Délibérations du comité sénatorial permanent des
Finances nationales
Fascicule 15, Témoignages du 6 juillet 2010 - Séance de l'après-midi
OTTAWA, le mardi 6 juillet 2010
Le Comité sénatorial permanent des finances nationales, auquel a été renvoyé le projet de loi C-9, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 4 mars 2010 et mettant en œuvre d'autres mesures, se réunit aujourd'hui à 14 h 1 pour l'étude du projet de loi (sujets : parties 20 et 21).
Le sénateur Joseph A. Day (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Il s'agit de notre vingtième réunion concernant le projet de loi C-9, Loi d'exécution du budget de 2010. Au cours de nos séances précédentes, nous avons entendu le ministre des Finances, des représentants ministériels et des intervenants externes que le projet de loi proposé intéresse ou touche directement.
Cet après-midi, nous allons porter notre attention sur les parties 20 et 21 du projet de loi, lesquelles traitent respectivement des évaluations environnementales et du Code canadien du travail.
Avec notre premier groupe de témoins, nous allons poursuivre l'étude de la partie 20 que nous avons amorcée ce matin. Nous sommes ravis d'accueillir M. Michael Atkinson, président de l'Association canadienne de la construction (ACC); M. Jeff Barnes, qui en plus d'intervenir à titre de directeur principal de la Gestion environnementale pour Stantec Inc., va également appuyer M. Atkinson; et Mme Justyna Laurie-Lean, vice-présidente, Environnement et Santé, Association minière du Canada (AMC).
Commençons avec Mme Laurie-Lean, avant d'écouter M. Atkinson puis M. Barnes.
Justyna Laurie-Lean, vice-présidente, Environnement et Santé, Association minière du Canada : Je vais essayer d'être brève. Un grand merci pour cette occasion de vous entretenir de la partie 20 du projet de loi.
L'industrie minière et l'un des secteurs les plus touchés par la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale (LCEE). Environ la moitié des études approfondies menées en application de cette loi visent des projets réalisés dans le secteur minier.
Je suis à l'emploi de l'Association minière canadienne depuis 19 ans, ce qui m'a permis de m'intéresser de près à la LCEE, et ce, depuis son adoption par le Parlement. J'ai d'ailleurs été membre du Comité consultatif de la réglementation chargé d'appuyer le ministre relativement à la LCEE. J'ai ainsi pu contribuer aux travaux préliminaires d'interprétation de la loi et d'établissement des règlements. J'ai également pris une part active dans l'examen de la LCEE qui a mené aux modifications entrées en vigueur en 2003.
Tout au long du processus, les objectifs de l'Association minière canadienne sont demeurés la rapidité d'exécution, la prévisibilité et la certitude. Nous avons exercé sans cesse des pressions en faveur d'un financement accru des ministères pour qu'ils puissent répondre à la demande. Nous avons préconisé une participation plus soutenue de la population et une meilleure place pour la LCEE dans l'ordre de priorité des ministères tout en appuyant la création du Bureau de gestion de grands projets.
Malgré tout, nous trouvons les résultats vraiment décevants. Comme l'industrie n'a pas toujours la crédibilité voulue, je vous renvoie au rapport du Commissaire à l'environnement et au développement durable. Son rapport de l'automne 2009 comporte un chapitre sur la LCEE où l'on retrouve pour une bonne part certains des points de vue que je peux entendre en discutant avec les membres de notre association. Le processus continue de souffrir des retards et du manque de coordination; on met l'accent sur des mécanismes coûteux qui créent des frustrations tout en étant incapable de faire valoir des avantages tangibles pour l'environnement ou la société.
Où se situe le problème et y a-t-il des solutions possibles? Le principal obstacle à l'accélération du processus et à une meilleure coordination vient du temps que met le gouvernement fédéral à déclencher l'application de la loi.
Il faut parfois attendre jusqu'à 18 mois, tout au moins dans l'industrie minière, pour qu'on décide d'aller de l'avant. Je peux vous dire que dans d'autres pays et dans certaines provinces la norme à cet égard est de quatre semaines. Nous parlons ici d'une période de 12 à 18 mois, parfois davantage, avant même que le processus fédéral ne s'enclenche. Comme le mécanisme fédéral n'entre en jeu qu'une fois le processus provincial en cours depuis longtemps déjà, lorsqu'il n'est pas carrément terminé, il faut renoncer à toute coordination ainsi qu'aux consultations nécessaires. En fait, on procède machinalement sans accorder toute la réflexion voulue aux fins de la planification préalable.
Lorsque nous avons pris connaissance de la partie 20 du projet de loi C-9, c'est l'article 2154 qui a retenu notre attention. Vous m'excuserez si le numéro de l'article a pu changer depuis que le processus est en marche; je ne suis pas une spécialiste. Il s'agit des dispositions qui permettraient à l'Agence canadienne d'évaluation environnementale de devenir l'autorité responsable des études approfondies et, ce qui importe encore davantage à nos yeux, d'entreprendre une telle étude avant même que la décision d'enclencher le processus n'ait été prise.
Une disposition subséquente permet de s'assurer que l'étude peut être interrompue si jamais les autorités fédérales décident de ne pas aller de l'avant. Quoi qu'il en soit, l'agence est autorisée à amorcer une étude. Elle peut le faire dès le départ, à partir du moment où le proposant fait ses premières démarches auprès des deux ordres de gouvernement pour présenter son projet.
Si l'agence — et j'insiste sur le « si » — se prévaut de cette disposition de manière à accélérer le déclenchement du processus, on pourrait espérer être en mesure d'assurer la coordination avec les instances provinciales, de diminuer les retards et d'optimiser le déroulement du processus.
D'après ce que je puis comprendre, ces mesures ne modifient en rien la structure de base de la LCEE. Aucun changement fondamental n'est apporté. On ne traite pas ici des différents problèmes relevés dans l'application de la loi. Nous espérons que le prochain examen de la LCEE permettra de s'intéresser de beaucoup plus près à sa structure. Nous souhaitons toutefois que les mesures proposées ici permettent d'améliorer la situation dans l'immédiat en supprimant les retards dans le déclenchement du processus et les perturbations qui en découlent, ce qui pourrait ouvrir la voie à une plus grande rapidité d'action et à une meilleure coordination.
Le président : Merci. Il y aura peut-être des questions relativement à cet article et à d'autres qui s'y rattachent. Je vais maintenant demander à M. Atkinson de prendre la parole, après quoi nous écouterons M. Barnes.
Michael Atkinson, président, Association canadienne de la construction : Il va de soi que l'Association canadienne de la construction (ACC) se réjouit de l'invitation à comparaître devant vous aujourd'hui. Nous représentons quelque 16 000 entreprises membres qui sont actives dans le secteur de la construction non résidentielle dans toutes les régions du Canada. Nos membres construisent en fait tous les types de bâtiments à l'exception des résidences unifamiliales. L'industrie de la construction compte pour un peu moins de 7 p. 100 du produit intérieur brut (PIB) du Canada, ce qui nous place tout juste derrière les services financiers et la fabrication pour ce qui est de la contribution globale à l'économie nationale.
Si je vous cite ces chiffres, c'est pour vous montrer que l'industrie de la construction est un véritable baromètre de l'économie canadienne dans son ensemble. Quand le bâtiment va, tout va.
L'ACC s'intéresse vivement à la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale, à son administration et à la façon dont elle facilite et touche les activités de nos membres. Depuis les tout débuts en 1992, cet intérêt s'est manifesté via notre participation active au Comité consultatif de la réglementation du ministre de l'Environnement au sujet de la LCEE.
L'ACC est extrêmement favorable à une évaluation environnementale efficace et efficiente, car celle-ci peut jouer un rôle clé dans le développement durable au Canada. Nos membres sont toutefois fortement préoccupés par les problèmes d'efficience et d'efficacité qui ont rendu le processus incertain et imprévisible en causant des retards davantage attribuables à une méconnaissance bureaucratique qui sont loin de favoriser une amélioration de la gérance environnementale.
Je suis accompagné aujourd'hui de M. Jeff Barnes et j'aimerais maintenant lui céder la parole concernant les différentes modifications proposées dans le projet de loi C-9.
M. Barnes est directeur principal pour Stantec Consulting Limited à Fredericton au Nouveau-Brunswick. Stantec est l'une des entreprises membres de notre association. M. Barnes a déjà siégé au sein de notre conseil d'administration et est l'un de nos représentants actuels au Comité consultatif de la réglementation dont je vous parlais tout à l'heure. Chez Stantec, il est responsable national de l'évaluation, de la planification et de la conformité, ce qui fait qu'il est en charge des pratiques d'évaluation environnementale de l'entreprise, avec plus d'un millier de professionnels travaillant sous ses ordres au Canada. Son expérience pratique du secteur remonte à plus de 30 ans, soit avant même l'établissement du cadre législatif pour l'évaluation environnementale au pays.
Vous pouvez me croire lorsque je vous dis que M. Barnes est l'un des experts les plus chevronnés au Canada dans le secteur de l'évaluation environnementale, et l'Association canadienne de la construction se réjouit de l'avoir comme représentant au sein du Comité consultatif de la réglementation. Nous sommes très heureux également de l'avoir à nos côtés aujourd'hui et je vais maintenant lui laisser le reste du temps qui m'est alloué.
Le président : Je me dois de faire une déclaration d'intérêt. Je connais assez bien Stantec; mon neveu travaille pour cette entreprise à Halifax.
Jeff Barnes, directeur principal, Gestion environnementale, Gestion environnementale et ACC : Nous comptons 5 000 employés au Canada.
Merci beaucoup. Monsieur le président, honorables sénateurs, mesdames et messieurs, comme l'indiquait M. Atkinson, l'Association canadienne de la construction considère que les modifications proposées à la LCEE sont utiles et appropriées, et appuie donc leur inclusion dans ce projet de loi.
Nous croyons que ces modifications permettront de régler plusieurs problèmes importants reliés à la loi, à savoir le trop grand nombre d'évaluations de projets sans conséquences environnementales, ce qui a pour effet de retarder indûment les projets et de gaspiller les ressources des proposants, du public et des agences gouvernementales, sans que cela soit très bénéfique du point de vue de la protection de l'environnement. Le processus décisionnel sur le suivi de l'étude approfondie mis en œuvre en vertu de l'article 21 par voie de modification à la loi en 2003 a eu pour effet d'accroître l'incertitude et de prolonger de plusieurs mois la durée des études approfondies, comme le mentionnait Mme Laurie-Lean, sans apporter là non plus beaucoup de valeur ajoutée en matière de protection de l'environnement. En outre, les décisions relatives aux études approfondies continuent à relever des instances fédérales responsables du déclenchement du processus d'évaluation environnementale, ce qui entraîne une application variable et incohérente de la loi tout en n'offrant à l'agence que peu d'occasions d'acquérir les connaissances et les capacités requises en raison de l'éparpillement des responsabilités entre les différentes entités devant procéder aux évaluations, comme le veut le libellé actuel de la loi.
Je vais maintenant traiter plus en détail de chacun de ces éléments.
Parlons d'abord des trop nombreuses évaluations portant sur des projets sans conséquence environnementale. Chaque année, quelque 6 000 évaluations environnementales sont menées en vertu de la LCEE. La vaste majorité de ces évaluations sont de nature générique et n'ajoutent rien aux mesures exhaustives de planification et de conception prises par les architectes, les ingénieurs et les spécialistes de l'environnement, pour assurer notamment le respect de la réglementation environnementale locale et provinciale, sans compter, de plus en plus, les normes de conception dictées par les systèmes de cotation des bâtiments comme LEED.
À la lumière de ces éléments, il apparaît évident que les évaluations environnementales sont trop nombreuses, que le seuil établi est beaucoup trop bas. Des modifications au Règlement sur les dispositions législatives et réglementaires ainsi qu'aux exemptions temporaires pour les projets de petite envergure dans le cadre de Chantiers Canada : une infrastructure moderne pour un Canada fort et d'autres fonds ont contribué à éliminer bon nombre d'évaluations environnementales superflues depuis un peu plus d'un an, sans compromettre l'atteinte des objectifs en matière d'évaluation environnementale et les processus conçus pour atténuer les dommages à l'environnement grâce à une meilleure planification et à des mesures de prévoyance intégrées.
Nous croyons que les modifications proposées dans le cadre du nouvel article 7.1 vont améliorer le processus d'évaluation environnementale dans tout le Canada en permettant aux instances réglementaires fédérales de se concentrer sur les projets plus lourds de conséquences, ce qui rendra possible pour nos membres de mener à terme des projets qui profiteront à tout le Canada sans avoir à composer avec des retards bureaucratiques indus.
J'en viens au second point que j'ai soulevé, à savoir les modifications éliminant le processus décisionnel pour le volet étude approfondie.
Les amendements proposés à l'article 21 auront pour effet d'éliminer le processus décisionnel de suivi pour les études approfondies instauré pour apporter une plus grande certitude lorsque la loi a été modifiée en 2003 à la suite de l'examen quinquennal mené en 2000. Bien qu'elles visaient à réduire l'incertitude et les risques d'un renvoi tardif à une commission d'examen, les modifications de 2003 ont eu comme résultat un processus administratif trop lourd qui exige généralement de six à huit mois, ou encore davantage comme l'indiquait Mme Laurie-Lean, pour déterminer la portée de l'évaluation et s'il y a lieu de référer le dossier à un comité d'examen. Il s'agit simplement d'un processus administratif qui procure très peu de valeur ajoutée véritable. Pour notre industrie, c'est l'une des raisons principales de l'incertitude et des retards dans l'évaluation. L'ACC appuie donc sans réserve l'élimination de ce processus.
La modification proposée en vertu du nouveau paragraphe 21.1(1) permettra de déterminer beaucoup plus rapidement la portée de l'évaluation, l'intérêt du public et la pertinence d'un renvoi à une commission d'examen. L'agence sera tenue publiquement responsable dès le départ étant donné l'obligation d'aviser rapidement la population et de lui offrir la possibilité de prendre part au processus.
Je vais maintenant traiter de mon troisième point qui concerne la centralisation du pouvoir décisionnel.
Les modifications proposées aux articles 11, 15 et 21 ont toutes pour but de concentrer entre les mains de l'Agence canadienne d'évaluation environnementale le pouvoir décisionnel et l'autorité administrative relativement aux études approfondies. C'est l'occasion d'accroître la cohérence et la qualité des décisions tout en permettant à l'agence de mieux développer ses connaissances et ses capacités dans l'administration de l'évaluation.
Du point de vue de l'ACC, les modifications proposées permettant à l'Office national de l'énergie (ONE) et à la Commission canadienne de la sûreté nucléaire (CCSN) d'assurer l'administration des études approfondies sont tout à fait logiques. Ces deux instances peuvent déjà compter sur des processus bien structurés d'approbation de projets, incluant un volet d'évaluation environnementale en vertu de la LCEE, ainsi que sur l'expertise de spécialistes des secteurs de l'énergie et du nucléaire, respectivement. Cette modification élimine donc les dédoublements inutiles, ce qui permettra de procéder plus rapidement aux évaluations.
En conclusion, les membres de l'Association canadienne de la construction appuient vivement les modifications proposées dans le projet de loi C-9 et estiment qu'elles auront pour effet d'accroître l'efficience et la rapidité du processus; de réduire les incertitudes découlant du processus décisionnel de suivi des études approfondies; de centraliser la prise de décisions pour en hausser la qualité et la cohérence; de diminuer le nombre d'évaluations environnementales de projets sans conséquences, tout en permettant de cibler les ressources gouvernementales sur la gestion de projets ayant de plus grande répercussion sur l'environnement; et, enfin, d'accroître les possibilités d'harmonisation avec d'autres sphères de compétence et de faciliter ainsi la réalisation du principe souhaité d'une évaluation par projet.
Je vais maintenant rendre la parole à mon collègue, M. Atkinson, qui va conclure notre présentation.
M. Atkinson : Honorables sénateurs, les membres de l'ACC sont tout à fait conscients de la nécessité de pouvoir compter sur un ensemble complet et cohérent de règles fédérales en matière d'évaluation environnementale. Cependant, même avec les amendements proposés ici, la loi continuera de susciter certaines incertitudes quant aux autorités responsables pour plusieurs types de projets. L'ACC proposera une liste plus détaillée de modifications réglementaires lorsque la Chambre des communes procèdera à l'examen législatif de la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale plus tard cette année. Cela étant dit, nous estimons que les modifications contenues dans le projet de loi C-9 constituent un important pas en avant pour corriger quelques-unes des lacunes de la loi actuelle et nous appuyons sans réserve leur adoption.
Il faudra compter sans doute plusieurs années pour l'examen de la loi elle-même par le Parlement. L'Association canadienne de la construction considère que les mesures prévues dans ce projet de loi constituent une solution provisoire efficace pour certains problèmes touchant principalement les procédures, qu'elles n'auront pas d'impact sur l'évaluation environnementale et la gérance de l'environnement et qu'elles devraient être mises en œuvre le plus rapidement possible.
En terminant, nous aimerions vous remercier encore une fois de nous avoir donné l'occasion de prendre la parole devant vous aujourd'hui. Nous nous ferons maintenant un plaisir de répondre à vos questions et d'écouter vos observations.
Le président : Merci, monsieur Atkinson. Je vais maintenant m'adresser à M. Barnes et au sénateur McCoy parce que M. Barnes a soulevé une question que nous avons examinée ce matin en présence de Mme May relativement au nouveau paragraphe 21.1(1) qui est proposé.
À la suite de sa comparution de ce matin, Mme May a indiqué qu'elle craignait nous avoir induits en erreur en allant un peu trop loin relativement à ce point. Le sénateur McCoy a participé à cette discussion. Je lui donne maintenant la parole pour qu'elle puisse apporter les éclaircissements voulus.
Le sénateur McCoy : Merci, monsieur le président. Nous avons discuté tous les deux de la question avec Mme May, qui comparaissait devant nous ce matin. Je pense que le sénateur Neufeld a également participé à la conversation.
Mme May a indiqué qu'elle avait omis de mentionner un alinéa. En parlant des modifications apportées à l'article 21 concernant la consultation du public et les études approfondies, elle a dit qu'elle avait été éliminée. Ce qu'elle voulait dire en fait c'est qu'on l'a éliminée au départ, mais pas dans l'ensemble du processus. Elle tenait absolument à ce que le comité comprenne bien ce qu'elle voulait faire valoir. Elle ne souhaitait certes pas induire le comité en erreur.
Le président : Ma question, monsieur Barnes, concerne votre commentaire du milieu de la page 3 de votre exposé où vous dites que l'agence sera tenue publiquement responsable dès le départ du fait de son obligation d'aviser rapidement la population et de l'inviter à participer au processus. Est-ce que le public peut participer dès l'amorce du processus?
M. Barnes : Oui. Je dirais que cet amendement ne change que peu de choses à la situation actuelle. En fait, la modification permet un niveau de consultation similaire aux premières étapes du processus et on pourrait dire qu'elle fait intervenir la consultation à un stade plus avancé.
À l'heure actuelle, l'administrateur de l'étude approfondie, l'Agence canadienne d'évaluation environnementale de concert avec les autorités responsables, va rédiger une ébauche de document sur la portée de l'évaluation, laquelle constitue la première interprétation de la manière dont la loi devrait être appliquée et des éléments que l'on devrait évaluer. Selon la loi actuelle, ce document doit être rendu public à des fins de consultation.
Avec la modification proposée ici dans le cadre du nouveau paragraphe 21.1(1), l'autorité responsable, c'est-à-dire l'agence, l'ONE ou le CSNC, serait tenue d'informer le public dans les dix jours suivant la publication de l'avis du début de l'évaluation. Le nouveau paragraphe proposé se lit comme suit :
Dans les dix jours suivant le versement au site Internet de l'avis du début de l'étude approfondie du projet, l'autorité responsable donne avis au public, selon les modalités qu'elle estime indiquées, de la possibilité de lui faire des observations sur le projet et l'exécution de l'étude approfondie.
Il s'agit selon moi d'une façon de connaître rapidement le point de vue de la population sur un projet pour mieux guider la portée de l'évaluation. Le public serait invité à participer beaucoup plus rapidement qu'à l'heure actuelle. Ce n'est pas un changement majeur, mais c'est tout de même une amélioration.
Le président : Si je comprends bien, les observations du public doivent être formulées par écrit, plutôt qu'à la faveur d'une audience. Est-ce bien cela?
M. Barnes : Oui, mais c'est déjà le cas actuellement. L'avis est publié sur le site Internet et c'est aussi ce que prévoit le projet de loi. Cependant, le libellé proposé ici offre une plus grande marge de manœuvre aux fins d'une mobilisation précoce. Il est bénéfique pour l'évaluation environnementale de connaître le point de vue des gens. Il est bon de savoir à quoi s'en tenir, car le ministre doit notamment décider si le projet doit être référé à une commission d'examen. En publiant dès le départ cet avis, on pourra connaître rapidement l'opinion du public, ce qui permettra au ministre d'avoir recours sans tarder à une commission d'examen s'il le juge approprié. Il s'agit d'une amélioration par rapport au processus de décision du volet étude approfondie instauré dans le cadre des modifications apportées à la loi en 2003 pour dissiper l'incertitude quant à l'éventuel recours à une étude approfondie ou à une commission d'examen. On croyait que c'était une bonne idée à l'époque, mais elle s'est traduite par des retards dans le processus administratif. On veut ici corriger le tir en permettant à la population de participer dès le départ, ou tout au moins aux premières étapes du processus, pour que son point de vue au sujet du projet puisse influencer le ministre dans sa décision.
Le sénateur McCoy : Vous, Elizabeth May et moi-même avons beaucoup de points de vue en commun. Je suppose que cela devient une question d'interprétation, car nous essayons d'anticiper le comportement des responsables. Je peux vous assurer que notre patience a été mise à rude épreuve lorsque nous voulions effectuer des évaluations environnementales en Alberta pendant que le gouvernement fédéral s'en tenait à une séquence bien établie. Il procédait à un examen préalable, avant de mener une étude approfondie suivie d'une commission d'examen. Le processus s'éternisait sans qu'aucune décision ne soit prise. C'était le summum de la valse hésitation.
Des mesures ont donc été prises pour accroître l'efficacité du processus. On n'a toutefois jamais laissé tomber le principe de la participation et la pratique bien ancrée de procéder à des évaluations complètes, et plus particulièrement à des études approfondies. On semble avoir éliminé l'invitation à commenter les paramètres d'une évaluation environnementale, comme cela était exigé auparavant. Maintenant, on se contente de publier l'avis pour laisser les gens le commenter ou communiquer leurs observations.
Vous indiquez que l'agence va appliquer ces dispositions suivant les principes consacrés par l'usage, alors que d'autres s'interrogent à ce sujet. Il est difficile de le savoir à l'avance.
M. Barnes : Vous avez tout à fait raison de dire que ce projet de loi nous fournit l'occasion d'agir de manière efficiente et efficace. Reste à savoir si les autorités responsables sont en mesure d'y parvenir. Ce projet de loi ne les empêche pas de le faire et les oblige en fait à publier dès le départ cet avis pour obtenir la contribution du public. Cela permet de les responsabiliser, car on doit indiquer à la population que l'on souhaite connaître son point de vue au sujet du projet proposé avant qu'une décision ne soit prise quant à la portée de l'évaluation. Les citoyens peuvent exprimer leurs préoccupations à propos du projet et demander que certains éléments soient abordés lors de l'évaluation. Les préoccupations des gens peuvent ainsi être prises en compte dans les décisions prises subséquemment par les autorités responsables relativement à la portée de l'évaluation.
À l'heure actuelle, les agences établissent le document préliminaire définissant la portée de l'évaluation avant de le rendre public. Elles ont déjà beaucoup réfléchi à la question avant que la population ne soit consultée.
Le sénateur McCoy : Il est toujours plus facile de lancer des dards sur une cible que de concevoir la cible elle-même. Alors, ces changements vont effectivement être utiles.
J'aimerais parler de l'établissement de la portée de l'évaluation. Cette activité englobe deux aspects dans le contexte de l'évaluation environnementale au Canada. Il s'agit d'abord de déterminer quelle voie on va emprunter. Je crois que la Cour suprême a bien réussi à établir la distinction. Une fois que vous avez opté pour l'étude approfondie, il vous est possible de travailler de manière très efficace en reconnaissant les résultats d'autres évaluations environnementales, en collaborant avec les provinces et en déployant différents autres outils.
Vous n'avez toutefois pas le choix si votre projet vise une grande exploitation minière, un secteur que je crois que vous connaissez assez bien. Une étude approfondie est requise, car on estime que le projet peut avoir des répercussions sur l'environnement. Les modifications proposées ici ne touchent en rien les quelque 5 000 à 8 000 examens environnementaux préalables pouvant viser des projets sans conséquences sur l'environnement, si l'on fait exception de ceux rendus possibles par le Fonds de stimulation de l'infrastructure. Elles concernent toutes ces projets de plus grande envergure. Je n'ai pas vraiment de question à ce sujet, car je constate que vous indiquez être d'accord avec moi.
M. Barnes : Nous avons d'excellents arguments.
Le sénateur McCoy : Je ne sais plus trop lequel d'entre vous a dit souhaiter un plus vaste débat afin de continuer à réfléchir sur ce processus en vue d'en optimiser l'efficacité. Notre Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles a eu le plaisir d'accueillir à deux ou trois reprises M. Gaétan Caron, président et premier dirigeant de l'Office national de l'énergie. M. Caron nous a parlé des progrès considérables réalisés en matière de gestion de projet, surtout au Bureau de gestion de grands projets. La capacité de bien gérer les projets semble donc primordiale. Je crois que nous espérons tous que l'agence et l'office seront en mesure de financer le tout.
Y a-t-il d'autres mesures que l'on aurait pu inclure dans ce projet de loi pour accroître l'efficacité? D'une certaine manière, on peut dire que l'on a précipité les choses. Je vous ai fait part de mes points de vue, j'aimerais maintenant savoir ce que vous en pensez. Qu'est-ce qui a pu être oublié?
M. Barnes : Nous sommes ici aujourd'hui pour parler de la partie 20. Il va de soi, comme l'a mentionné M. Atkinson dans ses observations, qu'un certain nombre de problèmes sont associés directement à la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale et à son administration. J'ai d'ailleurs mentionné quelques-uns de ces problèmes dont le trop grand nombre d'évaluations et le seuil beaucoup trop bas. Il convient de se pencher plus à fond sur ces questions, peut-être dans le cadre de l'examen parlementaire et des nouvelles modifications qui pourront être apportées à la loi. Nous sommes ici aujourd'hui pour parler des modifications proposées dans ce projet de loi-ci, en évaluer l'efficacité et voir quelles possibilités elles offrent. La lenteur du processus bureaucratique associée au volet étude approfondie, dont Mme Laurie- Lean nous a parlé, a été à l'origine de retards de 6 à 18 mois avant même que l'évaluation puisse être amorcée. Il s'agit d'un véritable obstacle aux investissements, aux projets et à l'activité économique. Une solution est apportée à cet égard dans les modifications auxquelles j'ai fait référence. Nous pourrons sans doute discuter de bien d'autres questions lors de l'examen parlementaire concernant les aspects fondamentaux de la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale, de sa structure, des différents responsables et du rôle de chacun. Il y a de nombreux éléments positifs dans les modifications proposées à ce sujet.
Le sénateur McCoy : C'est ce que nous espérons. Je crois que nous faisons tous énormément confiance aux gens de l'agence dont nous accueillons certains représentants ici. Merci.
Le sénateur Baker : Le sénateur McCoy a donné l'exemple d'un cas dans l'industrie minière en Colombie- Britannique. Cette dernière question concernait ce cas et vous lui avez répondu espérer que ce projet de loi permette d'accélérer le processus au départ. Cependant, d'après le relevé établi cette année par la Cour suprême du Canada, le processus provincial d'évaluation s'était amorcé en l'espèce le 27 octobre 2003 pour se poursuivre jusqu'au 22 juillet 2005; et le processus fédéral avait débuté en mai 2004 pour prendre fin en avril 2006, ce qui ne change pas grand-chose pour ce qui est de la date du début de l'étude.
Ce sont les nombreux dédoublements qui offusquent le simple citoyen lorsqu'il prend connaissance de ces cas. J'aurais pensé que ce serait votre préoccupation principale. Dans le cas cité en exemple, les doléances de l'industrie minière concernaient surtout les règles provinciales et fédérales qui exigeaient toutes deux la tenue d'audiences publiques. On s'interrogeait sur la pertinence de tenir deux audiences sur un même dossier. Bien évidemment, le juge de première instance a conclu que cela était nécessaire et la Cour suprême du Canada a confirmé son verdict.
Pour ce qui est du début de l'étude, on ne tient toujours pas compte du fait qu'il faudra se livrer aux mêmes formalités avec la province et que l'on devra encore composer avec ce dédoublement.
Mme Laurie-Lean : Comme l'écart de temps peut varier considérablement, tout dépend de la situation. La Colombie-Britannique est ainsi particulièrement énergique dans ses efforts pour forcer la main du gouvernement fédéral. C'est également dans cette province que l'on a réalisé le projet pilote du Bureau de gestion de grands projets. Dans bon nombre de cas, il a fallu 18 mois, voire davantage.
Même un délai de six ou sept mois est trop long pour permettre toute coordination du processus. Voilà 19 ans que l'on nous promet une seule évaluation par projet. Si nous débutons avec six mois de retard, nous ne pourrons jamais fusionner les processus. S'il s'agit de dédoublement, on peut dire qu'on gaspille l'argent des contribuables. Du point de vue du proposant, l'effort supplémentaire exigé ne serait pas si énorme si l'on fonctionnait de façon coordonnée. L'effet combiné du double emploi et des échéanciers distincts fait en sorte qu'une même collectivité peut être consultée à deux reprises dans une courte période de temps. Il y en a toujours qui prétendront qu'en dédoublant les consultations, on s'assure de leur efficacité. Cependant, lorsqu'un processus est dupliqué, chacun des intervenants croit que l'autre va s'occuper de certaines choses et essaie de lui faire porter la responsabilité sans s'acquitter de sa part du fardeau.
Lors de l'examen de la LCEE, nous allons d'abord faire valoir qu'il faut éliminer le double emploi à sa source. Ainsi, nous irions beaucoup plus loin que ce qui est proposé ici en disant qu'une évaluation fédérale ne devrait être déclenchée que s'il n'y a pas d'évaluation provinciale; il faut plutôt s'assurer que les instances fédérales participent à l'évaluation provinciale. C'est tout au moins le cas pour notre industrie qui relève, d'un point de vue constitutionnel, de la réglementation provinciale.
Le gouvernement de la Colombie-Britannique exerce de fortes pressions en faveur de l'inclusion de dispositions d'équivalence dans la LCEE — et nous sommes tout à fait d'accord. Plutôt que de simplement coordonner les processus, on pourrait dire à l'autre partie que son processus répond à nos besoins et que nous n'allons donc pas procéder à notre propre évaluation.
Cela soulève tout de même certaines questions, car au moment de prendre la décision de déclencher ou non le processus, il faut s'assurer que l'autre partie est en mesure de le faire si l'on choisit de ne pas agir. Par conséquent, les équivalences ne sont pas nécessairement suffisantes.
Le sénateur McCoy a repris le commentaire que j'ai fait dans mes observations préliminaires en précisant que les choses pourront s'améliorer « si » l'agence utilise ces pouvoirs de façon appropriée. C'est bien ce que j'ai dit. Voilà maintenant 19 ans que l'on nous promet toutes sortes de choses. On nous a promis une seule évaluation par projet et des décisions plus rapides quant au déclenchement du processus.
Comme les modifications apportées en 2003 renfermaient un grand nombre de promesses qui n'ont jamais abouti, je n'oserais pas parier sur la concrétisation de celles-ci. Nous pouvons toutefois espérer que l'on saura en faire bon usage pour améliorer quelque peu la situation.
Le sénateur Baker : M. Barnes a mentionné — en trois occasions, je crois — le principe d'une seule évaluation par projet. À bien y penser, bon nombre d'ententes fédérales-provinciales ont pour objet le type de coordination dont vous parlez et ne semblent pas donner beaucoup de résultats. Avez-vous des suggestions pour améliorer les choses, monsieur Barnes?
M. Barnes : Oui. À titre d'exemple, pensons à un projet réalisé au Nouveau-Brunswick qui exigerait une étude approfondie du gouvernement fédéral et un examen environnemental détaillé de la province. Les règlements du Nouveau-Brunswick établissent certains échéanciers précis pour l'ébauche et l'élaboration finale des lignes directrices qui servent à déterminer l'ampleur de l'évaluation menée par le gouvernement. Selon ces échéanciers, les lignes directrices doivent être émises au plus tard 120 jours après la décision de procéder à un examen environnemental détaillé par la province. L'Agence canadienne d'évaluation environnementale fait valoir que, dans le meilleur des scénarios possibles, le processus de décision quant au suivi de l'étude approfondie devrait prendre entre cinq mois et demi et six mois. Dans les faits, il faut compter de 8 à 18 mois.
Dans un cas comme celui-ci au Nouveau-Brunswick, la province serait prête à amorcer l'examen en s'appuyant sur la version finale des lignes directrices, mais aucune décision n'aurait été encore prise quant à l'étude approfondie par le gouvernement fédéral. On ne saurait pas encore si le gouvernement fédéral aura recours à une commission d'examen ou à une étude approfondie, et on n'aurait toujours pas déterminé la portée de l'évaluation, ce qui montre bien qu'il y a manque de synchronisation entre les deux processus.
Les modifications proposées ici centraliseront le processus de décision en permettant à l'agence de déterminer la portée de l'étude approfondie, ce qui offre l'occasion d'aller plus facilement de l'avant, peut-être même de façon mieux synchronisée par rapport aux mesures prises par les autres gouvernements. Les possibilités d'harmonisation seraient meilleures. Ce nouveau régime ne garantit pas que ce serait toujours le cas, mais c'est préférable à la situation actuelle où la synchronisation est tout simplement impossible avec le Nouveau-Brunswick, notamment. J'aurais pu vous donner le même exemple avec d'autres provinces. C'est aussi le cas en Colombie-Britannique. Les provinces sont toujours en train d'attendre les études approfondies du gouvernement fédéral.
Le sénateur Baker : Nous sommes tous conscients que les différents gouvernements ont leurs sphères de compétence respectives. Les responsabilités des provinces diffèrent grandement de celles du gouvernement fédéral. À la suite de la décision rendue par la Cour suprême du Canada, des audiences publiques ont dû être tenues à nouveau, de la même manière et sur les mêmes questions. Lorsque différentes sphères de compétence et différents enjeux sont en cause, comment croyez-vous que l'on peut combiner le tout? Vous ne cessez de réclamer une seule évaluation par projet. Comment allons-nous fusionner les deux pour vous donner ce que vous demandez?
M. Barnes : Il faut malheureusement procéder par petites étapes successives, car il s'agit d'un processus complexe où des responsabilités fédérales ont été dévolues aux provinces. C'est notre Constitution qui est à l'origine de ces complications.
Il y a une possibilité d'harmonisation si les agences sont disposées à coopérer si les lois ne les empêchent de le faire. L'arrêté MiningWatch Canada c. Canada (Pêches et Océans) — parfois appelé l'affaire Red Chris — conclut essentiellement que l'on ne peut pas faire le malin en limitant la portée de son projet pour éviter une étude approfondie. La Cour a également reconnu que sa décision pouvait mener à un dédoublement du processus, mais a précisé qu'il lui était impossible de faire autrement étant donné la teneur de la loi.
Dans sa décision, la Cour suprême du Canada a souligné l'importance de l'harmonisation, invitant ainsi les autorités à faire le nécessaire. Grâce à ces changements touchant les études approfondies, le gouvernement fédéral a maintenant la possibilité de travailler en synchronisation avec les provinces. Les deux ordres de gouvernement sont désormais en mesure de mieux harmoniser leurs travaux en s'appuyant sur les audiences tenues et les documents produits de part et d'autre. On peut ainsi se diriger vers l'objectif d'une seule évaluation par projet.
Le sénateur Neufeld : Voilà des propos réjouissants. Depuis des années, la Colombie-Britannique s'efforce d'améliorer tout au moins l'harmonisation. Je n'ai jamais dit que les évaluations environnementales n'ont pas leur importance. Il faut effectuer de bonnes évaluations environnementales, mais il faut travailler ensemble.
Madame Laurie-Lean, vous avez parlé de toutes ces choses que l'on vous a promises. Ce matin, on nous a dit que si nous adoptions ces terribles mesures, si nous ne les retirions pas de ce projet de loi d'exécution du budget pour les étudier pendant encore 20 ans, nous allons ramener l'évaluation environnementale à sa situation de 1979. Vous nous avez indiqué que vous travaillez pour l'Association minière canadienne depuis 19 ans, alors il faut remonter encore un peu plus loin. Que pensez-vous de cette déclaration? C'est à peu près ce qu'on nous a dit. Nous reculerions jusqu'avant 1979.
Mme Laurie-Lean : Je vous renvoie au rapport du commissaire. Il serait bon que vous en preniez connaissance. Le commissaire a mis au jour une grande quantité de dépenses et de processus administratifs, mais n'a pu trouver aucune preuve d'avantage quelconque pour l'environnement ou la société découlant de toutes ces évaluations environnementales. C'est ce qui est vraiment triste. Je ne dis pas qu'il ne devrait pas y en avoir, mais c'est tout de même regrettable.
Le sénateur McCoy : Qui a dit ça?
Mme Laurie-Lean : Il y a des exemples de cas, dans d'autres pays et sous d'autres gouvernements, ou une seule évaluation environnementale, menée assez rapidement, permet de répondre à un large éventail de besoins. On pose des questions et on trouve des solutions, mais en s'appuyant sur un processus rigoureux assez bien défini, ce qui n'est pas notre cas. En toute franchise, je ne crois pas que les modifications proposées pourraient empirer les choses.
Le président : Je dirais que le but visé était plutôt de les améliorer.
Mme Laurie-Lean : Tout dépend; les modifications peuvent être apportées. Pour l'essentiel, elles ne changent pas la teneur de la loi ou la nature du processus. Il s'agit en fait de transférer la responsabilité du processus décisionnel d'un ministère à l'agence, en misant sur le fait que celle-ci sera en mesure de s'acquitter de cette tâche, alors que le ministère n'était pas apte ou disposé à le faire. Quelques-unes des contraintes sont éliminées. L'obligation de consulter demeure, mais on en extrait le caractère prescriptif, tout comme dans le processus dans son ensemble, pour laisser une plus grande marge de manœuvre. Si celle-ci est utilisée à bon escient et avec la souplesse nécessaire pour répondre aux besoins tout en assurant une meilleure coordination avec les provinces, la loi donnera de bons résultats. Si cette marge de manœuvre est utilisée comme on l'a fait dans le passé, avec beaucoup d'hésitation, en se livrant au processus pour respecter la lettre de la loi, et non son esprit, alors la situation ne s'améliorera pas.
Le sénateur Neufeld : Vous conviendrez avec moi que le fait de prendre la décision d'emblée, au début de la démarche, assura une meilleure synchronisation entre le processus fédéral et celui des provinces. Je ne parle d'aucune province en particulier. Je connais la situation en Colombie-Britannique et je sais que nous avons un échéancier. Nous disposons de 180 jours. Un refus est toujours possible. Il s'agit qu'une décision soit prise. En prenant ainsi une décision dès le départ plutôt que de laisser aux ministères 18 mois, en moyenne, pour se quereller afin de décider qui prendra la responsabilité, nous nous rapprochons des échéances citées par le sénateur Baker pour en arriver à l'objectif d'une seule évaluation par projet. Êtes-vous d'accord avec cette affirmation, si l'on procède de façon appropriée?
Mme Laurie-Lean : Oui.
Le sénateur Neufeld : On nous a légalement laissé entendre que, dans le cas par exemple d'un grand projet d'exploitation des sables bitumineux, un ministre — sans dire lequel, mais un ministre, peu importe le parti — pourrait décider qu'aucune évaluation environnementale ne sera menée sur le projet, mais qu'elle portera uniquement sur le petit pont enjambant une petite rivière pour atteindre le site du projet. J'aimerais que vous m'aidiez à comprendre. Est-ce que quelqu'un peut nous en dire plus long?
Le président : C'est la prérogative du ministre quant à l'établissement de la portée de l'évaluation.
M. Barnes : Une des dispositions proposée permet effectivement au ministre d'établir la portée. J'y vois une possibilité de minimiser les dédoublements lorsque l'occasion se présente. Autrement dit, le ministre a la possibilité de déclarer : « J'ai examiné le processus mené par la Colombie-Britannique pour ce projet. Je suis d'accord avec les lignes directrices établies et nous allons fonder notre décision sur la totalité ou une partie des points soulevés lors du processus provincial. » Cela pourrait par exemple prendre la forme d'une portée plus restreinte ou d'un nombre réduit d'étapes. C'est mon interprétation; je n'y vois pas nécessairement une occasion de faire le malin, comme l'indiquait le sénateur Baker, en établissant la portée de manière à éviter l'évaluation. Le but visé est en fait d'éviter les dédoublements. C'est ce que permettent ces dispositions.
Mme Laurie-Lean : J'ajouterais qu'il ne serait pas vraiment avantageux de contourner le système de cette manière, car les critères déclenchant le processus d'évaluation environnementale continueraient de s'appliquer. Si l'autorisation — si je puis m'exprimer ainsi — concernait la Loi sur les pêches, il faudrait encore se pencher sur toutes les questions à considérer. Si les éléments essentiels étaient exclus de la portée de l'évaluation, le projet ne pourrait pas aller de l'avant.
Le sénateur Neufeld : La Colombie-Britannique aimerait beaucoup qu'un facteur d'équivalence s'applique — nous exerçons des pressions en ce sens depuis longtemps déjà — afin que nos évaluations soient considérées comme suffisamment valables pour répondre aux critères fédéraux. Ce serait sans doute facilement réalisable. Il revient encore au gouvernement fédéral d'en décider.
C'est prévu dans notre loi en Colombie-Britannique. Nous pouvons faire valoir au gouvernement fédéral que l'évaluation qu'il a effectuée nous suffit. Nous voudrions seulement que le gouvernement fédéral puisse faire la même chose, ce qui nous permettrait d'en arriver à l'objectif d'une seule évaluation par projet en répondant à tous les besoins à combler.
Le président : Merci, sénateur Neufeld. Je vais considérer qu'il s'agit d'un commentaire de votre part, car vous aviez déjà posé votre dernière question. Le sénateur Runciman attend pour poser la sienne.
Le sénateur Neufeld : Je vous remercie. Je voulais que cela figure au compte rendu.
Le sénateur McCoy : Si vous me permettez une légère interruption, il y a un fait que j'aimerais rectifier.
Le président : Sénateur Runciman.
Le sénateur McCoy : Dans cette décision que vous nous avez citée, le requérant a attendu six mois après sa demande à la province pour en présenter une au gouvernement fédéral, alors ce ne sont pas toujours les processus qui sont responsables.
Le sénateur Neufeld : C'est le gouvernement fédéral qui se faisait attendre.
Le sénateur Runciman : Peu importe, vous pourrez en débattre tous les deux.
Le sénateur McCoy : Merci.
Le sénateur Runciman : Il n'y a pas de quoi. Nous sommes ravis de vous recevoir comme témoins aujourd'hui. Nous sommes très heureux de pouvoir compter sur votre expertise dans ce domaine. La plupart d'entre nous ne connaissons pas nécessairement à fond ces dossiers. Nous nous réjouissons également du fait que vous n'avez aucun intérêt politique à défendre.
Monsieur Barnes, vous avez beaucoup écrit à ce sujet. J'ai devant moi un article dans lequel vous décrivez le processus de façon un peu plus mordante que vous l'avez fait aujourd'hui. Vous dites que le système canadien d'évaluation environnementale est en crise. Dans cet article, vous traitez d'une problématique particulière dont j'aimerais que vous nous parliez aujourd'hui, à savoir la complexité du système et les chevauchements entre sphères de compétence et qui font obstacle aux investissements au Canada.
Je fais le lien avec ce que Mme May nous a dit ce matin. Le président nous a souligné tout à l'heure qu'elle était allée trop loin relativement à un aspect particulier, mais je crois personnellement qu'elle l'a fait pour bon nombre de questions. Elle a notamment dit que les évaluations environnementales n'ont jamais dissuadé les promoteurs de projet. Vous indiquez ici que l'on fait obstacle aux investissements au Canada. Pourriez-vous nous en dire davantage à ce sujet et peut-être nous parler également des répercussions sur les emplois et sur notre pays? Est-ce possible?
M. Barnes : Vous me laissez combien de temps? L'évaluation environnementale n'a pas pour but de dissuader les promoteurs de projet. En fait, si vous lisez l'objectif de la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale, vous verrez qu'elle vise à permettre de meilleures décisions de planification aux fins du développement durable. Je paraphrase, mais il s'agit essentiellement de planifier de meilleurs projets, et non de mettre un frein aux projets. Je crois que l'on présente ici sous un faux jour l'intention de la LCEE.
J'ai rédigé quelques articles où je faisais la critique de la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale et M. Atkinson a souligné que j'allais profiter du processus d'examen parlementaire pour faire valoir — et je crois que c'est également le point de vue de l'ACC — que l'un des problèmes fondamentaux de la loi réside maintenant dans ce dédoublement dont nous parlons, ce manque de réciprocité, cette incapacité à considérer un processus équivalent à un autre, et cetera. Des solutions à ce sujet sont essentielles si l'on veut concrétiser le concept d'une seule évaluation par projet.
En avril dernier, à Genève, j'ai présenté mon plus récent article à l'International Association for Impact Assessment. J'y faisais le suivi d'un exposé précédent dans lequel je traitais du même sujet en 2005. Dans ce plus récent article, j'exprimais essentiellement l'avis que le gouvernement fédéral doit assumer un rôle de leadership pour les questions touchant l'évaluation environnementale au Canada. Pour ce faire, nous devons établir un cadre national pour l'évaluation environnementale. Nous avons des cadres semblables dans d'autres secteurs où les provinces et le gouvernement fédéral coopèrent, comme celui de la santé notamment, en vue d'atteindre collectivement les objectifs nationaux et provinciaux. Ce cadre national permettrait de définir officiellement les éléments de base requis pour une évaluation environnementale efficace. On y traiterait entre autres de l'établissement de la portée, des consultations publiques, de l'examen de l'évaluation environnementale, de la transparence du processus et de l'information à diffuser sur un site Internet.
Un cadre national semblable serait établi avec l'accord de l'ensemble des provinces, des territoires et des agences responsables. Il ne serait pas nécessaire que chacun utilise exactement le même processus pour l'évaluation environnementale, même les mêmes éléments et critères fondamentaux devraient s'y retrouver. On pourrait ainsi en arriver à ce que proposait le sénateur Neufeld tout à l'heure. Lorsque quelqu'un présente un projet dans une province ou un territoire, tous les autres intervenants peuvent se dire que c'est cette province ou ce territoire qui prendra en charge l'évaluation en se conformant au cadre national. Toutes les autres parties se tiennent donc à l'écart.
Des spécialistes de Pêches et Océans Canada ou d'Environnement Canada, par exemple, pourraient participer au processus en leur qualité d'experts dans leurs domaines respectifs. Sauf tout le respect que je leur dois, ce ne sont pas des spécialistes de l'administration de l'évaluation environnementale; ce sont des experts des pêches ou des transports. Ils peuvent ainsi se limiter à leur domaine de compétence et à leur mandat.
Si nous avions un cadre assurant la réciprocité des processus, chacun s'en tiendrait davantage à sa propre sphère de compétence. Ainsi, le gouvernement fédéral pourrait éviter de s'ingérer dans les affaires des provinces, auxquelles nous avons confié bon nombre de ces responsabilités. Cela permettrait aux provinces, aux territoires et aux différentes commissions et agences d'effectuer les évaluations conformément à leur mandat en suivant les normes établies dans le cadre national qui assurerait un processus similaire, un seul ensemble de documents et un responsable unique.
Je ne crois pas que cela soit si difficile. Je suis conscient qu'il peut y avoir quelques complications. Nous n'avons pas parlé de la protection des droits et des intérêts des Autochtones et des répercussions qui peuvent s'ensuivre. Cependant, ces questions pourraient certes être examinées par une seule instance, plutôt que par plusieurs à la fois. C'est donc peut- être l'orientation que nous devrions prendre à long terme. À l'occasion de l'examen parlementaire, nous devrions nous pencher sur les obstacles au principe d'une seule évaluation par projet et à la réciprocité entre les différentes administrations. Je pense que tout est une question de coopération, et nous sommes parvenus à le faire dans d'autres secteurs du gouvernement et de la société au Canada.
Le sénateur Marshall : J'aimerais connaître votre opinion au sujet d'une des dispositions de la loi qui exemptent du processus d'évaluation environnentale les projets financés dans le cadre de différentes ententes fédérales, à moins que le ministre en décide autrement. Bon nombre de ces programmes fédéraux de financement ne datent pas d'hier. On fait d'ailleurs référence à un de ces programmes qui remonte à 2003.
Avez-vous des commentaires au sujet de cette disposition? N'est-il pas trop tard pour une telle mesure, ou y a-t-il encore plusieurs projets à financer?
En outre, je suis persuadé que d'autres ententes fédérales seront éventuellement conclues, alors comment voyez-vous tout cela se concrétiser, compte tenu de la modification qui est proposée?
M. Barnes : La modification dont vous parlez vise à faire en sorte qu'il soit toujours possible d'éviter de gaspiller des ressources pour ces projets qui n'ont aucune répercussion sur l'environnement, mais qui sont actuellement visés par le processus d'évaluation. Ces balises visent à compléter celles incluses dans certains amendements apportés l'an dernier ainsi que dans les modifications concernant le plan Chantiers Canada. Certaines garanties prévoient notamment que l'exemption ne s'applique pas si le projet a lieu le long d'un cours d'eau ou à proximité d'une zone vulnérable.
Le sénateur Marshall : C'est exact.
M. Barnes : On s'efforce de miser sur les succès obtenus grâce à cette mesure initiale à court terme prise l'an dernier en faisant en sorte qu'elle s'applique à plus long terme à tous ces projets n'ayant pas d'impact sur l'environnement. Nos membres au sein de l'Association canadienne de la construction pourront ainsi aller de l'avant avec ces projets pour lesquels une évaluation environnementale n'est pas vraiment nécessaire. En outre, cela libérera également des ressources pour procéder de façon plus efficace et efficiente à l'évaluation des projets de grande envergure.
Le sénateur Marshall : La plupart de ces projets ne seraient-ils pas déjà terminés? Une partie de ces fonds ont été annoncés il y a plusieurs années; le Fonds sur l'infrastructure municipale rurale a été annoncé dans le budget de 2003. Je serais portée à croire que la plupart de ces projets sont maintenant terminés.
Est-ce que cette modification visera de nombreux projets ou seulement quelques-uns qui auraient été laissés en plan? Quelle en est l'ampleur?
M. Atkinson : Je crois que ces modifications assurent l'application de l'exemption aux projets réalisés grâce au Fonds Chantiers Canada qui sera accessible jusqu'en 2013-2014. Il est fort possible que certains de ces projets n'aient pas encore débuté ou n'aient pas encore obtenu toutes les approbations requises par rapport au financement.
À ma connaissance, ces modifications visent à étendre l'application des exemptions accordées pour les programmes de stimulation prévus dans le budget de 2009, si je ne m'abuse, pour inclure les projets financés dans le cadre du Fonds Chantiers Canada qui se poursuivra jusqu'en 2013-2014, si ma mémoire est fidèle.
Le sénateur Marshall : A-t-on constaté que l'on avait gaspillé beaucoup d'argent ou de temps pour procéder à des évaluations environnementales sur certains des projets terminés?
M. Atkinson : Comme l'indiquait M. Barnes, le problème vient du fait qu'en l'absence de mesures législatives en ce sens, certains critères vont déclencher l'amorce du processus d'évaluation pour des projets qui, de toute évidence, n'ont aucune conséquence pour l'environnement. On voulait ainsi s'assurer que cet effet déclencheur n'intervienne pas pour les projets en question.
La plupart des projets admissibles au fonds de stimulation étaient censés de toute manière être prêts à construire, ce qui fait que l'on peut présumer que les évaluations environnementales avaient déjà été effectuées lorsque nos membres étaient invités à présenter leurs soumissions. Comme le mentionnait M. Barnes, je crois que si l'on ne prenait pas de telles mesures, les administrateurs de la loi auraient eu les mains liées en raison de l'activation de ces effets déclencheurs.
Le sénateur Marshall : En présumant qu'il y aura d'autres programmes fédéraux de financement pour les infrastructures, je ne crois pas que ces mesures législatives visent les programmes qui ne sont pas encore annoncés. Pensez-vous que ce sera le cas?
M. Atkinson : Je pense que cela dépend en grande partie de l'examen parlementaire de la loi.
Le président : Vous prévoyez qu'il faudra compter plusieurs années.
M. Atkinson : Tout dépend du degré d'optimisme de chacun. Si l'on procède vraiment à un examen approfondi et détaillé de la loi, il faut s'attendre à ce que cela soit moins rapide que certains puissent l'espérer.
Le président : L'estimation de sept ans est-elle pessimiste ou optimiste?
M. Atkinson : Je vous laisse en juger.
Le président : Merci beaucoup. Je crois que le ministre est arrivé, et le temps prévu pour cette portion de notre séance est terminé. J'avais encore le sénateur Runciman sur ma liste pour le deuxième tour, mais nous devrons essayer de faire amende honorable ultérieurement.
Au nom du Comité sénatorial permanent des finances nationales, je tiens à remercier sincèrement pour leur comparution Mme Laurie-Lean, de l'Association minière du Canada; M. Jeff Barnes, de Stantec; et M. Michael Atkinson, de l'Association de la construction du Canada. Merci de nous avoir permis de profiter de votre expérience concrète de l'évaluation environnementale.
Nous sommes très heureux de pouvoir accueillir cet après-midi l'honorable Jim Prentice, ministre de l'Environnement, qui sera avec nous pendant une heure. Au fil de notre étude de ce projet de loi, monsieur le ministre, différentes questions touchant les politiques ont été soulevées et les fonctionnaires du ministère nous ont priés de nous adresser aux politiciens. Nous sommes donc ravis de vous accueillir aujourd'hui pour répondre aux questions des honorables sénateurs concernant différentes dispositions du projet de loi C-9.
Si vous voulez faire des remarques préliminaires, je vous en prie, vous avez la parole; ensuite, nous passerons aux questions.
L'honorable Jim Prentice, C.P., député, ministre de l'Environnement : Merci. Cela me va. Mesdames et messieurs, merci de m'avoir invité en ma qualité de ministre chargé de l'application de la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale et de ministre responsable de l'Agence canadienne d'évaluation environnementale. Je suis d'ailleurs accompagné de représentants de cette agence.
Je suis bien conscient des efforts que vous consacrez, en ces journées de canicule, à l'examen approfondi des modifications proposées à la loi. Comme j'ai moi-même été mêlé de très près à leur élaboration, c'est avec plaisir que je répondrai à vos questions.
Je suis un partisan convaincu du processus d'évaluation environnementale. Il est à la fois prudent et, de toute évidence, rentable d'améliorer un projet pour prévenir des dommages à l'environnement avant le début de sa réalisation.
[Français]
Malheureusement, il faut corriger certains problèmes inhérents au processus fédéral d'évaluation environnementale. Il est sujet à des retards, ces retards entraînant des redoublements avec les provinces. Cette situation ne profite pas à l'environnement et nuit à l'économie. Presque tous les observateurs avertis ont souligné, au cours des dernières années, la nécessité urgente d'une réforme. Il s'agit notamment du Comité consultatif externe sur la réglementation intelligente qui, en 2004 ou 2005, a remis son rapport au précédent gouvernement, aux premiers ministres et ministres des provinces.
[Traduction]
Malheureusement, le processus fédéral d'évaluation environnementale, parce qu'il a déçu, a besoin d'être corrigé. Il a tendance à prendre du retard. Ces retards ont compliqué l'harmonisation avec les provinces, aux dépens de l'environnement et, aussi, de l'économie.
Monsieur le président, je donnerai rapidement trois exemples corroborants, pris dans différentes régions du Canada. Des décisions fédérales ont effectivement fait suite à l'évaluation environnementale, par exemple, du projet de la mine du ruisseau Ruby, en Colombie-Britannique, mais 18 mois après la fin du processus homologue de la province. Ce retard n'était pas dû à des préoccupations pour l'environnement ni à des problèmes techniques, mais il provenait du retard de 16 mois pris par le gouvernement fédéral à faire démarrer le processus. Imaginez les effets d'une différence d'un an et demi entre la fin d'un processus fédéral et celle d'un processus provincial.
Au Manitoba, la décision fédérale concernant le barrage Wuskwatim est tombée près de deux ans après la publication du rapport de la province — avec, plus précisément, un retard de 21 mois. En Nouvelle-Écosse, deux autorités fédérales ont effectué deux études approfondies distinctes de l'installation de gaz naturel liquéfié et de Keltic Petrochemicals ltée. Dans ce cas, le processus et la décision fédéraux ont retardé d'un an par rapport au processus provincial. Non seulement n'avons-nous pas respecté la règle d'une évaluation par projet, mais, simultanément, deux gouvernements ont réalisé trois évaluations.
Ces trois exemples, qui montrent simplement l'étendue du problème, représentent 6,7 milliards de dollars et des milliers d'emplois pour les Canadiens. Il y a eu entre les gouvernements répétition inutile du travail, qui empêche l'argent des contribuables d'aboutir à des mesures concrètes de protection de l'environnement. Je pense qu'il est juste de dire que nous préférerions tous que cet argent aille à des mesures d'atténuation et de surveillance, à la recherche, à la création de zones protégées et à des mesures qui donneraient des résultats positifs pour l'environnement.
Les modifications dont nous discuterons aujourd'hui s'attaquent à la racine des retards subis par les projets dont je viens de parler et par d'autres projets.
[Français]
En tout premier lieu, aller de l'avant avec les projets en temps utile constitue une partie importante du plan d'action économique. En mars 2009, le gouvernement s'est servi de règlements pour exclure temporairement les projets d'infrastructure publique courants dont les effets environnementaux sont négligeables de l'obligation de faire l'objet d'une évaluation environnementale. Les modifications proposées rendraient ces exclusions permanentes et les intégreraient dans l'annexe de la loi. La principale différence serait l'ajout d'une disposition de la protection qui permettrait au ministre de l'Environnement d'exiger l'évaluation environnementale d'un projet lorsque celle-ci est justifiée.
[Traduction]
Il s'agit essentiellement d'une disposition qui permet de faire des économies.
La détermination de la portée de l'évaluation est le second objet des modifications proposées. En fixant des limites à l'évaluation environnementale, elle a toujours constitué une étape cruciale, une cause importante de retards. En janvier dernier, le jugement de la Cour suprême dans l'affaire MiningWatch Canada c. Canada — selon lequel la loi n'autorise pas le déclassement des projets — a modifié les conditions dans lesquelles on détermine la portée de l'évaluation environnementale. Je sais que ce sera un sujet de discussion entre nous.
Les modifications proposées répondent à ce jugement. Il ne s'agit pas de le renverser, j'insiste là-dessus, ni de retourner au passé, alors qu'un fonctionnaire d'un ministère quelconque pouvait diminuer la portée de l'évaluation d'un projet. Nous proposons plutôt, dans le projet de loi, que ce pouvoir passe par le ministre de l'Environnement. Dans un souci de transparence, il est tenu de fixer publiquement les conditions dans lesquelles il utilisera ce pouvoir. Je n'ai pas l'intention d'utiliser ces dispositions pour affaiblir le processus d'évaluation environnementale.
En outre, la décision prise à l'égard de la portée de l'évaluation ne peut pas modifier la nature de l'évaluation. Autrement dit, les projets visés par le Règlement sur la liste d'étude approfondie seront l'objet d'une étude approfondie, c'est-à-dire d'une évaluation minutieuse avec possibilité de participation du public qui peut, à cette fin, bénéficier d'une aide financière.
Monsieur le président, à l'appui d'une détermination raisonnable de la portée d'une évaluation, je tiens à citer un passage du mémoire préparé pour la Cour suprême du Canada par Ecojustice et MiningWatch Canada (Mines Alerte Canada) :
En dépit de la signification ordinaire de « projet », les autorités peuvent encore faire preuve de discernement et de jugement dans la définition, sous le régime de l'article 15, de limites raisonnables pour une décision concernant la portée d'une évaluation environnementale. Toutefois, ce jugement doit être raisonnable et conforme à la loi.
Monsieur le président, je suis d'accord avec cette affirmation, sauf que je crois que l'exercice de l'autorité est suffisamment important pour que ce soit le ministre de l'Environnement qui en soit responsable et non un certain nombre d'autorités fédérales.
Un troisième problème concerne la dilution de l'autorité, véritable problème pour les projets d'envergure. En effet, à l'échelon fédéral, personne n'était chargé du processus.
L'évaluation environnementale peut relever également de Pêches et Océans Canada, d'Environnement Canada, de Transport Canada, et cetera, chaque ministère possédant des mandats et des opinions différents. De fait, cette répartition a été, en majeure partie, la cause des retards subis dans le système fédéral. Le résultat a souvent été une espèce de congestion bureaucratique. Les modifications proposées permettront de détruire ce bouchon en faisant en sorte qu'un seul organisme — qui, je le maintiens, devrait être l'organisme responsable, c'est-à-dire l'Agence canadienne d'évaluation environnementale — soit chargé de la plupart des études approfondies et je proposerai des échéanciers obligatoires pour compléter ce changement.
Bref, en balayant le pas de notre porte, nous serons mieux en mesure de collaborer avec les provinces pour qu'il suffise d'une seule évaluation environnementale pour répondre aux exigences légales de la province et de l'État fédéral. Nous atteindrons ce but, que l'on résume parfois par le slogan un projet, une évaluation.
Nous pouvons également nous attendre à des gains pour l'environnement. M. Stephen Hazell, écologiste réputé, a recommandé exactement ce changement. Dans le livre qu'il a publié en 1998, Canada v. The Environment : Federal Environmental Assessment, il affirme que la réalisation des études approfondies pourrait passer des autorités fédérales à l'Agence canadienne d'évaluation environnementale.
C'est exactement à ce résultat qu'arrivent en partie ces modifications, monsieur le président.
Pourquoi adopter ces modifications maintenant? Franchement, il n'y a pas de temps à perdre. Nous connaissons la nature des problèmes. Le commissaire à l'environnement et au développement durable les a reco1mmandées. Il a dit que l'Agence canadienne d'évaluation environnementale devait proposer au ministre de l'Environnement des solutions aux problèmes graves de coordination qui existent depuis longtemps à l'échelon fédéral, y compris en ce qui concerne la détermination de la portée de l'évaluation des projets et d'autres questions connexes. Si je me souviens bien, cette recommandation du commissaire date de deux ans à peine.
Par suite du jugement de la Cour suprême du Canada dans l'affaire MiningWatch Canada c. Canada (Pêches et Océans), le nombre de projets qui subiront une étude approfondie doublera probablement. C'est bon pour l'environnement, pour autant que nous puissions éviter le gâchis actuel des retards et des doubles emplois.
Si les modifications proposées entraient en vigueur la semaine prochaine, l'Agence canadienne d'évaluation environnementale serait chargée de 22 projets qui sont déjà engagés dans le système et qui représentent plus de 15 milliards de dollars d'investissements. Graduellement, ce chiffre augmentera. Les milliers de projets d'infrastructure qui font partie du Plan d'action économique du Canada ont également besoin de certitude, et le rétablissement économique de notre pays ne peut pas attendre.
En conclusion, monsieur le président, l'économie profitera d'un processus plus efficace, plus rapide; l'environnement, du renforcement du rôle du ministre de l'Environnement et de l'Agence canadienne d'évaluation environnementale. C'est avec ces objectifs multiples à l'esprit que nous avons proposé ces modifications. Je répondrai avec plaisir à vos questions.
Le président : Merci beaucoup, monsieur le ministre. Beaucoup de sénateurs sont désireux de participer. Je donne la parole au sénateur Ringuette.
Le sénateur Ringuette : Vous venez de dire que vous n'avez pas l'intention de réduire la portée de l'évaluation environnementale. Notre travail ne consiste pas à sonder vos intentions. Il est plutôt d'examiner les pouvoirs supplémentaires que vous acquérez grâce à ce projet de loi budgétaire.
Dans le projet de loi omnibus sur le budget de l'année dernière, les cours d'eau étaient l'enjeu environnemental. Cette année, dans le projet de loi omnibus sur le budget, il y a encore des changements — j'oserais dire des changements importants — aux processus environnementaux. Nous apprenons, ce matin que, à l'automne, la Chambre des communes sera saisie de l'examen prévu de la loi après sept ans d'existence.
Si ces changements sont si importants et si vous avez reçu des observations sur leur nécessité, pourquoi n'avez-vous pas demandé, à la faveur d'un projet de loi distinct, au moins, à la Chambre des communes, ou au comité de la Chambre des communes, l'automne dernier, d'entreprendre plus tôt le processus d'examen?
M. Prentice : Manifestement, une loi prescrira un examen de l'évaluation environnementale, selon un calendrier qu'elle établira. Les dispositions dont vous êtes saisis n'empêchent nullement cet examen. Elles feront partie du cadre législatif qui sera examiné en temps utile par le comité. J'appuie cet examen fixé par la loi. Il est important; il devrait conduire à des discussions intenses et à des modifications importantes de la loi.
Entre-temps, compte tenu des circonstances économiques dans lesquelles se trouve le pays, il importe d'assurer le bon fonctionnement du processus d'évaluation environnementale. Les modifications que nous proposons dans le projet de loi C-9 sont importantes, j'en conviens. Elles accomplissent quatre objectifs importants, auxquels j'ai fait allusion dans ma déclaration préliminaire, qui assureront le bon fonctionnement du processus d'évaluation et qui, en conséquence, nous aideront dans notre effort de rétablissement économique.
Premièrement, elles permettent de mettre en œuvre, dans la loi, le règlement d'exclusion que nous avons mis en place il y a un an et qui s'est révélé extrêmement efficace. En gros, elles donnent à ce règlement la forme d'une loi pour assurer, par grand souci de prudence, la protection de l'environnement. Une disposition sur la sécurité a été ajoutée, pour permettre au ministre de l'Environnement de soumettre tout projet à une évaluation environnementale.
Deuxièmement, elles confient la responsabilité de l'étude approfondie à un organisme fédéral. Cela, je le maintiens, est indispensable, et l'organisme devrait être l'Agence canadienne d'évaluation environnementale.
Troisièmement, elles répondent au jugement rendu dans l'affaire MiningWatch Canada c. Canada (Pêches et Océans), et elles font en sorte que, à l'échelon fédéral, une autorité se charge de la définition convenable de la portée de l'évaluation d'un projet.
Quatrièmement, elles s'attaquent à des problèmes systémiques qui ont perturbé le suivi.
Ces quatre modifications sont importantes. Elles sont essentielles au fonctionnement satisfaisant du processus d'évaluation, grâce à la suppression des retards et du double emploi et grâce à l'harmonisation avec les provinces.
Le sénateur Ringuette : D'après moi, ces enjeux ne sont pas devenus soudainement majeurs en mars. C'était des enjeux avant, parce que vous avez promulgué des règlements — quand ce ne sont pas des lois — l'année dernière, sur ces enjeux, et nous sommes ici à examiner la transformation de règlements en lois. Je repose ma question. Si le problème est si important, pourquoi n'avez-vous pas demandé l'automne dernier à la Chambre des communes — je suis certaine qu'elle aurait été d'accord avec vous — d'entreprendre dès ce moment l'examen obligatoire de l'évaluation environnementale.
M. Prentice : L'examen obligatoire se fera d'après le calendrier établi à cette fin et il sera exhaustif.
Pour répondre à votre question, les modifications que propose le projet de loi C-9 ont généralement été demandées, ces dernières années, par le commissaire à l'environnement et au développement durable du Canada. Le rapport sur la règlementation intelligente de 2005 les a demandées. Idem, à répétition, à presque toutes les occasions, par les premiers ministres et le Conseil de la fédération, ces 10 dernières années.
Ces modifications sont nécessaires, et, compte tenu de la conjoncture, elles s'imposent.
Le sénateur Neufeld : Merci, monsieur le ministre, de vous être déplacé. Nous avons entendu plus tôt des témoignages selon lesquels, grâce à ces modifications, la Commission canadienne de sûreté nucléaire ou l'Office national de l'énergie seraient désormais saisis de certaines questions, qui ne relèveraient plus des projets d'évaluation environnementale. Je connais mieux l'Office que la Commission; vous pourriez nous expliquer son fonctionnement. Nous avons essayé de maintenir l'application des mêmes règles; vous pourriez nous aider un peu à ce sujet. L'évaluation environnementale continuera de s'appliquer mais vous utiliserez un processus différent ou un processus qui s'applique depuis longtemps. Nous aimerions, s'il vous plaît, en savoir davantage.
M. Prentice : Volontiers. Je reviens à la question de l'Office national de l'énergie et de la Commission de sûreté nucléaire. Il se passe que, tout simplement, ni la loi ni les règlements ne seront modifiés. Il s'agit simplement d'un exercice de délégation de pouvoirs, prévue par l'article 43 de la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale. Rien ne change à cet égard; ce pouvoir, déjà prévu, s'exerce simplement dans le cas de deux organismes respectés. Nous y reviendrons.
Ce que le comité a entendu, si j'ai bien compris, au sujet de la disparition du droit de consultation du public est faux. Les modifications n'y touchent pas. Elles maintiennent au nombre actuellement prévu dans la loi les possibilités de consultation du public.
Si vous me permettez de les récapituler, la première occasion se présente dès le début du processus d'évaluation environnementale. On voit, à la lecture de l'article 2156, le projet d'article 21.1 de la loi dont vous êtes saisis, que cette disposition législative maintient cette première occasion.
La deuxième occasion offerte au public se présente pendant l'étude approfondie même. Elle est prévue dans la loi. Elle n'est pas modifiée. De fait, le projet d'article 21.2, dans la disposition susmentionnée, réitère ce droit de consultation, qui ne change pas.
La troisième occasion, qui subsiste dans la loi, permet au public de faire connaître ses observations sur l'étude approfondie, une fois le rapport terminé. Là encore, elle reste intouchée.
En gros, le public conserve la capacité de participer à l'étude approfondie et au processus d'évaluation environnementale. Il a le droit de participer d'abord à l'établissement de la méthodologie de l'étude approfondie; ensuite de participer à l'étude même; enfin, de participer une fois l'étude terminée. Sa capacité de participation est donc intégrale.
Le sénateur Neufeld : Je tiens à poser une petite question, pour le compte rendu.
Steve Kallick, du groupe environnemental Pew, a fait une entrevue avec la Presse canadienne, samedi dernier, sur les grandes réalisations du ministère de l'Environnement et du gouvernement du Canada en matière d'environnement. Il a dit que les efforts visant à préserver la forêt boréale canadienne étaient étonnants et extraordinaires, ajoutant même que les scientifiques espéraient que le Canada puisse de la sorte servir de modèle à l'étranger.
D'accord avec ce constat, Peter Lee, de Global Forest Watch Canada, a qualifié de colossale l'action du gouvernement en matière de conservation. Il a ajouté qu'il n'avait jamais rien vu de tel de toute sa vie.
Les nouvelles ne sont pas toutes mauvaises. Je voulais vous laisser avec cette impression plutôt que de continuer à vous interroger. Vous avez très bien répondu à ma première question. Merci.
Le président : Dans une heure, nous serons appelés à voter dans la salle du Sénat. Je vous préviendrai peu avant. Ce sera autour de 16 h 20. Avec notre témoin, nous aurons amplement le temps.
Le sénateur Banks : Monsieur le ministre, je vous le dis, je suis contre certaines dispositions et contre l'inclusion de ces mesures dans la loi, pour des raisons dont, j'en suis convaincu, vous avez entendu parler.
Vous avez fait allusion, et nous avons entendu d'autres personnes le faire également, à la question de la détermination de la portée de l'évaluation environnementale. Je pense que vous en conviendrez, elle a été la principale cause des retards auxquels vous avez fait allusion parce que, auparavant, elle devait être concertée entre divers ministères. Chaque ministère, Pêches et Océans, votre ministère, Ressources naturelles, pouvait avoir là-dessus une opinion. C'est à cette concertation que l'on peut généralement imputer la longueur de la participation fédérale dans les processus environnementaux. N'est-ce pas la raison?
M. Prentice : Je pense, en somme, que c'était une grosse partie du problème, effectivement.
Le sénateur Banks : Ma question se résume à ceci : ce projet de loi est-il la façon de résoudre ce problème, par rapport à d'autres moyens administratifs, qui n'exigent pas une concentration de pouvoirs au profit d'un joueur à la faveur d'une loi. Votre engagement à l'égard de l'environnement ne fait pas de doute, mais qu'en sera-t-il chez vos successeurs dans 10 ou 20 ans?
Dès le début, la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale possédait une certaine rigueur, une certaine cohérence que, d'après certains, et j'en suis, le projet de loi dilue un peu.
En 2001, le ministre de l'Environnement a déclaré qu'il fallait trouver une solution au problème de la portée des évaluations. En 2003, on a nommé un coordonnateur à cette fin. La même année, le Cabinet a émis une directive en ce sens, puis, en 2007, votre gouvernement a émis une autre directive du Cabinet, pour, je pense, corriger ce problème.
J'en déduis qu'on corrige le problème au moyen d'une loi plutôt que par la suppression du dédale bureaucratique qui empêche l'application efficace de la loi. N'ai-je pas à peu près raison?
M. Prentice : En gros, je pense que vous avez raison. Permettez-moi de simplement souligner le fait que j'ai consacré beaucoup de travail à ces dispositions, personnellement, pour essayer de résoudre le problème auquel nous faisons face. Vous avez raison en disant que cette loi existe depuis longtemps. Les problèmes que vous mentionnez ont tracassé les gouvernements successifs. Comme vous l'avez dit, le problème a été soulevé en 2001. En 2002-2003, il y a eu une directive du Cabinet. En 2004-2005, on a apporté une série de modifications législatives qui n'ont pas corrigé le problème; on pourrait même dire qu'elles l'ont empiré. En 2007, il y a eu une autre directive du Cabinet. L'essentiel du problème est qu'aucun organisme fédéral particulier n'est chargé du processus environnemental d'un projet dont le gouvernement fédéral est officiellement saisi. Entre-temps, dans la province compétente, le processus se met en branle, pour aboutir à une évaluation environnementale complète. Pendant ce temps, à l'échelon fédéral, Pêches et Océans, Environnement Canada, Transports Canada, la Défense nationale peut-être et d'autres ministères se débattent individuellement avec le projet, avec leurs propres moyens, chacun interprétant à sa manière la tâche à faire.
Dans certains cas, cela a donné lieu à des absurdités. Par exemple, différents ministères ont entrepris des évaluations non seulement parallèles mais différentes. Visiblement, quelqu'un doit se charger de ces études. Je maintiens que ce devrait logiquement être un organisme du secteur de l'environnement; d'où l'Agence canadienne d'évaluation environnementale et le ministre de l'Environnement.
Les modifications proposées visent à s'assurer que ces organismes et que ce ministre soient chargés du processus et qu'ils deviennent les agents qui feront bouger les choses et qui, en fin de compte, prendront les décisions.
Avec tout le travail que j'y ai mis, je suis convaincu qu'elles mettront fin à de nombreux problèmes actuels du système fédéral.
Le sénateur Banks : Je comprends. Si nous pouvions compter sur quelqu'un comme vous, qui occuperait toujours ce poste, nous aurions raison de nous réjouir, mais nous opposons une loi à un problème stratégique et à un problème de gestion. Cette loi accorde des pouvoirs extraordinaires à la personne qui occupe votre poste. Je vous remercie de vos réponses.
M. Prentice : Je ne dirais pas qu'il s'agit de pouvoirs extraordinaires. C'est un pouvoir concentré entre les mains d'une personne responsable, c'est-à-dire le ministre de l'Environnement. J'ajouterais que la logique commande qu'il en soit ainsi, peu importe qui il est et peu importe qui dirige l'Agence canadienne d'évaluation environnementale, par opposition au responsable de Transports Canada, de Pêches et Océans Canada ou d'une autre organisation.
Le sénateur Banks : Je suis désolé, monsieur le président, mais je tiens à faire une mise au point qui prendra une dizaine de secondes.
Je suis d'accord, mais, à juste titre, les gens ont demandé que le pouvoir soit centralisé, comme il en a été question plus tôt, entre les mains d'une commission des valeurs mobilières, par exemple, ou de la sécurité civile. Avant, c'était la même chose. Bon gré mal gré. Personne ne savait qui était responsable. Maintenant, nous savons. Il faut que le responsable soit à un endroit.
Cependant, ces gens n'ont pas demandé de diminution de ce que j'appellerai, un peu approximativement, la rigueur. C'est-à-dire qu'ils n'ont pas demandé de cesser d'appliquer dans certaines circonstances certains aspects de la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale. C'est ce que je voulais dire. Cependant, monsieur le ministre, je vous remercie de votre réponse.
Le sénateur Marshall : Merci, monsieur le ministre, d'être parmi nous.
Nous avons entendu les observations d'un certain nombre de témoins sur la partie 20 du projet de loi C-9. Les représentants de l'Association canadienne de la construction et de l'Association minière du Canada, qui vous ont immédiatement précédé, ont semblé dire que les modifications étaient bien reçues. Ils ont mentionné certains problèmes que vous avez énumérés dans vos remarques sur les retards subis par les évaluations, des évaluations de projets sans conséquence et des choses de cette nature.
L'une de leurs idées-forces, répétée un certain nombre de fois, c'est celle d'un processus unique d'évaluation plutôt qu'un processus fédéral et un processus provincial. Y a-t-il moyen d'harmoniser ces deux processus ou d'en avoir un seul, qui serait fédéro-provincial?
Quelle est votre opinion à ce sujet? Pourriez-vous nous dire si des discussions ont eu lieu à ce sujet avec une province?
M. Prentice : Les modifications législatives dont vous êtes saisis visent à faire balayer le pas de sa porte au gouvernement fédéral. Ce faisant, il sera bien placé pour coordonner ses mesures avec celles des provinces. Ces modifications devraient parvenir à mettre un terme aux circonstances que j'ai décrites, en vertu desquelles un processus provincial commence et se termine avant même que le consensus ne soit formé sur la méthodologie du processus fédéral. En corrigeant ce problème, nous serons en mesure d'harmoniser la plus grande partie de la plupart des projets que nous avons en commun avec les provinces et d'éviter le double emploi et les retards inutiles.
Ces modifications législatives ne mettent pas sur pied un système qui permet de remplacer le processus environnemental fédéral par le processus de la province. Des discussions publiques ont eu lieu à cet égard. Les premiers ministres ont exercé des pressions. J'ai longuement discuté avec certains — notamment Campbell et Williams — et la question risque de revenir sur le tapis, à l'égard de l'examen parlementaire. Cependant, j'insiste sur le fait que les modifications ne mettent pas en branle le remplacement d'une prise de décision fédérale par une prise de décision provinciale; elles visent simplement à rationaliser nos méthodes. Je suis convaincu que, dans une grande mesure, cela contribuera à résoudre le problème.
Le sénateur Marshall : Je vois bien que ces modifications ne modifieront en rien les exigences des provinces. Cependant, d'après les témoignages que nous avons entendus, des organisations estiment qu'il serait nettement avantageux de mieux harmoniser les processus ou d'en avoir qu'un seul.
M. Prentice : En règle générale, nous devrions aspirer à ne mettre sur pied qu'un projet, à ne faire qu'une évaluation, à la condition que cette évaluation satisfasse aux exigences légales des provinces et du gouvernement fédéral et qu'elle soit étoffée et diligente et qu'elle protège l'environnement. Je pense qu'on s'accorde à dire que le double emploi n'est dans l'intérêt de personne.
Le sénateur Marshall : Estimez-vous que l'étude approfondie de la loi qui s'annonce portera sur ce problème?
M. Prentice : J'en suis tout à fait sûr.
Le sénateur Angus : Bienvenue, monsieur le ministre. Si je ne m'abuse, vous êtes tout juste de retour de Chine. Nous sommes donc privilégiés de vous accueillir parmi nous dès le premier jour de votre retour.
Contrairement au sénateur Banks, je suis bien disposé à l'égard des modifications que vous proposez et je tiens à vous féliciter pour le travail que vous dites y avoir consacré personnellement, en tirant profit de votre vaste expérience d'avocat dans le domaine de l'environnement pour, en quelque sorte, faire disparaître le dédale auquel mon ami le sénateur Banks a fait allusion et clarifier cet important domaine de notre système législatif.
Cependant, je crois que ces modifications ont eu pour résultat de charger l'agence d'un certain nombre de nouvelles tâches et de lui donner plus de travail. Pouvez-vous nous assurer que les ressources financières et humaines de l'agence sont suffisantes pour tirer le meilleur parti de ces nouvelles dispositions?
M. Prentice : C'est une question raisonnable. Si l'Agence canadienne d'évaluation environnementale doit être la gardienne du processus, dans ce cas-ci, alors il faut présumer qu'elle disposera des ressources à cette fin. J'avais l'intention d'en parler, un peu plus tôt, en réponse à une question du sénateur Banks.
L'agence a déjà nettement commencé à faire, au cours des deux dernières années, ce que la loi a déterminé. Nous avons constaté que ceci constituait un problème pour le fonctionnement du système. C'est ainsi que, à la lumière d'une directive du Cabinet émise en 2007, nous avons entrepris de concentrer les pouvoirs à l'agence. Sans pouvoirs légaux pour prendre des décisions qui liaient, l'agence pouvait cependant devenir l'accompagnatrice, sinon l'administrateur du processus et elle avait reçu du cabinet des instructions à cette fin. Nous savons que cela marchera.
Dans le budget de 2007, nous avons attribué à cette fin à l'agence une enveloppe supplémentaire de 11 millions de dollars par année dans le cadre de ce processus, pour qu'elle puisse toujours avoir la maîtrise de ces dossiers. Ce montant constituait une augmentation d'environ 60 p. 100 de son budget. L'agence s'est chargée de ces fonctions et elle est en position de poursuivre et de réaliser ce travail.
Le sénateur Angus : Connaissez-vous, au pied levé, le budget total de l'agence?
M. Prentice : Pour autant que je sache, il totalise 16 millions de dollars.
Le sénateur Angus : Je suppose que nous pouvons le calculer nous-mêmes, si 11 millions de dollars par année représentent une augmentation de 60 p. 100. De toute façon, d'après des groupes d'écologistes, cette rationalisation du processus d'évaluation environnementale aura la conséquence inattendue de diminuer la portée de l'examen, parce qu'on remplacerait les multiples compétences à cet égard par une seule; nous risquerions de nous débarrasser du bon comme du mauvais, faute, simplement, de ressources financières et humaines suffisantes. Je pense que vous nous assurez que, dans les budgets ultérieurs, également, des montants seront prévus à cette fin.
M. Prentice : Je fournirai les chiffres sur le budget total de l'agence, sur les enveloppes consacrées à la participation du public, et cetera, mais il suffit de dire que l'Agence canadienne d'évaluation environnementale possède un personnel très qualifié. Cependant, pour un certain nombre de raisons, on les a fait travailler avec un système et un processus qui ne fonctionnent pas. D'abord, personne n'était vraiment chargé du processus; personne n'a eu à s'assurer qu'il fonctionnait. Grâce aux modifications, ce n'est plus le cas. À l'échelon fédéral, il y avait des pouvoirs morcelés et multiples, en vertu desquels chaque ministère pouvait faire des choses différentes de celles de son voisin, à un rythme différent, selon une interprétation différente de la loi. Cela est terminé.
Nous savons que si l'agence possède les pouvoirs nécessaires et le personnel qualifié, le processus fonctionnera beaucoup mieux, si nous nous occupons d'assurer la certitude légale.
Le sénateur Mitchell : Monsieur le ministre, dans vos remarques préliminaires, vous avez mentionné que, dans le cas des projets de la mine du ruisseau Ruby, du barrage Wuskwatim et des gaz naturels liquéfiés de Nouvelle-Écosse, l'évaluation environnementale fédérale ou le travail fédéral avait retardé d'environ 18 mois, 2 ans et 1 an, respectivement par rapport à celle de la province. D'une part, on pourrait prétendre que cela ne traduit peut-être pas, comme vous le concluez, une carence dans le processus fédéral, mais, plutôt, que quelque chose va de travers dans les processus provinciaux — ils sont très superficiels — et nous ne voudrions certainement pas abaisser le processus fédéral à ce niveau; on pourrait également dire, au contraire, que le processus provincial est beaucoup plus efficace et que les fonctionnaires provinciaux le gèrent beaucoup mieux et ils semblent travailler beaucoup plus efficacement.
Nous devons considérer le problème que vous combattez comme un problème de gestion, parce que vous ne gérez pas ces processus. Ces personnes travaillent pour vous. Vous pouvez leur dire de commencer plus tôt; d'accélérer le tempo. Vous pouvez leur donner de meilleures ressources, à cette fin. Pourquoi tirez-vous des conclusions hâtives sur une déficience inhérente du processus d'évaluation environnementale? Pourquoi incriminer les retards alors que ce pourrait simplement être le résultat de votre mauvaise gestion?
M. Prentice : Je pense que ma gestion est convenable. Je suis arrivé à cette conclusion — et elle n'est pas hâtive — après une longue étude des problèmes touchant le processus d'évaluation environnementale qui, disons-le franchement, ont tracassé des gouvernements et des ministres successifs. Dès le début, j'ai voulu savoir pourquoi il ne fonctionnait pas. J'étais préoccupé par le fait que c'était la conclusion à laquelle presque tous les commentateurs respectés que l'on trouve au pays et qui ont examiné le processus étaient arrivés. J'étais déterminé à trouver une explication au problème et à le corriger.
Sans vouloir vous contredire, je n'ai pas la capacité de donner les directives à quiconque à Pêches et Océans Canada ni à Transports Canada ni au ministère de la Défense nationale. Le problème réside donc dans la dilution des pouvoirs dans tout l'appareil fédéral. Comme je l'ai dit, à l'échelon fédéral, personne n'est chargé du processus très officiel d'évaluation environnementale; en même temps, tout le monde l'est. Ce n'est pas que le processus fédéral a été plus rigoureux. Honnêtement, il ne l'a pas été. Il a presque complètement répété ce que les provinces faisaient. Il se déroule un an à deux ans plus tard, et fait entièrement double emploi. Ce n'est dans l'intérêt de personne ni de l'environnement. C'est un gaspillage de ressources. J'estime que les modifications proposées permettront de corriger ce problème.
Le sénateur Mitchell : Si ces modifications peuvent corriger le problème en vous donnant plus de pouvoir de gestion, pourquoi alors avez-vous besoin du pouvoir de déterminer la portée des projets — c'est-à-dire de limiter les domaines sur lesquels portera votre examen d'un projet? C'est tout l'un ou tout l'autre. Or, vous plaidez pour les deux.
M. Prentice : Je pense qu'il faut les deux. Si un organisme fédéral est chargé du processus d'évaluation, il s'ensuit, à première vue, qu'il aura la responsabilité de déterminer ce sur quoi le processus devrait porter; sinon, c'est illogique.
C'est, à franchement parler, le problème que nous avions avant. À l'échelon fédéral, de nombreux organismes avaient le pouvoir de réduire la portée d'un projet. Le projet était soumis officiellement à l'administration fédérale. Le ministre de l'Environnement pouvait être d'avis qu'il avait besoin d'une étude approfondie; quelqu'un, à Pêches et Océans, détenant un poste officiel, pouvait être d'un avis différent et pouvait décider en conséquence de la portée de l'évaluation. Des décisions opposées pouvaient ainsi se prendre. Bref, la plus grande partie des retards accumulés dans le système fédéral — au moins un an de ce retard — provenait de discussions sur la portée de l'évaluation entre de multiples ministères.
Selon les modifications proposées, ce pouvoir, c'est désormais le ministre de l'Environnement qui le détient, pour faire un choix approprié et raisonnable sur la portée de l'évaluation qui protégerait l'environnement. Cette décision doit être prise rapidement quand arrive le projet, de sorte que nous pouvons entreprendre une évaluation environnementale scientifique, étoffée et convenable.
Le sénateur Mitchell : Bien sûr, vous n'avez pas besoin de ce pouvoir pour élargir la portée de l'étude.
M. Prentice : Ce pouvoir existe.
Le sénateur Mitchell : Visiblement, vous obtenez ce pouvoir pour diminuer la portée de l'étude. Cependant, il reste à voir les critères en vertu desquels vous détermineriez la mesure dans laquelle vous la diminueriez.
J'ai une petite question, ma dernière, sur la détermination de la portée des études environnementales. Le changement climatique prend beaucoup de place. C'est un problème de plus en plus important — que certains tardent à percevoir de la sorte, mais cela s'en vient. Avec la remise à la mode des projets colossaux, comme ceux des sables pétrolifères, ou des projets énergétiques dont le chantier va d'un bout à l'autre du pays, on pourrait penser que les effets sur le changement climatique, les émissions, feront partie du processus d'évaluation environnemental et qu'ils n'en seront pas exclus.
Maintenant armé de tous ces pouvoirs sur les évaluations environnementales, pouvez-vous vous engager à nous dire que vous verrez à ce que les grands projets de cette nature fassent l'objet d'une évaluation rigoureuse, exhaustive et efficace de leurs émissions de gaz à effet de serre, qui vous permettront de prendre de bonnes décisions stratégiques en matière de changement climatique?
M. Prentice : Je peux vous assurer que la disposition concernant la détermination de la portée ne servira pas à affaiblir le processus d'évaluation environnementale. Ce n'est pas la nature de cette disposition. La portée convenable d'une évaluation environnementale sera toujours un enjeu dans tout processus. C'est un élément central de toute évaluation environnementale, parce que, dans ce cas, il faut décider de ce sur quoi, en général, elle portera. Il en est ainsi, par exemple, dans toutes les lois états-uniennes portant sur les évaluations environnementales. Les dispositions dont vous avez été saisis font en sorte que les évaluations environnementales sont confiées à une personne responsable, c'est-à-dire au ministre de l'Environnement, qui est le seul décideur. Il sera chargé d'énoncer des lignes directrices sur les modalités et le moment de l'exercice du pouvoir concernant la détermination de la portée des évaluations.
J'aimerais souligner un point dont il n'a pas encore été question. Ces pouvoirs de détermination de la portée de l'évaluation environnementale ont été la principale pomme de discorde entre les Canadiens et leur gouvernement. On a notamment déploré le manque de transparence. Les dispositions en question sont très transparentes. La loi prévoit que lorsqu'une décision est prise sur la détermination de la portée d'une évaluation, il faut rendre cette décision publique. Si quelqu'un n'est pas d'accord avec la décision, on peut alors appliquer des remèdes. Par le passé, la plupart des critiques déploraient les décisions prises à huis clos sur la portée des évaluations et pas nécessairement communiquées au public. Les modifications proposées sont responsables.
Le président : Merci, monsieur le ministre.
Le sénateur Baker : Monsieur le ministre, je déteste devoir insister sur cette question de détermination de la portée des évaluations parce que j'imagine que les personnes qui nous écoutent et qui nous regardent se disent actuellement : « Pour l'amour du ciel, de quoi parlent-ils, qu'est-ce que cette affaire de détermination de la portée des évaluations environnementales »?
Le sénateur Angus : C'est comme la portée d'un canon.
Le sénateur Baker : Oui, exactement la même chose.
Cependant, monsieur le ministre, le problème réside bien dans la détermination de cette portée. Ce n'est pas tant la décision prise après que l'on s'est plié aux exigences de la loi, mais celle qui est prise avant de diminuer l'autorité — c'est-à-dire de ne plus s'obliger à certaines choses exigées par une étude approfondie.
Vous dites, monsieur le ministre, que vous ne déclasserez pas une demande de manière à ne pas devoir satisfaire aux exigences d'une étude approfondie. C'était assurément la principale question dans l'affaire de MiningWatch Canada (Mines Alerte Canada) que vous avez citée et la principale question que le tribunal a étudiée.
Est-ce que l'autorité responsable — Pêches et Océans, en l'occurrence — a agi légalement en déterminant que, bien que le projet ait figuré sur la liste, il n'était pas nécessaire d'organiser d'audiences publiques? En déclarant, dans votre conclusion, que vous ne déclasserez pas l'autorité — c'est-à-dire que vous ne déclasserez pas les projets figurant sur la liste — ne nous retrouvons-nous pas avec le même problème qu'auparavant? C'est-à-dire que, en vertu de la loi fédérale, il faudra tenir des audiences publiques semblables à celles qu'exigent les lois provinciales, ce qui en doublera le nombre, exactement ce que la Cour suprême du Canada a laissé entendre, avec désinvolture, que ce n'était pas convenable?
M. Prentice : Premièrement, vous semblez avoir lu également le jugement de l'affaire MiningWatch Canada c. Canada (Pêches et Océans). Je l'ai lu assez attentivement. Ce n'était pas une directive sur le bon fonctionnement du processus d'évaluation environnementale, comme certains l'ont cru. C'était davantage une évaluation pointue de la législation en matière d'environnement et de la décision d'un fonctionnaire de Pêches et Océans Canada, pour déterminer si cette personne avait le pouvoir de déclasser l'évaluation environnementale comme elle l'a fait. La Cour suprême du Canada a simplement affirmé qu'elle ne détenait pas ce pouvoir et que la loi ne l'accordait pas.
N'empêche que quelqu'un doit être chargé de déterminer la portée, grande, petite ou intermédiaire que doit avoir une évaluation environnementale. Quelqu'un doit prendre cette décision. Il est irréaliste de ne pas pouvoir prendre cette décision. Grâce aux modifications proposées, un responsable, c'est-à-dire le ministre de l'Environnement, est entièrement capable de déterminer la portée de l'évaluation d'un projet, de prendre une décision convenable à cet égard et de le faire en consultant le public, sans faire double emploi, ce qui permet une évaluation environnementale complète, étoffée, cohérente et transparente.
Le sénateur Callbeck : Cela a déjà été mentionné, et je veux m'assurer que je comprends bien la question. En ce qui concerne la consultation du public, je craignais que l'adoption du projet de loi C-9 ne réduise, pour les Canadiens, les possibilités de faire connaître publiquement leurs opinions sur les projets qui seront évalués. Après vous avoir écouté, monsieur Prentice, je crois comprendre que le projet de loi n'aura aucune influence à cet égard.
M. Prentice : Je pense que vous avez entendu des témoins prétendre que, en ce qui concerne les études approfondies, le projet de loi réduira sensiblement la capacité de consulter le public. C'est faux. Nous avons pris bien soin, dans le projet de loi, de nous assurer de conserver, pour le public, les mêmes occasions de consultation qu'auparavant. Le projet de loi est tout à fait clair à cet égard.
Le sénateur Callbeck : Vous avez parlé d'études approfondies. Est-ce toujours le cas?
M. Prentice : Les études approfondies auxquelles j'ai fait allusion sont les projets qui ont besoin d'une évaluation environnementale. Le projet de loi traite également de projets courants d'infrastructure publique, dont l'exécution a été accélérée.
Il y a un an, nous avons promulgué un règlement qui identifiait certaines catégories de projets courants d'infrastructure publique qui, d'après les antécédents, ne comportaient aucune conséquence négative pour l'environnement. Nous avons mis en place un processus réglementaire qui permettait d'en accélérer la réalisation et qui ne les ralentissait pas par une évaluation environnementale. Cela a très bien fonctionné. Nous avons été en mesure d'en réaliser rapidement, sans causer de problème à l'environnement ni recevoir de plaintes à cet égard. La réussite a été telle que nous avons intégré ce mécanisme dans le projet de loi. S'il advient que l'environnement est menacé, même s'il s'agit d'un projet courant d'infrastructure publique, l'évaluation est obligatoire. Par grand souci de prudence, nous avons rédigé une disposition qui sert de filet de sécurité et qui se trouve à l'article 2153 du projet de loi, c'est-à-dire le nouveau paragraphe 7.1(3). D'après lui, le ministre peut, quand il le désire, décider qu'un projet a besoin d'une évaluation même s'il ne figure pas dans la liste d'exemption. Cela relève d'une saine politique publique.
Le sénateur Callbeck : Y a-t-il des occasions où, dans l'un de ces processus, que se soit une étude approfondie, un examen conjoint ou autre chose, le public aura moins l'occasion d'être consulté.
M. Prentice : À l'exception des projets courants d'infrastructure publique, dont je viens de parler, le projet de loi ne diminue pas la possibilité de consultation du public. Il accélère le processus, il se concentre sur le pouvoir de prise de décisions et il l'accorde là où il devrait légitimement se trouver, c'est-à-dire au ministre de l'Environnement et à l'agence chargée des évaluations environnementales. Il ne réduit pas la possibilité pour le public d'être consulté.
Le sénateur Callbeck : Mon autre question porte sur la détermination de la portée de l'évaluation, sujet dont on a beaucoup parlé. Vous dites que vous pouvez nous assurer que cette détermination n'affaiblira pas le processus d'évaluation environnementale. C'est très bien, pendant que vous êtes ministre. Vous avez affirmé votre dévotion à l'égard de l'environnement. Cependant, pouvez-vous nous assurer que dans 20 ans, nous n'aurons pas un ministre qui ne se souciera pas autant que vous de l'environnement et qui réduira à presque rien la portée de l'évaluation environnementale d'un projet?
M. Prentice : Vous devez répondre à la question suivante : l'environnement est-il mieux protégé à long terme, peu importe le titulaire du portefeuille de l'Environnement, par un pouvoir qui, en matière de détermination de la portée de l'évaluation, est confié à ce ministre ou à un fonctionnaire d'un autre ministère?
Je me permets de maintenir que le pouvoir, en cette matière, est placé là où il devrait être et là où il aurait dû toujours se trouver : entre les mains du ministre de l'Environnement, chargé de protéger l'environnement. Le ministre devrait être en mesure de prendre la bonne décision, et il y en aura à prendre. À long terme, il faudra toujours une décision sur la portée des projets; c'est inévitable.
Le sénateur Murray : Ma première question découle d'un problème d'interprétation qui trahira ma difficulté de comprendre. Le pouvoir accordé au ministre en matière de portée de l'évaluation s'étend-il aux projets dont la Commission canadienne de sûreté nucléaire ou l'Office national de l'énergie sont responsables.
Deuxièmement, j'ai remarqué que le ministre pouvait déléguer son pouvoir de détermination de la portée de l'évaluation à une autorité responsable. Je sais que l'on s'attend généralement à ce que le titulaire le fasse effectivement. Vous pouvez y aller de vos observations à ce sujet. Je crois que vous avez dit que vous alliez proposer un ensemble de critères ou de lignes directrices concernant la délégation de ce pouvoir. Si j'ai bien entendu, qu'avez-vous l'intention de faire?
M. Prentice : Vous parlez de la convergence entre la décision relative à la portée de l'évaluation environnementale et la délégation de pouvoir. Si je peux me permettre une réponse assez complexe, la délégation de pouvoir est prévue à l'article 43 de la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale. Cette disposition a fait l'objet d'une interprétation erronée de la part de certaines personnes, à la suite de l'annonce du budget. Dans le projet de loi, il n'est pas question d'élargir les compétences de l'Office ou de la Commission. Leurs compétences ne changeront pas. Chacune de ces organisations possède des pouvoirs qui sont fixés dans les lois respectives qui ont présidé à leur création et qui ne changent pas. Nous essayons d'éviter un processus qui favorise le double emploi.
Le pouvoir, en matière de détermination de la portée d'une évaluation, est détenu par le ministre, qui prescrit les paramètres, les règles et les lignes directrices relatifs à ce pouvoir. Cela s'appliquera à toute délégation de pouvoir, y compris celle qui est prévue par l'article 43, à la Commission ou à l'Office. En quelque sorte, ces organisations n'exerceront pas leur pouvoir indépendamment des règles globales concernant la détermination de la portée de l'évaluation. C'est l'orientation que nous donnerions aux lignes directrices mais, en fin de compte, ce sont ces organisations qui devront prendre une décision sur la portée de l'évaluation.
Le sénateur Murray : Cependant, vous pourriez le faire à leur place.
M. Prentice : Nous pourrions prescrire des lignes directrices qu'elles seraient tenues de suivre.
Le sénateur Murray : C'est par rapport à la Commission canadienne de sûreté nucléaire et à l'Office national de l'énergie.
Le sénateur McCoy : Monsieur le ministre, il m'a fallu prendre la parole au Sénat. Vous voudrez bien m'excuser de ne pas avoir entendu certaines de vos observations.
Ma question concerne l'Agence canadienne d'évaluation environnementale et les ressources dont elle disposera pour se charger de ces rôles élargis. J'ai un exemplaire de votre rapport sur les plans et les priorités 2010-2011, section 1.2, Sommaire de la planification, Ressources financières, que j'ai trouvé dans Internet et qui montre vos projections pour les exercices 2010-2011, 2011-2012 et 2012-2013.
On voit que vos ressources financières prévues sont de près de 30 millions au cours du présent exercice et du suivant, puis qu'elles chutent de 11 millions pour atteindre 17 millions au cours de l'exercice 2012-2013, soit un tiers de moins de ce qu'elles étaient. Les équivalents temps plein, ou ETP, sous la rubrique des ressources humaines, présentent une chute semblable.
Si vous prévoyez moins de ressources dans deux ou trois ans, il est plus difficile d'accepter l'assurance que l'Agence aura en effet beaucoup d'influence, maintenant qu'elle détient l'autorité absolue en matière d'environnement.
M. Prentice : C'est une bonne question. Avant votre arrivée, j'ai mentionné que si ce pouvoir était confié à l'agence, elle devait être convenablement pourvue à cette fin. Son budget, avant 2007, se chiffrait à 16-17 millions de dollars. En 2007, elle a reçu 11 millions de plus par année, ce qui a porté son budget à environ 29 millions, ce qui a été suffisant pour l'exercice de ses fonctions et pour se charger à titre provisoire ou pilote, des responsabilités qui sont au cœur de ce projet de loi. Nous avons constaté qu'elle s'était assez bien débrouillée. Nous n'avions pas besoin d'augmenter son budget de 11 millions pour obtenir ce résultat. Cela faisait partie d'une initiative de plus grande envergure de 20 millions de dollars du gouvernement, dont 11 millions sont allés à l'Agence. Ces millions ont été autorisés comme affectation budgétaire pour un certain nombre d'années. Le document auquel vous faites allusion reconnaît simplement la réalité des ressources budgétisées qui sont actuellement affectées à l'Agence.
Je ne prévois pas de chute du financement. Le document révèle une chute dans trois ans, comme vous l'avez dit, parce que nous n'avons pas encore affecté les ressources supplémentaires au-delà du projet pilote triennal.
Le gouvernement n'a nullement l'intention de charger l'Agence de responsabilités supplémentaires sans s'assurer de la doter des ressources nécessaires qui lui permettront de s'en acquitter. Elle les possède actuellement et elle les possédera dans trois ans.
Le président : Les représentants de votre ministère nous communiqueront-ils des chiffres qui nous aideront à y voir plus clair?
M. Prentice : Je pense que je viens de vous les fournir.
Le président : Ils ne ressemblent pas aux chiffres que nous avons entendus plus tôt.
Le sénateur Moore : Nous avons entendu parler de 60 millions de dollars.
M. Prentice : Permettez-moi de vous citer les chiffres précis. Le budget de l'Agence canadienne d'évaluation environnementale, avant 2007, se chiffrait à 17,5 millions de dollars. Augmenté de 11 millions, il a atteint 28 millions, son niveau actuel. En vertu d'une directive du Cabinet dont l'effet prend fin au cours de l'exercice 2013...
Le président : Malheureusement, nous devrons abandonner la quête de ces chiffres pour le moment.
M. Prentice : Le ministère s'assurera de vous les communiquer tous.
Le président : Ils nous seront très utiles. Nous devons nous rendre au Sénat pour une mise aux voix.
Au nom du Comité sénatorial permanent des finances nationales, je vous remercie, monsieur le ministre, d'avoir pris le temps de venir nous voir.
(La séance est suspendue.)
(La séance reprend.)
Le président : Je souhaite la bienvenue à notre prochain groupe de témoins. Je vous prie d'excuser notre retard qui est dû à un vote imprévu à la Chambre.
Nous allons nous concentrer sur la partie 21 du projet de loi C-9, mais nous allons probablement aussi parler un peu de la partie 15. Nous avons tenu des audiences exhaustives sur la partie 15, mais les observations supplémentaires seront les bienvenues. La partie 15 porte sur la Société canadienne des postes, et la partie 21 sur la santé et la sécurité au travail. Le projet de loi C-9 comporte 24 parties. Donc, si vous souhaitez aborder d'autres sujets, je suis sûr que les honorables sénateurs vous écouteront avec intérêt.
Nos premiers témoins sont Hassan Yussuff, secrétaire-trésorier, et Adam Hodgins, représentant national du Congrès du travail du Canada, ou CTC. Nous entendrons également John Gordon, président de l'Alliance de la Fonction publique du Canada, ou AFPC.
Monsieur Yussuff, allez-y.
Hassan Yussuff, secrétaire-trésorier, Congrès du travail du Canada : Je crois vous avoir entendu dire que le comité avait tenu des discussions exhaustives au sujet de la partie 15 avant notre comparution d'aujourd'hui. Nous sommes à votre disposition. Nous avons déjà témoigné devant la Chambre sur le même sujet et nous sommes ici pour redire la même chose sur la partie 15. Nous pouvons témoigner de nouveau ou vous soumettre notre mémoire pour information.
Le président : Vous avez déjà déposé votre mémoire, alors nous pourrions nous contenter d'un résumé. Connaissez- vous bien la partie 21 du projet de loi?
M. Yussuff : Un peu, mais je laisserai le soin à mes collègues d'intervenir, car je crois qu'ils auront plus de choses à dire que moi là-dessus.
Au sujet de la partie 15, je dirais que ce projet de loi budgétaire semble n'avoir presque rien laissé au hasard. La Société canadienne des postes est une importante société d'État qui fournit des services essentiels dans chaque communauté, partout au pays. Étant donné ce que propose le gouvernement dans cette mesure législative, nous croyons que les changements que l'on souhaite faire à Postes Canada auraient dû être séparés du projet de loi et traités à part. Le repostage est une importante source de recettes pour Postes Canada. Les changements proposés dans ce projet de loi budgétaire nuiront à la capacité de la société de s'acquitter de ses obligations.
Nous sommes bien conscients de l'importance de cette institution pour les services qu'elle donne aux Canadiens, le coût et l'utilisation du système postal d'un bout à l'autre du pays. Évidemment, tout cela sera compromis par les changements proposés dans ce projet de loi. Nous savons que le gouvernement s'est défendu contre le fait que tout cela risquerait d'empêcher Postes Canada de se conformer à ses obligations. Nous ne partageons pas son point de vue à cet égard. Nous voulons que les honorables sénateurs sachent qu'il s'agit d'une question importante. Nous sommes attachés à Postes Canada et aux services essentiels qu'elle dispense aux Canadiens d'un océan à l'autre. Bien sûr, nous voudrions que Postes Canada conserve son privilège exclusif en matière de courrier international. Les tribunaux se sont enfin prononcés sur le mandat de Postes Canada et ont confirmé qu'il s'agissait d'un droit exclusif de la société.
Les entreprises de repostage ont fait valoir que ce projet de loi aurait des répercussions sur les activités et pourrait leur faire perdre des emplois. C'est peut-être vrai, mais je le répète, nous croyons que la plupart des initiatives prises jusqu'à présent sont illégales en regard du mandat actuel de Postes Canada. La Société canadienne des postes emploie de nombreux Canadiens. Beaucoup de nos membres y travaillent. La population profite des services que lui offre la société partout au pays, peu importe la taille des communautés ou des entreprises qui utilisent ces services. Postes Canada est un fleuron que nous devons protéger.
Cette partie du projet de loi C-9 devrait être retirée et traitée séparément. Si le gouvernement décide de modifier le mandat de Postes Canada, il faut qu'il y ait de vastes consultations publiques afin que les Canadiens puissent comprendre ce que le gouvernement propose. Et nous serions extrêmement ravis de prendre part au processus.
Le président : Monsieur Gordon, allez-y, je vous en prie.
John Gordon, président, Alliance de la Fonction publique du Canada : Merci, monsieur le président et chers sénateurs, de nous permettre de témoigner devant vous. Je voudrais aussi m'excuser car, à l'instar de mon collègue, j'avais dans l'idée que nous allions discuter du projet de loi C-9. Toutefois, dans notre exposé, nous nous concentrons sur la partie 21. Je vais vous présenter rapidement le point de vue de l'Alliance de la Fonction publique du Canada, le syndicat que nous représentons et qui compte 172 000 membres, essentiellement dans la fonction publique fédérale.
Nous croyons que le projet de loi C-9 comporte deux failles fondamentales. Il reproduit le modèle des projets de loi budgétaires présentés comme des projets de loi omnibus couvrant de nombreux aspects de la gouvernance qui ont peu ou n'ont rien à voir avec le budget comme tel. L'AFPC considère que les mesures législatives qui ont très peu, pour ne pas dire rien, à voir avec le budget devraient être soigneusement examinées par le Parlement et non regroupées dans un projet de loi budgétaire omnibus soumis à un vote de confiance. Dans ma courte déclaration, je vais mettre en lumière deux parties visées par les changements proposés dans le projet de loi C-9 qui revêtent une importance capitale pour nos membres.
Les modifications proposées au Code canadien du travail figurant dans la partie 21 du projet de loi C-9 auront pour effet, si elles sont adoptées, d'éliminer toute forme de système d'appel indépendant et impartial lorsqu'un agent de santé et sécurité déterminera qu'il n'y a pas de danger dans une affaire de refus de travailler, ou dans les cas où l'agent aura demandé à un employeur de corriger une situation dangereuse.
Je n'insisterai jamais assez sur ce point. Il arrive trop souvent que des travailleurs soient blessés ou tués dans l'exercice de leurs fonctions, et le gouvernement nous doit à tous d'adopter des lois rigoureuses et efficaces en matière de santé et de sécurité. La partie 21 du projet de loi C-9 prend une orientation contraire et mine le droit des travailleurs à refuser d'accomplir des tâches dangereuses. Par conséquent, il faudrait au moins accorder à cette question une attention beaucoup plus grande que celle qu'elle a reçue jusqu'à présent.
J'aimerais également unir ma voix à celle de ceux qui ont comparu devant votre comité au sujet de la partie 15 du projet de loi C-9 qui, si elle est adoptée, entraînera une déréglementation partielle à Postes Canada. C'est la troisième fois, avec ce projet de loi, que le gouvernement tente de retirer à Postes Canada le privilège exclusif dont elle jouit pour le courrier international. Si cette disposition devait être adoptée, Postes Canada en ressortirait affaiblie et sa capacité d'offrir des services à la population canadienne serait minée. Par conséquent, cette disposition devrait aussi être retirée du projet de loi C-9.
À notre avis, la deuxième erreur importante dans le budget 2010 tient au fait que le gouvernement est arrivé à la conclusion que le moment est bien choisi pour commencer le processus de transition, après la relance économique annoncée dans le budget fédéral de 2009, vers des mesures destinées à rembourser la dette accumulée et qui continue de grossir en raison des mesures de relance. Nous croyons que les compressions des dépenses gouvernementales, en ce moment, compromettent la reprise économique. De plus, nous considérons qu'il serait plus acceptable, dans les circonstances, d'augmenter légèrement les impôts plutôt que d'imposer des restrictions dans les dépenses pour payer la dette. Nous défendons cette position, car une diminution des dépenses équivaut à une réduction des services qu'offre le gouvernement fédéral aux Canadiens. Par ailleurs, les restrictions budgétaires appliquées à la fonction publique fédérale sont synonymes de pertes d'emplois, de baisse des revenus ou d'un mélange des deux.
Dans le budget 2010, on a annoncé un certain nombre de mesures visant la réduction des dépenses. À cause de cela, les ministères et agences du gouvernement fédéral seront dans l'impossibilité de fournir aux Canadiens le même niveau de service que par le passé. L'augmentation salariale de 1,5 p. 100, prévue pour 2010, des employés de la fonction publique fédérale doit être financée à même les budgets de fonctionnement des ministères. Même si on n'a pas encore pris toute la mesure de cette décision, plusieurs postes ont déjà été éliminés dans différents ministères et agences fédéraux. Et on prévoit de nouvelles pertes d'emplois et coupes dans les programmes au cours des semaines et mois à venir.
De plus, les budgets de fonctionnement des ministères seront gelés pendant deux ans, à compter de l'exercice 2011- 2012. Durant ces deux années, les ministères continueront de subir une baisse de leurs budgets de fonctionnement d'environ 900 millions de dollars. Enfin, le gouvernement s'est embarqué dans un processus accéléré d'examen stratégique qui rend obligatoire, en partant, une réduction des dépenses de l'ordre de 5 p. 100, peu importe le niveau d'efficacité des ministères ou l'importance des services qu'ils offrent aux Canadiens.
De notre point de vue, les trois mesures de compression des dépenses dont je viens de parler sont décidément une bien mauvaise manière de ramener l'équilibre dans le budget fédéral. Au total, de 2010 à 2015, on aura coupé 15 millions de dollars dans les budgets de fonctionnement des ministères, ce qui causera un tort bien réel aux Canadiens qui ont besoin d'obtenir des services auprès du gouvernement fédéral.
Dans les circonstances, nous considérons qu'il serait plus avisé de procéder à une légère augmentation des impôts. La plupart des économistes sont d'avis que la décision du gouvernement de ramener la taxe sur les produits et services, la TPS, de 7 à 5 p. 100 n'était pas très logique, du point de vue économique, au moment choisi pour appliquer cette réduction. Il convient également de signaler que si la diminution de la TPS n'avait pas été mise en œuvre en 2009-2010, le déficit serait bien moindre. Ainsi, nous croyons que la baisse de 200 points de base de la TPS devrait être annulée, au moins en partie, afin de réduire le déficit fédéral au cours des années à venir.
Aussi significatif que puisse être l'alourdissement du fardeau de la dette provoqué par l'abaissement de la TPS en période de récession, il n'est rien comparé à la diminution du taux d'imposition des sociétés au Canada. Nous unissons notre voix aux parlementaires qui estiment qu'il faut faire marche arrière. Le gouvernement pourrait au moins reconnaître que dans la conjoncture actuelle, il est malavisé de maintenir la baisse du taux d'imposition des sociétés.
En guise de conclusion, j'aimerais vous remercier de m'avoir invité à comparaître devant votre comité aujourd'hui pour vous exposer quelques-unes des préoccupations de l'Alliance de la Fonction publique du Canada à l'égard du projet de loi C-9.
Le président : Merci, monsieur Gordon. Nous sommes sensibles à vos multiples observations qui ne manqueront pas d'alimenter les discussions.
Le sénateur Gerstein : Merci à nos témoins. Je pensais que nous avions fini de parler de la partie 15. Ce matin, j'ai fait remarquer que cette partie comportait 20 mots, et je crois qu'on a accordé plus d'importance à ces 20 mots qu'à toute autre partie de ce projet de loi volumineux. Je tiens à préciser que dans ces 20 mots, il n'est nullement question de privatisation, de restructuration, de suppression de services dans les zones rurales, de début de la fin, de tangente inquiétante ou d'intentions cachées. D'ailleurs, il n'y est nullement question non plus de quelque changement que ce soit par rapport à la situation actuelle ou à ce qui se passe depuis 25 ans. Il n'y a absolument aucun changement, tout continue normalement; c'est le maintien du statu quo. Monsieur Yussuff, pourquoi cela vous préoccupe-t-il autant? Qu'est-ce qui a changé selon vous?
M. Yussuff : On peut tout ramener à la question que je vous ai posée, sénateur; pourquoi cela figure-t-il dans le budget? Si c'est le statu quo, pourquoi en parle-t-on dans le budget? C'est un changement fondamental du mandat de Postes Canada en matière de repostage international. Il est essentiel que nous le reconnaissions. Si le gouvernement décidait de poursuivre dans cette voie, car il a le droit de le faire, il devrait tenir de vastes audiences publiques afin de permettre aux Canadiens de participer au processus par lequel ils pourront comprendre les implications pour Postes Canada. C'est ce que nous croyons. Vous pouvez avoir une opinion différente, et je la respecte.
Le sénateur Gerstein : Je respecte aussi la vôtre.
M. Yussuff : Si vous vouliez mon avis sur la question, je viens de vous le donner.
Le sénateur Gerstein : Vous admettez qu'il n'y a aucun changement, n'est-ce pas?
M. Yussuff : Il y a un changement fondamental. C'est la raison pour laquelle cela figure dans un projet de loi budgétaire. S'il n'y avait aucun changement, on n'aurait pas besoin d'en parler dans le budget.
Le sénateur Gerstein : Vous êtes d'accord pour reconnaître qu'il n'y a aucun changement par rapport à ce qui se fait à Postes Canada depuis 25 ans.
M. Yussuff : Ce qui s'est passé est illégal, ce sont les tribunaux qui l'ont dit.
Le sénateur Gerstein : Pas du tout; personne ne fait rien d'illégal en ce moment.
M. Yussuff : Une fois de plus, nos opinions divergent.
Le président : C'est une bonne façon de commencer, avec une divergence d'opinions.
Le sénateur Baker : Monsieur le président, j'aimerais parler de la partie 21.
Vos commentaires sur cette partie ont suscité mon intérêt. Je ne sais pas si vous voulez apporter des précisions. Vous vous insurgez contre la disposition disant que c'est le ministre qui nommera l'agent d'appel. Dans la loi actuelle, le ministre est la personne qui désigne. Toutefois, je ne suis pas d'accord avec vous que cela donnera lieu à un tout nouveau processus réglementaire concernant le gouverneur en conseil.
Êtes-vous d'accord avec moi que toutes ces dispositions et modifications ne visent qu'un changement fondamental selon lequel jusqu'à présent, c'est-à-dire en vertu de la loi actuelle, on n'avait besoin que de faire appel, mais que maintenant, avec le nouvel article proposé, on doit déposer un avis d'appel. On a rajouté le mot « avis ». Ainsi, dans le nouveau paragraphe 146.2(2) proposé, on dit que le gouverneur en conseil peut prendre des règlements, et on apporte certaines précisions.
Reconnaissez-vous que le changement essentiel porte sur l'avis d'appel et qu'il y a ensuite un tout nouveau paragraphe sur les règlements que peut prendre le gouvernement?
M. Gordon : Le nouvel article 146.1 proposé fait également état des pouvoirs de l'agent d'appel pendant les audiences. On s'en prend au processus de nomination pour conférer au ministre la responsabilité de nommer les agents. Nous estimons que cela nuira à l'impartialité de n'importe quel tribunal saisi de quelque appel que ce soit.
Le sénateur Baker : Je vois que la seule référence à la jurisprudence dans cet article vise l'incapacité des syndicats et des employés à demander une révision judiciaire de la décision d'un agent d'appel. En avez-vous tenu compte, ou est-ce étranger aux amendements dont il est question ici?
M. Gordon : Notre personnel a revu le projet de loi dans sa totalité, et nous avons été troublés par plusieurs éléments. En outre, ce qui nous préoccupe aussi, c'est que selon les nouveaux amendements, les décideurs devront se prononcer dans un délai de 90 jours après une audience. Certains dossiers sont très complexes et nécessitent la tenue d'enquêtes et l'audition de témoins pour pouvoir se fonder sur des témoignages de spécialistes. Il me semble que 90 jours, c'est peu pour mener à bien ce genre de travail.
Sénateur, nous avons eu à nous occuper d'une affaire très grave. Un de nos membres a été tué dans l'explosion d'une chaudière pas très loin d'ici. C'est le genre de chose qui arrive.
Je prends cet exemple parce qu'il est proche et récent. Lorsque quelqu'un remarque que quelque chose ne tourne pas rond, il doit avoir la possibilité de dire : « Nous ne pouvons pas entrer là-dedans pour telle et telle raison. Il faut faire enquête, et de manière opportune ». Nous croyons que les dispositions proposées empêcheront ce genre d'initiative.
Le sénateur Baker : Monsieur Gordon, j'ai une dernière question à vous poser. La dernière partie de l'article 2177, comme vous l'avez fait remarquer, dit : « L'article 146.2 de la même loi est modifié par adjonction, après le paragraphe (1), de ce qui suit : (2) Le gouverneur en conseil peut, pour les besoins des procédures prévues au paragraphe 146.1(1), prendre des règlements régissant : a) leur durée et les règles de pratique et de procédure à suivre. ».
Pour nous, c'est très compliqué d'examiner les règles de pratique et de procédure à suivre. C'est presque comme dans une procédure judiciaire quand il y a des règles de procédure, et cetera. Avez-vous été consultés? Savez-vous si les syndicats ont été consultés sur les intentions du gouvernement à l'égard de l'adoption de nouvelles règles de pratique et de procédure à suivre dans le cadre d'un appel qui, évidemment, aurait une incidence directe sur les syndicats?
M. Gordon : Je peux vous dire que si nous avons été consultés au sujet de ce changement, je n'en ai pas été le moindrement informé.
Je dois admettre que s'il y a eu des consultations, elles sont passées inaperçues; elles ont dû certainement se faire de manière informelle, car je n'en ai pas entendu parler.
Le sénateur Tkachuk : J'aimerais que vous m'aidiez à mieux comprendre toute cette question entourant le repostage. C'est ma première séance à ce comité, et c'est un sujet que je trouve très intéressant.
Est-ce qu'il y a six ans, j'aurais pu envoyer par camion complet du courrier de Regina, en Saskatchewan, à Minot, dans le Dakota du Nord, en passant par la poste américaine, à des clients aux États-Unis?
M. Yussuff : Certainement.
Le sénateur Tkachuk : Et il y a 10 ans?
M. Yussuff : Aussi, mais je le répète, nous continuons de croire que ce n'est pas légal en vertu du mandat de Postes Canada.
Le sénateur Tkachuk : J'aurais pu le faire, et c'était complètement légal. J'aurais même pu le faire il y a 15 ans.
M. Yussuff : Nous ne croyons pas que c'était légal, mais libre à vous de penser que ça l'était.
Le sénateur Tkachuk : C'était pratique courante. Personne n'a empêché qui que ce soit de le faire.
M. Yussuff : Vous me posez une question.
Le président : Nous ne réussissons pas à comprendre l'interprétation, car vous parlez tous les deux en même temps.
Pourquoi ne posez-vous pas une question et attendez la réponse?
Le sénateur Tkachuk : Était-ce possible il y a six ans, alors?
M. Yussuff : Vous pouvez faire tout ce que vous voulez dans ce pays. L'application de la loi est la responsabilité des gouvernements.
Le sénateur Tkachuk : Quand est-ce que les bureaux de poste ont mis un frein au repostage?
M. Yussuff : L'affaire est allée devant les tribunaux. Je n'ai pas la date ici, mais si ma mémoire est bonne, cela remonte peut-être à quatre ou cinq ans. Les tribunaux ont été saisis du dossier.
Le sénateur Tkachuk : Il y a six ans, une personne ou un client pouvait se rendre à un bureau de traitement du courrier à Regina et y déposer du courrier pour Minot. Combien cela aurait-il coûté?
M. Yussuff : Moins cher qu'avec Postes Canada.
Le sénateur Tkachuk : C'était environ 30 ¢, si je ne me trompe pas. Combien cela aurait-il coûté avec Postes Canada?
M. Yussuff : Je ne sais plus très bien à combien s'élèvent les tarifs internationaux pour le courrier.
Le sénateur Tkachuk : À l'époque, ils tournaient autour d'un dollar.
Le président : Sénateur Tkachuk, veuillez laisser le témoin finir ce qu'il a à dire.
M. Yussuff : Ce n'est pas grave.
Le président : Si c'est grave, parce que les interprètes ne peuvent pas suivre.
Le sénateur Tkachuk : Je suis désolé; veuillez m'excuser. Est-ce que cela aurait coûté environ un dollar?
M. Yussuff : Disons que oui.
Le sénateur Tkachuk : La personne qui s'occupe de faire du marketing destiné aux États-Unis envoie de l'information au sujet des produits et du tourisme ou des renseignements susceptibles d'amener des emplois au Canada. Évidemment, on n'envoie pas du courrier pour rien, mais pour informer les gens de l'autre côté de la frontière des produits que nous avons ici.
M. Yussuff : C'est maintenant dans le mandat de Postes Canada de s'occuper du courrier international. Cela fait très clairement partie de sa mission et de ses responsabilités. Si le gouvernement veut que ça change, nous devrions parler des implications pour l'ensemble des services qu'offre Postes Canada. Nous croyons que ce ne sera pas sans effets, car la Société canadienne des postes a tiré d'énormes recettes de ces activités d'expédition du courrier à l'étranger. Elle ne fait pas que cela, mais cela représente une part importante de ses activités.
Nous ne voyons aucun inconvénient à changer le mandat de Postes Canada. Toutefois, il faudrait tenir de vastes consultations publiques pour que les gens puissent au moins comprendre les implications d'une telle décision. Nous pensons que le fait de retirer ce mandat à Postes Canada, de le renverser ou de l'élargir à d'autres joueurs pourrait avoir des implications.
Cela aura une incidence sur la rentabilité de la société et sa capacité à conserver son mandat pour fournir des services partout au Canada.
Le sénateur Tkachuk : Si j'ai un camp de pêche en Saskatchewan ou une chaîne hôtelière au Canada et que je fais de la publicité aux États-Unis, dois-je payer un dollar par envoi? Est-ce que cela ne risque pas de me placer en désavantage concurrentiel, si je peux payer autrement 30 cents par envoi en l'acheminant à Minot, dans le Dakota du Nord, ou en le faisant passer de Windsor, en Ontario, à Detroit, au Michigan, pour promouvoir des produits et services Canadiens? Est- ce que cela ne me donnerait pas un avantage concurrentiel? N'est-ce pas ce que nous visons ici, afin que les entreprises canadiennes puissent vendre aux États-Unis et créer de nombreux emplois grâce aux Américains qui répondraient au courrier que nous leur enverrions?
M. Yussuff : Vous êtes en train de me demander comment mener vos affaires au moindre coût. C'est à vous de voir. Ce que je peux vous dire, c'est que Postes Canada jouit d'un privilège exclusif et nous voudrions qu'elle le conserve. Les Canadiens ordinaires doivent passer par Postes Canada pour envoyer du courrier à l'étranger. Je ne vois pas pourquoi une entreprise qui voudrait promouvoir ses activités pour en tirer un bénéfice ne devrait pas être tenue d'en faire autant.
Le sénateur Tkachuk : Ce n'est donc pas à moi de décider. Dois-je passer par Postes Canada?
M. Yussuff : Oui, en vertu du privilège exclusif qu'elle a reçu.
Le sénateur Tkachuk : Un dollar par envoi.
M. Yussuff : Ce faisant, elle doit aussi fournir des services à tous les Canadiens, dans chaque communauté, d'un bout à l'autre du pays. Cela fait partie de son mandat. Tout l'argent tiré de ces activités est ensuite utilisé par la société pour s'acquitter de son mandat consistant à offrir le même niveau de service à l'ensemble des Canadiens, partout au pays.
Le sénateur Tkachuk : Nous avons un tout autre point de vue sur la question, monsieur le président.
Le président : Je m'en suis aperçu, sénateur Tkachuk. Merci.
Le sénateur Ringuette : J'ai quant à moi une opinion différente de celle de mes collègues d'en face, parce que le sénateur Gerstein a parlé « d'objectif caché » et de « privatisation », entre autres. En fait, il s'agit de déréglementation. Un sondage Ipsos Reid a révélé que 79 p. 100 des Canadiens sont contre la déréglementation à Postes Canada. Sachez que dans le cadre de l'examen du mandat qui a suivi le premier projet de loi visant à retirer à Postes Canada son privilège exclusif, on a reçu près de 1 200 mémoires, tous défavorables à la déréglementation. Peu importe; on a mis tout cela dans un projet de loi budgétaire pour que le Parlement l'adopte de force et avoir le moins possible l'avis du public.
Je vais maintenant parler d'autres problèmes, à propos de ce document de 900 pages. Ma question porte sur la partie 21, l'agent de santé et sécurité. Lorsque les représentants du ministère ont comparu devant nous, ils nous ont dit qu'on voulait changer la loi parce que certains de leurs collègues étaient des agents de santé et sécurité et d'autres s'occupaient de la révision. Les fonctionnaires du ministère ont dit qu'ils ne voulaient pas de cela. Je me souviens précisément leur avoir demandé où ils travaillaient, si c'était dans le même bureau, le même édifice, et cetera. Ils m'ont répondu qu'ils n'étaient même pas dans le même bâtiment.
À votre avis, est-ce une raison valable que de vouloir changer le Code du travail et les lois sur la sécurité pour régler une situation de conflit entre collègues?
M. Gordon : Ce qui nous préoccupe, actuellement, c'est que le Code canadien du travail offre des protections permettant aux travailleurs de faire corriger leurs problèmes de sécurité. Les changements législatifs auront une incidence sur leur capacité à y parvenir, alors que nous considérons que cela fait partie de la loi.
Le nombre d'agents s'occupant de questions de sécurité a déjà diminué d'environ 20 p. 100 au cours des cinq à dix dernières années; et les délais, dans l'examen des problèmes de sécurité, augmentent. Tout cela aura pour effet de modifier les façons de travailler.
Nous considérons que la sécurité de nos travailleurs et de nos employés est importante. J'entends encore des hauts fonctionnaires, un peu partout dans le gouvernement, dire qu'ils pensent comme nous. Pourtant, nous avons ici une mesure législative, présentée dans un projet de loi budgétaire, que nous ne pourrons pas examiner avec la minutie et la profondeur qu'elle mérite.
Si on veut changer les lois pour améliorer la sécurité, il faut en discuter pleinement et ne pas se servir d'un projet de loi budgétaire pour le faire, parce que si on vote contre, ce sera perçu comme une motion de censure et le budget en sera affecté. Selon moi, c'est une erreur. Cela nous préoccupe sérieusement.
Le sénateur Ringuette : Vous a-t-on consulté au sujet de ces changements au Code canadien du travail?
M. Gordon : Non, je n'ai pas été consulté.
Le sénateur Ringuette : Votre organisation l'a-t-elle été?
M. Gordon : Comme je l'ai dit précédemment, normalement, quand il y a un processus de consultation complet, j'en suis avisé; et je n'ai été informé d'aucune discussion à ce sujet. Parfois, on peut discuter dans un café ou un autre endroit du genre. Toutefois, selon moi, ce n'est pas vraiment une consultation faite pour avoir notre avis sur quelque chose qu'on voudrait mettre dans la loi.
Le sénateur Ringuette : À propos de la partie 9, des prestations de pension, avez-vous examiné les implications de cette partie et des questions de pension pour les employés des sociétés d'État et des sociétés constituées en vertu d'une loi fédérale, monsieur Yussuff? Avez-vous eu l'occasion de vous pencher là-dessus?
M. Yussuff : Bien franchement, non, je ne crois pas que le Congrès l'ait fait. Je pense qu'on nous l'a déjà demandé, mais je doute que nous ayons examiné la question dans le but de commenter le projet de loi.
Le gouvernement avait déjà inclus des changements au sujet de la protection entourant les plans privés et fait un certain nombre de modifications réglementaires, que nous avons appuyées parce qu'il y avait eu une vaste consultation publique avec le ministre des Finances dans laquelle nous nous sommes beaucoup investis. Nous avons appuyé presque tous les règlements qu'il avait proposés dans le cadre de ces changements.
Le sénateur Ringuette : D'accord, mais qu'est-il advenu des changements en question?
M. Yussuff : Non, nous n'avons pas revu cette partie en profondeur.
Le sénateur Ringuette : Vous ne l'avez pas revue. J'imagine qu'on ne vous a pas consultés non plus, n'est-ce pas?
M. Yussuff : Nous n'avons aucun commentaire à faire là-dessus, merci.
Le sénateur Neufeld : Je vais vous lire l'extrait d'une intervention de Moya Greene, PDG de Postes Canada. C'était en réponse à une question :
Pour nous, il s'agit d'un risque de 40 à 80 millions de dollars de revenu, sur un revenu total de 7,3 milliards de dollars. Nous allons nous battre vigoureusement pour conserver ces activités. Le fait d'ouvrir la porte à la concurrence ne signifie pas que Postes Canada soit hors jeu. Vous n'avez qu'à regarder ce que nous avons réussi à faire dans le domaine des colis. C'est le marché le plus férocement concurrentiel au pays, et nous ne sommes certainement pas hors jeu. Nous sommes là pour nous assurer de conserver notre part de marché [...]
Monsieur Yussuff, la PDG de Postes Canada semblait penser que la société serait très compétitive et en mesure de conserver une bonne part du marché, si ce n'est la totalité. En fait, elle avait foi dans Postes Canada et dans les gens qui y travaillent. J'ai dit un peu plus tôt que j'étais très attaché à Postes Canada. Lorsque je vais chercher mon courrier à Fort St. John, en Colombie-Britannique, les gens sont sympathiques; ils font de l'excellent travail, et nous recevons notre courrier à temps. Je n'ai jamais de problème.
Si la PDG se réjouit de la forte compétitivité de Postes Canada, pourquoi pas vous? Pourquoi avez-vous besoin de la protection du gouvernement pour défendre votre exclusivité?
M. Yussuff : Tout comme vous, nous sommes attachés aux services qu'offre Postes Canada d'un bout à l'autre du pays. Nous pensons que cela fait partie intégrante de la société dans son ensemble. C'est indissociable du reste. Le privilège exclusif permet à Postes Canada de générer des recettes estimées à environ 80 millions de dollars. Nous ignorons si cela va augmenter au point de tripler ou même plus.
Je ne remets pas du tout en question les propos de Mme Greene. Je crois qu'elle est sincère. Je ne m'attends à ce qu'elle dise que cela va nuire grandement à la société. Je doute qu'elle puisse dire une chose pareille. Mais il se trouve que nous considérons que cela finira par avoir des répercussions sur le mandat de Postes Canada. C'est pour cela que nous sommes ici.
Je ne joue pas au prophète; je donne seulement mon opinion.
Le sénateur Neufeld : Si cela se développe, Postes Canada aura plus de chances de voir ses parts de marché grossir, ne pensez-vous pas? Je crois que nous parlons ici d'un demi-point de pourcentage des recettes totales de 7,3 milliards de dollars.
Postes Canada est une très grosse société qui distribue du courrier depuis longtemps. Elle sait y faire. Elle devrait pouvoir occuper le marché sans la protection du gouvernement pour garder son exclusivité si elle n'est pas compétitive. La compétitivité ne me pose aucun problème.
M. Yussuff : Nous tenons de nombreux services pour acquis dans ce pays.
Le sénateur Neufeld : Effectivement.
M. Yussuff : Et celui-là en fait partie. Nous y attachons beaucoup d'importance, quel que soit l'endroit où nous vivons dans ce pays, et votre exemple est l'un de ceux dont la plupart des Canadiens diraient qu'ils y sont très attachés.
Ce qui nous préoccupe, c'est qu'avec le temps, la société perde son privilège exclusif et que cela nuise à son mandat de fournir les services qu'elle offre actuellement. C'est ce que nous craignons.
Nous croyons, comme l'a dit un de vos collèges un peu plus tôt, qu'on a déjà passé en revue la société et son mandat. Il ne fait aucun doute que les Canadiens ont dit sans la moindre hésitation qu'ils appuyaient la société dans son mandat pour qu'elle conserve son privilège exclusif et qu'elle continue de distribuer du courrier d'un océan à l'autre. C'est l'une des choses que nous tenons pour acquises. Certains pensent que cela n'aura aucune répercussion. Or, nous pensons le contraire; l'avenir nous dira qui avait raison.
Le sénateur Neufeld : Et bien, les sondages sont ce qu'ils sont. Je suis sûr que si vous demandiez aux Canadiens s'ils tiennent à Postes Canada et s'ils veulent qu'on la garde, il y a des chances qu'ils vous répondent oui. Toutefois, je ne suis pas certain que vous obtiendriez la même réponse à la question de savoir s'il faut que Postes Canada soit concurrentielle pour défendre un demi-point de pourcentage de ses recettes totales brutes.
J'aimerais que nous en restions là et me tourner maintenant vers M. Gordon. Comme l'a indiqué le sénateur Ringuette, nous avons reçu des représentants du gouvernement venus nous expliquer quelques-uns des changements. Je ne connais évidemment pas le code du travail autant que vous.
D'après ce que j'ai compris, cela a pour effet de normaliser une petite partie du reste du code du travail, au sens large. Est-ce que je me trompe?
M. Gordon : Il peut y avoir, au sens large, une certaine normalisation, mais ce faisant, on diminue une partie du pouvoir du tribunal. Au lieu de miser sur les forces, nous les minons.
Je vais vous donner un exemple tiré du projet de loi. Les nouveaux amendements forcent les agents d'appel, de manière sommaire, sans délai, à s'enquérir des circonstances d'une décision. En vertu de la loi actuelle, ces agents doivent aussi examiner les raisons ayant motivé la décision en question. On limite les compétences des agents. Quand on s'occupe de santé et de sécurité, il n'y a pas moyen de faire marche arrière quand quelqu'un est tué ou mutilé dans l'exercice de ses fonctions. Nous voulons que les pouvoirs soient renforcés, pas affaiblis.
Le sénateur Neufeld : D'après ce que je comprends, il est assez courant que des experts externes examinent certains de ces appels. Je ne veux surtout pas parler de la mort de qui que ce soit, car c'est très malheureux. Je parle des appels généraux et de la normalisation. Est-ce que cela touchait cinq postes? Si ma mémoire est bonne, lorsque les représentants du gouvernement sont venus témoigner, ils parlaient de cinq ou six tout au plus.
M. Yussuff : Sept postes ont été visés.
Le sénateur Neufeld : Ces postes étaient devenus excédentaires puisque les personnes qui les occupaient ont été affectées ailleurs; il n'y a donc pas eu de perte d'emploi. C'est une normalisation courante qui se fait dans d'autres parties du code du travail.
Merci de votre réponse. Peut-être voulez-vous ajouter quelque chose.
M. Yussuff : Pour donner suite à ce qu'a dit M. Gordon, c'est actuellement un tribunal qui entend l'appel. Avec les amendements, ce seront des personnes qui l'entendront. Le processus n'est pas encore établi. Le ministre fournira évidemment certaines directives et effectuera des changements réglementaires pour inclure ce nouveau processus. Toutefois, à toutes fins utiles, un tribunal s'occupe de l'appel pour l'instant.
Les fonctionnaires qui ont comparu devant vous vous ont dit qu'il y a apparence de conflit d'intérêt parce que les inspecteurs et ceux qui s'occupent de l'appel font partie de la bureaucratie. Il y a de nombreuses façons de régler ce problème s'il y a un conflit. Cependant, comme M. Gordon le dit, notre préoccupation principale, c'est que les appels en matière de santé et sécurité sont graves et visent à maintenir la sécurité en milieu de travail lorsqu'il y a un appel. On présume que les directives de la ministre concerneront la façon de nommer les gens qui ont l'expertise et les compétences nécessaires pour rendre des décisions. Cependant, nous ne savons pas ce qui se produira à l'avenir. La ministre devra évidemment le décrire.
Le sénateur Neufeld : Merci. Je dirai pour le compte rendu que je crois le gouvernement. Je me préoccupe également beaucoup de la santé et de la sécurité, pour les fonctionnaires et tous les autres. Je crois qu'il s'agit ici plutôt de normaliser le processus.
Le sénateur Mitchell : Dans votre mémoire, monsieur Gordon, vous parlez de la Loi sur les grains du Canada. Cela m'a intrigué parce que nous savons que le gouvernement veut éliminer la Commission canadienne du blé. C'est ce qu'il avait essayé de faire avec un projet de loi en 2009 qui n'a pas été adopté, mais il a présenté des initiatives que certains d'entre nous perçoivent comme une menace envers la Commission des grains.
Dans votre exposé, vous soulignez que ce projet de loi aurait pu permettre au gouvernement de congédier un grand nombre de commissaires adjoints du grain. Croyez-vous que ce projet de loi, en particulier à l'article 1662, ramène cette menace? Devrions-nous nous inquiéter maintenant, à cause de ce projet de loi, que le gouvernement essaie d'affaiblir la Commission du grain et le bon travail qu'elle fait pour les agriculteurs canadiens?
M. Gordon : Nous croyons qu'ils n'ont pas pu faire adopter ce projet de loi distinct, alors le gouvernement l'a inclus dans le projet de loi omnibus du budget. Certains sénateurs ont dit que le nombre de détails inclus dans le budget et les parties du projet de loi que vous examinez est immense. Nous croyons qu'il s'agit là d'un point que le gouvernement a voulu faire adopter dans un projet de loi mais comme il n'a pas réussi, il essaie maintenant de le faire adopter sans plus tarder. Nous pensons que c'est un tour de passe-passe.
Le sénateur Mitchell : Monsieur Yussuff, je me préoccupe également de deux points qui ont été soulevés. Nous ne devrions pas utiliser l'expression « pente glissante », alors permettez-moi de présenter les choses d'une autre façon. Les arguments que le gouvernement a utilisés pour justifier l'élimination du privilège pour le repostage international pourraient être utilisés pour éroder d'autres secteurs de Postes Canada. Il parle de concurrence. Mais ce qu'il oublie toujours, bien sûr, c'est qu'en faisant de l'argent dans un secteur, Postes Canada subventionne les boîtes postales dans des régions comme la Saskatchewan d'où vient le sénateur Tkachuk. Je crois que le gouvernement a fermé 42 bureaux de poste ruraux depuis son arrivée au pouvoir, mais il dit qu'il y a un moratoire sur la fermeture des bureaux de poste ruraux. Il faut toujours surveiller. On ne peut pas se lever trop tôt pour surveiller ce qu'il est en train de faire.
Savez-vous quelle est la taille du marché du courrier international? Il est difficile de le déterminer. Le ministère ne le sait pas. Savez-vous quelle proportion du travail d'un bureau de poste cela représente?
M. Yussuff : Non, en fait, je ne le sais. Je n'ai pas ces chiffres. Si la PDG n'a pas pu vous donner ces chiffres, il me serait très difficile de répondre à la question. Nous croyons cependant que c'est une partie importante. Bien sûr, le courrier international a beaucoup changé à cause des autres formes de communication, mais il demeure quand même important et rapporte beaucoup de revenus pour Postes Canada.
Le sénateur Runciman : Je voulais simplement dire, concernant les allégations du sénateur Mitchell à propos de la fermeture de bureaux de poste ruraux par le gouvernement en place, que lorsque j'ai dit hier, je crois, que le gouvernement libéral avait fermé 50 bureaux de poste ruraux, il m'a demandé de fournir la source de cette information, ce que j'ai fait. J'ai fourni le nom de la personne et l'organisation, c'est-à-dire le STTP, le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes. Je crois que si le sénateur Mitchell fait de telles allégations, on devrait également exiger qu'il en fournisse les preuves au reste du comité.
Quant aux bureaux de poste, je crois que nous sommes tous un peu fatigués de cette discussion. Toutefois, je suis surpris que le CTC adopte une telle position à ce sujet, étant donné les témoignages que nous avons entendus. Vous avez parlé des conséquences. Les conséquences pour les bureaux de poste du maintien du statu quo ou de la reconnaissance de la réalité sont inexistantes parce que cela fait 25 ou 30 ans que l'on fonctionne de cette façon, sans pertes d'emploi.
Cependant, si ce projet de loi n'est pas adopté, il y aura des milliers de pertes d'emploi dans le secteur privé. Nous avons reçu un témoignage à cet effet. Un grand nombre de ces emplois seraient dans le secteur de l'imprimerie, toujours selon les témoignages entendus, et je présume que certains de ces emplois sont syndiqués. Je trouve surprenant que vous adoptiez cette position. Il est facile de comprendre pour l'AFPC. Il y aura une croissance du secteur public si ce projet de loi n'est pas adopté. Mais je trouve cela bizarre de la part du CTC.
Le président : Voulez-vous répondre à cela?
M. Yussuff : Si le sénateur me pose une question, je répondrai.
Le président : Il fait une observation, et vous pouvez en faire une en retour.
Le sénateur Runciman : J'ai fini à ce sujet, alors si vous voulez répondre, faites-le.
M. Yussuff : À propos des pertes d'emploi, soyons précis. J'étais au comité des Communes lorsque les reposteurs ont comparu. Lorsqu'on leur a demandé ce qu'ils perdraient si les changements proposés au projet de loi n'étaient pas adoptés, ils n'ont pu répondre. Ils ont admis recevoir des contrats des reposteurs, des enveloppes, par exemple. Nous prenons au sérieux toutes les pertes d'emploi, mais la réalité est que Postes Canada est également une entreprise qui fournit un très grand nombre d'emplois dans les collectivités rurales comme dans les centres urbains.
Le sénateur Runciman : Postes Canada n'est pas en péril.
M. Yussuff : Soyons justes, on a demandé aux témoins du comité de la Chambre des communes de donner des chiffres précis sur les pertes d'emploi suite à ce projet de loi, et ils n'ont pas pu le faire. Ils ont dit qu'ils employaient beaucoup de gens.
Le sénateur Runciman : Je suis d'accord avec vous qu'ils n'ont pas pu être précis. Ils ont dit qu'il s'agirait de milliers d'emplois. Postes Canada a été précise. L'entreprise a dit qu'aucun emploi n'était menacé.
J'ai des questions au sujet du Code canadien du travail. Si dans un milieu de travail, quelqu'un s'occupe par exemple d'une valve, et que cette personne croit qu'il y a un danger, elle peut quitter son poste et un agent viendra évaluer la situation et prendra une décision. Puis il y a une période de 30 jours pendant laquelle l'employé ou son représentant a l'occasion de faire appel de la décision, s'ils sont en désaccord avec elle.
Que se passe-t-il pendant cette période de 30 jours? Est-ce que la personne peut toujours refuser de travailler dans ce milieu?
M. Gordon : Le droit de refuser de travailler est maintenu jusqu'à ce que l'agent vienne évaluer la situation et dise qu'en faisant telle chose, on peut régler le problème s'il y en a un. Ce droit est alors retiré. Si le représentant veut interjeter un appel, alors cela prend un peu plus de temps pour suivre ce processus. Tant que le travailleur se sent menacé dans la situation, il peut refuser de travailler. Il y aura peut-être des conséquences, et il existe des recours.
De telles situations peuvent se produire dans une installation de chauffage ou dans d'autres édifices. Cependant, souvent les gens conduisent des véhicules qui ne leur semblent pas bien entretenus. C'est la responsabilité du conducteur de signaler que le véhicule n'est pas sécuritaire. S'il est arrêté par un agent de la paix qui dit qu'en vertu des règlements du transport de l'Ontario, le véhicule n'est pas sécuritaire et qu'on ne devrait pas le conduire, c'est le conducteur qui est responsable.
Je ne veux pas être trop précis parce qu'il peut y avoir toutes sortes de situations.
Le sénateur Runciman : Si on interjette appel de la décision de l'agent, est-ce que le travailleur continue d'avoir le droit de refuser de travailler pendant cette période?
M. Gordon : Il est difficile de répondre à la question par oui ou non parce que cela dépend des actions prises et de la décision. A-t-on décidé de retirer une machine pour que le travailleur n'ait plus à l'utiliser et puisse faire autre chose? Je ne sais pas. Il est difficile de donner une réponse définitive à votre question à moins que vous me fournissiez des circonstances précises.
Le sénateur Runciman : D'un autre côté, si le fonctionnement d'un milieu de travail est touché par la décision justifiée d'un employé et qu'on a l'occasion de régler la situation rapidement, il faut aussi en tenir compte. Si l'agent d'appel doit faire une évaluation et a ensuite trois mois pour rédiger sa décision, entre-temps, il y a un risque de diminution du rendement si on peut continuer à refuser de travailler. Voilà ce que j'essaie de comprendre.
Je me demande aussi comment les codes du travail provinciaux se comparent à ce que le gouvernement fédéral suggère de faire ici. Je crois qu'il y a en Ontario quelque chose de semblable à ce que propose ce projet de loi. Que disent les codes du travail provinciaux au sujet du droit de refuser de travailler?
M. Gordon : Je dois vous dire que je ne suis pas un expert dans ce domaine, et je ne connais pas la situation. Je n'ai pas examiné les diverses lois provinciales. Nous parlons ici du Code canadien du travail. Je pourrais obtenir pour vous des renseignements au sujet des nuances et différences entre les différents codes. Nos experts techniques ont probablement examiné cet aspect, mais pas moi.
Le sénateur Mitchell : J'ai un bref appel au Règlement et une clarification en réponse aux allégations belliqueuses du sénateur Runciman et à son invitation de répondre. Chers collègues et monsieur le président, c'est encore pire que je le pensais. Depuis qu'il est au pouvoir, le gouvernement a fermé 55 000 boîtes postales. Je ne pourrais pas dire si elles étaient toutes dans des régions rurales, mais je suis prêt à parier qu'une grande partie l'était.
Bien sûr, Postes Canada ne dresse pas une liste des bureaux de poste fermés, mais nos recherchistes ont fait de longues recherches dans diverses sources et en ont trouvé 42. Je peux en nommer quelques-uns, si vous le désirez : Verwood, Rapid View, Main Centre, Liebenthal, Kelso, Kelfield. Je pourrais même les nommer tous, si vous le désirez. Ce que je dis c'est qu'il y a beaucoup de preuves disponibles.
Le président : Nous ferons en sorte qu'une copie de la liste de tous les bureaux de poste fermés soit distribuée.
Le sénateur Tkachuk : Déposerez-vous cette liste? Je pose la question.
Le président : Il nous reste cinq minutes. Il y a trois personnes qui n'ont pas eu l'occasion de poser une question, alors je vous demanderais de garder vos questions brèves et nous allons procéder rapidement.
Le sénateur Finley : On a déjà répondu à l'une de mes questions. J'aimerais dire que quiconque — y compris le STTP, le NPD et Postes Canada — essaie de faire un lien entre les services de repostage et la protection de la distribution postale en milieu rural, la privatisation ou la déréglementation ne présente pas les faits et essaie de semer la peur. Ce n'est pas moi qui le dis; c'est la collègue de la sénatrice Ringuette et ancienne travailleuse des postes, Marlene Jennings, dans le hansard du 6 mai 2008, je crois.
Cette question de repostage suscite beaucoup de controverse. L'industrie a dit qu'elle perdrait plusieurs milliers d'emplois en conséquence. Le STTP pense qu'il perdrait 200 emplois, mais le syndicat admet ne pas avoir de détail sur ce secteur en soi.
Cela ne vous dérange pas que des milliers d'employés syndiqués ou de personnes ordinaires pourraient perdre leur emploi?
M. Yussuff : Nous sommes convaincus qu'il y aura certaines pertes d'emploi. L'industrie ne peut pas donner de chiffre précis, et d'après nous, il s'agira plutôt de centaines que de milliers.
Bien sûr, cela me dérange que des gens perdent leur emploi, et nous devrions faire quelque chose à ce sujet. Toutefois, nous croyons qu'il est aussi important de défendre les emplois que Postes Canada peut fournir dans le cadre de son mandat parce que nous croyons que Postes Canada constitue une caractéristique unique de notre pays. Les Canadiens profitent du même service postal d'un océan à l'autre à cause du courrier international de Postes Canada.
Le sénateur Finley : En 2007, l'ancienne présidente du STTP, Deborah Bourque, a dit que le nombre de leurs membres n'a pas diminué à cause de cette concurrence. Plus tôt vous avez dit n'avoir aucune idée de l'ampleur de ce marché, mais vous dites que selon vous, il s'agirait de centaines plutôt que de milliers d'emplois.
Comment en arrivez-vous à cette conclusion si vous ne connaissez pas la taille du marché, quelle est la part de Postes Canada dans ce marché, ou les autres aspects?
M. Yussuff : On évalue actuellement que ce marché représente entre 40 millions de dollars et 70 millions de dollars. Personne ne sait s'il augmentera de façon significative suite aux changements législatifs proposés. Nous présumons qu'il augmentera. Sinon, la demande pour ces changements législatifs n'aurait pas été aussi intense. Je crois qu'ils augmenteront leur part de marché, et bien sûr cela aura des conséquences pour Postes Canada.
Le sénateur Finley : Monsieur Gordon, je crois que c'est vous qui a dit à deux reprises que, d'un point de vue syndical, vous n'aviez rien à voir avec le repostage. Vous savez que la Société canadienne des postes, la SPC, a complété et publié un examen stratégique indépendant de Postes Canada l'an dernier, je crois. Y avez-vous participé? Est-ce que des membres de vos syndicats ont participé aux consultations? Nous savons que le STTP l'a fait, parce qu'il a encouragé l'envoi de 23 500 cartes postales au comité d'examen.
M. Gordon : Il me semble que la section de l'AFPC qui représente les travailleurs de Postes Canada a participé à cet examen. Du même coup, l'AFPC y a participé.
Le sénateur Finley : Saviez-vous qu'il a été très clairement recommandé, du point de vue juridique, que la décision concernant le repostage soit renversée afin de permettre aux entreprises indépendantes de poursuivre leurs activités?
M. Gordon : Parlez-vous de l'une des recommandations faites par les syndicats dans le cadre de l'examen stratégique?
Le sénateur Finley : Cela faisait partie de la dernière série de recommandations du comité indépendant d'examen stratégique.
M. Gordon : Je ne sais pas quoi en penser. On a peut-être fait cette recommandation, mais je présume qu'elle ne fait pas partie des propositions des syndicats. Nous faisons souvent des recommandations, mais elles ne sont pas suivies. Nous espérons qu'elles seront prises en compte, mais ce n'est pas souvent le cas.
Le sénateur Finley : Cela m'arrive aussi.
Le sénateur Dickson : Je vous remercie de comparaître aujourd'hui. Vos exposés étaient excellents.
À titre d'information, sachez que je suis de la Nouvelle-Écosse et que j'ai des relations bien établies dans le mouvement syndical, en particulier avec le United Mine Workers of America, le UMWA.
Mes questions s'adressent à M. Gordon et elles concernent les paragraphes 47, 49 et 50, à la page 10 de son mémoire. J'ai sous les yeux la partie II du Code canadien du travail, intitulée Santé et sécurité au travail. Voici comment on propose de modifier la disposition 122(1) :
« Agent d'appel » Personne nommée à ce titre en vertu de l'article 145.1.
Voici ce qui est stipulé au paragraphe 145(1) du Code canadien du travail :
Le ministre peut désigner toute personne compétente à titre d'agent d'appel pour l'application de la présente partie.
Si le ministre a déjà ce pouvoir, en quoi le fait de clarifier le processus constitue-t-il un problème? Je veux que les choses soient claires. En tant que simple sénateur, j'estime que les modifications servent à préciser davantage le processus et sont profitables pour les employés. On pourrait lancer des enquêtes d'une durée illimitée. À la fin de l'enquête, l'agent d'appel aurait 90 jours pour rendre sa décision.
Au Cap-Breton, d'où je viens, un avocat a mené de nombreuses enquêtes en s'appuyant sur le Code canadien du travail. Je ne le nommerai pas, parce qu'il est maintenant député et qu'il continue d'enquêter. On a dit qu'il n'arrivait jamais à prendre une décision. N'est-ce pas mieux que la personne doive arrêter sa décision dans les 90 jours après une enquête juste?
Je pense que c'est plus équitable. Je vais probablement m'attirer les foudres de mes collègues pour avoir dit cela, mais je pense que c'est à votre avantage.
M. Gordon : Le grand changement dans le processus, c'est que le ministre nommerait les décideurs. Les agents d'appel qui travaillent présentement sont des experts dans le domaine et ils s'acquittent bien de leurs tâches. Dans certaines circonstances, ce changement pourrait très bien leur enlever leur gagne-pain. Le ministre pourrait nommer d'autres gens que des fonctionnaires pour mener les enquêtes, qui ne seraient pas aussi efficaces, selon nous. On devrait garder les agents qui sont actuellement en poste.
Le sénateur Dickson : Je ne veux pas argumenter, mais la personne choisie serait tout à fait qualifiée. Selon les principes de justice naturelle, on peut intenter un recours judiciaire, si la personne n'a pas les compétences requises. Je comprends ce que vous dites, mais mon argument se défend aussi.
Comme cette modification serait à votre avantage, je n'y serais pas si fermement opposé, si j'étais vous.
Le sénateur Angus : Messieurs, vous semblez estimer que vous n'avez pas été assez consultés à propos du projet de loi. L'avez-vous été, monsieur Yussuff?
M. Yussuff : Non.
Le sénateur Angus : J'ai devant moi copie d'un communiqué de presse du Congrès du travail du Canada, dont vous êtes le secrétaire et le trésorier, n'est-ce pas?
M. Yussuff : C'est exact.
Le sénateur Angus : Le communiqué est daté du 27 octobre 2009. Il est intitulé « Le CTC réagit à l'annonce de Flaherty sur les pensions ». Voici ce qu'on y dit :
L'annonce du ministre des Finances, Jim Flaherty, concernant les règlements qui régissent les régimes de pension de compétence fédérale est bien accueillie [...]
Voici une citation de Ken Georgetti, président du Congrès du travail du Canada :
Les modifications annoncées sont le fruit des consultations tenues par le gouvernement au cours de l'année et certaines semblent positives [...]
Je pense qu'il est question des dispositions du projet de loi C-9. A-t-on tenu des consultations seulement sur une partie du projet de loi?
M. Yussuff : Le sénateur m'a demandé si j'avais examiné les modifications proposées à la loi. Nous étions tout à fait d'accord avec le ministre Flaherty concernant les changements qu'il souhaitait apporter.
Le sénateur Angus : L'argument que je tente de présenter n'est pas compliqué. Je crois fermement que les gouvernements doivent tenir des discussions approfondies et franches avec les parties concernées avant de proposer des modifications à une loi. On publie habituellement des livres blancs ou autres choses du genre. Je suis sénateur depuis 18 ans, et c'est ce qui semble toujours se produire. Des consultations exhaustives ont donc dû avoir lieu durant un an entre votre syndicat et le gouvernement.
M. Yussuff : Concernant les règles générales applicables aux pensions privées, on a tenu des consultations exhaustives. Tout comme le ministre, nos représentants de partout au pays ont participé activement aux discussions. Sauf pour un point qui nous préoccupait, nous étions parfaitement d'accord avec le ministre sur tout ce qu'il proposait.
Le président : Essayez-vous d'éviter de parler des 23 autres parties du projet de loi?
Le sénateur Angus : Pas du tout. J'ai indiqué qu'il était question d'une partie du projet de loi C-9. Toute personne sensée aurait du mal à croire qu'on a tenu des consultations seulement sur une partie du texte.
Le président : Selon vous, a-t-on fait preuve de cohésion à l'égard du projet de loi C-9 depuis un an et demi?
Le sénateur Angus : Vos gens et les miens se sont consultés.
Le président : Vous n'étiez pas présent ces trois dernières semaines. Veuillez poursuivre, sénateur Callbeck.
Le sénateur Callbeck : Monsieur Gordon, à la page 5, vous soulevez des questions sur les examens stratégiques. Vous dites qu'il y a eu des compressions de 1 million de dollars dans les dépenses du gouvernement durant les deux dernières années et que 287 millions de dollars supplémentaires ont été épargnés selon l'examen stratégique 2009. À plusieurs reprises, j'ai demandé à ce comité la liste des examens stratégiques effectués pour connaître les montants détaillés. Si le gouvernement a économisé 1 milliard de dollars, pourrais-je voir les détails? Je n'ai jamais pu obtenir cette information. Que savez-vous à ce sujet?
M. Gordon : Je n'ai pas la répartition des économies réalisées. Je connais le montant annoncé dans le budget des dépenses concernant les premières compressions effectuées dans l'examen stratégique, mais je ne connais pas le détail des économies réalisées.
Le sénateur Callbeck : Vous dites connaître les premières réductions effectuées dans l'examen stratégique.
M. Gordon : Le montant total se trouve dans le budget des dépenses. Je ne me rappelle pas à combien il s'élève. Je devrais consulter de nouveau le budget des dépenses présenté l'an dernier à la suite de l'examen stratégique. Chaque année, on donne la liste des ministères concernés. Il faut ensuite examiner les compressions que chaque ministère a réalisées dans la foulée de l'examen stratégique. Je n'ai pas cette information avec moi.
Le sénateur Callbeck : Elle est difficile à trouver, même si on examine les montants qui figurent dans le budget.
Vous avez également exprimé des préoccupations à l'égard du Code canadien du travail, de la Loi sur les grains du Canada, de la Loi sur la Société canadienne des postes, de la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale et d'Énergie atomique du Canada limitée. Vous pensez que ces questions devraient être traitées dans des projets de loi séparés plutôt que de faire partie du projet de loi sur le budget.
M. Gordon : Effectivement. Nous croyons que ces questions n'ont rien à voir avec le projet de loi sur le budget et qu'elles devraient être présentées de manière séparée pour que la Chambre les examine indépendamment de ce volumineux projet de loi omnibus.
Le sénateur Callbeck : Je suis d'accord. À la page 13 de votre mémoire, vous dites que la population pourrait donner son opinion sur le projet de loi, mais que les consultations seraient beaucoup plus rares et que leur portée serait considérablement réduite. Le ministre Prentice a dit cet après-midi que le ministre concerné pourrait déterminer le champ d'application. Je lui ai posé des questions sur les consultations publiques et la participation de la population si le projet de loi C-9 était adopté. Il m'a dit que la population pourrait tout autant qu'avant émettre des commentaires sur n'importe quel projet faisant l'objet d'une évaluation environnementale. Pourtant, vous avez dit que l'adoption du projet de loi C-9 entraînerait une diminution des consultations.
M. Gordon : D'après nous, on changerait de manière fondamentale la façon de mener les évaluations environnementales. C'est pourquoi nous croyons que ces modifications devraient être examinées à part. Comme il faut adopter le projet de loi sur le budget, ces modifications ne devraient pas y figurer. Elles devraient être retirées de la mesure législative. Il faut tenir des discussions indépendantes sur ces changements.
Ce genre de questions détaillées devrait être examiné de près. Je ne voudrais pas constater dans deux ans que certains détails auraient dû être relevés et remis en question. C'est vraiment cela, le problème.
Le sénateur Callbeck : Je suis tout à fait d'accord avec vous.
Le président : Honorables sénateurs, je sais que certains d'entre vous souhaitaient poser d'autres questions, mais nous allons en rester là. Nous remercions MM. Gordon, Yussuff et Hodgins d'être venus partager leurs opinions sur le projet de loi C-9 et d'être restés plus longtemps que prévu pour terminer la réunion.
M. Gordon : Nous vous sommes reconnaissants de nous avoir donné la chance de comparaître. Nous comprenons que votre responsabilité première réside au Sénat.
(La séance est levée.)