aux investisseurs dans tous les secteurs, et notamment, les secteurs des énergies renouvelables et de la construction puisque ceci implique d'isoler les bâtiments.

[Traduction]

Le président : Je pense qu'il vient d'écrire votre discours.

Le sénateur Mitchell : J'allais dire que j'étais de l'autre côté de la législature, d'Ed Stelmach. Je pense qu'Ed Stelmach a, en fait, essayé cela parce qu'il a augmenté les redevances et voyez ce qui lui est arrivé. Merci beaucoup.

Le sénateur Brown : Je suis vraiment impressionné par votre brochure. Il semble que malgré toutes les énergies différentes dont vous parlez, votre graphique à la page 9 démontre que la meilleure façon de réduire à la fois le problème des GES et celui de l'énergie est l'efficacité.

Si je lis bien ce graphique, il semblerait que 60 p. 100 de tout ce que vous avez proposé vient, en fait, de l'efficacité. Je pense que c'est une idée merveilleuse. Certains fabricants d'automobiles travaillent en ce sens à l'heure actuelle, et je sais qu'il y a des machines à laver, des poêles et toutes sortes de choses qui comportent des cotes d'efficacité énergétique.

Je dois vous féliciter pour ce graphique parce que s'il s'agit là de l'objectif principal, alors, je pense qu'il est réalisable.

[Français]

M. Darier : Oui, tout ceci est basé sur des technologies qui existent déjà. On ne parle pas ici de choses qui n'existent pas ou qui ne sont déjà pas en place. Il y a bien d'autres exemples de pays européens qui ont un produit intérieur brut par habitant similaire au Canada, qui sont en termes d'intensité énergétique moindres. Il y a quand même d'autres modèles de ce qui peut être fait à ce niveau. L'avenir est vraiment sur l'efficacité énergétique et les économies d'énergie. Vous voyez là qu'il s'agit d'un exemple très concret.

Je vous suggère d'ailleurs de lire La stratégie québécoise énergétique de 2006 qui, très clairement, identifiait par liste de priorités l'efficacité et les économies d'énergie comme numéro un.

Il faudrait peut-être des programmes pour augmenter notamment l'efficacité des bâtiments au niveau de la conservation des bâtiments, ce qui aurait l'avantage de créer beaucoup d'emplois à travers tout le Canada, dans le secteur de la construction. C'est, d'après moi, une des choses les plus importantes à faire.

[Traduction]

Le sénateur Brown : J'ajouterais simplement que votre échéancier ici est raisonnable également parce que votre graphique débute en 2007. Évidemment, nous sommes en 2011, mais si vous enlevez 10 ans, vous avez 39 ans. Il s'agirait là de la durée de vie de presque tout appareil et de tout ce que nous utilisons. Toutes les voitures que nous avons aujourd'hui auront disparu et nous en aurons de plus efficaces. Je pense que c'est une excellente idée.

[Français]

M. Darier : Merci. Je pense que c'est aussi important. Oui, c'est étalé sur une quarantaine d'années, mais pour y arriver il faut commencer aujourd'hui. On compte sur vous pour pousser, sinon on ne va pas y arriver.

[Traduction]

Le président : Je pense que vous avez un converti ici. Je pense qu'il pourrait s'agir d'un des premiers grands pétroliers de l'Alberta à devenir membre de Greenpeace.

Le sénateur Lang : Je note dans vos observations que vous avez parlé d'éliminer graduellement l'énergie nucléaire, d'éliminer graduellement les sables bitumineux et, de toute évidence, que vous avez l'intention de réduire la demande d'énergie pour nous permettre d'y arriver.

Vous avez également dit que vous vouliez fournir de l'énergie à 2 milliards de personnes qui n'en ont pas encore. Vous dites que vous êtes prêts à accroître l'accès à l'énergie à 2 milliards de personnes de plus, passant de 5 à 7 milliards de personnes, est-ce exact?

[Français]

M. Darier : Oui, effectivement. Ce qui est important, à l'échelle internationale et globale, c'est de voir que beaucoup de gens dans les pays du Sud veulent la même chose que nous.

D'abord, on doit sortir les gens de l'extrême pauvreté. Voilà pourquoi les nouvelles technologies, par exemple, de l'énergie solaire photovoltaïque, peuvent être une solution dans certains pays du Sud, dans certains endroits.

Toutefois, en même temps, cela nous questionne nous-mêmes en tant que grands utilisateurs d'énergie au monde, de dire : est-ce qu'on peut continuer à avoir une qualité de vie tout en réduisant très substantiellement les quantités d'énergie que nous consommons? La réponse très claire de ce document est oui.

Par exemple, si le Canada appliquait ce scénario et arrivait à réduire sa consommation d'énergie d'environ 40 p. 100, comme on le suggère, ou de 60 p. 100 si on inclut l'efficacité ou les économies d'énergie, ceci permettrait d'envoyer un message aux pays du Sud que les pays du Nord font leur part également. Ceci permettrait d'être plus équitable au niveau énergétique et de sortir beaucoup de gens des pays du Sud de la pauvreté extrême dans laquelle ils se trouvent.

[Traduction]

Le sénateur Lang : Ce que je ne comprends pas, et peut-être que vous pourriez m'éclairer, c'est que nous allons éliminer le recours aux sables bitumineux, éliminer le recours à l'énergie nucléaire et pourtant, nous allons fournir plus d'énergie à 2 milliards de personnes de plus qui existent dans le monde d'aujourd'hui et nous allons avoir une autre augmentation de 2 milliards de personnes. Par conséquent, nous allons fournir plus d'énergie à 4 milliards de personnes de plus.

Je ne sais pas comment vous pouvez dire que nous serons en mesure de faire cela avec l'énergie solaire.

[Français]

M. Darier : Non. Il y a de nombreuses alternatives. Le solaire en est une, mais il y a beaucoup d'autres énergies alternatives. Vous allez avoir, en fait, certains témoins cet après-midi qui vont pouvoir vous donner un portrait plus détaillé de ce côté. Cependant, c'est faisable.

Je rappelle que ce scénario de Greenpeace et des chercheurs européens a été basé sur des technologies qui existent actuellement. Il n'y a rien de farfelu ou d'étrange dans ces scénarios. Ils sont, en fait, basés sur des technologies qui existent actuellement.

C'est dur, n'est-ce pas, quand on dépend d'une chose comme du pétrole et des énergies fossiles et que nous y sommes habitués, d'imaginer comment on peut s'en sortir. C'est évident que certaines compagnies n'ont pas intérêt à perdre leur marché et veulent donc nous maintenir dans une certaine dépendance. Je pense qu'il y a un consensus maintenant des scientifiques et des experts, dont Greenpeace qui est une des organisations qui a fait ce rapport. Il y a également beaucoup d'autres rapports de d'autres organisations paragouvernementales ou environnementales qui montrent très bien que des alternatives existent.

C'est donc une question de penser à l'avenir, de penser peut-être à la prochaine génération, à vos enfants, à vos petits-enfants, qui vont avoir à gérer ces problèmes de changements climatiques. C'est de les aider, de les mettre sur la bonne piste maintenant et d'envisager que le monde ne sera plus pareil en 2050, d'une manière ou d'une autre, alors autant qu'il soit meilleur et qu'il soit planifié dès aujourd'hui.

Le sénateur Massicotte : Merci, monsieur Darier, d'être avec nous ce matin. Votre présentation est très bien, elle nous informe beaucoup. Il y a beaucoup d'informations dans votre présentation.

Je reconnais, et je pense que le comité reconnaît, que la technologie est disponible. Nous avons toujours besoin de s'améliorer, et la technologie d'aujourd'hui permet d'atteindre tous les objectifs que nous nous fixons. Toutefois, le souci que nous avons, c'est qu'il y a un prix à tout cela.

M. Darier : Oui.

Le sénateur Massicotte : Regardez le coût par kilowatt de l'énergie solaire, au Québec, c'est quatre à cinq fois le prix de notre électricité. Du côté de l'énergie éolienne, c'est 100 p. 100 plus élevé que le prix d'Hydro.

La grande question qui demeure, c'est : le consommateur va-t-il accepter ces changements?

Si on suit votre raisonnement et qu'on en croit l'importance, ce que j'espère, relativement à l'impact sur l'atmosphère de tout le tonnage de pollution qu'on met dans les airs, je pense qu'on peut l'accepter. Il y a quand même une résistance énorme.

Regardez au Québec la difficulté qu'on vit. Le gouvernement continue d'augmenter le coût de l'électricité juste un petit peu, même si nous ne payons qu'environ la moitié du prix de bien d'autres villes canadiennes, et peut-être un quart du prix qu'ils paient à New York ou en Californie. Ce n'est pas la technologie ni la logique, c'est l'acceptation par la population de payer un tel prix.

L'autre question c'est : quelles technologies? N'êtes-vous pas d'accord que peut-être on peut avoir des principes selon lesquels cela devrait être un certain pourcentage en énergie éolienne et un tel autre pourcentage en énergie solaire, mais pourquoi ne pas laisser le marché lutter et pourquoi ne pas laisser le consommateur décider quel choix il veut faire?

Pour moi la solution c'est qu'il faudrait que le prix inclut tous les coûts de la société, de son utilisation, et plutôt que de demander au gouvernement d'imposer des choses, de laisser le consommateur décider.

En conséquence, il faudrait que le prix reflète le coût total à la société de l'utilisation d'une certaine technologie ou d'une certaine ressource naturelle.

Quelle est votre réaction à mon propos, plutôt que de faire une allocation gouvernementale?

M. Darier : Merci pour cette question. En fait, j'ai trois réponses très rapides.

Oui, les technologies existent. Vous en avez eu une ce matin qui vous a été exposée par M. Robert des transports.

Je vais laisser à un de mes collègues, qui va témoigner cet après-midi, un expert en transport, le soin de répondre et vous exposer, en fait, que cette technologie, qui a été présentée ce matin, n'est peut-être pas la meilleure façon de réduire les gaz à effet de serre. Je vais le laisser répondre à votre question et je vous suggère de lui poser des questions cet après-midi.

La deuxième réponse à votre question : je pense que le rôle de tout gouvernement, c'est de donner une vision. En fait, c'est d'indiquer où est-ce que nous allons en tant que société. Le gros problème actuellement, et ce depuis une vingtaine ou une trentaine d'années, c'est qu'il y a très peu de vision.

Il y a un certain cynisme. On en parlait tout à l'heure, mais il y a un certain cynisme parmi la population qui se dit : on ne sait pas où on s'en va. Un gouvernement arrive et il met en place un programme; un autre arrive et il enlève le programme. Ce qui est très perturbateur pour les agents économiques, c'est l'instabilité, et cela vaut également pour les citoyens. C'est très difficile de demander aux citoyens d'avoir une vision alors que parfois, et très souvent malheureusement, les gouvernements n'en ont pas.

Je vous donne un exemple : personne n'avait entendu parler des gaz de schiste au Québec, avant juin l'an passé dans les médias. C'était inconnu. Et, tout d'un coup, ça sort des cartons à la fois du gouvernement et de l'industrie, sans qu'il y ait eu un débat social. On voit la réaction maintenant.

Si encore on avait une idée où est-ce qu'on veut s'en aller comme vision à long terme, peut-être qu'on pourrait faire embarquer les citoyens et les agents économiques pour agir.

Qu'est-ce qu'on peut faire? Je pense que, en fait, abolir de manière efficace les subventions directes ou indirectes à l'industrie pétrolière serait un bon moyen d'envoyer un message non seulement aux compagnies pétrolières, qui n'ont pas besoin de ces subventions, mais également à la société. On devrait envoyer le message que l'on pense qu'on doit faire la transition vers l'après-pétrole, l'après-énergie fossile, et que nous devons aller vers les économies d'énergie, l'efficacité énergétique et les énergies renouvelables.

Je vous rappelle, en Allemagne, depuis qu'ils ont un système de feed-in tariff, c'est-à-dire que les consommateurs qui achètent, par exemple, du photovoltaïque ont une assurance que la compagnie d'électricité va leur racheter, à un prix donné, les surplus d'électricité qu'ils produisent. Ceci a eu un impact colossal sur la production d'électricité en Allemagne et a fait émerger, en fait, tout un secteur des énergies renouvelables.

Il faut penser à des mécanismes très simples qui font embarquer les individus, mais qui motivent également l'ensemble de la société, incluant les acteurs économiques. Il faut qu'il y ait une vision. S'il n'y a pas de vision, où est-ce qu'on s'en va? Sinon, c'est le statu quo et on va avoir d'énormes problèmes.

[Traduction]

Le président : Bonnes questions et bonnes réponses. La dernière question sera posée par le sénateur Banks.

Le sénateur Banks : Croyez-le ou non — je sais que vous le croyez —, nous comprenons ces sources d'énergie de remplacement. Nous en avons entendu parler par de nombreuses personnes depuis de nombreuses années.

Le président : Nous avons entendu parler des pour et des contre.

Le sénateur Banks : Un camp et l'autre. Toutefois, nous savons qu'elles existent et que certaines d'entre elles vont produire de l'énergie. Vous laissez entendre que nous devrions réduire les subventions aux sociétés pétrolières et gazières — et nous avons entendu cela auparavant également, aujourd'hui et à d'autres occasions. Cependant, ne devrons-nous pas donner des subventions ailleurs? Par exemple, pour continuer dans la même veine que le sénateur Massicotte, nous savons que les sources de production d'énergie de remplacement actuelles coûtent plus cher que les solutions actuelles.

Le président : Elles coûtent au moins deux fois plus cher.

Le sénateur Banks : Qui paiera la différence? Pensez-vous qu'il soit politiquement possible que les gens disent : « Oh, nous pensons que c'est si important que nous allons payer la différence », ou pensez-vous qu'il faudra déplacer les subventions d'un secteur de production énergétique à un autre?

[Français]

M. Darier : Merci pour la question. Effectivement, au coeur du problème, c'est celui de la transition. Comment peut- on faire la transition?

Il faudrait, pour tout secteur émergent, que ce soit des énergies renouvelables et autres, avoir une période, par exemple, de subventions. Je vous invite à transférer certaines des subventions aux compagnies pétrolières vers les énergies renouvelables. Ce serait, je pense, une première étape, tout cela dans un contexte d'une vision à long terme. C'est absolument essentiel.

De nombreux experts peuvent vous dire quelle technologie et quel secteur sont les plus appropriés pour remplir les besoins énergétiques qui ont un impact écologique moindre. C'est le grand défi auquel nous devons faire face.

Ce n'est pas, comme vous l'avez très bien dit, un manque d'information. C'est un manque de volonté politique de le faire. On compte sur vous pour le faire : vous êtes des sénateurs, vous avez déjà eu une carrière, vous n'avez plus rien à perdre, donc faites-le pour les prochaines générations. Aidez le Canada à avoir une vision d'ici 2050, et commencez aujourd'hui pour être fiers de cela.

[Traduction]

Le président : Merci de ce mot de la fin.

[Français]

M. Darier : Merci.

Le président : Monsieur Darier, comme je l'ai dit au début, vous êtes très patient. Pour nous, c'est une attente qui a fait ses preuves.

[Traduction]

Le président : Il a valu la peine d'attendre votre témoignage; il était excellent, de même que ces autres documents.

M. Darier : Merci.

Le président : Chers collègues, la séance formelle est levée.

(La séance est levée.)


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