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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Finances nationales

Fascicule 12 - Témoignages du 22 juin 2010 - Séance du matin


OTTAWA, le mardi 22 juin 2010

Le Comité sénatorial permanent des finances nationales, auquel a été déféré le projet de loi C-9, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 4 mars 2010 et mettant en œuvre d'autres mesures, se réunit aujourd'hui à 9 heures pour examiner le projet de loi (sujet : partie 18 — Énergie atomique du Canada limitée).

Le sénateur Joseph A. Day (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Honorables sénateurs, je déclare ouverte cette séance du Comité sénatorial permanent des finances nationales. Je remercie tous les honorables sénateurs de leur présence.

[Français]

Il s'agit de la dixième réunion concernant le projet de loi C-9, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 4 mars 2010 et mettant en œuvre d'autres mesures.

[Traduction]

Au cours de nos neuf séances précédentes, nous avons entendu le ministre des Finances, de même que des fonctionnaires du ministère, qui nous ont expliqué les dispositions de chacune des 24 parties du projet de loi. Nous allons maintenant entendre des témoins non gouvernementaux se prononcer sur divers aspects du projet de loi. Honorables sénateurs, nous allons passer les deux prochaines semaines à le faire. À la fin, nous espérons recevoir différents ministres dont la comparution est jugée utile par les honorables sénateurs. À ce moment, nous demanderons à ces ministres et aux représentants des ministères de venir nous aider.

Entre-temps, cependant, nous allons écouter les personnes qui peuvent nous expliquer les conséquences des divers aspects de ce projet de loi dans une perspective non gouvernementale.

L'un des sujets qui a soulevé un certain nombre de questions de la part des membres du comité est Énergie atomique du Canada limitée, EACL, dont traite la partie 18 du projet de loi. C'est sur ce sujet que nous nous pencherons aujourd'hui et demain.

Dans le premier groupe de témoins, nous sommes ravis de recevoir M. Howard Shearer, président et chef de la direction d'Hitachi Canada Ltée; et le professeur Harrie Vredenburg de la chaire Suncor Energy en Stratégie concurrentielle et développement durable de l'Université de Calgary.

Chers collègues, nous avons 1 heure et 15 minutes pour cette séance. Nos témoins feront de brèves déclarations préliminaires, puis, comme à l'habitude, nous poserons des questions. Je vous demanderais de faire en sorte que vos interventions soient aussi succinctes que possible pour que tous les honorables sénateurs puissent participer.

Monsieur Vredenburg, voulez-vous débuter?

Harrie Vredenburg, chaire Suncor Energy en Stratégie concurrentielle et développement durable, Université de Calgary, à titre personnel : Cela me va. J'aimerais débuter en vous parlant un peu du contexte. La population de la planète est toujours en croissance, de façon plus rapide dans le monde en voie d'industrialisation, surtout en Asie. « En voie d'industrialisation » signifie que les pays passent d'une agriculture de subsistance à faible consommation d'énergie à des industries manufacturières et une société de consommation qui consomme beaucoup d'énergie, et à un PIB par habitant plus élevé; plus de consommateurs modernes exigeant beaucoup d'énergie pour leurs appareils ménagers et le transport rapide.

D'où viendra l'énergie nécessaire pour approvisionner ces nouvelles économies en développement? Le pétrole et le gaz auront un rôle à jouer au cours des prochaines années, mais le charbon est la source d'énergie principale la plus abondante et la moins chère. Elle émet également le plus de CO2. Alors que les décideurs mondiaux visent de plus en plus une réduction des émissions de CO2 à cause de leur contribution présumée aux changements climatiques, l'énergie nucléaire est perçue comme un aspect essentiel de la solution au problème des émissions de gaz à effet de serre, tout comme les énergies renouvelables.

Le Canada, par l'entremise d'Énergie atomique du Canada limitée, a joué un rôle clé dans l'industrie nucléaire mondiale. C'est une industrie qui seyait bien le Canada puisqu'elle exige des employés hautement formés et très compétents qui gagnent un bon revenu de ces emplois qu'on ne peut pas exporter facilement à des pays où la main- d'œuvre coûte moins cher. De plus, le Canada possède la plus grande réserve au monde d'uranium à haute teneur que cette industrie utilise comme matière première.

D'après moi, alors que l'industrie nucléaire mondiale est sur le point de croître de façon importante, le Canada ne peut se permettre de perdre EACL, ses emplois de haute qualité et ses avantages économiques au profit d'intérêts étrangers. Dans les secteurs pétroliers et forestiers, nous avons constaté que les acquéreurs étrangers déménagent les meilleurs emplois et les services professionnels ailleurs. En même temps, pour être concurrentiels sur les marchés mondiaux, EACL a besoin d'une infusion de capital dynamique et d'une gestion sensible au marché, et cela ne peut se produire qu'avec des investissements privés dans l'entreprise.

Le gouvernement ne peut probablement pas se laver les mains de toutes ses responsabilités envers l'industrie de l'énergie nucléaire au Canada. Cette industrie, malgré ses 50 ans, est toujours jeune. Sir John A. Macdonald a appuyé le chemin de fer, et Peter Lougheed en Alberta, où je vis maintenant, a appuyé les sables bitumineux. Le rôle du gouvernement pourrait être celui d'un actionnaire dominant selon le modèle de ce que j'appelle les « nouvelles compagnies pétrolières nationales » que nous voyons de plus en plus dans le monde, ou le gouvernement pourrait agir par l'entremise de l'Agence d'examen de l'investissement étranger et d'autres mécanismes.

EACL a besoin de capital et d'une bonne gestion pour être concurrentielle sur les marchés mondiaux. L'entreprise a également besoin de l'assurance qu'elle demeurera canadienne, avec des technologies canadiennes et un siège social canadien qui offre des emplois techniques, administratifs et professionnels. Le gouvernement peut faire cela en contrôlant la gestion ou par l'entremise de la réglementation.

Howard Shearer, président et chef de la direction, Hitachi Canada Ltée : Bonjour. Je veux remercier les membres du comité d'écouter mon exposé, et j'ai confiance que ce que j'ai à dire contribuera d'une certaine façon à la vigueur et la compétitivité de l'industrie nucléaire mondiale, avec de solides assises au Canada.

Comme vous le savez peut-être, la division nucléaire d'Hitachi Ltée et celle de General Electric se sont fusionnées pour former une coentreprise. Selon cet accord, la division nord-américaine de cette coentreprise s'appelle GE-Hitachi Nuclear Energy, GEH, alors que la division au Japon s'appelle Hitachi-GE Nuclear Energy, HGNE.

La technologie forte de cette coentreprise demeure fondée sur la technologie des réacteurs à eau bouillante, les REB. Il faut souligner que la technologie des REB représente environ 25 p. 100 des réacteurs nucléaires installés dans le monde. De nombreux différents vendeurs de réacteurs offrent des REB sur le marché.

Il est également intéressant de souligner qu'au Japon, les REB représentent la majorité des réacteurs installés, soit 28 sur 54. De plus, dans le cadre du prochain plan qui va jusqu'en 2020, environ 11 nouveaux réacteurs de style REB seront construits, ainsi que 4 réacteurs à eau sous pression, des REP.

HGNE au Japon a déjà terminé quatre réacteurs à eau bouillante de type avancé, des REB de type avancé, et cette division travaille sur quatre autres unités — deux à Taïwan et deux au Japon. Ils ont tous été construits dans les limites du budget de l'échéancier, tout en incluant des technologies d'ingénierie et de construction très avancées, y compris une importante modularisation.

Le REB de type avancé résout des problèmes liés à des risques nouveaux des années 1990 et offre donc un avantage énorme pour les consommateurs qui doivent éviter ou limiter les risques. De même, HGNE n'a pas besoin de projets qui ne seront pas rentables sur le plan commercial.

Au Canada, Hitachi ltée, par sa filière Hitachi Canada ltée, a appuyé et continué d'appuyer EACL dans ses efforts pour développer l'ACR-1000.

Ailleurs dans le monde, Hitachi a collaboré avec EACL pour des nouveaux projets de construction qui respectaient l'échéancier et le budget en utilisant les mêmes technologies de construction avancées apprises au Japon, qui ont été transférées au projet en Chine. Tous les efforts se sont concentrés sur les zones non nucléaires, surtout la partie classique de la centrale. Cependant, la méthode de la technologie de construction peut être et est utilisée pour l'ensemble de la centrale.

Au sujet du projet de loi C-9, qui va plus loin dans le processus de privatisation d'EACL, je ferai les observations suivantes. Premièrement, le processus doit être exécuté aussitôt que possible, une fois qu'on aura répondu aux inquiétudes des divers intervenants. Éliminer l'incertitude concernant la propriété a des conséquences sur la confiance du consommateur, ici comme à l'étranger. De plus, de nombreux nouveaux projets de construction sont déjà entrepris avec des concurrents d'EACL, qui n'ont pas de problèmes d'incertitude concernant leur propriété et qui peuvent donc être décisifs dans leurs engagements envers les consommateurs.

Deuxièmement, protéger et développer le capital intellectuel est essentiel. Le talent existant ne peut pas être facilement remplacé et demeure une cible attrayante pour le marché mondial, surtout dans le domaine de la construction de nouveaux réacteurs.

Troisièmement, le rôle de l'énergie nucléaire au Canada exige une vision qui s'accomplira en appuyant la médecine nucléaire, et en fournissant une charge de base fiable et concurrentielle en électricité, une source d'énergie propre et une des solutions pour réduire les émissions de CO2 par l'électrification éventuelle des systèmes de transport.

Quatrièmement, le rôle futur du gouvernement dans les programmes de construction de réacteurs au Canada ou à l'étranger doit être clair.

Cinquièmement, le Canada est une voix respectée dans la communauté mondiale de la non-prolifération nucléaire, et on risque de la faire taire si nous n'avons plus une industrie nucléaire dynamique.

Sixièmement, alors que l'on débat de l'avenir d'EACL, des ententes sont signées, des partenariats sont créés et de nouveaux réacteurs sont construits — la renaissance nucléaire se poursuit sans la participation du Canada ou d'EACL. Profitons de cette renaissance pour redynamiser notre industrie nucléaire et assurer des emplois hautement rémunérés pour le Canada.

Le président : Merci beaucoup monsieur Shearer. J'ai bien aimé vos observations et les vôtres, monsieur Vredenburg.

Le sénateur Ringuette : Ma première question sera pour M. Vredenburg. Vous avez dit que le Canada ne peut se permettre de perdre EACL à cause des emplois, de la technologie et du grand potentiel du marché. Bien que le gouvernement parle de « restructuration » et utilise ce mot, le projet de loi devant nous donne clairement le pouvoir au ministre de vendre EACL tout ou en partie. C'est-à-dire le réacteur CANDU, la propriété intellectuelle, la production d'isotopes de Chalk River, et cetera.

Comment croyez-vous que le Canada pourrait conserver sa sécurité, sa stabilité et sa souveraineté énergétique si nous perdions et vendons, tout ou en partie, EACL?

M. Vredenburg : Merci sénateur pour cette question.

Je partage votre inquiétude. Je peux répondre à la question de différentes façons. Investir dans EACL est un impératif. Pour qu'EACL réussisse, l'entreprise a besoin de capital. Elle a probablement besoin d'une somme importante de capital privé pour s'adapter aux marchés mondiaux. Comme vous, j'ai peur de perdre un actif majeur pour notre pays et que le Canada a développé depuis 50 ans.

Il y a différentes façons d'y arriver. Je crois qu'il est important que le contrôle demeure au Canada. Comme je l'ai mentionné, cela pourrait être fait soit en conservant une part dominante dans l'entreprise ou par voie légale, c'est-à- dire l'Agence d'examen de l'investissement étranger ou un autre mécanisme du genre qui fait en sorte que les emplois essentiels demeureront au Canada. Voilà l'enjeu. Ce sont les emplois.

Nous l'avons vu avec d'autres industries. Je l'ai vu dans l'industrie pétrolière qui un secteur d'intérêt d'une grande partie de mon travail. Lorsqu'il y a une prise de contrôle étrangère, oui, les emplois dans l'exploitation demeurent au Canada parce que la ressource se trouve dans l'Ouest du pays. Toutefois, une grande part des bons emplois, les emplois techniques, ceux en gestion, sont transférés à Houston ou à La Haye ou ailleurs, tout comme les emplois connexes, par exemple, les bons postes dans les cabinets d'avocats, les services d'experts-conseils en gestion et les emplois pour les diplômés en maîtrise de l'administration des affaires de nos écoles de commerce. Voilà les emplois qui sont transférés. D'après moi, c'est ce qui est le plus préoccupant. Il est moins important de savoir qui possède l'entreprise que de savoir qui la contrôle et si elle demeurera basée au Canada et dévouée à ce pays.

Le sénateur Ringuette : En disant cela, vous soulignez une autre inquiétude; c'est-à-dire que s'il y a de l'instabilité et que nous perdons ces emplois et cette technologie, nous courons également le risque de perdre les programmes universitaires en énergie nucléaire.

M. Vredenburg : Oui, je suis d'accord avec vous. Il y aurait un effet d'entraînement dans l'économie. Ces emplois, comme je l'ai dit lors de mon exposé sont des emplois de haute qualité. Il ne s'agit pas des emplois non spécialisés que le Canada perdra sûrement quand même en faveur des économies en développement où le coût de la main-d'œuvre est moindre. Voilà quelque chose que le Canada fait bien. Nous avons un bon système universitaire. Nous avons une population bien formée et compétente. Il est vital de garder ces emplois au Canada.

Cependant, cela ne veut pas nécessairement dire qu'EACL doit demeurer une société d'État. Cela veut dire que nous devons être prudents, garder le contrôle, et s'assurer que ces emplois et cette activité économique demeurent au Canada. Nous pouvons le faire de différentes façons, avec une part dominante, par l'entremise d'une loi ou autre chose de similaire.

Le sénateur Ringuette : Je comprends les différentes options. Toutefois, la situation que nous étudions avec le projet de loi C-9, c'est l'élimination de tout type d'approbation par le Parlement et donc par la population canadienne avant une restructuration ou une vente en tout ou partie. Nous avons devant nous une proposition incertaine, et nous pourrions y perdre.

Les Canadiens ont investi plus de 8 milliards de dollars dans EACL depuis 1952, pour la recherche et les emplois. La production des isotopes ne sert pas seulement les Canadiens mais le monde entier. Je regarde la valeur et la contribution au PIB. Des recherches importantes ont été faites par l'industrie nucléaire canadienne sur sa contribution à l'économie canadienne. Lorsque l'on examine les faits, on comprend que la contribution à l'économie canadienne représente plus que les 8 milliards de dollars investis par les Canadiens au cours des 60 dernières années dans cette entreprise.

Avez-vous examiné cette comparaison des investissements par rapport aux recettes et à la contribution au PIB de l'industrie nucléaire au Canada?

M. Vredenburg : Je n'ai pas fait de recherche dans ce domaine, mais les chiffres que vous citez ne me surprennent pas. Il y a des retombées importantes.

Je veux souligner un autre point; pour qu'EACL soit concurrentiel sur le plan mondial, l'entreprise doit être plus forte qu'elle ne l'est maintenant. C'est une industrie qui est à la veille d'une croissance importante au niveau planétaire. Le nucléaire deviendra une industrie majeure. Si le Canada et EACL veulent en profiter, EACL doit devenir plus solide, et cela signifie probablement l'entrée de capitaux privés et de la discipline du marché. Cela pourrait également signifier un investissement considérable de fonds gouvernementaux, mais cela n'a pas eu lieu au cours des dernières années. EACL doit être un acteur important et doit collaborer avec d'autres organisations. Comme M. Shearer l'a mentionné, il y a eu beaucoup de changements structurels dans l'industrie suite aux fusions, et les acteurs actuels sont d'assez bonne taille. Pour que le Canada soit concurrentiel dans cette industrie, il doit être un acteur important et a besoin de cette injection de capital.

Le sénateur Ringuette : Je suis d'accord. On nous dit qu'au cours de la prochaine décennie, environ 400 nouvelles centrales nucléaires seront bâties dans le monde. Si j'examine la contribution à l'économie soulignée dans cette recherche, chaque centrale nucléaire constitue une contribution majeure à l'économie canadienne.

Le sénateur Banks : Monsieur, je vais revenir à la base et vous expliquer ce que l'on fait et vous demander de commenter à ce sujet.

Vous avez dit que l'on pourrait protéger les intérêts du Canada en conservant un certain contrôle et qu'il faudrait peut-être des mesures de protection. Cependant, ce projet de loi n'en contient pas. Malheureusement, parfois nous ne nous occupons pas des politiques; il ne s'agit pas de ce qui pourrait ou devrait être, mais ce qui sera. Nous adoptons des lois, et ce projet de loi permet la vente d'EACl

Pensez-vous qu'un projet de loi traitant de cette question devrait comprendre des mesures de protection permettant de s'assurer que les entités restent sous contrôle canadien?

M. Vredenburg : Je suis d'accord avec tout ce qui précède « reste sous contrôle canadien ». Que cela veut-il dire au juste? D'un autre côté, je pense effectivement qu'il faut des mesures de protection.

Le sénateur Banks : Permettez-moi de préciser ma pensée. Vous avez décrit des situations où le contrôle fonctionnel d'une société, qu'elle soit pétrolière ou autre, se retrouve entre des mains étrangères et où les emplois de haut niveau sont exportés vers d'autres pays. C'est bien ça que vous tentiez de décrire.

M. Vredenburg : Oui, c'est exact.

Le sénateur Banks : On peut donc extrapoler et dire que si toutes les activités d'EACL étaient cédées à des intérêts étrangers en Lituanie, en Russie, au Brésil ou en France, on se retrouverait face à la même situation. Ainsi, afin d'éviter une telle tournure des événements, il faut préciser dans un texte de loi que ce genre de chose est interdit. La façon la plus simple de procéder, c'est de s'assurer que la propriété — je parle ici de la participation majoritaire et pas nécessairement de la majorité — soit définie de façon à nous protéger contre ces pertes éventuelles, ce qui n'est pas fait dans le projet de loi.

Pensez-vous que si le projet de loi devient loi, il devrait y avoir des mesures qui empêcheraient la fuite de ces emplois de haut niveau?

M. Vredenburg : Oui, je suis d'accord avec vous.

Le sénateur Marshall : La discussion est intéressante, surtout les commentaires que vous avez faits au sujet d'EACL. Vous avez indiqué qu'il ne faudrait pas que le statu quo perdure. C'est ce que vous avez dit un peu plus tôt.

M. Vredenburg : C'est exact.

Le sénateur Marshall : Vous avez également dit qu'il fallait qu'on ait un cadre plus strict. De toute évidence, vous estimez qu'il faut qu'on fasse quelque chose d'EACL et qu'on ne peut pas se permettre de ne rien faire.

M. Vredenburg : C'est bien ça.

Le sénateur Marshall : Pourriez-vous étoffer un petit peu votre réponse? Vous avez précisé qu'on ne pouvait pas se permettre de perdre les emplois dont il est question. D'après les états financiers d'EACL — et le sénateur Ringuette a indiqué que, depuis 1952, 8 milliards de dollars ont été investis dans la société — le déficit se chiffre à 4 milliards de dollars. Il va bien falloir que quelqu'un rembourse cette somme à moins que le gouvernement ait la chance de trouver une entreprise qui soit prête à assumer ces 4 milliards de dollars de déficit. Les pertes d'exploitation s'élèvent à 400 millions de dollars pour 2009 et à 300 ou 400 millions de dollars pour l'année précédente. Le gouvernement peut-il se permettre de garder EACL?

Je suis heureux de vous entendre dire que le statu quo ne peut perdurer. Pourriez-vous étoffer votre pensée?

M. Vredenburg : Merci de m'avoir posé cette question. Il y a plusieurs facteurs qui entrent en ligne de compte. La situation est complexe, et je passe pas mal de temps à penser à cette question, pas seulement pour me préparer à témoigner mais de façon générale.

Un des éléments de réponse, c'est que le secteur connaît des changements. Les 50 dernières années ont été relativement difficiles, surtout en Amérique du Nord. Il faut également savoir que l'industrie a connu une certaine croissance ailleurs qu'en Amérique du Nord au cours de cette même période. Les événements de Three Mile Island et Tchernobyl ont eu un impact important en Amérique du Nord. Dans le reste du monde, on construit des centrales nucléaires à un rythme élevé, comme l'indiquent les graphiques. C'est seulement en Amérique du Nord que les choses ont stagné. Par contre, la situation commence à changer maintenant et on voit qu'il y a de plus en plus de centrales nucléaires en Amérique du Nord et ailleurs en raison de la croissance rapide, de l'augmentation des PIB et des émissions de CO2 associées à l'autre grande source de production énergétique, à savoir le charbon, comme je l'ai dit dans ma déclaration préliminaire.

C'est une industrie encore relativement jeune, même si elle a 50 ans. D'autres gouvernements investissent dans des industries semblables. L'entreprise française n'est pas privée; elle reçoit un soutien important du gouvernement. Nous avons fait de même au Canada pour le chemin de fer du Canadien Pacifique. Notre pays n'existerait probablement pas si le gouvernement de l'époque avait décidé qu'il fallait trouver des investisseurs privés pour construire le chemin de fer et que ce chemin de fer devait être autonome dès le départ. Pour moi, il y a là une analogie.

Si le Canada veut faire sa part, je crois que ces entreprises finiront par prospérer. On l'a d'ailleurs constaté dans le cas des sables bitumineux de l'Alberta, qui pendant longtemps ne semblaient pas prometteurs, puis le prix du pétrole a augmenté à tel point que ce projet est devenu intéressant et que les technologies sont devenues moins coûteuses. Certaines personnes avaient une vision et avaient investi dans cette industrie alors que pour d'autres, un tel investissement n'avait aucun sens et devait être évité.

C'est un peu le cas à l'heure actuelle pour l'industrie nucléaire au Canada. Ce serait une erreur pour le pays de se retirer de ce domaine maintenant, car c'est une industrie dans laquelle le Canada réussit en fait très bien. Il est logique pour le Canada d'investir dans ce secteur compte tenu du niveau élevé de spécialisation et d'instruction de sa main-d'œuvre, mais il faut faire des investissements. À long terme, ces industries peuvent devenir prospères.

C'est aussi le cas d'autres industries dans d'autres pays. Je vais en Europe chaque année. Les Danois ont investi dans l'énergie renouvelable il y a 30 ans, dans la production d'énergie éolienne. Aujourd'hui, Vestas est le chef de file mondial de l'éolien. Le gouvernement du Danemark a beaucoup investi dans ce secteur et en a retiré les avantages que procurent une industrie prospère et de bons emplois pour des travailleurs qui sont eux aussi hautement spécialisés et très instruits.

Le sénateur Marshall : EACL serait-elle mieux dirigée si elle était une société d'État ou si elle était une entreprise privée? J'ai examiné la situation actuelle d'EACL, et je me suis rendu compte que cette entreprise n'avait jamais pris son essor ni n'était en voie d'amélioration. Au cours des derniers mois, nous avons entendu des témoignages sur la gestion des projets. Cette société a toujours eu de la difficulté à réaliser ses projets à temps et sans dépassement de budget. En outre, elle a des difficultés financières. Conserver cette société d'État ne semble pas possible.

Le ministre des Finances a témoigné sur ce sujet la semaine dernière. Il a dit que la société reçoit chaque année du financement, mais qu'elle demande de nouveau des fonds au milieu de l'exercice financier. C'est très inquiétant. Je suis néanmoins encouragé de vous entendre dire que vous n'appuyez pas le statu quo.

M. Vredenburg : Si vous me permettez une observation, je vous remercie de vos propos. L'investissement privé est nécessaire, mais pour moi, ce n'est pas la même chose que de conserver le contrôle et les emplois au Canada. C'est là la différence.

Le sénateur Marshall : Le problème est de trouver qui serait intéressé à investir de l'argent sans prendre le contrôle de l'entreprise. Ce sera difficile de trouver un bon équilibre.

M. Vredenburg : Oui.

Le sénateur Murray : Quand nous avons entendu les fonctionnaires, je leur ai demandé combien ils avaient reçu de propositions en réponse à leur appel de soumissions. Ils ont clos le sujet en me répondant qu'il s'agissait d'un renseignement commercial confidentiel qu'ils n'étaient pas prêts à le révéler. Je n'ai pas eu la présence d'esprit de leur demander s'ils avaient reçu plus d'une proposition.

Je me demande si vous avez une idée à ce sujet. Si je vous pose cette question, c'est compte tenu de votre préoccupation évidente par rapport au danger que l'entreprise tombe sous le contrôle d'intérêts étrangers. Croyez-vous que nous courons ce risque, compte tenu du projet de loi, qui ne contient aucune disposition précise pour limiter la propriété des actions?

M. Vredenburg : Je ne suis pas en mesure de répondre à votre première question. Vous en savez autant que moi. M. Shearer en a peut-être une meilleure idée, et il souhaitera peut-être répondre.

En ce qui concerne la deuxième question, qui porte sur le contrôle, c'est effectivement l'une de mes inquiétudes. Comme l'a dit le sénateur de Terre-Neuve-et-Labrador, l'entreprise a besoin d'investissements privés, mais cela ne signifie pas qu'il faille en céder le contrôle. Pour moi, la question du contrôle est grave.

Le sénateur Murray : Nous avons privatisé de nombreuses sociétés d'État par le passé. Je pense pouvoir dire que dans tous les cas, nous avons imposé des limites sur la propriété des actions, la vente d'actions à des résidents et à des non résidents et sur la proportion totale des actions qui pouvaient être détenues par des non résidents.

M. Vredenburg : Je crois que vous avez raison. Comme je l'ai dit au début, dans les observations, je constate là une tendance mondiale. Je consacre beaucoup de temps au secteur pétrolier, et on sait qu'un grand nombre d'anciennes sociétés pétrolières nationales ne sont nationales que de nom seulement. Elles ont accepté des investissements privés, et elles sont cotées en bourse et se comportent, à toutes fins pratiques, comme des multinationales.

Le sénateur Murray : C'est entre autre le cas de Pétro-Canada.

M. Vredenburg : Elle appartient maintenant à Suncor Energy Inc.

Le sénateur Murray : Dois-je comprendre que vous appuyez ce projet de loi, monsieur Shearer?

M. Shearer : J'appuie la privatisation d'EACL. Comme vous le savez, ce projet de loi contient tout un éventail de mesures. J'appuie l'idée que l'on privatise EACL. Il y a bien sûr des mises en garde, mais foncièrement, j'appuie le projet de loi.

Le sénateur Murray : D'après vos recommandations et vos observations, vous semblez dire que le tout doit se faire aussi rapidement que possible, après avoir réglé les préoccupations des différents intervenants. J'aimerais savoir, et ma question n'est pas simplement théorique, dans quelle mesure le projet de loi résout les préoccupations des différents intervenants. Il faut s'assurer de ne pas avoir d'incertitude quant à la propriété.

M. Shearer : Les entreprises aiment la certitude.

Le sénateur Murray : Bien sûr, mais l'adoption de ce projet de loi ne créera pas plus de certitude au sujet de la propriété. Il aura simplement pour effet de confier le dossier au gouverneur en conseil.

L'énergie nucléaire au Canada réclame une vision pour atteindre son plein potentiel, et cetera. Je ne vois rien de tout cela dans le projet de loi, et je ne vois pas non plus de clarté dans le rôle que le gouvernement jouera à l'avenir dans le soutien des programmes de construction de nouvelles centrales, ni au Canada ni à l'étranger. Je ne veux pas discuter avec vous, mais j'espère que vous n'êtes pas convaincu que ce projet de loi aura les effets que vous souhaitez.

Le sénateur Neufeld : Merci à tous les deux de vos témoignages. La chose m'apparaît peut-être plus clairement à moi qu'à d'autres. Nous avons investi quelque 9,5 milliards de dollars en argent historique depuis 1952, ou 21 milliards de dollars, si l'on veut, en dollars constants de 2009. Les contribuables se sont montrés très généreux au fil des ans pour que cette industrie puisse se développer. Je ne doute pas un instant que l'industrie nucléaire prendra de l'expansion. Elle connaîtra une énorme croissance, elle présente des possibilités. Toutefois, dans la situation actuelle — quelques investissements ont été faits, mais il n'y a pas eu de ventes récentes — on peut vraiment se demander si EACL peut prendre vraiment de l'expansion, comme on en a discuté, sans qu'il faille injecter de nouveau 20 milliards de dollars en financement, par exemple. En outre, on s'interroge encore au sujet du financement de toute une gamme d'autres activités par le gouvernement.

Vous avez parlé entre autre chose de l'importance de conserver les emplois au Canada. Je suis parfaitement d'accord avec vous à cet égard également. Si c'est possible de le faire, nous devrions le faire. Cependant, d'autres intervenants ont dit que le gouvernement va simplement tout vendre, toutes les pièces, pupitres et chaises. Je ne pense pas que c'est ce qu'on dit dans le projet de loi. On dit simplement, en fait, que si le gouvernement voulait le faire il pourrait le faire. Cependant, on dit également dans cette mesure législative qu'on peut procéder à une restructuration et on prévoit une marge de manœuvre quand même assez importante à cet égard. S'il est nécessaire de s'adresser au Parlement chaque fois qu'on veut offrir en vente certaines pièces, mais pas d'autres, imaginez-vous les discussions que nous aurons pendant les 20 prochaines années.

À mon avis, le gouvernement dit clairement qu'il est conscient de la situation et qu'il veut conserver les investissements dans la mesure du possible, épargner aux contribuables le besoin de dépenser des milliards de dollars et en fait inviter le secteur privé à participer à la restructuration, soit comme investisseur soit comme associé.

Le projet de loi C-9 donne au gouvernement l'habilité nécessaire pour aller de l'avant avec la restructuration comme l'ont décrit MM. Vredenburg et Shearer. Les difficultés surgissent des menus détails. Cependant, ces difficultés ne pourront être réglées que lorsque vous aurez présenté une offre au secteur privé. Si vous disiez au secteur privé : « Nous voulons conserver tous ces éléments, nous ne voulons pas que vous ayez une quelconque influence sur le secteur » vous n'auriez aucun investisseur qui viendrait de la vente. Un investisseur doit avoir une sorte d'encouragement.

Vous avez transigé avec l'industrie du gaz et du pétrole. Est-ce que les intervenants de ce secteur diraient « nous allons assumer toute la dette, mais nous n'avons rien d'autre en retour? »

Que pensez-vous de ce que je viens de dire? Je pense que cela nous permet en fait d'aller de l'avant pour avoir au Canada une industrie nucléaire qui profite aux contribuables canadiens, et non pas un dévoreur de leur argent.

M. Vredenburg : Je comprends ce que vous dites quant à ce qu'il en a coûté aux Canadiens au cours des 50 dernières années je crois que vous avez raison. Je crois qu'il faut les investissements du secteur privé. Le sénateur Murray a mentionné que nous ne connaissions pas le nombre de soumissionnaires, mais je m'attends à ce qu'il y en ait, qu'il y ait des intervenants des entreprises ou des exploitants qui s'intéressent à investir dans ce secteur. Il y a également d'autres intervenants. Beaucoup d'autres joueurs, comme les fonds de pension et d'autres organisations qui ne voudraient pas nécessairement contrôler ou assurer l'administration de l'organisation s'intéressent à investir dans les services publics. C'est parfaitement logique, et ça leur permet d'alléger le fardeau du gouvernement du Canada.

J'ai été témoin de ce qui arrive aux emplois lorsqu'une entreprise prend le contrôle d'une autre, que ce soit à Houston ou en Europe. On le constate à l'école de gestion de l'Université de Calgary. On recherche un moins grand nombre de détenteurs de maitrise en administration des affaires parce que les emplois sont à Houston ou en Europe. Les cabinets d'avocats se tirent moins bien d'affaire à Calgary lorsqu'une entreprise prend le contrôle d'une autre.

C'est ce qui m'inquiète, et c'est une inquiétude qui ne touche pas vraiment la propriété. Les investissements privés s'imposent. Cependant, quelles sortes d'investissements privés? Il ne s'agit pas de déterminer si vous avez voix au chapitre à un égard ou un autre ou si vous assumez tout le fardeau de la dette mais que vous n'avez pas du tout voix au chapitre; oui, vous devez avoir voix au chapitre, mais ce qui compte c'est de garder les bons emplois et les aspects positifs au Canada.

M. Shearer : J'aimerais tout d'abord mentionner que vous avez reconnu l'importance du fardeau de la dette et des coûts. Ce n'est pas un système qui fonctionne à sens unique. Le secteur de l'énergie nucléaire a assuré à l'Ontario un bon approvisionnement en énergie électrique de base. Grâce à l'hydroélectricité et un peu de charbon, cette industrie nous a permis d'avoir une empreinte attribuable aux émissions moins importantes que si nous n'avions eu accès à l'énergie nucléaire. De plus, ce secteur s'est fait le moteur de la fabrication ou du développement en Ontario. Le Nouveau-Brunswick et le Québec ont un secteur de l'énergie nucléaire, mais l'apport de ce secteur en Ontario a été important, en plus des quelque 70 000 emplois qu'il a créés. Je ne veux pas trop insister là-dessus, mais je crois personnellement que l'apport du secteur nucléaire au Canada a été très important au cours des 30 dernières années. De plus, il ne faut pas oublier l'importance de la collaboration entre l'industrie et les établissements d'enseignement, ce qui nous a permis de passer à l'étape suivante, c'est-à-dire où nous en sommes aujourd'hui.

Quant à ce que ce projet de loi interdit ou autorise, les difficultés surgissent des menus détails, comme je l'ai dit un peu plus tôt. Cependant, il est également juste de dire que pour ceux qui font partie de l'industrie, il nous appartient de faire preuve de diligence appropriée et étudier tous les aspects de la question et se pencher sur toutes les possibilités. Une entreprise doit étudier tous les aspects de la gestion du risque.

Nous sommes impatients d'assurer un certain niveau d'efficacité grâce à des contacts plus étroits avec EACL par l'entremise du processus de privatisation, il est juste de discuter de toutes les questions, comme je l'ai mentionné, qui touchent les divers intervenants et essayer de trouver une façon de régler ces problèmes. Je suis d'accord avec mon collègue qui parle du danger de perdre des emplois, mais il se pourrait fort bien que ces emplois disparaissent de toute façon.

Je sais qu'un montant de 21 milliards de dollars semble très élevé, mais pas à l'échelle globale. Au point de vue rendement, si vous n'avez pas suffisamment investi au fil des ans, bon il peut y avoir des miracles mais pas toujours. Il vaut mieux commencer cette étape en ayant le même objectif soit avoir un service ou un secteur nucléaire efficace sous l'égide d'EACL grâce à la participation du secteur privé.

Certains ont dit que compte tenu de la taille de cette industrie il fallait une collaboration internationale. EACL n'est peut-être pas vraiment partout à l'échelle internationale, mais l'accès qu'elle ne peut offrir peut être offert par nos partenaires du secteur privé, des partenaires qui ont non simplement cette habilité mais qui ont également une expérience et un vécu dans le secteur. Ils peuvent collaborer comme nous l'avons fait avec EACL en Chine par exemple.

Leurs atouts sont assurés par les cycles de combustible intégral du réacteur CANDU 6 évolués, EC6, qui est un élément solide à vendre à l'international. J'espère que j'ai répondu à votre question.

M. Vredenburg : Je suis d'accord avec M. Shearer quand il dit que les difficultés surgissent des menus détails. Je comprends pourquoi le gouvernement voudrait procéder plus rapidement au lieu d'attendre plusieurs années que les deux Chambres, le Sénat et la Chambre, étudient la question parce qu'après tout l'industrie évolue rapidement. C'est pourquoi je comprends quand on dit qu'il faut trouver quelque chose qui nous permette d'agir rapidement parce que le marché est en pleine évolution.

Le sénateur Callbeck : Bienvenue. Monsieur Vredenburg, vous avez dit que la France a elle aussi une société semblable à EACL. Comment peut-on comparer les coûts de l'agence française et de l'EACL pour les gouvernements respectifs?

M. Vredenburg : Je n'ai pas de comparaisons à vous présenter. Cependant je sais que les Français investissent dans la société AREVA, et que d'autres gouvernements le font également.

Le sénateur Callbeck : Monsieur Shearer, votre entreprise participe, ou a un partenariat, avec EACL dans le cadre du programme de remise en état de la Centrale de Point Lepreau n'est-ce pas?

M. Shearer : Non, madame le sénateur. Cependant nous avons étudié la possibilité de construire une deuxième version pour l'EACL, la Point Lepreau 2.

Le sénateur Callbeck : Je sui désolée, je n'ai pas entendu.

M. Shearer : Nous avons songé à procéder à un partenariat pour construire une deuxième étape au Nouveau- Brunswick, qui serait Point Lepreau 2. Mais cela n'a pas abouti, mais nous avions étudié cette possibilité et en fait nous l'étudions toujours.

Le sénateur Callbeck : Si EACL appartenait à des intérêts privés, dans quelle mesure cela aurait-il un impact sur la collaboration possible des membres de l'équipe CANDU, dont vous faites partie, avec EACL?

M. Shearer : Dans le domaine des affaires, vos concurrents sont vos associés et vos associés sont vos concurrents, selon la situation. Ça dépendra de ceux qui deviendront propriétaires d'EACL. Par exemple, si ceux qui décident d'acheter EACL se servent d'une technologie qui n'est pas compatible avec nos connaissances techniques, nous ne pourrions pas travailler avec eux. Nous avons appuyé EACL au Canada dans le secteur nucléaire, comme la partie classique d'une centrale nucléaire, soit les turbines et les systèmes de commande numérique. Cela ne nous empêcherait pas de collaborer avec eux mais cela rendrait les choses plus difficiles. Nous sommes prêts à collaborer avec tout le monde

Le sénateur Callbeck : Comme vous le savez, le projet de loi C9 permettrait au ministre de disposer d'EACL en tout ou en partie. Je me pose des questions sur les laboratoires de Chalk River, où la majorité des travaux de recherche et de développement sont effectués. Croyez-vous qu'ils pourront être un jour suffisamment rentables pour intéresser des intervenants du secteur privé?

M. Vredenburg : Tout d'abord, si j'ai bien saisi, je ne pense pas que les laboratoires soient visés par le projet de loi.

Le président : Oui, tout est inclus.

Le sénateur Neufeld : Ils nous ont dit qu'on assurerait un traitement différent aux laboratoires.

Le président : Nous parlons ici du projet de loi, non pas des intentions ou des promesses du gouvernement.

M. Vredenburg : Permettez-moi donc de répondre à votre question directement. J'étudie les facteurs économiques. Lorsque le réacteur de Chalk River a cessé de fonctionner, il y a eu une pénurie marquée à l'échelle internationale. Tout cela m'indique, et il s'agit de questions économiques bien simples, que nous avons un bon marché à l'échelle internationale. C'est habituellement une très bonne chose. Vous voulez assurer un approvisionnement, et vous faites ce qui est nécessaire; si la demande existe, c'est un point positif.

Je ne connais pas tous les détails de cette opération, mais lorsque vous avez un marché tel qu'un marché international, je pense que c'est une proposition économique plutôt intéressante.

M. Shearer : En réponse à votre question j'aimerais faire deux commentaires. Tout d'abord, le modèle américain assure la gestion des laboratoires de recherche par le secteur privé. Dans certains cas, c'est un modèle qu'on pourrait utiliser ici. Certains seraient peut-être intéressés à assurer la gestion ou même le contrôle des laboratoires.

Cependant, même à l'université ou dans le secteur privé, il y a la recherche pure et la recherche commerciale. Certains aspects de la recherche pure portent sur la vision, ce qui pourrait être la fusion ou la prochaine génération de médecine nucléaire. Ce type de recherche doit être financé par le gouvernement. Et c'est une responsabilité qui ne saurait être assumée complètement par le secteur privé parce qu'on ne sait pas quand des résultats seront obtenus.

À cet égard, le secteur privé pourrait participer ou pourrait être intéressé aux laboratoires de recherche et c'est le paradoxe dont vous devez tenir compte lorsque vous parlez de la privatisation des laboratoires. Ils jouent tous des rôles différents, ils relèvent de diverses entités et ils ont besoin de ressources différentes et il pourrait y avoir conflit entre divers laboratoires.

Beaucoup d'éléments entrent en jeu dans ce genre de situation.

Le sénateur Finley : Merci. Bonjour. J'ai participé à la restructuration d'un bon nombre d'entreprises au cours de ma carrière. J'ai acheté certaines entreprises et j'ai créé des entreprises dérivées. Mais je n'aurais certainement jamais consulté tous les actionnaires avant d'agir. J'aurais peut-être parlé au conseil d'administration pour obtenir certains conseils. Vous ne pouvez pas négocier une entente en public.

Le projet de loi traite de cette question particulière. Mes collègues d'en face disent oui, cela donne au ministre des Finances le droit de vendre EACL, tout sans exception, comme l'a dit le sénateur Banks, il offre au ministre également d'autres options, comme les partenariats ou même les acquisitions. Cependant cela ne veut pas dire que c'est la fin du secteur nucléaire.

L'industrie nucléaire à l'échelle dont nous parlons, l'échelle internationale, est très proche c'est comme une famille; elle ne comporte pas des dizaines de milliers d'entreprises. Combien d'entreprises de sociétés ou d'autres entités pourraient acheter, devenir associé, ou fusionner avec EACL pour rendre cette proposition commercialement viable? Combien d'entreprises, soyons réalistes, dans le monde pourraient jouer ce rôle?

M. Shearer : Je vais essayer de répondre à votre intervention, sénateur. Je pense que cinq ou six entreprises pourraient intervenir. Vous avez posé une question importante. Il existe quelques entreprises nucléaires importantes. Il importe également de comprendre que ces grandes compagnies nucléaires ont déjà établi une chaîne d'approvisionnement qui est adaptée à leur propre technologie. Ainsi, lorsque vous étudiez la chaîne d'approvisionnement qui caractérise CANDU, cela n'est pas comme si vous construisiez une voiture où vous pouvez remplacer un outil par un autre. Il faut des pièces et des outils bien particuliers. Nombre de ces entreprises sont des petites entreprises qui ont déjà installé du matériel et de l'équipement très cher. De dire que vous pouvez aller tout simplement du jour au lendemain passer d'être fournisseur pour un secteur à un autre est faux. Il y a des obstacles.

Je crois qu'il s'agit d'un marché que l'Association des industries CANDU, AIC, ne saurait ignorer; ces chaînes d'approvisionnement existent dans ces pays et sont appuyées par cette infrastructure et financées par ces contribuables, et ils voudront certainement optimiser ou maximiser les avantages.

Il ne s'agit pas simplement de procéder à la transition d'une entité nucléaire comme EACL qui sera transférée à un partenaire étranger, mais il faut également l'accompagner de toute la chaîne d'approvisionnement. Nombre de ces emplois sont liés à cet ensemble. J'espère que cette réponse vous éclaire.

Le sénateur Finley : Oui. Si je voulais assurer la restructuration d'une entreprise, je chercherais un partenaire ou un plan d'affaires qui complète en quelque sorte mon entreprise, qui compense pour certaines des faiblesses et qui permet d'exploiter certains des atouts. Nous savons qu'EACL a une capacité de recherche et d'ingénierie exemplaire. Nous savons qu'EACL a un produit qui a fait ses preuves; tout au moins, c'est ce qu'on nous a dit. Nous savons également, cependant, qu'EACL est sous-financé et que certains éléments de sa gestion, tout particulièrement dans le secteur de la gestion des contrats, des projets et peut-être même des installations, ne sont pas tout à fait à la hauteur.

Combien d'entreprises dans le monde entier pourraient venir épauler EACL? L'argent, les investissements privés, ne suffiront pas à la tâche. Qui investira dans une entreprise qui, en dollars de 2009, a absorbé près de 22 milliards de dollars, y compris tous les revenus provenant de ses ventes? Ce montant vient s'ajouter à ces 22 milliards de dollars.

Vous aurez beaucoup de difficulté à obtenir les capitaux privés nécessaires à moins que vous ne puissiez présenter une analyse de rentabilisation solide. Je pose cette question à M. Shearer parce qu'il est dans le secteur — je ne dis pas que vous ne l'êtes pas, mais clairement c'est son domaine — il s'occupe de la préparation de bonnes analyses de rentabilisation pour les entreprises. Je n'investirais pas d'argent, vous non plus, comme particulier, même comme société, dans une entreprise qui n'offrira peut-être pas de rendement pour 15, 20, 25 ou même 30 ans.

Quel intérêt pourriez-vous susciter?

M. Shearer : Sénateur, je répondrai directement à votre question sans me pencher sur les antécédents. Si vous étudiez les services offerts par EACL et le potentiel de futurs contrats de remise à neuf, il pourrait s'agir là d'une entreprise très rentable. Mais si vous vous penchez plutôt sur la renaissance du secteur nucléaire et les besoins à venir pour l'énergie nucléaire, il faut quand même se pencher sur les projets qui ont eu lieu à l'extérieur du Canada; EACL les a construits en respectant les calendriers, les budgets et la rentabilité prévus, et la majorité des travaux associés à cette renaissance se déroulent à l'extérieur du Canada. Je crois qu'on peut présenter un dossier solide, si nous avons la bonne gestion et les bons investissements.

Il faut tout compte fait se poser les questions suivantes : quelles sont les dispositions et le plan de restructuration? Quelle est la nature de la coparticipation secteur privé-secteur public? Comment le financement se fait-il? Quelles sont les cibles? Quels sont les débouchés possibles?

Je reviens au cycle complet de combustible, les atouts du EC6, par exemple, et l'habilité d'établir des partenariats. Une des raisons pour lesquelles EACL s'est associée à Hitachi, c'est que l'on s'est inspiré des leçons que nous avons apprises et de nos technologies de construction et de modularisation, qui ont permis d'avoir des règles du jeu égales pour tous les intervenants à l'échelle internationale. Même lors de la conception d'ACR-1000, on a fait appel à la technologie de la modularisation.

Il faut donc se tourner vers l'avenir et ne pas se pencher sur le passé. Je me dois de rappeler encore une fois que ce montant de 22 milliards de dollars a été dépensé pendant une période de plus de 30 ans. J'aimerais rappeler que ces investissements ont été rentables parce qu'on parle ici de stabilité et de capacité de fabrication éprouvée pour l'Ontario. Je pense qu'on peut démontrer qu'avec le bon associé et la bonne discipline inspirées par le secteur privé, EACL peut être une entreprise qui réussira.

Le sénateur Finley : Je suis parfaitement d'accord avec vous. Cependant, je ne crois pas qu'il soit possible d'intégrer dans le projet de loi tout ce que vous venez de dire, toutes les options et combinaisons possibles.

M. Shearer : Puis-je dire quelque chose? Aucun projet de loi n'est parfait. Cependant, la consultation fait partie de la tradition canadienne. Elle fait partie du régime parlementaire. Ce n'est pas à moi de commenter cette question. Les spécialistes qui sont ici aujourd'hui sont mieux placés. Je m'en tiendrai à cela pour le moment.

M. Vredenburg : Je fais aussi partie d'un conseil d'administration d'une société pétrolière appelée Petrobank Energy and Resources Ltd. Nous développons présentement une nouvelle technologie. J'aimerais ici adopter le point de vue du contribuable canadien. Nous sommes des actionnaires d'EACL. J'aimerais trouver un partenaire qui nous aiderait à pénétrer ce nouveau marché qui, comme l'a indiqué M. Shearer, viendra compléter et protéger nos activités. Nous fournissons de la technologie à EACL, et nous avons un éventail de compétences et de capacités dans cette entreprise.

J'estime que trois types d'investisseurs pourraient être intéressés. Le premier est l'investisseur non interventionniste — les fonds de pension, les organisations de ce type — qui a cependant son mot à dire, qui inculque à la direction une certaine discipline de marché, et qui apporte du capital financier. Le second est l'investisseur qui connaît dans une certaine mesure l'entreprise et qui soutient et complète sa base de technologies et de capacités tout en étant disposé à investir à cet égard et à profiter des débouchés qui en découlent. Je ne vois aucun inconvénient à cela. Le troisième type d'investisseur peut s'intéresser à une entreprise afin de retirer du marché la technologie de cette dernière au profit de la sienne.

En tant qu'actionnaire d'EACL, j'aurais des craintes par rapport à cet investisseur. En tant qu'administrateur d'une entreprise privée, je craindrais qu'un concurrent vienne éliminer mon entreprise et sa technologie. Cela nous ramène à la question du contrôle. Figure-t-elle au projet de loi? Non. Mais je ne suis pas certain que c'est à moi, ou à vous, de commenter cette question.

Le président : Merci. Le chiffre de 22 milliards de dollars a-t-il été donné par les témoins? Monsieur Shearer, vous ne le contestez pas. Pouvez-vous nous confirmer ce chiffre?

M. Shearer : Non, je ne peux pas le confirmer. S'il s'agit d'une limite maximale, ce chiffre est acceptable, étant donné les retombées sur le plan de l'emploi et des autres choses que j'ai mentionnées.

Le président : Ne faudrait-il pas aussi tenir compte des actions ordinaires des actionnaires, de la propriété intellectuelle existante et de la somme consacrée à la recherche, aux activités commerciales et aux isotopes? Il ne suffit pas de simplement évoquer des chiffres.

M. Shearer : Je suis d'accord, mais je répondais seulement à la question.

Le président : Je me demandais si votre réponse était une confirmation.

Nous passons maintenant au sénateur Gerstein, le vice-président du comité, qui est à Toronto.

Le sénateur Gerstein : Merci, monsieur le président. Je remercie les témoins d'avoir accepté notre invitation.

Monsieur Vredenburg, selon un article paru dans le National Post en décembre 2009, vous avez dit qu'Ottawa devrait privatiser et restructurer EACL dès que possible. Je crois que cela ne fait pour nous aucun doute. Avez-vous déjà participé à une restructuration?

M. Vredenburg : Cela dépend de ce que vous voulez dire par restructuration.

Le sénateur Gerstein : En effet.

M. Vredenburg : Je fais partie du conseil d'administration d'une société de Calgary que nous avons restructurée. Nous avons procédé à un premier appel public à l'épargne, nous avons acquis d'autres compagnies privées et publiques et nous avons procédé à d'autres mesures. Je vous répondrai donc par l'affirmative.

Le sénateur Gerstein : Étant donné votre expérience, imaginons un scénario hypothétique. Vous représentez une grande université canadienne, l'Université de Calgary, qui compte probablement un département d'études énergétiques. Supposons que le recteur de l'université vous dise : « Monsieur Vredenburg, le département pose un grave problème. Il constitue un fardeau pour l'université. J'aimerais que vous examiniez une façon de le restructurer, peu importe la manière, pour que nous en fassions un chef de file national ou international. » S'il vous confiait cette tâche, tout en vous interdisant cependant de toucher au personnel ou à d'autres choses, accepteriez-vous?

M. Vredenburg : Non.

Le sénateur Gerstein : Voilà où je voulais en venir. Il s'agit d'une restructuration dont le ministre sera responsable. Ce qu'il dit essentiellement, c'est qu'une restructuration est impossible si elle ne touche pas à tous les éléments de l'organisme. Cela ne veut pas dire qu'on ne le fera pas, évidemment. Nous parlons tous ici de questions très importantes, comme l'éducation, la sécurité, le contrôle des dépenses, la responsabilité à l'égard des contribuables, les emplois et notre position future dans le monde. Ne croyez-vous pas que tout doit être sur la table avant que nous puissions établir le plan qu'il faut pour faire progresser cette grande institution?

M. Vredenburg : Je comprends ce que vous dites, mais je crois aussi que dans votre exemple, l'université pourrait très bien dire qu'il s'agit d'idéaux auxquels elle aspire. De même, dans le cas présent, le gouvernement pourrait faire valoir que l'organisme est important pour le pays et qu'il doit être préservé. Mis à part cette réserve, je répondrai que oui.

Le sénateur Gerstein : Il est toutefois important que nous envisagions toutes les options.

M. Vredenburg : Oui.

Le sénateur Hervieux-Payette : En réponse aux questions du sénateur Finley, vous avez parlé de gestion de contrat, d'investissement, et cetera. Nous devrions examiner les modèles qui pourraient protéger les intérêts des actionnaires canadiens parce que nous sommes tous actionnaires, tout en gardant le contrôle pour l'avenir.

Plus tard, après avoir réfléchi à la question, vous pourriez peut-être proposer au comité un modèle à étudier. Le sénateur Murray se rappellera peut-être que le gouvernement a privatisé la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, le CN. Or, le CN est une société américaine et il échappe au contrôle du Canada. Par ailleurs, son bilan en matière de sécurité n'est pas si reluisant, comme en témoignent les nombreux incidents qui se sont produits un peu partout. La société maximise cependant les profits pour ses actionnaires. On ne peut certainement pas dire qu'elle défend les intérêts des Canadiens.

Si EACL se trouve un partenaire, et compte tenu qu'il s'agit d'énergie nucléaire, comment pouvons-nous assurer la sûreté et la sécurité, deux questions qui comptent pour de nombreux Canadiens? Nous ne parlons pas ici d'une entreprise comme les autres, mais d'une entreprise où travaillent des personnes hautement qualifiées.

En principe, je ne suis pas contre toute forme de partenariat. J'aime l'idée de recourir aux investissements d'un fond de pension ou de l'industrie de la haute technologie. Ces secteurs devraient peut-être investir dans l'énergie nucléaire plutôt que dans les prêts hypothécaires à risque.

Monsieur Shearer, ma question s'adresse aussi à vous parce que vous pourriez devenir un partenaire. Hitachi n'est pas une petite entreprise, et on pourrait faire appel à elle. Quel rôle avez-vous joué en Chine? Quel modèle pourrions-nous examiner et, peut-être recommander au ministre? Selon le projet de loi, tout est possible, et le comité doit veiller à ce que tout se fasse pour servir au mieux les intérêts des actionnaires, c'est-à-dire, les contribuables canadiens.

M. Shearer : Parlons de sûreté et de sécurité. À l'heure actuelle, il y a peut-être 20 réacteurs CANDU en fonction en Ontario. C'est à Chalk River qu'on trouve la technologie et l'expertise technique relative à ces réacteurs. Il est important de maintenir l'investissement à Chalk River et de protéger la propriété intellectuelle afin de régler tout problème éventuel. Toute centrale ou installation, qu'elle soit nucléaire ou non, et qui est construite pour durer 30 ans ou plus exige des capacités techniques de premier rang. Il n'y a aucun doute qu'il serait difficile pour un organisme privé de prendre le relais à long terme.

En ce qui concerne le modèle, la partie commerciale d'EACL, que le gouvernement compte avec raison privatiser, a besoin d'une équipe de direction du secteur privé. Cette organisation devrait être en mesure de former un partenariat international avec un grand fournisseur de technologies. Ce modèle bénéficiera en bout de ligne à AECL, aussi bien à l'échelle nationale qu'à l'échelle internationale.

Il est important de comprendre que, même s'il existe bien des technologies sur le marché, certaines conviennent seulement à des secteurs précis étant donné la taille du réseau électrique, par exemple, l'application ou la disponibilité de l'uranium naturel par rapport au besoin en uranium enrichi, la création d'emplois à l'échelle locale, le sentiment nationaliste, et cetera. Un modèle qui unirait le gouvernement, le secteur privé et la chaîne d'approvisionnement serait un modèle gagnant.

Les Coréens en sont un bon exemple. Ils mettent l'accent sur la recherche et développement, la R-D, et leur gouvernement, de pair avec les fabricants, sont compétitifs à l'échelle mondiale.

M. Vredenburg : J'aimerais répondre à votre question.

Ce n'est pas seulement la propriété qui peut permettre au gouvernement d'atteindre ces objectifs en matière de sécurité et d'environnement, par exemple. Nous parlions de privatisation. Il faudrait probablement veiller en parallèle à maintenir un cadre réglementaire solide. C'est de cette façon qu'on règle ce genre de questions.

C'est non seulement au Canada, mais partout dans le monde, qu'on doit agir ainsi. Au fur et à mesure que le fonctionnement d'organismes et d'entreprises est confié au secteur privé, il faut veiller à atteindre les objectifs de politique publique grâce à la réglementation. Idéalement, les gens d'affaires devraient diriger les entreprises, et les gouvernements devraient les réglementer. Je ne saurais en aucun cas nier le besoin de réglementer strictement une industrie telle que l'énergie nucléaire. Je crois que le régime réglementaire en place dans l'industrie nucléaire est strict.

Le sénateur Hervieux-Payette : Vous travaillez à Suncor Energy Inc., et vous avez parlé de Pétro-Canada. Selon vous, combien d'argent les contribuables canadiens ont-ils investi dans les sables bitumineux, le développement de la plate-forme au large de Terre-Neuve-et-Labrador et d'autres types d'investissement pour faire grandir cette industrie qui, aujourd'hui, va tellement bien que vous avez décidé d'acquérir Pétro-Canada? Avez-vous une idée de l'ordre de grandeur? Combien de milliards de dollars les contribuables ont-ils investis dans cette entreprise?

M. Vredenburg : Désolé, je ne connais pas le chiffre.

Le sénateur Hervieux-Payette : Si je me souviens bien, Pétro-Canada a investi des milliards de dollars dans la plate- forme extracôtière.

Vous dites que Peter Lougheed était derrière le développement des sables bitumineux. Fort bien. Cependant, j'ai fait partie du gouvernement Trudeau, et je me souviens très bien que, grâce au prix pondéré, des fonds étaient consacrés au développement de la technologie servant à exploiter les sables bitumineux, et que cette technologie a évolué. Au début, toutefois, les deux prix établis pour la production d'un baril de pétrole, soit celui du pétrole léger et celui des sables bitumineux, étaient si différents que nous avons aidé à créer le secteur qui est aujourd'hui la pierre angulaire de notre industrie.

Nous sommes maintenant sur le point d'avoir une industrie florissante. Nous sommes partis de loin; rappelons-nous les incidents de Tchernobyl et de Three Mile Island. Dans les deux cas, il y avait des problèmes de sécurité et de gestion. C'est pourquoi je dis aujourd'hui que je ne crois pas qu'un organisme réglementaire peut faire le travail à lui seul.

Le gouvernement doit maintenir sa participation dans ce dossier. Cependant, s'il faut un partenaire pour aider à la commercialisation, croyez-vous que le modèle pourrait servir au mieux les intérêts de notre pays et mettre à profit ce que nous avons investi jusqu'à aujourd'hui?

M. Vredenburg : Si vous parlez du modèle de privatisation, je vous répondrai que oui.

Le sénateur Hervieux-Payette : Non, je vous parle de partenariat.

M. Vredenburg : Je crois que c'est une possibilité, en effet.

Le président : Merci. Nous passons maintenant au sénateur Peterson, de la Saskatchewan. On veut obtenir un réacteur en Saskatchewan.

Le sénateur Peterson : Merci, messieurs d'être ici ce matin. Depuis quelques années, EACL a beaucoup de mal à vendre ses réacteurs dans le monde entier.

Selon vous, où est le problème? S'agit-il du produit fini ou de l'incapacité d'établir un prix final ou une offre globale qui permet aux consommateurs de savoir ce qu'il obtient? Croyez-vous que le secteur privé pourrait amener les entreprises à se discipliner et à changer leur façon de faire?

Savez-vous à quel point le gouvernement français soutient AREVA pour lui permettre de vendre son produit dans le monde entier?

M. Shearer : D'abord, EACL a vendu environ neuf réacteurs à l'étranger, ce qui est plus que bien d'autres fournisseurs d'importance dans les dernières années. Il est important de le comprendre. Par exemple, aucune installation n'a été construite en Amérique du Nord depuis 30 ans. EACL, pour sa part, n'a pas cessé de construire : en Argentine, en Roumanie, en Chine et en Corée. Elle est demeurée active pendant cette période creuse.

Récemment, EACL travaille à se faire connaître dans le monde entier. À l'échelle internationale, les ventes d'installations nucléaires relèvent des gouvernements. Les gouvernements participent massivement à cette industrie. Il est important de le comprendre. La présence du gouvernement est nécessaire parce que les clients à qui vous vendez sont habituellement des gouvernements.

Le président : Monsieur Vredenburg, avez-vous quoi que ce soit à dire à ce sujet?

M. Vredenburg : Non.

Le président : Merci. Cela met fin à la première série de questions. Nous n'aurons malheureusement pas le temps de procéder à une deuxième série. Je m'en excuse auprès des sénateurs qui voulaient poser des questions. Nos témoins ont été très instructifs, et certains sénateurs seront déçus de ne pas avoir pu vous poser leurs questions. Cela dit, nous remercions les représentants d'Hitachi Canada ltée et de Suncor Energy Inc. d'avoir pu nous éclairer. Merci beaucoup.

Nous passons maintenant au deuxième groupe de témoins, qui s'exprimeront concernant la partie 18, l'une des 24 parties du projet de loi C-9. Il est aujourd'hui question d'EACL et des modifications proposées à la loi régissant cette société d'État.

Nous sommes heureux d'accueillir les docteurs Upper, Scharfstein, Driedger et Lamoureux.

Chacun de vous nous présentera un bref exposé, et nous passerons ensuite à la période des questions et réponses. Docteur Driedger, vous semblez prêt à prendre la parole.

Dr Al Driedger, département de médecine nucléaire, Centre des sciences de la santé de London : Monsieur le président, honorables sénateurs, merci.

Afin de dissiper tout doute quant aux conflits d'intérêts, je dirai d'entrée de jeu que je suis un médecin chercheur. J'ai un doctorat en médecine et un doctorat en recherche. Pour ce dernier, j'ai travaillé à Chalk River dans un secteur qui s'appelait à l'époque la biochimie, mais qu'on appellerait plutôt aujourd'hui la radiobiologie. J'ai passé environ cinq ans à Chalk River avant d'aller pratiquer la médecine nucléaire à London.

Vers le milieu de ma carrière, le bureau de Jake Epp m'a demandé de contribuer, avec d'autres personnes, à la vérification des dépenses annuelles d'EACL afin de déterminer si la société poursuivait de bons objectifs scientifiques. Pendant 13 ans, j'ai pris part à cet exercice et, parfois, en tant que président. Ce travail m'a permis de mieux connaître l'autre côté de la clôture, et j'ai moi-même joué des deux côtés tout au long de ma carrière.

Je tiens d'abord à vous dire que le secteur de la médecine nucléaire s'inquiète à propos de l'approvisionnement mondial en isotopes. La situation vécue depuis un an a laissé des marques, car il est parfois difficile de s'acquitter de la charge de travail.

De nos jours, la médecine est de nature moléculaire. Il suffit de jeter un coup d'œil à la liste des lauréats du prix Nobel de médecine : 43 des 50 derniers lauréats ont été récompensés pour le travail à l'échelle moléculaire. Or, les technologies qui permettent de faire ce travail ont absolument besoin d'isotopes. Nous vivons aujourd'hui une période de transition tumultueuse mais enthousiasmante : nous passons de la médecine nucléaire traditionnelle à ce que nous appelons l'imagerie moléculaire, qui nous permet d'utiliser l'information génétique et moléculaire pour concevoir des réactifs, des médicaments de diagnostic et des thérapies en fonction des besoins individuels du patient.

Par ailleurs, sachez que nous nous préoccupons de la sécurité de la chaîne d'approvisionnement. En tant que médecin, peu m'importe d'où viennent les isotopes; tant que nous pouvons en utiliser au besoin. Cette disponibilité est remise en question depuis un an. Nous avons vu à quel point l'approvisionnement mondial est fragile et limité. Il y a cinq grands fournisseurs et deux petits fournisseurs, mais les cinq principaux réacteurs ont entre 47 et 53 ans, et ils montrent leur âge. Il faut s'assurer que quelqu'un surveille l'approvisionnement en isotopes. Les Canadiens doivent avoir l'assurance qu'on dispose, au besoin, d'une quantité suffisante d'isotopes pour leur usage.

L'an dernier, le gouvernement du Canada a demandé à un comité d'experts de se pencher sur le dossier des isotopes. Le comité a recommandé vivement au gouvernement d'envisager la possibilité de financer la construction d'un nouveau réacteur de recherche polyvalent. Le silence du gouvernement à cet égard laisse entendre qu'il a rejeté la recommandation, mais tout n'a pas été dit.

Il faut que tous les intervenants canadiens qui ont un intérêt dans l'exploitation d'un réacteur de recherche unissent leurs efforts pour faire progresser ce dossier. Nous qui, dans notre coin, regardons à la dépense, ne pouvons pas à nous seuls faire valoir les besoins en isotopes.

Je m'intéresse aussi au modèle d'établissement des prix des isotopes. Lorsqu'il m'arrive d'être un patient, peu m'importe si les isotopes qui sont utilisés pour mes traitements ou mon diagnostic ont été payés grâce à une subvention pour le réacteur ou s'ils ont été payés au plein prix à l'hôpital. Dans l'un ou l'autre des cas, l'argent vient des poches des contribuables, et le prix devrait être le même. Il y a toutefois lieu de porter attention aux subventions lorsque nous exportons notre production excédentaire. Mais c'est une autre question.

En tant que société d'État, EACL a fait de très belles choses pour le Canada. Lorsque j'ai commencé à participer à ces activités, c'était un laboratoire national qui était l'un des endroits les plus stimulants parce que tous les chimistes, les physiciens, les mathématiciens et les biologistes qui s'intéressaient au secteur nucléaire s'y trouvaient. Nous étions 5 000 à repousser les limites de l'ignorance, et c'était formidable. Le mandat de la société a commencé à changer dans les années 1980, et EACL a été forcée de se concentrer de plus en plus sur les produits. Je tiens à rappeler qu'EACL a connu des réussites remarquables, dont celle du laboratoire national. Notre travail a notamment été couronné par l'octroi d'un Prix Nobel de physique.

L'unité de thérapie au cobalt, qui a été développée au Canada est un autre exemple de réussite. Bon nombre de nos parents et de nos grands-parents qui ont eu le cancer ont sans doute été traités grâce à la thérapie au cobalt développée à Chalk River. Aujourd'hui, ces unités ne sont plus utilisées parce que nous pouvons compter sur des accélérateurs linéaires plus chers et plus perfectionnés. Je peux cependant vous dire que, depuis au moins 10 ans, je passe un mois par année au Yémen. On y trouve une unité de thérapie au cobalt qui a été construite au Canada et qui permet de traiter les personnes atteintes de cancer. Le fonctionnement de l'unité est assez simple : on n'a pas besoin d'ingénieurs titulaires d'un doctorat pour faire la dosimétrie. L'unité fonctionne bien. Elle permet de soulager et de réconforter les gens.

EACL a remporté de nombreux succès. On a pourtant bradé et oublié ses forces. La technologie d'accélérateur a été vendue, et nous l'avons oublié. La technologie d'irradiation des aliments ne semblait n'avoir aucun avenir au Canada; on s'en est débarrassé. On a aussi bradé les isotopes. EACL a toujours l'air d'une société perdante qui ne fait rien de bon, mais tous ces résultats ont été récupérés par le secteur privé. En tant qu'incubateur, EACL a été très utile.

Je crois que j'ai utilisé tout mon temps.

Le président : Merci. Le Dr Driedger travaille au département de médecine nucléaire du Centre des sciences de la santé de London.

Qui aimerait maintenant prendre la parole?

Docteur Scharfstein, nous vous remercions de votre présence. Le Dr Briane Scharfstein est le secrétaire général associé de l'Association médicale canadienne.

Dr Briane Scharfstein, secrétaire général associé, Association médicale canadienne : Je vous remercie de votre invitation. Il peut sembler étrange qu'un représentant de l'Association médicale canadienne comparaisse devant le Comité des finances. Mais ce n'est peut-être pas si étrange. Je parlerai d'isotopes.

En fait, avant 2007, notre association n'était pas particulièrement engagée dans ce dossier. Les deux arrêts importants du réacteur nous ont cependant amenés à jouer un rôle de premier plan.

Nous vous avons laissé une trousse d'information. Vous y trouverez des renseignements supplémentaires sur la question. Pour gagner du temps, je me limiterai à mettre en lumière les quelques points qui, selon moi, vous aideront dans votre réflexion sur la privatisation possible d'EACL.

Tout d'abord, il faut souligner que cette question est liée étroitement à la santé et aux soins de santé. C'est notre point de vue. Après le premier arrêt imprévu en décembre 2007, on nous a invités, de concert avec des spécialistes de la médecine nucléaire et d'autres intervenants, à faire partie d'un groupe consultatif d'experts chargé d'aider à la gestion de la première crise. Malheureusement, le groupe a continué à tenir des réunions. Je dis « malheureusement » parce que nous espérions que, grâce aux leçons retenues de la première crise, nous aurions pu mettre en place des stratégies permettant d'éviter la situation actuelle.

Malheureusement, nous sommes maintenant plongés dans une deuxième série d'incidents qui ont entraîné une autre grave pénurie d'isotopes que nous gérons depuis plus d'un an.

Au cours de cette période, une fois la première crise passée, le groupe d'experts a formulé une série de recommandations que vous trouverez dans la trousse d'information. Ces recommandations s'appuient sur les leçons retenues et proposent des façons d'éviter que se reproduisent une situation semblable.

Je signale que les recommandations touchent sept secteurs, dont bon nombre ont fait l'objet de mesures. Sachez que beaucoup de travail a été fait. On a notamment investi dans la recherche et améliorer la communication en vue de gérer les pénuries imprévues. Nous continuons également à collaborer étroitement avec nos collègues du gouvernement et du secteur de la médecine nucléaire à cet égard.

Il y a cependant un secteur où bien peu de choses ont été faites, et c'est la raison pour laquelle nous sommes ici aujourd'hui. Nous avons souligné le besoin de minimiser les interruptions futures afin de garantir un approvisionnement en isotopes plus sûr et de satisfaire les besoins médicaux des Canadiens. Les recommandations que le groupe d'experts avait formulées à ce sujet n'ont pas reçu toute l'attention qu'elles méritaient.

Après la publication des recommandations fondées sur les leçons retenues, il a fallu procéder à un autre arrêt imprévu du réacteur, lequel a duré plus d'un an. Durant cette période, nous avons continué à essayer de gérer la pénurie du mieux que nous le pouvions. Nous sommes cependant un peu étonnés du peu d'attention que le public a accordé à ce dossier, étant donné son importance et le fait que la pénurie compromet la santé de bien des Canadiens. Cela s'explique probablement par le fait qu'il n'y a pas eu d'incident unique, imprévu et grave qui aurait pu attirer l'attention.

Dans l'ensemble du secteur et des installations de médecine nucléaire du Canada, la gestion se fait toujours efficacement. Une étude récente de l'Institut canadien d'information sur la santé montre que le nombre d'études diminue et que le coût des études augmente sans qu'on trouve de solution à la croissance des coûts. Nous estimons que la prestation de soins de santé aux Canadiens est compromise, mais que nous continuons de nous en tirer. C'est parce qu'elle dure depuis un bon moment que la pénurie n'a pas reçu toute l'attention qu'elle mérite.

Enfin, compte tenu du scénario que je viens de décrire, le gouvernement a chargé un groupe de travail indépendant composé d'experts, qui a reçu tout notre appui, d'étudier la question et de trouver des solutions fiables à moyen et long terme. Nous attendions la sortie du rapport avec une certaine dose d'espoir. Lorsque le rapport a été rendu public, nous avons accueilli assez positivement beaucoup de recommandations et avons attendu la réponse du gouvernement. Nous avons été en quelque sorte surpris et un peu déçus de cette réponse. Il va s'en dire que nous appuyons chaudement l'investissement dans la recherche pour trouver des technologies de remplacement aux isotopes médicaux.

Lorsque je parle de la principale recommandation que nous avions formulée à l'origine, je répète que je ne suis pas un expert, comme le Dr Driedger. Je parle au nom de mes collègues en médecine nucléaire qui font partie du comité consultatif et en tant que médecin canadien.

Nous continuons d'être grandement préoccupés par le fait que le gouvernement a rejeté la recommandation du groupe de travail selon laquelle le Canada devrait continuer d'investir dans un réacteur dédié à la recherche et à la production d'isotopes. Nous nous préoccupons qu'EACL soit cédée d'une façon ou d'une autre, sans la participation active du gouvernement, car il est probable que les investissements et l'entretien continus du réacteur de recherche puissent être gravement réduits. Beaucoup d'espoirs sont fondés dans les technologies et installations de production de rechange, comme les cyclotrons, mais leur fiabilité n'est toujours pas confirmée. Nous espérons cependant que ce sera le cas. Il ne fait aucun doute que nous sommes exactement du même avis que le Dr Driedger, c'est-à-dire que savoir qui est propriétaire de quoi ou la façon la plus efficace et rentable de produire des isotopes ne nous pose pas problème. Ce qui nous préoccupe beaucoup, c'est la protection de la santé et le maintien de la production d'isotopes.

Notre forte dépendance aux isotopes constitue le cœur de la question. Nous estimons qu'il serait inapproprié de se retirer de ce domaine sans qu'il n'y ait de solution de rechange viable en place. Lorsque le gouvernement a annoncé sa décision de se retirer de ce domaine, nous avons essentiellement craint ce type de conséquence net.

Au nombre des recommandations que nous avons formulées récemment, certaines portent sur une amélioration de la gestion de tout ce domaine d'activité. Vous serez vous-mêmes en mesure de consulter ces recommandations. Enfin, j'aimerais conclure en abordant ma principale préoccupation : nous devons faire davantage pour assurer un approvisionnement adéquat en isotopes, en particulier à court et à moyen terme.

Dans notre dernier argument, nous avons dit que nous n'avions pas beaucoup d'exemples, du moins à ma connaissance, de domaines dans lesquels le Canada est un chef de file incontesté en matière de technologie et de recherche et développement. Or, il s'agit là d'un domaine qui peut servir d'excellent exemple. Dès le départ, nous avons été fortement préoccupés, car nous craignions que le Canada ne renonce à son meilleur exemple de leadership en innovation et en technologie, tout en renonçant à une responsabilité gouvernementale, celle de continuer à répondre aux besoins en matière de soins de santé des Canadiens.

Ce sont là nos principales préoccupations. Nous serons ravis de répondre à vos questions au sujet de l'avenir du réacteur de Chalk River ou d'EACL, car ces deux points sont intimement liés aux décisions qui sont prises et aux préoccupations soulevées.

Je vous remercie de m'avoir invité aujourd'hui et je répondrai volontiers à vos questions.

Le président : Merci pour votre exposé. Docteur Lamoureux, allez-y.

[Français]

Dr François Lamoureux, président, Association des médecins spécialistes en médecine nucléaire du Québec : Monsieur le président, j'apprécie beaucoup votre invitation à comparaître devant votre comité. Je suis le président de l'Association québécoise des médecins spécialistes en médecine nucléaire du Québec. Je parle aussi au nom de l'Association canadienne de médecine nucléaire, qui regroupe la plupart des médecins spécialistes en médecine nucléaire à travers le Canada.

L'utilisation d'isotopes médicaux est extrêmement importante dans le monde. Plus de 80 pays font annuellement autour 20 millions d'examens de médecine nucléaire et le Canada procède à près de 15 000 examens par semaine. C'est un domaine extrêmement important et utilisé, et qui a des impacts très sérieux pour les malades au Canada et dans d'autres pays.

Par exemple, au Canada il y a 5 000 nouveaux cas de cancer de la thyroïde, la plupart du temps chez de jeunes personnes. Et lorsque ces types de cancer sont bien traités, on peut les guérir presqu'à 100 p. 100 des cas et les gens vont toujours être vivants 30 ans ou 40 ans plus tard. Mais pour guérir, il faut qu'ils subissent une chirurgie adéquate au début. Par la suite, il faut utiliser des isotopes radioactifs, qui sont produits exclusivement dans un réacteur nucléaire comme celui de Chalk River afin qu'on puisse traiter ces personnes pour les implantations des métastases à distance.

Quand on nous a annoncé il y a deux ans qu'on abandonnait ce secteur, il y a eu une panique chez beaucoup de nos malades qui croyaient qu'ils seraient privés de ce type de traitement. Malheureusement, une femme sur neuf au Canada souffrira d'un cancer du sein et, habituellement, lorsqu'on détecte cette pathologie, il faut faire une chirurgie au niveau de la glande mammaire, mais aussi faire ce qu'on appelle un évidement ganglionnaire, enlever les ganglions qui pourraient être atteints de façon précoce et ainsi sauver la vie de la personne.

Ce qu'on fait actuellement en médecine nucléaire à l'aide de l'isotope produit dans un réacteur nucléaire, le technétium, on injecte le pourtour de la tumeur chez la femme et on détecte le premier ganglion le plus près et on l'étudie en pathologie pendant que la personne est sur la table d'anesthésie. Et si le ganglion n'est pas positif, le chirurgien va faire une simple chirurgie, il va éliminer la tumeur sans être obligé de faire une chirurgie mutilante.

Et sans l'apport du technétium, nous retournons comme il y a 20 ans, où chaque femme chez qui on détectait une tumeur du sein, on lui enlevait tout le sein et on faisait un évidement ganglionnaire. C'était une mutilation extrêmement importante. Le technétium est également utilisé pour la recherche des saignements. En somme, beaucoup de techniques en médecine nucléaire ne peuvent être remplacées par d'autres.

D'autres techniques existent, que ce soit la résonance magnétique, le CT-scan ou l'ultrason. Elles sont fabuleuses, mais ce sont des techniques anatomiques qui mettent en évidence la forme, l'anatomie. La médecine nucléaire, en utilisant des traceurs non identifiés comme des substances étrangères dans le corps humain, permet aux médecins nucléistes de détecter des pathologies extrêmement précocement, parfois même jusqu'à deux ans avant les manifestations symptomatologiques ou encore anatomiques. Elle permet une approche thérapeutique offrant aux malades — une personne sur deux aura un cancer — une chance de survie et de guérison dans plus de la moitié des cas.

Comme mes collègues l'ont mentionné avant moi, il s'agit d'une immense préoccupation pour nous, mais cela l'est encore davantage pour les malades qui pourraient être privés de cette technologie.

Nous nous déplaçons souvent à l'extérieur du pays, puisque la médecine nucléaire est assez limitée comme groupe, et on nous interroge continuellement sur la situation au Canada. Nous sommes considérés comme des leaders dans ce domaine, ceux qui ont le plus de connaissance, ceux qui ont développé le plus d'expertise dans ce domaine, et le gens se demandent pourquoi nous abandonnons. Je regrette énormément de le dire, mais je réponds que c'est notre gouvernement, pour le moment, qui est mal conseillé dans ce domaine des isotopes médicaux.

Je crois que le Canada a une responsabilité sociale dans ce domaine. Certains se demanderont pourquoi les autres pays n'ont pas suivi le pas. Je vous répondrai que c'est parce que tous les autres pays, y compris les États-Unis, étaient convaincus que le Canada était hautement dominant dans ce secteur. Et c'est la vérité, il produisait plus de la moitié des tous les isotopes dans le monde entier. De plus, il y a dix ans, il avait promis au monde entier qu'il mettrait en marche deux nouveaux réacteurs, soit le Maple 1 et le Maple 2, et qu'ils seraient suffisants pour couvrir 150 p. 100 des besoins potentiels des isotopes du molybdène dans le monde.

Nous vivons une situation tragique et il était important pour nous, ce matin, de sensibiliser les sénateurs, ceux qui représentent notre pays, pour nous assurer que notre pays continuera à assumer sa responsabilité et aussi de mettre au service, non seulement des malades canadiens mais ceux du reste du monde aussi, son expertise dans ce domaine. Nous avons mis 50 ans à bâtir une telle industrie. Je pense que si un pays veut avoir un futur, il faut qu'il investisse dans ces connaissances.

En terminant, je tiens à ce que vous sachiez qu'un réacteur nucléaire comme celui de Chalk River produit non seulement des isotopes médicaux, mais il est essentiel pour la recherche médicale et industrielle.

[Traduction]

Dr Boyd Upper, ancien président, Associated Medical Services, à titre personnel : Merci monsieur le président de l'occasion qui m'est donnée de m'adresser au comité. Tout d'abord, j'ai été l'un des dirigeants du MDS Health Group Ltd pendant 21 ans, avant de prendre ma retraite. MDS est une entreprise qui exploite la société MDS Nordion qui distribue les radio-isotopes. Je ne suis pas ici aujourd'hui pour discuter des radio-isotopes ou du dilemme dans lequel nous place l'échec d'EACL à développer des réacteurs MAPLE. Je veux parler de manière générale de l'analyse de rentabilisation d'EACL.

J'espère que le comité recommandera au gouvernement de conserver EACL en totalité ou presque. Je vous recommande également de donner l'ordre au gouvernement d'avancer à EACL le capital nécessaire pour passer à la prochaine phase de développement du CANDU, le réacteur CANDU avancé 1000, aussi appelé l'ACR 1000. J'aimerais également que vous recommandiez au gouvernement que la bonne réputation du Canada à l'échelle internationale s'inscrive dans le cadre d'un programme de marketing de notre industrie nucléaire auprès de gouvernements étrangers. On vous a dit plus tôt que l'industrie nucléaire, la production de matériaux nucléaires ainsi que la distribution et la consommation sont dans une large mesure de ressort gouvernemental.

Avant d'aborder la question d'EACL, j'aimerais vous donner un exemple de ce qui s'est produit il y a plusieurs années dans le cadre d'une initiative du domaine de la haute technologie qui avait été financée en grande partie par le gouvernement. Vous vous rappellerez de l'aéronef Avro Arrow. Des millions de dollars ont été dépensés dans la mise au point du chasseur à réaction le plus avancé au monde et dans la production du premier plus grand avion à réaction commercial au monde. Le Canada avait formé une équipe de chercheurs composée également d'ingénieurs et de techniciens pour aboutir à ce qui était à l'époque une percée retentissante. Ces aéronefs conçus et construits au Canada se sont avérés être une réussite.

Un jour, le gouvernement a annoncé la fin du programme ainsi que le démantèlement des avions. L'équipe de chercheurs a été absorbée par la NASA, des emplois ont été perdus et la réputation du Canada dans le milieu scientifique a été ternie. Les chercheurs et les techniciens qui se sont rendus à Houston ont contribué à envoyer un astronaute sur la lune neuf ans plus tard. Après l'annulation du projet de chasseur à réaction, le projet d'avion à réaction commercial a pâti également parce qu'il n'y avait ni personnel ni soutien ni science pour l'appuyer.

La fin du projet Arrow a-t-elle été une bonne chose pour le Canada? Je ne crois pas. Cette annulation a-t-elle permis à notre milieu scientifique de progresser et aux étudiants de s'intéresser à des carrières de haut niveau en science et technologie? Non, du tout. Cela les a plutôt découragés. Cela a-t-il permis de renforcer notre réputation internationale en tant que pays qui mène à bien ses projets novateurs? Non, du tout.

Pour ce qui est d'EACL, je crois que l'histoire se répète aujourd'hui.

En 1952, Énergie atomique du Canada Limitée, EACL, a été créée à titre de laboratoire de recherche à Chalk River. Cette installation constituait l'une des étoiles les plus brillantes au firmament de la science, et elle l'est toujours. Des gens de partout au monde y venaient pour travailler, étudier et apprendre. Cette installation a permis d'accroître la réputation du Canada à l'échelle internationale. En 1970, huit réacteurs de 500 mégawatts ont été construits à Pickering et la plupart d'entre eux sont toujours en activité. Dix ans plus tard, les réacteurs de 800 mégawatts de la centrale nucléaire de Bruce sont entrés en activité, de même que les réacteurs de 900 mégawatts de Darlington 10 ans plus tard. Lorsqu'on passe de 500 mégawatts à 800 et enfin 900 dans le domaine nucléaire, c'est qu'on est en train d'inventer un tout nouvel appareil.

Le réacteur ACR 1000 CANDU devait passer à la prochaine étape, mais son évolution a été freinée pendant 10 ans parce que l'intérêt que lui portait le gouvernement s'est évaporé. Je ne vois pas comment le gouvernement peut perdre son enthousiasme pour le développement d'une technologie aussi caractéristique de la réussite du Canada dans le monde de la haute technologie.

Les autres témoins vous ont dit plus tôt à quel point la contribution d'EACL s'était avérée utile. Ce matin, vous avez entendu dire qu'EACL est l'une des rares sociétés au monde qui peut concevoir, fabriquer, assembler et entretenir des réacteurs nucléaires à l'échelle internationale et qu'il s'agit de la seule société ayant réussi à fabriquer des réacteurs nucléaires dans les limites des échéanciers et des budgets à l'étranger au cours des 10 dernières années. Ce bilan doit être appuyé, et non pas écarté.

Au cours des trois dernières années, les efforts d'EACL sont demeurés au point mort pour ce qui est de trouver de nouveaux marchés à l'étranger et de nouveaux clients parce que le gouvernement est tout simplement indécis, car il ne sait pas ce qu'il va faire d'EACL ni de l'orientation qu'il adoptera. Cette incertitude s'est traduite par une réticence de la part des clients à négocier avec EACL en raison de l'incertitude entourant l'avenir de ce projet.

Ce projet de loi a été rédigé essentiellement pour se débarrasser d'EACL, en tout ou en partie. Ce matin, d'autres témoins vous ont indiqué que le fait de séparer le laboratoire de Chalk River des autres activités de fabrication et de commercialisation n'est pas une bonne chose à faire du point de vue scientifique parce que l'entretien et l'exploitation de réacteurs nucléaires dépend du cadre scientifique de Chalk River en ce qui a trait à l'entretien, à la modification et au développement de nouvelles technologies.

Lorsqu'il est question d'une vente partielle, quels actifs seraient vendus? On vous a dit que le réacteur de Chalk River est un échec sur le plan commercial. Sa survie dépend du soutien du gouvernement. Or, il s'agit du réacteur qui produit des radio-isotopes. La réputation du Canada à l'échelle internationale à titre de producteur et de fournisseur de radio-isotopes est une énorme source de fierté qui ne doit pas nous échapper.

Je suis d'avis qu'EACL a ses imperfections. L'entreprise a besoin d'une gestion différente qui soit davantage axée sur l'aspect commercial pour réussir dans le monde de l'électricité. Il faut qu'il y ait une meilleure commercialisation. Le gouvernement se doit d'appuyer cette commercialisation. Par exemple, le président Sarkozy est le meilleur directeur des ventes qui soit pour AREVA. Partout où il va, il fait de la promotion pour AREVA et déclare « Achetez nos réacteurs ». À quand remonte la dernière fois où un haut fonctionnaire du gouvernement du Canada s'est rendu à l'étranger et a déclaré « Achetez notre réacteur CANDU »? Cela ne s'est pas produit depuis le voyage en Chine.

À l'heure actuelle, les grands enjeux de la planète sont le développement énergétique et l'environnement. L'énergie nucléaire est l'une des principales solutions aux besoins énergétiques des marchés émergents de l'Asie et du tiers monde en général. De plus, le nucléaire représente manifestement l'une des principales solutions au problème des changements climatiques et du réchauffement de la planète car sa production n'émet aucun CO2 ni de polluants toxiques.

Une société de l'envergure d'EACL a d'importantes ramifications dans le milieu universitaire et estudiantin. Si cette entreprise disparaît, où iront nos étudiants? Ils iront en France, au Japon ou aux États-Unis. Pourquoi n'y a-t-il pas de Canadiens travaillant au Canada pour une entreprise dont le siège social est au Canada et dont la mission est canadienne? Voilà ce dont nous avons besoin.

Quant à moi, je voudrais que le comité dise au gouvernement de conserver EACL dans sa totalité et qu'il avance le capital nécessaire pour passer à la prochaine étape dans l'évolution du réacteur CANDU avancée, de façon à se doter d'un modèle de démonstration pouvant être vendu au reste du monde. Le gouvernement devrait miser sur la bonne réputation du Canada à l'échelle internationale pour dire aux clients : « Vous pouvez acheter un réacteur CANDU, c'est sûr, solide et efficace ».

L'année dernière, les réacteurs CANDU étaient au nombre des quatre meilleurs réacteurs au monde sur 440 grâce à leur efficacité. Nous avons une belle histoire à raconter, et j'espère que nous n'allons pas la mettre de côté ou l'oublier.

Le président : Merci, docteur Upper.

Le sénateur Finley : C'était un discours très passionné. Des témoins provenant de l'industrie ont parlé plus tôt d'un ensemble de scénarios qui, espérons-le, nous permettraient de concrétiser vos souhaits. Je déteste jouer la carte de l'argent, mais l'aspect financier est certainement un facteur très important. Le problème des gouvernements — quel que soit le parti au pouvoir, je ne parle pas seulement des conservateurs — c'est de déterminer quand trop d'argent a été dépensé.

Tout un ensemble de considérations sont aussi en jeu, par exemple l'aspect national et éducatif, mais jusqu'à présent, en dollars réels, nous avons dépensé près de 22 milliards de dollars. L'entreprise a tout de même un manque à gagner de 4 milliards de dollars. Vous vous exprimez passionnément, mais en fait, vous parlez d'un chèque en blanc pour qu'il y ait davantage de développement et d'investissement.

À quel moment précis, ou peut-être qu'il n'y en a pas, selon vous, devons-nous mettre fin à cela, pour ce qui est de l'économie canadienne? Quand allons-nous dire que ça ne peut plus continuer. Il y a tant d'autres choses que nous devons faire en tant que pays : notre déficit d'infrastructures est immense; nos coûts pour les services médicaux sont faramineux; et il nous faut reconstruire les forces armées. Le Canada a tant de priorités, celle-ci n'en est qu'une.

Quel montant doit-on inscrire sur le chèque? Y a-t-il une limite?

Dr Upper : Je crois que c'est prévisible. Il faudra un minimum de 400 milliards de dollars selon les chiffres les plus récents que j'ai vus en ce qui a trait aux besoins énergétiques du monde au cours des 15 ou 20 prochaines années dans le domaine du nouveau nucléaire. Si le Canada pouvait compter sur une petite proportion même de ce montant, alors EACL serait rentable selon moi. L'agence a eu du succès dans la construction de réacteurs nucléaires en Argentine, en Roumanie, en Corée du Sud et en Chine, elle l'a fait en respectant les délais et les budgets. Elle peut faire un profit.

Nous savons que nous sommes exclus du marché américain puisque seulement GE et Westinghouse peuvent construire aux États-Unis. Nous n'avons pas accès au marché français puisque seulement AREVA peut construire en France. Mais il existe d'autres marchés, par exemple en Chine, en Inde et ailleurs, et dans bien d'autres pays du tiers monde. Si nous sommes enthousiastes et prêts à y travailler, ça peut être un succès commercial.

Le sénateur Finley : Quand vous parlez de 400 milliards de dollars, vous voulez dire le montant net excluant les marchés américain et français? À l'extérieur de ces marchés?

Dr Upper : Non. Le marché américain sera en partie un marché de nouvelles constructions, mais en grande partie au cours d'un avenir rapproché il s'agira de remettre en état ou de moderniser près de 80 p. 100 des réacteurs qu'ils ont construits avant Three Mile Island.

Le sénateur Finley : Vous avez parlé d'un petit pourcentage des 400 milliards de dollars en chiffre d'affaires au cours des quelques prochaines années; même un petit pourcentage, 10 ou 20 p. 100.

Dr Upper : Dix pour cent représente 40 milliards de dollars.

Le sénateur Finley : Oui. Le rendement réel là-dessus — je ne sais pas quelles sont les marges bénéficiaires dans le domaine de la construction de réacteurs nucléaires, je l'admets — représente vraiment très peu par rapport à ce que nous avons déjà investi et ce qu'il faudra encore que nous investissions pour réaliser un rendement. Je parle en termes financiers, et soyons clairs, je ne parle pas de toutes les autres retombées. Je comprends à 100 p. 100 les préoccupations en matière d'isotopes et de technologie et cetera. Je crois que tout le monde autour de cette table serait ravi de pouvoir dire « eurêka » et que tout puisse être réglé et fonctionne. Je crois que le gouvernement et d'autres parties s'engageraient s'il y avait un plan sensé ou à moitié logique pour les 20 ou 25 prochaines années. L'objectif de ce projet de loi en partie est de trouver une façon de le faire parce qu'actuellement le contribuable canadien en pâtirait.

Dr Driedger : J'aimerais que l'on puisse couvrir une partie de ces 22 milliards de dollars. Il faut se souvenir qu'au cours des quelques premières décennies de l'existence des installations à Chalk River, il existait une grande composante de recherche dans le domaine de la défense, ce qui devrait probablement être soustrait du montant total. Je ne sais pas combien de milliards de dollars ont été investis dans ce domaine, mais je sais que cela représentait beaucoup d'argent et que cela figurait en grande partie dans la construction du réacteur national de recherche universel, le NRU.

Pour ce qui est de l'avenir, la question est de savoir ce que l'on veut vendre. Je ne crois qu'on puisse se départir du site de Chalk River parce que, au début, on ne se préoccupait pas trop de l'évacuation des déchets. À l'époque on faisait brûler nos déchets dans des barils à l'arrière de la propriété chaque semaine, et c'est cette même approche que l'on utilisait à Chalk River. On emportait les déchets radioactifs au-delà d'une colline et une barrière a été construite tout autour, pour qu'on y réfléchisse une fois que l'on avait gagné la guerre. En tant que citoyens canadiens il nous incombe d'être responsables de ce qui s'y trouve. Remettre cette responsabilité à un groupe de gestion non gouvernemental, peut-être même pas canadien, me préoccuperait et nous préoccuperait tous grandement. Beaucoup de facteurs entrent en jeu. Nous allons continuer à dépenser pour ça puisqu'il faudra payer ou bien pour certains services ou maintenir une compagnie là-bas pour qu'elle s'en occupe. Cela dit, il existe d'excellentes installations de recherche sur le site.

Le sénateur Ringuette : Ma première question s'adresse à l'Association médicale canadienne, l'AMC. Docteur Scharfstein, vous avez fourni une copie d'une lettre datée du 10 février 2010 que vous avez envoyée au ministre Paradis, ministre responsable d'EACL. Vous avez fait état de plusieurs bonnes suggestions et observations, vous avez aussi exprimé de graves préoccupations reliées à la réduction des tests de dépistage du cancer à cause de l'approvisionnement en isotopes qui a diminué de 20 p. 100 et se trouve actuellement à 25 p. 100. Est-ce que votre association a reçu une réponse du ministre?

Dr Scharfstein : Non, nous n'avons pas reçu de réponse. Nous attendons toujours. Nous songeons à réécrire au ministre Paradis et au ministre de la Santé, nous voulons réaffirmer ces préoccupations et en rajouter d'autres. Comme vous l'avez dit, au mois de février nous avons fait part de nos préoccupations et suggestions, nous avons aussi fait de même lorsqu'il était question que le gouvernement vende EACL et lorsqu'il a refusé d'accepter la recommandation de son propre groupe d'experts indiquant qu'il fallait continuer à investir dans la recherche et dans un réacteur produisant des isotopes. Nous allons reparler au ministre de cette préoccupation.

Le sénateur Ringuette : Vous et votre association avez exprimé de graves préoccupations pour ce qui est de la santé des Canadiens, des diagnostics dans le domaine du cancer, et pourtant voilà cinq mois que vous attendez une réponse du ministre. C'est une honte. En tant que Canadienne, je crois que c'est inacceptable. Au lieu de répondre à vos préoccupations, le gouvernement a proposé dans ce projet de loi omnibus, le projet de loi C-9, la vente d'EACL en entier, ou en partie, ce qui comprend Chalk River et la production d'isotopes.

Je mentionnerai la réunion de vendredi dernier lorsque le ministre des Finances a comparu devant notre comité. Le ministre Flaherty nous a dit que les installations à Chalk River étaient coûteuses. Mais quel serait le coût médical dû au fait de ne pas fournir aux Canadiens un approvisionnement en isotopes médicaux? Comme l'a dit le sénateur Finley, quand peut-on dire que trop c'est trop, surtout quand nous n'avons plus les outils diagnostics nécessaires pour traiter des patients?

Dr Scharfstein : Tout à fait, je partage votre opinion et vous rejoins dans vos questions.

Nous ne prétendons pas être experts pour ce qui est de l'aspect financier commercial ou pour ce qui est des ententes internationales conclues dans le domaine de l'industrie nucléaire ou du commerce en isotopes. Cependant, nous croyons que le comité pourrait vouloir exiger un engagement plus fort de la part du gouvernement et recommander au gouvernement qu'il s'engage davantage pour s'assurer de ne pas mettre en péril certaines questions de santé qui pourraient se produire si nous n'avons pas de garantie dans ce domaine. Il pourrait s'agir d'une série de recommandations de votre part, en particulier un engagement en ce qui a trait au réacteur et à d'autres techniques d'atténuation.

Que l'industrie nucléaire soit privée ou publique, la santé et les coûts afférents restent une responsabilité publique. Il y a la question de compromettre les soins de santé mais il y a aussi le coût additionnel de technologies de rechange qui pourrait s'avérer encore plus élevé. Donc jusqu'à ce que nous ayons des solutions de rechange à la production actuelle d'isotopes et qui soient garanties, mises à l'épreuve et véritables, nous croyons qu'au minimum le gouvernement doit s'engager à maintenir les installations à Chalk River dont la fermeture est prévue pour 2016.

On prend pour acquis qu'il existera des solutions de rechange grâce à des ententes internationales ou d'autres installations de production au Canada. Rien de cela n'est garanti. Nous vous exhortons à exiger que l'on maintienne notre engagement jusqu'à ce que ces autres technologies s'avèrent efficaces de même que d'autres technologies telles que la tomographie par émission de positrons, ou la TEP où l'on peut dire que nos capacités font cruellement défaut.

Le sénateur Ringuette : Vous recommandez que l'on modifie le projet de loi C-9 pour exclure la vente de Chalk River.

Dr Scharfstein : Oui.

Le sénateur Marshall : J'aimerais poser une question à celui qui veut y répondre. Je m'intéresse à l'approvisionnement en isotopes. En fonction des témoignages que nous avons entendus aujourd'hui, y compris ceux des responsables d'EACL, il me semble que bien qu'ils aient connu du succès par le passé, ils ont maintenant du mal à livrer leurs projets dans les limites des échéanciers et des budgets.

Quand ils ont dû mettre fin à la production d'isotopes, un débat public a fait rage. La population a probablement perdu en partie confiance en EACL. Si je comprends bien les installations à Chalk River devraient bientôt être remises en service et nous nous attendons à ce que la production d'isotopes recommence. Cependant, nous ne savons toujours pas s'ils réussiront à respecter le prochain délai. Pouvez-vous nous parler de ce manque de confiance, si c'est bien ça qui se passe, en la capacité d'EACL de livrer la marchandise. S'ils ne réussissent pas à le faire, le problème reste entier. J'aimerais savoir ce que vous avez à nous dire à ce propos.

Dr Driedger : Une série de déceptions s'est produite. Lorsque le réacteur a été mis hors service l'année passée, on nous avait dit que cela prendrait quelques mois, mais quelques mois sont devenus une année. Je crois qu'à ce stade, EACL a fait une demande à la Commission canadienne de la sûreté nucléaire, la CCSN, pour avoir la permission de remettre le réacteur en marche. Nous nous attendons à ce qu'il y ait approvisionnement en isotopes au mois de juillet.

Je crois que le manque de confiance se fait sentir beaucoup plus sur les marchés internationaux. C'est certainement ce que l'on m'a dit. Je l'ai entendu de la part de Bob Atcher, ancien président de la Society of Nuclear Medecine, la SNM, aux États-Unis. En public il a dit que le Canada avait trahi le monde puisque nous avions dit que nous produirions des isotopes et qu'ensuite nous avons dit « Euh... non ». Donc, nous avons perdu beaucoup de crédibilité et la question est de savoir si nous pourrions regagner tous nos marchés même s'il existait d'autres sources. Pendant que le NRU était hors service, le réacteur nucléaire Petten aux Pays-Bas a aussi été mis hors service dû à une fuite; c'est un réacteur qui vieillit aussi. À certains moments il n'y avait que 10 p. 100 de l'approvisionnement nécessaire en isotopes.

Vous avez tout à fait raison. Il faudra absolument faire quelque chose si nous voulons garder nos clients — je crois qu'il nous faut garder les clients canadiens, quoi qu'il en soit — et leur dire qu'en effet EACL assurera l'approvisionnement à l'avenir.

Le sénateur Marshall : Vous parlez d'un manque de confiance. Cependant EACL pourrait rester une société d'État. Ce n'est pas absolument nécessaire cependant pour que nous puissions livrer le produit et regagner cette confiance.

Dr Driedger : Sans avoir une approche idéologique, et j'essaierai d'être raisonnable, je crois que les sociétés d'État peuvent être utiles. Certaines personnes ont récemment reparlé du concept d'un laboratoire national. Je ne sais pas si à l'heure actuelle un tel concept pourrait fonctionner. Lorsque le marché ne peut pas subvenir au besoin du public le gouvernement doit songer au rôle qu'il pourrait jouer. C'est le cas dans le domaine des isotopes.

Il faut également qu'il y ait une vision et des politiques. Lorsque le réacteur NRU a été construit, personne n'a demandé à commander des isotopes. Les canaux qui rendaient la radiation possible ont été assemblés en se disant que peut-être un jour quelqu'un en voudrait. Il a fallu attendre une décennie ou un peu plus avant que les gens ne s'y intéressent, et aujourd'hui la demande est énorme.

Par conséquent, il faut qu'une vision s'y rattache. Comme je l'ai dit dans ma déclaration préliminaire, il faut mobiliser tous les clients du réacteur de recherche. Je constate que personne au pays n'a mobilisé tous les intervenants. Je crois que j'en aurais entendu parler. Nous devons en parler aux intervenants du domaine de la physique, de la science des matériaux et de l'industrie.

Je suis certain qu'il est possible de faire les choses autrement que par le passé. Je ne plaide pas en faveur du statu quo, toutefois, nous ne pouvons laisser tomber certaines parties seulement parce qu'elles ne sont pas avantageuses sur le plan des affaires actuellement.

Dr Upper : À titre d'information, je signale que MDS a conclu une entente avec EACL en 1995 pour mettre au point deux réacteurs de 10 mégawatts appelés les réacteurs MAPLE. On envisageait le vieillissement des réacteurs de recherche et on tenait compte du fait que le marché international s'ouvrait aux isotopes canadiens. La construction de ces deux réacteurs aurait protégé le marché canadien et aurait permis une expansion pendant les 30 prochaines années. À cette époque, un seul de ces réacteurs de 10 mégawatts aurait suffi pour répondre à la demande mondiale. Le deuxième aurait été utilisé comme solution de rechange en période d'entretien ou en cas de fermeture pour une raison technique.

Je ne suis pas au courant de tous les détails de cet échec. Je sais que MDS, à titre de société privée, avait initialement engagé 140 millions de dollars pour ces réacteurs et, les choses ayant trainé en longueur, il en a coûté 340 millions de dollars sans une fin concluante du projet de réacteurs MAPLE. Les réacteurs ont été construits. D'après ce que j'ai compris, il y avait une divergence d'opinion entre les physiciens qui ont construit les réacteurs et la Commission canadienne de sûreté nucléaire au sujet de la conformité aux spécifications d'origine. J'ai cru comprendre que ces réacteurs pourraient fonctionner aujourd'hui à 80 p. 100 de leur capacité et pourraient produire des isotopes en quantité suffisante pour répondre à la demande, mais on n'en a pas donné l'autorisation.

Qui croire? Les scientifiques qui ont conçu et construit ces réacteurs ou les gens qui lisent la phrase suivante dans un document : « Ce n'est pas ce que vous avez écrit il y a quatre ans lorsque vous avez commencé à concevoir ce réacteur »?

Je n'ai pas de réponse. Je me contente de vous donner, à titre indicatif, la vision qui consistait à prendre d'assaut un marché de radio-isotopes en pleine expansion. Nous réussissions brillamment jusqu'à ce que nous n'ayons pas le réacteur.

Dr Scharfstein : Il est juste d'affirmer que nous sommes aux prises avec une crise de confiance. En pareil cas, la solution ne peut consister à simplement brader, céder ou restructurer EACL. Nous devons en faire davantage. Tout cela a commencé bien avant les problèmes actuels et la fermeture en cours. Cela remonte à avant 2007. C'est un problème d'investissement dans une technologie vieillissante. La plupart des réacteurs un peu partout au monde qui produisent des isotopes sont vieillissants, c'est-à-dire plus de 50 ans, et nécessitent une vision et un engagement à plus long terme qu'actuellement.

Nous craignons que l'engagement requis ne soit pas suffisant s'il se fonde uniquement sur des considérations reliées au monde des affaires. C'est un peu la même chose dans le domaine des soins de santé. L'avenir de notre système de santé au Canada serait peu rassurant si les décisions se prenaient sans la participation du gouvernement. C'est notre principale préoccupation. Je suis d'accord, c'est une question de confiance, et on doit s'y attaquer.

Je désire corriger une déclaration que j'ai faite plus tôt. Vous m'avez demandé si nous avions obtenu une réponse à notre lettre. J'ai demandé à quelqu'un de vérifier. Nous avons reçu effectivement une réponse qui se contentait d'énoncer le travail réalisé par le groupe d'experts. Malheureusement, les recommandations formulées par le groupe d'experts n'ont pas été acceptées et par conséquent, nos préoccupations sont demeurées sans réponse. Toutefois, nous avons effectivement reçu une lettre en réponse à notre correspondance.

[Français]

Dr Lamoureux : Pour répondre à madame le sénateur concernant la pénurie actuelle d'isotopes; imaginez-vous que nous devons actuellement les acheter de l'Afrique du Sud et, comme ils ont une durée de vie très limitée, nous devons en acheter deux fois plus pour cinq fois le prix. Peu importe ce qui se passe, cela nous oblige donc à dépenser des millions de dollars par année pour se procurer ces isotopes.

Concernant cette problématique et ce questionnement au sujet des réacteurs Maple 1 et Maple 2, même si l'Académie des sciences américaines, en janvier l'année dernière, a dit qu'on pouvait utiliser ces réacteurs Maple moyennant certaines modifications, la communauté médicale de médecine nucléaire à travers tout le Canada demande au gouvernement de façon unanime depuis deux ans que soit formé un comité d'experts internationaux et indépendants pour étudier cette question. Si le gouvernement a raison, c'est fantastique et il pourra se conforter d'avoir pris la bonne décision. Mais imaginez-vous s'il a tort.

Pourquoi donc refuser que soit formé un comité d'experts internationaux indépendants pour étudier cette question, alors que nous croyons, comme l'a mentionné le Dr Upper, que ces réacteurs Maple sont fonctionnels?

[Traduction]

Dr Driedger : Un réacteur MAPLE fonctionne. Il n'a pas été conçu pour produire des isotopes, cependant. Il est situé en Corée du Sud et s'appelle le réacteur HANARO (High-flux Advanced Neutron Application reactor). Ce réacteur est en service depuis près de 20 ans. Il a été construit par EACL.

Le sénateur Banks : Pour que vous sachiez bien qu'elle est ma position, je réitère que le sénateur Neufeld avait totalement raison lorsqu'il a affirmé que si nous continuons sur cette voie, nous allons tout droit vers la catastrophe. Pour l'édification des sénateurs d'en face, je signale que des gens se sont proposés à la voie actuelle empruntée par le gouvernement, mais aussi par les gouvernements précédents. Tous les gouvernements sont coupables, passez-moi l'expression, d'avoir affamé l'entreprise.

Si vous affamez une entreprise au point où celle-ci ne peut s'acquitter de sa mission, vous êtes alors en mesure de dire qu'elle est dysfonctionnelle et que vous devez vous en débarrasser. Voilà ce qui s'est passé avec EACL et d'autres éléments. Nous devons corriger la situation.

Nous n'avons pas dépensé 22 milliards de dollars. Nous avons dépensé 8 milliards de dollars. Voilà ce qui a vraiment été dépensé. Le passif actuel de l'entreprise est de 4 milliards de dollars. Au total, cela fait environ 12 milliards, soit 207 millions par année pendant les 58 prochaines années à compter de la date où le gouvernement a commencé à dépenser.

J'ai une question pour le Dr Driedger. Si nous dépensions le double de cette somme, soit 400 millions par année, compte tenu du rendement, des coûts et autres éléments, cela permettrait-il — même si ce ne serait pas suffisant — de replacer le Canada dans sa position de chef de file? Cet argent serait-il dépensé à bon escient?

Dr Driedger : Il faut d'abord établir une vision avant d'engager des fonds. Cela étant dit, je connais ces produits. Comme je l'ai dit plus tôt, les réacteurs CANDU sont parmi les plus efficaces au monde. Ils fonctionnent au carburant et n'ont donc pas besoin d'uranium enrichi, ce qui simplifie les mesures de sécurité et autres processus. Il faudrait investir une somme considérable, mais avant tout il faut savoir quelle sera la vision et gagner la confiance du marché.

Avant que tout cela n'éclate, j'ai entendu parler de sept ou huit ventes potentielles au carnet de commandes.

Le sénateur Banks : Vous parlez de la vente de réacteurs?

Dr Driedger : Oui, mais je crois que les acheteurs potentiels ont tourné les talons maintenant.

Le sénateur Banks : Docteur Scharfstein, vous avez raison d'affirmer qu'il est étrange que vous soyez ici à discuter de ce sujet devant le comité. Est-ce parce que ce sujet est abordé dans un projet de loi communément appelé « loi d'exécution du budget ». Vous avez raison. C'est inapproprié d'intégrer cette question dans le budget.

Quel serait le coût approximatif du réacteur proposé par le groupe d'experts?

Dr Driedger : Je m'attends à ce que de nos jours, cela coûte entre 400 et 500 millions de dollars, dépendamment du nombre de dispositifs et babioles qui seront ajoutés pour permettre tous les autres usages.

Le sénateur Banks : Et si ça coûte le double, un milliard de dollars?

Dr Driedger : Je crois que vous devez établir le prix du réacteur avant de vous lancer. Comme je l'ai dit plus tôt, EACL a construit des réacteurs dans le respect du budget et de l'échéancier. Il y a aussi une autre histoire, qu'il n'est pas approprié d'aborder à cette table, sur la raison pour laquelle l'Ontario enregistre des déficits. EACL sait comment s'y prendre, vous devriez leur demander ce qu'un réacteur devrait coûter.

Le sénateur Banks : Nous sommes au courant de la dette restante de l'Ontario Power Generation.

Dr Scharfstein : Tout d'abord, je ne sais pas quel était le coût, mais nous avions entièrement confiance dans le groupe d'experts qui a été choisi par le gouvernement pour étudier les solutions de rechange et les options de solutions de remplacement à la production d'isotopes. Ce groupe était présidé par Richard Drouin et regroupait Tom Mason, Peter Goodhand et Éric Turcotte, des experts de renommée internationale. Ils ont passé beaucoup de temps à étudier la question et ont consulté de nombreux intervenants dans leur recherche de solutions. En fait, beaucoup de propositions formulées par ce groupe de travail ont abouti à des mesures concrètes, y compris les investissements en recherche, le fait d'envisager l'utilisation de cyclotrons, et cetera.

Toutefois, l'une des recommandations clés de ce groupe d'experts, choisi par le gouvernement, consistait à investir dans un nouveau réacteur de recherche polyvalent pour la production d'isotopes. Je présume que ces experts en connaissent beaucoup plus que nous, voire que le gouvernement à ce moment-là. Nous avions entièrement confiance dans une recommandation formulée par le groupe, qui nous semblait tout à fait logique.

Auparavant, nous avons également appuyé la demande de tenue d'un examen indépendant pour revoir la décision de mettre fin progressivement au projet MAPLE. Nous comprenons bien l'étendue de l'investissement réalisé et le manque de certitude quant à la réussite du projet. Toutefois, en raison de cela, nous estimons que toute question en suspens devrait être étudiée par le groupe d'experts jouissant de toute notre confiance pour que nous puissions nous sentir à l'aise avec la décision prise. Si c'est le groupe d'experts qui le dit, alors c'est raisonnable.

Nous nous trouvons dans une situation similaire. La recommandation du groupe d'experts est ignorée. À notre avis, vu que le groupe de travail compte des membres qui comprennent l'aspect financier aussi bien que médical et relié à la recherche, cela nous semblerait tout à fait sensé et nous continuerions d'endosser sans réserve la proposition.

Le sénateur Banks : J'ai une dernière question pour le docteur Upper. Une annonce a été faite aujourd'hui au sujet d'un nouvel accélérateur chez TRIUMF à Vancouver, en Colombie-Britannique, au cours de laquelle le gouvernement s'engage à produire des isotopes par d'autres moyens. Cette technologie permet-elle de remplacer la production d'isotopes en cours ou qui devrait avoir lieu à Chalk River en ce moment?

Le président : Est-ce que quelqu'un peut répondre à cette question?

[Français]

Dr Lamoureux : Aucun pays au monde, que ce soit les États-Unis, la France, l'Angleterre, la Belgique ou l'Afrique, ne retient cette hypothèse. Pour nous, c'est de la diversion médiatique. La seule solution viable est un réacteur nucléaire. Aucun pays actuellement ne retient cette hypothèse. On peut produire du technétium pour des fins de recherches et locales, mais pas pour des fins commerciales en distribuant ce produit dans l'ensemble du territoire canadien ou pour l'exporter.

[Traduction]

Le président : Tout le monde appuie-t-il cette affirmation?

Dr Driedger : J'aimerais éclaircir un point : le projet TRIUMF est, à la base, un projet scientifique fondamental. Dans le cadre de ce projet, on cherche à étudier la photofission des éléments. L'équipe pense que si elle arrive à photofissionner l'uranium, elle arriverait à faire du molybdène. Il faudra attendre plusieurs années avant de savoir si cette équipe y arrivera. Si elle y arrive, elle sera aux prises avec tous les problèmes associés à l'extraction du molybdène à partir de l'uranium et à la gestion des déchets comme on en connaît actuellement à Chalk River. Le molybdène, c'est le produit duquel découle le technétium. Si cette équipe arrive à fabriquer du molybdène, elle devra l'extraire de l'uranium. Il y aurait de grandes quantités de déchets radioactifs, dont des déchets hautement radioactifs qui devront être gérés quelque part aux alentours de Vancouver. C'est ce qui ne me semble pas pratique.

Le sénateur Runciman : J'ai lu de la documentation relative au processus qui amènerait le réacteur à l'hôpital pour traiter les malades. C'est fascinant et terriblement complexe, il n'y a aucun doute.

Docteur Upper, vous avez parlé du bilan d'EACL à l'étranger. Vous avez peut-être raison, mais je crois que c'est plutôt son bilan ici au Canada dont il est question. Le sénateur Marshall en a parlé comme étant une question de confiance. L'incident qui s'est produit en Ontario n'est peut-être pas entièrement la faute d'EACL, mais le public canadien estime qu'elle est la principale responsable. La seule réussite qu'a connue l'Ontario au cours des dernières années dans ce secteur est la modernisation de la centrale nucléaire de Bruce Power, qui a été effectuée grâce au secteur privé.

Prenons l'exemple de la centrale nucléaire Point Lepreau. Nous avons reçu des représentants ici devant le comité il y a quelques mois qui ont parlé de retard sur retard et des millions de dollars qui ont été dépensés. On comprend bien la frustration des contribuables canadiens, surtout étant donné l'état des finances nationales en ce moment. Cela fait partie de nos préoccupations, c'est certain.

Docteur Driedger, vous avez fait référence à la réaction de la part des représentants américains. Je ne me souviens pas exactement quels mots ces personnes ont utilisés pour déplorer le fait que le Canada n'ait pas respecté ses engagements, mais elles n'étaient pas tendres.

Dr Driedger : Ils ont utilisé le mot « trahi ».

Le sénateur Runciman : On peut se demander s'ils ont été trahis par le Canada ou par EACL dans sa structure actuelle.

Dans le rapport que vous avez distribué, vous dites que, en raison de ce sentiment de trahison, les États-Unis cherchent à mettre en place une installation de production qui pourra combler leurs besoins à l'avenir. Si je comprends bien, ils achètent environ 50 p. 100 de la production de Chalk River, ou du moins c'est ce qu'ils ont déjà fait.

Qu'est-ce qui se passe aux États-Unis à cet égard?

Dr Driedger : Je pense qu'ils vont de l'avant avec ça, mais je ne suis pas au courant des événements récents.

Dr Lamoureux : Ils doivent construire deux nouveaux réacteurs nucléaires afin de produire du molybdène pour leurs besoins intérieurs.

Le sénateur Runciman : Le professeur Vredenburg, de Calgary, a comparu plus tôt, et il nous a expliqué, d'un point de vue vulgarisateur, pourquoi l'analyse de rentabilisation et le marché pour ce produit ne sont pas plus attirants.

Dr Driedger : Moi aussi, j'ai une préoccupation à cet égard. Le Canada a déjà dominé le marché, représentant 40 p. 100 ou plus des ventes d'isotopes produits par les réacteurs. S'il est vrai que le prix était insuffisant pour couvrir les coûts, alors nous aurions dû hausser le prix plutôt que de se plaindre des subventions. Tout le monde aurait suivi notre exemple. Mais nous n'avons rien fait, et nous sommes donc dans la situation actuelle. Je ne crois pas qu'il soit légitime de parler de façon péjorative de devoir arrêter la subvention. Le prix est ce qu'il est, et si on ne peut pas le justifier, il y a aussi la question de besoins humains. C'est là qu'intervient l'idée d'une société d'État, afin de combler les lacunes qui existent sur le marché, ou au moins d'assurer un soutien.

Le sénateur Runciman : En gros, vous dites que nous avons la part du lion du marché parce que nous n'avons pas vendu notre produit assez cher.

Dr Driedger : Tous les réacteurs produisent déjà leur maximum. Lorsque le réacteur NRU a été mis hors service, c'était le seul réacteur au monde qui ne fonctionnait pas à sa capacité maximale. Il aurait pu en produire plus. Mais tous les autres réacteurs fonctionnaient déjà à leur capacité maximale, ce qui explique pourquoi la fermeture du réacteur NRU était une telle catastrophe.

Le sénateur Runciman : Peut-être que vous n'êtes pas en mesure de répondre à cette question, mais étant donné le volume de ce produit qui est importé à l'étranger, pourquoi n'y a-t-il pas eu une initiative internationale pour financer une installation afin de combler ce besoin mondial?

Dr Driedger : L'Australie l'a fait parce qu'elle est située dans un coin isolé du monde. Elle a construit un petit réacteur polyvalent voué à la recherche et à la production d'isotopes, qui a été mis en service l'an dernier. Mais le reste du monde se fiait à nous; nous devions avoir deux MAPLE et combler tous les besoins mondiaux.

Dr Scharfstein : C'est ce qui se produit en ce moment : plusieurs autres pays cherchent à combler le vide laissé par notre réacteur, y compris les États-Unis. Nous perdons notre place et notre potentiel comme chef de file, et nous ratons l'occasion de compenser une partie du coût avec cette vente. Il y a toute la question d'ententes internationales, l'offre et la demande et l'investissement privé, mais c'est certainement une préoccupation.

Nous avons été chef de file en matière de recherche nucléaire, et c'est seulement une des raisons pour lesquelles nous devons préserver nos installations. Elles vieillissent cependant, ce qui pose de nombreux problèmes. On pourrait transférer ces problèmes à quelqu'un d'autre, mais nous ne croyons pas que ce soit la voie à suivre; il faut trouver d'autres solutions. Elles ne seront peut-être pas simples, mais nous avons une responsabilité, et nous sommes particulièrement préoccupés par le domaine de recherche et d'isotopes. Cela doit demeurer une priorité.

Le sénateur Dickson : Messieurs, vous avez fait d'excellents exposés et fait valoir d'excellents arguments, d'un côté comme de l'autre. Comme l'a dit le sénateur Banks, on ne peut tenir pour responsable un seul gouvernement; c'est un problème qui dure depuis des décennies.

J'ai devant moi les témoignages de la réunion du 11 mai du Comité permanent des finances de la Chambre des communes. Je veux mettre l'accent sur la question des isotopes, si vous permettez. Je fais référence au témoignage de Hugh MacDiarmid, président et directeur général d'EACL, qui a parlé de deux missions différentes. D'abord, la division du réacteur CANDU serait traitée séparément. Deuxièmement, il a déclaré :

Les laboratoires de Chalk River demeureront la propriété du gouvernement du Canada, et comme vous le savez tous — le premier ministre l'a fait savoir clairement et notre ministre nous en a donné l'instruction —, nous renouvellerons la licence d'exploitation du NRU afin de poursuivre la production d'isotopes après l'expiration de la licence actuelle, en octobre 2011, et nous serons ainsi en mesure d'assurer ces productions jusqu'en 2016.

L'un d'entre vous a fait référence à cet engagement et convenait qu'il devrait se poursuivre au-delà de 2016. Quelqu'un peut-il me dire quel délai serait raisonnable au-delà de 2016?

Dr Scharfstein : Le problème c'est que nous ne le savons pas. Actuellement, énormément d'argent est investi dans la recherche, afin de trouver d'autres sources d'approvisionnement d'isotopes, qui sera peut-être fructueuse, mais nous ne le savons pas pour l'instant. Actuellement, aucune installation ne peut combler nos besoins de façon efficace, en partie à cause de la dégradation des isotopes. Il y a beaucoup de facteurs inconnus.

Il faudra attendre les résultats de la recherche. L'engagement doit se poursuivre aussi longtemps que nécessaire. Peut- être qu'on trouvera d'autres sources de production d'isotopes ou des nouvelles technologies même avant 2016 pour régler ce problème. Une de ces technologies de rechange est la tomographie par émission de positrons; en effet, il y a de plus en plus de nouvelles avancées dans le domaine de l'imagerie, peut-être plus que dans tout autre secteur d'activité. Généralement, ces technologies sont plus coûteuses et généralement, le Canada y investit peu d'argent. Nous sommes à la traîne d'autres pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques, l'OCDE, par exemple, dans les domaines de la tomographie par ordinateur et la TEP. Ces nouvelles technologies d'imagerie et ces nouvelles sources potentielles d'isotopes demeurent incertaines toutefois.

Nous estimons qu'entre-temps, puisque nous ignorons les résultats de ces recherches, il nous faut garantir le maintien d'une installation de production, que ce soit celle de Chalk River ou une nouvelle. Par la suite, nous retournerons au groupe d'experts pour voir si ce ne serait peut-être pas une meilleure idée d'investir dans une nouvelle installation que de continuer à faire l'effort de maintenir Chalk River indéfiniment. Dans un cas comme dans l'autre, ce serait parfait, pourvu qu'on ait la sécurité et la tranquillité d'esprit de savoir que cela durerait.

Le sénateur Dickson : En même temps, dans le témoignage du 11 mai au comité de la Chambre, des déclarations ont été faites concernant le comité CREATE — le Chalk River Employees Ad-hoc TaskforcE en faveur d'un laboratoire national — qui existe à Chalk River.

Est-ce que quelqu'un parmi vous aurait une idée où ça pourrait mener? Est-ce que cela pourrait représenter une solution?

Dr Driedger : Je ne le connais absolument pas.

Dr Scharfstein : Nous savons qu'il existe un groupe de personnes bien connues et d'un grand savoir qui sont impliquées, qui croient fermement qu'on pourrait procéder à la réfection de la centrale de Chalk River et la maintenir en sécurité bien au-delà de 2016. C'est pourquoi en tant qu'association représentant des médecins, nous ne prétendons pas savoir ce qui serait le plus approprié; une nouvelle centrale de recherche des isotopes ou celle qui existe déjà à Chalk River. L'une ou l'autre semblerait être une option raisonnable.

Le sénateur Dickson : Je viens d'Halifax. La TEP est maintenant disponible soit à l'Hôpital général Victoria ou au Queen Elizabeth II Health Sciences Centre à Halifax. L'équipement y est en vertu d'un partenariat public-privé avec la communauté médicale ainsi que Bell Alliant. J'ai remarqué le panneau par hasard en passant devant l'unité.

Pensez-vous que ce modèle de partenariat pourrait fonctionner à Chalk River? C'est-à-dire que s'il y avait suffisamment d'allègements fiscaux dans l'entente, est-ce que cela fonctionnerait? Ce n'est probablement pas le cas pour le modèle d'Halifax; quelques médecins ont mis sur pied une société en commandite et ont investi dans cette installation. Est-ce que l'association médicale, en tant que groupe, a pris en considération les modèles qui pourraient être acceptables?

Dr Scharfstein : Ils y ont mûrement réfléchi, avec peu de conclusions fermes. Nous connaissons les exemples nombreux de partenariat privé-public qui ont été très efficaces, particulièrement dans les domaines qui exigent de très importants investissements au démarrage — par exemple l'imagerie médicale. Nous aimerions certainement voir cela comme une piste de solution éventuelle. Il y a d'autres façons de se déposséder du TEP. Sur le plan philosophique, nous ne voyons aucun problème. À nos yeux cela devrait fonctionner pourvu que des mesures de sauvegarde soient prévues.

Les conditions clés, dans ces partenariats, seraient que le gouvernement maintienne un rôle à jouer et un pouvoir de réglementation également, afin d'assurer que l'intérêt public soit protégé. Nous n'avons aucune difficulté avec cela.

Dr Driedger : Nous avons déjà un modèle semblable pour ce qui est de la collaboration EACL-MDS Nordion. D'après ce que je vois, cela fonctionne. Je ne crois pas que nous ayons de difficulté à ce chapitre.

Le président : Au nom du Comité sénatorial permanent des finances nationales, j'aimerais remercier chacun des médecins d'être venus et de nous avoir aidés à comprendre cette question complexe. Docteur Scharfstein, docteur Driedger, docteur Lamoureux et docteur Upper, je vous remercie beaucoup.

Nous allons reprendre nos travaux cet après-midi, comme les honorables sénateurs le savent, il y a un vote à 17 h 30, donc cela limitera le temps que nous aurons pour notre séance cet après-midi. J'aimerais reprendre à 15 heures avec vos commentaires sur le rapport sur le Budget supplémentaire des dépenses (A), que nous espérons pouvoir adopter. Si vous pouvez y travailler pendant l'heure du déjeuner, ce serait grandement apprécié.

(La séance est levée.)


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