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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Droits de la personne

Fascicule 4 - Témoignages du 7 juin 2010


OTTAWA, le lundi 7 juin 2010

Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd'hui, à 16 h 2, pour étudier le projet de loi S-4, Loi concernant les foyers familiaux situés dans les réserves des premières nations et les droits ou intérêts matrimoniaux sur les constructions et terres situées dans ces réserves.

Le sénateur Janis G. Johnson (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Mesdames et messieurs, nous accueillons plusieurs témoins aujourd'hui. Je souhaite la bienvenue à tous. Nous sommes heureux que vous puissiez être des nôtres aujourd'hui. Nous allons commencer par la représentante de la Federation of Saskatchewan Indian Nations, la chef Marie-Anne Day Walker-Pelletier.

Chef Marie-Anne Day Walker-Pelletier, chef, présidente, Saskatchewan First Nations Women's Commission, Federation of Saskatchewan Indian Nations : Bonjour à tous. Je souhaite remercier le comité de me donner l'occasion de contribuer à ses travaux. Il est important de poursuivre les délibérations sur le projet de loi S-4. Je tiens également à remercier le sénateur Lillian Dyck de ses démarches visant à faire en sorte que je puisse faire entendre ma voix ici aujourd'hui.

Je suis Marie-Anne Day Walker-Pelletier, chef de la Première nation d'Okanese, qui est établie dans le territoire visé par le Traité no 4, en Saskatchewan. J'en suis la chef depuis 29 ans. J'ai été témoin de beaucoup de choses et j'ai dû relever beaucoup de défis en ce qui a trait aux politiques du gouvernement, aux lois et à la participation communautaire. Je suis également présidente de la Saskatchewan First Nations Women's Commission, qui fait partie de la Federation of Saskatchewan Indian Nations, la FSIN. Je suis très fière de pouvoir contribuer aux réussites de ma collectivité et de défendre les intérêts et les droits des femmes et des enfants membres des Premières nations.

La Saskatchewan compte 11 femmes chefs de Premières nations et plus de 125 autres femmes occupant des postes de dirigeantes au sein des 74 Premières nations de la Saskatchewan. Les Premières nations de la Saskatchewan sont visées par des traités. Notre territoire regroupe six régions, et celles-ci sont visées par six traités distincts : le Traité no 2, le Traité no 4, le Traité no 5, le Traité no 6, le Traité no 8 et le Traité no 10. Tout ce que nous faisons ou disons est conforme aux dispositions des traités et tient compte de nos droits collectifs et traditionnels. Nous travaillons toutes très dur pour faire entendre la voix des collectivités et des femmes membres des Premières nations de la Saskatchewan que nous représentons. Aujourd'hui, j'exigerai que l'on intervienne davantage dans ce dossier, au nom de mes homologues et de nos membres.

Le travail et la recherche entourant les biens immobiliers matrimoniaux — les BIM — s'inscrivent naturellement dans le mandat de la Saskatchewan First Nations Women's Commission, car ces éléments permettront de protéger la vie des femmes et des enfants membres de Premières nations qui vivent dans des réserves. Si une femme vit une rupture conjugale ou le décès de son conjoint, qu'elle soit mariée ou en union de fait, il devrait y avoir des mesures législatives en place pour protéger ses droits en matière de BIM. Pour pousser la question un peu plus loin, si une femme autochtone est dans une relation instable et vit dans une réserve, il n'est pas certain qu'il existe des lois assurant sa sécurité et celle de sa famille. Il faudrait mettre en place des politiques qui lui permettent de s'affranchir d'une situation pouvant mener à davantage de violence ou même à la mort.

La Saskatchewan First Nations Women's Commission a encore beaucoup de travail à faire dans ce dossier. Les membres de la commission sont heureux que le gouvernement fédéral ait décidé de nous appuyer dans nos efforts.

Il y a un certain nombre d'aspects qui nous préoccupent dans le projet de loi S-4. Le projet de loi prévoit des mesures encourageantes, certes, mais nous sommes inquiets des effets qu'il pourrait avoir sur les droits issus de traités qui sont conférés aux Autochtones de la Saskatchewan. Chaque fois que la sécurité d'une famille est compromise par l'absence de lois relatives aux BIM, on perd du terrain dans la défense des droits fondamentaux des femmes ou des enfants.

Nous devons veiller à ce que le projet de loi ne porte pas atteinte aux droits de la personne et aux droits des Autochtones. Nous vous posons la question suivante : cet aspect a-t-il été évalué de façon appropriée? Je suis ici pour vous aviser du fait que les Premières nations de la Saskatchewan sont visées par des traités. Par conséquent, il est naturel que nous souhaitions assurer le respect de nos droits collectifs. Les honorables sénateurs savent que nos droits collectifs nous permettent de protéger notre intégrité en tant que personnes visées par un traité et d'élaborer nos politiques dans le respect de nos traditions. Je demande que nous prenions le temps d'évaluer la possibilité d'un tel conflit pour veiller à ce que le projet de loi à l'égard des BIM tienne compte de nos droits collectifs.

Cela fait maintenant plus de 20 ans que la question des BIM a été portée devant la Cour suprême, dans des affaires comme Derrickson c. Derrickson et Paul c. Paul. Nous avons eu amplement le temps d'envisager des solutions. Certaines collectivités ont élaboré leurs propres règles, processus qui s'est révélé long et difficile. Nous craignons que le projet de loi S-4 s'oppose à notre vision et au travail que nous avons réalisé pour trouver nos propres solutions.

En adoptant ce projet de loi, le législateur imposera des exigences qui toucheront tous les membres des Premières nations du Canada. Or, ces exigences ne refléteront pas la réalité particulière de nombre de Premières nations. Par exemple, il n'est pas réaliste qu'une femme autochtone vivant dans le nord — et qui ne peut donc pas facilement accéder aux tribunaux ou à d'autres ressources — doive continuellement se présenter en cour pour obtenir des ordonnances lui permettant de conserver sa maison, alors que, finalement, l'application d'une ordonnance ne constitue qu'une solution temporaire aux termes du projet de loi S-4. Le projet de loi doit tenir compte des besoins de chacune des Premières nations. Nous souhaitons que chaque collectivité ait la possibilité d'élaborer sa propre loi pour que celle-ci reflète ses besoins particuliers.

Je suis préoccupée par la question des ressources à de nombreux égards. D'abord, le projet de loi proposé occasionnera des coûts très élevés, non seulement pour les personnes qui pourraient se prévaloir des dispositions qu'il contient, mais également pour les collectivités qui devront — pour mettre en œuvre le projet de loi — structurer leurs propres règles, mener des consultations communautaires et veiller à ce que tous les codes soient à jour dans le cadre de l'élaboration de leurs propres mesures législatives en matière de BIM.

D'où proviendront toutes les ressources? Si les chefs des Premières nations promettent de faire tout en leur possible pour mener à bien l'élaboration et la mise en œuvre de lois relatives aux BIM, le gouvernement fédéral peut-il leur assurer qu'ils recevront des ressources financières adéquates? Nous souhaitons également obtenir une ventilation des coûts associés à la mise en œuvre des lois relatives aux BIM dans chaque collectivité des Premières nations, et nous voulons savoir quelles seront les sources de financement au sein du budget du gouvernement fédéral.

Les Premières nations veulent des lois relatives aux BIM, mais elles veulent être en mesure d'élaborer leurs propres lois. D'ailleurs, nous élaborons ce genre de lois depuis de nombreuses années déjà. Par exemple, les Premières nations qui ont mis en œuvre la Loi sur la gestion des terres des premières nations — 1999, chapitre 24 — dans leurs réserves sont tenues d'adopter des lois sur les BIM.

Par ailleurs, de nombreuses Premières nations en Saskatchewan sont sur le point d'adopter des codes et des politiques, y compris des codes sur le statut de membre et sur le logement, qui aborderont la question des BIM sous divers angles, par exemple ce qu'il advient de ces biens au moment du divorce ou lorsqu'il y a une séparation en raison de violence conjugale. Par conséquent, le projet de loi S-4 pourrait obliger des chefs de Premières nations à appliquer des politiques auxquelles les Autochtones ne souscriraient peut-être pas ou qui iraient à l'encontre des priorités explicites de collectivités en particulier.

Je ne suis pas en train de dire que nous préférons compromettre la sécurité des femmes ni que nous nous sentons à l'aise de continuer dans la voie que nous avons toujours suivie. En fait, nous vivons actuellement une crise, et des mesures doivent être prises, mais nous préférons recourir à notre propre méthode, c'est-à-dire une méthode dans laquelle nous croyons et qui reflète les besoins de notre collectivité.

Aujourd'hui, je demande au gouvernement fédéral de nous appuyer dans nos démarches pour continuer à exercer nos fonctions dans ce domaine. Nous savons que les délais doivent être très serrés, mais nous sommes disposés à travailler le plus rapidement possible.

À l'instar de nombreuses autres personnes, je suis prête à travailler en collaboration avec les membres de nos collectivités pour veiller à ce qu'ils élaborent et mettent en place des lois relatives aux BIM. Je suis disposée à travailler en collaboration avec les Premières nations de ma région pour faire en sorte que la FSIN continue d'inciter toutes les collectivités à commencer cette démarche et que le travail se poursuive dans les collectivités ayant déjà amorcé ce processus.

Bien sûr, le temps presse lorsqu'on doit intervenir pour régler la crise qui sévit dans nos collectivités. La plupart des collectivités veillent à ce que leurs lois régissent la question des BIM dans le cadre de leurs propres processus de gouvernance, lesquels peuvent être très différents d'une réserve à l'autre tout en respectant tous les droits fondamentaux des femmes et des enfants autochtones.

Étant donné que le gouvernement fédéral soutient que le projet de loi S-4 accorde aux Premières nations le droit d'élaborer selon leur convenance des lois sur les BIM, quelle est l'utilité de ce projet de loi? S'il vise à fournir des dispositions législatives provisoires pour gérer les BIM jusqu'à ce que les Premières nations puissent mettre en œuvre leurs propres lois, c'est une bonne idée, mais, ensuite, laissons les Premières nations prendre elles-mêmes les décisions à ce chapitre.

La représentante ministérielle, Wendy Grant-John, qui a été nommée par le ministre, a discuté pendant plusieurs mois avec les Premières nations. Elle a même précisé qu'une loi fédérale imposée de façon unilatérale ne constituait pas une solution; pourtant, c'est ce qu'entend faire le gouvernement fédéral avec ce projet de loi. Ce n'est pas ce que nos représentants ont dit à la représentante ministérielle. Le gouvernement ne nous a pas écoutés.

Aujourd'hui, je demande au gouvernement de nous permettre de poursuivre le processus selon nos propres modalités, sans l'adoption du projet de loi S-4, et de nous fournir les ressources nécessaires pour mener à bien ce processus, tel qu'il est déclaré au début du projet de loi S-4, et je cite :

ATTENDU que le gouvernement du Canada a reconnu que le droit inhérent à l'autonomie gouvernementale constitue un droit ancestral et qu'il est d'avis que la meilleure façon de mettre en œuvre ce droit est de procéder par négociation;

Par conséquent, nous demandons au gouvernement de négocier avec nous et de nous donner les moyens d'élaborer nos lois dans une perspective d'autonomie gouvernementale, dans le contexte des traités visant les Premières nations de la Saskatchewan.

La présidente : La parole est maintenant à Mme Ellen Gabriel; allez-y, s'il vous plaît.

Ellen Gabriel, présidente, Femmes autochtones du Québec : Bonjour, madame la présidente et honorables membres du comité sénatorial. L'organisme que je représente, Femmes autochtones du Québec, vous remercie de nous donner l'occasion de vous faire part de nos préoccupations concernant l'approche législative privilégiée par le gouvernement fédéral pour traiter la question des droits ou des intérêts matrimoniaux dans les réserves.

Au fil des nombreux changements qui ont été apportés au projet de loi sur les biens immobiliers matrimoniaux, Femmes autochtones du Québec a soulevé des questions importantes au sujet de cette mesure législative et de son processus d'élaboration, lequel n'a été assorti d'aucune consultation efficace auprès des Autochtones et d'aucun consensus véritable relativement au projet de loi.

Malheureusement, le nouveau projet de loi S-4 ne tient pas compte de nos recommandations, pas plus qu'il ne tient compte de celles de Wendy Grant-John, représentante du gouvernement fédéral. En outre, la prise en compte des recommandations de Mme Grant-John aurait témoigné de la volonté du gouvernement du Canada d'être à l'écoute des préoccupations des Autochtones.

Il n'est pas nécessaire de rappeler au comité sénatorial l'objectif paternaliste de la Loi sur les Indiens, à savoir saper et dévaloriser l'autorité et le rôle des femmes autochtones dans leurs nations. L'article 6 de la Loi sur les Indiens définit ce qu'on entend par « Indien » et régit tous les aspects de la vie communautaire et de la vie d'une personne, de sa naissance à sa mort. Ce régime de tutelle, qui détermine le droit à l'inscription au registre des Indiens et l'appartenance à une bande, s'applique également aux structures politiques et administratives des réserves. En gardant cela à l'esprit, j'aborderai nos préoccupations concernant les lacunes du projet de loi S-4.

Le projet de loi S-4 ne reconnaît pas le droit inhérent des Autochtones à l'autonomie gouvernementale, droit protégé par l'article 35 de la Loi constitutionnelle du Canada. Il ne tient pas compte de la question des droits collectifs par rapport aux droits individuels des Autochtones et fait abstraction des titres des terres de réserve et de l'utilisation des terres de régime coutumier.

En outre, le projet de loi fait fi des codes d'appartenance et du statut de membre ainsi que de la définition d'une relation conjugale dans une réserve au sens de la Loi sur les Indiens. Les codes d'appartenance ne confèrent pas tous les mêmes droits de résidence. Et les choses se compliquent davantage lorsque l'un des époux n'est pas un Indien inscrit. Par conséquent, le statut juridique des époux et l'existence ou l'inexistence d'un code d'appartenance à une bande ont une incidence directe sur cette question. Cette réalité a des conséquences sur les enfants.

L'un des écarts évidents entre le projet de loi S-4 et la réalité des collectivités autochtones, c'est que le projet de loi ne tient pas compte du fait que l'assise territoriale est limitée et que le nombre de logements est insuffisant dans les réserves.

Par ailleurs, le projet de loi S-4 empiète sur l'autorité et la compétence des Autochtones. Actuellement, aux termes du projet de loi que propose le gouvernement, les lois des Premières nations sur les BIM devraient être sanctionnées au moyen d'un processus défini par le gouvernement dans le projet de loi avant d'être promulguées.

Le projet de loi ne prévoit aucune période de transition ni mesure de soutien visant à renforcer les capacités des Premières nations. Les règles fédérales s'appliqueront immédiatement à l'ensemble des Premières nations, à quelques exceptions près. Il semble que le gouvernement n'apportera aucun soutien aux Premières nations pour qu'elles élaborent et mettent en œuvre leurs propres lois relatives aux BIM en remplacement des lois fédérales, ce qui signifie que les règles fédérales pourraient s'appliquer à la majorité des Premières nations pendant longtemps.

On doit mener d'autres études sur la situation des collectivités autochtones du Québec, notamment sur le manque d'harmonisation avec le Code civil du Québec.

Le gouvernement doit travailler de concert avec les groupes de femmes autochtones et leurs collectivités en vue de créer un régime des BIM qui est juste et équitable. En ce qui a trait à la formule du règlement équitable, les réalités économiques des femmes autochtones ayant pris soin du foyer familial et des enfants pendant la relation conjugale ne sont pas prises en considération, et cela imposera un fardeau économique et juridique supplémentaire à ces femmes.

Au chapitre de la violence conjugale, les femmes autochtones qui en sont victimes doivent avoir la possibilité d'obtenir une ordonnance de protection d'urgence. On doit donner aux tribunaux qui appliquent les règles fédérales provisoires la latitude nécessaire pour trouver de nouvelles solutions provisoires fondées sur la coutume, de façon à rendre la justice plus accessible aux collectivités éloignées.

Outre le débat entourant les questions d'ordre juridique, il y a également les problèmes de violence sociale et de pauvreté chronique ainsi que le manque de ressources financières pour exercer des recours judiciaires. Ces lacunes et préoccupations font ressortir la nécessité d'aborder le problème des BIM dans une perspective holistique. D'ailleurs, au cours des consultations menées par l'Association des femmes autochtones du Canada, les modifications législatives n'ont constitué que l'une des six catégories de solutions proposées par les femmes autochtones en ce qui a trait à la gestion des BIM.

Pour que les Autochtones et, en particulier, les femmes aient des droits et des avantages équitables à l'égard des BIM, le gouvernement fédéral doit également s'attaquer aux questions liées à l'accès à la justice et à l'application du projet de loi, ainsi qu'aux aspects socioéconomiques, comme la détermination du statut, la violence, la pauvreté et le logement. Par conséquent, parallèlement à toute réforme législative, le gouvernement fédéral devrait créer un mécanisme de médiation autochtone en plusieurs étapes ou d'autres mécanismes et pratiques judiciaires et décisionnels à l'égard des BIM qui sont adaptés à la culture des Autochtones.

Enfin, le système de politiques assimilateur et oppressif qui découle de la Loi sur les Indiens, qui contribue à aggraver la situation vulnérable dans laquelle se trouvent les femmes au moment de la rupture d'une relation, doit faire l'objet d'une réforme pour offrir des options aux femmes et à leurs descendants. Le gouvernement fédéral doit accroître ses efforts en vue de résoudre la question du financement du logement dans les réserves et de remédier aux problèmes de pauvreté, de violence, de détermination du statut et de l'appartenance qui sont intimement liés aux droits en matière de BIM.

Le gouvernement du Canada doit réagir aux préoccupations des Autochtones en tenant compte de nos recommandations et en modifiant le projet de loi S-4. Il doit respecter la primauté du droit et poursuivre le dialogue avec les Autochtones en reconnaissant leur droit inhérent à l'autonomie gouvernementale. Il doit tenir compte des discussions que tient actuellement le Parlement sur le projet de loi C-3, Loi favorisant l'équité entre les sexes.

Tant que l'inscription au registre des Indiens demeurera discriminatoire à l'endroit des femmes autochtones et de leurs enfants, la discrimination sexuelle restera au cœur du débat concernant les modifications à apporter à la Loi sur les Indiens, qui est tout à fait dépassée.

Les peuples autochtones, autrefois autonomes ou, plutôt, souverains, avec lesquels les puissances européennes ont conclu des alliances pendant les guerres coloniales, ont été réduits à l'état de sujets dépendants de la Couronne. Cette relation paternaliste, qui a causé beaucoup de torts aux peuples autochtones, doit prendre fin. Cette relation a altéré les relations traditionnelles entre les sexes à l'égard de la propriété des terres et la relation entre les Autochtones et le territoire bien au-delà de leur forme originelle.

Si je peux me permettre de faire une autre recommandation, j'invite le gouvernement du Canada à souscrire entièrement à la déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, sans restriction, en toute bonne foi et dans l'esprit de la réconciliation.

Lawrence Paul, chef, coprésident, Congrès des chefs des Premières nations de l'Atlantique : Honorables sénateurs, je suis chef de la Première nation Millbrook de la Nouvelle-Écosse et coprésident du Congrès des chefs des Premières nations de l'Atlantique. J'ai l'honneur de servir ma collectivité depuis 26 ans en ma qualité de chef et depuis 18 ans à titre de coprésident, en Nouvelle-Écosse, du Congrès des chefs des Premières nations de l'Atlantique.

Je suis accompagné du chef Noah Augustine, de la Première nation de Metepenagiag, qui est le coprésident au Nouveau-Brunswick, et de M. John G. Paul, directeur général de l'organisme. Nous sommes ici aujourd'hui pour exprimer, au nom des chefs de l'Atlantique, nos préoccupations à l'égard du projet de loi S-4.

Les chefs membres du congrès n'appuient pas le projet de loi S-4 dans sa forme actuelle. En effet, à l'occasion de leur dernière réunion, en mai, nos membres ont adopté une résolution déclarant qu'ils ne souscrivaient pas au projet de loi parce qu'ils redoutaient sérieusement certains de ses effets possibles. Nos membres avaient d'ailleurs adopté une résolution concernant la version antérieure du projet de loi S-4, à savoir le projet de loi C-8, qui faisait ressortir les mêmes réserves.

Nous n'étions pas seuls : la plupart des organismes autochtones, y compris l'Assemblée des Premières Nations et l'Association des femmes autochtones du Canada, se sont également opposés au projet de loi C-8.

J'exposerai une série de préoccupations et de conséquences possibles qui ont attiré notre attention relativement au projet de loi S-4, et il s'agit des mêmes préoccupations que nous avons soulevées concernant le projet de loi C-8.

Notre premier motif d'inquiétude se rapporte au fait que le gouvernement n'a pas consulté les Premières nations du Canada au sujet du projet de loi S-4. En 2006-2007, le gouvernement du Canada, par l'intermédiaire de la représentante ministérielle, Wendy Grant-John, a bel et bien organisé, à l'échelle nationale, des séances d'information ou des tribunes où les participants ont discuté de la question générale des biens immobiliers matrimoniaux dans les réserves et des options proposées. Toutefois, le gouvernement n'a mené aucune consultation sur le projet de loi en lui-même.

Nous croyons que le gouvernement du Canada a l'obligation légale de travailler en étroite collaboration avec les dirigeants des Premières nations lorsqu'il s'agit d'élaborer un projet de loi qui touche de très près la vie des collectivités autochtones. Cela s'est déjà vu : par exemple, le gouvernement du Canada et l'Assemblée des Premières Nations ont travaillé de concert à l'élaboration du projet de loi intitulé Loi sur le Tribunal des revendications particulières, laquelle a finalement été promulguée. Nous ne voyons pas pourquoi le gouvernement du Canada n'aurait pas pu privilégier une approche plus collaborative pour discuter de ces questions avec les Premières nations.

Deuxièmement, nous nous préoccupons du fait que le projet de loi S-4 est inconstitutionnel, car il n'est pas compatible avec le paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1982 et viole l'obligation fiduciaire de la Couronne qui consiste à protéger les Indiens et les terres réservées aux Indiens.

L'Acte de l'Amérique du Nord britannique est inscrit dans la Constitution canadienne à l'article 35. La responsabilité fiduciaire des terres est encore assumée par le gouvernement fédéral, et la seule façon pour lui de se départir de cette responsabilité fiduciaire est de modifier la Constitution, ce qui ne serait pas accepté, ou de nous amener à y renoncer volontairement.

Comme vous le savez, seul le gouvernement fédéral a le pouvoir de légiférer sur les questions relatives aux Indiens et aux terres réservées aux Indiens. Ce projet de loi habilitera toute province, par l'intermédiaire d'un juge d'un tribunal provincial, d'accorder à un non-Indien vivant dans une réserve des droits de propriété et des droits fonciers sur des terres de réserve. Aux termes de la Loi constitutionnelle, ce type de décisions ne relève pas de la compétence des provinces, et, par conséquent, une telle procédure serait inconstitutionnelle.

Bien que le projet de loi précise à l'article 5 que le titre de propriété des terres de réserve et le statut sont protégés, il demeure que, en pratique, les règles provisoires auront pour effet d'octroyer à des personnes n'appartenant pas à des bandes, c'est-à-dire à des personnes non indiennes, des intérêts sur les terres situées dans des réserves. Ce faisant, le projet de loi porte sérieusement atteinte aux titres et au statut des terres réservées aux Indiens. Nous croyons qu'il s'agit là d'une grave violation de l'obligation constitutionnelle et fiduciaire de la Couronne à l'égard des Premières nations, car celle-ci doit protéger les Indiens et les terres réservées aux Indiens.

Troisièmement, nous croyons que le projet de loi enfreint la déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, car il constitue une ingérence importante, tant gouvernementale que judiciaire, dans les affaires des Premières nations et dans le droit inhérent de ces dernières à l'autonomie gouvernementale. Les règles provisoires constituent une immixtion considérable sur les plans gouvernemental et judiciaire dans les affaires des Premières nations et dans leur droit inhérent à l'autonomie gouvernementale, dans leur droit de gérer elles-mêmes leur parc de logements, leur politique de logement et l'utilisation des terres de réserve.

Si le projet de loi autorise les Premières nations à élaborer leurs propres lois, il impose des exigences très strictes à ce chapitre. Les coûts liés à l'élaboration et à la mise en œuvre des lois sont énormes, et les répercussions pourraient être limitées. Les provinces devront assumer de nouveaux coûts, et les provinces et leurs tribunaux respectifs joueront un rôle plus actif dans le règlement des dossiers liés aux Premières nations.

J'ai discuté de cette question avec l'ancien premier ministre de la Nouvelle-Écosse, le regretté John Savage, et avec d'autres premiers ministres conservateurs et néo-démocrates. Ils ont dit qu'ils seraient prêts à assumer des responsabilités dans des dossiers touchant les Autochtones de la Nouvelle-Écosse seulement si le gouvernement fédéral payait la note. Si le gouvernement fédéral n'assume pas les coûts, la province ne prendra pas de telles responsabilités. Je peux la comprendre : elle affiche actuellement une dette de 56 millions de dollars.

Le projet de loi ne respecte pas le pouvoir inhérent des Premières nations de légiférer. À notre avis, il s'agit d'un recul. Les Premières nations disposent déjà de nombre de politiques, de règlements administratifs ou de lois sur le logement, les terres et les BIM, et le projet de loi les remplacerait tous, ou la plupart d'entre eux. Le projet de loi S-4 porte sérieusement atteinte à notre droit inhérent à l'autonomie gouvernementale. Par exemple, il accorde aux juges des tribunaux provinciaux le pouvoir discrétionnaire d'ordonner à des membres d'une bande de céder leur maison à une personne non autochtone, puis de fournir une compensation aux membres pour leur part de la valeur de la propriété.

Les politiques et les lois mises en place par les Premières nations devraient être respectées. Si elles sont inexistantes, le gouvernement fédéral devrait aider les Premières nations à élaborer les politiques ou les lois qu'elles doivent adopter. Dans la région de l'Atlantique, nombre de Premières nations, y compris la mienne, appliquent des politiques, écrites ou orales, adoptées par les conseils, qui accordent la possession exclusive des biens matrimoniaux au parent qui a la garde des enfants dans le cas d'une rupture conjugale. Le projet de loi entrera directement en conflit avec les politiques et les lois autochtones existantes dans ce domaine et causera beaucoup de confusion dans les collectivités.

La solution à ce problème n'est pas d'imposer des procédures judiciaires provinciales et des lois aux Premières nations. Toute solution concernant la question des BIM devrait d'abord respecter les droits inhérents des Premières nations, ainsi que leurs coutumes et leurs traditions.

Plus généralement, nous croyons que les règles fédérales, provinciales et territoriales vont à l'encontre de l'orientation préconisée aujourd'hui par nombre de tribunaux de la famille au Canada. Nombre de provinces appuient les méthodes de règlement extrajudiciaire des différends, telles que la médiation, comme première étape dans la résolution de tout type de problème familial. C'est uniquement dans les situations où ces méthodes échouent que les couples comparaissent devant un tribunal de la famille, qui tranchera cette question pour eux. Le système de justice canadien recourt à la confrontation pour régler les différends, en opposant une partie à l'autre. Il s'agit d'un système que nous ne souhaitons pas reproduire ou appliquer dans nos collectivités. Nous croyons que, étant donné que les questions relevant du droit familial sont très délicates et personnelles, elles nécessitent l'utilisation de mesures plus correctives et plus réparatrices.

J'aborderai maintenant la quatrième préoccupation. Le projet de loi vise à appliquer des solutions non adaptées à la vie dans les réserves pour régler les questions liées aux BIM, mais il est impossible de procéder de cette façon, car il ne s'agit tout simplement pas du même environnement. Les terres réservées aux Indiens sont la propriété du gouvernement fédéral. Seulement les Premières nations, les bandes et leurs membres ont l'autorisation d'utiliser les terres de réserve et d'en tirer parti. Un Indien ou un non-Indien ne peut posséder en fief simple des terres de réserve. En raison de la nature collective du régime foncier qui prévaut dans les réserves, il est impossible d'utiliser les mécanismes appliqués à l'extérieur des réserves pour régler les questions liées aux BIM situés dans des réserves. C'est ce que tente de faire le gouvernement en proposant ce projet de loi, mais ce n'est pas possible. Nous avons réalisé une recherche qui révèle que la plupart des logements situés dans les réserves de la région de l'Atlantique sont des logements sociaux subventionnés dans le cadre d'un programme de la SCHL, en application de l'article 95 de la Loi nationale sur l'habitation. La Première nation est propriétaire des logements, paie l'hypothèque et loue ceux-ci aux membres de la bande, au chef du ménage, qui, la plupart du temps, est bénéficiaire de l'aide sociale. Le loyer du logement social est financé par les programmes sociaux du MAINC.

Puisque la plupart des logements dans les réserves de la région de l'Atlantique sont des logements sociaux appartenant à la Première nation et non à un membre autochtone, un juge d'un tribunal provincial ne pourrait pas légalement imposer une ordonnance d'indemnisation à un époux dans le cas d'un divorce, car le foyer conjugal ne constitue pas un bien matrimonial.

Je ferai quelques commentaires. Depuis que je suis chef, le gouvernement fédéral nous dit, à moi et aux membres de mon conseil : « Élaborez vous-même les lois qui conviennent le mieux à votre Première nation. » C'est ce que nous avons fait dans le domaine des biens matrimoniaux. Nous ne faisons aucune discrimination à l'égard de quiconque, que la personne soit blanche, noire, rouge ou jaune. Nous ne faisons aucune discrimination. Lorsqu'il y a une dispute entre deux conjoints, le chef et le conseil de la Première nation Millbrook leur demandent de s'adresser au tribunal de la famille. C'est ce que font les conjoints, et l'un ou l'autre d'entre eux peut obtenir la garde des enfants. Celui qui obtient la garde des enfants a le droit d'occuper la maison. Tous les membres se conforment à cette politique.

Lorsque l'enfant aîné atteint l'âge de 18 ans, l'âge de la majorité aux termes de la Loi sur les Indiens, c'est à lui de décider s'il souhaite vivre avec sa mère ou avec son père, et on respecte cette règle.

Nous avons pris d'autres règlements administratifs, qui portent sur les lieux inesthétiques, le bruit excessif, le contrôle des chiens, le zonage, et cetera. Le gouvernement fédéral nous a dit de mettre en place des règles et des politiques qui conviennent à notre collectivité. Celles qui ont été adoptées par la Première nation Millbrook et par d'autres bandes sont adéquates pour la collectivité.

Pour vous donner un exemple, si on adopte le projet de loi, une personne qui s'installe dans la réserve contre la volonté de la Première nation vivra un véritable enfer, qu'il s'agisse d'un homme ou d'une femme. Les membres de la collectivité ne laisseront jamais cette personne en paix. Cette personne sera entourée de membres de la bande, et il serait inacceptable qu'un non-Indien vive dans une maison qui appartient à la bande.

Comme nous étions très préoccupés par le taux de suicide, nous avons instauré une politique selon laquelle quiconque se fait prendre à faire du trafic de drogue ou d'alcool pourrait perdre sa maison. Grâce à cette politique, nous avons réussi à éliminer une grande partie des problèmes de toxicomanie dans notre collectivité.

Ma plus grande crainte se rapporte à l'autonomie gouvernementale : la Loi sur les Indiens a été adoptée dans un but précis. L'honorable Joseph Howe faisait partie du gouvernement provincial de la Nouvelle-Écosse. À ce moment-là, la population micmaque mourrait de la tuberculose et d'autres maladies. Joseph Howe a dit qu'il fallait faire quelque chose, sinon la nation micmaque disparaîtrait, comme d'autres espèces se sont maintenant éteintes. La Loi sur les Indiens a été promulguée après des discussions avec le gouvernement fédéral. Il fallait faire quelque chose, car, à cette époque, les Micmacs n'avaient plus d'assise territoriale et avaient abandonné leur mode de vie. Ils ne pouvaient même plus se nourrir.

Actuellement, certaines bandes parlent d'autonomie gouvernementale. Si on est une bande autonome, on doit disposer des fonds nécessaires pour exercer ce pouvoir. En fait, si on n'a pas les fonds nécessaires, on ne peut pas diriger un gouvernement. Même si on imposait la majorité des membres de la bande, on n'aurait pas suffisamment d'argent pour asphalter une seule route. Il est complètement ridicule de parler d'autonomie gouvernementale à ce moment-ci. Je fais souvent valoir que, lorsqu'on débute dans le domaine du développement économique et de la création d'entreprises, on doit bénéficier du soutien des gouvernements fédéral et provinciaux et des administrations municipales pour aller de l'avant et atteindre un jour l'autosuffisance. Ce jour n'est pas encore arrivé. J'ignore ce que pensent les conseillers des députés, du premier ministre ou des sénateurs. Pourquoi croient-ils que les Autochtones du Canada seraient prêts à céder leurs terres à des non-Indiens? Cela n'arrivera pas. Ce projet de loi ne fera que jeter de l'huile sur le feu.

Avant que ce projet de loi soit adopté par la Chambre des communes, je recommande aux sénateurs de consulter les Premières nations. On doit travailler ensemble pour concevoir une politique qui conviendra aux deux camps. C'est la meilleure façon de procéder.

Je vous remercie et j'espère que mes propos éclaireront les électeurs aujourd'hui. Lorsque vous parlerez à vos collègues, vous pourriez peut-être envisager de réaliser un second examen objectif et de mener des consultations auprès des Autochtones du Canada avant qu'on fasse adopter le projet de loi par la Chambre des communes.

La présidente : Chef Paul, vos paroles sont d'une grande sagesse.

Noah Augustine, chef, coprésident, Congrès des chefs des Premières nations de l'Atlantique : Je voudrais soulever quelques points supplémentaires. Je suis Noah Augustine, chef de la Première nation micmaque de Metepenagiag, au Nouveau-Brunswick, et j'exerce les fonctions de coprésident du Congrès des chefs des Premières nations de l'Atlantique. J'assume également la présidence de l'Union des Indiens du Nouveau-Brunswick. C'est un plaisir d'être ici aujourd'hui.

D'emblée, nous savions tous qu'il s'agissait d'un dossier très complexe. J'ai examiné la documentation, les recherches et le travail dont s'est chargé le comité sénatorial jusqu'à maintenant, et je tiens à souligner qu'il s'agit d'une excellente initiative, dans la mesure où nous abordons enfin la question des biens immobiliers matrimoniaux dans les collectivités des Premières nations. Il s'agit de préoccupations importantes et complexes. Nous parlons des codes fonciers, des codes d'appartenance à une bande, de l'autonomie gouvernementale et des politiques dans les réserves, et le fait que les bandes assujetties à la Loi sur les Indiens tiennent leurs élections tous les deux ans vient compliquer les choses d'autant plus.

J'ai déjà eu l'occasion de témoigner devant des comités sénatoriaux au sujet des élections tenues selon la Loi sur les Indiens. Je tiens à dire aux sénateurs ici présents que vos recommandations ont beaucoup de poids et que nous vous sommes reconnaissants du temps et de l'attention que vous accordez à ce dossier. Sur ce, je vais exposer les autres réserves qu'ont exprimées les membres du congrès.

La cinquième préoccupation des membres se rapporte au fait que les Premières nations ne disposent pas des ressources nécessaires pour élaborer leurs propres lois en matière de BIM. Nous avons la compétence pour le faire, mais nous manquons de ressources. Cette préoccupation a été clairement soulevée.

À l'échelon des collectivités, les Premières nations manquent de capacités pour élaborer et mettre en place des lois relatives aux BIM, et le gouvernement fédéral ne tient pas compte de cet aspect dans le projet de loi.

L'insuffisance des ressources et des capacités dans les collectivités des Premières nations est un point qui a été constamment soulevé en ce qui a trait aux divers projets de loi récemment présentés aux comités parlementaires, à savoir les projets de loi C-21 et C-3 et, plus récemment, le projet de loi S-11. Nous croyons savoir que la question du manque de ressources et de capacités a également été soulevée à l'égard de l'élaboration et de l'adoption de codes fonciers par les Premières nations dans le cadre de la Loi sur la gestion des terres des premières nations. Les Premières nations ont fait savoir qu'elles n'avaient pas assez d'argent pour accomplir le travail nécessaire à l'élaboration de leurs propres codes fonciers. D'ailleurs, le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones a attiré l'attention sur cette même question dans l'étude qu'il a dernièrement publiée concernant la réforme du régime électoral prévu dans la Loi sur les Indiens. Le comité sénatorial a recommandé, entre autres, que le gouvernement fédéral fournisse aux Premières nations les ressources financières et le soutien nécessaires pour mettre en place leurs propres codes électoraux.

Le seul type de renforcement des capacités que prévoit le projet de loi se rapporte aux juges et à la police. Or, nous croyons que, en général, la plupart des avocats ignorent comment fonctionne le régime foncier dans les réserves. Par conséquent, les avocats devront également être visés par toute initiative de renforcement des capacités.

Notre sixième motif d'inquiétude concerne le fait que la question des BIM est directement liée au manque de logements et de terres dans les réserves. En effet, le manque chronique de logements et de terres dans les réserves vient compliquer d'autant plus la gestion des BIM. Nous croyons fermement que, s'il y avait dans les réserves suffisamment de logements et de terres pour y construire des maisons, la situation ne serait pas aussi critique qu'elle ne l'est aujourd'hui.

La septième préoccupation se rapporte au fait que le projet de loi semble être applicable de façon rétroactive. Ainsi, dans certaines circonstances, il visera non seulement les époux ou les conjoints de fait actuels, mais également les anciens époux et conjoints de fait.

Ensuite, le huitième point qui nous inquiète, c'est que le projet de loi a entre autres pour objectif d'éliminer l'application du paragraphe 89(1) de la Loi sur les Indiens, qui offre une protection aux Indiens inscrits, dans les cas où les biens matrimoniaux sont en jeu.

En ce qui a trait au neuvième sujet de préoccupation, pour la première fois, l'occupation d'une terre de réserve par un non-Indien, sans qu'il y ait de permis, de bail ou d'accord de cession de terres, sera autorisée par le gouvernement fédéral en vertu des règles provisoires contenues dans le projet de loi. Cela semble être en contradiction avec les dispositions de la Loi sur les Indiens qui précisent que les terres de réserve sont inaliénables, dans la mesure où elles doivent généralement demeurer à l'usage et au profit des Indiens et des bandes, et qui empêchent un Indien de céder ses intérêts à un non-Indien.

Le dixième aspect qui nous préoccupe est le fait qu'un époux ou un conjoint de fait non indien peut occuper une maison familiale dans une réserve pendant une période allant jusqu'à 180 jours après le décès de l'époux ou du conjoint de fait indien. Il semblerait qu'un juge peut ordonner une telle chose même si cela va à l'encontre des clauses du testament.

Le onzième aspect qui nous inquiète concerne le fait que, pour la première fois, un non-Indien peut tirer des avantages économiques de l'aliénation d'une terre de réserve sans que s'appliquent les dispositions de la Loi sur les Indiens portant sur les permis, les baux et la cession de terres.

Les parties qui se voient imposer une ordonnance de compensation par un juge devront disposer de ressources financières nécessaires pour acheter la part des intérêts de leur conjoint dans la maison conjugale. Il se pourrait qu'un conjoint n'ait pas les moyens d'acheter la part de l'autre conjoint, car nombre de membres des Premières nations ont comme principale source de revenu les prestations d'aide sociale et sont souvent des employés saisonniers. Cela leur causerait donc des difficultés financières indues. En outre, on ne sait pas au juste comment un juge déterminerait le montant de la compensation, car il ne pourrait peut-être évaluer que la valeur de la maison conjugale, et non la valeur de la terre de réserve, puisque celle-ci appartient à la collectivité autochtone.

Par ailleurs, les conjoints dans les réserves qui paient l'hypothèque de leur maison ne peuvent, s'ils se séparent, vendre celle-ci sur le marché immobilier local et ensuite partager le produit de la vente comme le font les conjoints qui vivent à l'extérieur des réserves. Les couples qui vivent dans les réserves peuvent uniquement vendre leur maison à la Première nation, si cette dernière est disposée à l'acheter et a les moyens de le faire, ou à un autre membre de la bande. Par conséquent, le marché immobilier dans une réserve est très restreint, ce qui entraîne une baisse considérable de la valeur des propriétés.

Comme l'a mentionné l'un des autres témoins, la valeur des propriétés dans les réserves équivaut à la moitié de celle des propriétés hors réserve. Les institutions bancaires ne consentent pas de prêts ni d'hypothèques aux membres des Premières nations, car ces derniers ne peuvent pas donner leur maison ou leur bien immobilier en garantie. Je suis au courant de cet aspect parce que je vis actuellement la même situation : j'essaie de contracter une hypothèque sur une maison dans une réserve. La valeur n'est pas assez élevée.

Notre douzième préoccupation concerne le fait que le projet de loi va au-delà de la portée des lois provinciales relatives aux biens matrimoniaux, car il est axé sur la violence conjugale — dans un sens très large — et sur la partie prenant possession de la terre de réserve en cas de violence conjugale.

Enfin, le treizième motif d'inquiétude se rapporte au fait que le projet de loi habilite les tribunaux à rendre des ordonnances d'occupation exclusive. Ces ordonnances non urgentes seraient en vigueur pendant la durée déterminée par le tribunal. Il pourrait s'agir d'une ordonnance d'occupation temporaire ou d'autres types d'occupation.

En conclusion, la question des biens immobiliers matrimoniaux dans les réserves est extrêmement complexe, et le gouvernement doit trouver des solutions en consultation étroite avec les Premières nations, car les répercussions à cet égard peuvent être importantes et peuvent nuire à la gouvernance des Premières nations et aux politiques liées au logement, au statut de membre et à la gestion des terres.

Le projet de loi n'a pas encore été adopté, et nombre de Premières nations et d'organismes autochtones du Canada croient qu'il faut lui substituer une nouvelle approche de collaboration qui appuie les Premières nations dans l'élaboration de leurs propres solutions, lois et procédures en ce qui concerne la gestion des biens immobiliers matrimoniaux dans les réserves. Nous sommes convaincus qu'il n'existe aucune autre façon de résoudre efficacement cette situation. Nous vous demandons de tenir compte de nos préoccupations à l'égard du projet de loi S-4 et de présenter une motion visant à le retirer.

Nous vous remercions de nous avoir donné l'occasion d'exprimer nos réserves sur ce projet de loi et nous vous demandons instamment de recommander au ministre des Affaires indiennes et du Nord de travailler en étroite collaboration avec les Premières nations pour élaborer ou appuyer d'autres mesures non législatives ou communautaires pour régler cette question très importante et très urgente.

Le sénateur Nancy Ruth : Tout cela me laisse perplexe. Je crois qu'il y a une part de vérité dans tout ce qui a été dit. Étant donné que cela fait 20 ans — comme vous l'avez dit, chef — que la Cour suprême a statué sur cette question, et comme les groupes de femmes et le comité sénatorial ont soulevé la question des BIM, si nous retirions le projet de loi S-4, comment pourrions-nous protéger les femmes vivant dans les réserves au cours des dix prochaines années, pendant que les bandes travaillent à l'élaboration de leurs propres politiques sur les BIM? Que feriez-vous — et je m'adresse à vous tous — pour assurer la protection des femmes? Qu'avez-vous fait au cours des 20 dernières années? Surtout, que feriez-vous maintenant si nous retirions le projet de loi?

Mme Walker-Pelletier : Comme l'a expliqué le chef, le projet de loi porte sur une question très complexe. Cette question ne touche pas uniquement les femmes; elle touche l'ensemble de la collectivité et la gouvernance des Premières nations. Elle se rapporte également à notre sécurité. Elle requiert une approche holistique. Les Premières nations du Canada ne sont pas toutes rendues au même point. Dans l'ouest, en Colombie-Britannique, en Alberta, en Saskatchewan et au Manitoba, il s'agit plutôt de réserves traditionnellement visées par des traités, tandis que, plus à l'est, certaines Premières nations sont visées par des traités, d'autres détiennent des droits ancestraux, et cetera. C'est un dossier très complexe.

En collaborant avec nos aînés et en faisant de la médiation auprès des membres, je suis en mesure de régler les différends qui surviennent dans la collectivité. Actuellement, je ne recours pas au système judiciaire pour résoudre les problèmes. Comme l'a mentionné le chef qui est intervenu avant moi, le gouvernement nous a demandé d'élaborer nos propres politiques. Par « droit inhérent », on entend les lois traditionnelles qui s'appliquent dans nos collectivités. Si le gouvernement reconnaissait cela, il contribuerait grandement à la création d'un cadre qui serait jugé acceptable par l'ensemble des Premières nations du pays.

Le sénateur Nancy Ruth : À quoi ressemblerait ce cadre?

Mme Walker-Pelletier : Le cadre pourrait être défini par chacune des collectivités. En Saskatchewan, les régions sont visées par des traités. Les Premières nations visées par le Traité no 4 établiraient peut-être leur propre code de citoyenneté, d'appartenance et de logement. Ma participation dans la région visée par ce traité serait de nouveau définie de façon à refléter mes besoins. Ma région est visée par le Traité no 4, et les dispositions des traités devraient s'inscrire dans ce cadre.

Le sénateur Nancy Ruth : L'une des choses qui me tracassent, c'est que vous avez fait une foule de déclarations sur les répercussions du projet de loi et sur le fait qu'il vous retire des droits inhérents et va à l'encontre de ceci et de cela. La liste est longue. Si, selon vous, le projet de loi n'est pas approprié, à quoi devrait-il ressembler? Je veux des exemples plus précis. À quoi devrait ressembler un projet de loi pour un Autochtone visé par le Traité no 4 si ce n'est pas au projet de loi S-4?

Mme Walker-Pelletier : Dès le départ, les 34 Premières nations visées par le Traité no 4 seraient consultées en bonne et due forme. Les aînés participeraient aux consultations. Le projet de loi ne serait pas imposé d'en haut. Il serait élaboré à l'échelon des collectivités pour que nous puissions définir nos besoins dans ce domaine. Nos aînés jouent un rôle essentiel dans la concrétisation de notre vision. Nous avons une vision.

Le sénateur Nancy Ruth : Accepteriez-vous de nous faire part de cette vision?

Mme Walker-Pelletier : Notre vision consiste à protéger nos droits autochtones tels qu'ils sont définis dans le Traité no 4.

Le sénateur Kochhar : J'aurais une autre question à vous poser. Tout ce que nous avons entendu aujourd'hui se rapporte aux droits. Ne doit-il pas y avoir des responsabilités rattachées à ces droits? Tout droit suppose des responsabilités. Pourriez-vous décrire les responsabilités que vous avez à l'égard de ces droits?

M. Augustine : D'abord, en notre qualité de chef de Premières nations, nous devons assumer la responsabilité de protéger nos droits pour qu'ils soient transmis aux prochaines générations.

Je comprends à quel point il peut être frustrant pour vous de poser une telle question et de ne pas obtenir une réponse claire. Comme nous l'avons souligné, il s'agit d'un dossier complexe. Une approche à l'emporte-pièce ne pourrait pas fonctionner. Ce qui fonctionnerait en Saskatchewan pourrait ne pas forcément être la solution à privilégier au Nouveau-Brunswick ou chez les Mohawks. Nos cultures diffèrent autant entre elles que l'anglais diffère du français. On l'oublie parfois au Canada, mais il y a des distinctions énormes entre nos cultures.

En ce qui concerne les biens matrimoniaux, dans ma collectivité, la pratique exige que l'homme quitte la maison. Le chef et les membres du conseil préfèrent ne pas se mêler des affaires des personnes qui vivent ce genre de situation. Il est mieux pour nous qu'ils règlent eux-mêmes leurs différends et trouvent une solution. Nous sommes à deux doigts d'obliger les chefs et le conseil à s'immiscer dans la chambre à coucher de nos concitoyens. Comme l'a déjà fait remarquer un célèbre politicien canadien : « Pourquoi irions-nous nous mêler de ce qui se passe dans les chambres à coucher des gens? »

Je comprends votre frustration. Toutefois, il faut se rappeler que, quoi que nous fassions, nous devons bien le faire. Les préoccupations que nous avons soulevées concernent l'atteinte aux droits conférés par les traités et aux droits individuels autochtones. Si compliqué et frustrant que soit le processus à privilégier, c'est la position que nous devons adopter.

Le sénateur Nancy Ruth : J'ai toujours fait valoir que les droits d'une personne s'arrêtent là où commencent ceux d'une autre personne. J'en connais très peu au sujet des affaires autochtones, et, de ce fait, j'interprète peut-être les choses de la mauvaise manière. Je considère le projet de loi S-4 comme un programme, une idée — appelez-le comme vous voulez — transitoire. Oui, le projet de loi impose des exigences. Je crois comprendre que c'est ce qui pose problème.

Toutefois, à la lecture du projet de loi, je constate qu'il n'entraîne pas toutes les répercussions que vous avez exposées. Il s'agit d'une mesure provisoire qui serait mise en place jusqu'à ce que les bandes soient en mesure d'adopter leurs propres mesures en ce qui concerne les coutumes, les idées, les traditions, le respect et l'appartenance à la collectivité.

Les centres d'excellence seront choisis conjointement. Ils ne seront pas imposés. La violence à l'endroit des femmes est un problème qui existe partout au Canada, mais le projet de loi traite de cette réalité dans les limites du territoire d'une bande. Pourquoi ne croyez-vous pas qu'il s'agit d'une atteinte justifiable à certains de vos droits dans le but de vous encourager à conférer des droits aux femmes, aux enfants et aux familles?

M. Paul : Je voudrais demander au sénateur ce qu'elle fait pour protéger les droits des femmes dans sa collectivité. Vous nous avez demandé ce que nous faisions pour protéger les droits des femmes dans nos collectivités. Que fait votre conseil municipal pour protéger les droits des femmes dans votre collectivité?

Le sénateur Nancy Ruth : Chef, c'est justement mon domaine d'activités.

La présidente : Pouvez-vous donner une réponse courte?

Le sénateur Nancy Ruth : Je travaille actuellement à faire en sorte que les femmes soient protégées par les articles 318 et 319 du Code criminel du Canada.

M. Paul : Le Code criminel l'emporte sur la Loi sur les Indiens. Il y a des détachements de la GRC dans les collectivités des Premières nations. S'il y a une situation de violence familiale, on appelle la GRC. Si, sur les lieux, personne ne répond à la porte, la porte est enfoncée. La GRC interroge les parties, prend une décision et emmène la partie responsable en prison. La personne accusée doit se présenter devant le tribunal de la famille, qui entend les témoignages et rend une décision. Le tribunal rend également une ordonnance. Par exemple, il peut ordonner à l'accusé de ne pas s'approcher de la résidence familiale pendant un certain temps.

Le Code criminel protège toute personne, quel que soit sa race, son sexe ou sa couleur. Si un membre de ma bande commet un meurtre, il se verra infliger la même peine que tout autre meurtrier au moment de sa condamnation. C'est la même chose pour chacun de nous; les Premières nations ne font pas exception.

Les femmes de ma collectivité des Premières nations sont protégées. Cela se résume à deux choses : les terres et la Constitution. Cette histoire aboutira devant les tribunaux. En 1984, j'ai dit à John Munro, alors ministre des Affaires indiennes, que le projet de loi C-31 était discriminatoire à l'encontre des femmes autochtones et que, tôt ou tard, on se retrouverait devant les tribunaux. Dans l'affaire McIvor, le tribunal a conclu que le projet de loi était inconstitutionnel.

Si on adopte le projet de loi S-4 dans sa forme actuelle, il sera contesté devant les tribunaux. J'en suis persuadé.

Mme Gabriel : Il est important de souligner que nous ne vous demandons pas de faire une croix sur le projet de loi portant sur les biens immobiliers matrimoniaux. Nous vous demandons simplement de l'amender. Femmes autochtones du Québec a rédigé un mémoire en 2004. Nous avons été l'un des premiers organismes à soulever cette question et à consulter nos membres.

Il faut se rappeler qu'on ne peut aborder la question des biens immobiliers matrimoniaux de façon isolée, il y a de nombreux aspects connexes. Comment les bandes peuvent-elles établir un code des biens immobiliers matrimoniaux si elles ont une assise territoriale limitée, n'ont aucun accès à de nouvelles terres ou à des ressources et négocient une entente sur les revendications territoriales? Les critères relatifs aux revendications territoriales sont déjà en eux-mêmes presque impossibles à satisfaire et exigent l'extinction des titres fonciers. Il est impossible de discuter uniquement des BIM, vu l'ensemble des aspects qui se rattachent à cette question.

J'ai un problème avec le fait que nombre de femmes pourraient être visées par le paragraphe 6(2), et beaucoup de choses dépendent de la volonté du gouvernement de faire des amendements pour corriger les rafistolages déplorables qu'a subis le projet de loi C-3 pour que les droits des femmes soient protégés. Le projet de loi C-3 ne s'attaque pas au problème de la discrimination entre les sexes, alors, même s'il était adopté, ce problème persisterait. Nous devons aborder ces questions de façon holistique.

Le sénateur Jaffer : En 2003, le comité a examiné les droits relatifs aux biens immobiliers matrimoniaux et a publié un rapport. Le comité a recensé les lacunes. Nous devons tous composer avec les difficultés liées au projet de loi S-4.

Toutefois, si le projet de loi n'est pas adopté, que ferons-nous? Nous laisserons encore un vide. J'ai vraiment beaucoup de mal à accepter cela. Nous laissons un vide, et ensuite? Quelles sont les échéances? Qu'arrivera-t-il? C'est le problème auquel nous faisons face.

Y a-t-il un processus en place? Que se passera-t-il? La chef Walker-Pelletier a dit qu'il y avait des mesures en place. Je sais que le processus de consultation n'a pas été très efficace. Je le sais. Je sais également que le projet de loi soulève beaucoup de préoccupations, mais la chose qui me préoccupe, c'est ce que nous allons faire après, si le projet de loi n'est pas adopté.

M. Augustine : Depuis combien de temps n'existe-t-il aucune loi dans ce domaine?

Le sénateur Jaffer : Depuis longtemps.

M. Augustine : Depuis longtemps, en effet. Si nous adoptons le projet de loi dans sa forme actuelle, je crois — d'après les commentaires qu'ont formulés les témoins — vous savez qu'il sera contesté devant les tribunaux. Alors, nous aurons fait tout cela pour rien et nous devrons retourner faire nos devoirs.

Je propose simplement que nous appuyions sur « pause » et que nous envisagions certains amendements. Faisons participer davantage les Premières nations plutôt que de rédiger quelque chose et de dire : « Hé, regardez ce que nous avons fait et dites-nous ce que vous en pensez. » Si vous consultez les Premières nations dès le début, nous réussirons du premier coup.

Le sénateur Jaffer : Pourriez-vous décrire en quoi consisterait le processus? Tout le monde parle « d'amendements ». Je ne crois pas que quiconque envisage d'amender le projet de loi. J'ai peut-être tort. Si le projet de loi n'était pas adopté, quel processus recommanderiez-vous?

M. Augustine : Je recommanderais au gouvernement de prendre du recul et de fournir des ressources aux collectivités des Premières nations pour qu'elles puissent elles-mêmes travailler à renforcer leurs capacités et prendre part à ce processus avec le gouvernement fédéral.

Le sénateur Mitchell : Nous sommes tous aux prises avec le même problème, mais je ne suis pas très à l'aise avec l'idée d'imposer une solution, d'obliger une culture à adopter le modèle d'une autre culture. Je comprends ce que vous essayez de dire et je comprends vos frustrations. Dans de tels moments, force m'est de constater que vous voyez des choses que nous ne voyons tout simplement pas, alors j'accepte que cela soit comme ça.

Pourriez-vous nous donner des exemples de Premières nations qui ont mis en place des mesures efficaces en ce qui a trait à la gestion des BIM, des exemples qui nous montreraient qu'on peut régler la situation sans adopter ce projet de loi, que c'est faisable?

Chef Day Walker-Pelletier, je crois que vous avez mentionné que votre Première nation avait fait des progrès à cet égard. Pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet?

Mme Day Walker-Pelletier : Encore une fois, je dois insister sur le fait qu'il s'agit d'un dossier très complexe. Lorsqu'on parle des BIM, on doit également parler du logement et des terres; c'est une question qui regroupe beaucoup d'aspects. Dans nos collectivités, nous faisons de notre mieux malgré le manque de ressources. Nous pourrions probablement en faire plus si nous disposions d'un financement adéquat.

Je vais vous donner un exemple de Première nation qui est en train d'adopter des règlements et des lois régissant les élections. C'est le fruit de nombreuses années de travail. Parmi les 11 Premières nations que regroupe notre conseil tribal, seulement trois tiennent encore leurs élections selon le régime prévu dans la Loi sur les Indiens. Ce régime électoral est utilisé depuis de nombreuses années, alors il nous faut de nombreuses années pour arriver aux résultats que nous voulons obtenir grâce à notre propre processus, car cela requiert beaucoup de consultations et de compréhension.

J'aimerais revenir à nos aînés. Nos aînés jouent un rôle essentiel dans l'élaboration de la vision que nous souhaitons concrétiser. C'est en concevant les différents programmes en collaboration avec les membres de nos collectivités que nous pouvons aborder la question des BIM dans une perspective davantage axée sur la famille, mais rien n'est coulé dans le béton. Nous recourons simplement à la compréhension, à l'évaluation et à la médiation pour être en mesure de régler les problèmes liés aux BIM.

Le sénateur Mitchell : D'accord.

Mme Day Walker-Pelletier : Pour intégrer toutes ces règles dans un code, nous aurons besoin de ressources. Les services d'avocats coûtent très cher. Nous avons besoin de leurs conseils, car nos aînés n'abordent pas ce dossier sous un angle juridique. Il est souvent très difficile de concilier nos croyances et nos enseignements traditionnels et la perspective juridique. Je comprends le point de vue du gouvernement fédéral : nous devons protéger les femmes et les enfants, et c'est ce que nous voulons faire dans nos collectivités, mais il nous faut des ressources.

Le sénateur Mitchell : Je comprends cela également, et rien ne garantit qu'une loi sur les biens matrimoniaux permettrait réellement de protéger les femmes et les enfants contre la violence. Certes, dans le reste du Canada, il existe beaucoup de lois sur les biens matrimoniaux, et on recense tout de même de nombreux cas de violence à l'endroit des femmes et des enfants.

L'un des plus gros problèmes, par exemple, c'est qu'il n'y a pas suffisamment de refuges pour accueillir les femmes et les enfants victimes de violence familiale. Ces victimes n'ont nulle part où aller, et elles ne peuvent rester chez elles. Il n'y a pas assez de refuges au Canada, et c'est encore pire dans les réserves des Premières nations.

Ma question se rapporte à ce que vous avez mentionné au sujet des ressources. Le gouvernement mise beaucoup sur l'idée d'un centre d'excellence, concept nébuleux s'il en est. A-t-il consulté des groupes autochtones en particulier pour discuter de la structure possible de ce centre d'excellence, des personnes qui y seraient affectées et de votre participation éventuelle à ce processus?

Mme Day Walker-Pelletier : Non.

Le sénateur Mitchell : Donc, le projet de loi pourrait être adopté la semaine prochaine, et, à votre connaissance, le gouvernement n'a pas encore réfléchi à cet aspect.

Mme Day Walker-Pelletier : C'est exact.

Le sénateur Mitchell : Alors, il le mettrait sur pied et imposerait probablement un modèle de centre aussi.

Mme Day Walker-Pelletier : Oui.

Le sénateur Mitchell : De plus, vous avez soulevé un point très intéressant — et il y en a eu beaucoup d'autres qui l'étaient tout autant — selon lequel personne ne semble avoir fait une estimation quelconque de ce qu'il en coûterait de mettre en œuvre les politiques relatives aux BIM dans chacune des Premières nations. C'est un aspect éloquent. Je présume que personne n'a fait une telle estimation, et le gouvernement n'a prévu aucune ressource, à l'exception du centre d'excellence, duquel nous ne savons rien. On ne vous a fourni aucun moyen d'évaluer les ressources qui seraient requises?

Mme Day Walker-Pelletier : Non.

Le sénateur Mitchell : Et les services d'avocats sont coûteux.

La présidente : C'est là l'objet de votre question, et la réponse est « non ». Est-ce exact?

Mme Day Walker-Pelletier : Personne ne nous a consultés à ce sujet.

Le sénateur Dyck : J'aimerais remercier les témoins d'avoir fait ressortir ces points intéressants aujourd'hui. En ce qui a trait à la rupture d'une relation conjugale, il y a deux scénarios très différents. D'abord, il y a la question de la violence conjugale et de la violence familiale. Je crois que c'est la question qui sous-tend le projet de loi S-4, car nous nous préoccupons des femmes et des enfants victimes de violence et nous voulons les protéger. Ensuite, il y a la rupture d'une relation conjugale motivée par une raison autre que la violence conjugale. Dans un tel cas, la question des biens matrimoniaux pourrait être plus importante, ou peut-être pas.

Tout le monde ici craint de laisser un vide juridique. Je crois qu'il y a des choses qui se passent, d'après ce que vous avez dit aujourd'hui.

Par exemple, chef Day Walker-Pelletier, vous disiez que nombre des Premières nations en Saskatchewan essaient de résoudre ce genre de situations, et je crois que c'était là l'objet de la question posée par le sénateur Nancy Ruth.

Si, dans l'une des réserves visées par le Traité no 4, un cas de violence conjugale était porté à l'attention de la collectivité ou du chef et du conseil, comment ce problème serait-il réglé? Recourrait-on à la médiation? Utiliserait-on des modes de règlement extrajudiciaire des différends? Dans un cas semblable, que ferait-on pour protéger la femme, si c'est le conjoint qui est violent? Supposons qu'il y ait des enfants et que tous vivent sous le même toit. Que ferait-on pour résoudre la situation? Quelle serait selon vous la solution idéale dans un cas semblable?

Mme Day Walker-Pelletier : S'il y avait un cas de violence conjugale dans la collectivité, on expulserait le conjoint. Nous avons nos propres services de police dans les quatre réserves. La conjointe et les enfants resteraient, car, généralement, les enfants fréquentent l'école. Après son départ, le conjoint ferait face à des accusations. Dans ma collectivité, nous avons mis en place une équipe du mieux-être — non financée — qui s'occupe des familles. Cette équipe est composée d'un personnel dûment formé qui travaille auprès des femmes, des enfants, des hommes, des jeunes adultes et des jeunes.

Une famille est une unité, et nous ne voulons pas semer la division. Les enfants veulent être avec leurs parents. Lorsque le conjoint revient dans la collectivité, nous entreprenons une médiation, et l'équipe du mieux-être établit des plans.

Si le problème persiste, nous demandons au conjoint de partir.

M. Augustine : Dans ma collectivité, les services à l'enfance et à la famille collaborent de près avec la province. Ma collectivité compte un détachement de la GRC et un service de police des Premières nations. Dans le cas des disputes conjugales, la pratique traditionnelle en place depuis toujours dans ma collectivité veut que l'homme quitte la maison. Cette pratique est bien acceptée dans ma collectivité. Les hommes coupables de violence conjugale sont censés savoir qu'ils doivent partir, mais, s'ils ne le font pas, on les oblige à quitter la maison.

Mme Gabriel : Vous avez de très bonnes collectivités. Elles sont peut-être l'exception. Des femmes ont été chassées de leur maison parce que leur bande applique la Loi sur les Indiens. Voilà pourquoi j'ai des réserves sur le fait que les bandes puissent élaborer leurs propres lois en matière de biens immobiliers matrimoniaux. À cet égard, des groupes de femmes autochtones tentent de faire valoir le fait que le statut d'Indien ne confère pas nécessairement le droit de vivre dans la collectivité. Nombre de femmes ont recouvré le statut d'Indien depuis l'entrée en vigueur du projet de loi C-31, mais elles ne peuvent pourtant pas vivre dans leur collectivité ni posséder une maison.

Nous ne pouvons pas faire comme si la question des BIM existait en vase clos. Certaines collectivités n'ont pas de bonnes politiques à ce sujet, et lorsqu'un mariage prend fin, la famille peut mettre la femme dehors.

Il existe bien des situations uniques, et nous devons les envisager. Il faudrait considérer que c'est un droit de la personne, car les femmes n'ont aucun droit en vertu de la Loi sur les Indiens. C'est une politique et un programme paternalistes qui ont pour but de nous contrôler. Nous devons envisager la question d'un point de vue plus holistique et sous l'angle des droits de la personne de façon à protéger les femmes et leurs enfants. Nous devons discuter davantage de cette question.

Il y a eu des consultations pendant deux mois. Quand on veut adopter une loi, au Canada, sur d'autres sujets que des questions autochtones, les consultations auprès des Canadiens ne durent-elles pas plus de deux mois? Cela fait au moins quatre fois que je me présente pour parler de cette question, et nous n'avons pas avancé d'un pouce, car le gouvernement refuse de nous écouter, refuse d'envisager la question de manière holistique en tenant compte de tous les enjeux connexes. Vous ne pouvez pas tout simplement appliquer ce qui se passe dans le reste du Canada aux réserves.

Au Québec, nous avons le Code civil. Des intervenants du ministère de la Justice du Québec ont communiqué avec nous pour dire qu'ils se préoccupaient de ce projet de loi. Il n'y a pas d'harmonie entre les lois fédérales et le Code civil du Québec, et pourtant il n'a pas été question de cela. Pendant combien de temps devrons-nous demander à l'État de s'acquitter de son devoir et d'entamer des discussions sérieuses avec les peuples autochtones et de répondre à nos préoccupations, comme l'exigent de nombreuses décisions de la Cour suprême du Canada?

Le sénateur Dyck : Dans vos collectivités respectives, combien sont propriétaires de leur résidence? S'agit-il plutôt de logements sociaux?

Mme Day Walker-Pelletier : Il s'agit toujours de logements sociaux.

Mme Gabriel : Nous avons des titres de propriété.

Le sénateur Brazeau : Merci pour l'exposé que vous avez présenté cet après-midi.

J'ai beaucoup entendu parler de l'absence de consultations au sujet de ce projet de loi. Ce projet de loi vise à protéger en particulier les droits des femmes autochtones. L'Association des femmes autochtones du Canada a reçu cinq millions de dollars, financement échelonné entre 2005-2010, pour sa campagne Sœurs d'esprit, et on vient d'annoncer un autre financement de 10 millions de dollars sur deux ans pour lutter contre la disparition et le meurtre des femmes autochtones. Si l'on prend toutes ces questions ensemble, ce projet de loi concerne la protection des droits des familles, mais en particulier des femmes et des enfants autochtones lors de la dissolution d'un mariage.

Nous avons aussi entendu dire que ce projet de loi pouvait aller à l'encontre des droits conférés aux Autochtones par les traités. Les femmes autochtones sont touchées par ce vide juridique. On les met à la porte de leur maison, avec leurs enfants, et elles n'ont nulle part où aller. Elles doivent souvent quitter la réserve parce qu'il n'y a pas assez de logements. Comment expliquez-vous à ces femmes autochtones qu'à votre avis, on ne devrait pas adopter le projet de loi tel que proposé et qu'il faudrait plutôt revenir en arrière pour le refaire correctement?

L'Assemblée des Premières Nations et l'Association des femmes autochtones du Canada ont chacune reçu 2,7 millions de dollars pour mener des consultations. Je ne comprends pas pourquoi on dit qu'il n'y a pas eu de consultations. Si c'est le cas, à quoi a servi cet argent?

M. Augustine : Êtes-vous en train de dire que l'APN a reçu 2,7 millions de dollars pour nous consulter ou qu'elle a reçu cet argent pour consulter les intervenants du gouvernement fédéral?

Le sénateur Brazeau : L'APN et des chefs comme vous ont répété encore et encore que vous êtes les mieux placés pour consulter les gens à la base. Le financement était précisément destiné aux consultations de vos membres, j'imagine, au premier niveau, et de la collectivité, par la suite.

M. Augustine : Les fonds que l'on verse à l'APN sont destinés à ses activités; ils n'ont pas pour but de m'aider, moi ou les Premières nations du Nouveau-Brunswick, à mobiliser notre peuple.

Le sénateur Brazeau : Donc, l'APN ne vous aurait pas consultés au sujet de ce projet de loi?

M. Augustine : J'ignore ce que l'APN a fait avec les sommes particulières dont vous parlez. Elle a probablement abordé cette question dans le cadre de ses assemblées générales ou des comités des chefs. Ce serait aux intervenants de l'APN de répondre à cette question.

Je ne peux vous parler que de mon expérience auprès de ma collectivité. L'argent qui est versé à l'APN ne sert pas nécessairement à l'organisation de consultations pertinentes auprès des membres de ma collectivité.

Le sénateur Andreychuk : Êtes-vous en train de dire que l'APN ne vous a jamais consulté, à titre de chef, à propos de cette question?

M. Augustine : Non, mais je ne dis pas non plus qu'elle n'a pas...

Le sénateur Andreychuk : Je ne parle pas de quelqu'un d'autre. J'aimerais savoir ce qu'il en est dans votre cas.

M. Augustine : Je veux parler du processus lié aux réunions nationales, mais ce ne sont pas tous les chefs qui assistent aux réunions nationales de l'APN.

Le sénateur Andreychuk : Je comprends. J'aimerais savoir si l'APN vous a déjà parlé de cette question d'une manière ou d'une autre.

M. Augustine : Je ne dis pas que personne n'a jamais essayé, mais, pour ma part, je ne me souviens pas d'avoir reçu une communication. J'ai de nombreux exemples.

Mme Gabriel : J'aimerais apporter une clarification. Je crois que l'argent a été transféré à l'Association des femmes autochtones du Canada en octobre. On nous a accordé un mois, je crois, pour organiser ce qu'il convient d'appeler des consultations.

J'ai aussi assisté à une réunion de l'Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador, au cours de laquelle il a été question des biens immobiliers matrimoniaux. J'ai entendu des chefs dire que les organisations autochtones n'avaient aucunement l'obligation juridique d'agir à titre de consultants pour le gouvernement fédéral.

L'Association des femmes autochtones du Canada a ses propres sources de financement. L'organisme Femmes autochtones du Québec est très indépendant de l'Association des femmes autochtones du Canada. C'est malheureux que nous ayons à parler d'argent. Je vais répéter ce que j'ai déjà déclaré. Ces consultations sur une question très grave qui concerne la loi ont duré peut-être deux mois, alors qu'en général, au Canada, elles durent au moins un an. Le gouvernement fédéral a imposé un délai vraiment très serré sur cette question particulière. Et malgré tout cela, après les deux mois et demi qu'on nous a accordés, aucune recommandation ne tient compte des préoccupations des organisations de femmes autochtones.

Le sénateur Brazeau : Il y a plusieurs semaines, une femme autochtone s'est présentée dans mon bureau et m'a raconté qu'un soir, alors qu'elle revenait chez elle, elle a constaté que son époux avait changé les serrures sur les portes. Elle ne pouvait plus entrer. Elle avait été mise à la porte, et ses enfants avaient été jetés à la rue.

Quand j'entends dire que ce projet de loi pourrait aller à l'encontre des droits des Autochtones et des droits issus de traités ou contre les droits inhérents à un gouvernement autonome, je ne peux m'empêcher de penser que les femmes autochtones et leurs enfants, en particulier, devraient pouvoir se prévaloir des droits ancestraux et des droits issus de traités afin de se protéger en cas de dissolution du mariage. N'êtes-vous pas d'accord?

M. Augustine : Évidemment. Ne perdons pas de vue ce qui est important, ici, c'est-à-dire les droits des femmes et des enfants. Cependant, nous commentons également les droits des Autochtones, parce qu'il faut également en parler. Nous ne brandissons pas les droits des Autochtones en disant que nous ne sommes pas préoccupés par le bien-être des femmes et des enfants. C'est ridicule. Nous nous en préoccupons, bien sûr, et notre collectivité a mis en œuvre des processus pour y voir.

Ce n'est pas parce que nous abordons la question des droits des Autochtones dans ce projet de loi que nous ne devrions pas nous occuper des autres enjeux. Vous me donnez l'impression de penser que, si je parle de protéger nos droits en tant qu'Autochtones, c'est que nous ne nous préoccupons pas de nos femmes et de nos enfants. Ce n'est pas le cas.

Le sénateur Brazeau : Dans le cas d'un couple autochtone qui ne vit pas dans une réserve, les conjoints peuvent évidemment se prévaloir des lois provinciales qui s'appliquent au moment de la dissolution de leur mariage.

M. Augustine : Oui.

Le sénateur Brazeau : Si l'on adoptait ce projet de loi fédéral, ce serait une mesure temporaire, qui protégerait les membres des Premières nations jusqu'à ce qu'ils aient élaboré leurs propres lois en fonction de leurs besoins, traditions, coutumes, et ainsi de suite. C'est pour le moment une mesure de protection. Cependant, si nous revenons en arrière, combien de temps faudra-t-il attendre avant qu'un autre projet de loi qui satisfasse les chefs et les autres dirigeants soit déposé? Devrons-nous attendre 10 ans avant de régler le problème? J'ai entendu le chef Paul dire que si ce projet de loi était adopté, il serait contesté devant les tribunaux. J'aimerais savoir qui paiera la facture s'il y a contestation devant les tribunaux. Ne croyez-vous pas que l'on pourrait mieux utiliser ce financement pour élaborer des lois aujourd'hui plutôt que de contester ce projet de loi-ci?

La présidente : Est-ce que quelqu'un veut répondre brièvement à cette question?

Mme Gabriel : Je vais le répéter, oui, je suis d'accord, nous ne demandons pas d'éliminer le projet de loi. Nous demandons qu'on le modifie afin de répondre à des questions qui nous préoccupent depuis de nombreuses années. Les Premières nations ne pourront avoir leur propre code relatif aux biens immobiliers matrimoniaux que s'ils entament des négociations territoriales, et il faudrait pour cela abolir les titres de propriété.

Le sénateur Brazeau : Non, cela est faux.

Mme Gabriel : Il faut que les collectivités des Premières nations entament des négociations territoriales. C'est ce qui a été expliqué. Elles doivent entamer des négociations territoriales ou adopter une loi sur le gouvernement du territoire, peu importe. Ce document doit néanmoins être ratifié par le gouvernement fédéral, et il ne respecte pas notre droit coutumier.

Tout ce que nous demandons, c'est de pouvoir discuter. On pourra peaufiner les détails dans le cadre d'un vrai dialogue et tenir compte des besoins des peuples autochtones, et la Cour suprême du Canada a déclaré que cela était prévu par la Loi constitutionnelle du Canada.

La présidente : Merci, madame Gabriel. Nous avons dépassé le temps imparti. J'aimerais conclure la séance cet après-midi, mais j'aimerais que l'on réponde à une question.

Elle concerne la neuvième préoccupation et un aspect très important de la présente discussion. Nous avons entendu le représentant de l'Association du Barreau du Canada dire que les ordonnances d'occupation exclusive pouvaient faire en sorte qu'un conjoint, qui ne fait pas partie de la bande ou qui n'est pas indien, puisse occuper la résidence familiale pendant une durée non précisée. L'Association du Barreau a recommandé que les juges soient tenus de prendre en considération le principe du critère de l'atteinte minimale et de limiter la durée de cette ordonnance d'occupation exclusive. Est-ce que cette disposition répondrait à votre neuvième préoccupation?

M. Augustine : Je m'excuse, je n'ai pas bien compris.

La présidente : Est-ce que la recommandation de l'Association du Barreau, selon qui on devrait dire aux juges de respecter le critère de l'atteinte minimale, c'est-à-dire de le supprimer, peut-être pendant la durée de l'ordonnance d'occupation, serait utile d'une façon quelconque dans le cadre de ce problème?

M. Augustine : J'imagine que ce serait utile.

La présidente : Merci, madame Gabriel, chef Augustine et chef Day Walker-Pelletier, d'être venus ici aujourd'hui.

Nous allons maintenant laisser la parole à Pamela D. Palmater, présidente du Centre pour l'étude de la gouvernance autochtone, Département de l'administration politique et publique, à l'Université Ryerson. Ensuite, nous entendrons le chef Shining Turtle et Mme Meawasige.

Pamela D. Palmater, présidente, Centre pour l'étude de la gouvernance autochtone, Département de l'administration politique et publique, Université Ryerson, à titre personnel : Merci de m'avoir invitée. Je suis heureuse d'avoir l'occasion de me présenter ici. Il y a quelques semaines, je présentais devant la Chambre un exposé sur le projet de loi C-3, et je trouve qu'il y a beaucoup de points communs entre ces deux projets de loi.

Je suis une Micmaque et je viens du territoire micmac du Nouveau-Brunswick. Je suis actuellement présidente du Centre pour l'étude de la gouvernance autochtone. C'est un nouveau centre de l'Université Ryerson. Nous avons été débordés par les demandes des organismes des Premières nations et des organismes autochtones qui voulaient qu'on les aide dans le dossier de cette loi. Le gouvernement fédéral tente d'accélérer l'étude des projets de loi par le Sénat et la Chambre, et il y a à l'heure actuelle cinq lois à l'étude, en plus de toutes les autres lois provinciales. Ces organisations n'ont pas de ressources pour s'en occuper. Elles n'ont pas les capacités nécessaires. Elles ont besoin d'experts. Elles ont besoin de savoir quelles seront les répercussions de ces lois sur leurs collectivités avant de venir à la table et de pouvoir dire : « Voici ce que nous voulons, et voici ce que nous ne voulons pas. »

En plus de ça, nous recevons des tonnes de demandes d'aide pour l'élaboration de codes de membre, de codes de BIM, et une foule d'autres questions. Leur préoccupation, évidemment, c'est le manque de financement. Ces organismes sont prêts et veulent faire quelque chose, mais ils n'ont pas d'argent.

Comme nous n'avons pas beaucoup de temps, je vais laisser tomber ma déclaration préliminaire et aller directement à mes recommandations.

En premier lieu, il faudrait retirer le projet de loi S-4 jusqu'à ce que des consultations appropriées aient eu lieu. Je ne dis pas qu'il faut abandonner tout à fait ce projet de loi. Certaines personnes ont dit qu'il y avait eu des consultations générales à propos des BIM entre les représentants du ministre, de l'APN et de l'Association des femmes autochtones du Canada; cependant, ces consultations ne portaient pas précisément sur le projet de loi S-4, et les Premières nations n'y ont pas participé. C'est une distinction très importante qu'il ne faut pas perdre de vue. Se dépêcher de faire adopter ce projet de loi par le Parlement et aboutir avec un projet de loi illégal, ce n'est pas une façon de combler le vide. Vous avez besoin d'un projet de loi qui sera défendable sur le plan juridique et qui offre des recours concrets aux femmes, aux hommes et aux enfants autochtones.

Si vous me permettez une comparaison rapide, j'ai rédigé une thèse de 700 pages sur les dispositions de la Loi sur les Indiens qui concernent leur inscription, et il m'a fallu des mois pour comprendre les répercussions du projet de loi C-3 et tout ce qu'il supposait. La plupart des personnes ici présentes ne pourraient probablement pas expliquer les répercussions du projet de loi C-3. Il ne fait que huit pages. Il ne contient que 10 amendements qui ont trait à un article fondamental de la Loi sur les Indiens. Par comparaison, le projet de loi S-4 compte 45 pages et 60 articles. Si le gouvernement fédéral n'a pas consulté ni renseigné chacune des Premières nations, comment peut-on espérer que les Premières nations sachent quelles seront les répercussions de ce projet de loi dans leur collectivité respective? Nous pouvons bien parler de principes, mais ce qui se passe en réalité sur le terrain, c'est tout à fait différent.

Si le projet de loi n'est pas retiré afin que l'on puisse tenir des consultations, j'aurais plusieurs recommandations à soumettre. En premier lieu, il faut inclure dans le préambule du projet de loi un article qui indique en toutes lettres que les Premières nations sont responsables des droits immobiliers et des droits civils de leur collectivité, conformément à l'article 35 de la Loi constitutionnelle. C'est essentiel, et il ne faut pas jouer avec les mots, mais il faut reconnaître cette responsabilité en toutes lettres.

Troisièmement, il faut également inscrire dans le préambule une mention spécifique disant que les terres des réserves sont inaliénables, qu'elles sont protégées et réservées au profit exclusif des Indiens et des bandes indiennes. Le ministre s'est présenté devant le comité, la semaine dernière, et a déclaré que le projet de loi S-4 n'avait clairement aucune incidence sur les titres de propriété ou sur le statut des terres des réserves. Par contre, il a également admis que certaines dispositions auraient une incidence sur la protection de ces terres. Malgré ces assurances contradictoires au sujet de la protection des terres des réserves, le projet de loi S-4, comme l'ont souligné l'Association du Barreau du Canada et plusieurs autres intervenants, créera, au regard du territoire, de nouvelles parties intéressées et, pour la première fois depuis l'adoption de la Loi sur les Indiens, il sera question du bénéfice de personnes qui ne sont pas indiennes.

Quatrièmement, il faudrait ajouter une disposition « il est entendu que » pour préciser que les Premières nations ont le pouvoir d'adopter des lois sur les BIM. Tout le monde le demande : « Pourquoi est-ce que les Premières nations ne se dépêchent pas de venir au ministère pour demander à pouvoir rédiger leurs propres codes en matière de BIM? » Laissons de côté la question de la capacité; le ministre est venu témoigner ici et il a dit qu'il ne pouvait pas reconnaître ces codes. On ne peut pas avoir le beurre et l'argent du beurre. On ne peut pas dire d'une part, pourquoi n'avez-vous pas fait cela et, d'autre part, nous ne reconnaîtrons pas vos lois. Il faut trouver un meilleur équilibre entre la façon dont cela se déroule du côté des politiques et de la pratique et ce que nous défendons sur le plan juridique.

Cinquièmement, en ce qui concerne les lois adoptées par les Premières nations, il faudrait intégrer une disposition particulière qui prévoit que, en cas de conflit, les lois des Premières nations auront préséance.

Sixièmement, il faudrait supprimer en entier les articles qui traitent des référendums obligatoires ou des processus de ratification et les remplacer par un article qui permet aux Premières nations non seulement de rédiger elles-mêmes leurs propres lois, mais aussi de choisir leurs propres mécanismes communautaires de règlement des différends. De manière assez générale, et je crois que c'est ce que les témoins ont dans la plupart des cas indiqué, les questions relatives aux biens matrimoniaux sont réglées de façon plutôt informelle. Dans ma région, les collectivités suivent des codes tacites, selon lesquels, soit l'homme quitte la maison, soit la personne qui a la garde des enfants garde la maison, mais il existe déjà des processus. Ils ne se retrouvent peut-être pas dans le projet de loi S-4, mais il existe des processus. Nous devons trouver des façons d'aider les Premières nations, de les aider à passer des processus traditionnels, coutumiers et informels qui ont toujours été les leurs à des processus plus officiels de façon à donner à tout le monde un certain degré de certitude qui rassurera tout le monde.

Septièmement, il faut prévoir une clause non dérogatoire. Cela va sans dire; cela va de soi. Il existe une disposition semblable dans l'article 25 de la Loi sur les Indiens et dans la Loi canadienne sur les droits de la personne. Nos droits sont protégés par l'article 35 de la Loi constitutionnelle. Une clause non dérogatoire est donc assez normale.

Huitièmement, il faut que toutes les Premières nations qui ont déjà élaboré leurs propres codes en matière de BIM soient exemptées nommément et entièrement de l'application du projet de loi S-4. Six nations ont témoigné devant votre comité la semaine dernière. Elles avaient déjà adopté un code et elles étaient prêtes à le mettre en œuvre. Dans leur cas, le projet de loi S-4 ne s'applique pas sur leur territoire. Elles ont fait ce que vous leur avez demandé; elles peuvent continuer. Laissez-les poursuivre leur chemin en les exemptant complètement de l'application du projet de loi S-4 sans y mettre une condition, c'est-à-dire que leurs mesures ressemblent au projet de loi S-4 ou répondent aux attentes de ce projet de loi.

Le point neuf ressemblerait à l'abrogation de l'article 67 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Je ne pense pas que quiconque ici présent aujourd'hui affirmerait que les droits prévus par cette Loi ne sont pas essentiels et fondamentaux et ne devraient pas être respectés régulièrement tous les jours. Il est tout autant urgent que les Premières nations puissent disposer de ce type de droits que de régler la question des BMI, par exemple.

Cependant, il y a une différence puisque la Loi canadienne sur les droits de la personne accordait aux bandes une période de transition de trois ans. On pourrait peut-être trouver une solution mitoyenne entre, d'un côté, le vide dont on a parlé et, de l'autre côté, le fait d'avoir à attendre 20 ans que les lois soient rédigées; on pourrait en l'espèce prévoir une période de transition de trois années. Ainsi, les Premières nations pourraient faire ce que vous leur demandez de faire tout en leur disant qu'elles ne peuvent pas le faire. On pourrait pendant cette période élaborer les lois.

Il a fallu au Canada plus de 100 ans pour accepter de discuter des BIM. Pour les Premières nations, avoir à attendre trois ans de plus ne semble pas énorme puisqu'il s'agit de respecter leur responsabilité dans ce domaine. Ce serait une façon de combler le vide.

Dixièmement, il faudrait supprimer en entier tout article du projet de loi S-4 qui crée chez les non-Indiens de nouveaux intérêts dans les terres. Selon la loi actuelle, la possession temporaire d'une terre de réserve est permise dans les cas d'urgence pour une période de 90 à 180 jours; cela est complètement différent de la création, à l'intention de non-Indiens, d'intérêts dans des terres de réserve pour des périodes de dix ans ou de 18 ans ou à vie.

Il ne faudrait pas prendre à la légère les droits collectifs des Premières nations relativement à leurs terres. Il ne s'agit pas d'opposer des femmes à des hommes ou des enfants à leur collectivité. Les terres des réserves sont protégées par la Loi sur les Indiens, l'article 35 de la Loi constitutionnelle et de nombreux traités. La Cour suprême du Canada l'a répété dans plusieurs décisions (Sparrow, Haida, Taku, Delgamuukw et Mikisew Cree), le Canada a des responsabilités de fiduciaire par rapport au territoire. Il ne peut pas agir unilatéralement quand il s'agit de terres appartenant aux Indiens.

Je crois que le Canada n'a pas l'autorité requise pour changer de manière unilatérale, contre la volonté des Premières nations, la caractéristique essentielle des terres des réserves qui fait en sorte qu'elles sont inaliénables, sauf pour l'État, et pour leur propre avantage.

Onzièmement, il faudrait supprimer en entier tout article du projet de loi S-4 qui mentionne une vérification par le Canada. Le dossier du Canada au chapitre des droits de la personne est douteux, au mieux, et honteux, au pire, quand il est question des Autochtones. Qu'est-ce qui donne au Canada le droit ou la supériorité morale de dire : nous devons superviser ce que vous faites de façon à nous assurer que les droits des femmes autochtones sont protégés? Il me suffit de rappeler aux sénateurs les décisions Lavell, Lovelace, Corbiere et McIvor ou la plainte pour discrimination liée aux Services pour les familles et enfants autochtones pour illustrer le mauvais dossier du Canada à cet égard. Pourquoi imposons-nous deux poids et deux mesures? La représentante ministérielle du Canada l'a indiqué elle-même, dans son rapport : les Premières nations ne sont pas plus susceptibles de violer les droits de leurs citoyens que ne l'est le Canada. Et dans ce cas, le recours à un processus de vérification est pire qu'une insulte.

Douzièmement, nous avons besoin d'une disposition « il est entendu que » de façon à mettre en relief le fait qu'aucune disposition du projet de loi S-4 ne peut annuler ou modifier d'aucune façon les dispositions prévues à l'article 89 de la Loi sur les Indiens en raison du statut juridique unique et particulier des terres des réserves.

Aucune analyse ne nous a été présentée en ce qui concerne les interactions entre l'article 35 et les divers articles de la Loi sur les Indiens qui concernent les terres et les traités. À mon avis, l'interaction de ces dispositions et du projet de loi S-4 porte le coup fatal à ce projet de loi. Personne ne peut dire quelles seront à l'avenir les répercussions de ces mesures sur les terres et sur les droits des Autochtones issus de traités. Nous ne nous attachons qu'à l'aspect des biens immobiliers matrimoniaux.

Une différence fondamentale est en jeu, celle du regard sur le monde. Le principe qui sous-tend le projet de loi S-4 est la protection des femmes autochtones. Les Autochtones tiennent compte de la collectivité dans son ensemble. Nous parlons d'un projet de loi qui protégerait les droits des personnes. Les Autochtones parlent de protéger les droits communaux, qui sont ceux des personnes. Ce n'est pas tout noir ou tout blanc. La représentante ministérielle a précisé que c'était une fausse dichotomie que l'État n'arrêtait pas de mettre de l'avant afin de faire valoir les droits de la personne plutôt que les droits collectifs.

Treizièmement, les articles qui ont trait à l'évaluation devraient être modifiés pour toutes les raisons données par les témoins. Combien d'argent une femme autochtone qui a six enfants et qui subsiste grâce aux prestations d'aide sociale devra-t-elle verser à son ex-époux pour rester dans une maison qui n'a ni fenêtre ni eau courante et qui est pleine de moisissures et d'amiante? Est-ce que, avec ces références, elle pourra obtenir d'une banque un prêt et payer son ex-époux? Je ne crois pas que ces questions aident réellement les femmes autochtones.

Quatorzièmement, il faudrait modifier la définition de « conjoints » afin de tenir compte des périodes de cohabitation de plus de un an en raison du statut unique et protégé par la Constitution des terres des réserves.

J'aimerais présenter trois recommandations générales qui ne sont pas à proprement parler des amendements. Premièrement, il faudrait verser un financement aux Premières nations afin qu'elles puissent participer aux consultations relatives au projet de loi S-4 et les aider à élaborer elles-mêmes des lois et des mécanismes de règlement des différends. Je n'ai jamais, jusqu'ici, rencontré un membre des Premières nations qui ne désirait pas participer à ces consultations. Personne n'a dit qu'il refuserait d'y participer si le gouvernement versait un financement. Personne n'a dit qu'il ne s'attaquerait pas à l'élaboration de lois pour les Premières nations si on lui donnait le financement nécessaire. On pourrait établir des partenariats uniques avec des universités afin d'atteindre ces buts.

Par exemple, après le projet de loi C-31, aucun financement n'a été versé aux bandes afin qu'elles créent leurs codes d'appartenance à la bande. Les sénateurs ne devraient pas être surpris d'apprendre que la plus grande partie des bandes du Canada n'ont pas encore de codes d'appartenance. Malgré ce qu'on a laissé entendre, les Premières nations n'ont reçu aucun financement qui leur aurait permis de revoir leurs codes, leurs lois et leurs règlements afin de les aligner sur la Loi canadienne sur les droits de la personne. Il nous reste moins de un an avant l'échéance de juin 2011, et la plupart des Premières nations ont été incapables d'entreprendre cet examen.

Le projet de loi S-4 est une simple reprise. Si nous ne prenons pas des mesures dynamiques pour donner aux collectivités des Premières nations le moyen d'élaborer elles-mêmes leurs lois, le projet de loi dont il est question ici ne restera sûrement pas temporaire. Les politiciens peuvent bien vendre l'idée, à grands coups de discours politiques, mais en réalité, les Premières nations resteront prises avec ces lois.

Deuxièmement, les sénateurs peuvent penser que cette question n'est pas pertinente, mais elle l'est. Le projet de loi C-3, que nous appelons la loi sur l'inégalité relativement à l'inscription au registre des Indiens, doit être modifié pour que l'on puisse régler le problème de l'inégalité entre les sexes dans son entier. Cette inégalité est, pour les femmes indiennes et leurs descendants, le principal obstacle qui les empêche à avoir le droit de vivre dans une réserve.

À l'heure actuelle, des milliers de personnes sont exclues. Le projet de loi S-4 ne leur offre aucune solution parce qu'elles ne vivent pas déjà dans une réserve. Elles ne peuvent pas y avoir une maison. C'est pourquoi une loi sur les biens matrimoniaux n'a rien à leur offrir.

Le ministre s'est présenté devant le comité et il a dit qu'il fallait envisager le projet de loi S-4 dans son ensemble, en tenant compte de tous les projets de loi qui sont présentés, et il a mentionné expressément le projet de loi C-3. J'encourage le comité à suivre son conseil. Si nous ne réglons pas le vrai problème de l'inégalité entre les sexes lié au projet de loi C-3, le projet de loi S-4 ne pourra pas donner aux femmes autochtones une solution concrète au chapitre de l'égalité entre les sexes.

Ma dernière recommandation, bien sûr, a trait à d'autres projets de loi; mais tous ces projets de loi — la Chambre des communes et le Sénat s'occupent aujourd'hui même de cinq projets — devraient être abandonnés jusqu'à ce que le Canada ait trouvé une façon appropriée de consulter l'ensemble des Premières nations au sujet de ces projets de loi. Si l'on enfonce ces projets de loi dans la gorge des Premières nations, on ne fera que provoquer leur amertume, et, quand il faudra aller devant les tribunaux, il y aura des coûts.

L'un des sénateurs a soulevé un bon point : avec quel argent est-ce que les Premières nations pourront contester ce projet de loi devant les tribunaux? C'est exactement cela : elles n'en ont pas les moyens. Cela veut dire, encore une fois, qu'elles n'ont même pas la possibilité de recourir aux tribunaux pour contester des droits que la Constitution protège. Nous ne devrions pas permettre que cela arrive.

Je pourrais continuer longtemps ainsi, mais j'ai déjà remis au greffier un mémoire assez long.

La présidente : Merci beaucoup, madame Palmater, votre exposé était éclairé et d'excellente qualité. Nous allons écouter d'abord les autres témoins, puis les sénateurs pourront poser leurs questions.

Chef Shining Turtle, je crois que vous aimeriez que Mme Meawasige prenne la parole avant vous. Mme Meawasige est une aînée de la Première nation de Serpent River.

Emma Meawasige, aînée, Première nation de Serpent River, Nation Anishinabek : J'appartiens à la Première nation de Serpent River. J'agis auprès de mon peuple et de ma collectivité à titre de conseillère et d'aînée.

J'ai été élevée à la manière traditionnelle, dans le respect de nos coutumes autochtones. C'est un honneur pour moi de pouvoir aujourd'hui faire partager mes connaissances. J'ai appris les coutumes et les enseignements de nos ancêtres, et je les ai enseignés. Je suis toujours heureuse de pouvoir transmettre ce savoir traditionnel à la génération qui nous suit.

Nous avons toujours eu notre propre système judiciaire pour nous guider; il est fondé sur l'honneur et le respect. Nous ne perdrons jamais de vue les principales réalités et coutumes de nos ancêtres. Nous ne voulons pas qu'on nous dicte quoi que ce soit.

Il va sans dire que les pertes sont grandes, mais nos nations ont encore bien vivantes dans leur esprit les principales réalités de nos ancêtres. Notre culture a toujours transmis verbalement, de génération en génération, les principes de l'honneur et du respect. Lorsqu'il le fallait, les adultes administraient aux enfants les corrections dont ils avaient besoin. Tout le monde avait son mot à dire — c'est pourquoi aucun programme n'était nécessaire.

Notre vie n'avait aucune dimension monétaire. On nous a enseigné que le Créateur a fait le monde pour nous tous et que nous devions le respecter et en profiter. La propriété n'a jamais été en question. La maison servait toujours à élever les enfants et à prendre soin des aînés.

Les mères sont celles qui fournissent des soins, à la maison, avec l'aide des hommes. La personne qui prodigue des soins à la maison est toujours celle qui a droit au bénéfice de cette maison et aux biens. De cette façon, les enfants peuvent toujours être en sécurité dans la maison et recevoir les soins nécessaires.

Outre les sept enseignements ancestraux, nous honorons et nous respectons les objets sacrés qui témoignent de notre souveraineté. Notre bâton à exploits et notre drapeau des Premières nations représentent un appui pour chaque collectivité, et ils sont arborés à chacune des réunions ou à chacun des pow-wows des Premières nations.

Il y a des siècles de cela, quand les nouveaux venus ont débarqué sur notre terre, notre peuple les a aidés et leur a montré comment subsister ici. Les différentes tribus qui forment la Nation Anishinabek ont toujours eu leurs propres systèmes. Le clan et le totem étaient des structures sociales et politiques. Depuis cette époque, les choses ont bien changé, tout comme nombre de nos systèmes. Dans le temps, quand notre peuple ne comprenait pas l'anglais, la communication était un obstacle.

Aujourd'hui, nous nous comprenons les uns les autres beaucoup mieux, et les relations et les interactions sont beaucoup plus simples.

Shining Turtle, chef, Nation Anishinabek : Combien de temps nous reste-t-il? Allons-nous avoir fini à 18 heures?

La présidente : Non, vous n'avez pas à vous presser. Il nous reste au moins 35 ou 40 minutes.

M. Shining Turtle : J'ai apporté un présent, il s'agit de tissu et de tabac. À qui dois-je l'offrir?

Le sénateur Jaffer : À la présidente.

La présidente : Merci.

M. Shining Turtle : Je dois m'excuser. J'ai assisté cet après-midi à une réunion sur la TVH et sur ses répercussions sur les Premières nations de l'Ontario. Laissez-moi vous dire que c'est une journée très frustrante.

La présidente : Vous avez donc parfaitement choisi votre moment pour vous présenter ici

M. Shining Turtle : [Le témoin s'exprime dans sa langue maternelle.]

Comme je viens de vous le dire, mon nom indien est Shining Turtle et j'appartiens au clan de l'Esturgeon. Je viens d'un endroit qu'on appelle Birch Island, dans la région de l'île Manitoulin, et que l'on appelle l'île du Grand Esprit. Je suis venu vous parler au nom de la Nation Anishinabek. Nous représentons 41 Premières nations et nous voulons vous parler du projet de loi S-4.

Pour commencer, je crois que vous devriez tenir compte des répercussions de la TVH et d'autres projets de loi qui vous sont présentés, à vous et à d'autres, et qui ont trait à des enjeux touchant les Premières nations. En ce qui concerne les biens privés, nous avons vu la ruine entraînée dans les années 1800 par l'adoption de la Loi Dawes, qui a privé les Premières nations des États-Unis de leurs terres. Elles commencent lentement à s'en remettre, maintenant qu'il est question de privatiser les terres appartenant à des Indiens.

Vous devriez également garder cet exposé à l'esprit en n'oubliant pas qu'il n'y a eu ni consultation ni mesure d'adaptation. Je dis cela en tant que chef qui n'a pas été invité à commenter un document quelconque présenté par l'honorable ministre Chuck Strahl. Mon conseil n'a vu aucun document sur le sujet; comment pourrions-nous dire que nous avons été consultés?

Je suis ingénieur civil et je peux parler de façon intelligente sur des choses qui concernent l'infrastructure. À la fin de mon exposé, je pourrai vous donner quelques conseils sur la façon dont nous pouvons nous y prendre pour faire face ensemble à certains de nos problèmes. Les travaux de construction dans notre collectivité ne s'élèvent qu'à 26 millions de dollars, mais la dynamique de notre collectivité a déjà changé — les gens regardent le monde davantage avec un sentiment d'espoir plutôt que d'oppression, malgré ce que les gouvernements nous proposent. Commençons.

Plutôt que de répéter ce qui a été résumé dans les exposés que l'on vous a présentés, et qui soulignaient les failles fondamentales de ce projet de loi, j'aimerais me concentrer sur les dispositions qui concernent l'élaboration de lois sur les biens matrimoniaux des Premières nations conformément au projet de loi, qui, nous insistons sur ce fait, est extrêmement contraignant et paternaliste.

Nous allons ensuite expliquer les procédures mises en œuvre par la Nation Anishinabek pour élaborer ses propres lois sur les biens immobiliers matrimoniaux; ce processus a débouché sur l'adoption d'une loi qui va beaucoup plus loin que le projet de loi. Cette loi respecte en tous points les valeurs de la Nation Anishinabek.

Les articles 7 à 16 du projet de loi prévoient que les Premières nations peuvent adopter leurs propres lois sur les biens immobiliers matrimoniaux dans la mesure où elles respectent certaines conditions, qui sont nombreuses. Oh! Elles sont si nombreuses. Lisons, c'est instructif. Les Premières nations rédigent une loi sur les biens immobiliers matrimoniaux; elles en avisent la province et présentent leur loi au procureur général. Un vérificateur détermine si la procédure d'approbation a été respectée et est conforme à ce que prévoit le projet de loi.

Il faut ensuite la ratifier en procédant à un vote; il faut que 25 p. 100 des votants admissibles exercent leur droit de vote et approuvent le document en question. Le vérificateur observe le prétendu surveillant et rendra compte du fait que la procédure de ratification par la collectivité s'est déroulée conformément à ce que le projet de loi prévoyait. La loi sur les biens immobiliers matrimoniaux ne peut entrer en vigueur que lorsque le vérificateur atteste le processus de ratification par la collectivité. C'est tout à fait renversant.

On a laissé entendre que le principal défaut des dispositions du projet de loi est l'hypothèse selon laquelle les Premières nations disposent des capacités et des ressources nécessaires pour élaborer elles-mêmes une loi sur les biens immobiliers matrimoniaux. Pour élaborer de telles lois, il faut longuement consulter les membres des Premières nations, retenir les services d'experts, par exemple des avocats — qui devront payer une TVH de 13 p. 100 à compter du 1er juillet — pour rédiger le texte de la loi. Les avocats devront bien comprendre les nombreuses nuances des enjeux qui ont trait aux biens immobiliers matrimoniaux et au processus d'approbation par vote des lois.

De toute évidence, le projet de loi ne dit pas un mot sur la provenance de ces capacités et ressources. Bon nombre des membres de nos Premières nations vivent sous le seuil de la pauvreté. Dans ma collectivité, 50 p. 100 des gens vivent de l'aide sociale. Cela fait partie de ma réalité quotidienne.

On voudrait que les Premières nations financent elles-mêmes tout le processus d'élaboration et d'approbation de ces lois. Les frais continueront de s'accumuler après le processus d'approbation puisque, pour mettre en œuvre et faire respecter une loi sur les biens immobiliers matrimoniaux, il faut un financement et des capacités constants. Qui assumera ces coûts?

Il y a aussi la question du prétendu vérificateur, qui possède le pouvoir complet de déterminer si le processus de ratification d'une Première nation est acceptable, s'il s'est déroulé conformément aux exigences du projet de loi et si la Loi sur les biens immobiliers patrimoniaux proposée par une Première nation pourra être adoptée et entrer en vigueur. Cela est vraiment paternaliste, et ça me rappelle le vieil agent pour les Sauvages, qui a foulé aux pieds tant de Premières nations de l'Ontario, en causant un préjudice pour lequel on n'a pas encore cherché de solutions.

En outre, on exige que les Premières nations organisent un vote de ratification lorsqu'elles présentent une loi sur les biens immobiliers matrimoniaux; il n'existe aucun précédent, et cela n'est pas exigé des administrations municipales ou des gouvernements provinciaux ou fédéral qui désirent adopter un règlement. À cela s'ajoute une exigence inédite, puisque l'on exige que pas moins de 25 p. 100 des votants admissibles approuvent la loi. Pour bien des Premières nations, les votants sont moins nombreux que cela pour les élections; on ne peut donc raisonnablement espérer qu'ils seront suffisamment nombreux quand il sera question de ratifier une loi sur les biens immobiliers matrimoniaux. Historiquement, et c'est le cas de l'ensemble de la société canadienne, les votants ne sont pas nombreux à se présenter, dans le meilleur des cas.

Mais le plus important, c'est que l'exigence de procéder à un vote de ratification révèle un manque de respect à l'égard des traditions et des coutumes des Premières nations de la Nation Anishinabek. Cette exigence nous empêcherait d'approuver des questions importantes comme celles-là par consensus ou par un processus de prise de décisions équivalent.

Le projet de loi ne dit rien non plus sur ce qui se passerait si la loi n'était pas ratifiée. Qu'est-ce qui se passera? Peut-on organiser un autre vote sur le sujet? Devrait-on réduire le nombre de votants admissibles requis? Est-ce que le chef et les membres du conseil devront démissionner? Est-ce que la collectivité devra s'installer dans un autre village? Et encore une fois, qui paiera tous ces votes de ratification?

Le gouvernement fédéral a déclaré que le projet de loi « prévoit aussi un moyen de permettre aux Premières nations d'élaborer leurs propres lois sur les biens immobiliers matrimoniaux. Le contenu et la structure des lois communautaires sur les biens immobiliers matrimoniaux seraient convenus par les citoyens et le gouvernement des Premières nations. Le gouvernement fédéral n'interviendrait pas dans le processus. » Au total, cette déclaration du gouvernement fédéral n'est qu'un tissu de mensonges.

En réalité, le gouvernement fédéral participe directement à tout ce processus, qui doit permettre aux Premières nations d'élaborer leurs propres lois sur les BIM, parce qu'il a établi des exigences très contraignantes et paternalistes et qu'il ne donne aux Premières nations ni les capacités ni les ressources nécessaires pour élaborer et faire approuver ces lois. Le projet de loi mettra en place un processus qui permettra aux Premières nations de se borner à rêver de se doter de leurs propres lois sur les biens immobiliers matrimoniaux sans jamais pouvoir y arriver.

À titre de comparaison, la Nation Anishinabek a élaboré en 2007 sa propre loi sur les BIM. Cette loi protège nos familles, nos enfants, nos collectivités et nos terres en cas d'échec d'un mariage. Je l'appellerai à partir de maintenant la loi sur les BIM de la Nation Anishinabek. J'en ai donné une copie aux membres du comité.

La Nation Anishinabek a conservé le pouvoir d'élaborer ses propres lois pour ses citoyens, sur tous les sujets, y compris les BIM. Notre Nation a exercé ce droit en 2007 en mobilisant toutes les Premières nations dans le cadre d'un long processus de consultations, d'élaboration et d'approbation qui a débouché sur la loi sur les BIM de la Nation Anishinabek. La bande de Whitefish River y a participé, et les collectivités ont longuement discuté de la loi de la Nation Anishinabek. Notre processus de consultation, qui a été pris en charge par une équipe de dirigeants politiques et de techniciens de la Nation Anishinabek, supposait l'établissement d'un cadre de consultation. Les gens de Whitefish River nous ont demandé si nous voulions qu'ils participent. Comme un nombre suffisant a répondu oui, nous avons continué.

Nous avons organisé dans tout le territoire de longues séances de consultation réunissant des citoyens des Premières nations pour savoir comment ils réglaient actuellement leurs problèmes en ce qui concerne les biens immobiliers matrimoniaux. On a demandé aux gens qui s'en chargeaient. Si je veux me renseigner au sujet de votre maison, c'est à vous que je vais m'adresser. Je ne vais pas m'adresser au premier ministre du Canada, parce qu'il ne sait pas de quoi votre maison a l'air. Nous avons donc consulté directement les citoyens qui étaient renseignés, c'est-à-dire les aînés, les femmes, les grands-pères, les oncles et les tantes. Ils nous ont expliqué ce qui devait à leur avis figurer dans une loi sur les biens immobiliers matrimoniaux de la Nation Anishinabek et sur quels principes les Anishinabeks devaient se fonder.

Il y a eu des rapports, des ébauches et un débat à propos de la loi sur les BIM de la Nation Anishinabek. La loi a été approuvée à l'unanimité par la Nation Anishinabek lors de l'assemblée de juin 2007, qui a eu lieu à Whitefish River, dans ma collectivité. On ne soulignera jamais assez l'ampleur des efforts nécessaires pour élaborer une loi s'appliquant à la Nation Anishinabek, qui réunit 40 Premières nations, en tenant compte des différences et de la situation particulière de chacune. Cela n'a pas été un processus facile, mais nous nous en sommes occupés. Nous en avons pris la responsabilité et nous avons mené le processus à terme, et c'est là que réside la différence fondamentale. Ce que vous faites vous appartient.

Comment réagiriez-vous si je vous imposais ma loi sur les BIM? Vous seriez déconcertés. Que prévoit cette loi? Comment se présente-t-elle? À quoi pensiez-vous? C'est le genre de sentiments que l'on éprouve quand on ne sent pas responsable d'une chose.

Les membres de la Nation Anishinabek se sont serré les coudes afin d'élaborer une loi pendant une très courte période. Il nous a fallu six mois, et nous y avons consacré nos propres ressources, car les citoyens ont dit très clairement qu'ils ne voulaient pas d'une loi sur les biens immobiliers matrimoniaux qui leur serait imposée par le gouvernement fédéral.

La loi des Anishinabek met en place un cadre général en fonction duquel la loi sur les biens immobiliers matrimoniaux de la Nation Anishinabek sera appliquée. Les droits et les intérêts des citoyens Anishinabek et des non-membres seront protégés. Ce document prévoit tout ce qui concerne la division et la distribution des biens immobiliers matrimoniaux ainsi que la façon dont la loi doit être approuvée, promulguée, appliquée et modifiée.

L'un des principaux aspects de la loi sur les BIM de la Nation Anishinabek est le fait qu'elle prévoit que les conflits concernant les biens immobiliers matrimoniaux seront réglés par un tribunal et une commission de la Nation Anishinabek. Les représentants de chacune des Premières nations nous ont demandé de mettre sur pied un organisme indépendant, un tribunal ou une commission, qui serait chargé de régler ces conflits. Certaines collectivités sont petites et ne comptent que 30 ou 40 citoyens. Ils sont tous parents. Comment réglez-vous de tels conflits?

Nous avons aussi mis en œuvre un processus de formation. Nous payons de nos propres poches une formation au mode alternatif de règlement des différends de façon que des gens apprennent à régler ces questions. Ils forment la commission. Tous les conseils de bande ont adopté en conseil une résolution en faveur de cette commission, un mode alternatif de règlement des différends, pour éviter d'avoir à recourir aux tribunaux provinciaux et fédéraux. Vous pouvez me croire, j'assiste régulièrement à des séances de ces tribunaux. Ce ne sont pas des endroits où il fait bon vivre, dans le meilleur des cas. Voulez-vous engorger les tribunaux en leur donnant à régler encore davantage de problèmes liés à la propriété? Je n'en suis pas sûr. Les tribunaux sont très occupés. Vous pourriez demander à un groupe de juges qui entendent régulièrement ce genre d'affaires pour savoir ce qu'ils en pensent. Je crois que la plupart des gens préféreraient trouver une solution sans avoir à recourir aux tribunaux. Et je crois que les gens préfèrent en outre trouver eux-mêmes une solution.

Le processus de consultation et la teneur de notre loi sont orientés en partie par les processus qu'utilisent les collectivités que je représente, la Nation Aundeck Omni Kaning et la Nation de Whitefish River. La Nation Aundeck Omni Kaning a adopté sa loi sur les BIM il y a 22 ans. Les membres l'ont eux-mêmes approuvée, et aujourd'hui, selon ces principes, elle n'est plus applicable. La Nation de Whitefish River a adopté sa loi sur les BIM il y a plus de quatre ans, et selon ce que je lis dans le projet de loi, elle ne serait plus applicable. Pourtant, nous en avons fait trois lectures distinctes, en conseil. Nous avons largement consulté la collectivité. Nous avons embauché des avocats indépendants. Nous avons fait tout ce travail, un travail que les femmes ont pris en charge. Et maintenant vous venez nous dire qu'il faudrait la jeter aux poubelles. Je n'arrive tout simplement pas à le croire.

La loi des Anishinabek reste la loi de la Nation Anishinabek et elle doit être mise en œuvre en entier pour entrer pleinement en vigueur. La Nation Anishinabek continue à faire pression auprès du gouvernement fédéral pour obtenir les ressources nécessaires à sa mise en œuvre, et, même si le gouvernement fédéral a souvent manifesté son intérêt pour la question, y compris le ministre actuel et l'ancien ministre des Affaires indiennes et du Nord, les bureaucrates répètent qu'ils n'arrivent pas à trouver de ressources pour cela.

Le MAINC nous a informés tout récemment du fait qu'il ne prévoyait pas donner aux Premières nations les ressources financières nécessaires pour élaborer et ratifier leurs lois sur les biens immobiliers matrimoniaux. Nous courons à l'échec. C'est pourquoi nous vous demandons ceci : comment la Nation Anishinabek pourra-t-elle mettre en œuvre pleinement sa loi sur les BIM? Comment chacune des Premières nations du Canada pourra-t-elle élaborer et ratifier sa propre loi sur les biens immobiliers matrimoniaux parallèlement au projet de loi S-4?

J'aimerais faire des commentaires supplémentaires qui portent sur les questions qui ont été soulevées ici aujourd'hui.

Nos lois ne sont aucunement reconnues, c'est clair quand on lit le texte de la Loi sur les Indiens. Cette loi me confère 12 pouvoirs. Je peux contrôler les mauvaises herbes nuisibles dans ma collectivité. C'est pour moi un tel plaisir de le faire. Toutes les semaines, je vais faire un tour et je trouve des mauvaises herbes. Cependant, quand nous cherchons à faire quelque chose de concret pour notre collectivité, par exemple au sujet des biens immobiliers matrimoniaux, et que le gouvernement nous dit que nous ne pouvons pas le faire, je considère que c'est une véritable insulte à l'humanité.

Nous devrions annuler tous ces projets de loi jusqu'à ce qu'il y ait des consultations pertinentes. Le processus s'est déroulé à trop grande vitesse. Je représente les bandes de l'UCCM. Je suis président de tribu. Je représente, là, six bandes. Je suis également président de tribu des bandes de Manitoulin, et tout ce qu'elles savent à propos de ma présence ici aujourd'hui c'est que je suis venu défendre leurs droits. La Première nation Wikwemikong est très importante. C'est elle qui possède le plus grand territoire, au Canada, et elle n'a pas droit de parole, ici. Pourquoi? Elle n'a pas été consultée. Il s'agit de 5 000 personnes, et vous êtes assis ici aujourd'hui pour débattre de leur sort.

Notre loi n'est pas reconnue. Cette approche paternaliste est encore une réalité aujourd'hui. Nous avons parlé de la TVH, aujourd'hui. Des biens immobiliers situés sur des terres des réserves sont privatisés. C'est ce qui s'en vient, tout comme la question des biens immobiliers matrimoniaux, et la liste est longue. Pour une raison quelconque, on s'attend à ce que les leaders des Premières nations s'en occupent à toute heure du jour, en plus de s'occuper des milliers d'autres choses dont ils doivent régulièrement s'occuper; ensuite, nous sommes supposés trouver les ressources nécessaires. C'est une tâche impossible. Vous vous arrangez pour que l'on échoue. Ensuite, le gouvernement pourra dire : « Nous devons arranger cela. Vous avez échoué. » Aucune Première nation ne prévoit jamais échouer, mais les gouvernements s'arrangent pour que nous échouions. C'est peut-être cela qui se passe.

Nous avons élaboré notre propre code il y a quatre ans. À l'heure actuelle, il n'est pas applicable; il est bon à jeter aux poubelles. La Nation AOK a élaboré le sien il y a plus de 22 ans. Il peut s'appliquer. La Nation de Whitefish River a élaboré son propre code de citoyenneté en 1987. Mais cette question n'est pas réglée.

Il faudrait analyser d'une manière appropriée l'interaction de toutes les dispositions de ces projets de loi. Quels sont leurs liens? Comment vont-elles s'appliquer aux Premières nations qui devront fonctionner avec elles chaque jour? C'est absolument essentiel. Quand j'ai commencé mes études en génie, il était essentiel de faire une analyse appropriée pour prévenir l'effondrement de sa structure. Il faut faire la même chose, ici, parce qu'il s'agit de construire quelque chose. Vous érigez une structure, et il ne faut pas qu'elle s'effondre. Vous devez effectuer une analyse appropriée.

Qu'en est-il des droits collectifs? Vous parlez d'une bande indienne. Vous pensez savoir ce que le mot « bande » signifie. « Bande » ne signifie pas « personnes ». Ce mot signifie « collectivité ». Je représente une bande ojibway. Les membres de cette bande ont choisi un mode de vie communautaire. Ceux à qui ça ne plaît pas peuvent s'installer dans une ville ou un village du Canada, il y en a partout au pays. C'est un pays magnifique. Ceux qui veulent vivre en collectivité restent au sein de la bande. On me le rappelle constamment, puisque je défends les droits collectifs de cette bande.

Je vous remercie de m'avoir permis de présenter cet exposé. Nous allons répondre à toutes les questions que vous voudrez bien nous poser.

La présidente : Merci, chef Shining Turtle. Vous avez présenté là un exposé très émouvant et réfléchi.

Le sénateur Baker : J'aimerais féliciter les personnes qui ont présenté un exposé, aujourd'hui. Vous avez fait un travail magnifique et vous avez bien exposé vos sentiments à l'égard de cette loi.

Pamela Palmater, dans quelle discipline avez-vous obtenu votre doctorat?

Mme Palmater : J'ai obtenu un doctorat en droit de la faculté de droit de Dalhousie, en me spécialisant en droit autochtone; en particulier, je me suis attachée à la Loi sur les Indiens et aux interactions entre la Loi sur les Indiens, la Loi constitutionnelle et divers textes de loi sur les droits de la personne.

Le sénateur Baker : Il s'agit des sciences du droit?

Mme Palmater : Oui.

Le sénateur Baker : Avant cela, vous avez obtenu une maîtrise en droit?

Mme Palmater : Oui, sur les droits ancestraux et les droits issus de traités des Autochtones.

Le sénateur Baker : Avez-vous déjà travaillé pour le ministère de la Justice?

Mme Palmater : Oui, en effet, et au ministère des Affaires indiennes.

Le sénateur Baker : Vous avez très bien résumé l'ensemble des témoignages que nous avons entendus au cours de ces séances. Vos recommandations particulières touchant les amendements seront étudiées de très près par les membres de notre comité et ceux de la Chambre des communes, qui vont lire le témoignage que vous avez livré ici aujourd'hui. Le comité de la Chambre des communes devra s'occuper de ce projet de loi, si le Sénat l'adopte.

Le sénateur Jaffer : J'aimerais également vous remercier tous les trois. La journée a été longue, et vous avez assisté à toute la séance. Vous avez certainement réussi à nous toucher.

J'aimerais, si je le puis, poser ma première question à vous, madame Meawasige. Vous êtes une aînée, et vous avez probablement plus d'expérience que quiconque se trouve ici aujourd'hui. Vous nous avez dit ce qui, selon vous, devrait arriver, et vous avez surtout insisté sur la question des coutumes et l'importance de respecter les coutumes. C'est ce que vous avez dit dans votre exposé, mais je vous le demande encore une fois : quelle est la chose la plus importante qu'il faut continuer à protéger quand on parle des coutumes des peuples autochtones?

Mme Meawasige : Le plus important, ce sont les enfants. C'est une tâche très lourde en raison de tout ce que nous avons déjà vécu dans toutes sortes de domaines. Au cours de ma vie, les enfants étaient enlevés et devaient quitter le domicile familial sans le consentement de leurs parents, et notre peuple a traversé des épreuves très difficiles. À cette époque, nous avons traversé des grandes épreuves. Heureusement, l'école pour moi a été une expérience positive; vous avez entendu parler du directeur d'école qui, dans les années 1960, a causé tant de préjudices à notre peuple. J'ai aussi entendu les gens parler des BIM. Chez les aînés, beaucoup se demandent pourquoi on s'en préoccupe tant aujourd'hui. Nous avons toujours su ce que nous devions faire. Nous savons comment trouver nos propres leaders et nous connaissons nos coutumes. Nous savons comment élever nos enfants. Pourquoi n'arrêtent-ils pas de nous dire ce que nous devons faire et comment nous devrions le faire? Nous savons déjà tout cela. Nos aînés nous en parlent.

Les aînés auront beaucoup de choses à dire lorsque ces nouveaux projets de loi seront adoptés. Un bon nombre d'entre eux n'en comprennent pas toute la signification. Ils n'en connaissent qu'une partie. Ils ne comprennent pas très bien comment le gouvernement fonctionne, comment le processus législatif se déroule et ainsi de suite. Ils ne comprennent pas cela parce qu'ils n'ont pas été élevés dans l'idée de se faire, comme je le dis, dicter des choses. J'ai toujours eu cette impression. Pourquoi aurait-on besoin de se faire dicter les choses? Nous savons quoi faire. Nous savons comment vivre. Ce savoir est transmis de génération en génération, et nous savons ce qu'il faut faire.

Le sénateur Jaffer : Je suis la porte-parole chargée de ce projet de loi. Cela veut dire que je dois l'examiner pour déterminer quelles recommandations l'opposition devra présenter. Le commentaire général qui m'a le plus frappé venait des femmes qui disaient que, quand on amène les enfants hors des réserves, les réserves deviennent silencieuses. Vous avez très bien exprimé cela.

J'ai une question pour le chef Shining Turtle et Mme Palmater. Nous avons entendu à quel point vous êtes passionnés. C'est la dernière de nos séances, et je suis sûre que tous mes collègues ici présents se rappelleront vos témoignages lorsqu'ils étudieront le projet de loi.

Vous étiez peut-être dans la salle, plus tôt, lorsque j'ai dit que je faisais partie du groupe qui avait à l'origine suggéré que l'on étudie la question des femmes qui vivent dans les réserves. Je l'ai fait dans une bonne intention, mais, à l'heure actuelle, je n'en suis plus aussi sûre. Quoi qu'il en soit, c'est le sujet d'une autre séance.

Pendant nos préparatifs, j'ai toujours gardé à l'esprit le fait que nous tentons d'élever les attentes des femmes; cependant, tout ce qu'on peut faire, c'est de proposer une période d'occupation de 90 jours, et cela représente une catastrophe en ce qui concerne les droits des personnes. Vous nous avez donné de nombreux messages, mais pourriez-vous nous dire en quelques mots quel préjudice ce projet de loi causera s'il est adopté?

M. Shining Turtle : Vous allez priver les collectivités de leurs droits. Vous allez monter les gens les uns contre les autres, ce qui n'arrive pas dans ma collectivité. Cela n'arrive dans aucune des collectivités insulaires que je représente. Nous ne formons pas une société qui ressemble à vos sociétés normales. Vous êtes individualistes par nature. Peu importe votre origine, dans votre monde, et je ne sais pas où il se trouve, de toute façon, quels que soient vos antécédents, vous êtes très individualistes. Nous sommes par nature axés sur la collectivité. Je m'en remets aux aînés. Si je ne le fais pas, je vais me faire mal recevoir chez moi. Ce sont des femmes, non pas les hommes, qui me conseillent sur ce que je dois faire pour la collectivité. Un conseil d'aînées conseille les chefs en tout temps.

Mme Palmater : Je crois que c'est une question très importante, qui est au cœur même de tous ces projets de loi, de toutes nos politiques, des programmes qui concernent le gouvernement et les Premières nations.

Si je devais décrire le projet de loi S-4 en une seule phrase, et en restant polie, je dirais que c'est une promesse législative qui se révèle être une coquille vide. Nous avons reçu des promesses — nous combattrons la violence dans les collectivités autochtones; nous protégerons les droits des femmes autochtones; nous respecterons l'égalité entre les sexes; nous aurons des logements. En fait, ce projet de loi ne règle nullement le problème du logement. Il ne va pas plus loin ni moins loin que les tribunaux provinciaux en ce qui concerne la violence à l'égard des femmes autochtones. Ce projet de loi est axé autant sur les non-Autochtones que sur les Autochtones. Rien dans ce projet de loi n'est axé sur les femmes autochtones, et il n'y a pas lieu qu'il le soit, puisque, comme chacun des témoins a affirmé, nous formons une collectivité dont les femmes autochtones sont une partie intrinsèque et importante, non pas une partie distincte. Si vous les traitez comme si elles étaient distinctes de la collectivité et avaient des droits distincts, vous allez monter les membres de la collectivité les uns contre les autres et, j'oserais ajouter, contre les non-Autochtones qui vivent dans ces collectivités. Plus ils seront nombreux à occuper des terres des réserves, que ce soit en pleine propriété en vertu d'une autre loi ou de ce projet de loi-ci, plus l'antagonisme montera entre les membres des collectivités, qui, déjà, sont petites. Vous demandez à moins de 5 p. 100 de la population de partager ce qui lui reste avec l'autre tranche de 95 p. 100 de la population.

Contrairement à ce que le ministre a dit, savoir qu'on pourra ainsi amener les Autochtones à profiter de la prospérité du Canada, cela n'est pas du tout le cas. Les gens n'ont pas d'argent pour s'adresser aux tribunaux ou à des avocats. En quoi est-ce que cela profite aux femmes autochtones? Il n'y a même pas de tribunal dans les collectivités éloignées. C'est pourquoi je dis que tout cela équivaut à des promesses en l'air.

M. Shining Turtle : Puis-je faire un commentaire sur le volet qui concerne l'infrastructure?

La présidente : Bien sûr.

M. Shining Turtle : Je suis membre du Conseil régional de gestion des investissements de l'Ontario et je peux vous dire que l'Ontario manque cruellement d'un capital adéquat, contrairement à ce que le gouvernement d'aujourd'hui vous affirme.

Je suis membre de ces comités et, comme les autres membres, je vois dans quelle situation horrible nous nous trouvons puisque nous devons gérer un budget de 100 millions de dollars pour tout l'Ontario, et nous comptons 133 Premières nations qui vivent dans les régions les plus éloignées de l'Ontario et dans les régions les plus au sud, et leur situation est tout à fait atroce. Ma collectivité reçoit 250 000 $ pour l'infrastructure. Nous recevons ce montant chaque année, régulièrement : voici, 250 000 $. Allez-y, chef, construisez des maisons, étendez les réseaux d'électricité, creusez des fosses septiques pour votre collectivité, ajoutez des aqueducs et construisez quelques routes pour la collectivité. Qui rêve, ici?

Ah, oui, j'oubliais, il faut aussi construire des logements. Savez-vous combien ça coûte de construire une maison dans une réserve indienne, aujourd'hui, dans ma région? Est-ce que quelqu'un s'est donné la peine de poser la question? Je sais combien ça coûte. Un bungalow qui comprend trois Chambres à coucher et un sous-sol coûte 155 000 $. Pourquoi est-ce que je le sais? Parce que je dois les hypothéquer.

Le gouvernement fédéral ne fournit aucune ressource, et ceux qui disent qu'il en fournit suffisamment sont en train de rêver. Je vis dans cette réalité depuis huit ans. J'ai étudié la question. J'ai une expérience en génie, et je mets quiconque au défi de contester ces chiffres. J'ai des preuves et j'ai procédé aux vérifications nécessaires. J'ai été ingénieur pour les tribus des collectivités éloignées. J'ai vu les situations horribles dans lesquelles notre peuple s'est retrouvé. Il n'y a aucun système de chauffage.

Vous installez les familles dans des unités qui ne sont même pas à elles. Ensuite, vous voyez bien qu'il y a un problème. Si je vous installe dans une trappe à fourmis, vous aurez un problème familial. Si j'entasse votre famille dans une maison de 500 pieds carrés, il y aura un désordre social. Le gouvernement a ciblé les biens immobiliers matrimoniaux, mais le problème est plus profond. J'ai vu ce qui se passe. Nous avons changé le système, dans notre collectivité. C'est parce que je suis ingénieur civil et que cela fait partie de ma formation. Nous ne baissons pas les bras quand on nous dit non, et nous avons frappé à toutes les portes du gouvernement, et elles nous ont toutes été fermées au nez. C'est un problème de fond, qui touche le tissu social. Il faut que vous compreniez que la maison fait partie du cadre social. Si vous minimisez ce fait, vous faites entrer le chaos dans des familles qui ne l'ont pas cherché. Vous ne pouvez pas trouver la paix quand vous vivez à plusieurs dans 600 ou 700 pieds carrés. Vous devriez essayer, une fois. Installez trois ou quatre personnes dans ce type de maison, et vous verrez que le chaos et la zizanie vont s'installer.

Le sénateur Mitchell : Ces exposés ont été très impressionnants. J'aimerais continuer sur le sujet abordé par Mme Palmater, qui dit que le projet de loi n'a aucun effet sur bien des choses, notamment la violence à l'égard des femmes. Ma crainte, c'est que le gouvernement fasse une pirouette en disant que toute cette opération avait pour but de résoudre le problème de la violence à l'égard des femmes. Il choisit une valeur inattaquable, l'applique à un objet quelconque en espérant que les gens feront le lien s'il le crie assez fort et assez souvent. Je crois que c'est exactement ce qu'il fait en l'occurrence.

Deux questions : premièrement, en quoi ce projet de loi pourrait-il réduire la violence à l'égard des femmes? La violence est présente avant que la famille n'éclate, et ce n'est qu'à ce moment-là que le projet de loi entre en jeu. Je ne vois pas en quoi il peut prévenir la violence à l'égard des femmes.

Deuxièmement, est-ce que quelqu'un, au gouvernement fédéral, vous a fourni des analyses sur la façon dont ce projet de loi allait réduire la violence à l'égard des femmes? Est-ce que quelqu'un vous a donné des statistiques sur la fréquence des cas d'éclatement de la famille, sur la personne qui conserve le domicile et sur les refuges possibles, et ainsi de suite?

Troisièmement, pourriez-vous me dire quelles sont les trois ou quatre mesures, ou peut-être davantage, que nous devrions prendre, dans le cas des Premières nations, pour réduire la violence à l'égard des femmes? Je prends l'exemple des Premières nations parce qu'il y a beaucoup de problèmes de violence à l'égard des femmes.

Pendant que nous y sommes, si nous ne pouvons pas modifier ce projet de loi, pensez-vous que nous devrions le rejeter?

M. Shining Turtle : Pour ce qui est de la dernière question, rejetez le projet de loi, c'est simple. Il faut que vous rejetiez le projet de loi. Vous ne nous connaissez pas. Je ne vous connais pas et je n'essaierai pas de rédiger une loi à votre intention. Je ne ferai pas cela. Mon sens de l'humanité me l'interdit.

Je vais vous raconter une histoire que vous devez connaître. Je suis ingénieur civil, et je suis le chef de ma bande. En 1970, j'ai vu ma mère se faire assassiner sous mes yeux. J'avais six ans. Mon père a combattu pour son pays, pendant la Seconde Guerre mondiale, et mes parents n'ont jamais réussi à composer avec le travail que mon père a devait faire comme soldat. C'est la vérité.

Je connais la violence. Je l'ai vécue. Vous vous demandez peut-être comment j'ai réussi à me rendre jusqu'ici? J'aurais dû connaître un échec total et indiscutable, au contraire? Pourtant, je n'ai pas échoué, et c'est à cause de ma grand-mère. Nous avons des familles étendues. Mes grands-parents nous ont accueillis, tous les neuf, et nous ont entassés dans leur maison. Ils ont dit : « Il faut étudier, mon fils. » Ils ne m'ont jamais empêché de poursuivre mon rêve. C'est la réalité. Pourquoi voulez-vous ôter cela à nos collectivités? Oui, nous avons des problèmes, mais ce sont les nôtres. Je fais face à ces problèmes tous les jours. Je dois entendre des familles me raconter leurs problèmes, et je vois qu'elles n'essaient pas de composer avec ces problèmes. Mais savez-vous quoi? Je ne perds pas espoir. Je ne jette pas le bébé avec l'eau du bain. Je crois en notre système, qui est fondé sur les grands-parents, les oncles et la famille latérale. Si je n'y croyais pas, je ne serais pas ici aujourd'hui. C'est toute la collectivité qui m'a pris sous son aile, et elle a ainsi créé un chef. Tout ce que je suis, aujourd'hui, je le dois à ma collectivité, malgré la tragédie qui a eu lieu.

Nous répondons que nos familles savent quelles erreurs elles ont faites. Nous n'avons pas à laver notre linge sale ailleurs que chez nous. Vous connaissez vos systèmes et vos sociétés. Vos livres de droit en parlent en long et en large. Nous ne rédigeons pas de lois à votre intention. Nous avons les réponses, et elles nous sont données par la capacité de notre système communautaire de fonctionner, car il fonctionne, même s'il est fracturé comme il l'a été par les politiques du gouvernement. Voilà ma réponse. J'espère que ma réfutation est correcte.

Le sénateur Mitchell : C'était très émouvant.

Mme Palmater : Ce sont de bonnes questions. Est-ce que le projet de loi réduira la violence? Bien sûr que non. Il propose des recours, après coup, mais la majorité des femmes autochtones ne peuvent s'en prévaloir parce qu'elles n'ont pas accès à des tribunaux. Elles ne peuvent pas se payer un avocat. J'ai un doctorat et je suis avocate. J'ai un très bon emploi, mais je n'ai pas eu l'argent nécessaire pour poursuivre mon ex-époux devant un tribunal pour qu'il paie l'arriéré de la pension alimentaire. Je suis dans une bien meilleure position que la plupart des membres de ma grande famille étendue et que ceux qui vivent dans une réserve. Pensez-y : tous ces recours existent, mais vous n'y avez pas accès.

Le gouvernement fédéral aurait facilement pu dire qu'il se préoccupait de la violence à l'égard des femmes autochtones et qu'il allait augmenter le nombre des logements dans les réserves de façon qu'il n'y ait plus de conflits au sujet de la garde du domicile conjugal. Le gouvernement aurait pu dire qu'il allait augmenter le financement qu'il verse à la SCHL et qui est destiné aux logements des Autochtones à l'extérieur des réserves, de façon que les hommes ou les femmes qui doivent quitter leur domicile aient accès à un vrai logement, pas à un simple refuge. Bien des hommes autochtones se font mettre à la porte de leur logement. C'est peut-être avec raison, mais nous devons quand même nous en occuper. Je plaisante, bien sûr.

Vous devez vraiment vous poser la question en ces termes : le projet de loi vise-t-il à protéger les femmes autochtones contre la violence? Si c'était le cas, il y aurait des milliers de choses à faire, concernant par exemple le logement, l'éducation de la petite enfance, le financement des services destinés aux familles et aux enfants autochtones, le financement destiné aux études postsecondaires, les programmes de formation, et cetera. Si le gouvernement désire réellement que les Premières nations soient fortes et indépendantes et qu'elles mettent en pratique les principes de la bonne gouvernance afin de devenir autonomes, il doit joindre le geste à la parole. Donnez-leur le financement nécessaire pour les aider à augmenter leurs capacités dans tous les domaines clés. C'est ce que veut chacune des Premières nations et, dans différentes mesures, à l'échelle du pays, les Premières nations ont tenté de le faire. Certaines ont eu plus de succès que d'autres.

Si vous ne pouvez pas modifier le projet de loi actuel, alors oui, il faut le rejeter sans hésiter. Pour le projet de loi C-3, tous les amendements qui étaient soutenus en entier par l'opposition et par tous les témoins autochtones ont été rejetés. Si nous n'avons pas d'autres choix, je dirais qu'il faut assurément le rejeter.

Le sénateur Brazeau : Chef Shining Turtle, on devrait vous féliciter, car vous êtes progressiste, dans votre collectivité, et vous avez élaboré votre propre code. Vous avez mentionné qu'à l'heure actuelle, ce code est bon pour la poubelle, parce qu'il n'a pas été reconnu. Si le projet de loi était adopté, votre collectivité pourrait faire reconnaître son code et l'adopter, la loi pourrait entrer en vigueur dans votre collectivité. Ne serait-ce pas là une bonne chose?

M. Shining Turtle : Je ne vois pas ce que vous essayez de faire miroiter devant nos yeux, mais si j'ai bien lu le règlement, nous ne respectons aucun des critères. Notre collectivité suit le processus qu'elle a elle-même élaboré. Je n'ai pas eu à recevoir un vérificateur. Je suis un être humain assez intelligent, monsieur Brazeau. Je n'ai pas besoin que quelqu'un vienne contrôler les réunions de mon conseil et voir comment nous avons élaboré nos lois. Je ne crois pas que cela soit une bonne chose. Je ne veux plus de méthodes paternalistes. Je n'avise pas le bureau du procureur général de la province. Nous disposons aujourd'hui de notre propre loi, et nous l'avons appliquée, le mois dernier, à titre d'exemple. Notre loi est fondée sur l'enfant : la personne qui a la garde de l'enfant garde la maison. Je n'ai pas besoin qu'un tribunal ou qu'un vérificateur me le dise. Nous faisons déjà ce qu'il faut faire. Nous gardons nos familles intactes. Une grand-mère vient tout juste d'en parler.

Le sénateur Brazeau : Je ne conteste cela d'aucune façon, mais, si votre collectivité exerce ses droits au chapitre des biens immobiliers matrimoniaux, comme vous venez de l'expliquer, ne devriez-vous pas aller dans les autres collectivités pour le faire savoir et leur expliquer ce que vous êtes en train de faire, de façon qu'elles puissent envisager d'adopter un modèle semblable?

M. Shining Turtle : Félicitations. Nous l'avons déjà fait. Nous avons fait connaître notre loi sur les biens immobiliers matrimoniaux à une quarantaine d'autres collectivités. J'applaudis. Nous avons déjà fait ça. J'ai expliqué dans mon exposé que deux collectivités avaient participé à la préparation de ce texte de loi, celle qui a été adoptée par la Nation Anishinabek. Nous avons fait tout ce travail. J'aime bien la façon dont vous exposez les faits. Est-ce que je peux vous aider d'une autre façon?

Le sénateur Brazeau : Je suis, moi aussi, heureux que vous soyez venu ici pour commenter l'ébauche d'un projet de loi alors que vous avez dit, dès le départ, que vous n'aviez pas eu l'occasion d'y toucher.

M. Shining Turtle : Je l'ai vu arriver dans mon bureau. Je suis une personne assez intelligente. Je vérifie mon courrier régulièrement.

Le sénateur Brazeau : Madame Palmater, vous avez mentionné que ce projet de loi était, et je ne veux pas vous faire dire quelque chose que vous n'avez pas dit, potentiellement illégal en raison, à votre avis, vu l'absence de consultations. J'ai mentionné plus tôt que de nombreux groupes de femmes avaient réclamé la création d'un régime concernant les biens matrimoniaux, puisqu'il n'y en avait aucun dans les réserves. L'Association des femmes autochtones du Canada s'est présentée devant les Nations Unies pour demander la même chose.

Prenons par exemple la loi sur les revendications particulières; le gouvernement du Canada et l'Assemblée des Premières Nations n'ont pas pu, évidemment, consulter à ce sujet toutes les collectivités des Premières nations du pays. La loi a quand même été adoptée. Selon votre logique, diriez-vous que cette loi sur les revendications particulières ne serait pas légale parce que les 600 collectivités n'ont pas toutes été consultées? Est-ce que c'est ce que vous dites à propos de ce projet de loi?

Mme Palmater : C'est une bonne question. Je n'ai pas été consultée à propos de cette loi sur les revendications particulières, malheureusement, et la plupart des personnes qui appartiennent à ma collectivité n'ont pas non plus été consultées. Je ne m'attendais sûrement pas à devoir répondre à des questions sur les revendications particulières, mais je peux répondre aux autres aspects de votre question. Ce serait certainement illégal si le projet de loi était adopté sans consultation, sans aucun doute, en raison de la nature fondamentale des terres des réserves, selon la Constitution.

J'aimerais ajouter quelque chose au sujet de votre commentaire selon lequel les femmes autochtones avaient demandé que l'on prenne des mesures relativement aux BIM. Personne ne conteste ce fait. J'ai moi aussi lu les transcriptions des comptes rendus des séances des Nations Unies. Cependant, aucune de ces organisations autochtones, aucune de ces femmes, ni aucun des témoins qui sont venus ici aujourd'hui n'ont dit : « Nous voulons une loi sur les BIM, même si on ne nous consulte pas d'abord, même si on ne consulte pas les Premières nations, et même si l'on viole nos droits en tant qu'Autochtones, les droits issus des traités et les droits que nous confère la Constitution. » Personne n'a dit cela.

Vous voulez savoir si oui ou non les Autochtones veulent une loi sur les BIM; c'est une question piège, car c'est évident qu'ils en veulent une, mais il faudrait avoir la possibilité de l'élaborer eux-mêmes. Si on adopte une loi provisoire, il faudra le faire après avoir mené des consultations et en respectant le statut que la Constitution a conféré aux terres.

Le sénateur Brazeau : J'essaie de comprendre tout ce que vous dites; voici mon problème. Nous avons entendu plus tôt bien des choses au sujet du manque de capacité et des problèmes socioéconomiques, mais j'ai l'impression que nous nous éloignons de l'intention première de ce projet de loi. Personne n'a dit qu'il visait à prévenir la violence à l'égard des femmes autochtones. Je crois que c'est une cible secondaire, car en général, la violence est présente avant qu'il faille diviser les biens conjugaux. Cependant, il y a encore aujourd'hui des cas où des femmes, qui ne savent plus où aller, essaient de reprendre la vie conjugale, et la violence se poursuit. C'est ce qui arrive aujourd'hui même dans certaines collectivités.

Cela dit, qu'allez-vous dire aux femmes autochtones du Canada qui, aujourd'hui, sont concernées par le fait qu'il existe un vide juridique au chapitre de la division des biens matrimoniaux? Car c'est vraiment là l'objet du projet de loi. L'objectif, c'est que les femmes soient traitées de manière équitable au moment du partage des biens. Qu'allez-vous dire à ces femmes, aujourd'hui, qui sont concernées par ce vide juridique, qui vont perdre leur maison, qui doivent déménager avec leurs enfants? Leur dites-vous : « Eh bien, il n'y a pas eu suffisamment de consultations »? Personne n'a dit que le projet de loi était parfait, mais c'est du moins un début, et c'est quelque chose que bien des femmes autochtones voulaient avoir. Que dites-vous à ces femmes, aujourd'hui?

Mme Palmater : Je vais répondre à votre importante question en disant que personne n'a demandé un projet de loi parfait. Ce que nous demandons, c'est un projet de loi légal, qui respecte les droits ancestraux et les droits issus des traités de même que les droits constitutionnels, ce qui comprend les droits de ces femmes autochtones. Il existe un nombre égal de femmes autochtones qui ont réglé leurs problèmes relatifs aux biens immobiliers matrimoniaux à l'amiable, dans la réserve, en fonction des traditions et des coutumes; vous avez entendu comment cela se passe à Millbrook. Tout le monde peut mettre en relief sa situation particulière. Je connais bien des personnes qui ne sont pas des Autochtones et qui ont été mises à la porte de leur maison.

Le sénateur Brazeau : Mais que dites-vous aux femmes autochtones qui sont touchées? S'il s'agit d'une collectivité des Premières nations qui a mis en œuvre un certain régime et que les droits des femmes sont protégés, c'est parfait. Je crois qu'il faut le faire savoir, le respecter et l'applaudir. Que dites-vous aux femmes des collectivités qui n'ont pas adopté de régime particulier, qui n'offrent aucune protection et où il n'y a pas de distribution équitable des biens immobiliers matrimoniaux?

Mme Palmater : C'est le fondement même de l'exposé que j'ai présenté. C'est exactement dans ce but que nous travaillons tous. Il se passe la même chose que dans le cas de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Ces droits sont fondamentaux — nous ne voulons pas être écartés par un conseiller de bande, par exemple. Cependant, nous devons garder à l'esprit le fait que les droits des femmes autochtones dans les collectivités autochtones que nous cherchons à protéger sont les mêmes droits. On avait prévu une période de transition de trois ans dans le cas de la Loi canadienne sur les droits de la personne; il n'y a aucune raison de ne pas prévoir aussi une période de transition de trois ans dans le cas du projet de loi S-4, advenant le cas où il était adopté.

Nous n'allons pas empêcher les couples de se séparer. C'est une chose qui arrive depuis des centaines d'années et qui continuera d'arriver. Ce que je dirais à ces femmes, c'est ceci : pourquoi faire porter le blâme à votre chef et à votre conseil, alors que le Canada est peut-être fautif? C'est le Canada qui a promulgué la Loi sur les Indiens. C'est lui qui se traîne les pieds dans tous les dossiers qui concernent l'égalité, et en particulier celle des femmes autochtones, par exemple le projet de loi C-3. Si le Canada avait organisé des consultations, dès le départ, on ne serait pas ici à discuter de cela. Cela montre bien à quel point les consultations sont importantes. Ce n'est pas que nous ne voulons pas de lois sur les BIM. Nous voulons que tous les membres de nos collectivités soient protégés, mais nous voulons nous assurer que les petits-enfants de ces femmes disposent encore dans trois générations des droits ancestraux, des droits issus de traités et de nos terres.

Mme Meawasige : J'aimerais tout simplement réagir à vos commentaires. Nous traitons les nôtres avec tout l'honneur qui leur est dû. La plupart des différends sont liés à la famille et sont réglés par les membres de la famille et, au besoin, par d'autres aînés de la collectivité. C'est toujours de cette façon que nos familles règlent un problème. Donc, ce ne serait pas difficile de régler des problèmes liés aux BIM. Nous ne leur donnons pas ce nom de BIM. Les aînés présents respectent le fait qu'il faut prendre soin de sa maison et de ses enfants, car nous avons toujours pris soin des nôtres, et nous le faisons toujours, peu importe ce qui arrive. S'il faut d'autres aînés pour aider une famille, ils répondront toujours à l'appel.

Mme Palmater : Le ministre a déclaré, ici même, que le choix était le suivant : laisser les femmes se faire mettre dehors de chez elles en plein milieu de la nuit ou respecter l'autonomie gouvernementale des Autochtones et leurs droits territoriaux. Si ce sont les seules catégories possibles, je me demande bien ce que je préfère. Je ne sais pas ce que je préférerais. Vous nous soumettez un choix fictif, alors qu'en réalité, il existe un nombre incalculable de positions mitoyennes. De nombreux témoins ont dit que l'on pouvait bien adopter le projet de loi S-4, mais qu'il fallait consulter les intéressés, proposer des amendements et les intégrer, tout en donnant aux Premières nations la possibilité de faire eux-mêmes leurs lois et de ne pas se plier au projet de loi S-4 si elles ne le veulent pas. Il y a une multitude de positions mitoyennes. Il ne s'agit pas de choisir entre l'expulsion d'une femme de son foyer et le respect des gouvernements. Ce n'est pas vraiment un choix.

La présidente : Vous devriez essayer de vous faire élire.

Le sénateur Dyck : Je veux remercier tous les témoins qui ont présenté de magnifiques exposés. Je ne sais pas si vous avez entendu parler du rapport déposé en 2006 par le Cercle national autochtone contre la violence familiale. Ce rapport s'intitulait « Aboriginal Women and Family Violence » (Les femmes autochtones et la violence familiale) et se composait d'entrevues de femmes victimes de violence qui avaient dû quitter la résidence familiale de la réserve. Les recommandations qu'elles ont soumises étaient très intéressantes. Elles ont dit qu'il fallait appuyer la souveraineté des Premières nations avec quelques lois provinciales ou fédérales. Elles ont dit qu'il fallait mettre en place des cercles de détermination de la peine et mettre en vigueur la justice réparatrice afin que la collectivité devienne responsable. Elles n'ont pas dit qu'il fallait que le gouvernement fédéral adopte une loi. Ce sont de ces femmes-là que nous parlons. Je crois que j'aimerais maintenant savoir ce que vous en pensez.

Mme Palmater : C'est exactement ce que nous, les témoins, disons : il ne faut pas envisager la situation d'une femme autochtone sans tenir compte de sa collectivité. Elles vivent au sein de ces collectivités et elles demandent exactement cela. Quand vous dites que c'est ce que veulent les femmes autochtones, je dois vous répondre ceci : « Montrez-moi ces femmes autochtones. » Elles ont toutes dit, chacune leur tour, qu'elles voulaient être protégées, mais cela doit se faire en respectant notre souveraineté et en reconnaissant les pouvoirs des Premières nations. Je ne crois pas que quiconque ait dit le contraire.

M. Shining Turtle : Il s'agit essentiellement de construire une unité familiale et d'aider cette unité familiale. Personne ne m'a dit qu'il fallait agir autrement, malgré les difficultés auxquelles nous faisons face, et je fais face à des difficultés tous les jours. Tout cela est fondé sur un système axé sur le respect. Nous sommes en train d'augmenter nos capacités de façon que les Premières nations arrivent à aplanir toutes ces difficultés. Il y a des différends tous les jours, dans la collectivité. Nommez-moi une collectivité où il n'y a jamais eu de différends. Soudainement, des problèmes se présentent — oh! Nous devons faire quelque chose? Nous trouvons des solutions chaque jour. En 1970, on a trouvé une solution pour moi et pour ma famille, et nous étions neuf. Devinez quoi? Cela fait partie de mon travail quotidien. Je trouve des solutions pour ma collectivité, dont les membres forment une famille latérale et sont tous des voisins. Des gens entrent; les aînés viennent nous parler. Il y a toutes sortes de mesures provisoires. Il existe d'énormes possibilités, et les Premières nations peuvent désirer mettre au point une solution et en prendre la responsabilité. C'est tout ce qu'elles disent.

Le sénateur Nancy Ruth : J'aimerais faire une déclaration. Le sénateur Mitchell a dit que le projet de loi visait à mettre fin à la violence faite aux femmes. Il ne s'agit pas de mettre fin à la violence faite aux femmes. Il y aura peut-être bientôt d'autres projets de loi qui porteront sur des questions liées à la violence, mais, en l'occurrence, le projet de loi concerne les biens immobiliers matrimoniaux.

La présidente : Merci, sénateur Ruth. Il sera bientôt 19 heures. Nous pouvons rester un peu plus longtemps. Je pourrais continuer comme ça pendant des heures.

Mme Meawasige : J'aimerais revenir au récit du chef Shining Turtle, sur la façon dont il a perdu sa mère et sur son père. C'est une simple illustration des liens que nous entretenons avec notre famille et nos enfants. Nos enfants ont toujours été recueillis par la famille, et les aînés sont acceptés dans la famille en raison de leur sagesse. Je ne crois pas qu'il existait en ce temps-là de SAE. Quand j'étais enfant, je n'ai jamais entendu parler de la SAE. C'est arrivé plus tard, dans les années 1960.

Le sénateur Nancy Ruth : Qu'est-ce que c'est, la SAE?

M. Shining Turtle : La Société d'aide à l'enfance.

Mme Meawasige : Cela concerne le groupe des années 1960. Nous avons entendu davantage parler de la Société d'aide à l'enfance. Dans nos familles, on craignait tous que cette Société vienne nous enlever, et des choses comme ça. Comme le chef Shining Turtle l'a dit, nos familles se chargeaient des enfants et les élevaient, peu importe ce qui arrivait.

La présidente : Merci beaucoup. J'ai apprécié vos exposés, qui étaient d'excellente qualité, et je suis sûre que tout le monde, en particulier mes collègues, les a appréciés. Merci de nous avoir fait connaître votre opinion et d'avoir partagé vos connaissances et votre sagesse en parlant de ces questions, celles dont on débat aujourd'hui et les autres questions qui ont trait aux Autochtones. Vous êtes des gens vraiment admirables.

Emma, je tiens à vous remercier en particulier d'être venue ici et d'avoir bien voulu nous entretenir, aujourd'hui. J'ai eu une grand-mère qui vous ressemblait, et il est vrai que le système de soutien qu'offrent les familles, les grands-parents, les oncles et les tantes peut faire toute la différence dans une vie. Je viens du Manitoba; j'ai grandi à Gimli, sur les rives du lac Winnipeg, et je sais exactement ce que vous voulez dire quand vous parlez de votre peuple et de la façon dont les membres d'une famille s'occupent les uns des autres. Votre témoignage a été vraiment agréable, c'était le témoignage de votre génération.

Merci, chef Shining Turtle, et merci, madame Palmater, vous êtes vraiment des exemples à suivre.

J'aimerais que les sénateurs restent ici un moment, car j'aimerais parler de ce qui se passera mercredi.

Le sénateur Jaffer : Ils disent qu'un règlement est en vigueur. Ils ont parlé de ce magnifique centre. Ils n'ont pas de budget et ils n'ont pas été consultés. Jetez un coup d'œil sur ce document d'information que le gouvernement a envoyé. La façon dont ils traitent les gens qui se trouvent ici est inacceptable. J'aimerais que tout le monde soit d'accord pour que le président leur écrive un mot pour demander que les notes qu'on nous envoie soient de meilleure qualité. Les études de cas qu'ils ont réalisées m'ont donné un infarctus. Dans l'une de ces études de cas, on dit qu'une personne qui n'a aucun droit ni aucun intérêt, qui n'est pas membre de la collectivité, pourra, grâce à cette loi, détenir des droits sur des terres de la réserve. C'est ce que fera ce projet de loi. C'est un projet de loi sérieux. En tant que groupe, nous devons l'étudier et étudier également les notes que le gouvernement ou le ministère a envoyées. Ce sont vraiment des notes médiocres. Ils doivent faire mieux.

La présidente : Merci. Je vais demander au greffier d'en prendre note, et nous nous en occuperons. Je dois ajouter avant de poursuivre que les représentants du MAINC ne peuvent pas annuler une loi. Cela relève du ministre et du Cabinet.

Messieurs et mesdames les sénateurs, je propose que nous nous rencontrions à midi, mercredi, pour l'étude article par article.

Le sénateur Jaffer : Tout dépend du résultat de votre rencontre avec le ministre, si c'est vous qui allez le rencontrer, car s'il a l'intention de retirer ce projet de loi, nous n'aurons pas à faire l'étude article par article. Je sais que je rêve, mais cela ne m'empêche pas de rêver.

La présidente : S'il le retire, je vous le laisserai savoir. D'ici là, nous allons fixer notre séance à midi, mercredi. Je vous laisserai aussi savoir à quel endroit elle se déroulera.

En ce qui concerne les autres affaires dont nous devons faire rapport, tout progresse comme il faut. Je ne sais pas si nous allons faire adopter le projet de loi — à moins qu'il ne soit retiré, évidemment.

Le sénateur Jaffer : Oui, je le sais. Je rêve.

La présidente : Je ne peux pas faire de commentaires à ce sujet.

Nous n'allons probablement pas avoir à nous réunir la semaine prochaine, mais vous serez avisé quel que soit le cas.

La présidente : Y a-t-il d'autres commentaires? Sinon, je vais lever la séance.

(La séance est levée.)


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