Délibérations du comité sénatorial permanent des
Pêches et des océans
Fascicule 7 - Témoignages du 30 novembre 2010
OTTAWA, le mardi 30 novembre 2010
Le Comité sénatorial permanent des pêches et des océans se réunit aujourd'hui à 18 h 22 pour étudier les questions relatives au cadre stratégique actuel et en évolution du gouvernement fédéral pour la gestion des pêches et des océans du Canada (sujet : les phares canadiens).
Le sénateur Dennis Glen Patterson (vice-président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le vice-président : Bonsoir, mesdames et messieurs.
Nous débutons un peu tard ce soir à cause des affaires du Sénat. Je remercie les témoins de nous avoir attendus.
Je signale aux membres du comité qu'on nous a demandé, vu le début tardif aujourd'hui, d'entendre les deux témoins à la suite, et de poser nos questions après les exposés. Les membres du comité sont-ils d'accord?
Des voix : D'accord.
Le vice-président : Nous entendrons d'abord M. Jim Abram, directeur, Discovery Islands-Mainland Inlets du Strathcona Regional District; puis Mme Kaity Arsoniadis-Stein, présidente et secrétaire générale de l'International Ship-Owners Alliance of Canada Inc.
Je souhaite la bienvenue à M. Jim Abram. Il est aussi ancien président de l'Union of BC Municipalities, fondateur et ancien président des gardiens de phare de la Colombie-Britannique et gardien de phare pendant 25 ans dans sa région, maintenant à la retraite. Il est établi à l'île Quadra.
Sénateurs, vous avez reçu une copie de la présentation de M. Abram dans les deux langues officielles. La greffière du comité a aussi reçu des documents à l'appui qui font partie de la présentation de M. Abram, dont des articles de journaux, un rapport publié par Transports Canada en 1988, un rapport publié par le Coastal Community Network en 1997 et trois lettres. Ces documents sont disponibles en anglais. La greffière du comité a apporté des copies des documents et les a placées au devant de la salle pour ceux qui souhaitent obtenir des copies.
Monsieur Abram, vous avez la parole.
Jim Abram, directeur, Discovery Islands-Mainland Inlets, Strathcona Regional District : Monsieur le président, honorables sénateurs et employés, comme on l'a dit, je suis membre du Strathcona Regional District, l'administration locale de la région. Je représente une très longue section accidentée du littoral de la Colombie-Britannique. La région que je représente couvre une superficie de plus d'un million de kilomètres carrés de terre et d'eau, reliant d'innombrables îles et anses.
Je suis ancien président de l'union des municipalités de la Colombie-Britannique et j'ai fait partie de son conseil exécutif pendant 10 ans. L'UBCM représente les 190 administrations locales de la province. Autrement dit, tout le monde est membre de l'UBCM.
J'ai été également gardien de phare de 1978 jusqu'à ma retraite en 2003. Durant cette période, j'ai fondé la section locale 20232 de l'UCET de l'Alliance de la fonction publique du Canada représentant les gardiens de phare de la Colombie-Britannique dont j'ai été le président depuis sa création jusqu'à ma retraite.
À cause de la disparition de services de sécurité essentiels sur cette côte, j'ai dirigé chaque campagne depuis 1985 pour que l'on mette un terme aux programmes de la Garde côtière canadienne visant à automatiser les phares. Le plan de la Garde côtière canadienne était un plan à courte vue. Le public, alors et aujourd'hui, exige et espère des services de phares pourvus en effectifs.
Je suis très fier d'avoir servi mon pays en tant que gardien de phare et j'ai toujours eu le sentiment que la devise de la Garde côtière, « Sécurité d'abord, service constant », était une bannière fort opportune sous laquelle travailler.
J'ai été élu pour la première fois dans une administration locale en 1988 après avoir vaincu le premier plan de la Garde côtière canadienne visant à éliminer les effectifs des phares le long de la côte de la Colombie-Britannique. La collectivité s'est adressée à moi car elle croyait en moi et avait le sentiment que je pouvais régler les principaux enjeux auxquels elle était confrontée à l'époque.
J'ai occupé ces fonctions de représentant élu pendant 22 années d'affilée. Les gens que je représente travaillent, jouent et vivent sur l'eau ou près de l'eau. Cela fait partie de leur existence. Nous comptons environ 30 000 kilomètres de littoral dans la province. Une bonne partie de ce littoral est inhabité ou n'est que partiellement habité, mais la totalité est traversée par les milieux de la marine et de l'aviation, y compris les Premières nations, qui doivent se rendre d'un lieu à un autre. Les voies navigables sont nos autoroutes.
On dénombre 27 phares pourvus en effectifs situés dans des lieux stratégiques le long du littoral, et ce, pour de bonnes raisons. Malheureusement, nous avons perdu un certain nombre de phares au fil des ans en raison des plans peu judicieux de la Garde côtière canadienne. Les phares restants revêtent une très grande importance pour la sécurité du transport maritime et aérien et pour la souveraineté de ce grand pays. Nous ne pouvons pas nous permettre en tant que pays de perdre un phare de plus.
Le réseau de sécurité qu'offrent les phares pourvus en effectifs sera sérieusement compromis s'il y a d'autres fermetures. Ce réseau est un véritable « système ». Il est continu depuis l'Alaska jusqu'à l'État de Washington et on ne peut plus ouvrir de brèche en dépit de la tentative faite par la haute direction de la Garde côtière de vous convaincre du contraire. Celle-ci vous induit en erreur dans ses tentatives et sa caractérisation de l'absence de conséquences. Il y aura des conséquences.
J'aimerais citer le groupe de fonctionnaires qui connaît le mieux les gardiens de phare : les employés des Services de communications et de trafic maritimes; les opérateurs radio de la Garde côtière canadienne. La lettre figure dans les documents que je vous ai remis. Ces fonctionnaires entretiennent des rapports constants avec les gardiens de phare, 24 heures par jour, 7 jours par semaine, et j'ai annexé leur mémoire du 12 novembre 2010 à ma présentation. J'aimerais vous lire une de leurs déclarations.
Les services que fournissent les gardiens de phare au transport maritime et au transport aérien, en dehors d'assurer la garde du phare, sont inestimables. Toute tentative de réduire ces services précieux aboutira à la perte de biens matériels, de navires et de vies humaines.
Ils sont le mieux en mesure de noter l'importance de ces services pour notre côte parce qu'ils s'en occupent.
Ce sentiment a été exprimé continuellement devant le comité sénatorial lors de sa mission d'étude. On le retrouve dans toutes les lettres que vous avez reçues et que je vous présente aujourd'hui. Vous l'entendrez répéter à maintes et maintes reprises. C'est ce que vous disent les usagers des services.
L'autre observation qui a été formulée si souvent devant le comité est comment se fait-il que le gouvernement poursuive cette initiative alors qu'il existe une politique du gouvernement conservateur visant à favoriser la conservation des phares, de leurs effectifs et de leurs aides à la navigation? Personne ne semble comprendre que c'est la bureaucratie de la Garde côtière qui propose maintes et maintes fois cette même initiative. Ce n'est pas le gouvernement.
J'aimerais vous présenter aujourd'hui le Rapport sur le rôle futur des phares (RRFP) de 1987. Ce rapport a été commandé il y a 23 ans après une vaine tentative d'automatiser les phares par la haute direction de la GCC entre 1985 et 1987. L'objet de ce rapport, si nous voulons maintenir des effectifs dans les phares, était de savoir comment en faire le meilleur usage et comment partager le financement de leurs services entre les ministères.
J'ai lu les transcriptions des témoignages d'autres témoins qui ont comparu devant vous à ce sujet et qui confirment qu'ils veulent en parler. On en a parlé et des recommandations ont été faites il y a 23 ans. Ce rapport contenait des recommandations que le ministre a donné l'ordre de mettre en œuvre, et, pourtant, 23 ans plus tard, la GCC continue d'essayer d'automatiser les phares sans avoir jamais donné suite aux recommandations du rapport.
Et les gens de se demander : « Comment un tel phénomène peut-il se produire? » Combien d'autres tentatives la bureaucratie fera-t-elle pour automatiser les phares, ce qui va à l'encontre des politiques publiques et de la demande publique de services de phares pourvus en effectifs? Le public pose cette question aux sénateurs, qui ne peuvent pas y répondre étant donné que les mesures de la GCC défient toute logique.
Le Rapport sur le rôle futur des phares est parfaitement clair. Il faut améliorer les services. Ce rapport a été préparé par des membres de toutes les organisations qui avaient affaires aux phares. Tous les organismes fédéraux et non fédéraux qui avaient quelque chose à voir avec un phare ont participé et fait des recommandations. Nous avons un rapport sur le rôle futur des phares qui a dit il y a 23 ans qu'il fallait améliorer les services.
Les mémoires au comité sénatorial étaient parfaitement limpides : conserver et améliorer les services des gardiens de phare. Il faut élargir les services des gardiens de phare pour mieux protéger et surveiller le milieu côtier et aider d'autres organismes à exécuter leurs programmes. Peu de gens savent que des programmes comme l'échantillonnage de l'eau de mer pour en mesurer la température et la salinité, la collecte de données sismographiques et les systèmes d'alerte aux tsunamis font partie du quotidien des gardiens de phare.
Les gardiens pourraient en faire beaucoup plus, comme en témoignent les études et les recommandations à ce sujet, qui n'ont jamais été suivies d'effets. Ce rapport ne cesse de répéter ce que les gardiens de phare devraient pouvoir faire et qu'il devrait y avoir des protocoles d'entente entre les ministères pour payer les coûts, afin de ne pas se retrouver dans la situation qui a provoqué la crise actuelle, soit un ministère qui trouve que les coûts des phares dotés d'effectifs n'est pas justifié, tandis que d'autres insistent que les services fournis sont importants. Pour que cela ne se reproduise plus, il faut de telles ententes.
Je dois également mentionner la sécurité de notre environnement que l'on doit aux phares pourvus en effectifs de même que la sécurité de notre littoral tandis que les observateurs du littoral contribuent à la souveraineté nationale. Si la tentative d'automatiser les phares de la GCC aboutit, comment s'y prendra-t-elle pour remplacer les yeux qui ont été les premiers à repérer le déversement d'hydrocarbures du Nestucca, évitant ainsi de causer de plus gros dégâts à l'environnement que ce n'a été le cas? Comment s'y prendra-t-elle pour remplacer les yeux qui ont remarqué les activités suspectes d'un bateau qui se sont soldées par la plus importante saisie de stupéfiants au Canada? Comment remplacerez-vous les yeux qui ont repéré les premiers navires de charge qui introduisaient des cargaisons humaines en contrebande au Canada?
Ces phares se trouvent à des endroits stratégiques. Ils sont des points d'entrée au pays. Ils peuvent tous surveiller et voir les navires qui viennent dans leur région, et tout mouvement suspect est signalé à la radio de la Garde côtière, à la GRC et au ministère de la Défense nationale. Tous ces organismes travaillent avec les gardiens de phare.
Je vous présente également le rapport intitulé Nos vies, nos gardiens de phare, rapport spécial publié en septembre 1997 par le Coastal Community Network, que Pat Carney a contribué à fonder. J'ai inséré le résumé analytique et les conclusions et les recommandations dans vos dossiers. J'aimerais citer une remarque tirée de la préface qui se lit comme suit :
Aucune autre politique du gouvernement fédéral n'a suscité une opposition aussi généralisée et farouche que la politique visant à automatiser les phares de la Colombie-Britannique. Toutes les localités côtières s'accordent à penser que cette politique est malavisée et que les économies financières minuscules finiront à long terme par coûter des vies humaines.
En conclusion, j'aimerais signaler à votre attention certaines lettres que j'ai reçues de la part des usagers des services fournis par les gardiens de phare : depuis la plus grande entreprise de remorqueurs et chalands entre le Mexique et l'Alaska, la Seaspan Corporation, jusqu'aux scientifiques de la station biologique du MPO qui recueillent des données auprès des phares sur la température et la salinité de l'eau de mer, que j'ai déjà évoquée, jusqu'aux administrations municipales qui représentent toute la région portuaire de Vancouver, soit une région qui compte plus de 2,2 millions d'habitants. Ils appuient tous, à l'unanimité et par écrit, le maintien des gardiens dans les phares.
Je suis sûr que vous serez frappés par la diversité des groupes qui ont profité de cette occasion de faire part de leurs réflexions au Sénat pour vous permettre de prendre une décision judicieuse au sujet de l'automatisation des phares. Je suis sûr que votre décision reflétera fidèlement les besoins des habitants du Canada.
J'espère sincèrement que vous classerez ce dossier une bonne fois pour toutes. Les services des gardiens de phare ne sauraient être remplacés par un autre moyen. C'est la méthode la plus rentable, la plus efficace et la plus fiable de prestation de ces services et de bien d'autres encore. Nous n'avons pas besoin d'examiner le dossier à nouveau. C'est la quatrième fois qu'il est étudié, toujours avec la même réaction et avec une certaine érosion du service. Nous ne pouvons pas nous permettre cela.
Le titre de mon exposé, « Sécurité d'abord, service constant », traduit la fierté que j'éprouve à avoir servi mon pays comme gardien de phare de la Garde côtière pendant 25 ans. En dépit de toutes les difficultés auxquelles nous nous sommes heurtés au fil des ans et que vous devrez résoudre, en votre qualité de sénateurs, au sujet de l'automatisation des phares, je pense que nous visons tous le même objectif qui est de servir notre pays. En maintenant les gardiens dans nos phares, nous pourrons tenir notre engagement à l'égard de la sécurité publique et du public que nous servons.
Merci de votre temps et de vos efforts au sujet de ce dossier. Je sais qu'il a été très difficile pour vous. Vous vous êtes beaucoup déplacés, vous avez consacré beaucoup de votre temps et vous avez entendu de nombreuses critiques, mais vous avez fait un travail formidable. Je l'apprécie. Je répondrai à toutes les questions que vous pourrez me poser et j'espère sincèrement que certaines de vos questions porteront sur les exposés déjà présentés par des ministères et par NAV CANADA parce qu'on vous a donné des renseignements très trompeurs, qu'il faut rectifier. Je dois le dire. Je suis désolé.
Le vice-président : Merci, monsieur Abram. Je suis certain qu'il y a des questions, mais tel que convenu, nous entendrons maintenant Mme Kaity Arsoniadis-Stein, présidente et secrétaire générale de l'International Ship-Owners Alliance of Canada Inc.
[Français]
Kaity Arsoniadis-Stein, présidente et secrétaire générale, International Ship-Owners Alliance of Canada Inc. (ISAC) : Monsieur le président, je voudrais vous remercier de l'occasion de nous exprimer sur ce projet. J'aimerais également remercier Mme Labonté d'avoir organisé cette rencontre. Ma présentation devrait prendre 15 minutes.
[Traduction]
Je suis présidente et secrétaire générale de l'International Ship-Owners Alliance of Canada. Je suis également administratrice du Centre maritime international, directrice et vice-présidente de la Vancouver Maritime Arbitrators Association et administratrice des Insurance Dispute Resolution Services de la Colombie-Britannique.
Je me présente devant vous aujourd'hui au nom de l'International Ship-Owners Alliance of Canada. Cette organisation représente des armateurs canadiens et internationaux, des gestionnaires et des exploitants de navires qui, collectivement, gèrent une flotte de plus de 500 navires océaniques et emploient plus de 10 000 personnes, personnels navigant et terrestre confondus.
Lorsque la question a été soulevée chez nous, j'ai entrepris de consulter tous nos membres. L'ISAC a décidé de soutenir inconditionnellement le maintien du personnel dans les phares. Pas un seul membre ne s'est opposé au maintien du personnel dans les phares. L'un de nos membres qui exploite une entreprise de remorquage de chalands passant régulièrement par diverses localités côtières de la Colombie-Britannique, de l'État de Washington à l'Alaska, avait ceci à dire :
La dotation en personnel des phares est une question très importante [...] il faut aller au-delà du phare en tant que jeu de navigation. Bien sûr que les phares peuvent être automatisés, mais là n'est pas la question. Vu l'étendue de nos côtes et la faible densité de population, il y a bien d'autres raisons pour doter les phares en personnel; que l'on pense seulement aux conditions météorologiques et à la sécurité. Nous sommes un pays côtier; nous avons besoin d'une présence humaine sur nos côtes.
Nous avons officiellement présenté notre lettre le 3 août 2010; je ne vous la lirai pas, mais je vais vous la résumer. L'ISAC appuie la politique de 2008 du gouvernement conservateur qui consiste à soutenir le maintien des phares, de leur personnel et de leurs aides à la navigation et appuie la résolution adoptée à l'unanimité par la Fédération canadienne des municipalités et l'Union of BC Municipalities, qui demande :
Au premier ministre de cesser toutes les démarches d'automatisation des phares et de s'engager plutôt à y maintenir indéfiniment les niveaux d'effectif afin de garantir la sécurité des travailleurs et des voyageurs et d'assurer le dynamisme et la croissance de l'économie côtière.
Vous savez sans doute que l'on compte 27 phares pourvus de personnel sur la côte ouest, dont certains sont situés dans des régions isolées et accessibles uniquement par la mer ou la voie des airs; l'économie de ces régions compte sur des industries prospères comme l'exploitation forestière, les mines, la production d'électricité, la pêche, l'aquaculture, le tourisme et l'écotourisme, qui représente à lui seul une industrie de 1,5 milliard de dollars en Colombie-Britannique.
Les gardiens de phare sont essentiels dans ces régions éloignées et isolées, mais ils le sont également dans les lieux plus habités où la circulation maritime est plus dense et où la sécurité des déplacements des biens et des personnes est de la plus haute importance.
Tous conviendront avec moi qu'un matériel automatisé ne peut offrir la garantie d'un gardien. Les pannes mécaniques et électroniques peuvent se produire et elles finissent par arriver. Les gardiens de phare offrent aux marins toute une gamme de services essentiels que ne peuvent offrir les phares automatisés. Les gardiens de phare produisent des rapports météorologiques exacts et en temps réel et de l'information sur les fronts atmosphériques, aident les marins qui éprouvent des difficultés mécaniques et lancent des opérations de recherche et sauvetage. Grâce à leur situation stratégique, les phares et leurs gardiens permettent la surveillance de la contrebande de stupéfiants ou du trafic d'êtres humains et d'autres activités criminelles. Enfin, n'oublions pas la valeur patrimoniale des phares et le fait qu'ils permettent la collecte d'information scientifique. Je crois comprendre que les services sont offerts à au moins neuf autres ministères et organismes.
Vous avez également reçu une lettre de Seaspan Corporation, première société de transport maritime au Canada, qui appuie également la dotation en personnel des phares. Voici ce que dit le président du conseil de Seaspan, M. Washington :
[...] au moment où le pays met l'accent sur les portes d'entrée et développe son industrie maritime, le moment est plutôt mal choisi pour fermer ou automatiser des phares et les priver de personnel; il faudrait plutôt renforcer l'infrastructure afin de favoriser la prospérité nationale.
Au cours des entretiens que nous avons eus avec les syndicats associés à notre secteur, un solide appui à la dotation en personnel des phares a été exprimé très clairement. Je vous renvoie aux lettres envoyées à ce comité par l'International Longshoremen's and Warehousemen's Union, section 400, qui représente la majorité des marins non brevetés de la Colombie-Britannique, lesquels travaillent dans des sociétés situées de Vancouver à Prince Rupert.
Le président de l'ILWU, Tony Engler, dit que les membres sont farouchement opposés à l'automatisation des phares qui restent :
[...] la croissance économique du Canada et en particulier de la Colombie-Britannique est directement liée à la croissance de l'industrie pétrolière, et le public doit être assuré que l'industrie est sûre et peut mener ses activités d'une manière qui garantit la protection de notre environnement. Nous devrions en fait réaffecter du personnel dans des phares et élargir leur mandat de manière à permettre l'entreposage de matériel d'intervention et de dépollution et la coordination des activités. Les gardiens de phare sont tout indiqués pour assurer la liaison entre l'industrie et les collectivités côtières.
M. Engler conclut en ces termes :
[...] cette industrie est trop importante pour notre pays et pour mes membres; nous devrions mobiliser l'opinion publique en améliorant la sécurité et la protection de l'environnement; l'automatisation des phares nuira à l'industrie.
Je vais maintenant vous citer M. Richard Goode, président provincial de la BC Ferry and Marine Workers' Union, qui représente plus de 4 000 membres et l'un des principaux syndicats de marins du Canada. Ces travailleurs sont ceux-là mêmes qui font marcher le réseau de traversiers de la province. M. Goode souligne que l'activité maritime de la Colombie-Britannique représente 70 p. 100 des revenus de l'industrie maritime canadienne.
[...] les phares pourvus en personnel sont absolument indispensables à la sécurité des bateaux qui naviguent dans les régions éloignées aussi bien que dans les zones urbanisées. Nos membres contribuent à répondre aux besoins de transport des collectivités côtières et ils y vivent. Un marin d'expérience est très conscient des changements spectaculaires et inattendus des conditions météorologiques qui peuvent peser sur la navigation. En cas de panne dans un phare automatisé, les conditions météorologiques ne permettent pas toujours d'envoyer une équipe de réparation.
Il fait remarquer que bon nombre de pays aux longs littoraux qui ont délaissé les phares avec gardiens ont dû compenser cette perte en augmentant considérablement la présence de militaires.
Dans le cadre de mes discussions avec des membres de la BC Ferry and Marine Workers' Union, j'ai appris qu'ils utilisent régulièrement les rapports météo produits par les phares gardés, qui sont les liens entre les collectivités côtières sur les routes maritimes. Le service de traversiers est le fil conducteur des localités côtières et des activités commerciales qui sont en grande partie reliées par la voie des eaux, plutôt que par des routes. C'est une pratique courante de poster une vigie à la proue quand le bâtiment fait une traversée par mauvaise visibilité, tout en laissant entendre la corne de brume à intervalles réguliers. Tous ces bâtiments sont équipés des dernières technologies, mais cette pratique de secours est néanmoins maintenue, conformément au règlement sur la navigation.
Je tiens aujourd'hui à faire ressortir l'importance de l'environnement et des lois environnementales canadiennes. En 2005, il a été instauré le principe de la responsabilité criminelle stricte dans le cas de pollution provenant d'un navire. En 2009, la loi sur l'application en matière d'environnement mettait en place un solide régime comportant des amendes pouvant atteindre 12 millions de dollars par jour. Notre industrie appuie des lois environnementales rigoureuses, mais il est absolument essentiel que, en cas de déversement, les interventions se fassent rapidement, de manière à garantir, par- dessus tout, la protection de l'environnement et aussi à éviter d'être tenu criminellement responsable et de payer des amendes pharamineuses. La rapidité est donc de la plus haute importance, car, pour chaque jour pendant lequel le produit polluant demeure dans l'eau, une nouvelle infraction est notée et il y a une nouvelle amende.
En 1989, le phare de Carmanah a été le premier poste à signaler la présence de pétrole provenant de la barge Nestucca. Cet avertissement précoce a permis aux organismes de commencer les opérations de nettoyage au moins trois jours plus tôt. On ne saurait sous-estimer l'importance d'une intervention rapide. Vu l'augmentation constante de la circulation maritime, la surveillance de l'environnement est plus importante que jamais.
À ce propos, il serait judicieux de garder des équipements d'intervention en cas de déversement dans les phares qui sont situés en des endroits stratégiques le long de notre littoral. L'article du Vancouver Sun du 27 novembre 2010, que je vous ai remis, est on ne peut plus inquiétant. On peut y lire que :
[...] la Garde côtière ne dispose ni de la formation, ni du matériel, ni des systèmes de gestion requis pour s'acquitter de ses fonctions en matière d'intervention dans le cas d'incidents comme des déversements d'hydrocarbures, selon une vérification interne.
Transports Canada est l'organisme fédéral responsable en vertu du Régime canadien de préparation et d'intervention en cas de déversement d'hydrocarbures, mais il appartient au MPO, plus particulièrement à la Garde côtière canadienne, de diriger les interventions en cas de déversements provenant de navires et de veiller à ce que l'intervention corresponde aux besoins. Le régime canadien repose sur le principe de l'escalade des ressources : les organisations d'intervention, la Garde côtière et l'aide internationale.
Compte tenu des conclusions de cette vérification, il semblerait logique de vouloir améliorer le système des gardiens de phare et ainsi de corriger une grave lacune de la Garde côtière, une lacune tout à fait inacceptable compte tenu de la solidité de notre régime d'application des lois.
Avec des investissements gouvernementaux de plus de 2,5 milliards de dollars pour la Porte d'entrée du Pacifique et les autres sommes consacrées aux corridors commerciaux de l'Atlantique, destinés à faciliter le commerce et la production de nos ports, il est important de prendre des mesures pour renforcer l'infrastructure, compte tenu de la nécessité de faire preuve de conscience environnementale tout en demeurant concurrentiels à l'échelle mondiale. En 2009, dans le seul Port Metro Vancouver, il a été manutentionné des marchandises d'une valeur de 75,2 milliards de dollars, 10,5 milliards de dollars ont été ajoutés directement au PIB national et 22 milliards de dollars de production économique ont été générés. Il ne faut pas oublier également le montant de 1,2 milliard de dollars en recettes fiscales qui a été versé aux trois ordres de gouvernement.
Brièvement, mais vous le savez probablement déjà, il, existe sur la côte ouest un vigoureux mouvement visant à interdire la circulation des pétroliers. De fait, aujourd'hui même, une délégation a demandé au gouvernement fédéral d'interdire les pétroliers et d'adopter une loi en ce sens. Je ne sais pas si vous êtes au courant, mais j'ai également les coupures de presse pertinentes. C'est très inquiétant, car il existe de nombreuses mesures que nous pourrions prendre pour rassurer les collectivités avant d'en arriver à parler d'interdiction. On peut citer, entre autres, l'ajout de remorqueurs escorteurs, l'augmentation du nombre de pilotes, l'imposition de voies de navigation précises et la collaboration de vigies côtières dans les phares.
Par ailleurs, le MPO a entrepris de créer une zone marine comptant 88 000 kilomètres de littoral dans laquelle se trouvent la plupart des phares, de Campbell River à Prince Rupert, dans le cadre de la Zone de gestion intégrée de la côte nord du Pacifique, la ZGICNP. Cette initiative, pour laquelle je siège au sein du comité consultatif, aboutira assurément à la détermination de voies de navigation pour la circulation maritime. Les gardiens de phare pourraient participer à la surveillance de la circulation, compte tenu de l'emplacement stratégique des phares. Étant donné que ces structures existent déjà, que les gardiens sont très expérimentés en matière de surveillance de la côte, l'élargissement de leur mandat dans le but de rassurer les groupes opposés au passage des pétroliers dans leurs eaux semblerait logique et économique.
Il est intéressant de souligner que tous les aéronefs sont tenus de signaler leur position à un centre de contrôle, mais que cela est facultatif pour les navires. On pourrait élargir les fonctions des gardiens de phare afin qu'ils surveillent la circulation de passage et fassent rapport à un centre de contrôle de la circulation maritime.
Je vous le rappelle, les équipements électroniques finissent par tomber en panne et c'est là que les gardiens de phare prennent encore plus de valeur. Dans notre secteur, nous faisons ce que nous pouvons pour intégrer des systèmes redondants, en cas de panne, et nous nous dotons de systèmes de secours pour pratiquement tous les incidents imaginables.
J'aimerais signaler INTERTANKO. Cette association internationale sans but lucratif a été créée en 1970 pour représenter les propriétaires de pétroliers indépendants. Elle représente plus de 75 p. 100 de la flotte mondiale des propriétaires de pétroliers indépendants. Son principal objectif à ce niveau mondial consiste à mener l'amélioration continue du rendement de l'industrie des pétroliers, en s'efforçant qu'il n'y ait aucune perte de vie et aucune pollution. Nous pouvons vous assurer que le passage en toute sécurité et sans incident est une grande priorité de notre industrie. Nous appuyons donc fortement le maintien de gardiens dans les phares.
Les gardiens de phare jouent également un rôle crucial en matière de recherche et sauvetage; combien de plaisanciers, de marins et de pêcheurs sportifs ont eu la vie sauve grâce à des gardiens de phare? Lorsque de petites embarcations sont en panne, elles se trouvent habituellement dans des chenaux de navigation; or, pour changer de cap franchement et éviter l'abordage, un grand bateau a besoin d'une grande distance; la sécurité de la circulation commerciale est donc de la plus haute importance. Comme je l'ai dit précédemment, il faut aller au-delà du simple feu; un phare avec son gardien est bien plus qu'un simple feu pour la navigation.
Si je ne vous présente qu'une demande aujourd'hui, ce serait de mettre définitivement un terme à ce débat, qui dure depuis des décennies, et de décréter le maintien du personnel des phares, conformément à la politique du gouvernement conservateur. Vous savez aussi bien que moi que cette question a déjà coûté très cher à notre industrie, ne serait-ce que pour mener les consultations. J'ose à peine imaginer les dépenses engendrées par le processus de consultation pour tous les ordres de gouvernement. Je crois également comprendre que des cadres de la Garde côtière ont été désignés, au cours des années, et chargés exclusivement de procéder à l'automatisation des phares. L'industrie et les contribuables canadiens ont déjà assez payé; que l'on s'emploie maintenant à mettre un terme à ce débat.
Il faudrait élargir les descriptions de travail des gardiens de phare afin de reconnaître ouvertement et de soutenir le rôle important qu'ils jouent en matière de sécurité maritime, de surveillance de l'environnement, de communications et de recherche et sauvetage; il faudrait également leur fournir du matériel approprié et la formation qui leur permettront de s'acquitter de ces fonctions essentielles.
[Français]
Plutôt que de trouver de meilleures raisons de se défaire des gardiens de phare, nous devrions trouver de meilleures façons de maximiser leur utilité.
[Traduction]
En terminant, je tiens à vous remercier d'avoir organisé cet examen approfondi qui aura amené le comité sur les côtes est et ouest du pays dans le but d'entendre les points de vue des collectivités côtières qui ont exprimé clairement leur désir de conserver les gardiens de phare pour des questions de sécurité. Le comité a également pris le temps de tenir compte des différentes activités menées dans là région et du commerce qui contribue largement à la richesse nationale. Nous devons veiller à faire comprendre l'ensemble du dossier, surtout en cette époque de conscience environnementale accrue et d'intérêt pour la gérance environnementale.
Il ne s'agit pas simplement d'un feu pour la navigation.
Le sénateur Poy : Merci tous les deux pour vos exposés.
À l'heure actuelle, là où les phares ont été remplacés par un feu, qui est chargé de signaler les déversements de pétrole?
M. Abram : Actuellement, le fait que certains phares n'ont plus de gardien est très malheureux, à mon avis. Ces phares contribuaient à tous les autres services que nous avons évoqués. Il n'y a en réalité aucune surveillance à ces endroits actuellement.
En ce qui concerne le Lower Mainland, la région de Vancouver, lors de la dernière phase d'automatisation, qui s'est terminée en 1998, certains des phares qui se trouvent près du port de Vancouver et de l'autre côté du détroit de Géorgie, vers le bas de l'île de Vancouver, ont été automatisés. C'est malheureux parce que c'est l'une des régions où se concentre la plus grande partie de la navigation. Un signalement moins rapide sera catastrophique avec l'action des marées, du vent et des tempêtes, qui sont fréquentes dans ces régions. J'ai justement reçu un message de chez moi hier soir. Il y a eu des vents de face de 60 nœuds, soit plus de 60 milles à l'heure dans la région depuis deux jours et de grosses marées. Les marées dépassaient 16 pieds. Le pétrole peut franchir des distances incroyables en très peu de temps.
Sans un signalement rapide, je pense qu'il pourrait y avoir des catastrophes.
Le sénateur Poy : Personne n'est responsable actuellement dans les régions où les gardiens de phare ont été remplacés?
M. Abram : Ce serait essentiellement les plaisanciers, les navires commerciaux, peut-être les navires du MPO ou de la Garde côtière qui se trouveraient dans la région. Il reviendrait aussi au pétrolier de signaler lui-même le déversement immédiatement. Mais dans certains cas, il y a des accidents et les gens essaient de régler le problème immédiatement, et c'est ce que faisaient les gardiens de phare.
Mme Arsoniadis-Stein : J'ajouterais à la réponse de M. Abram qu'il peut s'agir d'une situation de détresse. Il est évident qu'il y a eu un accident, une collision, le matériel électronique du navire est peut-être en panne, mais le navire ne peut pas appeler pour signaler le problème. Ce serait ce genre de situation.
Le sénateur Poy : Vous avez décrit tous les deux dans vos exposés les autres responsabilités des gardiens de phare en plus d'assurer le fonctionnement du phare. Quelle est la formation des gardiens de phare actuels? Monsieur Abram, je pense que vous avez été gardien. Aviez-vous reçu une formation spéciale pour effectuer des opérations de recherche et de sauvetage, pour observer les conditions météorologiques et la salinité de l'eau?
M. Abram : Oui. La Garde côtière avait un programme de formation très poussé pour chacune des diverses responsabilités. En ce qui concerne la météo, les témoignages du Service de l'environnement atmosphérique disent que les gardiens ne sont pas formés. NAV CANADA dit qu'ils ne sont pas formés. Mais les gardiens ont tous reçu une formation en observation météorologique pour l'aviation en vertu des règles de l'Organisation météorologique mondiale. Des moniteurs sont venus dans les phares et ont vécu avec nous pendant une dizaine de jours. Ils étaient là jour et nuit, dans le phare et à l'extérieur, par n'importe quel temps, pour observer des types de nuages différents ou des situations météorologiques différentes. C'étaient des gens qualifiés qui nous ont enseigné comment faire des observations météorologiques.
Nous avons tous une formation en premiers soins, en sécurité nautique et en ce qui concerne l'utilisation d'une embarcation du phare pour effectuer des opérations de recherche et de sauvetage. Tous ces programmes de formation étaient en place. Ils ont été éliminés graduellement par la Garde côtière depuis 1998 parce que la Garde côtière ne voulait plus d'activité positive dans un phare puisque cela justifiait le maintien des gardiens. C'est très triste à dire, mais c'est ce qui s'est passé.
Le sénateur Poy : Quand vous êtes devenu gardien de phare, exigeait-on un certain niveau d'études?
M. Abram : Je ne me souviens plus du niveau qui était demandé.
Le sénateur Poy : Comment les gens étaient-ils choisis pour devenir gardiens de phare?
M. Abram : Il y avait des annonces indiquant qu'ils acceptaient des candidatures au bureau de la Garde côtière canadienne à Victoria. Il y avait des entrevues et ils établissaient une liste de 20 personnes qu'ils considéraient comme de bons candidats. Il y avait un processus d'entrevue rigoureux, devant un comité, et des questions étaient posées par différentes personnes. Il fallait être touche-à-tout. Il fallait pouvoir faire de la mécanique diesel, de la mécanique à essence, de la menuiserie, toutes sortes de métiers pour pouvoir être considéré. Il fallait aussi passer ce que la Garde côtière appelait un test psychologique pour voir si l'on pouvait vivre dans un lieu isolé, ce qui est parfois très difficile, quand deux familles vont s'installer au milieu de nulle part et doivent vivre ensemble, dans la paix et l'harmonie. Cela fonctionne parfois, mais pas toujours.
Cette liste de 20 personnes était établie, puis, tout au long de l'année, à mesure que des postes se libéraient, la première personne sur la liste se faisait offrir le poste et si elle acceptait d'aller au phare en question, elle prenait le poste. Sinon, elle restait sur la liste et le poste était proposé au suivant sur la liste.
Il y avait aussi des mutations à l'interne entre les gardiens de phare. Quand un gardien voulait aller du phare X au phare Y, il présentait sa demande. Il y avait un concours normal du gouvernement fédéral.
Le sénateur Poy : Embauchaient-ils des célibataires ou voulaient-ils des gens mariés, avec une famille? On peut souffrir de solitude quand on vit seul.
M. Abram : Quand j'ai commencé, c'était toujours des familles. Ce n'est que plus tard, quand ils ont commencé à avoir de moins en moins de candidats, parce qu'il était question d'une éventuelle automatisation des phares, qu'ils ont commencé à accepter des candidatures de célibataires, et il y a actuellement quelques gardiens célibataires qui se déplacent d'un phare à l'autre. Cela semble bien fonctionner, mais ce que les gens n'ont pas semblé voir, c'est que dans un phare à deux gardiens, s'il y a deux familles, deux personnes sont payées, mais au moins quatre font le travail, et il y a les enfants. Croyez-moi, ma fille a sauvé de nombreuses vies en voyant des gens tomber à l'eau et en le signalant immédiatement à ma femme ou à moi-même. C'est une situation où de nombreuses personnes travaillent pour un très faible salaire, 24 heures par jours, 7 jours par semaine et 365 jours par année.
Le sénateur Runciman : Étiez-vous gardien de phare lorsque vous avez été candidat aux élections municipales?
M. Abram : J'étais gardien de phare dès 1978. J'ai été candidat aux élections municipales en 1988, alors la réponse est oui.
Le sénateur Runciman : Occupiez-vous un poste dans un phare éloigné?
M. Abram : Non, je n'ai pas pu le faire avant d'aller au phare de Cape Mudge sur l'île Quadra. Je suis déménagé à Cape Mudge en 1985, au moment où la Garde côtière est arrivée avec son premier programme d'automatisation. Nous avons lutté pendant deux ans et nous avons eu gain de cause; mais nous avons perdu quelques phares. C'est à cette époque qu'on m'a demandé de me lancer dans l'arène municipale, ce que j'ai fait.
Le sénateur Runciman : Vous dites que vous avez perdu quelques phares et il y en a 27 actuellement. Combien ont été automatisés?
M. Abram : Quand j'ai débuté en 1978, il y avait 43 phares. Quand j'ai été embauché, je crois que huit devaient déjà être automatisés et abandonnés. C'était déjà prévu quand j'ai commencé à travailler pour la Garde côtière.
Puis, en 1985 et en 1987, il y en avait 35, soit 8 phares de moins. Aucun d'eux n'a été automatisé à l'époque. En 1990- 1991, ils ont tenté l'automatisation à nouveau et aucun phare n'a été perdu, puis de 1994 à 1998, ils se sont attaqués aux 35 et en ont abandonné 8 immédiatement, de sorte qu'il y a maintenant 27 phares.
Le sénateur Runciman : Quel était le raisonnement pour procéder par étape au lieu de tout faire en bloc?
M. Abram : Chaque fois, les bureaucrates de la Garde côtière ont proposé au ministre de tout faire en même temps, sur les deux côtes. Chaque fois, les utilisateurs ont dit qu'ils ne pouvaient pas se passer des phares. Pour les quelques cas où des phares ont été perdus, les raisons varient.
Le sénateur Runciman : Vous affirmez que les bureaucrates de la Garde côtière ont mené cette action depuis des décennies, mais vous dites également que les phares dotés de gardiens sont la méthode la plus rentable. Pourquoi la Garde côtière mène-t-elle cette action si vous pensez que c'est la méthode la plus efficace par rapport aux coûts?
M. Abram : Vous voulez une réponse franche?
Le sénateur Runciman : Évidemment. Je n'en veux pas d'autre.
M. Abram : Ils poursuivent ce programme depuis des lustres parce que c'est ce qui leur paraît le plus facile à éliminer vu ce qui s'est passé dans d'autres pays et dans les provinces de l'Atlantique. D'après eux, c'est une proie facile et ils aimeraient utiliser cet argent ailleurs dans leur budget. Chaque fois qu'ils ont automatisé les phares, ils n'ont rien économisé du tout et, en plus, chaque fois, il y a eu ensuite plus de personnel administratif et moins de personnel opérationnel.
Je suppose qu'ils déplacent les dollars obtenus par la Garde côtière pour leur budget et mettent davantage l'accent sur l'administration que sur les opérations. On le constate pour les stations radio et les stations de recherche-sauvetage de la Garde côtière. La situation est identique.
Le sénateur Runciman : Je ne participerai plus aux travaux de ce comité lorsqu'il fera ses recommandations finales, mais je pense que vous devriez peut-être suggérer, en plus de la recommandation de maintenir les phares où il y a des gardiens actuellement, que l'on rétablisse les gardiens dans certains de ces phares vulnérables qui, selon vous, présentent un réel danger pour la navigation et la sécurité maritime.
M. Abram : Nous en serions ravis. Nous l'avons mentionné à quelques reprises. Je pense que, dans sa mission d'étude, le comité a entendu plusieurs utilisateurs affirmer qu'ils voudraient la même chose. Ils ont désigné quelques phares. À l'heure actuelle, le public et les administrations locales comme la mienne ont l'impression de vivre un siège et il est assez difficile de revenir à la charge et de dire que nous voulons non seulement garder les gardiens, mais aussi les augmenter. Je suis tout à fait d'accord avec vous. Il y en a quelques-uns où il faudrait absolument remettre des gardiens.
Le sénateur Watt : Quand vous dites que 27 phares fonctionnent encore, j'imagine qu'il y a dans ces phares des gardiens rémunérés.
M. Abram : Absolument. Les gardiens de phare sont les fonctionnaires les plus mal payés au Canada. Je sais que le ministre et d'autres ont affirmé qu'il y aurait une attrition et que les gardiens de phare se trouveraient du travail ailleurs. On ne peut pas placer un gardien de phare dans un autre poste. Je le sais par expérience, parce que, lorsqu'ils se sont débarrassés de moi 23 jours avant mes 25 ans de service, j'avais le choix d'accepter une mutation latérale, mais il n'y avait pas d'autre emploi au Canada dans mon échelle salariale et on ne peut pas monter dans l'échelle salariale quand on accepte une mutation latérale. C'est très décourageant pour les gardiens de phare, quand ils sont payés en moyenne de 35 000 $ à 40 000 $ par année.
Le sénateur Watt : En plus de ne pas savoir ce qui les attend.
M. Abram : Oui. Ils ne savent jamais quel sera leur avenir et ils améliorent continuellement les services, de leur propre chef, tout en se faisant dire par leur employeur qu'ils sont inutiles. Ce n'est pas ainsi qu'on doit traiter les gens.
Le sénateur Watt : Les 27 phares qui restent se trouvent-ils principalement en Colombie-Britannique?
M. Abram : Il y en a 27 en Colombie-Britannique et 23 à Terre-Neuve.
Le sénateur Watt : La situation est-elle semblable à Terre-Neuve?
M. Abram : Il y a des différences régionales; il y en a toujours eu.
Le sénateur Watt : Mais le personnel est payé comme en Colombie-Britannique?
M. Abram : Oui, ils sont payés. Il y a des différences régionales dans les services offerts et le type de trafic. À Terre- Neuve, il y a moins de trafic aérien, d'hydravions et d'hélicoptères, mais plus de trafic de pétroliers. Il y a plus de 20 000 passages de pétroliers au Canada, soit 17 000 à Terre-Neuve et 3 000 en Colombie-Britannique. Il y a cet écart. En Colombie-Britannique, il y a un intense trafic et d'hélicoptères, mais moins de pétroliers.
Ce qu'il importe de souligner ici, c'est que la politique conservatrice de laisser des gardiens dans les phares est une politique nationale, pas régionale. C'est une politique nationale et tous les phares sont traités de la même façon. J'espère que ce processus le fera ressortir et que le gouvernement conservateur acceptera de confirmer cette politique et de maintenir tous les gardiens dans tous les phares sur les deux côtes.
Le vice-président : Permettez-moi d'intervenir. Je crois que ce à quoi vous avez fait allusion, et Mme Arsoniadis- Stein aussi, c'est la politique déclarée du Parti conservateur, pas la politique du gouvernement conservateur. Je ne vous interroge pas à ce sujet, mais je pense qu'il faudrait parler du programme électoral ou de la politique du parti et non de la politique du gouvernement.
M. Abram : J'ai ici une lettre que Stephen Harper a adressée en 2003 à un gardien de phare et dans laquelle il appuie le maintien des gardiens. Il était chef de l'opposition à l'époque et, en ce qui concerne les programmes électoraux dont vous parlez pour 2005 et 2008, dans le premier il était dans l'opposition et dans l'autre, au gouvernement.
Si un parti gouverne et présente une politique, est-ce la politique du parti ou du gouvernement? Je ne le sais pas. Je pose la question.
Le vice-président : Il y a une grande différence entre une politique de parti et une politique du gouvernement. Une politique de parti n'est pas toujours une politique du gouvernement, mais à ma connaissance, et je suis sénateur conservateur, il y a une politique du parti à ce sujet, que vous avez décrite, mais je ne crois pas qu'il y ait une politique du gouvernement. S'il y avait une politique du gouvernement, nous ne serions peut-être pas ici. Le ministre a demandé à notre comité de conseiller le gouvernement. C'est un point que je voulais clarifier aux fins du compte rendu.
M. Abram : Je vous en remercie, sénateur Patterson. J'espère que ce processus transformera une politique de parti en une politique du gouvernement.
Le sénateur Hubley : J'ai eu la chance de visiter les deux côtes, d'abord la Nouvelle-Écosse et Terre-Neuve, puis la Colombie-Britannique. J'aimerais parler de la visite en Colombie-Britannique parce que c'est la première fois que nous avons vraiment eu la possibilité de parler à des gardiens de phare.
On ne peut qu'être impressionné par la somme de travail qu'ils abattent au nom de ceux qui voyagent dans les régions éloignées mais aussi moins éloignées, un travail qui m'a paru complètement oublié et mal reconnu par la Garde côtière. Je pense que les marins sont au courant, mais pas le public canadien. On a beaucoup insisté sur l'importance de garder l'œil ouvert sur le ciel et sur la mer. Comme l'a dit quelqu'un, nos avions sont munis des appareils de navigation les plus perfectionnés, mais personne n'imaginerait de voler sans pilote.
À cause des compétences exigées pour garder un phare, nous avons peut-être pensé qu'un cours pourrait être offert dans un collège communautaire ou ailleurs.
Nous avons tous vu les mêmes besoins pour des gardiens dans les phares, autant sur la côte Est que sur la côte Ouest, mais il n'y en avait pas. Je ne sais pas si nous avons agi trop rapidement en abandonnant cet élément de notre système de soutien. Quand la navigation augmente dans le passage du Nord-Ouest et que nous essayons d'ouvrir la porte de l'Atlantique pour faire naviguer un plus grand nombre de navires dans les Maritimes, il me semble que les phares doivent faire partie du système de navigation.
Nous avons évidemment entendu la Garde côtière. Nous entendons deux sons de cloche. Il est difficile de faire la part des choses, et nous devons présenter des recommandations assez rapidement. Vous voyez les phares et leurs gardiens d'un point de vue différent.
Y a-t-il autre chose que vous voulez nous dire ce soir?
M. Abram : J'ai bien des choses à vous dire ce soir. Faites-vous allusion aux renseignements trompeurs que j'ai évoqués?
Le sénateur Hubley : Nous avons appris que l'équipement dont disposaient les gardiens dans leur phare pour exercer certaines fonctions, une embarcation par exemple, a été enlevé. À mes yeux, cela n'a aucun sens.
Les gardiens de phare nous ont raconté que lorsqu'ils s'aperçoivent que les conditions météorologiques peuvent être dangereuses pour les marins, ils le signalent immédiatement; ils n'attendent pas. Je crois que le nombre d'observations météorologiques qu'ils fournissent est passé d'une à l'heure à une toutes les trois heures. C'est une érosion de leurs responsabilités et cette érosion réduit l'importance de leur fonction de maintien de la sécurité du public qu'ils assumaient par le passé. Je pense à la qualité des feux et au fait que les cornes de brume disparaissent elles aussi.
Nous devons décider comment nous intégrerons ce que nous avons entendu dans un rapport. Vous avez indiqué que nous avons obtenu de l'information pas aussi exacte que vous le souhaiteriez, du point de vue d'un gardien de phare.
Pouvez-vous nous donner des explications?
M. Abram : Je serais ravi de le faire et pas seulement du point de vue d'un gardien de phare mais aussi du point de vue d'un citoyen du Canada et d'un représentant d'une administration locale.
J'aimerais me retrouver dans cette salle avec vous et avec tous ceux qui ont témoigné devant vous pour discuter de ce qui a été dit, afin de rétablir les faits plutôt que de faire de la fiction. C'est la seule façon de faire sortir la vérité.
Le fait est que la Garde côtière s'est imaginée, après 1998, que pour se débarrasser des gardiens de phare, il fallait les considérer inutiles. Il fallait qu'ils soient des gens qui n'avaient rien d'autre à faire que tondre la pelouse.
La situation s'est érodée, comme vous l'avez dit. Les exigences en matière de rapport ont été abaissées. Les observations météorologiques pour l'aviation ont cessé. Nous avons tous été formés par des experts pour faire des observations météorologiques pour l'aviation. Nos observations allaient dans le système mondial et étaient utilisées partout. Mais soudainement, le contrat pour les phares est devenu ce qu'il est maintenant. Puis, ils ont supprimé entièrement l'observation météorologique pour l'aviation, et les gardiens de phare ont dû se battre pour obtenir une observation météorologique supplémentaire, qui a ajouté quelques critères pour l'aviation à une observation pour la marine. Cela a aidé les aviateurs, mais ce n'est rien comparativement à ce qu'ils avaient avant.
Auparavant, nous faisions des observations sur toutes les couches de nuages et sur le type de nuage dans chaque couche. Tous les nuages ont des propriétés différentes; certains sont dangereux, d'autres pas. Les gardiens connaissaient la visibilité et ce qui la réduisait. Ils connaissaient le point de rosée, la température, la vitesse et la direction du vent. Nous faisions des observations afin qu'un hydravion sache où il y avait des remous de marée dangereux devant un phare. C'est crucial pour eux, parce qu'ils ne peuvent pas amerrir là où il y a des remous.
Tout cela a disparu; le système s'est érodé. Quand NAV CANADA vous dit qu'ils obtiennent seulement des observations météorologiques des gardiens de phare toutes les trois heures, c'est de la foutaise. Ils obtiennent les observations prévues toutes les trois heures et une observation de minute en minute, s'ils le veulent. Il leur suffit d'appeler. Tous les aviateurs et les marins peuvent faire la même chose.
Les gardiens de phare sont tenus et moralement obligés d'avertir les marins et les aviateurs quand la météo change. La Garde côtière a mis en place des critères qui font qu'il est presque impossible pour un gardien de phare de signaler un changement important de la météo. Ils ont refusé de permettre aux opérateurs radio, qui sont aussi des employés de la Garde côtière, d'accepter des observations météorologiques à moins qu'elles ne respectent certains critères, et leurs critères sont ridicules. Ils voulaient que la vitesse du vent ait changé de 25 nœuds avant que le gardien de phare puisse présenter une observation. En tant qu'observateur officiel de la météo, je peux vous assurer qu'un changement de vitesse du vent de 10 nœuds accompagné d'un changement de sens de la marée peut signifier des conditions tout à fait différentes, et que si un marin n'est pas informé du changement depuis la dernière observation, trois heures plus tôt, il peut mourir. C'est aussi simple que cela.
C'est la même chose pour les aviateurs. S'ils ne savent pas qu'un banc de brume vient de s'approcher au sud du phare, que tout le reste est clair et qu'ils ne pourront pas passer, ils risquent gros. Il pourrait y avoir des blessures, des décès et des dommages aux biens, et cela nuit certainement au commerce.
C'est très important dans notre région, où il y a de nombreux hydravions. Bien souvent, ils peuvent voler en se fondant sur une observation météorologique d'un phare, alors qu'ils ne le pourraient pas avec une observation d'un aéroport parce que l'aéroport se trouve à 346 pieds au-dessus du niveau de la mer et que le phare est au niveau de la mer. Il peut y avoir un plafond de 200 pieds, et les avions peuvent voler malgré tout, tant qu'ils ont une bonne visibilité, et le commerce continue. Les gens se déplacent pour aller travailler ou pour faire de la pêche récréative ou commerciale. S'ils appelaient l'aéroport ou utilisaient la station météo automatique, ils se feraient dire que la visibilité est nulle et que le plafond est de zéro. C'est inexact.
Vous avez mentionné l'embarcation du phare. L'embarcation de mon phare a été enlevée après que je me suis battu pendant cinq ans pour la garder. Chaque fois, j'ai dû demander l'appui du public pour garder le bateau du phare parce qu'ils savaient à quel point nous sortions souvent. Que ce soit pour un bateau endommagé et pris dans le remous de la marée ou pour une autre raison, nous sortions les gens de l'eau; mais non, cela ne se fait plus. Nous ne pouvons plus avoir ce bateau au phare parce que les incidents sont inscrits dans les dossiers de la Garde côtière. Il y a des doubles des formulaires que vous pouvez obtenir vous-mêmes auprès de la Garde côtière. Les gardiens de phare les ont en dossier et ils les montrent chaque fois qu'ils font une opération de sauvetage. Si vous leur enlevez les outils, ils ne peuvent plus exécuter ces fonctions.
C'est bien triste que quelqu'un puisse mettre en place un programme qui pourrait compromettre la sécurité publique et le service au public offert par les gardiens de phare. Cela dépasse mon entendement.
Si votre processus conclut qu'il n'y aura plus de d'automatisation des phares, je mettrais presque ma main au feu que, d'ici quelques années, la Garde côtière offrira encore moins de services aux phares, alors la prochaine fois qu'ils essaieront, ce sera un peu plus facile.
Le sénateur Hubley : En ce qui concerne la promotion de l'écotourisme sur les deux côtes, il faut beaucoup d'embarcations et de plaisanciers, et ils ne sont pas toujours aussi qualifiés qu'on le pense. Nous avons entendu parler de kayakeurs, de groupes, d'amis, qui viennent en Colombie-Britannique et qui veulent vivre une aventure sur l'eau. Il y a des kayaks. Ils les louent et se lancent en mer, sans penser qu'ils pourraient se retrouver dans une situation désespérée et y laisser leur peau. Les gardiens de phare nous ont raconté des histoires comme celle-là. C'est la même chose sur la côte Est. Nous investissons beaucoup dans le tourisme, et l'écotourisme en fait partie. Quand les gens vont sur l'eau, il nous incombe de les garder en sécurité, si nous le pouvons, et c'est certainement un rôle que les phares peuvent jouer. On l'oublie peut-être parfois.
Le sénateur Watt : La question que je vais soulever touche probablement l'ensemble du comité. Je pense que le MPO nous doit une explication. J'ai entendu les gens expliquer qu'il est temps de changer. En même temps, je comprends aussi combien il est important de s'assurer que ce qui existe aujourd'hui est non seulement maintenu mais aussi amélioré.
Je viens de l'Arctique. Je sais de quoi vous parlez. Je sais ce que cela veut dire ne pas avoir de phares. Cela donne le frisson parfois. On met sa vie en danger. La côte de la Colombie-Britannique est superbe, mais c'est une côte déchiquetée, d'après ce que j'ai vu. Les activités sur la côte Est ne sont pas mieux parce qu'il arrive que des vents se mettent à souffler sans prévenir et qu'il n'y a pas d'endroits où s'abriter. Je comprends vos inquiétudes.
Le comité devrait peut-être demander au MPO non pas seulement une clarification mais aussi une explication. S'ils ont déjà fait leur idée, ils sont simplistes. À quoi sert notre comité? Que fait notre comité? Nous gaspillons du temps et de l'argent. Nous devons interroger le MPO, et le ministre devrait probablement lui aussi être convoqué afin d'en avoir le cœur net. Vous avez indiqué que vous avez une copie d'une lettre que vous avez reçue du premier ministre. Je suppose que c'était avant qu'il devienne premier ministre.
M. Abram : C'est exact.
Le sénateur Watt : On nous dit parfois que les fonctionnaires prennent des décisions pour les politiciens, et c'est peut-être ce qui arrive ici. Avez-vous une idée de ce que nous devrions faire et de la manière dont nous devrions jouer notre jeu?
M. Abram : Bien sûr. En tant que représentant d'une administration locale, je trouve que c'est malheureux pour les politiciens qui participent à ces processus, aussi bien le Parti conservateur que le Parti libéral. J'ai de la compassion pour vous, en tant que politicien moi aussi. Le « personnel » — j'emploie ce terme simpliste pour désigner la haute direction — s'est lancé dans un processus qui est allé trop loin, et le public prétend que c'est la faute des politiciens.
Comme je l'ai affirmé dans mon exposé, ce qui est arrivé n'est pas de la faute du gouvernement. La haute direction a trouvé le moyen de convaincre les gens qu'ils peuvent faire des économies. Je dois demander au comité : combien de chiffres différents avez-vous entendus au sujet du coût de l'exploitation des phares et des économies qui seront réalisées? J'en ai vu trois, dans les médias, qui auraient été fournis par le ministre ou le commissaire ou je ne sais qui. Ils sont tous différents. Comment ces chiffres peuvent-ils changer d'un jour à l'autre? Il n'y a jamais eu d'analyse coûts- avantages du programme, jamais. Sans elle, comment peut-on dire qu'on fera des économies? S'il en coûte 4 millions de dollars pour faire fonctionner un phare, et qu'on dit que cela coûte 8 millions de dollars et qu'on économisera cette somme, ce qu'on ne dit pas c'est le montant qu'il faut investir dans le phare, d'abord pour l'automatiser et ensuite pour l'entretenir.
J'ai apporté des photos. Je ne sais pas si elles ont été distribuées. J'aimerais que vous jetiez un coup d'œil sur les photos d'un phare qui se trouve à 10 minutes de vol de la base de la Garde côtière à Victoria. La base de la Garde côtière est à Victoria, en Colombie-Britannique. À 10 minutes de là, il y a ce phare appelé Discovery Island. Il a été automatisé en 1998. J'aimerais que vous voyiez ce qui est arrivé à ce phare en ces quelques années. S'ils ne peuvent pas entretenir un phare à 10 minutes de la base, que feront-ils de ceux qui sont ailleurs?
Au milieu du détroit de Géorgie, il y avait un phare qui a été automatisé à la même époque, en 1998. Il s'appelle Sister Island. Ce phare a été complètement vandalisé. L'équipement solaire, les génératrices, les batteries de secours ont été volés. Puis, le phare a été vandalisé lui aussi. Les fenêtres du phare ont été cassées et les feux ont été brisés. Il a fallu plus de 1 million de dollars pour remettre le phare en état. S'il y avait eu un gardien, rien de tout cela ne serait arrivé. Il n'y avait jamais de vandalisme, jamais.
Une foule de coûts ne sont pas mentionnés. Par exemple, quand il faut envoyer un hélicoptère, comme celui à bord duquel les sénateurs ont volé, le Bell 212, à un coût de plus de 3 000 $ l'heure, avec quatre à six techniciens payés 60 $ ou 70 $ l'heure pour aller changer une ampoule dans un phare. Il faut trois ou quatre autres personnes parce que chacun fait un métier différent. Ils ne savent pas ce qui ne fonctionne pas; seulement que quelque chose ne fonctionne pas.
Un gardien de phare qui ne peut pas réparer quelque chose appelle la base et décrit le problème. Qui faut-il envoyer? Parfois, une seule personne. Parfois, le matériel peut être livré par camion le lendemain quand il y a une route jusqu'au phare.
Les gardiens font fonctionner les phares coûte que coûte. Aux trois phares où j'ai travaillé pendant plus de 25 ans, jamais un feu n'a été en panne pendant plus d'une demi-heure. Certains phares automatisés sont restés en panne pendant plus d'un mois avant que la Garde côtière puisse aller les réparer.
Un avis aux navires est émis. Les gens en entendent parler, mais ils ne voient toujours pas le feu. La Garde côtière a aussi réduit l'intensité des feux. On avait l'habitude de voir les feux sur une distance d'au moins 15 milles. Maintenant, ils ont décidé que certains feux peuvent être visibles à 5 milles et d'autres à 2.
La première fois qu'ils ont réduit le feu à Cape Mudge, où je vis, la visibilité à 15 milles a été réduite à 5 milles. Le traversier de l'île Quadra passe 3 milles plus loin. Le premier jour, j'ai reçu un appel du capitaine du traversier me disant que notre feu était éteint. Je lui ai répondu que je regardais dans la direction du feu et que je le voyais. Il s'est entêté et m'a dit qu'ils avaient réduit l'intensité du feu. Il se trouvait à 3 milles du feu et ne pouvait pas voir un feu censé être visible à 5 milles.
Je lui ai donné le numéro où appeler et il a fait un signalement, mais jusqu'ici, les nouveaux feux DEL sont imposés aux utilisateurs parce qu'il est plus facile de les faire fonctionner à l'énergie solaire. Ils demandent moins d'électricité. Les unités solaires coûtent au moins 250 000 $ chacune. À Cape Mudge, le phare où j'étais, le feu est alimenté à l'énergie solaire depuis 1998, à l'aide de l'ampoule solaire, et il y a de l'hydro-électricité sur l'île. Il n'y a jamais eu besoin de dépenser un sou. Depuis 12 ans, le phare fonctionne à l'énergie solaire, il y a un gardien qui a de l'électricité hydro- électrique et la facture d'électricité est de quelques dollars par année, pas des centaines de milliers de dollars.
Le vice-président : Il serait peut-être utile que je rappelle rapidement que le ministre des Pêches et des Océans nous a demandé d'étudier cette question. Je pense que nous pouvons supposer que le ministre attend notre avis.
Je prends note de votre observation, sénateur Watt. Le comité pourrait envisager de demander une réponse du gouvernement au rapport lorsqu'il sera publié. Le sénateur Hubley a raison de dire que c'est un défi, mais nous visons à achever notre rapport avant la fin de l'année civile.
J'aimerais poser une question à Mme Arsoniadis-Stein. Je n'ai pas fait la visite sur la côte Ouest, mais il était notable qu'un exposé présenté au comité par l'industrie du transport maritime semblait indiquer que les économies découlant de l'automatisation pourraient aider la Garde côtière à financer des améliorations technologiques qui faciliteraient la navigation des gros bâtiments. Cet exposé a été présenté par le directeur de la Chamber of Shipping of B.C., M. Steven Brown.
Le point de vue est différent de celui que vous avez présenté aujourd'hui au nom de l'International Ship-Owners Alliance of Canada. Pouvez-vous aider le comité à comprendre quel segment de l'industrie est représenté par qui, et décrire ce qui peut expliquer ce qui semble être un point de vue différent de ce que nous avons entendu jusqu'ici?
Mme Arsoniadis-Stein : La B.C. Chamber of Shipping représente divers intérêts. Par exemple, vous verrez que les pilotes en font partie, tout comme le port de Vancouver, les courtiers, les agents et les propriétaires de navires. L'éventail est large.
L'International Ship-Owners Alliance of Canada regroupe uniquement des armateurs. Tous les membres de l'International Ship-Owners Alliance of Canada sont membres de la Chambre parce que nous faisons partie d'une communauté plus large. De fait, j'assiste à toutes les réunions du comité des propriétaires à la Chambre.
Cette question n'a pas fait l'objet de consultations auprès des membres de la B.C. Chamber of Shipping. À ma connaissance, les propriétaires de navires n'ont pas été consultés. J'ai consulté tous les membres de l'International Ship-Owners Alliance of Canada à ce sujet, et je leur ai même demandé par la suite s'ils avaient d'autres nouvelles de la B.C. Chamber of Shipping. Vous remarquerez que notre lettre date du 3 août, si je ne m'abuse.
Le vice-président : C'est exact; le 3 août 2010.
Mme Arsoniadis-Stein : Vingt jours plus tard, la Chambre a présenté sa position. Notre groupe n'était pas au courant de cette position de la Chambre.
Je citerai sa lettre.
En bout de piste, le gouvernement a une responsabilité envers la population en général d'affecter efficacement les ressources financières, dans ce cas-ci vers les nombreux projets très prioritaires en cours actuellement.
Si je comprends bien, les pilotes côtiers de la province ont demandé du financement supplémentaire pour les aides à la navigation, et je pense que ce financement devrait être accordé. S'il y a un besoin, ce n'est pas là qu'on veut réduire les coûts. Cela ne devrait pas être relié au budget des phares et de leurs gardiens. Les pilotes sont membres de la Chambre.
Je ne peux que supposer — et je ne veux pas parler en leur nom — que la position des pilotes a été prise en considération, d'où la lettre. Je peux vous assurer que nos membres n'ont pas été consultés.
M. Abram a peut-être des précisions à apporter.
M. Abram : À mon avis, c'était une lettre purement politique. Elle n'avait rien à voir avec la question de savoir s'il faut des gardiens ou non dans les phares ou si la communauté maritime avait besoin de gardiens dans les phares.
Je suis allé voir les pilotes côtiers de la province — et c'est là que se trouvent certains des renseignements que vous demandez. En 1995, les pilotes côtiers de la Colombie-Britannique ont écrit une lettre, signée par un directeur, le capitaine Peter Vivian, qui appuyait complètement les phares. En plus d'appuyer les phares, la lettre portait sur toute la côte. Je crois que cette lettre vous a été remise. Si elle ne l'a pas été, je vous en laisserai une copie. Elle portait sur toute la côte et elle expliquait comment chaque phare est utilisé par les pilotes côtiers, à quel point ils sont importants et qu'il ne fallait enlever aucun gardien.
Ils ont comparu aux audiences publiques de la Garde côtière, auxquelles j'ai assisté moi aussi. Je faisais partie du comité, ainsi que quatre gestionnaires et quatre gardiens de phare. Ils ont témoigné à Vancouver et à Victoria. Ils utilisent ces phares parce que certains appareils électroniques ne fonctionnement pas sur les bateaux qui naviguent dans ces régions ou n'existent pas. C'est là que le phare, la corne de brume, les feux, et cetera, entrent en jeu.
La question a refait surface quand je suis allé à Vancouver pour demander aux pilotes côtiers de la province de confirmer leur lettre de 1995 pour le processus d'automatisation des phares. J'ai parlé à quelqu'un — je ne me souviens plus exactement de son poste, le directeur général, le chef du personnel, quelqu'un qui ne siège pas au conseil. Il m'a affirmé de but en blanc, clairement, sans rien cacher, que leurs représentants à Ottawa avaient rencontré le bureau du commissaire et qu'on leur avait dit clairement que s'ils voulaient leurs aides à la navigation dans quelques secteurs de la côte de la Colombie-Britannique — je crois que c'était à Kitimat et Vancouver, principalement à cause du trafic des pétroliers — ils devraient appuyer l'automatisation des phares, sinon, les crédits ne seraient pas dégagés pour ces aides à la navigation. L'information a été transmise au conseil et le conseil a réagi, à juste titre je crois, par la peur. S'ils ne pouvaient pas obtenir les aides dont ils ont besoin dans ces régions, pour leurs besoins particuliers, ils appuieraient probablement l'automatisation des phares. Ce sont des conjectures, mais ils sont allés à la Chamber of Shipping et ils en ont parlé et la Chambre n'a pas été favorable au maintien des gardiens de phare.
J'ai trouvé très déplaisant que le commissaire de l'époque — pas le commissaire actuel — ose faire une telle suggestion. C'est une chose de demander un appui pour un programme, mais c'en est une autre de laisser entendre qu'un autre programme ne sera pas appuyé si l'on n'appuie pas le premier. Ce n'est pas bien.
Vous vouliez que je sois franc et je l'ai été. Je vais probablement me faire tuer en rentrant à la maison.
Le vice-président : Je pense que vos observations au comité sont protégées par le privilège parlementaire.
M. Abram : Je l'espère.
Le vice-président : Nous vous remercions de votre candeur. Je n'en attendais pas moins, connaissant M. Abram.
Vu qu'il n'y a pas d'autres questions, j'aimerais remercier sincèrement nos deux témoins. Puisque nos travaux relatifs à la dotation se terminent, à la demande du ministre, je pense que vous êtes les derniers témoins que nous aurons entendus.
Il serait peut-être utile de rappeler au public qui regarde nos délibérations que nous examinerons encore les phares patrimoniaux l'an prochain, mais que nous avons convenu de déposer un rapport provisoire sur la dotation avant la fin de cette année.
Le comité ne se réunira pas la semaine prochaine, si je comprends bien, et nous devrions examiner l'ébauche de notre rapport dans la semaine du 14 décembre.
M. Abram : Avant de lever la séance, je signale quelques documents que le comité ne semble pas avoir reçus. J'en ai apporté des exemplaires et j'aimerais les déposer. Votre greffière peut vous les distribuer.
Le vice-président : Ce serait très apprécié, y compris la lettre de 1995 que vous venez de mentionner parce que je ne sais pas si nous l'avons reçue. La greffière sera ravie de les recevoir.
M. Abram : Je vous remercie, ainsi que tous les sénateurs et les employés qui se sont penchés sur cette question. C'est un sujet qui me tient évidemment à cœur, mais aussi à cœur du public canadien. J'ai hâte de voir le résultat de vos délibérations et ce qui arrivera par la suite.
Le vice-président : La séance est levée.
(La séance est levée.)