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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Droits de la personne

Fascicule 6 - Témoignages


OTTAWA, le lundi 22 novembre 2010

Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd'hui à 13 h 35 afin d'examiner, pour en faire rapport, le rôle que le gouvernement du Canada peut jouer pour encourager la promotion et la protection des droits des femmes en Afghanistan quand le Canada aura mis fin à ses opérations de combat en 2011.

Le sénateur Nancy Ruth (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Bienvenue à nos témoins des États-Unis d'Amérique qui participent par vidéoconférence à une séance d'un comité du Sénat du Canada. Je suis Nancy Ruth, présidente du comité, et voici les membres du Comité sénatorial permanent des droits de la personne, qui a le mandat d'examiner, pour en faire rapport, le rôle que le gouvernement du Canada peut jouer pour encourager la promotion et la protection des droits des femmes en Afghanistan quand le Canada aura mis fin à ses opérations de combat en 2011.

Aux personnes qui nous écoutent sur divers canaux, j'aimerais dire que vous avez le plaisir de voir à l'écran David Cortright, directeur de l'Étude des politiques, Kroc Institute for International Peace Studies, University of Notre Dame, et Sarah Smiles Persinger, agrégée de recherche, Kroc Institute. Vous avez jusqu'à 14 h 30, alors, allez-y. Dites- nous ce que vous pensez.

David Cortright, directeur des études sur les politiques, Kroc Institute for International Peace Studies, University of Notre Dame, à titre personnel : Merci, madame la présidente, de m'avoir invité à m'adresser à votre comité au sujet de cet enjeu très important et très actuel. Plus tôt, au cours de l'année, le Kroc Institute a entamé un projet de recherche sur la façon dont les gouvernements occidentaux peuvent aider les Afghanes, au moment où nous commençons à retirer des troupes et où le gouvernement afghan cherche la réconciliation avec les groupes d'insurgés. Comme tout le monde le sait, depuis l'invasion de l'Afghanistan, cette question de l'autonomisation des femmes afghanes soulève un intérêt extraordinaire. Le président George Bush a déclaré les Afghanes libérées et, depuis, l'objectif d'autonomisation des femmes est devenu un objectif stratégique quasi officiel.

Au cours des neuf dernières années, la situation a évolué et s'est quelque peu améliorée. Les femmes et les filles afghanes ont fait des gains importants, en particulier en ce qui concerne l'éducation, le revenu personnel et l'emploi, de même que dans la vie politique — choses qui leur étaient toutes refusées durant le règne des talibans.

Aujourd'hui, plus de 7,3 millions d'enfants afghans fréquentent l'école, et 37 p. 100 d'entre eux sont des filles; par comparaison, seulement 900 000 garçons fréquentaient l'école en 2002. Des centaines de sages-femmes ont reçu une formation et peuvent fournir des services de santé maternelle qui n'étaient pas auparavant accessibles. Comme on le sait, 25 p. 100 des sièges du parlement afghan sont réservés aux femmes. On pourrait mentionner de nombreux autres gains.

Cependant, ces gains se dégradent et se précarisent davantage, car, depuis 2005-2006, la violence s'est accrue dans le pays. Certaines écoles du Sud et du Sud-Est ont été fermées en raison de ce climat de violence. Des écoles de filles et leurs élèves ont subi des attaques, car les insurgés font la guerre à l'éducation. Des cliniques de santé ont dû fermer, car les travailleurs de la santé avaient été kidnappés ou tués. L'insécurité a limité de manière générale la participation des femmes à la vie publique et au processus politique.

Nous sommes arrivés à un point tournant de la guerre, et l'idée d'une réconciliation est plus irrésistible que jamais, car nous cherchons une porte de sortie, mais en même temps, cette possibilité de réconciliation représente pour nous un dilemme : les talibans et les groupes d'insurgés ont des antécédents pitoyables et horrifiants au chapitre des droits de la personne, et ils se sont toujours montrés violents à l'égard des femmes. Les défis sont énormes, et notre recherche s'y est attachée, car nous voulons savoir comment les gouvernements occidentaux pourront continuer à soutenir la progression des femmes au moment du retrait des militaires.

Dans ce but, nous avons réalisé plus de 50 entrevues auprès de décideurs, de diplomates, de représentants de la Force internationale d'assistance à la sécurité, la FIAS, et, plus important encore, auprès de femmes afghanes. Ma collègue, Sarah Smiles Persinger, s'est rendue à Kaboul plus tôt cette année pour réaliser des entrevues avec ces Afghanes et apprendre à les connaître. Je vais lui demander de présenter maintenant les résultats de ses recherches.

Sarah Smiles Persinger, agrégée de recherche, Kroc Institute for International Peace Studies, University of Notre Dame, à titre personnel : Merci, mesdames et messieurs les sénateurs, de nous donner la parole aujourd'hui. Cette année, j'ai passé les mois d'avril et de mai à Kaboul et j'ai tenté d'interviewer le plus grand nombre possible de femmes. J'ai parlé avec des parlementaires, des militantes, des travailleuses de la santé et des travailleuses des ONG, les organisations non gouvernementales. Toutes les femmes avec lesquelles je me suis entretenue sont profondément préoccupées par le processus de réconciliation.

Jusqu'ici, les États-Unis et l'OTAN ont déclaré que les insurgés qui voulaient la réconciliation doivent renoncer à la violence, rompre leurs liens avec Al-Qaïda et respecter la constitution. Les talibans ont pour leur part demandé le retrait des troupes étrangères, la refonte de la constitution, l'imposition de la charia et la réislamisation de l'État afghan. Les femmes auxquelles j'ai parlé craignent que l'on accède en coulisse à certaines exigences des groupes d'insurgés et que cela se fasse au détriment des femmes et des filles. Dans le passé, par exemple, les talibans avaient demandé le contrôle du territoire. Ils aimeraient contrôler un certain nombre de provinces de l'Afghanistan, et nous voyons déjà qu'ils imposent encore une fois des restrictions aux femmes dans les régions qu'ils contrôlent.

Les femmes que j'ai interviewées craignent par exemple que, si on offre à des talibans ou à des chefs de groupes d'insurgés un poste en bonne et due forme au gouvernement, ils pourraient chercher à renverser la constitution, grâce à une jirga composée d'avocats en droit constitutionnel et à éliminer de la constitution la disposition prévoyant l'égalité des sexes, pour laquelle les organismes de femmes afghanes se sont âprement battus pendant la rédaction de la constitution. Nous voyons déjà que le parlement est dominé par des forces conservatrices, c'est-à-dire d'anciens seigneurs de guerre moudjahidines et par des religieux conservateurs.

Les femmes craignent que des chefs de groupes d'insurgés nommés aux portefeuilles de la justice ou de l'éducation ne cherchent à modifier les programmes, à laisser tomber des matières comme les sciences ou les technologies de l'information ou à fermer les portes des écoles et des universités privées mixtes qui, actuellement, offrent la meilleure éducation qui soit à Kaboul.

Elles se préoccupent également du retour demandé de la charia. Pour les femmes que j'ai interviewées, la charia ne pose aucun problème, et le système juridique de même que le code juridique actuels de l'Afghanistan s'en inspirent largement. Le problème, c'est la charia telle que l'appliquent les talibans, qui s'inspire autant du droit coutumier des Pachtounes — le pashtunwali — que de la charia, et qui, selon ces femmes, est explicitement discriminatoire à l'égard des femmes.

Les femmes craignent que des mesures de justice transitionnelle et l'impunité soient offertes à des violateurs notoires des droits de la personne. Elles sont également profondément préoccupées par la possibilité qu'une guerre civile éclate si les troupes étrangères quittent précipitamment le terrain, compte tenu de l'instabilité et de la faiblesse du gouvernement central afghan et de l'incapacité des forces de sécurité afghanes d'assurer la sécurité des civils pour le moment.

Malgré toutes les inquiétudes dont elles m'ont fait part, la majorité des femmes avec qui j'ai parlé sont en faveur du processus de paix, car elles reconnaissent que les femmes et les filles souffrent vraiment des conséquences du conflit. Comme M. Cortright l'a dit, depuis la reprise des mouvements de révolte, depuis 2005-2006, beaucoup des gains qu'ont faits les femmes et les filles se sont érodés devant la montée de la violence.

Nous venons tout juste de publier un rapport de recherche, que l'on peut aussi consulter en ligne. Comme notre rapport détaillé l'indique, des centaines d'écoles ont été fermées, surtout dans le Sud et le Sud-Est, à cause du climat d'insécurité.

J'ai interviewé entre autres Sahera Sharif, parlementaire et qui vient de la province de Khost, province conservatrice à prédominance pachtoune du sud-est du pays. Elle m'a dit que presque toutes les écoles pour filles de sa province étaient actuellement fermées, et qu'il n'en reste plus qu'une poignée dans la capitale provinciale, Khost City. Elle m'a expliqué qu'il n'y a plus d'ordre public à Khost. Ils ont été huit mois sans chef de police; personne ne voulait de cet emploi. Il y a cinq ans, elle pouvait se rendre en voiture dans les villages ruraux pour visiter les écoles qui offraient un programme accéléré pour les filles. Aujourd'hui, elle a peur de marcher dans les rues de la capitale de la province.

J'ai aussi interviewé Sarah Halim, une sage-femme de Khost, qui m'a raconté que son époux avait retiré de l'école leur fille de sept ans, de crainte qu'elle ne soit kidnappée ou que l'école ne soit attaquée. Elle était découragée de cela, car elle ne veut pas que sa fille ne reçoive aucune éducation.

Dans une société où l'honneur des femmes est primordial, l'insécurité a amené les familles à cloîtrer les femmes, encore une fois. Un rapport publié l'année dernière en Grande-Bretagne cite un groupe de femmes de Kandahar qui affirment que leur vie actuelle n'est pas meilleure que sous les talibans. Elles ne peuvent pas quitter leur maison pour aller étudier ou gagner leur vie. J'ai également parlé à un certain nombre de femmes dont la famille exerçait des pressions pour qu'elles quittent leur emploi et restent à la maison en raison de l'insécurité.

Nous voyons aussi que la colère à l'égard de l'occupation militaire a augmenté. On a aussi vu une réaction contre le discours sur les droits des femmes, que bien des Afghans considèrent comme une intrusion occidentale et étrangère dans la culture afghane. Les Afghanes qui font preuve de leadership sont souvent traitées d'agentes occidentales anti- islamistes ou, pire encore, de prostituées, et elles font l'objet de menaces, d'intimidation, voire d'agressions. Un certain nombre de femmes bien connues ont été assassinées au cours des dernières années.

Toutes les femmes que j'ai interviewées reconnaissent qu'il leur serait impossible de renforcer les gains des neuf dernières années dans un environnement militarisé. C'est pourquoi, même si elles soutiennent le processus de paix, elles veulent l'assurance qu'elles ne seront pas des victimes de ce processus et que la paix ne se fera pas à leurs dépens.

Si l'on pense à l'avenir, le défi demeure : comment des gouvernements comme celui du Canada peuvent-ils empêcher que cela se produise?

Dans notre recherche, nous avons essayé de répondre aux diverses préoccupations des femmes. Premièrement, la situation au chapitre de la sécurité est critique. Les femmes ne pourront pas progresser dans un environnement militarisé, mais elles ne le pourront pas plus en l'absence de sécurité. Pour assurer la protection des civils, notre rapport de recherche recommande de déployer une force de sécurité intérimaire, dirigée par les Nations Unies, au moment du retrait des troupes. M. Cortright va parler un peu plus de cette recommandation.

M. Cortright : Nous savons que notre président et, maintenant, les dirigeants de l'OTAN, se sont engagés à assurer une transition; il faudra cependant procéder avec soin si l'on veut éviter un vide au chapitre de la sécurité. Une idée circule beaucoup, et nous proposons de la mettre en application : il s'agirait d'une force de sécurité intérimaire qui serait placée sous l'autorité de l'ONU et qui pourrait être déployée parallèlement au retrait progressif des troupes de la FIAS.

Les représentants des talibans ont plutôt proposé de déployer une force de protection menée par des musulmans, et ils se sont engagés à ne pas l'attaquer. Ce facteur mérite d'être examiné. Nous ne connaissons aucune force intérimaire de ce type, mais, si les dirigeants de l'OTAN, des États-Unis et d'ailleurs étaient prêts à favoriser la création d'une telle force et si elle pouvait être déployée, on pourrait s'assurer ainsi d'une certaine forme de sécurité. Il faudrait que les forces des États-Unis et de l'OTAN lui offrent du soutien et de la formation, mais elle pourrait jouer un rôle important. Les troupes de la FIAS, avant de se retirer complètement, pourraient elles-mêmes s'attacher à la formation des forces afghanes et à la protection des civils. En combinant ces facteurs avec un retrait progressif des forces de l'OTAN et l'introduction d'une force de sécurité intérimaire, on pourrait peut-être assurer un environnement plus sécuritaire, qui permettrait aux femmes de préserver leurs gains.

Mme Smiles Persinger : Dans notre rapport, nous expliquons également qu'il faut offrir à l'Afghanistan, au cours des années à venir, une aide et des investissements durables. Je crois que... Comme les fonds de développement ont à de nombreux égards été concentrés dans les régions où il y a eu des affrontements, nous craignons que les gouvernements étrangers soient tentés de retirer ou de réduire leurs programmes d'aide en même temps qu'ils retirent leurs troupes. Nous insistons réellement, dans notre rapport, sur le fait que cela serait un désastre pour l'avenir de l'Afghanistan et que cela minerait les gains réalisés par les femmes jusqu'ici.

J'imagine que vous êtes nombreux à avoir vu le rapport publié par CARE; il contient un certain nombre de recommandations judicieuses touchant cette question.

Quant au processus de réconciliation, l'une des meilleures façons dont nous pouvons prévenir le recul des gains des femmes, ce serait de s'assurer que les femmes sont représentées de façon adéquate dans l'ensemble des discussions ou forums sur la paix. Jusqu'ici, nous avons constaté cette année que les organisations de femmes afghanes avaient dû faire des pieds et des mains pour qu'on les écoute, dans les diverses assemblées pour la paix — les jirgas, la conférence de Kaboul, tous ces événements qui ont eu lieu cette année. Le gouvernement afghan a beau refuser régulièrement d'inclure les femmes dans les cercles décisionnels de haut niveau, où il est question du processus de paix, je crois que les décideurs occidentaux ont ici beaucoup de poids au moment de défendre les intérêts des femmes.

L'engagement des décideurs des États-Unis et de l'OTAN ici est vraiment inégal. La secrétaire d'État américaine, Hillary Clinton, a fait preuve d'un leadership impressionnant au chapitre de la défense des droits des Afghanes, mais la volonté politique des autres représentants est moins évidente. Les décideurs à qui j'ai parlé pensent que la question des femmes est difficile à circonscrire et qu'elle est incongrue dans le contexte des préoccupations relatives à la sécurité. Ce point de vue ne tient absolument pas compte du lien aujourd'hui largement reconnu entre les droits de la personne et la paix.

Dans notre rapport, nous recommandons que des gouvernements comme celui du Canada fassent preuve de leadership et qu'ils insistent pour que les femmes soient représentées dans les forums où il est question de la paix, au conseil supérieur pour la paix — que le président Karzai a mis sur pied pour mener les négociations avec les groupes d'insurgés — et aussi au Joint Secretariat for Peace, Reconciliation and Reintegration Programs, qui conçoit des programmes de réintégration.

Dans le rapport, nous expliquons que l'un des moyens que l'on pourrait prendre pour exercer de l'influence sur le gouvernement afghan serait de lier le financement des programmes de réintégration à la participation des femmes. En janvier, à la conférence de Londres, des pays comme le Japon et le Royaume-Uni se sont engagés à verser de l'argent dans un fonds en fiducie pour la réintégration. Je crois savoir que, jusqu'ici, quelque 150 millions de dollars ont été promis. Le principe, c'est qu'il servira à financer des projets de développement dans les collectivités qui acceptent de réintégrer des insurgés. Nous recommandons qu'à l'avenir, le financement de ce programme soit conditionnel à la participation des femmes aux organismes de haut niveau qui supervisent le processus de réconciliation.

Dans notre rapport, nous recommandons également que des gouvernements comme celui du Canada soutiennent en priorité la participation des Afghanes à la vie publique en aidant les organisations de femmes; en facilitant les échanges entre les parlementaires, les fonctionnaires, les juges et les avocates afghanes; et en offrant une formation et un encadrement à long terme aux agentes de police, particulièrement vulnérables.

Nous avons plusieurs recommandations, mais une façon simple d'améliorer le profil des femmes au sein du gouvernement afghan serait de veiller à ce que toutes les délégations afghanes qui viennent au Canada comptent des femmes. Si j'ai bien compris, c'est ce que fait déjà le département d'État américain.

La dernière recommandation de notre rapport porte sur les Afghanes vulnérables. La perspective d'une réconciliation est assurément pleine de risques. Pendant que les troupes quittent le terrain et que les alliances politiques se transforment, le danger de recul des droits des femmes est bien réel, et les Afghans qui ont travaillé directement avec les militaires seront particulièrement vulnérables. Nous estimons également que les Afghanes qui ont occupé des postes de pouvoir ou qui sont perçues comme ayant été associées à des intérêts occidentaux sont également extrêmement vulnérables.

Dans ce contexte, nous recommandons encore une fois, dans notre rapport, que les gouvernements comme celui du Canada songent à donner aux femmes afghanes la priorité dans tous les programmes d'asile créés à l'intention des Afghans, en particulier celles qui font continuellement l'objet de menaces et qui risquent de se faire tuer en raison de leur association perçue avec des intérêts occidentaux. Cela peut concerner des femmes qui travaillent pour le gouvernement ou des organismes d'aide ou qui collaborent avec les équipes de reconstruction provinciales, les ERP, par exemple. Notre recherche a révélé que l'intervention militaire et l'accent que les Occidentaux ont mis sur les droits des femmes ont rendu de nombreuses Afghanes très vulnérables. Les femmes sont nombreuses à être menacées, et elles pourraient même faire face à des dangers encore plus grands, à l'avenir, lorsque les troupes se seront retirées.

En résumé, depuis le début et au cours des neuf dernières années, de nombreux intervenants de l'Occident ont entretenu de très grandes espérances touchant l'autonomisation des Afghanes. Mais les progrès ont été lents. Comme nous le faisons valoir dans le rapport, la misogynie et les idéologies dominantes en ce qui concerne le sexe en Afghanistan ne pourront pas disparaître du jour au lendemain, et ce ne sont pas des forces extérieures qui pourront les changer. Pour aider les femmes à poursuivre leurs progrès, il faudra de la patience et un engagement à long terme.

Nous croyons que les gouvernements occidentaux ont beaucoup d'influence et devraient s'en servir pour améliorer la sécurité; préserver les droits politiques des femmes, en particulier pendant le processus de réconciliation; aider les organisations des femmes afghanes qui travaillent activement à faire changer les choses sur le terrain; et soutenir les programmes offrant des débouchés dans le domaine de la santé publique, de l'éducation et de l'économie, qui ont concrètement changé pour le mieux la vie des femmes.

Cela conclut notre déclaration préliminaire. Encore une fois, merci de nous avoir invités à témoigner.

La présidente : Merci beaucoup.

Le sénateur Jaffer : Merci beaucoup de votre exposé. J'ai de nombreuses questions, mais nous n'avons pas beaucoup de temps.

Comme vous le savez, le Canada a accepté de former les forces de sécurité nationale afghanes à Kaboul. À la lumière de vos commentaires, j'aimerais savoir ce que notre comité devrait recommander au gouvernement d'inclure dans ce programme de formation?

Mme Smiles Persinger : Assurément, on a pris des mesures énergiques pour favoriser le recrutement des femmes dans les forces de police, par exemple. Le processus a été très difficile, et le recrutement, très lent.

Dans notre rapport, nous recommandons entre autres de former et d'encadrer les recrues ainsi que de donner aux forces de sécurité afghane une sensibilisation en matière d'égalité des sexes. Comme nous le savons tous, lorsque des femmes demandent l'aide de la police, elles sont souvent exposées à un danger plus grave encore. Lorsqu'elles s'adressent à la police, elles sont agressées sexuellement, ou encore la police refuse d'enquêter sur leurs allégations. On agit en réalité comme si les problèmes familiaux devaient être réglés par la famille et comme si les policiers n'avaient pas le droit d'intervenir dans ce domaine.

L'un des grands problèmes, et c'est l'une des raisons pour lesquelles on insiste pour mettre sur pied si rapidement des forces de sécurité et des forces de police, c'est que celles-ci ne reçoivent pas souvent une très bonne formation. Il s'agit tout simplement de quelques mois d'entraînement au maniement des armes. La sensibilisation à l'égalité des sexes, cela n'existe pas.

C'est l'une des recommandations que vous pourriez faire.

M. Cortright : Cela est conforme à ce que nous avons observé dans d'autres environnements — c'est-à-dire que la formation des forces de sécurité doit comprendre un important volet sur les droits de la personne. Nous ne pouvons pas nous contenter de donner des armes aux membres de ces services et de les déployer sans nous assurer d'abord qu'ils comprennent vraiment les principes de la primauté du droit et qu'ils ont reçu une formation sur les droits de la personne.

Il faudrait qu'il y ait des mécanismes communautaires extérieurs à la force de sécurité elle-même. Comme nous le faisons dans bien d'autres pays, il faudrait prévoir un mécanisme grâce auquel les représentants de la société civile pourraient surveiller le rendement des forces de sécurité pour s'assurer qu'elles adhèrent bel et bien aux normes en matière de droit de la personne.

Le sénateur Jaffer : Vous parlez de formation sur l'égalité des sexes. La formation peut durer une heure ou deux jours. Vous avez tous les deux une assez bonne expérience de l'Afghanistan. Pourriez-vous suggérer quelques recommandations que nous pourrions présenter à notre gouvernement à propos de la forme que devrait prendre une formation sur l'égalité des sexes?

Mme Smiles Persinger : En ce qui concerne la formation sur les droits de la personne, un contingent de policiers allemands se trouve actuellement à l'académie d'élite de la police de Kaboul dans le but de mettre sur pied une unité qui fournira aux diplômés une formation sur les principes des droits de la personne. L'un des gros problèmes, jusqu'ici, c'est que le ministère de l'Intérieur ne cesse de bloquer le projet. C'est de l'intérieur même du gouvernement afghan que l'on met des bâtons dans les roues à ce projet.

Je ne suis pas experte ni de la formation ni des méthodes policières, mais, si l'on veut que le projet démarre, il faudra faire de grands efforts pour convaincre le gouvernement afghan de l'appuyer.

M. Cortright : On constate l'apparition en Afghanistan d'un modèle de comités ou de groupes d'examen communautaires qui évalueraient le travail des forces policières. Nous pourrions vous parler dans un autre cadre de l'évolution de l'expérience à ce chapitre. Nous allons trouver les rapports et vous les envoyer.

J'ai participé récemment à une consultation pendant laquelle des représentants de la société civile de l'Afghanistan ont parlé des bons résultats que pourrait obtenir un comité communautaire capable de communiquer directement avec le quartier général de la police et de rendre compte du travail des agents de sécurité.

Le sénateur Jaffer : Pourriez-vous envoyer ces renseignements à M. Thompson, le greffier de notre comité? Je vous en serais reconnaissante.

Vous avez beaucoup parlé d'éducation et d'éducation des femmes. Nous avons entendu un certain nombre de témoins qui ont laissé entendre que, si on s'attachait à des questions comme l'éducation et la santé, on arriverait mieux à promouvoir les droits des femmes en Afghanistan, à long terme, qu'en visant directement les droits des femmes, ce qui pourrait entraîner une levée de boucliers de la part de ceux pour qui les droits des femmes sont des valeurs occidentales. Pensez-vous que cette approche est utile?

M. Cortright : Je crois que, de manière générale, on obtient des résultats positifs lorsqu'on améliore l'accès à l'éducation. Mieux nous arriverons à faire comprendre, dans ce contexte général, que nous voulons que les filles et les garçons aient accès à l'éducation, plus nous avons de chances de faire accepter l'idée largement. On peut dire la même chose en ce qui concerne les soins de santé. La situation s'améliore, et l'accès aux soins de santé devrait être offert à tous les citoyens de l'Afghanistan. Si nous présentons cet accès comme un service général à l'appui de la société afghane, il est plus probable qu'il sera accepté.

Mme Smiles Persinger : Il existe deux stratégies visant l'autonomisation des Afghanes. La première est l'approche du bien-être à long terme, associée à la santé et à l'éducation. La seconde consiste en politiques d'affirmation des femmes dans l'élite, c'est-à-dire la nomination de femmes au parlement et la constitution d'organisations de femmes.

J'entends souvent, et certainement de la part d'Afghans, la critique selon laquelle la société et la culture afghanes ne sont pas prêtes à adhérer à un programme si dynamique de défense des droits de la femme. En même temps, je sais qu'il existe actuellement au pays un mouvement féministe qui prend de l'ampleur; il reçoit le soutien de donateurs internationaux, mais il a pris naissance en Afghanistan, bien avant 2001. Diverses organisations et ONG de femmes travaillent activement à changer la situation des femmes au sein de la société afghane.

Je ne crois pas nécessairement qu'il soit indiqué de se retirer complètement de ce dossier afin de ne pas passer pour des provocateurs, car il y a sur le terrain des femmes qui se battent pour cette cause, et cela n'a rien à voir avec une ingérence, pour ainsi dire, de l'Occident.

Grâce à l'appui de donateurs internationaux — par exemple, le travail de l'Institute for Inclusive Security — qui offrent du soutien et de la formation aux organisations de femmes, les Afghanes ont fait des gains importants, notamment la disposition sur l'égalité des sexes qui a été intégrée à la constitution et le fait que 25 p. 100 des sièges du parlement est réservé aux femmes.

C'est pourquoi je ne suis pas nécessairement d'accord, mais, évidemment, la façon dont les donateurs internationaux devraient procéder dans ce dossier est toujours une question délicate. Est-ce qu'ils essaient de changer la société? Bien sûr, il faut toujours se montrer sensible à la culture afghane et au contexte de l'Islam. Un grand nombre des femmes disent que nous devons favoriser l'évolution de la condition féminine dans ce contexte.

Le sénateur Kochhar : Merci, monsieur Cortright et madame Smiles Persinger, pour cet exposé informatif.

Mon problème, c'est que nous examinons tout selon une perspective occidentale. Nous voyons la démocratie telle que nous la pratiquons. Nous voyons l'ordre public, comme il existe au Canada ou aux États-Unis. Nous voyons notre système d'éducation. Or, ces deux choses ne peuvent exister en Afghanistan que s'il y a un bon système d'éducation. Je ne sais même pas si nos valeurs occidentales peuvent s'appliquer en Afghanistan.

Vous avez dit que les femmes composaient 36 ou 37 p. 100 des parlementaires, ce qui veut dire que, avec 14 p. 100 de plus, elles formeraient la majorité. Si j'ai bien compris, des femmes occupent 68 des 249 sièges de la Chambre basse, soit moins de 25 p. 100, et 26 des 102 sièges de la Chambre haute, soit environ 26,5 p. 100. C'est beaucoup moins que ce que vous nous avez dit. Cela est également une conséquence du système de quotas. S'il y avait des élections libres et justes, comme dans les pays industrialisés, elles n'obtiendraient probablement même pas un siège. Récemment, cinq hommes ont été tués parce qu'ils appuyaient l'une des candidates aux élections législatives, Fauzia Gilani. Devant ce type de menace, quelle femme voudrait se présenter aux élections en Afghanistan?

Fondamentalement, nous devons amener les hommes et les femmes à comprendre quelles sont leurs responsabilités dans leur propre culture. Aucune culture ne vise à faire du mal à autrui. Si nous quittons l'Afghanistan et si nous enseignons aux Afghans à prendre en main leurs propres affaires, pensez-vous qu'il est réaliste d'affirmer que le parlement pourra soutenir la société et que les talibans ne vont pas le renverser dès le moment où nous serons partis? À l'heure actuelle, les talibans n'attendent que notre départ pour renverser le système en place.

Je ne pose aucune question. Je formulais simplement un commentaire, mais peut-être pourriez-vous y réagir, s'il vous plaît.

M. Cortright : Je suis certainement d'accord pour dire qu'il y a un risque que les talibans prennent le contrôle. Dans notre rapport, nous cherchons à élaborer des stratégies afin de prévenir cette éventualité. Il y a en Afghanistan un équilibre naturel des forces qui ne penche pas en faveur des talibans. Les Tajiks, l'Alliance du Nord, sont prédominants dans les forces de sécurité afghanes, qui comptent aujourd'hui plus de 200 000 membres. Tous les pays voisins, à l'exception du Pakistan, s'entendent pour dire que l'objectif est d'empêcher que les talibans prennent le pouvoir à Kaboul.

Si nous gérons efficacement le retrait des forces militaires de façon à pouvoir tirer avantage de l'équilibre naturel des forces en défaveur des talibans, on devrait pouvoir veiller à ce que le nouveau gouvernement soit plus représentatif de tous les éléments qui composent la société afghane.

Les talibans représentent une partie de la population pachtoune. Il devrait y en avoir quelques-uns, mais ils ne devraient pas dominer. Je crois que nous pouvons organiser la passation des pouvoirs de façon à prévenir cela. Ce devrait être l'un des principaux objectifs de la politique internationale, et je crois que cela est ou que cela devrait être possible.

En ce qui concerne les chiffres, monsieur le sénateur, 37 p. 100, c'est le pourcentage de filles parmi les écoliers. Le pourcentage de 25 p. 100 — vous aviez raison —, c'est le quota réservé aux femmes, au parlement. À l'heure actuelle, ce quota est respecté.

Cependant, comme vous l'avez dit, on ne sait pas si cette disposition de la constitution sera maintenue une fois que les forces occidentales auront quitté le pays. Dans notre rapport, nous insistons fortement sur l'importance, pour les gouvernements des pays donateurs, d'utiliser de leur influence pour veiller à ce que cette disposition de la constitution soit préservée de façon que les femmes soient plus adéquatement représentées au sein de leur parlement.

Mme Smiles Persinger : J'aimerais commenter ce que vous avez dit au sujet des femmes au parlement et du nombre de sièges qui leur est réservé. Vous avez dit que, s'il n'y avait pas de quota préétabli, il n'y aurait probablement aucune femme au parlement. Je ne suis pas nécessairement d'accord. Dans les années 1950 et 1960, il y avait des femmes au parlement afghan, ce n'est donc pas comme si ce concept leur était tout à fait étranger. Pendant l'occupation soviétique, également, les femmes étaient actives dans la société. Dans la province de Bamiyan, où les Hazaras ont des vues décidément plus libérales en ce qui concerne la condition féminine; c'est une femme qui gouverne, et elle a été élue par ses partisans. Cela n'a donc rien à voir avec les quotas.

Pour les femmes, participer au processus politique comporte des risques immenses, supérieurs à ceux que courent les hommes. Notre rapport comprend une section sur ce sujet. On envoie aux femmes des lettres de nuit menaçantes les enjoignant à ne pas se présenter aux élections. Quatre membres du personnel de la femme dont vous avez parlé ont été tués. Lors de la dernière campagne électorale, une femme s'est habillée en homme de façon à pouvoir circuler. L'insécurité rend les campagnes difficiles pour les femmes.

Un aspect positif, c'est que les élections de 2005 ont eu lieu en temps de paix et qu'un nombre record de femmes ont voté. Aux élections législatives de 2005, on comptait 350 candidates. La sécurité, depuis, s'est gravement détériorée, et nous savons que le taux de participation à la dernière élection était faible. Encore une fois, les talibans menacent de tuer les personnes qui se rendent voter et de tuer les candidats. Pourtant, 413 femmes ont brigué les suffrages lors de cette élection. C'est plus qu'en 2005, quand la situation était beaucoup plus calme. Cela montre la détermination de certaines femmes à participer au processus politique, malgré l'augmentation des menaces et de la violence.

Le sénateur Baker : J'ai une question de nature générale à vous poser, mais j'aimerais avoir vos commentaires sur chaque facette du rôle que joue le Canada dans l'avenir en Afghanistan.

J'ai examiné votre rapport et je vous ai écouté attentivement. Est-ce que vous suggérez que le Canada fasse en sorte que le financement soit conditionnel à la participation des femmes aux prochaines négociations pour la paix?

Êtes-vous d'avis que le Canada devrait soutenir les projets d'aide à long terme, comme vous l'avez dit, qui visent les Afghanes? Toutefois, dans votre rapport, j'ai l'impression que vous critiquez le Canada, puisque vous soulignez que le tiers de l'aide financière canadienne est destiné au Kandahar. Pourriez-vous expliquer ce que vous dites à ce sujet dans votre rapport?

Pour terminer, vous recommandez que le Canada facilite l'octroi du droit d'asile aux femmes qui font face à des menaces contre leur vie en raison de leur association perçue avec des intérêts occidentaux.

Est-ce que ce sont là trois de vos recommandations qui touchent le rôle futur du Canada en Afghanistan?

M. Cortright : Oui, vous les avez très bien résumées. Il est absolument essentiel d'offrir un soutien à long terme aux programmes d'appui au développement social, à la santé, à l'éducation, et cetera. C'est la position que devraient adopter le Canada de même que tous les gouvernements concernés; ainsi, lorsque les troupes commenceront à se retirer, le soutien au développement économique et social augmentera plutôt que de diminuer. Il est crucial de préserver les gains réalisés.

Quand nous disons que nous devrions rendre le financement conditionnel afin d'obtenir l'appui du gouvernement, nous n'entrerons pas dans le détail. De manière générale, nous ne considérons pas qu'il faudrait imposer des conditions à une aide économique et sociale à long terme; cette aide devrait être fournie. Cependant, le soutien politique qui aide à financer le fonctionnement du gouvernement afghan devrait être consenti sous certaines conditions, de façon à encourager le gouvernement à maintenir ces dispositions de la constitution.

En ce qui concerne le fait que le financement vise beaucoup la province de Kandahar, c'est la tendance actuelle de la plupart des pays donateurs. Le financement vise les zones de combat. À mesure que les combats prendront fin, on risque de voir que le financement diminue également.

Un problème supplémentaire, c'est le fait que, comme le financement est surtout concentré dans les régions du Sud et du Sud-Est, d'autres régions de l'Afghanistan qui ont des besoins sociaux et économiques criants sont négligées. C'est un problème important pour certains civils afghans. Ils y voient presque une incitation perverse à la violence, qui permet d'obtenir davantage de soutien. Ce n'est certainement pas là le but visé.

Tout cela met en relief le besoin d'établir un programme soutenu d'aide sociale et économique à grande échelle pendant le processus de transition politique et de retrait des troupes militaires.

Mme Smiles Persinger : Les chiffres que j'ai cités sont tirés d'un rapport d'Oxfam, et je présumais qu'ils étaient exacts. Cependant, vous pourriez peut-être me renseigner quant au pourcentage exact.

En ce qui concerne le financement conditionnel, la recommandation du rapport était de lier le financement à des programmes de réintégration, d'en faire une condition. Comme je l'ai mentionné, un fonds en fiducie pour la réintégration a été créé; il permettrait de financer des projets de développement dans les collectivités qui acceptent de réintégrer des insurgés. Le programme n'est pas encore clairement défini, mais on pourrait utiliser ce financement comme levier. Je ne sais pas si le Canada s'est même engagé à participer à ce fonds en fiducie. Je crois que l'Allemagne, le Japon, le Royaume-Uni, l'Australie — il y a un certain nombre de donateurs — l'ont fait, mais j'ignore si le Canada y prend part pour le moment. Ce n'est pas aussi pertinent pour le Canada à l'heure actuelle.

Il est certainement très important d'entretenir des relations diplomatiques avec le gouvernement afghan et d'insister — à huis clos — sur la question de la représentation nécessaire des femmes.

En ce qui concerne l'octroi de l'asile, je sais que, après la guerre en Iraq, l'Australie a accepté d'accueillir 500 Irakiens, au moment du retrait des troupes, et que les États-Unis ont fait la même chose. Je ne sais pas si le Canada a fait cela. Il s'agissait souvent de traducteurs et de personnes qui avaient travaillé directement ou en collaboration avec l'ambassade australienne ou les forces armées de l'Australie, qui se trouvaient dans le sud de l'Irak. C'est encore tôt, mais j'imagine qu'il serait possible de mettre sur pied des programmes semblables en prévision du retrait des troupes. Nous soutenons qu'il faut l'envisager, car nous estimons que bien des femmes sont incroyablement vulnérables et que, compte tenu de leur vulnérabilité dans la société afghane, il faudrait leur donner la priorité advenant que ces programmes d'asile soient créés. Il faudrait l'envisager, si non aujourd'hui, alors à long terme.

La présidente : Les femmes qui demanderaient l'asile pour venir au Canada posséderaient à votre avis quel niveau de scolarité et quelles compétences professionnelles?

Mme Smiles Persinger : Je crois que cela concerne toutes sortes de femmes. Par exemple, parmi les femmes que j'ai interviewées, il y avait une Américaine qui dirigeait une équipe de reconstruction provinciale à Nangarhar; elle travaillait en étroite collaboration avec la directrice de la coalition féminine de la province, parrainant un certain nombre d'initiatives. Essentiellement, le gouvernement afghan ne finance pas le ministère de la Condition féminine. Ce ministère est plutôt pauvre. D'une certaine façon, les employés de ce ministère doivent mendier de l'argent et demander aux ERP de les aider à réaliser leurs projets. La chef américaine de l'ERP m'a raconté que cette femme avait reçu plusieurs menaces de mort en raison de son association avec l'ERP et avec les militaires américains. Je ne crois pas que cela soit un cas isolé. Cela se produit partout.

Les femmes qui travaillent pour des organismes d'aide reçoivent elles aussi des menaces. Bien des femmes subissent une pression énorme au sein de leur collectivité et de leur famille parce qu'elles travaillent. Par exemple, la directrice du ministère de la Condition féminine à Nangarhar est une femme instruite.

Je sais que le choix du type d'immigrants est toujours une question politique, mais, souvent, un grand nombre de ces femmes occupent un poste de leadership, sont scolarisées et se sont montrées courageuses.

Le sénateur Ataullahjan : Quand certains politiciens parlent de la libération de la femme afghane, y croyez-vous? Quand nous parlons de libération, parlons-nous en particulier des femmes qui vivent en ville? Qu'en est-il de celles qui vivent dans les régions rurales? Est-ce que quelqu'un est allé voir? Dans les études que vous citez, est-il question d'une évaluation des régions rurales visant à déterminer si la libération a changé leur vie?

M. Cortright : Nous n'utilisons pas le mot « libération ». C'est un terme que les dirigeants politiques des États-Unis ont utilisé. Dans notre rapport, nous signalons qu'il y a eu des améliorations substantielles au chapitre de l'accès aux soins de santé, de l'éducation et d'autres indicateurs de la vie des femmes. Bien sûr, notre recherche a été menée principalement à Kaboul, dans les villes. Nous savons que l'alphabétisation est moindre dans les régions rurales et que les possibilités d'accès à des soins de santé, par exemple, sont plus minces. L'objectif est d'améliorer de façon générale la situation des femmes en Afghanistan. Comme nous le soulignons, il y a eu des changements, et nous croyons possible, pendant la transition, de poursuivre ces programmes et, nous l'espérons, de les améliorer.

Mme Smiles Persinger : Certes, on entend souvent dire qu'on n'en a pas fait assez pour les femmes des régions rurales. Ce sont les élites des régions urbaines qui ont été les principaux bénéficiaires des initiatives d'autonomisation des femmes. Le rapport de CARE comprend un certain nombre de recommandations éclairées, au chapitre du développement, sur les façons de tendre la main aux femmes des régions rurales et de les aider, par exemple au moyen de la formation. C'est surtout une société rurale, et les femmes font beaucoup de travail agricole. Le rapport de CARE mentionne qu'il faudrait tendre la main à ces femmes et leur donner de nouvelles compétences dans le domaine de l'agriculture.

Je suis d'accord sur le fait qu'on a beaucoup politisé le mot « libération » et qu'il ne reflète certainement pas la réalité.

Le sénateur Ataullahjan : Dans l'histoire de l'industrialisation de l'Occident, les femmes ont dû se battre bec et ongles pour arracher aux hommes dominants chacun des droits dont elles jouissent aujourd'hui. Étant donné qu'il a fallu aux femmes canadiennes des décennies pour acquérir les droits partiels qu'elles ont aujourd'hui, que pensez-vous que le Canada pourrait et devrait faire pour aider les Afghanes à obtenir une réelle égalité qui serait reconnue par la loi et intégrée à leur culture et à leur société, en allant au-delà des notions de coopération et de dialogue avec les autorités en place et de changement progressif?

M. Cortright : Comme nous l'indiquons dans notre rapport, nous reconnaissons qu'il est impossible que ces changements soient rapides et que l'on ne peut pas les imposer de l'extérieur. Dans les pays industrialisés aussi, comme vous le soulignez, il a fallu des décennies entières, ou des siècles dans certains cas, pour que les femmes obtiennent davantage de droits et aient de meilleures chances. Cela se passera certainement ainsi en Afghanistan. Nous, les Occidentaux, pouvons les aider. Nous pouvons soutenir des programmes que l'on sait efficaces pour améliorer les perspectives socioéconomiques et préserver les gains fragiles réalisés au chapitre de la représentation des femmes sur la scène politique. Ces petits pas, sur une longue période, sauront à notre avis entraîner des améliorations.

Mme Smiles Persinger : Je suis d'accord. Les changements se font lentement, et l'un des éléments clés est la patience. Nous savons que, lorsque nous nous attaquons à la pauvreté des femmes, toute la société peut y gagner. Les gouvernements qui interviennent en Afghanistan doivent également s'engager à long terme sur la question du développement.

La présidente : Si je puis me permettre, vous avez parlé d'une aide durable. Le Canada vient de réduire de moitié son aide à l'Afghanistan, qui s'élève maintenant à 100 millions de dollars. Vous parlez d'une aide durable à long terme en vue d'une lente évolution sur plus de 40 ans ou plus d'un siècle, voire davantage; c'est bien cela?

M. Cortright : Je ne parle pas d'un point de vue politique, mais, idéalement, ce niveau d'aide devrait être maintenu à long terme, et il devrait cibler les programmes sociaux, éducatifs, sanitaires ou autres qui ont fait leur preuve. C'est ce qui est nécessaire si l'on veut assurer le développement économique à long terme.

Le sénateur Andreychuk : Vous avez dit que nous devrions consacrer nos efforts à l'aide, mais, quand nous nous sommes retrouvés au sein de l'intervention dirigée par les Nations Unies et autorisée par l'OTAN en Afghanistan, il était évident que la conjoncture était favorable pour les ONG qui avaient là du travail à faire. Les militaires se trouvaient ailleurs, ils essayaient de rétablir la paix. Cet exercice nous a appris qu'il est impossible de maintenir un certain niveau de sécurité sans s'intéresser également au développement. Ce sont les dirigeants des Nations Unies et de l'OTAN qui nous ont recommandé de coordonner cela. Chaque fois que l'on réalisait un gain au chapitre de la sécurité, il fallait également réaliser un gain au chapitre du développement.

Le rôle du Canada en Afghanistan change; il passe du rôle de combattant à celui de non-combattant, et il faut donc changer aussi le type d'aide qu'il fournit. Les forces essaient d'assurer la sécurité en Afghanistan. C'est le but principal, car le développement ne prendra pas s'il n'y a pas de sécurité. Croyez-vous que, dans ces régions, la priorité consiste à fournir de l'aide et à assurer la sécurité, grâce aux militaires, avant de penser à d'autres formes de soutien?

M. Cortright : Ces deux éléments sont nécessaires. Vous avez raison, madame le sénateur. La sécurité et le développement doivent aller de pair, ils ne donneront des résultats qu'ensemble. Nous faisons valoir que les troupes doivent quitter le terrain graduellement et soigneusement, de manière à maintenir la sécurité pendant que l'aide au développement augmente.

Nous avons connu quelques problèmes. Nous savons que les civils, les ONG, sont les mieux placés pour fournir l'aide au développement. Lorsqu'il y a trop de militaires, on associe l'aide à leur mission, et cela pose parfois problème. Les deux éléments sont nécessaires. Le fait d'adopter un rôle plus axé sur la politique et moins sur le combat ne signifie pas que nous allons laisser tomber toutes les fonctions de sécurité. Un certain nombre de rapports font valoir qu'il faudrait réduire le nombre des missions de combat pour mettre davantage l'accent sur la protection des civils. On prétend que la doctrine de contre-insurrection vise essentiellement à protéger la population civile. À mesure que les troupes quittent le terrain, elles devraient insister de plus en plus sur la formation des forces afghanes et sur l'établissement de mécanismes de protection — spécialement — pour les projets de développement, de façon que ces deux aspects essentiels puissent évoluer parallèlement.

Le sénateur Andreychuk : J'ai participé récemment à une réunion où il a été beaucoup question du type d'aide et du type d'aide qui fonctionne de manière durable. On critique l'aide occidentale en disant notamment qu'elle est moins efficace que l'aide qui vient d'autres régions du monde, et des programmes d'aide, il y en a. Ce que l'on dit, c'est que nous proposons un programme fondé sur nos croyances, et nous utilisons une terminologie occidentale, ce qui, bien sûr, refroidit tout de suite les gens. Nous utilisons des expressions comme « autonomisation des femmes » plutôt que « participation des femmes », et les gens réagissent immédiatement à cela.

Par exemple, un témoin a expliqué — à tort ou à raison — que l'aide offerte par le Canada, les États-Unis ou l'Europe n'est pas aussi efficace parce que nous construisons une école pour les filles, ce qui marginalise ou menace alors leur famille. Les gens vont empêcher leurs filles d'aller à l'école, sans compter qu'elles peuvent déjà être victimes d'une certaine forme de violence dans l'environnement scolaire. La Turquie, par exemple, demandera : « Qu'est-ce que vous voulez? Une école? » Il peut s'agir d'une école pour les garçons, mais elle sera construite dans une région rurale, et les jeunes garçons iront à l'école et auront une éducation différente de ce que l'on peut penser. Autrement dit, c'est peut-être plus international que nous le pensons, et en conséquence, à long terme, comme le sénateur Ataullahjan l'a dit, il nous faudra du temps pour y arriver.

Je me demande si, à votre avis, il ne faudrait pas adapter notre système d'aide à la culture afghane. Y a-t-il une société civile bien implantée qui n'est pas fondée sur un modèle occidental ou des ONG occidentales qui comptent dans leurs rangs des femmes ou des civils afghans? Y a-t-il à la base un désir de sécurité et de paix, et est-ce que la population elle-même travaille à changer la société?

M. Cortright : Je crois que vous avez fait de très importantes observations. Il arrive tellement souvent que l'aide serve les intérêts occidentaux plutôt que ceux des gens des collectivités. J'ai participé récemment à une rencontre à Washington réunissant quelques organisations féministes américaines, et elles se plaignaient du fait qu'une part importante de l'aide consentie par les États-Unis était versée à des entrepreneurs. Parfois, l'argent reste aux États-Unis au lieu d'aller en Afghanistan. Nous demandons rarement à la société civile et aux collectivités afghanes mêmes ce dont elles ont besoin. Les programmes qui le font obtiennent de meilleurs résultats.

Prenons par exemple les écoles; certaines écoles construites en fonction d'intérêts occidentaux seront plus souvent la cible d'attaques. Mais il arrive parfois que des programmes financés par des organismes privés ou gouvernementaux demandent d'abord à la collectivité si elle désire une école. Les responsables des programmes de Greg Mortenson, le célèbre auteur de Trois tasses de thé, ne se contentent pas de demander aux gens de la collectivité s'ils ont besoin d'une école; ils leur demandent aussi : « Allez-vous la bâtir? Nous vous fournirons les matériaux, mais vous devrez faire le travail et diriger l'école en fonction des besoins de votre collectivité. » Ce n'est que lorsque la collectivité a donné son engagement que le projet peut commencer. En général, ces écoles survivent. Elles ne sont pas attaquées par les talibans parce que la collectivité locale les a voulues et qu'elle cherche à les protéger.

Il existe des formules efficaces, et je ne suis pas sûr que la provenance de l'aide soit aussi importante que le fait que les collectivités soient mobilisées et que le projet soit axé sur elles, comme vous venez de l'expliquer; il faudrait aussi cesser de financer les gigantesques sociétés internationales, dont la plupart ont leur siège en Occident et qui sont pour la plupart dirigées par des hommes. Essayons plutôt de trouver des moyens de soutenir directement les collectivités et les femmes qui en font partie.

Mme Smiles Persinger : Vous avez demandé s'il existe une société civile en Afghanistan. Je crois que de nombreuses ONG de l'Afghanistan ont reçu une aide et un appui technique de donateurs étrangers. En même temps, elles ont connu une croissance.

Le réseau des femmes afghanes, par exemple, est un organisme-cadre regroupant toutes les organisations de femmes afghanes du pays; il compte des centaines de membres qui ont eu de très bons résultats en menant des activités de lobbying à l'égard des jirgas de la paix et d'événements qui ont eu lieu cette année. Elles font très attention à ne pas être perçues comme jouissant du soutien de l'Occident. Elles insistent souvent sur le fait qu'elles représentent un mouvement afghan et que, même si elles reçoivent des fonds de la communauté internationale, il s'agit là d'un mouvement légitimement afghan.

En ce sens, oui, je crois qu'il existe une société civile. Encore une fois, nombre de ces organismes existaient avant 2001. Nombre d'organismes de femmes avaient mis sur pied, en secret, des écoles à la maison, à l'époque des talibans, et elles travaillaient en catimini, alors tout cela n'est certainement pas imposé par l'Occident.

La présidente : Merci beaucoup tous les deux. Je crains que nous ayons déjà épuisé le temps qui était dévolu à cette table ronde. Merci de nous avoir aidés. Nous vous souhaitons bonne chance.

Mesdames et messieurs les sénateurs, nos prochains témoins sont la professeure Cheshmak Farhoumand-Sims de l'Université Saint-Paul, qui se trouve ici, à Ottawa, et Carla Koppell, encore une fois, de l'Institute for Inclusive Security, qui témoignera par vidéoconférence.

Carla Koppell, directrice, Institute for Inclusive Security, Hunt Alternatives Fund : Bonjour, madame la présidente, mesdames et messieurs les membres du comité et tous les autres invités. C'est un honneur pour moi de venir vous parler du rôle du Canada dans la promotion et la protection des droits des femmes en Afghanistan.

Avant d'entrer dans le vif du sujet, j'aimerais vous féliciter du rapport que vous avez publié sur la mise en œuvre de la résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations Unies. Le leadership de votre comité de même que son analyse et ses conseils sont extrêmement importants.

L'Institute for Inclusive Security, que je dirige, travaillait avec les Afghanes avant même que les talibans ne soient chassés du pouvoir. Au cours des 10 dernières années, nous avons offert à des centaines de femmes des programmes d'amélioration des compétences, nous avons facilité la coopération multiethnique et nous avons donné une voix aux femmes dans les forums décisionnels internationaux et nationaux. Nous avons notamment collaboré avec l'OTAN pour faire participer les femmes au dialogue sur la sécurité; nous avons collaboré avec les Nations Unies et avec le gouvernement américain pour assurer aux femmes une participation à tous les processus décisionnels; nous avons élaboré avec le gouvernement afghan des programmes de sensibilisation des fonctionnaires aux droits, aux compétences et aux besoins des femmes.

C'est donc forte de cette décennie d'expérience que je peux vous dire, aujourd'hui, que l'Afghanistan se trouve réellement à la croisée des chemins. On s'entend généralement pour dire que la solution militaire ne peut à elle seule donner les résultats recherchés, mais il n'y a pas de stratégie diplomatique et politique détaillée servant de complément à l'effort militaire.

Ce qui vient compliquer les choses, à mon avis, c'est que virtuellement personne ne comprend que les femmes doivent être des partenaires dans tout projet visant à restaurer la stabilité et la prospérité au pays. Certes, on ne peut pas marchander les droits des femmes pour essayer de se réconcilier avec les talibans ou avec d'autres éléments extrémistes, mais il est tout aussi important, je crois, de reconnaître que les femmes sont des alliées essentielles dans toute mesure de renforcement des éléments modérés de la société et de construction d'une identité nationale commune qui sera fondée sur les traditions historiques locales et qui fera progresser les valeurs démocratiques.

Le Canada a un rôle crucial et unique à jouer pour ce qui est de faire évoluer la condition et le rôle des femmes en Afghanistan, en particulier en s'attachant à assurer la sécurité, la primauté du droit et la protection des droits de la personne. J'aimerais proposer quatre objectifs clés pour les initiatives du Canada visant à répondre aux besoins des femmes. Chaque objectif épouse parfaitement le rôle du Canada énoncé la semaine dernière par les ministres des Affaires étrangères, de la Défense nationale et de la Coopération internationale.

En premier lieu, le Canada devrait axer le soutien des forces de sécurité sur la formation pour s'assurer qu'on prête attention à l'égalité des sexes, aux droits des femmes et à la résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations Unies; il devrait faciliter la prise de contact et la communication avec les femmes et faciliter le recrutement et le maintien en effectif de femmes au sein des services de police et des forces armées.

Comme le gouvernement du Canada l'a reconnu, il reste énormément de place à l'amélioration des compétences des forces locales. Avec raison, on a mis l'accent sur la formation et le renforcement des capacités. À cette fin, il sera crucial que le Canada veille à ce que l'égalité entre les sexes, les droits des femmes et la résolution 1325 soient explicitement des volets de toute formation; il doit garantir que la réforme des services de police accorde une attention à l'égalité entre les sexes; il doit également mettre à profit son expérience positive des activités d'approche des équipes de reconstruction provinciales auprès des femmes de Kandahar, par exemple, afin d'encourager les forces locales de même que les forces de l'OTAN à tendre la main de manière systématique et professionnelle aux femmes de la société civile.

À ce propos, on constate à l'heure actuelle un manque cruel de femmes au sein de l'armée et des services de police afghans, malgré le rôle critique qu'elles jouent au moment d'assurer la protection de femmes victimes de crime, d'effectuer des fouilles de domicile et d'interroger des suspects de sexe féminin. Au mois de juin 2010, on comptait seulement 1 100 femmes sur un total de 107 000 agents de police. On comptait moins de 1 000 soldates. Si l'on veut répondre aux besoins de la population afghane, il faut au moins atteindre la cible de 10 p. 100 que l'on a fixée pour la participation des femmes dans les forces de sécurité.

Pour faciliter la réalisation de ces objectifs, le gouvernement du Canada devrait travailler en étroite collaboration avec les forces nationales afghanes et avec les dirigeantes de la société civile afin d'augmenter le nombre de femmes recrutées et maintenues en poste par les services de police et l'armée. Le Canada pourrait par exemple soutenir des campagnes de recrutement visant les femmes et évaluer les politiques et pratiques mises en œuvre pour assurer leur maintien en effectif. Le Canada pourrait également s'assurer que les femmes profitent de manière proportionnelle de l'aide à la formation qu'il offre; c'est un volet important de la stratégie nationale de demain. Enfin, le Canada devrait faire le suivi des données sur la réforme du secteur de la sécurité, regroupées selon le sexe, conformément à ce que votre comité a demandé, c'est-à-dire un suivi rigoureux et l'évaluation des progrès dans la mise en œuvre du plan d'action national sur la résolution 1325.

Le second objectif des Canadiens devrait être de veiller à ce que la réforme du système judiciaire serve les femmes. L'un des volets de la stratégie prospective du Canada en Afghanistan vise à ce que l'on offre un soutien additionnel au système judiciaire, en particulier dans le but de mieux protéger les femmes. Aucun investissement ne peut être plus important. Aujourd'hui, l'appareil judiciaire officiel de l'Afghanistan est défaillant, et les femmes y sont largement marginalisées. Au mois de juillet 2010, on comptait semble-t-il 1 577 juges en fonction. Seulement 119 de ces juges, soit environ 8 p. 100, sont des femmes. La Cour suprême devait réserver l'un de ses neuf sièges à une femme, mais ce siège est toujours vide.

Il ne manque pas de preuve sur le fait qu'à l'heure actuelle, le système n'est pas favorable aux femmes. Un décret législatif récent interdit à une femme de fuir un foyer où elle est victime de violence pour chercher refuge dans un domicile qui n'appartient pas à un parent; c'est-à-dire qu'elle n'a même pas le droit de se rendre dans un refuge pour victimes de violence familiale. De plus, on craint de plus en plus que la Loi sur l'élimination de la violence contre les femmes, qui a été adoptée au mois d'août 2009, ne soit abolie, malgré le fait qu'elle a déjà favorisé le renforcement des capacités des organismes d'application de la loi, des services d'aide juridique, des campagnes de sensibilisation publiques et des groupes militant pour l'adoption de mécanismes de lutte contre la violence à l'encontre des femmes.

En même temps, la communauté internationale a commencé à se tourner vers des mécanismes de justice informels, c'est-à-dire les chouras et les jirgas, pour s'en servir à une fin encore mal définie. Pourtant, les femmes sont presque entièrement exclues de ces conseils judiciaires informels.

S'il veut s'assurer que le système judiciaire sert l'ensemble des citoyens, le Canada devrait continuer à assurer le renforcement des capacités de l'appareil judiciaire en mettant l'accent sur l'application et le respect des mécanismes de protection des femmes. Nous devons insister sur la nécessité de recruter et de former des femmes juges. Nous devons agir sur la scène diplomatique pour que la Loi sur l'élimination de la violence contre les femmes ne disparaisse pas et nous devons appuyer la mobilisation visant à annuler le décret législatif de la Cour suprême.

Enfin, le Canada devrait chercher des moyens de protéger les victimes de violence sexuelle ou fondée sur le sexe, malgré les efforts visant à recourir davantage aux mécanismes de justice informels et à favoriser la réconciliation avec les talibans.

Le troisième objectif de l'approche du Canada devrait être de perfectionner, de renforcer et de mieux cibler les initiatives d'aide existantes en veillant à ce qu'elles soient efficaces pour les femmes. À l'heure actuelle, des volets cruciaux des activités de l'Agence canadienne de développement international, l'ACDI, concernent la participation aux efforts de consolidation de la paix et de reconstruction ou visent à aider en particulier les femmes. Cependant, on peut encore améliorer beaucoup l'efficacité de ces programmes. On doit féliciter le Programme national de solidarité, dont les projets visant à augmenter la mobilisation de la population et sa participation à la planification de la reconstruction et à la prise de décisions sont parmi les plus efficaces.

Malheureusement, lorsque le Canada a eu un rôle clé à jouer, il n'a pas suffisamment insisté sur la participation des femmes, et il faudrait corriger cette situation. En outre, les fonds du Canada pour l'égalité entre les sexes et la réintégration, qui sont d'une importance critique, sont des sources d'aide financière, mais l'accès à ces programmes est parsemé d'obstacles qui se sont révélés impossibles à franchir pour de nombreuses organisations de femmes, ce qui réduit la portée de l'aide du Canada. Si l'ACDI offrait un appui plus important aux organisations de femmes et les aidait à renforcer leurs capacités sur le terrain, de façon qu'il leur soit plus facile de recourir et d'accéder à des instruments de financement de cette importance, ce serait un moyen plus efficace de favoriser l'autonomisation des femmes en Afghanistan.

Pour terminer, le quatrième aspect où le Canada pourrait, je crois, réellement exercer son leadership est la promotion d'un processus de paix inclusif et axé sur la participation. On a besoin de toute urgence d'un processus de rétablissement de la paix axé davantage sur la participation. Mon organisme a procédé récemment à une consultation d'experts, en collaboration avec l'Institute for State Effectiveness, à l'issue de laquelle on a conclu que, pour se forger une identité nationale, la femme et l'homme afghans moyens doivent avoir l'impression de participer à la réintégration et à la réconciliation. Or, à l'heure actuelle, on ne fait que peu de choses pour mettre en place un processus national et général de consolidation de la paix.

Le Canada peut exercer son leadership en fournissant un soutien financier et diplomatique en vue d'un processus parallèle, supposant la tenue de consultations à l'échelle des districts, des provinces et des régions qui favoriseront la participation des citoyens au processus de réconciliation politique. On pourrait regrouper les résultats des consultations — certaines pour les hommes, d'autres pour les femmes — dans un document unique pour chaque région, ouvrant ainsi la voie à une consultation nationale générale et à l'adhésion des hommes comme des femmes. Une approche de ce type donnerait aux femmes un espace politique où elles pourraient défendre et protéger leurs droits, légalement garantis. Enfin, la consultation élargirait le fondement d'un processus national fructueux de construction de l'État.

Aujourd'hui, pendant que le monde cherche des moyens d'assurer la stabilité de l'Afghanistan, nous devons nous rappeler qu'un des principaux arguments qui nous ont poussés à expulser les talibans était de protéger les droits des femmes. Nous devons également reconnaître que d'énormes progrès ont été faits en ce qui concerne l'accès des femmes aux soins de santé, à l'éducation, à l'emploi et aux droits fondamentaux de la personne. Il faut maintenir ces acquis et faire fonds sur ces derniers dans les mois et les années à venir. Les Afghanes avec qui je travaille sont des dirigeantes incroyablement braves, au sein du gouvernement et de la société civile, et elles cherchent à bâtir un État démocratique tout en protégeant les droits et les intérêts des femmes. Nous ne devons pas perdre de vue à quel point leur rôle sera crucial dans le cadre des efforts que déploiera la communauté internationale dans les mois et les années à venir. Sans elles, nous ne pourrons pas réussir.

Cheshmak Farhoumand-Sims, professeure adjointe, Faculté des sciences humaines, Université Saint-Paul : C'est vraiment un plaisir pour moi d'être ici. Merci beaucoup de m'avoir invitée à venir vous faire part de certaines réflexions et expériences qui concernent les Afghanes et la façon dont nous pouvons favoriser leur bien-être et promouvoir et protéger leurs droits, dans les années à venir.

J'ai lu avec intérêt les transcriptions de la séance de la semaine dernière, et j'ai beaucoup apprécié l'intérêt et l'engagement sincères que vous manifestez à l'égard des Afghanes de même que les questions et commentaires judicieux et réfléchis que vous avez formulés dans le but de mieux comprendre de quelle façon nous pouvons mieux défendre les intérêts de la population afghane, et en particulier les femmes.

Ce que je vais vous raconter aujourd'hui découle de mes huit années d'expérience de recherche sur les droits des femmes en Afghanistan et sur les répercussions sur leur vie de 30 années de conflit et de 10 années d'efforts de reconstruction et de consolidation de la paix.

J'ai eu le privilège de travailler en Afghanistan, en 2003 et en 2008; je dispensais la formation sur la Convention des Nations Unies sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes, la CEDEF, et sur la résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations Unies sur les femmes, la paix et la sécurité. Je menais également des recherches sur l'accès des femmes au système judiciaire et je travaillais sur le terrain, en vue de ma thèse de doctorat, pour étudier les facteurs qui minent l'avancement des femmes dans l'Afghanistan de l'après-talibans.

J'espère que ce que je vais vous raconter aujourd'hui vous sera utile. Il y a beaucoup à dire, mon temps est limité, et je n'ai pas toute ma voix. Je ne serai pas capable de tout dire dans mon exposé, mais j'espère que d'autres points seront soulevés pendant la discussion.

La question des droits des Afghanes a été hautement politisée dans le cadre de l'intervention militaire en Afghanistan après le 11 septembre. La libération des Afghanes est devenue l'un des arguments en faveur d'une campagne militaire visant à déloger les talibans et à déraciner Al-Qaïda. Cela a eu un double impact sur la mobilisation internationale en Afghanistan. D'un côté, cela a permis à la société civile afghane de rappeler à la communauté internationale ses promesses faites aux femmes afghanes. De l'autre côté, cela a contribué à la politisation du mouvement en faveur de l'égalité des sexes, car les opposants aux droits des femmes associent ce mouvement aux prétendus objectifs impérialistes occidentaux, faisant complètement fi de l'engagement très sincère des Afghans eux- mêmes à l'égard de la promotion et de l'avancement des droits et des possibilités des femmes, sachant très bien que la paix et le développement durables ne sont pas possibles sans l'égalité des sexes.

L'engagement de la collectivité internationale en Afghanistan et les méthodes qu'elle utilise pour élaborer des programmes et des politiques ont également contribué à ces perceptions, mais nous débattrons de cela un autre jour. Néanmoins, il y a une chose particulièrement importante que j'aimerais souligner : en ralliant les moudjahidines à Bonn et en leur donnant une place dans le nouveau système politique afghan, l'Occident a renforcé les structures patriarcales et contribué au déclin des droits des femmes en Afghanistan. Les anciens dirigeants moudjahidines, comme le montrent bien les décrets à la sauce taliban qu'ils ont imposés aux femmes pendant leur règne, n'ont jamais et ne sont toujours pas sensibles ni favorables aux droits des femmes. Leur domination continue a servi à limiter les gains politiques et juridiques et, de fait, à empêcher le progrès, comme le prouve l'adoption de la loi chiite sur le statut personnel, en 2009. Les dispositions de cette loi ne font pas que contrevenir aux normes internationales en matière de droits de la personne, y compris des obligations de l'Afghanistan à l'égard de la CEDEF et des autres conventions des Nations Unies : elles violent en outre les propres règles constitutionnelles du pays touchant la protection et la promotion des droits des femmes. Cette loi reflète également une interprétation très étroite de la charia qui, selon bien des musulmans, ne respecte ni l'esprit ni la lettre de la jurisprudence portant sur les droits et le statut des femmes dans l'Islam.

Les initiatives de promotion des droits des femmes ne sont pas un phénomène nouveau, en Afghanistan. On a vu de ces initiatives dans les années 1920, dans les années 1950 et 1960, et jusque dans les années 1980. Les programmes d'alphabétisation obligatoires, imposés par le régime communiste à l'échelle du pays, cependant, ont suscité une résistance particulièrement forte et contribué à la montée d'une résistance armée et à la crise des réfugiés. Ces années d'insécurité, et la guerre civile qui en a découlé, ont ouvert la voie à la prise de pouvoir des talibans. Vous connaissez la suite.

La recherche et l'expérience ont révélé les liens entre l'égalité des sexes et la fragilité d'un État; c'est pourquoi ce travail est particulièrement important dans les zones de conflit. L'avancement des femmes est une condition préalable incontournable à une paix durable. Les Afghans ont sans aucun doute réalisé des gains importants pour les femmes depuis 2001. Vous êtes bien sûr au courant de la ratification de la CEDEF, de l'adoption de la nouvelle constitution afghane et du fait que les femmes sont de plus en plus présentes dans toutes les sphères et dans tous les secteurs. Les investissements dans l'éducation, le microcrédit et d'autres programmes ont donné des résultats visibles pour les femmes et les filles afghanes, mais, comme les indicateurs le confirment, notre travail n'est pas fini. De nombreux facteurs compromettent cet important travail.

Les gains sont largement limités à la sphère publique, dans bien des cas, et les recherches confirment que la situation des femmes dans la sphère privée n'a pas vraiment changé. Dans un rapport récent, on apprend que, dans la société patriarcale et patrilinéaire, les femmes doivent toujours composer avec des courants profonds de conservatisme islamique et la désapprobation de la famille et de la collectivité à l'égard des rôles non traditionnels. La violence et l'insécurité croissantes de même que la désaffection généralisée à l'égard du gouvernement afghan et de la présence d'une force militaire internationale ont également contribué à la levée de boucliers contre les droits des femmes.

On se retrouve évidemment dans une impasse, puisque, d'un côté, l'insécurité limite la poursuite de ces objectifs, et que, de l'autre côté, les femmes ne peuvent pas renforcer leurs gains dans un environnement militarisé.

Ce qui me préoccupe le plus, actuellement, c'est ce que l'avenir réservera aux Afghanes si les pourparlers actuels débouchaient sur le retour des talibans au sein du gouvernement afghan. Je fais des recherches et je travaille dans le domaine de la paix et des conflits et, à ce titre, j'accorde beaucoup d'importance au dialogue, dans le processus de paix. En tant que militante des droits de la personne, je suis convaincue qu'il ne peut pas y avoir de paix sans égalité ni justice.

Les talibans qui sont actuellement en pourparlers avec le gouvernement du président Karzai ont un penchant idéologique à ne pas respecter les droits des femmes au sein de la société afghane. Leur interprétation étroite de l'islam, associée au droit coutumier pachtoune, a donné naissance à un code de comportement très oppressif, qui est imposé à la population et qui est particulièrement problématique en ce qui concerne les femmes. Je crois que le Canada et ses partenaires internationaux seraient plutôt naïfs de s'attendre à ce que les groupes engagés dans ces négociations nous donnent satisfaction en protégeant les droits des femmes.

Je crois que la question des droits des femmes sera l'une des premières choses que l'on sacrifiera sur l'autel de la paix, et nous savons que la paix durable est impossible si les femmes n'ont pas de droits. Je vous demande instamment de le faire comprendre à notre gouvernement et de veiller à ce que l'on exerce des pressions diplomatiques sur les personnes qui participent aux discussions; il faut s'assurer que des Afghanes —des femmes sensibilisées à la question de l'égalité des sexes — soient invitées à la table des pourparlers de paix et puissent participer pleinement aux discussions tout au long du processus : je vous demande aussi de veiller à ce que toute paix qui sera négociée prévoie sans équivoque que les droits et les possibilités des femmes ne seront limités d'aucune façon et que les gains qu'elles ont réalisés ne seront pas retirés.

Puisque ces pourparlers sont inévitables, j'estime essentiel de mettre en œuvre un processus de retrait graduel, parallèlement à des efforts diplomatiques, pour veiller à ce que les gains soient maintenus, et je crois qu'il faudrait déployer une force des Nations Unies afin d'assurer la protection des civils pendant que nous assurons la transition et veillons à ce que les droits soient garantis. On a perdu de vue la protection des civils, ces dernières années, et les conséquences sont terribles.

Dans ce contexte, j'ai quelques recommandations à formuler. La première consiste à investir dans l'éducation. Je ne saurais combien d'Afghans m'ont dit que l'état pitoyable de leur pays tenait principalement à la dominance de l'analphabétisme et que la principale solution à leurs problèmes est l'éducation. Des hommes et des femmes, des jeunes et des vieux, m'ont dit ceci : « Notre peuple se retrouve dans cette situation parce qu'il est analphabète; quand on est analphabète, on est vulnérable et à la merci des gens puissants. »

L'éducation procure un milieu propice à la réalisation de tout ce que nous espérons. Sans éducation, nous ne pouvons pas faire la promotion des droits de la personne, des soins de santé, de la démocratie, de la responsabilité civile. Et quand je parle d'éducation, je ne parle pas seulement d'écoles primaires, où les investissements sont concentrés; je parle aussi d'investir dans les écoles secondaires et les universités, car il faut permettre aux jeunes Afghans d'accéder à ces systèmes d'éducation supérieure.

L'Afghanistan souffre d'une pénurie de ressources humaines, en raison de toutes ces années de conflit, et nous devons les reconstituer. On ne peut pas le faire en offrant seulement l'éducation primaire. À l'heure actuelle, une poignée seulement de jeunes gens ont accès aux relations, à l'argent et aux ressources nécessaires pour poursuivre leurs études. Il s'agit en majorité de membres de l'élite des villes. Nous devons ouvrir les portes aux jeunes Afghans de toutes les provinces, de toutes les régions et de tous les groupes ethniques si nous voulons transformer l'avenir du pays. Nous devons également faire en sorte que les jeunes Afghanes puissent également poursuivre des études supérieures.

Deuxièmement, j'aimerais parler de l'indépendance économique. Je crois que, si nous mettons l'accent sur de petits projets, l'impact sera beaucoup plus large et profond. À mon avis, les grands projets coûteux sont réalisés principalement dans le but d'apaiser le public d'ici. Ils ne résoudront pas les problèmes de l'Afghanistan. Nos programmes doivent tenir compte des réalités et des besoins sur le terrain, et non des objectifs et des priorités politiques des États donateurs. J'ai rencontré sur place bien des gens qui ont participé à de petits projets et qui m'ont dit que cela les avait aidés à promouvoir une indépendance économique durable. Nous devons insister sur cet aspect. Nous devons faire en sorte que cela puisse arriver, mais nous devons aussi mettre l'accent sur l'acquisition de compétences et l'accès au marché.

Je vais rapidement vous raconter deux petites histoires. La première, c'est une anecdote qui m'a été rapportée récemment. Il y avait une assemblée, une choura, où les représentants des pays donateurs rencontraient les aînés de la collectivité pour leur faire comprendre à quel point était important le barrage en cours de construction à Kandahar. Les aînés ne cessaient de dire, tour à tour, qu'ils avaient besoin d'écoles, de puits et de cliniques de santé. Les représentants des pays donateurs, eux, répétaient : « Non, mais ce barrage est vraiment un grand projet. Nous devons vraiment nous y consacrer. » Ils n'écoutaient vraiment pas ce que les représentants de la collectivité disaient.

L'homme qui m'a raconté cette histoire a ajouté que les aînés ont quitté la salle l'un après l'autre et que le dernier, avant de partir, s'est tourné vers l'un des Afghans qui servait d'interprète, et lui a dit : « Nous avons déjà bombardé des barrages. Nous pouvons le faire encore. »

Je crois que cela illustre bien le fait que nous, les pays donateurs, devons prêter une oreille attentive aux dirigeants des collectivités; nous devons écouter la base pour savoir quels sont ses besoins et quels sont ses désirs.

Ma seconde anecdote concerne un entretien que j'ai eu avec un groupe de femmes à Kaboul, sur les flancs de la montagne. Ces femmes participaient à un petit programme de microcrédit financé par l'ACDI, qui est d'une incroyable efficacité. Ces femmes avaient lancé leurs propres projets; certaines faisaient des marinades, d'autres, des rideaux. Une de ces femmes avait mis sur pied un service de nettoyage des tombes pour les familles qui n'étaient pas capables de le faire régulièrement.

Ce que j'ai appris, grâce à cette rencontre, c'est que les femmes, en produisant quelque chose, donnaient à leur époux la possibilité d'aller vendre un produit au marché. Toute la famille était concernée. Les époux ont commencé à soutenir leurs efforts. Elles ont constaté un déclin de la violence familiale. Leur vie familiale est devenue beaucoup plus facile. Il y avait plus d'argent pour acheter de meilleurs aliments et payer l'école à leurs enfants. Donc, lorsque nous ciblons de petits projets et que nous aidons les femmes à les réaliser, la portée est grande.

La troisième recommandation concerne la justice. La recherche que j'ai réalisée en 2008 a révélé que les Afghanes sont très désavantagées au chapitre de l'accès à la justice, qu'il s'agisse des structures officielles — la police, les avocats et les tribunaux — ou de la justice informelle, qui prend la forme des chouras locales. Il faudra y voir si nous voulons que les droits des femmes soient protégés dans les sphères publiques et privées. En punissant les auteurs d'infractions aux codes civil et criminel, on peut mettre fin à l'impunité, combattre les attitudes et les comportements dégradants visant les femmes et montrer aux Afghanes que leur État est bel et bien déterminé à assurer leur bien-être et leur protection.

La quatrième recommandation concerne la sécurité. La sécurité est un facteur habilitant important pour la réussite de notre travail en Afghanistan. L'insécurité est un frein au développement, mais elle porte atteinte aux droits des femmes aussi, car elle limite leur accès à l'espace public et à toutes les possibilités qu'elles pourraient y trouver. Les parents hésitent à envoyer leurs enfants, en particulier les filles, à l'école, en raison de l'insécurité. Les époux limitent la liberté de mouvement de leur épouse, car ils craignent pour leur sécurité dans un environnement peu sûr. Les militants ne peuvent pas accomplir les tâches importantes qui leur incombent lorsque leur famille et elles-mêmes vivent constamment sous la menace. Vous savez qu'un grand nombre de militantes afghanes sont ciblées en raison de tout ce qu'elles font pour améliorer la vie des femmes et des enfants et de la population entière et parce que, ce faisant, elles remettent en question les rôles traditionnels des femmes.

Il est donc également impératif d'inclure les femmes dans le secteur de la sécurité du pays et de s'assurer que tous les secteurs puissent suivre une formation sur l'égalité entre les sexes, comme l'exige la résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations Unies. Les soldats canadiens ont apporté une précieuse contribution à la formation des membres de l'armée nationale afghane et de la police nationale afghane. Cette formation doit se poursuivre, mais il faudra qu'elle mette davantage l'accent sur la situation et les besoins particuliers des femmes et sur les façons dont les policiers et les militaires afghans peuvent, dans le cadre de leur travail, promouvoir les droits des femmes.

Ces derniers temps, j'entends de plus en plus parler de la possibilité d'armer la milice afin qu'elle puisse combattre les talibans; on parle là d'initiatives de défense communautaire. Cela peut sembler commode, mais il y aura des répercussions négatives. Les recrues sont à peine évaluées, reçoivent peu de formation et n'ont souvent à rendre des comptes qu'au commandant local. Plutôt que de favoriser la stabilité du pays, cela risque plutôt de contribuer à l'instabilité croissante.

Nader Nadery, membre de la Commission afghane indépendante des droits a fait la déclaration suivante :

La révélation récente d'abus commis par les forces de sécurité et la milice irakiennes — et le fait que nous voyons déjà les milices afghanes se comporter de la même manière — devrait représenter pour nous un signal d'alarme. Il est encore temps de mettre en place des mesures de contrôle adéquates en Afghanistan. Mais l'OTAN doit agir tout de suite.

La cinquième recommandation vise à inclure les garçons et les hommes dans toutes les activités. Le fait de marginaliser les garçons et les hommes aux dépens des femmes ne fonctionne pas, surtout en Afghanistan. Si les garçons n'ont pas accès à l'éducation, ils aboutiront dans des médersas. Si les hommes sont marginalisés et ne peuvent plus occuper leur rôle traditionnel de principal pourvoyeur, ils ne permettront pas à leurs épouses de participer à la société et de toucher un revenu.

La sixième recommandation concerne la transformation de la culture. J'ai lu les transcriptions de votre séance de la semaine dernière, et je sais que vous vous intéressez à la question de savoir par quels moyens on peut transformer les normes et attitudes culturelles et religieuses qui nient les droits des Afghanes. Je crois que la culture n'est pas un phénomène statique et qu'elle s'adapte à la réalité sociale. Et je crois fermement que, lorsque la situation en Afghanistan évoluera, la culture suivra tout naturellement.

La culture et la pratique religieuse des Afghans sont devenues de plus en plus conservatrices, étroites et patriarcales au cours des 30 dernières années, en raison des conflits et de la militarisation; elles peuvent de la même manière s'améliorer et évoluer si on donne la priorité à l'éducation, au développement et à la sécurité. Je vais vous raconter une petite histoire.

On entend souvent dire que le mariage forcé de jeunes filles est, en Afghanistan, un énorme problème. J'ai parlé à quelques familles là-bas, et voici ce qu'elles m'ont dit : « Croyez-vous que nous laisserions partir une fillette si nous ne souffrions pas de la pauvreté? Quand on a 10 enfants, quand on a une famille à nourrir et quand l'un des enfants tombe malade, si la seule façon d'assurer la survie de la famille est de donner en mariage une fille pour utiliser le prix qu'on en aura tiré, que peut-on faire d'autre? »

Les campagnes d'information qui utilisent des méthodes connues des Afghans et adaptées à leur culture sont également utiles quand on veut diffuser de l'information et sensibiliser la population. Nous avons obtenu de magnifiques résultats, en particulier grâce à la radio, au théâtre et à la poésie. Nous devons amener les gens influents à reconnaître que l'égalité des sexes profite à la famille, à la collectivité et, en effet, à tout le pays. Un petit nombre de gens influents — des aînés qui représentent la collectivité ou des chefs religieux de chacune des régions — peut réellement avoir un impact durable.

Enfin, j'aimerais dire que les médias canadiens ne présentent pas au public canadien un portrait fidèle de la réalité en Afghanistan. Les nouvelles portent essentiellement sur les questions militaires et laissent de côté l'incroyable travail qui se fait parallèlement dans un contexte de plus en plus difficile. L'opinion publique est donc fondée sur des informations incomplètes, au détriment des décideurs et de la population de l'Afghanistan.

Ma dernière requête, aujourd'hui, est que vous rappeliez à notre Parlement que nous avons fait des promesses aux Afghans et aux Afghanes, depuis 2001. Nous devons tenir ces promesses, à défaut de quoi tout le dur travail et les sacrifices que nous avons faits depuis 10 ans auront été vains. Assurons-nous que ce qu'il faut faire, pour les Afghans, et en particulier pour les femmes afghanes, sera fait.

J'attends avec impatience vos questions.

Le sénateur Jaffer : Je suis convaincue que nous allons bien réfléchir à tout ce que vous nous avez dit. Madame Koppell, vous nous avez félicités pour notre rapport sur la résolution 1325. J'espère que vous avez constaté que certaines de vos recommandations y figuraient. Nous sommes certainement reconnaissants de l'aide que vous nous avez apportée pendant la préparation de ce rapport et nous vous remercions toutes les deux pour l'exposé que vous avez présenté aujourd'hui.

À Kaboul, nous participerons à la formation des forces de sécurité nationale. J'aimerais avoir vos commentaires à ce sujet, car vous êtes toutes deux expertes dans ce domaine. Quelle sorte de formation de sensibilisation aux différences entre les sexes recommanderiez-vous à notre gouvernement de fournir? Je sais qu'il faudra d'abord donner à nos propres forces armées une formation dans ce domaine. Quel type de formation de ce genre devrions-nous offrir à nos militaires? Comment allons-nous assurer le transfert de cette formation aux forces armées afghanes?

Mme Koppell : Il y a là deux volets, un qui concerne les forces du Canada, l'autre, les forces afghanes. Il existe des différences, mais également quelques similitudes.

Peu importe de quelle armée il s'agit, la formation comporte trois niveaux. Le premier, comme vous l'avez correctement expliqué, madame le sénateur, vise la sensibilisation aux droits garantis par des instruments nationaux ou internationaux, que les militaires doivent respecter; il vise aussi les priorités et les besoins cruciaux des femmes, compte tenu du contexte local, et doit également orienter les troupes en ce qui concerne les différences entre les hommes et les femmes auxquelles elles doivent prêter attention.

Le second niveau est celui de l'opérationnalisation, qui comporte deux volets. Le premier concerne l'approche et la manière de s'en servir pour travailler et communiquer avec les femmes, au sein de la population, y compris les stratégies de mobilisation appropriées lorsque l'on a affaire à différents types de crimes; l'autre volet concerne la façon dont les forces canadiennes, en particulier, peuvent faire cela en tenant compte de manière appropriée de la culture.

Le troisième niveau concerne les enquêtes sur des crimes et la façon de les opérationnaliser et de faire en sorte que ces crimes soient pris au sérieux, soit en offrant une protection, soit en menant des enquêtes. Il faut notamment apprendre à envisager les crimes contre les femmes et la violence faite aux femmes, apprendre à mener une enquête, apprendre comment traiter les témoignages — compte tenu du fardeau de la preuve — et apprendre à instaurer ces pratiques à l'échelon local.

Un élément crucial de ce programme sera de faire participer les femmes au processus de formation. Comment faire pour intégrer les Afghanes et les femmes d'autres pays à la conversation avec les troupes canadiennes et les troupes afghanes? Nous avons beaucoup travaillé avec les forces américaines en vue de leurs missions à l'étranger et nous avons étudié leur façon de travailler avec les entrepreneurs et les façons de faire en sorte qu'avant qu'une personne parte en mission, elle soit au courant de la situation locale. C'était un travail très intéressant. Nous avons d'abord travaillé avec des marines et avec des agents de police supérieurs qui se rendaient en Afghanistan afin de former des policiers; nous avons discuté avec eux de questions touchant le droit international et la façon de mettre ces questions de l'avant, une fois arrivés en Afghanistan. Nous avons constaté qu'ils s'intéressaient à des aspects très terre-à-terre, par exemple la façon de s'adresser à une Afghane d'une façon qui sera convenable sur le plan culturel. Est-il approprié de la regarder dans les yeux et de lui serrer la main? Ce type de formation culturelle de base a permis aux Américains, dans le cas qui nous occupe, d'interagir comme il le fallait avec la population civile locale.

Le personnel des Forces canadiennes devrait être prêt à nouer efficacement des relations sur le terrain; il lui faut une orientation culturelle de base à partir de laquelle il pourra progresser. Le Canada offre de très bons exemples à ce chapitre. Il faudrait examiner le travail réalisé à Kandahar par des femmes membres des Forces qui ont réussi à approcher des Afghanes en tenant compte à la fois de la culture et des impératifs de protection de leur sécurité. Il faudrait s'efforcer de systématiser cette approche et de la faire connaître plus largement. Il s'agit là d'un bon point de départ.

Mme Farhoumand-Sims : Mme Koppell a mis en relief nombre des facteurs importants, en mettant surtout l'accent sur l'adaptation culturelle et sur la nature culturellement importante de ce travail.

En premier lieu, il faut que les troupes afghanes soient prêtes à suivre cette formation et qu'elles en comprennent l'importance. Pour nombre de ces soldats, cela ne fait pas partie de leurs préoccupations. Qu'est-ce que les femmes ont à voir dans tout cela? Une de mes bonnes amies, qui a beaucoup travaillé à la réforme du secteur de la sécurité — qu'il s'agisse de la police ou de l'armée —, a constaté que, dans certains cas, par exemple lorsqu'il faut améliorer l'efficacité opérationnelle, la présence d'une femme est nécessaire si l'on veut que les choses se fassent. C'est une façon de présenter les choses.

En second lieu, nous devons à chaque instant être bien conscients des paramètres culturels et religieux avec lesquels nous pouvons travailler en Afghanistan. J'aimerais faire une suggestion qui serait peut-être très utile : faire participer à la formation des gens qui peuvent apporter une perspective culturelle ou islamique. En Afghanistan, malheureusement, le grand public entretient de graves malentendus au sujet des droits des femmes. Les gens croient que, lorsqu'ils imposent certaines limites aux femmes, ils respectent leurs obligations religieuses. Il est incroyablement important de trouver des façons de dissiper ces malentendus et de montrer que l'Islam donne aux femmes certains droits et certaines possibilités, y compris en ce qui concerne leur participation au travail dans ces secteurs.

J'attire aussi votre attention sur les leçons que l'on peut tirer de ce qui se passe en Iran et au Pakistan. Dans le cadre de mon travail, en 2003, j'ai compris que les Afghanes s'intéressaient aux mesures prises par les femmes d'autres sociétés musulmanes pour abattre les frontières entre les sexes. Elles voudraient tellement avoir la possibilité de communiquer avec les femmes de l'Iran, du Pakistan et de l'Égypte qui se sont servies de l'islam pour obtenir des droits et s'ouvrir des portes. Il serait avantageux pour nous de mobiliser ces gens. Le cas de l'Iran est particulièrement intéressant, en raison de la langue. Le dari, une des langues parlées en Afghanistan, est un dialecte dérivé du perse. Nous pourrions peut-être faire appel à des femmes membres des forces armées ou de la police, ou à d'autres femmes évoluant dans un contexte musulman pour qu'elles servent de modèles pour les Afghanes. Cela les aiderait peut-être, et cela favoriserait peut-être le recrutement. En outre, si les hommes, et en particulier ceux qui occupent les rangs supérieurs, pouvaient voir que cela se passe dans d'autres pays musulmans et que cela n'est pas contraire à l'islam, même dans les sociétés conservatrices, cela nous permettrait peut-être de gagner un peu de terrain en Afghanistan.

Le sénateur Jaffer : Vendredi dernier, en s'adressant à un groupe d'élèves du niveau secondaire de Richmond, en Colombie-Britannique, quelqu'un a dit ceci : « Oui, nous sommes divisés par la couleur ou par les frontières, mais nous sommes des humains, et nous devons nous aider les uns les autres pour avoir un meilleur environnement et une plus belle planète, d'où la violence est absente. »

Cela me fait réfléchir. J'aimerais que vous me disiez, compte tenu de l'esprit de cette déclaration, comment nous pouvons réfuter les arguments selon lesquels les valeurs de l'Islam et de l'Occident sont différentes; ces arguments partent en général du principe que ces valeurs s'excluent d'une façon ou d'une autre. Point à la ligne. Quand nous parlons de droits, on considère qu'il s'agit de valeurs occidentales. Pourtant, les droits sont universels. Comment réagissez-vous à ces considérations, sur le terrain?

Mme Farhoumand-Sims : Je m'intéresse entre autres à la mise en œuvre de la CEDEF en Afghanistan. Dans le cadre de mes recherches, j'ai découvert quelque chose d'extrêmement intéressant : le mouvement pour la création d'une convention des droits de la femme n'est pas né en Occident. Il s'est créé dans le sillage du mouvement féministe, en Asie. Certaines Afghanes ont été à l'avant-garde de ce mouvement en faveur d'une convention internationale visant à soutenir, à protéger et à promouvoir les droits des femmes. Il faut que cela se sache.

Le discours auquel nous avons affaire aujourd'hui est politisé. Les musulmans qui connaissent bien l'islam, comme les féministes musulmanes de partout dans le monde musulman, trouvent des façons d'exprimer ces valeurs occidentales, mais pourtant universelles, d'une manière adaptée à leur culture. Il serait extrêmement efficace de mobiliser ces personnes et de leur permettre d'être à l'avant-scène.

C'est un des problèmes qui se sont posés en Afghanistan. D'une certaine façon, nous n'avons pas permis aux femmes afghanes de prendre les choses en main, en nous réservant le rôle d'appui. Pour ceux qui s'opposent aux droits des femmes, il est alors facile de faire croire que ce sont là des objectifs occidentaux, impérialistes et politiques que l'on tente d'imposer à l'Afghanistan, comme je l'ai dit dans mon exposé. Cela fait taire les personnes qui, sur place, sont en faveur de cela. Quelqu'un a posé une question au sujet de la société civile. Si nous arrivons à investir dans la création et le renforcement de la société civile en Afghanistan — en utilisant les mécanismes qui, selon les personnes concernées, sont nécessaires —, ces voix pourront beaucoup plus facilement se faire entendre et pourront dissiper cette perception selon laquelle il s'agit d'une valeur occidentale.

Mme Koppell : Je suis d'accord avec tout ce qui s'est dit. J'ajouterais qu'il y a de plus en plus de travaux de recherche sur la question du féminisme islamique. Mme Isobel Coleman, du Council on Foreign Relations, a publié récemment un livre qui documente les nouveaux mouvements autochtones naissants au Moyen-Orient et ailleurs et qui explique comment aborder cette question.

Il est également tout à fait possible de laisser les Afghans eux-mêmes cerner la question. Voici trois anecdotes qui illustrent cette réalité; il faudrait les raconter plus souvent quand on parle de la situation des droits des femmes en Afghanistan.

Premièrement, il est important de souligner que, lors des dernières élections parlementaires, les femmes candidates étaient plus nombreuses que jamais. Le nombre de femmes qui avaient l'appui complet des hommes de leur famille et de l'électorat et pour qui les hommes ont activement mené campagne a augmenté. Des éléments de cette transformation commencent à se manifester.

Deuxièmement, dans le cadre de la jirga sur la paix qui a eu lieu l'été dernier, les femmes ont réussi à faire en sorte qu'environ 20 p. 100 des délégués participant à la jirga sur la paix soient des femmes. Il y avait environ 50 sous- groupes, et les femmes ont été réparties dans ces sous-groupes. Ce qu'il a été intéressant de constater, c'est que, dans ces sous-groupes, les hommes modérés ont commencé à proposer que les femmes occupent des postes d'autorité et aient certains pouvoirs. Ils ont dit : « Si nous avons un président, nous devrions peut-être avoir une vice-présidente. » On a donc commencé à entendre des voix d'Afghans, d'hommes afghans, faisant appel à la modération au pays.

Troisièmement, comme cela se passe dans les sociétés traditionnelles du monde entier, il faut souvent poser la question de la façon suivante : quels sont les droits que vous souhaitez à votre fille? C'est alors que ressortent les choses très fondamentales que les hommes et les femmes de partout dans le monde veulent pour leurs filles, comme l'éducation, dont nous avons beaucoup entendu parler plus tôt. Il existe des pistes importantes et toutes sortes de moyens d'enchâsser ce sujet dans le discours local en donnant aux porte-parole locaux une place prépondérante.

Mme Farhoumand-Sims : Est-ce que vous me laisseriez raconter une anecdote? Lorsque je donnais des cours de formation sur la CEDEF, en Afghanistan, une femme qui assistait à un cours a déclaré qu'elle n'était pas en faveur de cela. Je lui ai demandé pourquoi. Elle m'a expliqué avoir entendu à la radio que cette convention était horrible — qu'elle faisait la promotion de la prostitution, rabaissait le rôle des mères, et cetera. J'ai dit : « D'accord. Aujourd'hui, nous allons lire le texte de la convention en perse, article par article. Dites-moi à quel moment quelque chose vous dérange. »

Nous avons donc lu un après l'autre chacun des articles de la convention, et je leur ai posé les questions suivantes : « Comment cet article de la CEDEF se répercute-t-il sur votre vie? Quel effet a-t-il sur la société afghane? » À la fin, nous nous sommes rendu compte qu'il y avait beaucoup de désinformation, et aucun des participants n'avait l'impression que quelque chose dans cette convention clochait. Le seul commentaire négatif, c'était que la convention ne parlait pas des droits privés : « Qu'en est-il de la violence familiale? Il n'en est pas question. »

Quand nous pouvons parler en tête-à-tête avec une personne, quand nous arrivons à la faire réfléchir, elle pourra tirer ses propres conclusions. Vous avez parlé de formation, de la CEDEF et de la résolution 1325 : traduisez ces documents dans la langue du pays et dans une forme que les gens qui ne savent pas lire ou écrire pourront comprendre, pour montrer les normes et les valeurs que ces documents essaient de mettre de l'avant. Demandez-leur ensuite si c'est bon pour eux, et, le cas échéant, en quoi.

La présidente : Je vais demander aux sénateurs Ataullahjan et Kochhar de poser leurs questions, ensuite, nous laisserons nos expertes répondre chacune à son tour.

Le sénateur Ataullahjan : Ma question porte précisément sur le fait que 65 p. 100 des Afghans sont des Pachtounes. Je crois que les femmes pachtounes ont un plus dur combat à mener pour défendre leurs droits. Que pouvons-nous faire? Il ne semble pas y avoir de volonté politique de mettre en application les lois existantes. Comment pouvons-nous renseigner ces femmes au sujet de leurs droits et de ce qu'elles peuvent faire? Il me semble qu'il y a là un conflit. Nous parlons de l'islam et nous parlons de la culture, mais je connais très bien l'Afghanistan et toute cette région du monde, et je crois que bon nombre de leurs problèmes sont liés à la culture. Je crois qu'ils découlent du fait que le pays a connu 30 ans de guerre et que les gens n'ont pas eu l'occasion d'aller à l'école et de poursuivre leur éducation. Nous en sommes revenus là. Nous devons nous pencher sur la question, et je crois que c'est la seule façon pour nous de faire des progrès.

Le sénateur Kochhar : Merci, madame Koppell et madame Farhoumand-Sims. Vous nous avez présenté un exposé très informatif, et votre compréhension du problème m'encourage. Toutefois, vous ne devez pas oublier qu'il a fallu 100 ans au Canada et aux États-Unis pour comprendre les valeurs des autres peuples. Il a fallu plus de 100 ans pour accepter l'immigration en provenance de l'Orient, pour respecter ces immigrants et pour les traiter comme des égaux. Quand je suis arrivé ici, en 1967, il fallait absolument être Écossais pour décrocher un emploi à l'hôtel de ville de Toronto.

On ne peut pas débarquer dans un pays et apporter des changements de manière radicale. C'est un processus qui prend du temps.

La formation des formateurs. C'est plus difficile que de se rendre là-bas pour essayer de former des gens quand vous n'avez pas une parfaite connaissance de la situation. Les gens qui, comme vous, possèdent ces connaissances approfondies sont rares. Il faudrait que des gens comme vous, qui comprennent le problème, aillent en Afghanistan pour donner un coup de main. Un programme de formation des formateurs devrait être une priorité. Vous avez mis le doigt dessus.

Il faudra éduquer, éduquer, éduquer, les hommes, les femmes et les enfants, et, lentement, leurs valeurs changeront. Comme je l'ai déjà dit, vous ne pouvez pas apporter des changements du jour au lendemain, mais, avec le temps, vous pouvez changer leurs valeurs et leur donner l'égalité. Par exemple, la lapidation de femmes pour certaines infractions — il y a 100 ans ou 80 ans, aux États-Unis, on lynchait des gens. On lynchait des Noirs, qui n'étaient pas considérés comme ayant les mêmes valeurs que vous.

Nous devons comprendre cela, et nous devons veiller à ce que les personnes qui font dispenser la formation en Afghanistan reçoivent une formation appropriée avant d'y aller.

Mme Farhoumand-Sims : Je suis on ne peut plus d'accord avec vous. Un des problèmes de la présence internationale en Afghanistan, c'est que les talibans ont été écartés et qu'ensuite, on pensait que, tout simplement en étant présents et en affectant des millions et des millions de dollars pour régler le problème, on pourrait le faire du jour au lendemain. Il a fallu 30 ans de conflit pour détruire la société. Les réalités sociales auxquelles nous faisons face en Afghanistan remontent à encore plus loin. Ces problèmes ne peuvent être réglés du jour au lendemain. Il faut s'y attaquer de façon progressive, petit à petit. Il faut définir très clairement les étapes; il faut franchir chaque étape et faire fond sur les progrès successifs pour en arriver à une amélioration. Nous sommes toujours aux prises avec bon nombre de ces problèmes, ici; par exemple, il y a des problèmes de violence familiale et de discrimination ici même, dans notre propre société.

Il est beaucoup plus efficace d'envisager notre travail avec humilité, en disant : « Nous venons travailler en partenariat avec vous — travaillons ensemble pour régler ces problèmes. »

Je suis également tout à fait d'accord avec vous lorsque vous dites qu'il faut s'intéresser davantage à la formation des formateurs, à la fois ici et en Afghanistan. Un grand nombre de gens qui travaillent en Afghanistan n'ont pas nécessairement la sensibilité culturelle nécessaire. J'ai trouvé extrêmement utile de pouvoir comprendre la langue; cela m'a ouvert des portes et m'a permis de nouer des relations, et c'était extrêmement important.

J'aimerais aussi parler de la question des Pachtounes et des moyens d'aider les femmes pachtounes. L'un des problèmes, en Afghanistan, c'est que l'islam a été amalgamé avec le pashtunwali, le droit coutumier pachtoune. Les codes et les normes du pashtunwali assimilés au code islamique — « nous devons le faire parce que nous sommes musulmans » —, alors que ces règles particulières n'ont rien à voir avec l'islam; il s'agit de règles du pashtunwali. Je crois que le manque d'éducation est criant, ici, et que ces lacunes s'étendent à l'éducation islamique.

J'ai rencontré plusieurs femmes qui participaient à un programme de microcrédit, et j'ai remarqué quelque chose d'extrêmement utile. En plus d'aborder des aspects financiers dans le cadre de ce programme de microcrédit, les femmes devaient participer à des cours d'alphabétisation. Un autre aspect intéressant, c'est qu'elles devaient également suivre des cours sur l'islam pour participer au programme de microcrédit. C'était un cours où on expliquait aux femmes comment être une meilleure musulmane, et meilleure mère musulmane et une meilleure épouse musulmane. Ces cours ont vraiment été très utiles, car les hommes ne se sentaient pas menacés; ils considéraient que leur épouse apprendrait à être une meilleure musulmane.

Pourtant, en suivant ce programme d'éducation, les femmes se renseignaient au sujet des droits légitimes que leur conférait leur religion. Ensuite, elles retournaient chez elles et en parlaient à leur époux, et les enfants entendaient leurs discussions. Vous pouvez vous imaginer les répercussions de cela dans cette petite collectivité.

Nous avons donc besoin de porte-parole instruits. Nous avons mis l'accent sur la formation relative à la CEDEF et l'éducation, mais nous devons également faire place à l'éducation islamique. Nous n'avons pas besoin des interprétations extrêmes qui dominent le discours en Afghanistan de nos jours. Toutefois, l'éducation islamique doit faire partie du programme des écoles. Je pourrai en dire plus sur ce sujet plus tard.

Le sénateur Kochhar : À votre avis, quel pourcentage des formateurs parlent le pachto, la langue des Pachtounes?

Mme Farhoumand-Sims : Mme Gilbert, qui témoignera plus tard, pourra vous en dire plus à ce sujet, car elle collabore à des activités de formation avec des membres de la société civile.

Je donnais une formation sur la CEDEF et la résolution 1325 en persan, et c'était bien reçu. On me disait que les gens qui pouvaient donner cette formation en dari étaient rares. Il fallait donc faire venir des gens pour qu'ils donnent les cours de formation, mais ces gens ne restaient pas.

Il serait incroyablement efficace de trouver quelques personnes qui pourraient former des Afghans et leur expliquer ces documents, les aider et les soutenir, de façon qu'ils puissent ensuite poursuivre la formation dans leur collectivité.

Mme Koppell : Je suis contente, car ces deux questions s'inscrivent parfaitement dans la perspective de l'Institute for Inclusive Security.

En ce qui concerne les femmes pachtounes et les autres femmes, nous cherchons vraiment, au sein de l'institut, à mettre sur pied de larges coalitions de femmes représentant toutes les régions du pays, tous les groupes ethniques et toutes les religions, et qui peuvent apporter un point de vue différent. Si elles partagent la même vision et veulent que les femmes puissent participer au processus de paix, alors leur force leur vient du fait qu'elles ont su faire fi de leurs différences.

Mon conseil, ce serait de s'inspirer de ce modèle de mises sur pied de coalitions multiethniques qui peuvent mettre de l'avant une conception adaptée et pertinente de la façon de promouvoir l'inclusion des femmes.

L'autre volet de notre activité en Afghanistan, c'est exactement ce que vous avez dit, monsieur le sénateur, c'est la formation des formateurs. Mes collègues étaient justement au Népal, la semaine dernière, pour participer à un programme régional de formation des formateurs qui réunissait des femmes de cinq pays d'Asie. Le programme leur a permis de réfléchir à la façon dont elles peuvent, en tant que formatrices et expertes, poursuivre les activités de manière autonome. La tête dirigeante de notre programme de formation s'est rendue du Népal à Kaboul pour travailler avec des Afghanes afin qu'elles poursuivent le travail.

Au bout du compte, il faut combiner deux volets : les coalitions, qui favorisent l'entraide, et la formation de praticiens compétents, en particulier des personnes qui sont du pays et qui peuvent aider à faire avancer la cause. Il y a sur place, en Afghanistan, d'incroyables ressources avec lesquelles le Canada et tous les autres pays peuvent collaborer afin que les choses puissent se passer dans des délais acceptables, et qui peuvent utiliser la langue et le langage appropriés pour faire avancer le programme. J'encourage le Canada à s'appuyer sans réserve sur ces ressources locales de la société civile et de la population.

Je ferais un dernier commentaire. Je vous invite à prendre conscience des résultats qu'obtiennent ces groupes multiethniques. Par exemple, songeons à l'époque où l'Afghanistan rédigeait sa nouvelle constitution et cherchait à équilibrer les droits des femmes et les droits des différents groupes ethniques. Ce sont ces divers groupes ethniques qui, avec les femmes, ont formé une coalition afin de recenser les mesures de protection à prévoir et de faire inscrire ces mesures de protection dans la constitution.

Je crois qu'il existe dans la société des possibilités que vous devriez exploiter et mettre à contribution afin de promouvoir le type de transformation naturelle dont vous avez tous deux parlé.

La présidente : Merci beaucoup, toutes les deux, de votre participation aujourd'hui.

Mesdames et messieurs les sénateurs, nous allons maintenant accueillir Lauryn Oates. Vous devriez avoir reçu le texte de son discours et des feuillets d'information fournis par l'organisme que Mme Oates représente.

Lauryn Oates, directrice des programmes, Canadian Women for Women in Afghanistan : Merci de me donner la possibilité de vous présenter un exposé sur certaines choses que j'ai apprises en Afghanistan et de vous donner mon point de vue sur la poursuite de l'engagement du Canada dans ce pays. Je suis soulagée d'apprendre que la mission de formation continuera après 2011, et j'espère que l'aide que le Canada s'est engagé à offrir sera maintenue au moins au niveau actuel.

J'ai suivi de très près l'histoire des femmes et des filles afghanes depuis 1996, date à laquelle les talibans sont d'abord arrivés au pouvoir. Au cours des dix dernières années, je me suis occupée de la question de l'égalité des sexes et du développement en Afghanistan, et j'ai fait une vingtaine de séjours dans le pays; j'ai tiré de ce travail quelques leçons qui, à mon avis, sont pertinentes, et que j'aimerais vous exposer.

La première leçon, c'est qu'il faut comprendre que c'est le développement social, même à l'égard de ce que nous considérons comme des aspects classiques du développement social, qui permettra aux femmes d'atteindre l'autonomie. Le premier, c'est l'éducation, le second, le développement économique. Les programmes et les projets qui proposent des objectifs généraux touchant l'égalité des sexes ou des stratégies vaguement structurées — par exemple la sensibilisation sur l'égalité des sexes, l'approche intégrée de l'égalité entre les hommes et les femmes ou les ateliers de promotion des droits des femmes — ne pourront pas accomplir grand-chose quand les trois quarts des femmes du pays ne savent toujours ni lire ni écrire. Il faut commencer à la base, et la base, c'est l'alphabétisation.

L'alphabétisation doit être le fondement d'une société où les femmes pourront être autonomes. Les Afghanes utilisent la cécité comme métaphore pour l'analphabétisme. C'est un handicap qui paralyse les femmes, les confine au silence et les écarte de la vie publique. L'éradication de l'analphabétisme, c'est le changement le plus radical en faveur de l'autonomisation que l'on puisse mettre à profit pour promouvoir les droits des femmes, mais les projets d'alphabétisation que nous soutenons sont une forme déguisée des programmes sur l'égalité des sexes. Les initiatives d'alphabétisation sont en général acceptées passivement par les forces conservatrices du pays, contrairement aux projets dont le titre comprend les mots « droits des femmes » ou « égalité entre les sexes ».

Offrir une bonne éducation de base aux hommes et aux femmes, c'est un moyen détourné d'amener les gens à reconnaître le potentiel des femmes sans parler des « droits des femmes », expression qui refroidit immédiatement certains chefs religieux et bon nombre des hommes étroits d'esprit et sans éducation que la femme afghane moyenne doit affronter au quotidien.

Au cours des deux dernières années, nous avons décerné un diplôme à plus de 1 500 professeurs, dans le cadre du programme de formation des enseignants que nous exécutons avec l'aide de l'ACDI. La spécialiste de l'enseignement des sciences de ce programme, Marianne O'Grady, est une scientifique qui nous aide à ne pas perdre de vue la formation scientifique de nos professeurs. Un jour, elle a utilisé un modèle anatomique du cerveau humain pour faire une démonstration devant des professeurs — des hommes — vivant dans une région éloignée. Après qu'elle a rangé le modèle, un des professeurs lui a demandé de leur montrer un cerveau de femme. Marianne a expliqué que le cerveau des hommes et des femmes avait les mêmes dimensions, et les hommes ont été plutôt surpris. L'un des hommes s'est exclamé, horrifié, qu'il ne frapperait plus jamais son épouse sur le cou, car il savait maintenant que son cervelet était tout proche et qu'il risquait de l'endommager.

L'enseignement des sciences peut toucher fondamentalement les droits des femmes, sans trop insister.

S'il veut investir dans les droits des femmes, le Canada ne pourrait faire mieux que d'investir dans le développement de l'éducation en Afghanistan. Il pourrait se servir de sa position de confiance pour réduire l'incapacité et la corruption au sein du ministère afghan de l'Éducation, phénomènes qui l'empêchent de bien offrir des services. Il pourrait aussi faire bouger les choses à l'égard de domaines où les progrès sont péniblement lents, par exemple la production et la distribution de manuels et la formation des professeurs; il pourrait également fournir aux écoles des livres et des laboratoires de sciences, soutenir la production de livres et la littérature pour enfants, quasi inexistante en Afghanistan, et améliorer les programmes d'éducation de niveau secondaire.

Le nombre des inscriptions a connu une poussée soudaine en 2002, lorsque les écoles ont rouvert leurs portes. Les enfants qui ont commencé la première année en 2002, et qui doivent être en huitième année à l'heure actuelle, passent dans le système comme une énorme vague. S'il n'y a pas davantage d'écoles secondaires, de collèges et d'universités capables de les accueillir, la déstabilisation pourrait être monumentale d'année en année.

L'approche générale qui consiste à investir dans le capital humain produira les meilleurs résultats, qu'il s'agisse de former des fonctionnaires, des infirmières et des enseignants, d'améliorer l'éducation secondaire ou de construire des centres de formation professionnelle. Si l'aide est axée sur les gens plutôt que sur la construction de routes, d'infrastructures ou de bâtiments, on fait en sorte que les personnes qui ont bénéficié de l'investissement pourront, plus tard, construire elles-mêmes ces routes et ces infrastructures. C'est plus rentable à long terme et, en plus de contribuer au développement, on contribue également au bout du compte à la sécurité. Il y a un lien étroit entre une éducation de qualité et la paix, et de nombreuses études le prouvent, comme le prouve également notre propre expérience en Afghanistan.

Il faut que les hommes participent au dossier des droits des femmes, à titre de bénéficiaires et d'intervenants, et j'espère que d'autres témoins vous l'ont aussi dit. Quand nous avons ouvert une classe d'alphabétisation dans une région rurale de la province de Kaboul, il y a quelques années, les femmes ont commencé à assister aux cours. Les hommes nous ont demandé une classe d'alphabétisation pour eux-mêmes. Nous avons décidé de tenter l'expérience, et nous avons décidé de financer le salaire d'un professeur d'alphabétisation pour les hommes. Nous avons rapidement vu que la décision jouait en faveur des droits des femmes, car les hommes n'avaient pas le sentiment d'être exclus. Ils faisaient quelque chose, eux aussi, et des hommes alphabétisés et instruits, c'est une bonne chose pour les droits des femmes. Si on exclut les hommes, on suscite leur méfiance. Si l'on veut que la société se transforme, il faut que les hommes et les garçons changent de comportement et d'attitude, de la même façon que les femmes doivent le faire. S'il vous plaît, insistez pour inclure les hommes dans tout programme qui porte sur l'égalité entre les sexes.

À ce sujet, j'espère que le Canada va mettre l'alphabétisation à l'avant-plan de ses programmes de formation des forces de police et des forces armées afghanes, car l'alphabétisation est un aspect très important du professionnalisme au sein des services de police. Quand on se promène dans les rues de Kaboul, on sait tout de suite quels policiers sont analphabètes et quels policiers ne le sont pas; ceux qui ont suivi une formation en alphabétisation portent un badge, mais en outre, ils ne se tiennent pas de la même façon. Ils se prennent au sérieux, et seul un policier qui se prend au sérieux prendra au sérieux le cas d'une femme qui, par exemple, se présente au poste de police pour un problème de violence familiale. C'est un aspect important qui s'ajoute aux éléments opérationnels du travail de policiers qui exigent une certaine instruction.

Vous avez probablement également entendu dire que, outre le gouvernement, le secteur des ONG de l'Afghanistan est touché en bonne part par la corruption. C'est vrai, en partie, mais je vous demande instamment de ne pas généraliser. Pour contrer la corruption dans le secteur des ONG, il faut investir dans le renforcement des compétences en matière de responsabilisation, tant au sein du gouvernement afghan qu'au sein des ONG nationales et internationales, et il faut innover afin de mettre en place des mécanismes de responsabilisation plus rigoureux qui seront rentables et transparents et qui produiront des résultats. Évidemment, il faut éviter d'alourdir encore l'administration et de multiplier les procédures auxquelles nous, les petits organismes, devons nous soumettre pour obtenir des fonds.

Plutôt que de demander à des gens de passer d'un dossier à un autre et d'un pays à un autre, il faudrait embaucher des fonctionnaires canadiens — qui travaillent déjà sur le terrain ou dans des organismes gouvernementaux ici — qui connaissent réellement le pays et la région, et les chargés du dossier de l'Afghanistan; ils pourront ainsi arriver à connaître les formes de corruption les plus courantes, à les cerner plus facilement et à mettre en place des mesures de protection.

La responsabilisation à l'égard des résultats peut également passer par des mécanismes de distribution de l'aide grâce auxquels les dollars du Canada soutiennent de petits projets. Je sais que cela est difficile. L'ACDI ne veut pas financer 500 projets de 10 000 $, 50 000 $ ou 20 000 $ chacun. Sur le plan administratif, c'est compliqué. Je crois que l'on peut trouver des mécanismes qui permettraient que cela se passe ainsi, car, au fil des ans, j'ai vu à la fois d'extraordinaires histoires de réussite — dans le domaine du développement — et des échecs cuisants, et j'ai constaté que, le plus souvent, ce sont les petits projets qui réussissent le mieux, et qu'un projet qui est doté par exemple d'un budget de moins de 50 000 $ entraînera les plus grandes répercussions. J'ai vu des projets de même type, dotés d'un budget de plus de un million de dollars, mais une trop grande part de cet argent disparaît pendant le processus. Il est difficile de contrôler les résultats.

Il faudrait mettre en place des mécanismes grâce auxquels de petits projets communautaires, exécutés par des bénévoles, pourraient obtenir de petites sommes au lieu de toujours chercher les énormes marchés de plusieurs millions de dollars.

Enfin, les investissements canadiens dans la démocratie en Afghanistan aideront à établir fermement les droits des femmes. Le Canada a acquis au fil des ans beaucoup d'expertise et d'expérience, et cela devrait lui permettre d'apporter une contribution valable, à la fois en fournissant l'aide technique nécessaire à la mise en place d'un système démocratique — par exemple dans le cadre des élections — et en favorisant l'émergence d'une culture de la démocratie par le truchement de l'information et de l'éducation civique, et tout cela est fondamentalement lié à l'égalité entre les sexes.

Je vais terminer ici mon exposé, et je répondrai avec plaisir à vos questions.

La présidente : Merci beaucoup. Je vais commencer en revenant au dernier commentaire que vous avez fait, au sujet des petits projets qui donnent les meilleurs résultats. Dans le domaine de la santé maternelle, l'ACDI a décidé de fonctionner par appel d'offres. Je sais par expérience qu'il est difficile pour les petits organismes, ceux qui proposent ces bons petits projets, de faire quoi que ce soit, car ils n'ont pas le personnel, les ressources, et tout le reste. Est-ce que vous avez constaté la même chose?

Mme Oates : Assurément. Nous surveillons les appels d'offres qui sont lancés. Les États-Unis ont lancé un appel d'offres pour un projet relatif aux droits des femmes dont la valeur dépasse les 100 millions de dollars. Plutôt que de me réjouir, je me suis demandé quelle proportion de ce budget allait se perdre? Ce projet ouvre la voie à la création de multiples paliers de sous-traitance. Au bout de la chaîne, il ne reste plus grand-chose. Les grands projets de ce type sont trop compliqués. Il est déjà assez difficile de gérer un projet de 500 000 $, de superviser toutes les activités, de mesurer les résultats, et cetera.

En général, avec une petite somme d'argent, on peut répondre rapidement à un besoin qui s'est soudainement présenté, qui exige une intervention rapide et pour lequel il existe une solution assez simple. Mais on demande aux organismes de se regrouper afin de présenter une demande de financement. De toute façon, ils devront attendre six mois avant de recevoir une réponse, et il sera déjà trop tard pour eux.

Il existe des façons d'utiliser le modèle de financement de façon à pouvoir accorder de petites subventions à de petits organismes. Par exemple, les agents de l'ACDI ont un nombre X de projets à superviser. Dans la plupart des cas, si je ne me trompe pas, le gouvernement canadien donne peu souvent des subventions de moins de 75 000 $.

La présidente : Connaissez-vous des pays qui proposent un choix de mécanismes, qui lancent des appels d'offres pour des projets importants et qui ont aussi des sources de financement plus réduites à l'intention des petits organismes, et dont les critères sont moins rigoureux?

Mme Oates : De nombreuses ambassades disposent de fonds. Le Canada a créé le Fonds de soutien pour l'avancement des femmes, qui est maintenant terminé, et le Programme d'initiatives locales au Kandahar, qui a aussi pris fin. C'étaient de bons modèles. Le délai de réponse était plus court. On pouvait demander des sommes de 50 000 ou de 75 000 $. Dans l'ensemble, cependant, c'était un fonds limité, et il était rapidement épuisé. La promotion était médiocre. Il fallait être bien averti pour en connaître l'existence.

Les petits projets, par exemple ceux que réalise l'organisme Women for Hope, qui a aidé des centaines de milliers de femmes grâce à des programmes de développement économique, sont dirigés par des bénévoles, et ils sont si occupés à mener les programmes qu'ils n'ont pas le temps de s'asseoir pour remplir des formulaires. Pour répondre à une demande de propositions de l'ACDI, j'ai besoin de trois semaines et d'une équipe de cinq ou six personnes. C'est en réalité une lourde tâche.

Nous pourrions peut-être adapter le modèle de financement des ambassades et les intégrer davantage en offrant des programmes plus diversifiés.

Le sénateur Jaffer : C'est agréable de recevoir quelqu'un qui vient de ma province. Bienvenue. Nous n'avons pas souvent des témoins de notre province.

Je sais que vous travaillez depuis longtemps sur des dossiers qui concernent les femmes. Vous avez parlé d'éducation, d'alphabétisation, du fait qu'il fallait encourager les femmes à aller à l'école. Je connais votre travail. Vous avez récemment donné une entrevue où il a été question de votre travail auprès des femmes en Afghanistan. Vous avez dit dans le Calgary Herald que le relativisme culturel était dangereux. On s'en sert couramment comme excuse pour ne pas donner aux autres les droits dont nous avons la jouissance. Vous aviez ajouté que les Afghanes étaient les premières à dire que ce n'est pas la culture qui prive les filles de leur droit de fréquenter l'école; c'est le fait que l'on contrôle les femmes, que l'on exerce sur elles un pouvoir.

Pourriez-vous en dire plus sur ce sujet? Vous nous avez donné un bon aperçu touchant l'alphabétisation. Comment pouvons-nous faire en sorte que les filles aillent à l'école?

Mme Oates : Avant toute chose, nous devons amener le public canadien à comprendre non seulement que l'éducation est nécessaire et qu'elle a un rôle à jouer dans le processus de consolidation de la paix et dans l'avancement des droits des femmes, mais aussi que l'éducation est en demande en Afghanistan. Cela fait 14 ans que je fais ce travail, et j'ai constaté que l'écart entre l'Afghanistan que je connais et l'Afghanistan présenté par les médias canadiens n'a jamais été si grand. On pense au Canada que les Afghans sont tous comme des talibans, qu'ils ne veulent pas d'écoles et que nous leur imposons notre façon de voir le monde, qu'il s'agit de néo-colonialisme, et des choses comme ça. Chaque fois que j'écris un article pour les grands médias afin de demander que l'on soutienne mieux l'éducation, je reçois une tonne de courriels de Canadiens ordinaires qui disent : « Il s'agit d'une éducation occidentale; nous ne devrions pas l'imposer. »

Il est important que les Canadiens, par le truchement de leur gouvernement, d'organismes indépendants et des médias, puissent obtenir comme moi des renseignements de première main. Chaque fois que je vais dans une classe de formation des professeurs, on me demande davantage de formation en chimie et en physique et davantage de matériel de laboratoire. Ces gens veulent de la science, ils savent qu'une éducation scientifique, c'est une véritable éducation. C'est insultant pour les Afghans d'entendre dire que la science leur est étrangère. Ils n'arrêtent pas d'en demander.

On pourra convaincre les Canadiens, mais il faut d'abord s'efforcer de faire changer les perceptions. Il existe en Afghanistan ce que j'appelle une obsession pour l'éducation; tous les Afghans se préoccupent, d'abord et avant tout, par-dessus tout, de leur éducation ou de celle de leurs enfants. Ils ont soif d'apprendre. Si l'on répond à ce besoin, on aura beaucoup fait pour gagner la confiance des Afghans en leur montrant que nous tenons compte de leurs besoins. Cependant, nous devons également chercher à montrer de façon plus efficace au public canadien qu'il existe une demande et que le Canada a là un rôle à jouer, non seulement pour le développement, mais pour le rétablissement de la paix. Il s'agit également d'une stratégie en matière de sécurité, car vous ciblez justement les gens que les talibans recrutent dans les médersas et les camps de réfugiés. Les talibans approchent surtout des gens qui ne sont pas instruits, qui sont pauvres et sans emploi, et ils en font des kamikazes et des tueurs.

Le sénateur Jaffer : Vous avez acquis une grande expérience dans la région. À votre avis, quels sont les principaux obstacles à la reconnaissance et à l'avancement des droits des femmes et des droits universels? Nous avons entendu ici des gens qui ont parlé des valeurs de l'islam et des valeurs de l'Occident. Vous avez expliqué avec une telle passion — et je suis d'accord avec vous — que les Afghans veulent des écoles. Il y a 30 ans, ils pouvaient étudier. Ils pouvaient devenir des professionnels. C'est malheureusement tout simplement en raison de la guerre qu'ils ont été privés d'éducation. Comment réagissez-vous à cela?

Mme Oates : Cela semble être un cliché, mais nous répondons à leurs besoins à mesure qu'ils les expriment et travaillons de la manière la plus organique possible. J'ai mentionné la bibliothèque communautaire où nous avions un cours de lecture et d'écriture pour les femmes; les hommes sont alors venus et ont dit qu'ils aimeraient, eux aussi, un cours de lecture et d'écriture. Environ un an après le début du cours de lecture et d'écriture et l'ouverture de la bibliothèque, le taux d'alphabétisation des femmes, qui avait été de zéro, était monté en flèche; en 12 mois, il y a eu une hausse spectaculaire. Le cours faisait parler de lui dans toute la vallée. Un autre village a envoyé une délégation pour dire : « Nous avons entendu parler de ce qui se passe ici. Comment pouvons-nous, nous aussi, obtenir une bibliothèque et un cours de lecture et d'écriture? » Nous avons fait une campagne de financement et avons collecté les fonds nécessaires pour payer le salaire d'un professeur de lecture et d'écriture et pour mettre sur pied une petite bibliothèque mobile pour ce village. Il y a environ deux mois, les habitants d'un troisième village sont venus nous voir et nous ont dit : « Nous en voulons une, nous aussi. » Nous répondons comme ça aux besoins qu'ils expriment. Lorsque nous avons ouvert cette bibliothèque particulière, le bénévole local qui la dirige a dépensé une partie du budget de livres pour acheter une énorme sélection de livres islamiques très prestigieux. Lorsque je les ai vus, je lui ai demandé : « Que faites- vous? Nous avons besoin de matériel pour les lecteurs débutants. » Il m'a dit d'attendre. Il a invité tous les mollahs de la région à venir, et lorsqu'ils ont vu les livres sur l'étagère, ils étaient impressionnés et ils l'ont félicité. Le vendredi suivant, durant leur sermon dans les mosquées, les mollahs ont dit aux gens que seulement les bons musulmans allaient fréquenter la bibliothèque du village : « C'est votre obligation d'aller enrichir vos connaissances à la bibliothèque. La bibliothèque est un bon endroit pour les musulmans. »

Nous avons travaillé avec une personne de la région qui connaissait très bien les lieux et qui était bien respectée dans la collectivité, et elle a réussi à mobiliser les chefs religieux. Nous avons également partagé les coûts avec eux. La collectivité a fourni l'espace et les bénévoles pour la bibliothèque, et nous avons fourni les livres et les enseignants. Les membres de la collectivité ont investi dans la bibliothèque. Ils la protégeront. Aucun incident lié à la sécurité n'a touché l'un de nos projets au cours de la dernière décennie. Je crois que cela est dû à la méthode que nous avons adoptée, selon laquelle nous travaillons de manière organique et de concert avec la collectivité pour répondre à ses besoins.

Le succès dépend beaucoup de la méthode utilisée, mais le plus grand obstacle est probablement le verbiage de la communauté internationale sur l'Afghanistan. Lorsque les Afghans portent une grande attention à la manière dont la communauté internationale, y compris le Canada, parle de leur pays, ils constatent un manque important de volonté de mener les projets entrepris à bonne fin. Ils commencent à penser à leur plan B. Toutes les femmes qui ont parlé haut et fort, les députées et les militantes des droits des femmes savent qu'elles seront les premières tuées si un gouvernement taliban revient au pouvoir. Des centaines et des milliers d'autres intellectuels afghans progressistes et partisans de la démocratie qui ont cru que la communauté internationale se montrerait solidaire des Afghans jusqu'au bout reconnaissent maintenant que cet engagement est vacillant. Cela rend les gens anxieux et leur fait croire qu'ils devraient peut-être dire qu'ils appuient les talibans, au cas où, un jour, ils auraient de nouveau affaire au gouvernement taliban. Nous devons nous faire entendre et nous engager à tenir le coup et à ne pas faire faux bond à nos compatriotes.

Le sénateur Ataullahjan : J'ai aimé votre message au sujet de l'éducation, lorsque vous avez dit qu'il ne faut pas faire abstraction des garçons, car je ne pense pas que l'on puisse espérer éduquer un sexe tout en faisant abstraction de l'autre. Nous constatons que, en Afghanistan, tout particulièrement, de nombreuses femmes ne défieront pas leur père ou leurs frères, pour des raisons culturelles. Je crois que si les frères sont instruits et s'ils comprennent bien la situation, ils parleront au nom de leurs sœurs. L'histoire que vous avez contée au sujet de la bibliothèque démontre qu'il est beaucoup plus facile d'atteindre ces objectifs lorsqu'on a à sa disposition une personne qui connaît la culture et qui sait ce qu'elle fait. J'apprécie le fait que vous accordiez de l'importance à l'éducation des garçons et que vous disiez que l'instruction des garçons et celle des filles vont de pair.

Dans quelle région de l'Afghanistan avez-vous travaillé?

Mme Oates : Actuellement, Canadian Women for Women in Afghanistan mène activement des projets dans dix provinces. Nous sommes dans le Sud, dans le Nord, dans le Nord-Ouest — mais pas dans la région de Hérat — et dans toutes les régions de l'Est et du Centre de l'Afghanistan, c'est-à-dire à Bamiyan et à Ghazni. Nous avons travaillé un peu partout au fil du temps, mais nous sommes actuellement dans dix provinces différentes. Personnellement, j'ai visité toutes les régions, sauf Bamiyan. Il y a évidemment des différences importantes au sein des divers groupes ethniques des deux régions. Le Nord peut être beaucoup plus libéral, mais il y a aussi des zones de libéralisme même dans le Sud.

J'aimerais revenir sur votre commentaire relatif à la nécessité d'appuyer les hommes et les garçons et de travailler avec eux pour faire progresser les droits de la femme. Je suis certaine que vous avez tous entendu parler de l'Afghan- Canadian Community Centre à Kandahar. L'ACCC, est dirigé par un gars qui s'appelle Ehsanullah Ehsan. Il est très respecté dans la collectivité et il est chef de file en ce qui concerne l'accès des femmes à l'éducation et les droits de la femme. Il peut repousser les limites grâce à sa réputation. Ce qu'il a fait à Kandahar avec peu d'argent relève du jamais vu.

L'ACCC est l'un de nos partenaires. Avec l'ACCC et nos autres partenaires, nous avons constaté que les choses se font de manière plus efficace lorsqu'on a fait un travail pour créer des relations dans la collectivité avant de commencer. Par exemple, on a travaillé avec les mollahs et avec les membres du choura pour convaincre la collectivité et lui démontrer que les femmes qui fréquentent le centre d'alphabétisation ou le centre de formation ne deviendront pas des prostituées et ne s'enfuiront pas pour épouser une autre personne de leur choix. Ils doivent travailler pour renforcer leur crédibilité. C'est un processus qui prend du temps. Il s'agit également d'une bonne raison de travailler pendant longtemps avec les mêmes partenaires. Ce genre de choses ne se fait pas rapidement.

Le sénateur Kochhar : Votre exposé était très informatif. J'ai trois petites questions. Peut-être pouvez-vous répondre à toutes trois en même temps.

Il y a un bon type d'éducation et mauvais type d'éducation. Comment définir le bon type d'éducation? Les talibans ont établi des centaines de médersas dont l'objectif principal était d'enseigner aux jeunes enfants à haïr la civilisation ou la culture occidentales. Y a-t-il un équivalent pour les femmes? Les médersas sont habituellement pour les garçons.

Les fonds de l'ACDI sont-ils seulement versés à des Canadiens, ou les habitants des régions de l'Afghanistan peuvent-ils demander des fonds sous une supervision occidentale? Comment ces fonds sont-ils alloués, exactement?

Mme Oates : Je commencerai par répondre à la dernière question. Les ONG locales peuvent présenter une demande au Fonds de soutien ponctuel pour l'avancement des femmes. Ce fonds leur est véritablement consacré. Il a été créé pour les ONG nationales afghanes. La même chose s'applique au Programme d'initiatives locales au Kandahar, et ces organismes présentent effectivement des demandes à ces programmes. Par exemple, nous avons récemment présenté une demande en partenariat avec le Centre de ressources pour Afghanes. Nous travaillons avec elles. Elles mettent des projets en œuvre, et nous faisons du renforcement de capacité avec elles et assurons une certaine surveillance du rendement.

Encore une fois, il s'agit de petits montants. Je ne crois pas qu'il y ait beaucoup d'ONG nationales qui présentent des demandes à des mécanismes réguliers, comme le Groupe de travail sur l'Afghanistan et le Pakistan ou le Fonds du secteur volontaire, qui est en voie de changement. Une partie de cet argent ira aux ministères du gouvernement afghan, et les sommes sont réparties entre eux.

Je pense que le processus de demande est trop complexe pour un bon nombre d'ONG afghanes, mais certaines d'entre elles établissent des partenariats avec des organisations comme la nôtre, ou d'autres, et pourraient avoir accès, indirectement, à certains de ces fonds.

Le sénateur Kochhar : Une grande partie du système d'éducation repose sur le matériel écrit, les livres, et cetera. Y a- t-il beaucoup de littérature et de matériel pédagogique dans la langue locale?

Mme Oates : Je suis heureuse que vous ayez posé cette question. La promotion de l'industrie du livre est une activité qu'aucun donateur n'a encore appuyée fortement, à ma connaissance. Il s'agit non seulement d'un défi pratique, puisque nous avons de la difficulté à trouver des livres pour garnir les bibliothèques que nous mettons sur pied, mais également d'un enjeu lié à la sécurité et à la politique, car les livres arrivent généralement de l'Iran. Ce sont des livres persans, et comme le dari est un dialecte persan, les Afghans peuvent lire la littérature iranienne. Toutefois, ces livres ont souvent la religion comme sujet. Les Iraniens veulent avoir une influence culturelle et politique sur l'Afghanistan. Ils ont des programmes de formation des enseignants. Ils ont construit un centre de formation des enseignants et ils publient et diffusent de l'information sur l'Afghanistan en ligne et dans des documents imprimés. En l'absence d'autres choses, c'est à cette information que les gens auront accès. Il y a de la littérature pachtoune qui arrivera du Pakistan, par exemple. L'industrie de l'édition locale est faible. Le fait d'appuyer la promotion de l'industrie du livre à tous les niveaux de lecture est un moyen stratégique d'appuyer l'éducation et de soutenir les écrivains, les illustrateurs et les groupes d'auteurs locaux. Si le Canada ne fait rien en matière de stations radio et de formation pour les enseignants, l'Iran se fera un plaisir de le faire. Cela peut être très dangereux.

Pour en revenir aux médersas, je suis heureuse que vous ayez aussi posé une question à ce sujet. C'est ça, la cause de ce conflit, et on en a fait abstraction pendant si longtemps — c'est-à-dire, le rôle du Pakistan et plus particulièrement son incapacité de construire un système d'éducation public viable, qui a donné lieu à la montée des talibans pakistanais et afghans. Tous les talibans afghans sont formés et soutenus en territoire pakistanais.

Dans les médersas, le programme d'enseignement véhicule une idéologie extrémiste, violente et religieuse, qui laisse peu de place à l'enseignement laïque, comme les sciences, la mathématique, la littérature et l'histoire. Les enseignants eux-mêmes sont très peu instruits. L'autre chose dont on parle très peu, c'est la violence sexuelle dans les médersas. Les viols de garçons et d'hommes sont extrêmement courants.

On se retrouve avec des garçons qui ont été violés, qui n'ont personne à qui parler, qui ont été formés à l'utilisation d'armes, qui ont appris que l'Occident est maléfique, qui ont reçu une éducation extrêmement déséquilibrée et qui ont eu peu de contacts avec des femmes ou des filles, y compris leur propre mère. L'issue est follement prévisible : c'est comme une machine à fabriquer des gens qui seront heureux de se porter volontaires pour mener à bien des opérations suicides, et cetera.

Je ne sais pas dans quelle mesure le Canada peut contribuer à régler ce problème, mais nous pourrions à tout le moins commencer par inclure le Pakistan dans le discours et par reconnaître le rôle du Pakistan, qui perpétue le conflit. Nous devons mettre l'accent sur le système qui est au centre du problème, parce que tout cela commence dans les médersas. J'ai lu qu'il y a plus de 50 000 médersas. Les parents y placent leurs enfants parce qu'ils n'ont pas d'argent pour les nourrir. Les médersas les accueillent, les hébergent et les nourrissent, et les parents croient qu'ils reçoivent une éducation gratuite. Ils finissent souvent par perdre leurs enfants.

J'insiste sur le fait que cela a eu des répercussions énormes sur la situation actuelle en Afghanistan et sur l'exacerbation du conflit au cours des dernières années. La politique canadienne doit absolument tenir compte de cela.

La présidente : J'aimerais que vous fournissiez plus de détails sur votre dernier commentaire au sujet du Pakistan et de l'Afghanistan.

Mme Oates : Je vis dans un enclos, car ma tête est toujours en Afghanistan; c'est ce que je connais le mieux. Je ne peux pas beaucoup parler du Pakistan. Je vois seulement les conséquences, en Afghanistan, de ce qui se passe au Pakistan. Idéalement, au moment où l'OTAN a conceptualisé sa mission il y a des années, elle aurait probablement dû mettre davantage l'accent sur le Pakistan parce que, actuellement, nous devons éteindre des feux en Afghanistan qui ont été allumés au Pakistan.

Il ne suffit pas de sécuriser la frontière. La construction d'une barrière à la frontière n'est pas une solution. Nous devons empêcher que ces enfants deviennent des tueurs. Nous devons investir dans l'éducation au Pakistan et, en empruntant des voies diplomatiques, travailler de concert avec le gouvernement pakistanais. Ils sont probablement plus prêts à régler ces problèmes maintenant, car les talibans pakistanais sont revenus les hanter, et c'est le Pakistan qui les a créés.

Il faut arrêter de tourner autour du pot et reconnaître la responsabilité du Pakistan dans la perpétuation de ce conflit.

Le sénateur Ataullahjan : Vous savez sûrement que la frontière qui sépare l'Afghanistan du Pakistan n'est pas reconnue par un bon nombre de gens de la région.

Mme Oates : Oui.

Le sénateur Ataullahjan : Lorsque cette frontière a été créée, elle a divisé des familles. Cette région est difficile à contrôler.

J'étais au Pakistan la semaine dernière et je crois que le gouvernement canadien y a mis sur pied une initiative. Je ne pourrais pas vous donner tous les détails, mais il s'agissait d'un dialogue à Dubai entre le Pakistan et l'Afghanistan. Je pense que c'est quelque chose qui a été entrepris.

Mme Oates : Il sera très important de renforcer les initiatives comme celles-là.

Le sénateur Andreychuk : J'aimerais revenir sur votre point relatif à la construction de bibliothèques et de choses de ce genre. Travaillez-vous toujours avec des documents imprimés? Il semble que partout ailleurs où nous faisons du travail de développement, nous mettons l'accent sur les technologies, la pénétration des téléphones et l'accès aux ordinateurs. Même s'il y a seulement un ordinateur dans un village, cela donne une toute nouvelle dimension à la connaissance.

Nous n'entendons pas parler de cela en Afghanistan. Nous en entendons parler au sujet d'Haïti, de l'Afrique et d'ailleurs. De quel type d'alphabétisation s'agit-il? Enseigne-t-on les nouvelles technologies ou s'agit-il toujours d'un enseignement traditionnel avec un enseignant traditionnel?

Mme Oates : En fait, les deux sont enseignés. Les choses changent rapidement. Il y a des années, je me souviens d'avoir ouvert mon ordinateur portable dans un trou perdu quelque part dans le Nord de l'Afghanistan et avoir obtenu une connexion. J'ai pensé que l'Afghanistan changeait.

Il y a environ 500 000 utilisateurs d'Internet dans le pays, et ce chiffre augmente sans cesse. Les gens s'intéressent beaucoup aux cybercafés. L'Afghanistan est un pays très jeune — la plupart des gens n'ont pas 30 ans. Tout compte fait, un bon nombre d'entre eux sont plutôt orientés vers le monde extérieur, du moins dans les centres urbains. Ils veulent savoir ce qui se passe dans le reste du monde et ils utilisent Internet pour le découvrir. Il s'agit d'un médium très populaire qui se propage en Afghanistan.

La question des documents disponibles nous ramène à l'Iran. L'Iran gère la plupart des blogues enregistrés en langue persane, alors il en contrôle le contenu. Je sais qu'il y a un groupe d'Afghans qui essaie d'obtenir des noms de domaines qui pourront être enregistrés et gérés de l'intérieur de l'Afghanistan, ce qui leur donnerait une plus grande liberté de l'information et permettrait la création d'un contenu afghan, plutôt que d'un contenu iranien, pour les lecteurs persans.

Dans nos bibliothèques et dans le travail de formation d'enseignants que nous faisons dans nos écoles, nous travaillons uniquement avec des documents imprimés parce que les enseignants n'ont simplement pas accès à Internet. Ils n'ont souvent même pas accès à des livres. C'est pourquoi nous commençons par ça.

Toutefois, nous reconnaissons que nous pouvons exploiter Internet, surtout pour les enseignants — pour essayer de rassembler le matériel pédagogique qui a été produit. Nous avons donc conceptualisé un projet qui est une bibliothèque pour les enseignants, c'est-à-dire la bibliothèque en ligne Darakht-e Danesh pour les enseignants en Afghanistan; cela veut dire « l'arbre des connaissances ». Il s'agit d'une base de données de matériel pédagogique, comme des plans de cours, de la matière et du matériel de perfectionnement professionnel pour les enseignants.

Nous n'avons pas trouvé grand-chose dans les langues locales, alors nous avons simplement commencé à écrire ce matériel et à le traduire nous-mêmes. Cette bibliothèque contient actuellement environ 500 ressources. Nous essayons de trouver un soutien pour mettre sur pied des postes informatiques dans les départements d'éducation, qui sont les branches provinciales du ministère de l'Éducation, ou dans les centres de formation des enseignants. Ainsi, à tout le moins, les formateurs pourront consulter ces ressources, télécharger et imprimer des documents et s'en servir dans leur formation pour les enseignants. De cette manière, les enseignants commenceront à avoir accès à certaines de ces ressources indirectement. C'est le moyen le plus efficace que nous avons trouvé pour accomplir cela.

C'est une approche quelque peu expérimentale que nous allons essayer. Même nos propres formateurs d'enseignants n'ont jamais utilisé d'ordinateur. J'essaie de les convaincre de suivre des cours d'informatique, mais ça leur fait peur. S'ils commençaient à utiliser un clavier plutôt que d'écrire, cela constituerait une étape énorme pour eux. Il y a toutefois beaucoup de potentiel, et je crois que le Canada gagnerait à explorer les moyens durables de propager l'utilisation des technologies.

Il y a de nombreux défis qui accompagnent l'introduction de nouvelles technologies, y compris la maintenance du matériel et la création de compétences locales pour que les gens sachent quoi faire si le programme informatique tombe en panne, par exemple, après le départ des ressortissants étrangers. Pour le moment, nous travaillons principalement avec des documents imprimés et même cela est un énorme défi.

Le sénateur Andreychuk : Vous avez fait des commentaires au sujet de l'OTAN. Vous avez dit que son mandat n'était pas clair, dès le départ. La situation était en évolution; il s'agissait des premières opérations aussi hors zone de l'OTAN, alors c'était une expérience d'apprentissage, aussi bien pour les Nations Unies que pour l'OTAN.

Vous dites que le verbiage de la communauté internationale fait partie du problème. Que recherchez-vous? Recherchez-vous une présence militaire à long terme ou des activités de développement à long terme?

Je vous le demande parce que tout le monde dit que la mission des forces armées est de sécuriser le pays — et on se demande quand cela pourra être accompli — pour permettre au développement de se poursuivre.

Que vouliez-vous dire par ce verbiage et qu'est-ce qui est nécessaire, selon vous, pour soutenir certains des programmes que vous mettez en œuvre?

Et en tant que sous-question, j'aimerais savoir si vous avez déjà été obligés de demander de la sécurité pour vos projets ou avez-vous toujours cru que les lieux étaient suffisamment sécuritaires?

Mme Oates : Je crois que ce qui fait peur à beaucoup de gens, c'est le fait que divers pays membres de l'OTAN fixent des dates de retrait avant que leurs objectifs précis aient été atteints. Nous devrions partir après que certaines choses ont été faites, plutôt qu'à des dates arbitraires.

À l'égard de l'aspect militaire ou du développement, les deux sont, à coup sûr, importants. À Canadian Women for Women in Afghanistan, nous reconnaissons depuis longtemps l'importance de la sécurité assurée par les forces internationales. À une époque où un grand nombre d'ONG adoptaient plutôt une position antiguerre, toutes les femmes avec lesquelles nous travaillions nous disaient qu'elles souhaitaient la présence de troupes internationales et que leur départ éventuel les inquiétait.

D'un point de vue pratique, je sais que la seule chose qui est possible, pour l'instant, c'est une mission d'entraînement. Nos forces armées sont épuisées et ne peuvent plus assumer une mission de combat, et la population canadienne ne l'accepterait tout simplement pas. Il serait toutefois utile de mener à bien la mission d'entraînement jusqu'à ce que les objectifs sur ce plan aient été atteints.

Nous ne travaillons jamais officiellement avec les militaires canadiens dans notre travail d'aide humanitaire. Nous ne bénéficions d'aucun service de sécurité. Je pense que cela est à notre avantage. Nos budgets demeurent petits. Nous sommes discrets et nous pouvons nous fondre dans le paysage plus facilement que si nous nous déplacions dans des véhicules blindés avec des gardes armés et tout le reste.

J'ai visité le collège d'état-major à Kaboul, où des sergents et des colonels canadiens forment des sergents, des colonels et des lieutenants afghans, et c'était incroyable l'esprit de camaraderie qu'il y avait entre eux. C'est très différent de ce que l'on voit avec les militaires américains. Ils plaisantaient, comme l'auraient fait les membres de n'importe quelle base militaire. Ils semblaient vraiment se faire confiance et bien travailler ensemble. C'est quelque chose dont le Canada peut vraiment tirer profit si l'entraînement se poursuit, et ce qui serait merveilleux serait d'offrir une formation en lecture et en écriture aux militaires afghans dans ce contexte.

Nous dépendons indirectement de la sécurité assurée par l'OTAN. Je ne sais pas si nous pourrions continuer de faire le travail que nous faisons si l'OTAN n'était pas là et si les circonstances demeuraient telles qu'elles sont.

Je voulais brièvement mentionner la militarisation de l'aide. C'est un mot très à la mode, et le plus souvent, on en parle comme s'il s'agissait d'une chose dangereuse. Personnellement, je n'ai pas vu de preuve de dommages que cela aurait causés sur le terrain, mais j'ai vu des données qui appuient ses avantages. De nombreuses autres ONG disent que les militaires ne peuvent pas fournir une aide, et je voudrais voir des données plus concrètes à cet égard avant de rejeter cette option. J'ai vu les militaires faire des choses incroyables et je ne suis pas convaincue des dangers de la militarisation de l'aide.

Le sénateur Hubley : Dans votre exposé, vous avez mentionné le nombre d'élèves qui sont retournés à l'école après la chute des talibans, en 2002, qui ont fait leur chemin dans le système et qui entament maintenant la huitième année. Vous dites également que, s'il n'y a pas de possibilités pour un enseignement continu, il pourrait s'agir d'un facteur déstabilisant. Pourriez-vous nous donner plus de détails à ce sujet et nous donner une idée de ce qu'il adviendra si ces élèves atteignent un certain niveau de scolarité, mais n'ont nulle part où aller après cela?

Mme Oates : Ils se joindront aux nombreux autres chômeurs et pourraient être privés de leurs droits, devenir des talibans ou quitter le pays et contribuer à l'exode des cerveaux qui a déjà commencé en Afghanistan et dont le pays n'a vraiment pas besoin. Même si de nombreux établissements d'enseignement postsecondaires ont ouvert leurs portes dans le pays, cela ne se fait pas assez vite pour répondre à la demande. Je crois qu'il y a 50 000 places dans toutes les universités du pays, et au moins 200 000 candidats. Un grand nombre de ces derniers ne sont pas admis.

Il n'y a pas suffisamment d'établissements d'enseignement postsecondaires qui ne sont pas des universités. Il n'y a tout simplement pas assez de centres de formation professionnelle. Il n'y a pas de collèges communautaires. Ce n'est pas le nom qu'on leur donne. L'Afghan Canadian Community Centre gère quelque chose qui ressemble à un collège communautaire ou, à tout le moins, à un centre d'apprentissage permanent. C'est un modèle utile qui peut servir de tremplin entre l'école secondaire et l'université. On compte également trop peu d'écoles secondaires. Les écoles primaires ne peuvent pas accueillir suffisamment d'élèves.

L'une des écoles dans notre programme accueille 9 700 élèves dans le même immeuble. Il y a quatre quarts de travail afin que l'on puisse accueillir tous les élèves, car il n'y a pas assez d'espace. Cela veut dire que tous les enfants sont en classe pendant environ deux heures et demie par jour, et que l'enseignant est complètement épuisé à la fin de la journée, puisqu'il a enseigné à quatre groupes de plus de 100 élèves. Cette situation nuit à la qualité de l'enseignement offert.

Il y a eu beaucoup de progrès dans la quantité d'écoles qui ont été ouvertes, dans la formation des enseignants et dans l'inscription des élèves. Il y a environ 7 millions d'élèves inscrits dans les écoles primaires et secondaires, et 2,5 millions de ces élèves sont des filles. Ces chiffres sont très impressionnants si l'on tient compte de la situation de départ, en 2001, époque à laquelle il y avait essentiellement aucune fille dans les écoles et très peu de garçons. L'heure est venue d'améliorer la qualité des enseignants qui travaillent déjà et de ceux qui sont en formation. Cela s'est fait trop lentement et de manière non coordonnée, et il y a trop de gaspillage au fil du temps.

Nous avons affaire à un pays très jeune, dont la majeure partie de la population n'a pas 30 ans. Ceux qui ne font pas déjà des études veulent aller à l'école. On doit les tenir occupés, après l'obtention de leur diplôme, pour éviter qu'ils quittent le pays ou se joignent aux forces insurgées.

Le sénateur Hubley : Diriez-vous que le système d'enseignement et la croissance économique progressent de manière parallèle ou croyez-vous qu'il y a des lacunes qui pourraient créer des problèmes dans les deux domaines?

Mme Oates : Je pense que le secteur de l'enseignement est peut-être plus faible. Il n'a pas fait partie intégrante de la stratégie d'aide. On a bien sûr investi de l'argent dans le secteur de l'enseignement, sans toutefois surveiller de manière appropriée la manière dont ces sommes ont été dépensées, mais l'éducation n'est pas considérée comme une stratégie de sécurité, ce qui est pourtant le cas. Il s'agit tout simplement d'un item de plus sur la longue liste des défis prioritaires en matière de développement qu'il faut relever, tout comme la santé, la croissance économique et les projets d'infrastructure. On n'a pas accordé la priorité à l'éducation. C'est pourtant ce domaine qui peut avoir le plus de répercussions si on le prend au sérieux et si on fait des investissements importants, sur le plan monétaire, mais surtout, en ressources humaines. L'aide technique peut contribuer grandement à soutenir le personnel du ministère de l'Éducation, par exemple, et les formateurs dans les collèges d'enseignants.

L'Afghanistan a connu une croissance économique importante et constante. C'est une force, et les programmes visent à améliorer l'accès des femmes aux marchés et aux capitaux. Le Business Council for Peace en est un bon exemple. L'ambassade américaine a un petit programme de subventions et fait des choses pour aider les femmes entrepreneures. J'ai vu les emplacements des projets de MEDA, c'est-à-dire Mennonite Economic Development Associates, qui est le programme canadien qui a reçu un financement de l'ACDI et qui a donné de bons résultats. Je dirais que ce projet reçoit un peu plus de ressources que le secteur de l'enseignement, mais que c'est tout aussi important de l'appuyer.

La présidente : La Dre Sima Samar a eu l'idée de fonder une université pour femmes à l'extérieur de Kaboul pour environ 1 200 étudiantes. Cette université n'accueillerait que des femmes. Ainsi, les parents de jeunes femmes des régions rurales se sentiraient plus à l'aise d'envoyer leur fille à l'université. Pouvez-vous nous faire savoir ce que vous avez entendu à ce sujet et dans quelle mesure cette idée est appuyée et critiquée?

Mme Oates : Je n'ai pas entendu parler d'une université pour femmes, en particulier.

La présidente : Elle ferait partie d'une université mixte. Il y aurait des dortoirs qui accueilleraient seulement des femmes et des cours seulement pour les femmes.

Mme Oates : Voulez-vous dire qu'il s'agirait d'un collège pour femmes à l'intérieur de l'université? Les femmes suivraient-elles les mêmes cours que les autres étudiants de l'université?

La présidente : Je crois qu'ils suivent tous les mêmes cours pour le baccalauréat, mais on accorderait une importance particulière au sexe féminin, à l'estime de soi et à ce genre de choses.

Mme Oates : C'est une idée qui a du potentiel, à n'en pas douter. Les pensionnats sont très importants parce que les femmes doivent être logées séparément des hommes et parce que les études universitaires à Kaboul ne sont pas très accessibles pour les femmes des régions rurales, par exemple, en raison des limitations culturelles qui empêchent les femmes de vivre seules. C'est une chose que l'on ne voit tout simplement pas. Les femmes vivent toujours dans la maison où elles sont nées ou dans la maison de leur mari. Elles font l'objet de beaucoup de potins, et pourraient ne pas trouver de mari si elles partent vivre seules. Il doit y avoir des dortoirs pour femmes dans toutes les facultés.

J'aimerais attirer votre attention sur un projet très petit; encore une fois, parfois, les plus grandes réussites concernent les petits projets. C'est une école qui s'appelle School of Leadership, Afghanistan — l'école SOLA. L'école n'accueille qu'environ 40 élèves à la fois; il y a un petit pensionnat à l'intérieur, et on met l'accent sur les compétences en leadership. C'est là que je recrute mes traductrices parce que les filles qui terminent ce programme sont confiantes, intelligentes, pleines d'aisance, très ambitieuses et extrêmement instruites. Elles suivent le programme d'études secondaires régulier pour la 11e et la 12e années, mais à cela s'ajoutent les compétences en leadership et beaucoup d'autres programmes. C'est un modèle utile en ce qui concerne non seulement l'accès des femmes aux études, mais également l'acquisition de compétences en leadership et le renforcement de la confiance, ce qui les aidera également.

L'atmosphère à l'Université de Kaboul, à tout le moins, est très différente de ce qu'elle est dans le reste du pays. C'est un établissement assez libéral. Son campus est comme tout autre campus universitaire dans le monde et on sent que les gens peuvent acquérir des connaissances ensemble. Les hommes et les femmes se fréquentent, se parlent et participent ensemble à des débats politiques houleux. On devrait miser sur cette atmosphère et faire des investissements pour créer plus de facultés pratiques dans le système universitaire.

Je sais qu'il y a un programme d'études sur les sexes, mais je n'en sais pas plus. Si ce programme est très théorique, je crois qu'il a peut-être moins de pertinence en ce qui concerne les besoins en matière de droits de la femme en Afghanistan, comme la médecine, la santé et l'enseignement, — le type de compétences pratiques qui peuvent faire entrer les femmes dans la vie publique.

Le sénateur Zimmer : Merci de comparaître devant nous cet après-midi. J'aimerais faire suite à une question que les sénateurs Kochhar et Andreychuk vous ont posée, mais je vais l'aborder d'un autre angle.

Nous berçons-nous d'illusions? Il semblerait que le premier ministre et le chef de l'opposition voteront très bientôt sur la prolongation, jusqu'en 2014, de la mission canadienne en Afghanistan, qui devait se terminer en 2012.

J'étais à Kandahar et à Kaboul il y a deux ans avec le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense. Nous avons pris cinq véhicules blindés et avons traversé le grillage pour voir un projet de développement économique qui consistait en une boulangerie pour les hommes et un atelier de broderie pour les femmes.

Sur le chemin du retour, nous avons été interceptés, et ils connaissaient notre trajet pour retourner à la ville, mais lorsqu'on a levé la tête, on a vu des enfants qui couraient sur les toits. La moitié nous faisait signe de la main joyeusement et l'autre moitié agitait le poing en notre direction. C'est une culture qui est en train de naître. Ce n'est pas seulement les personnes plus âgées; c'est vraiment bien enraciné. Les changements ne se feront pas en moins d'une génération, voire deux; notre engagement pourrait durer jusqu'à 2020 ou plus.

Est-ce que nous nous berçons d'illusions lorsque nous disons que nous aurons quitté le pays en 2014? Et, question plus importante encore, comment allons-nous faire pour affronter ce problème? Des enfants de cinq, six, sept et huit ans sont déjà divisés. Ce ne sont pas seulement les plus vieux qui sont divisés.

Deuxièmement, comment feriez-vous pour déterminer quand nous devons partir? Devons-nous nous fonder sur le nombre de personnes qui ont fait des études, le nombre de policiers formés ou le nombre d'exploitations qui ne font plus la culture de stupéfiants, mais qui cultivent plutôt des aliments? C'est ça, la question, et je sais qu'il est difficile d'y répondre. Comment aller au-delà de cette culture et changer la façon de penser de ces enfants de cinq, six et sept ans? Cela prendra au moins une génération, voire deux.

Mme Oates : Bien sûr, et je ne vais pas vous mentir : cela va prendre beaucoup de temps. Il faut qu'il y ait des efforts soutenus et engagés. Cela est surtout vrai pour ce qui est de l'aide au développement, car nos intérêts sont souvent changeants, et nous établissons de nouvelles priorités tous les cinq ans. Cela ne fonctionnera pas si nous voulons être efficaces en Afghanistan. Il doit s'agir d'une contribution à long terme. Les choses ne changeront pas rapidement.

En ce qui concerne la fin de notre engagement, il faudra se fier, en partie, aux perceptions qu'ont les Afghans de leur propre sécurité et de leur propre situation. Heureusement, nous avons ces données. Il y a des dizaines de sondages d'opinion qui ont été réalisés auprès des Afghans, par la Fondation pour l'Asie, ABC News et la BBC, alors nous pouvons mesurer, au fil des ans, les sentiments des Afghans à l'égard de la situation.

Kandahar est un cas unique. Je ne crois pas qu'elle soit représentative de l'ensemble du pays. Mon ami Terry Glavin dit qu'on peut comparer tous ces journalistes à Kandahar qui donnent l'impression, au Canada, que Kandahar est l'Afghanistan à un journaliste afghan qui viendrait sur Hastings Street dans le quartier est du centre-ville de Vancouver, qui filmerait les alentours d'un véhicule et qui dirait aux Afghans que le Canada, c'est ça. C'est un endroit où les défis abondent, et il y a des gens qui sont ouverts à la présence d'étrangers là-bas, qui sont ouverts à une aide occidentale et à la présence de l'OTAN, en général, à Kandahar. Toutefois, de toute la population de l'Afghanistan, ce sont les gens à Kandahar qui appuient le moins la mission de l'OTAN, selon les sondages.

Au risque de me répéter, je dirais que l'éducation est le seul moyen de renforcer leur confiance en nous et de changer leurs perceptions à notre égard.

L'une de nos organisations partenaires, PARSA, dirige des orphelinats. Le gouvernement leur a demandé d'accueillir un enfant d'environ 11 ans qui avait essayé de commettre un attentat à la bombe orchestré par les talibans. Beaucoup d'enfants qui commettent ce genre d'attentats ont été dupés. Celui-là savait exactement ce qu'il faisait, mais il a été capturé. On lui a enlevé sa veste et on l'a amené à PARSA. Il a parlé ouvertement de sa volonté de tuer des infidèles, tous les Occidentaux étaient des cibles légitimes — et il était très extrémiste et complètement endoctriné. Pendant deux semaines, ils ont travaillé avec lui, lui ont fait suivre un counseling. Il y a eu des crises de colère et des moments dramatiques. Après quelques semaines, une révélation lui est venue et il a commencé à voir les gens qui l'aidaient et ce qu'il avait failli faire d'une autre manière. Il a ressenti beaucoup de culpabilité et il a beaucoup crié. Cependant, en deux semaines seulement, l'endoctrinement qu'il avait subi commençait à s'effacer grâce à l'éducation, au counseling et aux services de soutien qu'on lui avait offerts. Malheureusement, dans ce cas particulier, le petit a fait des appels téléphoniques, et ses chefs ont découvert où il était et sont venus le chercher. Il a disparu, et les membres de PARSA n'ont pas eu de ses nouvelles depuis, mais cela montre bien qu'il suffit de peu de temps et de peu de ressources pour qu'un processus d'endoctrinement soit inversé par le truchement de l'éducation et de services psychosociaux. Encore une fois, tout dépend de l'éducation.

En ce qui concerne ma vie et mon travail en tant que travailleuse du développement, j'ai fait mes débuts dans le domaine des droits de la femme en étudiant le développement international, puis, au deuxième cycle, en sécurité humaine. C'était donc surtout l'aspect juridique et la sensibilisation qui m'intéressaient. Par la suite, j'ai changé mon fusil d'épaule et me suis intéressée à l'éducation parce que je voyais bien que ces projets ne permettaient pas d'obtenir les résultats escomptés. J'ai reconnu que nous n'irions pas bien loin si nous ne commencions pas par l'éducation. Si nous voulons que les graines que nous plantons poussent, il faut que le terrain soit fertile, c'est-à-dire qu'il faut tout d'abord une société instruite; on peut ensuite se pencher sur les autres aspects, qui sont d'une importance secondaire. J'ai aussi fait un doctorat en alphabétisation. Dans toute la faculté de l'éducation, j'étais la seule qui n'était pas une enseignante, mais cela reflète ma reconnaissance de l'importance de l'alphabétisation et de l'éducation dans le travail que nous faisons pour défendre les droits des femmes.

La présidente : Nous n'avons plus de temps. Le sénateur Brazeau veut vous poser une question, alors je vais lui donner l'occasion de le faire.

Le sénateur Brazeau : J'ai une question très courte. Dans quelle mesure collaborez-vous avec le ministère de l'Éducation afghan? Êtes-vous au courant de barrières internes à l'intégration de certains des programmes d'alphabétisation dont vous avez parlé? L'importance de l'éducation et de l'alphabétisation est un thème qui est évidemment revenu dans toutes nos discussions.

Mme Oates : Nous devons travailler avec eux. Chaque fois que l'on lance un projet éducatif qui a un lien avec le système d'enseignement public, il faut signer un protocole avec le ministère de l'Éducation. Cela est souvent difficile, mais pas toujours. Les fonctionnaires du ministère ont divers niveaux de capacité. Les choses se font très lentement. La mise en place du protocole de notre programme de formation des enseignants a pris de nombreux mois, ce qui a retardé le reste du processus. Cela était dû aux changements bureaucratiques. Parfois, on laisse entendre que le processus pourrait être accéléré si on faisait quelque chose d'illégal. C'est décourageant; c'est le moins qu'on puisse dire.

Il y a toutefois des gens compétents dont la charge de travail est beaucoup trop lourde au ministère. Ils reçoivent beaucoup de ressources. Les subventions ne manquent pas pour faire le travail, il n'y a pas de délégation des tâches et il y a un arriéré de choses qui doivent être faites, ce qui ralentit le tout.

Le fiasco des manuels de classe en est un exemple. Beaucoup d'argent, de temps et d'efforts ont été investis dans ce projet; des contrats ont été signés avec des universités américaines, et pourtant, huit ans après cette intervention, l'une des étapes de base de la reconstitution du système d'éducation — la production et la distribution de manuels de classe — n'est pas encore terminée. L'an dernier, aucune de nos écoles n'avait encore de manuels de classe gouvernementaux. Elles ne les avaient encore jamais vus. Nous commençons tout juste à les voir entrer dans les écoles primaires, mais les écoles secondaires ne les ont pas encore. Il est difficile de concevoir pourquoi cela n'a pas encore eu lieu. Il y a beaucoup de dédoublements, et un manque de coordination et de surveillance. Personne tout en haut de l'échelle ne surveille tous ces donateurs, ces organismes du développement, ces ONG et les représentants du ministère de l'Éducation pour s'assurer que tout le monde est sur la même longueur d'onde et que les choses se passent comme elles le devraient. La prestation de services n'est pas rapide au ministère de l'Éducation. Il est important de renforcer la capacité et de mettre en place des processus pour améliorer l'efficacité. Il faut peut-être aussi que les donateurs demandent davantage des comptes.

Les Afghans veulent que les gouvernements donateurs demandent des comptes à leur pays. L'an dernier, lorsque je faisais des recherches sur la Loi chiite sur le statut personnel en Afghanistan, que l'on appelait ici la loi sur le viol — je suis certaine que vous avez lu des choses à ce sujet dans la presse — il y avait une perception courante chez les étrangers dans le pays — les représentants de l'ONU et des gouvernements donateurs — selon laquelle les Afghans ne veulent pas que les étrangers interviennent trop dans leurs processus gouvernementaux et politiques, mais les Afghans se plaignaient du fait qu'ils n'intervenaient pas assez. Les gens me disaient : « Vous financez cette opération. Si vous ne défendez pas nos droits de la personne, qui le fera? Vous financez ces efforts. Vous avez le droit de demander des comptes au gouvernement afghan et d'exiger qu'il prouve sa crédibilité. Vous devez lui imposer le respect de nos droits, et nous ne vous voyons pas le faire. Nous voulons que vous en fassiez davantage; vous n'en faites pas assez. »

C'est un point important.

La présidente : Merci beaucoup.

Le sénateur Mobina S. B. Jaffer (vice-présidente) occupe le fauteuil.

La vice-présidente : J'aimerais souhaiter la bienvenue à Droits et Démocratie et à Human Rights Watch au nom du comité. Nous commencerons par entendre les représentants de Droits et Démocratie.

Gérard Latulippe, président, Droits et Démocratie : Mesdames et messieurs les membres du comité, Alexandra Gilbert, qui est la coordonnatrice de notre programme et de notre projet en Afghanistan, m'accompagne ce soir. C'est surtout elle qui répondra aux questions du comité. Toutefois, je voudrais souligner le fait que ce programme de Droits et Démocratie en Afghanistan et le travail de défense des droits de la femme entrepris par Droits et Démocratie en Afghanistan sont d'une grande importance pour notre institution.

Le projet de Droits et Démocratie est mis en œuvre par une équipe entièrement composée d'Afghans. Nous avons un bureau à Kaboul, qui compte 16 employés afghans, dont six femmes. Par exemple, en 2002, Droits et Démocratie a créé le Fonds pour les droits des femmes en Afghanistan, grâce au soutien de l'ACDI. Droits et Démocratie, par le truchement d'un comité de rédaction sur le droit familial, a dirigé un processus de rédaction pour la réforme du droit familial, qui est en conformité avec l'engagement pris par l'Afghanistan à l'égard des droits des femmes et qui est inspiré de l'expérience d'autres pays musulmans.

La formation de 350 hommes et femmes pour mener des discussions à l'échelle communautaire sur les droits de la personne et les moyens de garantir la protection de la population en faisant usage du droit familial est venue appuyer le processus de rédaction. Nous travaillons également dans cinq provinces pour sensibiliser la population au droit familial grâce à des émissions de radio locales et en fournissant un soutien à des cliniques d'aide juridique.

En janvier 2011, Droits et Démocratie publiera A Woman's Place : Women's in Afghanistan Legal Framework, qui comprendra quatre chapitres sur l'expérience de Droits et Démocratie dans le processus de création des lois. Vous en recevrez un exemplaire à titre gracieux.

Depuis septembre 2010, Droits et Démocratie reçoit un financement de la Commission européenne pour la rédaction d'un code de conduite contre la discrimination fondée sur l'appartenance ethnique.

Je vais maintenant demander à Mme Gilbert de continuer.

Alexandra Gilbert, coordonnatrice de projet, Droits des femmes en Afghanistan, Droits et Démocratie : Au cours de la soirée, nous avons parlé des progrès et des réussites des femmes en Afghanistan. J'ai passé la plus grande partie des 18 derniers mois à Kaboul et, selon ce que j'ai entendu, les gens ont peur que les gains obtenus par les femmes, ainsi que les libertés individuelles qui ont été consacrées dans la constitution afghane, seront négociés durant les pourparlers de paix avec les talibans.

J'ai vu évoluer un contexte façonné par les négociations avec les talibans, la création d'un nouveau parlement afghan ainsi qu'une expression de plus en plus marquée de fondamentalisme. Ce contexte inquiète un grand nombre de mes collègues et partenaires afghans. Cela pourrait avoir des répercussions sur les lois concernant les femmes. Je vais donner l'exemple de la Loi sur l'élimination de la violence contre les femmes, qui est très controversée en ce moment et qui pourrait être menacée par le nouveau parlement afghan ainsi que par les pourparlers continus avec les talibans.

Je vais aussi donner l'exemple de la loi chiite sur le statut personnel. Même si cette loi est imparfaite, elle contient tout de même certaines dispositions qui visent à protéger les droits de la femme, et cette loi est elle aussi menacée. Il y a également des lois qui pourraient être utilisées contre la société civile. Je pense à la loi sur les ONG, par exemple, ou à la loi sur les médias qui pourraient être utilisées pour réduire l'espace dans lequel la société civile afghane peut agir ou s'exprimer.

Je pense également à mes collègues — tous mes collègues afghans qui utilisent des arguments fondés sur une interprétation progressiste de la charia pour promouvoir les droits de la femme et une société plus équitable — qui, depuis six mois, sont de plus en plus accusés d'être de mauvais musulmans ou de travailler pour l'Occident. Je vois également — et je crois que c'est encourageant — un nombre de plus en plus important d'Afghans qui pensent de la même manière et qui commencent à se retrouver et à travailler ensemble pour créer une société plus équitable précisément dans ce contexte.

M. Latulippe : En somme, quelle est la position de Droits et Démocratie à l'égard de l'engagement futur du Canada en Afghanistan? Nous croyons qu'il est important d'encourager un dialogue plus large parmi les membres progressistes de la société civile afghane, y compris la communauté politique, de même qu'entre le gouvernement afghan et la société civile.

En ce qui concerne la participation des femmes au processus de paix, les femmes afghanes se sont battues pour être incluses dans les discussions avec les talibans. Toutefois, la participation des femmes au processus de paix doit se traduire par des rôles plus importants dans la prise de décisions, y compris dans les discussions avec les insurgés.

La notion des droits de la personne et des droits de la femme doit être abordée dans le cadre de l'islam, par des Afghans qui respectent ces principes, et on doit soutenir les initiatives menées par des Afghans pour permettre la création d'un sentiment d'appartenance. Il faut reconnaître qu'un certain nombre de groupes conservateurs répandent l'idée selon laquelle les réformes juridiques et l'égalité des sexes sont « étrangères » et constituent donc une menace à l'intégrité de la culture et de la religion afghanes.

En outre, nous devons soutenir les femmes afghanes en leur fournissant les moyens dont elles ont besoin pour être libérées, ce qui veut principalement dire l'éducation. L'accès des femmes à la justice doit donc passer par leur habilitation, laquelle ne peut se faire si elles ne connaissent pas leurs droits, le contenu des lois qui ont des répercussions sur leur vie quotidienne, et par le renforcement de leur capacité à participer aux dialogues concernant leur statut.

Mme Gilbert va fournir des recommandations plus détaillées relativement à ce que le Canada peut faire, selon nous.

Mme Gilbert : L'un des problèmes est la création de modèles de comportement pour les jeunes Afghans, aussi bien les filles que les garçons. Plus tôt, on a posé une question sur le type de modèle sur lequel était fondée la société civile afghane et il s'agissait d'un modèle occidental.

L'expérience que j'ai acquise au cours des dernières années m'a enseigné qu'il y a peu de modèles, dans l'histoire récente, surtout en ce qui concerne des gens qui se rassemblent en coalition pour se parler ou travailler ensemble. L'un des seuls modèles qu'ils ont est celui des seigneurs de guerre qui s'unissent; il s'agit d'un élément fondamentaliste de la société afghane. Par conséquent, pour la nouvelle génération, il serait important d'identifier les Afghans qui changent les choses dans leur collectivité et de créer un dialogue entre ces personnes et les jeunes. Par exemple, cela pourrait se faire dans les établissements d'enseignement secondaires ou dans les universités. Nous avons également parlé du soutien qu'un homme a donné à sa femme, qui s'est présentée aux élections parlementaires. Pourquoi ne pas assurer une couverture médiatique de la manière dont cet homme a appuyé sa femme dans sa campagne pour devenir députée et de la manière dont cela peut inspirer les jeunes qui veulent accéder à la vie publique?

Il serait également intéressant de mettre sur pied des programmes de participation civile pour les jeunes afin qu'ils aient une meilleure idée de la manière dont ils peuvent s'engager dans leur société. Il y a beaucoup de désillusions et de démobilisation parmi les jeunes aujourd'hui.

Ce sont des suggestions.

Dans le domaine de la personne et de la justice, notre expérience nous montre que, même s'il y avait des lois parfaites, leur application est incertaine et extrêmement difficile en raison d'un système judiciaire faible et corrompu. Compte tenu de ce contexte, je recommande l'élaboration de politiques et de codes de conduite qui opérationnaliseraient les lois, surtout celles qui protègent les droits de la femme. Il serait également important de renforcer la capacité des ministères clés d'appliquer ces lois. L'un de ces ministères serait le ministère de l'Éducation ou de l'Enseignement supérieur, et il y aurait un ministère chargé des affaires sociales. La notion de lois est étrangère à de nombreux Afghans. Nous devons donc leur montrer comment une loi peut donner lieu à une politique ou à un code de conduite qui s'applique à leur vie quotidienne.

Sur le plan politique, mes collègues et partenaires afghans qui travaillent dans le domaine du processus législatif recommandent depuis des années la tenue de consultations publiques pour solidifier les liens entre le ministère de la Justice et les citoyens afghans. Il serait possible de créer une politique pour encourager un dialogue entre le ministère et les diverses parties intéressées afghanes. Cela favoriserait également un plus grand sentiment d'appartenance des citoyens afghans à l'égard des lois.

On pourrait soutenir l'accès des femmes à la justice en appuyant davantage l'aide juridique, par le truchement de services dans ce domaine, ainsi que par le renforcement du rôle des organisations qui offrent une aide juridique sous forme de sensibilisation au droit.

Enfin, il serait intéressant de promouvoir l'enregistrement du statut civil comme outil qui contribuerait grandement à protéger les femmes. Nous avons déjà fait du travail à l'égard du contrat de mariage. Cet outil peut garantir que certains droits font l'objet de discussions durant les fiançailles ou la cérémonie de mariage.

J'aimerais conclure en revenant sur un sujet dont on a parlé plus tôt — l'importance de la formation. Nous avons beaucoup parlé de la nécessité d'offrir une formation sur l'égalité des sexes aux militaires et à la police. Il est essentiel que les enseignants, les médecins, les infirmières et tous les types de fonctionnaires reçoivent, eux aussi une formation sur les droits de la femme. Un enseignant ne diffusera pas nécessairement un message positif sur les femmes dans la salle de classe tout simplement parce qu'il est un enseignant. Il est important de sensibiliser ces gens.

En ce qui concerne le type de formation sur les sexes qui peut être fournie au personnel militaire, comme les membres de l'armée afghane, je recommanderais une formation sur la constitution afghane qui comprendrait des arguments fondés sur la charia qui appuient les droits de la femme et qui condamnent la discrimination fondée sur le sexe ou l'origine ethnique. Enfin, il devrait y avoir de la formation qui met plus précisément l'accent sur les lois qui touchent les droits de la femme.

Dernièrement, nous avons utilisé le mentorat dans les formations que nous offrions. Nous voulions éviter que des gens soient tout simplement assis dans une salle de classe et écoutent un message qu'ils ne croient pas. Nous voulions les encourager à s'exprimer sur la question, tenir des séances de suivi dans lesquelles les participants sont appelés à parler des sujets abordés. Encore une fois, cela viserait à promouvoir un plus grand sentiment d'appartenance à l'égard d'un message positif lié aux droits de la personne et aux droits de la femme.

Rachel Reid, recherchiste sur l'Afghanistan, Human Rights Watch : Je vous remercie de m'avoir invitée à témoigner à cette audience importante et opportune. Mon travail a porté sur l'Afghanistan pendant la majeure partie des quatre dernières années. Pendant presque tout ce temps, j'ai vécu là-bas, mais cette année, je partage mon temps entre Kaboul, d'une part, et le Royaume-Uni et les États-Unis, d'autre part.

Depuis un an ou deux, je me consacre presque entièrement aux questions qui touchent les droits de la femme. En décembre 2009, j'ai publié un rapport intitulé : « We Have the Promises of the World » : Women's Rights in Afghanistan, qui s'attache à cinq aspects du non-respect des droits de la femme — les attaques qui visent des femmes actives dans la vie publique, les enfants et les mariages forcés, la violence contre les femmes, l'accès à la justice et l'accès aux études de niveau secondaire pour les filles afghanes.

En juillet de cette année, j'ai publié un rapport intitulé The ``Ten-Dollar Talib'' and Women's Rights : Afghan Women and the Risks of Reintegration and Reconciliation, qui traitait des risques pour les femmes et les filles afghanes que supposent nos efforts de réintégration des talibans et de réconciliation avec eux. J'ai interviewé plusieurs militantes des droits des femmes et anciens talibans au sujet de la possibilité de réintégrer des talibans. Ce thème constituera la base de mon témoignage oral aujourd'hui, mais je serais heureuse de répondre à vos questions sur un large éventail de sujets.

La réintégration et la réconciliation ne peuvent pas se faire si un gouvernement plus crédible et légitime n'est pas mis en place en Afghanistan. Sinon, je crois que nous verrons une vague d'ententes, ce qui permettra, dans l'hypothèse la plus optimiste, d'acheter une paix temporaire, de donner du pouvoir aux hommes forts locaux et de favoriser la corruption. Malheureusement, je crois que l'une des choses qui met le plus les femmes afghanes en danger, c'est l'impatience de la communauté internationale de sortir de l'Afghanistan. De plus d'une manière, c'est toujours elle la meilleure garante, mis à part les femmes afghanes elles-mêmes, pour garantir qu'on ne conclut pas trop rapidement une entente et que les droits des femmes ne sont pas sacrifiés en échange d'un règlement politique en Afghanistan.

Il est essentiel que le gouvernement du Canada, qui a la bonne réputation d'avoir fait valoir les droits de la personne en Afghanistan, continue à inciter le gouvernement afghan à améliorer ses pratiques relatives aux droits, à la gouvernance et à la règle de droit à mesure que nous avançons lentement vers la réintégration et la réconciliation.

Avant de vous donner des détails à ce sujet, j'aimerais émettre une mise en garde relative aux illusions. J'ai écrit ce rapport en partie parce que j'étais frustrée par la montée du révisionnisme concernant les talibans. Les politiciens et les grands pontes ont actuellement tendance à parler de plus en plus des motivations non idéologiques des talibans — les facteurs économiques qui mènent au soulèvement. Je ne doute pas du tout du fait qu'il y a des facteurs économiques, particulièrement pour beaucoup de combattants de bas niveau. Je ne doute pas, non plus, du fait qu'il y a de nombreuses régions dans le pays où les gens sont victimisés par des représentants de l'État, ce qui peut les pousser à se joindre aux insurgés. Il faut porter une plus grande attention à cela.

Toutefois, je crois que l'interprétation extrémiste de l'islam fait partie intégrante de l'identité des talibans. Par conséquent, il faut tenir compte non seulement de ce qui motive les insurgés à combattre, mais également de la manière dont ils se comportent lorsqu'ils contrôlent une région. Par exemple, j'ai fait une série d'entrevues plus tôt cette année avec des femmes qui vivaient dans des régions sur lesquelles les talibans avaient un contrôle de fait, particulièrement dans des endroits où les femmes avaient connu de brèves périodes de liberté après la chute des talibans — elles avaient repris leurs emplois d'enseignantes, de sages-femmes, de fonctionnaires ou de travailleuses de la santé, et avaient renvoyé leurs filles à l'école. Puis, depuis que les insurgés ont repris le contrôle de certaines de régions qui entourent Kaboul en 2005-2006, elles ont rapidement perdu ces libertés. Elles ont reçu des appels téléphoniques, des lettres et des visites d'hommes armés qui les ont menacées, et les ont forcées à arrêter de travailler et d'amener leurs filles à l'école.

J'ai envoyé certains extraits de ce rapport au comité et j'ai inclus les traductions de certaines des lettres de nuit que ces femmes ont reçues. Je vous encourage à les lire. Une campagne d'assassinat incroyable est menée par les talibans, particulièrement dans le Sud. Il y a également des hommes qui sont ciblés, mais lorsque ce sont des femmes qui sont la cible de ces actes, leur sexe en est en grande partie la cause. Par exemple, après qu'une jeune femme, qui était travailleuse de l'aide, a été tuée, au printemps dernier, d'autres femmes à Kandahar ont reçu des lettres qui disaient : « Vous êtes la prochaine sur la liste. » D'autres femmes ont reçu des lettres qui disaient : « Vous côtoyez des hommes. Vous ne vous couvrez pas le visage. C'est haram. Jamais une femme musulmane n'aura été tuée de la manière dont nous vous tuerons. » Une enseignante à Kondôz dans le Nord a reçu une lettre qui disait : « Si vous n'arrêtez pas de travailler à l'école, nous couperons la tête de vos enfants. »

Ces pratiques ont comme objectif précis de repousser les femmes dans leur maison, et elles sont très efficaces dans de nombreuses régions qui sont contrôlées par les talibans. C'était tout simplement une parenthèse pour souligner que nous devons être honnêtes au sujet des gens à qui nous avons affaire à mesure que nous avançons vers la réintégration et la réconciliation. Bien évidemment, toutes les femmes en Afghanistan veulent la paix parce qu'elles subissent les conséquences désastreuses du conflit en Afghanistan, mais cela ne veut pas dire qu'elles seraient prêtes à faire de tels sacrifices pour l'avoir.

J'aimerais faire un commentaire rapide sur le contexte politique. Le gouvernement afghan s'est montré prêt à sacrifier les droits de la femme lorsqu'il était politiquement opportun de le faire, qu'il s'agisse de la loi chiite sur le statut personnel, qui, je le sais, a reçu beaucoup d'attention au Canada, ou de la mise en liberté par le président Karzaï d'hommes qui avaient commis des viols collectifs, bien avant la fin de leur peine d'emprisonnement parce qu'il voulait rendre service à un allié politique. Comme moyen de rassurer le monde sur la protection des droits de la femme, le gouvernement a tendance à laisser entendre que des ententes ne seraient pas conclues avec quiconque n'accepterait pas de ratifier la constitution. Je voudrais souligner le caractère inadéquat de cette allégation. À de nombreuses reprises, malgré la protection supposée de la constitution, on a sacrifié les droits de la femme. Il faut des garanties explicites des libertés fondamentales des femmes, y compris le droit de travailler, le droit de participer à la vie publique et le droit à l'éducation. Ces types de droits doivent être protégés à la table des négociations.

Les femmes elles-mêmes, comme vous venez de l'entendre, doivent, elles aussi, participer aux négociations. J'ai rencontré le président Karzaï, en juillet, et je lui ai demandé s'il envisagerait de faire participer des femmes aux négociations. Il a répondu que, en théorie, il accepterait. Cependant, je crois qu'il parlait plutôt d'envoyer une délégation de femmes dans des pays avoisinants pour parler à d'autres femmes, ce qui ne revient pas du tout à dire qu'elles participeraient aux négociations. La représentation des femmes est essentielle, et je vous engage à inclure cela dans vos actes de défense des droits de la personne auprès du gouvernement afghan et de votre gouvernement, ainsi que dans vos questions à leur intention. Les femmes se sont battues pour être représentées de manière adéquate à la jirga de la paix, qui a eu lieu en juin, et elles ont fait un travail remarquable, puisque 23 p. 100 des participants à la jirga étaient des femmes. Le conseil supérieur pour la paix, qui a été annoncé en septembre et qui devait être très important a représenté un succès beaucoup moins grand pour les femmes. De plus, les femmes sont très peu représentées au sein du secrétariat conjoint, qu'est l'organisme afghan qui gérera les programmes eux-mêmes, particulièrement en ce qui concerne la réintégration. Le secrétariat comprend une expertise dans le domaine des rapports entre les sexes, ce qui constitue une représentation bien symbolique.

Le gouvernement du Canada pourrait jouer un rôle très utile dans le processus de réintégration. Un contrôle sera nécessaire si l'on veut réintégrer des commandants qui sont invités à revenir faire partie du gouvernement. L'une des mesures incitatives qu'on utilisera sera l'offre d'emplois politiques, qu'il s'agisse de gouverneurs de district, de chefs de police ou de hauts fonctionnaires. Cela fait partie de l'offre, pas nécessaire officiellement dans les programmes, mais c'est ce qui est ressorti de mes conversations avec des représentants du gouvernement afghan; ces postes seront très sûrement offerts à la table des négociations. Le Canada aura beaucoup de détails sur certains des insurgés, particulièrement à Kandahar, et je vous encourage fortement à communiquer cette information aux membres des conseils de paix locaux et provinciaux. L'ONU est en train de mettre sur pied un groupe de travail ou un groupe de paix qui aura, je l'espère, un rôle consultatif important. Cette information doit être échangée de manière plus efficace afin qu'on puisse identifier les talibans qui veulent réintégrer le gouvernement et qui, par exemple, ont déjà mis le feu à des écoles de filles. Nous devons vraiment commencer à déterminer les limites pour la réintégration et la réconciliation.

J'ai quelques mots à dire sur les attaques commises contre les femmes qui sont actives dans la vie publique. Ce thème est important, en général, mais aura encore plus d'importance dans le processus de réintégration et de réconciliation, et pour la capacité des femmes de défendre leurs propres droits dans le cadre de ce processus. Les parlementaires, les conseillères et les militantes qui font valoir leurs droits font face à de graves menaces. Au cours des dernières années, plusieurs femmes très connues ont été assassinées, et leurs tueurs n'ont toujours pas été traduits en justice. Je vous encourage à écrire au gouvernement afghan pour lui demander pourquoi la justice n'a pas encore puni ces tueurs. On ne doit pas oublier ces meurtres. Je crois qu'il est utile de faire savoir au gouvernement que nous gardons en mémoire la vie de ces femmes.

Au sujet de la violence contre les femmes, je vous rappellerai certains des points que Mme Gilbert a soulevés. La situation de la violence contre les femmes est, dans l'ensemble, désespérante. Il y a eu un point saillant, à savoir l'adoption par décret, l'été dernier, de la Loi sur l'élimination de la violence contre les femmes. Cette loi n'est pas parfaite, mais elle criminalise le viol pour la première fois. Un travail énorme est nécessaire pour garantir que cette loi est appliquée — et cela comprend des programmes de formation pour les avocats, les procureurs et les juges. Je me ferai encore une fois l'écho de Mme Gilbert et je répéterai que, même si le Canada met fin à sa mission de combat, vous pouvez toujours jouer un rôle important dans la formation de l'armée et de la police afghanes. Nous avons vu un programme d'entraînement dont l'objectif principal était de produire, en série, des forces paramilitaires qui serviraient de chair à canon durant le soulèvement, et on a porté une attention beaucoup moins grande aux fonctions fondamentales d'exécution de la loi, y compris des lois sur la violence contre les femmes. Je vous encourage à évaluer la formation actuelle fournie à la police et à contribuer à la modifier pour qu'elle tienne beaucoup plus compte de cela.

En conclusion, j'aimerais souligner que les femmes et les filles afghanes n'ont pas oublié les promesses qui ont été faites partout dans le monde lorsque l'on a renversé les talibans et elles se fient à des pays comme le vôtre, qui ont, par le passé, tenté de défendre les droits de la personne en Afghanistan, pour que, alors même que vous réduisez vos engagements en matière de troupes, vous vous assuriez que leurs droits ne sont pas sacrifiés. Il est clair que les chefs afghans sont les premiers responsables à cet égard. Toutefois, comme nous l'avons vu, par exemple, avec la nomination des membres du conseil supérieur pour la paix, où la représentation des femmes était véritablement négligeable, aucun signe ne laisse croire, jusqu'à maintenant, que leurs droits seront protégés par le gouvernement. Le gouvernement du Canada peut jouer un rôle extrêmement important, puisque d'autres nations qui ont envoyé des troupes et qui ont investi des sommes importantes en Afghanistan n'ont pas déclaré clairement qu'elles essaieront de protéger les droits de la femme, alors même qu'elles cherchent les moyens de quitter l'Afghanistan. Le Canada peut aider à garantir que les femmes sont incluses dans le processus, que des hommes qui ont commis de graves violations contre les droits de la personne ne sont pas placés dans une position où ils auront du pouvoir sur la vie des gens et que les libertés fondamentales consacrées dans la constitution de l'Afghanistan ne sont pas sacrifiées. Merci beaucoup.

Le sénateur Kochhar : Merci pour vos exposés intéressants.

J'ai une petite question. J'essaie de comprendre. Vous nous avez dit que l'éducation peut régler tous les problèmes. Quel est le processus qui permettrait cela? Disons que l'ACDI donne une subvention de 200 000 $ à un groupe pour qu'il aille en Afghanistan et change les choses afin que les femmes puissent faire des études et que l'enseignement soit plus accessible. Faut-il se présenter au ministère de l'Éducation? S'agit-il d'un gouvernement national ou provincial? Une fois la subvention de l'ACDI reçue, comment le groupe fera-t-il pour effectuer le changement visé par la subvention?

Mme Gilbert : Selon moi, pour que le changement soit possible grâce à l'éducation, il faut vraiment laisser les Afghans, qu'il s'agisse de particuliers ou de groupes, tenir eux-mêmes le discours qui fait valoir et qui favorise une société plus équitable. Ce n'est pas nous qui devons aller là-bas et donner une formation ou ceci ou cela. Il faut identifier les ressources locales qui connaissent bien, par exemple, l'interprétation progressive ou la charia.

Ces personnes peuvent également connaître des arguments économiques et sociologiques en faveur de la défense des droits de la femme à l'éducation et au travail, par exemple. Cela s'applique aussi bien à la formation scolaire, puisque les enseignants et les professeurs doivent également avoir accès à ce type de formation afin de transmettre ce message dans la salle de classe, mais également à l'éducation informelle, par le truchement de formation, d'ateliers et d'activités de sensibilisation. Plus tôt, j'ai mentionné les cliniques d'aide juridique dans les provinces. Elles sont un moyen fantastique de sensibiliser les gens aux droits de la femme.

Le sénateur Kochhar : Où obtenez-vous la permission? Vous adressez-vous au gouvernement fédéral, au gouvernement provincial ou à l'administration locale? Qui gère l'enseignement dans ces écoles? L'ACDI donnera des subventions uniquement à des organisations canadiennes en partenariat avec des organisations afghanes, et cette organisation canadienne aidera l'organisation locale à faire bouger les choses. Où l'organisation locale obtient-elle l'autorisation de se rendre dans ces écoles?

Mme Gilbert : Je ne connais pas le programme d'enseignement du ministère de l'Éducation. Toutefois, par exemple, nous essayons d'inclure les enseignants dans la formation à l'échelle locale. Cette formation porte sur les manières d'assurer l'harmonie dans la famille; c'est le message que mes collègues transmettent pour discuter des droits de la femme. Il y a des enseignants qui ont tout simplement pris quelques jours de congé pour participer à notre formation. Si nous organisons la formation à l'extérieur des salles de classe pour faire de la sensibilisation, il peut y avoir des groupes mixtes, et cela peut se faire à l'échelle communautaire. Pour l'instant, je sais que le ministère de la Justice travaille à l'établissement d'un cadre pour la sensibilisation au droit. Ce processus en est à ses premières étapes, alors je ne sais pas comment cela influera sur le travail que nous faisons.

Le sénateur Kochhar : Je ne crois pas que vous comprenez ma question. Le système de l'éducation au Canada relève des provinces et des régions. Comment fonctionne le système de l'éducation en Afghanistan? Est-ce qu'il est géré à l'échelle provinciale, fédérale ou locale? À qui appartient cette compétence?

Mme Gilbert : Je ne suis pas une spécialiste du système de l'éducation. Mon expertise concerne l'éducation informelle sous forme d'activités de sensibilisation qui se tiennent à l'extérieur de la salle de classe.

Mme Reid : Moi non plus, je ne suis pas une experte en la matière, mais, en théorie, il s'agit d'un système national. Les ONG ont mis sur pied beaucoup de programmes d'éducation informelle et communautaires dans les premières années. Il y a eu une politique de transition qui visait à redonner le contrôle des écoles au gouvernement afghan et à régulariser le système. Le système nationalisé est en voie d'élaboration.

Nous avons fait des travaux sur l'accès des filles à l'enseignement secondaire l'an dernier et nous avons découvert qu'il était beaucoup plus facile pour elles d'avoir accès aux petites écoles communautaires locales. L'un des défauts du système étatique était sa tendance à mettre l'accent sur les grandes écoles vedettes dans les capitales provinciales et de district. Les obstacles à la scolarité des filles, qui sont surtout importants lorsqu'elles atteignent la puberté, ne comprennent pas nécessairement le manque de volonté des familles afghanes d'envoyer leurs filles à l'école ou leur réticence à faire instruire leurs filles. Il s'agit plus souvent de problèmes liés aux allers-retours que doivent faire les filles pubères pour aller à l'école, le fait d'être vues sur la route et dans les écoles, qui n'ont pas toujours de murs. Ces tabous culturels très subtils sont nombreux.

Les membres des collectivités que nous avons interviewés ont suggéré de créer plus de petites écoles communautaires locales et d'offrir plus de formation pour les enseignantes. En ce qui concerne la réconciliation, si les talibans et les factions conservatrices viennent à avoir plus d'influence, nous devrons, à coup sûr, tenir compte de leurs objections. Lorsqu'ils étaient au pouvoir, ils ne disaient pas nécessairement qu'ils étaient contre le fait que des femmes fassent des études. Souvent, ils invoquaient des problèmes techniques comme le manque d'enseignantes ou d'écoles pour femmes. Ces problèmes devraient être inclus dans votre programme ainsi que dans les programmes éducatifs de l'ACDI.

[Français]

L'honorable Patrick Brazeau : Ma question s'adresse aux représentants de Droits et Démocratie. Dans votre présentation, vous dites ce que le Canada devrait considérer pour leur engagement futur en Afghanistan et vous mentionnez également que les Afghanes se sont battues pour être incluses dans les discussions pour le processus de paix.

Pourriez-vous élaborer sur l'importance d'assurer la participation des femmes afghanes dans ce processus? Pourquoi le Canada devrait-il se concentrer sur cette question? Troisièmement, afin de mieux comprendre, j'aimerais connaître les bénéfices de cette implication. Et finalement, je voudrais savoir si c'est réalisable de faire cela?

Mme Gilbert : Est-ce que je peux répondre en anglais? Parce que j'ai travaillé avec Mme Reid, à Kaboul, et je sais qu'elle ne comprend pas le français.

[Traduction]

Madame Reid, je vais répondre en anglais parce que vous allez aimer la question, vous aussi. Nous avons mentionné, dans notre exposé, que les femmes se sont battues pour être incluses dans les pourparlers de paix et dans le conseil supérieur pour la paix. M. le sénateur veut savoir comment elles vont faire une différence et si cela est réaliste.

Dès le début, j'étais d'avis que l'inclusion des femmes dans les pourparlers de paix était purement symbolique. On inclut des femmes pour que le gouvernement puisse dire : « Oh oui, il y avait des femmes. » Oui, il y avait des femmes, mais quel était leur rôle?

Je vais vous donner un autre exemple. À la jirga de la paix, les présidents des comités étaient des hommes, et, si mon souvenir est bon, les vice-présidents étaient des femmes. Oui. Elles étaient là et elles étaient vice-présidentes, ce qui est bien, mais ce n'était toujours pas elles qui jouaient le premier rôle.

Je vais répondre en posant une question plus large : comment pouvons-nous garantir qu'elles jouent un rôle dans la prise de décisions et qu'elles ont leur mot à dire en ce qui concerne les hommes avec qui nous allons négocier? Nous avons très souvent entendu que seuls les talibans modérés participeront aux négociations. Qu'est-ce qu'un taliban modéré? Comment identifie-t-on un taliban modéré, et les femmes peuvent-elles rencontrer ces hommes, elles aussi?

Mme Reid a mentionné qu'il faut invoquer des dispositions de la constitution au moment des négociations — celles qui portent sur les femmes et dire : « Écoutez. C'est ça qu'il faut protéger. » Des femmes doivent être présentes pour discuter de ces choses.

Je vais encore une fois répondre en posant une question : comment s'assurer que les femmes jouent non pas un rôle purement symbolique, mais plutôt un rôle qui leur permet d'avoir une influence et d'être présentes à toutes les prises de décisions?

Mme Reid : Je suis d'accord. Les femmes peuvent, de fait, faire une très grosse différence, et il est absolument essentiel qu'elles participent au processus parce qu'il est très clair que le gouvernement afghan ne défendra pas leurs droits. C'est un impératif. La seule manière dont nous pouvons éviter l'effritement de leurs droits, c'est de les aider à s'assurer qu'elles participent au processus.

Comme l'une de mes amies afghanes l'a dit : « Nous n'avons pas de fusils ni de pavots, alors qui nous écoute? » Le pouvoir est organisé autour de ces réseaux corrompus qui favorisent les intérêts des milices ou les stupéfiants, et les femmes n'ont pas de réseau fort qui serait leur porte d'accès au pouvoir.

La jirga de la paix ne m'a pas complètement découragée. La jirga elle-même était immense. Environ 1 500 personnes étaient présentes; des comités se sont formés, et la proportion des membres qui étaient des femmes de la jirga dans son ensemble — environ 23 p. 100. J'ai parlé à des femmes qui, par exemple, avaient participé à la loya jirga d'urgence ou à la loya jirga constitutionnelle en 2002, 2003 et 2004, qui étaient parmi les premières assemblées formées. Elles ont dit que l'ambiance avait changé et que, il y a cinq ou huit ans, on leur avait craché dessus, on les avait insultées ou agressées parce qu'elles osaient participer au processus. Et maintenant, elles s'assoyaient avec des gens comme Abdul Rabb Rasul Sayyaf, dont les points de vue à l'égard des sexes sont, bien franchement, presque identiques à ceux des talibans, et elles pouvaient faire valoir des points comme la nécessité de permettre aux femmes de participer au processus des négociations; personne ne s'est moqué d'elles. Un bon nombre de mes amies étaient étonnées du fait que leur présence avait été plus ou moins acceptée à ces comités.

Je ne veux pas vous peindre un portrait complètement lugubre, mais les choses peuvent changer rapidement en Afghanistan. Les femmes auront besoin d'aide pour garantir qu'elles sont incluses. Au conseil supérieur pour la paix, elles n'ont obtenu qu'environ 10 des 70 sièges disponibles, et la majorité de ces 10 femmes sont des inconditionnelles de Karzaï ou ont des liens avec d'anciens groupes de moudjahidines; elles ne défendront donc pas les droits des femmes de manière efficace. Seules quelques-unes des femmes qui participeront au conseil le feront. Nous devons faire beaucoup mieux que cela — ceux d'entre nous qui veulent garantir leur représentation adéquate. Cela est absolument essentiel, sans aucun doute.

Le sénateur Andreychuk : Merci pour vos exposés. Je suis rassurée, dans un sens, par le fait que les réseaux informels ont une influence, mais il s'agit d'une influence à long terme et qui est lente à se faire sentir. On veut changer une société de l'intérieur, à une vitesse que les Afghans peuvent gérer et selon leurs propres préceptes ou leurs propres droits. Je suis encouragée par le fait que certaines des choses entreprises par la communauté internationale aident les Afghans à commencer à apporter des changements et à travailler ensemble, mais il s'agit d'efforts à long terme.

À court terme, la communauté internationale et le Canada sont pris au piège — l'OTAN et l'ONU aussi — car nous pensions tous que le nouveau gouvernement Karzaï avait la volonté politique de se pencher sur les questions qui touchent les femmes et d'apporter des changements dans la société. Toutefois, nous sommes moins optimistes — en fait, je crois que certaines personnes sont très pessimistes — à l'égard des engagements que le président Karzaï a pris relativement aux changements qu'il a promis et qui ont excité la communauté internationale. Nous sommes maintenant pris au piège, car nous ne pouvons que suggérer qu'il fasse ce qu'il a promis de faire, lui rappeler de ne pas abroger les lois qu'il s'est engagé à défendre, et insister pour qu'il appuie véritablement les femmes, et non seulement d'une manière superficielle.

Ce qui me dérange, c'est qu'il n'y a pas de solution de rechange au gouvernement actuel de Karzaï et je ne vois pas de prétendants au pouvoir ni de groupes au sein du pays qui pourraient faire progresser les choses. Nous continuons d'encourager ces mêmes personnes qui n'ont pas fait le travail. D'où vient votre optimisme? La mise en œuvre ne se fait pas et elle doit se faire. Des paroles ont été prononcées, mais on n'y a pas donné suite. Le gouvernement du président Karzaï ne fait preuve de volonté que lorsqu'on le lui demande. C'est une lutte politique constante des deux côtés.

Les femmes elles-mêmes veulent participer au processus, mais qu'est-ce qui peut agir à titre de levier, si ce n'est la bureaucratie, les institutions ou les forces armées? Sur quoi devons-nous nous concentrer ou devons-nous continuer d'espérer que nos actes porteront leurs fruits? Encore une fois, s'agit-il d'une réponse à court ou à long terme?

Mme Gilbert : J'aime beaucoup la question parce que parfois, lorsqu'on est en Afghanistan et qu'on travaille pour défendre les droits des femmes, on passe de longues soirées à se poser des questions sur ces motifs. Pour ma part, il y a toujours des étincelles dans le noir qui me poussent à continuer. Je travaille avec une équipe entièrement afghane, alors je fréquente des hommes et des femmes progressistes. Mme Reid les connaît également, et je suis certaine qu'elle a eu la même expérience. Ils essaient toujours de faire quelque chose, de contourner le système et de trouver des moyens d'être créatifs et de proposer des solutions. À mon avis, cet espace existe toujours. J'ai mentionné plus tôt qu'il y a des lois qui pourraient facilement être utilisées pour restreindre cet espace, mais pour le moment, il y a un espace pour la société civile afghane.

L'une des erreurs que nous avons faites, c'est de présumer que la société civile se limite aux organisations. Nous ne tenons compte que de la société civile organisée et nous oublions, par exemple, les avocats, les enseignants, les femmes mollahs, les hommes d'affaires, les médecins, les infirmières et toutes les personnes qui peuvent adhérer aux principes de l'égalité. Jusqu'à maintenant, nous avons surtout travaillé avec la société civile organisée. Il est grand temps — et c'est ce que nous essayons de faire actuellement dans une moindre mesure dans le cadre du projet — de demander à la société civile organisée d'identifier les personnes qui peuvent contribuer au réseau de progressistes en communiquant ces messages et en défendant les droits des femmes et les droits de la personne. Pour en revenir aux pourparlers de paix, si mon souvenir est exact, la liste des membres du conseil supérieur pour la paix est assez désespérante. Toutefois, il se peut qu'il y ait également des hommes qui sont prêts à défendre les femmes dans ce processus. Il reste du temps. En tout cas, c'est pour cela que je continue et c'est pour cela que mes collègues croient toujours que l'on peut faire quelque chose.

Mme Reid : Tout comme Mme Gilbert, j'aimerais souligner le nombre de chefs afghans inspirants et très compétents qui travaillent avec nous et auxquels nous avons affaire régulièrement. À l'extérieur de l'Afghanistan, l'image que l'on projette, c'est celle du président Karzaï et de son entourage. Aucun pays ne dispose que de ce genre de personnes. Il y a des gens inspirants dans tous les pays, et l'Afghanistan en compte un grand nombre. Ont-ils accès au pouvoir? Non. Un groupe d'anciens seigneurs de la guerre et de chefs mafieux, dont un grand nombre profitent de l'économie de guerre, gardent la mainmise sur le pouvoir. En toute honnêteté, la communauté internationale y est pour beaucoup dans cette situation.

Très tôt, on a décidé que la sécurité viendrait en premier et que la justice devrait attendre. Encore aujourd'hui, on prend ce genre de décisions. Particulièrement depuis le choc découlant de l'élection présidentielle de 2009, qui n'a pas surpris beaucoup d'Afghans, on a beaucoup mis l'accent sur la nécessité de mettre en place des réformes dans les domaines de la gouvernance et de la règle de droit, mais très peu de choses ont été faites. Une partie de cela est due à la dépendance de la communauté internationale à l'égard de ces mêmes facteurs, que ce soit pour ses entreprises de sécurité privées, la logistique ou le combat. Prenons comme exemple la situation récente à Kandahar. Durant les opérations militaires, au printemps, Kandahar a été décrite comme un problème politique. La solution était la gouvernance. Et maintenant, le principal allié des forces internationales à Kandahar est le commandant Raziq, qui est connu pour avoir violé les droits de la personne et versé dans la contrebande de stupéfiants. Il fait donc grandement partie du problème.

Je ne crois pas qu'il est temps de désespérer du gouvernement afghan au moment même où la communauté internationale envoie des messages contradictoires : d'un côté, elle lui tape sur les doigts, et de l'autre, elle enrichit ces mêmes personnes qui font partie du problème et leur donne le pouvoir. Aussi bien la communauté internationale que le gouvernement afghan doivent envoyer un message clair pour montrer qu'ils sont véritablement décidés à mettre en place des réformes, à couper certains de ces liens et à marginaliser certains de ces secteurs, car il ne s'agit pas d'une seule personne. Ce n'est pas seulement le président Karzaï; tout le système est corrompu.

La vice-présidente : Je suis intriguée par The ``Ten-Dollar Talib'' and Women's Rights : Afghan Women and the Risks of Reintegration and Reconciliation. J'aimerais que vous nous disiez quel rôle négatif ces personnes joueraient à l'égard des droits des femmes.

Mme Reid : Dans les provinces comme Kandahar, et dans beaucoup de régions du Helmand, de Paktîtkâ et de Paktiâ, et dans de nombreuses provinces où les talibans ont maintenant, malheureusement, le contrôle, on harcèlera les femmes qui sont actives dans la vie publique et qui travaillent au gouvernement ou pour des ONG afin qu'elles arrêtent de travailler. Elles recevront des lettres de nuit — ces lettres menaçantes laissées la nuit, que, comme je l'ai dit, reçoivent également certains hommes. Toutefois, les femmes sont beaucoup plus visibles. Il y a si peu de femmes dans la vie publique, particulièrement dans ces provinces conservatrices dans le Sud et dans l'Est, qu'on leur fait subir des pressions énormes pour qu'elles disparaissent.

L'an dernier, à Kandahar, l'une des militantes des droits de la femme les plus connues et les moins timides, Sitara Achakzai, a été tuée, et, presque du jour au lendemain, un petit groupe de femmes très courageuses qui travaillaient également pour les droits de la femme dans la province ont disparu. Aucune des femmes qui devaient se présenter pour siéger au conseil provincial plus tard dans l'année n'était présente dans la province pour les élections. Il y a un effet domino lorsqu'une femme est ciblée de cette manière.

En ce qui concerne l'éducation des filles, j'étais récemment à Kondôz, dans le Nord, et il y a eu une vague de menaces et d'intimidation qui visait les filles qui faisaient des études, particulièrement les filles de plus de 10 ou 11 ans. Lorsqu'elles atteignent cet âge, elles prennent de l'importance pour les talibans en raison des normes conservatrices concernant les filles pubères et la mixité. Dans les zones rurales de certaines de ces régions dominées par les talibans, souvent, avec le temps, il n'y a plus de filles qui font des études. Cela rappelle le règne des talibans au chapitre de la présence des femmes et de leur capacité de faire valoir leur droit à l'éducation, au travail et à la participation à la vie publique.

La vice-présidente : J'ai une question pour Droits et Démocratie. Vous nous dites que vous travaillez dans ce domaine depuis de nombreuses années. Lorsque je préparais mes questions au cours de la fin de semaine, j'ai consulté certains de vos rapports. Dès 2003, vous parliez des domaines prioritaires, à savoir la sécurité, l'égalité entre les sexes et les fonds de donateurs internationaux. L'un des thèmes relatifs à la participation des femmes que vous avez abordés concernait la résolution 1325 du Conseil de sécurité sur les femmes, la paix et la sécurité. Peut-être que ma question peut s'adresser également à Mme Reid et à Human Rights Watch.

De 2003 à 2004, avons-nous fait des progrès relativement à cette résolution? Y a-t-il eu des avancées sur le plan de la participation des femmes? Lorsque je vous entends tous parler, j'ai l'impression que les fondements ne sont pas solides et que nous pourrions rapidement tout perdre. Avons-nous fait des progrès ou en sommes-nous toujours au même stade qu'en 2001, 2002 et 2003?

Mme Gilbert : Il est difficile pour moi de répondre à cette question parce que je n'ai entrepris le projet qu'il y a trois ans. Je n'étais pas là à l'époque. Je ne travaille en Afghanistan et sur l'Afghanistan que depuis 2007. Peut-être Mme Reid pourrait-elle vous en dire plus.

Mme Reid : Il y a des progrès. La jirga de la paix, qui montre que les femmes peuvent participer à ces discussions sérieuses et de haut niveau avec des aînés tribaux et les éléments de diverses factions conservatrices de la société en est une preuve empirique. La présence des femmes à cet événement a été acceptée comme quelque chose de normal. Deux femmes se sont présentées aux élections présidentielles l'an dernier, et aucun des groupes conservateurs importants, comme le Conseil national des ulémas afghans et le conseil des savants islamiques, n'a protesté contre la participation des femmes, comme ils l'ont déjà fait par le passé. Il y a donc des progrès sur certains plans.

Les médias afghans, qui sont une partie dynamique de la société, ont connu une croissance fulgurante. Les femmes journalistes en sont en grande partie responsables, et elles peuvent aussi bien jouer le rôle de présentatrices de nouvelles que de reportrices. Elles sont confrontées à des problèmes, car il y a des menaces et de l'intimidation dans certaines régions, mais elles sont là. Leur participation est précaire, comme vous le dites, et les choses pourraient changer rapidement. Ce n'est pas seulement les talibans. Il est possible que ce Sayyaf, que j'ai mentionné plus tôt, qui est un islamiste très conservateur et intransigeant, devienne le président du Parlement. Si c'est le cas, la Loi sur l'élimination de la violence contre les femmes pourrait soudainement être menacée. Nous nous attendons à ce qu'une loi sur la famille soit présentée au Parlement pour les musulmans sunnites, qui sont majoritaires dans le pays. Si cet homme devient président de la Chambre, encore une fois, qui sait ce qui en découlera?

Ce n'est pas seulement une affaire de réconciliation; la force de ces factions conservatrices y est également pour quelque chose. À mesure que nous avançons vers la réconciliation, on voit que le président Karzaï essaie de se présenter comme quelqu'un avec qui les talibans peuvent négocier. Le conseil des ulémas a récemment été appelé à tenir compte de l'aspect conservateur de la charia en ce qui concerne le viol et certaines autres questions. S'il répond à cet appel, cela aura des conséquences désastreuses sur les droits de la femme. Oui, la situation est précaire, mais des gains ont été obtenus.

La vice-présidente : Merci beaucoup. Nous avons apprécié vos exposés.

M. Khan représente la Canadian Pashtun Cultural Association, c.-à-d. la CPCA. Monsieur Khan, nous avons remarqué que vous êtes resté avec nous tout l'après-midi. Nous apprécions votre intérêt à l'égard de ce sujet et le fait que vous êtes ici pour nous dire ce que nous pouvons faire, selon vous, pour donner plus de pouvoirs aux femmes en Afghanistan.

Mashal Khan, président, Canadian Pashtun Cultural Association : Tout d'abord, je vous remercie de m'avoir invité. Le sujet dont nous parlons aujourd'hui est l'association environnementale. Avant de parler de cela, j'aimerais faire un peu d'histoire.

Ma famille, qui est pachtoune, fait de la politique en Afghanistan depuis 100 ans. Je fais moi-même de la politique pachtoune depuis 40 ans, et ici, au Canada, je suis le président de la Canadian Pashtun Cultural Association depuis huit ans. Les Pachtounes de l'Afghanistan et du Pakistan appartiennent à cette organisation. Il y a 50 millions de personnes dans ces régions.

Je suis ici depuis 13 h 30 et j'ai entendu beaucoup de choses. Tous les jours, nous entendons que les talibans sont des pachtounes. Je suis également un Pachtoune, mais nos Pachtounes ne sont pas des talibans. En Afghanistan, les Pachtounes représentent presque 65 p. 100 de la population. C'est pourquoi ils sont majoritaires dans toutes les régions. Il serait bien, à l'avenir, de discuter de la situation politique — du passé, du présent et de l'avenir — en Afghanistan. J'aimerais bien participer à une telle discussion, mais aujourd'hui, ce n'est pas de cela que nous parlons.

Je voudrais vous parler un peu du passé et de ce qui est arrivé. Lorsque les Soviétiques ont envahi l'Afghanistan en 1979, j'étais à Moscou où je faisais des études. J'étais président de l'association étudiante et j'ai été invité à un forum comme celui-ci pour dire si j'appuyais l'invasion de l'Afghanistan. À l'époque, j'ai dit que l'on saurait bientôt s'ils avaient tort ou raison parce que les Soviétiques n'avaient pas étudié l'histoire des Afghans.

Ils ont envahi l'Afghanistan, mais en s'appuyant sur les minorités. Ils ont renversé le gouvernement de la majorité et ont donné le pouvoir à la minorité. La majorité des gens qui participaient au forum n'étaient pas d'accord avec moi. Ils m'ont dit qu'ils étaient internationalistes. Je leur ai dit que je connaissais leur internationalisme, puisque je vivais à Moscou et que les Soviétiques pouvaient faire n'importe quoi à cette époque.

Neuf ans plus tard, ils sont retournés; ils étaient vaincus. Je leur ai demandé pourquoi ils ont été défaits. Ils m'ont dit qu'ils avaient commis une grave erreur en se mettant à dos les Pachtounes. C'était leur plus grande erreur. La même erreur a été commise deux fois; l'histoire se répète.

Avec leurs fusils et leurs balles, ils n'ont pas gagné le cœur des gens. Ils ont donc dû réfléchir à une autre approche. Ils ont voulu leur faire des dons et leur enseigner le socialisme. Maintenant, nous parlons de la démocratie. C'est fantastique. Toutefois, la démocratie ne peut pas être donnée. Elle doit être établie par les gens eux-mêmes. Ils doivent se battre pour l'obtenir. Malheureusement, on a commencé par une invasion, puis on a amené d'autres choses comme le socialisme et l'immigration, et cetera.

Je ne veux pas entrer dans les détails. Je vais commencer mon discours maintenant. Je vais le lire et je fournirai plus de détails par la suite.

Oui, les Afghans ont des problèmes; il y a des défis énormes à surmonter en Afghanistan. De nombreuses femmes afghanes espéraient que les choses changeraient pour le mieux après le renversement des talibans, mais il y a maintenant une grande déception.

Les grands problèmes auxquels font face nos femmes afghanes sont l'éducation, la santé, la sécurité, la violence conjugale, le manque de nourriture et de logement, le manque de revenu, les mariages forcés, les mariages avec des mineures, la prostitution, le viol, la répression et d'autres problèmes socioéconomiques et culturels. Nous devons régler tous ces problèmes.

J'aimerais donner plus de détails au sujet de quelques-uns de ceux-ci.

En ce qui concerne l'éducation, 23 années de guerre ont détruit l'infrastructure du système d'éducation et ont fait grimper le taux d'analphabétisme en Afghanistan. L'éducation est la clé qui donnera aux femmes le pouvoir de se battre pour leurs droits. La position inférieure des femmes dans la société afghane est attribuable à un manque de possibilités dû à l'analphabétisme.

La santé est un autre problème. La situation de la santé s'est aggravée en raison d'un manque de ressources et de services de santé de base, particulièrement dans les régions rurales, de la ségrégation du personnel médical et du petit nombre de femmes médecins, d'infirmières et de sages-femmes formées qui sont demeurées au pays après la montée des talibans. Le gouvernement des talibans a en grande partie causé la crise actuelle des soins de santé en Afghanistan.

La violence conjugale est également un gros problème. La violence contre les femmes et les filles est un problème qui touche la santé globale, la croissance économique et les droits de la personne. En Afghanistan, 80 p. 100 des femmes sont victimes de violence conjugale. La majorité d'entre elles sont analphabètes, et près de la moitié ont été données en mariage avant l'âge de 16 ans.

L'alimentation constitue un défi énorme. Les femmes afghanes, surtout les veuves, doivent affronter de nombreux problèmes pour survivre. Ces femmes ne sont pas instruites et n'ont donc pas de perspectives d'emploi. Elles sont donc incapables de nourrir leur famille.

Les mariages forcés de filles font partie des conventions sociales entre les tribus et les familles depuis des siècles. Les femmes qui se font battre et torturer, et le trafic des femmes demeurent chose courante.

La sécurité est problématique; les femmes afghanes ne se sentent pas en sécurité. Le gouvernement doit assurer leur protection. Toutefois, la protection des femmes est une obligation purement théorique dans une grande partie du pays, particulièrement dans les régions rurales, où les traditions sont bien enracinées et où les femmes ont un accès limité aux services de représentation et aux tribunaux.

Depuis la chute des talibans, il y a eu des avancées en ce qui concerne les droits de la femme, y compris l'établissement du ministère de la Condition féminine, une constitution qui, généralement, accorde aux femmes le même statut que les hommes, un meilleur accès à l'éducation et une meilleure représentation des femmes au Parlement. Cependant, ces gains durement obtenus pourraient être gravement compromis au moment où le gouvernement afghan et ses partenaires internationaux tentent une réconciliation avec divers groupes armés anti-gouvernement, y compris les talibans.

La consommation d'opium chez les femmes et les enfants est un problème. Dans les régions rurales, les femmes s'en servent comme médicament. Des gens ont tendance à consommer l'opium pour soulager la douleur. Les représentants locaux des districts affirment que les habitants n'utiliseraient pas l'opium pour remplacer les médicaments si des services de santé leur étaient fournis.

Mesdames et messieurs, le Plan d'action du Canada pour la mise en œuvre des résolutions du Conseil de Sécurité des Nations Unies sur les femmes, la paix et la sécurité vise à prévenir la violence contre les filles et les femmes dans les zones de conflit, à favoriser la participation des femmes dans tout processus de paix, à protéger les filles et les femmes des attaques contre leur bien-être physique ou mental, leur sécurité économique ou leurs droits garantis, et à garantir leur accès à l'aide humanitaire et à l'aide au développement.

De nombreux activistes font valoir que l'Occident, y compris le Canada, n'a pas tenu les promesses qu'il a faites aux femmes afghanes. Cependant, depuis le tout début, les problèmes qui touchent les femmes en Afghanistan ont été un moyen d'obtenir l'appui du public relativement à l'intervention.

Un rapport publié par Human Rights Watch l'an dernier donne également à penser que la communauté internationale n'a pas rempli ses promesses, puisque de nombreuses femmes afghanes sont toujours victimes de violence et de mariages forcés, et que celles qui sont actives dans la vie publique sont toujours la cible de menaces et d'actes d'intimidation.

Le Canada devrait être un chef de file en ce qui concerne l'avancement des questions qui touchent les femmes en Afghanistan. Nous avons, en tant que Canadiens, une obligation humanitaire, démocratique et sociale à l'égard du peuple afghan.

Au sujet des négociations avec les talibans, je crois que les fondamentalistes talibans purs et durs sont inchangeables. Toutefois, un grand nombre d'entre eux ne font partie des talibans que parce qu'ils sont pauvres et analphabètes, ou parce qu'on les a forcés à se joindre à eux. L'éducation, les emplois et l'engagement d'un gouvernement stable à l'égard de la règle de droit pourraient permettre de réintégrer ces derniers dans la société. C'est le rôle continu que peut jouer le Canada en Afghanistan. Il peut aider à créer un environnement qui empêche les talibans d'attirer les Afghans ordinaires.

Le moral des Afghans est bon, mais ils sont maintenant inquiets parce qu'ils craignent que le monde abandonnera leur pays. Il est essentiel que la communauté internationale explique aux Afghans exactement comment elle donnera suite à ses promesses de protéger et de promouvoir leurs droits de la personne après son départ de l'Afghanistan. Cette confiance s'effrite rapidement, surtout chez les femmes, parce que ce sont elles qui ont le plus à perdre.

Les femmes afghanes veulent que leurs filles et leurs fils aillent à l'école. Elles veulent des emplois. Elles veulent qu'il y ait de la nourriture sur la table. Elles veulent pouvoir marcher dans la rue sans entendre le bruit des balles et des bombes.

Le sénateur Ataullahjan : Après ce que nous avons entendu ce soir, j'ai deux questions. Premièrement, on parle toujours des femmes dans les villes. Qu'en est-il des femmes dans les régions rurales? Quel est l'état des soins de santé et de l'éducation dans les régions rurales?

M. Khan : La situation dans les régions rurales est catastrophique. Malheureusement, lorsque les gens vont en Afghanistan, ils parlent seulement de Kaboul, de Kandahar et des grandes villes. Ils ne savent rien de ce qui se passe à l'extérieur de ces grandes villes. Il n'y a pas de maternelles ni d'écoles primaires dans les régions éloignées.

Nous pouvons faire quatre choses pour aider les gens dans ces régions rurales et éloignées. Nous pouvons construire des écoles là-bas, encourager les enfants à y aller, leur fournir de la nourriture et des livres, et assurer leur sécurité. J'insiste sur la sécurité parce que nous avons entendu dire que les talibans ont fait exploser ces écoles. Pourquoi? Ils le font parce qu'ils savent que si ces enfants ont une instruction, ils ne pourront pas les contrôler aussi facilement à l'avenir. Les enfants sont l'avenir de l'Afghanistan, et il y a deux options — soit ils détruiront le pays, soit ils le reconstruiront. Si ces enfants n'ont pas l'occasion de recevoir une éducation, ils seront vulnérables aux talibans et ils seront plus faciles à recruter. Si cela arrive, ils détruiront le pays. Cependant, s'ils ont la chance de recevoir une éducation, ils reconstruiront leur pays. Ces écoles sont nécessaires.

Le sénateur Ataullahjan : Êtes-vous d'avis que la plupart des recrues des talibans viennent des régions rurales et non de la ville? Lorsque j'entends parler des talibans, j'ai l'impression qu'ils viennent surtout des régions rurales, où les gens n'ont pas d'espoir, et où les enfants sont envoyés à l'extérieur pour un enseignement religieux et sont enrôlés. Est-ce que j'ai raison?

M. Khan : Oui. Vous avez raison. Il y a 34 provinces en Afghanistan. C'est un grand pays. C'est un pays essentiellement agricole, et non industriel. La majorité des gens vivent dans des régions rurales éloignées. Malheureusement, nous l'avons oublié parce que ces régions constituent un défi en matière de sécurité. C'est pourquoi la majorité des représentants des ONG ne se rendent pas dans ces régions. Les gens souffrent là-bas. Ils souffrent de nombreux problèmes dans les régions rurales, mais surtout du manque d'éducation. C'est le problème le plus important ou l'un des problèmes fondamentaux que nous devons régler.

Le sénateur Kochhar : Quelle est la proportion de la population qui vit dans les régions rurales par rapport aux villes?

M. Khan : L'Afghanistan compte 28 millions d'habitants, et 70 à 80 p. 100 de ceux-ci dépendent de l'agriculture. Après la révolution de 1978, l'infrastructure du système d'éducation a été complètement détruite, ce qui a touché le reste de la population. Les gens qui vivaient dans les régions rurales essaient également de s'installer dans les villes parce qu'il n'y a pas de sécurité là où ils sont. Toutefois, avant la révolution, 70 à 80 p. 100 des gens vivaient dans les régions rurales.

Le sénateur Hubley : J'ai une question au sujet des médias et du rôle qu'ils jouent dans la défense des droits de la personne, soit en faisant état de réussites ou d'incidents dans les régions qui ont toujours besoin d'aide, comme vous l'avez laissé entendre dans votre exposé. Quel rôle jouent les médias? Sont-ils contrôlés? Ces histoires ne se font-elles pas entendre ou ne font-elles pas réagir?

M. Khan : Une personne m'a déjà dit qu'elle avait imprimé de nombreux livres et les avait envoyés dans les régions rurales pour que les femmes les lisent. Je lui ai dit qu'elles s'en serviraient pour préparer le thé, puisque 85 p. 100 des femmes sont analphabètes. Elles n'ont pas fait d'études. Elles n'ont pas accès aux médias. Même lui ne savait pas que 85 p. 100 des femmes là-bas ne sont pas instruites. Il leur a envoyé des livres sur la démocratie, les valeurs démocratiques et les droits de la personne. Elles ne peuvent pas comprendre cela; elles n'ont jamais entendu parler de ces principes.

J'ai préparé un plan qui fait état de la manière dont nous pouvons les appuyer et les aider. Je crois que vous l'avez. Je suis un politicien, mais je suis aussi un homme d'affaires depuis 20 ans. C'est pourquoi je réfléchis à la manière dont nous pouvons aider ces gens.

Le sénateur Zimmer : Merci beaucoup d'être ici et merci de votre sincérité et de votre franchise. Je sais que vous étiez ici plus tôt lorsque j'ai dit être allé en Afghanistan il y a deux ans et avoir traversé le grillage. On m'a demandé pourquoi j'ai pris ce risque. J'ai répondu que je voulais voir ce qui se passe vraiment, pour au moins me faire une idée. Certains des membres du Comité de la défense nationale ont dit : « Nous leur parlerons par vidéoconférence ou nous leur demanderons un rapport. »

Le sénateur a posé une très bonne question. Cette information est-elle en grande partie triée par la presse, qui finit par imprimer les articles qui font son affaire et qui lui permettront de faire de l'argent en raison de leur sensationnalisme?

Ce qu'il faut savoir, c'est si cette information est vraie. Que pouvons-nous faire pour obtenir des renseignements fiables et non seulement des versions édulcorées de la réalité afin que nous puissions réagir aux enjeux les plus importants? En cours de route, il y a tellement de couches, comme un oignon, qu'il est difficile d'atteindre le centre. Comment faire pour aller au-delà de tout ça et obtenir de l'information exacte en vue de prendre les bonnes décisions?

M. Khan : Malheureusement, la majorité des gens limitent leur évaluation aux villes. Ils se rendent dans les grandes villes et affirment que c'est cela, la situation en Afghanistan. Ce n'est pas vrai. Nous devons avoir accès aux régions rurales. Dans mon rapport, je n'ai parlé que des régions rurales. La plupart des gens là-bas peuvent nous fournir des renseignements exacts parce qu'ils n'ont pas accès aux médias. Ils vous parleront de la situation réelle. Ils le feront tout de suite.

J'ai récemment rencontré une personne qui venait de Jalalabad, qui est la capitale de la province de Nangarhâr, près de la frontière avec le Pakistan. Il vivait dans un petit village. Il m'a dit qu'il était étrange qu'un long article ait été écrit sur son village parce qu'il n'y avait rien là-bas. Il venait de là, et il n'y avait rien là-bas. Si on a accès aux habitants locaux et que l'on ne se concentre que sur les régions rurales, on obtiendra de l'information exacte, et non l'information fournie dans les villes. Seuls les habitants des régions rurales peuvent nous fournir de l'information exacte. Il m'a dit que l'article faisait deux pages, mais je n'ai rien vu là-bas. L'article disait qu'il y avait des écoles, une bibliothèque et des centres de santé, et cetera, mais il n'y avait rien. L'information que nous trouvons sur Internet, ou dans les médias électroniques et la presse n'est pas exacte; il faut le savoir. La situation en Afghanistan me touche de près. C'est mon pays. Les Pachtounes considèrent l'Afghanistan comme leur pays d'origine. Nous devons communiquer avec les gens ordinaires pour avoir l'heure juste.

Lorsque j'ai entendu dire que notre mission de combat allait devenir une mission d'entraînement, j'ai pensé que c'était fantastique. Mais à quoi pensons-nous? Ils n'entraînaient pas seulement les gens en Afghanistan. Ils avaient été invités en Afghanistan, au Kazakhstan, au Tadjikistan, au Kirghizistan, au Turkménistan et en Azerbaïdjan. Ils offraient un entraînement là-bas mais, là non plus, ils n'ont pas gagné le cœur des gens, qui disaient : « Je n'ai rien à manger; je ne suis pas en sécurité; je n'ai pas d'éducation; mes enfants ont faim, et nous ne pouvons rien faire. » Ils ont dit : « D'accord. Nous voulons vous former » — et lorsqu'ils sont retournés là-bas, ces personnes qu'ils avaient formées appuyaient les moudjahidines. J'ai un peu peur que cette situation se reproduise.

Par exemple, à l'époque où ils ont amené Babrak Karmal à Kaboul, on l'appelait le « maire de Kaboul », même s'il était le président de l'Afghanistan. Nous entendons maintenant les mêmes rumeurs au sujet du président Karzaï, que l'on appelle aussi le « maire de Kaboul ». On publie qu'il ne sait pas ce qui se passe à l'extérieur des villes.

S'ils n'établissent pas de rapports avec les personnes dans les régions rurales, ils ne gagneront pas leur cœur. C'est ce qui importe le plus. Comment pouvons-nous aider ces gens autrement? Les balles et les fusils ne les aident pas. Il n'est pas nécessaire de former tous les Afghans pour qu'ils deviennent de vrais soldats. J'aimerais vous parler de cela. Qui a formé les talibans? Je suis une personne instruite, mais je suis un bon combattant. C'est dans le sang des Pachtounes.

Dans n'importe quelle société où l'on va, il faut connaître la psychologie du peuple, ce à quoi il pense et qui il est. Si nous ne voyons sa société qu'à travers le prisme de la nôtre, nous ne pouvons rien faire là-bas. Nous devons lui parler.

Par exemple, personne n'a instruit les gens dans les régions rurales, alors lorsque quelqu'un arrive de Kaboul, ils croient que cette personne n'est pas pachtoune parce qu'elle vient de Kaboul. C'est un fait. C'est comme ça qu'ils pensent. Nous devons les éduquer.

Comment? Je ne parle pas d'éduquer les femmes; non, il est trop tard. Il y a sept enfants, en moyenne, par famille afghane. Dans la famille afghane, les hommes ont toujours été les gagne-pain. Ce sont eux qui subviennent aux besoins de leur famille. Après 23 ans de guerre, des milliers de familles ont perdu leurs hommes. Maintenant, les femmes doivent devenir les gagne-pain, mais c'est impossible, parce qu'il n'y a pas d'emplois ni de perspectives. Les femmes sont analphabètes.

J'ai écrit comment nous devons aborder le problème de l'emploi. Je parle non seulement des problèmes, mais également des solutions. J'ai réfléchi aux moyens dont nous pouvons les aider. Je suis un homme d'affaires et je sais comment leur parler. Si nous donnons un emploi à une femme — et je sais comment nous pouvons lui donner un emploi; je l'ai écrit ici — nous pouvons régler de nombreux problèmes.

Si une femme a de l'argent, elle enverra ses enfants à l'école, plutôt que de les envoyer demander de la charité dans la rue ou trouver un travail pour un salaire de crève-faim. Nous pouvons régler le problème de l'éducation de cette manière. S'ils tombent malades, ils pourront payer les médecins et acheter des médicaments. Cela règle le problème de la santé. Ces enfants seront soit à l'école soit à la maison, alors ils ne seront pas disponibles pour commettre divers crimes de rue. Ils sont toujours dans la rue, où les talibans, les mécréants ou les terroristes peuvent les aborder, et les attirer facilement pour faire ce qu'ils veulent.

De plus, ces femmes pourront payer leur épicerie, et il y aura de la nourriture sur la table parce qu'elles auront de l'argent. Une fois que ces enfants seront instruits, personne ne pourra les engager dans un mariage forcé, avant ou après l'âge de la majorité. Ainsi, le problème des droits de la personne sera réglé.

Il n'y aura pas de prostitution parce que, s'il y a de l'argent, la prostitution n'est pas nécessaire.

Lorsque les femmes font de l'argent dans la famille, les hommes ne peuvent pas les exploiter non plus, et la violence conjugale est réduite parce que les femmes ne dépendent plus des hommes. Lorsque les femmes dépendent des hommes, il y a de la violence conjugale et de nombreux autres problèmes. Toutefois, quand une femme est indépendante, il n'y a pas de violence parce qu'elle peut dire : « Pars de ton côté, et je partirai du mien. »

Il y a sept enfants, en moyenne, par famille afghane. Nous pouvons donc régler les problèmes de l'éducation, de l'alimentation, de la santé, de la sécurité, de la violence conjugale et du logement pour ces sept enfants. Nous pouvons protéger leurs droits, y compris leurs droits de la personne. Ces enfants sont l'avenir de l'Afghanistan et ils aideront à reconstruire le pays.

Je disais au sénateur Ataullahjan aujourd'hui que, en 1600, des représentants de la Compagnie anglaise des Indes orientales sont arrivés dans le sous-continent, en provenance du Royaume-Uni, en tant que commerçants. Ils travaillaient dans la collectivité locale. Ils ont gagné le cœur des gens et sont restés pendant 200 ans. Ils n'ont pas converti les Indiens de force. Ils sont arrivés en 1600 et sont restés pendant 200 ans.

Les Canadiens dépenseront beaucoup d'argent pour l'entraînement. Cependant, encore une fois, je veux vous dire que nous devrions dépenser cet argent pour mettre sur pied ces industries artisanales et j'ai décrit en détail la manière dont nous pouvons le faire.

Le sénateur Zimmer : Une seule femme peut provoquer tous ces changements.

Certains des membres de notre comité ne voulaient pas se rendre en Afghanistan et ont dit que nous pourrions tout simplement leur demander de venir nous parler ici, à Ottawa. Je félicite le sénateur Kenny, qui a insisté pour que nous nous y rendions, personnellement, même si nous avons risqué notre vie pour voir exactement ce qui se passe.

Vous avez mentionné les cultures. Il y a deux types de cultures. Qu'est-ce qui est cultivé? Comme nous le savons et comme nous l'avons vu, la culture de l'opium est très importante. Tout le monde peut maintenant voir des champs de blé, d'orge, de seigle, et ainsi de suite. Cependant, on sait que, dans les régions isolées, l'opium est toujours cultivé.

Comment mettre fin à cette culture? Pouvez-vous répondre brièvement à cette question? Quelle est la solution?

M. Khan : L'Afghanistan est l'un des plus grands producteurs de fruits secs. Les habitants des pays avoisinants mangent ces fruits secs.

Prenons l'exemple des pistaches. Les gens d'affaires et les exportateurs sont à Kaboul. Ils achètent les pistaches en vrac et les envoient aux femmes dans les régions rurales ou pas très loin pour qu'elles les emballent, les trient et les écaillent. Il y a toutefois une chaîne de courtiers. Pourquoi ne pourraient-ils pas donner 10 $ par jour à chaque femme? Qu'est-ce qui se passe? Ils donnent 8 $ à un sous-traitant et plus d'argent à un autre et à un autre, jusqu'en bas de l'échelle. Par conséquent, — et vous allez être surpris — lorsque les pistaches arrivent chez ces femmes, elles touchent 40 à 50 sous par jour. J'ai une solution à ce problème.

S'il y a un siège social à Kaboul et une communauté d'affaires en Afghanistan, — parce que je suis non seulement pachtoune, mais également un homme d'affaires là-bas, — nous pouvons réduire les intermédiaires et les courtiers. Les femmes pourront toucher, en un jour et demi, le même montant d'argent qu'elles font actuellement en un mois parce que nous donnerons l'argent directement aux femmes. Elles toucheront les 10 $ au complet parce que nous ne voulons pas faire d'argent; nous voulons seulement aider. Les pistaches ne sont qu'un exemple. Il n'y en a de nombreux autres.

L'Afghanistan est un producteur important de fruits frais, mais il ne compte pas d'industries de la transformation des aliments. La majorité des aliments se gaspillent donc. Nous pouvons mettre sur pied de petites industries alimentaires dans les régions rurales où ces fruits et légumes sont cultivés. Il s'agit également d'une industrie majoritairement féminine. Nous leur fournirons des emplois. Les femmes participent à l'industrie des pistaches, et elles peuvent également participer à cette industrie.

Il y a des pays qui fabriquent de nombreuses choses, mais le marché international établit des limites relativement à ce qui peut être importé vers certains pays. Il y a un système de quotas. Prenons l'exemple de l'Ouzbékistan et du Pakistan. Le Pakistan produit beaucoup de textiles, mais il a un système de quotas. Il peut seulement importer une certaine quantité de vêtements et de textiles de l'Europe et d'autres pays. Il doit respecter ces limites, mais il y a également des pays dans le monde qui sont appelés les pays les moins avancés ou les PMA, et les pays industrialisés leur ont donné la chance de se développer. Il n'y a pas de système de quotas pour ces pays, et l'Afghanistan en fait partie.

Nous pouvons importer des matières premières et des textiles du Pakistan pour aider les petits ateliers de confection de vêtements où travaillent, au plus, 100 femmes des petits villages dans les régions rurales et éloignées. Nous pouvons produire les biens finis à partir de leurs textiles parce que nous les importerons en tant que matières premières. Nous pouvons ensuite exporter ces produits vers n'importe quel pays, et le prix sera peu élevé parce qu'il n'y a pas de système de quotas. Disons qu'une paire de shorts coûte 4 $ au Pakistan. Avec le système de quotas, ce prix monte à 15 ou 20 $. Toutefois, en Afghanistan, si cette paire de shorts coûte 4 $, elle coûtera 5 $ à Washington ou au Canada.

Il y a deux types de projets, à court et à long termes. J'ai combiné les deux, puisque les femmes toucheront cet argent dans l'immédiat et puisque, à long terme, elles le dépenseront pour leurs enfants. C'est ça, l'aspect à long terme. Les projets qui visent uniquement des résultats à court ou à long terme ne fonctionnent pas.

Le sénateur Zimmer : Merci beaucoup de votre franchise.

La vice-présidente : Monsieur Khan, je sais que vous êtes ici depuis 13 h 30, et vous avez écouté tout ce que les autres ont dit. Si vous pensez à autre chose que vous aimeriez dire, faites-le savoir à M. Thompson. Nous pouvons bien sûr échanger d'autres informations une fois que vous aurez réfléchi à la séance de cet après-midi. J'aimerais vous remercier d'être resté tout l'après-midi. Nous apprécions votre présence et espérons avoir de vos nouvelles à l'avenir.

M. Khan : Merci.

(La séance est levée.)


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