Délibérations du comité sénatorial permanent des
Droits de la personne
Fascicule 5 - Témoignages du 15 novembre 2010
OTTAWA, le lundi 15 novembre 2010
Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd'hui, à 16 h 2, pour examiner, pour en faire rapport, le rôle que le gouvernement du Canada peut jouer pour encourager la promotion et la protection des droits des femmes en Afghanistan quand le Canada aura mis fin à ses opérations de combat en 2011.
Le sénateur Nancy Ruth (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Il s'agit de la première réunion du comité dans le cadre de l'étude, dont l'ordre de renvoi est d'examiner, pour en faire rapport, le rôle que le gouvernement du Canada peut jouer pour encourager la promotion et la protection des droits des femmes en Afghanistan quand le Canada aura mis fin à ses opérations de combat en 2011.
Nous avons le plaisir de recevoir trois témoins cet après-midi et ce soir : un candidat au doctorat, Aamir Jamal, de la section du développement international de l'Université de Calgary, Nipa Banerjee, professeur à l'École de développement international de l'Université d'Ottawa, et enfin, à 18 heures, les représentants de CARE Canada, Kevin McCort, président et chef de la direction, et Kieran Green, directeur des communications.
Aujourd'hui, nous avons proposé que les témoins disposent d'à peu près autant de temps qu'ils souhaitent utiliser, peut-être 15 ou 20 minutes, pour présenter leur thèse, puis que nous tenions une conversation avec eux. Nous avons coutume de poser des questions de façon officielle, et nous pouvons continuer de cette façon, mais j'aimerais simplement que vous interveniez dans la conversation et que vous l'orientiez dans une nouvelle direction si vous avez des questions supplémentaires, de façon un peu plus normale que selon les formes prescrites au Sénat.
Monsieur Jamal, voudriez-vous commencer?
Aamir Jamal, candidat au doctorat en développement international, Université de Calgary, à titre personnel : Merci beaucoup, madame la présidente et merci beaucoup honorables sénateurs de m'avoir invité ici. Je suis content d'être ici, vu surtout l'importance du sujet abordé aujourd'hui.
Il s'agit de mon domaine de recherche, de l'objet de la vaste expérience que j'ai acquise sur le terrain et surtout de ma mission personnelle et de ma passion. C'est un sujet qui est très important aux yeux de la population canadienne. Tout le monde en discute. Les gens sont patients et interpellés lorsqu'il est question de ce sujet, dans le milieu universitaire comme ailleurs. Ils parlent de l'Afghanistan et des questions qui touchent les femmes, alors merci beaucoup de m'avoir invité ici.
Les Canadiens devraient être fiers du peuple afghan, les Pachtounes. Nous sommes reconnaissants et vous remercions de votre contribution très positive et des sacrifices très importants que vous avez faits dans la région. C'est un rôle positif. J'ai dit à quelqu'un l'autre jour que la présence du Canada en Afghanistan est une bénédiction.
Savez-vous comment les Afghans appellent Kandahar? En pachto, ils disent « Canada Har ». En pachto, Har veut dire « collier ». Ils appellent Kandahar « Canada Har », c'est-à-dire le collier canadien. Ils considèrent Kandahar comme un enjeu canadien, un endroit canadien.
Comme la plupart d'entre vous le savez déjà, mes recherches portent sur la justice et le sexe. Ma thèse, c'est qu'il y a une chose qui manque dans ce que nous faisons, et c'est de mobiliser les hommes, de mobiliser tout le monde à l'égard de la justice pour les deux sexes, et non seulement les femmes. Il ne s'agit pas seulement du sexe féminin, seulement des femmes. Ce sont les deux. C'est la relation. C'est la structure de pouvoir.
Je vais vous parler pendant environ cinq minutes du contexte de toute la question pour vous donner une idée d'ensemble. Ensuite, je vais parler de mon expérience personnelle et de ce que j'ai vécu là d'où je viens. En ce qui a trait à mes recherches, je ne vais parler que brièvement de mes méthodes, parce que je pense que ça ne vous intéressera peut- être pas, et je vais me concentrer sur les conclusions que j'ai tirées.
Voici la région dont je parle. C'est quelque chose d'essentiel, le fait que nous ne pouvons pas isoler l'Afghanistan de la région tribale du Pakistan. Il y a un peuple, les Pachtounes, des deux côtés de la frontière. On peut le constater à Peshawar et à Jalalabad : la plupart des Pachtounes n'admettent pas l'existence de cette frontière; il ne s'agit que d'une seule et même tribu. Les gens parlent tous la même langue, et leur culture est semblable. Si quelque chose se passe d'un côté de la frontière, on ne peut pas dire que ça n'aura pas de répercussions de l'autre côté.
C'est la raison pour laquelle je n'envisage pas que l'Afghanistan dans mes travaux de recherche. J'étudie toute la région. Je prends les Pachtounes, qui sont 49 millions et forment la plus grande société tribale du monde. Vous savez probablement déjà que la plupart des talibans sont Pachtounes.
En vert, c'est la région où vivent les Pashtounes. D'un côté se trouve Kandahar, et de l'autre, Peshawar. Ce sont tous des Pachtounes, qui vivent dans deux pays. Ils forment la plus grande société tribale du monde, et ils parlent la même langue. Les Pachtounes comptent pour 42 à 50 p. 100 de la population de l'Afghanistan, qui est de 29 millions d'habitants, et pour 15,42 p. 100 de la population du Pakistan, qui est de 174 millions d'habitants.
Dans le passé, ils ont toujours été un groupe ethnique puissant en Afghanistan sur le plan politique. Ils ont toujours dirigé le pays. À quelques exceptions près, l'Afghanistan a toujours été dominé et dirigé par ces Pachtounes.
Ils respectent strictement les normes culturelles. Le Pachtounwali est un code tribal non écrit. Tout Pachtoune, dès sa naissance, sait ce qu'est le Pachtounwali, comment vivre en fonction de celui-ci, quelles sont les normes, la tradition et la culture, quoi faire et quoi ne pas faire au sein de cette société. La constitution des Pachtounes est déjà là.
Une autre question importante, c'est qu'il y a toujours eu des cycles de guerre en raison de l'intérêt du monde extérieur à l'égard de cette région d'importance capitale parce qu'elle est une porte d'entrée vers l'Asie centrale.
Il est important que je vous dise que la religion jouait un rôle passif et traditionnel avant les années 1980 dans toute la région. Encore une fois, je parle des deux côtés de la région, en Afghanistan et au Pakistan, et de la tribu pachtoune. Ça n'avait aucune incidence dans les affaires politiques. Nous, les Pachtounes — je suis moi-même pachtoune —, voyons les mollahs et tout chef spirituel comme des gens passifs, des gens faibles. Leur travail ne consistait qu'à jouer les rôles traditionnels, c'est-à-dire toutes choses qui ont habituellement rapport avec la religion comme les mariages, les naissances, les funérailles et ainsi de suite. Ils ne jouaient aucun rôle sur le plan politique. Nous, les Pachtounes, assurions leur sécurité. Nous avions des armes. Pas eux. C'était le rôle de ces religieux, de ces érudits musulmans, si l'on veut.
Après décembre 1979 et l'invasion soviétique, le monde a changé. La guerre froide a commencé. La communauté internationale est venue pour combattre les Soviétiques. Ils ont aidé les Afghans, aidé les Pachtounes, à reprendre leur pays. À ce moment-là, que s'est-il passé? Les États islamiques clés des deux côtés et la communauté internationale ont promu et aidé les mollahs. Ils ont financé les chefs spirituels.
Eh bien, chers amis, j'ai été témoin de tout cela. Vous avez fait appel à la bonne personne. J'étais là-bas; j'ai vu ce qui s'est passé de mes propres yeux. Mon imam n'avait pas les moyens de se payer une bicyclette, et il demandait de la nourriture aux gens. Il demandait à des gens, à un talib — aux talibans — de se promener dans la rue et de demander de la nourriture dans les maisons. Aujourd'hui, ce mollah a un véhicule à quatre roues motrices. Il a maintenant des armes modernes et tout. S'il est devenu si puissant, c'est qu'il a été soutenu par la communauté internationale pour qu'il y ait le djihad. Pour que nous puissions promouvoir le djihad. Pour que nous puissions renforcer cet extrémisme et la philosophie du djihad et que ces gars puissent repousser l'Union soviétique. Voilà ce qui se passait dans la région à l'époque. Des États islamiques clés ont participé pleinement à cela. Les mosquées devraient être simplement comme elles ont été construites. Après ça, le plus bel édifice de notre village, c'était la mosquée, en raison du financement.
Les groupes religieux et les imams sont devenus la classe dominante, et, tout à coup, la structure de pouvoir a changé. Ils ont les armes et le pouvoir. Nous, les Pachtounes, n'avons pas ce pouvoir. Ils nous protègent, mais avant, c'était nous qui les protégions. C'est très important. Ils ont commencé à participer à la vie politique, mais ce n'était pas le cas avant. Personne ne pensait voter pour un chef spirituel — jamais de la vie. Les chefs spirituels ne sont pas là pour ça; ils sont là pour s'occuper des mosquées.
Après le retrait des Soviétiques en 1989, la question, c'était de savoir où se trouvaient tous ces moudjahidins et tous ces mollahs. Le vent ne les avait pas emportés. Ils étaient là, mais la communauté internationale était partie; elle avait quitté l'Afghanistan. Il y avait chez nous des milliers de djihadistes venant de différentes régions du monde — dont certains d'Arabie — qui étaient armés. Ils ne savaient faire qu'une chose : se battre. Il leur fallait trouver une lutte, parce que c'était leur domaine d'expertise. Qu'y avait-il à faire? Tous ces gens étaient là avec nous. Ils allaient trouver leur lutte.
Je vous ai présenté rapidement quelques éléments de contexte. Je vais brièvement vous raconter ce que j'ai vécu et vous expliquer mon point de vue sur les questions liées à l'égalité entre les sexes. Heureusement, j'ai eu cette idée avec quelques amis. J'étais en bonne compagnie à l'époque à Peshawar, dans la région tribale à la frontière de l'Afghanistan. Les réfugiés débarquaient en masse dans ma ville. À l'arrêt d'autobus, je me rappelle avoir vu des femmes et des filles qui n'avaient nulle part où aller. Elles se faisaient agresser sexuellement. Elles n'avaient pas de maison; elles n'avaient rien. Quelques amis et moi savions que nous devions faire quelque chose. Nous avons décidé que la solution, c'était les écoles, parce que sinon, il n'y avait que la drogue et ce genre de choses.
Nous étions des étudiants universitaires pachtounes. Nous ne savions pas que notre idée s'appelait « le développement social ». Tout ce que nous savions, à l'époque, c'est que c'était un bon travail. Où pouvions-nous trouver un endroit pour leur enseigner? Nous avons eu l'idée de nous adresser aux propriétaires de petits hôtels. Nous avons dit à ces gens riches : « Vous avez toutes ces chambres qui sont vides à longueur de journée parce que ce n'est qu'une fois de temps en temps que quelqu'un les loue. Nous leur avons demandé s'ils pouvaient nous donner ces chambres pour que nous puissions nous en servir. La plupart d'entre eux ont répondu : « Pourquoi pas? »
Dans un village de Peshawar, nous n'arrivions pas à trouver un endroit pour enseigner. Je me suis rendu à la mosquée — le lieu de culte des musulmans — et j'ai demandé à l'imam. Il y avait une petite salle où l'imam lisait ce que bon lui semblait. Je lui ai demandé s'il savait que ces jeunes Afghans — les Pachtounes — n'avaient pas d'éducation et que les gens leur faisaient du mal. Je lui ai demandé s'il pouvait nous donner une salle pour que nous puissions leur enseigner après la prière de 5 h 30, puisque, après la prière du matin, personne ne vient à la mosquée avant 13 h 30. La salle est vide. Je lui ai dit qu'il pourrait en profiter, le matin, pour leur transmettre quelques paroles sages ou quelque chose du genre. C'était ma stratégie. L'imam a adoré l'idée, parce qu'il voulait un public, et il a accepté. Je lui ai dit qu'après, nous leur enseignerions les mathématiques et les sciences.
Le matin suivant, des centaines d'étudiants sont venus. L'imam est venu aussi. Je me suis arrangé pour qu'il quitte cette petite salle en le traitant avec respect et en le laissant parler de culture, de religion, de respect et d'honneur. Il s'est assis devant tous ces jeunes et leur a parlé pendant 20 minutes de faire le bien et de respecter leurs parents.
Après 20 minutes, la mosquée était à moi, les salles de bain étaient à moi et l'eau aussi. Toute la mosquée était à moi. J'ai commencé à enseigner. Des gens arrivaient continuellement. J'ai appelé des professeurs, et ils sont venus. J'ai fait participer la collectivité. Ça a merveilleusement bien fonctionné. Nous faisions aussi de la consultation familiale. Je ne connaissais pas cette expression avant, mais je sais aujourd'hui que ce que je faisais, c'était de la consultation familiale. Les gens nous respectaient. Ils nous disaient que nous faisions un excellent travail. En échange de quoi? De leur confiance, de leur sincérité et de leur empathie.
Nous avons fondé 42 écoles que plus de 2 000 jeunes ont fréquentées. Ça a tellement bien fonctionné. C'est ce qui m'est arrivé de plus important dans ma vie.
La leçon qu'il y avait à tirer, c'était qu'il fallait faire intervenir le gardien — l'imam, l'homme pachtoune. C'était un changement de l'intérieur. Ils savaient que le travail était une source de changement. Ils suscitaient la confiance et l'empathie. Nous sommes entrés dans leur monde. Nous ne leur avons pas imposé le nôtre, parce qu'ils ne l'auraient pas accepté. C'est devenu une relation significative, sincère et durable. C'est ce que j'ai appris de cette expérience. J'en ai fait ma mission de vie en fonction de cette expérience extraordinaire.
Mon inspiration me venait de ces regards que je croisais. Je n'oublierai jamais ces petites filles. Pourquoi est-ce toujours les femmes? Lorsqu'il y a un conflit ou une guerre, qui en souffre en premier? Les femmes. Lorsqu'il y a un conflit tribal, qui en souffre en premier? Les femmes. Lorsqu'un membre d'une famille est tué par un membre d'une autre famille, le conflit est réglé selon la culture traditionnelle pachtoune. Une fille de la famille du meurtrier est offerte en mariage à un homme de la famille de la victime. Vous pouvez imaginer comment on la traite. Ce moyen traditionnel de régler le conflit est désigné par le terme swara en pachtoune. Qui doit se sacrifier pour la sauvegarde de mon honneur pachtoune? Les femmes.
J'ai vu que malgré la présence de la communauté internationale par l'intermédiaire de l'ONU et malgré des millions de dollars, il n'y a aucun changement significatif, croyez-moi. Il continue d'y avoir des violations des droits de la personne. J'ai fait mes recherches parce que j'ai été témoin d'un écart entre les réalités sociales et les politiques de développement de la communauté internationale. Mon étude s'attache à la recherche sur l'égalité entre les sexes qui fait intervenir les hommes de la collectivité, parce que l'homme est le gardien.
Voici mes questions : comment les hommes pachtounes perçoivent-ils l'éducation des filles? Quels sont les facteurs principaux? Comment la communauté internationale peut-elle faire intervenir la collectivité, et surtout les hommes? Ma méthode est axée sur une recherche qualitative approfondie et des groupes de discussion. Encore une fois, je reviens à la collectivité. Les universitaires appellent ça un groupe de discussion, mais nous, nous appelons ça une djirga. Pourquoi ne pas avoir recours à la même culture tribale? La djirga est une tradition selon laquelle les hommes se réunissent pour prendre des décisions concernant le bien-être socioéconomique de tous. J'ai organisé une djirga à laquelle ont participé 18 hommes pachtounes : des mollahs, des imams, des chefs politiques et des hommes ordinaires. Nous avons parlé de ce qui n'allait pas. La force que j'ai aujourd'hui me vient de mon expérience et de la confiance et de la sincérité qui caractérisent les relations à long terme que j'ai établies. Les participants à la djirga s'assoient ensemble et prennent des décisions, et elles sont graves, parce que les conséquences aussi le sont.
Mes principales conclusions portent entre autres sur la perception de l'éducation des filles. J'ai réparti mes conclusions en trois catégories : les obstacles à l'éducation, le rôle de la communauté internationale et la façon de surmonter ces obstacles à l'éducation des filles.
La culture pachtoune est un important obstacle à l'éducation des filles afghanes. Les Pachtounes ne veulent pas que leurs filles sortent et que quelqu'un les voie. L'extrémisme religieux continue de promouvoir la guerre, et il n'y a pas de paix. Lorsque la guerre est incessante, qui est la personne importante? C'est la personne qui tient le fusil, pas celle qui tient le livre. Toute la collectivité est touchée par la guerre et le conflit, alors ça encourage l'extrémisme. Cela n'encourage pas l'apprentissage. La guerre est un conflit.
La militarisation de l'aide est cruciale. Lorsque l'armée participe à l'aide, lorsque l'armée vient chez moi pour me donner de la nourriture, c'est un militaire qui vient. Je sais de qui il s'agit. La militarisation est un obstacle majeur.
Il y a un manque de volonté et d'engagement politique de la part du gouvernement pakistanais dans les régions pachtounes, et il y a une déconnexion. Pour les organisations non gouvernementales qui travaillent là-bas, il y a une déconnexion par rapport aux réalités sociales.
J'ai demandé aux hommes quelle était leur perception des organisations non gouvernementales de la communauté internationale. Je leur ai demandé : « Que pensez-vous de ces organisations et de ce qu'elles font? Ils m'ont dit qu'elles ont une image négative. Ils ont peur des ONG. Ils m'ont même demandé de ne pas prononcer le mot ONG. C'est comme un juron. Ils ont dit : « Ces organisations ont un programme étranger. Elles vont mal orienter les nôtres. Elles vont prendre nos valeurs. Nous ne voulons pas que nos enfants côtoient les gens des ONG. Ils représentent les puissances occupantes sous un visage différent; ils ne font que se présenter comme des personnes qui lui viennent en aide. Ils font partie des puissances occupantes. »
Un autre aspect important, c'est que les ONG sont un moyen de s'enrichir pour les élites locales corrompues. On entend souvent dire dans la collectivité que, pour devenir riche, il suffit de fonder une ONG, qu'on obtient ainsi beaucoup d'argent. J'ai téléphoné en Afghanistan hier soir. Les gens m'ont dit qu'ils appellent les ONG NGEBO, d'après l'anglais NGEBO. En pachto, gebo signifie « poche ». NGEBO signifie « argent dans la poche ». Il y a de la corruption partout. Il y a des dédoublements et un manque de coordination. Personne n'est là, et, à un endroit, tout le monde est là.
Je leur ai demandé comment serait l'ONG idéale. Quelle serait l'organisation idéale qui pourrait vous venir en aide et auprès de laquelle vous seriez tout à fait heureux d'envoyer vos filles et vos enfants? Conseillez-nous. Ils nous ont dit de ne pas leur imposer nos valeurs. Ne nous imposez pas les droits de la femme. Vous pouvez nous guider, mais ne nous imposez pas ce que vous voulez que nous fassions. Nous avons des valeurs et des traditions différentes, et il va falloir laisser passer du temps.
Apprenez à connaître et à respecter la culture et les valeurs islamiques. C'est extrêmement important. Une personne qui se rend là-bas et qui n'a pas les connaissances nécessaires, ne connaît pas les valeurs et manque de respect est chassée de la collectivité. Je pourrais vous donner de nombreux exemples tout à l'heure.
Embauchez des gens de l'endroit qui sont crédibles. Ils m'ont donné beaucoup d'exemples. Les gens que vous embauchez, ce sont ceux qui sont connus pour être tout à fait corrompus, alors quelle est l'image qu'ils projettent? Établissez la confiance en prenant un engagement à long terme, pas en réalisant un projet de deux ans ou de cinq ans, mais un engagement à long terme.
Conformez-vous à la hiérarchie sociale en place en ayant de bonnes intentions et une approche globale, pas en réalisant un projet pour disparaître ensuite. Concentrez-vous sur les acquis de la collectivité. En soi, l'argent n'est pas important. La collectivité dispose de ressources qui peuvent être utilisées.
La dernière chose, c'est la façon dont nous pouvons surmonter les obstacles à l'éducation des filles. Sensibilisez, informez et mobilisez les aînés. C'est à eux qu'il faut s'adresser. Parlez-leur. Faites-les jouer leur rôle. Lorsqu'ils participent au processus décisionnel, ça leur permet de se l'approprier, et ils ont l'impression que c'est leur école. C'est différent lorsque je dis que c'est mon école et que c'est moi qui l'ai construite. Comment osez-vous vous en approcher pour la détruire, et c'est ce qui s'est passé.
Faites participer les membres des djirgas. Parlez avec les chefs spirituels, les imams; donnez-leur des rôles traditionnels et respectables et de l'importance. Ce ne sont pas tous les imams qui sont des talibans. Il y en a. Vous pouvez en trouver beaucoup, et vous pouvez créer un lien avec eux. Je l'ai fait, et ça a très bien fonctionné.
Consultez le ministère de l'Éducation. Vous ne pouvez pas totalement faire fi du gouvernement afghan. Avec les ONG seulement là-bas, c'est comme un État différent — un État dans un État. Il faut consulter le gouvernement. Il y a des problèmes au sein de celui-ci, mais nous voulons que l'Afghanistan devienne un État. Pour que ce soit le cas, il faut que nous soutenions un gouvernement.
Les installations, ressources et salles de classe — c'est la pauvreté, croyez-moi, sénateurs. Il y a de la pauvreté partout, même dans les régions sur lesquelles nous pouvons dire que nous avons une emprise. Voyez ce qui se passe dans ces régions. Les nouvelles ne sont pas bonnes. Oui, il y a des progrès et des améliorations dans certaines régions, mais il reste beaucoup à faire.
Les écoles ouvertes à la collectivité sont très importantes pour encourager les parents.
La dernière chose sur laquelle je veux revenir, c'est ce que j'ai conclu de mes recherches, c'est-à-dire qu'il faut faire intervenir le gardien. Faites intervenir l'homme, si vous voulez la justice pour les deux sexes. Mobilisez les grands- pères. Parlez-leur.
Entrez dans leur monde avec une attitude d'empathie et de compréhension. Établissez un lien de confiance. Écoutez un peu ce qu'ils ont à dire. Selon eux, quel est le problème? Pour eux, quelle est la solution? Puis parlez-leur et consultez-les. Ils vont vous écouter. Chers sénateurs, la plupart des gens veulent de l'eau potable. La plupart des gens veulent un endroit convenable où habiter. La plupart des gens veulent de la bonne nourriture. Ils n'ont besoin que de savoir comment déterminer si l'eau est potable, ce qu'est une école et en quoi l'école est bonne pour leurs enfants. Une fois qu'ils savent cela, tous les gens en veulent.
J'ai une anecdote. Si vous me le permettez, je vais vous la raconter. Dans le cadre de mes recherches, j'ai rencontré une femme. Elle était la première éducatrice de sa tribu. Je lui ai demandé comment elle avait été éduquée. Elle était la première. Que s'était-il passé? Elle a dit : « Vous savez ce qui s'est passé? Mon grand-père — chaque matin, il m'amenait à l'école, et il me ramenait. Les gens de la tribu disaient : `` Allons, quel genre d'homme es-tu? Tu amènes ta fille à l'école? '' » C'était un commentaire honteux. Le sens en est profond.
Le grand-père faisait ça, et la fille s'est rendue jusqu'à la dixième année; et la valeur essentielle, c'est quoi? Elle a quatre enfants très instruits. Elle était si heureuse. Elle a dit qu'après la huitième ou la dixième année, elle n'avait plus à avertir son mari du fait que son fils était malade lorsqu'il avait la grippe pour savoir quel médicament lui donner. Elle savait maintenant quel médicament lui donner.
C'est anodin, mais, ce qui est intéressant, c'est qu'elle a demandé à son grand-père pourquoi il s'était donné tant de mal pour elle. La réponse était inattendue. Même si je suis de cette région, lorsqu'on fait des recherches, il arrive qu'on obtienne des réponses inattendues. Il a répondu : « Ma fille, j'ai pensé à l'époque que tu serais mariée un jour, tu seras avec ta belle- famille, et il va évidemment y avoir des disputes; avec la belle-famille, il y a toujours des disputes. Tu ne seras pas toujours en mesure de bien répondre, alors lorsque tu seras instruite, lorsque tu sauras lire, tu pourras t'installer dans un coin de la maison, t'y asseoir et lire un livre et ainsi te retrouver en paix et tranquille. »
C'est pour cette raison qu'il voulait que les filles s'instruisent. Pourquoi ne pas trouver ces raisons et s'en servir comme point de départ? Nous ne sommes pas obligés de dire qu'il faut éduquer les filles pour qu'elles puissent venir travailler au sein des ONG. Il y a de nombreux motifs d'éducation auxquels la collectivité accorde de l'importance. Pourquoi ne pas trouver ces motifs et s'en servir comme point de départ?
Je fais des recherches, mais je m'occupe aussi d'un petit projet d'ici. La raison que je donne — ce que je dis aux grands-pères — c'est : « N'êtes-vous pas heureux lorsque vos petits-enfants, surtout vos petits-fils, sont en santé? Si vous voulez que ce soit le cas, vous avez besoin d'une fille éduquée. Ne voulez-vous pas pouvoir consulter une femme médecin, puisque vous n'amènerez jamais votre femme chez un médecin de sexe masculin? » J'ai des exemples de ça aussi, de la façon d'entrer dans leur monde.
Je résumerai en disant que nous devons mobiliser les aînés et les hommes de la collectivité pour obtenir la justice pour les deux sexes, pour mettre fin à l'oppression des femmes par des moyens autres que militaires. La présence militaire est importante à de nombreux égards, mais nous avons besoin de plus d'initiatives d'éducation et de développement économique; il faut créer davantage de liens de confiance en prenant des engagements à long terme.
Il n'y a pas de solution simple. C'est une culture tribale. C'est un long processus, et nous devons être patients et persévérants.
Le sénateur Jaffer : Monsieur Jamal, merci beaucoup de votre exposé. Vous avez porté beaucoup de choses à notre attention. Je veux clarifier certaines des choses que vous avez dites de façon à ce que nous comprenions mieux ce que nous devrions faire.
Vous avez parlé de valeurs musulmanes. Pouvez-vous préciser ce que vous entendez par là?
M. Jamal : J'ai parlé des valeurs musulmanes et des valeurs culturelles. Les gens dont nous parlons ont des valeurs musulmanes, mais aussi des valeurs culturelles pachtounes.
Pour ce qui est des valeurs musulmanes, il est important de savoir que ça dépend de l'interprétation de l'islam. Là- bas, l'islam — le Coran — est surtout interprété par des hommes et pour des hommes. Il y a aussi l'islam interprété selon la culture pachtoune, c'est-à-dire une version différente de l'islam. Dans ce cadre, les gens définissent ce dont peut bénéficier la structure sociale en place et leurs propres réalités.
Pour ce qui est de ce qu'ils appellent des valeurs culturelles, il y en a de nombreuses. Le purdah, par exemple, est une valeur là-bas. Il y a différentes versions de purdah au sein des sociétés musulmanes. Beaucoup d'érudits de l'islam disent que le purdah n'est pas nécessaire, et d'autres disent qu'il l'est, mais que le visage peut être montré. Il y a des gens qui disent que la burka est nécessaire, qu'il faut que tout le visage soit caché.
Le purdah fait partie de l'interprétation culturelle pachtoune de l'islam. Les Pachtounes veulent que leurs femmes restent à la maison. Est-ce une bonne idée? Non, mais il faut commencer quelque part. On ne peut pas leur dire directement d'enlever le purdah parce que c'est mal, parce que, dans ce cas, quel est le résultat? Il y aura un retour du balancier, alors il n'y a pas de solution.
Je suggérerais de ne pas commencer par toutes ces questions délicates. Ils disent, par exemple, que s'il y a une école pour filles, il faut d'abord que nous trouvions des enseignantes, et ensuite, il doit y avoir un mur d'enceinte autour de l'école pour filles. S'il n'y en a pas, oubliez ça : personne ne va envoyer sa fille. Il faut aussi qu'il y ait des salles de bain faites pour les filles. Ce sont de petites choses, mais il s'agit de valeurs.
Ils disent : voici nos valeurs. Dire que ça nous importe peu, que c'est simplement une école sans murs d'enceinte, ça n'aidera pas. Ce sont certaines de ces valeurs. Il y a des valeurs avec lesquelles ni moi, personnellement, ni qui que ce soit d'autre ne serait d'accord, mais vous devez commencer quelque part, plutôt que de faire quelque chose qui va entraîner une réaction.
Il y a un autre exemple qui vient de mon village, de mon district. Les ONG envoyaient des filles au village pour éduquer les femmes en matière de planification familiale sans consulter les aînés. Elles ont parlé aux filles et femmes; ça se passait dans le district de Mardan, je me souviens, près de Peshawar. Lorsque les hommes sont entrés et que les femmes leur ont dit ce qui s'était passé, la réaction a été très forte. Ils sont allés à la mosquée, et l'imam était très fâché. Ils ont utilisé les haut-parleurs pour dire aux gens de ne plus jamais laisser ces filles entrer dans leur maison.
Pourquoi commencer tout de suite par les questions délicates? L'éducation est la meilleure façon de sensibiliser les gens. C'est un processus lent et graduel, nous le savons. En ce moment, nous parlons des droits des femmes. Nous en sommes venus à cela après avoir lutté pendant longtemps, et nous connaissons l'histoire.
Le sénateur Jaffer : Monsieur Jamal, vous connaissez l'histoire de l'Afghanistan, et vous dites qu'avant les années 1980, les femmes étaient éduquées. En fait, les femmes étaient si instruites que des femmes médecins d'Afghanistan venaient travailler dans nos hôpitaux en Ouganda. Ce n'est pas que les Afghanes n'étaient pas éduquées avant les années 1980; elles étaient très instruites. Êtes-vous d'accord?
M. Jamal : Oui et non. Oui pour ce qui est des femmes des villes et de certaines régions particulières.
Le sénateur Jaffer : Elles étaient éduquées.
M. Jamal : Oui. Kaboul était l'un des meilleurs endroits à visiter.
Le sénateur Jaffer : Je crois que l'idée très importante que vous nous avez transmise, et je vous en remercie, c'est que nous devons trouver des moyens de tenir compte des différences et trouver n'importe quel moyen pour éduquer les femmes. C'est ce que j'ai compris.
M. Jamal : Exactement.
Le sénateur Jaffer : Je comprends votre passion à cet égard et que vous disiez qu'il faut tenir compte des croyances des gens et les éduquer. Je comprends.
Nous devons partager le temps réservé aux questions, alors je vais seulement vous poser une question au sujet d'une chose que vous avez dite, et peut-être pourriez-vous fournir la réponse au greffier.
Dans votre exposé, vous recommandez de sensibiliser et de mobiliser les chefs spirituels. Comment les sensibiliseriez- vous? Selon mon système de croyances, les gens comprennent que l'éducation est une chose importante. Que faut-il que nous fassions de plus pour sensibiliser les gens?
M. Jamal : Il s'agit d'une réponse détaillée. Vous parlez de stratégies de mise en œuvre et de ce qu'il faut faire.
Le sénateur Jaffer : Oui.
M. Jamal : Ce sont des questions qui font partie de celles que j'ai approfondies : comment s'y prendre, comment faire intervenir l'imam et comment s'adresser à la djirga. Je l'ai fait. Il y a de nombreuses façons de le faire. Vu que nous avons peu de temps, je peux en expliquer quelques-unes, deux ou trois. Préférez-vous que je réponde plus tard?
Le sénateur Jaffer : Allez-y, mais soyez concis.
M. Jamal : Avant de vous rendre dans un village, par exemple, vous obtenez la confiance de la collectivité. Trouvez un représentant pour gagner la confiance de la collectivité, de la djirga et des aînés, et faites tout ça. C'est pour cette raison que je les appelle « les gardiens ». Nous devons d'abord faire en sorte que les gardiens ouvrent la porte. Une fois qu'elle est ouverte, on peut entrer. Embauchez-les; faites-les participer.
Dans le cadre de l'une des entrevues que j'ai menées, j'ai demandé à un imam : « Si j'avais une école qui réponde à tous vos critères — un mur d'enceinte, des salles de bain adéquates et des enseignantes — aimeriez-vous venir y enseigner? Il a dit : « Oui, mais je ne peux pas le faire, puisque je suis un homme et que les hommes n'ont pas le droit d'enseigner aux femmes. Mais ma fille pourrait leur enseigner. » Faites-les participer.
S'il y a cinq enseignants dans une petite école, pourquoi ne pas demander à un imam ou à quelqu'un de sa famille d'y enseigner? Que fera-t-il? Pour commencer la journée, peut-être qu'il va réciter quelques versets du Coran. Qu'y a-t- il de mal là-dedans?
Intégrer la culture locale de nombreuses façons est un bon point de départ.
Le sénateur Kochhar : Monsieur Jamal, j'admire votre passion et votre compréhension du pays ainsi que le fait que vous essayez de faire des réformes dans l'ensemble du pays. Cependant, l'Afghanistan est un pays fragmenté, puisqu'il est dirigé par le président Karzaï à Kaboul, mais qu'il n'a que peu de pouvoir en dehors de cette ville.
M. Jamal : Oui.
Le sénateur Kochhar : J'ai beaucoup de difficulté à comprendre comment vous vous y prendriez. Les mollahs sont entrés en jeu, et ils exercent le pouvoir par l'entremise des talibans. Ils ont créé des milliers de madrasas où la seule matière enseignée, hormis le Coran, est la haine de tous ceux qui ne sont pas musulmans. On y enseigne plus particulièrement comment haïr les Américains, les Canadiens, les Britanniques et les Européens qui ne sont pas musulmans. Comment devrons-nous nous y prendre pour faire disparaître tout cela? C'est ce que nous devons faire si nous voulons instaurer des réformes en matière d'éducation.
Il est difficile de créer de telles écoles, car il n'y a pas suffisamment d'enseignantes. C'est un cercle vicieux. Il s'agit d'une tâche ardue, car il faut réduire à néant le système actuel, ce qui pourrait être difficile. Comment vous y prendrez- vous pour faire disparaître ces milliers de madrasas établis dans toutes les régions du pays?
M. Jamal : Merci de votre question. Je suis tout à fait d'accord avec vous pour dire qu'il s'agit d'une tâche ardue. Il y a loin de la coupe aux lèvres. Devrions-nous abandonner? Non. Nous devons poursuivre notre travail. Il y a beaucoup d'espoir. Une kyrielle de choses positives se passent là-bas. J'avancerais que tout commence par l'éducation et la sensibilisation.
Greg Mortenson, un Américain du Montana, a rédigé un livre Three Cups of Tea : One Man's Mission to Promote Peace . . . One School at a Time. M. Mortenson se rend en Afghanistan pour mobiliser les collectivités. Il construit des écoles — après des débuts modestes, nous en sommes maintenant rendus à des centaines d'écoles, grâce à la participation des collectivités, qui sont propriétaires de ces écoles. Les talibans se sont présentés à l'une de ses écoles — l'un des chefs s'est approché, et il s'est fait dire qu'il ne pouvait pas toucher l'école parce qu'elle appartenait non pas aux talibans, mais à la collectivité. Grâce au développement, un homme parvient à éduquer des milliers de filles et à transformer radicalement les régions en question. Il s'agit de bonnes nouvelles, mais vous avez raison de dire qu'il n'y a pas d'enseignantes.
Une femme était très malade. Son mari a finalement accepté de suivre les conseils qui lui étaient prodigués, et il a amené son épouse chez le médecin, qui était un homme. Le médecin devait l'examiner, et il a indiqué qu'il couvrirait la femme d'un drap. Le mari s'est rebiffé, et a affirmé qu'il était hors de question que le médecin touche à son épouse. Il a ramené son épouse à la maison, et celle-ci est morte au bout de ses souffrances. Lorsque je pose la question suivante : « Avez-vous besoin de femmes médecins? » on me répond par l'affirmative. La question qui en découle, c'est celle de savoir comment former des femmes médecins si les pères n'envoient pas leurs filles à l'école. Nous avons besoin d'enseignantes. Comment former des enseignantes si les filles ne fréquentent pas l'école? Si nous faisons preuve d'imagination, nous trouverons des solutions durables.
La nuit dernière, à deux heures du matin, j'ai téléphoné à un homme qui travaille pour le ministère de l'Éducation de l'Afghanistan. Mon projet consiste à établir des pensionnats dans les villes, où les femmes pourraient poursuivre des études postsecondaires. Dans de tels pensionnats, les femmes pourraient recevoir une formation, et ensuite retourner dans leur région d'origine. Certaines femmes possèdent des entreprises, et elles traitent avec les talibans.
Il faut sensibiliser les collectivités, et gagner leur confiance en leur prouvant que nous avons de bonnes intentions, non pas uniquement celles de combattre. La majorité des Pachtounes, à savoir plus de 70 p. 100, ne sont pas sous l'autorité du gouvernement Karzai. À leurs yeux, deux ennemis s'affrontent — d'un côté, la communauté internationale, et de l'autre, les « mauvais », soit les talibans ou d'autres —, et ils utilisent leur sol à cette fin. Deux ennemis se combattent et s'entretuent sur notre sol. Les Pachtounes se considèrent comme des victimes innocentes. Ils se demandent pourquoi ils doivent assumer une responsabilité, et ils se demandent ce qu'ils doivent faire. Ils peuvent décider de prendre parti, mais lequel? Les deux camps s'entretuent. Il y a 140 000 militaires; ce ne sont pas des enseignants.
Le sénateur Kochhar : Monsieur Jamal, je ne comprends toujours pas comment vous vous y prendrez pour vous débarrasser de ces madrasas. Que faire pour entreprendre leur démantèlement? D'où vient l'argent nécessaire pour leur exploitation? Il s'agit de questions fondamentales. Lorsque le système des madrasas sera démantelé, il sera possible de mettre en place des écoles en bonne et due forme où les garçons et les filles recevront une éducation convenable. Une proportion d'environ 75 p. 100 des personnes qui fréquentent l'école en Afghanistan reçoivent une éducation religieuse dans le cadre de laquelle on leur enseigne à haïr la culture, la civilisation et les nations occidentales. Que faire pour éliminer ces écoles religieuses de manière à ce que les élèves puissent apprendre les valeurs fondamentales de l'islam, à savoir l'amour de tous et la bienveillance à l'égard du monde entier? Où sont passés ces enseignements? Comment faire pour que ces valeurs islamiques soient de nouveau enseignées?
M. Jamal : Où sont passés ces enseignements? Il s'agit d'une bonne première question à se poser. Malheureusement, dans les années 1980, nous avons créé les madrasas — nous avons donc un léger problème. Nous avons accepté de l'argent de quelques États islamiques clés, qui avaient intérêt à financer la création de madrasas.
Le problème ne disparaîtra pas instantanément. J'ai mentionné le fait qu'il y avait deux camps, et le fait qu'il fallait en choisir un. L'un des camps permettra aux gens d'avoir des écoles, de l'eau potable et une meilleure vie. Cependant, comme les deux camps se font la guerre, il s'agit d'un faux choix. Les gens choisiront de se rallier au camp avec lequel ils se sentent plus à l'aise, et qui a la même religion, la même culture et les mêmes valeurs qu'eux. Les choses changeront lorsque nous aurons plus d'argent à investir dans le volet de développement international du système d'éducation, et lorsque nous serons davantage motivés et dévoués à cet égard. Nous ne pouvons pas rayer les madrasas de la carte. Il n'existe pas de solution instantanée. Ce sera un processus lent et graduel, qui se produira lorsque les gens sentiront qu'un changement se produit dans le pays.
Pour leur premier voyage à l'extérieur de l'Afghanistan, des gens de mon village se sont rendus à Dubaï. À leur retour, ils m'ont dit que la première chose qu'ils voulaient avoir dans leur maison, c'était des toilettes. Avant cela, les gens se rendaient tout simplement à l'extérieur pour faire leurs besoins. À présent, ils s'aperçoivent que le fait d'avoir des toilettes présente des avantages. En ce moment, les gens ne sont pas informés. La plupart des femmes dont je parle ne vivent pas à Kaboul ou à Kandahar.
La présidente : Je vais devoir vous interrompre ici, monsieur Jamal, de manière à ce que nous puissions passer à d'autres questions. Vous pourriez peut-être prendre en note la question de chaque sénateur, et y répondre l'une après l'autre.
Le sénateur Oliver : Monsieur Jamal, vous êtes un doctorant, et votre thèse porte sur le sujet dont vous nous avez parlé aujourd'hui. Votre thèse est-elle terminée? Avez-vous tiré des conclusions?
M. Jamal : La collecte de données est terminée. Je parachèverai ma thèse dans trois ou quatre mois.
La présidente : Avant d'entendre la réponse, j'aimerais que tous les sénateurs posent leur question, et le témoin y répondra. Si nous ne procédons pas ainsi, nous manquerons de temps.
Le sénateur Oliver : Vous avez mentionné que les ONG comme la Croix Rouge, CARE et l'UNICEF ne sont pas du tout respectés au sein de la société civile, et que les élites corrompues les considèrent comme des moyens de faire de l'argent. Vers qui le Canada et les autres pays occidentaux peuvent-ils se tourner pour tenter d'établir le contact avec la population et provoquer des changements?
Vous avez dit que vous aviez réussi à établir un lien de confiance avec la population grâce à votre dévouement à long terme, mais vers quelles organisations devons-nous nous tourner pour créer un lien de confiance avec les gens sur le terrain si ceux-ci ne respectent pas les ONG?
Le sénateur Brazeau : J'ai une question fondamentale à poser. Vous avez mentionné que l'une des solutions aux nombreux obstacles consisterait à mobiliser les hommes ou à faire participer les gardiens. Si nous ou quiconque devons respecter les traditions et les valeurs auxquelles tiennent les hommes ou la collectivité, dans quelle mesure est-il réaliste de tenter d'éduquer ces gardiens, de renforcer leur position et de les mobiliser véritablement si leurs traditions et leurs valeurs l'emportent — dans les cas particuliers que nous étudions — sur les droits des femmes afghanes?
M. Jamal : Pourriez-vous expliciter votre question, s'il vous plaît?
Le sénateur Brazeau : Par exemple, vous avez dit que les médecins n'étaient pas en mesure d'examiner une femme. La même chose se passe peut-être dans les écoles — on dissuade peut-être les femmes de fréquenter l'école. Si cela fait partie des traditions et des valeurs de certains des gardiens, dans quelle mesure est-il réaliste de les mobiliser et de tenter de changer leur vision des choses pour faire en sorte que quelques-unes de ces traditions et de ces valeurs n'éclipsent pas les droits des personnes et des femmes afghanes?
M. Jamal : Merci.
La présidente : J'aimerais poursuivre dans le même ordre d'idées que le sénateur Oliver, et poser une question sur l'idée selon laquelle la création d'une ONG est un bon moyen de devenir riche. L'Agence canadienne de développement international, l'ACDI, a adopté des politiques selon lesquelles les ONG qui veulent conclure un marché avec elle doivent présenter une soumission. Ce processus occasionne quelques problèmes au Canada, mais j'aurais tendance à croire que cela pourrait stimuler un Afghan qui voudrait devenir riche et soumissionner sur un marché de l'ACDI s'il n'y avait aucun aspect continu, à long terme, permanent et de longue durée, car si j'ai bien compris ce que vous avez dit, les choses dont vous parlez s'inscrivent dans une perspective à très long terme.
Je tiens à préciser que, même si vous semblez insister sur les populations rurales, cela n'exclut pas le fait que le Canada soutient les femmes qui fréquentent l'université, la réforme juridique ou les programmes de formation professionnelle.
Enfin, d'après ce que je crois comprendre, les Forces canadiennes continuent d'appuyer les forces policières et militaires afghanes. Le gouvernement du Canada a récemment annoncé qu'il appuyait la Résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations Unies sur les femmes, la paix et la sécurité. À votre avis, est-il important que les Canadiens qui dispensent une formation aux forces policières et militaires afghanes s'emploient également à les éduquer à ces sujets? Comment doivent- ils s'y prendre pour faire cela? Ce sont les questions que je voulais vous poser.
Le sénateur Zimmer : Merci de votre exposé, qui était particulièrement fascinant. Je vais condenser ma question. Elle s'inscrit à peu près dans le même ordre d'idées que celles posées par le sénateur Kochhar et le sénateur Brazeau, à quelques différences près.
Il y a deux ou trois ans, je me suis rendu en Afghanistan, plus précisément à Kaboul et à Kandahar, avec le Comité sénatorial permanent sur la sécurité nationale et la défense. Un matin, nous avons franchi la limite avec un convoi de cinq véhicules. C'était très dangereux. Nous avons gravi les collines, et de là-haut, nous avons regardé ce qui se passait au loin. La veille, nous avions rencontré un bon chef taliban. Du haut des collines, nous avons vu les gens sortir de leurs maisons. Il était à peu près sept heures. La brume matinale se dissipait. Les gens construisaient une route. Je crois que vous avez mentionné que ces infrastructures leur appartenaient, et il s'agit là d'un aspect essentiel. Ces gens ne faisaient pas que construire une route — ils lui donnaient un nom, ce qui est fondamental. Ils tenaient à leur route, ils voulaient qu'elle soit durable, mais ils sont exposés à la civilisation occidentale, comme nous avons pu le constater en voyant les femmes dans une échoppe. Les femmes plus âgées refusaient d'enlever leur burka et ne voulaient pas qu'on les prenne en photo, mais les plus jeunes acceptaient. Elles connaissent la civilisation occidentale.
Peut-on s'attendre à ce que, au cours des 5 à 10 prochaines années, ces mouvements et ces changements, qui touchent surtout les jeunes femmes qui apprennent ce qui se passe à l'extérieur de leur pays et les femmes plus âgées qui affirment vouloir rester dans leur pays, anéantissent et fassent disparaître la culture et les valeurs de ce pays? En outre, la véritable question consiste peut-être à déterminer si une telle chose ne serait pas très dangereuse pour ces femmes, même s'il s'agit d'une chose qu'elles voudraient voir se produire.
M. Jamal : Vous dites qu'il se peut qu'elles veuillent changer leur culture?
Le sénateur Zimmer : Les femmes qui veulent changer leur propre culture et leur propre vie, et qui veulent s'adapter davantage au monde occidental perçoivent constamment que cela ne va pas sans danger, et je ne suis pas certain qu'il est possible de faire disparaître cela.
M. Jamal : D'accord, sénateur, merci.
La présidente : J'ai le regret de vous dire que vous n'avez que cinq minutes. Faites du mieux que vous le pouvez.
M. Jamal : Puis-je commencer par répondre à la dernière question?
La présidente : Allez-y dans l'ordre qu'il vous plaît.
M. Jamal : J'ai parlé de valeurs et de culture. Tout d'abord, une culture n'est pas quelque chose d'immuable, et ne le sera jamais. Une culture ne demeure jamais dans le même état. La culture évoluera. Nous vivions dans des grottes. Nous avons changé la culture. La culture est en évolution constante. Dans de nombreux endroits où vivent les tribus pachtounes, la culture a changé.
Au sein de ces cultures, les femmes ont changé. Ma famille offre de nombreux exemples de femmes qui ont changé. À présent, durant les entrevues téléphoniques que je mène avec eux, les hommes me disent à quel point ils sont fiers d'avoir éduqué leurs filles. C'est maintenant au tour de ces filles d'avoir leurs propres écoles et d'éduquer les autres.
Dans ma famille, ma mère a été la première, et j'imagine que c'est la raison pour laquelle je me trouve ici. Ma mère a été la première de toute la tribu à recevoir une éducation. Je me rappelle encore qu'elle nous disait que son école s'appelait la Lady Griffith School. Ma mère a eu quatre fils, et nous avons tous fréquenté l'école. Si une mère est éduquée, un pays est éduqué. Ma mère a reçu une éducation. Si l'on donne de bons exemples, les gens comprennent.
Il est intéressant de constater que, dans l'une des régions où vivent les tribus pachtounes, la culture a changé et, à présent, les hommes rivalisent les uns avec les autres pour trouver une épouse éduquée. Là-bas, la culture est différente. Les parents cherchent une femme pour l'homme. On dit aux parents qu'ils doivent éduquer leur fille s'ils veulent que celle-ci se fasse proposer un beau parti. Dans ces endroits, il y a des exemples de cultures qui ont changé. Les femmes se sont manifestées et elles ont changé la culture.
Il y aura des obstacles à surmonter et des problèmes à régler, et cela provoquera une réaction très hostile, mais les gens comprendront s'ils sont informés, et ils accepteront tout cela, surtout si la collectivité s'approprie ces changements.
La deuxième question qui m'a été posée concernait les forces armées canadiennes et le rôle qu'elles ont à jouer. Nous sommes à la croisée des chemins. Le gouvernement est en train de prendre une décision. J'ai une réponse simple. Si nous quittons l'Afghanistan, quel message envoyons-nous aux talibans? Eux se diront : « Un de parti, il n'en reste plus que deux ». Petit à petit, les talibans se renforcent.
Le Canada doit contribuer, et sa présence en Afghanistan est une bénédiction. Le Canada joue un rôle extraordinaire.
La présidente : Ma question portait sur le fait que des Canadiens forment les policiers et les militaires afghans, et je voulais savoir si les Canadiens devaient aborder franchement la question des droits des femmes au moment où ils dispensent une formation aux forces policières et militaires afghanes.
M. Jamal : Oui, ils devraient le faire, car on m'a dit récemment que les entrepreneurs embauchés pour former les policiers n'étaient pas du tout efficaces. Oui, nous devrions trouver quelques bonnes stratégies pour ce qui est de la formation de la police afghane, et les Canadiens devraient contribuer à sensibiliser les policiers. C'est une bonne idée de leur demander de fournir de l'information et de l'éducation à propos des droits des femmes.
L'autre question concernait les ONG et la société civile. Nous avons besoin des ONG. À ce chapitre, il y a des difficultés et des problèmes majeurs. Oui, il y a de la corruption. La corruption est partout. Oui, il y a de la corruption au sein du gouvernement afghan, mais nous devons continuer à coopérer et à élaborer de bons systèmes. Il y a de la corruption, mais il y a de bons systèmes pour la déceler. Nous devons élaborer de bons systèmes, changer de stratégie, mettre en place un certain processus de reddition de comptes et surveiller ce qui se passe. Nous avons besoin de CARE Canada et de toutes les organisations de ce genre, mais nous devons être vigilants, et nous devons élaborer et modifier les stratégies en place, car à l'heure actuelle, la stratégie utilisée ne fonctionne pas.
Je crois que la première question concernait les ONG et la société civile, et le fait que nous devons changer de stratégie. Il était également question de mes études. Comme je l'ai mentionné plus tôt, j'ai terminé la collecte de données, et je parachèverai mes études au cours des quelques prochains mois.
La présidente : Merci de vous être présenté ici.
Le prochain témoin est Mme Banerjee. Nous sommes ravis de l'accueillir ici. Je lui ai demandé d'avoir l'amabilité de se présenter brièvement à nous, et de nous indiquer les sujets qu'elle abordera durant son exposé, de manière à ce que tout cela soit saisi sur pellicule.
Nipa Banerjee, professeure, École de développement international, Université d'Ottawa, à titre personnel : Je me suis jointe à l'ACDI immédiatement après avoir obtenu un doctorat de l'Université de Toronto, et j'ai travaillé pour cette organisation durant plus de 32 ans. J'ai travaillé pour l'ACDI toute ma vie, et je n'ai jamais travaillé pour une autre organisation, hormis le Centre de recherches pour le développement international, le CRDI, pour lequel j'ai quelque peu travaillé.
J'ai été responsable du programme d'aide en Afghanistan de 2003 à 2006. Le programme d'aide a commencé sa mission en Afghanistan en 2003, et on m'a envoyée là-bas à titre de responsable du programme afin que je mette sur pied le bureau d'aide. Notre équipe était très petite — il y avait l'ambassadeur du Canada et un spécialiste politique, et moi, qui étais la seule représentante de l'ACDI.
J'ai quitté l'Afghanistan en 2006, je suis revenue au pays et j'ai travaillé pour le bureau du président pendant un an. En 2007, on m'a offert un emploi à l'Université d'Ottawa, qui s'apprêtait à inaugurer l'École de développement international et de mondialisation et qui était à la recherche de praticiens pouvant prendre en charge des étudiants et leur fournir une formation pratique. Je travaille pour l'Université d'Ottawa depuis 2007.
J'ai commencé à éprouver une véritable passion pour l'Afghanistan lorsque je me trouvais dans ce pays. Il s'agit de mon domaine privilégié de recherche. Je me rends en Afghanistan entre les trimestres universitaires, trois ou quatre fois par année, pour me tenir au courant de ce qui se passe dans le pays et mieux connaître ses problèmes. Voilà pour ce qui est de mes antécédents.
On m'a indiqué que mon exposé ne devait pas dépasser 10 minutes, et j'ai donc retrouvé ce que j'avais dit devant le comité de la Chambre. L'exposé que j'ai présenté était confus, car on m'avait accordé très peu de temps, et je n'avais pas préparé de déclaration préliminaire. Pour l'exposé d'aujourd'hui, je me suis préparée, mais vu les contraintes de temps, je ne pourrai pas dire tout ce que j'ai à dire.
Cela dit, j'ai écouté une partie de la période de questions et de réponses à laquelle a participé M. Jamal, et je pourrais traiter de quelques-uns des sujets qui ont été abordés. Dans le cadre de mon travail pour l'ACDI, j'ai acquis beaucoup d'expérience dans divers pays islamiques comme l'Indonésie, le Bangladesh, le Pakistan et l'Afghanistan. Nous pourrons avoir une bonne discussion après ma déclaration préliminaire.
D'après quelques éminents chercheurs musulmans, il y a quelque 1 400 ans, l'islam considérait les hommes et les femmes comme étant égaux devant Dieu, et les hommes et les femmes avaient reçu divers droits, notamment le droit d'hériter, le droit de voter, le droit de travailler et le droit de choisir la personne qu'ils voulaient épouser. En Afghanistan, pendant des décennies, les femmes n'ont pas pu exercer ces droits, que ce soit parce qu'un décret officiel du gouvernement leur interdisait de la faire ou parce que cette interdiction était prononcée par leur propre mari, leur propre père ou leur propre frère. De 1996 à 2001, sous le régime des talibans, les femmes n'étaient pas autorisées à travailler ni à quitter leur domicile sans être accompagnées d'un homme. Les femmes n'avaient pas le droit de consulter un homme médecin, et elles devaient être couvertes de la tête aux pieds. Les femmes médecins et les enseignantes n'étaient pas autorisées à exercer leur métier.
De nombreuses personnes s'entendent pour affirmer que, depuis la chute des talibans à la fin de 2001, la situation politique et culturelle des femmes s'est considérablement améliorée. D'après la constitution afghane, tous les citoyens de l'Afghanistan, les hommes comme les femmes, ont des droits égaux. À ce jour, les femmes ont été autorisées à recommencer à travailler, et le gouvernement ne les contraint plus à porter la burqa. Quelques femmes ont été nommées à des postes de premier plan au sein du gouvernement, mais il n'y en a pas encore suffisamment. La promotion de femmes au sein de la force aérienne et de la police a constitué une étape importante.
Malgré tous ces changements, il y a encore de nombreux défis à relever. La répression des femmes existe toujours. On empêche les femmes de participer à la vie publique, on leur impose des mariages et on leur refuse le droit à une éducation de base. Un bon nombre d'écoles pour filles ont été incendiées, et des petites filles ont été tuées par empoisonnement parce qu'elles avaient osé fréquenter l'école.
Je vais vous fournir brièvement quelques statistiques à propos des femmes : 85 p. 100 des femmes afghanes sont toujours analphabètes; 30 p. 100 des filles ont accès à l'éducation en Afghanistan, mais peu d'entre elles terminent les six premières années de l'école primaire; une femme afghane sur trois est victime de violence physique, psychologique ou sexuelle; de 70 à 80 p. 100 contractent un mariage forcé; et, malgré quelques améliorations apportées aux services d'aide à l'accouchement, le taux de mortalité maternelle de l'Afghanistan est le deuxième en importance dans le monde. Au cours des deux dernières années, plus de 2 000 cas de violence ont été signalés dans 26 des 34 provinces du pays. Le nombre de suicides commis par des femmes a énormément augmenté en raison de la violence familiale, des mauvais traitements et de la déception à l'égard du système de justice.
La violence contre les femmes est un problème grave qui est très répandu et est profondément enraciné. Des analystes affirment que la violence contre les femmes est ancrée dans la culture, les coutumes, les attitudes et les pratiques afghanes. Les forces politiques et religieuses à tendance conservatrice contribuent à restreindre les droits des femmes. Les Afghanes ont peu de marge de manœuvre pour échapper aux normes et aux traditions selon lesquelles la femme doit se soumettre à l'homme. Le climat d'impunité, la médiocrité des services policiers et la corruption continuent de miner les droits des femmes et le système judiciaire.
En ce qui a trait à l'aide offerte par la communauté internationale, la chute du régime des talibans a attiré l'attention du monde entier sur la situation des femmes afghanes. Tout le monde — des organisations occidentales ultraféministes et extrémistes aux organismes de bienfaisance conventionnels — s'est empressé de déployer des efforts pour améliorer la condition des femmes. Cependant, malgré l'aide considérable qui a été fournie, la contribution d'une myriade de consultants et la foule de projets qui ont été mis en œuvre, les changements concrets demeurent difficiles à trouver.
Certains analystes jettent le blâme sur l'approche adoptée par bon nombre des organisations étrangères, et affirment qu'une pléthore de programmes procèdent d'une vision occidentale du monde et n'ont pas tenu compte des réalités sociales culturelles d'une société islamique qui se relève d'un conflit. Ainsi, on a cherché à imposer aux Afghans des valeurs de l'étranger qui ne peuvent pas être assimilées et qui, par conséquent, ne parviennent pas à changer les choses. D'autres organisations ont adopté une approche exagérément adaptée à la culture, qui procédait d'une vision statique de la société afghane et qui sous-estimait les capacités et les aspirations des Afghanes.
L'Afghanistan a été profondément marqué par des normes sociales, politiques et culturelles. En outre, il s'agit d'une société extrêmement conservatrice et fondée sur la charia — ce qui ne signifie pas nécessairement qu'elle doit être qualifiée d'extrémiste. Dans un tel cadre, si nous voulons parvenir à améliorer la condition des femmes, il se pourrait très bien que nous devions investir des montants substantiels dans les programmes pour les femmes, en adoptant une approche discrète et sans provoquer les forces conservatrices et religieuses. Des experts laissent entendre que quelques- unes des politiques occidentales en ce qui a trait à l'Afghanistan, dans le cadre desquelles des termes comme « émancipation de la femme » ont été utilisés, ont eu pour effet de soulever l'ire des forces conservatrices afghanes, dont les talibans ont tiré parti.
Les programmes de sensibilisation aux droits des femmes financés par de nombreux donateurs occidentaux ont sonné le réveil des éléments conservateurs, qui ont par la suite redoublé d'efforts pour maintenir les femmes dans un état d'asservissement. Les programmes de formation de ce genre n'ont que très peu d'utilité, car ils informent les femmes à propos de leurs droits, mais elles ne peuvent guère les exercer, ni même militer pour les réclamer si elles ne disposent pas du soutien de leur famille, de la société ou du système de justice.
Si nous voulons permettre aux femmes de se prendre en charge, il faut plutôt procéder de manière discrète en investissant massivement dans quatre domaines. Voici les domaines d'investissement que je recommande : l'éducation communautaire, l'accès aux soins de santé, l'accès à des possibilités en matière de revenu et l'accès à la justice. Il est essentiel que les femmes participent au processus de réconciliation mis en œuvre par le gouvernement de manière à ce que les droits des femmes ne servent pas de monnaie d'échange dans le cadre du processus de paix.
De façon plus précise, je propose l'instauration d'un programme national à quatre volets pour les femmes. Le premier volet consiste en la création d'une école communautaire pour les filles, ce qui présuppose des pourparlers avec les mollahs du village. Le deuxième volet consiste à fournir des services de santé facilement accessibles pour les filles et les femmes, surtout des services néonatals, des services de sages-femmes et des services postnatals.
L'éducation et la santé sont des outils dont les femmes peuvent se servir pour se prendre elle-mêmes en charge, et personne ne pourra accuser les Occidentaux d'imposer leurs valeurs à la culture afghane par le truchement de programmes de sensibilisation. L'éducation contribue à favoriser un processus naturel consistant à sensibiliser les femmes à l'égard de leurs droits fondamentaux et à les informer à ce sujet. Une femme en santé est davantage capable de participer au processus de développement de sa collectivité.
Le troisième volet serait constitué de programmes de microfinancement qui permettraient aux femmes de créer leur propre source de revenu à domicile. De tels programmes, qui ne feraient pas sourciller la société afghane, aideraient les femmes à accroître leur confiance en elles-mêmes et à acquérir une dignité au sein de leur famille et, au bout du compte, au sein de la société. Enfin, le quatrième volet concerne l'accès des femmes à la justice, et l'application de la loi pour que les personnes qui commettent des crimes et des actes de violence contre les femmes soient jugées et punies.
Je propose un plan d'investissement, qui n'est pas sans rappeler le plan Marshall. Il faut élaborer et financer un programme national s'adressant exclusivement aux femmes et dirigé par des Afghans. Ce programme combinerait les quatre volets que j'ai mentionnés, à savoir l'éducation, la santé, le revenu et la justice, et serait financé au moyen d'un fonds d'affectation spéciale auquel contribueraient de multiples donateurs. Il existe déjà un plan d'action national pour les femmes de l'Afghanistan, mais il n'est guère opérationnel, comme l'indique le récent rapport d'étape intitulé 100 Days after Kabul Conference, qu'a fait paraître le gouvernement de l'Afghanistan et où il est mentionné que le plan d'action n'a été mis en œuvre qu'à 22 p. 100. On soutient souvent que la question de l'égalité hommes-femmes est un thème de programme récurrent dans tous les secteurs ou domaines prioritaires, et que l'intégration de l'égalité entre les hommes et les femmes est le maître mot des donateurs. Cependant, à ce jour, cette stratégie très prisée de l'intégration de l'égalité des hommes et des femmes n'a procuré aux femmes que très peu d'avantages. Il est temps d'élaborer un programme national dont les femmes pourront profiter directement, et on doit cesser d'invoquer l'excuse de l'intégration des questions touchant l'égalité des sexes au sein de toutes les activités de programmation — ce qui, en réalité, est faux — pour justifier le fait de confiner les femmes à un rôle d'observatrices.
Le Canada devrait prendre l'initiative d'aider le gouvernement afghan à élaborer un programme national ciblant spécifiquement les femmes et comportant les volets que je viens de mentionner, et assumer aux côtés d'autres donateurs une part importante du financement. La fin de la mission de combat du Canada se traduira par des économies, et ces fonds pourraient être affectés de façon prioritaire au financement d'un programme national pour les femmes. Les éléments de l'actuel plan d'action national pour les femmes qui recoupent les volets du nouveau programme national devraient être intégrés à celui-ci.
Enfin, au cours de la période suivant la ratification de l'Accord de Bonn en décembre 2001, l'importance de la participation des femmes à un dialogue politique visant l'établissement d'une paix durable et significative, de même que l'importance du rôle que les femmes doivent jouer en ce qui a trait à l'orientation de ce dialogue, est devenue un thème central. Non seulement cette promesse n'a pas été tenue, mais en outre, les femmes n'ont guère été consultées au moment des pourparlers avec les talibans concernant les plans de réconciliation nationale.
Les Afghanes affirment vouloir la paix, mais elles sont préoccupées par le fait que les accords conclus avec les talibans risquent de compromettre les gains — réels bien que limités — que les femmes ont arrachés de haute lutte au cours des sept dernières années. Les femmes veulent un processus de paix qui soit juste, et elles ont demandé qu'on les considère comme des participantes à part entière du processus d'établissement de la paix et de la stabilité, et non pas comme simples observatrices et victimes des circonstances.
Le Canada doit assumer un rôle de chef de file et souscrire à cette requête, mais je propose également que l'aide continue du Canada à l'Afghanistan soit subordonnée à la protection pleine et entière des droits constitutionnels des Afghanes dans le cadre du processus de réconciliation. De surcroît, il ne faut pas que cette protection se manifeste uniquement sur le plan théorique — elle doit se traduire dans les faits.
Le sénateur Jaffer : Merci beaucoup, madame, de votre exposé. À coup sûr, vous nous avez mis beaucoup de pain sur la planche, et je vous en sais gré.
Vous avez mentionné que l'éducation et la santé devaient être prises en charge à l'échelon des villages; vous avez parlé du microfinancement comme moyen de générer des revenus; vous avez évoqué l'accès à la justice et la nécessité de mettre fin à l'impunité. Vous avez assurément formulé des idées qui contribueront à l'élaboration de nos recommandations.
J'ai des questions à vous poser à propos du plan Marshall.
Mme Banerjee : Le plan que je qualifie de « plan Marshall ».
Le sénateur Jaffer : Je crois que nous avons tous compris ce que vous vouliez dire.
Qui financerait ce plan Marshall?
Mme Banerjee : J'ai écrit récemment un article dans la revue Policy Options. Il y a un problème en Afghanistan : on veut céder les responsabilités. La communauté internationale devra, à l'issue du processus, quitter l'Afghanistan. Aucun pays ne peut être développé par des étrangers. Cependant, à ce moment-ci, en raison d'une perte de confiance, et en raison des préoccupations entretenues non seulement par le Canada, mais également par la communauté internationale en général, en ce qui concerne la corruption, nous confions, par l'entremise de marchés, nos programmes à nos propres organisations du secteur privé ou à des ONG, même si celles-ci sont très sollicitées. J'estime que ces marchés sont principalement attribués à des organisations du secteur privé. Lorsque nous agissons ainsi, nous assumons le rôle du gouvernement afghan, qui ne s'exerce pas à élaborer des programmes ou à la reddition de comptes. Les Afghans n'assimilent pas les principes de la reddition de comptes. Si on ne leur permet pas de pratiquer la reddition de comptes, on continuera d'affirmer indéfiniment que les Afghans sont corrompus ou qu'ils ne disposent pas des capacités nécessaires.
Pour créer des capacités et instaurer une mentalité redditionnelle, nous devons élaborer des programmes nationaux en collaboration avec les Afghans. Dans les faits, l'Afghanistan dispose de 22 programmes nationaux, qui ont été conçus par des Afghans. Cependant, l'Afghanistan n'a pas la capacité de les élaborer pleinement, et il a besoin de notre aide, plus particulièrement sur le plan de reddition de comptes.
Par conséquent, je recommande que la communauté internationale collabore avec le gouvernement afghan, par le truchement de fonds d'affectation spéciale multilatéraux, à l'élaboration de programmes, et que ceux-ci soient mis en œuvre par le gouvernement afghan. Le financement serait versé au budget du gouvernement afghan au moyen d'un fonds d'affectation spéciale. Cependant, pour qu'il y ait reddition de comptes, il faudra conclure avec le gouvernement afghan une entente énonçant ce que celui-ci devra produire ou exécuter chaque trimestre ou tous les six mois. Il ne peut pas y avoir des résultats chaque trimestre, mais il peut y avoir des produits livrables, des extrants directs. Si le gouvernement afghan ne remplit pas ses obligations en ce qui a trait aux extrants ou aux résultats convenus, la tranche de financement suivante ne lui sera pas versée.
Il s'agit de l'une des meilleures solutions. Elle ne plaira probablement pas beaucoup au gouvernement afghan, mais il s'agit d'un processus plus avantageux, car il nous permettrait de verser notre financement au gouvernement afghan par l'entremise de son processus budgétaire, ce qui lui permettrait d'acquérir une compréhension de la reddition de comptes, et cela est nécessaire.
Le sénateur Jaffer : Je me trompe peut-être, mais je crois comprendre que le Canada s'est engagé à ce que, d'ici 2014, une proportion de 50 p. 100 des fonds passent par le processus budgétaire afghan, et 80 p. 100 correspondront aux priorités établies par le gouvernement afghan. Est-ce le genre de formule que le Canada envisage?
Mme Banerjee : Oui. En toute honnêteté, je ne me souviens plus de la date exacte à ce moment-ci. Je crois qu'on a dit que cela devait avoir lieu d'ici deux ans, ou peut-être d'ici 2014. Je ne m'en souviens plus exactement. Dans le communiqué de Londres et le communiqué de la Conférence de Kaboul, il était indiqué qu'une proportion de 50 p. 100 du financement devrait être intégrée au processus budgétaire du gouvernement de l'Afghanistan. D'après ce que je peux constater, cela tarde à se produire. Il est possible que cela se produise d'ici 2014, mais nous devons commencer à travailler là-dessus.
En outre, pour dissiper vos préoccupations ou celles des Canadiens en ce qui a trait à la corruption, je mentionnerai que, lorsque du financement transite par un fonds d'affectation spéciale, c'est habituellement une organisation comme la Banque mondiale qui est responsable de la reddition de comptes. Au début de la décennie, de 2003 à 2006, une proportion importante du financement versé par le Canada transitait par des fonds d'affectation spéciale et était intégrée au processus budgétaire. Cependant, par suite d'une recommandation de la Commission Manley, le Canada a retiré ses fonds des programmes nationaux, au profit des programmes axés exclusivement sur Kandahar, auxquels sont affectés de 60 à 70 p. 100 environ des fonds. Nous avons réduit le financement versé aux programmes nationaux.
À mon avis, cela n'était pas la bonne chose à faire, car cela ne permet pas vraiment de faire des choses pour la population du pays. Au cours des 30 années que j'ai passées au sein de l'ACDI, je n'ai jamais vu un pays se développer grâce à une contribution réelle de donateurs.
Je me suis rendu au Bangladesh environ neuf ans après la création de ce pays, et à ce moment-là, il était financé à hauteur de 98 p. 100 environ par des donateurs. À présent, cette proportion ne s'élève qu'à 4 p. 100. Cependant, au Bangladesh, notre stratégie était différente : nous exécutions nos propres programmes, mais en même temps, nous investissions pour renforcer les capacités du gouvernement. Nous fournissions une aide alimentaire, mais aussi de l'assistance technique pour aider les habitants à renforcer leurs capacités à mener des recherches afin d'élaborer des variétés de semences à rendement élevé, et aujourd'hui, le Bangladesh est un pays autosuffisant sur le plan de l'alimentation.
De fait, le Bangladesh est un exemple de réussite. Vous ne trouverez nulle part dans le monde de pays qui réussissent à se développer et où les services sont fournis par des organisations de l'étranger ou des organisations intérieures du secteur privé.
Le sénateur Jaffer : Croyez-vous que nous adoptons la bonne approche lorsque la ministre responsable de l'ACDI affirme qu'il faut procéder par appels d'offres?
Mme Banerjee : Vous parlez probablement de la mesure la plus récente qui vise les ONG. Les ONG avaient un mécanisme de programme qui était en place depuis les années 1970. Maintenant, la ministre affirme que les ONG doivent soumissionner dans le cadre d'un marché. Elle soutient que l'ACDI travaillerait de concert avec le gouvernement pour élaborer des programmes qui seraient visés par un processus d'appels d'offres. Je ne sais vraiment pas à quel point cela va fonctionner. Toutefois, je suis également d'avis que les propositions spontanées sont très importantes pour les ONG parce que CARE, OXFAM et certaines petites ONG font un excellent travail. Elles concluent aussi des marchés directement avec le gouvernement de l'Afghanistan. À ce chapitre, ces organisations se débrouillent extrêmement bien.
Apparemment, elles obtiennent de meilleurs résultats lorsqu'elles passent des marchés avec le gouvernement afghan, et ce dernier peut exercer un contrôle sur leurs activités et reçoit des rapports à cet égard. Ces organisations accomplissent un meilleur travail comparativement à celui accompli lorsque le gouvernement canadien offre un financement direct.
Cette passation de marchés — cette soumission sur le marché — prendra la forme d'un contrat liant notre gouvernement et les ONG. Ce n'est pas vraiment une passation de marchés directe par le gouvernement afghan.
Le sénateur Jaffer : Vous croyez que cela ne sera pas efficace?
Mme Banerjee : Cela va fonctionner. Les ONG sont très mécontentes. Des représentants de certaines ONG en ont discuté avec moi.
Notre programme de partenariat est unique au monde. J'ai commencé ma vie avec le programme de partenariat lorsque j'étais à l'ACDI, et c'était un vice-président innovateur qui l'avait lancé. Il n'existe nulle part dans le monde un programme de partenariat qui finance des ONG, des associations professionnelles de médecins et d'infirmières — même le Congrès du travail du Canada était financé —, des universités et collèges du Canada, et cetera. C'est un programme très particulier que d'autres pays ont fini par adopter, et le programme a très bien évolué dans les pays scandinaves.
Je crois qu'il serait malheureux que nous perdions l'esprit du programme de partenariat.
Le sénateur Brazeau : Au début de l'exposé, vous avez dit que, selon des chercheurs musulmans, l'islam considérait les hommes et les femmes comme étant égaux et que les hommes et les femmes avaient reçu divers droits, notamment le droit d'hériter, le droit de voter, le droit de travailler et le droit de choisir la personne qu'ils voulaient épouser. Pourtant, selon certains critiques, les Occidentaux tentent d'imposer leurs valeurs au peuple afghan en ce qui concerne les droits des Afghanes. Évidemment, un grand nombre de ces critiques sont des personnes qui n'appuient pas les droits des Afghanes ou qui n'y croient pas.
Tout d'abord, selon votre expérience, comment les Afghanes perçoivent-elles le rôle du Canada — quel qu'il soit — au chapitre de la protection et de la promotion de leurs droits? Quelle est leur vision de nos réalisations jusqu'à présent et de ce que nous pourrions faire à l'avenir?
Deuxièmement, comment surmontons-nous les obstacles et difficultés et la mentalité des personnes qui s'opposent aux droits des Afghanes?
Mme Banerjee : Je crois en avoir parlé dans mon exposé : les programmes de sensibilisation aux droits ne sont pas très appréciés par les Afghans, chose que j'ai fait remarquer. C'est le cas même chez de jeunes personnes scolarisées. La sensibilisation aux droits ne reçoit pas un très grand soutien, et nous élaborons beaucoup de programmes de ce genre.
C'est pourquoi j'ai avancé que, si on peut faire quelque chose, si on peut obtenir des résultats comparables en offrant aux femmes une éducation, un accès à la justice, la santé et un revenu, imperceptiblement et sans provoquer de réactions négatives, la sensibilisation sera graduelle, mais réussie. Je peux vous donner un autre petit exemple lié à mon expérience au Bangladesh...
Je n'y vois pas vraiment d'utilité pour le moment, surtout lorsque l'insurrection des talibans s'est énormément renforcée et que la sécurité est devenue l'un des principaux problèmes; il serait probablement préférable de ne pas soulever des questions qui nous mettront des gens à dos. Toutefois, je crois que nous ne devrions pas baisser les bras. Nous devrions avoir des écoles communautaires dans les villages.
J'ai écouté l'exposé de M. Jamal ainsi que les questions et les réponses. Le gouvernement afghan se rend bien compte — surtout dans les secteurs de la santé et de l'éducation — qu'il n'a pas la capacité d'offrir des services directement. Le gouvernement afghan aime recevoir de l'aide d'ONG. De fait, ce sont les deux secteurs où le gouvernement réussit le mieux — cela et le développement rural, par le truchement du Programme national de solidarité, financé au moyen de fonds d'affectation spéciale multilatéraux.
Des représentants d'ONG m'ont dit que la première chose à faire est de se rendre à la mosquée et de discuter avec le mollah du fait que la collectivité veut avoir une petite école dans l'une des maisons des aînés du village — il n'y a même pas d'aide externe, et un bâtiment n'est pas nécessaire. Les questions concernant les limites et les problèmes liés aux installations et aux toilettes ne se posent probablement pas. Un aîné du village accepte de fournir une pièce.
Il faut du temps pour convaincre le mollah. Fait cocasse, un des mollahs aurait dit : « Je crains qu'avec l'éducation, ma fille se mette à écrire des lettres d'amour, et je n'aime pas cela. » C'est un représentant d'une ONG qui m'a raconté cela. Ils ont discuté du problème et des raisons pour lesquelles l'éducation était importante, et le mollah a fini par accepter.
Il faut du temps, mais on peut finir par y arriver. C'est pourquoi je m'oppose à la construction de grandes écoles qui deviennent très visibles et qui deviennent des cibles d'attaque. Je préférerais avoir des écoles de village.
Voici comment les ONG procèdent : elles choisissent une personne du village possédant un diplôme d'études secondaires et elles la forment très rapidement. Je ne dis pas que c'est une formation de qualité, mais il faut bien commencer quelque part. La formation dure un an, et les ONG mettent en place une école primaire.
J'ai visité certaines de ces écoles, et je me suis entretenue avec les filles. Certaines d'entre elles — n'ayant pas eu la possibilité d'étudier sous le régime taliban — sont des adolescentes et fréquentent l'école primaire. Je leur ai parlé; je me suis rendue à l'une des écoles avant les élections en 2004. Je leur ai demandé si elles avaient le droit de voter et pour quel genre de personnes elles voteraient. Les filles ont répondu que leur premier choix est une personne qui leur donnerait l'occasion de faire des études et qui les aiderait à offrir une éducation à leurs enfants.
C'est très important. Imaginez une petite école de village. La pièce ne fait même pas la moitié de cette salle; c'est une très petite pièce. Les élèves s'assoient sur le sol, et une jeune fille leur enseigne. Toutefois, la façon dont l'éducation a suscité une prise de conscience chez ces jeunes filles m'a énormément impressionnée.
La prochaine fois que vous irez en Afghanistan, mesdames et messieurs les sénateurs, je vous inviterai à aller visiter certaines de ces écoles communautaires.
Le sénateur Kochhar : Merci, madame Banerjee, d'avoir présenté un exposé informatif et approfondi. J'essaie de comprendre comment le gouvernement canadien peut contribuer à l'amélioration de l'éducation des Afghanes.
L'islam diffère énormément de la culture afghane. D'une part, il y a la culture ancestrale, et, d'autre part, il y a une nouvelle culture mise en place par les mollahs.
Concernant les statistiques que vous avez fournies — les sept ou huit points qui figurent à la page 1 de votre exposé —, sont-elles attribuables à l'islam ou à la culture afghane — que ce soit la nouvelle culture ou la culture ancestrale? C'est ma première question.
Deuxièmement, vous avez parlé du programme national. L'ensemble de la société afghane est fragmentée à un point tel que — d'après ce que je crois comprendre — le gouvernement national n'a en réalité que très peu de pouvoir sur les différentes régions de l'Afghanistan. Ce sont les chefs régionaux, les généraux et les mollahs qui contrôlent l'éducation.
Comment un programme national pourrait-il aider un système grandement fragmenté? Combien d'argent se rendrait bel et bien aux régions, étant donné qu'il y a énormément d'argent qui se retrouve dans les poches des politiciens?
Selon vous, que devrions-nous faire pour apporter des changements réels et constructifs dans cette société?
Mme Banerjee : Tout d'abord, les problèmes décrits dans les statistiques sont apparus au fil des ans. Initialement, l'islam ne ressemblait pas à ça. Je me suis entretenue avec des avocates musulmanes qui affirment que le Coran n'a jamais demandé aux femmes de porter un voile ou de ne pas faire d'études. Cela ne figure nulle part dans le Coran. Ces choses tiennent plutôt à une évolution de la culture. Sous le régime taliban, elles sont devenues profondément enracinées. Il faudra du temps pour s'en débarrasser. C'est pourquoi je dis qu'il serait préférable d'adopter un mode d'éducation moins visible.
Je crois sincèrement que l'image de la société fragmentée est un mythe. J'ai parlé à un grand nombre de personnes. Il m'est difficile d'aller à l'extérieur de Kaboul en raison de la situation insécuritaire. Je n'ai aucune protection parce que je me déplace seule. Toutefois, j'ai parlé à des gardes, à des chauffeurs, à des commerçants et à des fonctionnaires subalternes et intermédiaires qui ne sont pas d'avis que le pays est si fragmenté.
Aucune des personnes avec qui je me suis entretenue ne souhaite le retour du régime taliban. De fait, selon l'ancien ministre du Développement rural, les chefs de tribus ont perdu beaucoup d'influence. Les seigneurs de guerre règnent, certes, mais les chefs de tribus n'exercent plus le genre d'influence qu'ils avaient autrefois.
La fragmentation tient principalement au renforcement de l'insurrection des talibans. Le gouvernement n'exerce pas un contrôle adéquat sur divers secteurs. Par ailleurs, il n'a pas complètement perdu le soutien populaire. Je dirais que les Afghans ne s'opposent pas à la présence des troupes étrangères, mais ils n'apprécient ni l'imposition de leurs valeurs ni les attaques nocturnes. Ils veulent que les troupes étrangères restent parce qu'ils craignent le retour éventuel du régime oppressif des talibans.
Je donnerai l'exemple du Programme national de solidarité, dans le cadre duquel on a largement recouru aux services des ONG. Ces dernières se rendaient dans les villages pour sensibiliser la collectivité à la façon de prendre part à des processus de développement communautaire. Les ONG travaillent de cette façon dans de nombreux pays. Il y a des ONG internationales et locales qui travaillent à ce chapitre. CARE fait également du travail à cet égard. Les ONG se rendent dans les villages pour sensibiliser les femmes et les hommes. Lorsqu'elles considèrent que les groupes sont prêts, elles informent le gouvernement central. Ce dernier reçoit du financement d'un fonds d'affectation spéciale auquel contribuent de multiples donateurs. À l'époque, nous versions environ 30 millions de dollars par année au programme. Les collectivités qui sont considérées comme prêtes élisent un conseil de développement communautaire par scrutin secret. Le programme est fondé sur un programme indonésien, mais il est très influencé par le système indien.
La présidente : Permettez-moi de vous poser la question suivante : est-ce que les femmes votent à ce niveau?
Mme Banerjee : On créait habituellement un conseil de femmes et un conseil d'hommes. On passait au vote, on formait les conseils, et le gouvernement central accordait une subvention globale de 61 000 $ — laquelle était financée par des donateurs — aux conseils de développement communautaire.
Les membres se réunissaient, puis convenaient des priorités de la collectivité et de la façon dont la modeste somme de 61 000 $ serait dépensée. Je me suis assise sur le plancher avec les hommes et les femmes du conseil du village. Je ne me suis jamais couvert la tête. Ils m'ont dit que c'était contre toute espérance que le gouvernement leur offre un financement pour qu'ils établissent leurs propres priorités et un processus participatif. Ils étaient tous en faveur du gouvernement et ils ont soutenu que, s'ils bâtissaient une école grâce à leurs fonds et à leur main-d'œuvre, ils ne laisseraient jamais les talibans s'en approcher. En effet, aucune des écoles construites par ces conseils de développement communautaire n'a été incendiée ou détruite parce que les collectivités les protègent.
On doit faire en sorte que le gouvernement gagne la confiance et la loyauté des gens. C'est ce qu'ils ont obtenu grâce à cela. La fragmentation peut être évitée si le gouvernement établit une relation avec le peuple et favorise leur participation au développement.
Malheureusement, il y a 34 provinces et insuffisamment de fonds pour le Programme national de solidarité, même s'il y a eu d'énormes compressions. À l'heure actuelle, nous lui versons un financement annuel de cinq millions de dollars — c'est presque rien. À mon avis, cela peut être accompli.
Le sénateur Oliver : Je vous félicite pour votre excellent exposé. J'ai trouvé qu'il était clair, convaincant, logique et fondé sur les réalités du pays et sur ce qui se passe sur le terrain. J'ai aimé les quatre volets que vous avez mentionnés, mais j'ai quelques questions qui visent à déterminer si le quatrième est réaliste — celui qui concerne l'accès des femmes à la justice et l'application de la loi pour que les personnes qui commettent des crimes et des actes de violence contre les femmes soient jugées et punies.
J'ai un peu de connaissances sur le système judiciaire. Au début de votre exposé, vous avez dit que, malgré un certain nombre de changements en Afghanistan, la répression des femmes est toujours une réalité, et vous avez donné deux exemples. Vous avez ajouté qu'un bon nombre d'écoles pour filles ont été incendiées et que des petites filles ont été tuées par empoisonnement parce qu'elles avaient osé fréquenter l'école.
Vous voulez que les femmes aient accès à la justice pour qu'on puisse poursuivre les auteurs de crimes. Vous nous avez dit que bon nombre de personnes qui commettent des crimes sexuels et d'autres crimes contre les femmes et les filles sont les pères et les frères de la famille. Comment obtiendrez-vous justice si les auteurs des crimes sont des membres de la famille?
Mme Banerjee : Dans le cas des membres d'une famille, c'est difficile.
Le sénateur Oliver : S'agit-il d'un volet réaliste?
Mme Banerjee : Je crois que oui. Le système judiciaire ne fonctionne pas. Les réformes de la justice n'ont pas eu lieu. Un programme de réforme de la justice a été élaboré, mais il n'a jamais été mis en œuvre. Le système judiciaire est extrêmement corrompu. Même si les auteurs des crimes se font prendre, ils s'en tirent indemnes.
Le sénateur Oliver : Les auteurs de crimes sont souvent les pères et les frères — les hommes de la famille.
Mme Banerjee : Oui, dans beaucoup de cas. C'est l'une des choses les plus difficiles.
Le sénateur Oliver : Le quatrième volet que vous avez mentionné est-il réaliste?
Mme Banerjee : Nous devons le rendre réaliste. C'est ce que je veux dire. L'impunité doit être supprimée, et une réforme de la justice doit avoir lieu.
Oui, les auteurs des crimes sont souvent des membres de la famille. Vous connaissez le cas au Canada où le père, le frère et même la mère étaient impliqués. Le système judiciaire canadien est différent. Nous avons un appareil judiciaire qui peut s'en occuper. Vous vous demandez — je présume — comment cela pourrait être possible si le système judiciaire ne fonctionne pas. C'est le point le plus difficile soulevé dans mon exposé — et selon mon point de vue. Toutefois, je crois que des mesures doivent être prises. Nous ne pouvons en faire fi.
Le sénateur Oliver : C'est sur votre liste de souhaits.
Mme Banerjee : Oui, c'est sur ma liste de souhaits. Le Canada pourrait imposer des conditions sur l'aide que nous offrons — par exemple, les auteurs des crimes, que ce soit un membre de la famille ou non, doivent être traînés en justice —, et le système judiciaire doit subir une réforme. Des efforts sont également déployés pour la mise en place d'un système judiciaire mobile. Je crois comprendre que celui-ci ne fonctionne toujours pas très bien.
Je ne crois pas que la communauté internationale s'est investie suffisamment pour ce qui est de tenir des discussions transparentes sur certains problèmes en Afghanistan. La corruption n'apparaît pas du jour au lendemain; elle sévit depuis longtemps. Nous avons à peine soulevé ce problème par le passé. Je participe à de nombreuses réunions. Les problèmes concernant les femmes sont rarement abordés. Au cours de la dernière réunion du Conseil de coordination et de surveillance conjoint, notre ambassadeur a effectivement soulevé des problèmes concernant les femmes, mais ils n'ont pas vraiment suscité de réaction. Nous devons être plus forts. Plus particulièrement, le système judiciaire est l'un des systèmes les plus archaïques en Afghanistan, et nous devrions peut-être offrir une aide conditionnelle à l'amélioration du système judiciaire
La présidente : Je veux poursuivre sur le sujet de la justice.
Je ne peux m'empêcher de vous rappeler, sénateur Oliver, qu'il a fallu énormément de temps au Canada pour mettre en place un système judiciaire qui considère, entre autres choses, qu'un viol marital est un crime. Alors, pour l'Afghanistan, bonne chance.
Il existe de nombreux systèmes judiciaires. Il y en a au moins trois en Afghanistan. Vous parlez des tribunaux laïques du système judiciaire, n'est-ce pas? Vous parlez du rôle des policiers en ce qui concerne les arrestations.
Mme Banerjee : Oui, c'est un système judiciaire laïque. En Inde, il y a toujours un tribunal de la charia pour la population musulmane, mais c'est un système juste. Si un crime est commis, des mesures sont prises.
La présidente : Vous avez dit que 80 p. 100 des femmes sont dans un mariage forcé. Comment pourriez-vous gérer une chose aussi complexe sur le plan juridique?
Mme Banerjee : Une solution serait d'avoir un décret pour empêcher les mariages d'enfants et les mariages forcés. Certaines filles se marient à 12 ou à 13 ans. C'est l'une des raisons pour lesquelles le taux de mortalité maternelle est si élevé : l'utérus et les ovaires de ces filles ne sont même pas développés durant leur grossesse, et ce sont souvent elles qui meurent.
Des décrets doivent être adoptés. Le mariage forcé n'est pas prévu dans la charia. Je crois savoir qu'il y a une loi sur le viol. Je dois dire une chose. Je ne m'y connais pas très bien en matière de droit islamique. J'ai lu des ouvrages, et, dans le cadre de mon travail, je fais ce qui est nécessaire. S'il y a des avocats présents, je crois qu'ils auraient probablement de meilleures solutions, mais j'estime qu'il faut des décrets pour empêcher les mariages forcés. À titre d'exemple, en Inde — et au Canada aussi — les filles mineures ne sont pas en droit de se marier.
Nous devons être réalistes. En Inde — où une démocratie est instaurée depuis des années, et c'est le pays démocratique le plus populeux —, vous savez que le système de dot est interdit — c'est illégal —; pourtant, le président de l'Inde a déclaré l'autre jour que le taux de décès liés à la dot est en hausse. Les femmes se suicident parce qu'elles sont menacées en raison de la dot.
Si des pays aussi développés que l'Inde éprouvent des problèmes, il faudra des années avant que ces choses ne s'améliorent ou que le système judiciaire fonctionne. Toutefois, j'ose espérer que, lorsque les femmes recevront une éducation, elles prendront conscience de leurs droits et seront en mesure d'exercer des pressions pour les défendre.
À ce moment-ci, je suis d'avis que les femmes qui peuvent négocier avec le gouvernement et qui sont en position de le faire n'agissent pas parce qu'elles craignent de perdre leur poste. C'est vrai dans de nombreux pays en développement; cela arrive partout. Il y a partout des femmes instruites, issues de l'élite urbaine, qui sont à la tête d'une initiative, mais la réforme ne progresse pas vraiment. C'est ce qui se passe en Afghanistan. Je ne mentionnerai aucun nom parce que ces personnes sont de très bonnes amies, mais elles n'ont même pas glissé un mot contre la loi sacrée. Il faudra du temps.
La présidente : Il nous reste cinq minutes. Les sénateurs Jaffer et Zimmer aimeraient poser des questions, et j'aimerais en ajouter une. Vous pouvez répondre aux questions en même temps.
Si vous contrôliez tous les fonds de l'ACDI qui sont destinés à l'Afghanistan, quelles sont les deux choses pour lesquelles vous dépenseriez?
Le sénateur Zimmer : J'ai deux petites questions. Nous avons longuement débattu la question concernant la durée de notre présence. Il y a deux ans, je suis allé en Afghanistan avec le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense. L'éducation, les soins de santé et les possibilités de revenu étaient trois des éléments clés. Nous avons été témoins de possibilités de revenu découlant de la mise sur pied d'une boulangerie pour hommes et d'une boutique de broderie pour femmes, et ils construisaient des routes. Les questions — qui ont fait l'objet de beaucoup de débats — sont donc les suivantes : combien de temps devons-nous rester? Quand devons-nous nous retirer? Quand nous nous retirerons, devrions-nous revenir et effectuer un suivi? La violence et la corruption des services policiers doivent être prises en compte. Est-ce que nous revenons et effectuons un suivi de cela?
À votre avis, combien de temps devrions-nous rester? À quelle fréquence devrions-nous y retourner?
Mme Banerjee : À quelle fréquence devrions-nous y retourner?
Le sénateur Jaffer : La plupart des choses dont vous avez parlé touchent la formation. Je ne connais pas tous les détails, mais je crois savoir que le gouvernement songe à offrir de la formation aux forces armées et aux services policiers. Quel autre type de formation nous recommandez-vous de recommander au gouvernement pour qu'il l'intègre dans la formation offerte d'ici 2014?
Mme Banerjee : Parlez-vous des troupes canadiennes?
Le sénateur Jaffer : Cela pourrait concerner l'ACDI.
Mme Banerjee : L'ACDI, d'accord.
Les troupes peuvent former l'armée et les policiers, mais je présume que la stratégie ne se résume pas à la formation. La formation ne fonctionne pas très bien parce que la police reste corrompue. Nous n'avons aucune idée du nombre d'unités de l'armée qui peuvent travailler indépendamment, sans le soutien des forces étrangères. Nous n'avons pas ces renseignements dans nos rapports gouvernementaux.
Je dois admettre que les rapports des États-Unis sont plus transparents que les nôtres. Nos rapports sont très quantitatifs, ils indiquent le nombre de personnes qui ont reçu une formation. Ce n'est pas exactement le problème. Le problème, c'est la mesure dans laquelle ces personnes ont été formées efficacement. Dans le cas de la police, la formation ne semble pas avoir été très efficace, et le nombre d'unités indépendantes de l'armée est inconnu.
Même si j'estime que la formation de l'armée et de la police devrait continuer, le Canada devrait se pencher sur sa stratégie et prendre des mesures plus concrètes pour évaluer la réussite du programme de formation à l'intention de la police et de l'armée.
Concernant les autres choses qu'ils devraient faire, il importe de souligner que les institutions du gouvernement afghan qui sont censées offrir des services de base n'ont pas la capacité de le faire. Elles n'ont pas la capacité ni d'offrir des services de santé et d'éducation ni d'assurer le fonctionnement du système judiciaire. En conséquence, le renforcement de la capacité de prestation de services des institutions du gouvernement afghan est extrêmement important.
Nous avons accompli une partie de cela, mais il reste que l'Afghanistan éprouve des problèmes au chapitre de l'aide technique. Le recrutement est difficile. Ce n'est pas qu'au Canada; c'est partout dans le monde et au sein de la communauté internationale. En raison de l'insécurité, on a de la difficulté à recruter des gens qui sont disposés à rester en Afghanistan pour de longues périodes. En conséquence, l'aide technique offerte à l'Afghanistan n'est pas de très bonne qualité. C'est l'une des raisons pour lesquelles le renforcement de la capacité est un échec.
La formation est grandement nécessaire. Maintenant, je passe à la question concernant la surveillance et l'évaluation. Le type de formation nécessaire porte sur la façon d'élaborer un programme de développement. Ils ont des concepts pour 22 programmes nationaux. J'ignore comment ils vont s'y prendre pour élaborer des programmes; ils en sont incapables. Une formation sur la façon d'élaborer un programme doit être offerte. Une formation sur la gestion, la reddition de comptes et la façon de surveiller et d'évaluer les résultats doit être fournie.
Immédiatement après mon départ de l'ACDI, j'ai fait du bénévolat dans une petite ONG. Elle assumait mes frais de déplacement, mais je n'exigeais pas d'honoraires. À l'ACDI, j'ai acquis de l'expérience en gestion du rendement à la Direction générale de l'Asie; je m'occupais de la formation.
Les gens disent qu'on ne peut imposer des concepts occidentaux à l'Afghanistan. J'ai utilisé les mêmes documents de formation, traduits en pachtou et en bari. Je ne m'étais pas occupée de la traduction, ils l'ont fait eux-mêmes. J'ai utilisé ces documents aux fins de formation, et les résultats ont été formidables. Une équipe du ministère des Finances est maintenant en mesure de former le personnel opérationnel du ministère qui se charge de la planification, de la gestion et de la surveillance et de l'évaluation de la conception de projets. Selon moi, ce travail est très important.
Pour ce qui est de la durée de notre présence, la présence aux fins de développement devrait durer longtemps. Au Bangladesh, nous avons commencé en 1971 et nous y sommes toujours — notre présence n'est pas aussi forte qu'auparavant, mais nous sommes toujours présents. Je crois que l'Inde a décidé de ne pas recourir à notre aide. En Thaïlande, nous avons fini par partir. Je dois admettre qu'il nous faut du temps pour quitter un endroit.
En Afghanistan, la présence aux fins de développement nécessiterait beaucoup de temps. Toutefois, je crois que les forces combattantes devraient se retirer après la période convenue. Je ne sais pas; il y a la résolution parlementaire, et je ne veux pas formuler une recommandation qui va à l'encontre d'une résolution parlementaire. La formation devrait demeurer, et l'aide au développement devrait continuer. Pour ce dernier élément, je dirais pour très longtemps encore — jusqu'à, peut-être, 2020.
Le sénateur Zimmer : Puis-je poser une question qui ne prendra que 10 secondes?
La présidente : Oui.
Le sénateur Zimmer : Vous risquez de me vider votre verre au visage, mais je dois vous poser cette question. Je me suis récemment fiancé. Ma fiancée adore la mode. Où avez-vous acheté cette magnifique veste?
Mme Banerjee : C'est une veste afghane.
La présidente : Nos prochains témoins sont des représentants de CARE Canada.
Kevin McCort, président et chef de la direction, CARE Canada : Honorables sénateurs, j'aimerais vous remercier de m'avoir invité à vous parler — dans le cadre de votre examen du rôle que le gouvernement du Canada peut jouer en Afghanistan — de la façon dont le Canada peut et devrait devenir le chef de file dans l'appui à l'émancipation des femmes afghanes.
J'espère que vous avez tous eu l'occasion de prendre connaissance du rapport publié par CARE Canada en octobre qui formule des recommandations sur la façon dont le Canada peut assumer ce rôle de chef de file. Si ce n'est pas le cas, j'ai apporté quelques copies. La principale auteure du rapport — la Canadienne Jennifer Rowell, spécialiste de CARE sur la question des femmes en Afghanistan —, ne pouvait venir ici pour répondre à vos questions, car elle est retournée à Kaboul. Toutefois, s'il y en a parmi vous qui souhaiteraient discuter avec elle, n'hésitez pas à communiquer avec moi.
Pour vous donner une idée de notre expérience et notre expertise, je vous dirai que, en 2011, cela fera 50 ans que CARE est présente en Afghanistan. Nous étions là durant le règne des talibans. Le seul moment où nous n'avons pas eu une présence directe dans ce pays, c'est pendant l'invasion et l'occupation soviétiques; nous avions alors installé notre bureau de l'autre côté de la frontière, à Peshawar, au Pakistan, mais nous continuions de diriger des programmes avec l'aide d'organismes partenaires afghans depuis cette ville.
Nous sommes l'organisation la plus importante au sein de la plus grande coalition qui offre une éducation aux enfants afghans, plus particulièrement aux filles. Grâce au soutien de l'ACDI, nous avons mis en place des programmes qui fournissent aux veuves afghanes vulnérables de la nourriture, des animaux d'élevage et une formation professionnelle, qui les informent de leurs droits et qui les aident à former des groupes de défense des droits des femmes. Nous offrons également un programme de santé maternelle.
Je voudrais aborder brièvement la question suivante : pourquoi venir en aide aux femmes? Selon l'indice du développement humain des Nations Unies, l'Afghanistan se classe actuellement au 181e rang des 182 pays évalués selon cette méthode. De plus, l'Afghanistan affiche actuellement l'indice sexospécifique du développement humain le plus faible dans le monde, arrivant au dernier rang sur 155 pays; cet indice mesure les inégalités entre les hommes et les femmes au chapitre du développement humain fondamental. L'Afghanistan enregistre le deuxième taux de mortalité maternelle en importance dans le monde, ex æquo avec la Sierra Leone.
Les femmes afghanes ont fait des gains considérables depuis 2001. Il y a eu un nombre record de femmes candidates aux dernières élections législatives en Afghanistan, malgré les menaces et les risques auxquels elles s'exposaient. En 2001, un peu plus de 100 000 enfants fréquentaient l'école primaire dans tout l'Afghanistan, et très peu d'entre eux étaient des filles. Aujourd'hui, il y a plus de sept millions d'enfants à l'école, dont le tiers sont des filles. Toutefois, nous risquons de perdre tous ces gains si nous ne faisons pas en sorte maintenant de les préserver.
C'est simplement la bonne chose à faire. Il ne peut y avoir de réel développement sans l'égalité des sexes. Il n'est pas possible de vivre en sécurité sans l'égalité des sexes. En outre, c'est une époque dangereuse. Les femmes afghanes ont peur. Elles craignent ce qui pourrait arriver. Elles sont prêtes à défendre leurs droits, mais elles ont besoin de gens qui les appuient sans réserve dans leurs démarches.
Pourquoi le Canada devrait-il assumer ce rôle? Le Canada a tous les atouts pour devenir un chef de file. Il y a un poste vacant, le Canada a la crédibilité et la structure qu'il faut pour l'occuper. Le Canada a déjà une longueur d'avance sur la plupart des autres pays donateurs pour ce qui est de créer des programmes visant à éliminer les inégalités entre les sexes et de se porter publiquement à la défense des droits des femmes afghanes, par exemple en s'opposant à l'application du droit de la famille chiite.
Le fait d'axer nos efforts sur les femmes permettra non seulement de renforcer le rôle du Canada à titre de l'un des grands défenseurs mondiaux des droits de la personne et de la justice, mais également d'affermir sa réputation dans ce domaine aux yeux du monde.
De plus, le fait de mettre l'accent sur les femmes est une façon économique de maximiser les répercussions. Cela ne signifie pas pour autant qu'il faut augmenter le budget consacré au développement de l'Afghanistan ou réorienter le budget militaire pour qu'il soutienne les nouvelles initiatives s'adressant aux femmes. Ce que propose CARE Canada, c'est simplement d'intensifier certaines des activités fructueuses que le Canada réalise ou soutient déjà et d'examiner et de réajuster certains autres programmes pour les rendre encore plus efficaces. De cette façon, le travail du Canada apporterait une valeur ajoutée, plus particulièrement au chapitre des programmes favorisant l'égalité entre les sexes, mais également dans d'autres secteurs prioritaires que le Canada est intéressé à soutenir.
Sur quoi le Canada doit-il miser pour devenir le promoteur de l'émancipation des femmes afghanes? Dans le domaine du développement humain, tous les intervenants cherchent à accroître l'offre de services, mais ils accordent très peu d'attention à l'amélioration de l'accès des femmes à ces services. Le rapport propose diverses options qui permettraient d'améliorer cet accès. Le Canada pourrait investir dans des secteurs clés comme la santé maternelle et l'enseignement secondaire. Le Canada s'est récemment engagé à consacrer 2,85 milliards de dollars à des initiatives dans le domaine de la santé maternelle et infantile au cours des cinq prochaines années. Comme je l'ai déjà mentionné, l'Afghanistan présente l'un des pires bilans dans le monde pour ce qui est de la santé maternelle et infantile. Dans le domaine de l'éducation, on a fait un travail considérable pour réussir à accroître de façon importante l'accès des filles à l'école primaire. Toutefois, lorsque les filles terminent l'école primaire, il y a très peu de possibilités qui s'offrent à elles si elles souhaitent poursuivre leurs études.
Par ailleurs, nous savons qu'il est impossible d'assurer la sécurité des gens en l'absence de la primauté du droit. Le Canada peut encore intervenir dans le dossier de la sécurité humaine, même après le départ des troupes canadiennes, en portant son attention sur la préparation du terrain de façon à jeter les bases nécessaires au maintien d'une réelle sécurité humaine. Le rapport décrit des moyens de réaliser cet objectif. L'un des moyens proposés est l'amélioration de la formation des policiers afghans dans les domaines des services de police communautaires et de la protection des droits des femmes. Actuellement, les policiers afghans suivent une formation de huit semaines. De ce nombre, plus de sept semaines portent sur les mesures anti-insurrectionnelles. Moins de quatre jours sont réservés au thème des services de police communautaires, et seulement une demi-heure est consacrée aux questions liées aux droits des femmes.
En ce qui a trait au maintien de la paix et à la réconciliation, l'OTAN a récemment déclaré que la présence d'une poignée de femmes au sein du conseil supérieur pour la paix est un « signe évident de progrès ». C'est un pas dans la bonne direction, mais le progrès doit être mesuré à l'aide de résultats, pas juste par la présence de quelques femmes. Le Canada peut prendre l'initiative d'encourager la mise en place des mesures de protection adéquates des droits et de la participation des femmes. Personne d'autre ne le fait. Le Canada peut amener les groupes de femmes à devenir autonomes pour ensuite les suivre dans leurs démarches. La société civile a besoin d'appuis pour être en mesure de s'attaquer aux problèmes difficiles. Les Afghans n'ont pas besoin de suivre d'autres cours de formation leur montrant comment devenir des dirigeants. Ils ont plutôt besoin de ressources et de soutiens pour mettre en place des activités de surveillance, de production de rapports, de défense des droits, et cetera.
Le Canada peut se faire le porte-voix des femmes dans les tribunes auxquelles elles ne peuvent accéder. Cela signifie trois choses : consulter, représenter et sensibiliser. On doit préparer un calendrier de consultations pour discuter avec les femmes au sujet des dossiers importants. On doit jouer le rôle de l'intervenant toujours capable de dire comment se sentent les femmes et quelle est leur opinion sur les questions fondamentales. On doit faire valoir à chaque occasion la nécessité de leur participation au débat ou parler en leur nom chaque fois qu'elles n'ont pas la possibilité de s'exprimer; autrement dit — et c'est ce que nous essayons de faire avec ce rapport —, on doit littéralement demander qu'on nous accorde du temps pour lire à voix haute le message que nous ont transmis les groupes de femmes. Enfin, dans la mesure du possible, l'orientation des politiques du Canada devrait être fondée sur les résultats de ces consultations.
J'aimerais conclure en abordant quelques-uns des mythes et des problèmes très répandus au sujet des femmes et de leurs droits en Afghanistan.
D'abord, on ne peut pas défendre les droits des femmes afghanes en imposant les valeurs occidentales. Dans tous les grands accords et les plans stratégiques qui ont été ratifiés depuis Bonn, le gouvernement de l'Afghanistan s'est engagé à promouvoir l'égalité des sexes et a déclaré qu'il adhérait pleinement à ce principe. La constitution afghane garantit la protection des droits des femmes. L'Afghanistan a maintenant besoin d'être encouragé et même d'être poussé à concrétiser ses engagements.
Ensuite, la culture afghane n'est pas l'obstacle que tout le monde semble penser. Il y a beaucoup trop d'éléments qu'on étiquette d'emblée comme des « faits culturels », mais, si on creusait un peu plus, on constaterait peut-être qu'il s'agit non pas de « faits culturels », mais plutôt de causes comme l'éloignement, le manque d'argent ou l'ignorance. Si nombre de pères afghans n'envoient pas leurs filles à l'école, c'est non pas parce qu'ils ne croient pas en l'éducation des filles, mais parce que l'école se trouve trop loin, ne compte aucune enseignante ou coûte trop cher. Lorsqu'il y a bel et bien une barrière culturelle, le fait de discuter directement avec les hommes ou de s'associer à des mollahs modérés s'est révélé efficace. CARE a obtenu des résultats positifs dans les domaines de l'éducation, de la santé et de l'autosuffisance des femmes grâce à sa collaboration avec les femmes et leurs collectivités. Le rapport décrit des moyens de réaliser cet objectif.
Pour ce qui est des difficultés, on accorde beaucoup d'attention à l'augmentation de la représentation des femmes au sein de l'appareil gouvernemental, mais il n'est pas possible d'apporter un réel changement si les hauts fonctionnaires du gouvernement afghan manquent de volonté politique. Il faut donner à la société civile la capacité d'assurer une surveillance et de signaler les cas d'abus et de lutter contre la culture de l'impunité qui règne aux échelons supérieurs. C'est l'un des rôles les plus importants que doit assumer la société civile, où que ce soit dans le monde, et le Canada devrait déployer des efforts assidus pour soutenir ce travail en Afghanistan.
Une autre difficulté se rapporte à la communication des résultats positifs au public canadien. L'une des raisons pour lesquelles on investit moins dans les questions moins « urgentes », comme le manque d'accès aux services, ou on se préoccupe moins des obstacles socioculturels, c'est parce que les pays donateurs ont l'impression qu'ils doivent prouver l'utilité de leurs initiatives en montrant des chiffres concrets aux contribuables. Nous construisons des écoles et des hôpitaux parce que c'est facile de les compter et de les montrer au public, mais nous sommes incapables d'éliminer les divers obstacles qui empêchent les femmes et les filles d'accéder à ces établissements. L'idée selon laquelle on ne peut voir de résultats tangibles si on travaille sur des questions comme l'accès aux services ou l'élimination des obstacles socioculturels est également un mythe. Les programmes de soutien maternel et néonatal en témoignent. Nous avons réussi à améliorer de façon marquée l'état de santé des mères en communiquant l'information de base aux personnes qui prennent les décisions dans les ménages. Il s'agit de réalisations concrètes, des améliorations réelles et mesurables dans la vie des gens qui sont corroborées par des statistiques concrètes et qui souvent peuvent être apportées pour une fraction de l'investissement dans la construction d'établissements.
Enfin, il y a l'aspect temps. Nous sommes à un tournant décisif du processus de paix et de réconciliation. Nous devons agir maintenant.
Je répondrai avec plaisir à vos questions. Je suis accompagné de Kieran Green, qui s'est rendu en Afghanistan en août et en septembre et qui nous a aidés à préparer le rapport qui circulait il y a quelques minutes.
La présidente : J'aimerais poser la première question. Nous avons toutes ces statistiques sur l'éducation des filles, la violence à l'endroit des femmes et les mariages arrangés. Toutefois, on avance généralement l'idée — et j'adhère moi- même à cette idée — selon laquelle la société s'écroulera si les femmes n'y participent pas, ne sont pas instruites ni en bonne santé. Alors nous devons remédier à cette situation.
Même si l'Afghanistan a ratifié certains accords internationaux, pourquoi devrais-je croire qu'il a l'intention de faire quoi que ce soit pour améliorer les choses?
M. McCort : Je vais vous répondre en vous donnant deux ou trois exemples. L'un se rapporte à la question très délicate de la mutilation génitale des femmes. Nous avons réalisé des progrès considérables à cet égard, car nous avons contribué à l'élimination de cette pratique dans certaines régions de la Somalie, du Kenya et de l'Éthiopie. En faisant preuve de patience — comme dans le cas de nombre des aspects évoqués qui empêchent l'émancipation des femmes en Afghanistan —, on peut amener les dirigeants des collectivités à comprendre qu'il n'y a aucun fondement religieux véritable pour expliquer les formes de discrimination à l'endroit des femmes, comme la mutilation des organes génitaux et le mariage d'enfants, et que ces pratiques sont plutôt le fruit de traditions culturelles. Si elles découlent de traditions culturelles, elles ont été adoptées au fil du temps et peuvent donc être délaissées au fil du temps. Nous partons de ce principe. Beaucoup de gens veulent mettre fin à ces pratiques, et nous nous adressons à eux en premier. Nous travaillons avec les collectivités qui veulent voir cesser de telles pratiques, et nous en faisons nos ambassadeurs.
La présidente : Est-ce que ce sont des villageois?
M. McCort : Oui. Dans le cas des pratiques comme la mutilation des organes génitaux de la femme, nous nous adressons souvent aux femmes en premier.
La présidente : Pouvons-nous nous en tenir à l'Afghanistan?
M. McCort : Oui. L'idée de cibler d'abord les membres de la collectivité est appropriée et pertinente. Nos programmes visent à consulter les collectivités au sujet des problèmes qu'ils tentent de régler. Les collectivités discutent de la pauvreté et des problèmes de santé. Nous leur demandons ce qui est à l'origine des problèmes. Les gens prennent souvent conscience des obstacles et comprennent qu'ils sont pauvres et en mauvaise santé parce que les femmes n'ont pas accès à l'eau et que les filles ne vont pas à l'école. Ils commencent à se rendre compte que le fait de régler les problèmes liés aux femmes permet de remédier aux problèmes qu'ils ont cernés. C'est un processus qui exige beaucoup d'effort, mais il porte ses fruits.
La présidente : Le rapport que CARE a présenté à la Chambre des communes a suscité pas mal de réactions chez au moins certaines des femmes au Parlement. À la page 5, au deuxième paragraphe, vous dites qu'il faut faire valoir à chaque occasion la nécessité de faire participer les femmes au débat ou de parler en leur nom. Cette déclaration a provoqué toute une commotion chez un certain nombre de parlementaires. Peut-être pourriez-vous expliquer ce que vous vouliez dire.
M. McCort : Faites-vous allusion au fait de s'exprimer en leur nom?
La présidente : Oui.
M. McCort : Il y a souvent des personnes qui nous disent : « Nous n'avons pas été invités à Bonn ou à Ottawa. Pourriez-vous transmettre ce message pour nous? » Des groupes communautaires et nos partenaires nous demandent de transmettre des messages en leur nom. Lorsque nous disons « parler en leur nom », c'est parce que ces groupes nous ont demandé de faire entendre leur voix, d'être leur porte-parole et de se porter à leur défense.
Kieran Green, directeur des communications, CARE Canada : Si je peux me permettre de renchérir au sujet des initiatives que nous proposons au Canada de lancer, il existe des groupes et des ONG voués à la cause des femmes en Afghanistan. Chaque fois que le Canada prévoit se rendre à Bonn ou participer à des négociations de paix, à des réunions de pays donateurs ou à d'autres réunions semblables, nous envoyons immédiatement nos représentants rencontrer ces groupes et nous leur demandons s'ils souhaitent transmettre un message à la communauté internationale. Nous leur demandons de mettre ce message sur papier. Comme nous l'avons dit dans l'exposé, lorsque les représentants canadiens arrivent à la table, ils peuvent dire : « Madame la présidente, j'ai apporté une déclaration préparée par ces groupes de femmes en Afghanistan. J'aimerais prendre cinq minutes pour la lire. »
Il ne s'agit pas de leur souffler ce qu'ils doivent dire ou de prétendre les représenter. Il s'agit plutôt de transmettre leur message à la communauté internationale.
La présidente : Dois-je présumer, d'après l'exemple que vous avez cité, que l'Afghanistan n'est pas présent à la table des négociations ou que les personnes qui s'expriment au nom de l'Afghanistan ne transmettent pas ces messages?
M. Green : C'est probablement le cas, en effet, vu les situations et les circonstances différentes.
Le sénateur Jaffer : Je vous remercie de nous avoir présenté cet exposé et ce rapport; je les trouve très utiles.
Dans quelles régions êtes-vous allé?
M. McCort : Dans des régions au Sud de Kaboul, à savoir Ghazni, Logar et Paktiya, ainsi que dans des régions de l'Ouest et du Nord.
Le sénateur Jaffer : Avez-vous aussi administré des programmes scolaires?
M. McCort : Oui. Avec l'aide de l'ACDI, nous avons mis en place un certain nombre de programmes d'enseignement dans des écoles pour filles.
Le sénateur Jaffer : Dans votre rapport, vous soulignez l'importance de construire des établissements d'enseignement qui sont adaptés aux particularités culturelles et aux différences entre les sexes. Tous les exposés que nous avons entendus cet après-midi portaient sur l'éducation des filles. Vous êtes dans ce pays depuis très longtemps. Quelles sont les trois choses que le Canada doit faire pour favoriser l'instruction des filles?
M. McCort : La première chose à faire, c'est de discuter avec les membres de la collectivité au sujet de leurs besoins en matière d'éducation et de s'assurer, comme l'a expliqué Mme Banerjee, que la collectivité appuie la construction d'une école. La première étape consiste à trouver des champions à l'échelon local.
Ensuite, il faut veiller à ce que l'établissement d'enseignement dispose d'installations qui tiennent compte des particularités de chacun des sexes et de toilettes séparées par des murs et qu'il soit construit de façon appropriée pour que les membres de la collectivité acceptent d'y envoyer leurs filles.
Enfin, l'établissement d'enseignement doit embaucher des personnes capables d'enseigner des connaissances utiles aux jeunes. Ces connaissances n'ont pas besoin d'être extraordinaires, mais elles doivent avoir une utilité suffisante pour que les parents estiment qu'elles valent la peine d'être apprises. Si on veut que les parents acceptent d'envoyer leur fille à l'école plutôt que de l'envoyer chercher du bois de chauffage ou de l'eau ou surveiller le troupeau, ils doivent savoir que ce qu'elle apprendra à l'école sera utile pour eux. Les résultats comptent à leurs yeux.
Le sénateur Jaffer : La plupart des exposés que nous avons entendus aujourd'hui parlaient de l'importance de l'enseignement primaire et de l'éducation des jeunes enfants. Selon vous, comment pourrait-on encourager les filles à poursuivre leurs études? C'est le défi qu'il faudra relever. Elles devront s'éloigner beaucoup de chez elles, peut-être pour étudier dans des pensionnats. Comment peut-on relever un tel défi?
M. McCort : C'est un défi de taille, et il découle en partie du fait que, après avoir tenté pendant plusieurs années d'envoyer de plus en plus de filles à l'école, nous constatons qu'il y a un nombre accru de filles qui veulent faire des études secondaires.
Vous êtes-vous précisément penchée sur la question des études secondaires? Les difficultés sont les mêmes partout dans le monde, et vous avez mis le doigt dessus : le coût et l'éloignement. En Afghanistan, ces difficultés sont encore plus marquées. Notre approche consiste à toujours intervenir d'abord là où c'est possible, c'est-à-dire d'intervenir en premier dans les collectivités où nous pouvons offrir des études secondaires. Nous ne commençons pas par intervenir dans les collectivités les plus éloignées, car il y a alors trop d'obstacles. Nous avons tendance à intervenir d'abord dans les collectivités où il est possible de mener à bien un projet, et nous prenons ces endroits comme point de départ.
Le sénateur Jaffer : Je crois savoir que la ministre Oda demandera que les groupes comme le vôtre se soumettent à un appel d'offres s'ils veulent continuer de travailler dans la région. Pourriez-vous nous dire si vous croyez qu'un tel processus serait efficace?
M. McCort : Je pourrais en dire long au sujet de l'ACDI. CARE est l'un des plus grands partenaires de l'ACDI. Nous collaborons avec l'ACDI dans chacun des processus, au sein de la Direction générale du partenariat canadien, par l'intermédiaire des directions générales bilatérales et multilatérales, ainsi que dans le cadre des propositions spontanées, des demandes de propositions et des concours, tout cela dans 32 pays et dans tous les grands domaines. Je n'ai rien contre les demandes de propositions. Je ne vois aucun inconvénient à utiliser cette méthode. Nous reconnaissons que l'ACDI fait preuve de bonne volonté.
La ministre de la Coopération internationale, Bev Oda, et la présidente de l'ACDI, Margaret Biggs, m'ont dit à diverses occasions que, lorsqu'il s'agit de l'argent des contribuables canadiens, elles veulent être capables de répondre à la question suivante : est-ce que l'argent est utilisé de la meilleure façon possible?
Elles déclarent souvent qu'elles sont certaines que l'argent est utilisé d'une bonne façon, mais qu'elles ne peuvent être assurées qu'il est utilisé de la meilleure façon possible s'il n'y a pas eu un concours où les organismes présentent leurs idées pour qu'on choisisse ensuite celles qu'on juge les meilleures. Je suis totalement en faveur d'un tel processus parce qu'il est dans notre intérêt que les contribuables canadiens sachent que leur argent est dépensé de la meilleure façon qui soit. Si cela signifie que nous devons soumettre nos idées à l'ACDI pour qu'elle cible les priorités et sélectionne les idées qu'elle considère comme les meilleures, je n'y vois aucun inconvénient.
Le sénateur Jaffer : Le Canada envisage de jouer un rôle de formateur jusqu'en 2014. Selon vous, quels éléments devrait-on intégrer dans la formation offerte? Vous avez acquis une expérience immense dans la région. Quels aspects le gouvernement devrait-il aborder dans le cadre d'une formation? J'ignore s'il formera les forces armées ou les forces policières; je ne suis pas certaine des détails. Vous n'avez peut-être pas la réponse aujourd'hui, mais vous pourriez la faire parvenir au greffier.
M. McCort : L'une des recommandations formulées dans le rapport — et que Jennifer Rowell a évoquée avec passion lorsqu'elle était ici — se rapporte à la formation des policiers. Le Canada, et plus particulièrement la GRC, jouit d'une excellente réputation en Afghanistan, car on reconnaît sa compétence au chapitre de la formation policière. Toutefois, je recommanderais que la formation soit davantage axée sur les services de police communautaires et qu'elle comporte des modules axés sur les droits et les besoins des femmes.
Le sénateur Jaffer : Bref, une formation sur l'égalité des sexes et sur les enquêtes.
M. McCort : Tout, oui.
Le sénateur Oliver : Je crois que vous étiez tous deux dans la salle lorsque j'ai posé au témoin précédent des questions sur la justice et la primauté du droit. J'ai jeté un coup d'œil au rapport que vous nous avez remis, plus précisément à la page 31, où vous traitez de la primauté du droit. La dernière question que je souhaite vous poser est la suivante : selon vous, quelles mesures précises le Canada peut-il prendre pour faire comprendre aux Afghans ce que signifie la primauté du droit de façon à ce que ce principe fasse partie de la vie quotidienne en Afghanistan?
Permettez-moi de citer la première phrase de la page 31 du rapport : « La primauté du droit est à la fois une culture et une pratique; c'est une `` habitude '' qui est instaurée par les personnes responsables et tenues de rendre compte et qui s'enracine dans les collectivités locales. »
Vous avez parlé ensuite de la maltraitance des femmes, qui n'est pas signalée ni contestée. Les personnes qui obligent des femmes à se marier ou qui leur retirent leurs droits économiques ne sont pas poursuivies en justice, et, lorsqu'elles le sont, les juges qui rendent les décisions sont souvent influencés par des pots-de-vin ou des faveurs, procédés dont ne peuvent user la majorité des femmes et qui sont cautionnés par le silence des gens et une culture de l'impunité.
À la lumière de votre rapport, il me semble qu'il reste un long chemin à faire avant que la primauté du droit devienne une habitude, une pratique, une réalité dans ce pays.
La politique étrangère du Canada repose sur le fait que nous aimons traiter et coopérer avec des pays qui respectent la primauté du droit, les droits de la personne et l'égalité des sexes. Où allons-nous en Afghanistan, vu la nature de nos positions officielles et de notre politique étrangère?
M. McCort : Selon nous, la meilleure façon de régler ce problème, c'est de s'y attaquer d'abord à la racine, à l'échelon le plus bas possible. Nous ne commençons pas par le haut, nous commençons par le bas. Ce que je veux dire par là, c'est qu'il faut vraiment travailler à la création d'une offre et d'une demande de justice.
Nous appliquons le même modèle dans les domaines des soins de santé et de l'éducation. Par « offre et demande », je veux dire qu'il faut travailler souvent avec les citoyens pour qu'ils soient informés de leurs droits et qu'ils sachent à quoi ils peuvent s'attendre et ce qu'ils peuvent demander. Dans le même temps, il faut travailler avec les personnes qui doivent servir cette population pour qu'elles comprennent quelles sont leurs obligations à l'égard des membres de la collectivité. De plus, à un moment ou à un autre, il faudra mettre en place un processus de surveillance qui aidera les deux groupes — ceux qui exigent la justice et ceux qui l'offrent — à comprendre que, s'ils travaillent ensemble plus efficacement, leur collectivité recevra de meilleurs services, et, au bout du compte, elle prendra de l'essor. Toutefois, c'est un long processus.
Au-delà de la théorie, nous menons des initiatives concrètes. Par exemple, nous faisons en sorte qu'il y ait dans les postes de police des femmes auxquelles les femmes peuvent signaler les crimes, qu'il existe des lieux de consultation confidentiels et qu'il existe des moyens pour les gens d'entrer en contact avec l'appareil judiciaire, lequel, à l'heure actuelle, est très peu convivial et très peu accueillant.
On peut commencer à cerner les possibilités d'action directe où les services de police communautaires sont dispensés dans la collectivité et non seulement à partir du poste de police. Il y a des mesures précises qu'on peut prendre pour essayer de rendre les services de justice moins inaccessibles et plus communautaires.
Le sénateur Oliver : Faites-vous ce genre de choses actuellement?
M. Green : Je ne crois pas qu'il y ait des projets de CARE qui ciblent précisément ces aspects. Toutefois, nous travaillons en partenariat avec des groupes de défense des droits des femmes et des groupes d'avocates et nous les aidons à obtenir justice et à régler ces questions.
À plus grande échelle, c'est l'une des choses que le Canada peut faire pour aider l'Afghanistan à renforcer la primauté du droit et, de façon plus générale, à mettre en place des mécanismes de surveillance. Cela s'applique non seulement à la question de la primauté du droit, mais également à toutes les autres questions.
Le Canada n'a pas à jouer le rôle du surveillant. Il n'a pas à se tenir au-dessus de l'épaule du gouvernement afghan pour lui dire que ce n'est pas correct. Mme Banerjee a parlé de ces groupes d'avocates en Afghanistan. Ces groupes existent, mais ils manquent cruellement de ressources. Ils peuvent assumer le rôle de chiens de garde et de surveillants s'ils reçoivent du soutien.
Cela ne veut pas dire qu'il faut offrir davantage de séances de formation pour montrer aux Afghans comment diriger leur pays; ils ont déjà suivi ce genre de formation. S'ils disposent des ressources financières et d'autres formes d'aide pour produire des rapports et exercer une surveillance, les Afghans peuvent être leur propre chien de garde et mettre eux-mêmes fin à la culture de l'impunité.
Le sénateur Oliver : Vous n'étiez pas ici lorsque le premier témoin de l'après-midi a pris la parole. Il parlait des ONG et a dit que les Afghans ne font pas confiance aux ONG. Il a expliqué que les ONG sont perçues comme des outils qui permettent aux élites corrompues de faire de l'argent. Pourriez-vous faire des commentaires à ce sujet?
M. McCort : Le commentaire qui est probablement le plus pertinent est que la sécurité en Afghanistan repose sur la confiance et la protection des collectivités où nous travaillons. Sans ces deux éléments, nous ne sommes pas en sécurité.
Nous comptons des centaines d'employés en Afghanistan. Depuis que je travaille pour CARE — cela fait 20 ans —, une seule de nos employés a été kidnappée, et cet incident était davantage attribuable à la malchance qu'à autre chose.
Je dirais que, de notre point de vue — et de celui de nombre d'ONG comme la nôtre —, la sécurité repose sur l'acceptation et la protection des collectivités où nous travaillons. Par conséquent, dans l'ensemble, cette déclaration est fausse. On ne peut travailler si une telle impression a cours. Il est crucial pour nous de faire en sorte que cette impression demeure fausse.
M. Green : Si je pouvais ajouter un commentaire au sujet de l'histoire du kidnapping, qui montre le degré de confiance que la population nous témoigne, lorsque cette employée a été kidnappée, plus de 1 000 Afghanes ont pris d'assaut les rues de Kaboul pour protester contre son enlèvement et exiger son retour.
La présidente : Ces employés sont-ils pour la plupart des Afghans?
M. McCort : Oui.
M. Green : Oui.
Le sénateur Oliver : Alors, sur le terrain, le travail de votre ONG est respecté?
M. Green : Oui.
M. McCort : Je dirais que nous ne sommes pas les seuls. Nombre d'autres organisations jouissent du même degré de respect et de protection dans les collectivités où elles travaillent.
Le sénateur Oliver : C'est important de le savoir. Merci.
Le sénateur Brazeau : Étant donné que vous avez acquis une grande expérience sur le terrain en Afghanistan et qu'une grande partie du travail que vous effectuez s'inspire du modèle de l'offre et de la demande, et, comme l'objectif de notre étude est d'examiner le rôle que pourrait jouer le Canada après 2011 au chapitre de la protection et de la promotion des droits des Afghanes selon la demande chez les Afghanes, que devrait et que pourrait faire le Canada pour remédier à cette situation, et, toujours dans ce contexte, quelles sont les choses dont nous devrions tenir compte dans notre étude?
M. McCort : Je ferais ressortir la demande des Afghanes pour des services leur permettant de vivre une maternité sans risque et qui contribuent à augmenter le taux de survie des mères et des enfants. Les statistiques sont assez ahurissantes lorsqu'on compare les taux qui prévalent dans certaines régions éloignées avec ceux dans certaines régions de l'Afghanistan où on offre beaucoup plus de services. Les femmes et les familles disent que la demande est énorme, et le Canada a la possibilité d'y répondre, ce qui est formidable.
Nous avons une longue tradition dans l'appui à l'éducation de base des filles. Je crois qu'il y a aussi une demande énorme dans ce domaine en Afghanistan. Nous savons que les retombées de ce genre d'investissements sont assez remarquables.
En ce qui a trait au développement économique, vous avez demandé plus tôt quelles seraient les deux choses que vous devriez faire pour venir en aide à la population afghane. Je vous dirais que vous devez insister sur trois choses. Tout le travail de notre organisme repose sur l'amélioration des conditions de vie, l'amélioration des conditions sociales et la création d'un milieu habilitant. Ce n'est qu'en s'attaquant à ces trois aspects qu'on peut réellement apporter un changement durable.
Notre organisation pourrait affirmer que, en Afghanistan, il y a une demande presque insatiable pour le genre d'initiatives locales de développement que le Canada appuie depuis des années et que nous menons. Il existe au sein des organisations canadiennes une grande expertise qui nous permet d'intervenir efficacement dans ce domaine.
Le sénateur Brazeau : Comment feriez-vous pour améliorer les conditions socioéconomiques?
M. McCort : L'une des méthodes les plus efficaces auxquelles nous recourons, c'est de travailler avec des partenaires afghans. Nous comptons principalement des employés afghans, et ils étendent la portée de leur travail grâce à leurs partenaires afghans. Prenons le programme de formation professionnelle appuyé par l'ACDI et mis en œuvre par CARE et l'Entraide universitaire mondiale du Canada. Nous avons recensé les besoins économiques dans les collectivités ainsi que les possibilités pour les femmes de participer à ce programme et nous avons travaillé avec un certain nombre d'ONG afghanes qui dispensent la formation.
Nous travaillons avec des femmes qui, selon les critères d'admissibilité au programme, sont veuves, démunies et chefs de ménage, et nous discutons avec elles du type de possibilités économiques qu'elles recherchent, puis nous les formons et, lorsqu'elles ont terminé le programme, nous les soutenons. Le programme affiche un taux de diplomation très élevé et un taux de retour très bas. Par conséquent, c'est tout à fait possible. J'ai visité des femmes à domicile, et elles m'ont montré comment elles avaient pu tirer profit de ce programme dans leur vie personnelle. C'est la combinaison de nombreux employés afghans et d'ONG afghanes qui nous permet d'intervenir dans de nombreuses régions du pays à un coût relativement bas.
Le sénateur Brazeau : Y a-t-il alors une participation concrète des Afghanes dans le travail que vous faites?
M. McCort : Oui. Les initiatives que nous menons en Afghanistan s'adressent avant tout aux femmes.
La présidente : Pourriez-vous me dire quel est le pourcentage de femmes en Afghanistan qui sont veuves?
M. McCort : Je ne sais pas quel est le pourcentage. Il était très élevé au début des années 1990, lorsque nous devions composer avec les conséquences de la période soviétique. Les programmes que nous avons mis en place à la fin des années 1990 et au début des années 2000 ciblaient plus particulièrement les veuves et les femmes démunies, mais j'ignore quel est le pourcentage de veuves par rapport à l'ensemble de la population.
La présidente : La présence de femmes seules avec des enfants qui ne touchent aucun revenu doit encore avoir une incidence énorme.
M. McCort : Oui.
Le sénateur Jaffer : Évidemment, vous avez construit des écoles dans des villages ou aidé la population à construire des écoles. Dans une allocution précédente, un témoin a déclaré que nous devions travailler avec les imams et les pères de famille pour veiller à ce qu'ils soient d'accord et que nous ne devions pas — j'espère que je rapporte ses propos correctement — trop faire valoir leurs droits selon le point de vue occidental, mais plutôt travailler à ce qui est acceptable dans leur région. Quelle est votre approche?
M. McCort : Notre approche consiste en fait à amorcer le dialogue avec les membres de la collectivité pour définir les problèmes qu'ils souhaitent régler. Nous commençons par leur poser des questions élémentaires : qu'est-ce qui fonctionne bien dans votre collectivité? Qu'est-ce qui ne fonctionne pas bien? Quels sont vos objectifs? Que souhaitez- vous léguer à titre de dirigeants ou de membres de la collectivité? Puis, nous prenons du recul et nous leur demandons quels sont les problèmes qui les empêchent de progresser. Très souvent, ils nous répondent qu'ils sont pauvres et qu'ils n'ont pas de travail. Ils diront qu'ils ont faim à certains moments de l'année. Ils connaissent des pénuries saisonnières assez importantes. Bien souvent, ils expliqueront qu'ils craignent pour leur sécurité personnelle ou celle de leur famille, et, ensuite, nous essayons de trouver avec eux des moyens de régler ces problèmes.
Plus souvent qu'autrement, les responsables d'environ les trois quarts de nos programmes constatent que les solutions consistent à régler les problèmes qui touchent surtout les femmes. Souvent, les enfants sont malades parce que les femmes n'ont pas l'information ni la volonté ni la confiance pour faire appel aux professionnels de la santé locaux. Les gens n'ont pas le temps d'avoir un emploi rémunéré parce qu'ils passent beaucoup trop de temps à chercher de l'eau et du bois. On peut s'attaquer à la question de l'accès aux services et améliorer de façon rapide et notable le bien-être d'une famille.
Nous faisons beaucoup de travail pour encourager les activités d'épargne et de prêt. Il s'agit en fait de pré-micro- crédit, qui forme l'un des piliers du développement économique. Dans nombre de collectivités, nous avons constaté des progrès tangibles vers une amélioration modérée du niveau de vie. Nous ne prétendons en aucun cas avoir toutes les réponses ou pouvoir influer sur certaines circonstances. Nous admettons très modestement qu'il y a de nombreuses choses que nous ne pouvons pas maîtriser, mais lorsqu'on discute avec les membres d'une collectivité pour trouver le bon point de départ, le processus débute toujours par une consultation sur les priorités, suivie d'un recensement des enjeux et d'un examen des mesures claires et concrètes qu'ils pourraient prendre.
Souvent, nous essayons de voir ce qu'ils peuvent faire avec leurs propres ressources. Nous fournissons des ressources extérieures, au besoin, mais nous ne partons pas du principe selon lequel des ressources externes seront disponibles. Nous partons du principe selon lequel les collectivités ont des besoins et des ressources, et nous essayons de voir ce qu'elles peuvent faire avec ce qu'elles ont, et, si nous pouvons apporter des ressources externes, alors c'est ce que nous faisons ensuite. Nous ne commençons pas par fournir les ressources externes. C'est la méthode qui sous-tend la majeure partie de notre travail.
Le sénateur Jaffer : Vous les laissez diriger les initiatives dont ils ont besoin dans la collectivité?
M. McCort : Oui.
La présidente : Le sénateur Zimmer et moi-même avons siégé au comité de la défense à un certain moment et nous avons entendu cette histoire, que je vous raconterai brièvement, mais ma question porte en fait sur le transfert des connaissances que vous avez acquises sur la façon de travailler efficacement, sur la façon d'inspirer d'autres organismes canadiens.
L'histoire que le sénateur Zimmer et moi-même avons entendue est la suivante. Des ingénieurs de l'armée canadienne ont décidé de venir en aide aux femmes lorsqu'ils ont vu qu'elles devaient monter et descendre une côte en transportant des seaux d'eau. Les ingénieurs ont décidé de construire une voie ferrée mécanique ou une sorte de voie pour transporter l'eau. Ils ont consulté les collectivités pour savoir si c'était une bonne idée. Ils ont consulté les mollahs, et tous s'entendaient pour dire que c'était une excellente idée. Ils ont construit ce dispositif, puis ils sont retournés sur les lieux deux ou trois mois plus tard pour voir s'il fonctionnait bien. Le dispositif avait été mis en pièces. Le fait est que les ingénieurs n'avaient pas consulté les femmes et avaient fait disparaître le seul moyen pour les femmes de sortir et de s'éloigner de la maison. Les femmes préféraient transporter des seaux d'eau.
Je n'en croyais pas mes oreilles. Je croyais que tout le monde tenait compte de ce genre de choses dans le milieu de l'aide humanitaire depuis que Barbara Ward a fait ce travail de sensibilisation dans les années 1960, mais j'imagine que non. Comment pouvez-vous transférer vos connaissances à l'armée canadienne et à d'autres organismes semblables?
M. McCort : Nous le faisons souvent. J'ai pris la parole devant le Collège d'état-major à Toronto. Je suis allé à Trenton et à Petawawa à plusieurs occasions. Nous avons constaté que les militaires étaient disposés à nous parler et désireux d'entendre ce que nous avions à dire, mais le taux de roulement est si élevé que j'aurais pu me consacrer à temps plein aux séances d'information à l'intention des militaires. Maintenant, nous rencontrons des gens qui ont assisté à la séance deux ou trois fois, mais, pendant les premières années, le roulement était assez élevé, et nous avons constaté que cela empêchait les gens d'assimiler parfaitement les connaissances parce qu'ils n'avaient pas le temps de rester.
La présidente : Avez-vous déjà eu l'occasion de vous entretenir avec les officiers supérieurs de la possibilité d'offrir une formation sur l'égalité des sexes aux membres des Forces? De cette façon, les militaires seraient sensibilisés à l'importance de poser ces questions concernant le travail des femmes en dehors de la communauté des dirigeants masculins.
M. McCort : C'est un thème que nous aurions abordé dans le cadre de notre travail, mais nous n'avions pas mis en place une campagne de sensibilisation portant sur cet aspect en particulier.
Il est toutefois important de noter que, bien que presque toutes les ONG affirment maintenant qu'il est essentiel d'axer les efforts sur les femmes, cette idée n'est devenue le courant dominant qu'au cours des deux ou trois dernières années. Pendant longtemps, cette idée était largement perçue comme un objectif secondaire, mais elle est finalement devenue, du moins dans notre milieu, l'idée dominante, et, lentement, elle prend encore plus d'expansion.
La présidente : Il aurait été bien que les gens écoutent le YWCA et d'autres organismes semblables il y a cent ans.
Messieurs, je vous remercie de votre visite. Merci, mesdames et messieurs les sénateurs.
(La séance est levée.)