Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 4 - Témoignages du 22 avril 2010
OTTAWA, le jeudi 22 avril 2010
Le Comité permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd'hui, à 10 h 34, pour étudier le projet de loi S-2, Loi modifiant le Code criminel et d'autres lois.
Le sénateur Joan Fraser (présidente) occupe le fauteuil.
[Français]
La présidente : Honorables sénateurs, le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles poursuit son étude du projet de loi S-2, Loi modifiant le Code criminel et d'autres lois.
Nous avons le grand plaisir d'accueillir nos premiers témoins ce matin.
[Traduction]
Jim Stephenson et sa conjointe, Anna Stephenson, vont nous raconter leur histoire et nous parler des raisons tragiques pour lesquelles ils connaissent si bien le sujet. Je crois que vous avez une déclaration. Est-ce exact?
Jim Stephenson, à titre personnel : Oui, nous en avons une.
La présidente : La parole est à vous.
M. Stephenson : Bonjour, honorables sénateurs. J'aimerais tout d'abord faire une déclaration officielle.
Notre fils Christopher avait 11 ans lorsqu'il a été enlevé par un agresseur d'enfants qui avait déjà été reconnu coupable de crimes odieux. Il se trouvait alors dans un centre commercial local avec sa mère et sa sœur, au cours de la fin de semaine de la fête des Pères de 1988. Le ravisseur de Christopher l'a gardé en vie pendant environ 36 heures, l'agressant brutalement avant de l'assassiner et de l'abandonner sur un terrain vague.
À la suite l'enlèvement de Christopher, la police a rapidement ouvert une vaste enquête et mis la main au collet de l'assassin avant que la fin de semaine ne soit terminée. Lors de son procès pour meurtre en 1989, il a été reconnu coupable et a reçu une peine d'emprisonnement obligatoire à perpétuité. Deux ans plus tard, soit en janvier 1992, il a été tué par un détenu de la prison de Kingston.
Pour Anna et moi, ce n'était que le début. À l'automne 1992, une enquête sur la mort de Christopher a été lancée. Après six mois, l'enquête a abouti à une série de recommandations. Notamment, il était recommandé que le gouvernement fédéral procède immédiatement à la création d'un registre national des délinquants sexuels.
Ces années ont certainement été difficiles pour nous. Il a fallu sept ans au gouvernement de l'Ontario pour décider d'adopter de sa propre initiative la Loi Christopher, qui est le registre ontarien des délinquants sexuels. Depuis, c'est devenu un outil à la fine pointe de la technologie utilisé par le service de police pour gérer la population provinciale de délinquants sexuels qui ont été reconnus coupables.
Toutefois, il a fallu trois années de plus au Canada pour appliquer la Loi sur l'enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels. Le registre national et celui de l'Ontario n'ont rien en commun, sauf qu'il s'agit de deux bases de données de délinquants sexuels condamnés. Nous avons souvent surnommé le registre national des délinquants sexuels le « prétendu registre », en raison de ses nombreuses lacunes et de son inefficacité.
Demain, il y aura un an qu'Anna et moi nous sommes présentés à l'édifice de l'Ouest devant le Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes pour parler des modifications proposées au registre national. Peu après, le projet de loi C-34 a été présenté à la Chambre des communes. Les modifications consistaient notamment à inscrire obligatoirement les délinquants sexuels reconnus coupables et à encourager les forces policières à utiliser le registre de façon proactive.
Aujourd'hui — un an plus tard — la situation sur le terrain n'a pas évolué. Au Canada, environ la moitié des délinquants sexuels qui sont reconnus coupables ne sont toujours pas obligatoirement inscrits au registre. Les services policiers ne peuvent toujours pas utiliser la base de données pour mener ses enquêtes.
Toutefois, nous ne baissons pas les bras. En fait, nous avons bien des raisons de nous réjouir. Les modifications contenues dans le projet de loi S-2, permettent d'améliorer grandement le registre national des délinquants sexuels, pour que le registre de l'Ontario et celui du Canada soient sur un pied d'égalité et puissent tous les deux fournir les renseignements dont la police a besoin afin d'enquêter sur les crimes sexuels.
Si la police réussit davantage d'enquêtes et arrête un plus grand nombre de délinquants sexuels, il y aura moins de victimes de crimes sexuels. Ce sont d'ailleurs les objectifs des deux registres : réussir les enquêtes, arrêter les malfaiteurs et éviter qu'il y ait plus de victimes.
Depuis la mort de notre fils, Anna et moi avons beaucoup appris sur le sujet en nous présentant devant le comité, et je peux dire sans réserve que, ce matin, nous sommes impatients de discuter de cette question importante.
La présidente : Merci beaucoup. Madame Stephenson, voulez-vous ajouter quelque chose?
Anna Stephenson, à titre personnel : Non, merci beaucoup.
Le sénateur Runciman : Je connais la famille Stephenson depuis longtemps. Vous avez parcouru un bien long chemin. Je vous admire grandement, d'autant plus que votre parcours a été parsemé d'embûches. Monsieur Stephenson, vous avez dit que vous ne baissez pas les bras, et c'est ce qui vous caractérise depuis le décès tragique de Christopher.
Vos propos montrent clairement que vous êtes en faveur de la loi dont nous discutons aujourd'hui. La semaine dernière, nous avons entendu la Commissaire à la protection de la vie privée. Il se peut que certains d'entre nous, dont moi-même, aient mal interprété ses propos, qui s'appuyaient en grande partie sur des études américaines. Quoi qu'il en soit, j'ai vraiment eu l'impression qu'elle juge que les registres des délinquants sexuels sont inefficaces. Comme je l'ai dit, son opinion se fonde sur des études qui ne s'appliquent pas au contexte canadien. Connaissez-vous ce point de vue? Quelle serait votre réaction?
M. Stephenson : Je n'ai pas entendu le témoignage en question, mais je peux imaginer ce qui s'est dit et la façon dont les membres du comité ont pu l'interpréter. Bien sûr, le registre de l'Ontario est le seul dont on peut évaluer les résultats. Or, le comparer aux autres registres en Amérique du Nord revient à comparer des pommes et des oranges. Aux États-Unis, pratiquement chaque État a son propre modèle de registre. Certains sont rudimentaires, et d'autres ne sont rien de plus qu'un cahier boudiné. Comme vous pouvez l'imaginer, ces outils ne se comparent pas à une base de données informatisée qui permet à la police de gérer les renseignements et d'effectuer des recherches précises. Il n'y a aucune comparaison possible entre ce type de registre et un simple cahier de notes.
Avant d'affirmer que les autres régions connaissent un succès discutable ou modeste, il faut prendre du recul pour réellement voir ce que l'on compare. Est-ce que l'on compare deux registres qui fonctionnent avec une base de données électronique, ou bien compare-t-on un registre électronique avec un simple cahier boudiné? C'est l'une des distinctions faites dans les nombreuses études et références réalisées pour mettre en doute l'utilité des registres de délinquants sexuels. Malheureusement, plusieurs commentaires sont fondés sur cette idée.
M. Stephenson : Aux États-Unis, le public peut avoir accès à la plupart des registres. Quand nous avons parlé aux responsables du registre de l'Ontario, nous leur avons spécifié que nous ne voulions pas que le public puisse y accéder. À mon avis, il est important que l'accès soit réservé à ceux qui doivent utiliser ces renseignements. Il s'agit d'une différence majeure entre les registres des États-Unis et ceux du Canada. J'espère que le registre restera tel qu'il est, car nous ne voulons pas que le public y ait accès.
Le sénateur Runciman : À la suite de l'enquête sur Christopher, on a recommandé que le Canada se dote d'un registre national des délinquants sexuels. Exaspéré devant l'incapacité du gouvernement fédéral de l'époque de mener à bien le projet, l'Ontario a créé son propre registre. Croyez-vous que ce registre sera un jour superflu et qu'on se conformera à la recommandation initiale tirée des conclusions de l'enquête? Je sais que le registre de l'Ontario est une réussite extraordinaire, mais je me demande s'il est nécessaire. Aucune autre région du Canada n'en possède un.
M. Stephenson : Lorsque le registre national est finalement entré en vigueur en 2004, c'est ce qui nous est venu à l'esprit. Nous y avons évidemment beaucoup réfléchi. Le registre de l'Ontario nous tient énormément à cœur; il porte le nom de notre fils. Toutefois, si le modèle de registre que le Canada finit par adopter est aussi bon ou encore meilleur que celui de l'Ontario, je n'ai aucune objection à ce que les deux fusionnent en un seul registre, particulièrement si les autres provinces et territoires peuvent en bénéficier. Pour l'instant, l'Ontario profite presque exclusivement d'un registre de délinquants sexuels qui a été conçu et géré efficacement. Ailleurs, les registres sont des raboudinages.
Le sénateur Runciman : La loi dont nous parlons aujourd'hui ressemble à celle déposée à l'édifice de l'Ouest, dont vous avez parlé.
M. Stephenson : Oui.
Le sénateur Runciman : Est-ce que vous croyez que la mesure législative atteindra son objectif, ou bien que sa structure actuelle présente des faiblesses?
M. Stephenson : Ce qui distingue le plus le registre de l'Ontario du registre national, c'est sa polyvalence, puisque sa base de données permet d'inclure des informations comme des renseignements sur le véhicule. Pour l'instant, il est impossible de faire de même dans le registre national. Hier, les représentants de la GRC ont indiqué que la base de données, c'est-à-dire le logiciel, qu'ils utilisent actuellement ne comporte aucun champ permettant de saisir ce genre d'information. Si ces renseignements étaient obligatoires, il faudrait que la base de données de la GRC soit mise à niveau.
Le registre de l'Ontario comprend d'autres champs absents du modèle national actuel. Comme pour les renseignements sur le véhicule, il serait difficile de transférer dans le registre national des informations portant notamment sur la méthode utilisée par l'auteur du crime, soit le modus operandi ou M. O., terme que les émissions de télévision américaines se plaisent à employer. Toujours est-il qu'actuellement la base de données nationale ne comporte pas ce champ.
Vous me demandez si je crois que le registre national pourra remplacer le registre de l'Ontario ou s'il sera aussi efficace que lui. Pas tout à fait.
Les mesures d'application de la loi sont une autre caractéristique importante du registre de l'Ontario qui n'existe pas dans le modèle national. L'Ontario peut être fier du taux de conformité extrêmement élevé de son registre comparativement aux taux enregistrés ailleurs — je crois qu'il est près de 98 p. 100 — qui est attribuable aux mesures d'application de la loi. En d'autres mots, on s'assure qu'un délinquant sexuel enregistré vit vraiment à l'endroit déclaré et qu'il n'a pas donné son nom et certains renseignements personnels à la police simplement pour remplir ses obligations et qu'il a déménagé par la suite.
L'Ontario a prévu ce genre de mesures d'application de la loi. Le projet de loi sur lequel le comité se penche aujourd'hui ne contient rien de tel. Selon moi, le registre national est loin d'être au même niveau que celui de l'Ontario.
Le sénateur Runciman : Certains de mes collègues ont décelé une anomalie dans la mesure législative; il s'agit de l'attitude permissive n'obligeant pas le Service correctionnel du Canada à signaler une libération. Quelle est votre position à cet égard?
M. Stephenson : Mon opinion n'est pas fondée sur une expérience directe, mais je suis au courant qu'il est difficile d'obtenir des renseignements sur la date de remise en liberté des contrevenants.
Je sais que les responsables du registre national ne reçoivent pas ces renseignements, alors ils essaient de trouver les délinquants dès leur libération. En revanche, le Service correctionnel du Canada semble fournir aux autorités policières locales les renseignements concernant la libération imminente de délinquants. Ce qu'il manque au niveau national est obtenu au niveau local, au sein de la communauté dans laquelle l'individu sera réinséré et où il est susceptible de représenter un risque.
Je n'aimerais pas devoir choisir entre les deux modèles. Dans ma communauté, je préférerais que la police locale soit au courant de la présence d'un délinquant et de la menace qu'il pourrait représenter pour la sécurité des personnes.
Le sénateur Runciman : Je vous remercie d'être ici et d'avoir toujours cette cause à cœur.
Le sénateur Carstairs : Je suis heureuse que vous soyez ici ce matin. J'aimerais rapidement rectifier l'interprétation qui, selon moi, est erronée de l'exposé de la Commissaire à la protection de la vie privée. Nous l'invitons toujours à soulever les problèmes qui retiennent son attention en matière de protection de la vie privée, mais seulement du point de vue de la protection des renseignements personnels. Nous devons prendre ceci en considération.
Toutefois, vous avez dit que, selon vous, plusieurs aspects du registre de l'Ontario ne se retrouvent pas dans le projet de loi S-2, notamment les renseignements sur le véhicule, la méthode utilisée par l'auteur du crime, les mesures d'application de la loi et les renseignements sur la remise en liberté du contrevenant.
Pensez-vous à d'autres aspects de la loi ontarienne qui nous permettraient d'avoir un véritable registre national des délinquants sexuels, c'est-à-dire un seul registre pour l'ensemble des provinces et territoires?
M. Stephenson : Je ne me suis pas préparé pour répondre à cette question en particulier. J'imagine qu'il existe d'autres aspects. Je n'arrive pas à trouver d'autres cas ou exemples de lacunes pouvant être améliorées afin d'amener le registre national au niveau de celui de l'Ontario.
On a souvent entendu des membres de la Police provinciale de l'Ontario déclarer qu'ils reçoivent chaque année 4 millions de dollars expressément pour administrer le registre de l'Ontario. Hier, j'ai entendu un témoin, qui comparaissait par vidéoconférence, expliquer que le financement qu'obtient la GRC à cette fin est considérablement moindre.
En fait, quand le registre national a été mis en place, on a dit à la GRC qu'elle devait le gérer, sans toutefois lui attribuer les fonds nécessaires. Elle accuse donc un énorme retard pour produire un registre concurrentiel avec celui de l'Ontario. Elle a besoin de sommes considérables.
Je sais que la GRC a affirmé être en mesure de gérer le registre avec les ressources dont elle dispose. Je ne sais pas au juste comment elle pourra payer les mises à niveau du logiciel et du matériel. Il semble injuste qu'on lui demande de s'occuper d'un programme comme le registre national des délinquants sexuels sans lui attribuer le financement nécessaire à sa gestion. On sait très bien ce qu'il arrive quand un ménage doit engager une nouvelle dépense sans qu'il ait une nouvelle source de revenus : il se prive d'une chose ou d'une autre pour couvrir la nouvelle dépense urgente.
Je crois qu'il en va de même avec la GRC. Est-ce que je m'éloigne trop du sujet?
Le sénateur Carstairs : Non, pas du tout : c'est un argument extrêmement important. Si l'Ontario a besoin de 4 millions de dollars pour exploiter son registre, il faudrait consacrer proportionnellement environ 12 millions de dollars à l'administration du registre national.
Je présume donc que vous ne voulez pas que le registre de l'Ontario soit éliminé avant qu'une loi permette de rendre le registre national des délinquants sexuels aussi efficace que lui et que les fonds nécessaires à sa gestion aient été prévus.
M. Stephenson : C'est exact, oui.
Le sénateur Baker : Le témoignage était intéressant — 4 millions de dollars sont attribués pour le registre de l'Ontario, tandis que la GRC ne reçoit que la misérable somme de 400 000 $ pour le registre national. Si j'ai bien compris le témoignage livré à la même séance où vous avez comparu devant le comité de la Chambre des Communes, lors de l'examen quinquennal de la loi, les policiers ontariens sont en mesure de trouver rapidement les individus grâce à des dispositifs permettant d'établir la position géographique, alors qu'ailleurs au Canada, la police n'a pas ce genre de moyens à sa disposition. Elle doit mener de longues recherches pour trouver le genre de renseignements qui se trouvent sous les yeux de la police ontarienne.
Est-ce que nous comprenons la même chose?
M. Stephenson : Oui, effectivement.
Le sénateur Baker : C'est épouvantable. En Ontario, après l'enregistrement d'un individu, la loi oblige la police à vérifier les renseignements du registre au moins une fois pour s'assurer qu'ils sont exacts. Est-ce aussi ce que vous comprenez?
M. Stephenson : Oui, c'est exact.
Le sénateur Baker : Notre loi ne contient aucune obligation de ce genre, n'est-ce pas?
M. Stephenson : Il s'agit d'une des mesures d'application de la loi visant le registre de l'Ontario.
Le sénateur Baker : Une autre disposition porte sur l'avis de libération d'un délinquant, simplement parce que c'est la police de l'Ontario qui gère le registre.
Je trouve toujours que vos témoignages regorgent de renseignements précieux pour les législateurs, et c'est exactement ce que nous faisons ici : nous élaborons une loi nationale qui, nous l'espérons, sera efficace.
Permettez-moi de vous poser deux courtes questions. Je vais les poser en même temps par égard pour le comité.
En lisant les recommandations, j'ai remarqué que le comité de la Chambre des communes était présidé par M. Breitkreuz quand il a procédé à l'examen quinquennal de la loi. Le comité a recommandé l'enregistrement automatique des contrevenants. Ce n'est peut-être qu'un détail, mais ce pourrait aussi être une question de droit majeure. Le comité aussi a recommandé que tous les individus ne soient pas enregistrés automatiquement. Le tribunal devrait décider, dans des cas extrêmement rares, de ne pas enregistrer une personne s'il détermine que cela aurait un effet démesuré par rapport à l'intérêt public.
Le projet de loi S-2 prévoit que tous les contrevenants soient automatiquement enregistrés dans le registre et que par la suite les accusés aient l'occasion de révoquer l'ordonnance. Le projet de loi s'inspire de la recommandation formulée par le comité de la Chambre des communes à cet égard. Êtes-vous d'accord sur le contenu du projet de loi, si on le compare à la recommandation de la Chambre des communes?
Le projet de loi initial prévoyait une rétroactivité d'un an. C'est ce que les tribunaux appellent un effet rétroactif. Les forces policières disposaient d'un an pour enregistrer tous les individus condamnés avant le 15 décembre 2004 et qui purgent encore leur peine. Elles ne pouvaient les enregistrer que pendant cette période. Autrement dit, on pouvait enregistrer les auteurs de crimes commis non seulement après l'adoption du projet de loi, mais aussi 20 ans auparavant et pour lesquels les contrevenants sont sous probation. Un individu qui purge encore sa peine n'est pas nécessairement en prison; il peut aussi être sous probation.
Aimeriez-vous que le projet de loi s'applique rétroactivement à tous ceux qui purgent encore leur peine plutôt que de s'appliquer seulement à partir sa date d'adoption?
M. Stephenson : J'ai écouté les délibérations hier après-midi. On remettait en question la période d'un an, car les autorités doivent faire le compte des délinquants en détention qui seront touchés par cette mesure législative.
Je crois savoir qu'on a prévu cette période par souci d'efficacité et pour que l'enregistrement de tous les délinquants en détention ne prenne pas une éternité. Quelqu'un a proposé que le processus prenne fin après un an. Si un individu n'a pas été enregistré durant cette période, nous aurons raté notre chance et tant pis. Nous pourrons ensuite nous concentrer sur ceux qui commettront des crimes à l'avenir.
Sénateur, le choix de mots de votre première question a attiré mon attention. Vous avez dit que le projet de loi prévoit que les « accusés » soient enregistrés. C'est inexact. Il prévoit que les individus « condamnés » soient enregistrés.
Le sénateur Baker : Oui, c'est exact.
M. Stephenson : Il faut garder cela à l'esprit.
En ce qui concerne le projet de loi S-2, je crois qu'on devrait évaluer et obligatoirement enregistrer tout individu purgeant une peine pour une infraction sexuelle désignée, qu'il soit en prison ou non. Cette exigence est conforme à la procédure qui a été adoptée en Ontario dès la promulgation de la loi.
On ne peut pas revenir en arrière indéfiniment. Hier, lors d'un témoignage, on demandait pourquoi ne pas s'assurer que tous les délinquants sexuels qui ont été condamnés un jour ou l'autre figurent dans la base de données. Je crois que le policier de la GRC a répondu que si les ressources étaient sans limites, on pourrait le faire, mais que ce n'est pas le cas. Nous ignorons même l'endroit où certains délinquants sexuels se trouvent, s'ils sont en vie ou bien s'ils sont hors du pays. Employer cette méthode serait faire de l'excès de zèle. Je ne crois pas que les résultats le justifieraient.
Le sénateur Baker : Je me souviens bien que nous avons choisi d'employer dans la loi l'expression « qui purge encore sa peine » pour éviter de revenir en arrière indéfiniment afin d'enregistrer les individus. Les individus qui purgent encore leur peine ou qui sont sous probation font généralement l'objet d'un contrôle par la police. Les forces policières devront donc vérifier les dossiers de chaque tribunal provincial, mais la tâche n'est pas trop pénible.
Vous dites que le présent projet de loi devrait prévoir l'enregistrement des individus qui purgent encore leur peine, comme le précisait le projet de loi initial. C'est préférable à ce que nous avons ici.
M. Stephenson : Oui.
Le sénateur Wallace : Nous apprenons beaucoup de choses grâce à vous, en raison, malheureusement, de l'expérience que vous avez vécue. À vos yeux, le registre est plus qu'un simple exercice. Je doute que quelqu'un d'autre au Canada y ait réfléchi autant que vous. Grâce à vos connaissances et à votre dynamisme, le registre de l'Ontario a pu être créé. Vous méritez des félicitations. Maintenant, penchons-nous sur le registre national.
Monsieur Stephenson, vos propos me portent à croire que vous êtes en faveur du projet de loi S-2. Il permettra d'améliorer le registre. Toutefois, il est toujours possible d'aller plus loin. Vous l'avez clairement dit.
Pourriez-vous exposer dans le détail les éléments du projet de loi S-2 qui, d'après vous, permettent vraiment d'améliorer l'actuel registre national des délinquants sexuels afin d'empêcher qu'il y ait d'autres victimes? Croyez-vous que les améliorations contenues dans le projet de loi S-2 auront cet effet?
M. Stephenson : On aura toujours le temps de procéder à un second examen objectif, si vous voulez mon avis.
Depuis notre comparution d'il y a un an, où nous avions discuté des amendements proposés au projet de loi C-34, nous avons eu le temps d'examiner la loi et son objet plus en profondeur.
L'objectif principal du registre de l'Ontario ou du registre national des délinquants sexuels n'est pas la protection du public. L'objectif principal des deux documents est de fournir un outil de gestion aux services de police pour qu'ils enquêtent sur les crimes sexuels de manière adéquate et approfondie. Comme je l'ai souligné dans mon exposé, plus les services de police obtiennent du succès dans leur enquête, plus il est probable qu'on appréhende un délinquant et qu'on le mette en détention pour épargner des victimes potentielles.
La prévention fait partie de l'objet des registres de l'Ontario et du Canada, mais elle n'en constitue pas l'essentiel.
À l'extérieur de l'Ontario, les services de police n'ont pas un tel outil de gestion, à l'heure actuelle. Dans la pratique, les choses n'ont pas changé depuis un an. La police ne peut pas enquêter de façon proactive sur un suspect en raison des restrictions de la loi actuelle. De plus, les tribunaux ne sont pas encore tenus d'ordonner l'inscription au registre au moment de la condamnation. La moitié des délinquants sexuels reconnus coupables ne sont toujours pas tenus de s'inscrire.
Toutefois, la prévention est aussi une partie importante de ce que nous faisons. Cela dit, la prévention devient malheureusement accessoire. Je dis malheureusement parce que, comme société, nous ne pouvons pas commencer à nous préoccuper de services de police qui se concentrent seulement sur la prévention. Le travail de la police est d'enquêter sur les crimes et de déposer des accusations.
N'insistons pas trop sur « la protection du public ». C'est un aspect important de l'objet de la loi, mais l'objectif premier est de fournir un outil d'enquête.
Je ne sais pas si j'ai répondu à toutes vos questions. Dans la négative, faites-le-moi savoir.
Le sénateur Wallace : Je dirais que oui. J'ai mis l'accent sur la prévention, car je crois que la police a besoin d'outils d'enquête améliorés pour assurer une meilleure protection du public. En tout cas, c'est ce que je voulais dire.
M. Stephenson : Puis-je faire quelques commentaires à ce sujet? Après avoir appréhendé, inculpé et condamné un délinquant, on a tendance à l'oublier, à moins qu'il ne figure dans un registre. En Ontario, il y a le registre des délinquants sexuels de l'Ontario et, à l'extérieur de cette province, il y a le registre national des délinquants sexuels.
J'ai passé pas mal de temps à faire du bénévolat dans les prisons de la province et à m'occuper des délinquants sexuels. Il est très particulier de parler à un délinquant sexuel de sa mise en liberté prochaine et du fait qu'il devra s'enregistrer au service de police local en vertu de la Loi Christopher. Quand j'en parle à l'intéressé, la situation est souvent extrêmement embarrassante.
Une fois le malaise passé, le délinquant ne nie pas qu'il doive s'enregistrer. En fait, examinez le volet d'application de la loi du registre de l'Ontario. Pour la personne concernée, l'obligation de s'enregistrer et d'accepter d'être contactée par un policier équivaut à une vérification de ses activités. La plupart des individus à qui j'ai parlé voient cette obligation ainsi.
Un grand nombre de ces délinquants ne commettront plus d'agression. Malheureusement, certains recidiveront. Le petit nombre qui sont susceptibles de récidiver trouvent encourageant de savoir qu'un policier peut frapper à leur porte. Quand le temps sera venu pour ces gens de renouveler leur enregistrement au poste de police, ils devront dire s'ils ont déménagé, s'ils ont changé d'emploi et s'ils vont bien.
Les policiers chargés de l'application du registre ne sont pas en uniforme. De plus, la voiture qu'ils utilisent est banalisée. Ces agents sont en tenue de ville ou ils portent des vêtements décontractés et ils demandent à la personne comment elle va et si elle a des problèmes derrière des portes closes.
Ce genre de soutien n'est pas naturel pour bien des policiers, qui nous ont admis qu'ils ne s'attendaient pas à intervenir de cette façon auprès des délinquants sexuels. Toutefois, après qu'on leur a demandé de remplir cette tâche, les policiers comprennent l'importance de surveiller ces gens quand c'est possible.
Il y aura toujours des récidivistes, mais il y a aussi ceux qui commettent des agressions sexuelles qu'on ne connaît pas. Ces gens ne sont pas dans le registre. Nous ne pouvons rien faire à cet égard.
Un registre ne préviendra pas une agression sexuelle. En fait, si le registre avait existé la fin de semaine de la fête des Pères de 1988 — permettez-moi de parler de mon histoire —, je pense que rien n'aurait empêché Joseph Fredericks d'enlever notre fils, sauf si on avait demandé à un policier de le suivre pas à pas. Cet homme aurait enlevé notre fils qu'il y ait eu un registre ou non.
Cependant, si un registre avait été en place — et c'est une différence importante — la police aurait eu accès à une base de données, où Joseph Fredericks aurait figuré s'il s'était enregistré après sa libération. La police aurait obtenu un certain nombre de noms, quelques minutes après la disparition de Chistopher. Je suis certain que la fin de semaine en question aurait connu une conclusion autrement plus positive.
Le registre n'empêchera pas un délinquant de récidiver, mais il donnera à la police la capacité — et c'est ce qui compte — d'enquêter et, nous l'espérons, de résoudre des crimes.
Le sénateur Wallace : Je vous remercie. Je ne pense pas qu'on puisse être plus clair à ce propos.
Mme Stephenson : Je dirais aussi que le registre sert à gérer les gens une fois qu'ils sont remis en liberté. Le système de justice ne les gardera pas éternellement en prison. Les délinquants finissent toujours par retrouver la liberté, à quelques exceptions près.
Ainsi, ces outils sont importants pour la société et la police. C'est de cette manière que nous devons nous occuper des délinquants sexuels. À long terme, cet outil pourrait prévenir un autre crime, ou au moins en changer l'issue.
La présidente : Mille mercis à vous deux.
Honorables sénateurs, les prochains témoins concernant le projet de loi S-2 sont Susan Love, directrice du programme d'Ottawa, et Andrew McWhinnie, conseiller national, Cercles de soutien et de responsabilité. Ils ont tous deux un exposé à présenter. Allez-y, madame Love.
Susan Love, directrice du programme à Ottawa, Cercles de soutien et de responsabilité : Bonjour aux membres du comité. Je suis accompagnée aujourd'hui d'Andrew McWhinnie, conseiller national du directeur général de l'aumônerie du Service correctionnel du Canada pour les Cercles de soutien et de responsabilité, les CSR. Mon collègue participe au programme depuis un certain temps et s'est investi dans tous les aspects des recherches menées par les CSR.
Je vous remercie de nous donner l'occasion de témoigner aujourd'hui. Les CSR sont le fruit d'un important travail effectué par les Canadiens qui veulent lutter contre le crime sexuel dans leur collectivité. Il n'est pas anodin pour nous de comparaître devant le comité durant la Semaine nationale de sensibilisation aux victimes d'actes criminels et la Semaine de l'action bénévole, car cela nous permet d'attirer l'attention sur les succès des CSR, qui cherchent à réduire le nombre de victimes grâce au travail acharné des bénévoles.
Dans nos exposés, nous voulons parler de deux choses. Tout d'abord, je vais donner un bref aperçu de l'histoire des CSR. Ensuite, M. McWhinnie dira quel effet les CSR ont eu sur les taux de récidive des gens que nous suivons, ceux que nous appelons les « membres essentiels ».
Les Cercles de soutien et de responsabilité, qui existent grâce à des bénévoles, ont été mis sur pied en 1994 en réaction à la libération de délinquants sexuels à risque élevé détenus dans une prison fédérale ou à la fin de leur peine, soit « à la date d'expiration de leur mandat ». En Ontario, deux délinquants de cette catégorie ont été remis en liberté en 1994 et 1995. Pour les aider, la congrégation de l'Église mennonite d'Hamilton et, l'année suivante, un aumônier communautaire du Service correctionnel du Canada de Peterborough ont fondé séparément un groupe que nous appelons aujourd'hui Cercle de soutien et de responsabilité.
Grâce à leurs efforts, ces groupes ont remporté un succès relatif, ce qui a incité l'aumônier communautaire de Toronto à prendre contact avec le SCC pour lancer un projet pilote visant à associer d'autres délinquants sexuels à haut risque à des CSR et pour évaluer l'effet d'une telle mesure.
L'examen des résultats du projet pilote a entre autres les délinquants sexuels à haut risque associés à un CSR avaient récidivé dans une proportion moindre de 70 p. 100 par rapport à un groupe de délinquants semblables, libérés durant la même période, mais qui n'avaient pas eu accès à un CSR. Les résultats sont remarquables. Nous avons décidé de reproduire l'expérience pour voir si on pouvait obtenir les mêmes résultats avec d'autres délinquants sexuels à haut risque libérés ailleurs au Canada.
Pendant ce temps, d'autres collectivités du Canada ont aussi mis sur pied un CSR avec l'appui de divers partenaires, dont l'Aumônerie du SCC, les congrégations mennonites locales et différents groupes religieux et confessionnels. Entre 1994 et 2009, 17 CSR ont vu le jour. Le CSR d'Ottawa est d'inspiration locale et il est pris en charge par des bénévoles.
Même si les CSR sont mis en place séparément par les collectivités, ils demeurent conformes à des valeurs communes selon lesquelles il ne doit plus y avoir de victimes. Les CSR reconnaissent de manière implicite la souffrance et le besoin de guérison des victimes. De plus, les membres des CSR sont convaincus que personne ne doit être laissé pour compte. La santé et la sécurité de tous les citoyens et l'intégration sécuritaire des délinquants reposent sur des relations saines et un tissu social fort.
Tout en établissant des ponts dans leur milieu communautaire, les CSR et les bénévoles reconnaissent qu'il faut faire l'équilibre entre l'aide fournie aux délinquants, d'une part, et l'obligation pour les récidivistes de répondre de leurs actes et d'adopter un mode de vie responsable, d'autre part. Ainsi, les CSR doivent rester en contact avec les professionnels des services de réhabilitation, de santé, de sécurité et d'application de la loi. Les CSR ne peuvent travailler en toute sécurité s'ils sont seuls. Tous les jours, les membres des cercles s'efforcent avant tout d'avoir des relations constructives avec les responsables de la justice criminelle et les professionnels de la santé mentale. Ils se concentrent aussi sur les relations avec la collectivité locale et avec les groupes de victimes et de défense d'intérêts.
Je serai prête à répondre à vos questions après l'exposé de M. McWhinnie.
Andrew McWhinnie, conseiller national, Cercles de soutien et de responsabilité : Merci de nous recevoir aujourd'hui.
Comme Mme Love l'a mentionné, étant donné les résultats remarquables du premier projet pilote, il fallait procéder à d'autres essais pour voir si nous pouvions obtenir d'aussi bons résultats avec d'autres délinquants sexuels à haut risque libérés ailleurs au Canada. En 2008, le SCC a rendu public un rapport sur deux groupes de 44 délinquants sexuels à risque élevé — dont un étaient composé de délinquants associés chacun à un CSR — qui ont fait l'objet d'un suivi pendant de trois ans.
Dans cette étude, on a constaté qu'aucun des participants à un CSR n'avait été déclaré coupable d'une nouvelle agression sexuelle. Malheureusement, cinq personnes qui n'avaient pas reçu le soutien d'un CSR avaient récidivé pendant cette période.
En outre, on a observé que les taux de récidive avec violence et de récidive en général chez les individus associés à un CSR étaient inférieurs aux taux des individus de l'autre groupe dans des proportions de 82 p. 100 et de 83 p. 100 respectivement. Ces résultats indiquent non seulement un taux de récidive plus faible, mais aussi une réduction du nombre de victimes d'agression sexuelle, d'actes de violence ou de tout autre crime.
De plus, le nombre d'accusations et de condamnations du groupe d'individus associés à un CSR était inférieur de 89 p. 100 par rapport à celui de l'autre groupe. Cela réduit considérablement les activités d'application de la loi et les coûts des tribunaux et des services correctionnels.
Certains pourraient dire que ces résultats s'expliquent par la surveillance accrue des CSR. Nous répondrions à ces personnes que, tout d'abord, les CSR ne surveillent pas ni ne supervisent les délinquants sexuels. Toutefois, nos services se démarquent par notre approche attentionnée et positive et le sentiment d'appartenance véritable qu'ils procurent aux participants, qui doivent néanmoins assumer la responsabilité de leurs actions. C'est exactement la combinaison de soutien et d'obligation de répondre de leurs actes qui manque de nos jours à tant de délinquants qui sont mis en liberté à l'expiration de leur mandat.
Ces résultats et près de 15 ans d'expérience nous ont montré que la majorité des participants aux CSR gardent un contact avec des bénévoles durant de nombreuses années. Certains voient les cercles presque comme leur famille. Quand les membres essentiels passent à autre chose, nous avons constaté qu'ils restent en contact avec leur CSR, ou au moins avec un ou deux bénévoles. Si ces membres ont besoin de maintenir un contact plus étroit, comme c'est arrivé plusieurs fois au pays, un cercle complet est de nouveau mis sur pied.
Si nous mettons cette étude dans le contexte plus large du débat sur la possibilité de gérer les délinquants sexuels dans les collectivités, nos conclusions, de même que celles du rapport de 2008 et du projet de CSR mis en œuvre en Grande-Bretagne dans l'Hampshire et la Thames Valley, laissent peu de place au doute et indiquent que c'est non seulement possible, mais sécuritaire et efficace de le faire quand les services d'un CSR sont disponibles. Malgré tout, la participation de la collectivité ainsi que le processus de gestion des risques sont essentiels.
Le modèle des CSR montre clairement que les délinquants sexuels, en particulier ceux à haut risque, ne sont pas condamnés à récidiver encore et encore. Les CSR sont un excellent exemple de l'approche positive dont les collectivités se servent pour rendre les délinquants plus responsables, améliorer la sécurité et réduire de façon importante les conséquences des agressions, le nombre de victimes, leur souffrance et l'effet destructeur de ces actes criminels.
Des gens diront qu'offrir du soutien aux délinquants sexuels, notamment ceux à haut risque, n'est pas la solution. Ils diront que les personnes qui transgressent la loi de cette manière doivent être tenues à l'écart de la société.
Nous insistons fermement auprès du comité pour dire que loin d'améliorer notre sécurité, chasser les délinquants des collectivités augmente le risque auquel la population est exposée. Si, au contraire, on inclut ces gens dans les collectivités de manière appropriée, délibérée et sécuritaire et qu'on tient compte des risques, on offre la meilleure protection qui soit contre le crime sexuel. Des preuves empiriques montrent clairement que cette approche réduit le nombre de victimes, ce qu'on ne peut pas dire de bien d'autres mesures mises en œuvre pour tenter de prévenir ce crime et de protéger des victimes potentielles.
En terminant, je veux dire que les défis que comporte ce travail me passionnent et que je suis fier d'être associé aux bénévoles — à mes concitoyens canadiens — ainsi qu'aux nombreux partenaires du secteur public qui s'emploient jour après jour à protéger la population du pays et qui, grâce à l'action des CSR, veillent à ce que le Canada soit sécuritaire et que personne ne soit laissé pour compte.
Je suis prêt à répondre à vos questions.
La présidente : Pouvez-vous donner plus de détails sur ce que font les CSR? À l'évidence, vos résultats sont frappants, mais pardonnez-moi, je ne suis toujours pas certaine de ce que vous faites et de comment vous vous y prenez.
M. McWhinnie : Disons que vous êtes une délinquante sexuelle et que les gens autour de la table forment un CSR. Nous sommes tous citoyens du Canada. Notre travail consiste à vous soutenir de toutes les façons possibles, à veiller à ce que vous vous inscriviez sur le registre des délinquants sexuels et à ce que vous respectiez les obligations qui vous incombent en vertu des articles du Code criminel, l'article 810, par exemple. Le cercle vous soutient et vous offre un endroit où aller quand vous éprouvez des difficultés et que les choses ne fonctionnent pas. Le cercle connaît très bien vos antécédents, les risques que vous présentez et votre cycle de criminalité. Il s'occupe de vous et il s'assure que vous travaillez sur vous-même. Le CSR représente aussi une communauté sûre où on peut parler en toute honnêteté de ce qui nous inquiète, nous en tant que bénévoles et citoyens canadiens et vous, en tant qu'ancienne délinquante sexuelle. Grosso modo, voilà le travail que nous faisons.
La présidente : Vous rencontrez-vous régulièrement, par exemple une fois par semaine?
Mme Love : Je vais décrire ce à quoi ressemble un cercle. D'habitude, un cercle comprend moins d'intervenants qu'il y en a ici, en plus du membre essentiel.
La présidente : Suis-je le membre essentiel?
Mme Love : Oui. Environ trois à cinq bénévoles formés, qui ont fait l'objet de vérifications, vous rencontrent en groupe ou de manière individuelle, et ce, régulièrement. Voilà plus ou moins ce qu'est un cercle.
Nous appliquons une entente conclue entre le membre essentiel et les bénévoles dans laquelle sont énoncées toutes les exigences et responsabilités que chaque partie doit respecter. Dans ce document important pour le CSR, le membre essentiel s'engage à participer aux réunions et à respecter les exigences légales qui le concerne, quelles qu'elles soient. On parle des conditions définies à l'article 810 ou des conditions de surveillance à long terme. Tout est dans le document d'entente. Nous demandons à tous les participants de s'engager pour un an. Pendant ce temps, la confiance s'établit, ce qui fait que le membre essentiel est plus disposé à parler ouvertement de ce qui se passe dans sa tête.
La présidente : Je vous remercie. J'ai empiété sur le temps qu'ont les sénateurs pour poser des questions.
Le sénateur Wallace : Je vous remercie beaucoup de votre exposé.
Tout comme le sénateur Fraser, je veux mieux comprendre ce que fait votre organisation. Comme vous l'avez dit, les cercles dépendent de bénévoles, qui offrent du réconfort et du soutien. Les CSR semblent être une bonne idée.
De ce que je comprends des problèmes psychologiques et du profil des délinquants sexuels, il s'agit d'un domaine difficile et complexe. Les bénévoles sont-ils qualifiés pour offrir le type d'orientation et d'instructions dont les délinquants sexuels ont besoin? Offrez-vous des programmes de formation aux bénévoles? Comment faites-vous pour surmonter les difficultés?
M. McWhinnie : En effet, le domaine présente des difficultés. Nous sommes prudents durant le processus de recrutement, de vérifications et de formation. En même temps, nous demandons à des psychologues judiciaires, à des agents de correction et à des responsables de l'application de la loi de renseigner gracieusement les bénévoles sur ce qui les attend.
On apprend notamment aux bénévoles à ne pas se substituer aux professionnels. On leur apprend à reconnaître les situations où les services d'un professionnel sont requis. De plus, nous encourageons les membres essentiels à participer aux rares programmes de suivi offerts aux délinquants sexuels dans les collectivités. Les membres essentiels participent aussi à des programmes sur la toxicomanie. Nous laissons les professionnels se charger du travail plus ardu dont vous parlez.
En général, nous avons de très bonnes relations avec les agents de libération conditionnelle, les psychologues correctionnels et les autres experts médicolégaux. Les CSR doivent s'en tenir à leur rôle de fournir du soutien et des encouragements.
Si le sénateur Fraser ne se rend pas aux séances des programmes qu'elle doit suivre, nous lui offrirons de l'y emmener.
Le sénateur Wallace : Le Dr Paul Fedoroff a donné un témoignage excellent et utile, hier. Également, M. et Mme Stephenson ont comparu plus tôt aujourd'hui. Ce que ces trois personnes ont affirmé a peut-être surpris certains d'entre nous. Elles semblaient dire que les délinquants sexuels qui figurent dans le registre national trouvent qu'il est plutôt profitable d'y être pendant qu'ils procèdent à des changements. C'est ce que ces témoins se sont fait dire.
Quelle est votre expérience concernant l'attitude des délinquants à l'égard de leur inscription dans le système?
M. McWhinnie : Je vais demander à ma collègue, qui travaille avec des délinquants tous les jours, de répondre aussi à la question.
Je vais dans les établissements pour parler aux délinquants sexuels à haut risque de leur participation potentielle à un CSR. Je suis d'accord avec le Dr Fedoroff et les Stephenson. Quand j'ai commencé ce travail, il y a 12 ans, j'ai été surpris de constater que la plupart des délinquants sexuels en prison veulent qu'on leur demande des comptes. Souvent, ils ont honte de leur comportement.
Bien des individus ne veulent pas sortir de l'établissement pénitencier et redoutent deux choses : la réaction de la collectivité, et leur propre penchant criminel. Bien souvent, ils sont réceptifs aux conditions énumérées à l'article 810 du Code criminel, auquel ils sont assujettis. Nous leur donnons le moyen de prendre un engagement envers la collectivité en disant : oui, je tiendrai compte des conditions imposées en vertu de l'article 810; cela ne me plaît peut-être pas, mais je serai inscrit au registre, et c'est une manière pour moi d'être tenu responsable et d'être placé dans une position où je pourrai m'en sortir avec moins de craintes que je n'en avais à l'origine.
Mme Love : Je suis d'accord avec M. Stephenson; les délinquants se plient volontiers à ces règles.
Il importe de noter que nos participants adhèrent au programme sur une base volontaire. Leur enregistrement au registre est une condition à leur sortie de prison et à leur changement de vie. D'après ce que j'ai constaté, ils n'éprouvent pas beaucoup de ressentiment quant à l'obligation d'être inscrit au registre. Ils n'apprécient pas particulièrement que des policiers en uniforme frappent à leur propre. Ils tentent de réintégrer la société, et ne souhaitent pas que leurs voisins connaissent leurs antécédents. C'est un peu problématique.
Le sénateur Wallace : Merci. Ces commentaires sont utiles.
Le sénateur Carstairs : Madame Love, vous avez indiqué qu'il y avait 17 cercles de soutien et de responsabilité. Où se trouvent-ils au Canada, et comment sont-ils financés?
Mme Love : On les trouve d'un bout à l'autre du pays. Peut-être pourrions-nous vous fournir une carte indiquant tous les endroits où ils sont situés.
La présidente : Pourriez-vous fournir cette information à la greffière?
Mme Love : Oui, avec plaisir. Ce serait un peu long d'en énumérer la liste maintenant.
Quelles sont les sources de financement des CSR? Les cercles de soutien et de responsabilité tirent leur financement de sources indépendantes. Nous ne sommes pas reliés les uns aux autres par un « CSR Canada » en tant que tel. Certains — comme c'est notre cas ici, à Ottawa — sont financés par les services d'aumônerie du Service correctionnel du Canada et au moyen de diverses subventions pour lesquelles nous soumettons des demandes. Récemment, nous avons reçu un financement du Centre national de prévention du crime, qui relève de Sécurité publique Canada. Le Comité central mennonite accorde aussi un financement à plusieurs cercles partout au Canada.
M. McWhinnie : Pour ce qui est des endroits, on trouve des cercles de soutien et de responsabilité dans tous les grands centres du pays, à l'exception d'Edmonton, pour une question de ressources.
Le sénateur Carstairs : Au Canada, il y a plus de 17 villes. Les CSR ne sont pas présents partout au pays, bien qu'il puisse y en avoir un dans chaque province. Y a-t-il un CSR à Thompson ou à Portage la Prairie, au Manitoba? Il peut en y avoir un à Winnipeg. À quel point les CSR sont-ils répandus? S'il y avait davantage de ressources financières, y aurait-il davantage de CSR?
M. McWhinnie : Désirez-vous que je vous lise la liste?
La présidente : Veuillez la lire rapidement; mais si pouviez fournir la carte à la greffière en partant d'ici, nous en fournirions une copie aux membres du comité.
M. McWhinnie : Nous avons des CSR à St. John's, à Terre-Neuve-et-Labrador; à Halifax, en Nouvelle-Écosse; et à Moncton, au Nouveau-Brunswick. Nous en avons trois dans la région du Grand Montréal, soit un de langue anglaise et les deux autres bilingue et de langue française. On en trouve aussi en Ontario, à Ottawa, Kingston et Peterborough, puis à Toronto, ce qui couvre l'Ontario du sud-ouest, y compris Hamilton et Kitchener-Waterloo; à Winnipeg, au Manitoba; à Régina, Saskatoon et Prince-Albert, en Saskatchewan; à Calgary, en Alberta; et enfin, en Colombie- Britannique, nous avons un programme couvrant la zone qui va de Hope à l'océan Pacifique. C'est un vaste projet.
Nous n'avons pas de CSR à Thompson, au Manitoba. Tout le monde a besoin de ressources accrues, mais si nous pouvions avoir davantage de ressources, nous aurions l'intention d'établir un cercle de soutien et de responsabilité à Thompson.
Le sénateur Carstairs : Si vous avez, en Colombie-Britannique, un cercle de soutien et de responsabilité qui dessert une population de 4,4 millions de personnes, cela paraît à peine suffisant pour répondre aux besoins des délinquants sexuels libérés d'un établissement de détention en Colombie-Britannique. Ainsi donc, les ressources posent manifestement problème pour ce qui est de la disponibilité des CSR.
M. McWhinnie : Ces ressources ne sont pas seulement d'ordre financier.
Le sénateur Carstairs : Il s'agit aussi des bénévoles.
M. McWhinnie : Oui.
Le sénateur Joyal : De combien d'argent parlons-nous?
M. McWhinnie : Les CSR peuvent recevoir du financement d'une multitude de sources de partout au pays, ainsi que l'a souligné Mme Love.
Le sénateur Joyal : Quel est le budget global de tous les centres?
M. McWhinnie : Nous sommes en train de monter un projet de démonstration avec le Centre national de prévention du crime afin d'effectuer d'autres travaux de recherche sur une période de cinq ans. D'après nos calculs, nous évaluons que le financement totalise actuellement 2,5 millions de dollars en provenance de toutes les sources, y compris le Centre national de prévention du crime. Ce financement nous rapproche de notre capacité de fonctionnement à l'échelle du pays.
Au terme de ces cinq ans de collaboration avec le Centre national de prévention du crime, nous serons de retour au point où nous étions avant le 1er octobre dernier, date où ce projet a démarré, alors que nous recevions un financement avoisinant les 600 000 $ en tout et pour tout, de toutes les sources au Canada. En toute franchise, ce financement est nettement insuffisant pour nous permettre d'accomplir notre travail, mais notre personnel le fait quand même.
Je sais que Mme Love a travaillé pendant de nombreuses années en comptant sur une subvention de près de 6 000 $ octroyée par le Service correctionnel du Canada, et avec de l'argent supplémentaire provenant de la fondation Trillium, ce dont elle pourra vous parler plus directement.
Le sénateur Joyal : J'aimerais établir un ratio d'efficacité en fonction du montant d'argent en cause, c'est-à-dire 600 000 $, et du nombre de participants essentiels. Combien de participants essentiels avez-vous?
M. McWhinnie : D'après les dernières données, nous travaillons avec environ 120 d'entre eux d'un bout à l'autre du Canada.
Le sénateur Joyal : Je tente de comprendre où va notre argent. Quelle est notre priorité, en l'occurrence? Est-il plus important d'investir dans le genre d'initiative que vous supervisez — avec un grand dévouement, d'après ce que je peux déduire de votre témoignage — que d'avoir à embaucher des policiers pour assurer une surveillance et tenir de l'information à jour sur les délinquants? Je pense que les fonds sont investis à meilleur escient dans votre initiative que dans les activités des forces policières qui tentent de surveiller les délinquants sexuels — et il importe de souligner que votre initiative a davantage de chances de limiter le risque de récidive.
Une société dispose de fonds limités; elle décide de ses priorités et des investissements qui seront les plus rentables. Il semble que vous produisiez un meilleur rendement pour l'argent investi par rapport au nombre de participants. Par conséquent, votre approche est plus utile qu'une multiplication des forces policières, ce qui coûte cher, comme nous le savons tous.
Avez-vous jamais considéré votre initiative sous cet angle?
M. McWhinnie : Pour nous, il n'y a pas de scénario de « l'un ou l'autre ». Nous travaillons le plus possible en étroite collaboration avec la police. Nos activités respectives vont de pair : la surveillance qu'assurent les forces de l'ordre partout au pays — bien qu'elles aient aussi besoin de ressources supplémentaires —, et les opérations quotidiennes qu'accomplissent les CSR et que les forces policières ne pourront jamais effectuer. Nous aurons beau leur attribuer toutes les ressources que nous voudrons et toutes les ressources dont ils auront besoin; les policiers ne seront pas davantage en mesure de faire ce que nous faisons, et l'inverse est aussi vrai.
En ce qui concerne le projet de loi S-2, M. Stephenson a établi clairement que le registre n'était pas un outil préventif. C'est nous qui agissons principalement comme un mécanisme préventif. Le registre des délinquants sexuels est un outil valable, que la police peut utiliser pour faire enquête de façon proactive — particulièrement dans le contexte des changements que vous proposez, je crois — quant à la possibilité d'agressions sexuelles, et lorsqu'une infraction d'ordre sexuel se produit.
Nous travaillons de connivence avec les forces policières, parce que nous ne souhaitons pas qu'il y ait d'autres victimes, mais nous sommes un outil de protection proactif. Dans un monde idéal, dans un Canada parfait, nous financerions les deux organismes à hauteur des capacités dont ils ont besoin.
Le sénateur Joyal : Je suis intrigué par le fait que vous soyez bénévole, tout comme Mme Love et d'autres personnes. Quel type de formation professionnelle avez-vous suivie? À mes yeux, un délinquant sexuel est une personne atteinte d'une sorte de handicap. On ne demandera pas à n'importe qui d'aborder quelqu'un qui présente un handicap. Une formation est nécessaire, surtout lorsqu'on a affaire à des délinquants à haut risque ou à des gens probablement atteints de troubles mentaux.
Tout le monde n'est pas fait pour aborder une personne dans cet état, ni ne sait de quelle façon s'y prendre. Quelle formation donnez-vous à votre personnel? Quelle stratégie avez-vous adoptée pour veiller à ce que les bénévoles aient la capacité de s'occuper de quelqu'un de manière à prévenir la récidive?
Mme Love : Nous comptons énormément sur nos partenaires de la collectivité pour nous aider à donner de la formation. Ici, à Ottawa, nous avons la chance d'avoir un partenariat ou une relation de travail avec les gens de l'Hôpital Royal Ottawa, notamment avec le Dr Fedoroff, que vous avez rencontré. Ils arrivent et parlent de sujets comme la déviance sexuelle.
Nous collaborons également avec des représentants de la Société John Howard, qui viennent parler des cycles de criminalité et des effets de l'incarcération ou de l'institutionnalisation. Nous invitons également des groupes de victimes, qui discutent des conséquences qu'ont ces types d'agressions sur les victimes et les survivants. Nous comptons sur ce cercle extérieur.
Ainsi que M. McWhinnie l'a mentionné, nous ne prétendons pas faire de nos bénévoles des thérapeutes. Nous attendons d'eux qu'ils fassent preuve de compassion, qu'ils accompagnent ces gens — qu'ils les écoutent, les aident et les motivent.
Si leur distorsion cognitive fait penser aux délinquants sexuels qu'il est correct de commettre un certain acte, peut- être n'est-ce pas le cas. C'est là-dessus que nous concentrons nos efforts : nous les aidons à faire les bons choix en leur montrant l'exemple.
Si vous me permettez de revenir à votre remarque initiale au sujet de la valeur du programme, nous devons mesurer celle-ci en allant au-delà de la valeur monétaire. La valeur que représente le recours à des membres de la collectivité doit également être prise en compte. Ce programme donne aux citoyens les moyens de faire partie de la solution à cet énorme problème. Nous pouvons tous faire partie de la solution, au lieu de nous contenter de rester chez nous et d'avoir peur.
Le sénateur Baker : Je vous félicite pour l'excellent travail que vous accomplissez dans tout le pays. Je suppose que l'un des plus grands problèmes que nous éprouvons, quand une personne reconnue coupable d'une infraction criminelle est libérée, se situe sur le plan du respect des conditions de mise en liberté. Parfois, ces personnes sont réinsérées dans le même milieu qu'avant leur mise en accusation, là où les drogues et l'alcool avaient peut-être été, par exemple, une cause majeure de l'infraction.
Arrive-t-il parfois que votre organisme figure parmi les conditions imposées à la libération, ou les gens viennent-ils vous voir entièrement sur une base volontaire? Arrive-t-il qu'un juge dise aux délinquants qu'ils seront condamnés à purger une peine d'emprisonnement de 60 ou 90 jours, et qu'à leur sortie de prison, ils seront en probation pour un an — ils devront s'abstenir de consommer de l'alcool et des drogues, entre autres conditions normales — et devront participer au programme de votre organisme? Cette condition figure-t-elle parfois dans les ordonnances de libération?
M. McWhinnie : On a tenté de le faire, sénateur. Nous nous opposons activement à ce que cela se produise. En effet, nous voulons fonctionner sans lien de dépendance avec le système de justice pénale officiel. Nous ne pouvons faire le travail qu'il accomplit, et vice-versa.
De plus, le meilleur facteur de motivation —et pour que quelqu'un change sa vie, il faut qu'il soit motivé — est le fait que les participants viennent à nous; ils entendent parler de ce que nous sommes et décident eux-mêmes que ce cercle est une chose dont ils ont besoin, et dont ils souhaitent bénéficier dans leur vie. La relation qu'on développera pour appuyer ce changement est la même que celle que vous et moi développerions en devenant ami avec quelqu'un. Cela n'est pas ordonné par qui que ce soit.
On a fait l'expérience, par exemple, de la mise sur pied d'un cercle de soutien et de responsabilité au Minnesota, où le Département des services correctionnels du Minnesota avait fait des cercles de soutien et de responsabilité un programme complémentaire aux Services correctionnels de l'État. Lorsqu'une personne en avait terminé avec les Services correctionnels, qu'elle avait fini de purger sa peine et était maintenant libre de partir, elle quittait du même coup le cercle de soutien et de responsabilité, parce que celui-ci était un élément du Service correctionnel de l'État. Nous voulons à tout prix éviter une telle situation. Pas plus tard qu'il y a une semaine, un avocat de la défense nous a abordés pour savoir si nous pouvions demander à un juge d'imposer la participation à un cercle de soutien et de responsabilité. Absolument pas. Nous ne pouvons pas non plus imposer aux citoyens canadiens d'être en relation avec un délinquant sexuel. Nous ne pouvons pas faire cela. Nous pouvons essayer, mais ça ne marchera pas. Vous savez ce que vous feriez, et je sais ce que je ferais si la Cour nous annonçait que nous serons en relation avec une telle personne. Je répondrais non; je ne crois pas. Il faut établir un juste équilibre.
Le sénateur Neufeld : Monsieur McWhinnie, j'ai lu l'étude que vous avez réalisée auprès des deux groupes. Vous avez déclaré qu'aucun des participants des CSR n'avait été mis en accusation ni condamné pour une infraction sexuelle au cours des trois années suivantes. Vous avez ajouté que parmi les délinquants ayant participé à un CSR, 82 p. 100 de ceux ayant récidivé avaient commis une infraction moins violente, et que le taux de récidive de ces délinquants était inférieur de 83 p. 100 à celui des délinquants qui n'avaient pas fait partie d'un CSR. Peut-être n'ai-je pas compris ce que vous avez dit, mais pour moi, cela veut dire qu'il y a eu récidive.
M. McWhinnie : Oui; il s'agissait d'une période normalisée de trois ans, au cours de laquelle nous avons examiné les taux de récidive. L'étude a duré plus longtemps que cela et allait du moment où une personne était libérée jusqu'à ce que nous ayons terminé l'étude ou jusqu'à ce qu'il y ait récidive. Au cours de cette période de temps prolongée, oui, il y a eu des récidives, et dans certains cas, bien que rarement, il s'agissait de récidives à caractère sexuel. Au cours de cette longue période, nous avons réduit les récidives d'agressions sexuelles de 83 p. 100 par rapport à l'autre groupe de comparaison. L'échantillon était un peu plus grand au cours de cette période plus longue. Nous voulions nous baser sur une période de trois ans où tous les éléments étaient égaux et déterminer ce qui se produirait dans ce laps de temps.
La semaine prochaine, vous entendrez un fonctionnaire de la Division de la recherche du Service correctionnel du Canada, le Dr Andrew Harris, qui vous parlera des taux de récidive normaux pour les délinquants sexuels. Nous avons pu réduire les taux de récidive — sans toutefois les éliminer — des délinquants récidivistes les plus dangereux qui ont participé à notre programme.
Le sénateur Neufeld : En travaillant dans les collectivités, comment vous y prenez-vous pour faire en sorte que les gens acceptent ces délinquants? Je pense que ce serait l'un des obstacles. J'apprécie le travail que vous accomplissez. En tant qu'ancien alcoolique, je suis sensible aux initiatives comparables aux Alcooliques Anonymes. C'est un peu différent, mais il y a quand même une ressemblance.
Comment faites-vous pour convaincre les collectivités? Car il y a habituellement une levée de boucliers — pas toujours — lorsqu'un délinquant sexuel à haut risque réintègre la collectivité. Comment composez-vous avec cette opposition? Je ne dis pas que vous ne faites pas face à cette situation; en fait, je vous complimente sur ce que vous faites.
M. McWhinnie : Premièrement, il n'y a probablement rien que nous fassions pour essayer de convaincre une communauté que c'est une bonne idée, si ce n'est de recruter des bénévoles. Soit dit en passant, il y aura à la porte une liste à laquelle vous pourrez vous inscrire plus tard.
Lorsque, dans une collectivité, il se produit quelque chose comme la libération d'un délinquant sexuel à haut risque entourée d'un fort battage médiatique, la collectivité est effrayée et en colère. Il s'agit là d'une réaction légitime à quelque chose d'horrible. Cette situation nous apprend qu'il faut être attentifs.
Nous avons déjà commis l'erreur de tenter de dire au public : vous n'avez rien à craindre; vous avez un cercle de soutien, un agent de police. Mais ce n'est pas une bonne chose. On a des raisons d'avoir peur et d'être préoccupé. Nous essayons de communiquer aux gens comment canaliser cette peur qui vient des tripes, du ventre, pour en faire quelque chose qui vienne d'ici, de la tête, au moyen d'un cercle de soutien et de responsabilité. Nous validons leur peur et leur colère à l'égard du fait que de telles choses peuvent se produire dans une communauté.
Permettez-moi de profiter de l'occasion pour dire que, lorsque nous parlons des délinquants sexuels, nous disons « eux », ou « ces gens-là ». C'est incorrect. Les délinquants sexuels se trouvent parmi nous, dans cette salle et sur la rue. Les délinquants sexuels sont nous-mêmes. Nous parlons de nos concitoyens. Nous parlons de nos entraîneurs de hockey, de nos prêtres. Un juge a été reconnu coupable hier ou avant-hier de conduite inappropriée. Des gens de tous les horizons de la société — et je crois que la GRC vous l'a dit hier — commettent ces agressions sexuelles. Il s'agit de nos frères, de nos pères, de nos oncles et de nos grands-pères. Nous devons garder ça à l'esprit. Nous parlons également des impacts destructeurs des agressions sexuelles sur une collectivité, en les reconnaissant comme tels et en disant qu'il y a des raisons d'avoir peur et d'être en colère. Lorsque nous parlons aux bénévoles, nous leur disons que pour eux, il s'agit d'un moyen proactif de participer au système de justice pénale. Ils rencontreront des gens impressionnants. Ils rencontreront leurs agents de police, leurs chefs de police et les psychologues médico-légaux. Ils apprendront beaucoup de choses et feront une différence quant à ce qui arrive dans leur collectivité et à la sécurité de celle-ci. Ils ignoreront ces choses tant qu'ils n'y auront pas participé.
Nous présentons aux gens des portraits de bénévoles qui sont venus avant eux, avec leurs appréhensions et leur audace. Nous racontons l'expérience qu'ont vécue en fin de compte ces bénévoles et qui a changé leur vie, car c'est bel et bien une expérience qui change la vie d'une personne.
La présidente : J'ai une question sur l'étude effectuée par le Service correctionnel du Canada et sur les statistiques. La Bibliothèque du Parlement m'a fourni un rapport d'étude produit par Wilson, Picheca et Prinzo, pour le Service correctionnel. Le rapport est daté de mai 2005. Dans votre texte, vous parlez d'un rapport de 2008. S'agit-il d'un autre rapport que celui que j'ai en main?
M. McWhinnie : Oui. Le rapport que vous avez porte-t-il le no R-168?
La présidente : Oui.
M. McWhinnie : Voici le rapport R-185.
La présidente : S'agit-il d'un document public?
M. McWhinnie : Oui.
La présidente : Merci beaucoup. Nous allons nous assurer que les sénateurs reçoivent ce document.
M. McWhinnie : Vous pouvez aussi consulter le numéro de décembre 2009 de Sexual Abuse : A Journal of Research and Treatment, un périodique bien connu, dont les articles sont soumis à une relecture par des pairs. Vous trouverez d'autres données compilées après le rapport R-185.
Le sénateur Watt : Votre organisme semble obtenir de bons résultats dans la réadaptation des gens que vous aidez. J'espère que vous allez un jour œuvrer dans le Grand Nord, où les populations locales auraient besoin de vos services. Les Inuits et les Premières nations souffrent d'un taux élevé de suicides parmi les jeunes. Une bonne partie du problème est probablement lié à ce que subissent les gens dans leur jeunesse. Beaucoup de gens pourraient avoir commis des crimes de nature sexuelle.
Je voudrais vous poser une question au sujet de l'enregistrement automatique des renseignements sur les délinquants prévu dans le projet de loi S-2. Pourriez-vous m'en dire plus sur ce que vous pensez de l'enregistrement automatique?
Je voudrais aussi savoir si vous pensez que nous devrions conserver pour toujours l'information sur ces gens dans la banque de données nationale sur les délinquants sexuels. Les délinquants devraient-ils pouvoir faire enlever leur nom de cette banque de données? Devrions-nous y enregistrer des renseignements sur tous les délinquants sexuels, quelle que soit la nature de leur crime?
Devrions-nous enregistrer des renseignements additionnels sur la nature du crime ainsi que sur la victime, pour que la police puisse détenir de l'information complète lui permettant de faire son travail?
M. McWhinnie : Je vais devoir répondre à cette question à titre personnel, car elle a trait à la politique du gouvernement. Si vous voulez que je réponde, je vais le faire. Je suis venu vous parler des cercles de soutien et de responsabilité, ce qui est une question distincte de l'enregistrement des renseignements sur les délinquants sexuels.
Le sénateur Watt : J'en suis conscient.
M. McWhinnie : Je tiens pour acquis au départ que les renseignements sur les délinquants sexuels seraient accessibles uniquement à la police. Toutes mes observations à titre personnel sont fondées sur cette prémisse.
Le sénateur Watt : Nous sommes d'accord.
M. McWhinnie : En tant que simple citoyen, j'approuve l'idée d'enregistrer automatiquement les renseignements. Une disposition actuelle prévoit que, dans un très petit nombre de cas, le juge peut libérer le délinquant de l'obligation d'enregistrement, en raison de circonstances atténuantes. J'approuve aussi cette disposition. Je fais confiance aux tribunaux canadiens.
Je crois qu'après un certain temps, les renseignements peuvent être retirés de la banque de données. Je ne sais pas quel devrait être le délai, mais je crois que vous pourriez le fixer en examinant les taux de récidive après 10, 15 ou 20 ans. Il doit toujours y avoir moyen de se racheter. Il n'y a qu'à jeter un coup d'œil sur Europe d'avant la guerre pour s'apercevoir de ce que les registres ont pu avoir comme effet sur les gens dans le passé. Il doit y avoir un moyen de faire retirer son nom de cette liste. Les critères peuvent être stricts, mais nous devons prévoir un moyen.
Des renseignements devraient-ils être automatiquement enregistrés sur tous les délinquants sexuels? Dans ma pratique privée, je travaille avec des gens qui, par exemple, ont été trouvés en possession de pornographie juvénile dans leur ordinateur. Ils n'en avaient pas beaucoup, mais un peu. Je ne sais pas si nous devrions être obligés d'enregistrer des renseignements sur tous ces gens. Cependant, si l'on décide de soumettre tous les délinquants sexuels à l'enregistrement des renseignements, ces gens devraient peut-être figurer dans la banque de données.
Quant à savoir s'il devrait y avoir des renseignements additionnels dans la banque de données, je vous répondrais en vous répétant que je suis tout à fait d'accord pourvu que les renseignements soient réservés à l'usage de la police, qui doit être bien outillée pour s'en servir. Le Groupe des sciences du comportement de la GRC est capable de fournir des données pour que les policiers sachent qui sont les victimes, comment elles se défendent typiquement, de quoi les délinquants sont capables et comment ils commettent typiquement leurs infractions.
C'est mon opinion à titre de simple citoyen. Dans les cercles de soutien et de responsabilité, nous aidons les gens à fournir les renseignements à enregistrer sur eux-mêmes, lorsqu'ils doivent le faire, et nous veillons à ce que nos membres se conforment à toutes les obligations qui leur sont imposées en vertu de la loi. C'est la position officielle des cercles de soutien et de responsabilité.
Le sénateur Watt : Dans votre allocution liminaire, vous avez dit que l'une de vos responsabilités consistait à aller parler aux détenus dans les pénitenciers.
M. McWhinnie : Dans la mesure du possible.
Le sénateur Watt : Vous les rencontrez donc avant qu'ils sortent de prison. Vous informez-vous alors de leur date de libération? Les surveillez-vous d'une façon ou d'une autre? Cherchez-vous à savoir, lorsque vous leur parlez individuellement, à quel moment ils vont être libérés du pénitencier et renvoyés dans la société en général? Les suivez- vous? N'y a-t-il pas une surveillance de ce genre? Pourriez-vous nous en dire davantage sur le déroulement de vos activités en milieu carcéral?
M. McWhinnie : L'accessibilité des établissements varie d'un endroit à l'autre au pays. J'invite ma collègue à vous parler de son travail ici, à Ottawa, en collaboration avec les établissements de Kingston. Autant que possible, nous nous rendons dans les établissements pour parler des cercles de soutien et de responsabilité aux détenus concernés, à la demande du Service correctionnel, d'un aumônier, du délinquant ou des membres de sa famille. Notre visite a lieu à l'approche de l'expiration du mandat d'incarcération ou de la date de libération. Parfois, nous rendons visite au détenu à la demande d'un bureau de libération conditionnelle, qui nous avertit que l'on approche de la date d'expiration du mandat d'incarcération d'un délinquant visé par une ordonnance de surveillance de longue durée. De telles demandes nous parviennent habituellement au moment opportun. Elles nous permettent de consolider nos relations, et nous essayons toujours de nous améliorer sur ce plan. Nous tâchons alors de communiquer avec le détenu. Ces demandes révèlent toutefois un problème d'insuffisance des ressources.
Le sens de votre question est peut-être de savoir si nous surveillons les délinquants par la suite. Or, habituellement, nous ne le faisons pas. Cependant, nous laissons la porte ouverte. Six mois avant la date de libération, vous pouvez vous imaginer qu'un délinquant sexuel qui constitue un grand risque et qui est hautement antisocial nous répondra : fichez le camp, je ne veux rien savoir de vous! Mais, trois mois avant la libération, il se rend compte davantage de ce qui va se passer et se dit qu'il a besoin d'un cercle de soutien. Alors, nous retournons parler au délinquant. Après la libération, la porte est encore ouverte. Si nous avons les ressources nécessaires, nous acceptons dans nos cercles de soutien tout délinquant répondant à nos critères, mais nous n'exerçons aucune surveillance par la suite. La surveillance est un travail qui incombe aux agents de police. Nous recevons parfois un autre type de demande, de la part d'un service de police, qui nous dit par exemple qu'un délinquant originaire du Nouveau-Brunswick a été libéré à Ottawa. La police nous prévient qu'il s'y trouve depuis trois mois, qu'il éprouve des difficultés et que, selon elle, il aurait avantage à pouvoir compter sur un cercle de soutien. Elle nous demande ce que nous pouvons faire.
Je laisse la parole à Mme Love, qui vous en dira davantage.
Mme Love : Nous collaborons étroitement avec la police, à Ottawa. C'est elle qui doit s'occuper des délinquants à haut risque libérés à Ottawa. Si un délinquant est libéré à l'expiration du mandat ou avec une ordonnance en vertu de l'article 810, la police reçoit un dossier sur le délinquant libéré. Ainsi, l'agent de police Mitch Houle communique avec moi, par exemple, pour me demander si je m'occupe déjà de ce délinquant. Il y a une collaboration étroite dans le cas d'une telle libération.
Je ne sais pas si j'ai bien répondu à la question.
Le sénateur Watt : Oui, vous y avez répondu.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : D'abord, félicitations pour votre dévouement. Il faut prioriser le rétablissement de criminels réhabilitables sur le plan social et psychologique. Le sénateur Joyal m'a aiguillé sur une question fondamentale pour sécuriser la population sur votre travail d'intervenants auprès de cette clientèle, surtout la clientèle qui a des déviances et non seulement ceux qui ont des comportements délinquants. Ce qui me préoccupe, c'est surtout ceux qui ont des déviances.
Je sais aussi que le travail que vous faites est fastidieux, surtout lorsqu'on le fait avec des bénévoles. Mais cela m'inquiète aussi parce que la première caractéristique de cette clientèle, c'est leur grande capacité de manipulation. Donc sans aller en profondeur dans ce que j'aimerais savoir de vous, j'aimerais que vous parliez de trois sujets, d'abord quel est votre technique de counseling, vos méthodes psychothérapeutique et vos méthodes d'évaluation pour déterminer si un délinquant qui vous consulte peut être considéré comme étant guéri? J'ai toujours pensé qu'une déviance ne se guérissait pas mais se contrôlait. Cela m'inquiète que ce soit des bénévoles qui traitent des criminels dangereux.
[Traduction]
M. McWhinnie : Si je comprends bien votre question, vous voulez que je vous confirme que nous travaillons avec une population de personnes hautement déviantes, qui sont capables de manipuler les gens et qui l'ont déjà fait, pour commettre des infractions sans se faire repérer. Alors, je vous le confirme. Notre protection contre cette population consiste premièrement à être informé par des professionnels qui connaissent bien la question, c'est-à-dire les techniques de manipulation que certaines personnes peuvent utiliser. Les professionnels montrent à nos bénévoles comment se prémunir contre cette manipulation, comment voir les limites à respecter, comment se rendre compte qu'une personne n'est pas sincère et comment faire face à ce genre de situation.
Nous avons aussi un deuxième niveau de protection contre une telle situation. Comme Mme Love l'a indiqué dans son exposé, personne ne travaille seul. C'est un cercle de soutien qui s'occupe du délinquant sexuel, et non une personne seule. Nous nous parlons entre nous. Nous apprenons à échanger nos observations entre nous : ce que nous voyons à chaque moment, chaque jour, et ce qu'un délinquant bénéficiant d'un cercle de soutien peut avoir dit en privé à l'un de nos bénévoles.
Soit dit en passant, la sécurité du bénévole est également assurée en tenant compte du comportement habituel du délinquant. S'il peut être dangereux de laisser un bénévole seul en présence du délinquant, nous ne laisserons pas une pareille chose se produire.
Lorsque nous avons des craintes, nous les faisons connaître aux collaborateurs du cercle. Si nous ne savons pas trop à quoi nous en tenir, nous avons accès à des professionnels qui contribuent à notre formation. Nous leur demandons par exemple leur avis au sujet d'un cas donné pour savoir comment nous devrions agir. Notre travail vise une population de personnes hautement déviantes.
Nous n'avons pas de technique psychologique, à moins que l'on considère le fait de tisser des liens humains avec une autre personne comme une technique psychologique. Il est impossible de changer ou d'améliorer le comportement d'une personne si l'on n'établit pas premièrement un lien de confiance avec cette personne. Ce n'est pas possible autrement. C'est notre technique psychologique, si vous voulez. Nous essayons de nous rapprocher de la personne et de lui tendre la main en signe d'amitié. Le changement ne peut pas se produire instantanément. Il faut du temps.
Enfin, à quel moment nous apercevons-nous qu'une personne est guérie? Vous avez raison de dire qu'il n'est pas réaliste de penser qu'on va « guérir » un délinquant sexuel ou « réparer » ce qui ne fonctionne pas chez lui. La question que les gens se posent et qui mérite d'être énoncée bien clairement est celle qui consiste à se demander si on peut venir à bout d'empêcher une personne d'éprouver de l'attirance sexuelle pour les enfants. La réponse est non. Cette personne éprouvera probablement toujours de l'attirance sexuelle pour les enfants. Comment peut-elle alors gérer cette attirance? Comment peut-elle trouver une façon de vivre chaque jour avec cette attirance? Personne n'a comme ambition, dans sa jeunesse, de devenir plus tard un pédophile.
Comment cette personne peut-elle parler de cette attirance à son thérapeute? A-t-elle un thérapeute? Peut-elle parler ouvertement, dans son groupe, de ce qui lui est arrivé pendant son enfance? On a peut-être attenté à sa pudeur lorsqu'elle était encore un enfant et elle a peut-être été poussée à avoir trop jeune des relations sexuelles. Croyez-moi, dans la plupart des cas, la personne qui éprouve une excitation sexuelle déviante en est gênée, elle aussi.
Le sénateur Boisvenu : Combien de temps travaillez-vous avec ces gens?
M. McWhinnie : Comme Mme Love l'a dit dans son exposé, nous les invitons à nouer une relation qui dure au moins un an. Cette durée correspond à la durée maximale pendant laquelle pouvaient s'appliquer, jusqu'à récemment, les ordonnances en vertu de l'article 810. Cette période étant désormais de deux ans, nous allons probablement inviter les délinquants et les bénévoles à former désormais des groupes pendant deux ans. Parfois, ces relations durent toute la vie.
Le sénateur Boisvenu : Si une personne est un récidiviste, le signalez-vous à la police?
M. McWhinnie : Bien sûr. Nous invitons la personne à le signaler elle-même, pour se montrer responsable, mais si elle ne le fait pas, nous nous en chargeons.
La présidente : Il y a peut-être une nuance intéressante, en anglais, entre les mots « healing » et « curing ». Vous employez le mot « healing ». Je crois qu'en français, on pourrait traduire les deux mots par le mot « guérir », mais il me semble intéressant que vous ayez choisi le mot « healing » plutôt que le mot « curing ».
D'une manière générale, puisque c'est dans le système carcéral que vous recrutez les délinquants qui seront au cœur de vos cercles de soutien, vous avez peut-être un point de vue sur les thérapies de réadaptation qui y sont offertes, que ce soit dans les établissements fédéraux ou provinciaux. Que pensez-vous de ces programmes? Y en a-t-il assez? Sont-ils assez bons? Que pouvez-vous faire pour nous aider à déterminer dans quelle mesure cet élément du système est adéquat?
M. McWhinnie : Nous ne sommes pas des professionnels de ce domaine. M. Fedoroff, M. Harris et d'autres personnes qui pourraient venir témoigner devant vous seraient capables de répondre mieux que nous à cette question. Nous sommes au courant des statistiques qui démontrent qu'en général, les délinquants qui ont reçu un traitement ont un taux de récidive 32 p. 100 moins élevé, par rapport à ceux qui n'ont pas reçu de traitement. Y a-t-il assez de programmes de traitement en prison? Probablement pas.
Je peux vous dire d'ailleurs que, là où notre participation se situe, c'est-à-dire hors du milieu carcéral, nous constatons que l'approche thérapeutique est insuffisante. Il y a un manque de suivi même s'il y a de bons programmes dans les établissements. C'est à l'extérieur du milieu carcéral que se déroule la vraie vie. C'est à cet endroit que des programmes doivent être offerts. Vous devriez probablement en parler aux gens qui connaissent mieux ce domaine.
La présidente : Nous allons leur poser la question, mais comme vous avez une perspective unique, du moins parmi les témoins que notre comité entend, je voulais entendre votre point de vue. Avez-vous quelque chose à ajouter, Mme Love?
Mme Love : Je n'ai pas grand-chose à ajouter. M. McWhinnie connaît probablement mieux les programmes de traitement parce qu'il fréquente plus que moi les prisons. Comme il l'a dit, le fait que l'établissement le plus près d'Ottawa se trouve à deux heures de route ne facilite pas les visites de notre part.
Je sais toutefois que les programmes sont bons. J'ai entendu divers sons de cloche concernant les établissements. Je sais que Bill Marshall est par exemple rattaché à l'établissement de Bath. On m'a dit beaucoup de bien de ce programme. En général, je pense que les programmes sont bons, mais, comme le dit M. McWhinnie, ils ne sont probablement pas souvent offerts.
La présidente : Merci beaucoup à tous les deux. Ce fut extrêmement intéressant. Je pense que nous avons obtenu de l'information importante de votre part, ce matin. Nous vous sommes reconnaissants de nous aider ainsi.
Honorables sénateurs, nous accueillons maintenant M. David Truax, surintendant de la Police provinciale de l'Ontario. Merci beaucoup d'être parmi nous, monsieur Truax.
David Truax, surintendant, Police provinciale de l'Ontario : Bonjour.
J'ai le grade de surintendant au sein de la Police provinciale de l'Ontario, qui est chargée de tenir à jour la banque de données sur les délinquants sexuels pour le ministère de la Sécurité communautaire et des Services correctionnels. Je représente devant vous les responsables de cette banque de données et les policiers de l'Ontario qui utilisent cette banque de données quotidiennement, comme cela se fait depuis le 21 avril 2001.
J'occupe actuellement, au sein de la Police provinciale de l'Ontario, le poste de directeur des Sciences comportementales et des Services d'analyse. Je travaille au bureau chargé des services spécialisés pour les enquêtes. C'est ce bureau qui tient à jour la banque de données ontarienne sur les délinquants sexuels.
La loi ontarienne sur l'enregistrement des renseignements concernant les délinquants sexuels est connue sous le nom de loi de Christopher, en souvenir de Christopher Stephenson. En 1988, à l'âge de 11 ans, ce garçon a été enlevé et assassiné brutalement par un délinquant sexuel récidiviste ayant reçu sa libération d'office après avoir purgé une peine dans un établissement fédéral. À la suite de l'enquête de 1993 sur la mort de Christopher, le jury du coroner a recommandé la création d'une banque de données nationale sur les délinquants sexuels.
Étant donné que la banque de données ne fut pas créée à l'époque, et compte tenu des encouragements et de l'appui de la famille Stephenson, des groupes de victimes et des services de police, l'Ontario a créé la première banque de données sur les délinquants sexuels au Canada. C'est encore à ce jour la seule banque de données provinciale du genre, et elle a été maintenue malgré les limites et les restrictions inhérentes à la Loi sur l'enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels et au programme national de banque de données sur les délinquants sexuels.
Après avoir consulté les services de police de tout le Canada, le commissaire Julian Fantino, de la Police provinciale de l'Ontario, a demandé en août 2008 que l'ACCP recommande au gouvernement du Canada, par l'entremise du ministre de la Justice, du procureur général et du ministre de la Sécurité publique, de modifier le Code criminel et de considérer la Loi sur le registre des délinquants sexuels et le logiciel de la province de l'Ontario comme des modèles à suivre pour améliorer le Registre national des délinquants sexuels. La résolution du commissaire Fantino visant à améliorer au maximum la sécurité de tous les Canadiens a été adoptée par l'ACCP.
Pour assurer la sécurité de tous les citoyens canadiens, l'ACCP est d'accord pour dire qu'il faudrait renforcer le Registre national des délinquants sexuels, par exemple : en enregistrant automatiquement les délinquants sexuels lorsqu'ils sont reconnus coupables au lieu que ce soit sur ordonnance d'un juge; en permettant aux membres de tous les corps policiers du Canada d'avoir accès aux renseignements sur les délinquants sexuels enregistrés pour aider à prévenir la criminalité ou à d'autres fins d'application de la loi; en mandatant les services correctionnels fédéraux et provinciaux pour qu'ils avisent les centres d'enregistrement des délinquants sexuels des dates de mise en liberté des délinquants; en créant un lien électronique entre tous les services correctionnels provinciaux et fédéraux et le Registre national des délinquants sexuels pour assurer l'identification des délinquants qui sont libérés et veiller à ce qu'ils se conforment à l'obligation de se présenter; en veillant à ce que les services de police de la province vérifient l'adresse donnée par les délinquants enregistrés; en permettant le couplage des données, y compris la comparaison des autres applications électroniques avec le RNDS, ce que la législation nationale interdit actuellement; et, enfin, en demandant que le gouvernement fédéral appuie financièrement l'amélioration du programme sur le plan de l'élaboration, de la mise en œuvre et de la mise à jour.
Le commissaire Fantino avait invité l'ancien ministre de la Sécurité publique, l'honorable Peter Van Loan, à visiter l'Unité du Registre des délinquants sexuels de l'Ontario, à Orillia, au quartier général de l'OPP, et à examiner le logiciel et les capacités du registre. Au nom du commissaire Fantino, je transmets cette invitation à tous les membres du comité. S'il était permis d'utiliser, ici, du matériel audiovisuel, je me servirais de mon temps de parole pour vous montrer à quel point la base de données de l'Ontario est capable de protéger les citoyens de la province, notamment les plus vulnérables : nos enfants.
À l'heure actuelle, le nombre de délinquants inscrits dans le registre de l'Ontario s'élève à plus de 12 000. Le taux d'observation est supérieur à 97 p. 100, ce qui en fait un des plus élevés au monde. À 10 heures ce matin, le taux d'observation était de 97,57 p. 100, soit le plus élevé jusqu'à maintenant. Ce taux englobe 9 179 délinquants qui se conforment à leurs obligations, et 3 562 délinquants inactifs : il se peut qu'ils soient décédés, qu'ils se trouvent à l'extérieur de la province de l'Ontario, qu'ils soient incarcérés ou qu'ils aient été déportés.
Les policiers de l'Ontario consultent le registre tous les jours dans le cadre de leurs enquêtes et de leurs efforts visant à prévenir la criminalité.
Récemment, un service de police de l'Ontario a divulgué des renseignements sur trois délinquants sexuels enregistrés aux employeurs de ceux-ci, conformément à la Loi sur les services de police de l'Ontario. Deux de ces délinquants, qui étaient inscrits dans le registre pour avoir commis des infractions contre des enfants, occupaient des postes qui leur donnaient accès à des enfants. L'autre délinquant s'était rendu coupable d'agression sexuelle contre des personnes âgées et travaillait dans un foyer de soins infirmiers. Ces renseignements ont été obtenus et échangés grâce à l'obligation d'enregistrement qui est imposée aux délinquants.
Dans un autre cas, le vendeur d'un magasin a été victime d'une agression sexuelle. La police a recherché la description physique et le comportement du délinquant dans le registre, ce qui lui a permis de cerner un suspect. Elle a préparé une série de photos parmi lesquelles la victime a pu identifier le délinquant, lequel a ensuite été accusé et condamné.
Si un enfant disparaissait à l'extérieur de la ville d'Ottawa, peut-être à l'extérieur de cet immeuble-ci, compte tenu de ses capacités, le registre de l'Ontario pourrait, en l'espace de quelques minutes, identifier les délinquants sexuels enregistrés vivant dans le secteur, et fournir leur description physique, leur occupation et même le véhicule qu'ils conduisent. Les policiers pourraient rapidement aller frapper aux portes de ces délinquants sexuels ou encore rechercher les véhicules décrits.
Si le cas de Christopher Stephenson s'était produit aujourd'hui en Ontario, la police aurait été avisée qu'un délinquant sexuel enregistré vivait à proximité. Elle aurait pu se rendre à son domicile et peut-être trouver celui qui gardait Christopher prisonnier. Les parents de Christopher, Jim et Anna Stephenson, que je considère comme des amis, ont comparu devant vous. Ils ont participé à la mise sur pied du registre de l'Ontario. Plus de 20 ans plus tard, ils continuent de servir cette cause.
Je répondrai volontiers à vos questions.
Le sénateur Wallace : Merci, monsieur Truax.
Le ministre Toews, lorsqu'il a comparu devant nous la semaine dernière, a fait état du long processus de consultation qui a mené à l'élaboration du projet de loi S-2. Si je me souviens bien, les organismes d'application de la loi de toutes les régions du pays de même que les représentants des ministères de la Justice des provinces et des territoires y ont pris part.
Vous avez fait allusion, dans votre exposé, aux consultations engagées par le commissaire de l'Ontario en 2008. Pouvez-vous nous parler de votre expérience en tant que policier de l'Ontario et du rôle que vous avez joué dans le processus qui a mené au projet de loi S-2?
M. Truax : Je représente la province de l'Ontario au sein du groupe de travail fédéral-provincial-territorial sur les délinquants à risque élevé. Je participe aux réunions chaque fois que je le peux. Je tiens à préciser que les discussions entamées en 2008 se poursuivent. Je travaille régulièrement avec Mary Campbell et Doug Hoover — qui, je crois, ont comparu devant vous —, et mes collègues de la GRC, qui gèrent le Registre national des délinquants sexuels. Nous avons de bons échanges et nous entendons aller de l'avant ceux-ci.
Le sénateur Wallace : Peut-on dire que le projet de loi S-2 représente, de façon significative, l'aboutissement des consultations du groupe de travail qui réunit des représentants fédéraux et provinciaux?
M. Truax : Absolument. Le projet de loi S-2 introduit plusieurs éléments dans le Registre national des délinquants sexuels et apporte des améliorations que l'ACCP juge nécessaires. Je connais bien le fonctionnement et les capacités du Registre des délinquants sexuels de l'Ontario. Je suis également conscient des défis que pose à la GRC la loi établissant le Registre national des délinquants sexuels. Je crois que mes collègues de la GRC vous ont fait part des différences qui existent entre les deux.
Le sénateur Wallace : Nous avons rencontré des témoins qui ont mis en doute l'efficacité des registres des délinquants sexuels. Ils ont consulté des études réalisées aux États-Unis et soutiennent qu'en raison de l'absence d'analyses, il est impossible de déterminer si les registres en Ontario et à l'échelle nationale donnent des résultats concrets. Cela me donne à penser que le projet de loi S-2 — et le registre national en particulier — ne renforcent peut- être pas le sentiment de sécurité de la population comme ils sont censés le faire.
D'après ce que j'ai lu, ils ont tort. Qu'en pensez-vous? Je vous pose la question tout en étant conscient que vos contacts avec les délinquants n'ont rien de théorique : ils sont bien réels.
Que pensez-vous de ce qui a été dit au sujet des registres?
M. Truax : Ma réaction initiale est la suivante : je pratique le métier de policier depuis plus de 20 ans et je connais bien le fonctionnement du Registre des délinquants sexuels de l'Ontario. Il est efficace. Il a un certain effet dissuasif, puisqu'il faut communiquer avec le délinquant au moins une fois par année. Son adresse est enregistrée et vérifiée. De nombreux renseignements le concernant sont recueillis. Il doit également respecter un certain nombre d'obligations en vertu de la loi ontarienne.
Les dossiers du Registre des délinquants sexuels de l'Ontario ne sont pas accessibles au public, ce qui est une bonne chose. Cela nous permet d'obtenir leur collaboration pour ce qui est de l'observation de leurs conditions, et d'éviter que l'information ne se retrouve dans le domaine public et qu'ils subissent la réprobation de la communauté, par exemple.
Toutefois, les relations entre les services policiers et les délinquants en Ontario sont établies par la loi. Tous les changements d'adresse, ainsi de suite, sont inscrits dans le registre. Les renseignements sont tenus à jour, ce qui facilite les enquêtes liées à la sécurité publique. Quand il question d'enfants, par exemple, les enquêtes peuvent être menées rapidement grâce aux données que renferme le Registre des délinquants sexuels de l'Ontario.
Le sénateur Runciman : Merci, monsieur Truax, d'être venu nous rencontrer. Jim Stephenson a témoigné plus tôt. Il soutient que le registre sert, d'abord, d'outil d'enquête, et ensuite, de mécanisme préventif. Je présume que vous pensez la même chose.
D'après ce que certains ont laissé entendre, plus tôt, avoir une loi est une chose, mettre ses objectifs en application en est une autre.
Je ne sais pas si vous connaissez la technologie qui est utilisée au niveau fédéral et si celle-ci est compatible avec la vôtre. D'après vous, y a-t-il un problème de ce côté là?
M. Truax : Je ne connais pas très bien l'infrastructure technologique du registre national des délinquants sexuels. Toutefois, je peux vous parler de celle du registre de l'Ontario. Le logiciel qu'utilise le Registre des délinquants sexuels de l'Ontario prévoit la notification automatique de la date d'inscription du délinquant au registre. Il fournit des photos de la personne, de ces tatouages, ainsi de suite. Ces renseignements sont importants aux fins de l'enquête.
Le RDSO est également doté d'une capacité géocartographique qui permet de repérer une adresse sur une carte à jour et de localiser les délinquants sexuels. Je crois comprendre que le Registre national des délinquants sexuels ne possède pas toutes ces particularités.
Le sénateur Runciman : Comme l'ont affirmé les représentants des Services de santé Royal Ottawa, l'autre jour, il y aurait lieu d'établir une comparaison entre les coûts qu'entraînerait l'adoption de mesures visant à réduire le récidivisme, et les coûts imputables à la perpétration d'un crime grave. Trop souvent, ces coûts ne font pas partie de l'équation quand vient le temps de prendre des décisions d'investissement.
Pour revenir au projet de loi S-2 et à la loi de l'Ontario, l'objectif de la loi ontarienne semble être plus vaste. Je note une différence au chapitre des enquêtes et de la prévention du crime. Le projet de loi S-2 met l'accent sur les crimes de nature sexuelle. En fait, il se peut que les policiers ne prennent connaissance du motif d'un crime que lorsque l'enquête est menée, ce qui entraîne une perte de temps précieux.
Quel est votre avis là-dessus? Est-ce qu'il faudrait élargir la portée du projet de loi S-2?
M. Truax : Il existe une différence notable dans le projet de loi S-2 pour ce qui est de l'accès au registre. En Ontario, les policiers peuvent, selon la loi, utiliser le registre « aux fins de la lutte contre la criminalité ou de l'exécution de la loi. »
Le projet de loi S-2 autorise les policiers à consulter les renseignements enregistrés dans le but de mener une enquête et de prévenir « les crimes de nature sexuelle ».
Permettez-moi de vous donner un exemple. Supposons que la police enquête sur l'enlèvement d'un enfant. L'enlèvement a peut-être eu lieu dans le but non pas de commettre un crime de nature sexuelle, mais d'obtenir une rançon. En vertu du projet de loi S-2, les policiers ne pourraient consulter le Registre national des délinquants sexuels pour approfondir leur enquête. La loi de l'Ontario dit bien, et je cite « aux fins de la lutte contre la criminalité ou de l'exécution de la loi. » Cette loi existe depuis déjà un certain temps. Le registre constitue donc un outil d'enquête pratique et utile.
Le sénateur Runciman : Vous proposez donc que l'on s'inspire de ce libellé pour apporter une modification à la loi.
Vous dites que les services correctionnels fédéraux et provinciaux devraient aviser les centres d'enregistrement.
C'est un point que nous avons abordé. Devraient-ils le faire obligatoirement? Vous employez le terme « mandater ». Ils ont été mandatés, mais aucune obligation ne leur a été imposée aux termes de la loi. Quel est votre avis là-dessus?
M. Truax : Depuis 2008, les rapports entre l'unité chargée de gérer le Registre des délinquants sexuels de l'Ontario et les Services correctionnels du Canada se sont grandement améliorés. Un protocole d'entente a été mis en place. Il permet d'obtenir des renseignements au sujet des délinquants par l'entremise des Services correctionnels, ce qui constitue une nette amélioration. Bien sûr, le fait que la notification soit obligatoire est une bonne chose. Mais je peux vous dire que le niveau de collaboration depuis dix-huit mois est beaucoup plus étroit.
Le sénateur Runciman : Croyez-vous que les corps policiers locaux devraient pouvoir consulter le registre? Je sais qu'à l'heure actuelle, ils doivent s'adresser à un des centres du RNDS s'ils veulent y avoir accès.
M. Truax : C'est exact.
Le sénateur Runciman : En Ontario, les corps policiers locaux peuvent consulter le registre sans délai. Dans quelle mesure cet accès est-il important?
M. Truax : En Ontario, un policier autorisé peut avoir directement accès au logiciel du registre via son ordinateur de bureau, peu importe où il se trouve dans la province.
Dans le cas du Registre national des délinquants sexuels, les services policiers doivent communiquer avec un centre provincial ou territorial du RNDS pour pouvoir le consulter. En Ontario, le policier qui effectue des patrouilles dans les communautés peut voir les photos du délinquant, consulter son dossier, trouver une adresse et procéder à des vérifications à l'intérieur de la zone de patrouille. Il peut avoir directement accès à ces données, sans passer par un centre provincial. Nous trouvons cela très utile.
Le sénateur Baker : La Loi de Christopher contient des dispositions qui prévoient l'envoi d'un avis quand un délinquant coupable d'une infraction désignée est remis en liberté et qui permettent aux policiers de vérifier l'information donnée par une personne inscrite au registre au moins une fois après que l'inscription a été effectuée.
Est-ce exact?
M. Truax : Oui, sénateur Baker, c'est exact. On nous informe de la date de remise en liberté des délinquants sexuels, et ceux-ci sont obligés de s'inscrire auprès du RDSO dans les 15 jours suivant leur libération.
Le sénateur Baker : Vous avez comparu devant le comité qui était chargé de procéder à un examen de la Loi sur l'enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels. Le comité, qui était présidé par Garry Breitkreuz, a formulé des recommandations qui ont servi de base au projet de loi déposé l'an dernier à la Chambre des communes et qui a maintenant été remplacé par le projet de loi S-2.
La deuxième recommandation du comité de la Chambre des communes concernant l'enregistrement automatique était la suivante :
Le Comité recommande [...] de prévoir l'enregistrement automatique des délinquants reconnus coupables d'une infraction désignée aux alinéas 490.011(1)a), c), c.1), d) ou e) du Code criminel, sauf si des circonstances exceptionnelles justifiaient une dérogation à cette règle, lorsque le juge est convaincu que cette inscription aurait à l'égard du délinquant, notamment sur sa vie privée et sa liberté, un effet nettement démesuré par rapport à l'intérêt public. La LERDS doit établir clairement que, dans ces cas exceptionnels, le tribunal doit motiver sa décision.
Le projet de loi S-2 prévoit l'enregistrement automatique de toute personne reconnue coupable d'une infraction désignée. Il permet également aux délinquants de s'adresser à un tribunal afin de demander que leur dossier soit supprimé du registre. Cette proposition est très différente de la recommandation faite par le comité de la Chambre des communes.
Que pensez-vous du fait que le projet de loi s'écarte de la recommandation du comité de la Chambre des communes?
La présidente : Sénateur Baker, je tiens à préciser que le délinquant qui en fait la demande peut être exempté de l'obligation de s'inscrire. D'après les témoignages que nous avons entendus, les délinquants ne peuvent demander que leur nom soit rayé de la liste, et ce, tant et aussi longtemps qu'ils sont en vie.
Le sénateur Baker : Vous avez tout à fait raison.
Toutefois, d'après la recommandation, si le juge estime que l'infraction est relativement mineure par rapport aux autres infractions comprises à l'intérieur de la même catégorie, le délinquant peut être exempté de l'obligation d'enregistrement automatique. Selon le projet de loi S-2, tous les délinquants sont automatiquement enregistrés. Ils peuvent, plus tard, demander au tribunal que leur nom soit radié du registre.
Jennifer Bird, recherchiste, Bibliothèque du Parlement : Le projet de loi prévoit qu'ils ne sont pas obligés de communiquer des renseignements pour le registre. Leur nom n'est pas retiré du registre. Ils ne sont seulement plus tenus de signaler un changement d'adresse, entre autres.
Le sénateur Baker : Vous conviendrez que le contenu de la recommandation 2 du comité de la Chambre des communes diffère de celui du projet de loi S-2?
La présidente : Bien sûr; je ne tente pas de prendre votre temps de parole, sénateur Baker.
Le sénateur Baker : J'espère que non.
La présidente : Nous avons entendu beaucoup de témoignages sur cette question, et il était difficile de vérifier les détails. Je voulais seulement être claire.
Le sénateur Baker : Ma deuxième question est la suivante : en 2004, lorsque nous avons présenté le projet de loi — je m'en souviens bien —, on a retiré l'une de ses dispositions au moyen d'amendements. La disposition permettait l'application de la loi de façon rétroactive pour toutes les personnes condamnées. Selon l'alinéa qui se trouvait dans le projet de loi à ce moment-là :
Dans l'année qui suit l'entrée en vigueur de la LERDS, le procureur général d'une province peut signifier un avis sous une forme précisée dans le Code criminel obligeant les personnes qui ont été condamnées pour une infraction désignée lorsque la loi est entrée en vigueur à s'enregistrer.
En d'autres mots, les services de police avaient un an pour enregistrer toute personne condamnée le 15 décembre 2004. Cela incluait non seulement toute personne emprisonnée, mais également toute personne qui était en probation ou qui avait reçu une ordonnance d'un juge, aux termes du Code criminel. L'infraction pouvait avoir eu lieu 20 ans auparavant. Selon le projet de loi initial, si l'auteur d'une infraction avait reçu une ordonnance d'un tribunal, il pouvait être inscrit au registre des délinquants sexuels si son infraction était grave. Cette disposition ne se trouve pas dans le projet de loi S-2. On l'a retirée en 2004.
Que pensez-vous de rendre le projet de loi rétroactif pour qu'il s'applique à toutes les personnes présentement condamnées, y compris celles qui sont en probation ou en libération conditionnelle?
M. Truax : Concernant la première question portant sur l'enregistrement automatique, je suis pour l'enregistrement automatique dans le cas où un délinquant est condamné pour une infraction prescrite, du point de vue de l'application de la loi. La loi de l'Ontario inclut l'enregistrement automatique.
En ce qui a trait à l'enregistrement rétroactif, lorsque la Loi Christopher est entrée en vigueur, en 2001, l'approche adoptée était d'exiger l'enregistrement de tous les délinquants présentement condamnés. C'était une approche pratique pour régler cette question. Nous pouvons enregistrer ces personnes qui purgent des peines présentement. Elles peuvent être enregistrées et nous pouvons exiger qu'elles le soient.
Il est difficile de remonter plusieurs années en arrière pour tenter de recueillir tous ces renseignements.
Le sénateur Baker : Je ne prétends pas cela, mais une personne condamnée pourrait avoir commis l'infraction il y a 20 ans. Si elle est encore en train de servir sa peine, c'est que l'infraction était grave. Voilà tout simplement ce que je voulais faire valoir.
M. Truax : C'est exact.
Le sénateur Baker : Vous dites qu'il est pratique d'exiger l'enregistrement d'une personne dont la peine n'est pas encore complètement purgée.
M. Truax : Oui, c'est le cas.
Le sénateur Carstairs : Je crois comprendre que projet de loi S-2 n'exige pas la divulgation de renseignements sur les véhicules, même si c'est un élément du registre de l'Ontario, car les difficultés financières et technologiques auxquelles font face la GRC ne le permettent pas.
Si l'Ontario a déjà un tel logiciel, pourquoi n'y a-t-il pas eu de discussions entre le gouvernement fédéral et la police ontarienne, ou n'importe quel ministère à qui vous faites rapport, pour rendre ce logiciel accessible à la GRC à cette fin?
M. Truax : Le logiciel a été mis à la disposition de nos homologues fédéraux. Ils ont également saisi cette occasion pour l'examiner et l'envisager et en tenir compte dans l'espoir que la loi soit adoptée. Si elle est adoptée, ce logiciel, entre autres, sera mis à la disposition de nos homologues fédéraux, ce qui leur évitera de réinventer la roue.
En ce qui a trait aux renseignements sur les véhicules, le projet de loi C-16 a modifié la loi ontarienne en décembre 2008. Depuis le 15 décembre 2008, le registre des délinquants sexuels de l'Ontario tient 3 090 dossiers sur des véhicules qui sont loués à bail par les délinquants ou qui leur appartiennent, ainsi que sur 1 189 véhicules dont se servent des délinquants de façon régulière. Nous recueillons maintenant ces renseignements sur les véhicules lors de l'enregistrement annuel de délinquants.
Comme vous pouvez le comprendre, souvent, parmi le nombre d'enquêtes qui ont lieu, la seule description disponible en ce qui concerne ce crime, c'est celle d'un véhicule. Si les policiers cherchent une couleur précise de camionnette avec le nom d'une entreprise de ciment inscrit sur le côté, par exemple, ils trouveront les renseignements dans le registre des délinquants sexuels de l'Ontario. Ces renseignements peuvent accélérer une enquête. Ils ont été ajoutés en Ontario et nous pensons que c'est très utile pour faire avancer les enquêtes, surtout dans l'intérêt de la sécurité publique.
Le sénateur Carstairs : Tout d'abord, laissez-moi féliciter le gouvernement de l'Ontario de partager généreusement le logiciel avec le gouvernement fédéral. Cela ne fonctionne pas toujours ainsi, comme mon collègue d'en face le sait.
Ma deuxième question porte sur le caractère dissuasif. Un certain nombre de témoins nous ont dit que le protocole qui consiste à aller vérifier ce que fait le délinquant sexuel fonctionne mieux si le policier qui frappe à la porte est en tenue civile plutôt qu'en uniforme. Cela ne se produit pas toujours, par contre.
La Police provinciale de l'Ontario a-t-elle un protocole selon lequel les policiers doivent se présenter en tenue civile plutôt qu'en uniforme, non pas quand un crime a été commis, mais quand les policiers font des vérifications pour s'assurer que quelqu'un habite bien là où il a dit habiter?
M. Truax : Nous travaillons en collaboration étroite avec les délinquants enregistrés pour respecter leur vie privée. Par exemple, le rappel annuel de l'enregistrement est envoyé dans une enveloppe non marquée pour que la personne ne reçoive pas du courrier sur lequel on a inscrit clairement « registre des délinquants sexuels de l'Ontario ». Nous collaborons avec les délinquants pour fixer des rendez-vous, des visites, et cetera, dans le plus grand respect de leur vie privée.
La relation peut durer 5, 10 ou 20 ans, ou toute leur vie, selon la période pendant laquelle ils devront s'inscrire au registre; c'est donc une relation qui s'établit normalement pour fort longtemps. Nous faisons de notre mieux pour ne pas trop perturber leur vie.
Le sénateur Joyal : Bienvenue, monsieur Truax. Je crois comprendre que le registre des délinquants sexuels de l'Ontario fonctionne depuis plusieurs années maintenant. Ce qui me dérange, c'est que dans le Rapport annuel 2007 du Bureau du vérificateur général de l'Ontario on affirme ce qui suit :
Il existe peu de preuves démontrant que les registres contribuent à réduire le nombre de crimes sexuels ou aident les enquêteurs à trouver les coupables, et le Ministère n'a pas encore établi de mesures du rendement pour son Registre.
Sur quoi le vérificateur général s'est-il appuyé pour évaluer l'efficacité du registre?
M. Truax : On a soulevé cette question auparavant sur le nombre de crimes qui ont été évités grâce à l'existence et à la mise en œuvre du registre des délinquants sexuels de l'Ontario. Je ne suis pas en mesure de vous dire ce nombre. Je ne connais aucune de ces études qui ont été menées pour faire ce calcul en ce qui concerne la récidive ou l'efficacité du registre.
Des mesures de performance ont été établies avec le ministère de la Sécurité communautaire et des Services correctionnels pour mesurer l'efficacité du registre. Ces mesures de performance ont vu le jour en 2010. Évidemment, nous les utilisons pour examiner et mesurer l'efficacité du registre. Toutefois, je n'ai pas ces mesures de performances à ma disposition.
Le sénateur Joyal : J'allais vous poser cette question; je crois que vous vous y attendiez. Je peux comprendre que 2007, c'était il y a trois ans et vous pourriez avoir pris des initiatives pour améliorer l'efficacité.
M. Truax : Oui, nous l'avons fait.
Le sénateur Joyal : Pouvez-vous nous communiquer ces renseignements par l'entremise de la présidente?
La présidente : Vous pouvez envoyer les documents à la greffière, monsieur Truax.
Le sénateur Joyal : Fondamentalement, pouvez-vous nous dire quelle sorte d'initiatives importantes vous avez entreprises pour améliorer l'efficacité du registre pour ce qui est de son but et de la façon dont il fonctionne?
M. Truax : Nous avons fait des efforts considérables au cours des deux dernières années pour informer les organismes d'application de la loi de partout en Ontario sur le logiciel et son emploi. On donne de la formation chaque semaine partout en Ontario pour informer les policiers et d'autres responsables de l'application de la loi sur son utilisation, comme les capacités de consultation, par exemple.
Également, nous faisons comprendre plus clairement que les renseignements contenus dans le registre sont accessibles à tout organisme d'application de la loi, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Souvent, nous le consultons rapidement. Si l'on ouvre une enquête sur la disparition d'un enfant, nous pouvons en tout temps aider les services de police et leur fournir notre savoir-faire en matière de renseignements pour la conduite de leur enquête.
De plus, nous collaborons directement avec nos partenaires du milieu de l'application de la loi de l'Ontario sur la question de la conformité à la loi, dans le but de repérer les délinquants qui ne s'y conforment pas, procéder à leur enregistrement, mettre à jour leur dossier, et cetera, pour que le registre contienne les renseignements les plus récents. Nous travaillons aux questions de conformité avec les services de police de toute la province. Dans un certain nombre de services de police, on a pu atteindre un taux de conformité de 100 p. 100 en ce qui a trait aux délinquants sexuels qui résident sur le territoire des services en question.
Cela est utile comme exemple de mesures que nous prenons pour améliorer le registre.
Le sénateur Joyal : En d'autres termes, vous pouvez déterminer si le délinquant dont le nom figure dans le registre s'est enregistré au moment où il était censé le faire. Je crois comprendre qu'un monde sépare les systèmes informatiques de 2000 et de 2010.
M. Truax : Énormément; la technologie s'est améliorée de façon considérable. L'amélioration de ces services constitue un projet permanent. En ce qui concerne l'amélioration technologique du logiciel, nous sommes appuyés par la Division des services technologiques pour la justice, une division du gouvernement de l'Ontario. Ce travail est en cours, et nous entretenons des relations étroites avec la division pour ce qui touche à l'amélioration des capacités et du fonctionnement du système informatique.
Le sénateur Joyal : En tant qu'administrateur du registre des délinquants sexuels de l'Ontario, pouvez-vous vérifier sur votre écran d'ordinateur chaque matin, par exemple, le nombre de délinquants qui doivent s'enregistrer ce jour-là, selon leur date d'entrée? Avez-vous cette possibilité présentement?
M. Truax : Les personnes autorisées et chaque service de police de l'Ontario ont accès aux renseignements sur le statut de tous les délinquants sur leur territoire : le nom des délinquants non conformes qui doivent faire une mise à jour, et cetera. Ce travail se fait quotidiennement. Ils ont accès aux renseignements à n'importe quel moment.
Le sénateur Joyal : Parallèlement, avez-vous un rapport faisant état du nombre de délinquants qui ne se sont pas enregistrés?
M. Truax : Oui; je peux vous dire combien de délinquants ne s'étaient pas conformés à la loi à 10 heures ce matin.
Le sénateur Joyal : Pouvez-vous nous donner ce chiffre?
M. Truax : Sur plus de 12 000 délinquants, on en compte 227. Les raisons qui peuvent expliquer que les délinquants ne se conforment pas à la loi sont les suivantes : ils n'ont pas respecté la date de leur enregistrement annuel, par exemple; ils ont déménagé à l'extérieur de la province et n'ont pas communiqué les renseignements sur leur adresse actuelle aux fins du registre; le délai de 15 jours est terminé depuis leur mise en liberté après qu'ils ont été condamnés pour une infraction sexuelle critère; ou leurs renseignements n'ont pas été inscrits correctement par l'un des organismes d'application de la loi de la province, le dossier a été signalé comme non conforme et on l'examinera immédiatement pour régler les problèmes administratifs. Les renseignements sont accessibles tous les jours.
Le sénateur Joyal : Allez-vous jusqu'à signaler au poste de police auquel le délinquant doit s'enregistrer que votre système informatique vous donne le nom du délinquant qui ne s'est pas enregistré, de sorte que si d'autres situations occupent les policiers cette journée-là, ils doivent s'occuper de cette situation-là?
M. Truax : Oui, nous le faisons régulièrement dans l'intérêt de la sécurité publique. Nous collaborons avec la Division des services internes de la police du ministère de la Sécurité communautaire et des Services correctionnels en signalant aux organismes d'application de la loi les noms des délinquants qui ne se conforment pas à la loi. Nous les avisons chaque jour, chaque mois et chaque trimestre et nous les aidons dans leurs enquêtes sur les dossiers non conformes pour nous assurer qu'il y a un suivi.
Grâce à nos efforts, des organismes ont atteint un taux de 100 p. 100 de dossiers conformes. Certains territoires sont grands et comptent beaucoup de délinquants, ce qui représente un énorme travail.
Le sénateur Joyal : Bien que les outils soient plus à jour aujourd'hui, je ne sous-estime pas le travail. Cela veut dire que la dernière personne qui cherche des renseignements doit lancer une enquête. Supposons que M. X ne s'est pas enregistré aujourd'hui, que vous êtes au courant et que les quartiers généraux le savent aussi. Ce jour-là, ils doivent demander à quelqu'un d'agir parce que le délinquant ne s'est pas enregistré.
M. Truax : Des enquêtes sur la non-conformité sont lancées de façon régulière. Parfois, l'enquête ne consiste qu'à communiquer avec l'individu. Souvent, on le fait par téléphone. Ainsi, le service de police dit au délinquant que la date de son enregistrement est passée et qu'il doit se présenter aujourd'hui. Nous sommes capables d'obtenir que bien des délinquants se conforment uniquement au moyen de cet appel initial.
Toutefois, l'enquête nous amène parfois à apprendre qu'un individu a quitté la province ou le pays, par exemple. Certaines des enquêtes sur la conformité des délinquants peuvent durer longtemps, mais des efforts sont faits.
Le sénateur Joyal : Si la personne est disparue, comment vous assurez-vous que cette personne ne représente pas un plus grand risque pour la sécurité publique?
M. Truax : Il y a des données sur le délinquant au Centre d'information de la police canadienne, le CIPC, le décrivant comme une personne méritant une attention particulière pour le registre des délinquants sexuels de l'Ontario. Il est à espérer que l'organisme d'application de la loi et l'individu entreront en contact à un moment donné, de sorte que si une demande de renseignements est faite au CIPC, la question du registre sera connue.
La présidente : Avant de redonner la parole au sénateur Wallace pour une dernière question, j'ai moi-même deux questions que je vais poser l'une à la suite de l'autre pour gagner du temps.
La première porte sur le fait que vous avez parlé de trois occasions où la police de l'Ontario a communiqué des renseignements sur des délinquants sexuels enregistrés à leurs employeurs. Il semble qu'en faisant cela, les risques de récidive sont réduits. Je ne suis pas en train de dire que la divulgation est une mauvaise chose.
D'un autre côté, bon nombre de témoins, y compris ceux qui vous ont précédés ce matin, nous ont dit qu'il est important que la divulgation de renseignements contenus dans le registre se limite aux organismes d'application de la loi; qu'on n'adopte pas, ou qu'on ne glisse pas vers un système ressemblant à celui de certains États américains qui donne au public l'accès aux renseignements.
Y a-t-il des limites? Y a-t-il une réglementation? Existe-t-il des principes qui déterminent à quelles occasions la police de l'Ontario peut divulguer les renseignements du registre à d'autres personnes? Si vous devez mettre beaucoup de temps à répondre à cette question, je vous demanderais de répondre au moyen d'une lettre qui nous sera adressée.
La deuxième question porte sur les aspects pratiques de l'enregistrement automatique. Pouvez-vous nous en donner un aperçu?
Une personne est condamnée pour infraction sexuelle et, en vertu de la loi, elle doit s'inscrire au registre. Comment cela se passe-t-il? Le greffier du tribunal envoie-t-il une note à quelqu'un? Est-ce que la police s'occupe de cette question? Si des preuves photographiques doivent être réunies, quand, où et comment procède-t-on?
Encore une fois, nous n'avons plus beaucoup de temps, mais les questions de ce genre me laissent un peu perplexe. Elles ont une certaine pertinence en ce qui a trait à divers éléments des travaux du comité.
M. Truax : Concernant la première question sur la divulgation des renseignements, la Loi sur les services policiers contient une disposition précise en vertu de laquelle un chef de police ou le Commissaire de la Police provinciale de l'Ontario sont autorisés à divulguer des renseignements de ce type au public dans l'intérêt de la sécurité publique. Les occasions que j'ai données en exemple correspondent à des mesures extrêmes qui ont été prises pour des questions de sécurité publique. La Loi sur les services policiers de l'Ontario autorise la divulgation de ce type de renseignements, mais de façon limitée.
La présidente : Doit-il s'agir d'une question urgente, ou bien le chef de police est autorisé à dire uniquement que Karla Homolka est sortie de prison; voilà où elle vit, tout le monde.
Non, un ensemble précis de critères contenus dans la Loi sur les services policiers de l'Ontario doivent être remplis pour que ces renseignements soient divulgués.
Ensuite, au sujet des aspects pratiques de l'enregistrement automatique, lors de la condamnation dans un tribunal de l'Ontario, les tribunaux communiquent ces renseignements à l'organisme d'application de la loi. Nous avons amélioré la communication de sorte que ces renseignements sont transmis directement dans le registre des délinquants sexuels de l'Ontario, où est saisie l'information selon laquelle une personne a été reconnue coupable d'une infraction sexuelle critère et doit être enregistrée au registre des délinquants sexuels de l'Ontario.
Le sénateur Rivest : Et que se passe-t-il en cas d'appel?
M. Truax : Il y a une procédure d'appel de 30 jours. Ces renseignements sont transmis lors de la condamnation.
La présidente : Lors de la première condamnation?
M. Truax : Oui, c'est ce que je crois comprendre.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : J'ai été très intrigué par les statistiques de la police de l'Ontario que je suis depuis environ cinq ans. Entre 2001 et 2006, vous avez arrêté presque 600 criminels en liberté illégale. Une des meilleures au Canada d'ailleurs, et je vous en félicite.
Le registre des prédateurs sexuels vous a-t-il aidé à arrêter ces criminels en liberté illégale?
M. Truax : Je n'ai pas une connaissance personnelle de cela, mais je peux vous dire que les détails sont contenus dans le registre des délinquants. Ce registre est accessible à tous les corps de police de la province de l'Ontario pour déterminer, par exemple une adresse, des personnes-ressources, l'endroit où l'individu est employé et une description de son véhicule également. Le registre des délinquants est accessible pour la sécurité publique.
Le sénateur Boisvenu : J'aimerais savoir si le registre des prédateurs sexuels contenants les 600 délinquants sexuels depuis 2001 à 2006, vous a servi comme outil pour retracer ces gens en liberté illégale? Il s'agit vraiment de prévention.
La présidente : Si vous n'avez pas les renseignements aujourd'hui, vous pourrez toujours les transmettre à la greffière plus tard.
M. Truax : Je peux vérifier si l'information est disponible et dans l'affirmatif, je vous la communiquerai.
[Traduction]
La présidente : Je crois que notre temps est écoulé.
Monsieur Truax, je vous remercie sincèrement. Vous nous avez été extrêmement utile et nous avons été heureux de votre présence aujourd'hui.
M. Truax : Je veux remercier les membres du comité de cet honneur et de ce privilège.
La présidente : Notre prochaine séance se tiendra dans la même salle, le mercredi 28 avril prochain, à 16 h 15; séance au cours de laquelle nous entendrons divers témoins du domaine juridique.
(La séance est levée.)