Délibérations du comité sénatorial permanent des
Droits de la personne
Fascicule 7 - Témoignages
OTTAWA, le lundi 29 novembre 2010
Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd'hui, à 16 h 7, pour étudier le projet de loi C-3, Loi favorisant l'équité entre les sexes relativement à l'inscription au registre des Indiens en donnant suite à la décision de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique dans l'affaire McIvor v. Canada (Registrar of Indian and Northern Affairs), ainsi que pour examiner, pour en faire rapport, le rôle que le gouvernement du Canada peut jouer pour encourager la promotion et la protection des droits des femmes en Afghanistan quand le Canada aura mis fin à ses opérations de combat en 2011.
Le sénateur Nancy Ruth (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Nous entreprenons aujourd'hui l'étude du projet de loi C-3, Loi favorisant l'équité entre les sexes relativement à l'inscription au registre des Indiens en donnant suite à la décision de la Cour d'appel de la Colombie- Britannique dans l'affaire McIvor v. Canada (Registrar of Indian and Northern Affairs). Nous avons le plaisir d'accueillir notre premier témoin, l'honorable John Duncan, ministre des Affaires indiennes.
L'hon. John Duncan, C.P., député, ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, interlocuteur fédéral auprès des Métis et des Indiens non inscrits, et ministre de l'Agence canadienne de développement économique du Nord : Comme l'a dit le sénateur Andreychuk, cette comparution est mon vol inaugural devant le Sénat en qualité de ministre. J'ai déjà fait cela plusieurs fois dans ma carrière. C'est un plaisir d'être au milieu d'amis, notamment quelqu'un avec qui j'ai passé de nombreuses années au Comité des pêches, le sénateur Baker. Nous ne nous y sommes pas ennuyés, n'est-ce pas?
Le sénateur Baker : Non. J'étais le président.
M. Duncan : Le sénateur Baker déléguait très bien, je peux vous le dire, surtout quand il s'agissait de la côte Ouest.
Je crois, en qualité de ministre de la Colombie-Britannique, qu'il est assez approprié que nous traitions d'un projet de loi résultant d'un arrêt rendu par la justice de cette province.
[Français]
Honorables sénateurs, je vous remercie de m'avoir invité à comparaître devant ce comité pour discuter du projet de loi C-3, Loi sur l'équité entre les sexes relativement à l'inscription au registre des Indiens. J'apprécie la volonté du comité d'examiner ce projet de loi rapidement et rigoureusement.
[Traduction]
Avant de commencer mon allocution, j'aimerais vous présenter les fonctionnaires qui sont avec moi ici aujourd'hui : Roy Gray, directeur, Mesure législative spéciale, Secteur de la résolution et des affaires individuelles, et Brenda Kustra, directrice générale de la gouvernance, tous deux du ministère des Affaires indiennes et du Nord Canada. Nous avons aussi avec nous Martin Reiher, conseiller juridique principal, du ministère de la Justice Canada.
Le projet de loi C-3 vise deux objectifs. Premièrement, il devrait permettre de régler les problèmes particuliers de discrimination fondée sur le sexe dans la Loi sur les Indiens signalés par la Cour d'appel de la Colombie-Britannique. Deuxièmement, il respecterait le délai imposé au Parlement par la cour d'appel. L'an dernier, la Cour d'appel de la Colombie-Britannique a statué que deux alinéas de l'article 6 de la Loi sur les Indiens créaient une distinction entre les hommes et les femmes pour ce qui est de l'inscription à titre d'Indien et que, par conséquent, ils violaient les dispositions de la Charte canadienne des droits et libertés.
Plutôt que de déclarer que sa décision entrait en vigueur immédiatement, la cour en a suspendu les effets pour 12 mois, afin d'accorder au Parlement jusqu'au 6 avril 2010 pour modifier certaines dispositions relatives à l'inscription de la Loi sur les Indiens. Le projet de loi C-3 a été présenté à la Chambre des communes le 11 mars 2010, mais il était évident que l'adoption de ce projet de loi était impossible avant la date limite. Notre gouvernement a demandé deux prorogations, la première jusqu'au 5 juillet 2010 et la seconde jusqu'au 31 janvier 2011.
Cela veut donc dire que nous n'avons que peu de temps pour faire adopter le projet de loi C-3 par le Parlement si nous voulons respecter ce délai. Lorsque la cour a accordé la seconde prorogation en juillet, elle nous a laissé entendre qu'elle pourrait ne pas considérer une demande de prorogation supplémentaire de la même façon. Comme la cour l'a déclaré :
Nous aimerions rappeler au procureur général, cependant, qu'une décision finale rendue par les tribunaux selon laquelle des dispositions de la Loi sur les Indiens violent les droits constitutionnels représente une question sérieuse et qu'il faut y donner suite sans tarder.
Madame la présidente, si nous ne parvenons pas à respecter ce délai, une partie importante de la Loi sur les Indiens perdra son pouvoir légal, ce qui créera un vide législatif qui aura des conséquences pour les résidants de la Colombie- Britannique et pour les personnes affiliées aux Premières nations de la Colombie-Britannique.
Le projet de loi C-3 propose d'éviter de telles conséquences en modifiant certaines dispositions de la Loi sur les Indiens en matière d'inscription. Le projet de loi C-3 s'attaque à la racine du problème en accordant l'admissibilité à l'inscription pour la première fois aux petits-enfants admissibles de femmes ayant perdu leur statut d'Indienne en raison de leur mariage avec un non-Indien.
À l'étape du rapport à l'autre endroit, deux motions ont été adoptées afin de modifier le projet de loi C-3. La première modification rétablissait l'article 9, qui avait été rejeté lors de l'étude par le comité. Cet article interdit aux tribunaux d'exiger le versement d'une compensation, de dommages-intérêts ou d'une indemnité concernant les décisions prises en toute bonne foi par les représentants du gouvernement ou par les gouvernements des Premières nations en se basant sur les mesures législatives en place avant que les modifications apportées à la Loi sur les Indiens contenues dans le projet de loi C-3 entrent en vigueur.
L'article 9 protège non seulement la Couronne, mais également les gouvernements des Premières nations qui ont pris certaines décisions concernant les programmes et les services qu'ils offrent à leurs membres. Nous croyons que cet article est une disposition importante parce qu'il clarifie la Loi et qu'il évite de laisser entendre que les décisions passées seront révisées ou que les règlements antérieurs seront renégociés.
La seconde modification améliore le libellé de l'article 3.1 afin de refléter les recommandations des rédacteurs législatifs. Cet article, qui a été ajouté à l'étape de l'étude en comité, stipule que je dois, à titre de ministre, rendre des comptes au Parlement concernant la mise en œuvre du projet de loi dans les deux ans de l'entrée en vigueur de celui-ci. Les changements précisent que le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien sera chargé de rendre des comptes au Parlement.
[Français]
Le projet de loi qui vous est soumis est concentré étroitement à répondre à la décision de la Cour d'appel. De plus, je suis conscient qu'il existe un certain nombre d'enjeux plus vastes qui gravitent autour des questions de l'inscription et de l'appartenance.
[Traduction]
L'an dernier, à la suite d'un examen et d'une analyse approfondis de la décision de la cour, des fonctionnaires d'Affaires indiennes et du Nord Canada ont tenu des séances de discussion technique avec des représentants de cinq organisations autochtones nationales afin de recueillir leur point de vue concernant l'approche choisie par le gouvernement d'aller de l'avant avec les modifications législatives. À la suite de ces discussions, 15 séances de consultation ont été organisées à travers tout le pays pour présenter la réponse proposée par le Canada à la décision McIvor et recueillir les commentaires.
Des centaines de personnes ont participé à ces séances et de nombreux mémoires ont été soumis. Plusieurs thèmes communs revenaient dans ces séances et ces mémoires, qui comportaient plusieurs commentaires se rapportant à des questions plus vastes comme l'inscription, l'appartenance et la citoyenneté.
Je saisis bien la complexité de ces vastes enjeux, ainsi que la diversité des points de vue des Premières nations. Cependant, il faut tenir compte du délai serré et de l'intérêt d'éviter un vide législatif en Colombie-Britannique, et le projet de loi C-3 propose des changements qui donnent suite directement à la décision de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique.
[Français]
Les questions touchant à l'inscription, à l'appartenance et à la citoyenneté sont complexes et, par conséquent, il n'est pas possible d'élaborer une vaste réforme dans ce domaine du jour au lendemain ou isolément.
[Traduction]
Pour ces raisons, le ministère a sollicité et reçu des propositions des organisations autochtones nationales en vue du lancement éventuel d'un processus exploratoire distinct sur ces enjeux plus vastes, qui sera mis en œuvre si le projet de loi C-3 est adopté. Ces enjeux plus vastes seront examinés dans le cadre d'un processus qui sera élaboré conjointement avec les diverses organisations nationales autochtones, en participation avec les groupes et les membres des Premières nations de tout le pays.
Toutefois, aussi important ce travail puisse-t-il être, il ne peut avoir préséance sur le projet de loi C-3. Il ne faut pas perdre de vue que le projet de loi dont le Parlement est saisi découle de la décision d'un tribunal et doit respecter un délai fixé par ce tribunal. Comme la cour nous l'a rappelé en juillet, il ne doit pas y avoir de retards indus dans l'adoption du projet de loi C-3, parce que celui-ci vise « à remédier aux manquements à la Charte que notre cour a relevés. »
Je crois que l'accès aux droits de la personne et la protection offerte par ceux-ci doit s'appliquer également à tous les Canadiens, autochtones et non autochtones.
C'est pourquoi ce gouvernement a déposé le projet de loi C-21, une loi modifiant la Loi canadienne sur les droits de la personne, qui étend la portée des dispositions sur les droits fondamentaux de la personne à toutes les communautés des Premières nations.
C'est également la raison pour laquelle nous avons déposé le projet de loi S-4, la Loi sur les foyers familiaux situés dans les réserves et les droits ou intérêts matrimoniaux. J'aimerais saisir cette occasion pour vous remercier, madame la présidente, ainsi que les membres de ce Comité pour votre dévouement dans l'examen du projet de loi S-4, ainsi que pour les modifications adoptées par ce comité qui renforcent davantage ce projet de loi. Le projet de loi S-4 prévoit un processus qui permet aux Premières nations d'élaborer leurs propres lois en matière de biens immobiliers patrimoniaux qui reflètent les traditions culturelles et sociales de leurs communautés. J'espère qu'il sera adopté afin que ses importants objectifs puissent être atteints.
[Français]
C'est pourquoi nous travaillons au projet de loi C-3, en vue de nous conformer à la décision de la cour visant à aplanir les inégalités entre hommes et femmes au sens de la Loi sur les Indiens.
[Traduction]
Madame la présidente, le projet de loi C-3 représente un pas en avant de la part d'un pays qui poursuit un idéal de justice et d'égalité. J'encourage fortement tous les membres de ce comité à se joindre à moi pour appuyer le projet de loi C-3.
Le sénateur Baker : Je tiens tout d'abord à souhaiter la bienvenue au ministre devant ce comité du Sénat, en rappelant que j'ai passé de nombreuses années à ses côtés à la Chambre des communes et qu'il a beaucoup contribué à l'évolution de notre pays au cours des années. Il s'est toujours dévoué aux tâches qui lui étaient été confiées, quelles qu'elles soient, ce que je tiens à souligner même s'il appartient à un parti politique différent du mien.
Je m'adresse d'abord au ministre, après quoi j'aurai une brève question à poser à la représentante du ministère de la Justice.
Monsieur le ministre, vous dites que nous sommes pressés par le temps et devrions essayer d'adopter ce projet de loi aussi vite que possible. Vous dites aussi qu'on ne devrait pas apporter de modifications au projet de loi et que celui-ci ne porte que sur ce que disait la Cour d'appel de la Colombie-Britannique dans l'arrêt McIvor v. Canada. C'est bien cela?
M. Duncan : Permettez-moi d'abord de vous corriger. Nous appartenons au même parti, le parti côtier.
Le sénateur Baker : Nous étions ensemble au Comité des pêches.
M. Duncan : La portée de l'arrêt est très limitée. Il ne concerne que les petits-enfants des femmes mariées à des non- Indiens, et c'est aussi l'objet du projet de loi. Lors de toutes les consultations que nous avons tenues avant et après le dépôt du projet de loi, nous avons constaté qu'il y a toute une série de questions qui font l'objet de débats, comme savoir qui contrôle l'appartenance, la citoyenneté, et cetera. Les opinions sont très souvent divergentes.
Pour répondre aux préoccupations de la cour, nous n'avons pas d'autre choix que d'agir dans le cadre très restreint de son arrêt, puis de prendre un engagement. Nous avons pris l'engagement de lancer un processus exploratoire une fois que le projet de loi aura obtenu la sanction royale, si nous pouvons franchir cette étape. Nous avons pris cet engagement envers cinq organisations autochtones différentes. Le ministère fournira les fonds nécessaires. Toutes les personnes qui ont participé au processus du projet de loi C-3 savent quel sera le processus, et beaucoup s'y préparent déjà.
Le sénateur Baker : Monsieur le ministre, je doute que vous puissiez trouver un seul groupe représentant les femmes autochtones qui approuve le caractère restreint de ce projet de loi. Je suppose que tous les groupes qui se sont adressés à vous ont probablement recommandé un projet de loi de portée plus large, protégeant l'ensemble des droits des femmes. Est-ce que je me trompe?
M. Duncan : C'est peut-être une exagération. La question qui suscite la plus grande divergence d'opinion est de savoir pourquoi l'appartenance est déterminée par le gouvernement plutôt que par les Premières nations.
Le sénateur Baker : L'arrêt de la Cour suprême de la Colombie-Britannique sur la première instance avait une portée beaucoup plus large. S'il avait été accepté tel quel, je ne pense pas que le projet de loi correspondant susciterait autant de critiques. Il se trouve que le procureur général l'a porté en appel devant la Cour d'appel de la Colombie-Britannique en invoquant une interprétation très différente de celle retenue par le juge de la Cour suprême de la province.
Voici donc le problème, monsieur le ministre : pensez-vous que le projet de loi puisse être modifié pour refléter cette interprétation plus large de la problématique par le premier juge, comme de nombreux groupes le recommanderont à notre comité? Pensez-vous que cela serait irrecevable parce que ça dépasserait la portée du projet de loi? C'est une question très importante. Quelle est votre opinion?
M. Duncan : J'estime en effet que cela dépasserait considérablement la portée de ce projet de loi. Ce serait un projet de loi très difficile à formuler.
Le sénateur Baker : Je m'adresse maintenant au ministère de la Justice. Combien de temps a-t-il fallu à Mme McIvor pour obtenir un arrêt de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique? Est-il exact qu'on avait tenté d'interjeter appel devant la Cour suprême du Canada et qu'on avait essuyé un refus? J'aimerais avoir des précisions à ce sujet. Combien de temps a-t-il fallu à la plaignante pour aller au bout du processus, face à l'opposition constante du procureur général?
Martin Reiher, conseiller juridique principal, ministère de la Justice Canada : Mme McIvor avait demandé à être inscrite au registre des Indiens peu après l'entrée en vigueur des modifications législatives de 1985. Je crois qu'il lui a fallu deux ans pour obtenir une réponse du registraire. Elle a contesté la décision du registraire en 1989. En même temps, elle a contesté en justice la validité de la Loi sur les Indiens, et des questions de procédure très complexes sont apparues, en particulier parce que le procureur général du Canada arguait que les questions relatives à la Charte ne pouvaient pas être traitées dans le cadre d'une cause touchant la Loi sur les Indiens. Il y a donc eu deux procédures distinctes avançant en parallèle. On a passé beaucoup de temps à travailler sur le dossier avec l'avocat de Mme McIvor.
Ensuite, la procédure judiciaire a été suspendue pendant un certain temps. Je pense que les plaignants avaient soulevé certaines questions de financement et qu'il a fallu du temps pour que la question arrive devant la cour. En outre, réunir la grande quantité de documents nécessaires pour défendre la validité de la Loi sur les Indiens a aussi pris du temps.
En ce qui concerne la durée totale du processus, je peux vous dire que c'est en 1989 qu'elle s'est adressée pour la première fois à la justice pour obtenir réparation.
Le sénateur Baker : C'est-à-dire il y a 20 ans.
M. Reiher : Il y a 20 ans.
Le sénateur Baker : Je sais que la présidente souhaite intervenir pour mettre fin à mes questions, mais celles-ci portent sur un sujet qui lui tient beaucoup à cœur.
Après mûre réflexion, certains sénateurs pensent que toutes ces questions devraient être jugées aussi vite que possible sur le fond. Il conviendrait peut-être de se pencher à l'avenir sur l'action du procureur général, qui n'a cessé de s'opposer à la requête et de représenter l'autre partie, si je peux dire, de manière tellement sectaire, afin de donner au moins l'impression que ces questions sont vraiment jugées sur le fond.
En examinant la procédure que Mme McIvor a dû suivre dans cette affaire, j'ai constaté qu'elle a fait face à maintes motions d'annulation de déclarations et à des motions de modification de plaidoiries, et que ces motions émanaient essentiellement du procureur général. L'année 2006 est truffée de telles motions du défendeur, le procureur général.
Il y a au sein de ce comité un juge qui peut attester qu'il existe en droit pénal un code du ministère de la Justice selon lequel chaque procureur de la Couronne joue le rôle du ministre de la Justice. Cela ne semble toutefois pas être le cas dans des affaires telles que celle que nous examinons.
Nous adoptons un texte de loi et il faut 20 ans pour obtenir un jugement dans une affaire, simplement parce que le procureur général ne tient pas dès le début à ce qu'elle soit jugée sur le fond mais adopte plutôt une position partisane, comme si c'était lui qui était attaqué. Avez-vous quelque chose à dire à ce sujet? Y a-t-il un code de conduite pour les procureurs de la Couronne de votre ministère comme il y en a pour les procureurs de la Couronne qui plaident au pénal?
M. Reiher : Je conviens avec vous que le traitement des affaires judiciaires doit se faire sans sectarisme politique, c'est incontestable. L'affaire dont nous parlons soulevait des questions complexes. Le procureur général du Canada doit défendre l'intérêt de la Couronne, et je suis sûr que c'est ce qu'il a tenté de faire.
Cela dit, vous me demandez s'il y a un code de conduite. Tous les avocats sont des agents de la justice et doivent agir dans l'intérêt de la justice. Je pense que ce principe est important pour chaque avocat du ministère de la Justice. La manière dont nous abordons les poursuites a évolué ces dernières années, et je pense qu'elle est peut-être aujourd'hui plus ouverte qu'autrefois.
Le sénateur Hubley : Je vous remercie d'être ici aujourd'hui, monsieur le ministre. Veuillez excuser mon retard.
J'ai une question au sujet des sessions de participation. Elles se sont tenues après des séances d'information techniques, comme vous l'avez indiqué, avec cinq organisations autochtones nationales. Que répondez-vous aux gens des Premières nations qui affirment que des sessions de participation ne sauraient remplacer des consultations en bonne et due forme? Y a-t-il une raison pour laquelle le ministère n'a pas entrepris des consultations plus exhaustives au sujet de ses propositions d'amendement, sur une question qui revêt une importance considérable pour les membres des Premières nations? Pouvez-vous nous expliquer ce qu'est une session de participation par rapport aux autres formes de communication?
M. Duncan : La différence technique et juridique est considérable. Comme nous répondions à un arrêt de justice et voulions y répondre sans retard, je pense qu'on a considéré que des sessions de participation seraient une méthode plus adéquate, moins compliquée, plus rapide et plus axée sur la collaboration. En parlant de participation et de processus exploratoire, je pense que nous avons fait tout ce qui était nécessaire.
Ce n'est pas le gouvernement qui dirigera le processus exploratoire qui sera lancé après l'adoption du projet de loi. Ce sont les organisations autochtones nationales. Nous serons un observateur intéressé, soucieux de recevoir leur contribution. J'espère que cela fonctionnera de manière proactive.
La question de l'inscription est probablement celle qui pose le plus de difficultés dans la Loi sur les Indiens. Si vous examinez la vingtaine d'ententes globales sur l'autonomie gouvernementale, vous verrez qu'elles reposent généralement encore sur les dispositions d'inscription de la Loi sur les Indiens. Elles ne contiennent peut-être rien d'autre de la Loi sur les Indiens, à part les dispositions d'inscription. C'est un domaine complexe et nous avons pensé que nous devions nous fonder sur le contexte juridique que nous avait présenté la cour.
Je ne sais pas si Mme Kustra ou M. Gray veulent ajouter quelque chose.
Roy Gray, directeur, Secteur de la résolution et des affaires individuelles, Affaires indiennes et du Nord Canada : Je peux peut-être ajouter quelque chose sur le processus de participation.
On a demandé à quoi ressemblait le processus de participation et je peux donner quelques informations à ce sujet. On a préparé un document de réflexion, dans le contexte du principe que ce processus était adéquat pour ce que l'on faisait, c'est-à-dire, comme l'a dit le ministre, élaborer un texte de loi en réponse à l'arrêt de la cour. Ces sessions se sont tenues sur la base de ce document dans lequel on énonçait dans ses grandes lignes la manière dont le gouvernement pensait à l'époque répondre à l'arrêt.
Pour revenir à la question, les sessions étaient destinées à fournir des informations sur la pensée du gouvernement, et aussi à recueillir les réactions des participants. Cela s'est fait dans un délai relativement court, étant donné que la suspension de l'arrêt de justice était limitée dans le temps.
Nous avons recueilli beaucoup de réactions, à la fois durant les sessions et par correspondance. Dans l'ensemble, toutefois, comme on l'a dit, ces réactions ne portaient pas vraiment sur ce qui était proposé comme réponse à l'arrêt du tribunal mais plutôt sur les questions de portée plus large qui allaient faire l'objet du processus exploratoire.
Le sénateur Hubley : Où se sont tenues les 15 sessions de participation?
M. Gray : Un peu partout au pays. Il en a eu ici même, à Ottawa, avec le Congrès des peuples autochtones et avec l'Association des femmes autochtones du Canada. Pour les autres, nous avons travaillé avec les organisations régionales des Premières nations.
Le sénateur Hubley : Il y en a eu dans chaque province?
M. Gray : Pas dans chaque province et dans chaque région. Je dis cela parce que nous avons tenu une réunion avec le Atlantic Policy Congress of First Nations Chiefs Secretariat en Nouvelle-Écosse. Oui, dans chaque région.
M. Duncan : J'ai la liste des 15 sessions, si cela vous intéresse.
Le sénateur Hubley : Oui, cela m'intéresse. Merci.
M. Duncan : Voici les sessions qui se sont tenues en 2009 : 2 septembre, Assemblée des chefs de premières nations signataires d'un traité, à Edmonton, Alberta; 10 septembre, conseil tribal Gwich'in, à Inuvik, Territoires du Nord- Ouest; 12 septembre, Congrès des peuples autochtones, assemblée générale annuelle, à Ottawa, Ontario; 24 septembre, sommet des Premières nations, à North Vancouver, Colombie-Britannique; 25 septembre, Assemblée des femmes autochtones du Canada, 35e AGA, à Ottawa; 14 octobre, Congrès des chefs des Premières nations de l'Atlantique, à Dartmouth, Nouvelle-Écosse; 18 octobre, Femmes autochtones du Québec, AGA, à Montréal, Québec; 22 octobre, réunion du leadership Déné, à Dettah, Territoires du Nord-Ouest; 24 octobre, Association des femmes autochtones de l'Ontario, à Thunder Bay; 26 octobre, Union des chefs indiens de la Colombie-Britannique, Vancouver.
La présidente : Puis-je vous interrompre, monsieur le ministre? Cela se trouve à l'onglet 3 du classeur d'information.
M. Duncan : C'est à l'onglet 7 du mien.
Le sénateur Hubley : Très bien. Merci.
M. Duncan : Il ne m'en reste que quatre.
Le sénateur Hubley : Je sais, je comptais.
La présidente : Nous croyons que c'est à l'onglet 3 de nos classeurs. Tout y est.
M. Duncan : Oui, tout y est. Je sais ce que j'ai mais je ne sais pas ce que vous avez.
La présidente : Avez-vous autre chose, sénateur Hubley?
Le sénateur Hubley : Non, merci, madame la présidente.
Le sénateur Kochhar : Merci de comparaître devant le comité, monsieur le ministre. Si je comprends bien, nous essayons de dire que le projet de loi C-3 ne va pas assez loin et que sa portée est trop restreinte. Est-ce à cause de la contrainte de temps que nous voulons l'adopter rapidement, pour respecter le délai? Si nous ne l'adoptons pas, que se passera-t-il? Quelles difficultés cela posera-t-il? Qui sera touché? Pourrait-on proposer un autre projet de loi, de portée plus large? Pouvons-nous adopter ce projet de loi pour régler la cause judiciaire? Pouvez-vous nous expliquer cela, s'il vous plaît?
M. Duncan : Oui. Nous avons obtenu trois prolongations et la cour a maintenant perdu patience. Si le projet de loi n'est pas adopté d'ici au 31 janvier 2011, il y aura un vide législatif en Colombie-Britannique. L'article 6 de la Loi sur les Indiens sera déclaré nul et non avenu. Nous ne pourrons pas faire de nouvelles inscriptions dans le registre en Colombie-Britannique. Normalement, nous inscrivons entre 2 500 et 3 000 personnes par an dans cette province. Il ne pourra pas y avoir de nouvelles inscriptions.
En théorie, on pourrait déterminer que les inscrits de la Colombie-Britannique ne sont pas inscrits. Je ne pense pas que c'est ce que le ministère veuille faire mais les avocats des Premières nations m'ont fait part de cette préoccupation. Toutes les inscriptions seraient nulles et non avenues si le gouvernement décidait d'appliquer la loi à la lettre. Je ne pense pas que ce soit envisageable. Cela n'arrivera pas. Ce ne sera pas la fin du monde s'il n'y a pas d'inscriptions après le 31 janvier mais cela créera un vide législatif important qui causera à l'évidence des difficultés à certaines personnes.
Le sénateur Andreychuk : J'ai deux questions à poser. La première concerne le registre qui été créé en ne tenant pas compte de l'égalité telle que nous la comprenons aujourd'hui au titre de la Charte. On avait tenté de corriger ce problème en 1985 mais les tribunaux avait jugé que la mesure n'allait pas assez loin, si j'ai bien compris.
M. Duncan : Oui. En 1985, le projet de loi C-31 représentait une tentative de vaste portée pour corriger bon nombre d'inégalités entre les sexes dans les dispositions d'inscription de la Loi sur les Indiens. Je ne me souviens plus du nombre exact de personnes qui sont alors entrées dans le registre. Je crois qu'il y en a eu 110 000 cette année-là, ce qui représentait une augmentation de 20 p. 100. Cette mesure redressait le statut des enfants et petits-enfants des femmes mariées à des non-Indiens. Cette fois-ci, nous faisons un pas de plus en redressant la situation pour tous les petits- enfants, c'est-à-dire des femmes mariées à des non-Indiens ainsi que des hommes mariés à des non-Indiennes. C'est une différence importante. Mes enfants sont des enfants dits du 6(2), c'est-à-dire relevant du paragraphe 6(2) de la Loi sur les Indiens. Je crois savoir que le sénateur Brazeau est du 6(2) aussi, n'est-ce pas?
Le sénateur Brazeau : Oui.
M. Duncan : Si vous vous mariez en dehors, comme on dit, et que vous avez des enfants, cela vaut pour une génération, n'est-ce pas?
Le sénateur Brazeau : Veuillez m'excuser, je n'ai pas entendu la question.
M. Duncan : Votre enfant aurait le statut.
Le sénateur Brazeau : Si je me mariais en dehors, mes enfants n'auraient pas le statut. Mais ce n'est pas le cas.
M. Duncan : Exact.
Le sénateur Andreychuk : Voilà sa femme rassurée!
M. Duncan : Si vos enfants se marient en dehors, ils n'ont pas le statut.
Le sénateur Baker : Ils ont le statut jusqu'à l'âge de 21 ans.
M. Duncan : S'ils se marient en dedans, ils conservent leur statut. C'est très compliqué.
Le sénateur Andreychuk : Au fond, en ce qui concerne ce projet de loi, la cour a jugé qu'on avait tenté de rendre la situation plus équitable en apportant des modifications à la loi en 1985 mais qu'on n'était pas allé assez loin.
M. Duncan : Oui.
Le sénateur Andreychuk : La cour a dit que le gouvernement doit absolument répondre, et sa réponse sera ou non contestée en justice. Le projet de loi dont nous sommes saisis constitue la meilleure réponse du gouvernement pour résoudre les problèmes d'inégalité signalés par la cour.
M. Duncan : Exactement. Si vous demandez à notre avocat du ministère de la Justice, assis à ma gauche, combien il y a en permanence d'affaires devant les tribunaux concernant les dispositions d'inscription de la Loi sur les Indiens, il vous dira que c'est considérable, n'est-ce pas, monsieur Reiher?
M. Reiher : À l'heure actuelle, il y en a 16 à 18.
Le sénateur Andreychuk : La question n'est pas de savoir combien il y en a mais quel est l'objectif du projet de loi C- 3. Mme McIvor a intenté une action en justice. Un juge a répondu à sa requête. La cour d'appel a restreint la portée de la réponse et a ajouté, en ce qui concerne sa requête précise, que les modifications de 1985 apportées à la Loi sur les Indiens étaient insuffisantes et qu'il faut y remédier. Il y a des questions de portée plus large et des questions différentes. Comme dans le cas de la législation sur les biens matrimoniaux dont nous avons traité auparavant, des questions ont été posées au sujet de l'inégalité des femmes du point de vue des avantages auxquels ont droit les Autochtones, des opportunités et des lois. Il y a des variantes d'un endroit à l'autre et d'une question à l'autre, mais on bute aussi sur la communauté d'intérêts des peuples autochtones enchâssée dans la Charte.
Avons-nous l'assurance que le gouvernement a l'intention de continuer à s'attaquer à ces problèmes en s'adressant à la justice au coup par coup pour les régler, qu'il s'agisse des droits à l'égalité ou des droits collectifs qui sont énoncés à l'article 13, je crois?
Le sénateur Baker : La discrimination se trouve à l'article 15.
Le sénateur Andreychuk : C'est l'article 15 pour les Autochtones lorsqu'ils ont des droits collectifs, par opposition à des droits individuels, et nous parlons donc de droits individuels par rapport à des droits collectifs. Il y a toute une foule de questions en jeu, comme vous l'avez dit.
Voulez-vous dire que, si nous respectons cette date précise de l'arrêt judiciaire et réglons le problème avec le projet de loi C-3, vous êtes prêt à lancer un processus d'engagement au sujet de tous ces autres questions d'inégalité, qui peuvent avoir une très vaste portée, mais qu'un règlement négocié à ce sujet est préférable à des changements marginaux, année après année, par le truchement d'arrêts de justice individuels? Est-ce pour cette raison que vous faites une évaluation plus large?
M. Duncan : Oui. Il vaut toujours mieux négocier qu'aller devant les tribunaux, et c'est ce que nous faisons. C'est aussi parce qu'on nous demande massivement d'aborder le problème d'un point de vue global étant donné qu'on considère que ceci n'en règle qu'un aspect très restreint.
Beaucoup de choses ont changé dans notre relation avec nos peuples autochtones et nos Premières nations, notamment depuis 1967, lorsque le droit de vote leur a été accordé. Avant cela, ils ne pouvaient pas voter, et nous avons essayé de nous réconcilier sur toutes sortes de fronts.
Si vous ne pouvez pas formuler une plainte au titre de la Loi canadienne sur les droits de la personne, qu'est-ce que cela vous donne? Si vous ne pouvez pas aller là, où allez-vous? Vous devez aller devant les tribunaux.
Le fait que la Loi canadienne sur les droits de la personne entrera en jeu en juillet 2011 aura un effet positif. Nous espérons que les problèmes seront traités plus souvent à ce niveau plutôt que devant les tribunaux.
Avec ce processus exploratoire, nous engageons un processus avec les cinq organisations autochtones nationales qui sont toutes concernées par ce dossier et par les dispositions d'inscription, d'une manière ou d'une autre. Nous espérons qu'elles pourront contribuer à la solution. Je soupçonne qu'elles ne seront pas toutes d'accord et je suppose qu'il y aura également certains désaccords entre leurs diverses recommandations. Sommes-nous un arbitre ou un juge? Nous faisons de notre mieux pour travailler en partenariat mais ces décisions ne sont pas toujours faciles à prendre.
Le sénateur Andreychuk : Le processus consiste donc à essayer de cerner ces problèmes en consultant les dirigeants autochtones qui détiennent aussi une certaine responsabilité à l'égard des droits à l'égalité de leurs membres. Cela ne veut pas dire qu'il n'y aura pas d'autres actions en justice, évidemment.
M. Duncan : Non, je ne crois pas.
La présidente : Comme vous dites, il y aura peut-être une grande diversité d'opinions durant ce processus exploratoire. Dans les notes d'information que j'ai lues, je n'ai vu aucun mécanisme précisant quand le ministère communiquera à nouveau avec ces groupes au sujet de leurs propositions. Vous serait-il possible de vous organiser pour pouvoir leur répondre dans un délai de quatre mois?
M. Duncan : Vous parlez du processus exploratoire?
La présidente : Oui.
M. Duncan : Le processus exploratoire démarrera immédiatement mais nous ne pouvons prédire combien de temps il prendra.
La présidente : Mais, une fois qu'ils vous auront fait rapport, il n'y a aucun mécanisme indiquant quand vous devrez leur répondre.
M. Duncan : C'est vrai.
La présidente : Seriez-vous prêt à vous engager ici à leur répondre dans un délai de quatre mois, disons, ou de six mois?
M. Duncan : Je demande conseil à ma collaboratrice.
Brenda Kustra, directrice générale, Secteur des opérations régionales, Affaires indiennes et du Nord Canada : Comme le dit le ministre, le processus exploratoire sera prêt à démarrer lorsque le projet de loi C-3 aura été adopté. Les organisations autochtones nationales, ainsi que les organisations régionales, entreprendront un processus de dialogue pour recueillir l'opinion de leurs membres, de leurs dirigeants, des Indiens en milieu urbain, des jeunes, des femmes et des Anciens, pour rassembler un très large éventail d'activités au sujet de ces questions d'appartenance, d'inscription et de citoyenneté.
Notre objectif est d'obtenir à la conclusion de ce processus un rapport exposant l'opinion des diverses personnes venues communiquer leur point de vue. Il se peut qu'il y ait des recommandations sur la manière d'avancer, mais ce ne sera pas nécessairement le cas. Le processus exploratoire est destiné à recueillir l'opinion de gens de tout le pays et ensuite, peut-être, à passer à l'étape suivante sur ce qu'il convient de faire. Par exemple, devrait-on envisager un autre texte de loi, ou une reconnaissance de compétence constitutionnelle, ou voir s'il y a d'autres options?
Nous ne savons pas si les rapports des organisations contiendront des recommandations précises sur les mesures suivantes que devraient prendre le ministre et le gouvernement pour régler le problème. Il se peut qu'ils ne contiennent qu'un exposé des opinions exprimées dans l'ensemble du pays.
En règle générale, nous essayons de répondre aux rapports émanant des organisations.
La présidente : Dans quel délai le faites-vous?
Mme Kustra : De manière opportune. Nous n'avons pas d'échéancier précis pour les divers types de travaux que nous faisons avec les organisations des Premières nations et les organisations autochtones, mais nous essayons de le faire de manière opportune afin de pouvoir passer aux étapes suivantes. Nous ne fixons généralement pas d'échéancier arbitraire.
Le sénateur Brazeau : Je saisis évidemment l'urgence et l'importance de ce projet de loi. S'il n'est pas adopté, il y aura un vide législatif en Colombie-Britannique et les gens ne pourront pas s'inscrire. S'il est adopté, les gens pourront continuer à s'inscrire et, si j'en crois les chiffres du ministère, le nombre de personnes admissibles non seulement à recouvrer leur statut mais aussi à avoir le droit d'être reconnues comme appartenant à une Première nation pourrait s'élever à 45 000.
Je crois que nous estimons tous les deux que la Loi sur les Indiens est un texte paternaliste, surtout en ce qui concerne les dispositions relatives au statut. Sans aller dans les détails, les femmes autochtones épousant des hommes non autochtones perdaient leur statut, alors que les femmes non autochtones épousant des hommes autochtones acquéraient le statut d'Indiennes. Les amendements de 1985 ont réglé certaines des inégalités. Ce texte de loi fait un pas de plus et, évidemment, les amendements ont été proposés par le gouvernement conservateur précédent et par le gouvernement actuel.
Même si le projet de loi est adopté, il y aura encore certaines inégalités fondées sur le sexe à cause des dispositions relatives au statut. Depuis le dépôt du projet de loi au Sénat, la semaine dernière, bon nombre de membres des Premières nations m'ont fait savoir qu'ils tiennent à ce qu'il soit adopté parce qu'ils souhaitent être reconnus comme membres des Premières nations. Toutefois, certaines personnes ne seront pas touchées par ses dispositions parce qu'il ne va pas assez loin.
Vous avez parlé du processus exploratoire qui sera engagé et qui a déjà débuté avec les organisations autochtones nationales. Croyez-vous que vous aurez suffisamment d'informations en mains, à la fin de ce processus exploratoire, pour envisager d'étendre la portée du texte de loi ou pousser la réforme législative plus loin?
Je vais même plus loin : si vous recevez des propositions progressistes qui tiennent debout, serez-vous prêt à envisager, si c'est recommandé par les personnes qui ont besoin de le recommander, une transition au sujet de qui devrait décider qu'une personne possède le statut d'Indien dans ce pays et qui ne le possède pas? En qualité de ministre, vous avez le pouvoir de décider qui est Indien et qui ne l'est pas, ce qui est un très grand pouvoir. Si vous recevez de telles propositions, aurez-vous l'esprit assez ouvert pour être prêt à discuter de la possibilité de transférer ce pouvoir aux peuples des Premières nations eux-mêmes?
M. Duncan : La manière la plus facile pour moi de répondre consiste probablement à vous dire qu'on a adopté de nombreux textes de loi qui ont retiré des pouvoirs au ministre, par exemple la Loi sur la gestion des terres des premières nations, et certaines dispositions électorales.
Je ne déteste rien de plus que d'avoir à renverser le résultat d'une élection. Rien ne m'embête plus que de devoir signer des transactions foncières normales et banales qui doivent passer par Ottawa. C'est foncièrement anti- progressiste.
Sur le plan des principes, si je vous disais que rien ne me plairait plus que de me débarrasser de certaines des dispositions relatives à l'inscription, ce serait conforme à l'orientation que nous avons prise sur d'autres questions. La réserve que j'exprime à ce sujet, cependant, c'est que nous n'aurions probablement pas cette discussion s'il n'y avait pas le fait que le statut confère certains avantages, comme des services de santé non assurés, certains services d'enseignement postsecondaire, et cetera. Cela coûte de l'argent au gouvernement. Il ne suffit pas de dire que moi- même ou le ministère voulons prendre cette décision. Ce n'est pas aussi facile que cela. Il s'agit de décisions du gouvernement, de décisions exigeant un certain processus et, partant, beaucoup plus de temps.
Nous devrons à un moment ou un autre régler la question de l'inscription de manière concrète et pragmatique, mais il faudra aussi tenir compte des facteurs de coût. Avec la population inscrite, toutes les pressions sont à la hausse. La population autochtone augmente rapidement. Outre les dispositions du projet de loi, qui changeront considérablement les choses, il y a la création de la bande de la Première nation Qalipu Mi'kmaq dans le Canada atlantique, qui apportera probablement 30 000 nouveaux membres aussi.
C'est probablement la meilleure réponse que je peux vous donner actuellement.
Le sénateur Brazeau : En ce qui concerne le processus exploratoire, croyez-vous qu'il débouchera sur une sorte d'autre engagement ou d'autre relation entre les Premières nations et le gouvernement du Canada? Nous pourrions parler d'autres questions mais je parle précisément des dispositions de statut de la Loi sur les Indiens.
M. Duncan : Nous devons repenser toute cette problématique, et nous entendrons probablement beaucoup de points de vue. Je suis sûr que de très bonnes idées sortiront du processus.
Il n'y a pas eu autant de débat ou d'engagement qu'il l'aurait fallu sur cet aspect de la Loi sur les Indiens. Nous avons maintenant l'expérience de plusieurs accords d'autonomie gouvernementale en vertu desquels les Autochtones contrôlent leur appartenance et la citoyenneté. L'inscription relève toujours de la Loi sur les Indiens mais l'inscription ne les touche pas dans la mesure où ils ne sont pas membres d'une bande s'ils ne décident pas qu'ils le sont.
La présidente : Merci beaucoup, monsieur le ministre. C'est la fin de cette partie de la séance.
Bienvenue à tout le monde. À l'intention de nos merveilleux téléspectateurs, je précise que nous tenons notre dernière réunion destinée à examiner, pour en faire rapport, le rôle que le gouvernement du Canada peut jouer pour encourager la promotion et la protection des droits des femmes en Afghanistan quand le Canada aura mis fin à ses opérations de combat en 2011. Pour ce faire, nous accueillons trois groupes de témoins représentant respectivement l'Agence canadienne de développement international, l'ACDI, la Gendarmerie royale du Canada, la GRC, et Affaires étrangères et Commerce international Canada, le MAECI.
Gordon Venner, sous-ministre adjoint, Afghanistan, Moyen-Orient et Maghreb, Affaires étrangères et Commerce international Canada : Permettez-moi de préciser que je ne suis responsable du dossier de l'Afghanistan que depuis sept semaines environ. Je sais que certains membres du comité s'intéressent au dossier depuis une dizaine d'années, et je n'ai donc pas trop le sentiment d'être l'expert parmi vous. Je peux cependant vous donner quelques informations sur l'évolution de la situation. Je suis accompagné de mon collègue, Adrian Norfolk, qui possède une expérience du dossier de l'Afghanistan acquise sur le terrain et qui pourra donc intervenir si mes réponses sont un peu floues. Je ferai une brève déclaration liminaire avant de donner la parole à Mme Ducros. J'ajoute enfin que nous avons avec nous le commissaire adjoint de la GRC, Graham Muir, ainsi que l'agente Marie-Josée Fournier, de la police de Toronto, qui a elle aussi servi en Afghanistan.
Je vous remercie beaucoup de nous avoir invités à témoigner. Comme vous le savez, les femmes et filles de l'Afghanistan ont été confrontées à des défis énormes sous le régime des talibans. Elles sont sujettes à des lois très strictes qui portent atteinte à leurs droits humains fondamentaux. Aujourd'hui encore, elles sont confrontées à la discrimination, à la violence et à la pauvreté, chez elles et dans leurs collectivités. Ironie du sort, il leur est toujours impossible d'avoir accès aux institutions mêmes qui ont été mises sur pied pour protéger leurs droits.
Cela dit, des progrès ont été réalisés pour protéger les droits des femmes en Afghanistan, avec l'appui du Canada et de ses partenaires internationaux. L'un des objectifs fondamentaux de notre engagement en Afghanistan est précisément de faire plus dans ce domaine. En vous parlant des activités du MAECI là-bas, et de celles de l'ACDI, dont parlera Mme Ducros, je pense que vous aurez une meilleure idée de la situation générale.
En ce qui concerne les activités du MAECI, le Canada renforce les principes des droits humains dans l'entraînement et le mentorat des Forces de sécurité nationale afghanes et des services correctionnels. À Kaboul, des agents de la police civile font du mentorat auprès de l'unité de l'égalité des sexes et des droits humains du ministère de l'Intérieur, et ils entraînent des agents de la police nationale afghane sur le rôle d'un agent de police et sur les droits humains. À Kandahar, des agents de police canadiens ont élaboré et dispensé un cours pour sensibiliser les femmes membres de la police nationale afghane aux questions de sécurité. Ce cours est destiné à leur inculquer les compétences nécessaires pour se protéger dans l'exercice de leurs fonctions.
Nous contribuons aussi à la réforme du secteur de la justice, dans le but de renforcer l'appareil judiciaire afghan sur la promotion et la protection des droits humains. Nous avons eu recours à un expert en rédaction de textes législatifs spécialisé sur les droits des femmes et le droit islamique, afin de rehausser les capacités du ministère afghan de la Justice. Nous sommes le pays qui contribue le plus à l'unité récemment créée de protection des droits humains au ministère afghan de la Justice, unité qui est chargée de rehausser la capacité du gouvernement afghan à intégrer les questions de droits humains dans son travail. Nous avons aussi financé la formation de magistrats de Kandahar sur les droits des femmes en droit islamique et sur la violence faite aux femmes.
Le MAECI fait aussi un travail considérable de promotion dans ce domaine. En partie grâce à l'action sociale et diplomatique du Canada et de la communauté internationale, des progrès ont été réalisés par et pour les femmes afghanes depuis la chute des talibans. L'Afghanistan s'est doté d'un appareil législatif pour protéger les droits des femmes. Sa Constitution, adoptée en 2004, entérine l'égalité des hommes et des femmes devant la loi. L'Afghanistan a ratifié les traités internationaux sur les droits humains, comme la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes, la CEDAW. De même, il a modifié certaines de ses lois dans l'intérêt explicite des femmes.
La présidente : Pourriez-vous lire votre texte un peu plus lentement car nous ne l'avons pas sous les yeux?
M. Venner : Bien sûr, je vais ralentir.
En juillet 2009, le président Karzaï a signé une Loi sur l'élimination de la violence faite aux femmes, autre mesure destinée à protéger les droits des femmes en Afghanistan. Depuis l'entrée en vigueur de cette loi, nous encourageons le gouvernement afghan à prendre des mesures concrètes en vue de son application. Nous avons eu le plaisir d'entendre le gouvernement afghan s'engager à ce sujet lors de la conférence de Kaboul en juillet. Le vrai critère de succès des nouvelles lois du gouvernement afghan destinées à protéger les droits humains sera cependant la manière dont elles sont interprétées par les tribunaux afghans, notamment du point de vue des mesures concrètes destinées à faire avancer les droits des femmes. Nous intervenons régulièrement auprès de nos homologues afghans pour souligner l'importance de veiller à ce que les lois afghanes soient rédigées et mises en application conformément aux dispositions de la Constitution afghane et des obligations légales internationales de l'Afghanistan.
Je sais que les membres du comité sont parfaitement au courant de certains des défis que nous avons dû relever. En mars 2009, par exemple, une Loi sur le statut personnel chiite a été adoptée par décret présidentiel. Elle contenait plusieurs dispositions transgressant les obligations internationales de l'Afghanistan en matière de droits humains. Le Canada est intervenu à maintes reprises à ce sujet auprès des plus hautes autorités du gouvernement afghan, avec des groupes de la société civile et avec ses partenaires internationaux. Le travail effectué par la société civile afghane pour faire modifier cette loi marque une étape importante dans l'évolution du débat public en Afghanistan. Ces efforts ont finalement amené le gouvernement afghan à réviser la loi, laquelle a été modifiée en juillet 2009. Le Canada et la communauté internationale ont souligné que la loi révisée répondait à leurs préoccupations les plus graves. Les organisations de la société civile afghane et des organisations de protection des droits humains ont également réagi positivement à la modification de cette loi.
Plus tôt cette année, le Canada et ses partenaires internationaux ont appris que le gouvernement afghan avait mis en œuvre une loi d'amnistie en novembre 2008, ce qu'il n'avait rendu public qu'à la fin de 2009. Divers groupes de protection des droits humains ont exprimé des réserves au sujet de cette loi, et le Canada a transmis ses propres préoccupations à ce sujet à de multiples niveaux du gouvernement afghan.
Comme le montrent ces exemples, l'environnement politique de l'Afghanistan est délicat et imprévisible, mais notre expérience sur place nous a beaucoup appris. Nous avons ainsi appris que personne ne peut être plus crédible et plus efficace que les Afghans eux-mêmes pour faire du lobbying en faveur des droits des afghans. Les femmes afghanes en vue dans la société témoignent d'une détermination indéfectible face aux difficultés et aux risques considérables auxquels elles-mêmes et leurs familles sont exposées. L'objectif du Canada est d'aider les Afghans à défendre leurs droits et à tenir leur gouvernement responsable en la matière.
À cet égard, nous collaborons étroitement avec les institutions de l'Afghanistan et les groupes de la société civile soucieux de promouvoir les droits humains dans ce pays. Des représentants du Canada rencontrent régulièrement les dirigeants afghans et les groupes de femmes, comme la Commission indépendante des droits de la personne en Afghanistan, l'AIHRC, ainsi que le Réseau des femmes afghanes. Cette année, leurs interventions ont porté notamment sur la Loi sur le statut personnel chiite, la Loi sur l'élimination de la violence envers les femmes, la question de la réconciliation, et le besoin d'une plus grande représentation féminine dans les conférences nationales et les instances internationales.
Nous avons constaté une mobilisation accrue des groupes de femmes, ainsi que des progrès en matière de droits humains, notamment les droits des femmes et des minorités qui devront absolument être préservés et respectés dans tout processus de réconciliation. Lors de la conférence de Kaboul en juillet, le ministre des Affaires étrangères et du Commerce international a insisté sur le fait que la réconciliation et la réintégration devront être conformes aux obligations légales internationales du Canada.
Pour l'avenir, l'engagement du Canada en Afghanistan se transformera en 2011 avec la fin de notre participation aux combats. Nos activités futures prendront appui sur notre valeur ajoutée, tout en reflétant les besoins de l'Afghanistan. Les femmes et les filles ont un rôle crucial à jouer pour assurer la paix et la stabilité de leur pays. Ce rôle restera au premier plan de la planification de notre engagement après 2011. Renforcer la sécurité, promouvoir la règle de droit et protéger les droits humains resteront nos objectifs primordiaux, en tirant parti de notre réputation de partenaire respecté dans ces domaines. Cela veut dire que nous continuerons à chercher des occasions d'œuvrer en partenariat avec les institutions afghanes et les groupes de la société civile.
En conclusion, le changement en Afghanistan est une affaire de petits pas. Les femmes afghanes continuent d'être des partenaires importants pour focaliser et piloter nos efforts de promotion des droits humains. Avec l'appui de la communauté internationale, nous avons la conviction que les femmes afghanes et leurs groupes pourront accomplir de grands progrès. Je vous remercie de votre attention. Je cède la parole à mes collègues de l'ACDI et répondrai ensuite volontiers à vos questions.
La présidente : J'invite les sénateurs à retenir leurs questions pour le moment car nous allons d'abord entendre toutes les déclarations liminaires.
Le comité vient de terminer une étude sur la résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations Unies. Je constate que vous n'en avez pas parlé. Nous voulons savoir ce que la police, l'ACDI et d'autres font pour en assurer la mise en œuvre au Canada et ailleurs.
Francoise Ducros, vice-présidente, Groupe de travail sur l'Afghanistan, Agence canadienne de développement international : C'est avec plaisir que je m'adresse au comité pour parler des activités de l'ACDI à l'appui des droits des femmes et des filles en Afghanistan, et des leçons que nous avons tirées de notre expérience. J'ai aussi le plaisir d'être accompagnée de James Melanson qui est rentré récemment de l'Afghanistan où il a occupé le poste de directeur du développement à Kandahar.
Les femmes en Afghanistan continuent de faire face aux difficultés dont mon collègue vient de parler, mais il ne faudrait pas sous-estimer les progrès qu'elles ont réalisés, ni leur détermination à participer pleinement à la vie de leur société. L'ACDI a contribué à ce processus en œuvrant à plusieurs niveaux.
Tout d'abord, l'ACDI travaille directement avec les femmes, leurs familles et leurs collectivités, pour améliorer leur vie de manière très concrète et durable. Par exemple, nous nous efforçons d'améliorer l'accès à un enseignement de qualité, notamment pour les filles. L'éducation n'est pas seulement un droit humain, c'est aussi un facteur important de protection des autres droits puisqu'elle aide les filles à acquérir des compétences qui leur permettront de participer pleinement à la vie de leur société. Nous sommes l'un des principaux donateurs du Programme d'amélioration de la qualité de l'éducation, le programme EQUIP, qui est un programme national destiné à aider le ministère concerné à promouvoir l'éducation des filles en accordant la priorité aux enseignantes et en améliorant la prestation générale d'un enseignement de qualité.
Là où existent des obstacles à l'obtention d'un enseignement formel, nous appuyons l'enseignement communautaire, qui s'est avéré un pont efficace vers le réseau formel. Cela nous a permis d'atteindre plus de 135 000 élèves, dont 80 p. 100 de filles.
[Français]
L'agence reconnaît aussi l'importance d'appuyer le leadership des Afghanes pour qu'elles défendent leurs propres intérêts dans l'immédiat. Par conséquent, accroître la participation des femmes aux élections a été une priorité pour l'agence dans le cadre de son appui aux processus démocratiques et nationaux en Afghanistan. Les projets financés par l'ACDI ont aidé 70 p. 100 des femmes qui se sont présentées aux élections des conseils provinciaux en 2009 et 64 p. 100 des candidates aux élections parlementaires qui se sont déroulées en septembre.
Ces projets ont permis à des femmes leaders de recevoir concrètement de l'assistance sous forme de formation intensive sur les campagnes électorales pour les conseillers provinciaux et les membres du Parlement, l'établissement objectif et le ciblage des électeurs, la rédaction de messages et l'art de parler en public, la création de liens avec la collectivité, la budgétisation et la collecte de fonds et la planification d'une campagne électorale. Ces dirigeantes ont également bénéficié de ressources matérielles (des affiches et des cartes professionnelles), ainsi que des possibilités de réseautage et de communication avec les médias.
[Traduction]
Finalement, nous comprenons l'importance de faire des investissements institutionnels pour renforcer l'appareil au sein duquel les droits humains, dont les droits des femmes, peuvent être protégés par l'Afghanistan lui-même.
Parmi ces initiatives, mentionnons l'appui de l'ACDI à la Commission indépendante des droits de la personne en Afghanistan. Entre 2007 et 2010, nous lui avons fourni 7 millions de dollars pour l'aider à mettre en œuvre son plan d'action de trois ans, ce qui fait du Canada le premier donateur de cette importante institution afghane.
Nous avons beaucoup à apprendre quand nous agissons dans des contextes aussi difficiles que l'Afghanistan. En forgeant des relations avec nos partenaires, sur la base de nos intérêts communs et de la confiance, nous sommes souvent en mesure de collaborer sur des questions délicates comme celles qui concernent la famille et la position des femmes et des jeunes filles dans la société.
À Kandahar, en particulier, nous avons adopté plusieurs stratégies pour répondre à la dure réalité à laquelle les femmes sont confrontées. Nous avons adopté une organisation flexible du travail à l'intention de notre personnel féminin professionnel, de façon à réduire la menace qui pourrait résulter de son association avec l'Équipe de reconstruction provinciale. Nous avons fait un usage créatif du Programme des initiatives locales de Kandahar pour dispenser un appui discret aux organisations locales œuvrant dans des domaines sensibles, comme la formation des femmes de Kandahar sur les droits humains.
[Français]
Les femmes dirigeantes les plus en vue à Kandahar sont souvent victimes de menace ou de violence et elles sont à risque de se faire tuer. L'agence a adopté un certain nombre de stratégies pour faire face à cette réalité. Par exemple, le personnel féminin embauché localement bénéficie de mesures d'adaptation flexibles au travail afin de réduire les menaces qui pourraient survenir en raison de leur lien avec l'équipe de reconstruction.
De plus, l'agence use d'imagination pour mettre à profit le Programme des initiatives locales de Kandahar afin de fournir un appui discret aux organisations chargées de projets de nature délicate comme la formation des femmes de Kandahar sur les droits fondamentaux. Dans la province de Kandahar, l'agence a aussi trouvé des moyens ciblés pour aider les femmes à domicile, entre autres dans les secteurs de l'horticulture, de l'aviculture et de la formation professionnelle.
[Traduction]
Je répondrai avec plaisir à vos questions sur nos activités et suis prête à passer dans un contexte plus informel pour aborder des questions particulières.
La présidente : Votre collègue a-t-il quelque chose à nous dire immédiatement?
James Melanson, directeur général, Groupe de travail sur l'Afghanistan, Agence canadienne de développement international : Non, je répondrai aux questions des membres du comité.
Commissaire adjoint Graham Muir, commandant du contingent canadien de police, Afghanistan, juin 2009-juin 2010, Gendarmerie royale du Canada : Je suis heureux d'être ici aujourd'hui pour vous parler de mon expérience à titre de premier commandant canadien de la police civile en Afghanistan de juin 2009 à juin 2010, et pour expliquer le rôle de la police canadienne dans le soutien et la promotion des droits de la femme en Afghanistan.
Comme on l'a déjà dit, je suis accompagné de l'agente Marie-Josée Fournier, de la police de Toronto, qui apportera un point de vue personnel à nos échanges. Elle a fait partie de l'équipe qui m'a accompagné en Afghanistan et a été l'une des premières conseillères en genre de la mission de police de l'Union européenne en Afghanistan, EUPOL Afghanistan, à Kaboul.
Avant tout, je tiens à vous dire que la décision du Canada de maintenir du personnel militaire en Afghanistan dans un rôle de formation au-delà de 2011 est une bonne nouvelle pour le contingent de la police civile canadienne. La présence de près d'un millier d'instructeurs des Forces canadiennes sur le terrain conférera au cadre de police civile encore plus d'influence et surtout une influence plus durable sur les forces de sécurité afghanes, notamment policières, bien sûr.
Le mandat de la police canadienne en Afghanistan consiste à améliorer la capacité institutionnelle de la police nationale afghane, la PNA. Pour le moment, une cinquantaine de policiers de la GRC et d'autres services de police représentant le Canada participent aux opérations canadiennes, américaines et internationales, principalement à Kaboul et à Kandahar.
Nous agissons comme instructeurs, assistants professionnels et mentors, principalement pour favoriser l'apprentissage des cadres et l'acquisition de compétences professionnelles avancées dans la PNA.
Nous avons actuellement quatre policières déployées en Afghanistan. Les deux premières, y compris l'agente Fournier, y ont été dépêchées en novembre 2009 et viennent seulement de rentrer. Peu nombreuses, nos policières ont néanmoins réussi à influencer, à offrir des modèles et à montrer aux membres de la police nationale afghane et à la population afghane que les femmes peuvent jouer un rôle important dans la police et qu'elles le font efficacement. Il faut toutefois bien comprendre la dure réalité à laquelle se butent les policières de la police nationale afghane.
Prenez l'exemple de Kandahar, une ville d'une taille sensiblement comparable à Ottawa. La PNA y compte 2 500 membres, dont seulement 18 sont des femmes. Toutes, selon nos normes, sont comparativement marginalisées et mal entraînées.
Beaucoup d'entre elles doivent cumuler plusieurs emplois pour soutenir leur famille. Être policière ne suffit pas. Les femmes qui souhaitent devenir policières se heurtent souvent à une forte résistance de la part de la famille et de la communauté. Elles mettent leur vie en danger pour devenir policières et doivent souvent se résoudre à dissimuler leurs uniformes sous une burka entre la maison et le travail pour leur propre sécurité.
En plus d'être tenues à l'écart de leurs homologues masculins, elles sont peu soutenues par une structure de commandement essentiellement masculine. Cela dit, il y a plusieurs centres de formation régionaux qui ont commencé ou commenceront bientôt à dispenser une formation aux femmes membres de la police nationale afghane. Je crois comprendre que ces centres serviront aussi à dispenser une formation à des groupes mixtes afin de favoriser une meilleure intégration des hommes et des femmes au sein de la police.
Malgré leur arrivée toute récente, il y a à peine un an, au contingent en Afghanistan, nos policières civiles ont déjà réussi à se faire remarquer. Elles exercent une influence dans des circonstances incontestablement très difficiles et négatives.
Par exemple, comme l'a dit mon collègue, M. Venner, nos premières policières sur le terrain ont travaillé sans relâche avec le gouvernement afghan et des partenaires canadiens et étrangers, notamment la police de Norvège, pour parvenir à offrir un cours de sécurité favorisant leur autonomie à un groupe de policières de la police nationale afghane. L'agente Fournier y a participé.
Il a fallu trois mois pour y arriver dans le cadre d'un projet qui semblait assez simple, et il a fallu aussi l'intervention et l'appui de l'une des rares femmes de la police nationale afghane ayant le rang de général pour assurer le succès du projet.
La participation continue et accrue de policières civiles canadiennes en première ligne et à des postes de commandement est certainement importante pour assurer le succès à long terme de la mission de police canadienne. De même, la présence continue de policiers canadiens ainsi que de policières est importante pour démontrer comment les hommes et les femmes peuvent travailler ensemble en se respectant et en se soutenant les uns les autres. Il y a dans la police afghane plus d'hommes et d'officiers à l'esprit ouvert qu'on ne pourrait l'imaginer, qui voient d'un bon œil la présence de femmes dans leurs équipes. Il faut se réjouir de leur présence pour en gagner davantage à la cause de la mixité.
Chez nous, nous avons nos propres difficultés à sélectionner et à déployer des femmes en nombre suffisant en Afghanistan, qui n'est que l'une des missions internationales de soutien de la paix auxquelles nous participons. Et ce n'est pas que nous. Dans toutes les missions des Nations Unies, les policières ne comptent que pour 8 p. 100 des effectifs, au point où l'ONU a demandé aux pays contributeurs, dont le Canada, de chercher des solutions à cette situation.
En ma qualité de commandant de la police canadienne, j'ai eu la chance d'occuper, comme le fait mon successeur, une fonction qui m'a mis en relation avec d'autres intervenants influents de haut niveau du gouvernement du Canada, du gouvernement Afghanistan et de la collectivité internationale, notamment de l'OTAN.
Je dois dire que j'étais en bonne compagnie comme agent canadien de haut rang. Je souligne en particulier la présence de Mme Tonita Murray, ancienne directrice du Collège canadien de la police de la GRC, qui travaille là-bas avec diligence depuis plus de six ans maintenant. Dans son poste de conseillère supérieure en matière de politiques et d'égalité des sexes, elle exerce une influence notable directement auprès du ministre de l'Intérieur de l'Afghanistan et de ses collaborateurs, qui supervisent toute l'action policière dans le pays.
Mon collègue, le major-général canadien Michael Ward, vient juste de céder sa place au major-général Stuart Beare, qui occupe le poste le plus élevé des effectifs militaires de l'OTAN à Kaboul, dans lequel il est responsable de la conception et de l'exécution du programme de formation de la PNA à l'échelle nationale. Et il y en a d'autres, évidemment.
Ensemble, je crois que nous faisons de grands efforts pour faire avancer le dossier des femmes en Afghanistan, un petit pas à la fois.
Pour ma part, j'ai aussi collaboré étroitement avec le bureau du ministre de l'Intérieur, avec les officiers qui dirigent la PNA, avec nos homologues militaires de l'OTAN et avec les commandants de la Force opérationnelle pour favoriser la réforme institutionnelle avec le projet de police modèle de Kandahar. Ce projet, qu'on appelle maintenant le Programme de justice de la police civile, tente d'améliorer la protection et la sécurité de la population par l'amélioration de la capacité de la police nationale afghane à Kandahar. Il favorise aussi une participation accrue des policières.
En terminant, je tiens simplement à souligner l'importante contribution des policiers canadiens, hommes et femmes, à la paix et à la sécurité mondiales. Nous sommes fiers de notre contribution et nous nous engageons à continuer de déployer des policiers canadiens en Afghanistan et ailleurs pour soutenir et promouvoir les droits des femmes.
Je vous remercie de votre attention et répondrai avec plaisir à vos questions.
La présidente : Comme il ne nous reste qu'une demi-heure, je propose que nous posions toutes nos questions. Nous pourrons ensuite poser des questions supplémentaires pour obtenir des précisions. Qui veut commencer? Le sénateur Ataullahjan?
Le sénateur Ataullahjan : Comme je suis une Pachtoune, je suis parfaitement consciente des difficultés que peuvent connaître les femmes pachtounes. Nous savons très bien comment elles sont traitées en Afghanistan.
Nous voulons qu'elles aient les mêmes droits humains fondamentaux que toutes les Afghanes. Il faut cependant être réaliste car nous savons bien que même l'éducation est hors de portée des Pachtounes. Comme nous le savons tous, la plupart des talibans sont des Pachtounes, ce qui cause de nombreux problèmes à leurs femmes. Elles sont maltraitées et sont rarement autorisées à mettre le nez dehors.
Que devrait faire le Canada pour promouvoir les droits des femmes pachtounes, groupe qui a tendance à être oublié ou rejeté? Il ne faudrait pas oublier que l'ethnie pachtoune représente 65 p. 100 de la population afghane.
La présidente : Je m'adresse au MAECI. Je porte un intérêt passionné à la résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations Unies — je sais que c'est un peu ésotérique — dont j'aimerais qu'elle soit mise en œuvre, comme vous le dites dans votre plan, dans l'ensemble du gouvernement. Je voudrais donc savoir précisément quels sont les échéanciers et méthodes établis pour ce faire. Je sais que vous produirez un rapport chaque année et continuerez de faire toutes ces bonnes choses, mais que ferez-vous différemment en Afghanistan à ce sujet?
Je passe maintenant à l'ACDI. Vous avez parlé de la Commission indépendante des droits de la personne en Afghanistan. Mme Sima Semar aimerait avoir au moins un demi-million de dollars pour son université des femmes. Que dois-je faire de cette proposition? Comment puis-je vous la communiquer et quel serait votre intérêt à cet égard?
Toujours à l'ACDI, pouvez-vous me dire si l'aide du Canada à l'Afghanistan, de manière générale, est similaire à celle des autres pays de l'OTAN? Tenez-vous des réunions tous ensemble pour décider qui fera quoi dans quelle province? Comment les choses marchent-elles avec nos alliés internationaux?
La question suivante est adressée à notre merveilleuse police. Je viens de Toronto, comme mon bon ami le sénateur Kochhar. La sensibilisation à l'égalité des sexes laisse toujours un peu à désirer dans tous les secteurs, tout comme au Sénat d'ailleurs. Je crois qu'on pourrait certainement faire un peu mieux à ce sujet. Que fait-on au Canada en ce qui concerne la formation de nos agents de police avant de les envoyer à l'étranger former d'autres personnes? Comment cela changera-t-il par suite de l'engagement du MAECI à assurer la mise en œuvre par le gouvernement de la résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations Unies, qui porte sur les femmes, la paix et la sécurité?
Le sénateur Kochhar : Je n'ai qu'une brève question. Comment agissons-nous directement avec la société civile? Aucun gouvernement étranger ne pourrait venir au Canada pour agir directement avec la société civile. Devons-nous passer par le gouvernement Karzaï pour agir dans les différents domaines de la formation, par exemple? Pouvons-nous prendre les projets privés, comme les universités et les autres sociétés civiles, pour construire un hôpital ou dispenser de la formation?
Le sénateur Andreychuk : J'ai deux questions. Il semble que notre aide au développement a augmenté lorsque l'OTAN et nos soldats ont été confrontés au fait que des systèmes de soutien étaient nécessaires une fois que nous avions assuré la sécurité militaire d'un secteur. J'ai entendu parler d'une réduction de l'aide au développement ou des finances pour l'Afghanistan. Est-ce directement lié au fait que nous quittons Kandahar et mettons fin à nos opérations de combat, et que ce n'est plus nécessairement l'aide au développement au sens traditionnel mais selon le nouveau concept qui s'y rattache? J'aimerais savoir si c'est le cas. Est-ce que la majeure partie de notre aide au développement est destinée aux régions urbaines, c'est-à-dire à Kandahar et à Kaboul? Que faisons-nous à cet égard dans les régions pouvant être considérées comme non sécuritaires et rurales? J'aimerais avoir une ventilation de l'aide.
Monsieur Venner, vous dites que nous avons fait des gains, et il est certainement vrai que les gens qui travaillent dans la région le pensent aussi. On craint cependant que la situation s'effondre s'il y a une stratégie de sortie ou une perception de stratégie de sortie des forces de l'OTAN et des autres acteurs internationaux. Dans les Balkans, par exemple, nous savons que nous sommes là pour longtemps, surtout l'Europe. Il y a une consultation continuelle, un dialogue, une discussion, au cas où les arrangements de sécurité devaient cesser et où il n'y aurait pas suffisamment de répondants institutionnels ou suffisamment de coopération inter-citoyens pour maintenir la paix et la sécurité. Le développement s'effondre s'il n'y a pas de sécurité.
Bien que nous ayons fait des gains, comment pouvons-nous avoir l'assurance qu'ils seront durables? Ces gains durables sont-ils dans l'esprit des gens ou dans les structures, autrement dit?
Ma question est un peu alambiquée mais je me demande si les écoles que nous construisons et tout ce que nous faisons ne disparaîtra pas quand nous ne serons plus là. Il y a des exemples importants d'autres régions du monde où rien de tout cela ne tient bien longtemps sans une action soutenue de la population locale et sans la sécurité.
La présidente : Permettez-moi d'ajouter que certaines ONG se demandent comment leur protection sera assurée si elles se retrouvent à l'extérieur du périmètre.
Le sénateur Hubley : Considérant l'aide au développement fournie par le Canada et d'autres gouvernements depuis 2001, quels ont été les types d'intervention les plus efficaces pour les femmes locales et pour améliorer leur qualité de vie? Je pense que cette question est reliée à celle du sénateur Andreychuk.
En outre, un témoin nous a dit que les femmes afghanes ont fait des progrès notables et sont particulièrement visibles dans les médias. Je me demande s'il y a d'autres carrières importantes dans lesquelles on peut montrer que les femmes afghanes ont fait des progrès.
Le sénateur Ataullahjan : Je tiens d'abord à vous féliciter du travail remarquable de l'ACDI. J'ai pu le constater directement au Pakistan. Nous nous sommes rencontrés au Forum de développement du Pakistan. Nous avons passé la soirée ensemble. Vous faites également du bon travail en Afghanistan.
Pour certaines femmes, l'éducation n'est pas le problème, à cause de leur âge ou d'autres raisons. Comment les aidons-nous? Pouvons-nous faire quelque chose pour elles?
M. Venner : Certaines de vos questions touchent plusieurs organismes différents. Nous allons en prendre quelques- unes et voir où cela nous mène.
La présidente : Comment les réponses de la police et du MAECI pourraient-elles ne pas être les mêmes?
M. Venner : Je suis sûr que nous sommes exactement sur la même longueur d'onde.
Je commence avec la question concernant la résolution 1325. Je soupçonne que vous avez eu accès au plan d'action du MAECI.
La présidente : Oui. Nous avons un rapport que nous vous remettrons avant votre départ et qui vous dira ce que nous en pensons.
M. Venner : Merci. Je vous renvoie aux 24 indicateurs de progrès à la fin. Je comprends que c'est une manière un peu étrange de répondre à votre question mais, si vous examinez les secteurs auxquels renvoient ces indicateurs, vous aurez une bonne idée de la manière dont l'effort sera probablement déployé.
Cela dit, le plan d'action est clairement l'expression de nos aspirations. Il est destiné à guider la prestation des autres programmes du gouvernement du Canada. Il est censé guider la prestation du programme d'aide. Il est censé orienter la manière dont nous affectons nos ressources de formation et le travail que nous faisons. C'est le premier point.
J'aimerais aussi répondre au sénateur Andreychuk, et je suis sûr que Mme Ducros voudra ajouter un mot.
Je sais qu'il est vrai que le programme d'aide monte d'un cran après un engagement militaire dans un secteur. Toutefois, notre manière d'exprimer consiste à dire qu'on ne peut pas dispenser d'aide tant qu'il n'y a pas eu d'engagement militaire. C'est seulement après avoir sécurisé le territoire qu'on peut disperser l'aide en toute sécurité. Voilà l'explication.
Je comprends ce que vous dites au sujet de la stratégie de sortie et du fait que, si nous disons que nous serons partis à telle ou telle date, on aura tendance à se demander si ces gains seront durables ou non. Tout ce que je puis dire, c'est que, si vous prenez l'annonce récente du gouvernement au sujet de la formation, il est clair qu'une partie du souci du gouvernement est de s'assurer que nous aiderons à former les Afghans afin qu'ils puissent préserver les gains que nous avons obtenus. Cela comprend la formation des forces de sécurité, la formation qui continuera d'être assurée par la police, et la possibilité pour les Afghans d'assumer une plus grande part de responsabilité envers la protection de leurs collectivités. Tout cela fait partie des efforts canadiens et internationaux qui, au cours des prochaines années, devraient accroître les chances que les gains que nous avons obtenus jusqu'à présent peuvent être protégés.
La présidente : J'interviens ici pour dire que vous ne pourrez pas répondre à toutes les questions dans les quelques minutes qui restent. Ne pensez donc pas que vous devrez essayer de répondre à tout ici. Vous pourrez fort bien envoyer un courriel au greffier du comité pour compléter vos réponses.
Mme Ducros : Je parlerai dans un instant de l'ethnicité et des femmes pachtounes.
Tout ce que nous avons fait à l'égard des femmes, toute la programmation de l'ACDI depuis le début, était axé sur l'égalité des sexes. Dans le domaine de l'enseignement, notamment chez les Pachtounes mais aussi pour toutes les ethnicités, nous nous sommes toujours focalisés sur les femmes et les filles. Nous avons essayé d'attaquer le problème de plusieurs manières différentes. Tout d'abord, en rendant l'école accessible, mais aussi en formant des enseignantes pour que les filles puissent aller à l'école. Dans les régions rurales, nous avons eu recours à des écoles de développement communautaires. Nous avons beaucoup parlé de la construction d'écoles, mais nous avons aussi créé des écoles locales dans les régions rurales. Nous avons essayé de nous attaquer aux obstacles qui empêchaient les femmes d'aller à l'école, comme le transport, des latrines séparées, et la construction de murs de séparation.
En ce qui concerne l'AIHRC et la Dre Sima Semar, nous maintenons des contacts étroits avec elle. Je n'ai pas eu vent de cette proposition, cependant.
En ce qui concerne l'efficacité de l'aide, notre programmation à Kandahar et à l'échelle nationale comporte deux volets. Ils ne sont pas toujours aussi distincts que je vais le dire aujourd'hui, mais nous avons eu essentiellement une programmation focalisée sur l'Afghanistan dans son ensemble et une autre, sur le gouvernement national. Nous avons développé les capacités de différents ministères et à différents niveaux. Nous avons aussi eu une programmation qui était géographiquement focalisée sur Kandahar.
La réponse directe à votre question est que, lorsque le gouvernement du Canada se concentrait sur Kandahar, nos alliés se concentraient sur d'autres régions. Nous nous sommes concentrés sur Kandahar ce qui, dans certains cas, concernait une capacité de développement traditionnelle et, dans d'autres, ce qu'on a appelé la doctrine COIN — contre-insurrection — qui était distincte et faisait suite à l'action des forces armées et du MAECI pour essayer de séparer les insurgés en amenant le gouvernement près de la population locale et en séparant les insurgés des collectivités.
Nous avons aussi le développement traditionnel touchant le développement des capacités du gouvernement, l'aide humanitaire pour l'éducation et l'aide dans le secteur de la santé. Les problèmes traditionnels comprennent le déminage et la prestation de près de microcrédit ce qui suppose, pour répondre au sénateur Ataullahjan, qu'on essaie de répondre aux besoins des femmes d'une manière qui n'est pas entièrement reliée à l'éducation mais porte aussi sur les questions de carrière.
En ce qui concerne les professions ou carrières particulières que nous avons choisies, nous avons travaillé à un niveau plus général. Je n'ai probablement pas tous les détails que possèdent les personnes brillantes qui se trouvent derrière moi mais nous pourrons vous communiquer les résultats que nous avons obtenus.
Je m'en voudrais de ne pas mentionner que l'un des programmes qui ont eu le plus de succès était le programme de formation aux élections, à la fois aux élections des conseils provinciaux et aux récentes élections parlementaires. Le nombre de femmes qui ont présenté leur candidature au Parlement a atteint 70 p. 100. Nous leur avons aussi fourni dans le passé les outils nécessaires pour représenter leurs électeurs au Parlement. Cela a été noté par le représentant spécial au Canada, qui a été un chef de file sur ce dossier.
Sénateur Kochhar, nous avons travaillé directement avec les ONG. Nous avons tendance à travailler avec elle à deux titres, et je laisserai M. Melanson vous donner des précisions dans un instant. Nous maintenons une conversation assez ouverte au moyen de tables rondes et de rencontres, parfois directement en faisant venir des représentants des diverses ONG et des sociétés civiles — je parle d'ONG afghanes. En outre, nous pouvons normalement entreprendre des projets par l'intermédiaire de partenaires de confiance, notamment des IDN de la Asia Foundation. Nous travaillons avec les ONG dans la société civile.
La présidente : Votre temps de parole est presque écoulé et vous devrez donc nous communiquer les informations supplémentaires par écrit. Si vous voulez ajouter quelque chose très rapidement, je vous donne 30 secondes.
Mme Ducros : En ce qui concerne la programmation à l'extérieur du périmètre, la présence de l'ACDI en Afghanistan a précédé le Haut-commissariat. Nous avons travaillé à l'extérieur du périmètre et nous continuerons de le faire. Il y a des méthodes qui permettent de faire cela par le truchement de partenaires de confiance en assurant la sécurité. Je vous communiquerai d'autres informations par écrit.
M. Melanson : Brièvement, nous avons des mécanismes de financement de petits projets à l'intention de certaines parties de la société civile à Kandahar. Ils ont eu pas mal de succès. Mme Ducros a décrit bon nombre des adaptations que nous avons apportées à la manière dont nous offrons des services d'enseignement pour permettre aux filles d'y avoir meilleur accès. Il s'agit souvent d'adaptations d'ordre matériel.
Je ne veux pas non plus passer sous silence le travail avec les forces progressistes de Kandahar. Le gouverneur est un homme de progrès en ce qui concerne l'enseignement des filles, et il réunit parfois les chefs religieux et les gouverneurs de district sous sa présidence pour faire avancer cette cause. Le Canada a fait de la promotion et a coopéré largement à ce sujet avec les chefs politiques à Kandahar.
La présidente : Pour ceux qui nous apportent la paix, l'ordre et le bon gouvernement, j'invite l'agente Fournier à prendre la parole. Nous avons hâte de savoir ce que c'est que travailler avec des femmes afghanes dans la police.
Agente Marie-Josée Fournier, service de police de Toronto, EUPOL, Afghanistan, Section des droits de la personne, novembre 2009-août 2010, Gendarmerie royale du Canada : L'anglais n'est pas ma première langue mais je ferai de mon mieux.
La présidente : Vous pouvez vous exprimer en français.
Mme Fournier : Non, ça ira en anglais.
Vous demandiez si nous avons reçu une formation sur les droits de la personne. Nous n'avons pas reçu de formation particulière sur les droits de la personne avant notre affectation mais nous avons écouté les femmes afghanes nous exposer leurs problèmes et la difficulté de leur vie en Afghanistan. Nous avons reçu cette information. Chez les militaires, à Toronto, j'ai reçu une formation d'une femme du Danemark. C'était une experte venue expliquer ces défis. Nous avons passé deux jours avec elle à dresser des scénarios et à déterminer la dynamique entre les hommes, les femmes et les enfants, et les problèmes et difficultés qu'ils rencontrent en Afghanistan.
En qualité d'agents de police, nous devons connaître les droits humains. Nous les appliquons dans notre vie et dans notre travail. J'en ai une certaine connaissance parce que je suis agent de police. Toutefois, nous les avons aussi étudiés nous-mêmes en arrivant en Afghanistan. Ils m'ont dit ce dont ils avaient besoin et quel travail je devrais faire en Afghanistan pour le Service des droits de la personne. J'ai lu des livres pour me rafraîchir la mémoire puis je suis allée voir le ministre pour lui demander ce qu'il attendait de moi et comment nous pouvions l'aider à établir une certaine structure.
Mon expérience en Afghanistan a été fantastique. J'ai été un peu surprise parce que tout le monde m'avait dit que ce serait compliqué pour une femme de travailler en Afghanistan, à cause de la dynamique entre les hommes et les femmes. Je n'ai cependant pas eu de problèmes. Ils ont fait preuve de respect à notre égard, peut-être parce que nous portions l'uniforme. Je les ai interrogés sur la différence entre les hommes et les femmes dans leur pays, et ils m'ont simplement dit : « Vous n'êtes pas de l'Afghanistan, vous êtes d'un autre pays. » Le Canada est très respecté là-bas. Je n'ai pas eu trop de difficultés, peut-être parce que je venais du Canada et que j'étais agent de police.
J'ai travaillé avec le ministère à Kaboul pour élaborer un système destiné à créer des postes d'agents de police féminins. Nous voulions mettre sur pied un service d'enquête comprenant des enquêtrices, à l'intention des femmes souhaitant formuler des plaintes ou signaler des incidents, parce qu'elles ont beaucoup de difficultés dans les postes de police. Nous voulions que les agents de police deviennent capables de parler aux femmes. Il y a donc maintenant là-bas un bureau des femmes et un service d'intervention pour les femmes où celles-ci peuvent venir exposer leurs problèmes afin que les enquêtes soient confiées aux bonnes personnes.
Notre défi sera de nous faire remplacer par des Afghanes. Nous voulons former des enquêtrices capables de répondre aux affaires pénales et non pénales. Nous voulons qu'elles puissent venir en aide aux femmes et aux enfants. Ce sera un système plus efficace pour les femmes qui veulent déposer une plainte et obtenir des résultats. Nous avons plusieurs projets mais celui-ci était vraiment important.
Nous avons aussi créé une ligne de soutien qui sera utile pour recruter des femmes. Nous savons que les femmes ont peur de devenir agent de police, ont peur de présenter une demande, et nous avons donc créé un système leur permettant d'entrer directement en contact avec le service des droits de la personne si elles ont besoin d'aide. Si quelqu'un commet une infraction, on interviendra.
Le plus gros défi concerne la mise en œuvre. Nous essayons de créer de meilleurs postes mais, à terme, il faudra du renforcement. Sur le papier, c'est très beau. À terme, ça marchera, mais il faudra du temps.
La présidente : C'est la même chose au Canada. C'est très beau, sur le papier.
Mme Fournier : Le plus grand défi sera d'obtenir l'appui du gouvernement afghan pour qu'il impose sa volonté et protège les droits des femmes en veillant à ce qu'il y ait vraiment des sanctions en cas d'infraction.
La présidente : Dans le manuel que vous avez aidée à rédiger, ou l'énoncé de la politique, combien d'heures avez- vous recommandé pour former les recrues afghanes sur les questions d'égalité des sexes? Avez-vous fait cela?
Mme Fournier : Le travail au ministère de Kaboul était différent du travail à Kandahar. Nous avons des Canadiens de la CIVPOL là-bas — la police civile. Une agente de police norvégienne a préparé un cours de sensibilisation à la sécurité à l'intention des femmes mais elle n'a pas pu le mettre en application à Kandahar pour des raisons de sécurité. Nous avons des Canadiens sur place comme personnes-contact, dont ma collaboratrice, parce que nous avions besoin de soutien, et aussi l'ambassade du Canada. Nous avons pu faire venir une institutrice afghane pour former des femmes là-bas.
Nous essayons de les aider à devenir indépendantes pour que des femmes afghanes puissent devenir les enseignantes qui formeront leur propre population.
La présidente : J'ai passé un peu de temps en Afrique du Sud lorsqu'elle est devenue une nouvelle nation. Obtenir que la police intervienne quand des femmes déposaient une plainte ou signalaient un acte criminel était un problème énorme. Est-ce que le Canada parle aux autres nations qui ont déjà fait ce genre de travail de base pour changer l'action de la police, ou est-ce que nous traitons chaque pays individuellement, au cas par cas?
Mme Fournier : Je travaillais avec l'Union européenne, dont tous les agents de police travaillent ensemble. Chacun avait des idées différentes mais nous partagions notre expérience. Je travaillais avec des agents de 10 pays différents. Nous avons partagé leur expérience et avons essayé de promouvoir des agentes de police. C'est tout ce que je peux dire.
M. Muir : De manière générale, madame la présidente, le bureau de notre quartier général national nous appuie sur le terrain. Nous avons des homologues dans un très grand nombre de pays, des gens avec qui nous traitons régulièrement dans les opérations internationales de maintien de la paix ainsi que dans d'autres disciplines.
Qu'il suffise de dire que le monde n'est pas si grand. Nous avons une assez bonne idée de ce que nos collègues étrangers apportent sur le terrain en termes de travail préparatoire de leur propre police. Du point de vue des leçons apprises, nous voyons ce qui marche le mieux sur le terrain, notamment en ce qui concerne l'égalité des sexes.
Le sénateur Ataullahjan : Madame Fournier, dans vos rapports avec les femmes, est-ce qui leur était facile de vous approcher? En outre, lorsque vous parliez aux femmes et faisiez de la formation, les personnes qui traduisaient étaient- elles des hommes ou des femmes?
Mme Fournier : Les deux. À Kandahar, nous avions recours à une instructrice, mais nous avons aussi bénéficié de l'appui de la CIVPOL, et c'était aussi bien des hommes que des femmes. Ils n'avaient aucune difficulté à travailler ensemble. Ça n'était pas un problème.
À Kaboul, nous avons aussi eu des instructeurs et des traducteurs, c'est-à-dire des hommes. À Kaboul, il est plus facile d'avoir des groupes mixtes. À Kandahar, on partait de zéro, mais les femmes sur le terrain n'avaient aucun problème à travailler avec les hommes de la CIVPOL qui dispensaient de la formation, parce qu'ils étaient là pour aider, surtout pour leur apprendre le tir. C'était une formation d'une semaine et on avait besoin de spécialistes.
Le sénateur Ataullahjan : Vous pensez que les femmes étaient à l'aise avec les hommes?
Mme Fournier : Je n'y étais pas personnellement mais j'étais en communication avec elles. Oui, elles étaient à l'aise.
La présidente : Sur les huit agentes, combien s'occupaient d'élaboration de politiques et combien étaient réellement sur le terrain pour dispenser la formation?
Mme Fournier : J'étais à Kaboul au service stratégique. Annie Lacroix, de la police de Montréal, travaillait à Kandahar. Il y avait aussi quelques agentes qui travaillaient à Kandahar dans le service de formation.
La présidente : Merci à tous et toutes d'être venus. Vous pourriez rester pour le souper et nous pourrions continuer toute la nuit à vous entendre relater vos merveilleuses expériences. C'est magnifique.
Bienvenue à tous. À l'intention de nos téléspectateurs, je rappelle que nous sommes le Comité sénatorial permanent des droits de la personne et que nous examinons le projet de loi C-3, Loi favorisant l'équité entre les sexes relativement à l'inscription au registre des Indiens en donnant suite à la décision de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique dans l'affaire McIvor v. Canada.
Nous accueillons maintenant par vidéoconférence Christopher Devlin, de l'Association du Barreau canadien, et nous avons parmi nous Larry Chartrand, professeur agrégé de la faculté de droit de l'Université d'Ottawa, accompagné de Charlene Desrochers.
Nous commençons avec le représentant du Barreau.
Christopher Devlin, membre de l'exécutif, Section nationale du droit des Autochtones, Association du Barreau canadien : Je m'adresse à vous au nom de la Section nationale du droit des Autochtones de l'Association du Barreau canadien. Nous sommes heureux de pouvoir nous adresser à vous au sujet du projet de loi C-3.
L'ABC est une association nationale qui représente plus de 37 000 avocats, étudiants en droit, notaires et enseignants. L'un des aspects importants du mandat de l'ABC concerne l'amélioration du droit et de l'administration de la justice. C'est à ce sujet que je m'adresse à vous aujourd'hui.
La Section nationale du droit des Autochtones se compose de juristes spécialisés en droit autochtone, et comprend des avocats autochtones et non autochtones. Pour ma part, j'exerce à Victoria, en Colombie-Britannique.
Nous avons un mémoire que nous avons présenté au Comité permanent des affaires autochtones et du développement du Grand Nord, de la Chambre des communes, et je crois savoir que vous l'avez reçu. Je regrette de ne pas l'avoir dans ses deux versions avec moi. Je n'ai que la version anglaise et les pages auxquelles je ferai référence seront donc les pages du texte anglais.
La question que pose le projet de loi C-3 est de savoir s'il favorise effectivement l'équité entre les sexes dans le processus d'inscription au registre des Indiens en vertu de la Loi sur les Indiens. Pour comprendre cette problématique, il faut revenir au projet de loi C-31 adopté en 1985 par le Parlement pour modifier la Loi sur les Indiens. Son objectif était de mettre fin à la discrimination envers les femmes au titre de la Loi sur les Indiens, en remplaçant bon nombre des règles d'inscription par une règle limitant l'inscription à la deuxième génération, règle qui entre donc en jeu après deux générations successives de mariage avec des non-Indiens, d'un sexe ou l'autre, ce qui veut dire que les petits- enfants perdent le statut d'Indiens. Si une personne indienne a des enfants avec une personne non indienne, les enfants obtiennent le statut mais en vertu du paragraphe 6(2), pas du paragraphe 6(1), ce qui veut dire que c'est un statut de nature différente. Si la personne du paragraphe 6(2) a des enfants avec une personne non indienne, ses petits-enfants perdent leur statut. Voilà comment s'applique la limite de deuxième génération.
Mme McIvor, qui est au cœur de la poursuite ayant entraîné l'adoption du projet de loi C-3, a perdu son statut. Elle est née en 1948, a épousé un non-Indien et, en vertu de la version d'avant 1985 de la Loi sur les Indiens, son mariage lui a fait perdre son statut. De même, son enfant n'a pas eu le statut d'Indien. Avec son fils, Jacob Grismer, elle a intenté une action en justice. Au procès, la juge de première instance a déclaré que le bénéfice de la loi dont il s'agissait dans leur cas était le droit de transmettre le statut d'Indien et l'identité culturelle correspondante aux générations futures. Le petit-fils de Mme McIvor ne pouvait bénéficier de cette transmission d'identité culturelle et de statut indien, ce qui signifie qu'elle faisait l'objet d'une discrimination par rapport à un frère hypothétique dont le statut aurait été transmis à la lignée masculine et dont le petit-fils ou la petite-fille aurait conservé le statut.
La juge de première instance a rendu un jugement de très vaste portée qui aurait rétabli le statut d'Indien des enfants et petits-enfants de toutes les femmes ayant perdu leur statut à cause de l'ancienne règle du mariage en dehors de la collectivité.
En appel, toutefois, la Cour d'appel de la Colombie-Britannique a restreint cette portée. Pour des raisons très techniques, la cour a invoqué une autre règle obscure de la Loi sur les Indiens, la règle dite « mère, grand-mère », en vertu de laquelle, si votre mère et votre grand-mère n'étaient pas des Indiennes, vous perdiez votre statut à l'âge de 21 ans. En vertu des amendements de 1985, a dit la cour, une personne qui est sujette à la règle mère, grand-mère bénéficie d'un statut rehaussé car, au lieu de perdre son statut à l'âge de 21 ans, elle obtient le plein statut indien au titre du paragraphe 6(1) du projet de loi C-31. On a donc cette restriction du jugement de 1951 à 1985, au lieu de remonter dans le temps.
Le législateur a répondu avec le projet de loi C-3 et la Cour d'appel de la Colombie-Britannique a donné au législateur jusqu'en janvier 2011 pour adopter le projet de loi C-3. C'est pourquoi ce texte est passé devant la Chambre des communes et se trouve maintenant devant le Sénat.
Je souhaite faire quelques remarques au sujet du projet de loi C-3, en commençant à la page 5 de la version anglaise de notre mémoire, que vous avez sous les yeux, si j'ai bien compris.
Ma première remarque est que c'est un texte de loi très court dont la partie opérante est l'article 2 proposant l'ajout d'un nouvel alinéa 6(1)c.1) conférant le statut. Il est formulé de manière très circonscrite pour répondre à la situation familiale particulière de Sharon McIvor et Jacob Grismer. L'un de ses aspects singuliers est que, pour acquérir ce nouveau statut, il faut soi-même avoir un enfant. En ce qui concerne Jacob Grismer, il n'acquerrait pas automatiquement le statut du paragraphe 6(1) s'il n'avait pas lui-même un enfant, et ce serait la première fois dans l'histoire législative de la Loi sur les Indiens que le statut d'une personne dépendrait non pas de son origine mais de sa filiation.
Nous indiquons à la note 5 de notre mémoire que c'est une préoccupation parce qu'il peut y avoir de la discrimination dans certains codes d'appartenance des bandes entre les Indiens inscrits du paragraphe 6(1) et les Indiens inscrits du paragraphe 6(2). Même si tous possèdent le statut dans le cadre de leurs relations avec le gouvernement fédéral, le problème est que certaines Premières nations ont des codes d'appartenance excluant les Indiens dont le statut émane du paragraphe 6(2). Il serait important, selon nous, du point de vue de la réforme du droit, que quiconque est admissible à voir son statut rehaussé puisse en bénéficier sans que cela dépende du fait qu'il a un enfant ou non.
Notre deuxième préoccupation concerne l'article 9 de la loi, qui supprimerait le droit de quiconque de poursuivre le gouvernement pour déni de statut par suite de discrimination sexuelle. La discrimination sexuelle a souvent été examinée par le Parlement. Plusieurs comités parlementaires ont étudié la question en profondeur, ce qui a débouché sur les amendements du projet de loi C-31 en 1985. Les problèmes causés par la discrimination sexuelle sont connus depuis longtemps. Cette disposition de déni de responsabilité nous préoccupe beaucoup du point de vue de la justice.
Un autre problème que nous soulevons concerne le fait que le projet de loi ne prévoit pas de ressources supplémentaires pour les Premières nations qui seront peut-être encore sujettes aux listes de bandes de la Loi sur les Indiens, c'est-à-dire ne contrôlant pas leur propre liste d'appartenance au titre de l'article 10 de la Loi sur les Indiens. Ces listes sont toujours tenues par le ministère au titre de l'article 11.
Selon les estimations du gouvernement, plusieurs milliers de personnes pourraient obtenir le droit de s'inscrire en vertu de la loi, mais il ne semble pas y avoir de ressources supplémentaires pour aider les Premières nations concernées à accueillir ces nouveaux membres.
Ma dernière remarque concerne la discrimination continue qui résultera du projet de loi C-3 car, même si le titre fait référence à « l'équité entre les sexes relativement à l'inscription au registre des Indiens », il y aura encore de l'inégalité sexuelle. Le projet de loi n'éliminera pas complètement l'inégalité sexuelle issue de la Loi sur les Indiens. Vous trouverez à la page 9 de notre mémoire un tableau illustrant très bien ce phénomène, ainsi que toute l'histoire de ces différentes modifications législatives.
Il y a là deux colonnes. Vous voyez à gauche ce qui est arrivé à Sharon McIvor et à son fils, Jacob Grismer, et, à droite, la situation de son frère hypothétique. Vous pouvez voir qu'elle a perdu son statut avant 1985 pour avoir épousé un non-Indien, alors que son frère hypothétique, s'il avait épousé une non-Indienne hypothétique, l'aurait conservé. Je précise d'ailleurs que la femme aurait également acquis ce statut en vertu de la Loi sur les Indiens d'avant 1985. Ensuite, le fils de Sharon McIvor n'aurait pas obtenu le statut, ni son petit-fils. Par contre, le fils du frère l'aurait obtenu, ainsi que son petit-fils jusqu'à l'âge de 21 ans, du fait de la règle mère, grand-mère.
Après 1985 et le projet de loi C-31, Sharon McIvor a recouvré son statut d'Indienne au titre de l'alinéa 6(1)c), et son fils l'a obtenu au titre du paragraphe 6(2). Toutefois, tous ses petits-enfants nés avant ou après 1985 n'ont pas obtenu le statut. Comparons cette situation à celle du frère hypothétique. Il avait le statut du paragraphe 6(1), son fils avait le statut du paragraphe 6(1), et un petit-fils né avant 1985 aurait obtenu le statut de l'alinéa and 6(1)c), mais aurait été assujetti à la règle mère, grand-mère. C'est seulement un petit-fils né après 1985 qui aurait obtenu le statut du paragraphe 6(2).
Avec le projet de loi C-3, et c'est la dernière tranche du tableau, on peut voir que la discrimination continuera pour la génération des petits-enfants nés avant 1985. Après 1985, la règle d'exclusion de deuxième génération continue de s'appliquer des deux côtés. Toutefois, les petits-enfants de Sharon McIvor nés avant 1985 ne bénéficient que du statut du paragraphe 6(2) alors que ceux du frère hypothétique nés avant 1985 bénéficieraient du statut de l'alinéa 6(1)c). Autrement dit, ils bénéficieraient du meilleur statut disponible au titre de la loi.
Dans notre dernière recommandation, nous proposons une modification modeste de la loi, c'est-à-dire l'adoption d'un nouvel alinéa 6(1)c.2) qui permettrait à ces petits- enfants nés après septembre 1951 mais avant 1985 de bénéficier aussi du statut de l'alinéa 6(1)c) de la même manière que les petits-enfants du frère hypothétique.
Cela dit, et malgré cette modeste proposition, le fait est que les femmes, leurs enfants et leurs petits-enfants nés avant 1951 feraient encore l'objet de discrimination sexuelle. C'est un facteur à noter. Le comité de la Chambre des communes a tenté d'y remédier mais les amendements qu'il a proposés n'ont pas été adoptés par la Chambre, le Président les jugeant irrecevables. Cela reste une préoccupation, du point de vue de la réforme du droit, étant donné que ce projet de loi pourrait être l'occasion de modifier l'article 6.
La présidente : Je donne la parole à Larry Chartrand, professeur agrégé à la faculté de droit de l'Université d'Ottawa.
Larry Chartrand, professeur agrégé, faculté de droit, Section de la common law, Université d'Ottawa, à titre personnel : Merci beaucoup. Je tiens d'abord à rappeler que nous nous trouvons actuellement sur le territoire souverain non cédé de la nation des Algonquins. Permettez-moi de consacrer quelques minutes aux recommandations de l'ABC, que je mentionne dans mon mémoire et qui exigeraient certaines modifications.
J'ai intitulé mon mémoire « No Foot, Wrong Foot, Small Foot », pour plusieurs raisons. « No foot », c'est-à-dire « sans justification », parce que nous devons continuer à reconnaître que ce pays n'a aucun droit légal légitime de contrôler l'identité des peuples autochtones de ce territoire, ce qui représente une transgression de leurs droits humains fondamentaux. Nous le savons parce que l'Assemblée générale des Nations Unies a adopté sa Déclaration des droits des peuples autochtones, dont l'article 33 dispose que « les peuples autochtones ont le droit de décider de leur propre identité ou appartenance conformément à leurs coutumes et traditions ».
En outre, l'article 9 exige que les États reconnaissent que « les autochtones, peuples ou individus, ont le droit d'appartenir à une communauté ou à une nation autochtone, conformément aux traditions et coutumes de la communauté ou de la nation considérée ». Je souligne la phrase suivante de cette disposition : « Aucune discrimination quelle qu'elle soit ne saurait résulter de l'exercice de ce droit ».
Nous savons qu'il y a au moment même où nous nous parlons des actions en cours devant les tribunaux canadiens, devant le Tribunal canadien des droits de la personne et devant les Nations Unies pour contester la validité de la Loi sur les Indiens et de ses dispositions coloniales.
Le Canada se doit de répondre avec intégrité. C'est peut-être ce que permettra le processus des tables rondes annoncé par le ministre, puisqu'il est destiné à aborder des questions de portée globale. En fait, j'estime que c'est indispensable. Après tout, le Canada a endossé la déclaration des Nations Unies, notamment ses principes de bonne foi, de partenariat et de respect mutuel.
Le processus des tables rondes est conforme à ces principes. Par contre, adopter le projet de loi C-3 sous sa forme actuelle n'est pas conforme à ces principes étant donné qu'il ne va pas assez loin pour éliminer la discrimination sexuelle et ne répond pas complètement au besoin des femmes indiennes. La liste des organisations qui s'opposent au projet de loi C-3 sous sa forme actuelle est incroyable. Je n'en mentionne qu'un petit nombre dans mon mémoire mais, bien sûr, celui-ci avait été rédigé avant que le gouvernement annonce que le processus des tables rondes dépendrait de l'adoption du projet de loi C-3, ce qui était presque un chantage : si vous ne l'adoptez pas, il n'y aura pas de tables rondes. Est-ce là un acte de bonne foi?
« Wrong foot », c'est-à-dire « pour une mauvaise raison », parce que le projet de loi, sous sa forme actuelle, achève le travail de la cour d'appel. C'est le gouvernement qui finit le travail de la cour. C'est la solution judiciaire de la cour d'appel sous forme législative. Le gouvernement était tenu de consulter les peuples autochtones concernés avant d'agir en réponse à l'arrêt de la cour d'appel, et de proposer un projet de loi reflétant sérieusement l'opinion des peuples autochtones, d'autant plus que cela lui donnait la possibilité d'éliminer l'inégalité sexuelle. Au lieu de cela, il a formulé son projet de loi avant le processus de participation en sollicitant une contribution après coup. Alors qu'il avait l'occasion de faire preuve de leadership, il n'a pas su la saisir. Il aurait pu démontrer ce qu'est un vrai partenariat avec les peuples autochtones, au lieu d'agir en dictateur.
Il vaut la peine de souligner que l'Énoncé du Canada appuyant la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, du 12 novembre, mentionne tout particulièrement le projet de loi C-3, Loi sur l'équité entre les sexes relativement à l'inscription au registre des Indiens, comme « preuve d'un grand leadership en prenant des mesures pour protéger les droits des Autochtones du Canada ».
Si cette réponse limitée à la poursuite intentée par Sharon McIvor il y a 20 ans est un exemple de « grand leadership... pour protéger les droits des Autochtones », on peut craindre pour l'avenir.
Comment l'honneur de la Couronne est-il respecté quand le Canada présente cette initiative comme un exemple à suivre? Le titre abrégé du projet de loi donne l'impression que le Canada déclare au monde entier qu'il prend une mesure vraiment importante sur l'inégalité sexuelle inhérente à la Loi sur les Indiens, ce qui est faux et trompeur. Ce qu'il ne dit pas dans son Énoncé, c'est qu'il a fallu qu'une Indienne se batte seule bec et ongles pendant 20 ans contre le gouvernement pour obtenir le petit recours qu'elle réclamait, c'est-à-dire être simplement traitée sur un pied d'égalité avec les hommes. La réponse choisie est un texte de loi de portée tellement restreinte qu'il n'atténue aucunement l'inégalité sexuelle subie par les nouveaux inscrits, dont le fils, ou les fils hypothétiques, de Sharon McIvor. Il n'y a rien à ce sujet dans l'Énoncé.
Quand un amendement a été proposé au comité de la Chambre des communes pour éliminer l'inégalité sexuelle restante, le président de la Chambre a déclaré qu'il allait au-delà de la portée du projet de loi. Évidemment, le Canada n'a pas mentionné ce fait dans son Énoncé, ni le fait que Sharon McIvor va porter sa cause devant les Nations Unies.
Je me demande si le gouvernement agissait de bonne foi quand il déclarait que ce projet de loi est un modèle de solution aux problèmes d'inégalité que connaissent les femmes autochtones.
Il n'est peut-être plus possible d'abandonner ce projet de loi ou de le reformuler pour éliminer complètement la discrimination sexuelle, ou de demander une prolongation de délai à la cour d'appel pour faire vraiment preuve d'initiative et de leadership afin de corriger l'injustice de l'inégalité sexuelle.
La cour d'appel n'est peut-être pas prête à accorder une nouvelle prolongation. Si l'on en croit le ministre, il semble qu'elle commence à être excédée.
Si tel est le cas, il n'est peut-être pas souhaitable de retarder l'adoption du projet de loi, puisque cela risquerait de nuire aux intérêts de certaines personnes. Toutefois, si le projet de loi est adopté, il faudra quand même s'attaquer au problème de discrimination qui continuera d'exister. Cela pourrait se faire au moyen de quelques amendements simples.
L'amendement proposé par l'Association du Barreau canadien pour ajouter un nouvel alinéa 6(1)c.2) réglerait le problème résiduel secondaire de discrimination sexuelle de la loi.
Ma proposition est que l'on déclare simplement que les Indiens du paragraphe 6(2) — les enfants nés — sont considérés comme des Indiens du paragraphe 6(1), mais l'Association du Barreau canadien dit foncièrement la même chose.
Je conviens aussi qu'il n'y a aucune raison d'exiger qu'un enfant soit né d'une personne possédant le statut, en vertu du nouvel alinéa 6(1)c.1). Le préjudice discriminatoire touche la personne qui ne peut pas transférer son statut à ses enfants, que ceux-ci aient eux-mêmes des enfants ou non. Cette personne continue d'être traitée différemment d'un frère, disons, qui détient son statut de sa lignée paternelle et peut le transférer, qu'il ait des enfants ou non.
La différence ne dépend pas de l'existence de l'enfant. Elle dépend du droit de transférer le statut, pas du fait réel de transférer le statut à un enfant. C'est le droit qui est en jeu ici.
C'est tout ce que je voulais dire. Merci beaucoup de votre attention.
La présidente : Je vous en prie. Voulez-vous prendre la parole, madame?
Charlene Desrochers, à titre personnel : Je veux simplement dire bonsoir et vous remercier de me donner l'occasion de comparaître devant votre comité au sujet de cette question très importante pour toutes les femmes autochtones. Je tiens à souligner que nous sommes aujourd'hui sur le territoire non cédé de la nation des Algonquins.
Je m'appelle Charlene Desrochers et je suis une ancienne étudiante du professeur Larry Chartrand. J'ai eu le plaisir de suivre beaucoup de ses cours à la faculté de droit. Je ne prendrai pas beaucoup de votre temps et ne répéterai pas les arguments juridiques exposés par le professeur Chartrand et par l'Association du Barreau canadien, si ce n'est pour dire que les recommandations de Sharon McIvor pour modifier l'article 6 de la Loi sur les Indiens sont la bonne méthode pour régler cette question d'inégalité sexuelle issue de la Loi sur les Indiens.
Par exemple, tous les Indiens au titre des alinéas 6(1)b) à f) devraient être considérés comme des Indiens au titre du paragraphe 6(2). C'est la seule manière de corriger l'inégalité sexuelle inhérente à l'article 6 de la Loi sur les Indiens. Faire moins serait discriminatoire et constituerait une infraction à l'article 15 de la Charte des droits et libertés ainsi qu'aux principes énoncés dans la Déclaration sur les droits des peuples autochtones, des Nations Unies.
Je tiens à préciser que le gouvernement conservateur n'a pas consulté les femmes autochtones sur ses propositions de modification du projet de loi C-3 et n'a donc pas respecté son devoir légal de les consulter, entériné par la jurisprudence et par le droit international, notamment la Déclaration.
En fait, le Comité permanent des affaires autochtones et du développement du Grand Nord, de la Chambre des communes, a entendu de nombreuses organisations au sujet du projet de loi C-3, mais seulement deux femmes autochtones, dont Sharon McIvor. Le témoignage de cette dernière reflétait une véritable position collective sur cette question. Mme McIvor est un vrai leader qui défend les intérêts de toutes les femmes, pas seulement de 45 000 d'entre elles. Rétablir le statut de 45 000 femmes est sans doute mieux que rien, surtout lorsque leurs enfants sont exclus, comme les miens.
Essayez d'imaginer ceci : voici un projet de loi visant à corriger l'inégalité sexuelle issue de la Loi sur les Indiens, et le comité de la Chambre des communes ne convoque que deux femmes à ce sujet! Il y a un million d'Autochtones au Canada et le comité n'entend que deux femmes!
Il convient aussi de souligner que le gouvernement fédéral devrait cesser de se débarrasser de son devoir de consulter les Autochtones en le transférant aux organisations autochtones, car celles-ci ne peuvent pas consulter la population de base à cause de leur financement inadéquat par le gouvernement fédéral.
Comme vous le savez très bien, la prise en compte des préoccupations des Autochtones est une question controversée parmi ces derniers. Il est temps que le Sénat, ceci dit respectueusement, et toutes les autres parties concernées l'admettent. Il y a des centaines de milliers d'Autochtones qui affirment que ces organisations autochtones ne les représentent pas correctement, et il est temps que cela change. Les membres des Premières nations ont le droit de parler en vertu de l'article 2 de la Charte mais ils n'ont pas eu le droit de parler du projet de loi C-3.
Les organisations autochtones ne sont pas des gouvernements et ne sauraient refléter les lois coutumières ou les gouvernements traditionnels de la population autochtone. Ce sont des entités corporatives avec des conseils d'administration qui n'ont aucunement le droit de s'exprimer en notre nom sans nous demander notre avis. Nous, membres de la population autochtone, avons aussi le droit de participer au processus de décision.
Tôt ou tard, l'une de ces organisations sera mise sur la sellette au sujet du devoir légal de consulter. C'est alors que vous constaterez que le gouvernement fédéral n'a d'autre choix que de modifier la manière dont il gère sa relation avec la population autochtone, sur toutes ses préoccupations.
Le 26 octobre 2010, la Chambre des communes a adopté trois motions rétablissant le projet de loi C-3 sous sa forme originelle de mars 2010. Selon le procès-verbal des débats, diverses organisations autochtones avaient changé d'avis et accepté l'offre finale du gouvernement. Durant le débat, on a déclaré ceci :
Ils en sont venus à la conclusion qu'il serait préférable d'accepter les propositions actuelles du gouvernement et ils nous demandent maintenant d'appliquer la maxime « un tiens vaut mieux que deux tu l'auras ».
On ne trouve cependant dans le procès-verbal aucune indication du contenu de cette offre, ni des organisations autochtones l'ayant acceptée.
Quelle était cette offre, et qui étaient les organisations qui ont appuyé le projet de loi C-3 cet été-là? Je ne connais toujours pas la réponse à ces questions. J'ai fait des recherches sur Internet mais n'ai trouvé aucun avis informant la population sur un processus de participation qui s'est tenu durant l'été avec Affaires indiennes et du Nord Canada. Quel était ce processus de participation? Combien de personnes y ont participé? Qui étaient-elles? Comment ont-elles pris la décision d'appuyer le projet de loi? J'ai cherché partout pour trouver cette information, sans succès. Il est clair qu'il n'y a eu aucun processus de consultation sur le projet de loi C-3, et que ce processus de pré-consultation ne répondait absolument pas au devoir de consulter.
Les gens ont le droit de savoir ce qui s'est passé cet été-là, étant donné que le projet de loi touchera directement toutes les femmes autochtones, comme moi et mes enfants. Les enfants sont exclus par le projet de loi C-3. Mes grands- parents sont des Cris à 100 p. 100. Je n'approuve absolument par le principe de quotité de sang indien mais je tiens à dire que mes grands-parents sont des Cris à 100 p. 100. Ma grand-mère a perdu son statut quand elle a épousé mon grand-père. Mon grand-père a été omis du registre parce qu'il faisait la Première guerre mondiale — pour laquelle il n'a pas reçu la compensation à laquelle il avait droit, mais c'est une autre question. Quoi qu'il en soit, il n'a pas été inscrit sur le registre.
Ma grand-mère a perdu son statut quand elle a épousé mon grand-père, ce qui fait que ma mère n'a jamais été une indienne inscrite avant l'entrée en vigueur du projet de loi C-31. À l'heure actuelle — mes deux grands parents sont décédés —, ma grand-mère est une Indienne au titre de l'alinéa 6(1)c). Mon grand-père est un Indien au titre de l'alinéa 6(1)d), tous les deux étant des Cris à part entière. Ma mère est une Indienne au titre de l'alinéa 6(1)f). Elle aussi est une Crie à part entière. En ce qui me concerne, je suis une Indienne au titre du paragraphe 6(2), et mes enfants sont des Indiens non inscrits.
Mes grands-parents, ma mère et moi-même devrions être des Indiens au titre de l'alinéa 6(1)a) comme tous les autres Indiens relevant de l'alinéa 6(1)a). Ma grand-mère et ma mère ont recouvré leur statut en 1985 grâce au projet de loi C- 31 mais, en ce qui me concerne, je n'ai pas obtenu ce statut avant 2000, même si j'en avais fait la demande en 1985. J'ai dû mener une longue lutte de 15 ans pour essayer de prouver que mon grand-père était un Indien. Au bout de 15 ans, mon cousin a fini par trouver un document dans une église du Nord de l'Ontario dont il se trouve que le prêtre avait dit qu'il était Indien, ce qu'AINC a accepté. Croyez-moi, si vous vous étiez trouvés devant mon grand-père, vous auriez su qu'il était Indien.
Avec le projet de loi C-3, la même chose va se reproduire. AINC va en interpréter les dispositions à la lettre et va faire traîner l'octroi du statut à ce titre, tout comme il l'a fait dans mon cas et dans celui de mes 50 cousins qui étaient tous admissibles au titre du projet de loi C-31.
J'ai cru comprendre également qu'on avait proposé un amendement éventuel au projet de loi C-3, et qu'il aurait créé un vide législatif à l'article 6 de la Loi sur les Indiens, ce qui aurait essentiellement signifié que personne n'aurait plus jamais reçu le statut d'Indien. Pourquoi le public n'a-t-il pas été informé de cet amendement éventuel? Je n'en ai entendu parler que le 26 octobre. Certes, cela n'a plus d'importance aujourd'hui, parce qu'on nous a montré le projet de loi C-3, mais pourquoi ce projet d'amendement — ou cette menace, devrais je dire — n'a pas été divulgué au public, dans un esprit de redevabilité et de transparence?
Permettez-moi de m'écarter un peu du sujet. Je suis en effet préoccupée aussi par le processus des tables rondes. Le gouvernement fédéral a annoncé qu'aucun financement ne sera fourni pour les tables rondes tant que le projet de loi C- 3 n'aura pas été adopté. Pourquoi cela? Si les organisations autochtones n'approuvent pas le projet de loi, elles n'obtiendront pas de fonds? C'est du pur conditionnement pavlovien, où le chien se met à saliver dès qu'on sonne une cloche et qu'on lui montre un bout de viande. Est-ce à cela que les Autochtones sont maintenant réduits? Où est la bonne foi dans tout cela, dans cette décision de retenir les fonds du processus des tables rondes?
Le statut d'Indien et la citoyenneté sont deux questions totalement séparées qui devraient rester séparées. Le statut concerne uniquement la prestation de services par AINC, alors que la citoyenneté concerne l'appartenance à une collectivité. Le processus des tables rondes sur la citoyenneté peut fort bien s'engager même si le projet de loi C-3 n'est pas adopté.
Le gouvernement fédéral se sert de l'argent des tables rondes pour essayer d'amener les organisations autochtones à se conformer. Nous savons tous que ces organisations dépendent du gouvernement fédéral pour leur financement et qu'elles sont menacées de coupures budgétaires chaque fois qu'elles contestent une politique ou une législation du gouvernement fédéral.
Exemple classique, le dépôt du projet de loi sur la gouvernance des Premières nations, en 2003 je crois. Nous savons tous que le gouvernement fédéral a sabré de moitié les fonds de l'Assemblée des Premières nations et que celle-ci n'a jamais récupéré cette perte.
Le processus des tables rondes n'est pas la bonne solution. De toute façon, quel serait son mandat? Il n'y en a pas. Le gouvernement fédéral s'est contenté de dire que les Premières nations le fixeraient elles-mêmes.
Nous savons tous que les gens n'accepteront pas un code unique de la citoyenneté parce que nous sommes tous des peuples différents, avec des cultures, des valeurs et des coutumes différentes. Un processus de tables rondes, c'est une cote mal taillée portant atteinte aux principes du projet Harvard, notamment le respect culturel.
Le gouvernement fédéral se sert du processus des tables rondes pour amener les organisations à accepter le projet de loi C-3. C'est un piège. Il veut montrer à l'ONU qu'il laisse les gens décider de la question de citoyenneté alors qu'il fait en réalité tout le contraire. Il repousse la résolution du problème de l'inégalité sexuelle issue de la Loi sur les Indiens en jetant de l'argent pour des tables rondes. C'est contraire à l'éthique et immoral.
Les Premières nations ont droit à l'autodétermination et le droit de déterminer leur citoyenneté. Les Autochtones ont le droit de participer à la vie de leurs communautés. Aidez-les, plutôt. Laissez les Premières nations discuter de citoyenneté elles-mêmes, en consultant leurs communautés comme elles l'entendent.
C'est ce que l'ONU a dit au Canada en 1980 dans la décision Sandra Lovelace. N'obligeons pas une autre femme autochtone à passer encore 20 ans de sa vie devant les tribunaux à lutter contre le gouvernement fédéral, comme Sandra Lovelace et Sharon McIvor.
Je recommande de modifier l'alinéa 6(1)a) pour y inclure tous les Indiens des alinéas 6(1)b) à (f) et du paragraphe 6(2), et d'aider les Premières nations à formuler un processus de citoyenneté répondant aux besoins de leurs collectivités respectives.
La présidente : Pourriez-vous envoyer votre mémoire au greffier du comité afin que nous ayons votre texte exactement sous la forme voulue?
Mme Desrochers : Certainement.
Le sénateur Baker : Je vais poser toutes mes questions en rafale parce que je vois qu'il reste peu de temps.
Je tiens d'abord à féliciter les témoins de leurs excellents exposés. Je souligne que j'ai noté la semaine dernière, dans un arrêt de la Cour supérieure de l'Ontario, une référence au professeur Chartrand pour l'une de ses publications. Je pense également que M. Devlin était l'un des avocats dans l'affaire McIvor v. Canada, n'est-ce pas?
M. Devlin : Je représentais l'un des intervenants.
Le sénateur Baker : Le principal problème que nous pose ce projet de loi vient de la décision de la cour d'appel et de la décision du président de la Chambre des communes. Le projet de loi ne porte que sur la décision de la cour d'appel, d'une manière très restreinte.
Je ne sais pas si le greffier du comité a déjà indiqué à la présidente si le comité sénatorial a le droit de s'écarter d'une décision de procédure du président de la Chambre des communes. C'est une question de procédure intéressante. J'ai été autrefois stagiaire en droit dans une assemblée législative provinciale — il y a 40 ans — et je sais qu'un tel écart n'aurait pas été possible à l'époque.
Ma question porte sur l'arrêt de la cour d'appel. Le juge de première instance avait produit un jugement long de 70 pages qui semblait refléter une analyse exhaustive du problème. Au fond, ce que le juge de première instance de la Cour supérieure de la Colombie-Britannique avait fait, c'était exactement ce que le professeur Chartrand et les autres témoins ont déclaré ici aujourd'hui, tout comme vous, monsieur Devlin.
Toutefois, la cour d'appel a cassé ce jugement. Après l'avoir lu, je ne comprends toujours pas pourquoi. Je suppose que c'était en partie à cause de la Charte, c'est-à-dire qu'on ne peut pas demander un jugement à un tribunal en arguant d'une infraction commise contre une autre personne au titre de la Charte. Cela semble être une moitié de l'explication.
L'autre moitié était que la question n'avait pas été soulevée dans la preuve durant le procès. Après avoir examiné la décision du juge de première instance, je dois dire que je ne comprends pas complètement cet argument. J'aimerais que chacun d'entre vous, si possible, m'explique pourquoi la cour d'appel a rendu un jugement de portée aussi restreinte.
Ma deuxième question porte sur la responsabilité du gouvernement au titre de cette loi. En vertu du projet de loi, vous ne pourrez pas — vous pourrez essayer — de tenir le gouvernement redevable d'une forme quelconque de compensation, monétaire ou autre, à l'égard de l'objet du projet de loi. Pourriez-vous me dire pourquoi le gouvernement propose cette disposition, à votre avis? Je sais que ce n'est pas nouveau dans les textes législatifs mais, dans celui-ci, l'article qui vient ensuite est le dernier article du projet de loi fixant sa date d'entrée en vigueur à avril de l'an dernier.
Ma dernière question s'adresse à vous, monsieur Devlin. Il y a en Ontario le rapport Martin concernant la manière dont les procureurs de la Couronne sont censés se comporter comme représentants du ministre de la Justice. Les procureurs de la Couronne dans les affaires pénales font des pieds et des mains pour ne pas se faire dire : « Votre désir ne peut pas être de gagner ce procès. Vous n'êtes pas ici pour ça. Vous êtes essentiellement ici comme agent de la cour pour veiller à ce que toute la preuve soit présentée. » Il me semble que le procureur général adopte une position excessivement accusatoire à l'égard des questions dont nous traitons aujourd'hui.
Voilà les deux principales questions que j'adresse à M. Devlin, ainsi que ma demande de commentaire sur ma dernière observation.
La présidente : Sénateur Andreychuk, je suggère que vous posiez toutes vos questions afin que le panel puisse répondre à toutes.
Le sénateur Andreychuk : Je comprends l'arrêt. Le sénateur Baker et moi-même pourrons continuer notre débat sur les questions de droit, comme nous en avons l'habitude. Monsieur Chartrand et madame Desrochers, la cour a restreint la portée de son arrêt à une question précise. Le gouvernement affirme qu'il y en a beaucoup d'autres. De votre côté, si je comprends bien, vous dites que les organisations autochtones ne sont pas le bon groupe pour négocier avec le gouvernement. Vous réclamez une consultation directe. Cela veut-il dire que chaque Autochtone devrait être consulté par le gouvernement? Ça me plairait beaucoup mais je dois vous dire que le gouvernement ne me consulte pas chaque fois qu'il adopte un projet de loi me concernant. Il doit trouver un groupe représentatif s'exprimant au nom de la population.
L'autre chose est que le processus est ouvert, c'est-à-dire que les gens peuvent écrire au gouvernement ou lui envoyer un courriel. On peut faire toutes sortes de choses. On peut manifester dans la rue. On peut exprimer son acceptation ou son rejet d'un projet de loi de nombreuses manières dans une démocratie.
Je crois comprendre que le processus de consultation devait permettre aux Autochtones de s'exprimer. On ne cesse de nous dire que le leadership a changé. Il y a un groupe autochtone urbain. Il y a l'Assemblée des Premières Nations. Il y a les associations de femmes autochtones. Dois-je comprendre que toutes ces organisations ne sont pas représentatives, selon vous?
Si l'égalité est acceptée dans la collectivité autochtone, pourquoi dépend-elle du gouvernement fédéral comme déclencheur? Pourquoi les dirigeants autochtones n'affirment-ils pas eux-mêmes que cette situation est injuste pour leurs collectivités respectives et qu'ils vont s'attaquer eux-mêmes au problème dans leurs collectivités? Je reviens à la loi sur les biens matrimoniaux. S'il y a de l'injustice, ils occupent des postes de leadership. Ce n'est pas seulement une question d'argent, même si c'est important. Il doit y avoir un certain sens de la collectivité et de la justice à l'intérieur de la communauté autochtone.
La présidente : Une dernière question. Professeur, vous avez parlé de dignité. Je sais que le mot figure dans des documents des Nations Unies, par exemple, mais je ne l'aime pas. Je penche plus vers le test Andrews devant la Cour suprême que vers le test Law. Pourquoi avez-vous choisi d'employer le mot « dignité »? J'ai toujours pensé que la dignité ne s'applique pas à des questions telles que l'eau potable, le logement, l'alimentation ou l'éducation. Ça ne convient tout simplement pas. Je vous pose donc la question simplement par curiosité. Les questions des autres sénateurs porteront probablement plus sur le problème de fond.
M. Devlin : Je réponds aussi rapidement que possible aux questions du sénateur Baker. La première était de savoir pourquoi l'arrêt de la cour d'appel a un caractère si restrictif et en quoi cela est relié au projet de loi C-3. En ce qui concerne l'arrêt de la cour d'appel, il reposait malheureusement sur une interprétation littérale de la jurisprudence relative à l'article 15 de la Charte — la clause de l'égalité, l'arrêt Law c. Canada. La cour d'appel et le juge de première instance ont tous deux considéré que le droit en question était le droit de transmettre son identité culturelle. Leur divergence a porté sur le groupe de comparaison approprié. Quand on est saisi de questions relatives à l'égalité, on doit trouver un groupe de comparaison approprié. C'est de cette manière qu'on mesure le degré de discrimination subi.
Le juge de première instance s'est concentré sur ce frère hypothétique de Sharon McIvor comme facteur de comparaison. La cour d'appel s'est concentrée sur le facteur mère, grand-mère. Elle a déclaré que le groupe de comparaison idoine était un groupe de personnes dont les mères et grands-mères étaient des non-Indiennes qui, lorsque le projet de loi C-31 est entré en vigueur, est passé d'une situation où son statut indien était susceptible de lui être retiré au titre de la règle mère, grand-mère à une situation où, comme par magie, il recevait le plein statut du paragraphe 6(1), alors que les petits-enfants de Sharon McIvor ne recevaient rien. Les gens du groupe mère, grand-mère ont été considérés comme le bon groupe de comparaison. Voilà pourquoi la loi fait référence à septembre 1951, lorsqu'on a apporté à la Loi sur les Indiens les amendements introduisant la règle mère, grand-mère.
De plus, cela est relié à notre dernière recommandation concernant l'adoption d'un amendement modeste ajoutant un nouvel alinéa 6(1)c.2). À notre avis, cela correspondrait à la portée de l'arrêt de la cour d'appel puisqu'il ne s'agirait pas d'étendre la portée du projet de loi aux personnes qui auraient perdu leur statut à cause de la discrimination sexuelle avant septembre 1951. Notre objectif est de respecter le plus possible la portée de l'arrêt. Je vous renvoie à nouveau au tableau de la page 9 où vous pouvez voir que nous avons identifié la discrimination persistante et indiqué pourquoi cette petite proposition correspond encore à la portée de la législation et de l'arrêt de la cour d'appel.
Quant à savoir pourquoi le gouvernement propose de limiter sa responsabilité, je ne saurais vous le dire. Nous le signalons dans notre mémoire mais je ne peux vous en dire beaucoup plus à ce sujet.
Pour ce qui est de l'impartialité de la Couronne, vous évoquez une approche excessivement accusatoire de la part du procureur général. Encore une fois, je ne saurais faire de commentaires sur la stratégie du gouvernement en la matière. Je sais que le gouvernement a adopté cette perspective restreinte. Il n'essaye pas de rouvrir le débat au niveau constaté en 1985. Dans notre mémoire, nous disons que le gouvernement devrait profiter de l'occasion qui lui est présentée par la cour pour essayer au minimum d'éliminer la discrimination sexuelle. La question bouillonne depuis assez longtemps dans le système. Réglons-la une fois pour toutes afin de ne plus avoir d'appels similaires à ceux de Sandra Lovelace ou Sharon McIvor devant les Nations Unies ou d'autres organismes. Finissons-en maintenant si nous le pouvons.
M. Chartrand : Je partage l'opinion de M. Devlin au sujet de l'arrêt de la cour d'appel. Les propositions de l'ABC visant à éliminer la discrimination sexuelle résiduelle de la loi actuelle ne dépassent pas la portée de la loi, même selon sa définition par le Président de la Chambre. Elles sont tout simplement conformes à la portée de la loi actuelle. Elles permettraient aux nouveaux inscrits de transférer leur statut de la même manière que ceux qui le tirent de leur lignée paternelle. Elles permettraient d'éliminer de manière très simple cette discrimination sexuelle persistante.
En ce qui concerne les consultations, c'est une question assez complexe dans la mesure où elle soulève la question fondamentale de savoir quelle entité autochtone a le droit de bénéficier de l'obligation constitutionnelle d'être consultée sur les questions touchant ses intérêts. La Cour suprême du Canada s'est exprimée très clairement sur le critère que doit satisfaire une organisation autochtone pour bénéficier de l'obligation faite à la Couronne de consulter, et même de prévoir des accommodements. Il faut qu'il y ait un droit autochtone ou un droit issu des traités qui soit suffisamment convaincant. Il faut que ce soit plus qu'une simple affirmation. Il faut qu'il y ait un certain élément de preuve lui donnant du corps. Si ce critère est satisfait, le gouvernement est effectivement obligé, au titre de la Constitution, de consulter les nations autochtones ayant droit au bénéfice de cette consultation.
Ces organisations autochtones sont-elles les organisations politiques que nous connaissons — comme l'APN, le Congrès des Peuples Autochtones, et d'autres — ou ces droits reviennent-ils aux collectivités et nations autochtones telles qu'elles sont définies organiquement par suite de leur histoire et de leur ethnicité, depuis des temps immémoriaux? C'est ce groupe qui a droit à cette obligation de consultation et a le droit de déterminer sa citoyenneté, selon le droit international relatif aux droits humains. Ma collègue soulève une question pertinente quand elle s'interroge sur la légitimité de ces organisations à représenter les intérêts des peuples autochtones de ce territoire.
En ce qui concerne les questions qui se posent sur le terrain, dans les réserves, il y a beaucoup de paternalisme intériorisé de la part du leadership des réserves autochtones, qui est généralement masculin. Il existe beaucoup d'opinions intériorisées sur la valeur des femmes, opinions qui résultent de l'imposition de la Loi sur les Indiens, laquelle a un effet discriminatoire envers les femmes depuis 200 ans. À certains égards, cela fait désormais partie de la philosophie intrinsèque de ces collectivités. Il n'est pas nécessairement approprié de dire que les collectivités doivent s'y attaquer maintenant puisque c'est le gouvernement du Canada qui a causé les circonstances ayant créé l'inégalité dans les réserves, sur le terrain, entre les Indiens du 6(1) et les Indiens du 6(2). Il faudrait lancer un projet de justice sociale concerté pour s'attaquer à cette inégalité, mais cela ne viendra pas du projet de loi C-3.
Au sujet de la dignité, ma réponse est que parler de la valeur d'un être humain et dire qu'une personne a moins de valeur qu'une autre participe précisément d'une question de dignité.
Mme Desrochers : Je réponds à la première question. Je partage l'avis de l'ABC sur la raison pour laquelle la cour d'appel a rendu un jugement aussi restreint, mais j'ajoute un petit élément de controverse à cet argument. Les juges sont des êtres humains comme les autres. En ce qui concerne la question du statut d'Indien en vertu de la Loi sur les Indiens, c'est une question controversée, tout comme celle des titres de propriété autochtones. Certaines causes relatives aux titres de propriété autochtones ont traîné 20 ans devant les tribunaux. Certaines ont abouti devant la Cour suprême, laquelle n'a pas rendu de jugement et les a renvoyées directement devant le tribunal de première instance.
Personne ne veut s'attaquer sérieusement aux grandes questions de titres de propriété autochtones, de statut indien, d'inscription au registre de la Loi sur les Indiens. À mon sens, l'arrêt de la cour d'appel fait d'une pierre deux coups. Il donne satisfaction au gouvernement fédéral et donne satisfaction à certaines femmes. J'ajoute un peu matière à réflexion. En ce qui concerne la décision du juge, il était habilité à la prendre, mais il n'était qu'humain, lui aussi.
Pour ce qui est de la responsabilité civile et de la justification de cette disposition, c'est parce qu'on veut économiser de l'argent. Lorsque le gouvernement fédéral élabore une politique, un programme ou un service, c'est toujours une question d'argent. La première chose que vous voyez dans une note d'information concernant une nouvelle politique, c'est l'expression « pourrait créer un précédent ». Il a ajouté cette disposition d'exonération de responsabilité pour ne pas se faire vider les poches.
Par exemple, j'ai demandé à devenir une Indienne inscrite en 1985. J'avais 15 ans à l'époque et je venais de terminer l'école secondaire. Dans les années 1990, j'ai étudié les sciences infirmières et aussi l'informatique. J'ai payé toutes mes études de ma poche. J'ai reçu ma carte de statut en 2000, au moment où j'entrais à la faculté de droit. Mes études de droit et ma maîtrise en droit ont été payées par AINC du fait de mon statut d'Indienne. Le gouvernement se dit essentiellement : « Si nous devons les indemniser, cela risque de nous coûter très cher si on doit tous les rembourser ». J'aurais dû avoir mon statut en 1985 et je soupçonne que c'est son raisonnement.
En ce qui concerne le leadership autochtone et la représentation, je tiens à préciser que les organisations autochtones nationales ne sont pas du tout le leadership; ce sont des entités corporatives avec des conseils d'administration qui ont été créées par le gouvernement fédéral. Je respecte les gens qui travaillent pour ces organisations. Elles sont financées par le gouvernement fédéral. Donc, dès qu'elles disent : « Non, nous ne voulons pas appliquer vos politiques », AINC fait volte-face et leur répond : « Eh bien, nous n'allons plus vous financer ». Le processus des tables rondes en est un exemple éclatant. Ces organisations ne recevront pas d'argent tant que le projet de loi C-3 n'aura pas été adopté. Les deux questions de la citoyenneté et du statut n'ont rien à voir l'une avec l'autre. Il n'y a aucune raison pour que le processus des tables rondes n'ait pas eu lieu au printemps dernier, lorsque l'idée en a été lancée.
J'approuve tout ce qu'a dit le professeur Chartrand sur la représentation. Beaucoup de gens vivent sous le régime de la Loi sur les Indiens. Ils ne connaissent que la Loi sur les Indiens. La représentation est une question controversée si l'on essaye d'amener les gens à penser en dehors de la Loi sur les Indiens et à voir ce qu'il pourrait y avoir d'autre à côté. Avons-nous nécessairement besoin d'une autre loi pour remplacer celle-là? Je ne crois pas. L'article 35 entérine le droit inhérent à l'autonomie gouvernementale. Ces nations indigènes sont des États. Elles ont le statut d'État. Nous étions ici les premiers, avant l'arrivée des Européens, et étions des nations indépendantes. Nous n'avions pas de Loi sur les Indiens nous disant quoi faire. Nous faisions ce que nous voulions. Il faut simplement essayer d'amener les gens à s'affirmer.
L'un des principes du projet Harvard est l'assertion de souveraineté. Les auteurs ont constaté que les tribus des Premières nations qui ont eu le plus de succès aux États-Unis sont celles qui ont pris l'initiative d'affirmer leur souveraineté.
M. Chartrand : J'étais ici à 16 heures, lorsque le ministre a témoigné. J'ai été frappé par l'une de ses déclarations, c'est-à-dire qu'il y aura un vide juridique si le gouvernement n'agit pas. Certes, les dispositions d'inscription de la Loi sur les Indiens ne s'appliqueront peut-être plus, mais il n'y aura aucun vide juridique en ce qui concerne les lois de nations qui sont indigènes, du point de vue de leur citoyenneté et de qui elles sont. Cette idée semble être très répandue au gouvernement et, parfois, dans les tribunaux, mais elle est fausse. Les nations indigènes ont des traditions légales régissant tout ce qu'elles font, de la gestion des ressources au mariage, de l'adoption à la citoyenneté. Évidemment, elles ont été écrasées par la législation que leur ont imposée des gouvernements étrangers pour leur dicter qui elles sont. Lorsque les collectivités essayent de recouvrer leur identité, plutôt que de s'en remettre au gouvernement, des problèmes surgissent du fait de l'impact de cette histoire.
Aux États-Unis, les tribus autochtones sont souveraines du point de vue de leur citoyenneté. Ça n'a rien d'effrayant. Les tribus des États-Unis sont souveraines et contrôlent leur citoyenneté depuis 1832. Le gouvernement négocie avec elles tribu par tribu parce qu'il les traite comme des nations indépendantes les unes des autres. Il n'essaye pas de concocter des programmes nationaux pour toutes parce que cela reviendrait à nier leur différence en tant que nations au sein des États-Unis.
Voilà ce que je voulais ajouter.
Mme Desrochers : Permettez-moi un dernier mot. L'un des sénateurs a demandé pourquoi les chefs autochtones ne disent pas qu'ils veulent régler eux-mêmes le projet de loi C-3. En fait, c'est ce qu'ils disent. Ce sont les chefs qui se trouvent sur le terrain, dans les collectivités, et c'est ce qu'ils disent. Par contre, ils n'ont tout simplement pas les ressources nécessaires pour ce faire.
Le problème ne vient pas des gens. Il vient du gouvernement fédéral. Replaçons-le là où il doit être, au gouvernement fédéral. Les gens veulent régler la question de la citoyenneté. Le problème est qu'ils n'ont pas les ressources nécessaires et que le gouvernement fédéral ne veut pas les leur donner. Il veut se débarrasser du financement de l'enseignement secondaire et des prestations de santé, et nous voyons déjà ce qu'il fait du programme de financement de l'enseignement secondaire, et aussi des prestations de santé.
L'un des sénateurs disait que nous avons beaucoup de moyens d'exprimer notre point de vue sur les lois que nous n'aimons pas. Nous pouvons envoyer des lettres, a-t-elle dit, envoyer des courriels, manifester dans la rue et trouver beaucoup d'autres méthodes pour donner une voix aux peuples autochtones. Certes, nous pouvons écrire et envoyer des courriels. C'est ce que nous faisons depuis avril. Est-ce qu'on nous a écoutés? J'ai envoyé des lettres. J'en ai envoyé une au premier ministre en mai. Je n'ai pas reçu de réponse. J'en ai envoyé une à quelques chefs de partis il y a quelques semaines, après le 26 octobre. Je n'ai pas encore reçu de réponses.
On peut écrire des lettres, mais recevra-t-on des réponses? Entre-temps, le projet de loi aura-t-il été adopté? Comme vous le savez tous, les gens n'aiment pas protester. Ils n'aiment pas ça. De toute façon, si quelqu'un propose d'aller manifester, le gouvernement fédéral dira que nous sommes une bande de terroristes. Vous voyez sans doute de quoi je veux parler.
Si nous descendons dans la rue pour protéger nos droits de peuples autochtones, le gouvernement fédéral nous considérera comme des terroristes. Nous sommes la seule race au monde qui se fait traiter de terroriste lorsqu'elle essaie de protéger ses droits.
On peut avancer beaucoup d'arguments devant les tribunaux pour répondre à ceux du gouvernement. Ce sont simplement certains des obstacles que nous devons surmonter. Les peuples autochtones du Canada ne sont pas tous les mêmes. Chaque collectivité est différente et aborde ses droits de manière différente. Chacune a un point de vue différent. Je tenais à le souligner.
La présidente : Je vous remercie beaucoup tous les trois. C'était une fin de témoignage intéressante. Vous nous forcez certainement à réfléchir.
(La séance est levée.)