Aller au contenu
 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Droits de la personne

Fascicule 3 - Témoignages du 31 mai 2010 (séance de l'après-midi)


OTTAWA, le lundi 31 mai 2010

Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne, auquel a été renvoyé le projet de loi S-4, Loi concernant les foyers familiaux situés dans les réserves des premières nations et les droits ou intérêts matrimoniaux sur les constructions et terres situées dans ces réserves, se réunit aujourd'hui, à 14 h 30, pour examiner le projet de loi.

Le sénateur Janis G. Johnson (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Bonjour. Nous reprenons nos audiences sur le projet de loi S-4, Loi concernant les foyers familiaux situés dans les réserves des premières nations et les droits ou intérêts matrimoniaux sur les constructions et terres situées dans ces réserves.

Nous recevons cet après-midi des témoins de la Commission canadienne des droits de la personne, nommément David Langtry, qui en est le vice-président.

David Langtry, vice-président, Commission canadienne des droits de la personne : Merci, sénateurs. Au nom de la Commission canadienne des droits de la personne, je vous remercie de votre invitation à vous parler aujourd'hui, en ce territoire traditionnel du peuple algonquin.

Le projet de loi S-4 porte sur des droits fondamentaux de la personne. Les normes internationales et nationales en matière de droits de la personne exigent le traitement égal des femmes en vertu de la loi, et la protection des femmes et de leurs enfants contre la violence. Le Canada doit se doter de toute urgence de régimes équitables, accessibles et simples pour traiter les questions relatives aux biens immobiliers matrimoniaux dans les réserves. Depuis trop longtemps, cette lacune rend les femmes et leurs enfants particulièrement vulnérables.

[Français]

La commission a compétence sur les employeurs, les fournisseurs de services sous règlementation fédérale, ce qui comprend les gouvernements des Premières nations. La Loi canadienne sur les droits de la personne définit son mandat dans des termes très précis en ce qui à trait à la discrimination.

La loi fait état de 11 motifs de distinction illicite, dont quatre touchent plus particulièrement le sujet abordé aujourd'hui : le sexe, l'état matrimonial, la situation familiale et l'origine nationale ou ethnique.

[Traduction]

À la lecture du projet de loi S-4, nous comprenons que le partage de la valeur des biens matrimoniaux relèvera des cours supérieures provinciales et territoriales, ou se fera au moyen d'un régime mis sur pied par les Premières nations.

La commission pourrait être en mesure d'accueillir des plaintes portées contre le gouvernement fédéral si une personne fait valoir que le projet de loi a un effet discriminatoire. La commission pourrait également accueillir des plaintes contre les gouvernements des Premières nations si une personne fait valoir que le régime qu'ils auront mis en place pour le partage des biens matrimoniaux est discriminatoire.

La commission examine les plaintes, qui peuvent ensuite faire l'objet d'une médiation, être rejetées ou être renvoyées au Tribunal canadien des droits de la personne pour un examen approfondi. Il revient au tribunal de déterminer s'il s'agit vraiment de discrimination.

Bien que le mandat de la commission soit clair — recevoir des plaintes découlant de l'emploi ou de la fourniture de biens ou services par le gouvernement fédéral et par des employeurs et fournisseurs sous réglementation fédérale — sa compétence est remise en question. En vertu de l'article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, la plupart des activités gouvernementales sont considérées comme étant un service, mais des jugements rendus récemment par le tribunal ont restreint cette définition.

Depuis que l'article 67 a été abrogé, toutes les plaintes que la commission a reçues ont été contestées par le procureur général sur plusieurs fronts, notamment sur ce qui constitue un « service ». Nous ne pouvons donc affirmer avec certitude qu'un régime de partage des biens matrimoniaux mis en place par les Premières nations constituerait un « service » en vertu de la loi.

En vertu de l'article 6 de la loi, la commission peut recevoir des plaintes ayant trait au logement. L'article 6 pourrait s'appliquer particulièrement aux terres des Premières nations et aux terres dans les réserves. Cet article est cependant rarement évoqué, et il y a peu d'interprétation de sa portée.

Bref, on ne sait pas exactement dans quelle mesure la Commission est habilitée à accueillir les plaintes relatives à la Loi sur les biens matrimoniaux et les régimes des Premières nations.

[Français]

Le Comité sénatorial permanent sur les droits de la personne a entendu le témoignage de nombreuses personnes qui seront directement touchées par cette loi. J'invite les membres du comité sénatorial à tenir compte des trois questions suivantes au moment de délibérer.

[Traduction]

D'abord, le projet de loi donne-t-il aux femmes un accès équitable à la justice? Après tout, ce sont généralement les femmes qui sont le plus durement touchées par une séparation ou un divorce. Ensuite, le projet de loi permettra-t-il aux femmes de faire valoir leurs droits en toute sécurité? Et enfin, les collectivités des Premières nations ont-elles la capacité voulue pour élaborer et mettre en œuvre leur propre régime de partage des biens matrimoniaux? Si ce n'est pas le cas, les Premières nations pourraient être empêchées d'élaborer leur propre régime dans le respect de leurs lois et traditions culturelles et de manière à concilier les droits et intérêts collectifs avec les droits et intérêts individuels. Par ailleurs, cela pourrait contrer l'intention du projet de loi, c'est-à-dire de prévoir un mécanisme temporaire et transitoire de gestion des biens matrimoniaux dans les réserves en attendant que les Premières nations mettent au point leur propre régime.

Lorsque vous étudierez le projet de loi S-4, je vous invite à prendre connaissance du rapport préparé par Wendy Grant-John, qui propose des solutions viables en matière de gestion des biens matrimoniaux dans les réserves.

Pour terminer, la commission appuie un régime qui assure l'égalité devant la loi et un traitement équitable de toutes les parties, y compris les femmes et les enfants, qui peuvent être particulièrement vulnérables dans les cas de séparation, de divorce ou de décès de l'un des conjoints.

[Français]

Je vous remercie. Je suis prêt à répondre à vos questions.

[Traduction]

La présidente : Merci, monsieur Langtry. Nous aurons des questions, mais nous entendrons d'abord les autres témoins. Mme Schellenberg et M. Devlin prendront la parole successivement.

Gaylene Schellenberg, avocate, Législation et réforme du droit, Association du Barreau canadien : Bonjour. Je suis avocate au Service de la législation et de la réforme du droit de l'Association du Barreau canadien. L'ABC est une association nationale représentant plus de 37 000 avocats, étudiants en droit, notaires et universitaires d'un bout à l'autre du pays. Notre mandat comprend l'amélioration de la législation et de l'administration de la justice, et c'est dans cette perspective que nous comparaissons devant vous aujourd'hui.

Je suis accompagnée de M. Devlin, qui est membre de l'exécutif de la Section nationale du droit des Autochtones, qui représente des avocats spécialisés dans le droit autochtone de tous les coins du pays. Je vais demander à M. Devlin de traiter de la teneur de notre mémoire.

Christopher Devlin, membre de l'exécutif, Section nationale du droit des Autochtones, Association du Barreau canadien : Merci beaucoup. Je suis ici à titre de représentant de la Section du droit des Autochtones et de la Section du droit familial de l'Association du Barreau canadien. Notre mémoire vous a été remis avant le début de la séance. Je vais m'y reporter à l'occasion durant mon allocution.

L'élément fondamental de notre présentation est que l'ABC appuie à la fois les objectifs de la loi en matière de politiques, à savoir la protection des droits individuels des épouses et de leurs enfants sur les biens matrimoniaux situés dans les réserves, et la protection des droits et intérêts collectifs des Premières nations sur leurs terres situées dans les réserves.

Le projet de loi S-4 vise à concilier ces deux objectifs. Dans son mémoire écrit, l'ABC propose de menues retouches, si l'on peut dire, pour établir une protection juridique solide pour les femmes et leurs enfants dans les réserves. Rien de ce que je vais dire ne devrait amoindrir l'importance de cet objectif.

Notre mémoire renferme de nombreuses recommandations et je ne les passerai pas toutes en revue. Je m'en remets aux membres du comité pour ce faire. Je veux mettre l'accent sur l'équilibre des droits, et en particulier la création de possibles intérêts à vie dans les réserves pour des non-Autochtones. Ces recommandations sont fondées sur des textes de loi et des principes juridiques que nous voulons signaler à l'attention du comité.

Je me reporte à notre mémoire, à la page 11 de la version anglaise; je crois que ce passage commence à la page 12 de la version française.

Comme je le disais, le projet de loi vise à établir un équilibre entre ces deux objectifs. Pour ce faire, le projet de loi créerait des droits à long terme à l'égard d'une réserve pour des personnes qui ne sont pas membres de la bande et qui ne sont pas autochtones. Je veux parler ici des ordonnances d'occupation exclusive qui peuvent être émises en vertu du projet de loi. J'aurai d'importantes observations à faire là-dessus dans un instant.

Chacun des objectifs visés par le projet de loi s'enracine dans le droit canadien. Par conséquent, nous nous reportons à la Loi fédérale sur le divorce et aux dispositions de la Charte canadienne des droits et libertés en matière d'égalité, à l'article 15, pour le premier objectif, qui est la protection des droits individuels des conjoints et de leurs enfants. Le deuxième objectif, les droits et intérêts collectifs des bandes, est conféré ou exprimé dans la Loi sur les Indiens et aussi à l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.

Je voudrais maintenant établir un peu le contexte des droits collectifs des bandes.

Il ressort clairement de l'article 2 et de l'article 18 de la Loi sur les Indiens que l'objet de l'inaliénabilité des terres des réserves est de s'assurer que ces terres demeurent destinées à l'utilisation et à l'avantage des Indiens et de la bande.

La Cour suprême a également commenté ce but dans sa décision rendue dans l'affaire La Reine c. Devereux, dont nous faisons mention dans notre mémoire. L'objet de la Loi sur les Indiens est de maintenir intactes, à l'intention des bandes indiennes, des réserves qui sont mises de côté pour celles-ci, même si un Indien voulait, individuellement, aliéner à son intention et profit une partie de la réserve dont il se trouve à être l'occupant.

La Loi sur les Indiens va plus loin à l'article 28. Cette disposition empêche une personne indienne de céder ses intérêts dans la réserve à des non-Indiens, et le ministre peut seulement émettre des permis à des non-Indiens pour une période d'un an ou, avec le consentement du conseil de bande, pour des périodes plus longues.

De même, un non-Indien ne peut pas hériter en vertu de la Loi sur les Indiens. Il ne peut pas hériter d'un bien foncier situé dans la réserve s'il est un héritier non-indien désigné dans le testament d'un Indien.

L'importance historique de la mise de côté de réserves indiennes réside dans cette politique publique consistant à décréter l'inaliénabilité générale des terres des réserves. Nous nous reportons aussi dans notre mémoire à la décision Opetchesaht. La common law et la Loi sur les Indiens renferment toutes deux des sauvegardes contre l'érosion des terres des réserves.

L'équilibre qui doit être établi au moyen du projet de loi S-4 est que le droit canadien et les traités internationaux insistent tous les deux sur le fait que l'inaliénabilité ne peut pas servir de prétexte pour ne pas tenir compte des intérêts des enfants et des conjoints mariés ou de fait. Pas plus que les droits matrimoniaux ne peuvent servir de prétexte pour affaiblir les droits de propriété de la bande. Voilà le nœud de l'affaire, l'équilibre que nous souhaitons établir.

Notre chapitre intitulé « Créer de nouveaux droits et intérêts » commence à la page 13 de la version anglaise et à la page 15 de la version française. Nous passons en revue l'occupation du foyer familial et les ordonnances de protection d'urgence. À notre avis, ces mesures sont bien équilibrées. Bien qu'elles permettent l'occupation d'une parcelle de la réserve par un non-Indien, cela ne peut être que pour une période limitée. Cette période peut être établie par ordonnance judiciaire. Ce n'est pas une aliénation complète des terres de la réserve, loin de là.

À l'article 25 du projet de loi S-4, portant sur les ordonnances d'occupation exclusive, la cour a la latitude d'octroyer une ordonnance d'occupation exclusive relativement au foyer familial. La cour a le pouvoir discrétionnaire d'établir la durée de l'ordonnance. Le projet de loi ne précise pas quelle doit être la durée de cette ordonnance.

En omettant toute indication sur la durée de l'ordonnance, la cour pourrait créer un intérêt à vie pour un non-Indien à l'égard d'une réserve, intérêt qui pourrait durer très longtemps. On peut imaginer le cas de l'échec du mariage d'une jeune personne âgée par exemple de 18 ou 20 ans et dont le conjoint non indien vit jusqu'à l'âge de 80 ans. Il pourrait en résulter un intérêt viager de 60 ou 70 ans à l'égard de la réserve. La terre en question ne pourrait pas être utilisée par la bande pendant toute cette période.

Plus loin dans le mémoire, nous indiquons que dans la politique jurisprudentielle actuelle, il est question de la doctrine de l'atteinte minimale de l'intérêt indien dans une réserve. Un facteur dont la cour doit tenir compte dans la liste des facteurs établis à l'article 25 du projet de loi S-4 est la doctrine de l'atteinte minimale établie par la Cour suprême.

De même, en rendant des ordonnances d'occupation exclusive, la cour doit prendre en considération la politique actuelle du gouvernement, par exemple en ce qui a trait à la location de terres indiennes à des non-Indiens. À l'heure actuelle, Affaires indiennes et du Nord Canada limite la durée des ordonnances à 49 ans. Il faudrait donner comme instruction au tribunal de tenir compte de ces facteurs additionnels en vertu du projet de loi au moment d'établir la durée des ordonnances d'occupation exclusive. L'intérêt supérieur de l'enfant et la problématique de la violence familiale sont des facteurs importants qui doivent être pris en compte par le tribunal.

Le projet de loi S-4 permet aux conseils de bande de faire des observations au sujet des ordonnances d'occupation exclusive. Cependant, en général, les conseils de bande sont de petites administrations locales qui sont souvent amenées à s'occuper des querelles familiales survenant à la suite de l'échec d'un mariage. Dans la mesure où nous voulons tenir compte de ces vastes questions de politique publique — l'inaliénabilité des terres et la doctrine de l'atteinte minimale établie par la Cour suprême du Canada —, ces facteurs devraient être établis à titre de facteurs séparés et distincts dont la cour doit tenir compte dans la liste des facteurs énumérés à l'article 25 du projet de loi S-4, dans l'éventualité où le conseil de bande oublie de les évoquer ou choisit de ne pas le faire. Ces facteurs seraient néanmoins portés à l'attention du tribunal et la loi lui donnerait instruction d'en tenir compte.

Je vais m'en tenir là.

La présidente : Merci, monsieur Devlin. Avez-vous d'autres observations avant que nous passions aux questions?

Nous avons entendu ce matin plusieurs témoins dire qu'il peut être difficile d'avoir accès aux tribunaux provinciaux. Le projet de loi S-4 ne traite pas directement des mécanismes de règlement des différends communautaires, et les témoins nous ont dit que ce serait plus approprié. Je vous demande à tous les deux de commenter.

M. Devlin : Je suis désolé, je ne comprends pas la question, à savoir qu'est-ce qui serait plus approprié. Nous avons fait des observations sur l'accès à la justice.

La présidente : Le projet de loi S-4 ne prévoit pas de mécanismes de règlement des différends au sein des collectivités, et nos témoins nous ont dit que de tels mécanismes seraient une manière plus indiquée de procéder.

M. Devlin : Le projet de loi ne permet pas de mettre au premier plan les traditions juridiques autochtones. Le projet de loi est quelque peu prescriptif pour ce qui est des règles fédérales transitoires sur la manière de régler les différends au titre du droit de la famille. Dans la mesure où le projet de loi s'inspire de la Loi sur la gestion des terres des Premières nations pour l'élaboration de nouvelles lois, il est prescriptif sur le plan de la procédure.

Cela dit, si une Première nation veut adopter ses propres règles ou règlements sur les biens immobiliers matrimoniaux en application de la loi, rien ne l'empêche de le faire, conformément à ses traditions juridiques autochtones, et de les intégrer dans ses propres lois. Cependant, les règles fédérales transitoires sont toutes faites et ne laissent aucune place aux traditions juridiques autochtones.

La présidente : Comment les deux peuvent-elles coexister dans le projet de loi? C'est impossible.

M. Devlin : L'intention du projet de loi, quoique cette intention soit le risque évoqué par mon collègue, est d'être une mesure provisoire.

La présidente : C'est exact. Les Premières nations vont élaborer leurs propres mécanismes et les mettre en œuvre.

M. Devlin : C'est exact.

Le sénateur Kochhar : Quand des Indiens épousent des non-Indiens, leurs enfants sont-ils non-Indiens?

M. Devlin : Cela relève des dispositions de la Loi sur les Indiens sur le statut des personnes. Le projet de loi C-3 va également aider à régler cette question en précisant combien d'enfants non indiens sont Indiens et non-Indiens.

Si l'épouse n'est pas Indienne ou membre de la bande, et si seuls les membres de la bande sont autorisés à résider dans la réserve, à l'heure actuelle, les épouses doivent quitter la réserve. Elles pourront rester en vertu du projet de loi S-4.

Le sénateur Kochhar : Deviennent-elles automatiquement Indiennes en vertu du projet de loi?

M. Devlin : Le projet de loi ne renferme aucune disposition sur l'appartenance à la bande. Cela relève d'une série de dispositions complètement différentes de la Loi sur les Indiens.

M. Langtry : Au début, j'aurais dû présenter mes collègues de la Commission canadienne des droits de la personne. Sherri Helgason est directrice de l'Initiative nationale autochtone. Valerie Phillips est avocate aux Services de consultation juridique.

Je vais demander à Mme Helgason de répondre à la question précise que vous avez posée, mais je vais d'abord faire un préambule.

Le règlement extrajudiciaire des conflits est important pour la Commission canadienne des droits de la personne. Avant de se pencher sur une plainte qui nous est présentée, nous vérifions s'il existe un mode alternatif de règlement des litiges qui permettrait de régler de manière plus appropriée le dossier à l'extérieur de la commission.

Par ailleurs, pour revenir sur certaines observations qui ont été faites ce matin, avec l'abrogation de l'article 67, tout ce domaine revêt une importance considérable et suscite énormément d'intérêt à la Commission canadienne des droits de la personne. En conséquence, nous avons lancé l'Initiative nationale autochtone en vue d'élaborer des mécanismes alternatifs de règlement des différends. Je vais demander à Mme Helgason de vous en parler.

Sherri Helgason, directrice, Initiative nationale autochtone, Commission canadienne des droits de la personne : Comme mon collègue le vice-président Langtry vient de le dire, vous avez entendu ce matin un certain nombre de témoins dire que les mécanismes communautaires sont souvent les plus appropriés pour résoudre ce type de conflits qui peuvent relever de la législation sur les biens immobiliers et matrimoniaux. Les mécanismes communautaires peuvent être plus compatibles avec le droit inhérent à l'autonomie gouvernementale et ont plus de chance de respecter la tradition juridique et le droit coutumier.

En fait, la modification législative qui a abrogé l'article 67 comportait une disposition stipulant que, dans le cas des décisions rendues en application de la Loi canadienne sur les droits de la personne, on doit tenir compte de la tradition juridique et du droit coutumier des Premières nations, en particulier en établissant un juste équilibre entre les droits et intérêts individuels et les droits et intérêts collectifs, dans la mesure où ces droits et intérêts sont conformes aux principes de l'égalité entre les sexes.

Au cours de l'année dernière, la commission s'est engagée, compte tenu de ses maigres ressources, à aider les Premières nations à accroître leur capacité au niveau communautaire de prévenir, de gérer et de résoudre les différends en matière de droits de la personne au sein de leurs propres collectivités. Par exemple, nous travaillons à l'élaboration de principes directeurs dont les Premières nations peuvent vouloir tenir compte dans l'élaboration de solutions de rechange communautaires, ou, comme nous les appelons, de processus internes de résolution des différends.

Nous ne savons pas combien de Premières nations ont déjà de tels processus. Certaines communautés ont peut-être des mécanismes tout à fait fonctionnels et déjà capables de traiter les différends en matière de droits de la personne et, peut-être, ceux relatifs aux biens matrimoniaux et immobiliers. Cependant, d'autres n'ont peut-être pas la capacité de mettre en place de tels mécanismes de résolution des différends.

Pour notre part, nous avons lancé un projet pilote avec le Southern First Nations Secretariat, dans le sud-ouest de l'Ontario, l'objectif étant de collaborer à un processus en vue d'élaborer des mécanismes communautaires pour la résolution des différends portant sur les droits de la personne avant la fin de notre période de transition débouchant sur l'abrogation de l'article 67 en juin 2011. Nous avons l'intention de documenter le processus utilisé pour aboutir à l'objectif final, en vue de diffuser par la suite un guide des meilleures pratiques qui pourrait être utile pour les autres Premières nations qui souhaiteraient élaborer leurs propres processus internes.

Quant à savoir comment ce processus peut cadrer dans le contexte de la législation sur les biens immobiliers matrimoniaux, je reviens au processus d'apprentissage qui s'est déroulé et à ce que la commission a appris au cours des deux dernières années, à savoir que parfois, les solutions de rechange communautaires sont la méthode la meilleure, la plus rapide et la plus respectueuse de résoudre de tels différends.

Le sénateur Baker : Le commissaire, dans son exposé, a dit ceci — je cite le paragraphe qui se trouve au milieu de la page 3 :

Depuis que l'article 67 a été abrogé, toutes les plaintes que la commission a reçues ont été contestées par le procureur général sur plusieurs fronts, notamment sur ce qui constitue un service.

Pouvez-vous nous donner des explications là-dessus et notamment sur ce que vous voulez dire par « contester »?

M. Langtry : Oui. Je vais donner un début de réponse, après quoi je demanderai à l'avocate de nous en dire plus long. Mme Phillips est chargée de s'occuper des plaintes qui ont été suscitées par l'abrogation de l'article 67.

Comme vous le savez, avant 2008, aucune plainte ne pouvait être déposée sur toute question qui relevait des pouvoirs ou des dispositions de la Loi sur les Indiens comme telle. Quand l'article 67 a été abrogé, cela a immédiatement ouvert la porte à des requêtes faisant appel aux compétences du gouvernement fédéral; et il y a une période de transition de trois ans pour les gouvernements des Premières nations.

Nous avons reçu un certain nombre de plaintes dans la foulée de l'abrogation de l'article 67, visant nommément le gouvernement fédéral, qu'il s'agisse du financement des services dans les réserves ou de l'absence de financement de services dans les réserves, ainsi que l'inscription des Indiens au registre ou d'autres motifs de plaintes.

Nous avons reçu bon nombre de ces plaintes et, dans chacun de ces cas, la réponse du gouvernement fédéral à titre d'intimé a consisté à dire que cela ne constitue pas un service au titre de l'article 5 de la loi. Par conséquent, le gouvernement fédéral conteste que nous ayons même compétence pour recevoir la plainte. Pour une réponse plus complète, je cède la parole à Mme Phillips.

Le sénateur Baker : Autrement dit, où la plainte est-elle acheminée? À la Cour fédérale? À quelle étape en est-on?

Valerie Phillips, avocate, Services de consultation juridique, Commission canadienne des droits de la personne : La commission a le mandat de donner suite aux plaintes, à moins qu'il soit parfaitement évident que nous n'ayons pas compétence. Dans notre examen initial d'une plainte, nous pouvons la rejeter seulement s'il est parfaitement clair que nous n'avons pas compétence en la matière. Dans les cas dont nous avons été saisis depuis l'abrogation de l'article 67, il n'existe aucune jurisprudence et cela n'est donc pas parfaitement évident. En conséquence, nous avons le mandat d'accepter ces plaintes.

Quant à savoir qui rendra la décision, quand la commission décide d'accepter une plainte, cette décision peut faire l'objet d'un contrôle judiciaire par la Cour fédérale. La décision pourrait être prise à cette instance. Si la commission renvoie la plainte au Tribunal canadien des droits de la personne, le tribunal peut rendre une décision à savoir si la plainte relève de ses compétences, et aussi des compétences de la commission. La décision peut ensuite cheminer jusqu'à la Cour d'appel fédérale, et à la Cour suprême du Canada, qui seront chargées de décider ce qui constitue un service en application de notre loi.

Le sénateur Baker : À l'heure actuelle, tout est dans les limbes; c'est bien ce que vous dites?

Mme Phillips : Oui.

Le sénateur Baker : Pour combien de temps?

Mme Phillips : Cela dépend de la portée du litige. Pour établir le contexte, la Cour suprême du Canada a dit — je suis certaine que les membres du comité le savent — que la législation sur les droits de la personne doit être interprétée de manière générale. En conséquence, le mot « service » a été interprété de manière à inclure à peu près tout ce que fait le gouvernement fédéral, jusqu'à récemment. La définition a tendance à rétrécir. Aujourd'hui, autant dans le contexte autochtone que non autochtone, on ne sait plus clairement sur quoi la commission a compétence.

Quand cela sera-t-il réglé? Ce n'est pas clair. Cela pourrait prendre 10 ans si l'affaire va jusqu'à la Cour suprême.

Le sénateur Baker : Vous parlez des compétences sur ce qu'il y a dans cette loi.

Mme Phillips : Je parle de la compétence de la commission et des systèmes correspondants pour accepter des plaintes de discrimination.

Le sénateur Baker : Votre conclusion, vers le bas de la page 3 du mémoire de la commission, est la suivante :

Nous ne pouvons donc affirmer avec certitude qu'un régime de partage des biens matrimoniaux mis en place par les Premières nations constituerait un service en vertu de la loi.

C'est donc cela. Vous ne pouvez pas l'examiner parce que vous n'avez pas de définition du « service ».

M. Langtry : Si je peux me permettre, nous continuons et nous continuerons à recevoir des plaintes, et nous continuons de renvoyer ces plaintes au tribunal. Tant et aussi longtemps que le tribunal ou une autre cour n'aura pas décidé que ce n'est pas un service, nous sommes d'avis qu'il n'est pas clair ni évident que nous n'ayons pas compétence en la matière, et nous allons donc continuer de recevoir les plaintes et de les examiner.

Le sénateur Baker : Diriez-vous que le ministère de la Justice est exagérément accusatoire dans cette affaire?

La présidente : La question est irrecevable.

Le sénateur Brazeau : Puis-je poser une question supplémentaire?

Le sénateur Mitchell : Je veux entendre la réponse.

La présidente : Y a-t-il une question supplémentaire?

Le sénateur Brazeau : Oui. Au sujet d'un code, si un régime de biens immobiliers matrimoniaux est établi par une communauté des Premières nations, le projet de loi stipule expressément qu'il doit être ratifié par les membres de la communauté au moyen d'un vote. Cela dit, si un code communautaire est ratifié par ses membres, dans quelles circonstances envisagez-vous qu'une plainte soit adressée à la commission et pour quelle raison?

M. Langtry : Il pourrait y en avoir une, portant à la fois sur le vérificateur et sur la nécessité d'un vote de ratification. J'évoque cela hypothétiquement, mais on peut faire l'analogie avec une plainte que nous avons reçue relativement au consentement exigé du ministre pour un bail dans la réserve. Le plaignant nous a fait cette allégation et sa plainte consistait à dire que dans un contexte autre que celui des Premières nations, le consentement n'est pas nécessaire, de sorte que pour les non-Autochtones, de tels arrangements ne sont pas exigés.

Relativement au vérificateur et à l'exigence de la ratification, quelqu'un pourrait porter plainte et dire : pourquoi cela est-il exigé dans un contexte des Premières nations alors que ça ne l'est pas dans le contexte d'un non-Autochtone? Nous pourrions recevoir cette plainte, qui pourrait émaner des dirigeants de la bande ou d'un particulier. Par ailleurs, le régime adopté pourrait comporter des dispositions qu'une personne pourrait juger discriminatoires et une plainte nous serait présentée.

Le sénateur Nancy Ruth : Monsieur Langtry, je crois comprendre que l'Association des femmes autochtones du Canada veut une certaine assurance que les bandes ne vont pas instaurer un régime de biens immobiliers matrimoniaux (BIM) qui ne leur donnerait pas leur mot à dire. Par conséquent, s'il y avait un vote, cela aiderait les femmes autochtones de la bande, à la fois dans la réserve et hors réserve, à obtenir un régime conforme à ce qu'elles veulent. À quel moment cette considération entre-t-elle en jeu dans une audience de la commission si une telle plainte va de l'avant? C'est sa raison d'être.

M. Langtry : Écoutez, nous n'avons nullement pour mandat de parler au nom de l'Association des femmes autochtones du Canada, de l'Assemblée des Premières Nations ou de tout autre groupe autochtone ou des Premières nations. Nous sommes ici pour discuter de ce qui pourrait être instauré dans la loi proposée. On a demandé quel type de plainte pourrait être déposé; or il se pourrait fort bien qu'une plainte soit fondée sur la question suivante : pourquoi nous obliger à respecter une norme plus élevée.

Cela dit, nous sommes un organisme de triage seulement. Nous examinons la plainte, mais nous ne déterminons pas si la loi est discriminatoire, mais seulement s'il est justifié de faire un examen plus approfondi. Il se peut que nous donnions suite à la plainte. Nous pourrions dire qu'elle ne respecte pas les critères et nous la rejetterions alors. C'est ce que nous faisons à titre d'organisme de triage.

Le sénateur Nancy Ruth : Ma question s'adresse à M. Devlin et porte sur la situation d'une personne non indienne et non-membre de la bande qui a accès à une maison au moment de la rupture du mariage. Si je comprends bien la loi proposée, on a inséré cette disposition parce qu'il y a habituellement des problèmes et parce que les enfants sont membres de la bande.

M. Devlin : Parfois.

Le sénateur Nancy Ruth : Mais pas toujours.

M. Devlin : Non.

Le sénateur Nancy Ruth : Pouvez-vous me dire ce que vous pensez de cette disposition? Si je comprends bien, il n'est pas question qu'une femme blanche ait accès à une maison pendant 40 ans ou plus. Cette disposition est plutôt dans le projet de loi pour protéger le droit des enfants de demeurer dans leur propre maison.

M. Devlin : En vertu des dispositions de la Loi sur les Indiens, il existe ce qu'on appelle la règle de l'exclusion de la deuxième génération. En vertu de la loi, il existe des Indiens au titre du paragraphe 6(1) et des Indiens au titre du paragraphe 6(2); les Indiens du paragraphe 6(1) peuvent transmettre leur statut à leurs enfants.

Le sénateur Nancy Ruth : Je ne veux pas m'attarder là-dessus.

M. Devlin : Si un Indien du paragraphe 6(2) a des enfants avec une non-Indienne, leurs enfants sont non-Indiens. L'Indien au titre du paragraphe 6(2) est membre de la bande et peut vivre dans un logement qui lui est attribué par la bande dans la réserve, mais ses enfants ne sont pas Indiens et ne sont pas membres de la bande, pas plus que l'autre parent, qu'il s'agisse d'un homme ou d'une femme. Au moment de la rupture du mariage, il n'y a aucun lien entre les enfants, qui ne sont pas membres de la bande ni Indiens. C'est l'une des injustices que le projet de loi est conçu pour corriger : ces enfants non-Indiens peuvent continuer à vivre dans la maison familiale, même s'ils ne sont pas Indiens ni membres de la bande.

Le sénateur Nancy Ruth : Je supposais que le projet de loi était conçu pour prendre acte du fait que les enfants indiens devaient avoir le droit de rester dans leur maison. Vous avez mentionné qu'un juge peut rendre une ordonnance dans un sens ou dans l'autre et pour un certain nombre d'années. Croyez-vous probable que des juges, en pareils cas, accordent une grande importance à la question de savoir si ces enfants sont Indiens ou membres de la bande?

M. Devlin : Si les enfants sont Indiens et membres de la bande, ce serait un argument convaincant pour que le juge leur permette de rester. Si les enfants ne sont pas Indiens ni membres de la bande, mais que la maison a été leur foyer familial depuis le début, cela peut également être un argument convaincant pour le juge. Nous appuyons sans réserve la disposition du projet de loi qui donne à ces enfants le droit de rester dans leur maison. À l'heure actuelle, ils n'ont pas ce droit en vertu de la loi. Notre mémoire comprend des observations sur la durée de l'ordonnance d'occupation exclusive pour des enfants ou un conjoint non-Indiens. Le projet de loi ne prévoit aucune limite. C'est d'intérêt public que ce facteur soit pris en considération par le juge, de manière à ne pas aliéner ce bien immobilier ou cette maison de la bande pendant des décennies, afin d'assurer un bon équilibre. C'est ce que nous disons.

Le sénateur Kochhar : Je ne comprends toujours pas. Nous nous soucions des enfants. Ils sont l'objectif primordial de tout le projet de loi. Nous sommes en train d'établir qui peut habiter dans une maison et qui n'en a pas le droit. Est- ce vraiment juste pour ces pauvres enfants?

M. Devlin : Le projet de loi donne un bien meilleur accès au système judiciaire pour les enfants qui vivent dans la réserve, dans leur maison familiale, par rapport à la situation actuelle. Il accorde beaucoup plus de latitude et de recours juridiques à ces enfants. Nous appuyons sans réserve cette partie du projet de loi. Si l'on pousse à l'extrême la logique du projet de loi, nous nous demandons si cela cadre avec les doctrines juridiques existantes relativement aux terres des réserves et si nous pourrions établir un meilleur équilibre dans cette situation. Il n'y a aucun doute que ce projet de loi vise à aider les enfants et qu'il renforce les droits de ces enfants en vertu de la loi, qu'ils soient Indiens ou non-Indiens.

Le sénateur Dyck : Je vous remercie pour vos exposés. Je poursuis au sujet de la collectivité et de la Commission canadienne des droits de la personne. Disons qu'une Indienne inscrite vivant dans une réserve divorce. Elle croit que la décision rendue par la bande et par le chef la force à partir. Peut-elle porter plainte contre la bande en invoquant les droits de la personne, depuis que l'article 67 de la Loi canadienne sur les droits de la personne a été supprimé, parce qu'elle a subi de la discrimination au motif du sexe? Si elle a le droit de le faire, cela va-t-il remédier en partie à la situation du point de vue de la loi?

M. Langtry : En bref, la réponse est oui, mais pas encore. L'abrogation de l'article 67 prévoit une période de transition de trois ans qui va jusqu'à juin 2011. Aucune plainte ne peut être déposée contre un gouvernement d'une Première nation. Supposons qu'on est en juillet 2011 et que ce scénario arrive; alors, oui, l'un des motifs de discrimination, parmi d'autres, est le sexe. Par conséquent, si une femme estimait avoir subi de la discrimination de la part du gouvernement des Premières nations au motif de son sexe, elle serait en mesure de porter plainte à la Commission canadienne des droits de la personne. Je ne dis pas qu'elle aurait gain de cause, mais elle serait fondée à déposer cette plainte.

Le sénateur Dyck : Supposons qu'elle a gain de cause et qu'un certain nombre de plaignantes ont gain de cause au cours d'une période raisonnable; avons-nous alors besoin d'un projet de loi comme le S-4 pour combler cette lacune législative?

M. Langtry : Une fois l'article 67 abrogé, la question de l'accès au logement peut devenir applicable, que ce soit en situation de mariage ou autrement. Par exemple, certaines femmes réintégrées vivent hors réserve parce qu'on ne leur a pas permis de revenir dans la réserve. Elles pourraient alors déposer une plainte qui n'a rien à voir avec la rupture d'un mariage.

Nous sommes d'avis que le projet de loi S-4 remédie à une lacune en matière de droits de la personne parce qu'il n'existe actuellement aucune disposition régissant ce qu'il advient des biens matrimoniaux dans la réserve dans l'éventualité de la rupture du mariage ou du décès d'un conjoint. Le projet de loi remédie à cette lacune en matière de droits de la personne, mais je répète que l'abrogation de l'article 67 règle la question du logement, peu importe qu'il y ait un rapport avec les biens matrimoniaux.

M. Devlin : La lacune législative persiste pour ce qui est des intérêts dans une réserve. Le projet de loi S-4 crée de nouveaux intérêts dans une réserve. L'ordonnance d'occupation exclusive n'existe pas actuellement dans la Loi sur les Indiens. Je crois que c'est une disposition nécessaire dans la mesure où il faut outrepasser les dispositions de la Loi sur les Indiens relatives aux terres. Je crois comprendre que la Loi canadienne sur les droits de la personne ne traite pas de cet intérêt propriétal dans la réserve et que la Loi sur les Indiens continuera de s'appliquer. Nous avons besoin du projet de loi S-4 pour traiter de ces intérêts.

La présidente : J'ai une question à vous poser, monsieur Devlin. Le projet de loi S-4 s'applique-t-il aux mariages coutumiers autochtones?

M. Devlin : C'est une bonne question. Nous en traitons en partie dans notre mémoire. Dans la loi, il est fait mention d'un conjoint qui est marié. La loi évoque aussi les conjoints de fait, mais elle intègre par renvoi la définition de conjoint de fait tirée de la Loi sur les Indiens. Le troisième type de mariage qui a été reconnu en common law par les tribunaux canadiens est le mariage coutumier autochtone.

Il y a trois types de mariages. Il est possible que le mariage coutumier puisse être intégré à la définition du conjoint de fait de la Loi sur les Indiens, laquelle est intégrée par renvoi au projet de loi S-4.

Dans notre mémoire, nous disons qu'il faudrait élargir et consolider, si l'on peut dire, la définition de « conjoint » pour y inclure l'union de fait. En passant, c'est l'une des contributions de notre section du droit familial. De cette manière, nous n'aurions pas cette bifurcation entre les mariages et les unions de fait.

Même dans le cas de la définition que nous avons ici, il faudrait l'interpréter comme incluant le mariage coutumier autochtone, parce qu'il est question d'un conjoint de fait, pourvu que la poursuite soit intentée moins d'un an après la séparation des conjoints. Je ne suis pas certain que ce soit le plus clair possible.

Les tribunaux ont été assez ouverts pour ce qui est de reconnaître le mariage coutumier autochtone; il y a de la jurisprudence à cet égard. Nous avons aussi reconnu les couples mariés en application des lois autochtones de la Première nation. Nous avons cela dans les définitions du terme « conjoint ». C'est à la page 4 du projet de loi en anglais et à la page 4 ou 5 dans la version française.

Le sénateur Baker : Vous nous avez donné un bon mémoire. C'est excellent.

M. Devlin : Merci.

La présidente : Vous êtes donc allé aussi loin que vous le pouviez, je suppose.

Le sénateur Mitchell : Merci à vous tous. Monsieur Devlin, je trouve aussi que ce mémoire est excellent. Je suis frappé par le nombre de recommandations qui semblent raisonnables quant à des amendements au projet de loi. Cela n'arrive pas souvent que le gouvernement actuel amende un projet de loi.

Avez-vous présenté ce mémoire au gouvernement à titre officiel et savez-vous s'il est ouvert à l'idée d'y apporter des amendements?

Mme Schellenberg : Nous avons mis la dernière main au mémoire et l'avons envoyé aux sénateurs. J'en enverrai copie aux fonctionnaires gouvernementaux également.

Le sénateur Mitchell : Ferez-vous un suivi auprès du gouvernement pour évaluer si la communication passe bien? Attendez-vous une réponse?

Mme Schellenberg : Maintenant que le Parlement en est saisi, je ne m'attends pas à une réponse des fonctionnaires du gouvernement.

Le sénateur Mitchell : Madame Helgason, je pense que vous avez parlé de votre travail en vue d'élaborer des lignes directrices quant au régime législatif que les Premières nations pourraient élaborer et mettre en œuvre elles-mêmes. Cela ressemble au travail qui sera proposé pour le centre d'excellence.

Travaillez-vous à l'élaboration des lignes directrices sous cette rubrique? Vous a-t-on demandé d'y participer?

Mme Helgason : Non.

Le sénateur Mitchell : Vous donnez une réponse sèche; y avait-il un problème?

Mme Helgason : Pas du tout; nous n'avons tout simplement pas participé à l'élaboration ou à la réflexion portant sur le centre d'excellence.

Dans le cadre de notre travail, nous nous concentrons nécessairement sur le cadre de la Loi canadienne sur les droits de la personne. La commission traite avec de nombreux employeurs et fournisseurs de services et les encourage à établir leurs propres systèmes internes de résolution de conflits et de prévention et de gestion des différends avant qu'ils ne débouchent sur une plainte, ce qui peut se transformer en affaire litigieuse. Cela vaut aussi bien pour les organisations autochtones que non autochtones.

Récemment, nous avons commencé à travailler avec les collectivités des Premières nations elles-mêmes pour élaborer des processus de résolution des conflits en matière de droits de la personne avant qu'ils ne donnent lieu à une plainte auprès de la commission, des processus qui, espérons-le respectent les lois et les valeurs culturelles des communautés des Premières nations qui choisissent d'adhérer à cette voie.

En réponse à votre question, nous n'avons pas entrepris jusqu'ici de travail pour résoudre les questions relatives aux biens immobiliers matrimoniaux. Toutefois, cela semble participer de cette idée d'un centre d'excellence.

Le sénateur Mitchell : Il y a peut-être là des synergies.

Il y a quelque chose d'implicite dans les propos de tous les intervenants et d'explicite dans l'exposé de M. Devlin, notamment à la page 9 de votre mémoire. D'après vous, le gouvernement devrait fournir un financement suffisant et d'autres mesures de soutien aux Premières nations pour leur permettre d'élaborer et de mettre en œuvre leurs propres lois concernant les BIM.

Tout ce travail ne servira à rien si les communautés et les organisations des Premières nations n'ont pas les ressources financières pour élaborer une mesure législative pertinente. Quelle est votre analyse de ce problème? Vos propos s'appuient-ils sur votre expérience concrète en matière de capacité?

M. Devlin : À la page 24, notre mémoire aborde aussi la question de l'accès au système judiciaire advenant l'entrée en vigueur des règles fédérales provisoires. Plusieurs de nos membres ont fait valoir que dans les réserves éloignées et rurales, l'accès à la justice est un énorme problème. Des juges et des procureurs de la Couronne s'y rendent par avion périodiquement.

Le projet de loi prévoit des ordonnances de protection d'urgence et d'autres mesures dans les cas de violence familiale, mais un mois ou deux peut s'écouler avant que l'on puisse obtenir une telle ordonnance d'un juge. De la même manière, lorsqu'il est question de répartir les biens matrimoniaux dans une réserve, il faut obtenir une décision du tribunal. Or, l'accès à ce tribunal peut poser un véritable défi.

À mon avis, le manque de ressources fait problème, en ce qui a trait aux règles fédérales provisoires ainsi qu'à l'élaboration par les Autochtones de leurs propres mesures législatives à l'égard des BIM.

Le sénateur Dyck : Je lisais à l'instant le paragraphe de conclusion de l'Association du Barreau canadien. Vous affirmez essentiellement que ce projet de loi est un grand pas en avant :

[...] les répercussions du projet de loi S-4 à l'égard du droit inhérent à l'autonomie gouvernementale, et pour les terres des réserves et les citoyens des Premières nations exigent que l'on tienne des consultations approfondies avant d'aller plus loin dans le processus législatif.

Selon vous, le projet de loi « nécessite des améliorations et une consultation plus poussée avant d'aller plus loin ».

Comment envisagez-vous la révision et les consultations pertinentes? Ces deux exercices devraient-ils être effectués en même temps, ou devrions-nous entreprendre d'abord des consultations plus approfondies? Comment entrevoyez-vous ce processus?

M. Devlin : En bout de ligne, je vais laisser aux Premières nations elles-mêmes le droit d'informer le gouvernement de leur analyse, quant à savoir si les consultations ont été suffisantes ou si elles en sont satisfaites. L'Association du Barreau canadien ne devrait pas faire de commentaires sur cette question.

Nous faisons cette recommandation à la suite des positions adoptées par plusieurs organisations des Premières nations à l'égard du projet de loi S-4 et de ses versions précédentes à la Chambre des communes.

Nous voulons offrir des suggestions utiles quant à la façon dont le projet de loi pourrait être peaufiné, comme je l'ai dit tout à l'heure, afin de mieux tenir compte des politiques gouvernementales existantes. Voilà ce que nous vous avons proposé.

Quant à savoir s'il y a lieu de soumettre une version révisée du projet de loi aux Premières nations ou de les consulter d'abord pour déterminer si elles sont favorables à certains des amendements que nous proposons, la décision vous appartient.

Le sénateur Baker : Je vous félicite de votre mémoire. Nous allons l'examiner.

Un élément important de ce projet de loi concerne les ordonnances initiales d'urgence ex parte qui peuvent être émises. Le projet de loi S-4 vise les situations d'urgence. Comme presque tous les témoins qui ont comparu devant nous, vous vous demandez comment on aura accès aux avocats pour mener à bien ce processus ex parte — pour comparaître devant un juge et obtenir de sa part une ordonnance de protection en cas de situation d'urgence dans une famille.

Votre recommandation encourage le gouvernement fédéral à consacrer des ressources à la mise en œuvre du projet de loi. Je vous cite : « pour permettre aux régimes d'aide juridique de fournir des avocats spécialisés compétents en droit de la famille et en droit des Autochtones aux clients admissibles [...] » C'est une suggestion formidable.

Faites-vous référence aux régimes d'aide juridique provinciaux, ou avez-vous en tête un autre régime par lequel le gouvernement fédéral interviendrait pour assurer aux avocats intéressés des honoraires fixés par le procureur général, autrement dit des honoraires plus élevés que ceux versés par un régime d'aide juridique? Si vous faites référence aux régimes d'aide juridique existants, comment le gouvernement fédéral peut-il intervenir puisque ce sont les provinces qui en assument la gestion et qui prennent les décisions? Le gouvernement fédéral n'approuve aucun financement pour ces régimes; il en partage uniquement les coûts à la fin de l'exercice.

M. Devlin : Je m'abstiendrai de tout commentaire sur les honoraires des mécanismes d'aide fédéraux et provinciaux.

Nous n'allons pas jusqu'à préconiser un processus d'aide juridique autonome. Avant cette recommandation, à la page 10, nous abordons la question d'une contribution financière accrue de la part du gouvernement fédéral aux régimes d'aide juridique provinciaux et territoriaux. Le gouvernement fédéral apporte déjà une contribution financière aux systèmes provinciaux, ce qui est un bon départ. Quant à savoir si le gouvernement fédéral devrait opter pour avoir son propre régime d'aide juridique, c'est une autre question pour un autre jour.

La présidente : Honorables sénateurs, voilà qui met fin aux discussions de ce groupe. Nous allons poursuivre avec notre prochain groupe, en compagnie du ministre Strahl. Je remercie nos témoins d'avoir accepté de comparaître.

Pour la dernière portion de notre séance, nous accueillons cet après-midi le ministre Strahl, accompagné de ses collaborateurs. Le ministre prononcera une allocution avant de répondre aux questions.

L'honorable Chuck Strahl, C.P., député, ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien et interlocuteur fédéral auprès des Métis et des Indiens non inscrits et ministre de l'Agence canadienne de développement économique du Nord : Madame la présidente, je vous remercie de me permettre de m'adresser au comité au moment où vous concluez votre jour complet d'audiences sur le projet de loi S-4, la Loi sur les foyers familiaux situés dans les réserves des Premières nations et les droits et intérêts matrimoniaux sur les constructions et terres situées dans ces réserves.

[Français]

J'apprécie l'attention de longue date que le comité prête à cette question ainsi que votre préoccupation à l'endroit des impacts, notamment pour les femmes et les enfants autochtones, découlant de l'absence de législation dans ce domaine.

[Traduction]

Ce comité est versé dans les complexités des droits de propriété et des intérêts matrimoniaux dans les réserves. L'examen du projet de loi S-4 a permis aux membres du comité d'affiner davantage cette connaissance en écoutant un certain nombre de témoins aujourd'hui, ainsi que le secrétaire parlementaire et des fonctionnaires des ministères de la Justice Canada et des Affaires indiennes et du Nord canadien plus tôt ce mois-ci. Le secrétaire parlementaire a décrit le processus qui a conduit à l'élaboration du projet de loi, y compris les consultations qui ont nourri le projet de loi lui- même, et la manière dont ce dernier a été rédigé pour répondre aux commentaires reçus.

De plus, la solution proposée dans le projet de loi S-4 a été élaborée à la suite de plusieurs études et recherches exhaustives et plus de 100 séances de consultation. Les comités permanents des deux Chambres ont demandé à ce que des mesures immédiates soient prises à ce sujet. Des organismes nationaux et internationaux se sont également penchés sur la question et ont tous recommandé des mesures législatives.

Aujourd'hui, je désire me concentrer sur le point fort du projet de loi S-4, à savoir le concept d'équilibre. À mes yeux, l'une des principales forces du projet de loi S-4 est l'équilibre qu'il crée entre deux points importants. En premier lieu, le projet de loi S-4 trouve le juste milieu entre les droits collectifs des Premières nations et la protection juridique adéquate des personnes; en second lieu, le projet de loi S-4 fournit une solution immédiate tout en établissant un mécanisme qui permet aux Premières nations de concevoir et d'appliquer des solutions qui tiennent compte de leurs circonstances et de leurs traditions particulières.

[Français]

Aujourd'hui, j'aborderai chacun de ces points puis je m'efforcerai de répondre à toutes les questions que les membres du comité pourraient se poser.

[Traduction]

Les intérêts collectifs font partie intégrante de l'identité de nombreuses Premières nations. Cela est particulièrement vrai en ce qui concerne les terres des réserves. Peu de Canadiens comprennent pleinement l'importance que les Premières nations accordent aux intérêts collectifs en matière de propriété, parce que nos lois ont tendance à privilégier les droits de propriété des particuliers.

La Loi sur les Indiens et de nombreuses autres lois, cependant, sont conçues pour reconnaître, accommoder et protéger les intérêts collectifs. La propriété privée d'une grande partie des terres des Premières nations, par exemple, est formellement interdite. La plupart des terres des réserves appartiennent aux communautés et sont gérées en fiducie.

Les droits des particuliers, bien entendu, sont également importants. Et la loi canadienne reconnaît et protège les droits de tous les citoyens, qu'ils habitent à l'intérieur ou à l'extérieur des réserves. En ce qui a trait aux BIM, cependant, la législation actuelle ne protège pas les droits individuels des époux et des conjoints de fait qui habitent dans les réserves. Le projet de loi S-4 réglerait ce problème et assurerait l'équité en matière de droits et intérêts des BIM pour tous les citoyens.

Madame la présidente, le projet de loi S-4 trouve aussi le juste milieu entre les droits individuels et les intérêts collectifs. Si les droits ou les intérêts des BIM d'une personne n'étaient pas reconnus, le projet de loi S-4 permettrait à cette personne d'utiliser un mécanisme de recours d'une manière qui n'est pas préjudiciable aux intérêts collectifs d'une Première nation.

La loi proposée stipule clairement qu'elle ne vise pas à modifier le droit détenu sur les terres ou à changer le statut des terres des réserves collectives. Par exemple, un non-membre ne pourrait pas utiliser le projet de loi S-4 pour acquérir la propriété de terres de réserve, ou le droit détenu sur ces dernières. Dans les cas qui touchent ces questions, cependant, le projet de loi S-4 prévoit aussi des dispositions visant à garantir que le conseil de la Première nation puisse présenter des observations au tribunal sur des questions culturelles, sociales et juridiques pertinentes.

Le projet de loi S-4 établit un équilibre entre la nécessité de trouver une solution immédiate au manque de protection et celle de fournir aux Premières nations un mécanisme juridique pour concevoir et mettre en œuvre des régimes pour les BIM qui tiennent compte de leurs circonstances particulières. Il est essentiel de proposer des solutions pour répondre à ces deux besoins. Les femmes et les enfants autochtones, en particulier, ont besoin de la protection immédiate que le projet de loi peut offrir. Par ailleurs, le projet de loi reconnaît que les Premières nations pourraient souhaiter élaborer leurs propres lois dans ce domaine, des lois qui reflètent leurs cultures et leurs traditions.

Le projet de loi S-4 offre une solution bien ciblée qui complète la stratégie plus vaste du gouvernement du Canada sur les questions qui touchent les Premières nations. J'encourage les membres de ce comité à examiner le projet de loi S- 4 dans le contexte des initiatives qui visent à protéger les droits individuels dans les réserves, à assurer l'égalité entre les sexes et à combattre la violence familiale.

Par exemple, j'ai eu le plaisir de présenter un certain nombre de projets de loi ces derniers mois, et le projet de loi C-3, la Loi sur l'équité entre les sexes relativement à l'inscription au registre des Indiens, est l'un d'eux. Il s'agit là d'un autre dossier dans lequel nous abordons une question importante relative à l'inégalité entre les sexes et essayons d'éviter un vide législatif en Colombie-Britannique.

Sans cette importante mesure législative, un article clé de la Loi sur les Indiens portant sur le droit à l'inscription cessera d'être en vigueur en Colombie-Britannique et cela pourrait avoir de graves conséquences. Sans une loi en place, quelque 3 000 personnes chaque année se verront refuser le droit de s'inscrire au registre des Indiens et d'avoir accès aux avantages qui s'y rattachent.

Comme les membres du comité le savent, les résidants de toutes les communautés des Premières nations jouiront bientôt des mêmes protections que celles offertes aux autres citoyens du pays en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Il y a deux ans, ce comité a examiné et endossé le projet de loi C-21, qui a supprimé l'exemption protégeant les Premières nations contre le plein effet de la loi.

[Français]

Le projet de loi S-4 devrait susciter d'autres progrès dans le domaine de la protection des droits des résidants des communautés des Premières nations.

[Traduction]

Le gouvernement continue de régler les autres questions qui touchent les Autochtones se trouvant dans une position vulnérable. Pour aider les familles des Premières nations en crise, Affaires indiennes et du Nord Canada fournit plus de 11 millions de dollars chaque année à un réseau de 41 refuges. Chaque année, quelque 1 900 femmes et 2 300 enfants accèdent à des services dans le cadre du Programme pour la prévention de la violence familiale du ministère.

J'ai aussi été très heureux d'assister à la présentation du projet de loi S-11, la Loi sur la salubrité de l'eau potable des Premières nations au Sénat la semaine dernière. Il s'agit là d'un autre exemple de la manière dont ce gouvernement continue de travailler avec les Premières nations, les organisations autochtones, ainsi que les provinces et les territoires pour réaliser des progrès sur un vaste éventail de questions, qui vont des services à l'enfance et à la famille dans les réserves au développement économique, en passant par l'éducation et la gestion de l'eau potable, le développement économique et les droits de la personne.

Le projet de loi S-4 doit être vu pour ce qu'il est. C'est un volet important d'une stratégie à multiples facettes visant à supprimer les obstacles qui empêchent les peuples autochtones de participer pleinement à la prospérité du Canada.

Les membres de ce comité reconnaissent que le fossé législatif en matière de BIM a perduré trop longtemps. En notre qualité de parlementaires, nous avons tous, à mon avis, une obligation de proposer une solution efficace. Je suis heureux de constater qu'un nombre grandissant de Canadiens, y compris des parlementaires, appuient le projet de loi S-4. Je crois que la raison en est fort simple : le projet de loi S-4 offre une solution globale et soigneusement équilibrée.

Je désire vous remercier, madame la présidente ainsi que les membres de ce comité; au fil des ans, vous avez été de solides défenseurs du besoin d'élaborer une solution législative à la question des biens immobiliers matrimoniaux dans les réserves. Comme vous l'a dit plus tôt aujourd'hui la chef nationale Betty Ann Lavallée, le projet de loi S-4 est une étape positive vers la reconnaissance de la dignité de la personne, que l'on a parfois perdu de vue dans le débat. Il ne faut pas oublier cet aspect car pendant de nombreuses années, cette quête de dignité a été l'un des motifs fondamentaux qui a animé la volonté du comité de voir le projet de loi arriver à terme. Cela a été une partie importante du processus de consultation que nous avons mené jusqu'à maintenant.

[Français]

J'espère de tout coeur que les membres du comité endosseront le projet de loi S-4 afin que nous puissions voir cette solution législative mise en œuvre dans tout le pays.

[Traduction]

La présidente : Merci, monsieur le ministre. Nous allons passer aux questions.

Êtes-vous satisfait du processus consultatif et de la façon dont il s'est déroulé en prévision de ce projet de loi? Pensez-vous qu'il a été complet et que les gens ont été satisfaits? De nombreux témoins nous ont parlé aujourd'hui de ce processus et des divers mécanismes communautaires de règlement des différends.

Un autre témoin que j'ai interrogé à ce sujet m'a dit que des difficultés surviendraient advenant l'adoption du projet de loi. Je suis sûre qu'il y a eu des consultations. Pouvez-vous nous éclairer?

M. Strahl : Certainement, et je demanderai peut-être à mes collaborateurs de fournir davantage de détails à ce sujet.

Ce projet de loi a fait l'objet d'un large processus de consultation. J'ai mentionné que plus d'une centaine de réunions ont eu lieu dans tout le pays. Nous avons accueilli favorablement tous les commentaires à l'occasion de ces réunions tenues dans toutes les régions du pays et sur un site web. Ce site web permettait aux gens de s'exprimer où qu'ils soient.

Nous avons aussi embauché une représentante spéciale que nous avons chargée de parcourir le pays et de nous soumettre des recommandations. Je crois que 30 de ses 33 recommandations ont été intégrées au projet de loi afin de refléter la rétroaction découlant des consultations. Cela participait d'un effort honnête pour se mettre à l'écoute des préoccupations et y répondre dans le projet de loi.

Au bout du compte, en tant que législateurs, nous devions réagir à ce vide législatif flagrant. C'est un petit peu la même chose que dans le cas du projet de loi C-21. J'ai entendu certains des mêmes arguments. Y a-t-il eu suffisamment de consultations? On peut toujours dire qu'il y aurait pu y avoir davantage de consultations. On peut toujours en faire plus, mais après un certain nombre d'années, il faut agir. En l'occurrence, nous devons agir; nous avons l'ultime responsabilité d'agir. Lors du débat sur le projet de loi C-21, nous avons affirmé que tous les citoyens du pays étaient couverts par la Loi canadienne sur les droits de la personne, à l'exception des membres des Premières nations vivant dans les réserves. Après une vingtaine d'années, la question se pose : pendant combien de temps cette exemption sera-t- elle valable? Nous avons étudié cette question, tout comme votre comité. Nous avons vraisemblablement entendu certaines des mêmes préoccupations, notamment à savoir s'il y avait eu suffisamment de consultations. Nous ne sommes pas allés dans toutes les réserves car il y en a environ 600 disséminées dans tout le Canada, mais nous avons tenu de nombreuses réunions.

Nous avons reçu des recommandations qui, à mon avis, ont contribué à améliorer le projet de loi. Chose plus importante, nous avons élaboré au bout du compte un projet de loi qui, comme je l'ai dit au début de mon intervention, trouve le juste milieu entre les droits individuels et les intérêts collectifs, ce qui est important et reconnu. Nous devons garantir le caractère sacré des terres de réserves et garantir qu'elles soient maintenues en fiducie par la communauté pour les générations futures. Nous devons faire en sorte que les Premières nations aient la possibilité d'élaborer et de diriger leurs lois en fonction de leur culture et de leurs traditions, et nous devons respecter cela. Les Premières nations pourront intégrer ces éléments dans leurs mesures législatives. À l'heure actuelle, à défaut de l'adoption de ce projet de loi, nous nous retrouverions dans une curieuse position. Une Première nation peut élaborer son propre code, ce qui est formidable, mais je ne peux le reconnaître, pas plus que les tribunaux ou qui que ce soit d'autre. Le projet de loi nous permettra d'aller de l'avant avec ce que j'estime être une solution parfaite. Les Premières nations ont élaboré un régime de droits immobiliers matrimoniaux qui fonctionnera pour elles et pour leur peuple, et je veux pouvoir le reconnaître.

À l'heure actuelle, je ne possède pas l'autorité juridique de reconnaître ne serait-ce que son existence, ce qui est une honte. Je serais ravi de pouvoir dire à ceux qui se sont engagés dans un processus et qui l'ont ratifié que je les appuie sans réserve. Toutefois, en vertu de ce projet de loi, je n'ai aucun pouvoir pour le modifier, le changer ou signifier mon approbation. Ce régime sera à 100 p. 100 autochtone, et je serai en mesure de saluer ses artisans pour leur bon travail. Nous aurons la possibilité de reconnaître ce travail lorsque la mesure proposée sera en place.

La présidente : Avant de céder la parole à mon vice-président, j'attire votre attention sur une recommandation présentée aujourd'hui par l'Association du Barreau canadien : « que le gouvernement fédéral fournisse un financement adéquat et d'autres mesures de soutien aux Premières nations pour leur permettre de créer et de mettre en œuvre leurs propres mesures législatives à l'égard des BIM en vertu du projet de loi S-4. »

Avez-vous un commentaire, monsieur?

M. Strahl : Nous pensons qu'il sera avantageux d'avoir un centre d'excellence quelconque pour tirer parti de certains travaux qui ont été et qui seront effectués après l'adoption du projet de loi. Des thèmes communs et des approches individuelles et adaptés à la réalité culturelle s'articuleront autour de ce dossier. Un grand nombre des questions qu'il faudra régler pourront bénéficier de ces travaux au lieu de réinventer la roue à chaque fois. Par l'entremise d'un centre d'excellence, que nous avons l'intention de financer, nous pourrons déterminer les meilleures pratiques à adopter et décider comment nous pourrons assurer le bon fonctionnement des dispositions du projet de loi. Cela aidera les Premières nations à cheminer dans le processus. Ce centre constituera pour elles une ressource importante.

Je ne pense pas que la question des ressources soit au cœur du dossier. L'Association du Barreau canadien est fréquemment d'avis que l'on peut toujours injecter davantage de ressources dans ce dossier, mais il n'est pas évident pour nous ou pour moi qu'il devrait en être ainsi dans le contexte du présent projet de loi. Certains éléments peuvent être réglés au niveau législatif et pour d'autres, il nous faudra passer par un processus de ratification. Je ne pense pas que cela pose un problème pour ce qui est d'élaborer une option législative.

La présidente : Merci de cette précision.

Le sénateur Jaffer : Ministre Strahl, j'ai siégé au comité au moment de la rédaction du rapport. Évidemment, ce qui m'intéresse particulièrement, c'est le sort des femmes autochtones. Je vous félicite pour ce point de départ, mais les problèmes dont nous avons pris connaissance suscitent bien des questions. Le projet de loi est une mesure législative de la plus haute importance. Avant même qu'il ne soit adopté par le Parlement, j'ai le sentiment que les femmes n'auront pas la possibilité de bénéficier de sa mise en œuvre. À mon avis, ce projet de loi accroît les attentes de nombreux autochtones qui ont simultanément le sentiment d'être abandonnés.

Je vais prendre à titre d'exemple ma province, la Colombie-Britannique. Pourquoi les réserves n'appliquent-elles pas la loi provinciale? Ce qui me choque vraiment à propos de ce projet de loi, monsieur le ministre Strahl, c'est qu'il crée deux types de droits différents — les droits des femmes autochtones, que j'estime être très inférieurs, et les droits dont je jouis personnellement. En vertu des droits d'occupation, le projet de loi leur donne 90 jours avant de devoir retourner devant le tribunal. Ce n'est pas le cas pour les autres femmes en Colombie-Britannique. Les avocats devront se familiariser avec un nouvel ensemble de lois qui seront appliquées différemment dans le pays.

M. Strahl : Cette excellente question nous ramène à l'un des principes initiaux justifiant la disposition des 90 jours que vous avez mentionnée, soit la volonté de tenir compte du besoin de protection immédiate des femmes autochtones. Personne ne veut être jeté à la rue au milieu de la nuit, mais en vertu de la loi actuelle, cela peut se produire. Toutefois, les Premières nations ont, en vertu de la Constitution, des droits collectifs que nous voulons respecter. Il peut y avoir une période, dans la foulée d'une séparation, où les femmes peuvent avoir besoin d'une protection immédiate à court terme. Nous devons aussi reconnaître la nécessité de trouver un équilibre, à long terme, entre ces droits et les droits collectifs conférés aux Premières nations en vertu de la Constitution.

Nous avons aussi envisagé d'intégrer la loi provinciale. Cette option a été étudiée, mais elle n'a recueilli aucun appui à l'échelle du pays. Les Premières nations nous ont avisés sans ambages qu'elles n'accepteraient jamais l'intégration de la loi provinciale.

Nous avons élaboré cette disposition qui affirme notre volonté de respecter cette volonté qui nous a été exprimée clairement. Nous voulons faire preuve de respect. De nombreuses Premières nations nous ont fait savoir qu'elles ont déjà un système en place qui fonctionne et qui a fait ses preuves. Je serais ravi de pouvoir reconnaître ce système, mais en vertu de la Loi sur les Indiens, je n'ai pas le pouvoir de reconnaître leur bon travail. Ce projet de loi nous permettra de reconnaître les lois qui ont été ou qui seront élaborées dans les Premières nations. Pour celles qui ne veulent pas fournir la protection immédiate que les femmes autochtones méritent ou pour qui ce n'est pas une priorité, la mesure représente un équilibre. Nous devons intervenir parce que certaines Premières nations n'ont pas de lois prêtes à être intégrées dans ce système. Pour celles qui en ont, nous pouvons collaborer avec elles sans délai pour donner plein effet à ces dispositions. Toutefois, dès que nous avons proposé d'intégrer les lois provinciales, elles nous ont dit : un instant; nous ne sommes pas assujetties aux lois provinciales; nous avons notre propre régime.

Il est vrai qu'il existe un arrangement constitutionnel différent que nous devons respecter. Nous avons tenté de trouver un équilibre premièrement, en fournissant une protection immédiate aux femmes et aux enfants pour qu'ils ne se retrouvent pas dans la rue; deuxièmement, en reconnaissant qu'il existe des droits collectifs dont nous devons tenir compte; et, troisièmement, en arrivant rapidement à la conclusion que l'application des normes provinciales ne fonctionnera pas en raison d'un rapport constitutionnel différent. Nous voulons respecter ce rapport.

Le sénateur Jaffer : Monsieur le ministre, le problème c'est que la garde d'enfants et la pension alimentaire pour enfants relèvent de la compétence des provinces. En ce moment, nous créons un autre ensemble de règles, mais je n'ai pas le temps d'approfondir cette question.

De nombreuses réserves sont situées dans des régions isolées. Une femme a besoin d'une ordonnance de protection. À qui s'adresse-t-elle? Décrivez-moi le processus. Elle n'a pas accès à l'aide juridique; elle n'a pas accès aux tribunaux. Comment peut-elle bénéficier de ces droits?

M. Strahl : Je ne peux pas prédire comment la loi s'appliquerait dans cette réserve en particulier puisqu'il s'agit d'une situation théorique.

Le sénateur Jaffer : La réserve est située dans une région isolée.

M. Strahl : Je comprends, mais encore une fois, la loi autorise l'élaboration de lois sur les biens immobiliers matrimoniaux dans chaque collectivité séparée. Comme une certaine souplesse est prévue, la mesure peut être appliquée de façon différente, même dans une collectivité éloignée.

Le projet de loi prévoit l'application des règles, quelles qu'elles soient. Une chose est sûre, à moins que l'on fasse preuve de bonne volonté, il est impossible d'appliquer cela puisqu'il n'y a rien de définitif.

À moins que chacun fasse preuve de bonne volonté, que le divorce se fasse à l'amiable — tout le monde est content, je vais prendre la voiture et toi tu prends le canapé — et que tout le monde s'en aille avec le sourire, c'est toujours une situation difficile.

Pour ce qui est des détails de la mise en application, je vais peut-être demander à M. Jacques de vous en parler.

La présidente : La sonnerie de la Chambre se fait entendre. Vous devez partir dans 10 minutes. Si nous pouvons poursuivre en ayant cela à l'esprit, nous aurons peut-être encore deux intervenants.

Le sénateur Jaffer : M. Jacques peut répondre à cette question après le départ du ministre.

La présidente : C'est une bonne idée.

[Français]

Le sénateur Brazeau : Monsieur le ministre, tout d'abord, félicitations pour la qualité de votre français.

[Traduction]

J'ai une question pour vous, monsieur le ministre, et ensuite une autre pour Mme Paré.

Ce matin, nous avons entendu les dirigeants autochtones, une poignée d'entre eux, qui représentent évidemment des organisations politiques. La majorité de ceux qui ont comparu devant le comité rejettent ce projet de loi au motif qu'il n'y a pas eu de consultation et qu'il s'agit d'une mesure législative imposée par les autorités fédérales.

D'après ma propre perception, mes observations et mon expérience, l'un des problèmes est que, comme dans le cas du projet de loi C-21, c'est difficile pour les particuliers et notamment pour les femmes autochtones qui sont touchées par l'absence de législation sur les biens immobiliers matrimoniaux de réclamer, par crainte de représailles. Je ne vais pas vous demander de commenter cela, mais je dis cela en me fondant sur ma propre expérience.

À votre avis, s'il y a tellement de résistance à cette mesure législative, pourquoi allons-nous de l'avant?

M. Strahl : C'est une bonne question. Nous pourrions toujours dire : c'est la vie, et les femmes autochtones ont dû endurer cela depuis longtemps et elles devraient donc s'en accommoder et continuer de l'endurer.

Soyons sérieux. Nous n'aurions jamais permis une telle lacune législative pour n'importe quel autre groupe de gens. Souvent, nous songeons à légiférer. S'il y a une chose qui devrait nous guider — les mille et une choses que nous devons faire, que nous estimons devoir faire et que nous sommes obligés de faire — c'est de nous pencher sur les droits des plus vulnérables de la société, d'abord et avant tout. Or on peut soutenir qu'il n'y a pas de groupe plus vulnérable que celui des femmes autochtones dans notre pays. La situation change. Elles deviennent plus instruites, elles sont davantage disposées à défendre leurs droits et il se passe beaucoup de bonnes choses. Par exemple, il y a du développement économique et beaucoup de femmes se lancent en affaires. Les choses évoluent dans le bon sens, mais nous ne permettrions jamais une telle lacune législative pour n'importe qui d'autre. Personne ne dirait : c'est difficile, alors il vaut mieux ne rien faire.

Pendant des décennies, bien des gens, et notamment, ce qui est gênant, des étrangers ont également demandé comment nous pouvons permettre une telle lacune. Il n'y a pas de protection. Il est question de droits de propriété matrimoniaux et cela s'applique donc à la fois aux hommes et aux femmes, mais encore une fois, soyons sérieux; cela touche essentiellement des femmes. Souvent, ce sont elles qui se retrouvent avec les enfants; il est vrai que c'est une société axée sur la famille, mais c'est vrai de n'importe quelle société. Ce sont donc des femmes, qui se retrouvent souvent avec des enfants et qui n'ont souvent aucun autre recours.

Encore une fois, si tout va bien et si le seul problème est la rupture des relations matrimoniales, si les conjoints ont décidé de se séparer et que tout va bien par ailleurs — cela arrive à l'occasion —, c'est évidemment une situation préférable pour les enfants et la famille.

Cependant, quand cela ne se passe pas ainsi, que faisons-nous? Nous pourrions dire : remettons tout cela à plus tard, on s'en occupera une autre fois. Cependant, à chaque jour que nous remettons cela, un cas surgit quelque part dont nous n'entendons pas parler parce que cela ne fait pas les manchettes, mais il y a quelqu'un, quelque part, souvent une femme autochtone, qui dit : Je suis rentrée à la maison, la porte était verrouillée et je me retrouve à la rue et je n'ai plus rien; j'ai besoin d'aide, vers qui puis-je me tourner?

À l'heure actuelle, nous disons : je ne sais pas quoi vous dire — c'est moi qui doit écrire des lettres à ces femmes — je ne sais pas ce que je peux vous dire. Je suppose que vous pouvez en appeler à votre chef et à votre conseil en espérant, s'ils sont bien disposés, que quelque chose pourrait se passer. Elles en sont rendues là.

À titre de législateurs, nous ne pouvons pas attendre que tout soit parfait. Je dis souvent que la perfection est l'ennemi du bien. Le projet de loi n'est pas parfait, mais il nous donne de nombreuses solutions qui peuvent être mises en application sur le terrain et de nombreuses solutions de rechange qui peuvent être élaborées de concert avec les Premières nations.

Cependant, de n'avoir aucune solution de rechange, ce n'est pas une solution. Nous ne pouvons pas dire que le dossier est difficile et que nous allons donc nous en laver les mains. Nous devons nous attaquer au problème. Les Premières nations doivent s'y attaquer et le régler chacune de leur côté, et beaucoup l'ont fait. Ce projet de loi nous permet de dire, pour la première fois, que je peux enfin admettre ce qui doit être fait, comme nous le savons tous, à savoir qu'il faut reconnaître les droits de propriété sur les biens immobiliers matrimoniaux. Nous devons trouver le moyen de sanctionner ces droits. Ce projet de loi ne m'autorisera pas à m'immiscer dans la législation des Premières nations; il ne m'autorisera pas à contourner la loi; je ne serai pas en mesure de modifier ou d'annuler la loi.

Je pourrai seulement dire : Très bien, bon travail. Je suis heureux pour vous. J'ai maintenant le pouvoir de le reconnaître.

À l'heure actuelle, je n'ai pas ce pouvoir. Plus tôt nous agirons, moins nous entendrons de ces tristes histoires et moins j'aurai à écrire de tristes lettres pour dire aux gens : je ne sais pas quoi vous dire parce que vous n'avez aucun droit.

Le sénateur Mitchell : Monsieur le ministre, je m'intéresse à votre réponse sur la question des ressources pour les centres d'excellence. Il est essentiel de donner accès à des ressources si l'on veut avoir l'espoir que beaucoup de Premières nations puissent mettre en œuvre leur propre législation.

Avez-vous une estimation du budget du centre d'excellence? Avez-vous une idée du nombre d'organisations des Premières nations qui n'ont tout simplement pas les ressources voulues pour embaucher des avocats en vue d'élaborer un régime de BIM correspondant à leurs besoins?

M. Strahl : Je vais répondre en premier à votre deuxième question. Je n'ai pas les chiffres. Les Premières nations qui ont l'autonomie gouvernementale en application de la Loi sur la gestion des terres des Premières nations ont mis en place un système correspondant à leurs besoins. Le groupe Union of Ontario Indians a fait un excellent exposé sur la manière dont il règle ce dossier. Cependant, je ne peux pas le reconnaître faute d'en avoir le pouvoir. Je dois simplement leur dire que c'est du beau travail que je ne peux pas reconnaître.

Par exemple, il y a probablement 17 ou 18 Premières nations dans ma ville natale de Chilliwack. Elles font également partie de l'ensemble des Premières nations Stó:lo. Elles peuvent élaborer un ensemble de propositions quant à la manière dont la nation Stó:lo pourrait aborder le problème. Toutes les Premières nations membres de ce groupe de Premières nations peuvent être intégrées dans une seule demande.

Je vais demander à Mme Paré de vous parler des ressources pour le centre d'excellence.

Line Paré, directrice générale, Relations extérieures et problématiques hommes-femmes, Affaires indiennes et du Nord Canada : Nous devons élaborer le plan de mise en œuvre, qui comporte trois composantes. Premièrement, le centre d'excellence sera une organisation nationale, comme l'a dit le ministre Strahl, pour appuyer les communautés, fournir de l'information et des outils, et cetera. Deuxièmement, il y a la formation des agents de police et des juges pour qu'ils connaissent bien la loi et sa mise en œuvre. Troisièmement, il y aura une campagne publique pour sensibiliser les membres des communautés aux dispositions de la loi.

L'attribution des fonds au centre d'excellence n'a pas encore été décidée. Une solution législative pour les biens matrimoniaux a été évoquée dans le budget 2006, mais aucun montant précis n'a été décidé.

Le plan de mise en œuvre doit être approuvé par le Conseil du Trésor. Le ministre Strahl va préparer le plan au moment voulu pour une présentation au Conseil du Trésor.

La présidente : Avec tout le respect que je vous dois, sénateur, pourrions-nous poursuivre cette série de questions après le départ du ministre?

Nous avons encore le temps de poser une question au ministre.

Le sénateur Dyck : Il ressort clairement du témoignage de ce matin que les principales organisations autochtones sont contre ce projet de loi. Elles y voient une ingérence dans le droit inhérent à l'autonomie gouvernementale. Elles ne croient pas que l'on ait dûment tenu compte du devoir de consulter et de donner suite aux consultations.

De concert avec la Loi sur le tribunal des revendications particulières, ce projet de loi a été élaboré conjointement avec l'Assemblée des Premières Nations. Pourquoi n'a-t-on pas lancé un processus conjoint avec le projet de loi S-4?

M. Strahl : Comme je l'ai dit tout à l'heure, on a fait beaucoup d'efforts et de consultations. Le projet de loi S-4 est différent du projet de loi portant sur les revendications particulières. La Loi sur le tribunal des revendications particulières vise les gouvernements autochtones qui peuvent avoir une revendication particulière pour une raison quelconque. Pour régler cette revendication particulière en instance, on procède de gouvernement à gouvernement.

Le projet de loi S-4 porte sur une problématique qui préoccupe vivement les gouvernements autochtones. Cependant, il traite aussi des droits individuels qui ne sont pas nécessairement défendus par quelque gouvernement que ce soit. Par exemple, le sénateur Brazeau a mentionné que quelqu'un pourrait dire : j'ai un problème particulier et personne ne m'écoute, pas même mon chef, mon conseil de bande ni mon gouvernement de la Première nation.

L'élaboration du projet de loi doit se faire de manière équilibrée. Nous avons fait un effort sérieux et sincère pour écouter l'Assemblée des Premières Nations et d'autres intervenants qui ont soulevé la question des droits collectifs; ils estiment que le gouvernement fédéral ne doit pas se mêler des droits collectifs. Nous essayons de tenir compte de cette préoccupation dans le projet de loi.

Par contre, le projet de loi S-4 met en cause des droits individuels qui ne sont pas nécessairement défendus par un gouvernement quelconque. Les revendications particulières se règlent de gouvernement à gouvernement; c'est un gouvernement qui traite directement avec un gouvernement de Première nation pour régler une question relative à un droit des Premières nations. Dans le cas du projet de loi S-4, il s'agit de mettre en équilibre les droits individuels et les droits des gouvernements. Nous ne pouvons pas rédiger un projet de loi pour satisfaire seulement le chef et le conseil. Nous devons faire un effort pour contenter le chef et le conseil, de même que la femme autochtone. C'est l'équilibre que nous essayons d'établir. C'est un effort différent par rapport à une problématique qui se traite de gouvernement à gouvernement.

La présidente : Merci, monsieur le ministre. Je sais que vous devez partir. Je vous remercie d'être venu. Nous vous en sommes très reconnaissants.

M. Strahl : Je remercie le comité pour son travail dans ce dossier. Vous avez travaillé sans relâche pour trouver une solution.

La présidente : Nous allons maintenant poursuivre avec le sénateur Brazeau, qui avait une question supplémentaire à poser à Mme Paré.

[Français]

Le sénateur Brazeau : Je vous remercie de votre présence ici, madame Paré, ainsi que pour le travail que vous avez fait pendant de nombreuses années dans ce dossier.

Le ministre a mentionné plus tôt le fait qu'il reçoit des lettres de certains membres de la communauté, en particulier de femmes autochtones qui sont affectées par le fait qu'elles ne bénéficient pas d'un régime de droits matrimoniaux pour les protéger en cas de séparation. Par contre, on a également entendu des témoins, ce matin, qui ont dit qu'il n'y avait pas de preuve selon laquelle beaucoup de femmes autochtones sont affectées par cette situation. J'aimerais donc savoir si le ministère reçoit des plaintes de la part de femmes autochtones à cet égard?

Mme Paré : Dans le but de faire connaître la situation concernant cette question ainsi que le projet de loi, le ministère a un site électronique où les gens ont la possibilité d'écrire. On reçoit des courriels de personnes qui subissent une situation et qui nous demandent quels sont leurs droits et les démarches qu'elles pourraient entreprendre. Mais nous ne pouvons pas répondre à leur demande.

Comme le ministre l'a mentionné, il reçoit lui aussi de la correspondance ministérielle de femmes qui se retrouvent dans une telle situation, par exemple, sans nommer personne, une dame dont le mari est décédé qui, au lendemain des funérailles, était jetée dehors de sa maison. À cause d'un vide juridique, elle ne pouvait pas avoir de protection légale, cela n'existe pas présentement.

Ce sont des situations que nous voyons, mais nous n'avons pas de statistiques. On dit souvent, en anglais, « annotated evidence », c'est-à-dire qu'on en entend parler, on va parler avec des gens dans les communautés qui vont nous dire, en confidence : je connais telle personne, ma sœur, ma belle-sœur, qui a vécu cette situation.

Le sénateur Brazeau : J'apprécie votre réponse. J'ai déjà été chef autochtone d'une organisation nationale et j'ai vu et entendu beaucoup d'exemples de femmes autochtones affectées, malheureusement. Même aujourd'hui, quand je parle à certains de mes commettants, c'est encore tout le temps la problématique. Enfin, au moins, ils ont maintenant un espoir que des démarches seront faites pour protéger leurs intérêts.

Cela dit, je pense que j'ai eu ma réponse en termes de difficultés pour obtenir ces statistiques qui prouveraient que, ne serait-ce qu'une femme qui n'a pas de protection, cela serait déjà trop.

[Traduction]

Le sénateur Mitchell : L'un des témoins m'a dit ce matin que les audiences tenues par le gouvernement étaient toutes dans des régions urbaines. Est-ce possible?

Mme Paré : Vous parlez du processus de consultation?

Le sénateur Mitchell : Oui; non pas les audiences, mais la consultation.

Mme Paré : L'Assemblée des Premières Nations a reçu des fonds expressément à cette fin. Elle a organisé des sessions régionales pour consulter ses dirigeants quant à une solution possible à ce problème. Des fonds ont également été accordés à l'Association des femmes autochtones du Canada, qui a fait des consultations. L'association a consulté les groupes de femmes, faisant venir des femmes des communautés et aussi de l'extérieur des communautés. De l'argent a aussi été fourni à d'autres organisations.

Je dirais que les membres des communautés ont été consultés, ainsi que les gens qui habitaient probablement à l'extérieur de la communauté à l'époque. Oui, les gens des communautés ont été consultés.

Le sénateur Mitchell : Nous avons reçu un excellent mémoire de l'Association du Barreau canadien sur le projet de loi S-4. Je ne pense pas que vous l'ayez reçu encore, mais nous l'avons eu cet après-midi, quelques instants avant votre comparution. Il contient une argumentation solide. Ils ont dit qu'ils vous remettraient le mémoire et je pense que vous le trouverez intéressant, si vous ne l'avez pas déjà reçu.

On y trouve des suggestions qui semblent raisonnables en vue d'apporter des amendements au projet de loi. Savez- vous si le gouvernement est disposé à accepter des amendements? Avez-vous une politique sur les amendements? Ce serait une première, mais j'espère toujours que vous vous rendrez compte que vous n'avez pas bien fait les choses la première fois.

Mme Paré : Le ministre Strahl aurait été mieux placé que nous, les fonctionnaires, pour répondre à votre question.

Le sénateur Mitchell : N'a-t-il pas énoncé une politique à cet égard?

Mme Paré : Non.

Le sénateur Mitchell : Je n'ai pas reçu une réponse complète à ma question de savoir quelles communautés ont les ressources voulues pour embaucher des gens pour mettre en œuvre leurs régimes de BIM. A-t-on fait une évaluation de ce problème? Une chose est claire : ce projet de loi ne sert quasiment à rien si les communautés autochtones, ou la plupart d'entre elles, n'ont pas les ressources voulues pour mettre au point leur propre régime de BIM.

Mme Paré : C'est pourquoi, dans le plan de mise en œuvre, l'une des composantes est un centre d'excellence, pour qu'il y ait une organisation nationale capable d'appuyer les communautés dans l'élaboration de leur législation des Premières nations.

Comme le ministre Strahl l'a dit, il y aura une certaine spécificité à cause de la culture et des traditions des Premières nations. Cependant, il y aura des thèmes communs, comme nous pouvons le voir dans les collectivités qui ont, en application de la Loi sur la gestion des terres des premières nations, élaboré leur propre régime de biens immobiliers matrimoniaux. On constate des thèmes et composants communs.

Avons-nous fait une évaluation précise? Non, mais le centre d'excellence est...

Le sénateur Mitchell : Je ne pense pas que le centre d'excellence sera suffisant pour mettre en place un régime, loin de là. Quelqu'un, dans ces communautés, devra travailler avec ces centres d'excellence pour faire ce qui doit être fait. Je suis certain que le travail est compliqué et probablement relativement coûteux. Ils n'auront tout simplement pas les ressources voulues pour le faire.

Vous avez beau dire qu'il y a un centre d'excellence, mais vous n'en avez même pas établi le budget. Le ministre ne savait même pas ce que ce centre ferait. Il y songe vaguement. C'est utile, mais pas pour une personne autochtone, dans une communauté autochtone qui n'a aucune ressource pour élaborer un régime de BIM. Ce sera un problème.

La présidente : Si vous avez quelque chose à ajouter au sujet des centres d'excellence, veuillez nous faire parvenir vos observations.

Mme Paré : Oui, au sujet des centres d'excellence.

Le sénateur Brazeau : Avant qu'on commence à parler en 2005 que le gouvernement interviendrait dans ce dossier, avez-vous une idée du nombre de bandes qui se préparaient à élaborer leur propre régime de BIM et qui avaient demandé de l'argent au ministère pour ce faire?

Mme Paré : Je n'occupais pas ce poste en 2005, mais...

Le sénateur Brazeau : Je pose la question parce que même si ce projet de loi est adopté et mis en œuvre, je ne crois pas que tout le monde va se précipiter pour établir un tel régime.

Mme Paré : Oui. Vous avez entendu ce matin que certaines Premières nations ont mis en branle leur processus et ont déjà élaboré une ébauche de leur régime de biens immobiliers matrimoniaux.

La présidente : Ce sont 15 Premières nations qui en ont fait la demande?

Mme Paré : En application de la Loi sur la gestion des terres des Premières nations, mais je crois que votre question était plus vaste, sénateur Brazeau. Depuis 2005, combien de Premières nations au Canada ont frappé à la porte du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien pour demander des fonds parce qu'elles voulaient élaborer leur propre régime de biens immobiliers matrimoniaux?

Le sénateur Brazeau : Ma question portait sur la période avant 2005.

Le sénateur Dyck : Certaines Premières nations nous ont dit que le problème fondamental est le logement, que s'il y a suffisamment de logements, elles vont immédiatement résoudre le problème. Combien de Premières nations demandent davantage d'argent pour le logement? Il y en a probablement beaucoup plus que le nombre de celles qui conçoivent leur propre régime de BIM.

La présidente : Peut-être est-ce parce qu'elles ne peuvent pas le faire en vertu de la Loi sur les Indiens et qu'elles n'ont donc aucune autorité juridique leur permettant de faire des démarches auprès de vous?

Mme Paré : Elles n'ont pas le pouvoir de demander au ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien de leur donner de l'argent. Nous n'avons pas de programme de financement pour appuyer les Premières nations dans leurs efforts pour légiférer en matière de biens immobiliers matrimoniaux.

Pour ce qui est du logement, cette mesure législative sur les biens matrimoniaux vise à combler une lacune juridique. J'habite hors réserve et je suis protégé actuellement; je déménage dans la réserve, je perds cette protection. Tel est l'objet de ce projet de loi; il vise à combler une lacune, un vide juridique.

Le sénateur Dyck : Combien de maisons des Premières nations au Canada appartiennent à un particulier? Dans certains cas, la maison n'appartient pas à la personne, mais au conseil de bande.

Mme Paré : Je vais me faire un plaisir de vérifier auprès de mes collègues qui sont responsables du logement pour voir si nous avons des statistiques précises sur la propriété domiciliaire, par opposition aux logements sociaux.

Le sénateur Dyck : J'ai l'impression — je n'ai pas la moindre donnée, mais j'essaie d'en trouver — que beaucoup de maisons, et cela varie probablement d'une région à l'autre, n'appartiennent pas à la personne qui les habite; ce sont des logements sociaux.

Le sénateur Nancy Ruth : C'est-à-dire, jusqu'à ce que le gouvernement actuel accepte récemment de garantir les hypothèques pour que les banques accordent des prêts; autrement, les banques n'étaient pas disposées à prêter. Il n'en demeure pas moins que très peu sont propriétaires de leurs maisons; vous avez raison.

Ma question porte sur la vérification. On a beaucoup discuté ce matin des pouvoirs de vérification et des objections possibles. Pouvez-vous nous parler un peu de la vérification? En particulier, comment les vérificateurs sont-ils choisis ou formés? Comment tout cela va-t-il se faire?

Mme Paré : Je vais essayer d'expliquer le processus de vérification. Dans le projet de loi S-4, au sujet de la législation des Premières nations, on précise que celles-ci devront ratifier leur régime de biens immobiliers matrimoniaux. Un vérificateur sera nommé conjointement par une organisation nationale désignée par le ministre et par la Première nation. Les Premières nations vont nommer conjointement avec l'organisation nationale un vérificateur; quelqu'un qui est neutre et qui connaît la teneur et les dispositions de la loi. Il veillera à ce que le processus utilisé par la communauté des Premières nations pour élaborer ses lois, consulter, informer ses membres et recevoir leur approbation soit conforme à ce qui est stipulé dans le projet de loi S-4. Tel est le rôle du bureau de vérification. Ensuite, le vérificateur va examiner le régime et déterminer s'il est conforme aux dispositions du projet de loi S-4. C'est tout.

Le vérificateur n'examine pas les dispositions de la législation de la Première nation. L'examen porte seulement sur la manière dont la Première nation s'y est prise pour consulter ses membres. A-t-on fait des efforts pour rejoindre les membres à la fois dans la réserve et hors réserve, pour les informer sur le régime proposé, et comment s'est passé le vote? Est-ce que 50 p. 10 plus un des électeurs admissibles sont allés voter? Est-ce que le code a été approuvé par 50 p. 100 plus une des personnes qui ont voté? C'est tout.

Le sénateur Nancy Ruth : L'une des raisons pour lesquelles on a créé ce poste de vérificateur est que les femmes autochtones ont demandé des garanties quelconques qu'elles ne seraient pas écartées du processus, et le vérificateur était perçu comme une manière de s'assurer que les femmes autochtones aient leur mot à dire et puissent voter sur le régime proposé par la bande. Est-ce exact?

Mme Paré : Oui, c'est exact. Durant la consultation, les femmes en particulier ont soulevé des préoccupations relativement au pouvoir des Premières nations de légiférer. Les femmes ont dit que la Première nation devait avoir un processus pour s'assurer que les membres connaissent le régime proposé et qu'ils aient l'occasion d'exprimer leur appui ou leur désaccord avec le régime de biens immobiliers matrimoniaux proposé par la Première nation.

Le sénateur Nancy Ruth : Quelqu'un a exprimé ce matin l'avis qu'ils ne veulent pas voter, que ce n'est pas leur tradition culturelle et qu'ils veulent plutôt procéder par consensus. Les femmes autochtones ont-elles demandé qu'il y ait un vote, par opposition à une procédure par consensus? Comment en est-on arrivé à un vote?

Mme Paré : C'est une question intéressante. Je peux vérifier ce qui est ressorti de la consultation, pour voir s'il y avait des Premières nations ou des femmes qui ont dit qu'elles ne voulaient pas voter et que cela devait se faire par consensus.

La présidente : Merci. Vous pourrez nous faire parvenir ce renseignement.

Le sénateur Jaffer : Je m'interroge au sujet du centre d'excellence. Je n'ai guère de repère au sujet des centres d'excellence. Vous n'aurez peut-être pas de réponse pour moi aujourd'hui. Pas de problème; vous pouvez nous l'envoyer.

Voici mes questions : Où sera situé le centre d'excellence? S'agit-il d'un seul centre? Quel est son mandat? Dans quelle mesure sera-t-il proactif? Combien d'argent a été réservé pour financer ce centre d'excellence — ou deux; j'ignore combien il y en a? Quel processus exactement suivra-t-il? Par exemple, si les Haida ont fait un excellent travail pour aider les femmes à accéder au système de justice, le centre adoptera-t-il ce processus, ou prendra-t-il l'initiative et élaborera-t-il des documents ou des processus? Si vous pouviez nous fournir ces renseignements, je pense que cela nous éclairerait.

J'ai posé la question suivante au ministre. Lorsqu'une femme se retrouve à la rue — sans égard aux circonstances —, comment s'y prendra-t-elle pour trouver un logement, comparaître devant un tribunal supérieur à 600 milles de distance et accéder à l'aide juridique?

Karl Jacques, avocat-conseil, ministère de la Justice Canada : Dans le cas des ordonnances de protection d'urgence, la demande peut être présentée par quelqu'un d'autre que la victime, par exemple. La mesure prévoit la prise de règlements, et ces derniers préciseront les modalités de demande.

Le sénateur Jaffer : Un affidavit est un affidavit. Les personnes concernées ne peuvent pas simplement présenter une demande.

M. Jacques : Oui, elles le peuvent. Dans certains cas, dans différentes provinces, les demandes peuvent être présentées par téléphone ou par télécopieur aux juges de paix. Le règlement précisera quels renseignements seront requis par le juge pour prendre une décision au sujet de la demande.

Le sénateur Jaffer : On nous a dit ce matin — et je ne suis pas plus au courant, et c'est pourquoi je pose la question, que ces personnes ne peuvent présenter une demande. Quoi qu'il en soit, j'ai oublié et comme je ne voudrais pas citer à tort quelqu'un; on nous a dit que c'était par courriel ou quelque chose.

M. Jacques : Nous discutons ici des demandes d'ordonnances d'urgence. En vertu de la loi, le règlement peut prévoir des dispositions applicables en pareil cas.

Le sénateur Jaffer : Pouvez-vous nous fournir ces règles?

M. Jacques : Nous pouvons vous en fournir l'ébauche. Une version préliminaire. Elles sont encore au stade de l'ébauche. Nous pouvons vous fournir cette ébauche.

Le sénateur Jaffer : Quelle est la prochaine étape? La femme a bénéficié des 90 jours lui permettant de rester dans la maison. Ensuite, que fait-elle?

M. Jacques : À ce moment-là, l'ordonnance devra être exécutée.

Le sénateur Jaffer : À combien de reprises peut-elle y retourner?

M. Jacques : Une fois, en vertu des mêmes circonstances.

Le sénateur Jaffer : Et ensuite?

M. Jacques : En cas de rupture du mariage, on peut présenter une demande d'ordonnance d'occupation exclusive.

Le sénateur Stratton : Je vais prendre le relais des questions du sénateur Jaffer, et je serai bref. Cette question me préoccupe, et, à mon avis, la meilleure façon de l'aborder serait que vous nous fournissiez une ou deux études de cas. Prenons l'exemple d'une femme qui en entrant chez elle un soir se heurte à une porte verrouillée. Que fait-elle? Elle a trois enfants et selon leur âge, disons qu'ils ont trois, cinq et sept ans, elle a le droit d'occuper les lieux pendant 90 jours. Cette période est ensuite prolongée une fois, comme vous l'avez dit. Que se passe-t-il ensuite? Après la séparation, une fois le divorce conclu, que se passe-t-il? A-t-elle le droit de vivre dans cette maison avec ses enfants jusqu'à ce que ceux-ci aient atteint l'âge de 18 ou 21 ans? Il doit exister des exemples que vous pouvez nous fournir pour clarifier cette situation.

M. Jacques : En pareilles circonstances, une personne peut présenter une demande d'occupation du domicile. Par exemple, elle peut demander au tribunal de rester dans la maison jusqu'à ce que les enfants aient atteint l'âge de 18 ans. Le juge prendra en considération plusieurs facteurs pour déterminer combien de temps durera la période en question. L'un des facteurs est la durée de résidence d'une personne sur la réserve. Les circonstances varient. La Première nation va également présenter des arguments à cet égard.

Le sénateur Stratton : Si une femme qui ne vivait pas auparavant sur la réserve y déménage, s'y marie et a trois enfants et qu'elle y demeure cinq ans, ce qui n'est pas très long, elle pourrait devoir partir. Qui décide cela?

M. Jacques : Le juge décide, selon les circonstances, comme dans n'importe quel autre cas où les tribunaux doivent trancher...

La présidente : Il faudrait que l'on sache si elle est mariée, conjointe de fait ou quoi que ce soit.

J'ai une dernière question. Qui applique les ordonnances du tribunal dans la réserve, que ce soit des ordonnances de protection d'urgence ou d'indemnisation?

M. Jacques : Le projet de loi stipule que la protection d'urgence sera assurée par un agent de la paix.

La présidente : Quelle est la compensation?

M. Jacques : Il s'agit d'un recours civil; on procédera par voie de recours civil à ce moment-là.

Le sénateur Jaffer : Madame la présidente, pouvons-nous nous rallier à l'excellente suggestion du sénateur Stratton et demander des études de cas pour que nous puissions visualiser comment cette mesure législative fonctionnera, s'il vous plaît?

La présidente : Madame Paré, voulez-vous intervenir?

Le sénateur Stratton : Nous cherchons des exemples qui ont suscité votre réflexion.

M. Jacques : Nous pouvons fournir cette information.

La présidente : Nous fonctionnons avec des études de cas tous les jours dans notre province.

Mme Paré : Nous vous fournirons volontiers deux ou trois études de cas hypothétiques : la situation de la personne en cause; les âges des enfants et les critères pris en compte. Les Premières nations seront habilitées à présenter des instances au juge pour évoquer la situation dans les collectivités, la tradition, la culture; par conséquent, il est difficile de montrer ce qui se passe directement.

Le sénateur Stratton : Nous comprenons tout cela, mais ces études nous fourniront une meilleure perspective. Si vous pouviez nous soumettre trois cas, je pense que cela nous aiderait énormément.

Mme Paré : D'accord. Au sujet du centre d'excellence, voulez-vous une réponse écrite?

La présidente : Nous voulons une réponse écrite à l'intention du comité.

Mme Paré : Présentement, nous devons examiner le plan de mise en œuvre, mais il y a une chose que je voulais signaler. Une organisation nationale aide des premières nations relevant de la Loi sur la gestion des terres des premières nations à concevoir leurs codes fonciers et, par la suite, leur régime de biens immobiliers matrimoniaux. Cette organisation existe. Nous possédons donc un exemple.

Le sénateur Jaffer : Ce qui m'importe le plus, c'est de savoir combien d'argent vous investissez dans ce soutien.

Mme Paré : D'accord.

La présidente : Sénateurs, s'il n'y a pas d'autres questions, cela met un terme à nos délibérations et aux séances pour aujourd'hui.

Je vous remercie beaucoup, monsieur Jacques et madame Paré, d'être venus comparaître. Merci également aux honorables sénateurs de leur patience. Nous siégeons depuis sept heures environ, et je pense que nous avons accompli beaucoup.

Nous siégerons de nouveau lundi à 16 heures, et nous continuerons d'entendre des témoins au sujet du projet de loi S-4 avant de passer à l'étude article par article.

(La séance est levée.)


Haut de page