Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 3 - Témoignages du 31 mars 2010
OTTAWA, le mercredi 31 mars 2010
Le Comité sénatorial permanent des Affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd'hui à 16 h 22 pour examiner les dispositions et l'application de la Loi sur l'identification par les empreintes génétiques (L.C. 1998, ch. 37).
Le sénateur Joan Fraser (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Bienvenue à la réunion du Comité sénatorial permanent des Affaires juridiques et constitutionnelles.
[Français]
Nous poursuivons notre étude sur les dispositions et l'application de la Loi sur l'identification par les empreintes génétiques. Nous avons le plaisir, aujourd'hui, d'accueillir comme témoin M. Vincenzo Rondinelli, avocat, représentant la Criminal Lawyers' Association.
[Traduction]
Bienvenue au Sénat, M. Rondinelli. Je pense que vous connaissez la formule. Nous vous invitons à présenter une déclaration d'ouverture et nous vous poserons ensuite des questions. Vous avez la parole.
Vincenzo Rondinelli, avocat, Criminal Lawyers' Association : Au nom de la Criminal Lawyers' Association, je vous remercie de m'avoir invité à parler aujourd'hui de cet important projet de loi. Je dirais, à titre d'information générale, que notre organisation représente environ 1 000 avocats de la défense de différentes régions du Canada. Notre mission consiste en partie à présenter des observations à des comités comme le vôtre. Nous exerçons également un rôle consultatif auprès de la magistrature et des procureurs de la Couronne. Tout comme les procureurs de la Couronne, nous sommes la première ligne du système de justice pénale de sorte que les projets de loi comme celui-ci ont de grandes répercussions sur le travail de nos membres.
J'ai remis des remarques écrites qui, je crois, ont été distribuées, ainsi que l'allocution que j'ai faite à la conférence sur l'ADN à Osgoode Hall Law School ce week-end dernier. Ces commentaires écrits viennent compléter ma déclaration d'ouverture, qui va, je l'espère, être brève. Comme vous le savez sans doute, lorsqu'un avocat dit qu'il va être bref, ce n'est pas nécessairement la vérité, mais je vais essayer de le faire.
La présidente : Les politiciens fonctionnent également de cette façon. Nous connaissons bien cette tactique.
M. Rondinelli : La principale préoccupation que soulève pour nous la Loi sur les empreintes génétiques est le risque d'invasion législative. Si nous regardons l'historique de cette loi au Canada, nous constatons qu'il faut vraiment parler d'invasion législative et nous espérons pouvoir y mettre un terme à un moment donné. En 1995, lorsque la première Loi sur les empreintes génétiques a proposé les mandats de prélèvement, le type de contrevenants et les infractions visées se limitaient aux délinquants les plus violents et aux infractions sexuelles.
Avançons rapidement à l'an 2000, l'année de naissance de la Banque nationale de données génétiques, et nous constatons que la catégorie des délinquants visés s'est considérablement élargie. Nous avons réparti les infractions en deux catégories indépendantes : les infractions primaires et les infractions secondaires. En plus de l'ajout d'autres infractions violentes et sexuelles à cette liste, un certain nombre d'infractions reliées à la conduite automobile se sont retrouvées dans le projet de loi. Par exemple, la conduite dangereuse ayant causé des lésions corporelles et la conduite avec facultés affaiblies ayant causé des lésions corporelles ont été réputées être des infractions secondaires.
Plus récemment, avec le projet de loi C-13 adopté il y a quelques années, toute une série de nouvelles infractions ont été ajoutées, principalement parce que la Banque nationale de données génétiques reçoit les empreintes génétiques de toute personne déclarée coupable d'un acte criminel punissable par une peine d'emprisonnement d'au moins cinq ans. Bien évidemment, avec ces nouvelles infractions, on a ajouté un grand nombre de délinquants. En plus de tout cela, ces dispositions visent un nouveau type de délinquants, l'accusé déclaré non criminellement responsable pour cause de troubles mentaux, un groupe qui n'avait jamais été visé par ces dispositions avant l'adoption du projet de loi C-13.
Là encore, nous constatons une tendance qui nous éloigne de cette liste restreinte. Au tout début, tous les arguments ont été avancés, non seulement ici, mais également aux États-Unis, au sujet de l'équilibre à établir et de la notion sacrée qu'est le respect de la vie privée, parce qu'on peut dire que le gouvernement se donne le droit de s'emparer de ce que l'on a appelé le code de la vie. Il faut concilier la protection de la vie privée avec la lutte contre la criminalité, un aspect qui intéresse bien évidemment tout le monde. Le législateur a décidé de s'en tenir uniquement aux délinquants sexuels, et aux délinquants particulièrement violents et c'est ce qui est également arrivé aux États-Unis. Aujourd'hui, les États-Unis ont complètement changé de direction et il y a même des États qui effectuent des prélèvements au moment de l'arrestation.
Il est clair que le balancier s'est déplacé et nous pensons qu'il est allé beaucoup trop loin dans l'autre direction. C'est pourquoi nous disons qu'il faudrait mettre un terme à cette invasion. Ce que je dis ressemble peut-être à une mauvaise annonce pour un service public, mais regardez où se trouve le balancier. Je vais laisser de côté pour le moment les arguments relatifs à la protection de la vie privée et des libertés civiles que l'on présente habituellement. Vous avez probablement entendu d'autres organismes vous présenter ces arguments. Encore une fois, ces questions se posent depuis le premier jour où l'on a adopté une loi sur les empreintes génétiques. Aux fins qui nous occupent aujourd'hui, j'aimerais plutôt parler des répercussions concrètes et de l'endroit où se retrouve le balancier aujourd'hui. Nous disons qu'il a été trop loin et nous nous demandons si cette tendance a vraiment un effet pratique ou bénéfique, si je peux m'exprimer ainsi, pour la lutte contre la criminalité.
Premièrement, avons-nous les moyens nécessaires pour une telle expansion? Je suis certain que vous connaissez tous le rapport de la vérificatrice générale de 2007 qui parlait d'arriérés. Je suis certain que vous avez entendu des témoins qui ont proposé des stratégies pour l'avenir ou des mesures qui pourraient être prises pour remédier à ce problème. Nous savons qu'il existe aux États-Unis un problème qui perdure, celui des arriérés. Si nous continuons à ajouter des données à cette banque, je me demande si elle sera en mesure de les traiter. C'est ce que nous verrons. Le comité connaît les stratégies actuelles.
Cette question touche uniquement la première phase du rôle de la Banque nationale de données génétiques : le versement des données dans la banque de données. L'autre côté de l'équation est de savoir ce qui se passe lorsque la banque crache les données, si je peux m'exprimer ainsi. Si la banque de données prend de l'ampleur, le nombre des correspondances augmentera aussi. C'est ce qui se passe. L'argument principal consiste à dire qu'il faut ajouter le plus de profils possible parce que nous voulons avoir le plus grand nombre possible de correspondances. Le problème est le suivant : sommes-nous en mesure d'utiliser ces correspondances? Qui va s'en occuper? Cette tâche va incomber aux policiers qui appartiennent aux divers services de police locaux. Seront-ils en mesure de traiter toutes ces correspondances?
Aux États-Unis, les « correspondances abandonnées », comme on les appelle aux États-Unis, sont à l'origine d'un autre problème chronique qui découle simplement du nombre colossal des profils obtenus. Ces correspondances restent sur un bureau, évidemment, si on les a imprimées. Il est pratiquement impossible de suivre chacune de ces correspondances.
Pensez au cas où il existe une correspondance, sans que rien ne se fasse à ce sujet, principalement par manque de ressources, et qu'un violeur en série récidive. Bien évidemment, si les policiers avaient suivi cette correspondance, ils auraient pu arrêter le violeur en série et l'empêcher de commettre d'autres agressions sexuelles. Qui va être responsable dans un cas de ce genre? Je ne suis pas en train d'inventer quoi que ce soit. Ce cas s'est produit aux États-Unis. Il existe quelques exemples d'affaires de ce genre et où les demandeurs exigent que quelqu'un assume la responsabilité de ces événements. Ils présentent des demandes en responsabilité délictuelle et fondées sur la faute. Au Canada, qui sera déclaré responsable? Sera-ce la GRC qui s'occupe de la BNDG ou sera-ce le service de police local qui ne compte peut-être que trois personnes dans sa division.
Je ne vois pas comment l'on pourrait répondre à ces questions. Je ne suis pas ici pour vous parler de ressources. Il est évident que les ressources seront toujours insuffisantes. Mais le nombre de correspondances qui vont sortir d'une base de données élargie va très probablement poser un problème sur lequel il faudrait, à tout le moins, se pencher.
Il s'agit en fait de savoir ce qu'apporte vraiment la Banque nationale de données génétiques. Est-ce que les sommes que nous avons investies dans cette banque de données nous permettent d'obtenir des résultats satisfaisants? J'ai examiné ce qui s'est passé dans d'autres pays qui sont plus grands que le nôtre ou qui ont davantage d'expérience dans ce domaine. J'ai déjà parlé des États-Unis. Le Royaume-Uni, comme vous le savez, possède près de sept millions de profils génétiques. Le gouvernement a effectué des études pour déterminer si ce système était rentable, parce qu'il l'étend et ajoute de nombreux profils chaque année. Ce système est-il satisfaisant?
D'après une étude récente, même en versant plus de 650 000 profils par année dans la banque, ces profils ne sont utiles que dans 1 affaire pénale sur 800. Lorsque ces études examinent les montants qui sont dépensés pour acquérir les profils, les verser dans la banque, les préserver, et cetera., on constate que ce coût est équivalent au coût de formation et à la rémunération de 60 agents de police supplémentaires. Si vous demandez à des citoyens s'ils préfèrent avoir davantage de policiers en train de patrouiller dans la rue ou davantage de profils dans la banque de données, qui, en fin de compte, ne serviront peut-être pas à grand-chose, il est très probable qu'ils préféreront avoir davantage d'agents de police. Ces chiffres ne me surprennent pas. Même sur le plan statistique, les délinquants qui récidivent le plus sont les délinquants violents et ceux qui commettent des agressions sexuelles. C'est dans ces catégories que l'on retrouve les plus forts taux de récidive. Ce n'est pas le profil de l'octogénaire qu'on a accusé de conduite dangereuse ayant causé des lésions corporelles qui va être vraiment très utile.
Avec les chiffres dont nous disposons concernant la banque de données, comment pouvons-nous mesurer le succès de cette banque? Le chiffre que l'on semble mentionner le plus souvent est celui du nombre des enquêtes pour lesquelles les correspondances obtenues grâce à la Banque nationale de données génétiques ont été utiles. Le 12 mars 2010, le site web de la banque mentionnait que les correspondances avaient été utilisées dans 989 enquêtes sur des meurtres. La banque de données contient au total 14 435 profils qui sont répartis entre différentes infractions. En fin de compte, que veut dire une telle affirmation? Les enquêtes ont-elles débouché sur des condamnations ou des plaidoyers de culpabilité? Que veut dire être « utile »? Il n'y a pas que notre pays qui se pose cette question. Les États-Unis se la posent également et cherchent à savoir comment mesurer l'utilité des correspondances.
Cela fait 10 ans que nous avons la banque de données. Nous devrions pouvoir mieux analyser les résultats obtenus grâce à ces correspondances. Je suis venu vous dire : arrêtez cette invasion, elle n'est pas nécessaire.
Je vais terminer en faisant un commentaire au sujet du Comité consultatif de la Banque nationale de données génétiques. Ses membres sont nommés aux termes du règlement d'application de la Loi sur l'identification par les empreintes génétiques. Le gouvernement et les policiers sont très bien représentés au comité consultatif, mais il n'y a aucun avocat de la défense. La Criminal Lawyers Association est très déçue de cette omission. Un avocat de la défense possède un point de vue tout à fait unique sur les questions qu'examine la direction de la banque de données. Nous espérons qu'à l'avenir il y aura un représentant du barreau de la défense parmi les membres de ce comité.
Voilà mes commentaires.
La présidente : Merci. Nous avons une longue liste de personnes qui veulent poser des questions.
Le sénateur Wallace : Monsieur Rondinelli, j'ai bien aimé votre exposé.
Vous avez exprimé des préoccupations et des réserves au sujet de l'accroissement du recours aux analyses génétiques et au sujet des lois qui ont été adoptées successivement. Vous avez qualifié cette expansion d'invasion législative. Nous voulons protéger le mieux possible les Canadiens, avoir un bon système judiciaire et lutter efficacement contre la criminalité. Nous voulons concilier cette protection avec la vie privée des personnes sur lesquelles sont pris les échantillons. Vous dites que le balancier est allé trop loin.
M. Rondinelli : Oui.
Le sénateur Wallace : Je crois comprendre que vous pensez que nous devrions en rester là. Je comprends qu'il appartient à chacun d'entre nous de décider si nous sommes allés trop loin. La population exerce des pressions, comme vous le savez très bien, pour élargir le recours aux analyses génétiques, de façon à résoudre les crimes et à emprisonner ceux qui les commettent. C'est un sujet qui intéresse de plus en plus la population.
Pour ce qui est de l'expérience du Canada, existe-t-il des éléments concrets qui appuient votre opinion? Avez-vous examiné cette question en vous basant sur des données statistiques ou s'agit-il simplement d'une opinion qui est justifiée par un certain nombre de cas que vous choisissez? Existe-t-il des éléments quantitatifs qui nous permettraient de décider si le balancier a effectivement été trop loin?
M. Rondinelli : Habituellement, je ne réponds pas à une question en posant une question, mais voici ma question. Je ne suis pas venu ici pour dire que je m'oppose à la lutte contre la criminalité, parce que c'est ce qui me fait vivre. Si l'on prend la Banque nationale de données génétiques et le compromis initial qui a été accepté, qui est la question à un million de dollars, nous parlons d'opposer le droit à la vie privée et la nécessité de lutter contre le crime. Où sont les preuves qui indiquent que la banque de données est efficace? Les États-Unis ont de la difficulté à répondre à cette question. Le Royaume-Uni a terminé quelques études préliminaires. À un moment donné, l'efficacité de la banque va atteindre un plateau et va ensuite diminuer. Il n'est pas rentable d'ajouter tous ces profils parce que ce n'est pas cela qui améliore la sécurité de nos villes. Cela ne fait qu'augmenter les dépenses. Je pense qu'un citoyen ordinaire, s'il connaissait tous les faits pertinents, pourrait en arriver à une conclusion, mais nous n'avons pas tous les faits pertinents. C'est mon principal argument. La seule mesure qui montre que cette banque est un succès, est celle des enquêtes qui ont été facilitées, quel que puisse être le sens de cette affirmation plutôt vague. C'est ce que je veux dire. Cela fait 10 ans. S'il existe des données que l'on peut analyser, nous pourrions avoir des données statistiques concrètes qui montrent aux Canadiens que la banque de données est utile. Si nous pouvons démontrer que plus nous y versons de profils, y compris ceux des délinquants qui conduisent de façon dangereuse et qui commettent ensuite des agressions sexuelles, et que nous réussissons à en arrêter et à en envoyer en prison de plus en plus, alors c'est une excellente chose. Selon les principes généraux de la criminologie et du seul point de vue des statistiques, nous savons que ceux qui récidivent sont les délinquants violents qui commettent des agressions sexuelles et ce genre d'infractions. Nous avons les profils de ces délinquants. Je pense que la banque de données est surtout utile pour ces délinquants. Tant que nous n'aurons pas de meilleures statistiques, c'est tout ce que nous pouvons dire.
Le sénateur Wallace : Les crimes graves, les infractions primaires, constituent une catégorie qui a été élargie et les circonstances dans lesquelles il est obligatoire de prélever un échantillon ont également été multipliées.
M. Rondinelli : C'est exact.
Le sénateur Wallace : Vous posez-vous des questions au sujet des infractions pour lesquelles il faut maintenant obtenir un prélèvement? Pensez-vous que certaines de ces infractions ne sont pas suffisamment graves pour figurer dans cette liste? Pensez-vous également, par exemple, pour parler de terrorisme, qu'il y a peut-être des infractions tout aussi graves qui menacent tout autant la population et que nous devrions sérieusement envisager d'utiliser cette technique pour mieux protéger nos citoyens?
M. Rondinelli : J'accepte tout à fait les infractions qui figurent sur cette liste. Depuis l'adoption du projet de loi C-13, on a qualifié certaines infractions de super primaires, parce qu'il existe une liste d'infractions pour lesquelles le prélèvement est obligatoire en plus de celle qui contient les infractions primaires. Ce n'est pas tant sur les infractions qui figurent sur la liste que je me pose des questions. Ce que je n'accepte pas, c'est le caractère obligatoire du prélèvement des échantillons. Je pense qu'il n'est pas bon de supprimer le pouvoir discrétionnaire des tribunaux. Ce genre d'obligation touche la question de la détermination de la peine et je m'oppose toujours à ce que l'on retire leur pouvoir discrétionnaire aux tribunaux, parce qu'il y a toujours un cas, quelle que soit la question en jeu, qui ne peut pas être réglée de façon appropriée, parce que la décision est obligatoire. Mais j'accepte tout à fait la liste.
Le sénateur Wallace : Dois-je en conclure que vous ne vous opposez pas à ce qu'on ajoute à cette liste ce que l'on pourrait appeler d'autres infractions graves — quelle que soit la façon dont on peut les définir? Cette technique ne devrait pas être utilisée pour les infractions mineures.
M. Rondinelli : Oui.
Le sénateur Wallace : S'il est démontré que l'infraction est grave, alors vous ne vous opposez pas à ce qu'elle figure sur la liste.
M. Rondinelli : Non, en particulier si nous allons dans l'autre sens, et si, comme aux États-Unis et dans le Royaume- Uni, nous effectuons des prélèvements au moment de l'arrestation. Il s'agit là de personnes qui n'ont même pas été condamnées de quoi que ce soit. Le balancier est allé trop loin, du moins à notre avis, même si c'est évidemment ce qui se fait.
Le sénateur Wallace : Vous avez parlé de la question des ressources et vous vous êtes demandé si les ressources consacrées aux analyses génétiques étaient suffisantes. Vous avez parlé du rapport de la vérificatrice générale de 2007 et des commentaires qu'il contient. Comme vous le savez sans doute, le gouvernement a répondu à ce rapport en juillet 2008. La GRC a également publié une mise à jour en mai 2009. La GRC a analysé les recommandations contenues dans le rapport de la vérificatrice générale, et je crois qu'elle a adopté plus de la moitié de ces recommandations. La GRC est en train de s'occuper des autres recommandations. De plus, le budget de 2010 affecte une somme supplémentaire de 14 millions de dollars sur deux ans aux analyses génétiques.
Nous avons fait de grands progrès.
M. Rondinelli : Oui.
Le sénateur Wallace : Cela ne vous fait-il pas réfléchir un peu aux préoccupations que vous avez exprimées plus tôt au sujet de l'insuffisance des ressources et en particulier, des ressources dont parlait le rapport de la vérificatrice générale de 2007?
M. Rondinelli : Bien évidemment, il y a eu un progrès. La question est de savoir si la banque peut absorber tout ce travail supplémentaire et si les progrès vont se poursuivre. Vous le savez mieux que moi, les budgets changent et il pourrait arriver un moment où il sera impossible, pour une raison ou pour une autre, de traiter toutes les demandes d'analyse génétique. L'aspect qui ne suscite pas beaucoup d'attention à ce moment-ci est ce qui se passe à l'autre extrémité : lorsqu'il y a des correspondances, qu'en fait-on et quelles sont les ressources consacrées à cet aspect? Ces questions sont très complexes parce qu'il n'y a pas qu'un seul service policier qui s'occupe des correspondances. Ceci peut provenir de n'importe quelle province ou territoire du Canada. Les ressources policières varient d'une province et d'une ville à l'autre et je crois que ces variations posent un réel problème.
Le sénateur Runciman : Une précision, vous dites en fait, avec certaines exceptions, que ce qui vous inquiète avec l'accroissement ou l'invasion, comme vous dites, des infractions désignées, c'est que les ressources ne suivent pas cette augmentation des responsabilités. S'il y avait des fonds, votre association ne se poserait pas vraiment de questions sur l'augmentation du nombre des infractions désignées, compte tenu des exceptions que vous avez mentionnées. Est-ce bien là votre point de vue?
M. Rondinelli : J'ai insisté sur les répercussions concrètes, sur le plan financier. Nous nous posons toutefois de graves questions pour ce qui est des infractions qui vont être ajoutées. Comme je l'ai mentionné, nous ne nous opposons pas vraiment aux infractions graves. Nous nous opposons plutôt aux infractions reliées à la conduite automobile. La première version de ce type de loi avait choisi une ligne de démarcation tout à fait appropriée.
Le sénateur Runciman : J'aimerais aborder plusieurs aspects. Vous avez dit que la population préférait voir augmenter le nombre des policiers en patrouille que de consacrer des fonds à une banque de données comme celle-ci. Je lisais un article de l'Association canadienne des chefs de police. De leur point de vue, et je crois que beaucoup d'agents de première ligne le pensent également, il faudrait augmenter sensiblement la liste des infractions désignées. Ils considèrent que ces infractions annoncent bien souvent la perpétration de crimes plus graves. Ils mentionnent à titre d'exemples l'intrusion de nuit et le harcèlement criminel. Ils mentionnent toute une série de situations dans lesquelles, du point de vue des services de police, il conviendrait de faire évoluer la banque de données et la loi pour élargir la catégorie des infractions désignées.
Vous avez parlé de l'expression « non criminellement responsable ». L'Association canadienne des chefs de police a pris position sur cette question. Elle estime qu'il y a lieu de prendre des échantillons sur ces personnes et je lis les documents que cette association a fournis au gouvernement. La personne en question a peut-être commis auparavant des infractions qui n'ont pas été résolues, et qui ne le seraient jamais sans les analyses génétiques. Il y a également le risque que l'accusé récidive lorsqu'il est libéré parce qu'on estime qu'il ne représente pas un danger pour la société.
À titre d'expérience personnelle, il existe une unité judiciaire à Brockville, ma ville d'origine, et nous avons eu un individu qui a été déclaré non criminellement responsable pour un crime grave et cet individu a commis par la suite un autre meurtre. Je ne sais pas si ce genre de cas est fréquent, mais je peux vous parler de celui-ci parce qu'il est arrivé dans ma propre collectivité.
Pourriez-vous expliquer davantage pourquoi vous pensez que des individus qui sont déclarés non criminellement responsables pour des crimes graves et particulièrement choquants ne devraient pas être tenus de fournir un échantillon?
M. Rondinelli : Je ne pratique pas beaucoup dans le domaine des individus non criminellement responsables et souffrant de troubles mentaux; je ne peux donc pas prétendre que je connais bien ce domaine. J'ai parlé de ces délinquants par rapport à l'historique de la législation pour montrer comment le balancier s'était déplacé, non seulement sur le plan des infractions, mais également sur celui des catégories de délinquants. Je voulais montrer que nous repoussons constamment la ligne de démarcation et que nous étions passés à cette catégorie. Même avec le cas des NCR, ce n'est pas tant la gravité ou le caractère choquant de l'infraction pour laquelle ces personnes ont été déclarées non criminellement responsables, quel que soit le crime commis, mais c'est l'aspect obligatoire. Encore une fois, comme vous le savez, l'accusé qui est déclaré être non criminellement responsable est bien souvent envoyé à Oak Ridge et risque de ne jamais être remis en liberté ou du moins d'y demeurer très longtemps pour être traité. Il faudrait que le tribunal puisse tenir compte de ces aspects pour décider si, dans le cas d'un individu particulier, il y a lieu de prélever un échantillon en vue d'une analyse génétique.
Le sénateur Runciman : Nous avons obtenu un peu plus tôt dans notre étude un document intitulé Étude nationale sur l'utilisation des ordonnances de prélèvement des empreintes génétiques rendues par les tribunaux de juridiction criminelle pour adulte. Ce rapport examinait la Banque nationale de données génétiques de 2000 à 2006 pour ce qui est des infractions primaires.
Les ordonnances de prélèvement n'ont été rendues que dans 54,2 p. 100 des dossiers. Pour les infractions secondaires, ce pourcentage est même encore inférieur. Je crois qu'il est de 16,7 p. 100. On me dit que ce chiffre s'est amélioré depuis quelques années.
De votre point de vue du barreau de la défense, comment expliquez-vous cette situation? S'agit-il d'un manque d'attention de la part des juges et des poursuivants, ou plutôt d'un désaccord sur le plan des principes? Oublient-ils simplement d'appliquer la loi ou font-ils de la résistance active?
Je vais vous donner un exemple que j'ai mentionné à l'Assemblée législative de l'Ontario l'année dernière. Un individu inculpé de deux agressions sexuelles graves accompagnées de violence devait comparaître à son enquête sur cautionnement. Des preuves génétiques reliaient l'accusé à une des agressions sexuelles; cela n'a pas empêché le juge de libérer l'individu pour qu'il réside chez son père. La Couronne n'a pas interjeté appel de la décision de le remettre en liberté. Par la suite, cet individu a été inculpé du meurtre de deux femmes qui vivaient dans une maison située tout à côté de celle de son père.
Là encore, on se demande comment la magistrature et la Couronne abordent ce genre de situation et quelle importance elles accordent aux preuves génétiques dans des cas comme ceux-ci. Bien évidemment, cela varie selon le juge ou le procureur de la Couronne concerné, mais je pense qu'il faudrait qu'il y ait une autorité supérieure, si je peux m'exprimer ainsi, qui déciderait de la façon dont on doit exercer son jugement dans des situations de ce genre.
J'aimerais savoir quelle a été votre expérience sur la façon dont sont prises ces décisions.
M. Rondinelli : Je pense qu'il y a eu au début une période d'apprentissage; il s'agissait surtout d'un manque d'information. Il n'y a pas eu de réticences de la part des parties concernées. Si vous vous étiez trouvés dans une salle d'audience très occupée de Toronto, où il y avait beaucoup d'activité au début de la création de la Banque nationale de données génétiques, personne ne réfléchissait à ce qui se passait après un plaidoyer de culpabilité ou une condamnation. L'essentiel était de s'occuper de l'affaire suivante, et c'était tout.
Nous avons beaucoup progressé. Il y a eu de la formation juridique permanente, tant pour les membres de la magistrature que du barreau; les procureurs de la Couronne ont modifié leurs documents pour être sûrs que l'ordonnance de prélèvement génétique fait partie des listes de vérification qu'ils utilisent. Même lorsqu'ils enregistrent des plaidoyers, ils vérifient si cet aspect en fait partie ou non.
Nous avons connu, au départ, une crise de croissance. C'est une bonne chose que d'avoir souligné ces aspects parce qu'ils démontrent que tout le monde devrait agir dans le même sens. Je pense toutefois que nous avons pratiquement résolu ces difficultés; au moins tout le monde se demande si les diverses condamnations sont visées par le régime de la Banque nationale de données génétiques. Ces jours-ci, du moins, devant les tribunaux très occupés, vous voyez les juges s'emparer du Code criminel pour vérifier si une infraction fait partie de la liste ou alors ils vont demander l'avis des avocats.
Je pense que ces difficultés sont réglées et que tout le monde sait que c'est un aspect qu'il convient de prendre en compte.
Le sénateur Runciman : Nous avons parlé d'un fichier des personnes disparues et je me demandais si votre association avait un point de vue sur ce fichier.
M. Rondinelli : C'est un aspect pour lequel je ne peux pas vous aider, aujourd'hui, du moins.
[Français]
Le sénateur Carignan : Je suis avocat, et ce qu'on entendait de la part des criminalistes ou des professeurs de droit, c'est que la pire chose qui peut arriver c'est qu'un innocent soit déclaré coupable d'une infraction qu'il n'a pas commise.
Comme avocat de la défense, quelles améliorations pourraient être apportées à la banque pour éviter la condamnation d'innocents?
[Traduction]
M. Rondinelli : C'est une bonne remarque. Il y a eu des affaires intéressantes aux États-Unis. La plus grande partie des données viennent des États-Unis dans ce domaine parce que cela fait longtemps qu'ils utilisent ce type de preuve et à cause du nombre des profils qu'ils ont obtenus. Ils ont constaté qu'il y avait des personnes qui avaient été condamnées à tort en se basant sur des preuves génétiques. On entend dire habituellement que les preuves génétiques ont pour effet d'exonérer l'accusé, mais pour une raison ou pour une autre, il y a des personnes qui ont été condamnées à tort à cause de ces preuves.
Avec la banque de données, plus précisément, pour ce qui est d'empêcher ou du moins de réduire le risque que l'accusé soit condamné à tort à cause de la Banque nationale de données génétiques, la seule possibilité d'obtenir une condamnation injustifiée est lorsque la seule preuve est une « correspondance parfaite », si je peux m'exprimer ainsi. Autrement dit, la seule preuve dont disposent les policiers était tirée d'un fichier de criminalistique et la Banque nationale de données génétiques a établi une correspondance avec un profil du fichier des condamnés. L'affaire va en procès et l'accusé est condamné à cause de cette correspondance positive.
C'est déjà arrivé au Canada et aux États-Unis aussi. Aux États-Unis, les cours d'appel ont déclaré qu'une correspondance parfaite suffisait à justifier une condamnation.
Cela soulève la question suivante : est-il possible de se fier uniquement à une correspondance parfaite? L'exposé que j'ai présenté à l'assemblée de samedi parlait d'un aspect des correspondances parfaites que risquent de fournir les banques de données et du genre d'analyse ou de recherche que nous devrions effectuer à ce sujet. En raison des contraintes de temps, je ne vais pas vous fournir maintenant cette information, mais vous la trouverez dans le document.
Je ne suis pas un statisticien, mais il existe ce qu'on appelle le paradoxe de la banque de données génétiques ou le paradoxe des banques de données. À mesure que le nombre de profils contenus dans une base de données augmente, le nombre des possibilités de fausse correspondance augmente également. Par exemple, dans cette salle, il y a 50 personnes. Disons que mon profil génétique est Rondinelli et que ceci est la base de données. Si nous analysons ce profil, nous ne trouverons aucune correspondance avec une autre personne se trouvant dans la salle. Par contre, si nous élargissons la base de données et prenons le bottin téléphonique de la ville d'Ottawa ou celui de l'Ontario, et que nous fassions ensuite une vérification avec le profil Rondinelli, nous allons probablement obtenir cinq correspondances, avec des membres de ma famille comme mes parents, ma sœur, par exemple.
La même chose se passe avec une base de données. Il ne faut pas oublier que nous recherchons uniquement un nombre limité de loci dans une section d'ADN. La recherche ne porte pas sur une section d'ADN entière. Nous ne pouvons pas le faire, parce que la technologie ne le permet pas. Tant que nous n'aurons pas cette technologie, il y aura toujours la possibilité de trouver une fausse correspondance, qu'il s'agisse de 9, 10, même peut-être 13 loci. Même si les chiffres semblent astronomiques, on a constaté aux États-Unis que même avec 9 et 10 loci, on avait obtenu un certain nombre de fausses correspondances.
Je dis que c'est un aspect que nous devrions examiner pour savoir si la base de données fournit des fausses correspondances.
[Français]
Le sénateur Carignan : On parle d'appariement partiel, donc c'est un outil d'enquête que les policiers peuvent utiliser avec d'autres outils, mais qu'est-ce qui explique cet appariement partiel? On ne s'assure peut-être pas d'une condamnation hors de tout doute, mais cela fait quand même progresser l'enquête?
[Traduction]
M. Rondinelli : Tout à fait; je dis que le danger se situe dans les affaires où il y a uniquement des preuves génétiques et qu'aucune autre preuve ne relie l'accusé à l'infraction. C'est la seule chose qui me vient à l'esprit en ce moment. Les preuves génétiques soulèvent bien entendu d'autres questions pour ce qui est des erreurs judiciaires, qui pourraient arriver si quelqu'un dépose sciemment des empreintes génétiques sur la scène d'un crime. Cependant, la question de la correspondance parfaite est la seule qui concerne directement la banque de données et qui découle de cette banque de données.
[Français]
La présidente : Est-ce que je peux poser une question supplémentaire?
Le sénateur Carignan : Oui.
[Traduction]
La présidente : Pour la gouverne du comité, quelles sont les conclusions que nous devrions tirer, d'après vous, de tout ceci, ou quelles sont les recommandations que vous aimeriez que nous formulions pour tenir compte de ce que vous avez dit? Les documents que vous nous avez remis sont très intéressants, mais je ne sais pas très bien ce que vous souhaitez que nous en fassions.
Le sénateur Baker : Il ne faut pas que ce soit la seule preuve.
Le sénateur Joyal : C'est ce qui est dit à la page 3.
La présidente : Simplement cela; à savoir que nous devrions mentionner qu'il ne faut pas que ce soit la seule preuve?
M. Rondinelli : Je réfléchis par rapport aux questions que j'ai posées à la fin de l'exposé que j'ai présenté à ce groupe. Encore une fois, cela fait partie de la notion de valeur ajoutée dont je parlais à propos de la recherche. Cela fait maintenant 10 ans que nous avons cette base de données. Je pense que nous sous-utilisons les renseignements qui s'y trouvent, premièrement, pour ce qui est de la valeur de ce projet — à savoir s'il donne de bons résultats pour ce qui est d'obtenir des condamnations, et deuxièmement, s'il y a un risque d'erreur judiciaire en raison de ces correspondances.
Par exemple, l'Arizona et un certain nombre d'autres États dont je parle dans mon exposé ont donné accès à leur base de données et effectué des recherches pour savoir s'il y avait des profils qui présentaient des correspondances avec 4, 6, 9 ou 10 loci. Lorsqu'il y a une correspondance, cela est rapporté. Les chiffres sont élevés et cela devrait être une source de préoccupation. Si notre banque de données ne connaît pas ces problèmes, alors c'est une excellente chose, mais nous devrions au moins vérifier si c'est bien le cas. Je pense que l'étude qui a été faite en Arizona, et dans les autres États qui ont fait ces vérifications, avait pour but de rechercher des correspondances entre différents profils ayant 6 ou 9 loci en commun, ou un autre chiffre; il serait bon de le faire aussi pour notre banque de données.
Encore une fois, nous sommes tous en faveur d'une banque de données qui donne de bons résultats. Nous ne sommes pas venus ici pour dire que les banques de données ne servent à rien, mais nous espérons qu'on procédera à certaines vérifications.
[Français]
Le sénateur Carignan : Les policiers nous ont dit que ce n'était pas quantifié mais qu'il y avait souvent des anecdotes selon lesquelles lorsqu'il y a des preuves d'ADN dans un dossier, les accusés sont portés à plaider coupable lors de la communication de la preuve, les éléments faisant en sorte que la personne va plaider coupable à des infractions moindres.
Est-ce que, dans votre pratique, vous avez constaté ce fait, c'est-à-dire lorsqu'il y a des preuves d'ADN, les gens plaident plus coupable ou vous, dans votre pratique, quand vous êtes confronté à une preuve d'ADN dans un dossier, est-ce que cela modifie votre stratégie par rapport à votre cause?
[Traduction]
M. Rondinelli : Cela dépend des circonstances. Parfois, l'empreinte génétique est un élément essentiel d'une affaire et elle permet de résoudre rapidement le dossier. Cela est bon pour tout le monde, même pour le client, parce qu'il n'aura pas à subir un long procès et l'avocat de la défense ne perdra pas non plus son temps, parce qu'il pourra passer à un autre dossier.
J'ai dit à mes collègues que lorsqu'il y avait une correspondance parfaite, ils pouvaient poser des questions pour obtenir des renseignements sur la divulgation et savoir ce qui se passe exactement. Habituellement, l'avocat de la défense examine le dossier et dit à son client qu'il y a une correspondance avec la banque de données et qu'il n'y a plus rien à faire. Il y a toutefois des cas où les clients disent, je m'en fiche de savoir où ils ont obtenu cette empreinte, mais ce n'est pas moi.
L'avocat de la défense doit parfois aller plus loin. Cela dépend des faits, mais je ne pense pas qu'une empreinte génétique puisse clore le dossier, si je peux m'exprimer ainsi.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Bienvenue, monsieur Rondinelli. Je vais surtout vous questionner sur votre document. Je sais que vous êtes un représentant des avocats de la défense principalement. Je vais surtout commenter dans la même veine que l'a fait le sénateur Wallace. Je comprends que votre association représente en grande partie les avocats de la défense.
[Traduction]
M. Rondinelli : Oui.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Je dirais que vous avez fait un très bon travail parce que le travail d'un avocat de la défense, c'est de semer le doute au sein d'un jury et de ne pas aller trop loin avec les affirmations et vous avez semé beaucoup de doutes dans ce document. J'aimerais vous poser des questions sur ces doutes.
À la page 2, vous dites que « nous estimons que rien ou presque rien n'empêche à l'heure actuelle d'appliquer la Loi sur la banque de données génétiques à tous les Canadiens ». Est-ce que vous affirmez à ce moment, qu'un Canadien soit reconnu coupable ou pas, la loi s'appliquerait mieux aujourd'hui?
[Traduction]
M. Rondinelli : Je ne suis pas certain; je n'ai pas compris la question.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Vous affirmez dans votre document que vous estimez que rien ou presque rien n'empêche d'appliquer la Loi sur la banque de données génétiques à tous les Canadiens. C'est écrit noir sur blanc. Est-ce que cela veut dire qu'aujourd'hui, la loi pourrait s'appliquer à des Canadiens qui n'ont pas été « sentencés » et condamnés?
[Traduction]
M. Rondinelli : Je ne l'ai pas.
Le sénateur Baker : Je pense que c'est une coquille. Je l'ai lu également.
Le sénateur Joyal : Je l'ai devant moi.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Je vais continuer parce que c'est important pour donner de la crédibilité au document. Ici, on a un document sur lequel on fait des affirmations mais que ces affirmations ne sont pas appuyées par des données.
La présidente : On n'a pas besoin d'attaquer la crédibilité pour poser des questions au témoin et de préciser sa pensée. Je pense que c'est ce qu'on doit faire en ce moment, préciser sa pensée.
[Traduction]
M. Rondinelli : Pour ce qui est, encore une fois, de l'invasion législative, il me semble que rien ne puisse l'empêcher de s'étendre davantage; c'est ce que nous avons constaté entre 1995 et aujourd'hui. Pour ce qui est de l'avenir, je pense à cette invasion législative. La portée de la loi s'étend et elle pourrait, cela est possible, viser tous les Canadiens.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Donc votre pensée aurait été plus précise si vous aviez dit : « pourrait s'appliquer ».
[Traduction]
M. Rondinelli : Bien sûr.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Dans un autre ordre d'idée, à la page 4, vous dites que les critiques affirment que ces chiffres démontrent que les atteintes à la vie privée qu'elles entraînent ne sont pas justifiées. Est-ce qu'il aurait été intéressant de voir dans votre document des statistiques sur le nombre de plaintes de citoyens qui se sont sentis lésés par une atteinte à leur vie privée?
[Traduction]
M. Rondinelli : J'attends la dernière partie.
La présidente : Vous dites que les critiques affirment que les chiffres démontrent que les atteintes à la vie privée sont injustifiées.
M. Rondinelli : Oui.
La présidente : Vous ne citez aucun chiffre; peut-être n'en avez-vous pas.
M. Rondinelli : Sur qui sur les critiques?
La présidente : Non, sur le nombre des personnes qui pensent que cette expansion n'est pas justifiée.
M. Rondinelli : Je m'appuie sur cet article et sur les études qui ont été effectuées au Royaume-Uni. Là encore, on ne fait pas ce genre de recherche au Canada et on se contente de dire qu'il y a des enquêtes pour lesquelles une correspondance a été utile. J'essaie de soutenir qu'il faudrait approfondir la question pour savoir exactement ce que l'on entend par utile. C'est ce qu'ils ont essayé de faire au Royaume-Uni.
Le sénateur Baker : Premièrement, pour ce qui est de votre affirmation au sujet de l'invasion, il faut respecter la décision de la Cour suprême du Canada. Je suis sûr que vous êtes d'accord avec moi. Il y a quelques années, elle a examiné en détail la Loi sur l'identification par les empreintes génétiques dans l'affaire R. c. Jackpine. Cette affaire soulevait une question constitutionnelle et la cour a examiné la Loi sur l'identification par les empreintes génétiques.
Je lis le paragraphe 33 de R. c. Jackpine, Cour suprême du Canada, 2006, Carswell, Ontario :
M. Rodgers conteste fermement qu'une telle analogie soit appropriée et prétend que l'effet possible du prélèvement d'échantillon d'ADN sur la vie privée est beaucoup plus important que celui de la prise d'empreintes digitales.
La Cour suprême du Canada affirme ensuite qu'en fait un échantillon génétique est simplement la version moderne de l'empreinte dactyloscopique.
Premièrement, qui est l'avocat qui représentait M. Rodgers?
M. Rondinelli : J'étais l'un d'entre eux.
Le sénateur Baker : Très bien. C'est ce que je pensais. Vous avez présenté un argument solide concernant, je crois, l'invasion.
La Cour suprême du Canada a toutefois déclaré très clairement au paragraphe 38, dernière phrase :
La Loi sur l'identification par les empreintes génétiques se veut le complément moderne de la Loi sur l'identification des criminels [...] qui prévoit ce qui suit [...]
Elle parle ensuite d'empreintes digitales, et cetera.
Dans ce jugement, la Cour suprême du Canada fait constamment référence — elle le répète — au fait que les échantillons génétiques sont la version moderne des empreintes digitales.
Admettez-vous que la Cour suprême du Canada s'est prononcée sur cette question et s'est clairement déclarée en faveur d'élargir la portée de la Loi sur l'identification par les empreintes génétiques?
M. Rondinelli : Premièrement...
Le sénateur Baker : Avant d'aller plus loin, je vous félicite. Vos arguments étaient excellents.
M. Rondinelli : Vous terminez par ce commentaire. Je crois entendre la Cour d'appel juste avant qu'elle rejette mon appel : excellentes observations. Merci.
Oui, j'étais un des avocats dans l'affaire Rodgers. M. Jackpine ne s'est pas rendu jusque devant la Cour suprême. Je ne sais pas exactement pourquoi, mais il n'a pas interjeté appel.
Si vous lisez cet arrêt avec R c. R.C. — qui était l'affaire précédente, qui concernait un adolescent — le juge Fish a, dans cette affaire, insisté sur les différences qu'il y avait entre les empreintes génétiques et les empreintes digitales. Je ne vais pas me lancer ici dans un débat sur la question de savoir si les empreintes génétiques sont nos nouvelles empreintes digitales. Il est évident que c'est un nouveau moyen d'identification. Cela est incontestable. Encore une fois, ce n'est pas la question que nous posons. Il s'agit plutôt de savoir jusqu'où il faut aller. Il ne faut pas oublier que l'arrêt Rodgers est un peu statique dans le temps. Ce que la cour a déclaré au sujet de la Loi sur l'identification par les empreintes génétiques ne veut pas dire, à mon avis, que ces affirmations s'appliquent à la façon dont cette loi pourrait évoluer.
Par exemple, la Couronne a affirmé qu'il n'y avait pas lieu de s'interroger sur l'aspect ex parte qui a été soulevé, parce qu'elle affirme que le processus serait constitutionnel même en l'absence d'autorisation judiciaire. Regardez ce qui se passe aux États-Unis : c'est automatique. Il est clair qu'il existe aujourd'hui des infractions super primaires pour lesquelles le prélèvement est obligatoire.
La Cour suprême a déclaré que cette question avait été soulevée, mais qu'elle ne lui avait pas été soumise puisqu'il y avait dans cette affaire une autorisation judiciaire et qu'elle s'abstiendrait donc d'examiner cette question. Cela ne veut pas dire qu'elle refusera de l'examiner le moment venu, mais elle ne l'a pas encore fait. Elle n'a pas donné à qui que ce soit carte blanche en disant : vous avez tout à fait raison, faites ce que vous voulez avec la Banque nationale de données génétiques. Elle ne va pas jusqu'à dire qu'il faudrait prélever un échantillon sur tous les condamnés ou sur toutes les personnes arrêtées et qu'elle examinera les nouvelles catégories à mesure qu'elles lui seront soumises.
Le sénateur Baker : Elle n'a pas été jusque-là, mais elle a pris clairement position.
M. Rondinelli : Le jugement a été rendu à quatre contre trois.
Le sénateur Baker : La Cour s'est prononcée à quatre contre trois, mais vous avez perdu.
M. Rondinelli : Exact.
Le sénateur Baker : Nous sommes en train de préparer un rapport sur la Loi sur l'identification par les empreintes génétiques. Permettez-moi de vous demander quelle est la moins mauvaise des situations que je vous présente : rendre l'ordonnance de prélèvement obligatoire pour toutes les infractions primaires et secondaires ou uniquement pour toutes les infractions primaires? Que pensez-vous de cet aspect?
M. Rondinelli : Si ce sont là mes deux seuls choix, bien évidemment, je vais prendre uniquement les infractions primaires. Idéalement, les tribunaux devraient avoir un pouvoir discrétionnaire pour toutes les infractions. Entre ces deux possibilités, bien évidemment, je pense que les infractions primaires — ou super primaires — devraient être les seules à donner lieu à un prélèvement.
Cette question n'a pas été soumise aux tribunaux. Je suis certain que vous avez beaucoup entendu parler du jeune contrevenant dans l'affaire S.C. ou D.B. — je ne sais plus très bien comment on appelle cette affaire. La cour a déclaré que les tribunaux devraient disposer d'un pouvoir discrétionnaire. Il n'y a pas eu d'affaire correspondante mettant en jeu des adultes. Je sais qu'il y a un certain nombre d'affaires qui vont se retrouver devant la Cour suprême et nous verrons alors comment elle se prononcera sur ces questions, mais je pense qu'il ne faudrait pas modifier la situation.
Le sénateur Baker : Pensez-vous à un prélèvement au moment de l'accusation, de la condamnation, pour les infractions primaires et secondaires ou uniquement pour les infractions primaires? Vous dites qu'à choisir entre ces deux maux, votre préférence serait de rendre le prélèvement obligatoire pour toutes les infractions primaires. Ce n'est pas le cas actuellement, mais c'est le choix qui vous paraît le moins mauvais.
Pour ce qui est de la confiscation des biens reliés à une infraction, lorsque nous prenons les infractions primaires et secondaires, il y a non seulement le Code criminel qui entre en jeu, mais d'autres lois du Parlement comme la Loi réglementant certaines drogues et autres substances.
M. Rondinelli : Oui.
Le sénateur Baker : Les infractions les plus graves se trouvent toutefois dans le Code criminel.
M. Rondinelli : Oui.
Le sénateur Baker : Si quelqu'un fait pousser de la drogue chez lui, la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, la LDS, accorde à la Couronne le pouvoir discrétionnaire de confisquer ou non cette maison.
M. Rondinelli : Exact.
Le sénateur Baker : Il est possible que nous décidions — lorsque nous siégerons à huis clos pour examiner cette question — de recommander que, lorsqu'il y a perpétration d'une infraction primaire, le tribunal rende, dès la condamnation, une ordonnance obligatoire de confiscation pour tous les biens reliés, directement ou indirectement, à l'infraction. Seriez-vous défavorable à une telle recommandation?
M. Rondinelli : Elle semble aller bien au-delà des analyses génétiques.
Le sénateur Baker : Cela concernerait uniquement les condamnations pour une infraction primaire au sens de la Loi sur les empreintes génétiques.
M. Rondinelli : À partir de là, le tribunal rendrait une ordonnance. Ma première réaction est évidemment de dire que ce n'est pas une bonne idée, mais j'aimerais y réfléchir davantage pour vous donner une réponse plus réfléchie.
La présidente : Sénateur Baker, vous parlez de catégories d'infractions, mais je ne suis pas convaincue que la confiscation de biens relève de la Loi sur l'identification par les empreintes génétiques. Il ne nous reste pas beaucoup de temps.
Le sénateur Baker : Je me disais que, lorsqu'une infraction est commise, disons dans une résidence ou sur une ferme ou dans un local utilisé pour commettre l'infraction, le tribunal pourrait alors rendre une ordonnance de confiscation. Madame la présidente, je ne faisais que répondre à une demande qu'ont faite certains membres du gouvernement au sujet du coût de la LIEG.
La présidente : Un programme qui s'autofinancerait? Merci.
Le sénateur Joyal : Bienvenue, monsieur Rondinelli. Ma première question porte sur la page 12 du document que vous avez préparé pour cette réunion, mercredi 31 mars, au sujet de l'exonération.
M. Rondinelli : Oui.
Le sénateur Joyal : Vous proposez de donner accès à la banque de données pour que l'accusé puisse s'innocenter.
M. Rondinelli : Oui.
Le sénateur Joyal : J'ai lu le paragraphe dans lequel vous expliquez votre proposition. Pourriez-vous nous dire sur quelle base juridique repose votre recommandation? Est-elle fondée sur votre expérience?
M. Rondinelli : Comme cela est mentionné dans la Loi sur l'identification par les empreintes génétiques et dans toutes les affaires qui ont été entendues par les cours d'appel, l'objet de cette loi n'est pas uniquement de faire condamner les coupables, mais également d'innocenter les accusés et je trouve qu'elle ne va pas suffisamment loin dans cette direction.
À titre d'exemple, la plupart des exonérations concernent des erreurs judiciaires qui ont fait l'objet d'une recherche par un projet Innocence, mais les affaires sont anciennes. C'est la même chose aux États-Unis. Lorsque les responsables de ces projets réussissent à trouver un objet à analyser, ils n'obtiennent le plus souvent qu'un profil génétique partiel à cause des conditions dans lesquelles l'objet a été retrouvé.
Lorsqu'on prépare un dossier destiné au ministre pour montrer qu'il y a eu une erreur judiciaire, il est bien évidemment utile de comparer l'échantillon utilisé pour condamner le client avec les profils du fichier des condamnés pour voir s'il y a des correspondances. À l'heure actuelle, il est impossible d'avoir accès à la banque de données. Cet accès est restreint, ce qui est tout à fait justifié, pour ce qui est des façons de l'utiliser.
Je pense qu'il faudrait examiner davantage comment un projet Innocence, par exemple, pourrait utiliser la banque de données pour faire avancer un dossier. Je signale que le New Jersey est un État qui accorde une aide pour le genre d'affaires dont s'occupent les projets Innocence.
Le sénateur Joyal : Pensez-vous qu'il faudrait ajouter une disposition dans la loi pour que, dans certains cas, la personne condamnée ait accès à la banque de données?
M. Rondinelli : Oui, ou je recommande au moins qu'on étudie davantage la question pour voir comment on peut aider les projets Innocence, ou comment cela se fait aux États-Unis dans cette optique. À l'heure actuelle, constitue une infraction pénale le fait d'essayer d'avoir accès à la banque pour une fin autre que celle pour laquelle elle est utilisée à l'heure actuelle.
Le sénateur Joyal : À la page 5 du document que vous avez présenté au symposium de Toronto le 27 mars, vous présentez un certain nombre de recommandations au sujet des correspondances partielles. Ces recommandations devraient-elles figurer dans la loi ou sous une autre forme législative de façon à protéger la présomption d'innocence? Nous voulons être sûrs d'accorder à l'accusé la protection qu'offre la présomption d'innocence, dans toute la mesure du possible. Lorsqu'il existe une correspondance partielle, l'accusé ne peut pas vraiment prouver son innocence si le système ne lui offre pas une façon d'obtenir des preuves plus solides.
M. Rondinelli : Oui.
Le sénateur Joyal : Avez-vous des recommandations à nous fournir pour ce qui est de l'évolution de la banque de données? Comme vous le dites, plus la banque de données prend de l'ampleur, plus le risque d'obtenir des correspondances partielles augmente.
M. Rondinelli : La recommandation vise à préserver l'intégrité de la banque, un point sur lequel nous nous entendons tous. Nous voulons que l'intégrité de la banque soit préservée parce que nous voulons pouvoir nous fier à ses résultats, en particulier lorsqu'il y a une correspondance parfaite. Il s'agit plutôt d'une question de vérification concernant l'objet des recherches.
J'ai posé des questions aux avocats de la défense pour leur demander quel genre de divulgation ils souhaitaient obtenir dans ce genre de dossier. Ce sont là des questions importantes qu'il faut poser au sujet du genre d'examen dont doit faire l'objet la banque de données sur le seul plan des statistiques. Lorsqu'il y a une correspondance entre des profils de personnes qui ne sont pas de la même famille, il devrait être possible de retracer ces correspondances.
Je ne sais pas très bien comment le formuler, mais je mettrais sur pied un processus de vérification de la banque de données qui serait différent de celui qui est utilisé actuellement pour être certain que les correspondances partielles sont cataloguées. Il n'y en a peut-être pas, mais nous voulons être sûrs de l'intégrité de la banque de données.
Le sénateur Joyal : Peut-on relier cette recommandation à celle que vous faites dans votre conclusion, lorsque vous dites que le personnel de la banque de données devrait s'attendre à avoir à témoigner devant les tribunaux?
M. Rondinelli : J'espère que cela se produira à l'avenir. Il suffit d'avoir le bon dossier. Si j'avais le bon dossier, j'essaierais certainement de savoir ce qu'il y a dans cette boîte noire.
Le sénateur Joyal : Comment peut-on prouver, dans le contexte juridique actuel, que les résultats obtenus grâce à la banque de données proviennent d'un échantillon contaminé?
M. Rondinelli : C'est une autre question. Il existe d'autres façons de découvrir qu'il y a contamination d'un échantillon remis à la Banque nationale de données génétiques. Je parle d'une pure coïncidence par rapport à une correspondance partielle qui permet de penser qu'il pourrait y en avoir d'autres. Je pense qu'il faut séparer ces deux questions. Cette situation n'est pas nouvelle. Elle se produit aux États-Unis dans les cas où il a été possible d'ouvrir cette boîte noire. Je mentionne une affaire en Arizona et deux autres États dans cet exposé.
Jusqu'ici le FBI s'est refusé de répondre à toutes les questions posées au sujet du CODIS, mais nous verrons pendant combien de temps il résistera à ces pressions. Je dirais qu'il va se passer des choses chez notre voisin du sud.
Le sénateur Joyal : La justice sera-t-elle mieux servie si ces personnes étaient autorisées à témoigner devant les tribunaux lorsqu'il existe un doute grave au sujet de la fiabilité du résultat. Par exemple, lorsqu'il y a une correspondance partielle ou un autre élément de la scène du crime qui crée un doute sur la qualité de l'échantillon recueilli.
M. Rondinelli : Certainement, il y a des experts qui affirment que les ivressomètres fonctionnent correctement. Pourquoi ne pas demander à un statisticien de dire, comme cela a été fait aux États-Unis, ce qui se passe, ce qui peut se passer, du moins pour alerter le jury à ces possibilités.
Le sénateur Lang : J'aimerais poser une question générale. Vous représentez votre organisation et travaillez sur cette question, directement ou indirectement, sur une base quotidienne. Ma question concerne la Banque nationale de données génétiques elle-même et les protocoles actuels. Nous avons entendu des témoignages au sujet de ce qui se fait. On nous a affirmé que si l'on suit les protocoles, il est impossible de contaminer un échantillon et que nous pouvons être convaincus que chaque échantillon produit est valide.
Voulez-vous commenter cette affirmation?
M. Rondinelli : Il est difficile de faire une déclaration générale au sujet des analyses génétiques, parce que les preuves génétiques présentées devant les tribunaux peuvent être contaminées à des degrés très variables, et les statistiques peuvent soulever des problèmes, par exemple. Pour ce qui est de la Banque nationale de données génétiques, nous apprenons habituellement que la banque de données a produit une correspondance et nous obtenons ensuite un mandat de prélèvement pour obtenir un nouvel échantillon de l'accusé, échantillon qui est ensuite utilisé en preuve. L'échantillon est présenté au tribunal attaché par un beau ruban rouge et il est parfait parce qu'il n'est absolument pas contaminé.
Cette façon de faire permet de régler complètement la question de la contamination. Si les échantillons ne correspondent pas, alors il est évident qu'une erreur a été commise et qu'elle vient peut-être de la contamination. Le problème que pose une telle façon de faire, comme je le mentionne dans mon mémoire, est que les experts soutiennent que si la correspondance parfaite soulève un problème, alors le nouvel échantillon devrait soulever le même problème parce qu'on devrait obtenir la même correspondance concomitante que celle qui a été obtenue de la banque de données avec l'échantillon non contaminé. Même si l'échantillon est alors présenté au tribunal, il posera le même problème que celui qui existait dans la banque de données. C'est la raison pour laquelle tout repose sur l'intégrité de la banque de données.
Si nous étions sûrs de ne pas obtenir de fausses correspondances, ou de correspondances s'expliquant uniquement par les statistiques relatives à la banque de données, alors nous serions rassurés au sujet de l'intégrité de la banque de données et l'échantillon présenté au tribunal serait un échantillon valide. Il semble que ce soit uniquement une question de nombres. Nous demandons simplement d'avoir accès à ces nombres ou à ce qui se passe dans cette boîte noire.
Le sénateur Lang : Je pense que nous avons tous le même objectif. Nous voulons que les choses soient faites correctement, que le processus soit suivi correctement pour qu'en fin de compte, personne ne soit accusé faussement à cause de fausses preuves.
Dans un autre domaine, vous avez mentionné le FBI et je crois que vous avez parlé du CODIS.
M. Rondinelli : Le CODIS est leur base de données nationale. Chaque État possède sa propre base de données, qui est ensuite reliée à la grande base de données des États-Unis qui est le CODIS.
Le sénateur Lang : Si les autorités nous demandaient régulièrement de procéder de cette façon, avons-nous une idée de ce que cela coûterait et de ce qu'il faudrait faire?
M. Rondinelli : Non, je serais obligé de deviner et de faire des hypothèses. Je crois que cela a été fait dans au moins trois États. Je ne sais même pas comment ils ont procédé. Le nombre de profils que nous avons dans notre base de données est très loin de celui que possèdent de nombreux États. Je peux dire que les vérifications que nous pouvons faire pour éviter que deux personnes différentes donnent une correspondance dans une base de données peuvent se faire rapidement, mais je ne peux pas vous dire combien cela coûtera. Si un jour nous devons régler cette question, alors ce sera le procureur de la Couronne qui nous dira combien cela coûtera.
La présidente : Il y a une question qui revient de temps en temps et c'est celle de la suppression des profils de la banque de données. Certains ont déclaré, notamment madame la juge Cohen dans sa décision, mais d'autres également, que ce processus n'était pas aussi efficace qu'il devrait l'être.
Savez-vous, par exemple, ce qui arrive aux profils de vos clients dont les condamnations sont annulées en appel?
M. Rondinelli : Une des premières affaires sur laquelle j'ai travaillé — et sénateur Baker, j'ai gagné cette affaire, même si le gouvernement a pris un moyen détourné pour obtenir gain de cause et a modifié la loi pour contourner le problème — était une affaire devant la Cour d'appel qui portait sur une disposition rétroactive qui exigeait deux meurtres. Notre argument portait sur la rétroactivité et il nous fallait établir un autre meurtre pour que la disposition s'applique. Dans cette affaire, nous avons obtenu gain de cause devant la Cour d'appel en disant que les profils de ces trois individus ne devaient pas se retrouver dans la banque de données. Nous nous sommes rendus à Ottawa pour être sûrs que les profils avaient été retirés de la base de données, parce que certains experts nous avaient déclaré qu'il était impossible de faire disparaître complètement une trace électronique et que cela peut poser des problèmes. D'après eux, même si les profils sont supprimés, il est possible qu'on puisse les retrouver quelque part. Là encore, cela dépasse mes compétences, mais nous avons amené notre expert avec nous et finalement, après avoir parlé à certaines personnes, il a été convaincu que les profils avaient bel et bien été retirés du système.
Pour ce qui est du processus de suppression, du moins cet aspect-là, il me semble, d'après mon expérience, que cela fonctionne correctement. Cela touche l'intégrité de la base de données, et nous sommes heureux de constater que cela fonctionne bien.
Pour ce qui est d'être sûr que les profils qui ont été supprimés étaient bien ceux qui devaient l'être, j'ai entendu différents commentaires de différentes personnes au sujet de cette affaire qui ont déclaré qu'elles n'avaient pas en main tous les éléments. Je ne peux pas faire de commentaires sur cet aspect. J'ai lu les chiffres qui figuraient dans le jugement. Je pense qu'on peut les interpréter de deux façons. Il y a un chiffre qui m'a frappé, c'était celui de 97 p. 100 de récidivistes pour ce genre d'infraction. Même mes clients ne commettent pas autant de crimes. Je ne suis pas en mesure de vous dire si, sur le plan de l'efficacité, c'est un problème ou non.
Le sénateur Runciman : Je me pose des questions au sujet d'une différence. Les tribunaux ont déclaré que la prise d'empreintes digitales d'une personne arrêtée pour un acte criminel était constitutionnelle. Votre association s'oppose-t- elle à ce que l'on prenne les empreintes digitales? Vous dites dans votre mémoire que vous vous opposez à ce que les policiers prennent des échantillons génétiques au moment de l'arrestation. Comment expliquez-vous cette différence? S'il existait des mesures de protection appropriées pour que les échantillons soient détruits en cas d'acquittement de l'accusé, comment justifiez-vous votre position?
M. Rondinelli : Cette demande n'est pas nouvelle. Les chefs de police le font depuis l'adoption de la première loi. C'était une idée tellement populaire à cette époque que le comité — et je ne me souviens pas de quel comité il s'agissait à l'époque — a pris l'initiative d'obtenir des opinions juridiques de trois anciens juges en chef de différentes provinces, d'après ce dont je me souviens. Je sais que le juge en chef Dubbin était un d'entre eux. Je pense qu'il y avait également le juge en chef Fraser, si je ne me trompe pas. Je ne voudrais pas essayer de deviner qui était le troisième. Ces éminents juristes ont examiné l'idée de prélever un échantillon génétique au moment de l'arrestation. Tous les trois ont rédigé un rapport unanime et leurs opinions sont publiques. Ils en sont tous arrivés à la même conclusion par des analyses différentes, mais ils en sont tous arrivés à la même conclusion, à savoir que ce serait contraire à la Charte. Ils n'ont pas accordé une grande importance à la situation qui existe aux États-Unis, parce qu'ils ont dit : premièrement, nous avons une charte — à l'époque, la Charte existait depuis 20 ans ou à peu près — et notre pays a évolué avec notre Charte; et selon notre la Charte, ce serait inconstitutionnel.
À l'époque, le comité n'a pas éprouvé de difficulté à répondre à cette question. Il ne l'a pas inclus dans un projet de loi. Si les juges en chef présentaient la même opinion au comité, je crois que vous auriez beaucoup de mal à convaincre un autre juge que cette mesure est constitutionnelle.
Je dirais que ces trois opinions ont toujours une grande valeur et que ce serait maintenant différent. L'arrêt Rodgers contient certains commentaires. Nous verrons bien comment les choses évolueront, mais c'est évidemment une question dont il est possible de débattre. Je ne pense pas que l'on puisse y répondre en disant simplement que puisque les États-Unis et le Royaume-Uni le font, c'est une bonne chose. Je ne pense pas que l'on devrait accepter ce genre de réponse quelle que soit la question posée.
Le sénateur Runciman : Il est difficile d'éviter la différence entre les empreintes digitales et le prélèvement de substances corporelles.
M. Rondinelli : Il y a une chose qui nous différencie des États-Unis, c'est que nous conservons réellement les échantillons de substances corporelles, ce qui est surprenant. Nous ne détruisons pas les échantillons. Oui, nous obtenons le profil de certaines personnes, que ce soit avec de l'ADN de mauvaise qualité qui ne prouve rien ou non — mais nous utilisons uniquement un code numérique. Nous conservons toutefois ces échantillons de substances corporelles. Cela ne se fait pas aux États-Unis. D'après ce que je sais, la plupart des États détruisent les échantillons pour protéger la vie privée. Ils voulaient donner satisfaction aux groupes de pression et ils ont déclaré qu'ils utiliseraient les échantillons, mais qu'ils les détruiraient par la suite. Le but était de donner satisfaction à ces groupes. Ici, nous conservons les échantillons. Cela soulève la question suivante : que se passerait-il si le prochain gouvernement veut faire quelque chose avec ces échantillons de substances corporelles? Si le gouvernement veut s'engager dans cette voie, il devrait avoir une bonne raison pour le faire; d'après mon souvenir, cet argument a joué un grand rôle dans ces décisions.
Le sénateur Joyal : J'ai été surpris de vous entendre mentionner que pour garantir à un de vos clients que l'échantillon avait été retiré de la banque, vous avez dû vous rendre de Toronto à Ottawa. Voilà qui est vraiment étonnant. Est-ce que toutes les personnes dont un échantillon se trouve dans la banque doivent faire la même chose? S'il existe une possibilité que l'échantillon soit supprimé, si l'on veut vraiment en être sûr, est-il préférable de se rendre à Ottawa pour obtenir la condamnation et d'être ainsi sûr que l'échantillon a été détruit?
M. Rondinelli : Je ne vais pas vous relater toute l'affaire. C'était évidemment une affaire importante, en particulier puisqu'elle concernait la banque de données. C'était au tout début de la banque de données. Si nous avions su comment cette banque de données fonctionnait, cela aurait bien rassuré nos collègues, et le reste du Canada. J'ai une certaine expérience dans ce domaine. Si la condamnation d'un de mes clients est annulée, il ne semble pas qu'il existe un mécanisme qui permette d'obtenir la destruction de l'échantillon.
J'écris à plusieurs personnes en leur disant : veuillez supprimer le profil et me confirmer qu'il a bien été détruit. Cela suffit habituellement.
Vous pouvez interroger plusieurs criminalistes au sujet des empreintes digitales. Ce processus est particulièrement brouillon parce que les lettres que nous recevons après une demande vont de qui êtes-vous et pourquoi devons-nous donner suite à votre demande à oui, et ils me présentent une belle formule standard. Il n'existe pas de procédure standard pour les empreintes digitales. Les données génétiques ne sont pas aussi brouillonnes que les empreintes digitales, mais avec ces données, il est rare qu'une condamnation soit infirmée et que nous soyons amenés à demander la destruction des preuves. Je ne connais pas quelles sont les statistiques dans ce domaine. Les gens qui se trouvent en arrière de la salle en savent probablement plus que moi pour ce qui est du nombre des profils de la banque de données qui sont éventuellement détruits. Je ne pense pas que ce chiffre soit très élevé.
Le sénateur Baker : Ma question porte sur le même sujet et y mettra un terme.
J'imagine que vous avez été obligé d'écrire de nombreuses lettres pour vous conformer à la Loi sur l'identification des criminels, même si la personne en question n'est plus un criminel et n'a jamais été déclarée coupable de quoi que ce soit. Et pourtant, il existe une procédure.
Pour ce qui est de la Loi sur l'identification par les empreintes génétiques, comme vous le savez, nous avons inclus une disposition, l'alinéa 9(2)a), qui énonce que, si une condamnation est infirmée en appel et que la personne est alors acquitté — déclarée innocente par la cour supérieure qui infirme le jugement de la cour provinciale — l'échantillon génétique ne sera pas détruit tant que l'ordonnance n'est pas finalement — le texte parle d'« acquittement définitif » — annulée? Cela veut dire après que toutes les voies d'appel sont épuisées. Saviez-vous que cet article se trouvait dans la loi? C'est une bonne question constitutionnelle. Je vous la suggère, parce que c'est une excellente question constitutionnelle que vous pourrez soulever au cours de votre prochain procès.
M. Rondinelli : Cela n'arrive pas souvent.
Le sénateur Baker : Nous ne devrions pas posséder le profil génétique d'un innocent; et pourtant, cela figure dans la loi.
M. Rondinelli : Nous nous sommes toujours opposés à ce que l'on conserve les échantillons sous quelque forme que ce soit. Cela a toujours été notre position. Il y a longtemps que nous avons perdu cette bataille. C'est pourquoi je ne pense pas que nous pourrions la gagner aujourd'hui.
La présidente : Monsieur Rondinelli, je vous remercie. Nous avons eu une séance intéressante, utile et riche d'enseignements. Nous vous sommes reconnaissants d'être venu nous aider dans nos travaux.
Chers collègues, nous allons suspendre la séance pendant deux minutes et nous reprendrons ensuite nos travaux à huis clos. Je vais demander à toutes les personnes qui ne sont pas membres du comité, membres du personnel des membres du comité ou du comité, de bien vouloir quitter la salle.
(Le comité poursuit ses travaux à huis clos.)