Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires étrangères et du commerce international
Fascicule 16 - Témoignages du 17 février 2011
OTTAWA, le jeudi 17 février 2011
Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd'hui, à 10 h 31, pour étudier les faits nouveaux en matière de politique et d'économie au Brésil et les répercussions sur les politiques et intérêts du Canada dans la région, et d'autres sujets connexes.
Le sénateur A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Nous sommes au Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international. Je suis le sénateur Andreychuk et préside le comité. Le comité poursuit son étude spéciale sur l'évolution politique et économique au Brésil et les implications pour la politique et les intérêts canadiens dans la région, et d'autres questions connexes. Il s'agit de notre dixième réunion sur cette étude.
Mesdames et messieurs les sénateurs, nous accueillons ce matin par vidéoconférence des témoins de Washington, D.C. Du Woodrow Wilson International Center for Scholars, nous avons M. Paulo Sotero, directeur de l'Institut du Brésil, Programme d'Amérique latine, M. Leslie Bethell, chercheur principal, Institut du Brésil, Programme d'Amérique latine, et du Council of the Americas/Americas Society, M. Eric Farnsworth, vice-président.
Le Woodrow Wilson International Center for Scholars a été créé par une loi du Congrès en 1968 pour mener des recherches non partisanes dans les sciences sociales et humaines. Il accueille pour de longues périodes de temps des chercheurs et des penseurs éminents provenant de disciplines et de milieux divers qui traitent avec les décideurs politiques et réalisent des projets. Ses nombreux programmes portent sur divers thèmes et régions et l'Institut du Brésil est logé dans les locaux du Programme d'Amérique latine. Entre autres activités, il organise régulièrement des forums de politiques sur le commerce et le développement, les relations internationales, les sciences, l'environnement et les politiques publiques au Brésil, et s'occupe de nommer des universitaires et experts brésiliens pour effectuer des recherches.
M. Paulo Sotero est un ancien correspondant à Washington pour le journal O Estado de S. Paulo. Il est chargé de cours sur les politiques et les médias brésiliens à l'Université de Georgetown, et il écrit des articles sur les affaires brésiliennes et latino-américaines et sur les relations entre le Brésil et les États-Unis.
M. Leslie Bethell est professeur émérite d'histoire latino-américaine et chercheur honoraire de l'Institut pour l'étude des Amériques à l'Université de Londres. Il a dirigé l'Institut des études latino-américaines à l'Université de Londres et le Centre d'études brésiliennes à l'Université d'Oxford.
Le Council of the Americas a été créé en 1965 en tant qu'organisation commerciale internationale dont les membres sont voués au développement économique et social, à l'ouverture des marchés, à la primauté du droit, ainsi qu'à la démocratie dans l'hémisphère occidental. Ses membres comprennent de nombreuses sociétés de tailles variées qui font des affaires en Amérique latine, y compris des entreprises canadiennes et antillaises.
M. Farnsworth est vice-président du Council of the Americas depuis 2003. Il a un MPA en relations internationales de la Woodrow Wilson School of Public and International Affairs de Princeton. De 1995 à 1998, M. Farnsworth a servi à la Maison-Blanche à titre d'envoyé spécial pour les Amériques.
Bienvenue, messieurs, au comité et au Canada. Vous connaissez assurément fort bien l'historique et le contexte des questions que nous voulons étudier.
Eric Farnsworth, vice-président, Council of the Americas/Americas Society : Je vous remercie de votre très généreuse présentation et de nous offrir le luxe de témoigner par vidéoconférence. Nous apprécions beaucoup l'occasion que vous nous offrez de témoigner.
Je vous félicite pour votre leadership sur ces questions importantes, et je suis heureux de prendre part à cette tribune en compagnie d'autres gens d'une telle prééminence et stature.
Comme vous l'avez mentionné, le Council of the Americas a été fondé en 1965. L'hémisphère a connu depuis des changements positifs et spectaculaires. Aucune autre nation de la région n'illustre peut-être mieux ces changements que le Brésil. À notre avis, le Brésil est une nation en mouvement, une démocratie forte avec une économie en plein essor qui, cherchant à jouer un plus grand rôle sur la scène internationale, a su y trouver sa place.
À mon avis, on pourrait dire que le Brésil est sur une bonne lancée depuis que le président Fernando Henrique Cardoso a maîtrisé l'inflation dans les années 1990. Au cours des huit dernières années, en se basant sur les solides fondations qui avaient été établies, son successeur Luiz Inacio Lula da Silva a stimulé l'économie, élargi la classe moyenne de manière spectaculaire, réduit la pauvreté, — qui pourtant est encore trop élevée puisqu'elle touche un quart de la population — et étendu l'influence du Brésil sur la scène internationale. L'investiture de Dilma Rousseff le 1er janvier, en tant que première présidente du Brésil, symbolise les avancées sociales et poursuit l'œuvre de Lula.
Nous nous attendons à la poursuite des politiques en cours, avec un accent encore plus prononcé sur les questions de développement national. La présidente Rousseff a ainsi déclaré que les questions nationales, y compris la lutte contre la pauvreté et les réformes économiques, seront les priorités de son programme.
Avec une économie qui à elle seule pèse autant que toutes celles de la région et une croissance rapide — 7,5 p. 100 en 2010, et des prévisions de 5,5 p. 100 jusqu'en 2014 selon la banque centrale —, le Brésil mène l'Amérique latine qui se tourne désormais avec confiance vers d'autres partenaires que l'Amérique du Nord, notamment l'Asie, pour diversifier ses relations. En fait, et ce n'est sans doute pas un secret pour vous, la Chine est désormais son premier partenaire commercial, la relation étant principalement fondée sur l'agriculture brésilienne et les exportations minières.
Ces nombreux changements n'ont pas échappé à la communauté mondiale. Le Brésil, qui fait partie du G20, accueillera la Coupe du monde en 2014 et les Jeux olympiques en 2016. Il a donc de quoi célébrer.
En outre, le Brésil joue un rôle croissant de coopération dans de nombreux secteurs où le Canada est également présent, dont le maintien de la paix en Haïti et en Afrique, la lutte contre le terrorisme et l'application de la loi, le développement économique régional, l'énergie propre et la lutte contre les changements climatiques.
La coopération avec le Brésil peut — et à mon avis, devrait — se poursuivre. Cela est d'autant plus important d'un point de vue stratégique que le Brésil se cherche un style de leadership.
Tout cela dépendra en grande partie des intérêts internationaux qui seront ceux du Brésil sous la présidence de Rousseff. Le Brésil cherchera-t-il à se ranger parmi les pays occidentaux ou parmi ceux du BRIC? Se verra-t-il le leader du monde en développement ou le chef de file de l'Amérique du Sud? Fort probablement, une combinaison de tous ces rôles.
Compte tenu de tous ces facteurs, plusieurs thèmes de la relation bilatérale pourraient être développés et je les citerais puisqu'ils pourraient être le fondement de notre conversation.
Premièrement, le Canada s'est fixé comme priorité de politique étrangère un engagement renforcé dans les Amériques, ainsi que la promotion de la sécurité, de la démocratie et de la prospérité dans la région. Ces objectifs ne peuvent tout simplement pas être atteints sans une relation solide avec le Brésil. Bien qu'il y ait eu par le passé des différences d'approche, en particulier dans la relation commerciale, elles semblent être largement compensées par les domaines de coopération possible.
Ainsi, l'agriculture du Brésil est l'une des industries les plus technologiquement avancées et, tout comme le Canada évidemment, le Brésil est un concurrent mondial dans ce domaine. Plutôt que de s'attacher à l'aspect concurrentiel de la relation, on pourrait rechercher — puisque nous avons des saisons de culture différentes — des possibilités de coopération dans des secteurs tels que la R-D, avec l'accent sur l'énergie propre, où les deux pays sont des chefs de file. Sur le plan commercial, on pourrait collaborer au sein d'instances comme l'OMC pour réduire au plan mondial les subsides à l'agriculture.
D'autres secteurs se prêtent aussi à la collaboration : l'atténuation des effets des changements climatiques, par exemple. On sait tous que l'Amazonie brésilienne est bien connue comme le « poumon de la terre », alors qu'au Canada, l'exploitation des sables bitumineux est jugée par certains coûteuse sur le plan de l'environnement. Avec un peu de créativité, les deux nations pourraient collaborer sur les questions mondiales de carbone et sur de nouvelles technologies propres à atténuer des problèmes environnementaux communs.
Les deux nations pourraient également envisager de resserrer la coopération dans le domaine de la défense, par exemple en menant des exercices conjoints de maintien de la paix et des opérations humanitaires dans des régions où elles sont toutes deux présentes, dans l'hémisphère ou ailleurs. Il faut en même temps souligner que l'exclusion délibérée du Canada et des États-Unis de la part de groupements sous-régionaux tels que l'UNASUR, l'Union des nations sud- américaines, et autres instances de défense n'est pas, à mon avis, propice à cette approche commune.
Le Brésil est également un partenaire naturel dans les finances mondiales, en particulier au sein du G20. Les deux pays ont un message fort à transmettre à l'issue de la crise financière mondiale de 2008-2009, un message qui parle de politiques saines, notamment dans les secteurs de la banque. Les possibilités de collaboration sur ces questions sont vastes alors que sont élaborées et mises en œuvre de nouvelles réglementations. Dans le même temps, la coordination des efforts dans des dossiers difficiles tels que la valeur de la monnaie chinoise, à laquelle les dirigeants brésiliens se sont dits publiquement opposés, pourrait également être mutuellement enrichissante.
Le commerce et l'investissement sont d'autres domaines à explorer. Des entreprises comme Vale ont déjà vu des possibilités de collaboration, comme vous le savez tous. Dans une de vos précédentes sessions, le sénateur Wallin a demandé qu'on lui donne quelques arguments brefs et convaincants en faveur d'un accord de libre-échange entre le Canada et le Brésil. Les voici : le Brésil est un grand marché en pleine expansion où le pouvoir d'achat augmente et qui est friand des produits de l'Amérique du Nord. Le Canada étant soucieux de diversifier ses relations commerciales afin d'être moins dépendant de l'économie américaine et de notre cycle économique, le Brésil lui offre l'une des meilleures possibilités d'accroître de manière significative ses exportations, depuis les produits fabriqués et de haute technologie, jusqu'aux services énergétiques et financiers, en passant par tous les autres.
Le Brésil est la plus grande démocratie d'Amérique latine, avec une économie stable et croissante. Si le Canada prend les devants, comme il l'a fait en signant des accords avec le Chili et la Colombie, il devancera les États-Unis et gagnera des parts de marché pour ses produits. Les avantages d'une telle approche sont à mon avis évidents.
Je ne veux pas dire que tout est parfait sur le plan commercial au Brésil. Le pays reste à bien des égards un endroit difficile où faire des affaires, mais pour les possibilités qu'il offre dans les domaines du commerce, de l'investissement et tous les autres, il devrait être en tête de liste.
Madame la présidente, je vous remercie encore de l'occasion que vous m'avez donnée de m'adresser à vous ce matin et je me réjouis à la perspective de prendre connaissance des témoignages de mes collègues et de répondre aux questions du comité.
Paulo Sotero, directeur, Institut du Brésil, Programme d'Amérique latine, Woodrow Wilson Center : C'est pour moi un honneur de prendre la parole devant votre comité pour communiquer quelques réflexions sur la stratégie internationale du Brésil et la position de ce pays dans un monde où l'équilibre des pouvoirs évolue rapidement.
D'un point de vue interne, l'essor actuel du Brésil est enraciné dans la démocratie politique et la stabilité économique à laquelle il est arrivé, comme l'a mentionné M. Farnsworth en 1994, démocratie et stabilité qui ont été maintenues par deux administrations. Cette continuité a permis au pays d'affronter avec succès la pauvreté et les inégalités qui ont toujours été un frein au développement et à la croissance de la nation.
Aujourd'hui, une majorité des 195 millions de Brésiliens fait partie d'une classe moyenne en expansion qui consomme davantage et qui est devenue de ce fait le principal moteur de la croissance économique durable. Mettre fin à la pauvreté absolue, qui frappe encore quelque 15 millions de Brésiliens, est devenu un objectif réaliste et que la présidente Dilma Rousseff a promis de réaliser au cours des quatre prochaines années.
L'extraordinaire popularité du président Lula chez lui et à l'étranger a certainement contribué à dynamiser une politique étrangère plus affirmée dans un paysage international qui change rapidement. Cependant, la visibilité et la présence plus grandes du Brésil dans le monde découlent essentiellement de l'économie d'une nation dont le marché intérieur est en expansion et qui abrite également un nombre croissant d'entreprises mondiales. Le Brésil est devenu un important producteur de denrées alimentaires, de produits énergétiques primaires et manufacturés, y compris les avions — cela est bien connu — et les services.
La position et le rôle du Brésil dans le monde ont fait l'objet — comme il se doit dans une démocratie dynamique — d'un intense débat interne. Sur le plan des atouts, les Brésiliens reconnaissent et célèbrent la confiance nouvelle avec laquelle le pays s'exprime sur la scène internationale et qui reflète non seulement ses réalisations nationales, mais aussi l'influence politique considérable qu'il a acquise, en dépit de quelques déconvenues, dans les affaires mondiales.
L'une de ces frustrations est évidemment l'interruption des négociations lancées par l'Organisation mondiale du commerce dans le cadre du cycle de Doha. Le Brésil a également éprouvé de la frustration lorsque, l'année dernière, en collaboration avec la Turquie, il a tenté en vain d'arbitrer un différend entre l'Iran et la communauté internationale au sujet du programme nucléaire de Téhéran. On considère également comme regrettable cette initiative. Même avant son investiture le mois dernier, la présidente Dilma Roussef avait déjà pris ses distances par rapport aux erreurs politiques qui ont entraîné cet épisode. La présidente Roussef fera certainement preuve de continuité dans sa politique étrangère, mais le nouveau cadre dans lequel celle-ci s'inscrira donnera voix au chapitre à un plus grand nombre de gens qui témoignent des valeurs démocratiques du Brésil, en commençant par le respect des droits de la personne et le rétablissement d'un consensus national en matière de politique étrangère. Comme le ministre des Affaires étrangères, Antonio Patriota, l'a indiqué récemment, la continuation ne suppose pas la répétition.
La politique étrangère du Brésil continuera d'être principalement axée sur l'établissement de relations plus étroites avec ses voisins d'Amérique du Sud. L'asymétrie croissante qui existe entre le PIB du Brésil et celui de ses voisins représente une importante difficulté et mettra grandement à l'épreuve la capacité du Brésil en tant que puissance régionale et chef de file régional dans les années à venir.
Le ministre Patriota a déclaré que leur tentative pour établir des relations avec leurs voisins ne se ferait pas aux dépens des liens plus étroits que le Brésil entretient avec les pays développés et d'autres nations du Sud. En invitant le président Barack Obama à visiter le Brésil le mois prochain, la présidente Dilma Roussef a clairement démontré le désir de son gouvernement de revaloriser les relations avec les États-Unis.
Il faut s'attendre à ce que le Brésil poursuive sa stratégie, amorcée par le président Lula, qui vise à entretenir des liens étroits avec l'Afrique. Cet effort illustre non seulement le sentiment de solidarité que le Brésil éprouve à l'égard du continent auquel, d'un point de vue historique, il a l'impression d'être lié, mais aussi son nouveau rôle en tant que donateur. En passant, c'est un sujet qu'un érudit canadien a très bien analysé. Le Brésil commence à apporter une aide internationale à l'Afrique et à l'Amérique latine. De plus, le Brésil attache manifestement beaucoup d'importance aux intérêts commerciaux croissants qu'il a dans ces deux régions.
À l'échelle mondiale, le Brésil continuera de participer activement au G20 et de s'employer à rendre les institutions internationales plus représentatives des réalités mondiales et plus efficaces dans le domaine de la promotion de la paix et du développement. Toutefois, il faut s'attendre à ce que le gouvernement de la présidente Roussef calibre soigneusement les objectifs internationaux et les ambitions du Brésil en fonction de la place qu'il occupe dans l'équilibre des pouvoirs internationaux en constante évolution et de sa capacité d'apporter des changements. Cette capacité découle premièrement des réalités nationales du pays ainsi que de la mesure dans laquelle il réussit à relever les défis qu'il doit affronter pour maintenir la croissance économique, continuer de réduire la pauvreté et l'inégalité, et améliorer la qualité de ses produits.
Je suis du même avis que M. Farnsworth en ce qui concerne les perspectives en matière d'entreprises canado- brésiliennes qu'il a décrites. Manifestement, la présence du Canada au Brésil remonte à 100 ans ou plus. Dilma Rousseff comprend clairement le lien qui existe entre les défis de sa politique étrangère et ceux qu'elle doit affronter à l'échelle nationale en tant que présidente. Elle a établi des objectifs clairs visant à réduire la vulnérabilité nationale du Brésil. Le pays vit une période d'intégration de la politique étrangère et des objectifs nationaux.
La présidente Roussef, qui est une gestionnaire avant d'être une chef, a placé la préservation de la stabilité économique en haut de la liste des priorités de son gouvernement. En passant, hier, elle a remporté sa première grande épreuve en tant que présidente, en approuvant au Congrès une augmentation du salaire minimum qui ne compromet pas la lutte pour contenir une récente flambée de l'inflation et pour préserver la valeur réelle du pouvoir d'achat des salaires brésiliens.
Ses autres priorités comprennent l'augmentation de la qualité des dépenses publiques du pays et une amélioration spectaculaire de l'éducation des citoyens. Ces mesures sont essentielles si l'on veut que l'économie brésilienne devienne concurrentielle à l'échelle internationale. Son gouvernement a aussi pour priorité de développer les ressources énergétiques du pays et d'agrandir son infrastructure qui est clairement insuffisante. Cet enjeu est important, et tous les Brésiliens en ont conscience.
Ces initiatives — en particulier celle concernant l'infrastructure — exigeront un apport continu de capitaux étrangers pour que les investissements soient productifs, et il est probable qu'elles inciteront grandement le gouvernement à rester concentré sur ses priorités et à nouer un dialogue positif à l'échelle internationale.
Leslie Bethell, chercheur principal, Institut du Brésil, Programme d'Amérique Latine, Woodrow Wilson Center : Bonjour, chers sénateurs, et merci de m'avoir invité à participer, ce matin, à votre discussion sur le Brésil.
Je suis un historien britannique de l'Amérique latine et, en particulier, du Brésil. Pendant 10 ans, j'ai occupé le poste de directrice du Centre for Brazilian Studies de l'Université d'Oxford. Depuis que j'ai pris ma retraite, il y a trois ans, je vis au Brésil, et je suis rattaché à l'un des principaux centres de réflexion du Brésil. Chaque année, je passe deux ou trois mois à l'Institut du Brésil du Woodrow Wilson Center, et j'ai commencé à me concentrer davantage sur le Brésil contemporain et, surtout, sur ses politiques et ses relations internationales.
Je parlerais volontiers du système politique brésilien et des politiques nationales du Brésil, mais je crois comprendre que la séance d'aujourd'hui met l'accent sur l'entrée en scène, au cours des 10 ou 15 dernières années, du Brésil en tant qu'acteur important à l'échelle tant régionale que mondiale.
Depuis que le Brésil a obtenu son indépendance du Portugal, il y a de cela presque 200 ans, les intellectuels et les politiciens brésiliens, appuyés par bon nombre d'étrangers, croient que le Brésil a la possibilité de devenir un important pays et peut-être même un grand pays. Cette croyance est fondée sur la superficie continentale du Brésil, sur son unité territoriale et politique incontestée, sur l'absence de conflits linguistiques, religieux, ethniques et régionaux en son sein, malgré la période d'esclavage et le problème de racisme qui l'a suivie, et, finalement, sur ses immenses ressources naturelles qui ne sont pas le moindre de ses atouts.
D'un point de vue historique, il est intéressant de constater à quel point le Brésil a joué un rôle relativement accessoire dans les affaires régionales et mondiales depuis son indépendance. Évidemment, ce qu'on entend par affaires régionales dépend en grande partie de la façon dont on définit la région — selon qu'on la considère comme l'hémisphère occidental, l'Amérique latine ou simplement l'Amérique du Sud. Le Brésil n'a jamais eu le sentiment de faire partie de l'Amérique latine et n'a jamais participé aux tentatives pour l'unifier. En fait, au cours du XXe siècle, le Brésil s'est beaucoup rapproché des États-Unis, mais cette relation, dont nous pourrons peut-être parler plus tard, est très complexe.
Le Brésil a joué un rôle encore plus accessoire sur la scène mondiale. Il appuie en général les États-Unis, et il a tenté seulement à deux reprises, au début des années 1960 et au milieu des années 1970, d'adopter ce qu'on a appelé une politique étrangère indépendante, ce qui signifiait habituellement qu'il avait des sympathies pour l'Afrique et l'Asie, mais pas tellement pour l'Amérique latine ou l'Amérique espagnole. Le Brésil s'est replié surtout sur lui-même et s'est préoccupé de son propre développement économique, de l'édification de son État, de la façon de gouverner cet immense pays qui était sous-peuplé jusqu'à récemment et de la définition de sa propre identité nationale.
Pourquoi les choses ont-elles changé au cours des 10 à 15 dernières années? La réponse nous saute tous aux yeux. Le Brésil a changé lorsqu'il est devenu une démocratie à part entière, que son économie s'est stabilisée, que sa croissance économique s'est rétablie et qu'il a commencé à s'attaquer à ses principaux problèmes sociaux. De plus, l'administration Cardoso et l'administration Lula ont eu nettement la volonté politique de jouer un plus grand rôle, à la mesure de la superficie du Brésil, de sa population et de son économie, de façonner et d'influencer les institutions régionales et mondiales, et de jouir peut-être d'un plus grand prestige, d'une plus grande influence et d'une plus grande puissance.
En outre, le monde a changé après la guerre froide. Le système multipolaire a permis à des puissances montantes intermédiaires comme le Brésil de se manifester, de même que le déclin relatif du prestige et de l'influence des États- Unis et l'apparition de bon nombre de nouveaux problèmes mondiaux dans lesquels le Brésil joue un rôle important et dont les moindres ne sont pas le changement climatique, la sécurité énergétique et alimentaire, l'approvisionnement en eau, la réduction de la pauvreté et la non-prolifération nucléaire.
La région a également changé. Les États-Unis traversent l'une de ces périodes pendant lesquelles ils tentent d'oublier l'Amérique latine. Ils regardent ailleurs dans le monde. L'Argentine connaît un grave déclin. Le Mexique s'est joint à l'Amérique du Nord et a ses propres problèmes nationaux à régler et, pendant ce temps, le Brésil continue de croître et de chercher à accroître son commerce et ses investissements dans la région.
Par conséquent, nous avons remarqué que, sur la scène mondiale, le Brésil négligeait dans une certaine mesure ses relations avec les États-Unis et l'Europe pour se concentrer sur ses relations avec les pays du Sud. Tous les acronymes que nous utilisons sont les suivants : BRIC, IBSA — l'Inde, le Brésil et l'Afrique du Sud —, la Communauté des pays de langue portugaise, la CPLP, et, récemment, le Moyen-Orient. Le Brésil participe également aux institutions multilatérales de manière beaucoup plus efficace. Si pendant la majeure partie de son histoire, il a fait moins que sa part, il est possible que, dernièrement, il fasse, en quelque sorte, plus que sa part. N'oubliez pas que le Brésil est le seul grand pays de cette taille à ne pas posséder une puissance coercitive appréciable. En 2008, le président Lula a annoncé une stratégie en matière de défense nationale qui tente de remédier au problème, ne serait-ce qu'en modernisant les forces armées brésiliennes.
En matière de sécurité, le Brésil est principalement préoccupé par l'Amazone, bien entendu, et par ce qu'il appelle l'Amazone bleue, c'est-à-dire la côte Atlantique où le pétrole est en passe de devenir un important enjeu.
En ce qui concerne les affaires régionales, le Brésil continue de jouer un rôle dans l'Organisation des États américains. Il a participé aux cinq Sommets des Amériques, mais il ne s'intéresse pas tellement aux affaires de l'hémisphère occidental; il s'est certainement élevé contre la création d'une zone de libre-échange des Amériques.
Pour ce qui est de l'Amérique latine, le Brésil assiste aux réunions du Groupe de Rio et s'est engagé à devenir membre de la communauté des États latino-américains et caribéens qui sera formée plus tard cette année. Toutefois, au cours des dernières années, il a porté toute son attention sur MERCOSUR et, en particulier, sur ce qui est devenu maintenant l'Union des nations sud-américaines, UNASUR.
Il existe une asymétrie des pouvoirs en Amérique du Sud, et même en Amérique latine, si l'on tient compte des problèmes que connaît actuellement le Mexique. Le Brésil est ambivalent par rapport à son rôle de chef de file dans la région et par rapport aux responsabilités et aux coûts qui s'y rattachent. Bon nombre de gens s'élèvent contre ce que de nombreux pays hispano-américains considèrent comme l'impérialisme brésilien.
D'autres projets prônent l'unité sud-américaine ou latino-américaine, dont le moindre n'est pas celui dirigé par Chavez. Toutefois, certains pays hispano-américains aiment mieux établir des relations avec les États-Unis qu'avec d'autres pays latino-américains.
Toute la question relative à l'identité du Brésil — à savoir son appartenance à l'Ouest, au Nord ou au Sud, son ralliement à l'Amérique latine ou à l'Amérique du Sud et, en particulier, la nature de sa relation avec les États-Unis — est un sujet extrêmement complexe. Que cherche le Brésil et quel rôle souhaite-t-il jouer sur la scène régionale et mondiale? Comme M. Sotero l'a dit, cette question fait l'objet d'un débat très intense. Pour la première fois dans l'histoire du Brésil, les Brésiliens discutent de la politique étrangère. La question s'est politisée et devient de plus en plus polémique.
Enfin, prévoyons-nous des changements sous la présidence de Dilma Rousseff, ou une continuité? Après tout, elle est une création du président Lula. Lorsque, pendant la campagne électorale, on lui demandait quelles étaient ses politiques à divers égards, elle répondait simplement qu'elle allait poursuivre les politiques du président Lula. S'agit-il du troisième mandat de Lula? Se contentera-t-elle de réchauffer le siège de Lula jusqu'en 2014, ou en fera-t-elle à sa tête? Nous avons disposé de six semaines pour procéder à une évaluation initiale. Son style est manifestement différent — moins personnel, moins grandiose, mais plus pragmatique. La présidente Rousseff doit relever immédiatement des défis à l'échelle nationale tant sur le plan politique, en raison du système politique brésilien et de la nécessité de mettre sur pied un gouvernement multipartite et de composer avec un Congrès multipartite, que sur le plan économique. L'héritage de Lula n'est pas aussi remarquable que Lula et ses admirateurs voudraient nous le faire croire, et la présidente Rousseff doit régler des problèmes majeurs découlant de l'irresponsabilité fiscale et d'un début d'inflation.
Dans le domaine des relations internationales, on peut voir des signes de changement. Sur la scène internationale, la présidente Rousseff a déjà déclaré qu'elle n'était pas d'accord avec la politique relative à l'Iran. Nous attendons de voir quelle sera sa politique à l'égard de la Chine, mais certains signes semblent indiquer qu'elle appuiera davantage les États-Unis par rapport à certains enjeux liés à la Chine. En ce qui concerne les affaires régionales, elle souhaite nouer avec les États-Unis une relation plus constructive que celle établie par l'administration Lula.
Il y a également des signes de continuité. Le premier pays que la présidente Rousseff a visité est l'Argentine. Durant sa visite, elle a tenu des propos très fermes au sujet de l'engagement du Brésil à l'égard de l'Amérique latine. Pendant ce temps, Marco Aurélio Garcia, son conseiller en matière d'affaires étrangères qui était aussi celui de Lula, écrivait dans Le Monde diplomatique qu'il portait toute son attention sur l'Amérique du Sud. De plus, nous nous demandons toujours si le Brésil fait partie de l'Amérique latine ou de l'Amérique du Sud, et s'il souhaite faire partie de l'hémisphère occidental.
Pour être franche, en tant qu'étrangère vivant au Brésil, j'entends rarement les gens discuter du Canada ou des relations canado-brésiliennes. Si le Brésil entame une relation plus constructive avec les États-Unis et met l'accent sur ses relations avec l'hémisphère occidental, alors les trois plus grands États, les trois plus grandes économies et les trois plus grandes démocraties de l'hémisphère occidental doivent assurément avoir diverses raisons de coopérer, comme mes collègues l'ont mentionné.
Il n'empêche que si le Brésil continue à privilégier l'Amérique du Sud et même l'Amérique latine en excluant les États-Unis et le Canada de bon nombre de ses discussions, le Canada peut au moins dire qu'il n'est pas les États-Unis, et qu'il a toujours la possibilité d'entretenir des relations bilatérales et de coopérer avec le reste du monde et de le faire par les institutions multilatérales.
La présidente : Je remercie sincèrement nos trois intervenants. Vous avez certainement couvert le domaine de la politique étrangère en jetant un regard sur l'avenir.
Le sénateur D. Smith : Monsieur Bethell, je suis intrigué. On a l'impression qu'il y a une rivalité entre le Brésil et les pays hispanophones.
Vos relations avec l'Argentine m'intriguent. Il y a environ 100 ans, l'Argentine était presque considérée comme un pays européen, en raison de son architecture de renommée mondiale et de son opéra célèbre. Il y a un opéra sur le bord de la rivière à Manaus, au Brésil, également. Toutefois, vous avez dit que la situation de l'Argentine s'est détériorée gravement. Lorsque vous songez à sa puissance, au tango et à l'Argentine pittoresque du passé, qu'est-ce qui a mal tourné en Argentine et qui ne s'est pas produit au Brésil, à votre avis?
M. Bethell : Vous avez soulevé des questions importantes. Il y a toujours eu une différence entre l'Amérique portugaise et l'Amérique espagnole, et cela remonte clairement à la période coloniale. Au XIXe siècle, l'Amérique espagnole entretenait très peu de relations avec le Brésil et ne le considérait pas comme un pays de l'Amérique latine. Comme l'empire brésilien, la monarchie brésilienne, se sentait supérieur à la plupart des républiques américaines espagnoles, leurs relations étaient froides au début.
Peu à peu, les deux pays ont dû collaborer. Le Brésil a pris part à trois guerres au Río de la Plata. À mesure que l'Argentine se révélait comme le plus important pays de l'Amérique latine, elle a commencé à se sentir supérieure au Brésil. Leur rivalité remonte à la fin du XIXe siècle.
Il y a un opéra à Rio de Janeiro et un autre à São Paulo qui est comparable au Teatro Colón de Buenos Aires. Au XXe siècle, certainement à partir des années 1930, la situation de l'Argentine s'est détériorée et celle du Brésil s'est améliorée considérablement; l'équilibre s'est radicalement inversé. Cette situation s'explique en partie par la taille du Brésil et ses ressources naturelles, quoique l'Argentine est riche en ressources naturelles. Elle s'explique aussi par le modèle de développement économique qu'utilise le Brésil depuis les années 1930. Le Brésil a une économie beaucoup plus diversifiée et un meilleur potentiel industriel. Petit à petit, le Brésil a résolu bon nombre de ses problèmes politiques, tandis que l'Argentine commençait à vivre une longue période de déclin économique et d'instabilité politique.
M. Sotero : Je pense que quand on est Brésilien, il est facile de comprendre que l'Argentine, dont le passé est brillant, doit composer avec le souvenir d'une prospérité, ce qui pose problème pour un pays aux prises avec de telles difficultés.
Vous avez parlé de rivalités entre le Brésil et les pays hispanophones. En fait, il n'y en a pas beaucoup. À mon avis, l'un des problèmes qui se posent au Brésil, c'est que nous devons accorder plus d'attention à nos pays voisins. Nous ignorons complètement nos voisins, surtout l'Argentine, pour des raisons historiques.
Au cours des années 1970, j'étais seulement le troisième journaliste brésilien spécialiste de l'Amérique latine. Nous ne nous intéressions pas à la région. Il n'en demeure pas moins que nous devons nous y intéresser de nos jours en raison de la place de plus en plus importante que nous prenons. Nous avons environ 50 000 immigrants clandestins boliviens à São Paulo. Notre pays devra croître et prospérer intelligemment. Nous devons partager la prospérité dont nous jouissons avec nos voisins. Il nous faut montrer la voie. Nous devons nous comporter de façon à ce que les autres pays se sentent inclus. Voilà le plus grand défi à relever pour les leaders brésiliens, non seulement pour la présidente Rousseff, mais également pour les prochains leaders. Au Brésil, il n'y a pas de sentiment de rivalité envers les pays voisins.
Le sénateur D. Smith : Ma dernière question porte sur l'essor de vos relations avec la Chine.
Notre comité était en Chine il y a un an. Lors de ma première visite dans ce pays, Mao était toujours vivant. Les différences entre les deux époques sont spectaculaires. À l'occasion, on entend des cris d'indignation du côté des Américains lorsqu'ils voient la valeur de la monnaie chinoise; ils ne semblent tout simplement pas arriver à faire face à la situation.
Qu'est-ce que le Brésil croit pouvoir faire pour atténuer le vrai problème?
M. Farnsworth : Je ne crois pas que le Brésil puisse faire grand-chose au sujet de la monnaie chinoise dans un cadre bilatéral. Comme vous l'avez souligné à juste titre, les États-Unis n'ont pas pu faire bien des choses, à part mettre la question à l'avant-plan des priorités internationales. C'est ici que le rôle du Brésil devient important. Je suis allé en Chine en novembre, au moment où on annonçait une série de mesures d'allègement quantitatif aux États-Unis. Comme dans d'autres régions du monde, les réactions en Chine ont été extrêmement négatives. Dans un cadre bilatéral, cela permet aux Chinois de dire que les Américains ne font qu'essayer de les empêcher de devenir des leaders mondiaux. Ils peuvent être utilement mis dans une catégorie distincte, tandis que tous les autres pays du monde sont considérés comme des amis de la Chine.
Lorsqu'au sein de la communauté internationale, par exemple au G20, dont sont membres le Canada et le Brésil, on met plus souvent à l'ordre du jour la question monétaire en tant qu'enjeu mondial — pour laquelle les Chinois doivent reconnaître que les répercussions ne se font pas sentir qu'aux États-Unis —, les choses deviennent alors différentes sur le plan qualitatif. Les Chinois ne peuvent pas considérer cela seulement comme un cri d'indignation de la part des États-Unis, comme vous le dites. C'est une question importante.
Je crois que les Brésiliens savent qu'à l'heure actuelle, il y a un déséquilibre dans leurs relations commerciales avec la Chine. Je crois qu'ils savent que la situation devra changer avec le temps. Au Brésil, on entre de plus en plus dans un débat qui remet en question le type de relations que le Brésil entretient avec la Chine. Ces relations sont basées avant tout sur les produits primaires, ce qui nous ramène au vieux modèle que l'Amérique latine avait l'habitude de suivre et dont elle tente de s'éloigner. Ce modèle consiste à fournir des produits primaires à d'autres pays qui créeront des produits à valeur ajoutée et en recueilleront le fruit. C'est un débat passionné, et nous nous attendons à ce qu'il se poursuive.
En ce qui concerne l'Argentine, je n'ai rien à ajouter aux observations avisées de mes collègues. Cependant, j'ai travaillé pendant un certain temps au sein du gouvernement américain et à la Maison-Blanche. Il y a une différence importante entre les relations Brésil-Argentine des années 1990 et celles d'aujourd'hui qui a des répercussions sur ce que le Brésil est capable de faire dans certaines situations sur la scène internationale. Permettez-moi de vous donner un exemple. Depuis de nombreuses années, et à juste titre, le Brésil cherche activement à obtenir un siège au Conseil de sécurité des Nations Unies. Toutefois, lorsque des pourparlers avaient lieu à ce sujet, Buenos Aires communiquait avec les États-Unis et d'autres pays et leur demandait pourquoi le Brésil devrait obtenir un siège et non l'Argentine. Le Mexique faisait la même chose, ce qui a mené à une rivalité interrégionale. On n'entend plus beaucoup parler de ce genre de choses, car l'Argentine n'a clairement pas la même importance que le Brésil. Auparavant, il y avait cette fonction modératrice entre les deux pays qui, si vous vous souvenez bien, avaient un programme nucléaire dynamique conçu pour se surveiller l'un l'autre dans les années 1970. Cela n'existe plus aujourd'hui, mais c'est instructif, car maintenant que le Brésil échappe aux rivalités interrégionales, il est capable d'aller de l'avant sur la scène internationale.
M. Sotero : En ce qui concerne les relations avec la Chine, le gouvernement brésilien avait envisagé de considérer la Chine comme un allié stratégique principal. Durant les trois ou quatre premières années où Lula était président, le pays se concentrait sur l'établissement de relations stratégiques importantes avec la Chine. L'idée est disparue. Après que la Chine a bloqué les discussions au sein du Conseil de sécurité de l'ONU sur sa réforme — pour des raisons qui n'avaient absolument rien à voir avec le Brésil — et, récemment, en raison des répercussions qu'a eues la sous-évaluation de la monnaie chinoise sur les industries brésiliennes, le gouvernement brésilien subit de fortes pressions de la part des industries de São Paulo, de partout au Brésil, pour qu'il agisse au sujet de la question de la monnaie. Comme M. Farnsworth l'a dit, et M. Bethell serait d'accord avec nous, que peut-on faire à ce sujet? Il n'y a pas de réponse claire.
Du point de vue politique, puisque notre pays est devenu un exportateur de produits primaires, de hauts diplomates et des commentateurs brésiliens disent que nous entretenons des relations coloniales nouveau genre avec la Chine. C'est ce que M. Farnsworth vient de dire. C'est une considération importante pour la présidente Rousseff et les décideurs brésiliens pour l'avenir.
M. Bethell : Je n'ai rien à ajouter en ce qui concerne la Chine, mais j'ai une dernière chose à dire au sujet de l'Amérique espagnole, du Brésil et surtout de l'Argentine. Je crois que M. Sotero a raison. Il n'y a plus de rivalité maintenant. Dans une très large mesure, le Brésil est la force dominante en Amérique du Sud et en Amérique latine. L'un des problèmes des États-Unis, c'est que pour la première fois de leur histoire, il y a un pays qui, jusqu'à un certain point, conteste leur hégémonie dans l'hémisphère occidental; une autre puissance importante de l'Amérique latine.
Je crois qu'on a encore l'impression que le Brésil est différent de l'Amérique espagnole. On a encore l'impression que le Brésil ne sait pas s'il veut dominer, de quelle façon il veut le faire et quelles seraient ses responsabilités le cas échéant, du moins en Amérique du Sud. Comme je l'ai dit, on oppose une certaine résistance en Amérique du Sud. Bon nombre de groupes accueillent favorablement la prééminence du Brésil dans la région, mais d'autres s'y opposent toujours.
À Washington, je suis souvent témoin du ressentiment que les représentants hispano-américains éprouvent face à la position qu'occupe le Brésil et j'entends leurs préoccupations sur la possibilité qu'il domine la région.
M. Farnsworth: Tout à fait.
[Français]
Le sénateur Fortin-Duplessis : Merci à vous trois d'avoir accepté de nous entretenir sur le Brésil. J'aurai deux questions à vous poser portant sur des sujets différents. La première concerne l'énergie propre et l'autre, la politique extérieure du Brésil.
Au début du mois, le nord-est du Brésil a été plongé dans le noir, de jeudi soir à vendredi matin à l'aube, en raison d'une panne dans une sous-station électrique, ce qui a affecté des millions de Brésiliens. Huit des neuf États du nord-est ont été touchés par la panne.
Nous avons appris par un témoin, qui est venu nous rencontrer antérieurement, qu'au Brésil une partie de l'électricité est produite à l'éthanol. Le Brésil est régulièrement affecté par des pannes électriques et l'une des plus importantes pannes avait touché le sud-est qui représente le cœur industriel et économique du pays. Cela s'est produit en novembre 2009, affectant 70 millions de Brésiliens.
Quelle est votre opinion au sujet du réseau électrique du Brésil? Croyez-vous que les spécialistes canadiens pourraient un jour jouer un rôle dans ce domaine pour aider le Brésil?
[Traduction]
M. Sotero : Je ne suis pas un spécialiste du réseau électrique du Brésil. C'est un réseau important. Nous utilisons effectivement de l'éthanol. Nous produisons beaucoup d'électricité dans le cadre du processus de transformation de la canne à sucre en éthanol. On s'en sert dans le réseau. Il s'agit d'un élément. D'après ce que nous croyons comprendre, un problème majeur s'est produit dans la gestion des centrales électriques. Ce n'était pas un problème d'approvisionnement. Des discussions sont en cours.
Il y a quelques semaines, il s'est produit un autre problème dans le Nord-Est du Brésil, ce qui souligne la nécessité de continuer d'accroître la production et le nombre de lignes de transport d'énergie au Brésil. Ce sont davantage les lignes de transmission que la capacité de produire qui posent problème.
Comme vous le savez sans doute, 80 p. 100 de toute l'électricité produite au Brésil est de l'énergie propre, c'est-à-dire de l'énergie hydraulique, sans compter la production d'éthanol à partir de la canne à sucre. On a très peu recours aux combustibles fossiles au Brésil. Comme pour la plupart des autres enjeux du pays aujourd'hui, le problème, c'est la qualité. Dans ce cas, c'est la qualité de la gestion des réseaux. Je pense que la présidente Rousseff accorde une attention particulière à ce problème, qui la place dans une position politiquement vulnérable, car elle était ministre des Mines et de l'Énergie, ce qui a mené à une reconfiguration du cadre de réglementation du secteur.
M. Farnsworth : Si vous me permettez d'ajouter brièvement quelque chose, je suis d'accord avec M. Sotero. À mon avis, c'est une occasion en or pour les Canadiens qui travaillent dans le domaine. À mesure que le Brésil évoluera, les besoins énergétiques augmenteront. À l'heure actuelle, l'infrastructure brésilienne n'est pas adaptée aux activités qui entourent la production énergétique, entre autres. Je ne dis pas qu'il n'y a pas de ressources; il y en a, mais il faut mettre l'infrastructure en place. La croissance démographique et la croissance économique feront augmenter la demande d'énergie.
M. Sotero a dit qu'une grande partie de l'électricité du Brésil provient de sources d'énergie propres, surtout de l'énergie hydraulique. Si l'on a une économie qui se fonde sur l'hydroélectricité, on est dépendant de la pluie, qui tombe abondamment en général au Brésil, mais, parfois, ce n'est pas le cas. Certaines pannes d'électricité ont été causées par des lacunes dans le secteur de l'hydroélectricité. Puisque le Brésil construit de nouvelles infrastructures, c'est une occasion en or de produire d'autres énergies propres, par exemple de l'éthanol qui provient de la canne à sucre, que l'on trouve abondamment au Brésil, et dont celui-ci est assurément un chef de file mondial dans la production.
Il y a une autre activité dont nous n'avons pas parlé et qui fait aussi partie du secteur de l'énergie, mais pas de celui de l'énergie dite propre; je parle des énormes gisements de pétrole et de gaz naturel découverts dans les eaux profondes au large des côtes de Rio de Janeiro, et sur lesquels le Brésil s'acharne sans répit. Le Canada possède une expertise intéressante relative à des modèles d'investissement qui fonctionnent bien; en effet, le pays réserve la matière première pour l'État, mais encourage tout de même les investissements nécessaires pour extraire le produit du sol et en faire un produit commercial. Il s'agit d'un autre domaine d'expertise qui permettrait au Canada de prêter main-forte au Brésil dans un esprit de coopération.
M. Bethell : Je ne suis évidemment pas non plus un spécialiste dans le domaine de l'énergie, mais j'aimerais mettre en évidence les paroles de M. Sotero et de M. Farnsworth, à savoir que le Brésil obtient de 70 à 80 p. 100 de son électricité à partir de l'hydroélectricité. En effet, le pays construit de gigantesques barrages sur les affluents de l'Amazone; celui de la rivière Xingu sera le plus grand barrage en Amérique du Sud, à part celui d'Itaipu. Malgré de gros problèmes environnementaux et des préoccupations du côté des populations autochtones, il ne fait aucun doute que ces importants barrages continuent d'être installés sur l'Amazone.
Le deuxième facteur concerne l'énergie nucléaire. Le Brésil possède deux centrales nucléaires et est sur le point d'en construire une troisième, en 2015, je pense, en plus d'en planifier trois ou quatre autres. L'énergie nucléaire fait donc partie intégrante des projets du pays, en plus des découvertes de gisements de pétrole au large des côtes de Rio de Janeiro et de Santos. Il s'ensuit que le paysage énergétique du pays en sera considérablement transformé et que ses problèmes d'approvisionnement en énergie seront moins importants, mais on devra y investir énormément d'argent. Tout le monde s'entend sur le fait que la plus grande partie de l'infrastructure du Brésil, c'est-à-dire les routes, les chemins de fer, les aéroports et les ports, a désespérément besoin d'investissements importants, de même que les secteurs de l'hydroélectricité et de l'énergie nucléaire.
Le Brésil éprouve de graves difficultés à investir dans tous ces domaines, qui offrent énormément de potentiel, mais qui ne sont pas sans problèmes.
[Français]
Le sénateur Fortin-Duplessis : Voici maintenant ma question au sujet de la politique extérieure du Brésil. Je sais que l'ex-président Lula et son homologue du Chili, Michelle Bachelet, seront à Alger en mai prochain en Algérie pour une grande réunion internationale des conseils économiques et sociaux.
Il s'agira de faire en sorte que l'Association des conseils économiques et sociaux soit intégrée au sein du système des Nations Unies, l'objectif étant de faire front contre la soi-disant vision économique néolibérale. En outre, les actions prises par le Brésil au sujet du programme nucléaire de l'Iran et la crise constitutionnelle au Honduras, sa reconnaissance soudaine de la Palestine comme État indépendant et d'autres initiatives laissent souvent les observateurs internationaux perplexes.
Selon vous, peut-on expliquer les actions du Brésil par sa volonté d'obtenir un avantage commercial et d'élargir ses marchés d'exportation?
[Traduction]
M. Sotero : J'aimerais tout d'abord vous rappeler que le président Lula est l'ancien président du Brésil; nous n'avons qu'un président à la fois, et nous respectons évidemment le président Lula, peu importe ce qu'il a fait. Je pense qu'il a été un bon président pour son pays, et ce qu'il fait en tant qu'ancien président ne regarde que lui et le parti qu'il représente. La présidente Dilma Rousseff n'a pas donné l'impression qu'elle appuyait ou mettait sur pied des politiques qui ébranleraient nos efforts en vue de maintenir la stabilité et la croissance de l'économie et d'attirer les investissements étrangers dans des activités productives au Brésil.
En ce qui a trait aux autres problèmes, nous nous sommes occupés de la situation avec l'Iran. Pour ce qui est du Honduras, il s'agit d'un épisode malheureux; au départ, tous les pays concernés étaient ensemble et, en raison de pressions de Washington qui ont mené à la nomination de deux hauts fonctionnaires importants ici, sont devenus les otages d'un point de vue particulier aux États-Unis, qui ont finalement dû faire quelques concessions. Vous savez de quels évènements je parle; on les étudie toujours. Le Brésil et le Mexique, par exemple, n'ont pas encore reconnu le gouvernement du président Lobo au Honduras, mais cela ne devrait pas tarder.
Le président Lula est un dirigeant populaire; il se peut qu'il revienne comme président. Si la présidente Dilma Rousseff fait du bon travail, comme nous nous y attendons tous, elle va se présenter de nouveau à la présidence, et le président Lula lui donnera probablement son soutien. En attendant, je crois que le président Lula va poursuivre ses efforts du côté du développement; s'il le fait dans le contexte des Nations Unies, je pense que ce sera une bonne chose. Comme je l'ai dit plus tôt, il a fait beaucoup pour le Brésil. Toutefois, il est un ancien président; Dilma Rousseff est la présidente actuelle.
[Français]
Le sénateur Fortin-Duplessis : J'aimerais dire que j'avais bien spécifié que M. Lula était l'ex-président parce que je sais pertinemment que c'est Mme Rousseff qui est présentement présidente. J'attends la réponse de M. Farnsworth.
[Traduction]
M. Farnsworth : Je pense que la question résume ce qu'un bon nombre d'observateurs essaient de comprendre à propos du Brésil. Il s'agit, comme le dit M. Bethell, de savoir comment le Brésil se perçoit et s'affiche dans ses activités sur la scène internationale. Certaines des activités précédentes auxquelles M. Bethell a fait référence correspondent à l'idée que le reste du monde se fait du Brésil, c'est-à-dire un leader de cette partie du globe qu'on appelait autrefois le tiers monde, ou peut-être les nations non alignées, mais avec une attitude résolument Sud-Sud. On voit peut-être aussi le pays comme un leader des pays BRIC et comme ne correspondant peut-être pas tout à fait à une nation « occidentale », surtout relativement aux évènements associés à l'Iran et à la Palestine auxquels vous avez fait référence.
Toutefois, cela ne signifie pas que nous nous attendons à ce que ces activités se poursuivent. Dans ses commentaires, M. Sotero a parlé d'un intense dialogue, qui porte sur la position que le Brésil devrait occuper dans l'économie mondiale dans ses efforts pour se tailler une meilleure place. Il s'agit d'une bonne question qui reste ouverte.
Des raisons commerciales justifient les efforts du Brésil pour se rapprocher du Moyen-Orient. En effet, le Brésil entretient depuis longtemps avec cette région du monde une relation non négligeable fondée sur le commerce, les produits de l'agriculture, l'énergie, et cetera. De plus, le Brésil compte une population originaire du Moyen-Orient assez importante. Je ne dis pas que les membres de cette population sont distincts du reste de la société brésilienne, mais ils possèdent tout de même ce lien historique, positif et solide avec leurs origines. Il faut donc tenir compte de cet aspect dans le commerce.
Je ne crois pas que cela explique totalement la relation entre le Brésil et le Moyen-Orient, mais je pense que cela représente un aspect des activités du Brésil à ce sujet ces derniers mois.
M. Bethell : J'aimerais insister sur le fait que les événements auxquels vous avez fait référence appartiennent maintenant tous au passé et ils ont tous soulevé la controverse au Brésil, comme sur la scène internationale. La position adoptée par le Brésil pendant la crise qui a touché le Honduras a soulevé un grand nombre de questions sur la façon dont le pays voyait la démocratie en Amérique latine. Parallèlement, bien sûr, ses relations avec le Venezuela et la Bolivie ont soulevé un grand nombre de questions à l'intérieur de ses frontières, car les gens s'interrogeaient sur la position du Brésil en Amérique du Sud, et sur sa vision des droits de la personne et de la démocratie.
Les évènements impliquant le Moyen-Orient ont, bien évidemment, été les plus controversés de tous, tant sur la scène internationale qu'au Brésil. Je ne comprends pas encore — je pense qu'un jour nous saurons le fin mot de l'histoire — pourquoi le Brésil s'est mêlé à cette histoire avec la Turquie. Comme l'a dit M. Farnsworth, le Brésil a des intérêts financiers au Moyen-Orient et en Iran. Le pays est constamment à la recherche de partenaires pour l'appuyer dans sa quête en vue d'obtenir un siège au Conseil de sécurité des Nations unies, ce qui explique en grande partie les voyages de M. Lula en Afrique et au Moyen-Orient. Le Brésil cherchait des moyens d'exercer une influence au Moyen- Orient, et l'Iran est assurément un pays très important.
En filigrane, évidemment, se trouvait une bonne dose d'antiaméricanisme du gouvernement du président Lula. On ne peut pas le nier. Ce penchant vient de la gauche des années 1960 et 1970. Partout dans le monde, on s'oppose à l'impérialisme et à l'hégémonie des États-Unis, et, de temps à autre, le Brésil n'a pas voulu être en reste dans certains domaines.
Enfin, et il nous est tout simplement impossible de répondre à cette question; on se demande à quel point le Brésil était préoccupé par la question de la prolifération nucléaire dans ses relations avec l'Iran? Le pays pensait-il aux autres, ou ne voyait-il que ses propres intérêts? Quelle attitude le Brésil a-t-il adoptée envers la prolifération nucléaire? Ces questions n'ont jamais vraiment trouvé de réponses, mais toutes concernent les deux ou trois dernières années du gouvernement Lula. Comme nous l'avons déjà mentionné, des signes laissent croire que la présidente Rousseff aimerait y apporter des changements. Le temps nous dira jusqu'où iront ces changements.
Le sénateur Di Nino : Bienvenue, messieurs. Cette réunion est très informative, et j'en suis très heureux. Notre thème général consiste à mieux comprendre ce pays avec lequel nous entretenons de longue date une relation, mais sans vraiment la creuser ou la développer. On s'en occupait beaucoup plus il y a quelques années, mais on l'a négligée depuis.
Je n'ai pas été surpris d'entendre M. Bethell dire que le Canada n'était pas sous les feux des projecteurs au Brésil. Le but de ces audiences est de nous éduquer sur ce pays et particulièrement de voir si nous pouvons trouver des moyens d'intensifier nos échanges commerciaux et nos investissements avec cette grande puissance en émergence.
Toujours sur le thème de l'information, de la connaissance et de l'expérience que vous avez, messieurs, et que vous pouvez partager avec nous, j'aimerais d'abord vous interroger sur les barrières non tarifaires que le Brésil a établies, qui créent des obstacles au commerce et à l'investissement avec d'autres pays. Qu'en pensez-vous?
M. Farnsworth : Malgré tout ce que nous disons sur l'économie brésilienne et son importance croissante sur l'échiquier mondial, même si c'est vrai, il n'en demeure pas moins qu'il y a des obstacles à la croissance brésilienne. J'ai mentionné dans ma déclaration préliminaire que le taux de croissance avait été de 7,5 p. 100 l'an dernier au Brésil et qu'il devrait atteindre 5,5 p. 100 au cours des trois ou quatre prochaines années. Pour être parfaitement honnête, ce taux de croissance pourrait être plus fort de plusieurs points de pourcentage si le Brésil apportait des réformes internes à son économie, notamment pour attirer les investissements étrangers, comme vous le soulignez dans votre question, je crois.
Je vais vous donner quelques exemples. Je vous dirais que le régime fiscal du Brésil est horriblement complexe et difficile à respecter pour presque tout investisseur étranger, ainsi que pour les investisseurs brésiliens, en toute honnêteté, et cela s'applique même aux sociétés les mieux établies et les mieux intentionnées. Comme nous le savons tous, quand il est difficile de se conformer à un régime, il arrive souvent que les gens ne s'y conforment pas. La réforme fiscale traîne depuis longtemps au Brésil et elle limite les investissements à des niveaux bien inférieurs à ce qu'ils devraient être; c'est la première chose.
Il y a aussi l'éducation de base qui demeure un problème au Brésil. Il y a eu d'énormes améliorations, mais dans le contexte mondial, les entreprises cherchent de la main-d'œuvre qui n'est pas seulement abordable, comme avant et comme on le voit encore beaucoup dans les pays d'Asie, qui attirent bien des investissements. Les entreprises cherchent des employés de talent bien formés et aptes à affronter la concurrence mondiale pour les produits et services visés par les entreprises. Ce comité connaît très bien l'histoire de l'aéronautique entre le Canada et le Brésil. Les entreprises veulent également des employés qui vont fabriquer des produits agricoles ou pharmaceutiques de haute technologie, des biens à grande valeur ajoutée ou des choses qui nécessitent beaucoup de capital humain.
Le secteur bancaire est un moteur de croissance au Brésil, mais les taux d'intérêt constituent un autre obstacle à l'investissement. Nous savons pourquoi les taux d'intérêt sont un peu élevés, c'est pour contenir les pressions inflationnistes qui existent et qui augment aussi au Brésil dans le contexte actuel, il faut le souligner. Quand les taux d'intérêt sont hauts, le coût de la vie augmente aussi, ce qui fait diminuer les investissements. Il y a différents facteurs. Je peux vous donner d'autres exemples.
Pour ce qui est des barrières tarifaires, oui, elles existent, bien sûr, et le grand obstacle au commerce entre le Canada et le Brésil en ce moment, c'est que les deux pays sont en concurrence pour les mêmes produits dans bien des cas. Pour approfondir vraiment notre relation commerciale, il faudrait soit favoriser la coopération dans ces secteurs ou développer d'autres secteurs, comme l'énergie et l'infrastructure, dont nous avons déjà parlé.
M. Sotero : Je ferai observer, pour ajouter un point à votre liste, que les règles à la frontière brésilienne sont très lourdes. Les consommateurs brésiliens en sont très mécontents. Pour le Canada et le Brésil, je vais vous dire une chose qui pourrait vous intéresser. Le secteur privé brésilien souhaite de plus en plus resserrer ses liens avec le Mexique; tout cela dans le secteur privé, je parle d'investissements mexicains au Brésil, en télécommunications, et d'investissements brésiliens au Mexique. Bien sûr, c'est pour l'accès au marché nord-américain. Je crois toutefois que ce modèle mériterait d'être exploré avec le Canada.
Entre le Canada et les États-Unis, l'agriculture est un enjeu très controversé. Nous sommes tous de grands producteurs agricoles, efficaces, et cet enjeu va finir par nous mener à l'Organisation mondiale du commerce. Dans un monde où nous nous dirigeons vers un accord à l'OMC sur l'agriculture et dans d'autres domaines, il est évident que le gouvernement et les entreprises brésiliennes qui dépendent du protectionnisme subiraient beaucoup de pression pour ce qu'on appelle le coût des affaires au Brésil, qui sont essentiellement payées par les Brésiliens. Cet enjeu demeure primordial et fait partie du programme actuel du gouvernement au Brésil.
M. Bethell : Il ne faudrait pas trop nous énerver de l'essor qui s'observe au Brésil depuis, disons, huit ou 10 ans, soit depuis l'arrivée de l'administration Lula. Bien sûr, quand on les compare aux années 1980 et 1990, ce sont des années fastes, mais la croissance moyenne au Brésil pendant cette période n'a été que d'un peu plus de 4 p. 100. C'est inférieur à la moyenne de l'Amérique latine. Si la croissance a atteint 7,5 p. 100 en 2010, c'est surtout parce qu'elle était de moins d'un pour cent en 2009. L'Argentine a connu une croissance encore plus rapide. Si nous comparons la croissance du Brésil avec celle de la Russie, de l'Inde et de la Chine, l'Inde a crû de plus de 8 p. 100 et la Chine, de plus de 11 p. 100 par année depuis huit ans. L'économie qui a connu la croissance la plus rapide au monde est celle de l'Angola, et plusieurs pays africains se sont développés beaucoup plus vite que le Brésil.
Il faut garder le sens des proportions. Il y a beaucoup de facteurs qui expliquent la situation, et mes collègues en ont parlé. Il y a beaucoup de raisons pour lesquelles le Brésil, malgré tous les avantages dont nous avons discuté, ne s'est pas développé plus vite à cause de tous les coûts qui y existent et de tout ce que nous avons mentionné.
On peut s'inquiéter. Bien sûr, la croissance du Brésil va se poursuivre au cours des cinq à 10 prochaines années, s'il n'y pas de crise internationale majeure ni de deuxième grande récession. À quelle vitesse? Je crois que le Brésil réduit déjà ses attentes en matière de croissance au cours des prochaines années et qu'on peut se questionner sérieusement sur le caractère concurrentiel du Brésil dans la nouvelle économie mondiale.
La désindustrialisation est également dans la mire. Les économistes en parlent beaucoup au Brésil. La concurrence de la Chine présente une menace considérable. Il y a beaucoup de problèmes et de défis à relever, et le Brésil s'en est bien tiré au cours des 10 dernières années, mieux qu'au cours des 20 précédentes, mais pas aussi bien que bon nombre de ses concurrents.
Le sénateur Di Nino : Je conviens qu'il y a beaucoup de similitudes entre nos économies, et cela nous mène à ce qu'on a laissé entendre : le potentiel d'affaires conjointes. Qu'en est-il des restrictions à la propriété étrangères au Brésil?
M. Farnsworth : Je vais admettre d'emblée que je n'ai pas détails à ce propos. On fait généralement une analyse secteur par secteur, et nous allons devoir vous transmettre une réponse plus détaillée ultérieurement.
M. Soreto : C'est une économie ouverte en ce sens. Si une entreprise, une entreprise canadienne, s'établit au Brésil pour y faire des affaires, il s'agit d'une entreprise nationale au Brésil. Il y en a beaucoup, donc il n'y a pas de discrimination contre les entreprises internationales au Brésil. Nous traitons les entreprises brésiliennes et internationales de la même façon, et les hommes d'affaires du Brésil vous diront que nous les traitons aussi mal l'un que l'autre en raison de tous les coûts qu'il y a Brésil. Tout ce que vous n'aimez pas dans ce que nous faisons, nous nous l'infligeons d'abord. Là est le problème. Les gens en sont conscients, et c'est l'objet d'un débat intense de tous les jours au Brésil, dans les journaux, à la télévision et ailleurs.
Le sénateur Mahovlich : Vous avez mentionné la rupture entre le Portugal et le Brésil en 1822. Quelle est la relation du Brésil avec le Portugal aujourd'hui? Est-ce qu'il y a encore des immigrants portugais au Brésil?
M. Bethell : Il y a un peu d'immigration, mais pas beaucoup. Le Brésil a accueilli des immigrants du Portugal, de l'Italie, de l'Espagne, ainsi que du Japon et du Moyen-Orient par millions entre les années 1850, 1860 et les années 1930. Depuis, l'arrivée d'immigrants au Brésil est modeste. Le Brésil n'accueille pas beaucoup d'immigrants. Il en accueille du Paraguay et de la Bolivie, de façon légale comme clandestine, mais ce n'est pas un afflux majeur.
La première fois que je suis allé au Brésil, je suis arrivé par bateau, c'était en 1960. Le bateau était bondé d'immigrants portugais, en troisième classe, et il y avait d'autres immigrants à embarquer à Lisbonne. Depuis les années 1960, surtout depuis que le Portugal s'est joint à l'Union européenne, la plupart des immigrants portugais choisissent d'autres pays européens comme la Grande-Bretagne, l'Allemagne et la France.
Il y a une grande collectivité au Brésil qui vient de l'immigration portugaise des années 1850 à 1920, particulièrement à Rio de Janeiro, mais il n'en arrive pas plus de quelques centaines par année depuis quelques décennies.
M. Sotero : Notre ADN nous vient du Portugal, c'est ce que nous sommes. C'est notre âme. Pour ce qui est de l'immigration, depuis la fin des années 1980, elle va dans le sens contraire, surtout l'immigration économique, ce sont les Brésiliens qui émigrent au Portugal. Il y a aussi de l'émigration vers le Canada.
En tant que journaliste, je me rappelle avoir écrit sur cette émigration ainsi que celle vers les États-Unis. Elle a parfois posé problème parce que les immigrants brésiliens au Portugal n'étaient pas très éduqués et qu'il y avait du ressentiment et des réactions négatives envers eux. J'ai été correspondant pour un magazine national brésilien à Lisbonne après la révolution démocratique là-bas. À l'époque, les Brésiliens étaient bien traités, mais le Portugal est notre mère patrie. Le Portugal sera toujours présent chez nous. C'est là d'où nous vient notre langue. En fait, la langue et l'accent sont un peu différents et beaucoup plus dynamiques au Brésil, mais c'est une relation positive, surtout pour les affaires, en télécommunications, et dans le secteur bancaire. Pour les supermarchés et d'autres secteurs du genre, nous sommes proches.
M. Bethell : J'ajouterais qu'il y a un fort lien intellectuel et culturel entre le Brésil et le Portugal. Pendant longtemps, les intellectuels et auteurs portugais ignoraient le Brésil et s'y rendaient rarement. La situation a changé radicalement depuis 10 ou 15 ans. Il y a toute une vague d'auteurs et d'universitaires portugais qui sont publiés au Brésil, qui sont lus au Brésil et qui aiment visiter le Brésil. Il a des liens forts entre nos universités.
J'ajouterais aussi, parce que nous n'avons pas encore eu l'occasion d'en discuter, que cette relation étroite du Brésil avec le Portugal pour des raisons historiques, culturelles et linguistiques constitue une excellente porte d'entrée dans l'UE pour le Brésil. Nous avons donc une relation spéciale avec le Portugal, mais surtout avec tous les pays où on parle portugais.
N'oubliez pas que le portugais est la langue de 25 p. 100 de la population de l'hémisphère Sud. C'est une langue très parlée. Je pense qu'en ce moment, il y a huit ou neuf pays membres du regroupement des pays de langue portugaise, dont le plus important est bien sûr le Brésil. La population du Brésil représente 80 ou 85 p. 100 de la population de tous ces pays. Il ne faut pas oublier non plus l'importance croissante dans le monde de l'Angola et du Mozambique, ainsi que la relation spéciale que nous entretenons par ces pays avec l'Afrique du Sud. Le Brésil, et particulièrement le président Lula, accorde beaucoup d'attention à l'Afrique par les pays africains de langue portugaise ainsi que l'Afrique du Sud. Je n'ai aucun doute que cette relation va se poursuivre dans l'avenir.
Le sénateur Mahovlich : J'ai une autre question. Vous parlez de moderniser votre armée. Ici, au Canada, nous prévoyons un investissement de 20 à 35 milliards de dollars dans notre force aérienne afin de protéger nos frontières. Croyez-vous que vos investissements dans l'armée vont atteindre les milliards de dollars?
M. Sotero : Il y a quelques projets. Celui qui fait les manchettes en ce moment est celui de la mise à niveau de la force aérienne du Brésil. Évidemment, il faut mieux patrouiller nos frontières, surtout au-dessus de l'énorme territoire que couvre l'Amazonie. La présidente Dilma Rousseff a récemment relancé un appel de soumissions. Au début, nous devions acheter environ 24 chasseurs à réaction, pour un total qui aurait pu atteindre 107 chasseurs au bout de 25 ou 30 ans.
En même temps, il y a des mesures visant à rééquiper la marine du Brésil. Les découvertes de pétrole et de gaz en mer donnent tout son sens à cet effort. L'armée est la plus importante des trois forces. Les forces armées du Brésil comptent environ 300 000 membres. Nous avons également le service obligatoire qui mobilise environ 70 000 conscrits chaque année, si je ne me trompe pas.
Oui, c'est le budget qui limite la modernisation de l'armée, de la force aérienne et de la marine. Je pense que la situation fiscale freine l'avancée du projet d'acquisition de chasseurs à réaction parce que nous n'avons pas de besoins immédiats. Nous ne participons à aucun conflit. Nous participons au maintien de la paix à Haïti et nous pourrions participer à d'autres missions de maintien de la paix.
Une préoccupation plus urgente, qui pourrait faire l'objet de pressions politiques au cours des prochaines années, c'est le contrôle du trafic de narcotiques entre les nations andines parce que ce trafic passe par le Brésil et que le Brésil fait probablement figure de deuxième consommateur de drogue le plus important désormais.
Avec le trafic de drogue vient le trafic d'armes et avec ce trafic, beaucoup de criminalité. Les gens sont au courant, surtout à cause de ce qui se passe à Rio, mais le trafic a ralenti à Rio. Les autorités semblent avoir trouvé une façon de le contenir à Rio. Nous avons une échéance pour enrayer ce trafic, c'est-à-dire le défi d'organiser de grands événements internationaux au Brésil qui vont culminer avec les Olympiques de 2016 à Rio.
Cependant, on peut faire le lien avec le besoin de renforcer la patrouille aux frontières à cette fin. Compte tenu de sa superficie continentale, le Brésil doit évidemment fournir à ses forces armées les ressources nécessaires pour qu'elles puissent faire leur travail de protéger les frontières et de préserver notre souveraineté nationale.
Pour l'instant, nous n'avons pas encore donné à l'armée les outils nécessaires pour protéger les frontières, même si nous lui avons demandé de le faire. C'est le nœud du problème. Cela va nous coûter très cher.
Je pense que la décision politique de dépenser l'argent nécessaire a été prise, mais cet argent va devoir être dépensé judicieusement en raison du contexte fiscal au Brésil.
M. Bethell : Nous avons parlé de changement ou de continuité entre l'administration Lula et l'administration Rousseff. J'ai mentionné que M. Garcia est resté le conseiller international de la nouvelle administration. Il y a une continuité dans les politiques sud-américaines.
Il est intéressant de souligner que le ministre de la Défense, M. Nelson Jobim, a lui aussi conservé son poste. Il fait partie des auteurs de la stratégie nationale de la défense adoptée en 2008, il en est peut-être même l'auteur principal, et c'est cette stratégie qui a mis l'état des Forces armées brésiliennes à l'avant-plan des préoccupations. Comme M. Sotero l'a dit, cette stratégie vise d'abord et avant tout les frontières et l'Amazonie, de même que ce que l'armée appelle l'Amazonie bleue, c'est-à-dire les découvertes de pétrole extracôtier de plus en plus importantes au Sud.
Cela explique pourquoi les Brésiliens sont en train d'acheter un sous-marin nucléaire français. L'impression générale, c'est que les Forces armées brésiliennes, même si elles n'ont aucun ennemi d'envergure en vue, ne sont tout simplement pas prêtes à défendre la souveraineté nationale, tant dans l'Amazonie que dans l'Atlantique. Il y a peut-être aussi l'idée, derrière cette stratégie, que le Brésil, qui prend de plus en plus d'importance à l'échelle régionale et mondiale, est en train de devenir la puissance régionale et mondiale dont les forces armées sont les plus faibles. Il serait peut-être utile d'accroître un peu le pouvoir de contraindre du Brésil afin qu'il puisse mieux exercer son pouvoir de convaincre.
Le sénateur Robichaud : En réponse à la question du sénateur Di Nino sur ce qu'il en coûte pour faire des affaires au Brésil, vous avez dit que le Brésil traitait les pays étrangers ou les gens qui viennent faire des affaires au Brésil de la même façon qu'il traite sa propre population. Les entreprises locales s'en plaignent, elles ne sont pas contentes de cela.
Est-ce que les autorités les écoutent? Y a-t-il une quelconque indication que la situation pourrait changer?
M. Sotero : Croyez-le ou non, il y a toujours une réforme en cours. Sa lenteur est parfois exaspérante, frustrante. Le nombre et la lourdeur de toutes les étapes à suivre pour respecter certaines procédures au Brésil sont exaspérants, mais je vais vous donner des exemples. Il y a une entreprise fabuleuse au Brésil qui s'appelle Natura. Elle fabrique des produits cosmétiques à Sao Paulo. J'ai entendu leur président dire que l'entreprise avait 23 juristes à son administration centrale moderne près de Sao Paulo. Ces juristes sont chargés de faire le suivi des modifications fiscales au Brésil, au district fédéral, dans les 26 États et dans les 5 500 municipalités. Il y a, en moyenne, environ 18 à 20 modifications aux règles fiscales au Brésil chaque mois.
Ce type m'a dit qu'il serait préférable pour lui d'avoir huit employés dans son service juridique que d'embaucher 15 personnes de plus au sein de l'équipe de R-D. Voilà le genre de frustration qu'on éprouve.
Alors que le Brésil s'intègre davantage dans l'économie mondiale, le défi posé par la concurrence confronte directement le Brésil à ce problème. Une nouvelle génération de Brésiliens qui arrivent à des postes de pouvoir comprend mieux ce défi. L'idée n'est pas d'isoler le Brésil, mais de l'intégrer.
Je le répète, au Brésil, on a une certaine confiance et on se dit que, oui, on peut livrer concurrence, être compétitifs. Il faut réaliser cette intégration. Cela touche la question fondamentale au sujet du Brésil, à savoir la qualité de notre capital humain et l'investissement dans l'éducation. Toutes ces questions sont reliées. La situation est frustrante, mais on en débat, et des changements se produisent en permanence. Ces changements sont parfois petits, parfois grands, mais on s'attaque aux problèmes.
M. Farnsworth : Je suis entièrement d'accord avec M. Sotero. Traditionnellement, même si le Brésil n'était pas une économie fermée, les liens en matière de commerce et d'investissement qu'entretenait le Brésil avec d'autres régions du monde n'étaient pas aussi forts que dans le cas de l'Europe ou de l'Amérique du Nord, par exemple, en raison de la dimension géographique, mais aussi de la façon plus générale d'évaluer le Brésil en tant que pays et économie — c'est- à-dire le vaste marché intérieur sur lequel les producteurs brésiliens se concentrent bien souvent. En termes de pourcentage de l'économie, les relations commerciales étaient bien moins importantes que ce à quoi on aurait pu s'attendre de la part d'un pays de la taille du Brésil.
Néanmoins, alors qu'il entre dans l'espace économique mondial et fait face à la concurrence de la Chine et de l'Inde — pas seulement à la concurrence nord-américaine ou latino-américaine, mais aussi à celle d'autres producteurs non traditionnels —, le Brésil est confronté à la nécessité d'agir pour régler ces problèmes. Ce n'est pas qu'ils étaient restés inconnus pendant longtemps, ni que le gouvernement les avait froidement ignorés; c'est seulement qu'il n'était pas urgent de s'y attaquer.
Dans toutes les capitales, lorsque des questions sont délicates sur le plan politique, elles tendent à être traitées moins rapidement que les autres. Ainsi que M. Sotero l'a mentionné, avec la nouvelle génération de dirigeants et de gens d'affaires brésiliens, les gens sont exposés à d'autres façons de faire, de même qu'à la nécessité de trouver des moyens de générer une croissance économique pour le Brésil et d'éliminer les anciennes entraves à la croissance brésilienne. Nous verrons qu'une attention particulière sera accordée à ce besoin.
À son entrée en fonction, la présidente Rousseff a mis l'accent sur la réduction de la pauvreté et le développement social, comme il se doit. Mais, tranquillement, elle commence aussi à se pencher sur une réforme économique plus générale, ce qui est tout aussi important. Franchement, cette réforme comportera probablement une perspective à plus long terme pour la croissance de l'économie brésilienne.
M. Bethell : Je n'ai rien à ajouter sur le sujet. Ce n'est pas un domaine avec lequel je suis familier.
Je vais faire valoir un point dont on n'a pas beaucoup parlé ce matin. Le Canada, les États-Unis et le Brésil sont des fédérations, et il est intéressant de voir qu'un changement important est en train de s'opérer au niveau des États du Brésil, comme c'est certainement le cas aux États-Unis, et sans doute au Canada. Bien sûr, on pense surtout à l'État le plus important, São Paulo, mais Rio de Janeiro traverse actuellement une bonne phase. Certains États du Nord-Est connaissent une croissance plus rapide que d'autres États du Brésil, comme Pernambuco et Ceara. Nous parlons d'un pays de 200 millions de personnes, alors un État peut, à lui seul, avoir une vaste population et ses propres politiques économiques et internationales.
J'ai constaté qu'un ou deux États brésiliens font appel à des évaluateurs internationaux, des conseillers et du personnel qui cherchent à établir des relations plus étroites avec d'autres pays, ainsi qu'avec d'autres États. Il vaut sans doute la peine de souligner la nature fédérative des deux pays dont nous discutons.
M. Sotero : Dans le même ordre d'idées, permettez-moi de vous glisser mot de ce que nous mettons en œuvre actuellement au Wilson Center. La présidente Rousseff a déclaré que nous avons rassemblé la plus haute technologie que nous ayons peut-être jamais réunie au Brésil. Nous avons un climatologue renommé au Brésil, Carlos Nobre, qui dirige le volet politiques et recherches de cette technologie. L'un des grands experts qui étudient la question de l'innovation au Brésil est à la tête de l'agence fédérale pour l'innovation, et investit dans des politiques en la matière. La fondation des sciences de l'État de São Paulo est dirigée par un ancien ministre des affaires étrangères, Celso Lafer.
Nous avons une masse critique du savoir et des gens engagés sur le plan politique. Pour reprendre la métaphore utilisée par le président Obama au sujet des États-Unis, c'est également un « moment Spoutnik » pour le Brésil. Les possibilités sont énormes. Le Brésil peut devenir une force de premier plan. La croissance de la population brésilienne ne se poursuivra pas; on prévoit en ce moment qu'elle se stabilisera à 220 millions de personnes dans 15 à 20 ans. Ces éléments pourront grandir ensemble en tant que grande nation, en tant que nation remarquable qui peut agir en tant que force positive dans les affaires internationales.
Certains des meilleurs talents se trouvent au Brésil, particulièrement dans ce domaine des sciences et de la technologie, qu'ils comprennent bien et auquel ils veulent clairement participer. Voilà un autre domaine où le Canada et le Brésil pourraient nouer des liens.
Je me souviens que les deux premiers ensembles de satellites nationaux que le Brésil ait eus, des satellites de communication, avaient été construits au Canada, près d'Ottawa. Et le premier groupe d'ingénieurs en aérospatiale brésiliens à travailler avec ces satellites a été formé par des Canadiens. Il y a de plus en plus d'étudiants universitaires et d'étudiants de 3e cycle brésiliens au Canada. Nous devrions accueillir des étudiants canadiens au Brésil pour réaliser ce genre d'échange, en tant que collaboration entre pays. Les politiciens de nos deux pays devraient prêter attention à cette question.
Par exemple, nous accueillerons ici, à Washington, un groupe de sénateurs et de membres du Congrès pour une mission d'étude sur l'innovation. Il y a une vive curiosité à l'égard de ce sujet. Bien qu'au Brésil, on ne connaisse peut-être pas beaucoup le Canada, je vous garantis qu'on éprouve là-bas de la sympathie envers le Canada, et j'estime que c'est le bon moment pour nouer un dialogue.
M. Bethell : Puisque nous nous sommes engagés sur le terrain des relations entre le Brésil et le Canada, et pour faire suite aux commentaires de M. Sotero, je souligne que — vous pouviez vous attendre à une telle déclaration de ma part, en tant qu'universitaire — je crois en l'importance du savoir et de la compréhension. Je crois en l'importance des médias, des groupes de réflexion et des universités pour approfondir les connaissances et la compréhension des autres nations et cultures.
Si le Brésil doit être mieux connu au Canada, et inversement, les médias, et en particulier les groupes de réflexion et les universités, ont un rôle important à jouer. Le Brésil a beaucoup de chemin à faire. Je ne connais pas exactement la situation au Canada sur le plan des instituts voués à l'étude du Brésil, de l'Amérique du Sud ou de l'Amérique latine. J'imagine que les États-Unis sont bien servis de ce côté.
Au Brésil, il reste beaucoup de chemin à faire. Je ne crois pas qu'il y ait là-bas un seul institut sérieux qui se consacre à l'étude des États-Unis. Il y a, je crois, un premier petit centre d'étude sur l'Amérique latine — imaginez; le premier centre d'étude voué à l'Amérique latine dans une université brésilienne — qui a été mis sur pied au cours de la dernière année.
Pour que le Canada soit mieux connu au Brésil, et le Brésil, mieux connu au Canada, les médias, les groupes de réflexion et les universités ont un rôle à jouer.
La présidente : Messieurs, nous n'avons plus de temps. Normalement, nos échanges durent un peu plus longtemps, mais d'autres questions nous obligent à mettre fin à la séance maintenant. Nous terminons sur un sujet que je voulais étudier — nous l'avons exploré avec d'autres témoins —, c'est-à-dire l'éducation et le partage des technologies.
Nos statistiques ne sont plus à jour, mais en 2008, 17 000 Brésiliens étudiaient au Canada. Il semble y avoir là un potentiel dont nous n'avons jamais tiré profit auparavant. Quant à la question de savoir s'il y a des centres d'étude sur le Canada, il en existe dans le monde. Je ne sais pas exactement si nous en avons un au Brésil. Je commence à croire que non. Il y a de précieuses possibilités sur ce plan.
J'ignore si cela résulte d'une négligence ou d'une inattention du Brésil envers le Canada, ou du Canada envers le Brésil. Il reste que c'est un sujet que nous étudions maintenant pour déterminer quelles sont les possibilités, quels sont les impératifs que suppose le partage d'un hémisphère, et quelles sont les possibilités de partenariat des deux pays pour ce qui est de faire face aux enjeux mondiaux. Comme tout le monde, je crois que nous sommes en train de nous éveiller à ces perspectives.
Comme vous le savez, le Canada travaille de près avec des partenaires en Afrique, et l'intervention croissante du Brésil, non seulement dans les pays lusophones comme l'Angola, mais ailleurs dans l'Union africaine, sont des questions sur lesquelles il faut nous pencher, car nous devons ajuster nos politiques pour tenir compte du Brésil.
Aujourd'hui, vous nous avez exprimé de nouveaux points de vue quant aux nouvelles façons de prendre en compte notre relation avec le Brésil sur les plans bilatéral, régional et international. Il ne fait aucun doute que nous reprendrons contact avec vous tandis que nous terminerons notre étude. Néanmoins, si vous souhaitiez d'ici là nous soumettre d'autres questions ou commentaires ou d'autres documents, je vous invite à le faire.
En ce qui concerne le Woodrow Wilson Center, j'ai cru comprendre que vous aviez maintenant une nouvelle présidente. Je ne suis pas certaine... Est-ce le bon titre?
M. Sotero : Oui.
La présidente : Pourriez-vous lui transmettre nos salutations?
M. Sotero : Oui; il s'agit de Jane Harman, ancienne membre démocrate du Congrès de la Californie. Elle se joindra à nous le 28 février, et je lui transmettrai vos salutations. Je vous en remercie.
La présidente : Merci, messieurs.
Sénateurs, la séance est levée.
(La séance est levée.)