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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Finances nationales

Fascicule 20 - Témoignages du 3 novembre 2010


OTTAWA, le mercredi 3 novembre 2010

Le Comité sénatorial permanent des finances nationales se réunit aujourd'hui à 18 h 45 pour examiner le Budget des dépenses déposé au Parlement, pour l'exercice se terminant le 31 mars 2011 (sujet : paiements de transfert pour les soins de santé).

Le sénateur Joseph A. Day (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Le Comité sénatorial permanent des finances nationales reprend ses travaux. Honorables sénateurs, je vous remercie d'être ici ce soir. Nous allons poursuivre notre examen du Budget principal des dépenses de 2010-2011. Les paiements de transfert aux provinces sont un sujet d'intérêt constant pour notre comité, que ce soit dans le cadre du Budget des dépenses ou d'un projet de loi quelconque, et ce soir, nous allons nous intéresser tout particulièrement aux transferts en matière de santé. À la page 5, vous pouvez voir que le Transfert canadien en matière de santé s'élève à 25,4 milliards de dollars. En outre, à la rubrique des projets de loi de crédit, il y a un montant de 198 millions de dollars pour les diverses contributions versées à la Commission de la santé mentale du Canada, à l'Institut canadien d'information sur la santé, au Partenariat canadien contre le cancer, et cetera.

Comme vous pouvez le constater, chers collègues, cela représente une partie considérable des dépenses annuelles du gouvernement. Nous avons le plaisir ce soir d'accueillir des représentants de l'Association médicale canadienne, qui vont nous donner leur avis là-dessus. J'aimerais donc souhaiter la bienvenue au Dr Jeffrey Turnbull, président de l'AMC, et à M. Owen Adams, vice-président, Politique de santé et Recherche.

Messieurs, je vous remercie de venir nous rencontrer à si bref préavis. Nous sommes impatients d'entendre votre déclaration, après quoi nous passerons aux questions, aux discussions et aux commentaires. Docteur Turnbull, vous avez la parole.

Dr Jeffrey Turnbull, président, Association médicale canadienne : Merci, monsieur le président. J'espère que vous avez tous en main les documents que nous avons apportés, car je me propose d'en suivre le contenu avant de répondre à vos questions. C'est un grand honneur pour moi de comparaître devant votre comité pour vous faire part de nos opinions sur la question.

Comme vous le voyez à la page 2, je vais commencer par vous présenter les grandes lignes du récent plan d'action de l'AMC sur la transformation des soins de santé. Je parlerai ensuite du rôle important du gouvernement fédéral dans le financement de la santé, puis des principaux enjeux financiers qui se profilent à l'horizon, après quoi il nous restera beaucoup de temps pour des questions.

[Français]

J'espère avoir le plaisir de discuter avec vous de solutions pour améliorer les soins de santé pour tous les citoyens du Canada.

[Traduction]

À la page 3, vous pouvez voir que les médecins canadiens sont de plus en plus préoccupés et frustrés par la piètre performance des services de soins de santé au Canada. Nous estimons que le problème a été suffisamment étudié et qu'il est temps de prendre des mesures.

Le président : Moi, à la page 3, j'ai le texte d'une motion adoptée par le Conseil général en 2008, à savoir que l'AMC « établira un plan stratégique [...] ». Je n'ai pas le bon document?

Dr Turnbull : Si, vous avez le bon document. J'étais simplement en train de vous expliquer pourquoi, lors de son assemblée annuelle de 2008, l'Association médicale canadienne a adopté cette motion de son Conseil général.

Le président : Je suis donc à la bonne page.

Dr Turnbull : Je voulais vous montrer que cela fait deux ans que nous réfléchissons à la question qui nous amène devant vous aujourd'hui.

À la page 4, nous énumérons certaines des mesures que nous avons prises. Nous avons commencé par examiner le rapport de la mission d'enquête internationale, qui regroupait 75 collaborateurs clés et cinq pays, et qui portait sur les principaux systèmes de santé européens. Un certain nombre des conclusions que nous en avons tirées figurent sur cette page. Il y avait un grand nombre de thèmes communs, et nous avons jugé bon de les souligner pour vous.

Le principe de l'universalité est loin d'être propre au Canada. C'est en effet la pierre angulaire de tous les systèmes que nous avons examinés. Ce qui les distingue, par contre, c'est la façon dont ils appliquent ce principe et les moyens qu'ils utilisent pour atteindre cet objectif.

Les problèmes d'accès sont un autre thème commun. En fait, pour beaucoup de pays, le besoin de changement était devenu urgent, et ce sont en fait les longues périodes d'attente qui ont obligé chacun de ces gouvernements, notamment au Royaume-Uni et au Danemark, à prendre des mesures. Cela dit, la population et les décideurs se rendaient bien compte qu'il fallait faire quelque chose, mais aussi qu'il fallait une forte volonté politique et le leadership de la profession médicale. Une fois que ces mesures ont été prises, les temps d'attente ont cessé d'être un grave problème, car ils ont été réduits à quelques semaines, par rapport aux mois d'attente que nous connaissons chez nous.

Les mesures d'incitation ont été rationalisées pour améliorer à la fois l'accès et la qualité. Ils ont institué le financement par activité, pour les hôpitaux, ce qui est rare au Canada, mais très répandu en Europe et dans beaucoup d'autres pays industrialisés comme l'Australie.

Tous les pays ont une forme de système public-privé, dont les modalités varient de l'un à l'autre. Par exemple, en Belgique et en France, on applique le principe des frais aux usagers pour la majorité des services, alors qu'aux Pays- Bas, l'assurance privée est obligatoire.

Une fois qu'ils ont réglé le problème de l'accès, ces pays ont pu commencer à s'intéresser sérieusement à l'amélioration de la qualité des soins et à la sécurité.

Après avoir examiné le rapport sur les systèmes de santé européens, nous avons élaboré plusieurs dispositifs possibles, que nous avons testés auprès de médecins, des principaux leaders d'opinion et de la population. Cela nous a amenés aux cinq piliers de la transformation des soins de santé que nous vous proposons parce que nous les jugeons essentiels à cette transformation.

Le premier pilier consiste à bâtir une culture de soins axés sur les patients. Nous devons réorienter notre système vers les besoins des patients, plutôt que vers les besoins du système. Dans cette optique, l'AMC a préparé un projet de charte des soins axés sur les patients, avec la participation active de la collectivité. Cela nous a beaucoup aidés à passer à l'étape suivante. Nous sommes très fiers de ce que nous avons réalisé pour ce qui est du premier pilier.

Le deuxième pilier consiste à offrir des incitatifs afin d'améliorer l'accessibilité et la qualité des soins. La première chose à faire pour y parvenir, c'est modifier la façon dont on finance les hôpitaux. À l'heure actuelle, les hôpitaux reçoivent un montant global. À notre avis, il faut plutôt financer chaque activité, autrement dit instaurer un système de financement par activité où les patients seront considérés comme une source de revenus et non pas comme un coût pour le système.

Je suis médecin-chef à mon hôpital, et je peux vous dire que, pour nous, la meilleure façon d'équilibrer notre budget et d'optimiser nos activités est de ne pas avoir de malades du tout. Étant donné que nous recevons un financement global, nous considérons nos patients comme un coût, alors qu'ils devraient être considérés comme une source de revenus. Un système de financement par activité nous amènerait à considérer les résultats comme des sources de revenus, d'où un meilleur traitement pour les patients.

Le deuxième pilier consiste à offrir des incitatifs afin d'améliorer l'accessibilité et la qualité des soins. Il est question, ici, de rémunération au rendement. On peut utiliser ces incitatifs au niveau de l'établissement — c'est ce qu'ils ont fait, par exemple, dans les services d'urgence des hôpitaux, en Colombie-Britannique — ou au niveau du prestataire de services, auquel cas des incitatifs sont accordés à partir d'un certain nombre de vaccinations, d'un certain nombre de tests de dépistage du cancer du sein, et cetera. Autrement dit, on donne des incitatifs pour obtenir de meilleurs résultats pour les patients.

Le troisième pilier consiste à améliorer l'accès des patients à toute une gamme de soins. Nous savons tous qu'il y a des écarts très importants d'un service à un autre. La Loi canadienne sur la santé de 1984 couvre les services des hôpitaux et des médecins, mais aujourd'hui, le contexte des soins de santé a radicalement changé, de sorte que les soins à long terme, la promotion de la santé et la prévention de la maladie font partie intégrante de la gamme de soins offerts. Il faudrait donc réfléchir à la façon de financer toute la gamme de soins.

À cet égard, il convient de signaler deux secteurs cruciaux : l'accès universel aux médicaments d'ordonnance, d'une part, et les soins de longue durée et les soins à domicile, d'autre part.

Le quatrième pilier est particulièrement critique. Il s'agit d'aider les prestataires de services à aider les patients, en veillant d'abord à ce que le Canada ait une offre suffisante de ressources humaines pour le secteur de la santé, et je ne parle pas seulement des médecins, mais aussi des infirmières et des autres professionnels de la santé. Il faudrait adopter plus rapidement les technologies d'information en santé, afin de disposer d'un système de soins de santé efficient, qui met l'accent sur la qualité et la sécurité.

Le cinquième pilier consiste à intégrer la responsabilité et l'obligation de rendre des comptes à tous les niveaux. La notion de responsabilité n'est pas suffisamment présente dans un système qui ne dispose pas des outils nécessaires pour assurer une intendance adéquate des financements qu'il reçoit. La responsabilité doit donc être renforcée, si nous voulons que notre système de soins de santé acquière une stabilité et une viabilité à long terme. Autrement dit, nous devons avoir les moyens de vérifier que nous avons optimisé nos ressources.

La page 7 indique qu'il existe déjà quelques lieux d'excellence au Canada. On observe déjà des développements positifs. Récemment, le rapport Horne, en Alberta, a recommandé l'adoption d'une charte des patients.

En Ontario, en Alberta et en Colombie-Britannique, on commence à faire du financement par activité, même si c'est encore limité. L'Alberta en discute sérieusement, notamment pour son Performance and Diligence Indicator Fund (indicateurs de rendement et de diligence), dans le cadre de l'entente trilatérale. Ça pourrait être un bon point de départ.

Le Québec a adopté un programme de couverture universelle des médicaments. Des modèles de soins en collaboration se mettent en place dans de nombreuses provinces et commencent à se développer.

Au niveau fédéral, l'Institut canadien d'information sur la santé, l'ICIS, a commencé à étudier les coûts par groupe de patients, dans l'optique d'un système de financement par activité. En effet, c'est un élément essentiel d'un tel système.

Nous savons bien sûr qu'une somme de 500 millions de dollars a été récemment investie dans le domaine des dossiers médicaux électroniques. Ces fonds devraient être principalement destinés aux services de soins sur place, afin que les prestataires de ces soins puissent en faire une utilisation optimale, et que les services de soins soient mieux intégrés au niveau local.

J'aimerais dire quelques mots sur le rôle du gouvernement fédéral dans de nombreux secteurs. Nous sommes absolument convaincus que le gouvernement fédéral a un rôle essentiel à jouer dans le domaine de la santé. Les Canadiens continuent de privilégier un système géré à la fois par le gouvernement fédéral et la province.

Permettez-moi de dire en passant que le gouvernement fédéral doit jouer un rôle de chef de file dans plusieurs secteurs. Comme vous le savez, il joue déjà un rôle important en ce qui concerne les transferts aux provinces, dans le cadre de la Loi canadienne sur la santé, afin de garantir le maintien des services essentiels. Cela l'aide également à amener les provinces à respecter les normes de programmes nationales.

Le gouvernement fédéral est responsable des soins offerts à de nombreux groupes de la population, notamment les Premières nations, les militaires, la GRC et les détenus. Il a donc la possibilité de mettre en place des pratiques exemplaires dans ses propres systèmes, de démontrer qu'il obtient ainsi des services de qualité optimale, et d'encourager de cette façon les provinces à lui emboîter le pas.

Il est primordial de veiller à ce que les Canadiens aient accès à des soins de santé de qualité comparable partout où ils résident. Les Canadiens comptent là-dessus lorsqu'ils se déplacent d'une province à l'autre. Pour autant, il faut bien comprendre que les maladies ne s'arrêtent pas aux frontières provinciales. L'épidémie de grippe H1N1 est un exemple qui illustre parfaitement la nécessité d'avoir des stratégies et des normes nationales. De plus, l'adoption de normes nationales encourage la mobilité de la main-d'œuvre, dans le secteur de la santé comme ailleurs.

Il faut aussi que le gouvernement fédéral donne l'exemple en appuyant les changements dont nous discutons, et qu'il serve de points de convergence nationale pour l'échange et la promotion, au Canada et à l'étranger, de pratiques novatrices pour la prestation et la gestion de soins de santé de grande qualité.

Enfin, comme nous l'avons constaté tout récemment, l'adoption d'une perspective nationale s'accompagne souvent d'un gain d'efficience. L'achat en vrac de médicaments et de fournitures médicales permet de faire des économies. Raison de plus pour que notre gouvernement national s'engage activement dans ce secteur.

Toutefois, vous vous souviendrez qu'après une série de moratoires sur l'augmentation des transferts fédéraux en espèces, le gouvernement fédéral a décidé unilatéralement, en avril 1996, de réduire les transferts en espèces aux provinces et aux territoires de 6 milliards de dollars sur deux ans. Les effets n'ont pas tardé à se faire sentir au niveau de l'accès aux services et des temps d'attente. Depuis 2000, le gouvernement fédéral a signé trois accords avec les premiers ministres provinciaux et a consenti quatre investissements importants dans le secteur de la prestation des services de santé.

La principale constatation est que le gouvernement fédéral a toujours été un bailleur de fonds important dans le domaine de la santé au Canada, et les investissements récents vont servir à garantir la stabilité financière de ce secteur.

Mais le dossier n'est pas clos pour autant, car, malheureusement, ces accords n'étaient pratiquement assortis d'aucune condition. Si bien que les provinces et les territoires n'ont pas toujours respecté les engagements qu'ils avaient pris. Par exemple, dans l'accord de février 2003, les provinces et les territoires s'étaient engagés à définir, d'ici le mois de septembre de la même année, un « ensemble de services à domicile » pour lesquels ils assureraient, dès 2006, la couverture à partir du premier dollar. Ils s'étaient également engagés à assurer une couverture des médicaments onéreux d'ici à mars 2006. Aucun de ces deux engagements n'a été respecté.

S'agissant des rapports publics qui devaient être préparés, depuis 2004, le gouvernement fédéral est le seul à avoir respecté son engagement de publier un rapport sur les indicateurs de la santé.

J'aimerais maintenant vous présenter des données de Statistique Canada pour l'année 2008. La diapositive indique le pourcentage de ménages qui consacrent plus de 3 p. 100, dans une colonne, et plus de 5 p. 100, dans l'autre colonne, de leurs revenus après impôts à l'achat de médicaments d'ordonnance. Comme vous pouvez le constater, les écarts vont du simple au double, l'Alberta et l'Ontario se distinguant par la faiblesse de leurs pourcentages, alors que la Saskatchewan et l'Île-du-Prince-Édouard enregistrent les pourcentages les plus élevés.

Je peux aussi vous dire, moi qui soigne des pauvres à Ottawa, que ces gens-là n'ont pas les moyens d'acheter les médicaments qui leur sont prescrits. Bon nombre de mes collègues qui dispensent des soins de santé primaires pourraient vous dire eux aussi qu'un nombre croissant de nos patients sont des gagne-petit qui ne peuvent pas consacrer des sommes importantes à l'achat de médicaments. Certains de ces médicaments coûtent 200 à 300 $ par mois, voire 20 000 $ par an. Il n'y a pas beaucoup de gagne-petit qui peuvent se permettre de dépenser autant.

Je vous montre cette diapositive pour illustrer le fait qu'un grand nombre de Canadiens consacrent une part importante de leurs revenus à l'achat de médicaments, et aussi qu'il existe un écart important d'une province à l'autre.

Passons à la page 12. Nous croyons que le gouvernement fédéral a la responsabilité de s'assurer que les conditions d'accès aux services essentiels sont les mêmes partout. Cette diapositive indique le pourcentage que le Transfert canadien en matière de santé représente par rapport aux dépenses estimées de chaque province et de chaque territoire en 2010. En général, ça tourne autour du cinquième des dépenses. C'est un peu moins en Alberta, à cause des déductions, et dans les territoires, à cause des investissements directs du fédéral, mais, sinon, on parle d'une proportion d'environ 20 p. 100, ce qui n'est pas négligeable.

La diapositive numéro 13 illustre le fardeau croissant que les dépenses de santé représentent pour les budgets provinciaux et territoriaux. Dans l'ensemble, depuis 10 ans, les dépenses de programme dans ce secteur sont passées d'un peu moins de 35 p. 100 à environ 40 p. 100. En 2009, quatre provinces dépassaient les 40 p. 100, tandis que l'Ontario approchait des 45 p. 100. Comme nous allons le voir à la diapositive suivante, les problèmes ne font que s'aggraver.

Cette diapositive est un peu difficile à comprendre, mais je vais vous donner quelques explications. Elle vous montre qu'en 1996, on avait fait des projections sur le pourcentage que certaines de nos dépenses représenteraient par rapport au produit intérieur brut. Nous avions trois niveaux de projections différents — faible, moyen et élevé. La diapositive montre exactement les niveaux de ces projections pour chaque année. Comme vous pouvez le constater, nous dépassons les projections les plus élevées, et je vais expliquer cela dans un instant.

C'est au chapitre 6 du rapport que le vérificateur général de l'époque, Denis Desautels, a déposé au Parlement en avril 1998 que l'on trouve les premières remises en question de la viabilité de notre système de santé, vu le vieillissement de la population et la nécessité de soigner les gens pendant plus longtemps. Ce rapport prévoyait que le pourcentage des dépenses publiques de santé par rapport au produit intérieur brut risquait de doubler entre 1996 et 2031, tout dépendant du taux d'augmentation réelle des dépenses de santé. Comme je viens de le dire, c'est exactement ce qui est en train de se passer.

Le rapport recommandait que le gouvernement prépare des projections financières à long terme, à la fois dans le cas du maintien des politiques actuelles et dans le cas de l'adoption de nouvelles politiques, ce à quoi le gouvernement avait répondu qu'il privilégiait une stratégie visant à atteindre des objectifs à long terme, en se fixant des cibles réalistes à court terme.

D'après le rapport de l'ICIS qui vient d'être publié, nous avons calculé que nous en étions à 8,3 p. 100 du PIB en 2009 — soit la fourchette maximum indiquée dans les documents dont je vous ai parlé. D'après le rapport le plus récent, les taux de croissance des dépenses publiques étaient de 6,2 p. 100 en 2009 et de 5,1 p. 100 en 2010.

Qu'est-ce que cela signifie? Que nous consacrons actuellement 11,7 p. 100 de notre produit intérieur brut à des dépenses de santé, et que cela représente environ 191,6 milliards de dollars par an. Notre pays consacre énormément d'argent à la santé. Il faut donc se demander si nous en avons pour notre argent.

La diapositive numéro 15 indique les prévisions d'augmentation des dépenses de santé que le directeur parlementaire du budget, Kevin Page, donne dans son Rapport sur la viabilité financière de février 2010. Selon ces prévisions, les dépenses de santé des gouvernements provinciaux et territoriaux pourraient, au total, passer à plus de 14 p. 100 du PIB d'ici à 2040 ou 2041, surtout à cause de l'augmentation du prix des médicaments, qui est le poste de dépenses de santé qui augmente le plus rapidement. Cette diapositive illustre l'augmentation des coûts des médicaments.

Que pensent les Canadiens de la façon dont les dépenses de santé vont évoluer? C'est ce dont il s'agit à la diapositive numéro 16. La population canadienne s'inquiète beaucoup de l'avenir du système de santé canadien, à la fois pour son financement et pour sa capacité à répondre aux nouveaux besoins. D'après une enquête d'Ipsos Reid de l'été dernier, une écrasante majorité de Canadiens sont préoccupés par le fardeau que représente le système de santé et par les coûts qu'ils devront assumer. D'après cette enquête, 75 p. 100 des Canadiens estiment qu'il est indispensable de modifier immédiatement le système de santé si l'on veut maintenir la même qualité de soins pour la génération des baby- boomers. Un grand nombre de Canadiens s'attendent à ressentir personnellement les conséquences de l'augmentation des coûts de la santé.

Par exemple, près d'un Canadien sur trois prévoit de modifier son plan de départ à la retraite pour être mieux en mesure de payer les soins de santé dont il pourra avoir besoin; un Canadien sur quatre prévoit d'utiliser ses économies pour payer ces soins; et un Canadien sur cinq prévoit d'accueillir ses parents chez lui. Voilà les préoccupations des Canadiens d'aujourd'hui. La génération des baby-boomers commence à avoir 65 ans l'an prochain.

La diapositive suivante s'intitule « Le coût de l'inaction ». Ce que nous voulons montrer ici, c'est qu'il faut des efforts concertés, à tous les ordres de gouvernement, pour faire bouger les choses. Ne rien faire coûterait beaucoup trop cher, et il faut que ce message soit entendu et de la population et des gouvernements.

Selon le Centre for Spatial Economics, les temps d'attente pour le remplacement d'un genou ou d'une hanche, pour une chirurgie de la cataracte, pour une chirurgie cardiaque due à la constriction des artères, ou pour des procédures de diagnostic ont représenté, dans ces quatre secteurs, un coût de 14 milliards de dollars, y compris un manque à gagner de plus de 2,2 milliards de dollars pour le gouvernement fédéral et de 2,2 milliards de dollars au niveau provincial.

La plupart s'entendent pour dire que les pressions sur le système de santé vont s'intensifier avec le vieillissement des baby-boomers. D'après certains démographes, nous avons 10 ans pour réorganiser notre système et nous préparer à ce tsunami. Faute de quoi, le système continuera de péricliter et de perdre la confiance de la population.

Enfin, il faut bien comprendre que notre système de santé est un investissement. Une population active en bonne santé est une population active productive. Notre système de santé nous donne un avantage économique par rapport à notre voisin du Sud.

La page 18 indique que le gouvernement fédéral s'est engagé à respecter les modalités de l'accord de 2004 jusqu'au 31 mars 2014. Dans son dernier énoncé économique et financier, il prévoit que les transferts suivront leur taux de croissance actuelle pendant encore deux ans, mais il insiste bien sur le fait qu'ils n'ont pas encore été négociés.

Récemment, des rumeurs ont couru sur une éventuelle conversion en points d'impôt des transferts en espèces, mais je dois vous mettre en garde : le transfert en espèces est le seul levier dont le gouvernement dispose pour faire appliquer la Loi canadienne sur la santé.

Dans la perspective du renouvellement, en 2014, de l'accord sur la santé, nous vous proposons d'inclure dans cet accord les principaux éléments que nous avons mis en évidence dans notre plan d'action. Il s'agit notamment d'un échéancier de financement stable et prévisible, l'un des principaux avantages de l'accord décennal de 2004. C'était en effet une initiative heureuse de la part du gouvernement fédéral, et nous nous réjouissons que celui-ci ait décidé de respecter son engagement pendant les deux prochaines années.

Il faut aussi élaborer une stratégie financière qui permettra de combler les écarts entre les soins, y compris l'accès aux médicaments d'ordonnance, certains groupes ayant davantage de besoins, surtout dans la perspective des soins de longue durée et de la gamme de soins. Il ne faut pas oublier ceux qui ne sont pas pris en charge par des assurances publiques ou privées, et ceux qui ont besoin de soins de longue durée, de soins en établissement, de soins à domicile et de soins palliatifs.

Il faut mettre en place un vrai système de responsabilité, ce que les accords antérieurs en matière de santé n'ont pas réussi à faire. Nous avons un peu de temps, d'ici à 2014, pour mettre en place ce genre de mécanisme.

Quelles sont les perspectives? Nous serons peut-être obligés de trouver des sources de financement supplémentaires. Il faudra alors entamer un dialogue avec les Canadiens pour déterminer ce qu'ils sont prêts à payer et de quelle façon. Même s'ils restent partisans d'un système universel fondé sur le besoin, et non pas sur les moyens financiers, ils sont prêts à envisager divers mécanismes pour financer les soins de santé.

Il en existe toute une gamme. Il y a bien sûr l'impôt sur le revenu, mais il y a aussi l'impôt ciblé, les incitatifs fiscaux, les cotisations comme celles qu'on verse au Régime de pensions du Canada, le RPC, ou encore l'assurance privée. En fait, je ne pense pas qu'une solution unique conviendra à tout le monde et à tous les éléments du système de prestations de soins de santé. Je veux dire par là qu'il faudra peut-être envisager un mécanisme pour les médicaments, un autre pour les soins de longue durée, ou un mélange des deux.

Il faut commencer par entamer un dialogue avec la population sur les principes fondamentaux qui doivent sous- tendre le système des soins de santé et sur la gamme de services qu'elle est prête à payer.

[Français]

Finalement, nous ne cherchons pas une solution pour financer le statu quo, mais bien une solution pour un financement durable du système de santé qui permettra aux patients de recevoir des soins en temps opportun, de façon efficace.

[Traduction]

Le gouvernement fédéral a un rôle à jouer.

Cela met fin à l'exposé que j'avais préparé, et je suis prêt, maintenant, à répondre à vos questions. Je vous remercie de m'avoir écouté.

Le président : Docteur Turnbull, vous nous avez donné matière à réflexion. Votre exposé était très intéressant, et nous vous remercions, ainsi que vos collaborateurs, d'avoir pris le temps de le préparer.

Avant de passer aux questions, j'aimerais vous demander comment l'Association médicale canadienne se finance. Avez-vous un lien quelconque avec le gouvernement?

Dr Turnbull : Nous nous finançons uniquement avec les cotisations de nos membres. Nous n'avons aucune affiliation officielle avec un organisme gouvernemental. Il arrive que les projets que nous entreprenons dans le cadre de certaines initiatives reçoivent un financement extérieur, comme ce fut le cas lorsque les sociétés pharmaceutiques nous ont aidés pour des programmes de formation. Mais en règle générale, la totalité de notre budget provient des cotisations des membres.

Le président : Qui sont vos membres?

Dr Turnbull : Nous représentons 73 000 médecins canadiens.

Le président : Y a-t-il des fabricants pharmaceutiques parmi vos membres?

Dr Turnbull : Ils ne sont pas membres. Nous avons eu un ou deux programmes de formation que des sociétés pharmaceutiques nous ont aidés à financer, mais nous n'avons pas de lien financier direct avec l'industrie pharmaceutique ou n'importe quelle autre industrie.

Le président : Merci. Je pense qu'il est important que cela soit consigné au dossier, pour qu'il soit bien clair que vous êtes un organisme indépendant, qui agit dans le meilleur intérêt du système de santé canadien.

Dr Turnbull : Tout à fait.

Le sénateur Marshall : Merci de comparaître devant notre comité ce soir. Votre exposé était très intéressant.

J'aimerais parler un peu de la viabilité financière du système de soins de santé. D'après les documents qu'on nous a donnés, les accords de financement en vigueur entre les provinces et le gouvernement fédéral arrivent à échéance en 2014. Au cours de votre exposé, vous avez parlé des pressions qui s'exercent sur le système, notamment le coût des médicaments sur ordonnance, le coût des services à domicile et des services communautaires, et le vieillissement de la population. La viabilité du système est remise en question depuis un certain nombre d'années. Comme vous le savez, le gouvernement fédéral a accumulé un déficit important, qu'il essaie de maîtriser.

Que pensez-vous qu'on pourrait faire au chapitre de la viabilité du système? Pensez-vous que la médecine privée va être de plus en plus présente? Depuis quelques années, on essaie de freiner la croissance des coûts de la santé, mais c'est peine perdue.

Concrètement, que pourrions-nous faire? J'ai l'impression que la médecine privée est pratiquement inévitable. Qu'en pensez-vous?

Dr Turnbull : Je vous remercie de votre question, sénateur. Elle est tout à fait pertinente.

Il y a deux choses. Premièrement, l'Association médicale canadienne, c'est-à-dire les médecins du Canada, estime que les Canadiens devraient avoir accès aux soins de santé, quelle que soit leur capacité de payer. Quel que soit le système qui sera retenu, il ne devra pas pénaliser économiquement les Canadiens vulnérables. Deuxièmement, les Canadiens appuient les principes de la Loi canadienne sur la santé et de l'assurance-maladie.

S'agissant de la viabilité du système, vous allez peut-être nous prendre pour des hurluberlus de réclamer, par les temps qui courent, une couverture plus complète pour les Canadiens, surtout si l'on songe aux importants défis concrets qui nous attendent, et je pense que c'est là l'objet de votre question.

Il faudrait, à notre avis, replacer tout le débat sur la viabilité dans un contexte différent. La viabilité, c'est l'optimisation des services. Un système viable n'est pas un système qu'on ne finance plus, d'autant que notre système est mis à mal pratiquement sur tous les fronts. Nous pensons qu'il faut opérer une restructuration fondamentale des services de santé afin que nous puissions offrir des soins plus complets à tous les Canadiens, de façon ponctuelle et efficace. Nous pensons que c'est réalisable.

Cela nécessitera-t-il plus d'argent? Au départ, peut-être. Mais, actuellement, nous dépensons tout près de 192 milliards de dollars, et notre système de santé se classe à l'avant-dernier rang pour ce qui est de l'optimisation des ressources. Ce qu'il faut commencer par faire, c'est intégrer les services, privilégier la qualité, la sécurité et de meilleures relations, et respecter des pratiques exemplaires afin que les Canadiens en aient vraiment pour leur argent.

Nous devons entamer un débat avec les Canadiens sur la gamme de services qu'ils sont prêts à payer. Une fois que nous aurons eu ce débat et que nous aurons introduit dans le système tous les gains d'efficacité possible, nous saurons s'il faut investir davantage. Et si c'est le cas, il faudra décider où nous allons aller chercher cet argent.

Ce qui m'inquiète beaucoup, c'est que dès qu'on parle de médecine privée par opposition à médecine publique, la discussion s'arrête net. Le débat est très polarisé, et cela ne nous mène pas loin. Je préférerais qu'on discute de la façon d'instaurer le meilleur système possible, dont nous pourrons être tous fiers. À quoi ressemblerait-il? Comment s'y prendre pour le configurer et le rendre aussi efficace que possible, tout en optimisant les ressources? Une fois que ce sera fait, faudra-t-il un seul investissement ponctuel, au départ, pour réorganiser tout le système, ou faudra-t-il des investissements récurrents? Enfin, comment le financerons-nous? C'est à ce moment-là qu'on pourra peut-être parler de médecine privée ou d'autres mécanismes.

Le sénateur Marshall : On a déjà essayé plusieurs fois, dans le passé, de réorganiser le système, mais quand on voit les coûts augmenter, on se demande si ces réorganisations ont servi à quelque chose.

Dr Turnbull : En effet.

Le sénateur Marshall : Les projections de coûts sont très inquiétantes. Il faut vraiment se demander si nous allons pouvoir les absorber.

Dr Turnbull : Comme je l'ai dit tout à l'heure, je suis médecin-chef dans l'un des plus grands hôpitaux du Canada. Je sors justement d'une réunion du conseil. Notre hôpital fonctionne toujours avec un taux d'occupation supérieur à 100 p. 100, et, hier, nous avons battu notre record avec un taux de 115 p. 100.

Le président : Vous faites la promotion de votre hôpital.

Dr Turnbull : Je n'en suis pas si sûr. Nous avions 40 patients qui attendaient à l'urgence, et nous n'avions aucun lit disponible. Il y avait cinq ou six personnes qui recevaient des soins dans les couloirs, et nous avons dû annuler cinq chirurgies. Aujourd'hui, nous en avons annulé trois autres, pour essayer de régler le problème.

Au même moment, nous avions 163 patients hospitalisés qui attendaient d'être admis dans un établissement de soins de longue durée. Ces patients n'auraient pas dû être là. Ils auraient dû être dans un établissement plus près de chez eux, où ils recevraient des soins mieux adaptés, à une fraction du coût à l'hôpital. C'est ce que veulent les patients. Et pourtant, nous continuons de payer 1 000 $ par jour — en tout cas c'est ce que mon hôpital a déboursé hier pour chacun de ces patients, pour un montant total de 163 000 $, et c'est ce qu'il déboursera encore aujourd'hui et demain.

Face à une telle situation, on se rend compte rapidement qu'on pourrait réduire considérablement les coûts simplement en intégrant davantage les services de santé, mais, malheureusement, ce sont de véritables silos. D'un côté, vous avez les soins actifs, et de l'autre, les soins chroniques de longue durée, et entre les deux, il y a une frontière infranchissable.

Il faut être beaucoup plus créatifs que nous ne le sommes. Il faut voir comment on pourrait changer tout ça, en se mettant à la place du patient. Les patients ne voient pas ces silos. Ils souffrent d'une maladie qui nécessite tantôt des soins actifs tantôt des soins chroniques, et ils s'attendent à un ensemble complet de soins.

Le sénateur Marshall : Je voudrais simplement dire que nous attendions déjà beaucoup des réorganisations auxquelles nous avons procédé dans le passé, et aujourd'hui, on parle encore d'une nouvelle réorganisation. Peut-être avons-nous mis tous nos œufs dans le même panier, et peut-être devrions-nous avoir un système d'appoint, que ce soit la médecine privée ou autre chose, au cas où cette nouvelle réorganisation ne fonctionnerait pas.

Dr Turnbull : Essayons de tout mettre en œuvre pour que ça marche.

Le sénateur Marshall : Tout à fait d'accord.

Le sénateur Eaton : Pour en revenir aux systèmes mixtes, publics-privés, dont parlait le sénateur Marshall, je crois que l'Angleterre et la France ont ce genre de système.

Dr Turnbull : C'est exact.

Le sénateur Eaton : Vous ne préconisez pas l'option de retrait, n'est-ce pas?

Dr Turnbull : Non. Pour le moment, nous défendons les principes que je vous ai présentés, notamment que tous les Canadiens devraient avoir accès aux soins de santé, quelle que soit leur capacité de payer. Les Canadiens et les médecins du Canada tiennent fermement à ce principe.

Ce que nous voulons, c'est un système efficace, qui offre des soins de santé de qualité. Si cela exige une composante privée, nous sommes prêts à l'envisager, mais ce n'est pas dans cette direction, pour l'instant, que nous cherchons.

Le sénateur Eaton : Très bien, mais dans ce cas, vous ne devriez pas nous comparer à d'autres systèmes qui ont une composante privée.

Dr Turnbull : Oui.

Le sénateur Eaton : J'ai eu le privilège de collaborer avec le sénateur Keon à son rapport sur la santé, et c'était fascinant. La conclusion principale faisait ressortir que les soins les meilleurs et les moins chers ne sont pas toujours dispensés à l'hôpital.

Le sénateur est convaincu qu'il faudrait créer des cliniques communautaires qui dispenseraient des soins normalement donnés dans un hôpital, comme les dialyses et les soins aux arthritiques. Tous les soins continus pourraient être dispensés par une clinique communautaire, plutôt que par un hôpital qui coûte beaucoup plus cher.

Êtes-vous d'accord avec lui? Devrait-on œuvrer dans ce sens?

Dr Turnbull : Tout à fait. Maintenant qu'il existe toutes sortes de traitements pour les soins de longue durée, il faut repenser nos façons de gérer les maladies chroniques, car l'hôpital n'est pas l'endroit adéquat.

Il faut délester nos hôpitaux, et limiter leur rôle à ce qu'ils font de mieux, à savoir la prestation de soins actifs. Il faut rapprocher les services des patients, organiser des soins à domicile, et s'assurer que les patients sont soignés dans un contexte plus convivial et plus efficace. C'est comme ça qu'on fera des économies.

Le sénateur Eaton : Absolument, surtout pour les maladies dont souffrent beaucoup de Canadiens, comme le diabète et l'obésité, bref, un grand nombre de maladies chroniques. Les cliniques communautaires desserviraient les quartiers où elles sont situées.

Vous avez parlé de financement par activité. Étant donné les conditions qu'elles imposent à chaque hôpital, les provinces ne sont-elles pas devenues une entrave à la gestion de ces hôpitaux? Autrement dit, c'est vous, en tant que médecin-chef, qui connaissez le mieux vos besoins.

Dr Turnbull : Oui.

Le sénateur Eaton : Mais on vous impose, n'est-ce pas, le nombre de lits que vous devez attribuer à tel service et à tel autre?

Dr Turnbull : Exactement. Vous avez raison. Il a été question, à un moment donné, d'assouplir le système avec la régionalisation des services, de sorte que les régions seraient habilitées à prendre ce genre de décision.

Mais ça, c'est la théorie. À chaque niveau, vous avez un système qui, à bien des égards, résiste à l'innovation, ne permet pas l'application de solutions locales et n'établit pas un lien de responsabilité entre le financement et les résultats escomptés. Il faudrait investir dans les services de santé en sachant précisément quels résultats on veut obtenir, et l'informatique devrait nous permettre de le faire. Or, ce n'est pas le cas.

Le sénateur Eaton : Il faudrait gérer les hôpitaux presque comme des entreprises, n'est-ce pas?

Dr Turnbull : C'est exactement cela.

Le sénateur Eaton : Avec des services axés sur les besoins de la population du quartier.

Dr Turnbull : Ils ont des ressources limitées, et il faudrait qu'ils puissent offrir ces services, à condition d'en prendre la décision de façon collégiale. Nous pourrions beaucoup mieux utiliser notre hôpital.

Le budget de mon hôpital dépasse le milliard de dollars. Et ce n'est qu'un hôpital. Certes, c'est l'un des plus grands, mais c'est quand même énormément d'argent. Et malgré cela, nous sommes obligés d'annuler des chirurgies.

Le sénateur Eaton : Exactement, parce qu'on ne vous laisse pas décider.

Dr Turnbull : Ainsi, notre hôpital ne peut pas s'attaquer à la cause véritable de l'encombrement de notre établissement, qui est le nombre excessif de patients qui attendent d'être admis dans un établissement de soins de longue durée. Notre hôpital n'a aucun contrôle là-dessus.

Le sénateur Eaton : C'est vrai.

Le président : Avez-vous une solution novatrice à nous proposer quant à la façon de rémunérer les médecins et les autres professionnels de la santé? Pourrait-on envisager une rémunération à l'acte?

Dr Turnbull : C'est aussi une très bonne question. Jadis, les médecins étaient généralement payés à l'acte. Aujourd'hui, à peine 50 p. 100 des médecins sont rémunérés à l'acte. Nous sommes en train d'adopter d'autres systèmes de rémunération, comme le salariat ou le travail en groupe, c'est-à-dire qu'on paye une équipe de professionnels de la santé un certain montant, en fonction des résultats escomptés.

En Ontario, par exemple, on a des équipes de professionnels de la santé. Vous êtes rémunéré en fonction du nombre de patients que vous voyez dans la journée. À cela peuvent s'ajouter des incitatifs, si vous faites un certain nombre de frottis, de tests de dépistage du cancer du sein ou de tests de dépistage de l'ostéoporose, par exemple.

Nous estimons que c'est une bonne façon d'aider les médecins, parce que nous ciblons nos précieux dollars sur les résultats que nous voulons obtenir.

Le sénateur Ringuette : Tout cela est très intéressant. J'aimerais pour commencer revenir sur votre diapositive no 10, où vous dites à propos des accords qui ont été signés que les gouvernements provinciaux n'ont pas respecté les engagements qu'ils ont pris sur l'utilisation qu'ils devaient faire des fonds transférés.

Je me souviens précisément d'avoir demandé à notre vérificatrice générale, Mme Fraser, lorsqu'elle a comparu devant notre comité, si elle avait les outils nécessaires pour vérifier que les provinces utilisent à bon escient les paiements de transfert qui leur sont versés, en matière de santé ou autre. Elle m'avait répondu que non, parce qu'elle est obligée de se fier à son homologue provincial pour attester que les provinces utilisent ces fonds conformément aux accords qu'elles ont signés.

Pour revenir à ce que vous dites ici, le gouvernement fédéral ne dispose d'aucun mécanisme qui obligerait les provinces à rendre des comptes sur l'utilisation qu'elles font de ces transferts, y compris dans le domaine de la santé. Le vérificateur général du gouvernement fédéral n'a aucune compétence à ce niveau-là.

Le président : Docteur Turnbull, avez-vous quelque chose à dire à cela?

Dr Turnbull : Oui, et peut-être aussi M. Adams, d'ailleurs. Nous n'ignorons pas que les compétences fédérales- provinciales en matière de santé sont une question très délicate, et que le gouvernement fédéral a une marge de manœuvre limitée.

Néanmoins, vous assumez 20 p. 100 du total de leurs dépenses de santé. Dans la perspective de 2014, je pense qu'il est raisonnable d'envisager des mesures à l'échelle fédérale qui appuieront les provinces et qui n'empièteront pas sur leur champ de compétence. Nous savons que c'est un investissement qui en vaut la peine. On peut cependant espérer que des structures seront en place d'ici à 2014, qui permettront de vérifier que les engagements pris en 2004 en matière de responsabilité et d'obligation de faire rapport sur les résultats ont bien été tenus. Je vais laisser la parole à M. Adams.

Owen Adams, vice-président, Politique de santé et Recherche, Association médicale canadienne : Cela dépend peut-être des modalités précises de l'engagement. L'accord de 2003 prévoyait l'accès à la couverture des médicaments onéreux, mais ce n'était pas très bien défini. Dans l'accord de 2004, c'était beaucoup plus précis, car on créait un fonds de 4,5 milliards de dollars pour la réduction des temps d'attente. Autrement dit, il fallait s'entendre sur des normes précises en matière de temps d'attente. Nous avons été agréablement surpris lorsque, à la fin de 2005, elles se sont entendues sur des normes nationales. De plus, le premier ministre Harper leur a promis dans son budget de 2007 une somme de 612 millions de dollars si elles s'entendaient, d'ici à 2010, sur un temps d'attente maximum qu'elles ne dépasseraient pas. Je crois que c'est ce qu'elles ont toutes fait.

Elles ont tenu certains de leurs engagements, sans doute ceux qui étaient les plus explicites. C'est peut-être comme ça qu'il faut procéder dorénavant.

Le sénateur Ringuette : Exactement. Il faut mettre par écrit, noir sur blanc, que l'argent doit être dépensé de telle façon, dans le but d'obtenir tel résultat.

Dr Turnbull : À l'assemblée annuelle de l'AMC, la vérificatrice générale nous a décrit les mécanismes qu'il faudrait mettre en place pour permettre la reddition de comptes à tous les niveaux, y compris pour les transferts fédéraux.

Le sénateur Ringuette : La situation dans les hôpitaux du Nouveau-Brunswick n'est pas différente de celle que vous avez décrite.

Les hôpitaux sont occupés par des patients qui nécessitent des soins de longue durée. Tous les statisticiens du Canada et d'Amérique du Nord nous disent depuis longtemps que les baby-boomers vont prendre leur retraite et qu'ils vont avoir besoin de soins de longue durée. Il fallait donc faire des plans, mais, jusqu'à présent, il n'y a eu que des paroles et rien de concret. C'est pour cela que nous nous retrouvons dans la situation que vous décrivez.

Cela dit, vos cinq piliers me paraissent tout à fait logiques. Un tel système devrait marcher. Comment pourrait-on planifier les changements organisationnels que nécessitera la mise en œuvre des cinq piliers dans tout le système de santé au Canada?

Comment allez-vous en faire la promotion? Allez-vous rencontrer les premiers ministres provinciaux? Il y a beaucoup de parties prenantes : les membres de l'AMC, les infirmières, les syndicats, les gestionnaires de la santé, les provinces, et cetera. Comment allez-vous faire pour rencontrer tous ces gens-là et les rallier à votre projet?

Dr Turnbull : Ce ne sera pas facile. Nous avons prévu d'entamer cette année une sorte de dialogue, notamment en soumettant notre projet aux différents niveaux de gouvernement afin de savoir ce qu'ils en pensent, car nous voulons nous assurer que nous sommes sur la bonne voie. Nous comptons entamer un dialogue national avec les Canadiens, les autres professionnels de la santé et les décideurs. Nous allons essayer de rencontrer les principales parties prenantes, et toutes celles auxquelles on peut penser. Au final, ce n'est pas une décision qui sera prise par les médecins, mais plutôt par tous les paliers de gouvernement. Nous avons que, même si c'est nous qui entamons le processus, nous ne serons pas les seuls à le mener à terme. Nous sommes bien conscients de la nécessité de consulter le maximum de personnes.

La deuxième approche consiste à se poser la question suivante : si nous voulons dispenser tels services, conformément aux principes auxquels nous adhérons tous au Canada, de quelle façon pouvons-nous combler l'écart qui existe entre ce que nous voulons et ce que nous avons, compte tenu du fait que le vieillissement de la population se traduira par des besoins accrus? Si c'est l'approche qui est retenue, il faudra faire participer d'autres parties prenantes à une discussion comme nous en avons une ce soir : les gouvernements, les bailleurs de fonds et le milieu des affaires. Nous irons rencontrer les médecins, dans leurs bureaux, dans une salle paroissiale, ou dans tout autre endroit où nous pourrons avoir ce genre de conversation avec des décideurs. Ensuite, nous aurons une autre discussion sur le mode de financement d'un tel modèle, et nous soumettrons ensuite le tout à votre comité.

Le sénateur Ringuette : Avez-vous déjà pensé à un projet pilote? Par exemple, comme c'est dans les petites boîtes que sont les fines épices, vous pourriez commencer par tester votre projet de restructuration dans l'Île-du-Prince-Édouard, avant de l'élargir à l'ensemble du Canada?

Dr Turnbull : Nous aimerions que le gouvernement fédéral participe à cet accord. Comment encourager l'innovation? Peut-être au niveau communautaire ou à l'échelle d'un gouvernement. Comment appliquer les résultats de cette innovation à d'autres provinces? Il faudrait adopter une sorte d'agenda de l'innovation pour la transformation des soins de santé, avec le financement nécessaire. C'est là que le gouvernement fédéral pourrait jouer un rôle, vu qu'il cherche à mettre en place un nouveau système qui servira mieux les Canadiens.

Le président : Vous avez là un bon exemple de l'ouverture d'esprit des sénateurs lorsqu'un sénateur du Nouveau- Brunswick recommande l'Île-du-Prince-Édouard comme modèle. Bravo, sénateur Ringuette.

Le sénateur Neufeld : La tâche ne sera pas facile. Ayant travaillé pendant quelques années pour le gouvernement provincial, je sais que, quelle que soit la province où vous habitez, elles ont toutes des problèmes similaires. On a déjà parlé du système parallèle. Je cherche toujours à voir le pour et le contre. Les baby-boomers sont au sommet de la courbe, mais ensuite celle-ci redescend. Tôt ou tard, la courbe va redescendre. Si, parmi ceux qui attendent pour une opération de la hanche ou du genou, il y en a qui peuvent se la payer en médecine privée, ça ne me pose pas de problème. En revanche, quand on essaie de l'expliquer à la population, elle est vent debout. J'aimerais donc savoir si l'existence d'un système parallèle poserait un problème à l'AMC. Nous avons déjà pas mal de services de médecine privée en Colombie-Britannique, mais ils sont limités par la Loi canadienne sur la santé.

Dr Turnbull : Il y a plusieurs dimensions à cela. Beaucoup de gens en parlent comme d'une solution potentielle, je veux dire le débat public-privé. Je sais pertinemment que c'est une question extrêmement controversée et que cela déclenche des réactions passionnées. Je comprends tout à fait ce que vous voulez dire.

Les gens se méfient d'un système parallèle. Il faut toutefois reconnaître que notre système de prestation de soins de santé est très privé. Plus de 70 p. 100 de nos services sont dispensés par le privé. Mais le système reste principalement financé par les fonds publics, à hauteur de 70 p. 100.

Si vous voulez parler des possibilités de faire appel au secteur privé pour dispenser des services, je pense qu'il y en a beaucoup, et nous devrions faire participer les Canadiens à ce débat.

Si vous parlez d'un système à deux vitesses, où vous pouvez faire directement payer les gens pour les services que vous leur dispensez, par exemple le remplacement d'un genou dans un hôpital privé, et que les patients ont les moyens de payer, de leur propre poche ou par leur assurance, le problème qui se pose est que nous n'avons qu'un bassin limité de professionnels de la santé. Dans les autres pays où le système mixte fonctionne, il y a un surplus d'infirmières et de médecins.

De prime abord, je vous dirai qu'un système parallèle ne me pose aucun problème du moment qu'il ne nuit pas au système public. On observe toutefois que, chaque fois qu'un système parallèle a été instauré, le système public en a souffert sur le plan financier. Quand vous déplacez des patients du système public vers un système privé, cela se fait au détriment du système public et de ceux qui n'ont pas les moyens de payer. C'est un problème.

Le sénateur Neufeld : C'est en effet un problème que les politiciens ne pourront pas régler tout seuls. Nous avons besoin de l'aide d'organisations comme la vôtre pour amorcer la discussion. Quand on est politicien et qu'on commence à parler des changements à apporter au système de santé, ça devient vite une patate chaude, et on voudrait disparaître dans un trou de souris. C'est pour cela qu'on a besoin d'organisations comme la vôtre pour en parler.

J'habite dans le Nord de la Colombie-Britannique, et à une certaine époque, le gouvernement provincial avait essayé d'attribuer des numéros de facturation au prorata de la population, afin d'attirer des médecins dans les régions mal desservies. Les médecins ont porté la cause devant le tribunal des droits de la personne, et ils ont gagné. Nous avons beaucoup de médecins en Colombie-Britannique, mais la plupart d'entre eux habitent à Vancouver. Ils attirent une grosse clientèle, et ils peuvent donc facturer leurs services.

Dans les régions rurales, les médecins ne suffisent pas à la tâche; ils sont débordés et ils finissent par renoncer. Nous avons de la chance de pouvoir faire venir des médecins de l'étranger, notamment d'Afrique du Sud, qui acceptent d'aller exercer dans les zones rurales.

Expliquez-moi comment vous comptez pouvoir servir tous les Canadiens, partout au Canada et pas seulement dans les grandes villes. Je vous ai parlé de la Colombie-Britannique, mais ce n'est qu'un exemple.

Dr Turnbull : Compte tenu de l'immensité du Canada, c'est vraiment un problème d'essayer de desservir les régions rurales. Je voudrais aussi faire remarquer qu'il y a des gens au centre-ville d'Ottawa et de Vancouver qui ne sont pas bien servis non plus.

Le sénateur Neufeld : Mais ça ne se compare pas avec le Nord.

Dr Turnbull : En effet. Ici, ceux qui ne sont pas bien servis sont les sans-abri, qui sont en fait très mal servis.

Il y a plusieurs choses auxquelles on peut penser. Par exemple, il y a des façons très efficaces de former des médecins, et la Colombie-Britannique en a fait l'expérience. On sélectionne des médecins du Nord et on les forme dans le Nord pour qu'ils puissent exercer dans le Nord. C'est la solution magique. Les écoles qui ont adopté cette méthode ont obtenu de bons résultats.

Le sénateur Neufeld : C'est ce que nous avons fait en Colombie-Britannique, et ça marche, mais je me demandais si vous aviez une autre solution magique.

Dr Turnbull : Il y a d'autres éléments à prendre en compte.

Le sénateur Neufeld : Mais ça prend du temps, c'est vrai.

Dr Turnbull : Ça prend beaucoup de temps. Il faut former ces gens-là. Vous avez tout à fait raison. J'ai des doutes quand on me dit qu'on va envoyer nos nouveaux diplômés dans les régions rurales, surtout maintenant avec l'accord sur le commerce international qui leur permet de se déplacer et d'exercer leur profession pratiquement là où ils veulent. On peut en effet se demander s'ils ne vont pas en profiter pour quitter une région rurale et aller s'installer dans une zone urbaine d'une autre province; c'est un problème que nous aurons à affronter dans les années qui viennent.

Troisièmement, il y a toutes sortes de façons d'envisager de nouveaux modèles de prestation des soins de santé dans un contexte rural. On pourrait avoir des polycliniques autour de petits hôpitaux ruraux; un excellent système d'aiguillage des patients; une clinique de premiers soins offrant d'excellents soins d'urgence, avec des systèmes de navettes. Ce que je veux dire, c'est que des modèles, il y en a; ce sont les ressources qui sont plus rares, car dans les centres ruraux, il faut souvent optimiser au maximum les compétences du médecin ou de l'infirmière. Ça pourrait nous donner le temps de renforcer nos effectifs par la formation et l'immigration.

Le sénateur Neufeld : Vous avez également parlé de ceux qui attendent, dans les hôpitaux, une place dans un établissement de soins de longue durée. Je me suis justement renseigné là-dessus auprès d'hôpitaux que je connais, et on m'a souvent dit que ces gens-là étaient à l'hôpital sur l'ordre du médecin. Ils n'étaient donc pas simplement en attente d'une place dans un établissement de soins de longue durée. Certes, ça doit quand même être le cas de certains, mais j'ai l'impression qu'on exagère un peu ce problème, car, si un médecin décrète qu'une personne âgée doit rester à l'hôpital, c'est là que la personne doit être. Je ne dis pas que l'autre explication n'est jamais valable, je dis simplement ce que j'ai constaté dans les hôpitaux auxquels je me suis adressé.

Vous avez parlé de coûts d'investissements ponctuels, et vous avez dit qu'il est nécessaire d'entamer un dialogue avec les Canadiens, que nous devons changer le système, et qu'il y aura peut-être des coûts ponctuels. Pouvez-vous me dire, en quelques mots, ce que seront ces coûts ponctuels?

Dr Turnbull : Ce sont d'excellentes questions, et je vais y répondre.

En ce qui concerne les patients qui sont hospitalisés en attendant une place dans un établissement de soins de longue durée, je suis médecin interniste général et je suis donc appelé à m'occuper d'un grand nombre de patients de cette catégorie. Il est vrai qu'ils sont là parce que nous estimons qu'ils sont incapables de se soigner tout seuls chez eux ou avec l'aide de quelqu'un. Nous disons donc en effet que ces personnes sont incapables de rentrer chez elles, et nous en prenons la décision avec elles, si elles sont lucides, ou sinon avec leur famille.

Dès que les soins actifs sont terminés, ces patients sont désignés ASL, en attente de soins de longue durée. Lorsqu'un patient reçoit cette désignation, cela signifie que le médecin a décidé qu'il peut quitter l'hôpital s'il y a une place ailleurs dans la communauté. Autrement dit, le médecin estime que le patient pourrait rentrer chez lui, mais que cela est impossible faute de ressources suffisantes. Le chiffre que je vous ai indiqué tout à l'heure correspond au nombre d'ASL que nous avons à l'hôpital, c'est-à-dire le nombre de patients qui pourraient quitter l'hôpital s'il y avait une place ailleurs pour eux. Par contre, le médecin dit bien au départ, à la famille et au patient lui-même, qu'étant donné les circonstances, il ne peut pas rentrer chez lui puisqu'il ne peut pas se soigner tout seul.

En ce qui concerne les coûts ponctuels, il y a plusieurs solutions auxquelles on pourrait penser. La première qui vient l'esprit est de continuer à investir dans les dossiers médicaux électroniques. C'est un coût ponctuel. Avec un système d'information sur la santé qui permettra aux médecins de dispenser de meilleurs soins, on se rendra compte que ce sont à la fois la sécurité et la qualité des soins qui sont améliorées. Quand on se donne pour objectif la sécurité et la qualité, on économise toujours de l'argent. Cet investissement ponctuel est un bon exemple.

Un investissement ponctuel dans les infrastructures de TI nous permettrait de garantir l'optimisation de nos systèmes et nous permettrait aussi de les manipuler beaucoup plus rapidement.

Un autre investissement ponctuel pourrait être une plus grande diffusion des pratiques cliniques, ce qui permettrait à des médecins comme moi de dire : « la meilleure pratique clinique consiste à faire ceci ou cela. Si vous voulez faire autre chose, cela vous regarde, mais la meilleure pratique clinique est celle-ci. » La rentabilité de la meilleure pratique clinique aura par ailleurs été démontrée. Cela nous permettra de dispenser des soins de meilleure qualité, peut-être même en utilisant moins de médicaments coûteux, par exemple.

Vous êtes en train de vous dire, et je le comprends tout à fait, que nous vous demandons un investissement ponctuel maintenant, mais que ça va se transformer en investissement récurrent, et qu'en moins de deux, le budget des soins de santé aura encore augmenté d'un milliard de dollars.

Le sénateur Runciman : Tout cela est extrêmement intéressant. Vous parlez d'investissement ponctuel et, croyez-moi, je vis en Ontario, et cyberSanté Ontario, on ne peut pas dire que ce soit un investissement ponctuel, à en juger par ce qui se passe dans la province. Je sais que le gouvernement fédéral a versé une subvention pour cela. Pouvez-vous nous dire, en quelques mots, si, à votre avis, cyberSanté va avoir un impact financier important, compte tenu des défis que nous allons devoir relever?

Dr Turnbull : Autrement dit, vous voulez savoir si, en investissant dans cyberSanté, on peut faire des économies? Il y a plusieurs façons d'en faire. On pourrait l'appliquer aux ordonnances pharmaceutiques. Celles-ci pourraient être entrées dans le dossier médical électronique, si bien qu'il contiendrait la totalité des ordonnances prescrites et qu'il n'y aurait plus de risques de double prescription ou de recours à deux médecins, car nous saurions automatiquement si le patient est allé dans une autre province pour avoir les mêmes médicaments. De plus, si le patient est hospitalisé par la suite, je pourrais savoir immédiatement quels médicaments il prend. Le dossier médical électronique permet également de s'assurer que les pratiques cliniques sont bien observées, comme je l'indiquais tout à l'heure. Par exemple, si un patient a une pneumonie, je pourrais savoir immédiatement, en inscrivant l'information dans le dossier électronique, quel est le médicament le plus approprié et le plus rentable. Je pourrais également y vérifier les risques d'interaction médicamenteuse, afin de ne pas prescrire au patient des médicaments incompatibles.

Le dossier médical électronique est donc un outil commode et rentable, et il permet assurément de dispenser des soins de meilleure qualité.

Le sénateur Runciman : Vous avez parlé d'un rapport qui a été publié il y a quelques jours par l'Institut canadien d'information sur la santé. On peut y lire, entre autres, que, pour la quatrième année consécutive, la hausse des coûts de la santé est attribuable aux médecins. D'après le rapport, l'augmentation des dépenses relatives aux médecins a dépassé l'augmentation des dépenses relatives aux hôpitaux et aux médicaments d'ordonnance, et elle devrait encore progresser de 6,9 p. 100 cette année.

En Ontario, nous avons eu un projet de loi sur le champ d'activité, en médecine. Les médecins s'y sont toujours opposés. Les infirmières praticiennes, par exemple, vous diront qu'elles se heurtent toujours à une résistance indue de la part des médecins en ce qui concerne leur champ d'activité. Qu'avez-vous à dire à cela?

Dr Turnbull : Il y a deux choses. La première est l'augmentation des coûts liés aux médecins, qui est due en partie, je reconnais que ce n'est qu'en partie, à l'augmentation du nombre de médecins en activité. Les médecins étant plus nombreux, plus ils dispensent de services, plus les coûts augmentent.

Les coûts liés aux médecins augmentent en partie à cause de l'augmentation du nombre de médecins. Et je suppose que les dépenses liées aux services dispensés par les médecins vont continuer d'augmenter avec le nombre de médecins. C'est ce que nous voulons. Nous voulons que les médecins dispensent davantage de services. C'est la raison pour laquelle nous avons augmenté le nombre d'inscriptions dans les facultés de médecine de plus de 20 p. 100, voire 30 p. 100.

La question du champ d'activité est un autre sujet délicat et vexatoire. Cela crée parfois des divisions entre les professionnels de la santé, et c'est regrettable, car on devrait tous travailler ensemble. De plus en plus, comme je l'ai dit tout à l'heure, les gens travaillent en équipes. Les médecins se font peu à peu à l'idée — ça va prendre un certain temps — qu'ils doivent travailler au sein d'une équipe multidisciplinaire, avec d'autres professionnels de la santé, et que c'est une façon efficace de faire les choses. De plus en plus, en tout cas en Ontario, les médecins travaillent avec des équipes de ce genre, et il faut simplement reconnaître que c'est une bonne façon d'exercer son métier.

Le sénateur Runciman : Je pense à vos cinq piliers de la transformation des soins de santé. Il y a peut-être quelque chose qui m'échappe, ou c'est peut-être parce que vous ne pensez pas que cela cadre avec votre plan, mais lorsqu'on discute de la façon de maîtriser le coût des soins de santé au Canada, les gouvernements, quelle que soit leur allégeance politique, mentionnent toujours la prévention. Or, nulle part il n'est question de prévention dans vos cinq piliers. Vous ne pensez pas que ça cadre avec votre plan? Vous parlez essentiellement de soins axés sur le patient et dispensés dans des délais raisonnables, mais il me semble qu'aider les gens à ne pas avoir besoin de vos services est une bonne façon de réduire les coûts.

Dr Turnbull : Vous avez raison, et je sais que le gouvernement fédéral a pris des initiatives importantes dans le domaine de la promotion de la santé et de la prévention de la maladie. L'Association médicale canadienne est tout à fait pour. Dans notre document, nous soulignons l'importance que représentent une gamme complète de soins et un continuum de services de soins de santé. Même si nous ne mettons en évidence que les soins de longue durée et les médicaments, car c'est là que ça coince le plus, il faut bien évidemment que nous nous intéressions à des stratégies de promotion de la santé, tout en sachant qu'il faudra attendre un certain temps avant que la lutte contre l'obésité ne se traduise par une diminution du nombre de cas de diabète. Il est bien sûr très important d'agir aussi à ce niveau-là, mais nous avons mis en évidence les principaux problèmes auxquels nous sommes confrontés et auxquels nous devons trouver une solution.

La promotion de la santé est une composante très importante, car elle fait partie du système global dont nous avons parlé.

Le sénateur Runciman : Vous avez mentionné plusieurs options de financement. Prenons l'exemple de la franchise. Dans le cas du Programme de médicaments de l'Ontario, chacun paie une franchise de 100 $.

Vous ne prenez pas position sur ce genre de questions; vous vous contentez simplement de dire que c'est une option que le gouvernement pourrait envisager.

Dr Turnbull : Pour le moment, nous préférons réfléchir aux différentes options possibles, avant d'aller demander aux Canadiens ce qu'ils en pensent. Dans une prochaine étape, nous nous emploierons à définir les principes que nous jugeons importants et les services que nous voulons avoir, et, en fonction de cela, nous pourrons déterminer les avantages et les inconvénients de chacune des différentes options.

Le sénateur Runciman : Dans le contexte de l'exemple de la franchise, que je viens de mentionner, j'aimerais revenir sur la question de l'encombrement des salles d'urgence. On est tous au courant des drames épouvantables qui s'y déroulent depuis des années.

J'ai des amis qui se rendent aux urgences à tout bout de champ, pour un rien. Est-il fréquent que les gens se rendent aux urgences alors que leur état ne le justifie pas? J'aimerais savoir ce que vous pensez, personnellement, peu importe l'avis de votre association, de l'imposition d'une franchise? Cela désengorgerait-il les urgences?

Dr Turnbull : Votre question comporte deux volets. D'une part, pouvons-nous imposer un ticket modérateur ou une franchise pour les soins de santé, afin d'empêcher les gens de se rendre aux urgences, et d'autre part, les revenus que nous allons en tirer vont-ils nous permettre de financer un système de santé à bout de souffle?

Je vous dirai d'emblée que l'AMC n'est pas en faveur du ticket modérateur, et ce, pour deux raisons. Nous pensons qu'il faut trouver des solutions novatrices et nous sommes prêts à revoir notre position, mais nous estimons que le ticket modérateur dissuade les gens d'utiliser les services d'urgence. Or, il est prouvé que le ticket modérateur dissuade aussi bien ceux qui ont besoin des services d'urgence que ceux qui n'en ont pas besoin. Par conséquent, cela a un effet dissuasif sur ceux qui sont les plus vulnérables, sur ceux qui sont les plus malades, et nous savons que ce sont souvent ces gens-là qui ont le moins de ressources. Bref, l'imposition d'un ticket modérateur empêcherait ces gens-là d'utiliser des services essentiels.

Deuxièmement, l'administration d'un système de franchise est souvent un processus bureaucratique compliqué, et les revenus qu'il génère sont souvent inférieurs à ses coûts de fonctionnement. À mon avis, il y a des façons plus efficaces d'aller chercher de l'argent.

Le sénateur Runciman : Je voyais ça plutôt comme un portillon.

Dr Turnbull : Oui.

Le sénateur Runciman : C'est plutôt à ça que je pensais.

Le sénateur Callbeck : Je vous remercie de comparaître devant notre comité ce soir. Il est indéniable que le système de soins de santé représente un énorme défi.

L'un de vos cinq piliers concerne les incitatifs à offrir pour améliorer l'accessibilité et la qualité des soins, et c'est un objectif que nous partageons avec les systèmes de santé européens. Vous avez parlé du financement global des hôpitaux, qu'il faudrait remplacer par un financement par activité. Quels autres incitatifs les Européens utilisent-ils?

Dr Turnbull : Je vais demander à M. Adams de vous répondre.

M. Adams : En tout cas, c'en est un en Europe. Le Dr Turnbull a parlé de la rémunération au rendement, que la Grande-Bretagne a instaurée dans les années 1990 pour encourager les tests de dépistage. C'est toujours en place.

Ils utilisent aussi des contre-incitatifs, dans certains cas. Par exemple, si les gens restent à l'hôpital trop longtemps, alors qu'ils pourraient avoir accès à un autre service de soins, le comté doit verser une sorte de dédommagement.

Mais d'après ce qu'ils nous ont dit, le financement par activité est un incitatif puissant.

Le sénateur Callbeck : Cela peut-il fonctionner dans un hôpital de 150 ou de 250 lits?

M. Adams : Je vais laisser le Dr Turnbull vous répondre.

Dr Turnbull : Nous ne sommes pas en faveur d'un financement par activité exclusif. Nous préférons un système hybride où le financement global couvrirait 60 p. 100 du budget, et le financement par activité, 40 p. 100, car les petits hôpitaux ont besoin d'infrastructures et, partant, d'une source de financement garantie. Les 40 p. 100 restants seraient un incitatif, pour eux, à dispenser les soins en fonction de certaines activités.

Je ne sais pas si ça se passe dans la circonscription du sénateur Runciman, mais je peux vous dire qu'actuellement, alors que notre hôpital fonctionne à 115 p. 100 de sa capacité, il y a deux petits hôpitaux ruraux à moins de 25 minutes de voiture qui sont occupés en moyenne à 80 p. 100 de leur capacité, et qui ont une salle d'urgence parfaitement équipée, où ils reçoivent en moyenne 2,1 patients entre 8 heures du soir et 8 heures du matin.

Je pense qu'il serait souhaitable de les encourager à faire preuve d'imagination pour attirer davantage de patients afin d'augmenter leurs revenus. Dans le système actuel, cette situation ne les pénalise pas du tout. Il faudrait donc que le système soit davantage axé sur les résultats.

Le sénateur Callbeck : Pensez-vous que la formule 60-40 fonctionnerait pour les petits hôpitaux?

Dr Turnbull : Oui. Il ne faudrait pas passer à 100 p. 100, car ils ne s'en sortiraient pas.

Le sénateur Callbeck : J'aimerais maintenant parler de la couverture des médicaments onéreux. En 2006, si je me souviens bien, le gouvernement fédéral a versé de l'argent aux provinces pour qu'elles fassent quelque chose à ce sujet. Je sais qu'il y a eu des rencontres, des discussions, et puis plus rien. Où en est-on?

M. Adams : Un rapport d'étape a été publié en 2006, qui énonce les neuf grands objectifs de la Stratégie nationale relative aux produits pharmaceutiques. J'ignore ce qui s'est passé depuis, car on n'en a plus entendu parler, mais je sais que les projections de coûts étaient élevées. Le sénateur Kirby avait recommandé une somme d'environ 1 milliard de dollars, et tout le monde était à peu près d'accord avec ça. Les projections du rapport de 2006 étaient élevées.

La dernière fois qu'on en a entendu parler, c'était en 2008, lorsque les ministres de la Santé provinciaux et territoriaux ont annoncé que la couverture des médicaments onéreux coûterait grosso modo 5 milliards de dollars, et qu'il faudrait que ce soit partagé également entre les gouvernements provinciaux et le gouvernement fédéral. C'était donc ce qu'ils avaient calculé, mais, depuis, on n'en a plus entendu parler. On peut penser que les provinces y ont renoncé, étant donné qu'elles ont discuté, à leur dernière réunion, d'un système d'achat en vrac des médicaments. Quant au fédéral, il n'en a guère été question. Je ne peux malheureusement pas vous en dire plus.

Le sénateur Callbeck : J'ai lu le communiqué de presse sur l'achat en vrac de médicaments, et en 2006, ça paraissait très prometteur. Aujourd'hui, on n'en parle plus.

Dr Turnbull : La couverture des médicaments onéreux pourrait permettre de faire des économies, car certains malades hospitalisés ne peuvent pas payer leurs médicaments, comme REMICADE qui coûte 20 000 $ par an. Les gens n'ont pas les moyens. On les hospitalise à raison de 1 000 $ par jour simplement pour leur administrer des médicaments. Ça ne tient pas debout.

Le sénateur Dickson : Je vous remercie de nous avoir présenté un exposé très intéressant. Lorsque j'ai été nommé au Sénat, on m'a demandé quel serait mon cheval de bataille, et j'ai répondu les soins de santé. Je commence à comprendre que j'ai parlé trop vite.

Aujourd'hui, je repense à ce que disait le rapport Kirby-Lebreton, qu'il fallait faire une chose à la fois. Dans le contexte de l'exposé que vous avez fait, quelle serait la première chose à faire à votre avis?

Dr Turnbull : C'est une excellente question. À quoi devrait-on s'attaquer en premier? Nous avons déjà entamé un processus qui va nous conduire à un dialogue, dont je parlais tout à l'heure.

Mais s'il y a une chose vraiment prioritaire, à mon avis — mes collègues ne seront pas forcément d'accord avec moi; je ne leur en ai pas parlé avant —, c'est l'accessibilité des services et les soins de longue durée. Je sais, ça en fait deux, mais en réalité, ça n'en fait qu'une, car on réglera beaucoup de problèmes d'accès en garantissant une gamme complète de soins.

Le sénateur Dickson : Dans le discours que vous avez prononcé lorsque vous avez été installé dans vos fonctions, vous avez dit que, si nous voulons assumer pleinement nos responsabilités, nous devons appuyer les principes qui sous- tendent la Loi canadienne sur la santé, et je les appuie entièrement. Vous avez ajouté que vous recommanderiez peut- être de les renforcer, afin de garantir un système de santé viable. Je me souviens que le Dr Keon avait mentionné, au cours de discussions au Sénat, l'absence d'un tel système.

À votre avis, que faudrait-il faire pour garantir un système de santé viable? Je sais qu'il est impossible de répondre en quelques mots, mais par quoi devrions-nous commencer? À mon avis, le système actuel n'est pas viable. Vous avez dit tout à l'heure qu'il y avait beaucoup de silos. Comment supprimer tous ces silos pour n'avoir qu'un seul système?

Dr Turnbull : Vous avez tout à fait raison. J'ai déjà parlé d'un système viable, je n'y reviendrai donc pas.

Pour supprimer tous ces silos, il faut commencer par voir le système comme un tout intégré, et le voir du point de vue du patient. De cette façon, on se rend compte qu'il va falloir faire des changements importants à la façon dont nous dispensons, dont nous organisons et dont nous finançons les services.

Il va falloir aussi déterminer où les services de santé mentale, les services de cancérologie, les services de cardiologie se situent dans l'ensemble du parcours de soins. Il va falloir mettre l'accent sur le point de vue du patient, plutôt que de le faire passer tout d'un coup des soins actifs aux soins chroniques, avec toutes les difficultés que comporte ce transfert, d'une province à l'autre.

Comment y parvenir? Avec l'aide de tous ceux qui sont ici dans cette salle. C'est faisable, et je suis sûr que nous pouvons mettre en place un système intégré. Je suis 100 p. 100 d'accord avec vous : nous n'avons pas de système intégré. Nous avons toute une série de silos, les uns à côté des autres. On a pourtant des exemples intéressants de services régionalisés qui marchent très bien, comme dans ma région, où les services de cancérologie et de cardiologie, par exemple, sont des modèles d'organisation qu'on devrait reproduire ailleurs.

Le sénateur Dickson : Vous avez tout à fait raison d'essayer de mobiliser le maximum de personnes. Puisque c'est vous qui avez entamé le débat, pensez-vous que d'autres partenaires pourraient se joindre à la discussion, comme le Conseil canadien de la santé?

Dr Turnbull : Oui. Nous avons déjà commencé à tendre la main à d'autres partenaires : des établissements, d'autres professionnels de la santé, et la population. Il est très important de se rallier l'appui de la population, des groupes de défense des patients et des groupes de consommateurs. Comme je l'ai dit tout à l'heure, les médecins ne peuvent pas y parvenir tout seuls.

Le sénateur Dickson : Une dernière question, et ce n'est pas la moindre : comment pouvons-nous vous aider?

Dr Turnbull : C'est merveilleux. Vous pouvez nous aider en participant à la discussion. Beaucoup d'opinions différentes ont été exprimées ce soir, et elles sont toutes légitimes. Il faut aller au-delà du discours et voir la réalité en face. Avec des groupes comme le vôtre, je pense que nous atteindrons nos objectifs. Je le pense sincèrement.

Le sénateur Dawson : Je ne suis pas d'accord avec le sénateur Callbeck; le projet pilote ne doit pas être confié à une province. Étant donné que nous représentons le Sénat fédéral et que nous sommes responsables des dossiers fédéraux, c'est à nous de donner l'exemple en matière de santé, d'autant plus que le gouvernement fédéral a la responsabilité, dans ce domaine, des Inuits, de la GRC et d'autres groupes.

Si le gouvernement fédéral réussissait à mener à bien un projet pilote, nous pourrions inviter les provinces à nous emboîter le pas. Par contre, si nous ne sommes pas capables d'assumer nos responsabilités à notre niveau, on ne peut donner de leçons à personne.

Il y a un énorme enjeu fédéral-provincial dont nous n'avons pas parlé, et c'est celui de la responsabilité des provinces en matière de prestation des services. Vos membres ne travaillent pas dans un contexte fédéral, mais dans un contexte provincial. Ils sont membres de votre association fédérale, mais ils travaillent dans un contexte provincial.

La technologie numérique, ça existe. Grâce à elle, on pourrait gérer la prescription des médicaments, et notre dossier médical électronique pourrait être téléchargé sur une clé USB. Mais nous ne pouvons pas le faire parce que nous n'en avons pas la responsabilité; elle appartient aux provinces.

Le gouvernement fédéral essaie de donner des leçons depuis des années. Mais il pourrait fort bien donner l'exemple à son niveau, avec les clients dont il est responsable, afin de démontrer que tout cela peut se faire de façon plus efficace. S'il faisait cela, il serait plus crédible quand il donne des leçons aux provinces.

Vos membres ont aussi une affiliation au niveau provincial. Je suis tout à fait pour que le gouvernement fédéral intervienne davantage dans le secteur de la santé, au niveau provincial, mais vous, comment faites-vous avec vos membres sur ce plan-là?

Deuxièmement, la technologie existe, et beaucoup de pays l'utilisent, notamment l'Estonie, qui n'est ni un grand pays, ni un pays moderne. Alors, pourquoi ne l'utilisons-nous pas?

Dr Turnbull : Ce sont deux excellentes observations. Pour ce qui est de nos membres et de leurs affiliations provinciales, nous sommes comme le gouvernement fédéral, en ce sens que nous sommes une organisation nationale, avec des affiliés provinciaux. Nous travaillons main dans la main avec nos affiliés provinciaux. Quand nous avons besoin d'étendre notre action, nous le faisons avec les associations médicales provinciales. Pour ce qui est du projet que je vous ai présenté, nous allons le faire en collaboration avec nos collègues provinciaux.

Nous croyons aussi à un modèle cogéré par le fédéral, les provinces et les territoires. Nous avons les mêmes problèmes que vous.

Quand vous dites que le gouvernement fédéral pourrait donner l'exemple, je pense qu'en effet il pourrait mettre en place un système de santé pour les Autochtones et ensuite le proposer comme modèle aux autres ordres de gouvernement. Ce serait fantastique.

Abordons la question des technologies numériques. Il est vrai que nous avons pris énormément de retard par rapport à bien d'autres pays qui, pourtant, ont un PIB nettement inférieur au nôtre. Ce n'est pas parce que la technologie n'existe pas. Mon vétérinaire et mon dentiste ont des dossiers médicaux électroniques bien plus sophistiqués que ceux de mon médecin. À notre époque, c'est quasiment embarrassant de voir des médecins rédiger à la main leurs rapports sur les patients.

Je ne pense pas que les médecins sont réticents face aux nouvelles technologies, même s'il y a un peu de ça. Nous essayons de les aider du mieux que nous pouvons. À l'heure actuelle, le tiers des médecins utilisent des dossiers médicaux électroniques, alors qu'ils devraient tous le faire. Nous avons adopté un plan de cinq ans pour faire en sorte que 100 p. 100 des médecins utilisent des dossiers médicaux électroniques. L'obstacle est surtout d'ordre culturel, mais il faut le surmonter. Nous allons devoir redoubler d'efforts auprès des plus réticents, mais nous pouvons au moins compter sur un certain nombre de médecins qui ont déjà adopté cette technologie.

Vous avez raison : si l'Estonie le fait, pourquoi pas le Canada? C'en est embarrassant.

Le sénateur Gerstein : Dans la première question qu'elle vous a posée, le sénateur Eaton a fait remarquer que, en tant que médecin-chef de votre hôpital, vous étiez mieux placé que le ministère pour connaître vos besoins. Vous avez reconnu que c'était vrai, et vous avez ajouté que les budgets vous étaient donnés avec des conditions.

Dr Turnbull : C'est vrai.

Le sénateur Gerstein : Dans votre déclaration liminaire, vous avez dit que les transferts fédéraux aux provinces ne sont assortis d'aucune condition. Je suppose que, si le gouvernement fédéral accorde un paiement de transfert pour que les temps d'attente ne dépassent pas un maximum, pour couvrir des médicaments onéreux ou pour financer des soins à domicile, ces fonds sont versés en espèces et sont déposés dans le compte bancaire de la province, et qu'à partir de là, la province peut s'en servir pour financer les services prévus ou bien pour financer l'éducation ou les travaux de la voirie.

Vous avez parlé d'efficacité, d'optimisation des ressources et de rentabilité. Étant donné que les services dont j'ai parlé sont de compétence provinciale, comment devrions-nous nous y prendre? Votre exposé était excellent, mais est-ce que vous diriez la même chose aux provinces? C'est à elles qu'il appartient de décider. Comme l'a dit le sénateur Ringuette, une fois que le gouvernement fédéral a transféré les fonds, il n'existe aucun mécanisme qui permette de vérifier qu'ils ont servi à financer les services prévus.

Je n'ai pas très bien compris ce que vous avez dit à ce sujet.

Dr Turnbull : Nous estimons que les transferts en espèces que consentira le gouvernement fédéral en 2014 devraient faire l'objet de rapports détaillés quant aux objectifs réellement visés et aux résultats obtenus.

Je sais que ce n'est pas facile, mais vous avez déjà commencé à le faire au niveau fédéral. En effet, le gouvernement fédéral a annoncé qu'il était prêt à verser 600 millions de dollars pour réduire les temps d'attente à condition que les provinces lui soumettent un plan et des rapports. Vous avez donc fixé des objectifs et des mécanismes de reddition de comptes pour vous assurer que votre investissement allait porter ses fruits. Les provinces étaient libres de ne pas répondre, mais elles en ont toutes fait la demande.

Le sénateur Gerstein : Malheureusement, nous n'avons aucune garantie sur la façon dont cet argent a été dépensé.

Dr Turnbull : La plupart d'entre elles ont soumis des rapports, mais pas toutes, c'est vrai.

Le sénateur Gerstein : Pourriez-vous nous expliquer en quoi votre association nationale, l'Association médicale canadienne, a un rôle différent de celui de ses homologues provinciaux?

Dr Turnbull : Nous comptons justement entamer ce débat avec nos homologues provinciaux.

Ils ont des dossiers qui sont propres à leur province, ce que nous respectons. Mais en même temps, un grand nombre des problèmes de compétences auxquels nous sommes confrontés sont les mêmes dans tout le pays. D'après ce que nous disent nos associations provinciales, le dossier médical électronique, l'établissement d'une politique efficace, les préparatifs à une pandémie et les stratégies de promotion de la santé sont des dossiers qui nous intéressent tous. Dans ce cas, pourquoi cherchons-nous 13 solutions différentes? Ne devrions-nous pas plutôt fédérer nos efforts, l'AMC et les associations provinciales, pour essayer de travailler au niveau national, mais de concert avec nos homologues provinciaux? Nous pensons que nous obtiendrions ainsi de meilleurs résultats.

La même démarche devrait être adoptée pour ce qui est de la cogestion des services de santé dans l'ensemble du Canada.

J'espère avoir répondu à votre question.

Le sénateur Gerstein : J'entends bien ce que vous me dites, mais j'ai toujours du mal à concilier cela avec le fait que la prestation des services de santé est une responsabilité provinciale.

Dr Turnbull : Tout à fait, c'est une responsabilité provinciale.

Le sénateur Gerstein : Tout à fait, donc la question n'est pas de mieux travailler ensemble. C'est leur responsabilité depuis 1867, un point c'est tout.

Dr Turnbull : D'un autre côté, nous estimons que le gouvernement fédéral peut aider les provinces à réformer leur système de santé en leur versant des fonds à l'innovation. La question est de savoir comment nous pouvons contribuer à établir cette norme nationale.

Nous croyons qu'il est important d'avoir une norme nationale, et que, si vous voulez investir dans la santé, vous devriez le faire dans le but d'instaurer une norme pancanadienne. Vous pouvez laisser les provinces décider elles-mêmes comment elles vont respecter cette norme, mais nous sommes convaincus que, pour les Canadiens, le service doit être comparable d'une province à l'autre.

Le président : Toute cette discussion est très intéressante, et elle pourrait manifestement durer encore longtemps. Nous voudrons peut-être la reprendre un de ces jours.

Ce soir, je voudrais, au nom du Comité sénatorial permanent des finances nationales, remercier l'Association médicale canadienne d'avoir comparu devant nous. Docteur Turnbull et monsieur Adams, merci d'avoir suscité une discussion très intéressante sur un sujet extrêmement important, et dont on va reparler encore pendant quelque temps.

Dr Turnbull : Merci beaucoup de nous avoir écoutés.

Le président : Je lève la séance.

(La séance est levée.)


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