Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Énergie, de l'environnement et des ressources naturelles
Fascicule 17 - Témoignages du 8 février 2011 (réunion de l'après-midi)
MONTRÉAL, le mardi 8 février 2011
Le Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles se réunit aujourd'hui, à 13 h 35, afin d'examiner l'état actuel et futur du secteur de l'énergie du Canada (y compris les énergies de remplacement).
Le sénateur W. David Angus (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Permettez-moi de préciser d'entrée de jeu que nous accueillons un bon nombre de témoins cet après- midi. Comme vous le remarquerez, la séance devait à l'origine commencer à 12 h 45. Il est maintenant 13 h 30, et nous réduirons le temps de chacun de cinq ou dix minutes. Veuillez respecter cette limite.
Je demanderais à tous les sénateurs de poser des questions brèves et d'éviter les longs préambules. Je sais que M. Breton le comprend, car, ce matin, il a vu ce qui pouvait se produire.
[Français]
C'est avec plaisir que nous vous accueillons au Comité sénatorial de l'Énergie, environnement et ressources naturelles, dont vous connaissez bien la nature de l'étude.
Daniel Breton, président de Groupe Maîtres chez nous-21e siècle (MCN21) : Absolument.
Le président : Une étude qui a commencé il y a un an et demi. Ce voyage de recherche à Montréal est d'un grand intérêt pour mes collègues et moi-même.
Monsieur Breton, vous êtes le président de groupe Maîtres chez nous-21e siècle. Qu'est-ce que cela veut dire MCN21?
La parole à vous, monsieur Breton.
M. Breton : Monsieur le président, je vais commencer par faire une très courte introduction sur qui nous sommes. Le Groupe Maîtres chez nous-21e siècle n'est pas un groupe d'écologistes, mais bien un groupe de spécialistes en énergie. On retrouve au sein du groupe : l'ancien sous-ministre de l'énergie au ministère des Ressources naturelles du Québec, M. Denis L'Homme, qui a travaillé quarante ans dans le domaine; M. Jean-Marc Pelletier, ancien dirigeant du Syndicat des scientifiques d'Hydro-Québec; M. Xavier Daxhelet, docteur en génie physique; deux économistes, et moi-même, qui suis un expert en transport. Cet éventail de spécialistes en transport et en énergie du XXIe siècle ont entre 15 et 45 années d'expérience.
Le président : Avez-vous entendu le témoignage de M. Robert, ce matin?
M. Breton : Oui, absolument. J'ai d'ailleurs fait une analyse concernant la Route Bleue. Ce qu'on appelle la Route bleue, c'est le GNA Transportation.
Le président : La Route bleue qui représente le corridor entre le Nouveau-Brunswick et Windsor?
M. Breton : Exactement. La Route bleue pose certains problèmes techniques au niveau des émissions de gaz à effet de serre. Je ne dis pas qu'on doive, d'emblée, rejeter la Route bleue. Néanmoins, cette analyse soulève des questionnments, sur la tranformation de tous les camions lourds au gaz naturel liquéfié.
Il y a 71 000 camions lourds sur les routes du Québec qui émettent 21,3 p. 100 des émissions de gaz à effet de serre totaux du Québec. Si ces 21,3 p.100 d'émissions de gaz à effet de serre diminuaient de 25 p.100, on aurait une diminution factuelle totale, au final, de 1,9 p. 100 des émissions de gaz à effet de serre au Québec. Ce n'est pas négligeable, sauf qu'il nous faut considérer, qu'avec les camions au gaz naturel liquéfié, il y a un risque de fuite par les évents lorsque la température augmente. Par conséquent, si ce n'est pas du gaz naturel qui est brûlé, ce sera du méthane qui sera évacué par la valve. Bref on se retrouve avec des gains minimes et peut-être presque nuls, en ce qui a trait aux émissions de gaz à effet de serre.
Il n'est pas question ici de rejeter la solution de la Route bleue, c'est-à-dire d'avoir des camions qui carburent au gaz naturel liquéfié, mais il existe une autre piste de solution. Je vais donc faire preuve de patriotisme canadien.
La plupart des systèmes de conversion au gaz naturel liquéfié proviennent des États-Unis. Or, au Canada, entre autres chez Paccar, à Sainte-Thérèse, on fabrique des camions qui fonctionnent de façon hybride, soit en mode diesel/ électrique.
Ces camions coûtent à peu près le même prix que la conversion d'un camion au gaz naturel liquéfié sans avoir, au surplus, à assumer les coûts de transformation du système mécanique des garages pour le gaz naturel liquéfié. On a les mêmes gains au niveau des émissions de gaz à effet de serre et, en plus, on fabrique les camions au Canada plutôt que d'aller chercher des camions américains.
Je pense que c'est une solution à considérer qui aurait un impact positif sur les emplois, les revenus pour le Canada, et ce, pour les mêmes gains environnementaux.
Il a été question des subventions directes données aux entreprises gazières et pétrolières. J'ai les chiffres à l'appui. En fait, la subvention directe provenant du fédéral pour l'année dernière équivaut à 600 millions de dollars. Ce n'est pas 1,4 milliard de dollars. Dans le 1,4 milliard de dollars, il y a 800 millions de dollars d'allégements fiscaux et 600 millions de dollars de subventions directes. Ce sont les vrais chiffres.
Ces données sont énoncées dans le document que l'on vous remettra plus tard.
Le président : On parle d'une subvention du fédéral?
M. Breton : On ne parle que du gouvernement fédéral. On ne parle pas des gouvernements provinciaux.
J'aimerais répondre au commentaire du sénateur Massicotte, qui a abordé le coût de l'énergie, en comparant l'hydroélectricité, l'éolien et le solaire. Vous avez affirmé que le coût de l'énergie solaire était de quatre à cinq fois plus élevé que le coût de l'hydroélectricité. Ce n'est plus le cas. Le coût du solaire photovoltaïque, à cause des avancements des dernières années, revient à 0,15 $ à 0,20 $ du kilowattheure.
Ce sont là des avancées qui datent de 2010. Si, par exemple, on prend le cas du projet de la Romaine, on parle d'une centrale qui est à 0,10 $ du kilowattheure. On parle d'un facteur important, soit une différence de 50 p. 100 des coûts.
Je ne dis pas que je favorise le solaire plus que l'hydroélectricité. L'idée, c'est de mettre les chiffres à la bonne place.
En ce qui concerne l'énergie éolienne, elle ne coûte pas deux fois plus cher que l'hydroélectricité au Québec. Une compagnie allemande, du nom de Siemens, a présenté un projet, en 2005, qui offrait de faire 4 000 mégawatts à 0,07 $ du kilowattheure; ce qui est donc moins cher que l'hydroélectricité.
Bref, tout cela pour dire qu'il y a un portefeuille énergétique qui devra être mis en place et comporter toutes les pistes de solutions. Nous n'avons pas de parti pris sur l'exploitation des gaz de schiste, nous attendons d'avoir plus d'information avant de nous prononcer.
Il y a environ deux semaines, l'Institut national de santé publique a dit de façon on ne peut plus claire que la documentation actuelle ne fournit pas assez d'informations pour mesurer les impacts négatifs sur la santé.
Voilà pourquoi on demandait un moratoire et on le demande toujours, le temps que l'on reçoive l'ensemble des informations. À mon avis, c'est prématuré que de se prononcer pour ou contre l'exploitation des gaz de schiste, à ce stade-ci. Si on veut faire preuve de rigueur scientifique, il faut s'assurer d'avoir tous les faits.
Il a été aussi question des subventions allouées aux énergies fossiles. Vous avez probablement entendu parler de l'Agence internationale de l'énergie qui a démontré que, actuellement, à travers le monde, on donnait douze fois plus de subventions aux énergies fossiles qu'aux énergies renouvelables. Et, on constate la même réalité, et ce, de façon quantifiable au fédéral.
Je suis un spécialiste dans le domaine du transport vert, et j'écris dans différents médias. J'offre aussi ma collaboration à travers le monde pour parler des nouvelles sources de transport individuel et collectif, électrique, hybride, diesel et ainsi de suite. J'étais présent au salon de Détroit, il y a à peu près trois semaines. La compagnie Ford nous a révélé qu'au moment où ils étaient sur le point d'embaucher 7 000 nouveaux employés aux États-Unis, dont 3 500 ingénieurs dans le développement de nouvelles technologies vertes, on fermait des centres de recherche et développement chez Ford, au Canada. Cela est dû au fait, entre autres, que le gouvernement canadien ne subventionne pas et n'appuie pas assez la recherche et le développement du transport électrique, diesel, hybride, et autres. C'est un problème réel dans la communauté des ingénieurs.
Je suis issu d'une famille dont les membres ont travaillé chez General Motors et chez Ford depuis 75 ans. Ils y ont travaillé à Oshawa et à Détroit. Je connais bien ce milieu. Et, personnellement, je trouve cela vraiment triste de voir des centres de recherche et de développement dans le domaine du transport automobile, comme dans celui du transport collectif, déménager aux États-Unis. Les bons chercheurs s'en vont aux États-Unis. Les gens qui ont acquis des maîtrises et des doctorats dans des domaines tels que celui des énergies éoliennes s'en vont ailleurs dans le monde parce qu'ici, on n'offre pas assez de soutien à la recherche et au développement.
Vous connaissez sans doute l'étude qui date de l'année dernière, qui démontre que même si on abaissait de façon importante le niveau d'imposition des grandes entreprises, il y a très peu de cet argent qui est investi en recherche et développement; ce qui fait que le Canada était bon dernier parmi les pays de l'OCDE à investir en recherche et développement. Nous avons pourtant le plus bas niveau d'impôt corporatif de tous les pays de l'OCDE, après le Mexique.
La part du gouvernement canadien pour le développement des technologies vertes et le transport vert est insuffisante. C'est un problème important que nous voulons vous adresser. La réalité, c'est que si la planète est dépendante du pétrole, le Canada est dépendant des revenus du pétrole. En anglais, on dit :
[Traduction]
« The planet is hooked on oil and we are hooked on oil revenue ».
[Français]
Cela pose un problème. À titre d'exemple, j'ai de la famille qui habite à la Nouvelle-Orléans. Il y a une vingtaine d'années, des gens ont fait la démonstration que cette partie du monde serait submergée d'ici les prochaines 40 à 50 années à cause de la hausse du niveau des mers. On a vu avec l'ouragan Katrina, les conséquences du réchauffement climatique et ce qu'on appelle « les engloutissements de parties du monde. » Quelques années plus tard, on se retrouve avec le déversement de millions de litres de pétrole dans le golfe du Mexique à cause de l'irresponsabilité des compagnies pétrolières.
Il existe des compagnies pétrolières et gazières qui sont professionnelles, et d'autres, qui ne le sont pas. Dans les faits, la compagnie BP a démontré qu'elle n'était pas professionnelle. Force est de constater qu'au moment où on a vu le déversement dans le golfe du Mexique, des gens ont perdu des emplois dans les milieux de la restauration, de l'hôtellerie et des pêcheries, et le gouvernement fédéral a déclaré un moratoire le temps de faire des enquêtes pour savoir d'où venait le problème. Or, comme les gens étaient dépendants des revenus et des emplois liés au pétrole, les seuls emplois possibles, ou presque, ils ont dit : « On n'a pas les moyens d'avoir un moratoire parce qu'on a besoin de nos emplois. » Cela illustre bien, ce que veut dire :
[Traduction]
« Être dépendants des emplois et des revenus du pétrole ».
[Français]
Cela arrive parce qu'il y a certaines parties du Canada qui mettent leurs oeufs dans le même panier. C'est ce qui risque d'arriver si on se fie trop sur les revenus du pétrole ou du gaz, et cela fera en sorte que s'il y a le moindrement des problèmes —
[Traduction]
— on est foutus.
[Français]
C'est une des réflexions que je veux faire sur l'exploitation du gaz et du pétrole au Québec. Nous essayons de diversifier notre portefeuille énergétique. Je suggère à toutes les provinces de faire la même chose parce que si vous ne vous fiez qu'à une source de revenus, vous ne pourrez pas passer à travers le XXIe siècle.
L'ancien premier ministre de l'Alberta, Peter Lougheed a déjà dit à quel point il considérait la façon dont l'Alberta gérait ses revenus et les sables bitumineux, comme irresponsable. Il avait dit que la Norvège a réussi à se faire un fonds héritage de centaines de milliards de dollars.
[Traduction]
Or, où est ce fonds du patrimoine en Alberta?
[Français]
Lorsqu'il ne restera plus de pétrole, qu'arrivera-t-il s'ils n'ont pas mis de l'argent de côté? Il a répondu :
[Traduction]
Devront-ils déménager dans une autre province?
[Français]
Cela fait partie des réflexions qu'on doit faire sur l'avenir de l'énergie et celui de l'environnement.
Comme il fallait que je sois bref, j'y suis allé rapidement avec ces quelques considérations. Toutefois, je pense que tout cela fournit une matière à réflexion importante. Je vous enverrai un document qui va étayer ces réflexions, au cours des prochaines semaines, si cela vous intéresse.
Le président : Oui, nous sommes intéressés. Je vous remercie.
[Traduction]
Le sénateur Mitchell : J'aimerais revenir sur la question des subventions à l'industrie pétrolière. Je crois qu'il est juste de dire qu'au cours des années 1970, le gouvernement fédéral a pris une participation directe dans Syncrude, à hauteur de 12 p. 100, je crois. Si ça n'avait pas été le cas, tout cela n'aurait peut-être jamais commencé. C'était une subvention d'investissement directe, mais plus compliquée. J'ai déjà eu cette discussion avec un témoin auparavant.
M. Breton : Oui.
Le sénateur Mitchell : Il est plus difficile de soutenir qu'il s'agit d'une subvention directe. J'ai trouvé intéressant que vous disiez que la valeur s'élevait à 800 millions de dollars, je crois.
M. Breton : Non, j'ai dit 600 millions de dollars. Je vais vous remettre les documents.
Le sénateur Mitchell : En subventions directes.
M. Breton : Oui.
Le sénateur Mitchell : Comme de vrais chèques. D'accord. Si vous pouviez me remettre ces documents, ce serait très bien.
Par ailleurs, l'une des choses qu'on peut dire, c'est que l'aide financière pour le captage et le stockage du carbone, les 2 milliards de dollars, est accordée par divers gouvernements, au moins celui de l'Alberta et le gouvernement fédéral, sous forme de subventions directes.
M. Breton : Oui.
Le sénateur Mitchell : Diriez-vous que c'est inapproprié?
M. Breton : Le bien-fondé d'un investissement d'une telle importance dans la subvention du captage de carbone reste encore à démontrer, d'un point de vue scientifique. Je veux dire qu'en ce moment, cela pose de véritables problèmes techniques. Je pense qu'on devrait avoir une très sérieuse discussion avant d'aller de l'avant et d'écouter les promoteurs, qui affirment qu'il s'agit de la huitième merveille du monde.
Aucun des scientifiques avec lesquels j'ai collaboré n'est convaincu que ce sera la solution. D'abord, il est certain qu'il n'existe pas de solution à toute épreuve. Mais les 2 milliards de dollars d'investissement dans le captage du carbone sont un bon moyen d'échapper à la réalité, à mon avis, car même si on capte le carbone, on a encore des problèmes du côté de l'eau et de la pollution atmosphérique. Ça ne règle pas tout, même si c'est techniquement et économiquement réalisable, ce qu'on est loin d'avoir démontré jusqu'ici.
Le sénateur Mitchell : Oui. C'est la même histoire. Au moins, les entreprises semblent enclines à vouloir le faire. On pourrait aussi dire qu'il y a eu d'énormes problèmes techniques relativement à l'exploitation des sables bitumineux.
M. Breton : Absolument.
Le sénateur Mitchell : Cela n'a arrêté personne, et, maintenant, on peut en voir le résultat. On a trouvé le moyen. Je pense que nous devons adopter des solutions, puis les mettre à l'épreuve et déterminer comment les rendre économiques. Et si nous pouvions simplement nous y mettre, c'est ce que nous ferions.
M. Breton : Oui.
Le sénateur Mitchell : J'ai l'impression qu'il y a des résistances à n'importe quelle solution possible. Le captage et l'entreposage du carbone pourraient, en réalité, être la solution pratique qui convient, car les entreprises semblent vouloir le faire.
M. Breton : Peut-être.
Le sénateur Mitchell : Je ne veux pas vous mettre des mots dans la bouche, mais n'êtes-vous pas d'accord pour dire qu'il faudra beaucoup de temps avant que nous abandonnions les combustibles fossiles?
M. Breton : Je suis d'accord.
Le sénateur Mitchell : Nous allons devoir faire quelque chose en ce qui a trait à leur utilisation. Si ce n'est pas le captage, qu'est-ce que ce sera?
M. Breton : Eh bien, on devra diminuer leur utilisation.
Le sénateur Mitchell : Je sais. Combien de temps avons-nous?
M. Breton : Nous n'avons pas beaucoup de temps, mais permettez-moi de vous donner un exemple. La France a un système bonus-malus concernant l'utilisation des automobiles et les types de véhicules que les gens utilisent. Peut-être le savez-vous déjà, mais, en 2010, les ventes de camions et de véhicules utilitaires sport, ou VUS, ont explosé. En 2010, pour la première fois depuis la Deuxième Guerre mondiale, davantage de camions et de VUS que d'automobiles ont été vendus.
Le sénateur Mitchell : Oui.
M. Breton : C'est incroyable. Vous connaissez certainement Bob Lutz, l'ancien vice-président de General Motors. Il a dit que si nous n'avions pas de stratégie énergétique cohérente aux États-Unis et au Canada, l'industrie automobile serait foutue, car il est impossible de planifier quoi que ce soit alors que le prix de l'essence fluctue et que, d'un mois à l'autre, les gens demandent tour à tour des petits véhicules et des gros véhicules. Pour eux, cela n'a pas de sens.
Même les fabricants automobiles — General Motors — réclament une stratégie énergétique, qui implique que les gens devront payer plus cher pour des voitures qui consomment beaucoup d'essence, et moins cher pour des véhicules écoénergétiques.
[Français]
Le sénateur Massicotte : Monsieur Breton, je vous remercie de votre présence parmi nous. Vous avez fait référence à mes commentaires sur les différents types d'énergie. Hier, j'ai reçu les informations de la part de Hydro Québec, et en regardant mes notes, j'ai constaté que Hydro Ontario Power nous avait donné, effectivement, les mêmes chiffres.
M. Breton : Vous parlez de Hydro-Québec et Hydro-Ontario?
Le sénateur Massicotte : Hydro Ontario Power qui nous avait donné les chiffres. Si vous voulez nous donner vos chiffres, cela serait très apprécié.
M. Breton : Avec plaisir.
Le sénateur Massicotte : Pour revenir sur l'argument, je ne suis pas technicien, mais vous l'êtes. Concernant les propos de Transport Robert sur le gain net, pouvez-vous reprendre plus lentement cet argument?
M. Breton : Oui. Je vous enverrai les calculs qu'on a faits. Actuellement, il est question d'une subvention, parce que la conversion d'un camion au gaz naturel liquéfié ou d'un camion qui est au gaz naturel liquéfié coûte en moyenne 70 000 dollars de plus par camion. Et là, il y a une subvention qui est donnée pour acheter des camions qui vont fonctionner au gaz naturel liquéfié. J'ai parlé de la conversion des 71 000 camions lourds, de quarante-cinq pieds de longueur, et qui sont fonctionnels.
On aurait une diminution réelle de 1,9 p. 100 des émissions de gaz à effet de serre totales du Québec. Donc, on dit 25 p. 100 par camion. Mais, c'est 25 p. 100 dans un monde idéal. Et, la réalité, c'est que les camions constituent 21 p. 100 des émissions de gaz à effet de serre du transport et ce dernier en produit 40 p. 100. Donc, vous prenez 21 p. 100 de 40 p. 100 et, par la suite, vous enlevez 25 p. 100, et vous êtes rendu à moins de deux pour cent. C'est 21 de 25, de 40 p. 100. Cela signifie que l'on a une baisse d'émissions totales du bilan du Québec de deux pour cent. Mais il s'agit de deux pour cent dans des conditions idéales, c'est-à-dire dans l'éventualité qu'il n'y ait pas de fuite par les valves. Comme je vous le disais plus tôt, les valves vont faire en sorte qu'à plus haute température, le gaz naturel liquéfié se réchauffe, la pression augmente, et donc la valve doit s'ouvrir pour laisser sortir du méthane. Et comme le méthane est huit fois plus émetteur de gaz à effet de serre que le gaz naturel, on se retrouve donc avec un facteur qui fera en sorte que le 1,9 p. 100 diminuera rapidement.
Si les camions roulent tout le temps, il n'y aura pratiquement pas de sortie des valves. Mais, dès que le camion est au repos quelques heures, les valves doivent laisser s'évacuer du gaz naturel liquéfié. Donc, le gain est minime.
Voilà pourquoi je dis que les camions diesel hybrides, ou encore les autobus New Flyer hybrides, qui viennent du Manitoba, sont des technologies à favoriser davantage que les systèmes de gaz naturel liquéfié.
Comme je l'ai dit, on ne rejette pas d'emblée cette option, mais nous soutenons que ce n'est pas le silver bullet que les gens du Groupe Robert veulent nous laisser croire.
Le sénateur Massicotte : Mais, 1,9 p. 100 c'est quand même énorme. En ce qui concerne le méthane, avez-vous des chiffres de scientifiques qui corroborent votre point de vue? Si je comprends bien, selon les études qu'on a lues, le méthane n'est pas comme le carbone, il disparaît vite dans l'atmosphère. La durée de vie du méthane dans l'atmosphère est beaucoup moins longue que le carbone, si vous voulez. Avez-vous des études?
M. Breton : Je vais vous les transmettre, si vous voulez.
Le sénateur Massicotte : Est-ce qu'il y a d'autres experts en accord avec vous?
M. Breton : Absolument. Il y a une étude qui a été faite par MIT, Massachusetts Institute of Technology qui a pour titre :
[Traduction]
Is natural gas the solution for transportation?
[Français]
C'est une étude à laquelle vous avez accès et elle fait partie des études qu'on a regardées. Il y a aussi une autre étude qui a été faite par l'institution des camionneurs américains, qui ne se prononce pas contre.
En ce qui nous concerne, cela amènera des changements majeurs au niveau de la mécanique, des garages et de la sécurité. Parce que si vous avez un déversement de diesel dans le garage, c'est une chose. Mais un déversement d'un gaz, c'est incolore et inodore, et il y a des risques d'explosion. C'est toute une problématique qui doit être repensée.
[Traduction]
Le sénateur Lang : Il ne s'agit pas de diesel.
M. Breton : Non, je dis que le diesel ne pose pas de problème. Je dis que, par rapport au diesel, le gaz naturel peut représenter une difficulté d'ordre mécanique si vous devez assurer une maintenance à cet égard.
[Français]
Le sénateur Massicotte : Pourtant, on a des représentants gouvernementaux, un premier ministre et des fonctionnaires. Pourquoi subventionnent-ils indirectement via des crédits d'impôt? Ils n'ont pas lu votre rapport ou ce sont tous des niaiseux? Je ne comprends pas le raisonnement.
M. Breton : Je vais vous donner un exemple qui, pour moi, n'a aucun sens. Il y a trois mois, on a donné une subvention de 1 million de dollars pour faire la conversion de camions et d'automobiles au gaz propane, dans le cadre d'un projet pilote. Quand j'ai entendu parler de ce projet, j'ai dit : « Écoutez, cela fait 30 ans, chez Hydro-Québec, dans une ligne d'autobus dans la région de Québec, que des véhicules, des camions, des autobus fonctionnent au gaz propane. Pourquoi donner 1 million à un projet pilote? La réponse :
[Traduction]
Nous savons depuis 30 ans ce que ça donne.
[Français]
Je ne veux pas répondre directement à votre question, mais je pense que cela y répond. Je m'excuse, mais il y a beaucoup de pistes de solutions valables. Mais qu'on nous dise : « On va en faire un projet pilote, on va donner 1 million de dollars pour la conversion au gaz propane, pour savoir ce que ça donne.» Je m'excuse, mais on connaît déjà le résultat, c'est connu depuis très longtemps.
Le gaz naturel liquéfié, par contre, est une nouvelle technologie pour mettre en transport et il y a de nouvelles études à faire là-dessus. Un projet pilote pour le gaz naturel liquéfié, je suis d'accord avec un tel projet. Mais, un projet pilote au propane, come on!
[Traduction]
Le président : Sénateurs, nous devons continuer.
Le sénateur Lang : J'aimerais approfondir la question du gaz naturel liquéfié, ou GNL, et de son transport sur une longue distance par notre industrie du transport routier.
Nous avons appris un certain nombre de choses. Tout d'abord, la technologie a été éprouvée aux États-Unis, où on l'utilise. Nous retrouvons aussi ce mode de transport sur la côte Ouest.
M. Breton : On a commencé à l'utiliser, en effet.
Le sénateur Lang : Oui, sur la côte Ouest. Nous savons également que cela permet de réduire les gaz à effet de serre, les GES, d'environ 25 à 27 p. 100.
M. Breton : Ce n'est pas vrai. Cela vaut pour le meilleur des scénarios possible.
Le sénateur Lang : Nous savons qu'un gazoduc sous-utilisé servira à l'approvisionnement en GNL de ce qu'on appelle la Route bleue. Une entreprise de camionnage aussi est maintenant prête à investir.
M. Breton : À l'aide de généreuses subventions.
Le sénateur Lang : L'entreprise injecte quand même de l'argent dans le projet, ce qui représente un engagement extrêmement important, compte tenu du risque. Pour l'instant, connaissez-vous une entreprise prête à acquérir les camions hybrides diesel-électrique dont vous parlez?
M. Breton : Saviez-vous que tous les camions de Coca-Cola qui sillonnent les routes des États-Unis sont hybrides?
Le sénateur Lang : Vous ne répondez pas à ma question. Au Québec, y a-t-il une entreprise prête à le faire, ou qui envisage cette option?
M. Breton : Pas à ma connaissance, pour l'instant. D'ailleurs, aucune subvention n'est accordée pour l'acquisition de camions diesel-électrique, contrairement aux camions alimentés au gaz naturel liquéfié.
Le sénateur Brown : Pardonnez-moi, mais je commence à être un peu perdu. Il y a une ou deux semaines, des représentants de l'Association canadienne du gaz nous ont indiqué que la conversion d'un moteur Diesel coûterait 15 000 $.
M. Breton : Ils ont vraiment dit 15 000 $?
Le sénateur Brown : Oui. D'après eux, ce type de moteur coûte 8 000 $ flambant neuf. Ce matin, M. Robert, le représentant de l'entreprise de camionnage, a parlé d'une somme d'environ 20 000 $, et vous nous dites 70 000 $. Est-ce bien le prix de la conversion?
M. Breton : C'est très intéressant, parce qu'il y a six mois, M. Robert de Robert Transport Inc. a indiqué au gouvernement que ce coût s'élevait à 100 000 $.
Le sénateur Peterson : C'est pourtant le montant qu'il a donné aujourd'hui.
Le sénateur Lang : Je le confirme.
M. Breton : Vraiment?
Le sénateur Peterson : Oui, c'est bien cela.
Le sénateur Brown : Oui, mais cela correspond au prix de la conversion, pas à celui d'un nouveau moteur.
M. Breton : Non. Un moteur flambant neuf vaut beaucoup plus que 8 000 ou 20 000 $.
Le sénateur Peterson : Dans ce cas, 70 000 $ c'est le coût des réservoirs.
M. Breton : Oui.
Le sénateur Mitchell : C'est le coût de la technologie.
M. Breton : Tous les prix que nous avons relevés aux États-Unis et au Canada se situent entre 50 000 et 100 000 $, selon l'interlocuteur. Il n'a jamais été question d'aussi peu que 8 000 ou 20 000 $.
Le sénateur Brown : Vous avez dit qu'il ne fallait pas enfouir le CO2. Savez-vous que depuis cinq ans, le Dakota du Nord expédie son CO2 à Weyburn, en Saskatchewan, pour le faire enfouir?
M. Breton : Pardonnez-moi, mais je ne vous entends pas.
Le sénateur Brown : Depuis cinq ans, une centrale électrique du Dakota du Nord envoie son CO2 à Wayburn, en Saskatchewan, pour qu'il y soit enfoui.
M. Breton : Oui, j'en ai eu vent.
Le sénateur Brown : Nous n'avons jamais entendu dire que cela posait problème.
M. Breton : Cette information est très intéressante. J'ai su que certaines entreprises américaines voulaient enfouir leur CO2, mais que leur gouvernement refusait d'assumer la responsabilité en cas de fuite. Aucun des projets ne s'est donc concrétisé. C'est peut-être l'une des raisons pour lesquelles le Dakota du Sud envoie son CO2 en Saskatchewan.
Le sénateur Brown : Pourtant, le CO2 n'est pas un gaz toxique.
M. Breton : Quand les concentrations sont élevées, il le devient. Si on en respire, on peut s'étouffer; c'est vrai.
Le président : Sénateur Banks, vouliez-vous apporter une précision?
Le sénateur Banks : J'aimerais tout simplement formuler une remarque. Le sénateur Brown dit vrai lorsqu'il affirme que du CO2 est acheminé par oléoduc jusqu'à Wayburn, en Saskatchewan, où il est injecté dans le sol. Mais l'objectif n'est pas de piéger le CO2; on cherche plutôt à extraire plus de pétrole des anciens puits. Le piégeage du dioxyde de carbone n'est que secondaire.
Le président : Le sénateur Peterson, de la Saskatchewan, a peut-être des précisions à apporter.
Le sénateur Peterson : Quatre-vingt-dix pour cent du gaz injecté dans le sol pour extraire le pétrole y reste, et les 10 p. 100 qui remontent à la surface sont captés, puis réinjectés dans le sol. On procède ainsi depuis 5 ans. Au Sud de Wayburn, un projet de démonstration du captage du CO2 est mis en œuvre en collaboration avec la SPC Power Corporation et l'État du Montana.
C'est le captage qui pose problème, car nous maîtrisons déjà le piégeage.
M. Breton : Oui.
Le sénateur Peterson : Le Centre de recherche en technologie pétrolière de Regina est sur le point de mettre en marché un procédé de captage du carbone, et ce, sans avoir obtenu beaucoup de subventions. C'est imminent; et c'est vers cela que nous devons nous tourner pour cesser les émissions de gaz à effet de serre.
M. Breton : Je ne dis pas que le captage ne peut pas faire partie de la solution, mais ce n'est certainement pas la panacée.
Le sénateur Peterson : C'est vrai, mais c'est quand même un pas dans la bonne direction. Depuis des années, on discute beaucoup sans rien faire. Aujourd'hui, nous joignons le geste à la parole.
M. Breton : Oui.
Le président : Monsieur, j'aimerais profiter de ma prérogative, en tant que président, pour vous poser une question. J'aime le nom de votre organisme « Maîtres chez nous ». Chez vous, est-ce au Québec, au Canada, ou bien partout sur la planète?
M. Breton : À vrai dire, c'était au Québec lors de la création du groupe, étant donné que le secteur de l'énergie est de compétence provinciale. Toutefois, après avoir discuté avec les conservateurs, les libéraux, les bloquistes et les néo- démocrates, nous avons convenu qu'il fallait aussi assurer la sécurité énergétique du Canada. En ce moment, la clause de proportionnalité de l'ALENA pose un gros problème. J'imagine que vous êtes au courant.
Le président : Il en a été question hier.
M. Breton : À mes yeux, l'augmentation des exportations de pétrole et de gaz naturel aux États-Unis pose problème, car nous pourrions risquer de ne plus pouvoir répondre aux besoins des Canadiens. Je crois que la sécurité énergétique du Canada est très importante, et je voulais en parler. Depuis 20 ans, aucune mesure n'a été prise dans ce sens.
Le président : Mais si j'ai bien compris, votre groupe veut être maître de sa destinée au sein du Canada même s'il est établi au Québec, n'est-ce pas?
M. Breton : Oui.
Le président : Sur le plan énergétique, votre objectif principal est de défendre les intérêts du Canada, ou bien seulement ceux du Québec?
M. Breton : Les deux, en fait.
Le président : Le Québec se porte déjà plutôt bien.
M. Breton : Oui, mais permettez-moi d'être honnête. Quand est apparue la controverse entourant les gaz de schiste, nous nous sommes aperçus que le gouvernement du Québec avait décidé de brader les ressources nationalisées que sont notre électricité, notre pétrole et notre gaz naturel, qui appartiennent aux Québécois. Le gouvernement a décidé de les vendre pour presque rien à des entreprises privées d'Australie, de Suisse, d'Israël, des États-Unis et d'ailleurs.
Ce n'est pas parce que le gaz naturel est extrait du sol québécois que nous sommes pour autant Maîtres chez nous, car si le gaz naturel est exporté ou que l'entreprise qui en est propriétaire ou qui l'exploite est étrangère, les profits aussi s'en iront ailleurs. Nous sommes la main-d'œuvre au service de ces multinationales, comme avant l'arrivée de Jean Lesage au pouvoir, en 1962, qui pour être élu nous promettait que nous serions maîtres chez nous.
Le sénateur Massicotte : Puis-je intervenir?
Le président : Oui, allez-y rapidement. Je ne voulais pas ouvrir un grand débat, mais je pense que c'est important.
[Français]
Le sénateur Massicotte : Les gens réagissent quand vous dites que ce n'est pas une entreprise canadienne qui a le droit d'exploration. Et, c'est vrai, regardez toutes les usines comme telles. Quand on regarde les chiffres, le pourcentage des revenus des ventes qui sont exportés en dividendes extérieurs, je pense que vous connaissez les chiffres, c'est beaucoup moins que un pour cent. Cela signifie que 99,5 p. 100 des revenus de ces entreprises, qu'elles soient canadiennes ou non, sont dépensés en matériaux et en main-d'oeuvre. Alors, je ne vois pas l'importance que vous mettez sur le fait qu'elles soient australiennes, canadiennes ou américaines. C'est 95,5 p. 100.
M. Breton : Si on dit que les droits d'exploration qu'on a cédés, c'est entre 0,10 $ et 0,50 $ de l'hectare . . .
[Traduction]
... alors la Colombie-Britannique aura raison de nous dire que nous nous sommes fait avoir.
[Français]
Parce qu'eux, ils ont fait beaucoup plus d'argent avec les droits d'exploration que nous, soit entre 1 000 et 40 000 fois premièrement et ensuite, il y a les redevances.
Le sénateur Massicotte : Le gouvernement peut changer.
M. Breton : C'est justement ce que l'on dit. Et on parle de redevances de 10 p. 100. On parle de les monter à 12 p. 100, sauf que c'est avant les dépenses. Si on regarde les revenus miniers, en vertu de la Loi sur les mines qu'on a au Québec, les revenus miniers ont été de l'ordre de un à deux pour cent. Si on parle de faire de un à deux pour cent de redevances sur du pétrole et du gaz qui viennent de notre sous-sol . . .
[Traduction]
. . . on est stupide. Pardonnez-moi, mais c'est vrai.
[Français]
Le sénateur Massicotte : Néanmoins, il faut regarder la différence, et cette différence du montant d'argent, elle va où? En ce qui concerne l'épargne, la différence, le gouvernement peut changer effectivement s'il pense que c'est une mauvaise décision.
M. Breton : Oui.
Le sénateur Massicotte : Évidemment, vous n'êtes pas en accord avec cette opinion. Mais, ce n'est pas comme si cela partait en Australie et que l'argent soit perdu. Il y a quand même des bénéfices importants au Canada et au Québec. Il ne faut pas l'oublier.
M. Breton : Non, pas si importants. On pourra en discuter à nouveau. Je pourrai vous envoyer des documents. Mais, tous les spécialistes en énergie ont dit que le Québec se faisait avoir économiquement par le système de redevances, la Loi sur les mines, puis les droits d'exploration, plus que n'importe quelle autre province au Canada.
Le sénateur Massicotte : Depuis 40 ans, 50 ans?
M. Breton : Non. Je parle par rapport à l'exploitation actuelle du gaz et du pétrole, par rapport à ce qui s'en vient.
Le sénateur Massicotte : Ah! Vous parlez du gaz de schiste?
M. Breton : Oui, je parle du gaz de schiste.
Le sénateur Massicotte : Il n'y en a pas beaucoup, n'est-ce pas?
M. Breton : Bien, c'est justement, on est mieux d'en discuter avant de l'exploiter que de le regretter plus tard, une fois que c'est commencé.
Le président : C'était très intéressant pour nous tous. Je vous remercie de votre patience et de votre présentation.
[Traduction]
Le président : Chers collègues, nous avons le privilège d'accueillir cet après-midi deux représentants de la Coalition canadienne de l'énergie géothermique, suivant la recommandation du sénateur McCoy, je crois. Monsieur Tanguay, êtes-vous un ami de madame le sénateur McCoy? Denis Tanguay est président-directeur général et Ted Kantrowitz, vice-président. Nous accueillons aussi Jean-François Samray, président-directeur général de l'Association québécoise de la production d'énergie renouvelable, ou AQPER.
Certains d'entre vous sont ici depuis ce matin. Je crois que vous comprenez ce que nous voulons, et vous savez qui nous sommes. Je ne procéderai pas aux présentations habituelles, mais je tiens à vous assurer que nous avons hâte d'entendre vos témoignages.
Monsieur Tanguay, allez-y, s'il vous plaît.
Denis Tanguay, président-directeur général, Coalition canadienne de l'énergie géothermique : Vous devriez avoir une copie de la présentation.
Le président : Oui, j'en ai une.
M. Tanguay : Comme vous l'avez mentionné, je remercie le sénateur McCoy de nous avoir invités. J'ai aussi rencontré le sénateur Neufeld il y a de nombreuses années, à l'occasion de conférences des ministres de l'Énergie — lors de trois ou quatre conférences consécutives, je crois —, alors il sait que je suis quelqu'un de calme.
Le président : Avez-vous été ministre de l'Énergie?
M. Tanguay : Non, j'ai travaillé à l'Agence de l'efficacité énergétique du Québec. Nous avons eu l'occasion de discuter de codes modèles nationaux de l'énergie pour les bâtiments et d'autres sujets de ce genre. Au cours de ma première année à la tête de la Coalition canadienne de l'énergie géothermique, nous avions discuté un peu des pompes géothermiques avec le ministre de l'Énergie du Yukon.
Le président : Vous avez nommé deux des membres du comité qui nous ont convaincus d'entreprendre l'étude. Vous devez avoir une très bonne influence sur eux.
M. Tanguay : Je l'ignore, mais j'essaierai de vous influencer davantage aujourd'hui.
[Français]
M. Tanguay : Mes commentaires seront en français d'abord, et je répondrai par la suite à vos questions, en anglais ou en français.
J'aimerais vous remercier de votre invitation aujourd'hui pour discuter de l'industrie de la géothermie et de son rôle pour l'avenir du Canada en matière d'énergie durable.
Je dois vous avouer que lorsque j'ai lu le document de travail intitulé Attention Canada, que vous avez publié en juin dernier, j'ai été surpris de constater que la géothermie y était complètement absente. Je compte bien réussir à convaincre les membres du comité aujourd'hui de porter une attention particulière à cette technologie, notamment dans le contexte des travaux qui portent sur une stratégie canadienne de l'énergie durable. À mon avis et de l'avis d'une centaine d'individus et d'entreprises qui travaillent étroitement avec nous, la géothermie est la forme d'énergie durable par excellence.
Avant d'aller plus loin, j'aimerais apporter une précision utile. Il y a principalement deux types d'énergie géothermique. Il y a d'abord la géothermie à haute, très haute température. Je m'excuse si c'est un peu théorique, mais je me dois d'apporter la précision. Pour l'essentiel, la géothermie à haute température exploite les sources de vapeur sèche et d'eau chaude à de très grandes profondeurs, souvent à un ou deux kilomètres afin de produire de l'électricité ou encore de l'eau chaude pour du chauffage urbain. Présentement, à notre connaissance, il n'y a aucune production d'énergie associée à ce type d'énergie au Canada.
Ensuite, il y a la géothermie à basse température qui exploite l'énergie du sol ou de la nappe phréatique à de faibles profondeurs, habituellement à 100 ou 250 mètres. On exploite cette énergie géothermique grâce à des thermopompes, à des fins de chauffage et pour la climatisation des bâtiments.
Grâce à l'énergie géothermique qui permet de faire fonctionner la thermopompe, on réussit à extraire du sol plusieurs unités d'énergie thermique additionnelles. Par exemple, si on utilise un kilowattheure d'électricité pour extraire l'équivalent de trois kilowattheures d'énergie thermique du sol, on parlera d'un coefficient de performance de quatre, soit l'équivalent de quatre kilowattheures d'énergie thermique dont trois sont obtenus gratuitement du sol.
Au Canada, nous estimons environ à 80 000, actuellement, le nombre de systèmes installés. La particularité de la géothermie est d'extraire de l'énergie gratuite du sol là où elle est consommée. La géothermie contribue donc à réduire les besoins en énergie traditionnelle et, par conséquent, contribue à réduire la pression sur les infrastructures de transport et de distribution de ces formes d'énergie.
La géothermie est à la fois une technologie d'énergie renouvelable, une technologie de conservation de l'énergie et une technologie d'efficacité énergétique. La géothermie est aussi une technologie particulièrement bien adaptée au concept des systèmes énergétiques intégrés dans les collectivités, de par sa capacité de récupérer, de stocker et de déplacer l'énergie thermique excédentaire.
D'ailleurs, la coalition fait partie du comité directeur de QUEST et participe aux travaux de ce groupe depuis les débuts. Je ne m'étendrai pas davantage sur le sujet parce que Shahrzad Rahbar et Kenneth Ogilvie, tous deux des collègues de QUEST, ont fait une excellente présentation devant ce comité, je crois, le 14 novembre 2010.
Le potentiel offert par la géothermie en matière de réduction de GES est aussi significatif. Dans une étude publiée par la CCÉG l'an dernier, nous avons estimé que si nous devions remplacer quatre pour cent des systèmes de chauffage dans les maisons unifamiliales au Canada, par des systèmes géothermiques, cela équivaudrait à réduire les émissions de GES de 800 mégatonnes ou l'équivalent de retirer 250 000 véhicules de nos routes.
Présentement, la géothermie répond à environ 0,5 pour cent des besoins de chauffage et de climatisation des bâtiments au Canada. Malgré ce faible taux de pénétration, le taux de croissance de l'industrie au Canada a été remarquable depuis quelques années. En 2009, plus de 15 500 thermopompes géothermiques ont été installées au Canada en comparaison d'un maigre 442 en 1998.
À ce chapitre, la croissance de l'industrie canadienne surpasse celle de la France, de la Suisse et des États-Unis. Cette croissance est principalement due à l'initiative de transformation des marchés de la géothermie développée et déployée par la CCÉG à partir de l'année 2005. Je vous reparlerai brièvement de cette démarche dans quelques instants.
Les quelque 80 000 systèmes recensés au Canada se retrouvent partout au pays, même à Whitehorse et Yellowknife. Si on regarde le nombre d'unités installées dans les quatre dernières années, les provinces de l'Ontario, du Québec et de la Saskatchewan dominent. Elles sont suivies par le Manitoba, la Colombie-Britannique et le Nouveau-Brunswick. Ensemble, l'Ontario et le Québec comptent pour environ 80 p. 100 des installations, alors que la Saskatchewan et le Manitoba représentent un peu moins que cinq pour cent chacune.
La plupart des thermopompes vendues au Canada sont également importées des États-Unis. La part de marché des quelques manufacturiers canadiens est d'environ 10 p. 100. Toutefois, une grande partie de l'activité économique associée à l'industrie de la géothermie est générée ici au Canada. Le prix de la thermopompe à la frontière des États- Unis est d'environ 2 500 dollars. Or, le coût moyen d'un système géothermique résidentiel incluant les coûts de main- d'oeuvre, le forage, la conception et l'installation est d'environ 28 000 dollars
C'est donc dire que les intervenants canadiens de l'industrie de la géothermie sont responsables d'un peu plus de 91 p. 100 de l'activité économique. Ainsi, 91 p. 100 de la valeur d'un système représente des investissements faits ici au Canada pour l'achat de produits et services ici, au pays.
Notons, enfin, que toute cette activité économique que ce soit le forage, la conception ou l'installation ne peut pas être délocalisée dans des pays où les salaires sont plus faibles. En définitive, l'industrie canadienne de la géothermie crée des emplois là où l'énergie est produite et consommée, c'est-à-dire dans chaque ville partout au Canada.
Il est donc tout à fait faux de croire ou de tenter de faire croire que quelques manufacturiers américains de thermopompes représentent l'industrie au Canada. La contribution étrangère à l'industrie canadienne n'est que de neuf pour cent.
En 2007, la CCÉG a amorcé le déploiement d'une vaste initiative de transformation des marchés. Cette démarche est caractérisée par un rehaussement au chapitre de la formation des installateurs et des concepteurs de systèmes. Nous y avons également greffé un mécanisme de certification des systèmes. Dans le cadre de ce programme, nous avons formé plus de 4 500 individus et avons agrégé plus de 1 150 installateurs et concepteurs de systèmes résidentiels.
Ceux-ci travaillent au sein de 450 entreprises qualifiées par la Coalition. Ce sont donc des milliers de travailleurs et d'entreprises qui représentent l'industrie de la géothermie au Canada. C'est donc dire qu'il existe présentement, au Canada, une capacité technique et professionnelle pour faire face à une expansion des marchés.
De plus, nous travaillons en collaboration avec un réseau fort et croissant de collèges partout au pays pour assurer l'éducation et la formation de la prochaine génération d'installateurs, de concepteurs, de techniciens et d'ingénieurs qui vont travailler dans le domaine de la géothermie.
Comme vous pouvez le constater, le Canada est rapidement devenu un leader mondial de la géothermie. Nous avons construit et mis en place les mécanismes de transformation des marchés nécessaires à la croissance soutenue et durable de l'industrie. Cette industrie, et je le précise à nouveau, cette industrie canadienne de la géothermie est capable de relever de nombreux défis afin de contribuer encore plus à l'avenir du Canada en matière d'énergie durable.
La CCÉG collige et analyse des informations sur les marchés depuis plus de cinq ans. Nous avons à notre disposition la meilleure base de données techniques au monde pour les systèmes géothermiques. J'offre, aujourd'hui, aux membres du comité la possibilité de profiter de cette information afin de donner à la géothermie la place qui lui est revient dans le rapport qui émanera des travaux actuels du comité.
Il me fera plaisir, ainsi qu'à mon collègue, de répondre à vos questions par la suite.
[Traduction]
Le président : Merci beaucoup, monsieur. La parole est maintenant à M. Samray.
[Français]
Jean-François Samray, président-directeur général, Association québécoise de la production d'énergie renouvelable (AQPER) : Monsieur le président, messieurs les sénateurs, madame la greffière, je serai bref. J'ai transmis un document couleur de une page recto verso, qui contient toute l'information. Et, au cours des semaines qui suivront, on vous enverra un document plus étoffé. Voilà, une page couleur. Si vous la perdez, il y en a d'autres. Puis, on le remettra sur clé USB à madame la greffière.
L'Association québécoise de la production d'énergie renouvelable existe depuis maintenant 20 ans. Elle a pour mission de favoriser le développement de l'industrie québécoise de la production indépendante d'électricité en priorisant les sources renouvelables ou les énergies nouvelles dans le respect des principes du développement durable.
Mais il faut bien réaliser que la production d'électricité au Québec a été nationalisée. Je pense que cela a été évoqué plus tôt, et vous l'avez vu lors de votre visite chez Hydro-Québec hier. Il n'en demeure pas moins qu'il y a une série d'entreprises qui ont des contrats avec un seul client et qu'il s'appelle Hydro-Québec.
Ces entreprises produisent, pour le compte d'Hydro-Québec soit sur des sites de petite envergure ou avec de nouvelles filières telles l'éolien, de l'électricité qui, elle, est achetée par Hydro-Québec. Et Hydro-Québec conserve les attributs environnementaux et revend cette énergie sur le marché, et cela, de la façon la plus efficiente possible.
Donc, le gouvernement, dans sa stratégie, a mis en place sous les gouvernements précédents une grosse machine pour construire des projets gigantesques comme la Baie-James avec des conditions de travail qui faisaient en sorte qu'on était capable d'amener des gens loin de chez eux pour faire de tels projets. Mais, cette même machine n'était pas capable de faire des petits projets à des coûts compétitifs. Le partenariat s'est alors installé. Et donc, la production privée d'électricité représente environ cinq pour cent de la production globale du Québec.
La liste de nos membres comprend environ 130 entreprises. L'Association québécoise de la production d'énergie renouvelable qui existe depuis maintenant vingt ans est une association patronale qui représente les entreprises de production d'énergie et d'électricité. Donc, on parle d'entreprises telles que Boralex, Innergex, Brookfield, Algonquin, Cartier, Kruger, et d'entreprises de services en génie, en droit, en environnement, dans le secteur de la construction ou dans les équipements tels des turbines hydrauliques, éoliennes, dans le secteur du biogaz, de la biomasse, les transformateurs, les câbles et ainsi de suite.
Avant ma présentation, j'ai également lu votre document au point où il en était. Je tiens à vous féliciter, ainsi que le travail fait par les analystes, et souligner la pertinence des questions qui y sont soulevées. On remarque que le Québec a une consommation qui diffère un peu de la consommation d'énergie.
Dans un premier temps, le Québec a, à 97 p. 100, son électricité de source renouvelable, comparativement à environ les deux tiers pour le Canada. Au niveau de la consommation finale d'énergie, on est aux alentours de 41 p. 100 de toute l'énergie consommée au Québec qui est sous forme d'électricité; 38 p. 100 dans le pétrole, le gaz naturel à 10,7 p. 100 et la biomasse à 9,1 p. 100. Il y a quand même un petit peu de charbon, mais pour les besoins de l'industrie de la transformation.
Avec le prix du baril de pétrole qui augmente, et cela est très bien expliqué dans votre document, il faut réaliser que le pétrole qui est vendu et qui est consommé au Québec provient de sources étrangères. Il provient de la Mer du Nord, du Maghreb et du Machrek. Et donc, c'est année après année, une variation entre 11, 12 ou 15 milliards de dollars qui est sortie de l'économie pour acheter ce pétrole. D'où l'intérêt pour le Québec de se tourner, autant que faire se peut, vers les énergies renouvelables.
Je pense que là où nous avons également un tableau intéressant, c'est la production de GES par millions de dollars de PIB au Canada. Vous voyez le tableau en un petit format, mais c'est intéressant de croiser ces deux données. On s'aperçoit que les économies qui sont les moins intensives en production de carbone par unité de richesse, mettons le million, sont le Québec et l'Ontario. Le Québec, c'est à partir de sa production en hydroélectricité, tandis que l'Ontario, c'est par les importations d'hydroélectricité du Québec, mais également la production avec l'énergie nucléaire.
Par la suite, on voit que toutes les provinces qui sont vraiment tournées vers l'hydroélectricité comme facteur dominant, vers les énergies renouvelables, auront un faible taux d'émissions de gaz carbonique par millions de PIB.
Je pense qu'il s'agit de constats intéressants, soit de dire que le défi du carbone et des énergies renouvelables permet à des provinces d'être là, d'avoir une création de richesse et de relever le défi d'une économie moins dépendante et moins productrice du carbone.
Au Québec, les énergies renouvelables ont un impact direct sur l'économie. Le développement de ces énergies a entraîné un savoir-faire qui est exporté sur les cinq continents par la filière hydroélectrique. Le savoir-faire qui est dans les sociétés de génie, et surtout les équipements qui sont créés chez nous, s'exporte partout dans le monde.
Il y a également la filière éolienne qui a amené 10 milliards d'investissements sur une décennie pour l'installation de près de 3 000 mégawatts d'énergie éolienne; ce qui, à son tour, crée des emplois. Cela a également créé un réseau de partenaires d'entreprises qui tantôt sont des compétiteurs, tantôt sont des partenaires pour venir déposer des projets ici, en Ontario et dans les autres provinces canadiennes, et qui, de plus en plus, vont aller à l'international.
Je vous dirais que dans les faits, quand ils ont été capables d'être les plus bas soumissionnaires, de contrôler leurs coûts de construction dans une province où le prix de l'électricité est très bas, dans un cadre de fabrication et d'installation sur les chantiers qui sont très réglementés et très syndiqué, on doit comprendre que lorsqu'on est capable de gérer tout cela avec des revenus très bas, on est capable, lorsque l'énergie est payée très cher, d'exporter ce modèle d'installation de parcs énergétiques et d'en faire un centre très lucratif.
Une telle expertise permet au Québec et au Canada d'aller chercher, par les exportations de génie et des équipements, des revenus importants ici. Et voilà!
En ce qui concerne potentiel canadien dans les énergies renouvelables, je pense qu'il y a une quantité importante de sites en énergie hydraulique qui sont encore aménageables. La même chose pour les sites éoliens, il y en a encore des dizaines, voire des centaines de milliers de mégawatts aménageables. Et là, le réseau de transport deviendra un enjeu crucial pour être capable d'aller saisir ces mégawatts additionnels.
Il y a également une grande quantité de biomasses forestières. J'ai trouvé intéressant que vous souligniez, dans votre document, le fait que le Canada est à vivre une révolution énergétique. On est parti de la biomasse, et il fallait en avoir de la biomasse ici, il y a 5 000 ans, 10 000 ans, quand il faisait froid et qu'il fallait passer à travers l'hiver sans isolation, sans rien, cela prenait de la biomasse.
Les premiers arrivants se sont également chauffés à la biomasse. Il y a eu la conversion de deux choses avec le charbon. Mais, il y a eu également l'arrivée des premières centrales hydroélectriques, donc conversion de l'économie. Et maintenant, on est en train de réévaluer avec de nouvelles technologies pour l'utilisation de la biomasse.
La biomasse, on s'en est servi. Mais, on a optimisé les systèmes. On est capable de revenir avec la biomasse. Et force est de constater, ne serait-ce que par notre drapeau canadien, la feuille d'érable, est elle-même un emblème de biomasse. Également, tout le secteur agricole a une biomasse présente.
Les secteurs de la forêt et de l'agriculture sont deux secteurs qui vivent à l'heure actuelle des difficultés, mais auxquels la production énergétique peut également apporter des solutions. Et, notamment, dans le secteur agricole, je pense que toute la filière dans le secteur du biogaz peut amener des solutions très intéressantes pour le monde rural canadien.
En ce qui concerne nos recommandations, votre document mentionne bien que d'avoir eu un programme de soutien à la production d'énergie renouvelable a été une mesure incitative bien appréciée de l'industrie et a créé des retombées; nous sommes tout à fait d'accord avec votre constat.
Je pense que la poursuite de ce constat amène une recommandation très forte au gouvernement de réintroduire ce programme de soutien, parce que les projets qui arrivent amènent également des revenus de taxation, des revenus sur les salaires et sur les biens et services qui sont utilisés. Donc, c'est une mesure incitative qui, dans le fond, se finance d'elle-même.
Vous avez mentionné que le gouvernement a amené un projet national sur la réglementation de l'essence et les technologies sur le diesel, soit : de cinq pour cent pour l'essence et de tenter d'aller à deux pour cent pour le diesel. Mais, je vous dirais : il faut oser, il faut être audacieux pour faire lever notre secteur du biogaz, également.
Il y aurait moyen d'avoir une politique similaire, dans le gazoduc canadien, du biogaz. Ce biogaz produit dans le milieu rural ou dans les grandes municipalités, qui se retrouve dans nos poubelles; il y a des matières putrescibles qui peuvent être envoyées dans un site de biométhanisation purifié et qui produisent un méthane qui pourrait être réinjecté dans le gazoduc.
Ce sont des choses qui se font dans d'autres pays. Et, en Amérique du Nord, ce n'est pas très courant, mais le savoir- faire et les technologies sont là. Cela permettrait de lentement arriver à un verdissement de notre gaz naturel et, en même temps, amener des emplois structurants.
En ce qui a trait au prix du carbone, je pense que vos données sont justes, avec un cadre réglementaire adapté au développement des énergies renouvelables.
Les gains sont évidents pour les collectivités : développer des sources de production locales et régionales, des circuits d'approvisionnement plus courts; création d'emplois dans les régions; obtenir une meilleure qualité de l'air. Chaque année, on lit les rapports des médecins en chef des différentes provinces qui nous rappellent l'impact de la pollution de l'air sur la santé publique.
Également, je dirais, une plus grande résilience de l'économie au choc énergétique. Quand le prix du baril de pétrole atteint 140 dollars, ça va bien dans les provinces où il y a production d'énergie. Par contre, il y a un impact. Il y a plusieurs régions au Canada, donc plusieurs sources d'approvisionnement énergétique, mais il n'y a qu'une politique monétaire. Ce qui veut dire que lorsque le prix du pétrole monte, l'économie des provinces où il y a production de pétrole surchauffe, s'emballe et la devise s'apprécie, rendant du coup la devise plus élevée et rendant les exportations plus difficiles à réaliser par les manufacturiers. Ces derniers sont également aux prises avec le fait qu'ils paient plus cher leur combustible pour leur flotte de transport.
Il est donc important d'arriver avec des sources d'énergie renouvelables. Je pense que l'Ouest est vraiment bien ancré dans le développement pétrolier. Mais l'Est du Canada, qui importe ce pétrole pourrait, de son côté, avoir une plus grande résilience de l'économie et développer plus à fond ses énergies renouvelables. Et tout cela, en contribuant à la lutte aux changements climatiques.
Les risques à ne pas agir, parce qu'il y en a : perte de l'expertise locale, faute de projets et de vitrine technologique. Pour être capable de vendre à l'international, il faut être capable d'avoir des projets ici même. Je pense que vous l'expliquez bien dans la filière de l'énergie nucléaire, que le gouvernement se demande ce qu'il va faire avec l'énergie atomique du Canada, les CANDU et autres.
Il faut comprendre que c'est difficile de vendre des technologies à l'étranger quand il y a longtemps qu'on n'en a pas fait chez nous et qu'on ne sait pas trop si on est pour les faire. Il est donc important qu'il y ait des projets qui se font ici. Si les firmes de génie et celles d'équipements sont capables de vendre leur expertise en hydraulique à l'international, c'est parce qu'on fait des projets ici même. Donc, avoir des vitrines technologiques; ne pas avoir de dépendance par rapport à l'étranger sur les technologies qui sont disponibles; pouvoir aller chercher et déposer des brevets; être capable d'avoir des brevets sur les énergies renouvelables et de créer ici des emplois à haute valeur ajoutée.
Le risque dans le fait de ne pas agir : une dégradation de l'air et des écosystèmes; une fragilisation de la biodiversité; un impact sur la politique monétaire et donc sur la capacité du gouvernement à avoir un développement économique qui est gérable d'une province à l'autre. Donc, voilà! Je vous remercie.
Le président : Merci beaucoup. C'est beaucoup d'informations présentées de manière brève.
Le sénateur Mitchell : Monsieur Tanguay, je voudrais commencer mes questions avec vous. Dans votre présentation écrite, page 4, vous avez noté que s'il y a 44 p. 100 de diminution d'émissions de gaz à effet de serre dans le secteur résidentiel, nous économiserions 800 mégatonnes d'émissions. Mais, je pense que le total des émissions au Canada est presque 800. Est-ce qu'ici, il y a une faute?
M. Tanguay : Je me suis trompé entre le méga et le kilo, effectivement. C'est 800 kilotonnes.
Le sénateur Mitchell : Merci beaucoup. Ma deuxième question concerne les coûts pour votre technologie. Vous avez dit, je pense, que le coût pour un système serait 28 000 dollars. Quel est le comparatif avec les systèmes traditionnels?
M. Tanguay : Comparé à un système au gaz, par exemple, un système au gaz va coûter environ 12 000 dollars. Si vous regardez les plinthes électriques, on parle de quelques milliers de dollars. Une chaudière au mazout, c'est à peu près comme le gaz. Donc, c'est deux fois à deux fois et demie plus dispendieux. Par contre, avec les coefficients de performance, on fait énormément d'économie.
Le sénateur Mitchell : J'aurais une question pour M. Samray. Nos discussions portent souvent sur le coût des systèmes d'énergie alternatifs et nous entendons, d'un autre côté, que les coûts des systèmes d'énergie traditionnels sont trop hauts, et que ce n'est pas possible d'avoir un système commercial pour les autres systèmes comme celui dont vous avez parlé. Est-ce que vous pouvez m'expliquer la faisabilité et la quantité de temps nécessaire avant d'avoir atteint un niveau de développement des techniques des systèmes comme l'éolien et le solaire, avant que nous ayons des systèmes compétitifs avec les systèmes traditionnels?
M. Samray : C'est une question de nature économique, n'est-ce pas?
Le sénateur Mitchell : Exact.
M. Samray : Je pense que la filière hydroélectrique est une filière mature. C'est une filière qui se développe et qui est présente depuis plus de 120 ans. Les meilleurs projets ont été développés et nous constatons que nous en sommes à des économiques de projets qui sont de plus en plus éloignés, dans des vallées ou autres, qui sont de plus en plus complexes, et où il y a des coûts de transport. Parce que, qui dit électricité, dit ligne de transport. Et ce facteur est à considérer. Je pense qu'on avait une courbe en bain. Donc, il y a 120 ans, et les premiers kilowattheures étaient à 0,50 $ du kilowattheure en 1880. On doit réaliser que c'était quelque chose de très cher, puis le coût a diminué. Ensuite, des centrales se sont installées près des centres, à Niagara Falls et à Beauharnois. Par la suite, ce fut la Côte-Nord et la Baie-James. Cette filière est donc mature.
Pour la filière éolienne, je pense que les coûts sont également à la baisse. Il y a une demande mondiale pour les projets éoliens. Selon l'expérience au Québec, il faut réaliser que si on a des parcs industriels d'une grosseur de 100, 150, 200 mégawatts du parc, il y a des coûts fixes et il y a des coûts variables. Donc, faire le design, l'ingénierie, les routes d'accès, les postes d'intégration, aller chercher les autorisations, qu'il y ait 200 mégawatts ou 25, vous comprendrez qu'il n'y a pas une grande différence. Donc, plus on est capable d'amortir sur un grand nombre de mégawatts, plus on sera en mesure d'arriver avec un coût à la baisse de cette énergie.
Les sites les plus porteurs se développent en premier. Parfois il y a des sites avec un potentiel supérieur, mais qui sont loin des réseaux de transport. Cela nécessite donc le développement d'un réseau de transport.
Par la suite, on arrive avec la biomasse, le biogaz. Pour la biomasse et le biogaz, il faut regarder le tout avec une approche différente. Il est clair que l'énergie fossile, en n'ayant pas le prix du carbone internalisé dans le coût, ne compétitionne pas sur la même échelle.
Si je suis un projet d'énergie hydroélectrique, si je suis un projet d'énergie éolienne, si je suis un projet de biomasse, je vais avoir des autorisations environnementales qui demanderont quelles sont mes mesures de compensation, les impacts, et cetera. Si je suis une centrale thermique, je suis dans un parc industriel. Je suis un projet industriel. « Phuitt! » Fini, ça s'arrête là, j'ai mon autorisation merci, bonsoir!
Quel est le coût externe de cela? Il n'est pas inclus dans le prix tout comme le nettoyage d'un site. C'est bien beau de produire certains types d'énergie fossile. Mais, lorsque le site est complètement exploité, il faut le nettoyer. C'est un peu comme une mine. Si je ferme et que je laisse à la collectivité la tâche de ramasser, il y a un coût qui n'est pas à l'intérieur.
Donc, c'est sûr que les énergies fossiles sont moins dispendieuses. Par contre, tous les coûts ne sont pas inclus. Je reviens à ma biomasse, mon biogaz, si j'internalise à l'intérieur de cela les transports qui sont évités, je prends la région de Montréal par exemple, mais on peut prendre toutes les grandes agglomérations. Il y a le camion qui fait du porte-à- porte, qui s'amène à un centre de transit. Et il y a les gros camions qui s'en vont faire des 100, 125 kilomètres, faisant des aller-retour, jour et nuit, pour aller au site d'enfouissement. Si l'ensemble de ces coûts afférents au transport qui est facturé au citoyen par le biais de la taxe sur la collecte des ordures était détourné, si ce transport des grands camions qui transitent vers les sites d'enfouissement était internalisé dans un rabais sur le prix de revient de l'électricité, je vous dirais qu'on arriverait à être compétitifs.
Une approche globale demande des ajustements, ce qui n'est pas fait avec les énergies renouvelables. Et, plus la technologie est innovatrice, plus elle coûte cher, et c'est le fait de l'amener à terme qui va abaisser le prix. C'est clair que lorsqu'on a un kilowattheure à 0,06 $, à 0,07 $, à 0,08 $ ou à 0,10 $, bien, c'est difficile, si on ne le voit pas de façon globale.
La gestion des matières résiduelles et des fumiers entraîne des problèmes sur la gestion des algues bleues, des cours d'eau, et ainsi de suite. Pour le transport des matières résiduelles, si on dispose d'un circuit court, urbain, que le camion fait le tour des maisons pour ramasser, va ensuite à l'usine qui est dans un parc industriel, laquelle va produire du biométhane, injecter la matière soit pour la production de réseaux de chaleur, et qui peut en même temps produire de l'électricité, donc d'être en cogénération, alors là, j'arrive avec des économiques qui se tiennent très bien. Est-ce que cela répond à votre question?
Le sénateur Mitchell : Oui.
[Traduction]
Le sénateur Banks : Monsieur Tanguay, connaissez-vous l'entreprise montréalaise qui exploite ou construit actuellement une usine de transformation des déchets en gaz naturel, à Edmonton? Je sais qu'une entreprise montréalaise le fait; puis le gaz naturel est redistribué au secteur énergétique. Quel est son nom?
M. Tanguay : C'est Enerkem.
Le président : L'entreprise est-elle établie à Edmonton?
M. Tanguay : Non, mais elle réalise un projet à Edmonton.
Le président : Vraiment?
Le sénateur Banks : Est-elle basée à Montréal, alors?
M. Tanguay : Oui.
M. Samray : Oui, sur la rue Sherbrooke. L'année prochaine, l'année prochaine.
Le sénateur Banks : Je voulais simplement savoir si vous étiez au courant, et c'est le cas, de toute évidence.
Ma question s'adresse à M. Tanguay, mais MM. Samray et Kantrowitz peuvent aussi intervenir.
Je vais reprendre votre exemple afin d'illustrer un problème récurrent. Dans n'importe quel sondage, la population voudra toujours absolument que nous fassions quelque chose pour l'environnement, que nous arrêtions de polluer et que nous nettoyions le pays. Mais dans le sondage suivant, les gens diront : « Je refuse que ce soit fait dans ma cour, et si je dois débourser un sou de plus, oubliez tout. Quelqu'un d'autre devra s'en occuper. »
Pourriez-vous s'il vous plaît nous donner une leçon de marketing et de politique, ce qui revient au même, et m'expliquer comment vous feriez pour me convaincre si j'achetais une maison à Edmonton? Ne parlez pas de la réhabilitation thermique, car c'est plus cher. Je peux installer une pompe géothermique, mais je dois aussi me procurer un appareil de chauffage, étant donné que la pompe ne suffira pas lorsqu'il fera moins 30 degrés Celsius, n'est-ce pas?
M. Tanguay : Oui.
Le sénateur Banks : Veuillez me convaincre de dépenser les 16 000 $ nécessaires, et dites-moi comment je pourrais les récupérer — à moins que je sois philanthrope, que je cherche à bien agir et qu'une vision altruiste me pousse à dépenser de l'argent pour ma maison et mon système de chauffage.
M. Tanguay : À Edmonton, vous avez la chance d'avoir accès à du gaz naturel à prix abordable, ce qui est à votre avantage.
Le sénateur Banks : Je veux seulement parler de l'installation du système.
M. Tanguay : D'accord. Le prix moyen que je vous ai donné tient compte de trois technologies différentes — la boucle ouverte, la boucle fermée horizontale et la boucle fermée verticale. Ce sont les trois systèmes de base. Le prix tient compte aussi des différentes dimensions des maisons et peut varier d'une province à l'autre, selon le parc immobilier, notamment.
Si vous payez 28 000 $ pour un de ces systèmes comparativement à 12 000 $ pour un autre système, c'est 16 000 $ de plus. Par contre, selon le prix de l'énergie dans votre province, vous pouvez économiser jusqu'à 1 000 $ par année en frais de chauffage et de climatisation. Donc, la période de récupération est de 15 à 16 ans. C'est un des avantages.
Un autre avantage, c'est que vous économisez dès la première année. Vous pouvez financer l'achat de votre système à un taux d'intérêt peu élevé. Les Services de financement de la Banque TD offrent cette option. Donc, vous financez l'achat du système, vous faites des économies et vous remboursez votre achat sur 15 ou 16 ans.
Vous pouvez également financer votre achat grâce à une taxe d'améliorations locales. Il existe toutes sortes de moyens de financer votre achat. Bien sûr, vous pouvez aussi le payer comptant, et vous réaliserez quand même des économies.
Il existe plus d'une réponse à votre question; il y en a probablement 35 millions. Je dirais que ça dépend de l'endroit, du client et de la province. Mais, je n'ai encore vu aucun cas où un tel système n'était pas une option logique.
Le sénateur Banks : Quelle est la différence, au chapitre des coûts, entre installer ce système dans une maison neuve et l'installer dans une maison plus vieille?
M. Tanguay : L'avantage avec une nouvelle maison, c'est que, si elle est bâtie selon les normes R-2000, disons, vous pourriez vous en sortir avec un système de trois tonnes plutôt qu'avec un système de cinq ou six tonnes. Ça se traduirait par une économie de 6 000 ou 8 000 $ à l'achat. Le prix moyen passerait donc de 28 000 à 22 000, 21 000 ou 23 000 $.
Avec une nouvelle maison bien isolée, selon les normes R-2000, vous pouvez économiser sur le prix du système. Mieux elle est isolée, plus votre système sera efficient, et donc, vous économiserez. C'est plus difficile avec une maison plus vieille, car on ne peut pas toujours en améliorer l'isolation.
Le sénateur Lang : J'aimerais revenir à la page 5 de votre mémoire. On parle du soutien offert par le gouvernement du Canada avec la création de la CCEG, en 2005. Pourriez-vous nous donner une brève description de ce soutien? Pourriez-vous également nous donner votre opinion sur l'utilisation possible de systèmes géothermiques commerciaux pour la production d'électricité?
M. Tanguay : Deux très bonnes questions. La Coalition canadienne de l'énergie géothermique a été créée à l'initiative de Ressources naturelles Canada et de cinq services d'électricité. Leur objectif était de susciter l'intérêt du secteur dans un processus de transformation du marché dont je fais état dans mon mémoire.
Si je ne m'abuse, Ressources naturelles Canada et les services d'électricité ont conclu un accord de contribution, selon lequel le gouvernement fédéral acceptait d'investir 1 million de dollars dans des projets pilotes et les services d'électricité convenaient, eux aussi, de contribuer. Nous avons réussi à obtenir des fonds à cette fin. C'était avant mon arrivée, mais je crois qu'en tout 7,2 millions de dollars ont été investis dans des projets pilotes.
Au fil des ans, nous avons obtenu un soutien continu, mais aussi de moins en moins important, pour élaborer nos programmes de formation et de certification. Cependant, le programme écoÉNERGIE Rénovation a beaucoup aidé les installateurs au cours des dernières années. À mon avis, nous n'aurions pas connu la même croissance sans ce programme et l'initiative de transformation du marché de la CCEG. Ensemble, la formation et la certification ainsi que le programme écoÉNERGIE Rénovation ont permis la croissance que nous avons connue. C'est le soutien que nous avons obtenu au cours des dix dernières années. Je simplifie à l'extrême, mais ce soutien nous a beaucoup aidés.
Votre question sur l'utilisation de systèmes commerciaux est très bonne. La semaine dernière, à Montréal, j'ai participé à une cérémonie de remise de prix de l'Agence de l'efficacité énergétique du Québec. Les lauréats étaient des propriétaires et des gestionnaires d'édifices ayant exécuté des projets d'efficacité énergétique dans leurs installations. Parmi les 25 édifices reconnus, 15 disposaient d'un système géothermique ou d'un système de pompes géothermiques à énergie du sol. Donc, environ 60 p. 100 des édifices commerciaux utilisent des pompes géothermiques à énergie du sol.
Ce n'est pas qu'on ignore ce que c'est et ce que ça fait. Les systèmes sont là, mais on ne le sait pas, parce qu'on ne les voit pas. À la coalition, on dit souvent, à la blague, qu'il faudrait mettre des affiches sur le toit des édifices pour dire à la population que ceux-ci sont chauffés à l'énergie géothermique. Sinon, personne ne le sait et personne ne le remarque.
Je crois que, pour les années à venir, ce sera la réalité dans cette industrie. Elle prendra de l'ampleur dans le secteur commercial. C'est là que nous investirons nos efforts, que nous formerons des ingénieurs et que nous créerons des infrastructures.
Le sénateur Lang : J'aimerais explorer un peu plus le sujet et examiner les possibilités de production d'électricité pour alimenter le réseau. Je sais qu'il y a un projet semblable au Yukon. Pourriez-vous nous parler de cet aspect pour le Canada?
M. Tanguay : Je ne peux pas vous en dire beaucoup à ce sujet. C'est notre organisation sœur, CanGEA, qui étudie la géothermie haute température. Mais, je crois que vous avez raison. La côte Ouest — la Colombie-Britannique et le Yukon — dispose d'un potentiel. J'ignore quelle est la capacité de cette région, mais c'est faisable. Ça se fait aux États- Unis et en Islande et beaucoup en Asie. À ma connaissance, la seule région qui offre un tel potentiel, c'est la côte Ouest, mais j'ignore l'étendue de ce potentiel.
Le sénateur Neufeld : Le sénateur Banks m'a volé ma question. C'est très intéressant. Les pompes géothermiques et autres technologies du genre sont de plus en plus populaires en Colombie-Britannique.
Je ne crois pas que vous ayez mentionné le fait qu'un tel système augmente considérablement la valeur d'une propriété. C'est un gros investissement initial, mais il permet d'augmenter les profits lors de la vente de la maison. Êtes- vous d'accord avec moi?
M. Tanguay : Absolument. La seule chose, c'est que l'agent d'immeuble doit être capable de vendre la technologie aux acheteurs potentiels. Nous nous attaquons à ce problème. Nous offrons une formation d'une demi-journée aux agents d'immeuble pour qu'ils comprennent la technologie et qu'ils puissent s'en servir comme argument de vente.
Mais vous avez raison : la maison prend de la valeur et les économies d'énergie sont plus importantes. C'est vraiment un bon argument de vente pour le propriétaire.
Le sénateur Neufeld : Monsieur Samray, vous avez dit que c'est une bonne chose d'avoir de l'électricité à prix raisonnable. C'est certainement le cas au Québec. Je sais que l'électricité y est bon marché et que la province a des alumineries sur son territoire, par exemple. Êtes-vous d'accord avec moi que c'est une bonne chose? C'est ce que vous avez dit, non?
M. Samray : D'avoir de l'électricité bon marché?
Le sénateur Neufeld : Oui.
M. Samray : Ce l'est pour les consommateurs qui tentent de joindre les deux bouts. C'est une bonne chose pour les particuliers ou pour les industries comme Alcan. Les entreprises construisent leurs alumineries là où l'électricité est bon marché et où la fréquence électrique est stable.
Mais si le prix est de sept ou huit cents en deçà du prix courant, ça peut freiner le développement technologique. C'est difficile. C'est pourquoi l'association discute avec le gouvernement pour faire valoir que l'industrie a besoin de vitrines. Elle a besoin de projets qui permettent de montrer au reste du monde que c'est possible. Il faut montrer que ça fonctionne, que nous avons le soutien des services d'électricité, que ça ne nuit pas aux réseaux électriques, que c'est approuvé par le North American Electric Reliability Corporation, le NERC, et cetera.
Avec de tels projets, plus besoin de produire 5 000 mégawatts avec la nouvelle technologie. On aurait une vitrine pour montrer la technologie aux gens. C'est relativement simple. Le plus difficile pour nous, c'est de convaincre le gouvernement que ces projets et cette nouvelle technologie sont nécessaires. À notre avis, ces projets seront entrepris de plus en plus dans les régions, comme le Nord du Québec. La Colombie-Britannique est aussi une possibilité.
J'ai visité la Colombie-Britannique l'an dernier. J'ai remarqué que, dans le secteur du bois d'œuvre, les camions ne roulaient pas. Il ne se passait pas grand-chose. On peut voir que, lorsque l'industrie du bois d'œuvre est en panne, ça affecte aussi l'industrie de la biomasse et les collectivités. Il faut absolument faire quelque chose. Le secteur de l'énergie ferait redémarrer l'économie dans certaines régions du pays.
Le sénateur Neufeld : C'est bon de le savoir. Ce matin, nous avons entendu le professeur Pineau dire que l'électricité des citoyens de la Colombie-Britannique, du Manitoba et du Québec est hautement subventionnée et que ce n'est pas une bonne chose. Selon lui, le prix de l'électricité devrait être beaucoup plus élevé. À la lumière de ce que vous venez de dire, êtes-vous d'accord avec cette déclaration ou croyez-vous plutôt qu'il faut offrir de l'électricité à un prix raisonnable pour attirer des industries et des emplois pour les citoyens?
M. Samray : Le document que vous avez consacre tout un chapitre à l'efficacité énergétique. Au Québec, un cent par kilowatt sert à financer des mesures d'efficacité énergétique. Si vous gelez les prix, les gens se tourneront plus rapidement vers l'efficacité énergétique, ce qui aidera le développement technologique.
Donc, ça dépend. Si le prix de l'électricité est plus élevé, le gouvernement peut venir en aide aux familles à faible revenu. Cependant, de nombreuses industries veulent de l'électricité bon marché.
De plus, les entreprises du secteur des nouvelles technologies cherchent à s'installer là où la fréquence électrique est stable. C'est le cas, notamment, d'IBM qui a installé une de ses usines à Bromont pour cette raison. L'usine en question fabrique les puces que l'on retrouve dans tous les nouveaux ordinateurs IBM. Elle dispose d'un compteur qui mesure la fréquence électrique. Si celle-ci baisse, on appelle le service d'électricité.
L'électricité bon marché, c'est une chose. Un réseau électrique fiable qui offre une fréquence électrique stable permet d'attirer des entreprises du secteur des nouvelles technologies.
Le sénateur Neufeld : Vous devriez vous lancer en politique. Vous avez bien contourné la question.
M. Samray : Non, sérieusement. Doit-on augmenter le prix de l'électricité? Si vous dites oui, les familles à faible revenu n'arriveront plus à joindre les deux bouts, à moins de les aider avec des subventions. Par contre, un prix moins élevé permet de développer de nouvelles technologies et de créer des emplois au pays, et vous avez alors plus de revenus pour faire ce que vous voulez.
Le président : Vous ressemblez physiquement à Jean Lapierre, mais vos politiques ne sont pas celles de Jean Lapierre. Cependant, vous êtes très doué.
[Français]
Nous sommes prêts pour le prochain témoin, M. Philippe Bourke, directeur général du Regroupement national des conseils régionaux de l'environnement du Québec.
Vous avez, comme d'autres témoins, fait preuve d'une patience extraordinaire. Je vous ai vu dans la chambre pendant de longues heures, mais vous aurez au moins eu le privilège d'entendre plusieurs témoins. Nous sommes très heureux de vous accueillir parmi nous aujourd'hui, et que vous puissiez participer à cette étude qui nous préoccupe profondément.
Philippe Bourke, directeur général, Regroupement national des conseils régionaux de l'environnement du Québec (RNCREQ) : Effectivement, je suis ici depuis un certain temps, mais ce n'est pas un supplice. C'est très intéressant et très enrichissant d'écouter vos discussions et les échanges avec les participants.
Je vais d'abord vous présenter la mission du Regroupement national des conseils régionaux de l'environnement du Québec. Il y a 16 conseils régionaux de l'environnement du Québec, un dans chacune des régions administratives, sauf dans le Grand-Nord, la région Nord-du-Québec. Ces conseils régionaux existent depuis très longtemps, certains depuis 35 ans, donc dès le début des années 1970.
Le président : Ce sont des conseils qui sont constitués d'après un certain acte ou statut ou est-ce que ce sont des conseils privés?
M. Bourke : Ce sont des organismes à but non lucratif, légalement constitués, mais qui sont issus du milieu. Donc, ce sont des gens de chacune des régions, qui se sont réunis, des gens du secteur.
Le président : De leur propre gré?
M. Bourke : Oui, c'est cela.
Le président : Ce n'est pas suite à une demande?
M. Bourke : Non, ce sont des organismes autonomes, qui sont issus du milieu.
Le président : Les citoyens des régions?
M. Bourke : Il y a des citoyens et il y a des représentants de gouvernements locaux, comme des municipalités, des représentants d'entreprises, des gens du secteur de la santé, de l'éducation, des groupes environnementaux. Donc, ils forment une table multipartite de toutes sortes d'organisations. Mais la mission, c'est la protection de l'environnement et la promotion du développement durable.
Le président : Pour résumer, au début, on a formé, dans chaque région, les conseils; et après, on a regroupé ces 16 conseils dans un organisme que vous représentez aujourd'hui?
M. Bourke : Tout à fait. Donc, je suis directeur du regroupement de ces 16 conseils régionaux de l'environnement.
Le président : Parfait. Merci, monsieur.
M. Bourke : Le rôle de ces conseils régionaux est d'intervenir en faveur de la protection de l'environnement et de son amélioration, à l'échelle de chacune des régions administratives du Québec. Par leurs actions, ils cherchent à favoriser l'intégration des préoccupations environnementales, dans les processus de développement. Donc, ils participent à tous les processus de développement en région, avec les conférences régionales des élus, les municipalités, les MRC, en essayant de les inciter à inclure dans leurs politiques, dans leur planification, les enjeux environnementaux et de développement durable.
Le Regroupement national des conseils régionaux de l'environnement du Québec se veut une organisation très active dans le secteur de l'énergie au Québec, entre autres, il fait figure d'intervenant actif à la Régie de l'énergie depuis 1998. Il y a donc plus de 10 ans qu'on intervient dans la plupart des causes qui sont entendues devant la Régie de l'énergie.
Nous sommes aussi présents sur une foule de tribunes et de comités qui traitent des enjeux énergétiques, soit directement ou indirectement, parce que ce sont des choses qui concernent, par exemple, l'aménagement du territoire, le transport, donc les enjeux énergétiques de toute autre nature.
Le président : Et c'est financé par le gouvernement? Par exemple, je suis une personne de l'Estrie, de Magog. Est-ce qu'on a, en Estrie, un de vos conseils?
M. Bourke : Oui.
Le président : Est-ce qu'il y a aussi groupes diversifiés?
M. Bourke : Oui, en fait, les 16 conseils régionaux regroupent 2 000 membres. Donc, il y a des individus, des entreprises, des organisations, qui paient une cotisation pour être membres. Cela contribue au financement de l'organisme. Le tiers du financement vient d'une subvention du gouvernement du Québec, via le ministère de l'Environnement qui contribue à peu près pour le tiers du soutien financier d'un conseil régional de l'environnement. Et le deux tiers vient des contributions du milieu, des projets, des ententes avec les acteurs du milieu, pour réaliser des projets.
Le président : Par exemple, à Magog, nous avons Memphrémagog Conservation inc., c'est un; organisme à but non lucratif, pour protéger l'environnement sur le lac. Est-ce qu'ils sont membres?
M. Bourke : Ils sont probablement membres du Conseil régional de l'environnement de l'Estrie.
Le président : C'est un bon exemple?
M. Bourke : Tout à fait, effectivement. Donc, on intervient dans une foule de dossiers qui concernent autant la protection de l'eau, de l'air, de l'agriculture que de la foresterie. On touche à tous les dossiers environnementaux et en particulier celui de l'énergie.
Le président : Excellent.
M. Bourke : Ce qui est l'objet de la discussion d'aujourd'hui.
Pour les conseils régionaux d'environnement, justement, nous appuyons des projets dans le secteur de l'énergie qui vont participer au développement des régions, parce que cela fait partie de notre mission, à la réduction de la pollution atmosphérique, à la lutte au changement climatique, à l'amélioration de la santé humaine, à l'accroissement de la sécurité énergétique, à la création d'emplois et au positionnement favorable des industries.
Pour les conseils régionaux de l'environnement, il ne fait pas de doute que le secteur de l'énergie est un important facteur de développement des sociétés, notamment parce qu'il procure généralement d'importantes retombées économiques et permet la création d'emplois de qualité.
Toutefois, ce secteur, et plus précisément les filières de combustibles fossiles, est aussi responsable des plus importants problèmes environnementaux auxquels la planète est actuellement confrontée. Conséquemment, il n'est pas possible aujourd'hui de prendre une décision responsable en matière de développement de l'énergie sans mesurer, de manière attentive, les implications qu'auront nos choix sur ces enjeux fondamentaux et sans prendre en considération aussi les modes de consommation.
Dans cette perspective, c'est le développement de sources d'énergie locales et propres, allié à une politique de conservation d'énergie et des efforts rigoureux de planification de l'offre et de la demande, incluant les enjeux de transport et d'occupation du territoire, qui assureront, selon nous, l'approvisionnement et la fiabilité en énergie dont nous avons besoin.
Donc, voilà pour la présentation de notre organisation. Maintenant, je m'attarde justement à l'objet de la rencontre d'aujourd'hui et je vous dirais, dans un premier temps, que les conseils régionaux de l'environnement tiennent à féliciter le Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles, pour l'initiative que vous avez prise de susciter un dialogue sur les enjeux cruciaux de l'avenir énergétique. Comme vous, nous considérons cette discussion comme urgente et nécessaire; et donc, on vous en félicite, c'est tout à votre honneur. D'ailleurs, les conseils régionaux de l'environnement, avec le soutien de plus de 200 organisations partenaires de tous les milieux au Québec, ont entrepris, eux aussi, de provoquer un tel dialogue, mais à l'échelle du Québec, au cours de la dernière année, grâce à la démarche des Rendez-vous de l'énergie. D'ailleurs, on a mis, en annexe de notre mémoire, un dossier qui explique un peu quelle est cette démarche des Rendez-vous de l'énergie.
[Traduction]
Le président : Je ne peux rien y faire, sénateurs, mais cette organisation me semble si importante et si unique en son genre.
[Français]
Selon vous, est-ce qu'il y a des organismes semblables dans d'autres provinces ou c'est unique pour Québec?
M. Bourke : Oui, c'est assez unique. Je sais que peut-être en Ontario, il y a ce qu'on appelle les Green Communities, qui seraient des organisations similaires, quoiqu'ils ne sont pas aussi réseautés que la nôtre et aussi diversifiés. En ce qui nous concerne, on couvre l'ensemble du territoire du Québec. Il y a peut-être aussi d'autres organisations semblables en Europe, mais au Canada, on ne connaît pas d'organisme tel que le nôtre.
Cela dit, j'en arrive justement à la question du rapport intitulé Attention Canada, qui a été un peu la source de votre consultation. Dans l'ensemble, on est assez satisfaits de la qualité de ce rapport, il couvre la plupart des enjeux. On a aussi remarqué qu'il ne faisait pas référence au secteur de la géothermie et on trouve cela dommage, parce que c'est un secteur qui est en pleine effervescence ici au Québec.
Le président : Nous sommes encouragés par vos félicitations, parce qu'il y avait d'autres témoins avant vous qui ne partageaient pas la même idée.
M. Bourke : En fait, pour nous, c'est tellement important que l'on parle de ces enjeux, car on n'en parle pas assez et surtout pas assez de façon rigoureuse. Tous les jours on parle des enjeux énergétiques dans les médias, mais jamais de façon intégrée, jamais de façon aussi réfléchie. Ce sont des enjeux extrêmement complexes, qui touchent à la vie de tous les citoyens et des entreprises. On ne peut pas traiter de ce sujet simplement par des articles de journaux, à la une, tous les matins, sur qui est pour ou contre l'une ou l'autre des filières. C'est difficile de faire un dialogue comme celui-ci, c'est normal qu'il soit critiqué aussi, puis peut-être qu'on ait des critiques à donner. Mais aujourd'hui, là n'est pas mon but, moi c'est de vous féliciter parce qu'il faut des lieux comme celui-ci pour en parler. Si on n'en parle pas, les problèmes ne se règlent pas. Alors, je réitère, et c'est sincère, que pour nous c'est important qu'on ait de tels échanges, sur ces importantes questions.
D'ailleurs, la beauté de votre approche, c'est de regarder l'ensemble de la problématique, autant au niveau environnemental, social et économique et surtout de questionner la consommation d'énergie. Lorsque l'on parle des enjeux énergétiques en général, on s'attarde presque uniquement aux filières de production d'énergie, laquelle est la meilleure, la plus cher, ou la plus polluante, mais on oublie de se questionner sur ce que l'on en fait; est-ce qu'on utilise ces énergies de façon efficace; est-ce qu'on les utilise à la bonne place et de la bonne matière?
C'est toujours plus difficile de se regarder, parce que chacun doit faire un exercice de conscience, regarder sa propre façon de vivre; c'est très ardu, mais c'est fondamental. Si on ne regarde pas cela, on peut perdre beaucoup de temps à débattre des filières, les unes par rapport aux autres. Ce qui a été rafraîchissant pour nous, aussi, dans votre rapport, c'est de constater le ton qui est pris par rapport à l'enjeu des changements climatiques. C'est un enjeu qui est fondamental pour nous, pour notre organisation, pour le Québec et pour beaucoup de Canadiens et, malheureusement, on ne reconnaît pas cette importance dans les politiques gouvernementales canadiennes actuellement, et on le déplore.
C'est donc, pour nous, très rafraîchissant de voir que dans votre rapport, vous avez bien situé cette problématique comme étant réelle et comme devant être adressée avec urgence et de façon stratégique.
D'ailleurs, j'ai cité, dans mon mémoire, un paragraphe du rapport, en page 24, qui dit ceci :
Pour relever le défi des changements climatiques et prospérer dans une économie moins dépendante envers le carbone, nous devons transformer notre filière énergétique de façon à réduire nos émissions de gaz à effet de serre. Un des outils-clés pour y arriver est la fixation du prix du carbone.
Nous sommes entièrement d'accord avec cette affirmation, nous jugeons qu'il faut rapidement instaurer un prix au carbone, afin de stimuler l'innovation et encourager les bons comportements et les bons investissements. C'est un moyen simple et efficace de provoquer une transition graduelle en faveur d'une économie moins dépendante du carbone.
Un peu plus tôt, à la section 2.3 du rapport, en page 11, il est aussi question de la tendance à la hausse des prix du pétrole. Il y a des gens qui en ont parlé bien avant moi. Évidemment, c'est l'élément-clé et le moteur de la démarche que l'on mène actuellement au Québec, sur les Rendez-vous de l'énergie.
Mais pour nous, c'est un élément important de motivation en faveur de la transition, parce que le pétrole, c'est une ressource qui est extrêmement précieuse, qui est capitale pour le développement des sociétés. Malheureusement, aujourd'hui, on la gaspille, on ne la traite pas à sa juste valeur et nous en sommes fortement dépendants. Dans un tel contexte, puisque c'est une ressource qui s'épuise et qui va coûter de plus en plus cher, et que notre économie dépend de cette ressource, mais à un prix très bas, il faut s'attendre à ce qu'il y ait de grands bouleversements et on doit se préparer à une telle révolution.
Je terminerais en disant deux choses qui, à mon sens, sont manquantes dans le rapport, deux éléments fondamentaux pour moi. Au-delà de la question de la géothermie dont on a parlé tantôt, il y a deux choses : d'abord, on ne parle pratiquement pas de la question de la santé publique dans le rapport, donc de l'impact qu'a notre système énergétique sur la santé publique des Canadiens.
M. Samray en parlait tout à l'heure, on a de plus en plus de rapports qui nous le confirment, que ce soit des médecins, des organismes de santé publique, qui nous disent à quel point c'est préoccupant; et pourtant, les Canadiens nous disent aussi que c'est leur priorité, la santé.
Je pense qu'il y a peut-être quelque chose là pour les motiver. Si on cherche une source de motivation pour que les Canadiens embarquent dans un système où l'on changerait, de façon drastique, notre système énergétique, bien l'argument de la santé publique irait chercher une grande part des Canadiens. Ils suivraient eux aussi, parce qu'on a besoin de leur adhésion pour provoquer un changement aussi important.
L'autre chose qui manque, à notre point de vue, et je vous ramène ici à la question que j'amenais tout à l'heure sur la consommation de l'énergie, je pense que tout l'élément qui questionne l'urbanisme et l'aménagement du territoire, la façon dont on conçoit nos villes aujourd'hui, on est vraiment dans un système où on continue de construire des secteurs d'habitation où c'est très peu dense. C'est très très espacé, de plus en plus loin des centres urbains, avec des fonctions qui sont vraiment séparées, qui obligent de plus en plus à utiliser l'automobile, et ce, sur de plus longues distances. Donc, on creuse notre dépendance au pétrole, chaque jour, par notre mode de développement urbain. Alors, c'est un enjeu préoccupant. Si on veut changer, de façon profonde, notre rapport à l'énergie, on doit absolument s'inspirer de modèles qui existent un peu partout, que ce soit aux États-Unis ou en Europe, pour aménager les villes de façon plus dense, avec des systèmes de transport qui sont mieux adaptés pour le transport collectif, entre autres.
Le président : Vous faites référence au phénomène de urban sprawl?
M. Bourke : Exactement. Qui est un fléau, et même s'il y a des années qu'on en parle et qu'on dit que c'est coûteux, tant sur le plan environnemental que sur le plan économique, parce que ce phénomène coûte cher à la société, on n'arrive pas à endiguer le problème et il nous cause des difficultés de plus en plus au niveau énergétique aussi.
Le président : Je vous remercie. C'est bien clair et concis. Alors, la liste commence comme d'habitude, avec vous monsieur le sénateur Mitchell.
Le sénateur Mitchell : Merci beaucoup, j'essaierai encore en français.
Le président : Avec anticipation?
Le sénateur Mitchell : Vous avez dit qu'il est nécessaire qu'on ait un prix pour le carbone. Quelle politique serait votre préférence, un impôt ou un cap and trade, par exemple?
M. Bourke : Je vais vous donner une réponse très personnelle, parce qu'on n'a pas fouillé cette question. Mais la question de la taxe ou de l'impôt, pour l'appeler ainsi, est, à mon sens, la plus facile à mettre en place, la plus simple à administrer et, je dirais, la plus parlante également. Parce que quelque part, il faut donner un signal, et cette question donne le meilleur signal, parce que c'est le consommateur, au bout du compte, qui va faire son choix. Et s'il évalue que tel ou tel comportement lui coûte plus cher, parce qu'il y a un prix au carbone, bien, il sera en mesure, lui, de faire un autre choix afin de diminuer l'impact de la valeur qu'on aura donnée au carbone.
Donc, à mon sens, cela serait la solution gagnante. Ici, au Québec, on a déjà amorcé le travail, en imposant une forme de redevance à l'essence puis au carburant, pas de façon significative pour forcer les changements de comportement, mais assurément, pour le moment, assez pour mettre en place un fonds qui sert à implanter des mesures de réduction de gaz à effet de serre, qu'on ne pourrait pas avoir, si on n'avait pas ce fonds. C'est un premier pas vers un système, mais il faut le dire, même s'il y a un peu d'obstruction au départ, ça s'administre très bien, ce n'est pas quelque chose de complexe.
Le sénateur Mitchell : Dans votre présentation écrite, à la page 3, vous avez fait référence au programme Rendez- vous de l'énergie et vous dressez une liste des sections de ce programme. Le premier dans la liste est :
[Traduction]
Sensibiliser et informer l'ensemble des acteurs québécois sur le portrait énergétique de la province.
[Français]
Je pense que probablement tout le monde sait que c'est une fonction très très importante. Mais la plupart des personnes, dans notre société, ne comprennent pas la signification des changements climatiques.
Quel est le programme spécifique à cette mesure, à cette approche pour l'éducation? Vous avez mentionné qu'il y aura des réunions du conseil, mais est-ce qu'il y a des séminaires ou des publicités?
M. Bourke : En fait, vous touchez un excellent point. Je pense que s'il y a quelque chose d'important dans cette démarche, c'est effectivement de sensibiliser les gens. C'est une prise de conscience que les enjeux énergétiques sont importants et complexes et qu'il faut y réfléchir. Sans cette prise de conscience, on ne peut pas faire de changements, parce que les gens ne comprennent pas.
D'ailleurs, on a fait faire un sondage sur la perception des Québécois des enjeux énergétiques, et les résultats ont confirmé qu'il y avait un besoin d'information.
Cela dit, comment a-t-on procédé? De différentes façons. D'abord, on a deux publics cibles : il y a les décideurs, les agents socio-économiques, pour eux, on organise des forums, un peu comme aujourd'hui, mais de façon plus large, on invite une centaine de personnes, de tous les secteurs, dans chacune des régions, à débattre de ces enjeux.
Pour le grand public, évidemment, on fonctionne d'une autre façon, pour eux, c'est différent. Par exemple, on organise des cinédébats où l'on présente des films sur l'énergie, et on discute ensuite des enjeux. Il y a aussi différents outils qui ont été mis en place, dont un site Internet, une page Facebook, ce genre de plateforme où les gens peuvent émettre des opinions.
On a mis en place une caravane citoyenne, qui permet d'aller voir les gens dans la rue et leur poser des questions, en faisant des petits jeux tout simples, mais pour leur faire prendre conscience de leur consommation d'énergie, de l'impact sur la société et l'environnement.
Ce sont là des exemples de petites stratégies, pour essayer d'éclairer le plus de gens possible, pour une première prise de conscience.
Évidemment, on n'a pas fait beaucoup de publicité parce qu'on n'avait pas les moyens, mais peut-être que cela aurait pu être une stratégie gagnante aussi. Pour l'instant, on a commencé par les gens qui sont les plus impliqués dans ces enjeux, soit les acteurs socio-économiques.
Le sénateur Mitchell : La troisième et dernière question : quel est votre budget pour cette démarche?
M. Bourke : En tout, la démarche a besoin d'un budget d'environ de 1 million de dollars, couvrant à peu près 150 à 200 activités qui ont lieu dans l'ensemble des régions, un document de référence d'une cinquantaine de pages, un site Internet, toute la programmation, et un forum national qui aura lieu au mois de juin 2011 à Shawinigan, pour faire un amalgame de toute la question. La moitié du budget provient d'une contribution du gouvernement du Québec, par l'entremise du fonds vert. C'est la taxe sur le pétrole, en quelque sorte, qui paie la moitié du budget de la démarche. Comme je vous le disais tantôt, au moins ces sous servent à susciter des débats pour alimenter le changement. C'est sûr que ce n'est pas encore une taxe très importante, mais il y a au moins une amorce.
[Traduction]
Le sénateur Banks : Monsieur Bourke, vous dites qu'un des objectifs des conseils régionaux est de favoriser le développement dans les régions. Nous avons entendu parler de la controverse que risque de soulever l'exploitation des gaz de schiste dans certaines régions du Québec. Vos membres ont-ils une opinion à ce sujet? Et votre organisme ombrelle, lui?
[Français]
M. Bourke : En région, nous faisons face également à toutes sortes de projets controversés. C'est une partie de notre mission de privilégier un moyen d'action. Il y a des organisations environnementales, il y en a de toutes sortes, certaines mettent l'accent sur des moyens d'action différents des nôtres. Nous favorisons la concertation.
Donc, lorsqu'arrive un projet controversé, et qu'il n'est tout simplement pas acceptable, on essaie de convaincre les gens que ce n'est pas un bon projet. Si le projet peut mieux fonctionner dans la région, on essaie de travailler avec tous les partenaires du milieu pour améliorer le projet afin qu'il soit profitable pour tout le monde, tant sur le plan économique que sur les plans social et environnemental.
Cela fait donc partie de notre stratégie, cela ne fonctionne pas toujours, c'est difficile, c'est un travail de longue haleine. Mais dans certains cas, cela fonctionne; dans d'autres cas, c'est possible qu'on adopte une position différente de certains groupes environnementaux.
Dernièrement, dans la région de Chaudière-Appalaches, le Conseil régional de l'environnement a opté en faveur d'un projet éolien. Il y avait d'autres organisations environnementales qui étaient contre ce projet. Notre décision s'est basée sur ce que le projet pouvait apporter dans la région. Donc, c'est sûr que c'est toujours difficile, mais à jour, c'est une stratégie gagnante pour nous.
[Traduction]
Le sénateur Banks : Le gaz de schiste est au premier plan des préoccupations dans certaines régions du Québec ces temps-ci, et le gouvernement a fait appel à votre organisation pour le conseiller, à ce que j'ai compris, sur les aspects liés à l'écologie et à l'énergie. Compte tenu de cela, est-ce que l'une ou l'autre des organisations membres de votre regroupement s'est penchée précisément sur le dossier de l'exploitation du gaz de schiste? Est-ce que votre organisation, dans son ensemble, s'est penchée sur la question? Avez-vous une position, un point de vue, un avis sur le sujet?
Le président : Ou encore avez-vous témoigné lors de ces audiences?
[Français]
M. Bourke : En fait, il y a eu des audiences du BAPE sur les gaz de schiste. Les trois conseils régionaux de l'environnement qui sont concernés, Montérégie, Centre du Québec et Chaudière-Appalaches, ont tous présenté un mémoire, de même que le Regroupement des conseils. Et tout cela s'est fait de façon collégiale, c'est-à-dire que les trois conseils régionaux de l'environnement et le Regroupement ont travaillé ensemble pour trouver un terrain d'entente.
Et cela dit, ce n'est pas parce qu'on reçoit une contribution financière du gouvernement du Québec qu'on s'empêche de prendre une position qui va à l'encontre de leur vision. Depuis 15 ans qu'on reçoit du financement du gouvernement du Québec, tout cela se fait dans le respect de l'autonomie de nos prises de position, et de cela, nous sommes très fiers.
Cela dit, notre position a été de dire : il nous faut plus d'information, on doit avoir une évaluation environnementale stratégique pour bien connaître les enjeux avant de décider si, oui ou non, c'est une bonne idée d'exploiter le gaz de schiste au Québec. Et dans ce but, on s'est soutenus, les trois conseils régionaux et le Regroupement, et c'est une position qui ressemble à celle de la plupart des organismes environnementaux du Québec.
[Traduction]
Le sénateur Banks : Est-ce que vous appuyez la pétition qui, à ce que nous avons compris, a été présentée à la législature?
[Français]
M. Bourke : Il ne fait pas partie des stratégies de notre organisation que de participer à des coalitions, des pétitions, des manifestations. Ce n'est pas que nous sommes contre leur existence, mais nous ne participons pas, en général, à ce genre de stratégies, on préfère conserver nos moyens d'action qui sont la concertation et le travail justement en complémentarité avec de telles stratégies.
Pour nous, c'est une excellente chose que cette pétition existe, elle nous permet d'avoir une position de force pour faire la promotion de changements au niveau de la politique.
[Traduction]
Le sénateur Banks : Avez-vous une idée du moment où vous en saurez assez sur le sujet pour prendre une décision, dans un sens ou dans l'autre?
[Français]
M. Bourke : Dernièrement, j'ai participé à une table ronde où cette question avait été posée, il y avait des gens qui représentaient le secteur de la science, donc évidemment des gens qui ont besoin d'informations stratégiques pour pouvoir connaître les impacts environnementaux. Il y avait des gens qui représentaient le secteur de l'économie avec des besoins d'information pour mesurer les bénéfices qu'aurait cette filière sur le plan du gouvernement, mais aussi sur le plan de l'économie régionale. Donc, il faut colliger également cette information.
Et il y avait un spécialiste, un avocat, un juriste qui avait aussi estimé le temps à être alloué afin de mettre en place un cadre réglementaire qui permettrait d'aller de l'avant avec la filière, et tous s'entendaient sur un horizon d'environ deux ans pour faire tous ces travaux, tant au niveau de la recherche qu'à celui de l'économie, ainsi qu'au niveau juridique.
Le président : J'aimerais souligner le fait que le sénateur Banks a soulevé que l'intérêt des 16 conseils régionaux n'est pas exclusivement de protéger l'environnement, mais aussi d'encourager le développement économique. Est-ce que j'ai bien compris?
M. Bourke : Tout à fait. On a pour mission la protection de l'environnement, on s'en est fait le gardien, mais dans un esprit de promotion du développement durable et le soutien à l'économie régionale. Donc, on va encourager des projets qui vont être gagnants pour l'économie régionale, mais à la fois dans le respect de la qualité de l'environnement.
On y croit et la démarche qu'on mène sur les « Rendez-vous de l'énergie » va justement en ce sens. On croit qu'il y a une forme d'économie possible au Québec, qui va autant satisfaire les besoins économiques que les besoins sociaux et de santé, et aussi protéger l'environnement. Et c'est ce que l'on promeut. On a entendu, aujourd'hui, des idées de projets de technologies qui militent en ce sens et c'est ce dont nous faisons la promotion.
[Traduction]
Le sénateur Neufeld : Je suis en train de lire votre document. Sous le titre « Que faire alors? », vous proposez plusieurs choses : miser sur le développement du transport collectif; réduire la consommation des véhicules; réduire la consommation d'énergie dans le bâtiment; réinventer le cœur des villes et des villages; substituer des énergies renouvelables au pétrole, par exemple l'électrification des transports.
Il me semble que c'est ce que le Québec fait maintenant. Je sais que ma province, la Colombie-Britannique, met l'accent sur tous ces éléments et fait déjà tout cela. Nous développons le transport collectif; nous faisons tout ce que nous pouvons en ce qui concerne la consommation de carburant des véhicules, et nous avons souscrit aux normes de la Californie en matière d'émissions de gaz d'échappement des véhicules, les normes les plus rigoureuses qui soient en Amérique du Nord. Nous évaluons la consommation d'énergie dans le bâtiment, et d'autres choses encore.
Je ne contredis pas du tout la nécessité de faire tout cela, mais qui paye? C'est la population, n'est-ce pas? C'est le contribuable, parce que le gouvernement n'a pas d'autre source où puiser ces fonds que le trésor public.
On ne peut faire les choses qu'à un certain rythme. Dites-vous que le Québec ne fait rien de tout cela, ou qu'il fait quelque chose, mais que vous souhaiteriez des progrès plus rapides? Que proposeriez-vous pour cela?
Je suis tout à fait dérouté par ce que je vois sous le même titre. Vous parlez de « contrer la hausse des prix du pétrole en réduisant les taxes et les redevances sur l'essence ». Depuis que je suis ici, et même avant, je n'ai toujours entendu dire qu'une chose, et c'est que l'augmentation du prix de quelque chose engendre la conservation et la réduction. Vous dites que nous devrions réduire les redevances et les taxes sur l'essence — du moins c'est ce que je lis ici. Cependant, je sais que ce sont les taxes qui paient le transport collectif en Colombie-Britannique. En les réduisant, il me semble qu'on ne ferait qu'encourager la population à consommer plus. Je ne vois pas vraiment ce que vous essayez de dire dans ce document.
Je vous pose donc la question suivante : est-ce que le Québec applique toutes ces mesures dont vous parlez, ces quatre propositions que je vois en haut de la page? Je le suppose. Je ne peux pas concevoir qu'il ne le fasse pas, mais vous pouvez me corriger si je me trompe. Est-ce que c'est seulement que vous trouvez les progrès trop lents? Comment peut-on réduire les taxes et les redevances sur l'essence tout en continuant de fournir tous ces services? Qui paie, en fin de compte, et avec quoi? Il y a bien des limites à ce qu'on peut faire avec les taxes.
[Français]
M. Bourke : En fait, il y a deux volets à votre question. Oui, effectivement, toutes ces choses se font déjà, tant au Québec qu'ailleurs. Le problème, il y a effectivement une question de vitesse, mais il y a surtout un problème de choix.
Pendant que nous disons miser sur le transport collectif, on continue à investir des milliards dans les infrastructures d'automobiles, pour de nouvelles autoroutes, de nouveaux ponts, de nouveaux échangeurs, et c'est là où se situe le problème. Il nous faut, un jour, faire un choix.
On n'a pas les moyens, et vous le dites à juste titre, on a un problème de financement, c'est clair. On n'a pas les moyens de soutenir la poursuite du tout ce qui a trait à l'automobile, en même temps que de dire qu'on va développer les transports en commun. On n'a pas les moyens de dire : on va développer le transport en commun en laissant des quartiers résidentiels se construire en banlieue, où c'est impossible d'offrir le transport en commun parce que les habitations sont beaucoup trop éloignées les unes et des autres. Les rues ne sont absolument pas conçues pour offrir un service de transport en commun.
On ne peut pas souhaiter de nouvelles approches de bâtiment sans qu'on fasse une réforme du Code du bâtiment, ce qui prend une éternité à se concrétiser. Il y a plusieurs années qu'on soutient qu'il faut changer le Code du bâtiment. Mais, pourquoi rien ne s'est encore fait? Alors, oui, il y a des enjeux de rapidité, il y a des enjeux de choix à faire.
On ne peut pas non plus soutenir les énergies renouvelables en même temps qu'on subventionne aussi des énergies non renouvelables. Donc, ce que nous recherchons surtout, c'est un choix, une stratégie à long terme dans laquelle on va orienter le peu de ressources financières à notre disposition. Parce que oui cela coûte cher, mais si on fait les bons choix, cela risque de nous coûter moins cher à long terme.
Sur le deuxième enjeu que vous avez soulevé, la question du financement par des taxes sur l'essence, je ne sais pas où vous avez vu l'endroit où on parlait de réduire la taxe sur l'essence ou les redevances. Peut-être, par contre, ce à quoi vous faites allusion, et ce que je crois comprendre, c'est qu'évidemment si on souhaite une diminution de la consommation du pétrole, forcément que les revenus qui reviennent à l'État de la taxe sur le pétrole, bien, il faudra les trouver ailleurs. Évidemment que c'est un enjeu.
Mais je pense que ce qu'on veut faire comme exercice, c'est de faire comprendre aux gens que le revenu dont le gouvernement du Québec tire de la taxe sur l'essence, les gouvernements, ce n'est rien à côté des coûts occasionnés à la société, particulièrement au Québec où l'on ne produit pas de pétrole et que des milliards de dollars, chaque année, sortent de notre économie pour aller faire l'achat de ce pétrole à l'étranger.
En fait, on ne fabrique pas non plus au Québec des voitures, donc il faut aussi les importer. Donc, la balance commerciale est très perdante. Alors, je pense que oui, il y a un enjeu de financement, mais il ne faudrait pas le mélanger avec le besoin de transition de l'économie.
[Traduction]
Le sénateur Neufeld : Peut-être n'ai-je pas lu le bon document.
Le président : Oui, il y en a deux, mais vous lisiez celui qui traite de ce que serait un Québec sans pétrole.
Le sénateur Neufeld : Oui. Il est bien de vous?
M. Bourque : Est-ce que c'est celui qui est intitulé « Imaginons le Québec sans pétrole »?
Le président : Les deux sont de lui.
M. Bourque : Oui.
Le sénateur Neufeld : Sous le titre « Que faire alors? », à l'avant-dernière page, je lis « Contrer la hausse des prix du pétrole en réduisant les taxes et les redevances sur l'essence ». C'est ce que je vois dans votre document. Je suis soulagé de n'avoir rien déformé, parce que je ne voudrais vraiment rien faire de tel.
[Français]
M. Bourke : En fait, vous voyez très juste. Donc, ce qu'il faut comprendre dans ces trois questions, c'est que notre approche de consultation au Québec, c'est de ne pas dire aux Québécois ce qu'ils devraient penser, mais leur amener les faits et leur demander ensuite : « Qu'est-ce que vous choisiriez parmi ces trois options? »
Évidemment, le premier choix, c'en est un, mais rapidement, effectivement, serait de réaliser qu'à court terme, cela pourrait être gagnant pour chaque individu si on payait moins cher de taxes.
Le président : Ce sont des hypothèses.
M. Bourke : Ce sont des hypothèses qu'on a mises de l'avant pour susciter le débat.
Le président : Voilà.
M. Bourke : Mais ce n'est pas un souhait que nous faisons, évidemment, c'est pour démontrer qu'un tel scénario ne serait pas gagnant à long terme, ni le second, mais plutôt le troisième. Mais vous aviez tout à fait raison, je m'excuse, je ne me rappelais plus qu'il y avait cette mention.
[Traduction]
Le sénateur Neufeld : Voyons l'autre liste, sous « Il s'agit notamment de », à la dernière page. La première chose, c'est « Miser sur le développement du transport collectif ». Est-ce une proposition que vous appuyez? Est-ce bien ce que je dois comprendre, ou est-ce que vous ne l'appuyez pas?
Je suis vraiment perplexe. Vous parlez d'abord de réduire les taxes, puis soudainement vous laissez tomber l'idée et en proposez d'autres plus loin. Abandonnez-vous celles-là aussi, ou c'est ce que ce sont celles que vous soutenez? C'est difficile à dire.
[Français]
M. Bourke : En fait il faut comprendre qu'on est dans un processus de consultation. L'idée c'est de mettre de l'avant le problème de l'augmentation des coûts du pétrole. En général, lorsque les journaux nous rapportent, tous les jours, une augmentation des prix du pétrole, il y a des citoyens qui disent : « Baissez les taxes, ça nous coûte trop cher. Aidez- nous. »
Nous sommes à démontrer que ce n'est pas une solution gagnante à long terme que de baisser les taxes pour réduire un peu le coût de l'essence, alors qu'en réalité, ce à quoi nous faisons face, c'est une augmentation croissante qui n'arrêtera jamais. Et le problème, c'est qu'il faut l'adresser autrement qu'en diminuant les taxes. Mais évidemment, nous, notre rôle, comme c'est un processus de consultation, ce n'est pas de mettre tous les mots dans la bouche des participants. On essaie d'exposer quels sont les scénarios possibles pour être le plus transparents et ouverts possible au dialogue.
[Traduction]
Le président : Est-ce plus clair, maintenant, sénateur?
Le sénateur Neufeld : Je vous remercie, c'est bon.
Le président : C'est vraiment une question de contexte.
Le sénateur Lang : J'apprécie votre franchise et je comprends que nous devions chercher des solutions, et quelles qu'elles soient, toutes comporteront un compromis quelconque. Je suis d'accord avec le sénateur Mitchell. Il disait tout à l'heure que nous avons entendu plusieurs témoins qui s'opposent systématiquement à tout ce qui est fait, mais qui ne proposent pas de solutions de rechange réalisables concernant ce que nous pouvons faire dans notre quotidien.
J'ai deux ou trois choses à soulever. Vous avez dit que le trésor public contribue peut-être trop largement aux réseaux de transport. Je représente une région du pays qui pourrait vous prendre une semaine à atteindre en voiture, en partant d'ici. Ce n'est pas la porte à côté.
Le président : Le sénateur Lang est du Yukon.
Le sénateur Lang : Ce que je veux faire valoir, c'est que l'un des facteurs qui font de notre pays ce qu'il est, c'est son réseau de transport. Il faut l'entretenir pour pouvoir faire traverser le pays à nos marchandises et pour nous rendre à des réunions comme celle-ci, et aussi distribuer nos produits dans tout le pays. J'hésiterais beaucoup avant de faire cette observation générale comme quoi on pourrait simplement réduire le financement des réseaux de transport et acheter un autobus.
L'autre chose que je voulais dire concerne les codes du bâtiment. Ils ont été mis à jour. J'estime qu'il faudrait en parler aussi. Dans mon coin du pays, la norme R-2000 est de plus en plus répandue, pour les nouvelles maisons. C'est ce qui se profile à l'horizon. Je pense qu'elle est en vigueur dans la plupart des provinces. La question relève des gouvernements provinciaux.
J'aimerais maintenant parler des terminaux méthaniers et de la conversion des transports dans le secteur du camionnage. Il en a été question plus tôt. Je pense que vous étiez là quand plusieurs raisons ont été citées à l'appui de cette mesure. Est-ce que votre organisation a des commentaires à faire sur le sujet? Est-ce que ce changement de cap vous paraît valable, dans notre conjoncture économique?
[Français]
M. Bourke : Avant de répondre à votre question sur le gaz naturel liquéfié, j'aimerais faire une remarque sur votre premier point concernant le transport. Vous savez, quand je dis que je représente 16 conseils régionaux de l'environnement, certains de ceux-ci vivent loin de Montréal : ils sont de la Gaspésie, de la Basse-Côte-Nord, de l'Abitibi-Témiscamingue. Ce sont des régions rurales très éloignées, pour qui le transport en commun n'est absolument pas une avenue envisageable à moyen terme.
Pourtant ce qu'ils nous disent, lorsqu'ils entendent parler de la hausse croissante des coûts du pétrole, c'est que cela amplifie leur niveau de préoccupation. Alors, ils nous disent : « Oui, on va toujours avoir besoin d'un système de transport routier, c'est sûr. Comment arrivons-nous à modifier, malgré tout, nos façons de nous développer, d'habiter, de nous déplacer? Comment notre économie devra-t-elle changer si les prix du pétrole augmentent? »
Les solutions ne sont pas les mêmes à Montréal qu'à Québec ou Toronto, c'est vrai. Il faut trouver d'autres façons et vous avez tout à fait raison. Donc, c'est pour cela que je ne veux pas généraliser quand je disais qu'il ne fallait plus soutenir le transport routier, je pense qu'il faut le réinventer. En ville, c'est une certaine façon; ailleurs, c'est d'une autre façon.
Sur le point concernant le gaz naturel liquéfié, j'ai eu l'occasion de rencontrer M. Robert, et j'ai parlé aussi, il y a de cela deux semaines, avec les gens chez Gaz Métropolitain, qui travaille au projet de Route bleue, afin qu'ils m'expliquent clairement et que je comprenne bien, sur la base de preuve à l'appui, qu'il y a un bénéfice environnemental à cette approche. J'ai voulu comprendre aussi pourquoi on parlait de gaz liquéfié plutôt qu'autre chose. Enfin, de comprendre toute la logique technologique derrière cela, et je crois la comprendre mieux maintenant.
À mon sens, selon les études que j'ai vues, il m'apparaît indéniable qu'il y a une réduction de gaz à effet de serre importante si on utilise le gaz naturel liquéfié, par rapport au diesel, peu importe la provenance. Par contre, il faudra voir la provenance des carburants en question.
Ce que je n'ai pas obtenu comme réponse encore, c'est au niveau des émissions atmosphériques polluantes, c'est-à-dire même si on peut présumer que ce sera meilleur, je m'y connais un petit peu en chimie quand même, on peut présumer qu'il y aura moins de particules en suspension qui contribuent entre autres aux problématiques de pollution atmosphérique, de smog et tout cela.
Je pense qu'on gagnerait à avoir cette information pour poser un diagnostic final, à savoir si c'est vraiment gagnant. Parce que je pense qu'il y a deux volets à considérer, soit celui du changement climatique, mais également celui de la santé publique, de pollution de l'air, et il faudrait voir ces deux éléments. Ils m'ont dit qu'ils me fourniraient prochainement les résultats à ce sujet, mais en attendant je fais ma propre recherche de mon côté, et cela serait important d'avoir cela.
Mais dans l'ensemble, on est assez favorables. Pour nous, c'est un moyen parmi d'autres. C'est sûr que les gains ne seront pas spectaculaires, comme M. Breton le disait tantôt, mais c'est la somme de chaque gain qu'on va faire dans le transport, en agriculture, dans le domaine du bâtiment, qui va faire en sorte de réduire les émissions de gaz à effet de serre.
C'est une façon aussi de stimuler l'économie, de nouvelles technologies, qui peuvent être exportables. Je pense qu'au-delà des gains énergétiques, il y a aussi des potentiels de développement intéressants derrière une telle stratégie. Mais pour l'instant, il me manque quelques informations, avant d'être vraiment confortable.
Le président : Monsieur Bourke, nous sommes arrivés à la fin de votre témoignage. Nous avons apprécié la contribution que vous avez apportée à nos délibérations. C'est bien clair et très intéressant.
[Traduction]
Chers collègues, nous devons avancer. Le témoin suivant est prêt. Vous verrez sur votre ordre du jour que nous devions accueillir Pierre Lemieux, le vice-président de l'Union des producteurs agricoles du Québec, mais M. Lemieux a été retenu. Son collègue et partenaire, par contre, est ici. David Tougas est économiste à la direction des recherches et politiques agricoles de l'Union des producteurs agricoles du Québec.
[Français]
Nous vous souhaitons la bienvenue, monsieur Tougas. Je vous remercie de votre présence, mais aussi pour avoir porté à notre attention les choses décrites dans votre mémoire. Nous allons vous écouter avec beaucoup d'intérêt.
David Tougas, économiste, Direction des recherches et politiques agricoles, Union des producteurs agricoles : Monsieur le président, je vous remercie. Tout d'abord, j'aimerais excuser notre premier vice-président, monsieur Pierre Lemieux qui, malheureusement, a été retenu à Longueuil cet après-midi, il aurait aimé être parmi nous, mais il y a des circonstances exceptionnelles qui font qu'il ne peut être ici.
D'abord, je voudrais remercier le comité de son invitation à venir nous exprimer dans le cadre des travaux sur les systèmes énergétiques du Canada.
Premièrement, je ferai une brève description de l'UPA. En fait, l'UPA représente les 42 000 producteurs agricoles et agricultrices du Québec, répartis à travers le territoire. Donc, c'est 30 000 entreprises agricoles qui investissent, bon an mal an, près de 630 millions de dollars dans l'économie du Québec. Mais il ne faut pas oublier que l'UPA représente également les 35 000 producteurs de bois en forêts privées au Québec qui, eux, récoltent environ 6 000 000 mètres cubes de matières ligneuses, chaque année, pour une valeur de 300 millions de dollars. C'est très important.
Au cours des dernières années, l'UPA a été fortement impliquée dans les dossiers touchant les questions énergétiques. L'UPA est un acteur incontournable, lorsque vient le temps d'installer des infrastructures énergétiques en milieux agricoles et forestiers. On parle de lignes de transport d'électricité, des installations d'éoliennes. D'ici l'année 2015, au Québec, on aura plus de 30 parcs éoliens en activité qui sont surtout situés en milieux agricoles et forestiers.
On a également affaire avec des pipelines, des gazoducs; on a le projet de pipeline Saint-Laurent, Ultramar, qui est en construction présentement et qui relie la raffinerie de Saint-Romuald et Montréal-Est, pour 240 kilomètres de pipeline, principalement en milieux agricoles et forestiers également.
Et aussi, évidemment, le dossier plus récent sur les gaz de schiste qui a fait beaucoup parler au Québec. La région la plus ciblée reste la région entre Montréal et Québec, dans les basses terres du Saint-Laurent. Ici aussi, c'est en milieu très fortement agricole, donc il y a nécessairement un impact sur nos membres.
Donc, pour l'ensemble de ces infrastructures, que ce soit les lignes de transport, les éoliennes, les pipelines, le gaz de schiste, l'UPA s'assure que les droits juridiques et les intérêts économiques des producteurs agricoles et forestiers sont respectés.
Et à cette fin, nous négocions des ententes-cadres, qui balisent les relations entre les producteurs agricoles et les promoteurs énergétiques. Ces ententes comportent des clauses d'atténuation des impacts des infrastructures sur les milieux agricoles et forestiers, des modes de compensation et également les documents juridiques pertinents, pour protéger les droits juridiques des producteurs agricoles. Ces ententes assurent également un traitement équitable de l'ensemble des producteurs touchés par un projet énergétique, tout en maintenant une transparence accrue dans les relations entre les promoteurs et les producteurs.
Au-delà de ces ententes, l'UPA maintient des liens continus avec Hydro-Québec et également l'Office national de l'énergie, où elle siège sur différents comités qui sont en lien avec la présence d'infrastructures énergétiques en milieu agricole.
Pour l'UPA, l'Office national de l'énergie est un acteur important et un facilitateur de premier plan pour baliser les relations entre les producteurs agricoles et les promoteurs énergétiques à l'échelle canadienne.
Malgré ces ententes-cadres et l'application de mesures d'atténuation des impacts, les infrastructures créent inévitablement une pression sur le territoire agricole et forestier de la province, qui s'ajoute, évidemment, à celles de l'urbanisation et à d'autres infrastructures publiques, telles que les routes, notamment.
Au Québec, les promoteurs énergétiques doivent par contre présenter leurs projets à la Commission de la protection du territoire agricole, ce qu'on appelle communément la CPTAQ, qui est une entité gouvernementale. Ce passage obligé fait en sorte de s'assurer que les infrastructures énergétiques déployées en milieu agricole se font de façon optimale, afin de minimiser leur impact sur les terres agricoles et le milieu forestier.
Non seulement les producteurs agricoles vivent à proximité de certaines infrastructures, mais ils sont avant tout des consommateurs d'énergie, ils sont dépendants de diverses sources d'énergie, en fonction de leurs différentes productions.
Du point de vue canadien, les dépenses en énergie du secteur de la production agricole sont d'environ quatre milliards de dollars par année, soit environ 10 p. 100 des dépenses du secteur.
Et dans certains secteurs, comme notamment certaines productions en serre, les dépenses énergétiques peuvent représenter plus de 30 p. 100 des dépenses totales de ces productions.
Donc, les producteurs agricoles sont également captifs de certaines formes d'énergie, principalement en ce qui a trait aux produits pétroliers. Au Québec, les programmes d'efficacité énergétique visent principalement l'électricité, alors qu'il y a très peu de programmes ayant trait à des alternatives aux équipements qui nécessitent de l'énergie fossile. Au- delà de la consommation d'énergie, les producteurs agricoles peuvent être également mis à contribution pour la production d'énergie, la production de biomasse agricole à fort potentiel énergétique, surtout avec les perspectives du côté de l'éthanol cellulosique qui devraient se concrétiser dans les prochaines années. À cet égard, des recherches sont déjà amorcées au niveau du Québec afin de cibler les plantes les plus performantes qui pourraient être cultivées sur les terres actuellement non exploitées, pour la production de biens alimentaires.
Également, il y a le biométhanisation à la ferme qui est une autre alternative intéressante de production d'énergie. Elle a le double avantage de réduire les déjections animales, tout en affichant un excellent bilan au niveau des gaz à effet de serre.
Les producteurs forestiers peuvent évidemment fournir une biomasse forestière très intéressante et disponible dans presque toutes les régions du Québec. Cette dernière comporte plusieurs avantages. La biomasse forestière a généralement un prix historique plus stable que les autres sources d'énergie. Elle permet de diversifier la production et les revenus des propriétaires terriens. Elle permet également d'augmenter les investissements sur les terres dégradées, et surtout, elle peut stimuler le développement économique des milieux ruraux, tout en permettant de réduire les émissions de gaz à effet de serre. D'après le ministère des Ressources naturelles et de la Faune du Québec, les volumes de biomasses forestières présentes sur la forêt privée au Québec se chiffrent à 6 millions de mètres cubes.
En ce qui concerne les enjeux, l'enjeu d'acceptabilité sociale en est un qui est très important pour favoriser le développement des infrastructures énergétiques en milieux agricoles et forestiers. Il faut maintenir et encourager les liens entre les promoteurs énergétiques et les personnes qui ont à vivre avec les inconvénients de leur structure.
Le modèle d'entente-cadre que l'on applique ici à l'UPA devrait être privilégié. On pourrait favoriser également des ententes-cadres pancanadiennes qui balisent l'implantation d'infrastructures énergétiques, pour assurer un traitement équitable, d'une juridiction à l'autre. Nos travaux avec l'Office national de l'énergie ont permis, d'ailleurs, de travailler en ce sens, au niveau du balisage des activités agricoles permises au-dessus des pipelines existants. Pour le Québec, on doit nécessairement maintenir le passage obligé à la Commission de protection du territoire agricole, pour assurer une préservation maximale du territoire agricole et forestier. Cette façon de faire, selon nous, devrait être appliquée également dans les autres provinces.
On doit inciter la production d'énergie à la ferme et en forêt privée. Des investissements dans la recherche sont nécessaires pour appuyer les initiatives de développement d'une nouvelle génération de plantes énergétiques. Des incitatifs financiers peuvent également être nécessaires pour favoriser les projets où les coûts de production de l'énergie ne sont pas compétitifs, mais, par contre, où les gains environnementaux et sociaux sont importants.
Un cadre réglementaire pourrait également faciliter la production de certaines formes d'énergie, si certaines normes minimales sont imposées. On peut prendre l'exemple de la norme minimale au niveau du mélange d'éthanol dans l'essence, qui a été mise en vigueur il y a quelques années.
En bref, ces marchés pour les énergies vertes se développeront si les vendeurs et les acheteurs y trouvent leur compte; ce qui n'est pas nécessairement le cas actuellement. On doit investir des sommes en efficacité énergétique, afin de réduire l'utilisation et la dépendance de la production agricole à l'égard de certains combustibles fossiles.
Et finalement, pour les agriculteurs, l'accessibilité aux différentes formes d'énergie n'est pas égale dans toutes les régions. Au Québec, on sait que certains producteurs n'ont pas accès au réseau de distribution de gaz naturel, ce qui constitue pour eux un désavantage compétitif.
En résumé, rapidement, les producteurs agricoles et forestiers peuvent être mis à contribution en tant que producteurs d'énergie, afin de réduire notre dépendance à certaines formes de combustibles fossiles, tout en contribuant positivement à notre bilan environnemental et en favorisant la création d'emplois et une activité économique accrue dans les régions rurales.
Les producteurs en tant que consommateurs d'énergie ont un intérêt à travailler en efficacité énergétique et sont de plus en plus conscientisés à cet égard. Les gouvernements devraient investir davantage en recherche et procurer des incitatifs afin de favoriser l'émergence de sources d'énergie alternatives, tels que l'éthanol cellulosique et la biométhanisation à la ferme.
Et pour assurer une acceptabilité sociale des projets énergétiques en milieu agricole et forestier, certains éléments doivent nécessairement être pris en compte pour, comme je le mentionnais tout à l'heure, minimiser l'impact des projets sur les superficies cultivables au niveau canadien, en instaurant une réglementation adaptée. On pourrait prendre comme exemple la Commission de la protection du territoire agricole au Québec.
Il importe également d'assurer la sécurité des installations énergétiques pour les travailleurs agricoles, au moyen d'une réglementation et d'une inspection adéquate et de s'assurer que les producteurs agricoles qui accueillent ces infrastructures énergétiques sur leur propriété ne soient aucunement responsables de tout bris et dommages, y incluant les dommages à l'environnement qui pourraient être causés potentiellement par celles-ci.
Et finalement, une collaboration pancanadienne accrue peut être avantageuse pour améliorer l'acceptabilité sociale des projets d'infrastructures énergétiques en milieu agricole, en assurant une équité dans les façons de faire des promoteurs. Nous croyons que l'Office national de l'énergie pourrait être mis à contribution pour assurer cette cohésion, par la formation de comités de liaison où siégeraient propriétaires fonciers et promoteurs énergétiques.
Cette façon de faire favoriserait une collaboration pancanadienne accrue et pourrait être avantageuse pour améliorer l'acceptabilité sociale des projets d'infrastructures énergétiques en milieu agricole, et aussi assurer une équité dans les façons de faire des promoteurs, au travers le Canada.
Ceci conclut ma présentation.
Le président : Monsieur Tougas, je vous félicite d'avoir parcouru le mémoire si rapidement. Votre collègue aurait été fier, veuillez recevoir nos compliments pour tout cela.
Tout d'abord, le sénateur Mitchell vous posera ses questions.
Le sénateur Mitchell : Je vous remercie, monsieur Tougas. J'ai beaucoup apprécié votre présentation sur le sujet, particulièrement la question des avantages pour le développement rural, grâce aux sources alternatives de l'énergie. Je pense qu'il y a là un très grand potentiel pour aider les régions rurales plus pauvres du Canada et du Québec, avec des politiques bien balancées et intelligentes concernant cet enjeu. Mais je me demande si vous êtes conscient des efforts des fermiers de l'Alberta, qui produisent les crédits de carbone pour la bourse du carbone. En Alberta, il y a beaucoup d'investissements, pour les petites affaires et pour les fermiers, par exemple, pour la production des crédits de carbone, dans ces bourses de carbone. En Alberta, ce n'est pas grand, mais dans le monde il y a beaucoup de potentiel également de ce côté.
M. Tougas : Oui, dans les faits, le marché du carbone n'est pas encore très développé au Québec, mais effectivement, cela pourrait être un incitatif très intéressant pour les producteurs agricoles et forestiers que de produire davantage ce genre de biomasse qui est favorable à l'obtention de tels crédits. Nous sommes très favorables au développement de ces marchés, mais force est de constater que pour le moment, pour les producteurs québécois, malheureusement ce n'est pas encore accessible, mais on a bien hâte de voir ce marché se développer pour la province, effectivement.
Le sénateur Mitchell : Évidemment, nous avons besoin d'un système de « cap and trade » pour faire une bourse pour les fermiers et les autres, dans cette éventualité.
M. Tougas : Oui.
Le sénateur Massicotte : Je vous remercie, monsieur Tougas d'être parmi nous. Vous êtes un intervenant très intéressant, et je remarque que dans votre industrie comme telle, même dans la vallée du Richelieu où l'on parle beaucoup du gaz de schiste, vous êtes très présents. C'est quand même un côté rural, on parle d'une densité énorme, mais c'est tout de même un milieu rural.
M. Tougas : Oui.
Le sénateur Massicotte : Et quand je regarde votre industrie, vous êtes très importants côté économie : vous êtes un grand employeur, vous êtes importants comme structure rurale dans ces secteurs, question d'habiter le Québec.
Mais maintenant il y a des conséquences aussi, vous êtes quand même un pollueur important par votre utilisation de l'engrais. Je regarde la rivière Richelieu qui est très polluée un peu à cause des fermiers, mais c'est cela, l'équilibre d'une économie.
Ma question est plutôt en regard de votre connaissance des conséquences. Connaissez-vous les bienfaits de l'industrie agricole?
M. Tougas : Oui.
Le sénateur Massicotte : Et quand on gère une province, comme Premier ministre, c'est un équilibre de toutes ces choses. Mais avec cette expérience, quels conseils et quel positionnement prévoyez-vous dans le domaine du gaz de schiste? Parce que c'est un peu la même chose, il y a des bénéfices économiques, il y a les conséquences. Avec votre expérience, quels seraient les conseils de l'UPA et quel est son positionnement face à ce développement potentiel?
M. Tougas : Oui, bien au niveau des gaz de schiste, comme mon collègue précédemment, nous avons aussi déposé un mémoire au BAPE, donc au Bureau d'audiences publiques, sur le sujet. En fait, l'UPA, généralement, ne prend pas position pour ou contre des projets énergétiques. Nous, comme je le mentionnais tout à l'heure, ce que l'on vise, c'est d'assurer les droits juridiques et les intérêts économiques des producteurs agricoles.
On est très conscients que l'on est des consommateurs d'énergie. Vous mentionnez l'engrais, effectivement, le prix de l'engrais est très lié au prix de l'énergie, surtout au niveau de l'azote. Donc, on est captifs de ces sources d'énergie.
En fait, la position de l'UPA sur les gaz de schiste, c'est qu'on n'est pas contre son développement. Tout ce que nous voulons, c'est que le développement se fasse de façon harmonieuse, sur le territoire, en ayant le minimum d'impacts sur les superficies agricoles.
En ce moment, c'est un secteur qui est en phase exploratoire au Québec, on a une trentaine de puits qui sont situés, oui, en milieu agricole, mais aussi en terres publiques. Pour le moment, il y a très peu d'impacts sur le territoire agricole.
Par contre, il faut regarder à plus long terme aussi, il y a les puits, les sites d'extraction, d'exploration, mais il faut penser aussi au réseau de raccordement qui va suivre, si la ressource se concrétise, c'est-à-dire les gazoducs. Cela amènera également des contraintes sur le milieu agricole. Ce sont tous des éléments que nous avons suggéré au BAPE de prendre en considération, pour justement minimiser les impacts sur le secteur agricole.
Donc, je vous dirais que la position de l'UPA est celle-ci : faisons bien les choses. On se questionnait également, à court terme, sur la rentabilité économique de l'exploitation du gaz de schiste, étant donné qu'on sait que le prix du gaz a diminué de façon assez importante, dans les dernières années. Donc, est-ce le bon moment?
On se questionnait aussi : est-ce que les retombées économiques potentielles de cette exploitation sont suffisantes pour, dans le fond, couvrir les inconvénients, soit environnementaux ou sur les impacts sur la terre agricole?
Ce sont donc des questions qu'on a soumises au BAPE. Comme je vous le dis, on n'est pas contre, ni pour le développement; on est captifs de sources d'énergie, on a besoin d'énergie pour faire de la production agricole, mais il faut juste s'assurer que tout se fasse dans les règles de l'art et en minimisant les impacts sur le territoire agricole.
Le sénateur Massicotte : En ce qui concerne l'Est, si je comprends bien, pendant la période de développement, une superficie de terrain plus large est requise, à court terme, pour faire un forage?
M. Tougas : Oui.
Le sénateur Massicotte : Mais après que le puits soit développé, c'est un besoin quand même d'une superficie relativement restreinte?
M. Tougas : Oui.
Le sénateur Massicotte : Et je comprends que dans l'Ouest canadien, la Colombie-Britannique, la superficie est très très petite et les fermiers, en conséquence, apprécient effectivement les revenus qui en découlent. Si on projette un peu, en se servant des bonnes façons, comme vous le dites, et de meilleures pratiques, est-ce que c'est important pour votre industrie? Est-ce important pour les fermiers du coin? Est-ce quelque chose qui les supporte, en ce sens que cela peut être important, ou est-ce plutôt quelque chose qui suscite peu d'intérêt?
M. Tougas : C'est sûr que la situation actuelle, si on parle d'une trentaine de puits, on a de la misère à s'imaginer quel sera le nombre de puits dans 20 ans. Il y a plusieurs chiffres qui ont été avancés. Mais il reste qu'il y a quand même beaucoup de production agricole dans le territoire concerné. Évidemment, les producteurs qui reçoivent les puits, individuellement, ont peut-être un avantage financier à les recevoir, puisque cela risque d'augmenter leurs revenus. On peut émettre cette hypothèse. Mais est-ce que cette répartition de richesse se fera de façon équitable, à travers le territoire visé par l'exploitation? Ce sont des questions qui se posent. Puis également, comme je vous le mentionnais, ce que l'on voit et ce que l'on craint, c'est qu'il va y avoir un problème de cohabitation entre les producteurs agricoles lorsque viendra le temps de passer des gazoducs pour relier les puits. Parce que l'argent ira principalement au producteur qui reçoit le puits ou les puits, mais ensuite, les contraintes du gazoduc, bien, c'est d'autres producteurs qui auront à vivre avec, sans nécessairement avoir les bénéfices ou autant de bénéfices que les producteurs qui reçoivent le puits.
Donc, c'est cette partie qui nous questionne pour le moment. On a un gazoduc, en ce sens, qui est en projet au Québec, puis on a été interpellés là-dedans. Mais s'il devait se généraliser, nous craignons peut-être certaines frictions à l'intérieur même du milieu agricole, pour le passage des gazoducs.
Donc, ce sont des hypothèses, mais il faut regarder à long terme, puis il faut se questionner et essayer de prévenir des frictions.
Le sénateur Massicotte : Mais si tous les fermiers se font payer, par exemple, celui qui reçoit le puits, le gazoduc, quand il passe, je comprends qu'il y a aussi une compensation. J'ai l'impression que les fermiers se chicanent à savoir qui va le plus en bénéficier. Mais s'il n'y a pas d'impact sur son terrain, pourquoi serait-il jaloux de l'autre qui a reçu un revenu?
M. Tougas : Bien, honnêtement, il faudrait leur poser la question, mais on le vit déjà dans les parcs éoliens. Je fais le parallèle tout de suite, parce que c'est exactement le même concept. On a des producteurs qui se sont entendus de gré à gré avec un promoteur énergétique. Ensuite, Hydro-Québec débarque pour relier le parc à leur réseau de transport, mais là il n'y a pas d'entente de gré à gré, il faut qu'ils passent la ligne.
Et on le voit, c'est la même chose qui va arriver avec Gaz Métropolitain, on remplace le parc par un puits, puis on remplace la ligne par un gazoduc, et c'est la même friction.
On le constate dans les lignes de transport d'énergie éolienne. On voit la friction actuellement dans le champ. Bien que l'on ait une entente avec Hydro-Québec, une entente-cadre qui, selon moi, est une bonne entente, on est en train de la réviser. C'est balisé, il y a des compensations, comme vous le mentionniez. Mais il y a toujours un peu plus d'argent là où il y a une extraction de ressources naturelles que là où il y a du transport, et c'est ce qui cause des problèmes.
Le sénateur Massicotte : C'est un peu la nature humaine.
[Traduction]
Le sénateur Banks : Dans le même ordre d'idée, ces frictions existent depuis longtemps en Saskatchewan et en Alberta, par exemple, où l'État s'est approprié les droits miniers des terres dans les années 1930. Le Québec ne l'a pas fait avant les années 1970, ce qui, pour ceux d'entre nous qui avons les cheveux de cette couleur-ci, est très récent.
Est-ce que vos membres, puisqu'ils devront affronter cela, peut-être pour la première fois...
M. Tougas : Vous voulez dire pour le gaz de schiste?
Le sénateur Banks : Oui, ou n'importe quoi d'autre. Est-ce que vos membres comprennent qu'ils ne sont pas les propriétaires des ressources souterraines, quelles qu'elles soient?
M. Tougas : Oui.
Le sénateur Banks : Qu'entendez-vous quand vous dites estimer que l'indemnisation qu'ils recevraient devrait être distribuée équitablement à l'ensemble des producteurs? Je ne comprends pas vraiment. Aussi, dans la même veine que la question que vous a posée le sénateur Massicotte, est-ce qu'ils comprennent qu'il existe une espèce de concept de droit souverain de l'État selon lequel, puisque la ressource appartient à l'État, au peuple du Québec, les décisions concernant l'accès à cette ressource et les moyens employés pour l'extraire et la déplacer d'un lieu à un autre, pour quelque raison que ce soit, relèvent du gouvernement du Québec? S'ils l'ont bien compris, qu'entendez-vous par cette notion de distribution équitable sur l'ensemble du territoire?
[Français]
M. Tougas : Lorsque je parlais de la distribution, ce que je voulais dire, en fait, en répondant à la question du sénateur Massicotte, c'était qu'on me demandait si c'était pour générer des revenus additionnels pour les producteurs agricoles du secteur visé par l'exploitation gaz de schiste.
La réponse est bien sûr oui, sauf qu'évidemment, l'augmentation de richesses n'est pas partagée équitablement entre tous les producteurs, étant donné que ce n'est pas tous les producteurs qui vont recevoir un puits sur leur propriété. Et au niveau des ressources qui appartiennent à l'État, vous avez totalement raison, les producteurs sont sensibilisés au fait que le sous-sol ne leur appartient pas, contrairement aux États-Unis, notamment.
Lorsque l'on se compare à la Pennsylvanie, on constate que les producteurs américains qui reçoivent des puits ont des montants très supérieurs à ce qui est offert dans la province; ce qui est normal, les redevances leur sont distribuées.
On discute du dossier du gaz de schiste, mais contrairement au gaz de schiste où la ressource appartient au gouvernement, dans le cas des éoliennes, la ressource est considérée comme appartenant aux propriétaires fonciers; et là, les redevances vont aux propriétaires fonciers. Il y a véritablement de l'argent supplémentaire pour ceux qui reçoivent les éoliennes, à la différence des gaz de schiste.
Dans le fond, ce qui fait la friction, ce sont les sommes d'argent, mais aussi le principe que généralement, lorsqu'un promoteur, au niveau des gaz de schiste, sollicite des agriculteurs, il réussit à s'entendre de gré à gré, avec la personne. Si un producteur en particulier ne veut pas recevoir une installation exploratoire pour le gaz de schiste, il a le loisir de refuser. Et généralement, ce que l'on voit au Québec, c'est qu'il va aller chez un voisin et il va faire le tour jusqu'à ce qu'il y ait une entente de gré à gré avec les producteurs.
La deuxième étape, comme je le mentionnais tout à l'heure, c'est les lignes de transport, c'est les gazoducs où les ententes de gré à gré interviennent moins facilement, étant donné que c'est des réseaux qui sont en ligne droite; c'est où il y a plusieurs producteurs de touchés et ce n'est pas tous les producteurs, évidemment, qui veulent recevoir une telle infrastructure sur leur territoire.
Donc, oui, il y a une question d'argent, peut-être moins frappante dans les gaz de schiste, peut-être plus dans les éoliens, mais il y a aussi une question de principe que certains producteurs s'entendent de gré à gré et que ces ententes causent des inconvénients à d'autres producteurs qui, eux, n'ont pas pu s'entendre ou avoir un lien avec la décision de passer une installation énergétique sur leurs terres.
[Traduction]
Le sénateur Banks : Je crois ne pas tout à fait comprendre. Est-ce que je me trompe, ou vous dites qu'un agriculteur peut refuser qu'un puits soit creusé sur ses terres?
[Français]
M. Tougas : Ce que je dis, c'est que c'est sûr que légalement, il y a toujours une possibilité d'expropriation, mais jusqu'à présent, en fait, pour le gaz de schiste, ce que l'on sait, c'est qu'ils se sont tous entendus de gré à gré. Donc, il n'y a pas eu d'expropriation, même si selon la loi, c'est prévu.
Je vous concède ce point, effectivement il y a une possibilité d'expropriation. Mais présentement, étant donné qu'ils ont un certain loisir, avec la technologie de forage horizontal, ils peuvent se déplacer un peu, alors ils utilisent leur façon de faire pour se déplacer, jusqu'à ce qu'il y ait une entente.
[Traduction]
Le sénateur Banks : N'y a-t-il pas d'autres solutions que l'expropriation? En Alberta et en Saskatchewan, c'est un droit d'accès, mais personne n'est exproprié.
M. Tougas : Oui, vous avez raison.
Le sénateur Banks : Ce serait donc un droit d'accès, pas l'expropriation?
[Français]
M. Tougas : Oui, dans le fond, ils vont forcer la signature d'une servitude. Ils ne vont pas prendre possession de la terre, ils vont avoir un droit d'accès. C'est une servitude, effectivement.
[Traduction]
Le sénateur Banks : Je vous remercie.
Le président : Le sénateur Peterson a aussi une question.
Le sénateur Peterson : C'est bon, j'ai obtenu réponse à ma question.
Le président : Avez-vous d'autres questions à poser à ce témoin?
[Français]
Monsieur Tougas, j'aimerais vous remercier à nouveau pour votre présence et votre contribution.
M. Tougas : Merci. Bonne journée!
Le président : C'était très clair et intéressant pour les sénateurs.
Le prochain témoin représente le Centre Hélios. Mais tout d'abord, il s'agit de monsieur Philip Raphals? C'est bien cela, monsieur?
Philip Raphals, directeur général, Centre Hélios : Oui.
Le président : Nous vous remercions de votre présence à ce comité et de l'effort que vous avez fait d'être parmi nous cet après-midi. Ce fut une longue journée, on a entendu beaucoup de témoins à compter de 8 heures ce matin et toute la journée hier, de même qu'hier soir.
Nous avons appris des choses bien intéressantes. Alors juste pour vous mettre en contexte, je suis le sénateur David Angus. Je suis le président du Comité sénatorial Énergie, environnement et ressources naturelles. À ma droite, nous avons le vice-président du Comité, le sénateur Grant Mitchell de Edmonton, Alberta; nos deux préposés de la Bibliothèque parlementaire qui sont nos recherchistes et nos conseillers dans bien des domaines; le sénateur Paul Massicotte de Québec; la chaise vacante, c'est celle du sénateur Richard Neufeld de Colombie-Britannique, ancien ministre des Ressources naturelles là-bas; le sénateur Robert Peterson de Saskatchewan et le sénateur Burt Brown de l'Alberta. À ma gauche, notre greffière, très habile et efficace, madame Lynn Gordon; monsieur le sénateur du Territoire Yukon; le sénateur Daniel Lang et le sénateur Tommy Banks de l'Alberta, mon prédécesseur comme président du Comité.
M. Raphals : Monsieur le président, je vous remercie de l'invitation. J'admets au départ que votre greffière est très efficace parce qu'elle m'a convaincu de venir au départ. Je suis dans une audience à la Régie de l'énergie. J'avais décliné, mais j'ai accepté sur son insistance, ce qui est un honneur et je suis très heureux d'être ici.
[Traduction]
Je vais maintenant vous parler un peu du Centre Hélios et des projets auxquels je participe. Au contraire des autres témoins que vous avez entendus aujourd'hui, je n'ai pas préparé de document et n'ai rien à vous remettre. J'ai examiné votre mandat et lu votre rapport, intitulé Attention Canada! En route vers notre avenir énergétique, et il me semble que vous vous êtes attaqués à un sujet d'une envergure et d'une complexité phénoménales.
Le président : C'est ce que tout le monde nous dit, et nous commençons, nous aussi, à nous en rendre compte.
M. Raphals : Très franchement, les questions abordées sont tellement vastes que je me demande par où commencer. Je partagerai avec vous quelques réflexions sur la politique énergétique du Canada, qui découlent de mes 15 ou 20 ans d'expérience dans le domaine, et vous en ferez ce que vous voudrez.
Le président : Fort bien, mais parlez-nous d'abord de vous, Monsieur, et du Centre Hélios; vous pourrez nous faire part de vos observations ensuite.
M. Raphals : Sachez tout d'abord que j'ai immigré dans ce magnifique pays. Je suis né aux États-Unis, où j'ai étudié à l'Université Yale et à l'Université de Boston. Je suis arrivé ici dans la trentaine. Je suis toutefois extrêmement fier et heureux d'être citoyen canadien dans ce beau pays et cette formidable province.
Le Centre Hélios est un organisme sans but lucratif que nous avons fondé en 1996 afin d'effectuer des recherches, de publier des écrits et d'éduquer le public au sujet de l'énergie, de l'environnement et, plus particulièrement, de leurs interactions. Au fil des ans, nous avons travaillé dans un éventail très diversifié de domaines, notamment les énergies renouvelables, les politiques, l'efficacité énergétique, divers aspects de la politique en matière d'énergie et la politique de réglementation régissant les énergies renouvelables et l'efficacité énergétique. Les structures du marché, la concurrence et la politique de transport d'énergie forment également un petit groupe de questions interdépendantes. Nous avons étudié un grand nombre de questions ayant trait à l'hydroélectricité et aux aspects environnementaux connexes, les questions sociales et autochtones et ainsi que leur rôle sur les marchés de l'énergie, et le lien entre les marchés de l'énergie verte et le concept de l'énergie verte et de l'hydroélectricité, ainsi que la manière dont tous ces dossiers sont interreliés.
La création du Centre Hélios coïncide avec celle de la Régie de l'énergie, l'organisme québécois responsable de l'énergie. Nous voulions donner à la société civile du Québec des moyens différents de participer plus pleinement aux débats de nature plus techniques de la Régie. Nous collaborons avec cette dernière depuis notre création, et j'ai probablement témoigné lors de 15 ou 20 séances, habituellement à titre d'expert, sur les divers sujets dont elle a été saisie au cours des ans.
Le président : Quand vous dites « nous » avons fondé de Centre Hélios et « nous » avons fait ceci ou cela, parlez- vous de Philip Raphals ou d'un groupe? J'aimerais également connaître votre formation personnelle. Êtes-vous ingénieur, architecte, économiste?
M. Raphals : Je suis titulaire d'un baccalauréat en philosophie et d'une maîtrise en musique. J'ai appris le reste par moi-même.
Le sénateur Lang : Et cela fait de vous un expert en énergie.
M. Raphals : Oui, bien sûr.
Le président : Le comité compte également quelques musiciens philosophes.
M. Raphals : J'ai fondé le Centre Hélios avec Philippe Dunsky, qui est parti en 2004 pour fonder son propre cabinet de consultants.
Notre organisme, dirigé par un conseil d'administration, a vu son personnel fluctuer avec les années. Je comptais vous en parler plus tard, mais autant vous dire maintenant que la réduction d'effectif est principalement attribuable à l'interruption brutale du processus de produit entrepris en vue d'un marché canadien du carbone.
Au début des années 2000, nous avons décidé de mettre beaucoup d'énergie à aider les institutions et les entreprises canadiennes à trouver des moyens de réduire leurs émissions de carbone et de vendre leurs crédits sur le marché du carbone qui allait être instauré. Mais en raison du changement de gouvernement, en décembre 2006, et des faits qui se sont produits depuis et que vous connaissez tous, ce marché n'existe toujours pas. Voilà qui ne nous a pas facilité les choses.
Je crois que nous avons eu au maximum sept employés. Nous n'employons personne actuellement; tout le travail se fait à contrat, en formant des équipes. Vous verrez sur notre site Web que nous comptons sur un réseau de collaborateurs; le travail se fait toutefois de manière ponctuelle, projet par projet, afin de constituer le groupe de personnes compétentes pour effectuer le travail.
L'un de nos premiers mandats a consisté à travailler pour un comité semblable au vôtre, un comité permanent provincial de l'économie.
Le président : S'agit-il d'une commission ou d'un comité parlementaire?
M. Raphals : C'est la Commission de l'énergie et du travail de l'Assemblée nationale, de qui relève Hydro-Québec. Elle tenait alors des audiences de surveillance sur cette société d'État et nous a engagés pour agir essentiellement comme employés. Nous avons travaillé pour la Commission avant, pendant et après les audiences afin d'examiner en profondeur le rôle actuel et futur d'Hydro-Québec. Nous avons été fascinés de voir l'autre côté de la médaille.
Comme je l'ai déjà souligné, les marchés de l'hydroélectricité et de l'énergie verte sont un thème récurrent depuis le tout début. J'ai personnellement participé à deux processus à ce sujet, l'un au Canada et l'autre aux États-Unis.
Au Canada, il s'agit de l'initiative ÉcoLogo, que vous connaissez probablement. C'est une marque de commerce qui appartient à Environnement Canada, je crois, et qui est gérée par une entreprise appelée TerraChoice, laquelle décerne des ÉcoLogos aux produits écologiques en tous genres, y compris l'électricité renouvelable. J'ai fait partie du comité d'experts qui a établi les premiers critères pour déterminer ce qui constitue un bon choix en matière d'électricité renouvelable pour ÉcoLogo; j'ai également été membre du comité formé récemment pour revoir ces critères.
L'hydroélectricité est une méthode assez problématique de la production d'énergie verte. J'ignore l'étendue de vos connaissances dans ce domaine, mais sachez que si la plupart des types de ressources peuvent être considérés de manière assez générique — nous savons tous qu'est-ce qu'une centrale au charbon et une centrale à cycle mixte et nous en connaissons les caractéristiques, et il en va de même pour la plupart des parcs éoliens —, les projets d'hydroélectricité diffèrent énormément l'un de l'autre par leur taille, leur nature, leur emplacement et leur mode de gestion. Tous ces mécanismes doivent déterminer quand et en quelles circonstances l'hydroélectricité devrait être considérée comme une énergie verte et examiner des questions très pointues et épineuses. Je travaille dans ce domaine depuis 15 ans de manière intermittente.
Pendant quelques années, de 2000 à 2005, je crois, nous avons publié un bulletin intitulé Enjeux-ÉNERGIE. Le périodique paraissait habituellement aux trois semaines, en français seulement. D'une longueur de six à huit pages, il faisait essentiellement état des bonnes nouvelles de toutes les régions du monde dans les domaines de l'énergie renouvelable et de l'efficacité énergétique. Ce bulletin s'adressait principalement à un public québécois, même s'il était également lu en France et dans le reste de la francophonie. À mesure qu'Internet a pris de l'expansion et est devenu plus accessible, le bulletin a perdu de sa pertinence; son financement devenant de plus en plus difficile, nous avons fini par cesser sa publication en 2006. Ce ne sont pas les informations qui manquent sur le sujet, mais les sources fiables faisant état des méthodes éprouvées et favorisant la compréhension du dossier ont toujours leur place.
Actuellement, comme je crois l'avoir indiqué, la Régie de l'énergie procède à un examen particulièrement long concernant la conformité du tarif de transport d'Hydro-Québec à celui de la Federal Energy Regulatory Commission ou FERC. Ici encore, je suis de la partie depuis le début, en 2000.
C'est une question qui pourrait vous intéresser du point de vue du Canada, car, curieusement, chaque province dispose d'un organisme de réglementation et d'un régime distincts, sans autorité centralisée, alors qu'aux États-Unis, même si les États ont leurs propres mécanismes de réglementation, c'est la FERC qui est responsable des questions interétatiques. Il n'existe, au Canada, aucun organisme de réglementation équivalent. Il y a bien l'Office national de l'énergie, qui réglemente évidemment certaines questions, mais en ce qui a trait aux politiques relatives à l'électricité, c'est, de fait, la FERC qui fait office d'instance de deuxième niveau au Canada. En Colombie-Britannique, au Québec, au Nouveau-Brunswick et la plupart des régions du Canada, la FERC constitue la principale référence, ce qui est assez inusité de prime abord. Cette situation s'explique par plusieurs raisons, que nous pourrions examiner.
Voilà qui nous amène à la question fondamentale de la politique canadienne en matière d'énergie. Je n'étais pas ici la dernière fois qu'une telle politique a été adoptée, mais j'ai entendu dire que les choses ne s'étaient pas très bien passées et qu'il y avait encore bien des mécontents.
Le président : Ce n'était pas une politique, mais un programme.
M. Raphals : Un programme. Quoi qu'il en soit, je m'en lave les mains, car, comme je l'ai dit, je n'étais pas là.
Comme vous le savez fort bien, les régions diffèrent considérablement l'une de l'autre. D'après ce que je comprends, vous êtes chargés de trouver un moyen pour permettre au gouvernement fédéral de prendre une part plus active dans l'établissement d'une stratégie ou d'une politique nationale d'énergie. Je vous souhaite bonne chance, car ce n'est pas une mince tâche, puisque les provinces sont toutes très différentes et gèrent leurs dossiers chacune à sa manière.
Pour que vous en sachiez un peu plus sur moi et mes antécédents, je suis également président d'une petite entreprise appelée NovoPower Ltd., qui cherche depuis deux ans à mettre au point une nouvelle approche novatrice pour produire de l'électricité à partir de vapeur à basse température pour renforcer l'efficacité industrielle dans les domaines de la récupération de la chaleur résiduelle, de la biomasse, de l'agriculture et de la production d'énergie géothermique.
Dans un tout autre ordre d'idées, je m'intéresse également aux questions d'innovation et de lancement d'entreprises afin de faire progresser les choses, car l'innovation est un dossier énorme et le Canada n'est pas vraiment à l'avant- garde. Le gouvernement fédéral s'implique et dispose d'excellents outils, mais je suppose que cette question s'inscrit également dans votre réflexion.
Le président : Nous nous doutions que vous aviez un emploi stable, monsieur. Mais que pensez-vous de l'initiative des Technologies du développement durable du Canada, instaurée par le gouvernement fédéral?
M. Raphals : Je considère que c'est un formidable instrument. Je ne suis peut-être pas au fait des dernières nouvelles, mais je crois comprendre que l'enveloppe bien garnie que l'initiative a reçue initialement fond comme neige au soleil. Je ne suis pas le dossier de près, mais je sais que les responsables de l'initiative ignorent s'ils recevront de nouvelles affectations pour poursuivre leurs activités et qu'ils ont lancé quelques bonnes entreprises.
Le président : En effet. Ils ont demandé un renouvellement du financement dans le prochain budget. Je crois que leurs arguments ont été bien reçus. Il faudra attendre pour voir ce qu'il adviendra de cette affaire.
M. Raphals : Je me croise les doigts.
Je voulais vous donner mon opinion sur la teneur d'une politique d'énergie durable. Il ne s'agit pas d'entrer dans les détails, mais bien de prendre un certain recul pour avoir une vision d'ensemble. J'espère pouvoir vous aider dans vos travaux.
Je devrais souligner qu'au début des années 1990, j'ai été directeur scientifique adjoint de l'évaluation environnementale dans le cadre de Grande-Baleine, un grand projet hydroélectrique à la structure administrative complexe faisant intervenir les gouvernements fédéral, provincial et autochtone.
À l'époque, tout le monde parlait d'adopter une politique ou un plan intégrés de gestion des ressources, principalement en raison d'un phénomène qu'un responsable de réglementation du Vermont a qualifié de politique de l'autruche. Ce terme, employé maintenant à toutes les sauces, concerne la manière dont on considère les coûts externes, c'est-à-dire les frais environnementaux et sociaux dont on se décharge sur des tiers.
Nous savons tous que ces coûts existent. Mais comme ils sont difficilement quantifiables, on fait comme s'ils n'existaient pas. On sait tous que ce n'est pas la chose à faire, mais à défaut d'avoir une méthode adéquate pour procéder autrement, on continue de faire comme si de rien n'était.
Cette façon de faire, en vigueur dans les années 1990, a toujours cours aujourd'hui. On continue de jouer à l'autruche, discutant des coûts environnementaux et sociaux externes des projets énergétiques, puis les mettant de côté quand vient le temps de prendre des décisions.
Le président : Donc, la politique de l'autruche nous amène à faire fi de ces coûts?
M. Raphals : Exactement.
Le président : Je comprends.
M. Raphals : On entend beaucoup parler des opposants aux projets, et on dit souvent d'eux qu'ils ont le syndrome de « pas de ça dans ma cour », ce qui est une façon très désobligeante de qualifier ces Canadiens honnêtes qui apprécient leur petit coin de pays et qui souhaiteraient qu'on n'y change rien. En général, je pense que nous devons avoir plus de considération pour ces gens et pour les répercussions de ces grands projets énergétiques sur la population et l'environnement.
De toute évidence, tous les projets, qu'ils soient grands ou petits, ont des impacts sociaux et environnementaux. L'ampleur dépend du projet. Par exemple, un projet d'exploitation de combustibles fossiles va principalement générer des émissions de gaz à effet de serre et de la pollution atmosphérique. Dans le cas d'un projet nucléaire, il faut franchir toutes les étapes du cycle du combustible qui s'achève par la gestion des déchets nucléaires. Nous sommes très conscients de ces problèmes, mais nous ignorons comment les régler. Il y a quelques années, j'ai également siégé à un comité d'experts au sein de la Société de gestion des déchets nucléaires qui se penchait sur ces questions.
Pour ce qui est des projets d'énergie renouvelable, c'est une autre histoire. Tout d'abord, les projets sont habituellement menés en milieu rural, et dans le cas des projets d'envergure, on sait que le but ultime visé est d'approvisionner les régions urbaines. Dès le départ, cela soulève une question d'équité. Peu importe si les gens y sont nés ou s'y sont établis par la suite, il y a beaucoup d'avantages et d'inconvénients à vivre en milieu rural.
Pour certains, les projets énergétiques sont bénéfiques, en ce sens qu'ils font rouler l'économie, mais en même temps, ils éliminent bien des avantages. Je pense sincèrement que lorsque nous envisageons de mettre en œuvre des projets d'envergure, nous oublions trop facilement cet aspect. C'est un problème préoccupant, car on prive les gens de ces avantages alors qu'ils ne sont pas du tout concernés par la nécessité de ce projet.
Dans les années 1990, on a élaboré toutes sortes de méthodes compliquées pour intégrer ces questions à la planification de l'énergie. On a tout abandonné pour s'en remettre aux marchés. Vous êtes tous au courant du mouvement de restructuration entrepris par les États-Unis et l'Alberta, qui a eu certes des bons côtés et qui s'est révélé efficace à bien des égards, mais pas autant qu'on l'avait envisagé au départ. Toutefois, c'est ainsi qu'on procède maintenant et il faut s'y faire. En revanche, dans cette nouvelle ère, on doit trouver une façon d'intégrer adéquatement les coûts environnementaux et sociaux externes.
C'est le cas des projets d'exploitation de combustibles fossiles et des projets nucléaires, éoliens et hydroélectriques. Je crois fermement en l'énergie éolienne. Il s'agit d'une ressource extraordinaire, n'empêche que les éoliennes font beaucoup de bruit. S'il y en a une près de votre chambre à coucher, vous n'arriverez pas à dormir. La solution qui paraît évidente est de sélectionner un bon site et de faire participer la population au choix de l'emplacement, mais ce n'est pas le cas, puisque certaines de nos ententes commerciales ne le permettent pas.
Par exemple, au Québec, nous avons plusieurs projets d'énergie éolienne de milliers de mégawatts en cours et un programme de soumission qui est extrêmement bien ficelé, principalement sur les plans de la valeur pour le client et de la valeur d'usage. On veut s'assurer de payer le moins possible pour ces kilowattheures. Par contre, il faut savoir que le processus n'était pas du tout destiné à permettre aux communautés de participer aux décisions concernant l'emplacement des éoliennes. Ce n'est pas du tout comme cela que ça fonctionne; ce sont les promoteurs qui doivent négocier avec les propriétaires fonciers.
Ce problème se pose dans l'industrie éolienne, et il existe de bonnes solutions. Cependant, ces solutions doivent passer par des processus plus compliqués au sein des collectivités.
Le président : Nous ne sommes pas encore parvenus à régler cette question en comité, mais vous serez peut-être heureux d'apprendre que nous avons reçu un témoin l'autre soir qui nous a dressé un bilan très enthousiaste. Il représentait l'Association canadienne de l'énergie éolienne. C'était un jeune homme articulé et un fervent partisan de cette source d'énergie de remplacement, et à ses yeux, il s'agissait d'une ressource des plus extraordinaires. À la suite de sa comparution, nous avons reçu 400 ou 500 courriels de militants anti-éoliennes nous disant que cet homme rêve en couleur.
Je crois que ce que vous voulez nous faire comprendre, c'est qu'il faut en tenir compte.
M. Raphals : Tout à fait. Il y a deux étés, j'ai loué un chalet sur l'Île Wolfe, près de Kingston, en Ontario, où l'on venait tout juste d'installer, si je ne me trompe pas, 80 éoliennes. J'ai demandé aux gens ce qu'ils en pensaient, et j'ai eu l'impression que la situation était extrêmement compliquée pour les gens de l'île et du point de vue des relations entre les gens. Certains y étaient très favorables et d'autres non. Il est évident que les intérêts ne sont pas les mêmes pour tout le monde, étant donné que ce sont les propriétaires fonciers qui font de l'argent; pas leurs voisins. Toutefois, au bout du compte, l'argent qui est versé à la municipalité revient à tout le monde. Je n'ai pas su comment cette petite communauté a réglé le dossier, mais les gens semblaient avoir fait la paix, plus ou moins, avec la situation.
Encore une fois, je ne veux pas entrer dans les détails, mais je tiens simplement à souligner l'importance de l'aspect démocratique dans toutes les décisions concernant l'énergie. Ce que nous voyons à la télévision depuis quelques semaines ne s'applique pas uniquement aux Égyptiens; cela s'applique à nous également. La participation des gens au sein des communautés et à la prise de décisions qui les concernent est souvent mise de côté lorsqu'il est question de grands projets énergétiques.
On tient des audiences environnementales au cours desquelles les gens peuvent s'exprimer, même si cela ne sert pas à grand-chose, parce que si vous êtes chanceux, vous pouvez obtenir une clause qui fixe certaines limites, mais je pense qu'on peut compter sur les doigts d'une main le nombre de fois qu'un projet a été abandonné à la suite d'un rapport d'une commission d'évaluation environnementale.
Le président : Ils sont tout de même retardés considérablement.
M. Raphals : Tout à fait.
Le sénateur Banks : Ces commissions adoptent-elles une approche adroite?
M. Raphals : Une approche adroite?
Le sénateur Banks : C'est exact. Une approche adroite.
Le président : Pas par opposition à gauche.
Le sénateur Banks : Autrement dit, est-ce que ces commissions font du bon travail, selon vous?
M. Raphals : Pas toujours, d'après ce que j'ai vu.
Le sénateur Banks : Pas toujours?
M. Raphals : C'est exact. En général, j'ai été déçu de la plupart des rapports que j'ai lus. L'une des principales raisons, c'est qu'il y a un problème majeur relativement aux personnes qui décident si on a besoin de ce projet au départ, dans quelle mesure on en a besoin et les avantages qu'on en retirera.
J'ignore si cela fonctionne encore ainsi, mais j'ai rédigé un rapport sur la réglementation en Colombie-Britannique pour le compte du ministère des Ressources du Québec, en 1995, si je ne me trompe pas. J'ai passé quelques semaines en Colombie-Britannique à étudier le fonctionnement de leur système. J'ai été très impressionné de voir comment l'organisme chargé de la réglementation sur l'énergie interagissait avec celui responsable de l'environnement.
La première étape de leur approche est un processus de planification intégrée des ressources où on se pose les questions suivantes : de quelle ressource énergétique avons-nous besoin? Quelle est la meilleure option qui s'offre à nous? Quelles sont les différents moyens d'atteindre nos objectifs, et quels en sont les coûts et les impacts? On essaie ensuite de trouver la meilleure solution possible afin que tout le monde y trouve son compte.
Une fois ce processus terminé et qu'un projet X en fait partie, il peut alors être procédé à une évaluation environnementale du projet X, soit une étude approfondie du projet et une compréhension de ce dont il s'agit vraiment au lieu de se limiter à un résumé de trois pages dans un processus de planification. Ensuite, le tout est envoyé à l'organisme de réglementation qui déterminera si, compte tenu de ce qu'il sait du projet, le projet est encore le meilleur choix.
En fin de compte, ce type de processus sophistiqué vous a permis, même si vous ne voulez pas du projet et que vous regrettez qu'il ait été lancé, d'être écouté; en outre les choix ont été soigneusement évalués.
Je voudrais comparer ce processus avec celui que nous suivons actuellement au Québec. À cette fin, je vais faire un petit rappel de ce qui s'est passé au Québec. Vous savez sans doute qu'il y avait, au début des années 1990, le projet de la Grande-Baleine, qui a été finalement suspendu. Je siégeais aux comités. À la suite du projet s'est tenu un débat public sur l'énergie qui ressemblait un peu à ce que vous êtes en train de faire. Les participants à ce débat n'étaient pas des élus, mais les membres d'un panel formé par le gouvernement; un panel composé de personnes représentant divers intérêts comme des sociétés d'énergie, des écologistes et des Autochtones. Toutefois, le secteur était absent, j'ignore pourquoi on l'a oublié, en tout cas cet oubli me paraissait très curieux.
Le panel a fait le tour de la province pour entendre des exposés. C'était un débat sérieux qui a duré très longtemps.
Le président : De quelle province s'agit-il?
M. Raphals : Du Québec, en 1995, me semble-t-il.
Le président : Était-ce organisé par le secteur privé?
M. Raphals : Non, par le gouvernement et ça s'appelait le Débat public sur l'énergie.
Le panel a publié un rapport unanime qui demandait à ce que : premièrement, la priorité soit accordée à l'efficacité énergétique dans la politique de l'énergie au Québec; deuxièmement, la création d'un organisme de réglementation, qui est aujourd'hui la Régie de l'énergie, qui aurait un pouvoir de décision sur tout ce qui touche Hydro-Québec et les distributeurs de gaz. Cela dans le but explicite de retirer le pouvoir de décision des mains des politiciens et en faire non pas une question politique, mais une question déléguée. Ainsi, les décisions qui seraient prises, après un examen minutieux de tous les problèmes, seraient de sages décisions.
Un projet de loi adopté en 1996 préconisait la création d'un organisme de réglementation avec une loi qui répondait à ces demandes. Tout le monde était content, c'était un large consensus. Puis, soudainement Hydro-Québec a changé de ton. Hydro-Québec a eu un nouveau PDG, André Caillé, qui croyait fermement que la production ne peut pas et ne devrait pas être réglementée. Beaucoup d'années de tergiversations ont suivi. Quatre ans plus tard, en 2000, la loi a été modifiée pour déréglementer la production et changer de multiples façons la structure. La Régie de l'énergie existe toujours, mais elle ne règlemente que la distribution et le transport et ne peut pas se prononcer sur la production au Québec.
Quelques années plus tard, Hydro-Québec a proposé la construction d'une centrale à gaz appelée Suroît, une centrale à cycle mixte, essentiellement pour l'exportation et aussi pour répondre à la demande du Québec. Il s'agissait du premier projet de centrale génératrice dans le nouveau système qui n'avait pas d'organisme de réglementation. Mais, tout le monde a été surpris de voir que des centaines de personnes manifestaient dans les rues en plein hiver, un jour de très grand froid. Le gouvernement a pris peur et a décidé de faire quelque chose. Mais qu'a-t-il fait? Eh bien, il a demandé des conseils à la Régie de l'énergie. La Régie de l'énergie a dû tenir des audiences sur un projet de centrale génératrice, juste après la fin de son mandat.
Le président : Quand elle n'avait plus de pouvoir.
M. Raphals : Oui, quand elle n'avait plus de pouvoir, mais le gouvernement lui a demandé de lui donner des conseils seulement pour cette fois-ci.
Le président : Nonobstant la loi modifiée et qui était en vigueur?
M. Raphals : La loi confère au ministre le pouvoir de demander des conseils à la Régie de l'énergie. C'était dans ce contexte que des conseils ont été demandés.
Le président : Discrétionnaire.
M. Raphals : Non, c'était tout à fait légal, un peu ironique, mais parfaitement légal.
La Régie de l'énergie a un processus très intéressant et, encore une fois, j'ai fait office de témoin expert sur cette question. En fait, le Centre Hélios était un intervenant; c'était la seule et unique fois où le Centre Hélios a participé a l'un de ces processus.
Beaucoup de possibilités ont été examinées. Finalement, la Régie de l'énergie a déclaré qu'elle ne pensait pas que le projet était nécessaire, mais qu'elle ne jugeait pas que ce fût une mauvaise idée. Je ne souscrivais pas complètement à son avis, mais la décision avait fait l'objet d'un processus équitable; c'était une décision qui avait été prise sérieusement.
Le président : Êtes-vous intervenu pour exprimer votre opposition au projet?
M. Raphals : Je n'ai pris position ni pour ni contre le projet, mais j'ai eu beaucoup de choses à dire sur l'analyse qui a été utilisée pour soutenir le projet. Beaucoup de faux arguments ont été invoqués pour appuyer le projet et je pensais que ces arguments devaient être démontés.
Le président : De manière philosophique et musicale, j'en suis sûr.
M. Raphals : Certainement. Ce qui est intéressant, c'est que la Régie de l'énergie a mentionné, dans les dernières pages de son exposé de principe, l'absence de forum où tenir un débat public structuré sur les projets de production. Se fondant sur les réponses qu'elle a reçues et les propos qu'elle a entendus, la Régie de l'énergie estime qu'il serait important d'avoir un tel débat.
Le vrai problème avec la structure institutionnelle actuelle, c'est que, mis à part dans la rue ou dans les pages en regard de l'éditorial, il n'y a pas de forum où les gens peuvent faire part de leurs opinions et débattre sérieusement des questions complexes portant sur l'avenir d'un projet énergétique particulier.
Malheureusement, rien n'a changé et ce n'est pas surprenant. La situation est la même. Il n'existe pas au Québec de forum où peuvent se tenir des discussions publiques sérieuses sur les projets énergétiques, que ce soit ceux d'Hydro- Québec ou de quelqu'un d'autre. En revanche, il y en a pour discuter des évaluations environnementales.
Le président : Oui, j'allais justement le dire.
M. Raphals : Exactement. En ce qui concerne les évaluations environnementales, premièrement, vous n'avez pas l'expertise ni le mandat de poser vous-mêmes des questions sur la politique de l'énergie. Étant donné que tout est étroitement lié, nous nous disons que si nous avons ceci, nous n'avons pas besoin de cela. Si nous avions ceci, nous n'aurions pas besoin de cela. C'est vraiment demander beaucoup à un panel chargé de faire une évaluation environnementale.
Le président : Le projet La Romaine est le plus récent.
M. Raphals : C'est exact.
Le président : Juste avant, il y avait Eastmain, un projet auquel l'évaluation environnementale a causé beaucoup de problèmes. Y a-t-eu un débat en bonne et due forme puisqu'il s'agit d'une nouvelle production d'énergie électrique, n'est-ce pas, à l'époque qui a suivi le mandat de Caillé?
M. Raphals : Oui. Tout d'abord, il y a deux projets. Le projet de l'Eastmain-1 qui a été approuvé aux termes de la Convention de la Baie James et du Nord québécois sans évaluation environnementale, car des décisions juridiques avaient conclu qu'il n'y en avait nul besoin. Puis, il y avait le projet de l'Eastmain-1-A-Rupert qui a diverti les eaux de la rivière Rupert dans le réservoir Eastmain-1 qui n'était pas encore construit à ce stade. Une centrale électrique a été construite dans le cadre de ce projet.
Le projet a suscité beaucoup d'opposition de la part des Cris — pas du Grand conseil des Cris, mais de la part des collectivités cries situées le long de la rivière Rupert. En fait, les chefs des trois collectivités avaient retenu mes services pour rédiger un mémoire sur une analyse de la justification. Ce mémoire a été présenté par rapport à ce projet.
C'était une situation très bizarre. Je ne vais pas entrer dans les détails de la politique des Cris, mais à l'époque du projet de la Grande-Baleine — la collectivité crie de la Grande-Baleine est la plus petite et la plus isolée — la position du Grand conseil était la suivante : On vous laisse le soin de décider si vous voulez ou non ce projet et quelle que soit votre décision, nous l'accepterons. Dans ce cas-là, les trois collectivités les plus touchées étaient contre le projet, mais le Grand conseil — c'était une situation compliquée et très différente.
Le projet La Romaine, par exemple, a été proposé par Hydro-Québec et par le gouvernement. Il n'y a jamais eu de débat public à ce sujet dans tout le Québec. On ne m'a jamais demandé si c'était une bonne ou une mauvaise chose, ou quels en étaient les risques aux plans financiers et environnementaux. Tous ces facteurs n'existent plus.
Au moment du débat public sur l'énergie, au moment du rapport — où figure précisément le concept global —, la justification principale de la création de la Régie de l'énergie était de faire en sorte que les décisions ne soient pas prises entre le premier ministre du Québec et le président d'Hydro-Québec. Or, nous en sommes toujours là aujourd'hui. Quoi qu'il en soit, cela ressort de la politique du Québec qui ne concerne pas vraiment votre mandat.
Le président : Non, mais c'est important, car il s'agit d'un projet à grande échelle. Voilà pourquoi La Romaine a fait l'objet d'une évaluation environnementale complète.
M. Raphals : En effet.
Le président : Si j'ai bien compris et par rapport au large débat sur la voie à suivre en matière d'énergie, nous avons ces grands projets approuvés au plan de leur portée sur l'environnement et sous réserve de nouveaux accords conclus avec les groupes autochtones. Ces projets sont adoptés sans discussion des tenants et aboutissants dans une perspective énergétique. Est-ce bien ce que vous voulez dire?
M. Raphals : Oui, c'est ça.
Autre détail important, cela fait des années que Québec érige de grands projets hydroélectriques. Jusqu'à tout récemment, on les justifiait toujours par la nécessité de répondre aux besoins. C'est en ces termes là qu'en parlait Robert Bourassa à la fin des années 1980. On les construira sans tarder et avant d'en avoir besoin. Et grâce aux recettes d'exportation, ils ne nous auront pas coûté beaucoup d'ici à ce que nous en ayons besoin. Voilà comment on justifiait le grand projet.
À partir de l'an 2000 — avec le projet d'Eastmain-Rupert, la justification n'était plus aussi évidente. On disait toujours qu'il s'agissait de répondre aux besoins du Québec, mais aussi d'exporter. Toutefois, le problème vient du fait que depuis la restructuration prévue aux termes du projet de loi 116, on ne peut plus réellement construire pour répondre aux besoins du Québec sans décrocher un appel d'offres du réseau de distribution d'Hydro-Québec. Quoi qu'il en soit, c'est ce que j'avais à dire sur la Régie de l'énergie à l'époque, mais il est vrai que dans une très large mesure, ces projets sont actuellement construits aux fins d'exportation.
La construction de ces projets aux fins d'exportation change entièrement la donne. En effet, lorsque vous construisez pour vos propres besoins, c'est pour pouvoir continuer d'avoir de l'électricité. Vous cherchez alors la meilleure façon de procéder. Si vous faites ceci ou cela, c'est pour pouvoir continuer à vous éclairer. Si en revanche vous construisez pour l'exportation, il s'agit d'un investissement que vous n'êtes pas obligé de faire. Si vous le faites, c'est parce que les bénéfices escomptés, en tenant compte des risques, dépassent les coûts économiques et autres. Si vous êtes une entreprise comme GM ou autre entreprise du genre, vous investissez des milliards de dollars.
Le sénateur Neufeld : Il y a aussi le fait que vous allez probablement en avoir besoin. Je voudrais juste glisser quelques mots à ce sujet. Le point sous-jacent à ce que tout le monde semble dire aujourd'hui est : « Eh bien, nous avons besoin. Nous allons augmenter notre potentiel électrique. Nous utiliserons tout ce qui est électrique. » Vous devez construire ce genre de projets. C'est un refrain. Et je réponds qu'on ne peut pas tout faire marcher à l'électricité, mais on en a besoin. Je ne connais pas très bien la situation du Québec, mais je connais très bien celle de la Colombie- Britannique. Nous aurons besoin de l'électricité que nous développons aujourd'hui, nous aurons besoin des quelque 3 000 ou 4 000 mégawatts prévus.
Vous en exporterez un certain temps, parce que vous ne pouvez pas toute l'utiliser. Cela a bien fonctionné lorsque nous avons construit le projet du fleuve Columbia et celui de la rivière de la Paix.
M. Raphals : Oui.
Le sénateur Neufeld : En fait, le coût de l'électricité a augmenté, mais j'ai entendu des gens dire ici aujourd'hui que les Britanno-Colombiens sont subventionnés parce qu'ils ne paient pas assez cher leur électricité.
M. Raphals : Oui, c'est une remarque que j'entends souvent.
Le sénateur Neufeld : « Bon sang! Ils devraient payer davantage. Ils devraient payer au taux du marché, et je le dis aussi pour le Québec. »
Le président : Oui.
Le sénateur Neufeld : Je ne suis pas toujours d'accord au sujet de toutes ces divagations, mais à un moment donné, il va falloir le faire.
M. Raphals : En fait, je ne connais pas le bilan énergétique — je n'ai pas suivi la situation en Colombie-Britannique — mais ici, nous avons une séparation des fonctions. Le réseau de distribution d'Hydro-Québec, qui s'occupe de certains besoins, a un excédent de 20 ans, dont l'utilisation pose un grave problème. Le réseau a passé des contrats pour des volumes d'électricité beaucoup plus élevés que ce dont il aura besoin au cours des 20 prochaines années.
Le sénateur Neufeld : Fermez les centrales au charbon de l'Ontario et entendez-vous avec la province sur des taux intéressants pour obtenir une électricité propre. Concluez une entente. Concluez une entente avec le Nouveau- Brunswick. Il y a toutes sortes de possibilités à envisager.
M. Raphals : Bien sûr, mais du point de vue du Québec, ce sont tous des marchés d'exportation.
Le sénateur Neufeld : Oui.
M. Raphals : C'est très important.
Le sénateur Neufeld : Exactement.
M. Raphals : Oui, cela fait partie des besoins. Je veux dire par là que personne ne peut se passer d'électricité. Il y a des besoins sur le plan des exportations.
Le sénateur Neufeld : Oui.
M. Raphals : Je voulais faire deux autres observations. Il y a d'abord une sorte de facteur sous-jacent à ce dont nous avons parlé, un facteur externe, mais je crois qu'il faut en parler, il s'agit de la beauté. On n'en entend pas beaucoup parler dans le domaine de l'énergie. Or, nous le savons, le Canada a quelques-uns des endroits les plus extraordinairement beaux du monde.
Lorsque nous venons dans un de ces endroits pour construire une centrale et même si nous parlons d'environnement ou de répercussions sociales, nous finissons toujours par parler du nombre de gens qui y viennent en touristes et des retombées. C'est ce que font d'ailleurs les économistes qui ajoutent ce nombre à d'autres. Mais au bout du compte, les facteurs non renouvelables, et les qualités irremplaçables et exquises de ce qui est sacrifié sont rarement mentionnés. J'ai donc ressenti le besoin d'en parler dans cette tribune parce que, à mon avis, c'est quelque chose qu'il ne faut pas oublier.
Pour clôturer ce thème des grands projets, je reparlerai du risque. D'après ce que je sais des grands projets menés par les gouvernements et les services publics, cette question est peut-être traitée avec beaucoup de sérieux à huis clos, mais pour ce qui est de la documentation mise à la disposition du public, il est choquant de constater le peu d'analyse des risques que l'on y fait.
Par exemple, La Romaine sera, en fonction des prix futurs de l'électricité, soit un excellent projet, soit une perte phénoménale d'argent. C'est une question complexe, mais qui mérite d'être discutée. Or, les promoteurs du projet n'en parlent jamais de manière sérieuse. Je pense que cela reflète une très grave lacune dans la manière dont nous présentons les grands projets. On ne connaît pas l'avenir. Les incertitudes et les risques sont grands et nous devons en tenir compte dans les actions importantes que nous menons. Je pense que nous devons faire preuve de beaucoup plus de rigueur à cet égard.
J'ai terminé et suis prêt à répondre à vos questions.
Le président : Votre exposé a été très différent de ceux que nous avons d'habitude : pas fantaisiste, mais sensible et très agréable à entendre. Nous vous en remercions.
Le sénateur Mitchell : Il y a bien des questions que je voudrais approfondir. La discussion est très stimulante.
J'aimerais revenir à votre expérience dans les marchés du carbone. Je suis un promoteur de projet, mais pouvez-vous me dire, dans un premier temps, s'il y a le moindre espoir que nous en ayons un au Canada ou en Amérique du Nord? Deuxièmement, pouvez-vous dissiper ou peut-être atténuer les préoccupations des gens au sujet des marchés du carbone, qui disent qu'ils ne sont pas fiables et qu'on ne peut pas faire confiance aux crédits de carbone? Troisièmement, pourriez-vous vous prononcer, d'autre part, sur la façon dont ils nous aident à trouver les occasions faciles à saisir et, du moins de façon provisoire, nous aident à progresser vers un régime d'émission de carbone différent?
M. Raphals : Pour ce qui est de votre première question, je ne sais pas quoi répondre. Je suis moins optimiste que je l'étais. Nous avons rejeté des solutions d'ailleurs pour opter plutôt pour une solution mise au point au Canada, et nous devons maintenant attendre que les États-Unis agissent. Je ne suis pas très optimiste que les États-Unis feront quoi que ce soit, alors je ne sais pas quoi répondre. J'ignore si cela se produira ou non.
Les marchés du carbone sont-ils fiables? Tout est dans les détails, et les détails sont compliqués. Je connais très bien le mécanisme pour un développement propre, le MDP, le système aux Nations Unies qui est en quelque sorte, je pense, la quintessence sur quoi se fondent bon nombre de ces éléments. Le MDP a été critiqué par les deux côtés pour avoir créé des crédits qui ne découlent pas de réductions attribuables au fait qu'ils se sont tellement assurés de vérifier et de demander ce qu'on appelle l'« additionnalité » que rien ne pourra se faire.
Élaborer le bon régime n'est pas facile, et on se heurte à de nombreuses embûches, mais au bout du compte, je pense qu'il est bel et bien nécessaire pour la simple raison qu'il incite les gens et, plus important encore, les établissements de toutes sortes à prêter attention à la réduction des émissions de carbone.
Si cela s'était produit en 2006, les gens tenteraient de penser à toutes sortes d'endroits de façon structurée. Par exemple, dans les réseaux de transports en commun municipaux, on voit de nombreux autobus vides, de gros autobus qui transportent trois passagers. De toute évidence, il serait dispendieux de faire l'acquisition d'autobus de plus petite taille et de les utiliser en dehors des heures de pointe, et cette solution ne présente pas d'avantage réel. Quel est le véritable avantage? On économise un peu d'essence. Si on peut rendre cette solution plus rentable en tenant compte de la réduction des torts à l'environnement, on aiderait certainement à créer des mesures incitatives pour trouver la bonne solution.
Le sénateur Mitchell : Il faut obtenir quelque chose en retour. Si quelqu'un pouvait investir dans un tel projet et obtenir un crédit, alors ce serait bien.
Le président : Les gens pourraient marcher, ce qui permettrait de combattre l'obésité, mais allez-y.
Le sénateur Banks : J'ai déjà posé cette question. Les gens nous disent sans arrêt ce que nous devrions faire, presque de façon esthétique, presque comme un devoir, et nous sommes parfois aux prises avec ce que nous faisons et ce qui peut être fait.
Dans ce contexte, si vous aviez quelques mots magiques à prononcer si vous envisagiez une vision nationale en matière d'énergie et non pas une politique ou un programme nationaux en matière d'énergie, quels en seraient les deux ou trois principes les plus importants?
M. Raphals : Vous posez des questions difficiles. Je ne le sais vraiment pas. J'ignore sincèrement la réponse à cette question.
Je pense que ce qui pourrait nous aider, c'est la notion des pratiques exemplaires. En raison de la Constitution et de la responsabilité provinciale, il y a bien des choses qu'on ne peut pas faire. Toutefois, regardez la situation d'un bout à l'autre du pays, examinez ce qui se fait et ciblez une initiative et dites, « Vous savez, ce projet présente de nombreux avantages », et invitez les provinces à l'étudier. Il me semble que ce pourrait être une façon d'aller de l'avant. En ce qui concerne ce dont je parlais, l'approbation de grands projets en quelque sorte, je pense que c'est certainement le cas.
J'espérais pouvoir mentionner une autre question et j'ai manqué de temps, mais maintenant que vous avez ouvert la porte, je vais le faire quand même : bien des gens, moi compris, estiment que la production à petite échelle, sur place, constituera un aspect de plus en plus important de notre réalité énergétique. Que vous économisiez de l'énergie grâce à des mesures d'efficacité ou que vous en produisiez sur place et que vous ne comptiez pas sur le réseau, les technologies à cet égard s'améliorent considérablement. J'œuvre auprès d'une entreprise qui travaille à la mise au point de l'une de ces technologies, et il y a en bien d'autres, dont les cellules solaires.
Le président : Nucléaires?
M. Raphals : Je ne suis pas certain si c'est l'une d'elles. Toutefois, les règles du jeu sont très inégales à l'échelle du Canada pour ce qui est de la capacité d'utiliser ces technologies, ce qui se rapporte aux politiques des services publics pour l'interconnexion et la facturation nette. Je suis certain que vous savez que l'Ontario est l'un des cas extrêmes où, par l'entremise de la législation en matière d'énergie verte, il est très facile de se raccorder au réseau et de vendre son énergie excédentaire.
Au Québec, ce n'est pas simple du tout. Nous avons la facturation nette, qui vous permet de produire votre propre énergie et d'avoir recours au réseau, au besoin, mais jamais pour produire plus d'énergie que vous en utilisez.
Par exemple, je travaille avec une entreprise qui est en train de mettre au point une petite éolienne novatrice de 65 kilowatts. Il n'est vraiment pas évident de déterminer où l'on peut mener un projet pilote, car on ne peut pas remporter un appel d'offres. Hydro-Québec ne lance pas d'appel d'offres pour ce genre de projets. En tant qu'utilisateur individuel, vous ne pouvez pas produire l'énergie et la vendre à quelqu'un d'autre. Vous devez l'utiliser pour votre propre consommation. Vous devez trouver quelqu'un qui a une assez grosse charge.
Je pense que la Colombie-Britannique est à l'avant-plan de cette initiative, ce qui serait génial.
Le sénateur Neufeld : Ce projet est en place.
M. Raphals : Pour vrai?
Le sénateur Neufeld : Oui. Pour toute production de moins de 10 mégawatts, BC Hydro acceptera l'énergie verte après le dernier taux de production négocié avec le secteur privé.
M. Raphals : C'est fantastique.
Le président : Je n'aime pas devoir vous interrompre, car nous avons là une discussion fascinante.
Merci, monsieur Raphals. Votre témoignage a été très intéressant, et nous vous remercions de votre contribution. Je pense que nous vous convoquerons probablement de nouveau.
M. Raphals : Merci beaucoup.
Le président : Chers collègues, je tiens à remercier chacun de vous d'être ici aujourd'hui. J'aimerais remercier nos analystes de recherche, notre greffière, les interprètes et nos sténographes. Je pense que notre séjour dans la belle province s'est révélé un bon exercice, et je souhaite un bon voyage à ceux d'entre vous qui retourneront dans la capitale nationale.
(La séance est levée.)