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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Finances nationales

Fascicule 16 - Témoignages du 7 juillet 2010 - Séance du matin


OTTAWA, le mercredi 7 juillet 2010

Le Comité sénatorial permanent des finances nationales, auquel a été renvoyé le projet de loi C-9, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 4 mars 2010 et mettant en œuvre d'autres mesures, se réunit aujourd'hui à 9 h 6 pour en étudier la teneur (sujet : les parties 14, 16 et 18).

Le sénateur Joseph A. Day (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : La séance du Comité sénatorial permanent des finances nationales est ouverte. Il s'agit de la vingt- deuxième séance du comité concernant le projet de loi C-9, la Loi d'exécution du budget de 2010.

Au cours des séances précédentes du comité, nous avons entendu les témoignages de ministres, de représentants des ministères et d'intervenants externes qui s'intéressent à cette mesure législative, ou à des éléments de cette mesure, ou qui sont touchés par celle-ci.

Nous nous pencherons ce matin sur les parties 14, 16 et 18 du projet de loi, qui portent sur les produits de la criminalité, la Société d'assurance-dépôts du Canada et Énergie atomique du Canada limitée. Nous aborderons d'abord la question d'EACL. En plus des membres de la table ronde, nous entendrons le ministre des Ressources naturelles un peu plus tard dans la matinée.

Nous avons maintenant le plaisir d'accueillir M. John Cadham, chercheur universitaire au doctorat au Centre for Security and Defence Studies, à la Norman Paterson School of International Affairs. Nous vous souhaitons la bienvenue, monsieur Cadham. Par ailleurs, M. Paul Acchione représente l'Ontario Society of Professional Engineers. Je vous remercie tous les deux de votre présence ici.

Paul Acchione, ing., président, Groupe de travail sur l'énergie, Ontario Society of Professional Engineers : Bonjour. Je suis ravi de représenter aujourd'hui les ingénieurs, qui sont des intervenants importants de l'industrie nucléaire au Canada.

L'Ontario Society of Professional Engineers défend les intérêts des 73 000 ingénieurs de l'Ontario et offre des services à ses membres. Cette association représente les intérêts des ingénieurs de toutes les disciplines et de tous les secteurs, dont l'industrie nucléaire, qui emploie bon nombre de ses membres.

Comme de nombreux témoins qui ont comparu devant le comité, les membres de l'Ontario Society of Professional Engineers estiment que la restructuration d'Énergie atomique du Canada constitue une étape importante en vue du redressement de l'industrie nucléaire au Canada. Toutefois, les répercussions de cette restructuration sur la propriété intellectuelle du Canada et sur l'embauche des ingénieurs nous préoccupent.

Nous croyons notamment que la fragmentation du secteur, qui découlerait peut-être de la restructuration et de la vente d'Énergie atomique du Canada, pourrait faire obstacle, au Canada, à la recherche et développement de pointe en matière d'énergie nucléaire. Cette fragmentation serait nuisible à l'économie du Canada et à sa main-d'œuvre qualifiée dans le domaine du nucléaire.

La société Énergie atomique du Canada limitée est un atout pour le Canada. Elle est garante d'emplois de grande qualité dans le domaine de l'ingénierie et dans le secteur manufacturier axé sur les connaissances. Elle peut également contribuer à répondre à nos besoins croissants en matière d'énergie, ce qui est tout aussi important. L'Ontario, notamment, doit remplacer ses anciennes installations de production d'énergie. Il est donc logique qu'on utilise le nucléaire pour produire, à bon marché, de l'énergie de base fiable qui n'entraîne pas d'émission de carbone. En faisant fond sur le marché intérieur, Énergie atomique du Canada limitée aura la possibilité d'asseoir sa position de chef de file sur la scène internationale et de tirer partie de la renaissance du nucléaire en Chine, en Inde et ailleurs dans le monde.

Dans un récent mémoire présenté au ministre des Ressources naturelles, l'Ontario Society of Professional Engineers et le syndicat des ingénieurs et des chercheurs d'Énergie atomique du Canada limitée ont défini cinq principes qu'ils jugent important lorsqu'on considère l'avenir d'EACL.

Premièrement, le Canada dispose de personnes compétentes dans le domaine de l'énergie nucléaire. Sa main-d'œuvre est de premier ordre et elle continuera à mener des recherches novatrices avec l'appui, bien sûr, du gouvernement fédéral. Deuxièmement, la demande d'énergie nucléaire est croissante dans le monde. Le Canada est l'un des plus importants producteurs d'énergie nucléaire de la planète et il fait figure de pionnier en matière de technologie nucléaire. Il gagnerait beaucoup à répondre rapidement à la demande du marché. Troisièmement, Énergie atomique du Canada limitée est le cœur de l'industrie nucléaire du Canada. Sa restructuration est nécessaire, mais elle doit être entreprise de façon à protéger adéquatement la propriété intellectuelle et les emplois de grande qualité au pays. Quatrièmement, il faut investir dans la production d'énergie nucléaire ici même, au Canada. En démontrant, à la base, nos aptitudes en matière d'énergie nucléaire, nous pourrons consolider notre position de chef de file sur la scène internationale. Cinquièmement, il est aussi temps pour le gouvernement fédéral d'envisager de remplacer le réacteur NRU par un autre réacteur polyvalent afin de soutenir la recherche et le développement.

Je vous remercie sincèrement de m'avoir permis de prendre part à cette importante discussion. L'Ontario Society of Professional Engineers enverra à chacun de vous un résumé de mon exposé qui comprendra notamment les cinq principes dont je viens de parler. J'espère qu'il sera utile à vos délibérations. Merci.

Le président : Merci beaucoup. Il serait utile que vous remettiez votre résumé à notre greffier. Le plus tôt serait le mieux.

M. Acchione : J'en ai laissé une copie ce matin au greffier. Je crois que le bureau en enverra une version électronique au cours de la journée.

John Cadham, chercheur universitaire au doctorat, Centre for Security and Defence Studies, Norman Paterson School of International Affairs, Université Carleton : Monsieur le président et honorables sénateurs, je vous remercie de m'avoir invité à parler ce matin des dispositions du projet de loi C-9 portant sur la restructuration d'EACL. Je serai bref, mais je compte développer plus avant mon argumentation lorsque je répondrai à vos questions.

Je dirais aussi que mon exposé vise un peu à provoquer, à susciter la discussion et à amener les gens à considérer des aspects du débat dont on n'a pas tenu compte jusqu'à présent. C'est presque devenu une habitude au pays de professer que le Canada a été l'un des premiers pays à adopter l'énergie nucléaire. Je crois que cette idée a été exprimée dans de nombreux autres exposés. Le Canada est toujours le plus grand fournisseur d'uranium naturel et il est un fournisseur important de technologies dans ce domaine, comme l'a souligné M. Acchione. Toutefois, le fait que l'Ontario ait récemment décidé de reporter indéfiniment la construction de deux réacteurs nucléaires à la centrale de Darlington et l'intention avouée du gouvernement fédéral de privatiser EACL nous font soulever de graves questions quant à l'avenir de l'énergie nucléaire au Canada.

Dans la partie 18 du projet de loi C-9, on semble présumer que la simple privatisation d'EACL nous permettra de surmonter l'inertie qui s'est installée dans l'industrie nucléaire du Canada. Or, je prends la parole aujourd'hui pour contester cette prémisse. Je soutiens plutôt que le Canada a perdu le consensus politique qui a rendu possibles, à l'origine, le développement de la technologie du réacteur CANDU et, par la suite, l'adoption de l'énergie nucléaire comme source d'électricité au pays.

L'ensemble du processus d'appel d'offres en Ontario témoigne de cette perte et révèle les obstacles auxquels l'industrie nucléaire du pays est confrontée. Le caractère fragmenté des compétences fédérales et provinciales en matière de politique de l'énergie et les jeux politiques ont fait sombrer le marché intérieur dans une inertie qui empêche la réalisation de tous les plans visant à faire revivre l'industrie nucléaire au Canada.

Soyons tout à fait clair : sans un regain d'intérêt pour l'énergie nucléaire dans notre marché intérieur, il est très peu probable qu'EACL, quel que soit l'organisme ou la structure du capital social qui le chapeaute, réussisse à mettre en marché et à vendre des réacteurs sur la scène internationale. À mon avis, la privatisation d'EACL ne changera rien à la situation et ouvrira très peu de perspectives à la société. De plus, cette privatisation marquera la fin de la technologie du réacteur CANDU.

En songeant à privatiser la société, nous refusons en fait d'agir et demandons aux autres de dicter une partie de notre politique de l'énergie. En l'occurrence, nous recherchons des firmes japonaises, américaines et françaises. On pourrait dire qu'il s'agit de la création d'une « politique par défaut ». Au lieu de nous demander si nous voulons un programme d'énergie nucléaire au Canada et de trouver ensuite la meilleure façon de le mettre sur pied, nous laissons le marché déterminer notre façon de procéder.

Je prétends toutefois que laisser le marché décider pour nous, c'est espérer que la « main invisible » d'Adam Smith fasse le travail à notre place. Le marché dispose-t-il d'un savoir privilégié qui lui permettrait de créer une politique de l'énergie? Je ne vois pas comment cela se pourrait. Je soutiens plutôt que la privatisation est une autre façon de dire que nous n'avons pas la moindre idée de ce que nous faisons, que nous nous esquivons des décisions difficiles à prendre, et que nous préférons laisser le problème aux générations futures en profitant maintenant de l'argent.

Mon exposé se limite strictement aux réacteurs. Je sais que le projet de loi couvre tous les sujets, mais je m'intéresse principalement aux réacteurs. Nous nous berçons d'illusions si nous pensons que vendre une partie d'EACL contribuera d'une façon ou d'une autre à nous sortir du bourbier qu'est la question de la politique nationale de l'énergie. Toutefois, pour la prospérité future du pays, il est essentiel de surmonter ces obstacles, de nous sortir de ce bourbier constitutionnel, économique et technologique. Pour ce faire, il faudra que tous les ordres de gouvernement manifestent une grande volonté politique, tout en prévoyant des investissements durables non seulement dans l'infrastructure, mais aussi dans la technologie et la recherche et développement.

Soyons tout à fait clair : le processus entourant le projet de Darlington en Ontario était beaucoup plus un cadre de négociations entre le fédéral et le provincial sur de grands enjeux qu'un processus commercial d'appel d'offres. D'une part, le gouvernement fédéral a établi un cadre étroit dans lequel EACL pouvait manœuvrer; d'autre part, le gouvernement provincial a tenté de repousser les limites contraignantes de ce cadre en lançant un processus d'appel d'offres. Cela a mené à une impasse que nous regretterons, à mon avis.

Le processus d'appel d'offres dont nous avons été témoins allait à l'encontre de la logique selon laquelle la société EACL a été créée. Souvenons-nous qu'EACL a été mise sur pied après la guerre afin que le Canada puisse tirer profit des extraordinaires connaissances qu'il avait acquises dans le cadre de sa participation au projet Manhattan en vue de faire un usage pacifique de l'énergie nucléaire au pays. Le mandat de la société EACL concernait avant tout le marché intérieur. Il s'agissait de concevoir et de construire des réacteurs en vue de subvenir aux besoins des Canadiens en électricité. L'exportation de cette technologie a été un moyen de tirer partie des investissements en recherche et développement, et de miser sur des économies d'échelle qu'il serait possible de réaliser avec le temps. On convenait que le principal objectif était de desservir le marché intérieur. Les exportations étaient un moyen de réduire les frais d'électricité des consommateurs canadiens.

Malgré tous ses manques, EACL a été une composante importante du secteur canadien de l'énergie au cours des cinquante dernières années. Je ne suis pas ici pour faire l'apologie de ces manques ni, j'en ai bien peur, pour proposer une solution aux problèmes importants auxquels la société d'État est confrontée.

Je crains seulement que cette disposition budgétaire soit en train de sceller le sort de la société. Nous traitons la chose dans quelques paragraphes d'un projet de loi omnibus au lieu de nous attaquer à une tâche autrement plus difficile, il est vrai, soit celle de considérer globalement l'avenir à long terme de la situation de l'énergie au Canada et le rôle de l'énergie nucléaire dans cette équation.

Je suis prêt à répondre à vos questions.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Cadham. Votre exposé porte surtout sur les rapports entre EACL et la centrale de Darlington, en Ontario. Le Nouveau-Brunswick est lui aussi touché. Je crois que je devais le signaler, moi qui viens de cette province. On prévoyait que le Nouveau-Brunswick allait faire affaire avec EACL à un moment donné, mais la société négocie actuellement avec AREVA, la firme française, pour les raisons que vous avez évoquées. Je crois qu'il est important de brosser un tableau complet de la situation.

M. Cadham : Vous avez absolument raison, sénateur.

Le sénateur Angus : J'aimerais d'abord vous poser une question, M. Acchione. Je cherche seulement à comprendre le mémoire qui a été présenté au ministre des Ressources naturelles. Vous avez mentionné cinq points.

M. Acchione : Oui, ils sont résumés dans le document que je vous ai remis aujourd'hui. Ils sont un peu mieux expliqués dans la lettre adressée au ministre, que vous pourrez bientôt consulter.

Le sénateur Angus : Avez-vous obtenu une réponse du ministre?

M. Acchione : Pas que je sache, à moins que nous en ayons reçu une récemment.

Le sénateur Angus : Que voulez-vous dire par « récent mémoire »? A-t-il été présenté hier?

M. Acchione : Il me semble que c'était en mai.

Le sénateur Angus : Vous avez déclaré certaines choses dans votre exposé, mais vous n'avez pas dit si vous êtes pour ou contre les dispositions du projet de loi budgétaire. Selon ce que vous dites, je présume que vous souscrivez aux observations du professeur, n'est-ce pas?

M. Acchione : Il serait utile, à mon avis, que la population participe et qu'il y ait un débat à savoir si le Canada veut être un intervenant dans le secteur nucléaire. Ce serait une honte de se débarrasser de tout sans consulter la population et d'apprendre plus tard que cette décision contrarie les Canadiens. Les ingénieurs ont des compétences qui leur permettront de travailler dans d'autres secteurs ou même d'autres pays. Nous aimerions garder les personnes les plus compétentes au pays et développer au Canada la meilleure technologie nucléaire qui soit, mais tout cela dépend du gouvernement.

Personne n'a jamais pu élaborer un programme nucléaire sans l'appui du gouvernement. Il faut beaucoup d'investissements pour franchir l'étape initiale, c'est-à-dire la construction d'une centrale nucléaire. C'est la nature même de l'industrie nucléaire qui exige cela. Une fois la centrale construite, les choses vont beaucoup mieux. Toutefois, les technologies et les normes changent, tout comme les exigences de la population en matière de sécurité et d'intégrité des installations. On doit aussi apporter des changements aux centrales. Par conséquent, il faut davantage de recherche et développement. Pour cela, il faut que les responsables comprennent que le nucléaire, ce n'est pas comme construire des voitures, fabriquer des souliers ou confectionner des vêtements. Le nucléaire exige d'investir dans l'avenir de la société.

Dans la mesure où les Indiens, les Chinois et les Africains semblent vouloir adopter notre mode de vie, il faudra alors d'énormes quantités d'énergie pour répondre à leurs besoins. Si nous produisons cette énergie à partir du charbon, du pétrole ou du gaz naturel, nous ne ferons que répéter les mêmes erreurs. L'histoire nous apprend que des sociétés en sont arrivées à détruire leur propre économie en utilisant un carburant de transition. Un bon exemple de cela, comme vous le savez peut-être, c'est Haïti, où on a coupé tous les arbres. Si on part de ce principe, il faut donc trouver une façon de restructurer EACL de façon à ce que cette société fasse partie de la scène nucléaire dans le monde. Autrement dit, une des voies à envisager, c'est que des acheteurs étrangers puissent se procurer de la technologie nucléaire au Canada. Ce serait alors profitable pour nous.

Le sénateur Angus : Exactement. Je suis entièrement d'accord avec vous. Voilà pourquoi le gouvernement, comme on l'a souvent dit, reconnaît qu'il faut restructurer l'industrie nucléaire. Je considère que votre témoignage fait de vous un ardent défenseur du nucléaire.

M. Acchione : Oui, de la restructuration.

Le sénateur Angus : En ce qui concerne la tenue d'un débat public, je conviens tout à fait qu'il faut que le Canada réévalue actuellement la situation et qu'il y ait un débat public sur la question à la lumière des changements climatiques, de la croissance de la population mondiale et de la diminution des sources d'énergie. Nous devons nous doter d'un nouveau cadre en matière d'énergie durable.

Le Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles procède actuellement à un examen approfondi de la question qui durera deux ans. Des défenseurs de l'industrie nucléaire ont déjà comparu devant le comité et, à mon avis, les réactions ont été favorables. Je vous renvoie au témoignage des représentants de Bruce Power à titre d'exemple.

Je veux m'assurer que ce ne sont pas des critiques que vous avez formulées. Vous dites que l'industrie doit être restructurée. Nous sommes d'accord.

M. Acchione : Si cette restructuration est faite comme il faut.

Le sénateur Angus : Selon le deuxième principe, le nucléaire ouvre de grandes possibilités.

M. Acchione : Selon le troisième, nous serions satisfaits de la restructuration si elle était faite correctement.

Le sénateur Angus : Vous, monsieur Cadham, vous plaidez également pour la tenue d'un débat sur l'énergie. Tous les membres du comité seront d'accord avec vous. Prenons l'hypothèse que le secteur privé, en tout ou en partie, prenne part à la nouvelle restructuration. Le gouvernement pourrait conserver une action préférentielle ou garder le contrôle sur la société, quelle que soit la forme que pourrait prendre la restructuration. Je veux savoir si, oui ou non, vous croyez que le secteur privé a la compétence nécessaire pour cela.

Cette phrase est intéressante : « Sa restructuration est nécessaire, mais elle doit être entreprise de façon à protéger adéquatement la propriété intellectuelle et les emplois de grande qualité au pays. » On doit bien sûr tenir compte également de la sécurité, et cetera. Suggérez-vous que ce soit le gouvernement qui s'en occupe?

M. Cadham : Ce sont les propos de M. Acchione.

Ma position est semblable. Le secteur privé pourrait très certainement jouer un rôle. Tout ce qu'EACL a construit à l'étranger a demandé une énorme participation du secteur privé dans le cadre d'Équipe CANDU. Une série d'entreprises sont allées à l'étranger pour réaliser ces projets, dont SNC-Lavalin, l'un des principaux intervenants.

Le sénateur Angus : Vous avez montré du doigt le sénateur Hervieux-Payette. Représente-t-elle SNC aujourd'hui?

M. Cadham : J'ai seulement fait cela parce que je crois comprendre qu'elle a eu...

Le sénateur Angus : Je n'en serais pas surpris.

Le sénateur Hervieux-Payette : Non, je tiens à signaler que j'ai travaillé pour cette firme pendant 5 ans, il y a 20 ans.

M. Cadham : Oui, exactement.

Le sénateur Angus : Vous y avez fait aussi de l'excellent travail.

Le sénateur Hervieux-Payette : C'était il y a 20 ans, et je ne possède pas d'actions dans l'entreprise.

M. Cadham : Je suis désolé. Je ne voulais rien insinuer. Le secteur privé a certainement un rôle à jouer. Ce qui me préoccupe surtout dans les dispositions du projet de loi, c'est que nous accordons plus d'importance à la privatisation qu'à la question de la politique nationale, au fait de décider si nous voulons produire de l'énergie nucléaire et si le nucléaire doit constituer l'une de nos principales sources d'énergie.

Le sénateur Murray : Est-ce le cas?

M. Cadham : C'est une décision qui revient au gouvernement. Selon moi, ce sera...

Le sénateur Angus : Selon vous, le nucléaire devrait être une de nos sources d'énergie, et c'est une bonne chose.

M. Cadham : À mon avis, ce sera bientôt un élément essentiel. La question fait l'objet d'un grand débat, dont vous connaissez très bien les enjeux. Si on considère que le nucléaire est un élément essentiel, la question n'est plus la même. Il s'agit plutôt de déterminer la meilleure façon d'atteindre cet objectif. Toutefois, je n'ai pas encore eu d'indication claire, de la part d'un gouvernement ou l'autre, que c'est ce que nous voulons faire. L'Ontario et le Nouveau-Brunswick ont déclaré qu'ils veulent construire un autre réacteur, mais la situation change constamment. Nous n'avons plus le consensus que nous avions lorsque EACL a été créée. Tous étaient d'accord, alors, pour effectuer ces investissements, c'est-à-dire d'énormes investissements publics à risques partagés, et pour le faire de la façon jugée la plus rentable.

Le sénateur Mitchell : Les changements climatiques me préoccupent grandement. Si nous avons vraiment l'intention de faire quelque chose à cet égard, nous devrons développer le secteur de l'énergie nucléaire en démontrant un grand savoir-faire. Si nous le développons bien, ce que nous avons fait pendant une certaine période, nous pourrions profiter d'un avantage connexe, c'est-à-dire que nous pourrions vendre de la technologie nucléaire dans le monde. En nous appuyant sur la réputation que nous avions dans le monde et sur le succès qu'a connu la stratégie d'Équipe CANDU, nous pourrions réussir à le faire.

Je n'ai pas à lire entre les lignes pour comprendre ce que vous dites. Ce qui me préoccupe, c'est que nous avons le choix entre nous en laver politiquement les mains, ce que fait à mon avis le gouvernement, et faire preuve de leadership pour développer cette industrie au Canada et dans le monde. Les possibilités sont grandes et pourraient susciter beaucoup d'enthousiasme. Au lieu de cela, toutefois, nous étouffons cette possibilité.

Rien dans cette initiative ne laisse voir que le gouvernement a un plan qui s'étend au-delà de la vente de la société, si elle vaut encore quelque chose à ce point-ci. Le gouvernement a-t-il élaboré une stratégie à votre connaissance? Vous a-t-on consulté? Savez-vous si on a consulté d'autres secteurs ou des gens de l'industrie, ou d'ailleurs, pour mettre au point la stratégie qui s'appliquera après la vente de la société, de façon à ce que le gouvernement canadien puisse toujours faire preuve d'un certain degré de leadership nécessaire au développement de cette industrie au Canada?

M. Acchione : J'ai très peu de choses à ajouter. Des discussions ont eu lieu entre le gouvernement et les intervenants de l'industrie concernant l'élaboration de leur stratégie, mais je n'en connais pas les détails. Le gouvernement n'a pas rendu publics certains détails, mais je sais que des discussions ont eu lieu avec des gens de l'industrie.

M. Cadham : Il est révélateur que les deux rapports qui ont fait de la politique ce qu'elle est actuellement aient été produits par des institutions financières, soit la Banque Nationale et Rothschild. Selon ce que je sais, aucune de ces deux institutions n'a jamais été un ardent défenseur de la politique de l'énergie.

Nous sommes témoins d'une réaction aux problèmes financiers d'EACL, des problèmes qui relèvent certainement du gouvernement, car c'est le gouvernement qui possède EACL et qui nomme les membres de son conseil d'administration. Par ailleurs, il faut considérer les répercussions de la perte de popularité de l'industrie nucléaire. Selon moi, il est paradoxal qu'on s'agite autant à l'idée de privatiser cette société au moment où elle se trouve au creux du cycle. Si les prévisions annonçant une renaissance s'avèrent justes et que le secteur reprend du poil de la bête peu à peu, on pourrait alors croire que le temps est venu d'entamer des discussions sur la privatisation de la société, sur sa privatisation partielle ou sur un autre fonctionnement. Or, ce que je constate jusqu'à présent, c'est une volonté de s'en laver les mains.

M. Acchione : Sénateur, j'ajouterais qu'il faut quatre ingrédients pour qu'un programme nucléaire soit mis en œuvre avec succès, et ce, qu'il soit question du programme français, du programme américain, dont Toshiba possède maintenant une partie, ou de l'ancienne forme du programme canadien, lorsqu'on construisait chaque année des réacteurs.

Premièrement, l'appui du gouvernement est essentiel. Sans cela, on dépense de l'argent pour rien. Les ententes sont généralement conclues entre des pays parce qu'elles nécessitent un engagement de 30 à 60 ans. La plupart des entreprises privées ne durent pas aussi longtemps. Le deuxième ingrédient, c'est la technologie et la main-d'œuvre nécessaires à la mise en œuvre du programme. Le Canada a la chance de figurer parmi les quelques pays qui ont cette capacité. Le troisième élément important, c'est le financement garanti ou les garanties du gouvernement sur le financement. En fait, dans la plupart des cas, ce sont des services publics qui achètent les réacteurs, et non les gouvernements qui ont conclu les ententes. Ces services publics ne peuvent pas faire émettre d'obligations à moins qu'on garantisse les emprunts, car il est déjà arrivé que des obligations ne soient pas acquittées. Par exemple, on a dû fermer une centrale en raison de l'opposition de la population aux centrales nucléaires, ce qui a entraîné un défaut de paiement. Vous savez probablement que plusieurs cas semblables se sont produits aux États-Unis. Quatrièmement, il faut que quelqu'un défraie les coûts des nouvelles technologies dont on équipe la centrale pour répondre aux nouvelles exigences réglementaires. Le coût initial est ensuite réparti entre plusieurs réacteurs. Il faut cependant disposer de grands capitaux, car le nucléaire coûte très cher. L'avantage, une fois que la centrale est construire, c'est qu'elle est très solide, qu'elle dure longtemps et qu'elle dépend relativement peu du cours du carburant.

En Ontario, l'électricité produite par une centrale nucléaire coûte un 0,5 cents le kilowattheure. Chez moi, on me la fait payer 11 ou 12 cents. C'est le coût du carburant. L'électricité produite par une centrale à combustible fossile coûte entre 4 et 6 cents. Par conséquent, une fois que la centrale nucléaire est construite, tout va bien. Ce qui a permis aux prix de l'électricité d'être aussi stables en Ontario au cours des années, c'est que 50 p. 100 de notre production repose sur le combustible nucléaire. Le prix de l'électricité ne change donc pas en fonction du cours du carburant.

Ces quatre éléments sont absolument essentiels pour réussir à mettre en œuvre un programme nucléaire. S'il manque un des ingrédients, on aura du mal à vendre des réacteurs.

Le sénateur Mitchell : Quand on sait que la France est propriétaire à 76 ou 78 p. 100, je crois, de la société nucléaire nationale, y a-t-il une raison qui empêche le Canada de faire la même chose? Doit-on comprendre qu'il est très peu probable que nous produisions des isotopes, l'un des fleurons de notre ancien programme nucléaire, dans le cadre du nouveau régime restructuré?

M. Cadham : Le gouvernement a déjà annoncé qu'il mettrait un terme à la production d'isotopes.

Le sénateur Mitchell : C'est déjà fait, donc.

M. Cadham : La décision est prise, du moins en ce qui concerne le gouvernement, et je crois comprendre qu'EACL fait des efforts à cet égard.

Pour ce qui est d'AREVA et de la situation en France, je dirais que le Canada n'est pas la France. Dans ce pays, le réseau de distribution d'électricité et d'énergie est relativement uniformisé. Il n'y a pas la même combinaison de compétences entre le fédéral et le provincial en ce qui concerne la politique de l'énergie. Le gouvernement français peut adopter une politique pour que le pays devienne une puissance nucléaire. Cette politique est ensuite mise en œuvre. On ne peut pas faire cela au Canada, du moins pas dans le cadre des modalités actuelles.

Comme je l'ai déjà dit, le succès que connaît AREVA se fonde entièrement sur le gigantesque système commercial de la France. Tout le réseau d'électricité de la France repose sur l'énergie nucléaire. Oui, l'ensemble du pays. Le Canada est toujours un acteur important, mais l'industrie est surtout présente en Ontario, au Nouveau-Brunswick, dans une certaine mesure, et un peu au Québec. En fait, elle est très fragmentée. Les possibilités ne sont pas les mêmes au pays. EACL ne peut pas établir le même genre de masse critique lui permettant d'accroître ses exportations.

M. Acchione : Essayons de déterminer la part du réseau canadien que peut prendre le nucléaire. L'énergie hydroélectrique compte pour environ 25 p. 100 de nos ressources énergétiques. Personne ne voudra abandonner cette source d'énergie. La part maximale que peut prendre le nucléaire, si on exclut les sources renouvelables, est donc de 75 p. 100.

Si l'on tient compte du fait que la politique du gouvernement prévoit une part de 15 p. 100 pour les énergies renouvelables, ce taux diminue donc à 60 p. 100. Par ailleurs, le nucléaire permet une certaine flexibilité, mais il n'est peut-être pas possible de le manier assez rapidement pour pouvoir compenser les variations de l'énergie éolienne et de l'énergie solaire. On a donc besoin d'une façon d'équilibrer ces variations, ce qui peut être fait grâce aux centrales à réserve pompée ou aux systèmes de dérivation des centrales nucléaires.

En théorie, avec un petit système d'accumulation par pompage permettant de faciliter la gestion du réseau, la part du nucléaire peut atteindre 60 p. 100 de la demande du Canada en énergie sans qu'on exclue les sources hydroélectriques et renouvelables. Le Québec est équipé de plusieurs systèmes d'accumulation par pompage. Il est donc en meilleur position que l'Ontario, qui en a peu.

M. Cadham : Il faut parler aussi de la coopération entre les provinces. Ce que M. Acchione n'a pas dit, c'est que nous pourrions équilibrer très efficacement les charges en reliant davantage les réseaux de l'Ontario et du Québec. En fait, le réseau du Québec repose surtout sur l'énergie hydro-électrique, tandis que celui de l'Ontario se fonde principalement sur l'énergie nucléaire. Rien n'empêche que le Québec réduise sa production d'électricité, qu'il utilise l'énergie nucléaire produite en surplus par Ontario Hydro et qu'il se serve de ses barrages seulement pour répondre aux périodes de pointe de la demande. Actuellement, nous ne pouvons pas le faire parce que les réseaux des deux provinces ne sont pas suffisamment reliés. Le réseau du Québec est fortement relié au nord-est des États-Unis, mais très peu, en fait, avec l'Ontario.

M. Acchione : Pour être juste à l'endroit de l'Ontario, il faut dire, comme vous le savez probablement, que la province a tenté de relier son réseau à celui du Québec, mais le prix que demandait le Québec pour l'électricité n'était pas concurrentiel. L'Ontario n'a donc pas construit d'installations de transmission entre les deux réseaux.

Le président : Vous arrivez à l'étape suivante. C'est intéressant.

Le sénateur Marshall : Il est intéressant que vous adoptiez des points de vue différents sur la question.

Nous avons entendu de nombreux témoignages au sujet d'Énergie atomique du Canada limitée. Après avoir entendu de nombreux spécialistes, je commence à penser que le gouvernement n'a pas d'autre choix que d'aller de l'avant et, d'une façon ou d'une autre, de privatiser ou de restructurer EACL. Des témoins nous ont parlé des énormes sommes d'argent qu'on a consacré à cette société. Nous avons appris que bon nombre de ses projets dépassent le budget prévu et les délais fixés. J'ai l'impression qu'elle s'est « égarée au fil des ans », même si je ne crois pas qu'on ait vraiment employé cette formule.

Des témoins que nous avons entendus jugent qu'EACL est en déclin. Selon eux, le gouvernement a trop attendu. Il aurait dû agir il y a quelques années. Ils disent également que la valeur d'EACL se détériore.

Monsieur Acchione, vous semblez en faveur de la fragmentation d'Énergie atomique. Je serais intéressée de connaître votre avis sur la façon dont la fragmentation devrait se faire, sur les parties qu'on devrait privatiser, et cetera.

Monsieur Cadham, je voudrais savoir si vous êtes favorable à une quelconque forme de privatisation d'Énergie atomique du Canada limitée ou d'une de ses parties. Le secteur privé participe à la production et la distribution de l'électricité au Canada. Je dirais même avec succès. D'autres entreprises sont parties prenantes du secteur de l'énergie éolienne. J'aimerais avoir votre opinion, car vous me donnez l'impression de n'être favorable à aucun aspect de la privatisation.

M. Acchione : D'abord, je dirais que la privatisation n'est pas mauvaise en soi. Ce qui est mauvais, c'est de laisser les gens diriger une société privatisée en fonction des profits. La technologie du nucléaire est différente de la technologie des centrales fonctionnant au gaz. L'explosion d'une centrale au gaz n'a de répercussions que sur les environs immédiats et touche surtout la propriété de la centrale. En comparaison, si on perdait la maîtrise d'une centrale nucléaire, la situation du golfe du Mexique aurait l'air d'un jeu d'enfants.

Les avantages que retire la société du nucléaire sont énormes, mais les risques sont aussi très élevés. Les risques du nucléaire doivent êtres encadrés par des mesures réglementaires et parfois aussi par des mesures de contrôle de l'entreprise. Le partenaire privé peut même avoir la responsabilité de ce contrôle si le gouvernement trouve une façon de structurer l'organisation de manière à ce qu'il puisse empêcher qu'on tienne surtout compte du profit au détriment, par exemple, de la sécurité publique et de l'environnement.

Si la restructuration est faite en bonne et due forme et qu'elle prévoit des mesures réglementaires ainsi que des mesures de contrôle gouvernemental sur l'organisation, j'estime que la collaboration avec un partenaire privé est possible.

Une autre chose dont il faut tenir compte avec le nucléaire, c'est que plus la société est grande, mieux c'est. En raison de sa nature, l'industrie du nucléaire demande beaucoup d'argent et de capacités techniques. Par conséquent, la fragmentation d'EACL en de nombreuses parties responsables séparément des services, du développement de nouveaux réacteurs et de la remise en état des installations est condamnée au désastre. Ces parties seront en concurrence pour les mêmes ressources technologiques. De plus, le seul domaine qui est sûr, actuellement, c'est celui de la remise en état des installations, car la vie de plusieurs centrales s'achève, et la remise en état coûte beaucoup moins cher que la reconstruction. Par conséquent, c'est le cœur même du secteur nucléaire. Beaucoup de projets seront financés par le domaine de la remise en état, de même que par le soutien probable du gouvernement en vue d'équiper les centrales de nouveaux éléments et de nouvelles technologies nécessaires dans le marché actuel. On doit tenir compte de tout cela dans la restructuration d'EACL. Voilà pourquoi j'ai dit que nous ne nous opposions pas à la restructuration ni aux partenariats avec le secteur privé, tant qu'on met en œuvre des mesures réglementaires adéquates et que le gouvernement peut exercer une influence sur l'entité créée.

Le président : Vous n'allez pas jusqu'à dire que le gouvernement devrait conserver 51 p. 100 du pouvoir sur l'entreprise, n'est-ce pas?

M. Acchione : Les points de vue sont partagés au sein de l'Ontario Society of Professional Engineers quant au degré de contrôle nécessaire. Malheureusement, il n'y a pas consensus parce que, rappelez-vous, les ingénieurs sont comme les politiciens. On ne s'entend pas sur la valeur du contrôle exercé par l'entreprise et du contrôle exercé par le gouvernement ainsi que sur le degré de contrôle nécessaire de part et d'autre. Je ne peux pas répondre à cette question parce que le conseil ne m'en a pas donné le mandat.

Le président : Je croyais que vous vous esquiviez. Nous comprenons pourquoi, maintenant.

M. Acchione : Ce qu'il faut retenir, c'est un contrôle suffisant exercé grâce à des mesures réglementaires en ce qui concerne les projets mis en branle, et la façon dont ils sont exploités et maintenus, et un contrôle gouvernemental en ce qui concerne les politiques et le fait de veiller à la bonne réputation du pays.

Le sénateur Marshall : Quand vous parlez du secteur privé qui ne pense qu'à faire de l'argent, il ne faut pas oublier que c'est la seule façon d'obtenir la participation du privé : l'argent.

M. Acchione : Absolument.

Le sénateur Marshall : C'est comme le secteur de la production et de la distribution d'électricité, qui sont réglementés par le gouvernement. Les entreprises font le profit qu'elles ont à faire et le gouvernement réglemente le tout, et c'est ce qui fait que ça marche.

M. Acchione : Tout à fait. Prenons l'exemple de l'énergie solaire : personne au monde ne serait normalement intéressé à construire une centrale solaire; pourtant, voilà qu'elles poussent comme des champignons en Ontario. Pourquoi? Parce que le gouvernement est disposé à payer 80 cents du kilowattheure. L'énergie nucléaire n'a jamais été aussi rentable. Avec un contrat de 25 ans, c'est impossible de perdre de l'argent; c'est pour ça que tout le monde qui a un peu d'argent à investir veut avoir sa centrale.

M. Acchione : En passant, les ingénieurs apprécient leur travail, subventions ou pas.

M. Cadham : J'aimerais revenir sur quelques points dont vous avez parlé au début, car je crois qu'on touche au cœur même de la discussion, le premier étant la critique souvent entendue selon laquelle Énergie atomique du Canada limitée serait incapable d'exécuter un projet à l'intérieur des délais prévus et du budget imparti. Je crois que c'est aussi inexact qu'injuste.

Oui, bon nombre de contrats ont été mal gérés, mais les cinq derniers réacteurs CANDU 6 construits par EACL ont soit coûté moins cher que prévu et ont été bâtis avant terme, soit ils ont été construits à temps et en respectant le budget établi. On parle de 5 réacteurs sur 11. C'est précisément la masse critique qu'il faut pour assurer la production d'énergie nucléaire. Je crois que ça démontre également que l'organisation est capable de respecter les échéanciers et les budgets. Évidemment, si elle ou n'importe quelle autre entreprise nucléaire se faisait offrir 80 centts du kilowattheure, on la verrait partout.

En ce qui concerne les investissements que le gouvernement a pu faire dans EACL, je crois que, là aussi, vous devriez y penser à deux fois avant de vous montrer trop critiques. J'ai entendu plusieurs chiffres, mais je crois que celui qui est le plus proche est 8 milliards sur les 60 dernières années.

À l'heure actuelle, le secteur nucléaire canadien compte 70 000 emplois. Nous dépensons 133 millions de dollars par année pour que 70 000 personnes occupent un emploi bien rémunéré, ce qui est loin d'être inintéressant quand on regarde la valeur des subventions que le gouvernement verse chaque année à d'autres secteurs comparables.

Vous m'avez demandé ce que je pensais exactement de la privatisation d'Énergie atomique du Canada limitée et du rôle qu'un éventuel partenaire privé serait appelé à jouer. Je vous répondrai essentiellement la même chose que tout à l'heure et vous dirai que c'est certainement quelque chose à envisager, même si je pense qu'on ne fait pas les choses dans le bon ordre. Et si on ne fait pas les choses dans le bon ordre, nous allons nous retrouver à carrément tuer l'organisation qu'est EACL. Que la privatisation ait lieu ou non, nous nous retrouverons à ne liquider rien d'autre que des résidus, et surtout, à liquider l'expertise que nous avons réussi à accumuler.

Si, au contraire, nous réussissions à revigorer le marché intérieur et la demande sur ce marché, ou si nous pouvions à tous le moins nous entendre sur la place que le nucléaire doit occuper au Canada, nous pourrions alors nous tourner vers le privé et déterminer le rôle que nous voulons qu'il joue. C'est pour ça que j'estime que l'ordre est aussi important.

Le sénateur Ringuette : Je vous remercie de vos présentations. Monsieur Cadham, vous dites dans votre exposé que le Canada n'a malheureusement pas de stratégie nationale en matière d'énergie, alors que c'est quasiment un minimum vital dans la société d'aujourd'hui.

Je ne me rappelle pas qui a dit que 130 000 emplois avaient été créés grâce aux spécialistes qui œuvraient dans le domaine. Quand on tient compte de l'ensemble de la chaîne de valeur, c'est-à-dire pas seulement des ingénieurs, mais aussi des chercheurs, du personnel d'entretien et des entreprises canadiennes qui produisent l'équipement dont le secteur nucléaire a besoin, on s'aperçoit vite qu'on parle d'un très grand nombre d'emplois.

Si je reviens à la première question que je vous ai posée, monsieur Acchione, vous avez dit qu'il faut quatre ingrédients pour faire un bon programme. Le premier dont vous avez parlé est le soutien politique. D'après vous, le secteur nucléaire a-t-il l'appui de la classe politique, qu'elle soit fédérale ou provinciale?

M. Acchione : Nous l'espérons bien, mais l'impasse entourant le projet de Darlington nous a rendus un peu nerveux. Nous pensions qu'une fois l'appel d'offres terminé, si EACL était retenue, les deux gouvernements concluraient une forme d'entente raisonnable sur le partage des risques. Nous espérions qu'une telle entente soit conclue, car l'Ontario en retirerait certains avantages, tout comme l'ensemble du Canada d'ailleurs. Cependant, ce dialogue n'a pas eu lieu, et cela nous rend nerveux. Quand une industrie connaît des ratés, ceux qui ne voient pas d'avenir peuvent prendre une retraite anticipée et les bons éléments peuvent déménager ailleurs pour décrocher un emploi qu'ils aiment. Après un certain temps, on n'a plus la capacité technique de lancer un programme nucléaire sans passer par une reconstruction majeure. Il faut alors, comme dans le passé, procéder par essais et erreurs, faute de connaissances.

Le sénateur Ringuette : En politique, il y a des signaux et des messages. Je vous ferai part de deux messages. L'an dernier, le directeur des communications du cabinet du premier ministre, Kory Teneycke, a déclaré qu'EACL était un « endroit plutôt dysfonctionnel » qu'il a qualifié de « trou noir » de 30 milliards de dollars. Il a dû se rétracter par la suite évidemment. On invoque souvent le fait que les Canadiens ont investi 1 milliard de dollars dans EACL sur une période de plus de 60 ans, mais personne ne parle des recettes que la vente et la commercialisation des technologies d'EACL ont rapportées au gouvernement du Canada.

Le deuxième message a été livré il y a quelques semaines par le ministre des Finances. Il a dit :

EACL est un fardeau majeur pour le Trésor, et pas seulement une fois par année. Chaque année, ils viennent nous raconter leurs difficultés et demandent des centaines de millions de dollars.

En quoi cela aidera l'Ontario à prendre une décision aussi importante en ce qui concerne la production d'électricité dans la province? En quoi cela aidera les Canadiens, les actionnaires d'EACL, à obtenir un prix décent si cette société est vendue en partie ou en entier?

L'appui politique est le premier élément qui a été mentionné pour assurer la réussite de l'industrie nucléaire canadienne, pourtant, il y a une semaine, le premier ministre du Canada a rencontré le premier ministre de l'Inde pour vendre du combustible nucléaire et il n'a jamais parlé de la technologie nucléaire du Canada.

Ce sont là les messages politiques, et ce sont les premiers éléments qui feront en sorte qu'EACL perdra toute sa valeur, comme ils le souhaitent.

M. Acchione : Voilà pourquoi nous sommes un peu nerveux.

Le sénateur Ringuette : Vous avez raison d'être nerveux.

M. Acchione : Vous savez, il importe de comprendre ce qu'on entend par « appui politique ». Par exemple, si je peins une pièce de la mauvaise couleur — c'est d'ailleurs ce que j'ai fait l'an passé et mon épouse m'a fait recommencer — il m'en coûtera seulement 200 $ pour la repeindre. Cependant, dans le secteur de l'énergie nucléaire, une erreur coûte des centaines de millions de dollars. Il faut un propriétaire et une banque qui sont prêts à demander si les leçons nécessaires ont été tirées et ce qu'il en est des chances de réussite à l'avenir, car ils ont déjà beaucoup investi dans la technologie et ils ne veulent pas tout abandonner à cause d'une erreur ou deux. Il faut être patient en ce qui concerne la recherche et le développement, car il peut y avoir des erreurs qui vous feront regretter votre investissement, mais vous devez surmonter tout cela.

C'est ce genre d'appui dont il faudra faire preuve à l'égard de la nouvelle entité, sans quoi elle ne connaîtra pas de succès. Il y aura des erreurs et il faudra les corriger. Aucun organisme de réglementation ne permettra d'exploiter une centrale s'il existe un problème technique. L'exploitation de la centrale de Darlington a été retardée de plusieurs années à cause d'un problème d'acoustique au niveau du circuit caloporteur. L'organisme de réglementation refusait qu'on exploite la centrale après s'être rendu compte du problème. La centrale a été fermée tout au long des réparations. Nous avions investi des milliards de dollars à 12 ou 13 p. 100 à l'époque, et nous avons dû continuer de verser des intérêts aux banques même si nous n'avions pas de recettes, mais c'est ce qu'il faut faire dans le secteur nucléaire.

Tout va maintenant très bien à la centrale de Darlington, et on pourrait utiliser les mêmes technologies ailleurs sans courir grand risque, si la Commission canadienne de sûreté nucléaire l'autorisait. Quand on reproduit ce qu'on a déjà fait, les risques sont beaucoup moins élevés.

Il y a aussi la question de la gestion du risque. Certaines technologies ont des conséquences terribles. Il faut une stratégie de gestion du risque, notamment pour le forage de puits de pétrole dans le golfe du Mexique ou la construction de centrales nucléaires dans les environs de Toronto, afin de s'assurer que les intervenants ne font pas d'erreurs graves qui pourraient mettre le gouvernement dans l'embarras. Si le gouvernement est disposé à aller de l'avant avec le nucléaire, il doit mettre en place un processus pour l'entité qu'il créera, car, pour être bien honnête, si un problème survient et qu'on se retrouve avec un désastre, qui devra payer les pots cassés de toute façon?

Les Américains vont-ils acculer British Petroleum à la faillite, se retrouver devant rien et être contraints de tout nettoyer eux-mêmes? Ils doivent soutenir BP dans les travaux de nettoyage, car ils ne veulent pas défrayer les coûts. Ils veulent que BP paie, et c'est la même chose dans le secteur nucléaire. Voilà pourquoi il serait bon de tenir un débat public; la population doit comprendre. Nous devons trouver de vastes quantités d'énergie pour rendre le niveau de vie du Tiers Monde et des pays en développement conforme aux normes mondiales, et, actuellement, mis à part la combustion du carbone, nous ne disposons que du nucléaire. Nous ne contrôlons pas encore la fusion.

Le sénateur Ringuette : Le problème, et vous avez vu juste pour ce qui est du deuxième point, c'est le débat public. On a justement abordé la vente totale ou partielle d'EACL dans un projet de loi budgétaire pour éviter un débat public.

Le sénateur Neufeld : Merci, messieurs, d'être ici présents. Je conviens avec vous qu'il existe dans le monde de bonnes perspectives pour le nucléaire, pour l'énergie propre. Cela ne fait aucun doute.

Je suis originaire de la Colombie-Britannique et ma province produit beaucoup d'hydroélectricité. De fait, 75 p. 100 de l'énergie consommée au Canada est maintenant propre, cela comprend l'énergie nucléaire. Notre réseau est propre. Cela ne signifie pas pour autant que nous ne devons pas chercher à aider certaines provinces et je crois que ces provinces envisagent le nucléaire pour augmenter leur capacité actuelle.

Nous venons d'entendre que les gouvernements n'ont pas appuyé l'expansion du nucléaire. J'ai ici des chiffres approximatifs, car je n'ai pas de calculatrice avec moi. De 1994 à 2005 — je n'ai pas à préciser qui était au pouvoir, je crois que nous le savons tous — environ 2 milliards de dollars ont été investis dans EACL. De 2006 à 2009, 2 milliards de dollars ont été investis. Je dirais que le gouvernement du Canada et les Canadiens ont abondamment investi dans le nucléaire.

M. Acchione : Tout à fait. Je n'ai pas dit qu'ils n'avaient pas investi. Je parlais de l'avenir.

Le président : Veuillez poser votre question. Il vous reste trois minutes sénateur Neufeld.

Le sénateur Angus : Il y a une horloge spéciale pour le sénateur Neufeld.

Le président : Cette remarque est injuste. Nous surveillons le temps. D'ailleurs, sénateur Angus, vous avez parlé plus longtemps que tout le monde et je suis surpris de vous entendre dire une telle chose.

Le sénateur Neufeld : Je crois qu'il faut inviter le secteur privé. Vous dites essentiellement ce que nous ont dit la plupart des gens. Il faut prendre une décision et aller de l'avant, et il faut procéder plus rapidement qu'on le ferait en retirant cette mesure d'un projet de loi et en débattant de la question pour les deux prochaines années. Débattons des vraies choses et profitons des investissements privés s'il y en a.

Nous n'avons pas vendu de réacteur CANDU ces 13 dernières années. Le gouvernement de l'époque avait fourni une aide de 1,6 milliard de dollars pour finaliser ces ventes. Je crois qu'il nous faut effectivement des investissements du secteur privé.

Je veux que vous me parliez de la responsabilité. Je crois comme M. Cadham que les échéanciers et les budgets des projets ont été respectés. Cependant, dans le cas des remises en état, il faut des garanties pour que nous sachions à quoi servent au juste les fonds supplémentaires. Il n'y a pas de problème quand les travaux se déroulent au Canada, de mon point de vue de britanno-colombien, mais je suis plutôt mal à l'aise en ce qui concerne les pays Tiers Monde et les travaux à venir.

Je veux savoir ce qu'il en est, selon vous, de la responsabilité des contribuables canadiens et de la possibilité qu'on leur soutire des centaines de millions de dollars pour remettre des centrales en état dans 20 ans.

J'aimerais entendre ce que vous pensez en ce qui concerne la responsabilité. Je ne parle pas du gaspillage, mais de la responsabilité à l'égard de ces centrales, parce qu'elles n'échappent pas à l'usure. Peu importe sous quel angle on envisage la question, les centrales se détériorent.

M. Cadham : Pour ce qui est des dépassements de coûts associés aux remises en état, je dirai que nous parlons de projets d'ingénierie incroyablement complexes. Il y aura toujours des dépassements de coûts. Il faudra se reporter au contrat pour établir qui bénéficie des travaux et qui paie la note. Au pays, il s'agira essentiellement de déterminer, aux termes de l'entente actuelle, quel ordre de gouvernement essuiera les coûts et qui seront les contribuables touchés.

Je suis sensible à vos observations concernant notre responsabilité à l'étranger. EACL n'est aucunement tenue d'entreprendre des remises en état à l'étranger. Elle peut s'en laver les mains et dire tout simplement aux exploitants de réacteurs CANDU à l'étranger qu'elle ne s'occupe pas des remises en état. Je ne crois pas que les choses se passeront ainsi, mais cela pourrait bien arriver si jamais la compagnie éprouve de sérieuses difficultés.

Le réacteur CANDU 6 de la centrale de Point Lepreau est le premier qui fait l'objet d'une remise en état. Le réacteur de Gentilly sera le deuxième, je crois, et celui de Wolsong, le troisième. Au fil des projets, tant de construction que de remise en état, on développe la technologie, la compétence et l'expertise qui permettent de prévoir les problèmes, et de réaliser des économies. Y a-t-il des risques? Il y a toujours des risques. Est-ce que je pense qu'EACL deviendra un fardeau pour les contribuables canadiens? Non, je ne crois pas.

Il est bien ressorti du rapport Rothschild que la division d'EACL qui s'occupe des ventes commerciales, de même que de l'entretien et de la remise en état des réacteurs, a été, d'après ce que les auteurs ont pu déterminer, plus ou moins rentable et que les excédents ont servi à contrebalancer les coûts d'exploitation de la centrale de Chalk River.

Or, voilà que des coûts imprévus surgissent dans le cadre du projet de remise en état. Je ne veux pas dire que ces coûts sont entièrement excusables, mais ce sont des coûts de fonctionnement normaux dans ce secteur. Si EACL reporte ces coûts et tente de se tailler une place dans le marché intéressant des remises en état à l'étranger, c'est qu'il s'agit là d'une réalité dans ce secteur d'activité.

Le sénateur Murray : Il importe de signaler une chose et c'est que, peu importe ce qu'il adviendra du projet de loi, il n'y a pas lieu de s'inquiéter en matière de réglementation. Le gouvernement a été très clair, tout comme la Commission canadienne de sûreté nucléaire. La CCSN est autonome et ses représentants nous ont clairement indiqué que, quoi qu'il arrive, ce sont eux les responsables. C'est très important et je ne voudrais pas que nos audiences donnent à penser autrement.

Les choses pourraient bien tourner, mais elles pourraient aussi mal tourner, car les possibilités évoquées sont nombreuses. EACL pourrait appartenir à l'État et les Laboratoires de Chalk River pourraient être gérés par le secteur privé; il pourrait y avoir des fusions et une restructuration des activités liées au réacteur CANDU; on pourrait aussi fermer et abandonner EACL. Toutes ces possibilités existent, et c'est pourquoi je suis contre ce projet de loi. Si ce dernier reçoit la sanction royale, il est clair que les parlementaires n'auront plus à se prononcer au sujet d'EACL. Ce sera terminé. Le Cabinet prendra sa décision, et le Sénat et la Chambre des communes pourraient en avoir long à dire, mais ils n'auront plus de rôle à jouer dans les décisions concernant EACL.

Je ne vois pas quelles conditions nous pourrions rattacher à ce projet de loi, comme nous l'avions fait dans le cas d'Air Canada, du CN, d'Eldorado et de Petro-Canada. Je m'oppose donc tout simplement à ce qu'on fait.

Je sais que vous êtes réticent à vous montrer trop optimiste, mais ne pourriez-vous pas nous dire ce que nous pouvons espérer de mieux compte tenu des possibilités évoquées? Comment envisagez-vous l'avenir d'EACL en tant que société publique, privée ou mixte, comme le propose le gouvernement?

M. Acchione : Plutôt que de vous brosser un tableau idéalisé, pourquoi n'examinons-nous pas plutôt ce qui fonctionnerait? Il faudrait que le gouvernement établisse le pourcentage de propriété que pourrait détenir un partenaire du secteur privé. Si l'industrie bénéficie d'un appui politique solide et si l'entité a de bonnes pratiques de gestion du risque et n'a pas les problèmes de dépassements des coûts que nous avons eus ces dernières années, l'entité pourrait connaître du succès et créer des emplois au Canada. Le gouvernement devrait être prêt à fournir les incitatifs financiers nécessaires pour rendre les ventes possibles entre les gouvernements.

Si on créait une telle entité dans la restructuration, quels que soient les pourcentages de propriété, cela devrait bien fonctionner. Cependant, le gouvernement doit formuler l'entente de manière à conserver suffisamment de contrôle pour s'assurer que cette entité n'en fasse pas qu'à sa tête.

Le président a parlé d'une proportion de 51 p. 100 je crois. C'est la façon la plus simple de garantir le contrôle aux termes de la Loi sur les corporations canadiennes. Si j'ai 51 p. 100 des droits de vote, peu importe ce que vous pensez, je peux l'emporter sur vous. D'autres mécanismes ont donné de bons résultats dans d'autres cas.

Il est possible à mon avis d'en arriver à une solution pleinement acceptable qui garantit la prospérité du Canada. J'aime à croire qu'il y a ici et de l'autre côté de la rue des gens honorables qui, quelle que soit leur allégeance politique, voudront bien examiner la situation dans son ensemble.

Au Canada, un scientifique chevronné paie environ 50 000 $ par année en impôt sur le revenu, ce qui permet de financer l'éducation et les soins de santé d'un grand nombre de gens qui travaillent dans des comptoirs de restauration rapide. Ces derniers n'ont pas les moyens de payer les études postsecondaires de leurs enfants sans l'aide des ingénieurs en sciences nucléaires ou d'autres types d'ingénieurs qui travaillent dans les firmes de haute technologie de Waterloo et d'ailleurs.

Si nous ne faisons pas attention, nous pourrions payer les frais d'un nivellement vers le bas à l'échelle mondiale. Je ne veux pas gagner les salaires pratiqués en Chine. Je m'excuse, mais ce scénario ne m'intéresse aucunement. Si c'est ce vers quoi nous nous dirigeons dans les 50 prochaines années, j'encouragerai probablement mes enfants à aller dans d'autres pays. Je ne crois pas que c'est ce que nous souhaitons pour nos enfants et nos petits-enfants. Nous voulons, à mon avis, les meilleurs emplois possibles au Canada, et nous voulons participer au développement de la meilleure technologie dans le monde.

Il faut de la part des représentants du peuple, je parle de vous et des gens de l'autre côté de la rue, une volonté collective d'examiner la situation dans son ensemble et de se demander si nous ne sommes pas en train de jeter le bébé avec l'eau du bain. Peut-on trouver une façon qui permettrait au secteur privé de faire de l'argent tout en s'assurant que la population a quelque chose en retour? Je dois dire que je viens de faire un discours qui n'est peut-être pas une réponse.

M. Cadham : Je tenterai d'être bref. Il est très difficile d'afficher un optimisme béat, comme vous le savez. Je répéterai ce que je dis depuis le début. Il faut avant tout déterminer si nous sommes en mesure, à court terme, d'en arriver à un consensus au pays sur la construction de nouvelles centrales nucléaires. Si oui, il y a des perspectives d'avenir après la restructuration d'EACL sous une forme ou une autre. Si non, aussi bien mettre la clé dans la porte et vendre le tout, conserver le marché des isotopes et faire ce qui semble opportun. Nous pouvons exploiter les installations ou non, garder les capacités de recherche et développement, et nous préparer à gérer les déchets nucléaires, assumer les coûts de déclassement et le reste pendant très très longtemps. Cela ne disparaîtra pas. Ce sera toujours un fardeau pour le gouvernement.

Le sénateur Murray : Il s'agit d'un fardeau d'EACL en ce moment même.

M. Cadham : Ce problème nous appartient et il ne disparaîtra pas. Personne ne prendra ce problème en charge.

Le président : Merci. Nous sommes vraiment à court de temps sénateur Murray. Je vous serais reconnaissant de répondre le plus succinctement possible aux questions.

Honorables sénateurs, nous avons un problème. Il nous reste peu de temps et plusieurs souhaitent intervenir. Je veux que tous les sénateurs aient la chance de présenter leurs points de vue à nos invités. Je demanderai aux sénateurs de poser trois questions et il serait très apprécié si les réponses pouvaient être combinées.

Le sénateur Hervieux-Payette : Ma question découle du sommaire de votre rapport, monsieur Cadham. Vous affirmez que privatiser EACL n'améliorera guère les perspectives de la société et que cela sonnera le glas des réacteurs CANDU. Durant votre témoignage, vous avez dit qu'il y avait un rôle pour le secteur privé.

Comment le secteur privé assumerait-il une part des risques associés à l'entreposage, à l'exploitation, à la construction et au financement? Comment d'un point de vue pratique partagerions-nous ces risques?

Ma deuxième question s'adresse à M. Acchione. Vous avez parlé des coûts initiaux. Les unités durent longtemps, nous récupérons donc ces coûts. Comment voyez-vous le financement, proviendrait-t-il de l'Ontario ou du gouvernement fédéral? Comment devrait-on financer les coûts de recherche et développement?

Je me permettrai de signaler que je n'ai pas apprécié votre allusion aux erreurs. Il faut nécessairement apporter des ajustements aux plans lorsque vient le temps de les appliquer concrètement. Il ne s'agit pas d'erreurs. Il faut adapter les dessins avec les techniciens et les employés hautement spécialisé pour obtenir les résultats souhaités. Ceux qui s'y connaissent un peu en ingénierie savent qu'il faut faire des ajustements. Je tiens à rendre hommage aux ingénieurs qui ont effectué ce travail. À mon avis, nous n'avons pas fait plus d'erreur qu'AREVA qui affiche des dépassements de coûts de 300 millions de dollars en Finlande.

Le sénateur Stewart Olsen : Je vous remercie d'être venus messieurs. Je vous signale que le projet de loi C-9 est un projet de loi budgétaire. Les gouvernements prennent des décisions difficiles quand ils élaborent des budgets. Ces décisions ne sont pas prises à la légère. Nous ne cherchons pas aujourd'hui à élaborer des politiques pour le pays. Nous nous penchons sur les finances du pays, et nous nous préoccupons des deniers publics.

Investiriez-vous votre argent ou l'argent de votre entreprise dans une organisation qui année après année ne donne pas le rendement désiré? Pensez-vous qu'il s'agit là de la meilleure utilisation possible des fonds publics?

Vous avez soulevé de très bons arguments quant à la tenue d'un débat sur la politique gouvernementale et je suis d'accord avec vous. Je crois qu'il devrait y avoir un tel débat. Toutefois, dans le contexte du budget et de la gestion des deniers publics, je crois qu'il faut s'intéresser avant tout à la gestion proprement dite des fonds publics et non aux questions de politique gouvernementale.

Le sénateur Runciman : Je viens de l'Ontario, je m'inquiète donc, comme le sénateur Stewart Olsen, de l'épuisement des contribuables. Je crois que le gouvernement partage votre optimisme en ce qui concerne l'avenir du secteur nucléaire et souhaite adopter un plan d'action qui pourrait nous permettre de profiter de ces occasions.

D'autres témoins ayant une vaste expérience dans le secteur de l'énergie ont exposé un point de vue différent. Un ancien sous-ministre et Jan Carr, l'ancien chef exécutif d'Ontario Power Authority, nous ont affirmé que des investissements privés judicieux seraient avantageux pour tous, car les contribuables n'auraient plus à assumer les risques commerciaux d'EACL et la société pourrait chercher des débouchés internationaux.

Quand on regarde ce qui s'est passé, on se rend compte que l'Ontario, en particulier, paie encore la note pour la centrale de Darlington, entre autres. Votre collègue parle d'énergie solaire à 50 cents ou 80 cents. Il faudra finir par en assumer les conséquences. Nous savons maintenant que l'Ontario ne veut pas alourdir son fardeau. Ce matin, les journaux font état de son infrastructure inadéquate de transport de l'énergie et des conséquences pour l'avenir de la province.

Je crois que nous allons dans la bonne direction. Vous pouvez parler de l'expérience de Point Lepreau, mais vous étiez plus optimiste que vous l'êtes dans cet article où vous avez parlé des perspectives d'avenir. Vous disiez qu'il s'agissait là d'un optimisme douteux. Je pense que cela s'applique à Énergie atomique du Canada, compte tenu de l'expérience des derniers 30 à 40 ans.

Je veux vous demander ce que vous pensez tous les deux de la situation en Ontario et de la décision concernant la construction d'une nouvelle centrale. Nous parlons d'un horizon de 10 ou 11 ans. Il y a très certainement un risque associé au réacteur ACR-1000. Comment liez-vous cela à la promesse de fermer les centrales au charbon? Le gouvernement McGuinty a déjà changé la date trois fois. Pourra-t-il tenir sa promesse tout en satisfaisant aux besoins énergétiques de la province?

Le président : Pouvez-vous messieurs donner une réponse succincte à ces trois questions?

M. Acchione : Qui paie pour le risque? Si l'avenir est prometteur, il devrait être possible de payer le risque, et la gestion du risque devrait aider à le contenir dans des limites acceptables.

Pour ce qui est de la régularité des investissements après les mauvaises expériences, il ne faut pas oublier qu'au cours des 30 dernières années, pas un seul réacteur n'a été construit aux États-Unis en raison du tollé de protestation après l'accident de Three Mile Island. EACL a, en fait, connu beaucoup de succès avec la vente de ses réacteurs sur la scène internationale, compte tenu que les États-Unis n'ont pas construit un seul réacteur en 30 ans.

Le sénateur Runciman : EACL n'en a pas vendu un seul en 13 ans.

M. Acchione : Je sais que cela fait 13 ans, mais les Américains ont même stoppé les projets en cours en 1979. Ils ont mis un terme à ces projets alors qu'ils étaient presque terminés.

Tout dépend de votre point de vue. Quand EACL a enfin terminé la mise au point de son nouveau réacteur, ce dernier a connu beaucoup de succès.

Il faudrait peut-être déterminer, en ce qui concerne cette nouvelle entité, quel segment de marché EACL ciblera sur la scène mondiale. Voudra-t-elle vendre des réacteurs à tout le monde, des petits, des moyens, des gros, des enrichis et des naturels? Voudra-t-elle plutôt se concentrer sur un créneau dans lequel elle pourra jouer un rôle dominant, faire de l'argent et assurer sa survie? Il suffit de vendre un réacteur par année pour assurer la rentabilité.

Il n'est pas nécessaire de décrocher toutes les ventes de réacteurs dans le monde. La nouvelle entité devra déterminer le marché qu'EACL servira. Voilà ce qu'il en est pour les pertes financières. Il faut empêcher l'organisation d'avoir trop d'idées loufoques et faire en sorte qu'elle se concentre sur ses points forts, qu'elle fasse les mises au point nécessaires et qu'elle commence la production.

Le sénateur Runciman : On n'a pas vu cette capacité jusqu'ici.

M. Acchione : Qu'arrivera-t-il en Ontario? Il ne sera pas possible de fermer les centrales au charbon si les nouvelles sources d'énergie ne sont pas au rendez-vous. Toutefois, l'Ontario produit plus qu'il ne consomme actuellement et pourra procéder plus rapidement à la fermeture de ces centrales, s'il maintient cette capacité excédentaire.

M. Cadham : J'aborderai la question du risque et des coûts qui s'additionnent, le fameux gouffre financier.

La question du risque occupe une place de premier plan dans le secteur nucléaire. Le capital de risque coûte en effet très cher dans ce secteur. Si les gouvernements prennent toujours part aux projets nucléaires et qu'ils jouent un rôle important dans tous les projets dans le monde sans exception, c'est pour compenser le coût du risque. Le risque coûte très cher. Cela ne changera pas. Pour vendre ses réacteurs à l'étranger, EACL, même une fois privatisée d'une façon ou d'une autre, devra pouvoir compter sur le gouvernement canadien pour compenser le coût du risque. Je peux vous le garantir.

Pour ce qui est des investissements, depuis le gel nucléaire, EACL a des difficultés. Elle a obtenu des fonds du gouvernement à tous les ans. Si vous regardez de plus près le rapport Rothschild, cela ne signifie aucunement que le secteur qu'on propose de vendre perd de l'argent. Ce sont essentiellement les activités de la centrale de Chalk River et les problèmes entourant le réacteur MAPLE qui produit les isotopes qui responsables des pertes. Oui, il y a eu des problèmes avec les remises en état. Cependant, il est difficile de différencier les deux.

Je crois que nous avons une fois de plus éludé la question qui consiste à déterminer si l'énergie nucléaire est assez importante pour le Canada et l'éventail des sources d'énergie du pays pour justifier un investissement continu de la part du gouvernement fédéral.

Le sénateur Moore : M. Cadham, dans votre document de novembre 2009, intitulé The Canadian Nuclear Industry : Status and Prospects, que nous avons reçu ce matin, vous indiquez que l'annonce de l'intention du gouvernement de privatiser EACL « laisse planer une certaine incertitude sur les perspectives de l'industrie de l'énergie nucléaire canadienne au pays. »

Puis, à la page 16, vous déclarez :

Le retrait de l'appui du gouvernement fédéral au secteur des réacteurs d'EACL fera en sorte que les coûts seront beaucoup plus élevés pour les provinces qui envisagent l'énergie nucléaire.

Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet? Pourquoi les choses se passeraient-elles ainsi et de quel ordre seraient ces coûts plus élevés?

Le sénateur Dickson : Monsieur Cadham, vous avez fait référence au rapport Rothschild à plusieurs reprises. Avez- vous lu ce rapport au complet, ou seulement le résumé?

M. Cadham : Seulement le résumé.

Le sénateur Dickson : Je ne vais pas m'éterniser sur l'ensemble du résumé. J'aimerais toutefois discuter des objectifs énumérés à la page 4, et plus particulièrement du troisième point, où il est question de positionner l'industrie nucléaire canadienne de façon à ce qu'elle puisse tirer parti des possibilités au pays et à l'étranger. Selon le rapport, le résultat escompté d'une vente réussie d'un réacteur CANDU est l'élargissement de l'accès aux marchés clés en croissance pour l'industrie et la technologie nucléaires canadiennes. Un autre résultat escompté est le maintien et la croissance des emplois en conception et en génie au Canada.

Tout comme M. Acchione, je suis d'avis que des gens honorables prendront cette décision. Cela ne me pose pas de problème. Je crois que ce sera dans l'intérêt supérieur des Canadiens.

On peut lire ceci à la page 18 du résumé :

Le gouvernement du Canada continuera de participer activement aux activités intergouvernementales qui sous- tendent la commercialisation des réacteurs nucléaires dans de nombreux pays.

Le sénateur Mahovlich : Vous avez parlé de la fusion. Où se situe le Canada dans ce domaine? Quel pays est chef de file? Combien de temps faudra-t-il avant l'entrée en production?

La situation est-elle semblable à celle du Arrow d'Avro que nous avons perdu? L'avons-nous vraiment perdu? On a dit qu'une grande partie de nos cerveaux ont migré vers le sud, à la NASA, et que bon nombre de nos chercheurs et ingénieurs étaient là lorsque l'homme a posé le pied sur la Lune. Est-ce exact?

M. Acchione : Nous sommes encore loin de la fusion. Il faut de 20 à 40 ans pour développer tout nouveau cycle énergétique. Il a fallu environ 40 ans dans le cas du nucléaire. Même dans le cas du charbon et du gaz naturel, il a fallu du temps pour développer la technologie jusqu'à l'étape de l'entrée en production. Dans le cas de la fusion, il faudra attendre encore de 40 à 50 ans avant de pouvoir considérer une utilisation à grande échelle. Il serait possible de construire un seul réacteur, mais pas une cinquantaine en même temps car il faut respecter la courbe d'apprentissage. On commence par construire un réacteur, on vérifie s'il fonctionne bien, puis on laisse s'écouler de cinq à dix ans avant d'en construire un deuxième. Ces réacteurs produisent environ 2 000 mégawatts chacun, ce qui est peu d'énergie. La fusion est encore loin.

Le sénateur Mahovlich : La fusion ne nécessite pas beaucoup d'énergie.

M. Accione : Cela n'a pas d'importance. Le type de réacteur à fusion envisagé en ce moment ne produit que 2 000 mégawatts. Il faut beaucoup de réacteurs de cette puissance pour alimenter l'Amérique du Nord. Il faudra 40 ou 50 ans avant que cela n'ait une incidence sur le pourcentage total d'énergie. L'uranium et le thorium sont les combustibles de transition pour notre génération. Ils nous permettent d'obtenir un rendement énergétique élevé jusqu'à ce que la fusion soit prête.

Je ne pense pas qu'on puisse comparer le nucléaire au Arrow d'Avro. Dans le cas du Arrow, le gouvernement tentait de développer un avion à partir de rien. Il n'avait pas de débouché pour cet avion, il n'avait aucune expérience dans la vente à l'étranger d'un appareil aussi perfectionné, et tout semblait indiquer que les Américains n'achèteraient pas un avion canadien. Le gouvernement s'est dit que s'il ne pouvait pas convaincre les Américains, à quoi bon continuer?

En ce qui concerne le réacteur CANDU, les Américains ne l'achètent pas à cause de leurs exigences réglementaires. Nous ne vendrons jamais un seul réacteur à uranium naturel CANDU aux États-Unis à moins d'en modifier les spécifications techniques. L'ACR a été mis au point afin de tenter de percer ce marché. C'est une stratégie de marketing. Je ne peux dire si c'est une bonne ou une mauvaise idée.

La situation n'est pas la même dans le cas du nucléaire, et on fait ressurgir les mauvaises émotions lorsqu'on établit un lien entre Avro et le nucléaire. L'industrie nucléaire est une industrie bien établie qui compte 70 000 emplois directs et de 60 à 70 emplois indirects partout au pays. Elle procure de bonnes recettes fiscales, que les autorités locales ainsi que les gouvernements provinciaux et fédéral utilisent pour payer d'autres choses.

M. Cadham : En ce qui concerne la hausse marquée des coûts, les coûts augmentent simplement parce qu'on traite avec l'inconnu. Si on se lance tête baissée dans la privatisation d'EACL sans tenir compte des conséquences à l'intérieur du pays, je crois qu'EACL va être dépouillée de ses talents et qu'il ne restera pas grand-chose pour répondre aux besoins du marché canadien. Par conséquent, si l'Ontario décide d'aller de l'avant, les coûts seront bien plus élevés. Nous en avons eu un exemple dans le cas de l'appel d'offres de l'Ontario où EACL était, selon le gouvernement de cette province, le fournisseur privilégié, et ce, pour diverses raisons. Il s'agissait d'une évaluation fondée en partie sur les coûts.

Vous avez entièrement raison. Il y aura toujours une importante participation intergouvernementale dans toute soumission à l'étranger. Je l'ai dit plus tôt. Cela ne changera pas. Mon point est qu'EACL ne vendra rien à l'étranger si elle ne vend rien au Canada et sa privatisation, prévue dans ce budget, va empêcher cela.

Le président : Le temps alloué est écoulé. Nous ne pouvons entamer de dialogue privé. Il y aura une courte période après la séance pendant laquelle vous pourrez rester et discuter de façon informelle avec les sénateurs, mais il faut tenir compte de l'heure et des nombreux sénateurs qui souhaitent parler.

Je déteste devoir interrompre des sénateurs, car j'avais indiqué au début de cette étude que nous aurions des discussions franches et ouvertes. Je crois que le fait que tant de sénateurs souhaitent participer témoigne de la qualité des témoins présents ici aujourd'hui.

Au nom du Comité sénatorial permanent des finances nationales, j'aimerais vous remercier, messieurs Acchione et Cadham, d'être venus ici aujourd'hui.

L'une de nos deux séances de 30 minutes n'aura pas lieu. Il s'agit de celle avec M. Ifran Syed, un avocat de Toronto, qui avait demandé à venir témoigner. C'est pour cette raison que nous avons pu prolonger la dernière séance concernant EACL. Je vais accorder la parole au sénateur Baker dans un moment, mais on m'a indiqué que M. Syed nous enverrait son rapport écrit, qui pourra être consigné et transmis à tous les sénateurs.

Le sénateur Baker : Monsieur le président, je suis déçu d'apprendre que nous n'entendrons pas M. Syed, l'avocat de Toronto. Il devait parler de la partie visant la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, qui prévoit l'ajout de l'expression « cabinet juridique » à la loi. Cette définition avait été retirée de la réglementation en 2003 à la suite de multiples décisions de cours supérieures du pays, au Nouveau-Brunswick, en Nouvelle-Écosse et en Ontario notamment, selon lesquelles elle était inconstitutionnelle. Je suis très surpris de constater l'ajout d'un article à la loi, et non à la réglementation, ce qui revient à passer par la porte principale alors qu'il est impossible d'utiliser la porte arrière. Cela me consterne, et je suis déçu que cette séance n'ait pas lieu. Si personne ne vient témoigner à ce sujet, je proposerai à l'étape de la troisième lecture un amendement visant la suppression de cette modification. Il est scandaleux que nous ne puissions pas étudier ce point plus en détail. Je suis persuadé que cet ajout contrariera tous les barreaux du pays.

Le président : Merci, sénateur Baker. Comme je l'ai indiqué, le rapport écrit sera consigné. Il vise la partie 14, Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, du projet de loi C-9.

Honorables sénateurs, nous allons maintenant passer à nos prochains témoins. Nous avons invité la Société d'assurance-dépôts du Canada afin d'être certains de bien comprendre les modifications proposées à sa loi habilitante, à la partie 16.

De la Société d'assurance-dépôts du Canada, nous avons le plaisir d'accueillir Mme Claudia Morrow, vice- présidente, Affaires générales, conseillère générale et secrétaire de la Société, ainsi que monsieur David Walker, directeur général, Politiques, Assurance et Affaires internationales.

Nous vous avons convoqués pour que vous nous aidiez à bien comprendre la partie 16. Pourriez-vous nous expliquer l'objectif que vous visez et en quoi cela va changer les activités de la Société d'assurance-dépôts du Canada?

Claudia Morrow, vice-présidente, Affaires générales, conseillère générale et secrétaire, Société d'assurance-dépôts du Canada : Je voudrais d'abord émettre quelques observations. Avec votre permission, j'aimerais en faire la lecture. Je crois que les sénateurs en ont une copie.

Je vous remercie de l'occasion qui m'est donnée de comparaître devant vous. Notre présidente et première dirigeante, madame Michèle Bourque, est au regret de ne pouvoir se présenter devant vous, étant en voyage d'affaires prévu depuis quelque temps déjà.

Permettez-moi de commencer en vous donnant quelques renseignements sur la Société d'assurance-dépôts du Canada (la SADC). Je parlerai ensuite des modifications prévues à la partie 16 du projet de loi C-9 concernant les institutions- relais.

La SADC est une société d'État indépendante qui rend des comptes au Parlement par le biais du ministre des Finances. À l'heure actuelle, elle compte 83 institutions membres. La SADC est financée par les primes que lui versent ses membres et ne reçoit aucun crédit du gouvernement.

Sont actuellement membres de la SADC des banques, des sociétés de fiducie et de prêt, ainsi que des associations de détaillants constituées en vertu de la Loi sur les associations coopératives de crédit. Je sais que votre comité a aussi étudié la partie du projet de loi C-9 visant les coopératives de crédit fédérales. Il y est énoncé que les coopératives de crédit qui reçoivent les lettres patentes prorogeant leurs activités à titre de coopératives de crédit fédérales deviennent automatiquement membres de la SADC.

En vertu de la Loi sur la Société d'assurance-dépôts du Canada, la SADC protège les dépôts assurables détenus auprès de chaque institution membre de la SADC jusqu'à concurrence de 100 000 $ par déposant dans sept catégories d'assurance-dépôts. Ces catégories comprennent les sommes assurables détenues conjointement, en fiducie, dans des régimes enregistrés d'épargne-retraite, dans des fonds enregistrés de revenu de retraite, et dans des comptes d'épargne libre d'impôt. En avril 2009, nous assurions plus d'un demi-billion de dollars de dépôts, soit 590 milliards de dollars de dépôts assurés.

La SADC a pour mandat de fournir de l'assurance-dépôts et d'encourager la stabilité du système financier au Canada. Elle poursuit ces objectifs de façon à minimiser les risques de perte pour elle-même.

Le sénateur Moore : Pourriez-vous répéter? Je ne vois pas ces chiffres dans le rapport. Où sont ces 590 milliards de dollars?

Le président : Je cherchais justement cette information moi-même.

Mme Morrow : J'ai pensé que cette information serait utile au comité. Je l'ai rajoutée ce matin, si c'est acceptable.

Le sénateur Moore : De combien s'agit-il? Pourriez-vous répéter?

Mme Morrow : Certainement. Nous assurions 590 milliards de dollars en avril 2009.

Le sénateur Moore : Merci.

Mme Morrow : La SADC travaille en étroite collaboration avec le Bureau du surintendant des institutions financières et avec les organismes de réglementation provinciaux pour établir la santé financière de ses institutions membres, relever à un stade précoce les points qui pourraient poser problème et intervenir en conséquence. Ce faisant, elle travaille aussi étroitement avec d'autres organismes du filet de sécurité financier fédéral : le ministère des Finances, l'Agence de la consommation en matière financière du Canada et la Banque du Canada.

Les sénateurs seront peut-être intéressés d'apprendre que les dirigeants de chacun de ces organismes font partie de notre conseil d'administration. Il y a notamment le gouverneur de la Banque du Canada, le sous-ministre des Finances, la surintendante des institutions financières, ainsi que cinq administrateurs du secteur privé.

Pour mener à bien l'évaluation et la gestion de ses risques, la SADC dispose de nombreux pouvoirs qui lui permettent de protéger les déposants et d'encourager la stabilité du système financier canadien. Outre notre capacité bien connue de remboursement des dépôts assurés, nous pouvons employer d'autres outils que le remboursement des dépôts pour protéger les déposants. Nous pouvons par exemple aider une institution membre en santé à acquérir les actifs d'une institution insolvable et à prendre en charge les dépôts de cette dernière. Depuis peu, nous pouvons aussi mettre sur pied une institution-relais. Quelle que soit l'option choisie, celle-ci doit toujours nous permettre de minimiser les risques de perte pour la SADC tout en protégeant au mieux les déposants canadiens.

Depuis sa création en 1967, la SADC a fait la preuve qu'elle est un assureur-dépôts efficace. Nous avons protégé plus de 23 milliards de dollars de dépôts assurés détenus par quelque deux millions de Canadiens auprès de 43 institutions membres. Aucune institution membre n'a fait faillite depuis 1996.

La SADC est d'avis que, pour bénéficier du régime d'assurance-dépôts, les Canadiens doivent en connaître les avantages et les limites. C'est pourquoi, dans le cadre de son mandat, elle mène des campagnes de sensibilisation pluriannuelles. En informant les Canadiens des modalités de base de l'assurance-dépôts, elle les aide ainsi à prendre des décisions éclairées concernant leurs épargnes.

Le président : Je suis un peu préoccupé parce qu'il ne nous reste que 12 minutes et que nous serons peut-être devancés par l'arrivée d'un ministre et de son entourage. Si vous pouviez passer à la partie 16 et nous aider à la comprendre, nous vous en serions reconnaissants.

[Français]

Mme Morrow : Les modifications de la loi, à la partie 16 du projet de loi C-9, découlent de l'adoption, l'an dernier, du projet de loi C-10 qui mettait en place le cadre de fonctionnement d'une institution-relais au Canada.

Le pouvoir d'institution-relais, qui vient s'ajouter aux autres outils de règlement de faillites, permet à la SADC de mieux protéger les déposants. Il minimise l'aléa moral en faisant assumer les pertes aux actionnaires et aux détenteurs de dettes de l'institution faillie.

Comme l'ont indiqué d'autres témoins, une institution-relais est une institution mise sur pied pour acquérir une « bonne » banque et prendre en charge tous les dépôts assurés et certaines obligations de l'institution membre faillie. L'institution- relais serait une filiale en propriété exclusive de la SADC, exploitée temporairement jusqu'à sa vente à une autre institution financière.

Une institution-relais pourrait être mise sur pied par la SADC si aucun acquéreur potentiel ne se manifeste ou si l'institution pose des risques systémiques.

Les modifications que vous pouvez lire à la partie 16 du projet de loi C-9 permettraient à la SADC de faire le calcul des dépôts assurés dans un temps extrêmement court, probablement une fin de semaine.

Dans ce cas, il serait capital pour nous de garantir aux déposants qu'ils auraient un accès continu à leurs épargnes assurées dès l'ouverture de l'institution-relais.

Dans ces modifications, vous pouvez voir que nous demandons également à nos institutions membres de fournir à la SADC des données standardisées pour que nous puissions calculer plus rapidement les dépôts à rembourser dans le cadre d'une institution-relais ou d'un remboursement des dépôts assurés.

Comme des représentants du ministère des Finances vous l'ont indiqué précédemment, d'autres modifications clarifient le transfert des contrats de dérivés à l'institution-relais.

Le système financier canadien est très solide, comme nous avons pu le constater lors de la dernière crise. Cela ne nous a pas empêchés de tirer les leçons de nos homologues dans d'autres pays. Nous voulons veiller à ce que notre système financier demeure solide et aussi efficace que possible, de notre point de vue d'assureur-dépôts. L'ajout, l'an dernier, du pouvoir d'établir une institution-relais fut à cet égard un grand pas en avant, ce que viennent renforcer les modifications de forme du projet de loi C-9.

C'est ainsi que je conclus mon intervention. Mon collègue et moi aurons plaisir à répondre à vos questions.

Le président : Merci. Monsieur Walker, avez-vous des commentaires à ajouter?

[Traduction]

David Walker, directeur général, Politiques, assurance et affaires internationales, Société d'assurance-dépôts du Canada : Non.

Le président : Avant cette mesure législative, les institutions-relais ont-elles déjà été utilisées?

Mme Morrow : C'est quelque chose de vraiment nouveau. Cependant, elles sont utilisées aux États-Unis, et ce, depuis la fin des années 1980. Nous avons en effet beaucoup appris de nos collègues de la Federal Deposit Insurance Corporation, l'équivalent de la SDAC aux États-Unis. Le Royaume-Uni et le Japon ont adopté des lois à cet égard. Si vous souhaitez plus de détails, mon collègue, M. Walker, se fera un plaisir de vous les fournir.

Le président : Nous savons où les trouver.

Le sénateur Mitchell : Ma question porte sur les responsabilités de la SADC, et non sur la partie 16.

Selon les témoignages que nous avons entendus, quand une coopérative de crédit est considérée comme une institution financière nationale, elle passe sous l'égide de la SDAC, ce qui signifie que la SDAC sera responsable si jamais la coopérative fait faillite, ce que nous ne souhaitons pas.

On nous a dit que les primes et les gains réalisés sur ces primes d'assurance collectés au niveau provincial par le gouvernement provincial qui assume actuellement cette responsabilité ne seront pas transférés.

Cela me semble très difficile d'imaginer que quelqu'un crée une telle structure, en assume la responsabilité mais ne s'assure pas des actifs. Pourriez-vous me confirmer cela?

Le sénateur Marshall : Dans vos observations préliminaires, vous avez dit que, en ce qui concerne ces modifications, vous demandiez à vos institutions membres de vous aider à collecter des données normalisées. À quelles modifications faites-vous référence? Vous devez vous préparer à la mise en œuvre de la loi, que faites-vous à cet égard?

Mme Morrow : En ce qui concerne la question des coopératives de crédit que le sénateur Mitchell a soulevée, le système que nous envisageons dans la mesure législative est le même que celui qui prévaut actuellement pour toutes institutions qui se joint à la SADC. Par exemple, une très grande institution sans lien avec la province s'est jointe à nous il y a quelques années et en moins d'un an, a acquis plus de 1 milliard de dollars en dépôts assurés. C'est la première fois qu'une telle chose se produit. Selon nous, les primes qui auraient été payées au niveau provincial sont peu importantes car à faible risque. Finalement, je dirai à ce sujet que cela relève du gouvernement. La SADC est un organisme d'assurance-dépôts. Nous sommes des spécialistes de l'assurance-dépôts. Les politiques sont élaborées avec le ministère des Finances et les autres organismes d'assurance-dépôts.

La référence aux données normalisées — et je m'excuse pour le jargon de la SADC que j'ai utilisé en parlant de cela —renvoie à l'article 1886 du projet de loi C-9 qui propose des modifications au paragraphe 11(2) de notre loi, soit les informations que nous demandons à nos membres.

Vous avez aussi posé une question sur notre processus de transition. Par « transition », vouliez-vous parler des banques provisoires au sens large?

Le sénateur Marshall : Oui.

Mme Morrow : Nous travaillons depuis l'année dernière, avant que les modifications entrent en vigueur, dans l'espoir qu'ils entrent en vigueur. Nous avons consacré des ressources considérables à la planification d'une institution- relais et nous en avons envisagé de nombreux aspects. Nous avons embauché des spécialistes des États-Unis qui ont exploité des institutions-relais pour nous guider dans ce travail.

Le sénateur Marshall : Vous n'attendez pas que la loi entre en vigueur.

Le sénateur Callbeck : Vous comptez 83 membres. Demandez-vous à vos 83 membres de normaliser leurs données ou espérez-vous simplement que cela se fera tout seul?

Vous parlez d'autoriser la SDAC à adopter des règlements relatifs aux renseignements dont vous avez besoin. Êtes-vous satisfaits des renseignements que vous recevez en ce moment ou aurez-vous besoin d'autres renseignements encore? Si c'est le cas, quels seraient les nouveaux renseignements dont vous auriez besoin?

J'aimerais parler des assurances-dépôts de 100 000 $ qui sont réparties en sept catégories. Je présume qu'une banque peut vraiment détenir 700 000 $ en assurance-dépôts. Est-ce vrai pour toutes les banques?

Le sénateur Baker : D'abord, vous faites constamment référence aux obligations sous forme de dépôts d'une « institution fédérale membre ». Vous devriez, à un moment donné dans la loi, définir ce qu'est une « institution fédérale membre » parce qu'en général, les gens pensent qu'un membre fédéral est un député. On ne voudrait pas donner l'impression que nous assumons les obligations des députés.

Ensuite, vous avez dit qu'il vous fallait une réponse à la fin du week-end. Je ne sais pas comment, en un week-end, on peut créer une société qui s'occupe de tout cela en vertu de cette mesure législative.

Enfin, le paragraphe 39.202 de la loi est modifié ici et dans le dernier article, vous avez divisé ce qui se trouvait là. On parlait à cet endroit-là, si je me rappelle bien, d'assumer toutes les obligations. Mais vous avez maintenant modifié cela et dresser la liste de certaines des obligations auxquelles cette modification s'applique.

Et finalement, il y a un point qui n'est pas clair dans votre loi et j'aimerais que vous en rendiez compte. Il s'agit de modifier le paragraphe 39.202 de la loi. On suppose donc qu'il y avait 201 paragraphes avant. Le paragraphe suivant est le paragraphe 39.203 puis le suivant, le paragraphe 2.1. Peut-être pourriez-vous nous expliquer pourquoi, en vertu de cette loi — adoptée, notez-bien, par une administration libérale — la numérotation est si peu claire : de 39.203, on revient à 39.21.

Le sénateur Moore : Je voudrais poser une question sur l'outil que représentent les institutions-relais. Une institution-relais est-elle une structure permanente à laquelle on fait appel dans le cas où un des membres fait faillite ou doit-on créer une nouvelle institution-relais à chaque fois qu'il y a une faillite?

Dans vos notes, vous avez dit ceci :

Comme l'ont indiqué d'autres témoins, une institution-relais est une institution mise sur pied pour acquérir une « bonne » banque et prendre en charge tous les dépôts assurés et certaines obligations de l'institution membre faillie.

Vous avez poursuivi en disant ceci :

En outre, l'institution-relais permettrait de protéger la valeur de marque, s'il en est, de l'institution en faillite en séparant la « bonne » banque de la banque « poubelle ».

On a donc une institution faillie; vous envisagez alors de vous saisir de ses meilleurs atouts pour les mettre dans une institution-relais qui sera exploitée jusqu'à ce qu'elle soit vendue, espérons-le? Vous dites que l'aléa moral sera minimisé parce que ce sont les actionnaires et les détenteurs de dettes qui assumeront les pertes de l'institution faillie.

Je ne comprends pas bien comment cela marchera, ce qui reste, ce que sont les « bonnes » banques et les banques « poubelles ». Peut-être pourriez-vous éclaircir ces points?

Le président : Je crois que le ministre va bientôt arriver. Pourquoi n'essayez-vous pas de commencer à répondre et si nous n'avons pas le temps de finir, vous pourrez peut-être nous fournir par écrit les réponses aux questions auxquelles vous n'aurez pas pu répondre verbalement?

Mme Morrow : Le système de données normalisées dont nous parlons n'est pas en place actuellement. Les membres ont leur propre système, et ils ont des systèmes variés. Certains ont des systèmes multiples dans le cadre desquels il est possible de calculer ce qui est assuré. Une institution compte à elle seule 30 systèmes.

Nous essayons de mettre de l'ordre parce que dans le cas d'une institution-relais, et plus précisément lorsqu'on assure un paiement intégral, c'est-à-dire un paiement aux déposants quand nous liquidons et payons, il faut déterminer rapidement ce que le déposant possède qui est assuré et décider comment nous pouvons lui verser son argent ou le transférer à une institution-relais.

Le président : Excusez-moi de vous interrompre. Malheureusement, le temps qui nous était imparti est écoulé. Nous devons passer au groupe d'experts suivants. J'ai pensé à finir la réunion tôt pour que vous puissiez assister à la réunion du groupe d'experts suivants.

Au nom du Comité sénatorial permanent des finances nationales, j'aimerais vous remercier pour le travail que vous faites à la SADC et aussi d'être venue nous parler de cette partie particulière du projet de loi C-9.Veuillez nous faire parvenir une réponse écrite à nos différentes questions. Je suis content que nous ayons pu poser toutes les questions. Nous serions très heureux si vous pouviez nous donner des réponses.

Mme Morrow : Certainement, nous allons le faire. Merci de nous avoir donné la possibilité de témoigner devant vous.

[Français]

Le président : Pour notre dernière session du matin, nous sommes heureux d'accueillir l'honorable Christian Paradis, ministre des Ressources naturelles.

[Traduction]

Le sujet que constitue Énergie atomique du Canada limitée, qui est le sujet abordé dans la partie 18 du projet de loi C-9, a beaucoup intéressé les membres du comité. Nous avons tenu une séance sur EACL ce matin. Nous sommes heureux que le ministre soit ici; il pourra répondre aux remarquables questions de politiques que les membres ont posées aux différents témoins mais qu'ils n'ont pas eu l'occasion de fouiller plus avant.

Le ministre est accompagné de M. Philip Jennings, sous-ministre adjoint, du Bureau de gestion des grands projets, au ministère des Ressources naturelles Canada, et de Serge Dupont, conseiller spécial sur la politique énergétique nucléaire auprès du Bureau du Conseil privé.

L'honorable Christian Paradis, C.P., député, ministre des Ressources naturelles : Merci. Il faisait beau dans ma circonscription ce matin. Mais je suis heureux d'être ici si je peux être d'une aide quelconque au comité.

[Français]

Comme je vous le disais, je suis heureux de pouvoir participer aux délibérations du comité, en souhaitant que je puisse aider à l'avancement des travaux.

[Traduction]

En tant que Canadiens, nous sommes fiers, et avec raison, de bon nombre de nos réalisations dans les domaines des sciences et de la technologie. Nos réalisations ont permis au Canada d'occuper une place en vue sur la scène internationale. C'est particulièrement vrai dans le domaine du nucléaire.

Le Canada, un authentique chef de file en ce qui concerne le développement de l'énergie nucléaire dans un but pacifique, se comptait au nombre des pionniers de l'ère du nucléaire. Aujourd'hui, nous sommes un des rares pays qui ait développé sa propre technologie afin de construire un réacteur de puissance.

L'industrie du nucléaire chez nous emploie quelque 30 000 Canadiens, et tous les ans, elle rapporte des milliards de dollars sous la forme d'activités économiques.

Le formidable succès que connaît actuellement cette industrie — en particulier, notre production d'uranium et l'électricité produite sans émissions générée par notre ensemble de réacteurs nucléaires — contribue à renforcer la position du Canada en tant que nouveau leader dans le domaine de l'énergie propre.

[Français]

Comme vous le savez bien, Énergie atomique du Canada limitée a joué un rôle central dans le développement de l'industrie nucléaire canadienne.

Aujourd'hui, l'avenir de notre industrie nucléaire est empreint à la fois de promesses et de défis.

De promesses parce que, comme nous le savons tous, de plus en plus de pays comptent sur une énergie nucléaire sûre, fiable et sans émission pour assurer leur sécurité énergétique et atteindre leurs objectifs en matière d'environnement.

Mais l'avenir du nucléaire au Canada est aussi empreint de défis parce que, bien que les concurrents d'Énergie atomique du Canada limitée sur le marché international soient peu nombreux, ils sont beaucoup plus imposants et profitent d'un financement beaucoup plus substantiel.

[Traduction]

Ce mélange particulier d'occasions à saisir et de défis à relever pour EACL n'est pas quelque chose qui s'est fait du jour au lendemain. Comme beaucoup d'autres, le gouvernement du Canada l'a vu venir. Cependant, à la différence de beaucoup d'autres, notre gouvernement est capable de faire quelque chose à ce sujet.

Il y a plus de deux ans, notre gouvernement conservateur a entrepris un examen complet d'EACL. C'était une initiative motivée par le désir de gérer correctement les affaires du pays et de se montrer responsable sur un plan financier.

[Français]

L'examen s'inscrivait dans le cadre de nos efforts pour appuyer l'industrie, mais aussi, pour être très respectueux, de l'argent des contribuables. On voulait tout simplement savoir si Énergie atomique du Canada limitée était en mesure de mener ses opérations avec succès dans ce nouvel environnement.

Les résultats de l'examen ne peuvent pas être plus clairs. L'examen a révélé que, dans sa forme actuelle, la structure d'Énergie atomique du Canada limitée ne concordait désormais plus avec l'exercice de son mandat. Pire encore, sa structure actuelle freine l'entreprise et, en conséquence, diminue les avantages pour le Canada.

Plus particulièrement, l'examen a permis de constater que la division des réacteurs CANDU est trop petite pour occuper une grande place à l'échelle mondiale. La division des réacteurs a besoin d'un investissement stratégique important pour être en mesure de progresser sur la bonne voie, c'est-à-dire pour, à la fois, saisir les nouvelles occasions qui s'offrent à elle, pour renforcer sa présence sur la scène internationale et pour réduire au minimum les risques financiers des contribuables canadiens.

C'est pourquoi, en décembre dernier, on a invité les investisseurs à nous soumettre leurs propositions pour l'acquisition de la division des réacteurs d'Énergie atomique du Canada limitée. Le budget de 2010 a réitéré l'intension du gouvernement de, un, attirer de nouveaux investissements et une nouvelle expertise; deux, positionner Énergie atomique du Canada limitée afin d'en assurer le succès sur les marchés internationaux en évolution; et trois, pour créer de nouvelles possibilités favorables à l'industrie nucléaire canadienne.

Ce processus se poursuit et les propositions reçues font actuellement l'objet d'évaluations quant à savoir si elles répondent adéquatement aux trois principaux objectifs suivants : s'assurer que le nucléaire constitue toujours, pour les Canadiens, une option d'énergie propre qui soit sûre, fiable et économique; exercer un contrôle des coûts pour le gouvernement tout en portant au maximum le rendement des investissements des contribuables; et positionner l'industrie nucléaire au Canada de façon à lui permettre de saisir les occasions qui se présentent aux plans national et international.

[Traduction]

Pour être tout à fait clair, j'insiste sur le fait que l'annonce faite en décembre 2009 n'avait aucune conséquence sur la Division de la recherche et de la technologie d'EACL, qui comprend les laboratoires de Chalk River. Pour cette division, la priorité reste la même, à savoir la remise en service du réacteur national de recherche universel (NRU) dans les plus brefs délais et dans le respect des normes de sûreté et de sécurité les plus strictes, et ce, afin de produire des isotopes médicaux.

Le gouvernement a en outre demandé à EACL de renouveler la licence du réacteur NRU de 2011 à 2016. Néanmoins, en ce qui concerne la division du réacteur d'EACL, pour laquelle nous avons lancé un appel d'offres, nous continuons à faire avancer les choses le plus vite que nous le pouvons afin d'assumer nos responsabilités vis-à-vis des Canadiens et de l'industrie. Une restructuration saine est synonyme d'avantages pratiques évidents. Elle vise à donner à la société des assises financières plus solides et à limiter les risques financiers pour les contribuables. Cela signifierait plus de possibilités de partenariats et une stature mondiale, et la société serait mieux placée pour soutenir la concurrence.

J'assure les honorables sénateurs que le gouvernement continuera à assurer la sécurité dans l'industrie nucléaire au Canada et à en assurer la gestion environnementale.

Notre pays est doté d'un cadre législatif sérieux et moderne, qui comprend notamment la Loi sur la sûreté et la réglementation nucléaires, la Loi sur les déchets de combustible nucléaire et la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale. La modernisation de la législation canadienne en matière de responsabilité nucléaire se poursuit grâce au projet de loi C-15, un projet de loi qui devrait remplacer la Loi sur la responsabilité nucléaire dont le Parlement est saisi en ce moment.

[Français]

Comme vous le savez, Énergie atomique du Canada limitée est une société mandataire du gouvernement du Canada, qui est actuellement régie par diverses lois, notamment la Loi sur l'énergie nucléaire et la Loi sur la gestion des finances publiques. À ce titre, l'autorité législative doit œuvrer dans le respect des conclusions de la révision de la Division des réacteurs d'Énergie atomique du Canada.

La partie 18 du projet de loi C-9 constitue la loi habilitante qui permettra au gouvernement de progresser dans la restructuration d'Énergie atomique du Canada. Son adoption contribuera à achever le processus transactionnel en temps opportun et à atteindre nos objectifs.

Le gouvernement a clairement fait valoir qu'il demeure ouvert à de nombreuses options d'investissement en ce qui concerne la Division des réacteurs, y compris la propriété exclusive. Les dispositions habilitantes contenues dans le projet de loi C-9 doivent obligatoirement doter le gouvernement de la capacité d'opter pour la meilleure transaction qui soit, c'est-à-dire celle qui répond le mieux aux trois objectifs qu'on a établis. Cela dit, le processus transactionnel entrepris est confidentiel et doit le demeurer afin de protéger les intérêts économiques du Canada, mais aussi des participants.

[Traduction]

L'adoption en temps voulu du projet de loi C-9 permettra au gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour mener à bien une transaction qui va dans le sens des meilleurs intérêts à court et long terme des Canadiens. Elle contribuera à minimiser le sentiment d'incertitude pour EACL, ses employés et ses clients, pour l'industrie du nucléaire au Canada et pour les investisseurs potentiels.

Je peux vous assurer que nous sommes déterminés à bien positionner l'industrie du nucléaire canadienne afin de conserver les 30 000 emplois que nous y comptons maintenant et de favoriser les conditions nécessaires à la création de davantage d'emplois hautement qualifiés et bien rémunérés comme ceux-là. C'est pour cette raison que, juste après le sommet du G20, le premier ministre a accueilli le premier ministre indien afin que les deux pays signent un accord de coopération nucléaire. Cet accord permettra à l'industrie du nucléaire canadienne d'avoir accès au marché en pleine expansion du nucléaire indien.

Nous nous efforçons continuellement de réunir, pour cette vitale industrie, les conditions qu'il faut pour qu'elle puisse envisager un avenir florissant dont tous les Canadiens tireront profit.

Le président : Merci, monsieur le ministre.

Honorables sénateurs, j'ai ici une bonne liste. Les sénateurs auront cinq minutes au maximum pour s'exprimer et cela inclut la réponse du ministre.

Avant de commencer, je voudrais souligner la présence au bureau de Jennifer Aitken, conseillère juridique principale au ministère de la Justice. Un ministre ne devrait jamais sortir sans son avocat, et le ministre Paradis n'a pas fait mentir la tradition. Nous sommes heureux de vous accueillir parmi nous, madame Aitken.

Monsieur le ministre, vous avez déclaré que votre annonce en décembre 2009 n'avait absolument aucune conséquence sur la Division de la recherche et de la technologie d'EACL et cependant, la mesure législative et aussi le budget de 2010 laissaient supposer que tout peut arriver. Pouvez-vous nous confirmer que le secteur d'EACL portant sur la recherche sur les isotopes n'est pas mis en vente?

M. Paradis : Oui. La priorité absolue est de restructurer la division des réacteurs CANDU.

[Français]

En ce qui concerne les isotopes, sur le plan de l'EACL, il y aura des décisions prises dans le futur, mais la priorité est de continuer la production d'isotopes. C'est pourquoi, le 16 juin, les réparations ont été effectuées à 100 p. 100. Maintenant, nous attendons les résultats, suite à l'audience tenue devant la Commission canadienne de sûreté nucléaire, parce que la priorité du gouvernement est de ramener le réacteur en fonction le plus rapidement possible et de procéder au relancement de 2011 à 2016.

Pour ce qui est de l'EACL, une fois que la restructuration sera faite, nous aurons la possibilité de voir comment on peut améliorer la gestion. Cette division restera la priorité du gouvernement du Canada. Cependant, des décisions sur la gestion seront prises éventuellement, après que les priorités, dont je viens de parler, auront été traitées.

Le sénateur Ringuette : Bonjour, monsieur le ministre. Il nous fait plaisir de vous recevoir à notre comité.

[Traduction]

Le 1er juin 2010, le président et directeur général de Bruce Power a fait la déclaration suivante au Comité de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles :

Je veux m'assurer que les responsables de la conception demeurent en place, car l'expertise que possède EACL est cruciale pour nos activités en cours.

Comment pouvons-nous être certains que les réacteurs nucléaires de l'Ontario et du Nouveau-Brunswick, et en particulier ceux de l'Ontario qui fournissent 50 p. 100 de l'électricité que l'Ontario utilise, continueront à fonctionner en toute sécurité si le département responsable de la conception d'EACL est privatisé ou vendu à une entreprise étrangère ou à un pays étranger? Quelle assurance pouvez-vous donner aux habitants de l'Ontario et du Nouveau-Brunswick que leurs lampes ne s'éteindront pas une fois qu'EACL aura été restructurée?

[Français]

M. Paradis : Pour commencer, je dois dire que la capacité à offrir le service est une condition sine qua non qui doit être respectée, autrement, la restructuration ne peut pas aller de l'avant. Je veux rassurer les gens de façon très claire. De manière plus large, comme je l'indiquais dans mes notes :

[Traduction]

Le gouvernement demeurera présent aux côtés des autorités et la loi sera respectée.

[Français]

Présentement, il y a des investisseurs très sérieux avec lesquels on a des discussions. Le but est de valoriser la technologie nucléaire canadienne et non de la détruire. C'est pour cela que, d'entrée de jeu, je vous disais que :

[Traduction]

... la capacité à offrir un service est une condition essentielle.

[Français]

Le sénateur Ringuette : Monsieur le ministre, cette condition, je ne l'ai nullement lue dans le dossier Rothschild. Ce n'est certainement pas une condition à l'intérieur du projet de loi. Cette condition n'est inscrite nulle part dans les documents qui traitent de ce dossier.

[Traduction]

Monsieur le ministre, d'après des initiés du milieu de l'industrie, le gouvernement a ordonné à EACL de cesser de parler contrat en ce qui concerne de nouveaux bâtiments en Roumanie et en Argentine. Ces contrats pourraient contribuer à accroître considérablement la valeur d'EACL et à transfuser 10 milliards de dollars dans les économies de l'Ontario et du Canada. Pourquoi le gouvernement prend-il des mesures qui font baisser la valeur d'EACL et qui menacent des milliers d'emplois, en fait 130 000 emplois au Canada?

M. Paradis : D'abord la capacité d'offrir un service est une condition qui est précisée dans le document. Elle se trouve dans le document, et je l'affirme ici clairement pour que ce soit dans le compte rendu.

Ensuite, le gouvernement prend des mesures afin d'assurer la viabilité d'EACL. Tout le monde est d'accord pour dire que le statu quo n'est pas la solution. La priorité absolue du gouvernement, ma priorité absolue, c'est de restructurer EACL.

[Français]

Nous voulons procéder de la façon la plus responsable. Toutefois, il importe d'agir. On ne peut plus laisser la situation perdurer. Comme nous l'avons indiqué publiquement à maintes reprises, nous nous sommes fixés comme objectif de procéder à la restructuration d'ici la fin de la présente année civile. Les intervenants de l'industrie et du syndicat s'entendent à dire que le statu quo n'est pas une option et qu'il faut procéder.

Le sénateur Angus : Nous vous souhaitons la bienvenue à ce comité, qui étudie le projet de loi C-9. Le voyage de votre comté a dû être long. Nous vous remercions de vous être déplacé et de votre disponibilité.

Nous comprenons que le dossier nucléaire est à la fois fort complexe et très important pour le Canada. C'est pourquoi nous voulons bien comprendre les dispositions prévues et les amendements de ce projet de loi.

Pourriez-vous expliquer aux sénateurs comment EACL, si elle était restructurée, serait davantage en mesure d'optimiser les opportunités globales? Pouvez-vous également nous expliquer pourquoi il est préférable que cette législation soit adoptée afin que la restructuration puisse avoir lieu rapidement?

M. Paradis : Je crois qu'il est nécessaire de toujours garder à l'esprit les trois objectifs fondamentaux que nous avons en termes de politique publique : un, fournir des options sûres, fiables et économiques pour répondre aux besoins énergétiques et satisfaire aux exigences environnementales du Canada; deux, contrôler les coûts dévolus au gouvernement tout en maximisant le rendement des investissements du gouvernement dans l'énergie nucléaire; et trois, permettre à l'industrie nucléaire canadienne de saisir les occasions qui se présentent tant au pays qu'à l'étranger.

Nous avons mis en place des conditions afin de nous assurer que ceux qui sont prêts à faire un investissement stratégique respectent ces trois objectifs fondamentaux. L'entente devra tenir compte de ces trois objectifs fondamentaux.

Présentement, l'entente n'existe pas. On ne peut donc pas la commenter, la question étant toujours hypothétique. Toutefois, lorsqu'une entente aura été négociée et avalisée par les partis, il me fera plaisir de revenir devant le comité pour la défendre et, encore une fois, démontrer que les trois objectifs fondamentaux seront reflétés.

Le sénateur Angus : Si je comprends bien, ces dispositions de la loi et les amendements donnent au gouvernement et au ministre le droit de disposer de certains actifs de la compagnie, plutôt que devoir aller devant le Parlement pour ce faire. On ne doit pas prendre pour acquis que vous le ferez. Toutefois, vous aurez la flexibilité de mieux gérer le dossier pour le Canada, n'est-ce pas?

M. Paradis : Le mot clé est « flexibilité ». Pour rencontrer les trois objectifs, des scénarios sont plausibles. Nous voulons disposer d'une marge de manœuvre. Pour ce faire, nous prévoyons certains outils. Nous avons chargé la firme indépendante d'experts en analyse de marché Rothschild de se pencher sur le dossier. Nous disposons également d'experts juridiques, telle la firme Davies, Ward, Phillips et Vineberg. Également, David Lee est mon conseiller juridique. Nous prenons tous les moyens pour nous assurer d'agir de la façon la plus responsable et optimale, dans le respect des contribuables canadiens et dans l'atteinte des trois objectifs de politique publique mentionnées.

La flexibilité implique également un facteur temps. Tous s'entendent pour dire que le statu quo n'est pas une option. Plus le temps passe, plus les choses restent où elles en sont; plus la situation s'empire, plus le fardeau est lourd pour l'ensemble des contribuables canadiens. C'est pourquoi il faut agir promptement et de façon responsable. Pour y arriver, il faut des outils qui permettent une marge de manoeuvre, voire une flexibilité.

[Traduction]

Le sénateur Callbeck : Monsieur le ministre et messieurs les fonctionnaires, soyez les bienvenus.

Vous avez indiqué dans vos commentaires que le secteur de l'énergie nucléaire emploie 30 000 Canadiens. Chaque année, il génère des milliards de dollars en retombées économiques diverses. Nous sommes d'accord pour dire qu'il s'agit d'une industrie importante et essentielle dans ce pays.

Pourquoi EACL est-elle casée dans un projet de loi de 900 pages et mise dans le même sac que le budget, les évaluations environnementales, les bureaux de poste et autres? Comme un témoin l'a dit, on dirait un sapin de Noël; il y a de tout.

Si EACL est une industrie si importante et essentielle, pourquoi ne fait-elle pas l'objet d'un projet de loi distinct?

M. Paradis : D'abord, les chiffres que j'ai donnés représentent les chiffres de l'industrie du nucléaire en général. EACL est un acteur au sein de cette vaste industrie. Elle compte environ 4 900 emplois de haut niveau et bien rémunérés. Nous désirons atteindre les trois objectifs en matière de politiques dont je viens juste de parler. Nous voulons nous assurer que cette industrie reste viable et qu'elle sera capable de saisir les occasions qui se présenteront au niveau national et international. Pour ce faire, il faut restructurer. Si vous vérifiez auprès des différents intervenants, vous verrez que tout le monde est d'accord pour dire que le statu quo n'est pas la solution. Nous devons aller de l'avant et c'est la raison pour laquelle nous faisons cela.

Comme je viens juste de le dire, nous devons faire montre d'une certaine souplesse pour que, quand nous aurons conclu un contrat, nous puissions passer à l'action. Notre objectif est de passer à l'action avant la fin de l'année civile. Le statu quo n'est pas la solution pour le moment.

Le sénateur Callbeck : Avec tout le respect que je vous dois, monsieur le ministre, vous n'avez pas répondu à ma question.

Le sénateur Ringuette : À la mienne non plus.

Le sénateur Callbeck : Pourquoi EACL ne fait-elle pas l'objet d'un projet de loi distinct? Pourquoi est-elle casée dans un projet de loi de 900 pages qui est un véritable fourre-tout?

[Français]

M. Paradis : Le projet de loi C-9 a fait l'objet de débats et d'une étude pendant quelques mois à la Chambre des communes. J'ai comparu devant un comité plénier pendant quatre heures et aussi devant différents comités. Les députés ont eu tout le loisir de me poser des questions sur le sujet. Des questions furent posées devant le comité des finances.

Aujourd'hui, je comparais devant vous pour répondre à vos questions. Tel que je l'ai indiqué, une fois qu'une entente aura été conclue, il me fera plaisir de revenir devant votre comité pour la défendre et la justifier par rapport aux trois objectifs de politique publique dont j'ai fait mention.

Ce qui importe maintenant est de procéder à la restructuration rapidement, promptement et de façon responsable. La meilleure façon de faire est par le biais du projet de loi qui est à l'étude aujourd'hui, en gardant une flexibilité pour aller de l'avant. Si on laisse les choses telles qu'elles sont, elles empireront, ce qui ne sera à l'avantage de personne.

[Traduction]

Le sénateur Callbeck : Je n'ai toujours pas ma réponse.

Nous avons entendu un témoin ce matin, M. Cadham, de l'Université Carleton. J'aimerais vous lire les commentaires qu'il a faits pendant sa présentation :

Privatiser en fait, cela signifie que nous nous croisons les bras et que nous demandons à d'autres d'élaborer notre politique énergétique nationale — dans le cas présent, nous demandons cela à des sociétés japonaises, françaises et américaines. Appelez cela l'élaboration de politiques par défaut — au lieu de se demander si nous voulons que le Canada soit une puissance nucléaire puis d'examiner les meilleurs choix possibles afin de concrétiser cette décision, nous laissons le marché décider.

Puis, il poursuit par ces mots :

[...] privatiser, c'est un code pour dire que nous n'avons pas la moindre idée de ce qu'il faut faire. Mais évitons les décisions difficiles, ramassons un peu d'argent maintenant et laissons les générations futures assumer les conséquences [...]

Je voudrais commenter ces propos.

[Français]

M. Paradis : Présentement, nous disposons de la technologie CANDU, qui est canadienne. Nous voulons mettre en valeur cette technologie. Or, avec le statu quo, cette technologie pourrait être compromise.

[Traduction]

On pourrait mettre cette technologie en péril. Nous devons faire quelque chose. C'est la raison pour laquelle nous sommes à la recherche d'investissements stratégiques. Nous pensons que nous pouvons optimiser la valeur de la filière CANDU en cherchant des investisseurs stratégiques dans le secteur privé, et c'est exactement ce que nous sommes en train de faire. Notre objectif est d'assurer la viabilité d'EACL, d'y préserver les emplois hautement qualifiés, d'alléger le fardeau des contribuables et de permettre à EACL de saisir toutes les occasions de faire des affaires à l'échelle nationale et internationale qui se présenteront.

Le sénateur Finley : Monsieur Paradis, certains sénateurs d'en face se sont plaints du fait que le mandat que le ministre a reçu eu égard à la restructuration d'EACL est très vaste. Il y a eu des discussions visant à scinder certaines parties, à en combiner d'autres et à faire toutes sortes de choses. On nous a dit que cela faisait beaucoup penser à la mesure législative initiale prévue dans le cas d'Eldorado qui est devenue plus tard Cameco.

Pouvez-vous nous dire pourquoi, selon vous, cette mesure législative doit prendre en compte des paramètres si généraux et quels avantages cela peut avoir?

M. Paradis : Nous devons faire montre de souplesse. Nous sommes actuellement en train de discuter avec de sérieux intervenants et cette idée vise à optimiser la valeur de l'industrie et sa viabilité. Aucun accord n'a été conclu jusqu'à présent. Les discussions sont en cours. Quand le moment sera venu de signer un accord, nous nous assurerons que nous sommes autorisés à le signer. Quand nous aurons reçu une proposition, je serai plus que content de revenir ici et de vous en parler. Je serai heureux de vous dire qu'elle respecte nos trois objectifs politiques principaux et que c'est une bonne proposition en ce qui concerne la production d'énergie et l'avenir de l'industrie et une bonne proposition pour les contribuables. Mais si nous y allons morceau par morceau, nous ne sommes pas près de nous en sortir.

C'est ce que j'ai dit pendant les réunions. Tout le monde était d'accord pour dire que le statu quo n'est pas une option viable. Nous devons agir vite et de manière responsable, et la meilleure façon de le faire est d'avoir sous la main une panoplie d'outils qui permettra au gouvernement de conclure. Quand une proposition ferme sera présentée, elle sera étudiée au Cabinet afin que les intérêts des Canadiens soient pris en compte. Puis nous pourrons aller de l'avant, avant la fin de l'année civile, espérons-le.

Le sénateur Finley : Une autre question qui ne cesse de surgir est celle de la sûreté nucléaire. La restructuration d'EACL aura-t-elle des conséquences sur la sûreté nucléaire et le cas échéant, lesquelles? Y a-t-il un inconvénient à cela, ou peut-être un avantage?

M. Paradis : Comme je l'ai dit, ce sont de sérieux joueurs. Ils veulent s'assurer que, s'ils se lancent là -dedans, ils pourront optimiser et maintenir la valeur de ce qu'ils ont. C'est une question de crédibilité pour toutes les parties concernées.

En outre, comme je l'ai dit dans mes commentaires, le gouvernement est toujours dans le coup, avec le cadre juridique qui est très solide. J'ai parlé de sécurité, de santé et de déchets nucléaires; nous disposons de nombreuses lois à cet égard. La nouvelle institution devra respecter ces lois, et rien ne changera à ce sujet. Je veux rassurer les gens : il n'y a pas de problèmes de sécurité. C'est juste que nous devons penser la restructuration comme un moyen d'assurer la viabilité de notre technologie, le réacteur CANDU et comme un investissement stratégique dans l'avenir.

Le sénateur Ringuette : J'invoque le Règlement. Je veux déposer ce document. Il s'agit du Sommaire d'investissement pour la division CANDU, préparé par Rothschild dont il a été question un peu plus tôt. Aucune condition n'est énoncée dans ce document. Merci.

Le président : Le document a été classé. Nous avons entendu vos commentaires. La parole est maintenant au sénateur Mitchell.

Le sénateur Angus : Juste pour être sûr que je comprends bien, est-ce le sommaire ou est-ce le véritable document?

Le président : Vous l'aurez dès que nous en aurons une copie.

Le sénateur Angus : Est-ce le sommaire ou le véritable contrat auquel le ministre fait référence?

Le sénateur Ringuette : C'est ce que j'ai dit. C'est le document intitulé Sommaire d'investissements pour la division CANDU.

Le sénateur Angus : Merci.

Le sénateur Mitchell : Monsieur le ministre, je suis content de vous voir. Je crains qu'il n'y ait une différence entre ce que vous vous préparez à faire et ce que vous envisagez ou souhaitez comme avenir pour le secteur de l'énergie nucléaire au Canada, et peut-être en ce qui concerne notre rôle dans le monde. Vous parlez de ce dernier point avec beaucoup de passion d'ailleurs. Vous sauverez 30 000 emplois, ferez en sorte que la recherche, le développement et la production d'isotopes se poursuivent; nous serons concurrentiels et tout ira bien dans le meilleur des mondes. Moi aussi, je veux y croire. J'observe cependant ce qui est en train de se passer et me demande comment vous pourriez potentiellement conclure un accord. Si vous vous mettez à la place des entreprises qui cherchent à acheter cette société, comment imaginez-vous l'accord qui vous permettra de conserver ces 30 000 emplois au Canada et de rester très présent, voire de mener la voie dans la recherche et le développement dans ce secteur technologique si important? Envisagez-vous une participation équitable? Quels sont les détails qui feront que cela fonctionne?

[Français]

M. Paradis : Les chiffres que nous avons sont pour l'industrie en général. Pour EACL, il s'agit de quelque 400 000 emplois. Les trois principaux objectifs de politique publique que j'ai énoncés tantôt doivent être pris en compte. Les investisseurs potentiels savent que c'est cette direction que l'on doit prendre. La restructuration devient nécessaire, car la technologie CANDU pourrait être menacée. Les choses arrivent de façon telle que les syndicats et les joueurs en général disent qu'il faut des investissements stratégiques pour une restructuration dans le but d'assurer une viabilité de l'industrie et dans l'espoir de maintenir et de créer des emplois. Cela permettra de saisir de nouvelles occasions à l'échelle nationale et internationale. Ce sont les concepts qui ont été discutés. Vous avez le sommaire de Rothschild qui a été discuté tantôt, mais les investisseurs savent que c'est cette direction que le gouvernement veut prendre.

Si vous me le permettez, j'aimerais vous illustrer un bel exemple. Monsieur Serge Dupont, sous-ministre, pourrait faire quelques commentaires.

[Traduction]

Il peut nous expliquer comment les choses se feront eu égard à ces conditions. Je veux être sûr que tout est clair.

Serge Dupont, conseiller spécial, NRCan sur la politique énergétique nucléaire, Bureau du Conseil privé : Les objectifs ont été expliqués clairement aux investisseurs comme étant conformes aux attentes du gouvernement en ce qui concerne la restructuration. Il s'agit aussi de la manière dont les propositions seront évaluées. Nous avons décomposé ces objectifs en plusieurs éléments plus précis dont notamment la possibilité d'offrir des services aux utilisateurs de l'ensemble des réacteurs CANDU préexistants. On en parle dans le sommaire d'investissement.

Lors de séances distinctes avec les investisseurs, nous avons dit clairement que nous avions atteint notre premier objectif, c'est-à-dire donner au Canada la possibilité de faire des choix judicieux, économiques et fiables en matière d'énergie. C'est une condition que nous devons remplir si nous voulons que le ministre soit satisfait et si, en définitive, le ministre veut que les Canadiens soient satisfaits.

Il est essentiel pour un nouvel investisseur de pouvoir offrir ses services à ses principaux clients, à savoir les utilisateurs des réacteurs CANDU actuels. Je pense que ce que le gouvernement doit faire pour atteindre ses objectifs est en ligne avec ce que les investisseurs veulent pour maximiser leurs actifs.

Le sénateur Mitchell : Pouvez-vous répondre « oui » ou « non »? Envisagez-vous d'adopter une participation équitable? Envisagez-vous d'acheter des parts de l'entreprise, quelle qu'elle soit, qui finira par exploiter ou acheter EACL de façon à avoir un certain contrôle?

M. Paradis : Comme nous l'avons dit publiquement, nous examinons toutes les possibilités. Nous envisagerons la vente totale ou un partenariat. Au bout du compte, nous voulons respecter les trois politiques publiques dont je viens juste de parler.

Le sénateur Mitchell : Le discours est bien rodé, il n'y a aucun doute là-dessus.

M. Paradis : Je dois dire, sénateur, que nous sommes clairs. Nous sommes aussi clairs avec les investisseurs. Nous ne perdons pas de vue ces politiques et c'est ce qui est très important.

Le président : Le grand public aurait aussi aimé voir ces conditions dans le projet de loi C-9.

Le sénateur Marshall : Monsieur le ministre, nous avons eu de bonnes discussions sur cette partie du projet de loi C- 9 et nous avons entendu un bon nombre de témoins. À ma grande surprise, nombreux sont les témoins — en fait, je pense la plupart d'entre eux — dont nous pensions qu'ils ne seraient pas en faveur de la restructuration ni de la privatisation d'EACL mais qui, une fois devant le comité, ont convenu que le statu quo n'était pas la solution et qu'il fallait une certaine dose de privatisation ou de restructuration.

Vous avez dû rencontrer des gens au sujet de ce projet de loi et je suis sûre que vous avez rencontré de nombreux membres de l'industrie du nucléaire. Votre expérience a-t-elle été similaire à la nôtre, à savoir que, dès que les gens commencent à parler, ils se rendent compte que le statu quo n'est pas la solution?

[Français]

M. Paradis : Merci pour votre question. Depuis la mi-janvier, où j'ai été nommé ministre des Ressources naturelles, je me suis assis avec différents intervenants, incluant le syndicat; j'ai eu des discussions avec l'Association nucléaire canadienne, également avec M Alexander de la division des technologies CANDU. C'est pour cela que je dis, avec une quasi certitude, que ce que j'ai entendu est unanime. Tout le monde nous disait qu'il fallait absolument restructurer EACL pour continuer d'aller de l'avant. Il y a des opportunités d'affaires qui se présentent, il y a une seconde renaissance. Cela me conforte de voir cela; au niveau politique, c'est la priorité de notre gouvernement, mais on répond exactement à un besoin qui est là, qui est critique et essentiel, de restructurer pour assurer une viabilité de notre industrie nucléaire. EACL est un joueur important, mais présentement, dans l'état actuel des choses, il est pratiquement paralysé. Les gens disent qu'il faut absolument restructurer, promptement et de façon responsable, C'est pour cela que nous prenons tous les moyens nécessaires pour le faire.

Un projet de loi est étudié aujourd'hui et, comme je l'ai dit tantôt, on a pris toutes les mesures possibles pour s'assurer que ce soit fait de la façon la plus professionnelle possible. Le rust shield est là présentement, une firme juridique également et un conseiller qui me conseille. On prend tous les moyens pour s'assurer que ce soit fait de façon transparente et responsable, mais promptement.

[Traduction]

Le sénateur Marshall : À partir du moment où on admet qu'il faut une certaine dose de privatisation ou de restructuration, se pose la question de la réglementation. L'industrie continue à être réglementée, il y avait consensus là-dessus. Vous avez mentionné cela dans vos remarques préliminaires. Pouvez-vous nous en donner l'assurance, monsieur le ministre?

M. Paradis : Tout à fait. Comme je l'ai dit, nous avons un cadre législatif solide. Cela relève du gouvernement fédéral. Nous continuerons à assumer nos responsabilités et à assurer la gestion.

[Français]

On va continuer toujours dans ce sens-là. Ce n'est pas parce qu'on restructure une société d'État que cela veut dire qu'on va se retirer de nos juridictions, ce sont deux choses différentes. C'est pour cela que j'en donne l'assurance. Je pointais également le fait que le projet de loi C-15 est déjà devant le Parlement présentement pour traiter de la responsabilité et de l'industrie aussi. Ce sont des signaux qu'elle nous envoie, disant qu'il serait temps qu'on lui donne des assurances; le projet de loi C-15 est un projet de loi qui est très bien accueilli car il va créer de la certitude, tout comme la restructuration. C'est un mot que je n'ai pas utilisé mais j'aurais dû le faire bien plus tôt : les gens veulent de la certitude.

[Traduction]

C'est ce que tout le monde souhaite et c'est ce que nous voulons, à savoir apporter des certitudes aux deux côtés.

Le sénateur Banks : Je ne crois pas que vous puissiez trouver une seule personne qui ne comprenne pas ou n'admette pas qu'EACL a besoin d'être un peu retapée, si c'est le mot juste, parce que c'est une société qui remonte aux années 1950. Elle a été créée dans les années 1950 et les choses ont changé depuis. L'objection que certains d'entre nous formulons porte sur la manière dont les choses sont faites, et non pas sur le fait que les choses doivent changer.

Nous avons appris que, au cours des 57 dernières années, 8,5 milliards de dollars ont été consacrés à EACL. Cela représente une somme de 150 millions de dollars par année, ce qui n'est pas énorme par rapport aux subventions accordées aux autres industries. Cela a généré un PIB d'approximativement 160 milliards de dollars. Certaines personnes semblent croire que cet argent a été englouti dans un trou noir à Chalk River.

Est-il vrai que ces 8,5 milliards de dollars ont servi aussi à appuyer la division des réacteurs commerciaux et les initiatives d'intérêt public? Est-il vrai que cet argent a été utilisé pour établir des laboratoires nationaux en Ontario et au Manitoba, et que des fonds ont été consacrés à la recherche médicale, au développement de machines pour traiter le cancer, à la production d'isotopes et à l'installation d'usines d'eau lourde dans l'ensemble du pays, plus particulièrement au Québec et en Nouvelle-Écosse?

Nous avons entendu parler de la dette d'EACL. Ai-je raison de croire que cette dette comprend une somme d'approximativement 3 milliards de dollars, qui a été contractée en 2005 quand RNCan a demandé à EACL de gérer ce que l'on appelle par euphémisme des responsabilités nucléaires héritées? Ai-je bien compris que ces responsabilités comprennent des responsabilités du gouvernement fédéral qui ont été prises durant la guerre froide, par exemple, avant même qu'EACL soit créée? Est-il vrai que ces responsabilités comprennent le traitement des déchets provenant des entrepôts sécuritaires des universités, d'installations médicales, de gouvernements et d'industries de l'ensemble du Canada ainsi que de la production d'isotopes médicaux et de programmes de recherche et de développement à l'appui de l'industrie nucléaire canadienne?

Je répéterai la question du sénateur Finley. En réponse à la question du président, vous avez affirmé ce matin que c'était CANDU Inc. qui était en vente, et non les autres actifs d'EACL. Monsieur le ministre, l'approbation des politiques n'est pas notre travail. C'est le vôtre. Notre travail consiste à approuver ou à rejeter les mesures législatives. Le projet de loi dont nous sommes saisis ne dit rien sur la vente de CANDU Inc. Il parle de la vente d'EACL et de tout ce qu'elle possède, ainsi que de tout ce qui peut lui arriver. Vous dites que vous avez besoin d'une marge de manœuvre, mais je tente de comprendre pourquoi vous avez dit ce matin, ainsi que l'année dernière avant la présentation de cette mesure législative, que CANDU Inc. était en vente alors que le projet de loi ne dit pas cela? Pourquoi le projet de loi prévoit-il la vente d'EACL au complet?

M. Paradis : Je laisserai M. Dupont répondre aux deux premiers points.

M. Dupont : Sénateur, vous avez raison à propos des investissements effectués au cours des années. Tout l'argent qui a été versé à EACL a permis de financer le développement de technologies, la construction de centrales nucléaires, l'exploitation des laboratoires de Chalk River, les usines d'eau lourde et essentiellement toutes les opérations d'EACL au cours des dernières années, ce qui a généré un flux de rentrées, des emplois et des activités économiques, entre autres. Le sénateur a donc raison à cet égard.

En ce qui concerne votre deuxième point, comme vous l'avez indiqué, on a reconnu en 2005, dans le cadre du Programme des responsabilités nucléaires héritées, qu'il fallait reconnaître les responsabilités à l'égard des déchets historiques. Ces responsabilités ont été reconnues et inscrites dans les livres. Maintenant, des fonds sont avancés par l'intermédiaire du Budget principal des dépenses de Ressources naturelles Canada et versés à EACL, qui gère cette opération afin de pouvoir aborder le problème des déchets historiques.

Le sénateur Banks : Est-ce inscrit dans les registres?

M. Dupont : Ces responsabilités sont inscrites dans les livres comme une dépense annuelle. C'est comme cela qu'on les reconnaît. Cependant, la reconnaissance de ces responsabilités entraîne un grand déséquilibre dans les livres d'EACL.

Le sénateur Murray : Les membres de l'autre côté ont-ils entendu cela?

[Français]

M. Paradis : Concernant le troisième point, effectivement, la restructuration touche CANDU Inc., au moment où nous nous parlons. Comme je l'ai dit tantôt, la priorité en ce qui a trait au secteur de l'EACL, le secteur des isotopes, c'est remettre le réacteur en fonction. Les réparations sont faites et on attend les conclusions de la Commission canadienne de la sûreté nucléaire. Le processus de recensement s'en vient aussi.

Des décisions administratives seront alors prises. De façon pratique, c'est peu probable qu'un acheteur se pointe pour l'EACL. Présentement, il s'agit de CANDU Inc.

[Traduction]

Le sénateur Neufeld : Merci d'être ici aujourd'hui.

Je veux discuter d'une chose dont on a abondamment parlé, mais qui vaut la peine d'être répétée. Comme le sénateur Marshall l'a dit, nous avons entendu beaucoup de personnes dire que l'Association des industries CANDU d'EACL était fort prometteuse. Toutefois, sous sa forme actuelle, elle est probablement trop petite pour concurrencer sur un pied d'égalité avec les plus grosses compagnies du monde.

Énumérons quelques-unes de ces compagnies. M. Bratt nous a donné une liste. En France, AREVA a 71 réacteurs en fonction et 6 en construction. De plus, ses recettes s'élèvent à plus de 5 milliards de dollars. Westinghouse Toshiba a 119 réacteurs en fonction, 5 en construction et des recettes de 4,5 milliards de dollars. General Electric Hitachi a des recettes de 3,2 milliards de dollars, 70 réacteurs et 4 réacteurs en construction. En Russie, Rosatom a des recettes de 2,5 milliards de dollars, 68 réacteurs et 16 réacteurs en construction. EACL, quant à elle, a des recettes de 500 millions de dollars, 30 réacteurs en fonction et 0 en construction.

Je sais qu'il y a des sénateurs ici qui auraient aimé que la Chambre examine plus longuement le projet de loi afin de tenter de trouver des réponses, bien que tout le monde, y compris les syndicats, affirme que nous devons prendre des décisions assez rapidement. Certaines personnes aimeraient que tout le contrat soit rédigé afin de pouvoir l'examiner et de déterminer s'il est bon. Toutefois, nous avons élu un gouvernement au Canada — c'est un gouvernement minoritaire, mais nous l'avons élu — et le rôle du gouvernement est de prendre ces décisions pour nous. Selon ce que j'ai cru comprendre, c'est ce que le projet de loi fait. Certaines personnes n'aiment peut-être pas cela, mais c'est la façon dont notre système fonctionne. C'est une très bonne démocratie.

Le sénateur Marshall : Bravo!

Le sénateur Neufeld : Certaines personnes se moquent peut-être de cette démocratie, et elles ne l'aiment peut-être pas.

Le sénateur Moore : Il y a 65 p. 100 des gens qui ne l'aiment pas.

Le sénateur Neufeld : Toutefois, il est vrai que nous avons une bonne démocratie.

Le sénateur Marshall : Je suis désolée que vous ne formiez pas le gouvernement.

Le président : À l'ordre, s'il vous plaît. Tout se passait tellement bien.

Le sénateur Marshall : C'est bien pour vous.

Le sénateur Neufeld : Pouvez-vous expliquer comment EACL peut faire concurrence aux autres compagnies nationales ainsi qu'aux compagnies mondiales que j'ai mentionnées? Y a-t-il beaucoup d'intérêt envers AECL — je ne vous demanderai pas de me donner un nombre — et croyez-vous que nous pourrions soutenir la concurrence mondiale? Pouvez-vous nous donner plus de précisions à ce sujet?

M. Paradis : La structure actuelle nous empêche d'aller où nous voulons. Il y a deux dossiers : le dossier de candidature de l'Ontario et la remise en état de la centrale de Point Lepreau au Nouveau-Brunswick. Ce dernier cas surtout montre que nous devons faire quelque chose. Les contribuables ont été exposés à un trop grand risque. Le Nouveau-Brunwsick n'est pas heureux, et nous ne le sommes pas non plus. Il y a des dépassements de coûts en raison de choses comme des heures supplémentaires et des dépassements des délais. Nous ne devons pas laisser cela se produire à l'avenir.

[Français]

C'est justement un symptôme de tous les problèmes que vit présentement EACL.

[Traduction]

En ce qui concerne les soumissions de l'Ontario, j'ai eu des discussions avec mes homologues qui ont besoin de certitudes eux aussi. Ils ne savent pas où nous allons avec EACL, et tout le monde a besoin de certitudes. Ces deux dossiers montrent la perception qui existe à l'étranger. Nous avons besoin d'un investissement stratégique pour montrer que nous avons changé la structure. Nous avons un nouveau processus de gestion. Nous devons améliorer la gestion pour corriger certains problèmes. Nous avons besoin d'investissements stratégiques afin de nous assurer que les coûts ne sont pas assumés entièrement par les contribuables. En faisant cela, je crois que nous pourrons obtenir notre part du marché. CANDU Inc. fournit de bonnes technologies et peut répondre à des besoins précis.

[Français]

Avec la structure actuelle, il est presque impossible de se démarquer car il y a des possibilités d'affaires que nous ne pouvons saisir à cause de ce qui se passe présentement. Il est vrai que nous entendons, de façon unanime, tout le monde dire qu'il faut restructurer tout cela, incluant les syndicats.

Le sénateur Murray : La dernière fois que vos fonctionnaires sont venus témoigner devant ce comité, ils ont refusé de nous dire combien d'offres vous aviez reçues. Aujourd'hui, vous avez fait allusion aux investisseurs — au pluriel. Nous vous remercions donc de cet éclaircissement.

Vous avez dit également que le processus se poursuivait. C'est presque mot pour mot ce que vous avez dit dans un discours prononcé en février dernier. Y a-t-il une date limite pour la soumission d'offres de la part des investisseurs? Avez-vous fixé une date?

M. Paradis : Je vais répéter; l'étape qui devait prendre fin à la fin du mois de juin a été complétée. Comme je le disais plus tôt, des discussions ont lieu avec des investisseurs sérieux et nous voudrions en terminer avec le processus d'ici la fin de l'année civile. C'est là où nous en sommes présentement.

Le sénateur Murray : Il s'agit de la fin de décembre, donc le processus se déroule d'une façon assez douce.

M. Paradis : Nous voulons le faire promptement, mais il faut le faire de façon responsable également.

Le sénateur Murray : Bien sûr. Suite à la déclaration que vous avez faite concernant les trois principes que vous avez énoncés, j'aimerais savoir pourquoi le gouvernement propose de se faire accorder l'autorité de dissoudre EACL ou de se voir accorder diverses mesures visant la réorganisation et le désaisissement de tout ou d'une partie de l'entreprise EACL? Cela nous porte à réfléchir sur le fait qu'il y a au moins une possibilité que EACL disparaisse à la fin de ce processus.

M. Paradis : C'est pourquoi aussi je mets l'emphase sur les trois conditions de base qui ont été communiquées à maintes reprises aux investisseurs. D'un autre côté, nous voulons nous doter de flexibilité pour évaluer tous les scénarios possibles. Il ne faut pas voir cela comme un chèque en blanc; pas du tout. En bout de ligne, le gouvernement est imputable. C'est pour cette raison que je dis que le jour où il y aura une entente sujette à discussion, je serai ravi de revenir témoigner à ce comité pour la justifier en fonction des trois objectifs dont je vous ai fait part aujourd'hui.

Le sénateur Murray : D'accord. Après avoir obtenu l'approbation de vos collègues au conseil des ministres concernant un plan pour l'avenir de la société EACL, vous allez vous présenter devant le Parlement pour soumettre ce plan?

M. Paradis : Non, mais je peux revenir témoigner devant votre comité. Ce que nous voulons, c'est être en mesure de procéder.

Le sénateur Murray : Avant de conclure le marché que vous et le conseil des ministres aurez entériné, vous vous présenterez devant le Parlement.

M. Paradis : Je vous l'ai dit, c'est le gouverneur en conseil qui aura les pouvoirs voulus pour procéder. Moi, comme ministre, je serai ravi de me présenter devant vous afin de démontrer que les conditions ont été respectées.

Le sénateur Murray : Mais, il s'agira d'un fait accompli.

M. Paradis : Il y a une question d'imputabilité ici. Si les engagements ne respectent pas les conditions, il y aura des conséquences. Présentement, nous sommes confiants, considérant les discussions avec des joueurs sérieux. Nous avons tous le même but : assurer une viabilité de l'industrie et même viser un épanouissement futur avec toutes les opportunités d'affaires.

Nous devons nous assurer que l'entente respecte les conditions de base. Nous devrons y répondre. Je vous répète que, comme ministre, je serai ravi de me présenter devant les comités parlementaires, sénatoriaux qui m'inviteront.

Le sénateur Murray : Cela se fera avant ou après avoir signé et conclu un marché avec les partenaires ou les investisseurs?

M. Paradis : Au niveau de la procédure technique, je vais laisser M. Dupont vous répondre.

Le sénateur Murray : Ce n'est pas technique.

M. Paradis : C'est important, M. Dupont s'occupe de cela. Je veux m'assurer que je donne les bonnes réponses.

M. Dupont : Je crois que vous l'avez bien expliqué : en vertu de la loi, l'autorité réside avec le gouverneur en conseil. Je pense qu'il est question de pouvoir expliquer au comité si besoin est...

Le sénateur Murray : Une séance d'information?

M. Dupont : ... les tenants et aboutissants de l'entente qui aura été négociée.

[Traduction]

Le président : Merci, monsieur le ministre. Votre temps de parole est écoulé. Je sais que, comme tout le monde, vous êtes très occupé. J'espère que vos fonctionnaires pourront rester ici encore quelque temps. Il y a trois sénateurs qui aimeraient dire quelques mots. Puisque cette réunion est la dernière fois que nous parlerons d'EACL, c'est leur dernière occasion de faire connaître leur opinion. Ils m'ont tous assuré qu'ils ne parleraient pas longtemps, et je propose qu'ils disent ce qu'ils ont à dire maintenant.

Le sénateur Angus : Vous avez dit que nous aurions le document dans nos mains dans quelques minutes. Ces minutes se sont-elles écoulées?

Le président : Voici le document.

Le sénateur Angus : J'aimerais le voir.

Le sénateur Baker : J'ai une petite question à poser au ministre ou à ses fonctionnaires. Dans son intervention, le ministre a dit que :

Les propositions reçues font actuellement l'objet d'évaluations.

Ma question est la suivante. Est-ce que l'une des propositions qui est évaluée provient de la compagnie AREVA en France, qui est détenue majoritairement par l'État. Dans l'affirmative...

Une voix : Le ministre ne peut pas répondre à cette question.

Le sénateur Baker : Pourquoi ne pourrait-il pas répondre? Il peut répondre s'il le veut. Je terminerai ma question.

Le ministre dit que les propositions font l'objet d'évaluations, mais il ne peut pas nous dire si AREVA est l'une des compagnies soumissionnaires. Nous ne connaissons pas les conditions de l'appel d'offres.

Le ministre est-il au courant du litige qui est devant nos cours supérieures depuis un an et qui porte sur la tentative d'AREVA d'empêcher EACL de respecter ses futurs contrats de nettoyage des réacteurs dans le monde? Dans l'affirmative, quelles répercussions cela aura-t-il sur les propositions qui sont évaluées actuellement?

M. Paradis : J'ai entendu votre question, mais je ne peux pas affirmer qu'il y a un contrat ou une entente de confidentialité. Si je fais d'autres commentaires à cet égard, je pourrais me faire traîner devant les tribunaux. Je ne peux pas vous répondre. Je suis désolé.

[Français]

Le sénateur Hervieux-Payette : Votre ministère a commandé, l'an dernier, un sondage Ipsos-Reid, qui est très détaillé. Je vous lis le résultat de trois questions.

[Traduction]

En tout, 72 p. 100 des Canadiens, à savoir presque trois Canadiens sur quatre, pensent que, puisque EACL est une société d'État depuis plus de 50 ans, elle ne devrait pas devenir maintenant une société privée. De plus, 70 p. 100 des Canadiens, à savoir sept Canadiens sur dix, affirment qu'EACL serait plus avantageuse pour les Canadiens en tant que société d'État qu'en tant que société privée. En dernier lieu, 70 p. 100 des Canadiens, à savoir sept Canadiens sur dix, disent également qu'ils s'inquièteraient pour la sécurité de la technologie nucléaire canadienne si EACL devenait une société entièrement privée.

[Français]

Quand vous ferez vos recommandations aux collègues du cabinet, pouvez-vous vous assurer de les informer concrètement de l'opinion des Canadiens et leur rappeler que vous servez les intérêts des Canadiens qui vous ont donné, de façon précise, les lignes à suivre pour la restructuration d'EACL?

M. Paradis : Je vous ai parlé des trois principaux objectifs. Tous les intervenants que j'ai rencontrés sont d'accord avec ces objectifs et c'est dans cette optique que je ferai mes recommandations. Lorsqu'on voit le fardeau que les contribuables doivent absorber dans l'état actuel des choses — qui risquent de s'empirer si rien n'est fait —, je suis confiant que, effectivement, on est sur la bonne voie, et c'est toujours ce signal qu'on lance aux investisseurs avec qui on discute.

Je vous ai dit également, dans mes remarques, que tout le cadre législatif est là présentement. On a des responsabilités comme gouvernement et on va continuer de les assumer.

Il ne faut pas mêler les choses. Nous avons des responsabilités de base, mais nous devons restructurer EACL pour permettre une viabilité et un épanouissement futur avec les opportunités qui sont là. Dans l'état actuel des choses, c'est impossible d'avancer.

Le sénateur Hervieux-Payette : Mais, oui ou non, allez-vous respecter l'opinion des Canadiens?

M. Paradis : Je respecterai les trois objectifs de la politique publique que j'ai énoncés, qui, à mon avis, reflètent très bien l'opinion des Canadiens.

[Traduction]

Le sénateur Ringuette : En ce qui a trait à la question de confidentialité, le PDG de Rothschild Canada et M. Serge Dupont, qui est assis à côté de vous, ont tous les deux dit à la Société des ingénieurs professionnels qu'EACL au complet était en vente, sans participation financière du gouvernement. Cela a été déclaré publiquement.

[Français]

M. Paradis : Ce que j'ai dit et ce qui a été dit, c'est que toutes les options sont considérées. Celle que vous venez d'énoncer est l'une d'entre elles puisque toutes les options sont considérées.

Le président : Monsieur le ministre, au nom du Comité sénatorial permanent des finances nationales, je vous remercie d'avoir assisté à notre séance avec votre équipe, M. Dupont, M. Jennings et Mme Aitken.

[Traduction]

Honorables sénateurs, nous nous réunirons de nouveau à 14 heures cet après-midi dans la même salle.

(La séance est levée.)


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