Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 5 - Témoignages du 29 avril 2010
OTTAWA, le jeudi 29 avril 2010
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi S-2, Loi modifiant le Code criminel et d'autres lois, se réunit aujourd'hui, à 10 h 30, pour examiner le projet de loi.
Le sénateur Joan Fraser (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Bienvenue à la réunion du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, qui poursuit son étude du projet de loi S-2. Nous recevons trois groupes de témoins ce matin, et notre premier témoin est Mme Krista Gray-Donald, directrice, Promotion des droits et sensibilisation, Centre canadien de ressources pour les victimes de crimes.
Krista Gray-Donald, directrice, Promotion des droits et sensibilisation, Centre canadien de ressources pour les victimes de crimes : Merci de m'avoir invitée à témoigner aujourd'hui. Le Centre canadien de ressources pour les victimes de crimes, le CCRVC, est un groupe national et sans but lucratif de défense des victimes et des survivants d'actes de violence graves. Nous offrons une aide et un soutien directs aux victimes de partout au pays, et nous réclamons davantage de services et de droits pour les victimes d'actes criminels et une sécurité publique accrue. C'est avec plaisir que le CCRVC témoigne aujourd'hui devant le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles pour prendre part au débat sur le projet de loi S-2, visant à protéger les victimes de délinquants sexuels.
Chaque jour, nous venons en aide à des Canadiens dont la vie a été bouleversée par un acte criminel grave, par exemple une agression sexuelle ayant eu lieu récemment ou dans le passé. Ces victimes et survivants veulent plus que toute autre chose savoir qu'il y a des outils en place pour empêcher que ce qui leur est arrivé ou ce qui est arrivé à un être cher arrive à quelqu'un d'autre.
Les modifications proposées dans le cadre du projet de loi S-2 visent à renforcer les dispositions législatives en vigueur en ce qui concerne l'enregistrement des délinquants sexuels et à mettre à la disposition des services de police des outils concrets d'enquête et de prévention de la victimisation qui pourraient leur permettre de sauver des vies.
Le projet de loi vise à rapprocher le registre national du registre ontarien. Pour nous, il s'agit d'un progrès important pour le registre national. Celui de l'Ontario est plus complet, et il est utilisé par les services de police comme outil d'enquête. Nous pensons que plus le registre contiendra d'informations sur le délinquant, par exemple le numéro de plaque d'immatriculation ou les données relatives au véhicule, les renseignements sur l'emploi et les détails concernant les crimes que le délinquant a commis, plus les autorités pourront utiliser l'outil de façon proactive.
Nous sommes tout à fait en faveur des dispositions proposées concernant l'inscription obligatoire. On ne peut pas espérer que le registre des délinquants sexuels soit une banque de données efficace si tous les délinquants n'y sont pas inscrits. Les dispositions relatives au registre actuel ont permis à beaucoup trop de délinquants sexuels d'éviter d'y être inscrits. En outre, les modifications proposées, si elles sont adoptées, simplifieront le processus d'inscription des délinquants au registre, et les procureurs de la Couronne n'auront plus à demander l'inscription de délinquants.
Nous avons milité en faveur de l'inclusion d'échantillons d'ADN dans l'information sur les délinquants inscrits au registre des délinquants sexuels. La banque de données génétiques a été utilisée pour établir des liens entre différents actes criminels et pour identifier les auteurs de ces actes. Dans certains cas d'agression sexuelle où la victime ne connaît pas son agresseur, seul l'ADN permet d'identifier le délinquant. Le délinquant peut également être identifié s'il s'agit d'un cas de récidive.
Le comité a entendu de nombreux témoins, et nous partageons les sentiments exprimés par plusieurs de ces témoins. Il y a cependant deux ou trois points que j'aimerais aborder par rapport à certains de ces témoignages.
Lorsque le Dr Paul Fedoroff, des Services de santé de l'Hôpital Royal d'Ottawa, est venu témoigner, le comité a appris que le taux de récidive des délinquants sexuels ne varie pas beaucoup en fonction du fait que les délinquants reçoivent un traitement ou non. Je trouve cela déconcertant, et je trouve en fait que cela renforce l'argument selon lequel la police a besoin de plus d'outils, non seulement pour prévenir la victimisation, mais également pour résoudre les cas d'actes criminels. Les données montrent qu'un nombre important de délinquants sexuels récidivent et que le taux de récidive est assez élevé à long terme. L'inscription obligatoire assortie de l'obligation de se présenter aux autorités pendant une période suffisamment longue augmentera la probabilité que les cas d'agression sexuelle commise par des récidivistes soient résolus.
Le Dr Fedoroff a également parlé du déclin du taux de victimisation sexuelle. Malheureusement, les chiffres qu'il a cités semblent avoir trait au taux d'agression sexuelle déclarée. Les résultats de l'Enquête sociale générale sur la victimisation, qui portent sur les actes criminels déclarés par les victimes, ne confirment pas ces chiffres. Ils montrent que c'est le taux de déclaration d'agression sexuelle à la police qui diminue, et non le taux d'agression sexuelle.
D'après les résultats de l'Enquête sociale générale, l'ESS, on croit qu'environ 8 p. 100 des agressions sexuelles sont déclarées à la police. Je ne suis pas sûre que les chiffres concernant la victimisation déclarée permettent de bien saisir le préjudice que subissent les enfants. Nous ne devons pas oublier que les enfants sont souvent des proies et sont souvent victimisés de façon répétée. Il y a de nombreuses raisons qui font que les victimes ne déclarent pas ce qui leur est arrivé. L'une des raisons qui sont souvent citées, c'est qu'elles ont peu d'espoir que la police arrive à identifier leur agresseur. Fournir aux services de police un outil plus complet pour le faire, justement, c'est une façon de montrer aux victimes que les autorités sont capables de retracer l'auteur d'un crime.
J'aimerais également parler des commentaires qu'a faits la commissaire à la protection de la vie privée, Jennifer Stoddart. Mme Stoddart a exprimé des préoccupations quant au fait que les nouvelles dispositions permettent une intrusion dans la vie privée des délinquants qui est proportionnelle ou non aux avantages pour la société, les services de police et les victimes. Selon nous, ces mesures ne permettent qu'une entrave minimale aux droits des délinquants. Comme M. Stevenson l'a dit, bon nombre de délinquants qui s'inscrivent au registre ne voient pas cela comme une entrave importante à leurs droits. Les victimes de leur crime seraient elles aussi d'avis qu'il s'agit d'une entrave minimale, comparativement à la violation de leur vie privée qu'elles ont subie aux mains de ces délinquants.
Les améliorations qu'on propose d'apporter au registre n'empêcheront pas toutes les agressions sexuelles d'avoir lieu, pas plus qu'elles ne préviendront la récidive chez les délinquants sexuels. Ce qu'elles feront, par contre, c'est qu'elles empêcheront les futurs délinquants d'échapper à l'inscription au registre et fourniront aux services de police un outil efficace pour prévenir la victimisation et pour enquêter lorsqu'une agression a lieu. Je demande de tout cœur au comité d'adopter le projet de loi.
La présidente : Merci beaucoup. Nous avons évidemment des questions à poser, et nous allons commencer par le sénateur Wallace.
Le sénateur Wallace : Merci, madame Gray-Donald. Vous nous avez présenté un exposé très informatif. Nous vous en remercions.
Ce que vous avez dit au sujet du témoignage de la commissaire à la vie privée m'a intéressé. Comme vous le savez peut-être, elle a parlé de la nécessité de trouver un équilibre entre les droits des délinquants et ceux des victimes et en ce qui a trait au respect de la vie privée de part et d'autre.
Qu'avez-vous constaté en travaillant auprès des victimes, sur le plan de l'intrusion dans leur vie privée? Pouvez-vous nous parler de cet équilibre relatif au respect de la vie privée des victimes et des délinquants, mais surtout de celle des victimes?
Mme Gray-Donald : En ce qui concerne le processus de justice pénale, les droits des délinquants sont beaucoup plus respectés que les droits des victimes en général, mais également en ce qui a trait précisément au respect de la vie privée. Les victimes peuvent voir l'épisode de leur vie qui est lié au crime commis contre elles recréé au cours d'une audience publique d'un tribunal, dans les médias et dans tous les aspects du système de justice pénale. Les délinquants, eux, peuvent choisir en majeure partie l'information qui est diffusée. Les victimes jugent que c'est injuste, et c'est une préoccupation qui est exprimée depuis longtemps par les victimes.
Pour ce qui est du registre et des commentaires de Mme Stoddart, les victimes auprès desquelles nous travaillons trouvent que l'information qui figurera dans la banque de données ou dans le registre n'est pas une entrave importante aux droits des auteurs de crimes. Cette information est utilisée aux fins d'application de la loi. Ce n'est pas du domaine public. Ni les victimes ni le public n'y ont accès. L'information est conservée dans un but précis, et il n'y a pas d'entrave indue aux droits des délinquants.
Le sénateur Wallace : Étant donné votre expérience, je soupçonne que vous avez été témoin des dommages importants que cause l'intrusion dans la vie privée des victimes d'infractions de nature sexuelle et dans celle de leur famille, ainsi que de l'incidence de cette intrusion sur leur vie quotidienne, sur leur vie privée et sur leur capacité de continuer de vivre comme avant. Je suis sûr que vous avez vu des cas où les dommages sont terribles. Je pense surtout aux familles. Quel genre de répercussions sur les familles voyez-vous? Quel genre de démarches les familles ont-elles faites pour que les lois soient renforcées de manière à empêcher que ce qui leur est arrivé arrive à d'autres?
Mme Gray-Donald : Les répercussions sur la famille dépendent du crime, bien entendu. Elles dépendent aussi de l'identité de la personne qui l'a commis. Lorsque le délinquant est un membre de la famille, en général, l'effet est dévastateur. Nous l'avons vu dans de nombreux cas. Même lorsque le délinquant est un étranger ou quelqu'un qui ne fait pas partie de la famille, les répercussions sur celle-ci durent, surtout lorsque des enfants sont victimes de violence.
Sur le plan des préoccupations relatives à la vie privée, voulez-vous que je vous parle seulement des choses qui ont trait à la famille ou que je vous parle des répercussions globales?
Le sénateur Wallace : Je voulais simplement savoir quelle était votre expérience à cet égard. Nous entendons des universitaires exprimer des opinions, et il faut des chiffres et des enquêtes, et ainsi de suite. Cependant, vous êtes confrontée à la réalité. Chaque jour, vous faites face à ces problèmes. C'est ce que je me demandais.
Mme Gray-Donald : Les victimes et les membres de leur famille, qui sont également des victimes de ces crimes, en ressentent les effets pendant longtemps. La blessure physique qui est subie dans un cas d'agression sexuelle guérit beaucoup plus rapidement que la blessure psychologique que subit la victime. Beaucoup d'enfants ne commencent à comprendre ou à ressentir les effets que beaucoup plus tard au cours de leur vie, et ils continuent de ressentir ces effets lorsqu'ils grandissent et changent.
Les enfants qui sont victimes d'agression ont généralement besoin d'un traitement pour surmonter la peur qu'ils ressentent après la première agression. Le traumatisme refait généralement surface à chacune des étapes de leur développement, et ils ont encore besoin d'aide à ce moment-là. Il n'y a pas de moyen rapide de régler ce problème. Ils ne peuvent pas simplement aller voir un thérapeute pour tout régler. Dans bien des cas, ils sont confrontés à ce qui leur est arrivé pendant la majeure partie de leur vie. Il y a des gens qui sont très résistants et qui sont capables de se débarrasser rapidement de la douleur, mais c'est loin d'être la norme.
Les parents vivent toute une gamme d'émotions. Dans les cas où l'un des membres du couple est victime d'agression, il y a généralement une pression énorme sur la relation; souvent, l'agression sexuelle finit par causer la rupture. Il n'est pas rare que les effets touchent le noyau familial et la famille étendue, c'est-à-dire également les grands-parents, les frères et sœurs et ainsi de suite. C'est un crime très grave.
Le sénateur Wallace : Tout ce que nous pouvons faire pour empêcher ou contribuer à empêcher que ce genre de chose se produise et touche d'autres familles, nous allons le faire. Merci de l'excellent travail que vous faites.
Le sénateur Lang : Merci d'avoir pris le temps de venir témoigner devant le comité ce matin. J'aimerais que nous parlions tout de suite de votre mémoire. Vous dites ce qui suit : « Le projet de loi vise à rapprocher le registre national du registre ontarien »; et vous trouvez que c'est un important progrès pour le registre national. Vous ajoutez : « Celui de l'Ontario est plus complet, et il est utilisé par les services de police comme outil d'enquête. »
Je sais que vous appuyez le projet de loi proposé, mais seriez-vous en faveur d'une autre modification de la loi qui serait calquée sur les dispositions législatives en vigueur en Ontario et qui donnerait une plus grande portée au projet de loi que celle qu'il a à l'heure actuelle?
Mme Gray-Donald : À quel égard souhaitez-vous donner une plus grande portée au projet de loi?
Le sénateur Lang : Vous avez parlé du fait que la loi ontarienne a une plus grande portée pour ce qui est de recueillir davantage d'informations et autre chose du genre. Je ne connais pas bien cette loi, pour être franc, mais cette question a été soulevée à de nombreuses reprises. Souhaiteriez-vous qu'un pas de plus soit franchi dans cette direction?
Je vous pose la question, parce que vous si nous nous engageons dans cette voie, seriez-vous alors en faveur de l'idée de fusionner le registre ontarien et le registre national, de façon à ce qu'il n'y en ait qu'un seul, et non deux?
Mme Gray-Donald : Je vais commencer par votre seconde question. J'aimerais voir les deux registres harmonisés seulement aux fins d'uniformité dans l'ensemble, partout au pays. Je pense que les dispositions législatives touchant les délinquants à cet égard doivent être uniformes. Si possible, nous devons éviter de traiter les délinquants différemment en fonction des provinces.
Je ne peux pas parler précisément de ce qu'il faudrait faire pour harmoniser les deux registres. Cependant, si vous parlez de l'information qu'ils contiennent, je présume que l'information contenue dans le registre ontarien a subi les différentes épreuves avec succès et qu'elle serait jugée pertinente à la lumière des critères de la Charte. Si c'est utile pour les services de police — et vous allez entendre bientôt le témoignage de représentants de services de police —, je n'aurais pas d'objection à ce que les deux registres soient harmonisés.
Le sénateur Runciman : Dans certains cas, les préoccupations peuvent concerner la portée du projet de loi en ce qui concerne la démarche proactive que vous avez grandement appuyée. Le projet de loi S-2 se limite à la prévention des crimes sexuels et aux enquêtes sur ces crimes. La loi ontarienne est d'une portée beaucoup plus grande. Elle parle de prévention du crime ou d'application de la loi. Il s'agit d'un outil beaucoup plus polyvalent pour les services de police de l'Ontario que ce que le projet de loi permet.
Je suis curieux. Hier, nous avons reçu des représentants du conseil des avocats de la défense. Au moins un de ces représentants a dit quelque chose au sujet de « crimes relativement mineurs ». Certains des membres du comité étaient tout à fait en désaccord avec eux quant à la façon dont ils ont défini l'expression « crimes sexuels relativement mineurs ». Je pense que le point de vue de madame la juge Carstairs est partagé par bon nombre d'entre nous, sinon par tout le monde.
Voyez-vous le fait que certaines personnes qui ne devraient pas être visées par les dispositions législatives le seront comme une préoccupation ou comme un problème? Je suppose qu'il s'agit d'incidents très mineurs, quoique ce soit très subjectif. Avez-vous des préoccupations à cet égard?
Mme Gray-Donald : Je vais parler de la définition d'« incident mineur ». Je n'ai pas eu l'occasion de lire le témoignage d'hier. Cependant, je pense que ce qui est vu comme un incident mineur en droit est différent de ce qui est vu comme un incident mineur par une victime. Cela montre que chaque incident est différent et que la réaction de chaque victime est différente.
S'il s'agit d'infractions véritablement mineures, par exemple s'il n'y a eu aucun contact sexuel manifeste, par exemple, je pense que les dispositions législatives permettent qu'une demande d'exclusion soit présentée. Je pense que les dispositions s'appliqueraient dans ce cas. C'est l'un des domaines où nous devons pécher par excès de prudence. J'espère que le système judiciaire pourrait faire traiter les infractions mineures de façon appropriée, et peut-être qu'une agression sexuelle mineure pourrait faire l'objet d'une poursuite pour voies de fait mineures, par exemple. Ainsi, l'infraction ne serait pas inscrite au registre. Je pense que le procureur de la Couronne peut procéder de différentes façons. Le juge doit approuver son plaidoyer. Il y a des façons d'éviter que ces infractions soient incluses.
La présidente : Petite précision, madame Gray-Donald : si vous vérifiez, vous allez constater qu'il n'est pas possible de demander une exclusion. Le délinquant ne peut que demander d'être exempté de l'obligation de se présenter aux autorités.
Mme Gray-Donald : D'accord. Je vais examiner cela.
La présidente : Cependant, une fois que le nom du délinquant est inscrit sur la liste, il y reste durant toute sa vie.
Le sénateur Baker : J'aimerais moi aussi vous remercier de votre exposé et de l'excellent travail que votre organisation accomplit.
Le sénateur Lang vous a demandé si vous seriez en faveur de quelconques modifications, et vous avez demandé des précisions. Durant les témoignages concernant le projet de loi, nous avons appris que, lorsque le registre a été créé, en décembre 2004, il y avait une période de un an prévue par la loi au cours de laquelle les procureurs généraux des provinces pouvaient lancer une procédure leur permettant d'appliquer la loi aux personnes qui purgeaient une peine à l'époque pour les infractions dont nous parlons. Autrement dit, une personne en probation ou purgeant une peine pour un crime grave pouvait être incluse dans un délai d'un an. Après un an, la disposition n'était plus en vigueur. La loi a été modifiée deux ou trois ans plus tard, et l'article en question a été abrogé.
Il y a maintenant six ans de cela. Certains des crimes les plus graves dont nous parlons qui ont été commis au cours des 20 dernières années ne sont pas visés par le registre, même si les auteurs purgent toujours leur peine. Autrement dit, une personne qui purge actuellement une peine, par exemple, n'aurait normalement pas le droit de posséder une arme à feu. L'interdiction dure habituellement 10 ans, ou elle pourrait demeurer en vigueur pendant toute la vie du délinquant.
Prenons l'exemple d'une personne qui n'a pas fini de purger sa peine. Il a été suggéré que nous proposions un amendement au projet de loi S-2 pour le rendre rétrospectif — je dirais rétroactif — de façon à ce qu'il s'applique aux personnes qui n'ont pas fini de purger leur peine. Prenons l'exemple d'une personne déclarée coupable d'entrée par infraction avec l'intention de commettre une infraction punissable par voie de mise en accusation, soit une agression sexuelle. Si cette personne n'a pas fini de purger sa peine, elle ne sera pas visée par la loi après l'adoption du projet de loi, parce que celui-ci ne s'applique que dans les cas d'actes criminels perpétrés après son adoption.
Seriez-vous en faveur d'un amendement qui ferait en sorte que le projet de loi s'appliquerait rétrospectivement à toutes les personnes qui ont commis des infractions graves du genre et qui purgent toujours leur peine? Auriez-vous besoin de temps pour nous répondre par écrit?
Mme Gray-Donald : J'hésite à dire qu'en général tous les délinquants déclarés coupables d'agressions sexuelles devraient être visés par le projet de loi. Nous devons faire attention lorsqu'il s'agit d'imposer de nouvelles sanctions dans le cadre de la peine de délinquants qui ont déjà été condamnés, et je pense que c'est à cela que cela revient.
Il y a des moyens pour nous d'exercer une surveillance ou du moins de faire en sorte qu'il y ait des dispositions visant les délinquants. La Commission nationale des libérations conditionnelles peut par exemple obliger les délinquants à faire état de leur contact avec des enfants et de leurs relations amoureuses, leur interdire de s'approcher de terrains de jeux et ainsi de suite. Le non-respect de ces conditions devient alors une violation des conditions de la libération conditionnelle.
J'ai réfléchi à cette question depuis que j'ai lu au sujet du débat sur l'application rétrospective et l'application rétroactive. Ce qui serait peut-être possible, ce serait d'inclure des infractions qui ont eu lieu il y a 20 ans, mais pour lesquelles les accusations n'ont pas encore été portées, ce qui fait que le délinquant n'a pas encore été condamné. Ainsi, il ne serait pas nécessaire que l'infraction ait eu lieu avant la date d'entrée en vigueur du projet de loi, et la condamnation pour cette infraction pourrait quand même être inscrite au registre.
Le sénateur Baker : Je suis désolé, mais je ne vous suis pas.
Mme Gray-Donald : Ce n'est pas grave.
Le sénateur Baker : Vous avez dit que la loi devrait s'appliquer à une personne ayant commis une infraction il y a 20 ans, mais qu'elle ne s'appliquerait qu'aux déclarations de culpabilité et condamnations futures.
Je ne parle pas des infractions sexuelles mineures. La personne qui a commis une infraction, qui a été déclarée coupable il y a 10 ans et qui est encore en probation a quand même commis une infraction sexuelle grave. Vous semblez hésiter à appliquer la loi à cette personne. Avez-vous peur d'appliquer la loi rétrospectivement?
Mme Gray-Donald : Je devrais préciser que j'aimerais vraiment voir l'inscription obligatoire au registre s'appliquer à tous les délinquants sexuels. Ma réponse concernait ce qui pourrait fonctionner selon moi. Je pense que des préoccupations seraient soulevées au sujet des répercussions sur les délinquants qui ont déjà reçu leur peine. L'inscription au registre serait vue comme un ajout à leur peine.
Le sénateur Baker : Je vois.
Mme Gray-Donald : Je travaille avec des victimes d'actes criminels, et je sais que toutes les victimes avec lesquelles je travaille aimeraient comme moi voir tous les délinquants déclarés coupables d'infractions sexuelles inclus dans cette banque de données. Je ne sais pas comment cela pourrait fonctionner.
Est-ce que vous comprenez mieux ma réponse?
Le sénateur Baker : Oui. Si vous avez des réflexions à cet égard, vous pourriez les communiquer au comité.
Le sénateur Dawson : J'ai deux commentaires. Le premier concerne la commissaire à la vie privée et ce qui peut être vu comme une entrave minimale. Je ne suis pas membre permanent du comité, mais elle a aussi témoigné devant les comités dont je suis membre. La responsabilité de la commissaire à la vie privée est de protéger la vie privée et les droits des délinquants, mais également les droits des victimes.
Plus on recueille d'information en disant à la commissaire à la vie privée qu'il s'agit d'une intrusion minimale, plus elle doit examiner de près l'utilisation de cette information à des fins autres que celles prévues, quoique pas nécessairement illégales. On dit souvent à la commissaire à la vie privée que la collecte de l'information en question constitue une intrusion minimale. Sa responsabilité, comme représentante du Parlement, est de s'assurer que la vie privée est bien privée et qu'elle est respectée.
Mon second commentaire concerne la mesure dans laquelle le code ontarien et le code canadien seront uniformes. Je suis sûr que nous sommes tous d'accord pour dire que nous avons une interprétation différente dans chaque province. Comme Québécois — et je pense que cela s'appliquerait probablement à mon collègue le sénateur Baker —, je ne suis pas nécessairement d'accord lorsqu'on me dit que nous devrions nous inspirer du modèle ontarien et l'appliquer à l'ensemble des Canadiens.
La présidente : Souhaitez-vous réagir aux commentaires du sénateur Dawson?
Mme Gray-Donald : Je comprends que certaines personnes puissent hésiter à envisager le modèle ontarien comme étant le meilleur, mais je pense que c'est quelque chose qu'il faut régler dans le cadre de la mise en œuvre. Je ne dis pas que le registre national doit devenir le registre ontarien. C'est simplement quelque chose qu'il faut examiner. Peut-être qu'un nouveau registre sera créé qui sera le même pour toutes les provinces. Ça ne veut pas dire que le modèle ontarien doit devenir le modèle national.
Le sénateur Lang : Je veux poursuivre là-dessus un peu, pour éclaircir la question. D'après ce que je comprends, le Québec utilise le registre national. L'Ontario dispose de son propre registre. C'est ça, la différence. C'est le seul autre registre qui existe. Je ne comprends pas pourquoi vous dites que vous ne seriez pas d'accord pour que le registre ontarien fasse partie du registre national.
Le sénateur Dawson : Je ne veux pas devenir le témoin. Je ne dis pas que je ne serais pas en faveur de cela. Tout ce que je dis, c'est que, en ce qui concerne l'idée que le modèle ontarien devienne un modèle national, un modèle national a été élaboré et les provinces l'ont accepté. S'il commence à y avoir des provinces qui modifient leur application et s'il faut modifier le modèle national, je pense qu'il faudrait laisser les provinces l'adapter si elles le souhaitent, pas parce que l'Ontario l'a fait. Même si le Québec avait un modèle extraordinaire, je ne pense pas qu'il doive l'imposer au reste du pays, si nous avons un modèle national.
La présidente : Le projet de loi prévoit l'établissement d'un registre national des délinquants sexuels. D'après mes souvenirs, les services de police du Québec nous ont dit qu'ils seraient heureux d'obtenir les ressources pour utiliser et instaurer ce modèle. Je ne pense pas me tromper.
Le sénateur Lang : Je ne veux pas vous mettre sur la sellette, sénateur Dawson, mais je...
La présidente : Je voudrais attirer l'attention des sénateurs sur le fait que nous pouvons débattre de cette question sur d'autres tribunes.
Le sénateur Lang : Je vais laisser tomber pour que nous ayons plus de temps pour autre chose.
Mme Gray-Donald : Puis-je dire une dernière chose là-dessus? S'il y a un modèle en Ontario et qu'on juge qu'il fonctionne, nous ne pouvons pas en faire fi et dire que nous devons élaborer un nouveau modèle. S'il y a quelque chose qui fonctionne, nous devons examiner ce que c'est et voir si c'est applicable à l'échelle nationale. À ce moment-là, il appartiendra aux autorités d'application de la loi et aux personnes chargées de rédiger les lois de convaincre le reste des provinces qu'il s'agit de la solution pour l'ensemble du Canada.
La présidente : Merci, madame Gray-Donald. Ce n'est pas tous les jours qu'un témoin provoque un débat ici en plus de répondre aux questions qui lui sont adressées directement. Ça a été intéressant, et nous vous sommes reconnaissants d'avoir pris le temps de venir témoigner devant nous aujourd'hui.
Nous avons maintenant le grand plaisir de poursuivre notre étude du projet de loi S-9 en présence de Vincent Westwick, avocat général, Service de police d'Ottawa, Association canadienne des chefs de police et du sergent d'état-major John McGetrick, également du Service de police d'Ottawa. Merci à vous deux d'être ici. Veuillez présenter votre déclaration préliminaire.
[Français]
Vincent Westwick, avocat général, Service de police d'Ottawa, Association canadienne des chefs de police : Madame la présidente, je m'appelle Vincent Westwick, je suis le coprésident du comité des amendements législatifs de l'Association canadienne des chefs de police. Le sergent d'état-major John McGetrick, de la Police d'Ottawa, m'accompagne. Il est l'agent responsable de la section des agressions sexuelles et des violences faites aux enfants.
Nous sommes ici aujourd'hui afin de représenter l'Association canadienne des chefs de police. Le chef de police de Toronto, Bill Blair, est le président de notre association. Aujourd'hui ce dernier est à une réunion de l'Association des chefs de police de l'Alberta, à Grande Prairie, et il ne peut être parmi nous aujourd'hui.
L'Association canadienne des chefs de police représente plus de 900 chefs, chefs adjoints et autres cadres supérieurs du secteur policier et plus de 130 services de police au Canada.
[Traduction]
En préconisant des réformes législatives, des solutions originales pour lutter contre le crime et régler les questions intéressant le public, en favorisant les partenariats communautaires et l'application de normes professionnelles rigoureuses, l'ACCP est dévouée à la tâche qui consiste à diriger l'instauration d'un changement progressif dans le domaine des services policiers.
C'est toujours avec plaisir que nous témoignons devant le Parlement et que nous formulons des observations concernant de nouvelles lois, ou, comme dans le cas présent, un projet de loi modifiant un programme légal existant. Être à l'écoute des gens de notre collectivité et de nos membres, participer à des consultations avec le gouvernement et faire des observations au Parlement constituent un aspect important du travail de notre association. Ainsi, présenter au Sénat du Canada les points de vue des chefs de police de l'ensemble du Canada et l'expérience des membres de l'ACCP en matière de services de police et d'enquêtes est un devoir important et un grand honneur.
Je sais que, dans le cadre des délibérations de votre comité, vous avez déjà entendu les témoignages d'experts en la matière de la Gendarmerie royale du Canada, de la Police provinciale de l'Ontario et de la Sûreté du Québec. Je ne fais pas partie de ces experts. Mon objectif n'est pas de répéter ce qu'ils ont dit, quoique l'ACCP souhaite qu'il figure clairement au compte rendu qu'elle appuie totalement leur position. Les experts en question sont membres de l'ACCP. J'aimerais plutôt aujourd'hui discuter de certains des concepts généraux.
Je voudrais commencer par signaler au comité qu'à l'occasion de la conférence annuelle de l'ACCP en 2008, les membres ont adopté une résolution selon laquelle ils demandent au gouvernement du Canada d'harmoniser les dispositions du Registre national des délinquants sexuels avec celles du registre de l'Ontario.
Les services de police du Canada ont besoin d'outils efficaces pour prévenir le crime et pour appliquer les lois du Canada lorsque les crimes sont commis. Dans notre monde de plus en plus complexe, le maintien de l'ordre devient plus difficile. Pour être à la hauteur des attentes raisonnables de la population canadienne et pour assurer la sécurité des collectivités du pays, et surtout celle de nos enfants, les services de police canadiens ont besoin d'outils modernes et mis à jour pour qu'ils soient à la fine pointe de la technologie, d'outils qu'ils puissent utiliser pour prévenir les crimes commis par des gens déterminés à enfreindre les lois. Le registre des délinquants sexuels est l'un de ces outils.
Tous les parents se préoccupent de la sécurité de leurs enfants. Lorsqu'ils marchent pour se rendre à l'école, jouent dans les parcs du voisinage ou participent à des activités sportives, nous voulons tous que nos enfants soient à l'abri des gens qui veulent profiter de leur innocence et de leur confiance. Nous, les policiers, décririons le registre des délinquants sexuels comme un outil de police, mais il s'agit plutôt d'un outil pour la collectivité. Ainsi, dans notre mémoire, le débat entourant le projet de loi S-2 ne concerne pas les pouvoirs accrus des services de police; il est plutôt axé sur la mesure dans laquelle le Parlement souhaite protéger les collectivités canadiennes et les enfants qui y vivent.
Le paragraphe 28(1) du projet de loi S-2 reformule l'objectif de la Loi sur l'enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels de façon à inclure précisément la prévention. Je ne vais pas lire tout l'article; c'est dans le document pour que vous puissiez le consulter.
Selon nous, l'inclusion du mot « prévenir » dans cette nouvelle disposition est une amélioration de l'importance capitale apportée à l'énoncé de politique concernant le registre. Les autres changements apportés par le projet de loi S-2 découlent à nos yeux de ce principe fondamental.
L'ACCP est d'avis qu'il s'agit d'une modification cruciale, non seulement parce que c'est une bonne politique publique, mais aussi parce qu'elle reflète ce que les collectivités du Canada exigent en ce qui a trait à la protection et à la sécurité de leurs membres les plus vulnérables. Il arrive trop souvent, dans la sphère de la justice pénale, que la prévention ne reçoive pas suffisamment d'attention sur le plan législatif. L'ACCP croit que la prévention devrait être la politique publique déterminante du registre des délinquants sexuels — la prévention des crimes de la pire espèce dont sont victimes les membres les plus vulnérables de notre société. La valeur fondamentale du projet de loi S-2 réside dans les éléments de prévention que celui-ci présente à juste titre.
La prévention de la violence sexuelle est un but sur lequel je sais que nous pouvons tous nous entendre. Dans la perspective de l'application de la loi, je peux vous dire que la prévention est un vœu pieux sans les outils d'enquête nécessaires pour l'appuyer.
Cependant, l'objectif de prévention amène des choix difficiles à faire. Pour prévenir les infractions sexuelles, la police a besoin des détails pertinents concernant la personne dont le nom figure au registre. Elle a besoin, par exemple, de la description et du numéro d'immatriculation du véhicule des délinquants pour que nous puissions établir un lien entre cette information et une entrée du Registre national des délinquants sexuels lorsque nous recevons un appel concernant un véhicule suspect et que nous puissions prendre les mesures appropriées en fonction du risque.
Pour préciser l'exemple, afin de pouvoir réaliser l'objectif de prévention, la police a besoin d'information rapidement. Sept jours, c'est mieux que 15 pour un changement d'adresse.
Oui, l'ACCP reconnaît que la collecte de cette information constitue une intrusion dans la vie privée des personnes déclarées coupables d'infraction sexuelle. Nous ne remettons pas en question le fait que la personne déclarée coupable d'infraction sexuelle perd ses droits à la vie privée. L'ACCP soutient plutôt que ces intrusions mineures dans la vie privée d'une personne déclarée coupable d'une infraction désignée sont totalement raisonnables et justifiables dans les circonstances. Pour reprendre le libellé du projet de loi S-2, ces intrusions ne sont pas « démesurées par rapport à l'intérêt que présente, pour la société, la prévention d'autres crimes que pourrait commettre la même personne.
Je veux revenir sur un petit détail qui a de l'importance par rapport au fonctionnement du registre en ce qui a trait au respect de la vie privée. Contrairement à ce que les gens peuvent penser et qui est peut-être vrai dans le cas d'autres banques de données de la police, l'accès à ce système est très limité. Je sais par exemple que seulement 135 des membres de la GRC, qui sont plus de 30 000, disposent d'un accès opérationnel à la banque de données. À Ottawa, sur un effectif de 2 000 membres, seuls six auront accès au système. L'accès sert à faire un travail spécialisé qui est effectué par les policiers désignés et qui ont reçu une formation spéciale.
L'ACCP est en faveur du projet de loi S-2. Nous croyons que les améliorations qu'il propose sont raisonnables et applicables et qu'elles appuient les objectifs du registre des délinquants sexuels sur le plan des politiques publiques. Plus précisément, l'ACCP est en faveur des améliorations qui suivent — améliorations qui, pourrais-je ajouter, sont fondées sur l'utilisation et l'utilité de registres de l'Ontario et national, à la lumière de l'expérience des dernières années. Les éléments précis que nous appuyons et que nous vous demandons d'adopter sont les suivants : premièrement, que la conformité avec la Loi sur l'enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels soit obligatoire à la suite d'une déclaration de culpabilité, plutôt que d'une demande discrétionnaire; deuxièmement, que l'information sur le véhicule, qui est d'une importance capitale, fasse maintenant partie de l'information requise pour l'inscription; troisièmement, que les éléments dits « administratifs » soient inclus dans la banque de données du registre; quatrièmement, que le délai accordé pour signaler un changement d'adresse, et ainsi de suite, soit plus raisonnable; enfin, et c'est ce qui est le plus important, que le but prévu par la loi concernant la consultation de la banque de données comporte maintenant un volet de prévention.
À cet égard, j'encouragerais le comité à utiliser dans le projet de loi le libellé plus général de la loi ontarienne, qui permet la consultation « à des fins d'application de la loi ».
J'aimerais faire deux autres modestes suggestions d'amendement au projet de loi S-2. Premièrement, selon nous, le paragraphe 15(1) devrait obliger le Service correctionnel du Canada à signaler la libération des délinquants sous responsabilité fédérale. Deuxièmement, le bon fonctionnement du système dépend de la qualité des données. Le pouvoir de vérification découle actuellement de la déclaration de principe qui figure dans la première version de la loi. Il faudrait qu'elle comporte une disposition précise permettant les vérifications d'adresse.
En conclusion, l'ACCP est en faveur du projet de loi.
J'aimerais faire quelques brefs commentaires au sujet de l'examen des lois relatives aux données génétiques par le comité. En bref, l'ACCP est en faveur de l'idée que l'ADN soit envisagé et traité sur le plan législatif de la même façon que le système judiciaire traite les empreintes digitales. Autrement dit, il faut prélever des échantillons d'ADN au moment de l'arrestation de la même façon qu'on prélève les empreintes digitales à l'heure actuelle et selon les mêmes conditions.
Je sais qu'en 1998, le ministère de la Justice Canada a demandé un avis juridique à un juge à la retraite de la Cour suprême du Canada à cet égard. Le juge a conclu que cette démarche constituerait probablement une violation de la Charte canadienne des droits et libertés. Pour nous, il est temps de se pencher de nouveau sur cette question.
Je répondrai à vos questions avec plaisir.
La présidente : Voulez-vous ajouter quelque chose, sergent McGetrick?
John McGetrick, sergent d'état-major, Service de police d'Ottawa, Association canadienne des chefs de police : Non.
Le sénateur Wallace : Merci, monsieur Westwick et sergent d'état-major, de votre exposé. Vous accordez une importance considérable à l'objectif du projet de loi et à l'accent qui est maintenant mis sur la prévention. Vous n'envisagez pas simplement le Registre national des délinquants sexuels comme un outil d'enquête; vous avez insisté sur l'aspect prévention. Vous avez donné deux ou trois exemples de changement qu'engendrerait le projet de loi S-2, par exemple en ce qui a trait à l'enregistrement de véhicules et aux changements d'adresse, qui seraient utiles à la police pour l'aspect prévention de son travail.
Pouvez-vous nous dire de quelle façon le projet de loi S-2 permettra de prévenir les infractions sexuelles selon vous? Nous avons reçu des témoins qui remettent cette idée en question. Le projet de loi S-2 ne permettra pas d'empêcher les crimes sexuels de se produire. Cependant, du point de vue des services de police, quels outils le projet de loi fournira-t-il qui permettront une prévention réelle et concrète?
M. Westwick : Je pourrais peut-être vous donner une réponse courte et laisser le sergent McGetrick vous faire part de son point de vue d'agent de police de première ligne.
Je suis content que vous ayez cerné notre thème principal, c'est-à-dire la prévention. Pour nous, il s'agit d'un énorme pas en avant, et nous applaudissons le Sénat du Canada d'avoir proposé un projet de loi du genre. Comme je l'ai dit tout à l'heure, les lois comportent rarement un aspect de prévention. C'est tellement important, et c'est quelque chose que le public attend de la police. Dans bien des cas, nous n'avons pas nécessairement les outils nécessaires pour faire de la prévention. Il s'agit d'un changement fondamental de perspectives, et nous appuyons fortement ce changement.
M. McGetrick peut peut-être vous donner des exemples de détails.
M. McGetrick : La prévention du crime est une responsabilité fondamentale des services de police en Ontario. Lorsque nous menons, disons, jusqu'à 1 000 enquêtes par année au Service de police d'Ottawa, il y a de nombreuses enquêtes qui concernent par exemple le fait qu'une personne conduisant une camionnette blanche ou noire a offert à un enfant de monter dans son véhicule ou lui a offert un bonbon, et c'est la fin de l'incident. Surtout depuis l'adoption des modifications législatives apportées à la loi ontarienne en décembre 2008, notre pratique courante consiste à revenir au bureau et à vérifier dans le registre qui dans la région en question possède une camionnette blanche et est inscrit au registre. Nous parvenons ainsi à identifier le conducteur, et ça l'empêche de refaire quelque chose du genre. C'est un exemple concret de prévention. Nous avons constaté que c'est utile.
Le sénateur Wallace : Lorsqu'un incident survient et qu'une personne est enlevée, ce qui est important, c'est de passer en revue les délinquants potentiels et de pouvoir procéder de façon efficace et rapide. Je comprends de ce que vous dites que le registre serait utile à cet égard.
M. Westwick : Il y a autre chose d'ironique à cet égard. À la suite de l'affaire de Mme Unetelle qui s'est déroulée il y a plusieurs années à Toronto et d'autres changements touchant l'orientation des services de police en général, la police a commencé à diffuser rapidement de l'information auprès de la population. Si vous vivez à Ottawa, par exemple, vous avez probablement entendu parler récemment d'un type particulier de véhicule suspect dont le conducteur était entré en contact avec des enfants.
Les avocats disent à la police qu'elle devrait mettre la population au courant de ces choses. Le problème, c'est que si la police ne peut rien faire d'autre, ça peut engendrer une angoisse démesurée au sein de la population. Il se peut qu'aucun crime n'ait été commis; il peut y avoir une autre explication. Maintenant que nous mettons davantage l'information entre les mains de la population, celle-ci exige plus d'action. Un autre type de prévention intervient alors, et il s'agit d'atténuer l'angoisse du public lorsqu'aucun crime n'a été commis et que, par conséquent, il n'y a pas lieu d'être plus prudent qu'autrement.
Le sénateur Baker : Avant d'aborder la principale question concernant le projet de loi, je veux vous demander, monsieur Westwick, une précision concernant ce que vous avez affirmé à la fin de votre exposé. Vous avez de l'expérience en droit. Vous avez dit qu'au moment de l'arrestation, un échantillon d'ADN devrait être recueilli comme on recueille les empreintes digitales et prend une photographie. Voulez-vous dire que pour toutes les infractions mixtes, même les infractions relativement mineures, avant que la Couronne ait décidé comment elle procédera, c'est-à-dire par mise en accusation ou par voie sommaire, un échantillon d'ADN sera prélevé sur la personne?
M. Westwick : Oui. Ce que je dis, c'est que dans toutes les situations où des empreintes digitales sont prélevées à l'heure actuelle en vertu de la loi, le prélèvement d'un échantillon d'ADN remplacerait les empreintes digitales. Je sais que ça peut sembler être un changement spectaculaire. Pourtant, la technologie qui utilise les données génétiques est aujourd'hui l'outil le plus efficace, comme l'était il y a 100 ans la science des empreintes digitales lorsqu'elle a atteint le point où la police pouvait utiliser les empreintes digitales comme outil d'identification et d'enquête et de fouille des personnes et des scènes de crime. C'est aujourd'hui le cas de l'ADN.
Pour ne pas procéder à ce changement, nous disons à la population canadienne que nous utilisons une technologie moins efficace que la meilleure à laquelle notre société a accès. Je ne suis pas sûr que nous puissions affirmer cela sincèrement.
Le sénateur Baker : Vous admettrez que la Cour suprême du Canada a comparé l'ADN et les empreintes digitales et a conclu que l'ADN constitue une intrusion beaucoup plus importante. La question a été tranchée. Malgré cela, vous dites que c'est la voie que nous devrions emprunter.
M. Westwick : Permettez-moi d'apporter une précision. La Cour suprême du Canada n'a pas rendu de décision à cet égard, d'après ce que je sais. Au milieu des années 1990, lorsque les services de police du Canada faisaient des pressions pour pouvoir utiliser l'ADN et qu'on s'intéressait à la question, le gouvernement a demandé à des juges à la retraite de la Cour suprême du Canada d'examiner la question. Ces juges ont formulé un avis qui ne devait pas faire autorité, mais, évidemment, la réputation de ces juges et l'importance de leur poste rendaient l'avis convaincant. Il ne s'agissait pas cependant d'un précédent d'application obligatoire de la Cour suprême du Canada.
Le sénateur Baker : Pas sur ce sujet en particulier, mais la question a beaucoup été examinée par ailleurs.
J'ai une question concernant le projet de loi en tant que tel. Des crimes très graves ont été commis dans le passé. Disons par exemple qu'une personne est entrée par effraction dans une résidence et a commis l'infraction punissable par mise en accusation d'agression sexuelle. Supposons que cela a eu lieu et que la personne a été déclarée coupable en 2000 ou en 2002. Dans ce cas, cette personne serait encore en train de purger sa peine. Autrement dit, elle serait probablement encore en probation, et il est certain que les interdictions prévues par le Code criminel et qui touchent les personnes qui purgent une peine s'appliqueraient à elle. Elle serait encore en train de purger sa peine. Les délinquants qui sont dans cette situation ne sont pas visés par le projet de loi S-2.
Lorsque nous avons adopté le texte législatif en 2004, nous avons permis son application rétrospective jusqu'à un an. Nous n'avons pas permis son application jusqu'en 2002, 2001 ou 2000. Nous adoptons maintenant le projet de loi en 2010. Des personnes qui purgent encore leur peine ont commis des crimes très graves, et pourtant, elles ne sont pas visées par ce projet de loi.
Vous admettez aisément que vous souhaitez avoir accès à l'information sur ces crimes graves de façon à ce qu'elle figure dans le registre pour que les services de police puissent savoir de qui il s'agit. Êtes-vous d'accord avec le sénateur Boisvenu en ce qui concerne l'application rétrospective du projet de loi pour faire en sorte que ces personnes soient visées par celui-ci?
M. Westwick : Oui.
Le sénateur Baker : C'est bien. Vous ne l'avez pas dit dans votre exposé.
M. Westwick : Non. J'ai un peu un conflit personnel à cet égard parce que, en tant qu'avocat, je vois les problèmes que ça pose. En tant que policier, pour moi, ça ne pose aucun problème. Je veux parler en tant qu'avocat pendant quelques instants, si vous me le permettez.
Le sénateur Baker : Vous avez été agent de la GRC à un moment donné, non?
M. Westwick : Oui. D'après ce que je comprends, le principe qui fait qu'on n'applique pas les lois de façon rétroactive, surtout les lois pénales, c'est que, si la disposition rétroactive avait été en place lorsque la personne a décidé de commettre le crime, son existence aurait pu avoir des répercussions sur sa décision ou la dissuader d'une manière ou d'une autre de commettre le crime. C'est pour cette raison qu'on ne peut appliquer la disposition à cette personne.
Je ne crois pas, ni personnellement ni comme professionnel, qu'une personne qui commet une infraction sexuelle puisse être influencée par l'existence du registre des délinquants sexuels ou par le fait que l'application soit possible.
Le sénateur Baker : Nous avons créé le registre en 2004 et prévu l'application rétrospective de la loi. Toutes les cours d'appel que je connais au pays ont confirmé cette décision. Vous êtes d'accord avec ces cours d'appel, et le comité devrait accueillir favorablement une proposition d'amendement en ce sens.
M. Westwick : Mes collègues qui administrent le registre ont de la difficulté à respecter cette exigence sur le plan administratif. J'encourageais le gouvernement du Canada à tenir compte du fardeau que l'application rétroactive va engendrer sur le plan de l'administration du programme. Mis à part ça, c'est une excellente idée.
Le sénateur Baker : C'est bien.
[Français]
Le sénateur Carignan : Bonjour, monsieur Westwick. Ma question concerne l'accès à la banque de données génétiques. Si je comprends bien la loi et ses amendements, vous n'avez pas le pouvoir de donner des renseignements à des tiers sur ce qui est inscrit au registre des délinquants sexuels. Est-ce exact?
[Traduction]
M. Westwick : D'après ce que je comprends, non. Comme je l'ai dit dans ma déclaration préliminaire, l'accès au système est très limité. Je ne m'étais pas occupé de la question depuis un certain temps, et, lorsque je suis retourné voir, j'ai été surpris de constater à quel point l'accès de la police d'Ottawa est limité. Peut-être M. McGetrick a-t-il quelque chose à dire sur l'accès aux renseignements par des tiers. Est-ce qu'il est possible qu'un tiers ait accès à l'information qui figure dans le registre?
M. McGetrick : C'est tellement limité au sein de notre propre organisation. Souvent, des agents de patrouille téléphonent au bureau et me demandent qui vit dans leur quartier. C'est de l'information à laquelle l'accès est très limité. Un agent de police n'est pas autorisé à révéler à un membre quelconque de la population le nom d'une personne qui figure au registre des délinquants sexuels dans le cadre de la loi ontarienne. Je n'imagine pas que cela puisse poser problème.
[Français]
Le sénateur Carignan : Est-ce que vous pensez qu'il pourrait y avoir certaines situations où l'on devrait élargir l'accès? Un exemple : je suis propriétaire d'une garderie et je veux embaucher une personne; cette personne me donne l'autorisation de vérifier ses antécédents judiciaires. J'ai donc une autorisation d'accès de la part de la personne. Le service de police va pouvoir me donner les informations concernant les antécédents judiciaires, mais pas l'information pour savoir si la personne est inscrite au registre des délinquants sexuels, c'est exact?
[Traduction]
M. Westwick : D'après ce que je comprends, nous ne pourrions pas donner d'information dans ces circonstances. Cela pose un débat intéressant sur le plan des politiques publiques, mais, à cet égard, c'est le policier en moi qui a le dessus et qui dit qu'il serait probablement mieux que ce genre d'information soit réservée aux fins d'enquête et d'application de la loi. J'aimerais cependant m'arrêter là-dessus, sénateur, parce que, pour être tout à fait franc, je n'y avais pas réfléchi, et c'est une idée intéressante. Je pourrais peut-être préciser ma réponse plus tard, mais pour l'instant, je pense qu'il serait difficile de garder l'emprise sur l'information si elle aboutit entre les mains de tiers.
La présidente : Votre réponse à cette question nous intéresserait tous, monsieur Westwick, mais nous devons la recevoir rapidement, parce que la fin de nos travaux sur le projet de loi approche.
[Français]
Le sénateur Carignan : Je donne l'exemple de l'article 490.012 du Code criminel qui prévoit la possibilité qu'une personne soit inscrite au registre, même si elle n'a pas commis une infraction à caractère sexuel, mais que le procureur démontre que lorsqu'il avait effectué une entrée par effraction, il avait l'intention hors de tout doute de commettre un acte criminel à caractère sexuel. Donc dans son casier judiciaire, on voit « entrée par effraction », mais il est inscrit au registre des délinquants sexuels. Donc techniquement, cette personne pourrait être embauchée dans une garderie parce qu'elle a simplement un casier judiciaire pour entrée par effraction, mais on omet de lui dire qu'il est inscrit au registre des délinquants sexuels, ce qui pourrait occasionner une certaine contradiction et contrarier l'intérêt public.
[Traduction]
M. Westwick : C'est une question difficile, sénateur. J'aimerais y réfléchir, si vous me le permettez, et peut-être vous en reparler. Je n'ai pas de bonne réponse à vous donner, et j'aimerais mieux ne pas trop m'avancer à ce sujet.
Le sénateur Runciman : À ce sujet, j'ai discuté plus tôt avec les gens de la recherche au sujet d'une demande relative à ce qu'ils appellent le secteur des personnes vulnérables dans le cadre de la loi actuelle, et si la personne concernée y consent, on peut divulguer cette information. Il y a assurément des mécanismes de protection intégrés si la personne refuse de donner son consentement, et je pense qu'on peut automatiquement rejeter sa candidature pour un poste. Je ne sais pas, mais je crois que la plupart des gens réagiraient de cette façon.
Vous êtes d'accord avec moi sur les sujets que j'aborde habituellement avec les témoins, la portée du projet de loi et les dispositions d'applications obligatoires relativement aux services correctionnels, alors j'appuie sincèrement le mémoire que vous avez présenté. Nous n'avons pas reçu beaucoup de témoins qui étaient très préoccupés par le projet de loi, mais, hier, nous avons reçu des représentants des avocats de la défense. Ils ont soulevé un certain nombre de points, et j'aimerais savoir ce que vous en pensez.
Lorsque nous avons abordé la question de la portée de la loi, ils ne parlaient à ce moment-là que de la portée du projet de loi S-2, et non de la portée de la loi ontarienne, qui, comme vous l'avez mentionné tout à l'heure, est beaucoup plus grande aux fins d'application de la loi. Le témoin a dit que le projet de loi S-2 donne carte blanche aux policiers pour mal utiliser l'information. Je lui ai demandé précisément qui avait utilisé cette expression au sujet de l'utilisation du registre en Ontario et s'il y a des plaintes à cet égard. Il n'a pas pu me répondre. Sergent d'état-major, vous êtes très actif dans ce dossier. Y a-t-il beaucoup de plaintes au sujet de la mauvaise utilisation par la police de cet accès?
M. McGetrick : Pas du tout.
Le sénateur Runciman : Merci.
M. Westwick : Je peux peut-être ajouter quelque chose, sénateur. Je viens de passer 10 ans à la tête de la section des plaintes du public de la Police d'Ottawa, et je n'ai eu connaissance d'aucune plainte pendant cette période.
Le sénateur Runciman : Les témoins en question ont également dit que la police dispose déjà d'outils adéquats et que les policiers peuvent accéder au CIPC, le Centre d'information de la police canadienne, et obtenir de l'information sur les antécédents d'une personne à partir du numéro d'immatriculation de son véhicule. Qu'est-ce qui est différent, dans le cadre du projet de loi, par rapport aux outils dont vous disposez déjà?
M. McGetrick : L'agression sexuelle est un crime unique, et, franchement, la façon dont l'enquête se déroule est unique aussi. Les délinquants ont tendance à recommencer, et plus on intervient rapidement, mieux c'est. Nous entendons constamment le terme « mineur ». Je voudrais faire remarquer que des prédateurs sexuels dangereux commencent par une intrusion de nuit ou parfois des actions indécentes, ou quelque chose du genre, et que la gravité de leurs actes peut s'accroître assez rapidement. Il est crucial d'intervenir et de mener une enquête rapidement. Lorsqu'on dispose des outils en question, surtout de l'information sur le véhicule, tout cela à portée de la main, alors on peut cibler les recherches immédiatement en procédant par élimination, mais, souvent, ces délinquants commettent les infractions pas très loin de chez eux. Concrètement, c'est un outil qui s'est révélé utile pour nos enquêteurs.
Le sénateur Runciman : Vous avez soulevé un autre point qui correspond à une hypothèse formulée par les avocats de la défense, et c'est ce que vous avez dit au sujet des infractions qui deviennent de plus en plus graves. L'exemple le plus connu est assurément celui de Paul Bernardo. Est-ce qu'il y a des études qui confirment que dans tant de cas, ça commence par des infractions dites « mineures » pour augmenter graduellement?
M. Westwick : Sénateur, je ne devrais peut-être pas dire ça parce que je vais avoir des problèmes, mais des preuves frappantes de ce phénomène seront diffusées au cours des 24 prochaines heures.
Le sénateur Runciman : D'accord.
M. Westwick : Des preuves frappantes.
Le sénateur Runciman : Merci de nous en faire part.
M. Westwick : On me dit qu'elles ont été diffusées ce matin.
Le sénateur Runciman : Je n'ai pas été très impressionné par le témoignage, et je suis content que vous confirmiez ce que je soupçonnais sur bien des points. Ils ont peur que des personnes ayant commis ce qui, pour eux, appartient à la catégorie des infractions relativement mineures soient visées par le projet de loi. Qu'en pensez-vous?
M. Westwick : Tout simplement qu'il n'y a pas d'agressions sexuelles mineures. En fait, nous allons plus loin que ça. Lorsqu'on parle avec des victimes et qu'on s'assure d'obtenir leur collaboration, ce qui est toujours difficile, on ne peut pas leur dire que c'est une affaire d'importance mineure. Compte tenu du traumatisme subi et des répercussions, on ne peut pas dire que c'est mineur. Je pense que les gens qui disent ça ne comprennent pas la nature de l'infraction et le traumatisme qu'elle engendre. L'agression sexuelle est une chose grave.
Le sénateur Runciman : J'ai une dernière petite question qui concerne votre exposé. Vous avez parlé de l'accès limité des services de police aux banques de données. J'imagine que vous ne pouvez pas répondre pour la GRC, mais vous avez dit qu'il n'y a que deux personnes qui y ont accès au Service de police d'Ottawa.
M. Westwick : C'est six personnes, en fait.
Le sénateur Runciman : Six personnes, d'accord. Ça dit deux dans votre mémoire.
M. Westwick : C'est six personnes sur 2 000.
Le sénateur Runciman : Pourquoi? Y a-t-il des préoccupations relatives au respect de la vie privée? Quel est le problème?
M. McGetrick : Il s'agit d'une enquête réalisée par des experts de façon centralisée. Les 1 400 agents de patrouille peuvent y avoir accès par l'intermédiaire de mon unité d'enquête s'ils en ont besoin. Cependant, comme l'enquête est effectuée au sein de notre section, c'est nous qui sommes les mieux placés pour y avoir accès.
Le sénateur Runciman : Pour vous, ce n'est pas un problème ou une préoccupation?
M. McGetrick : Non. Lorsque des questions concernant le respect de la vie privée sont soulevées, c'est un bon outil à avoir. L'accès est limité, défini et réservé à des fins précises.
M. Westwick : La version qui a été envoyée dit qu'il y a deux personnes qui ont accès à la banque de données, et vous avez une copie de cette version. Nous avons vérifié ce matin, et il y a en fait quatre personnes de plus. C'est un peu gênant pour nous, parce qu'il s'agit de personnes qui ne savaient pas qu'elles ont accès à la banque de données et qui ne l'utilisent pas. En fait, il y a deux personnes qui utilisent déjà le système, et c'est pour cette raison que nous avons apporté la correction.
Le sénateur Runciman : Savent-elles qu'elles peuvent y avoir accès?
M. Westwick : Elles le savent maintenant.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : J'aimerais que vous vous projetiez dans l'avenir, dans six mois disons; et le projet de loi est à ce moment adopté. Nous sommes au mois de septembre 2010. Le projet de loi est adopté tel que présenté, sans modification et sans aucun effet rétroactif ni rétrospectif.
Le système carcéral libère un criminel parce qu'il est à la fin de sa sentence. Ce criminel, donc, condamné il y a huit ou 10 ans, n'est pas admissible à ce registre parce qu'il n'existait pas il y a 10 ans. Et on sait que ce criminel va commettre un crime parce que le système carcéral nous dit, dans un rapport final, que le taux de récidive est très élevé.
Est-ce que nous, en tant que législateurs, ferions preuve d'un manque de responsabilité si ce criminel était libéré sans que nous ayons un moyen de l'inscrire dans un registre quelconque afin d'exercer un contrôle?
J'aimerais que vous me répondiez en tant que policier et avocat.
La présidente : C'est une autre question.
[Traduction]
M. Westwick : Merci, sénateur. Je ne sais pas comment répondre. Il faut peut-être signaler que la police n'a pas présenté ce mémoire en pensant à l'inclusion de l'information sur cette personne dans le registre comme une punition, même si nous comprenons qu'il y a des conséquences. Ce n'est pas que nous ignorons les conséquences, mais nous ne soutenons pas la mesure comme punition supplémentaire. Nous le faisons parce que c'est un outil de prévention. Nous voulons avoir accès à cette information de façon à pouvoir prévenir le crime.
Je ne suis évidemment pas chercheur, mais si les connaissances dans le domaine et les témoignages présentés au Sénat montrent à un moment donné que le taux de récidive n'est pas aussi élevé qu'on nous le dit aujourd'hui, alors il sera peut-être justifié de revenir sur la question de la rétroactivité. Tant que les experts dans notre milieu nous disent que la propension est élevée, que le taux de récidive est élevé, je ne comprends pas pourquoi nous ne voudrions pas disposer de cette information aux fins de prévention.
Le sénateur Joyal : Ma première question s'adresse au sergent d'état-major McGetrick. Hier, nous avons entendu le témoignage d'un de vos collègues de la GRC, Glenn Woods. Je ne sais pas si vous le connaissez. Il a passé 35 ans à la GRC, s'est occupé de plus de 2 500 cas d'agressions sexuelles et a été directeur de la sous-direction des sciences du comportement pendant 10 ans. C'est l'un des spécialistes de la question qui nous occupe aujourd'hui. Dans son témoignage, il a dit que, depuis l'adoption de la LERDS en 2002 et en 2004, le Registre national des délinquants sexuels n'est pas très crédible au sein des services de police.
Vous venez de dire que vous pensiez qu'il n'y avait que deux agents au Service de police d'Ottawa qui auraient accès au registre. Êtes-vous d'accord avec lui lorsqu'il dit que le registre manque de crédibilité au sein du milieu de l'application de la loi? C'est un vaste milieu. Le milieu de l'application de la loi, ce n'est pas seulement la police. C'est tout le monde qui gravite autour de la police. Il parle plus ou moins du système. Comment réagissez-vous à une affirmation aussi forte?
M. McGetrick : C'est difficile à commenter, parce que nous avons eu recours à la loi de Christopher, au registre des délinquants sexuels de l'Ontario, mais nous n'utilisons pas très souvent le registre national.
Assurément, selon mon point de vue sur la loi ontarienne par rapport à la version de 2004 du registre national, je ferais aussi ce commentaire, vu ce que j'ai entendu. Je ne sais pas combien il y a de délinquants en Ontario, mais il y en a plus de 400 qui vivent à Ottawa. D'après ce que je sais, les deux tiers de ces délinquants ne sont même pas inscrits au registre national, parce qu'aucun juge ne le leur a ordonné. Le projet de loi semble corriger beaucoup de ces lacunes.
Très sincèrement, nous avons appliqué efficacement la loi ontarienne. L'inconvénient, c'est que c'est une loi provinciale. Nous ne disposons pas du pouvoir d'arrestation en cas d'infractions mixtes, entre autres, alors nous accueillons favorablement ces changements. Il ne m'appartient pas vraiment de faire des commentaires au sujet du registre national, parce que nous avons le luxe de disposer de notre propre registre, qui est efficace, surtout depuis les modifications apportées à la fin de 2008, qui sont semblables à ce qui est proposé ici aujourd'hui.
Le sénateur Joyal : Nous avons entendu le témoin précédent, Mme Gray-Donald, et je lui présente mes excuses parce que je suis arrivé en retard pour son témoignage. J'ai lu dans son mémoire que seulement 8 p. 100 des infractions sont déclarées, ce qui signifie que la vaste majorité ne le sont pas.
Je ne veux pas être injuste à votre égard, mais est-ce que c'est en partie parce que les victimes ne croient pas que la police est efficace?
M. McGetrick : Je suis sûr que ça fait partie des facteurs. Il y a une multitude de facteurs qui font qu'une victime ne veut pas signaler ce qui lui est arrivé, mais il est assurément fondamental que la police continue de travailler là-dessus. J'aime croire que nous avons fait des progrès importants dans notre façon d'interagir avec les victimes et dans notre compréhension de la chose au cours des 15 ou 20 dernières années, mais je pense que le commentaire est juste. Nous souhaitons joindre ces victimes et travailler avec elles.
Le sénateur Joyal : Vous parlez beaucoup dans votre mémoire de prévention, mais je pense que le concept de prévention est très vaste. La prévention, ce n'est pas seulement d'empêcher les délinquants de récidiver, c'est aussi d'informer les victimes potentielles, surtout celles qui sont ciblées par les prédateurs sexuels, du fait que ce risque existe et des choses en général qui peuvent être faites. Je trouve que le projet de loi comporte un aspect information qui n'est ni bien compris ni mentionné. À mes yeux, il est beaucoup plus important d'informer une personne du fait qu'elle pourrait être une victime que d'empêcher un criminel de s'en prendre à la victime. Les deux choses ont la même importance selon moi. Pourtant, nous n'entendons pas grand-chose de la part des services de police au sujet de cet aspect de la prévention. Est-ce que mon commentaire est juste?
M. McGetrick : Il l'est. Si nous ne menons pas d'enquête, cela peut signifier que le crime ne s'est pas réellement produit. Cependant, je veux m'assurer...
Le sénateur Joyal : Je vous interromps. Dans ces cas, nous savons que les crimes ont été commis.
M. McGetrick : Je veux m'assurer que nous ne blâmons pas la victime de sa victimisation. Les médias parlent des cas d'agression sexuelle sensationnels et étranges. Il est important de savoir que la vaste majorité des victimes sont victimes d'une personne qu'elles connaissent.
Je suis toujours en faveur de l'information, mais je veux m'assurer que nous ne mettons pas l'accent sur la victime et que nous ne la blâmons pas de l'infraction commise. Ce sont les délinquants qui font les mauvais choix.
Le sénateur Joyal : Je sais. Cependant, je lisais dans les journaux ce matin que trois personnes ont été accusées de leurrer des enfants sur Internet. Il est important d'informer les adolescents et les enfants, parce qu'aujourd'hui ils ont accès à Internet à cinq ou six ans. Il est important qu'il y ait des programmes dans les écoles et dans les collectivités pour que l'information soit diffusée auprès de ces groupes cibles.
Nous savons que c'est là que les prédateurs concentrent leurs initiatives. C'est un élément très important de l'efficacité globale du projet de loi, à mon avis. À moins que je ne connaisse pas la réalité à laquelle vous faites face.
M. McGetrick : Je suis d'accord. Nous avons des agents de ressources scolaires. Nous faisons de la prévention. Nous aimerions en faire davantage et nous y travaillons, mais votre observation est juste.
M. Westwick : J'aimerais dire quelque chose, sénateur, si vous le permettez, en réponse à votre préoccupation. Personnellement, la prévention me préoccupe beaucoup, mais je ne crois pas que nous en faisons assez au Canada. Nous en parlons beaucoup, mais ce ne sont que des paroles.
J'ai dit dans mes observations que la prévention a un coût, et ce coût, c'est que ça touche directement les préoccupations relatives au respect de la vie privée et l'équilibre dont la commissaire à la vie privée a parlé. Je ne veux pas que les membres du comité aient l'impression que la police ne se préoccupe pas d'informer la population. J'aurais des problèmes avec mon patron. Les chefs de police et leurs adjoints sont tous occupés tous les soirs de la semaine, et ils participent souvent à plusieurs événements communautaires et assemblées, où ils parlent de toutes sortes de messages de prévention et de messages concernant la sécurité de la collectivité. Dans certains cas, ils s'adressent à trois ou quatre personnes qui prennent part à un petit événement, et parfois, ils participent à des événements importants. Toute la stratégie des services de police repose aujourd'hui sur le fait de fournir cette information aux collectivités pour que les gens puissent faire des choix intelligents au sujet de leur vie, de leur mode de vie et de toutes sortes d'autres choses et quant à la manière dont ils s'occupent de leurs affaires. Fournir de l'information aux collectivités pour qu'elles puissent participer à la planification qui touche leur propre sécurité est un élément essentiel du travail des services de police aujourd'hui.
La présidente : Chers collègues, le temps nous rattrape encore une fois, et je sais que le sénateur Joyal a une dernière question à poser. Je rappelle aux sénateurs, comme je le fais souvent, à quel point il est utile que leurs questions soient concises. Je demande également aux témoins de répondre avec concision, pour que nous puissions avoir le temps de poser plus de questions.
Le sénateur Joyal : Ma dernière question, monsieur Westwick, concerne la dernière partie de votre mémoire. Vous préconisez la collecte de données génétiques au moment de l'arrestation — non pas au moment de l'accusation, mais bien au moment de l'arrestation. Selon votre analyse de l'avis qui a été formulé à la demande du gouvernement par un juge à la retraite de la Cour suprême en 1998, quel aspect de cet avis pourrait soutenir une contestation judiciaire aujourd'hui, puisque vous avez dit qu'il est temps de revenir sur la question? Si nous revenons sur cette question, est-ce parce que les circonstances et les éléments sur lesquels est fondé cet avis juridique ont assez changé pour qu'aujourd'hui la modification de la Loi sur l'identification par les empreintes génétiques résiste à une contestation judiciaire?
M. Westwick : Je vais essayer d'être bref.
La présidente : Vous pouvez toujours répondre en nous fournissant un avis détaillé par écrit.
M. Westwick : Merci. Sénateur, c'est une excellente question, et j'aimerais beaucoup en débattre avec vous. Avec le temps, la Cour suprême du Canada revient sur ce qu'elle a affirmé dans le passé en raison des pressions qu'elle subit, des changements qui touchent la société et de l'influence que tous les aspects de celle-ci exercent sur elle. Ce que nous disons, c'est qu'il est peut-être temps, quelque 14 années plus tard, de se pencher sur cette question et de voir si ces pressions et ces changements qu'a subis la société, ainsi que le point de vue de la Cour suprême elle-même sur un certain nombre de questions, donneraient lieu à un nouvel avis.
Je ne dirais pas qu'il y a dans l'avis du juge des éléments précis qui sont mauvais. Je dirais plutôt qu'il est temps pour les gens qui connaissent bien ce domaine du droit de renouveler leur opinion et de voir s'ils ont le même point de vue qu'il y a 14 ans, compte tenu de tout ce qui s'est produit au sein de la société canadienne depuis.
Le sénateur Joyal : Il n'y a donc aucun élément précis qui, aujourd'hui, vous amènerait à conclure que ce critère soutiendrait l'examen du tribunal.
M. Westwick : J'aimerais croire qu'il y en a plusieurs, mais peut-être aurons-nous l'occasion d'en reparler.
Le sénateur Carstairs : Vous avez parlé du fait que la prévention a un coût, mais, ensuite, vous avez parlé des préoccupations relatives au respect de la vie privée. Je ne comprends pas le lien que vous faites entre la prévention et les préoccupations relatives à la vie privée.
M. Westwick : Au sujet du projet de loi, la commissaire à la vie privée parle d'un équilibre, et c'est une chose que nous comprenons. Si les préoccupations relatives au respect de la vie privée n'étaient pas un enjeu et si le respect de la vie privée n'était pas aussi valorisé par la société canadienne et par le Parlement du Canada, nos observations seraient très différentes.
Le sénateur Carstairs : Qu'est-ce que cela a à voir avec la prévention?
M. Westwick : Plus la police a d'information, plus elle peut faire de prévention et agir de façon proactive. Cependant, il doit y avoir un équilibre entre la démarche proactive et la prévention et la prudence, selon moi. C'est pourquoi nous formulons des remarques qui, nous l'espérons, témoignent de notre responsabilité à cet égard.
Le sénateur Carstairs : Monsieur Westwick, votre idée de la prévention et la mienne sont diamétralement opposées. Je parle d'informer les enfants, d'informer les parents et d'informer les enseignants des enfants, surtout, pour que les enfants ne deviennent pas des victimes d'agression sexuelle.
M. Westwick : Oui.
Le sénateur Carstairs : Vous parlez d'une initiative de prévention de la police. Que pensez-vous du genre de programme de prévention dont je parle?
M. Westwick : Ce sont des programmes extraordinaires, et la police en a depuis des années. Elle va continuer d'en avoir et leur donner de l'ampleur. Je suis avec vous de tout cœur, sénateur Carstairs.
Le sénateur Carstairs : Je ne pense pas que c'est la police qui devrait s'occuper de ces programmes.
J'aimerais aborder la question de l'attitude des agents de police à l'égard des agressions sexuelles. Pendant des années, et je pense que vous en conviendrez, les agents de police qui intervenaient en cas de violence familiale étaient très mal à l'aise. Il y a eu beaucoup de progrès à cet égard, et je vous dirais que je crois que l'agent de police d'aujourd'hui n'a pas de problème particulier à ce chapitre.
Y a-t-il encore un stigmate touchant la famille et l'inceste, qui constitue une partie importante des agressions sexuelles, dans la relation entre la famille et la police?
M. McGetrick : Je dirais que non. Mon équipe est extrêmement bien formée, renseignée et très sensible aux besoins des victimes, et surtout des enfants. Vu mes 23 années d'expérience, je suis tout à fait d'accord avec une bonne partie de vos commentaires. J'ai constaté beaucoup de changements positifs.
Bon nombre de victimes rencontrent un policier avant de voir un détective, et nous offrons beaucoup de formation aux agents de première ligne qui comporte des directives et des choses concernant les attitudes. Cela commence dès la formation de base aujourd'hui, alors je pense que nous avons fait d'importants progrès à cet égard.
Le sénateur Carstairs : D'après les chiffres, les enfants doivent parfois dire à huit personnes qu'ils ont été agressés sexuellement avant qu'on ne les croie. Est-ce que c'est ce que vous avez constaté?
M. McGetrick : Non. L'enquête n'est pas la même dans un cas d'agression sexuelle que dans un cas de conduite en état d'ébriété, où il y a des éléments de preuve technique qui sont assez concluants. L'enquête relative à une agression sexuelle comporte un élément qui a trait au comportement humain et un élément d'interprétation. Non, dans toute enquête concernant un enfant ayant été agressé sexuellement, notre objectif est d'intervenir immédiatement. Même si ça semble horrible, nous ne voulons même pas que les parents parlent à leur enfant. Nos gens sont formés pour leur parler, pour les écouter et pour obtenir la version des faits la plus proche de la vérité possible. À la lumière de mon expérience, très franchement, je ne pense pas du tout que ce que vous avez laissé entendre soit vrai.
La présidente : Monsieur Westwick, si je peux revenir sur votre mémoire, vous demandez l'adoption d'un amendement; vous dites que l'article 15.1 devrait prévoir une obligation d'avis par Service correctionnel Canada. Je ne vois pas d'article 15.1 dans le projet de loi. Proposez-vous l'adoption d'une nouvelle disposition qui deviendrait l'article 15.1?
M. Westwick : Donnez-moi un instant pour vérifier où j'ai parlé de ça
La présidente : L'article 15 figure à la page 9 du projet de loi, et c'est également à la page 9 de votre mémoire que vous en parlez.
M. Westwick : Je ne suis pas sûr de savoir comment répondre. Peut-être pourrais-je vérifier et vous en reparler. Je me suis évidemment trompé de numéro d'article, et je vais vérifier.
Cependant, ça ne change pas mon idée. D'après ce que je sais, à l'heure actuelle, l'avis est discrétionnaire, et, ce que nous proposons, c'est qu'il ne le soit plus; il faut qu'il devienne obligatoire. Si j'ai cité le mauvais numéro d'article, je m'en excuse.
La présidente : Peut-être que je lis mal le projet de loi parce que je me perds dans ses méandres.
L'autre chose que vous dites à la même page de votre mémoire concerne les données. Vous dites dans le mémoire qu'il faut qu'il y ait une disposition exigeant la vérification des adresses. Lorsque vous avez présenté votre exposé, vous avez parlé d'une disposition permettant la vérification des adresses, et non d'une disposition l'exigeant. Était-ce simplement une variation élégante, ou avez-vous fait ce changement pour une raison quelconque?
M. Westwick : Je l'ai fait pour une raison. Je pense que c'est mieux dit. J'ai déjà présenté des exposés du genre, et je dirais que c'est la première fois que j'ai fourni mes observations à l'avance. Je ne le referai plus.
La présidente : Ne laissez pas cela vous dissuader de le faire, parce ça nous est très utile.
Les recherchistes ont trouvé l'article 15.1, alors vous n'aurez pas besoin de le faire vous-même.
La raison pour laquelle j'ai posé cette question au sujet de la différence entre le fait d'exiger et le fait de demander la vérification des adresses a trait aux ressources. On a laissé entendre que d'exiger de la police qu'elle vérifie toutes les adresses tous les six mois prendrait beaucoup de temps qui pourrait être utilisé de façon plus appropriée pour des activités plus directement liées à la prévention ou pour des enquêtes sur des infractions. Je me demandais si ça vous a préoccupé quand vous vous êtes adressé à nous.
M. Westwick : Pas particulièrement. Ça m'a préoccupé quand j'ai examiné la loi en vigueur. D'après ce que je comprends, le pouvoir de vérification découle de la déclaration de principe dont je dirais que le libellé est vague. J'aurais peur qu'un avocat entreprenant décide un jour de contester ce pouvoir. J'ai pensé qu'il fallait profiter des modifications apportées au projet de loi pour faire en sorte que la loi aborde plus précisément la question du processus de vérification. La différence touchant le libellé n'était pas très grande. C'est ce que j'ai pensé.
Je suis toujours inquiet, parce que je passe une bonne partie de la journée à répondre à ce genre de contestations de l'autorité policière, et, dans bien des cas, les tribunaux sont réticents à affirmer l'autorité de la police, surtout dans un domaine comme celui-ci, qui touche le respect de la vie privée. J'aurais peur que nous ayons à faire face à une demande et que la difficulté vienne du fait que nous ne pouvons que citer la déclaration de principe, auquel les tribunaux ont parfois recours, mais pas toujours. Nous serions beaucoup plus à l'aise si c'était mentionné explicitement dans la loi.
La présidente : Sergent McGetrick, avez-vous des commentaires à formuler sur la question des ressources? Une chose que M. Westwick a dite et qui m'a frappée, c'est que sept jours, c'est mieux que 15. Si nous ne disposons pas des ressources pour saisir les données, pour les analyser et pour faire ce qu'il faut faire avec les données, peu importe, le processus ne serait pas aussi rapide. Qu'en est-il de toute la question des ressources? Est-ce que c'est une préoccupation?
M. McGetrick : Je pense que ça en serait une du point de vue de l'application rétrospective. J'aimerais beaucoup que ça se fasse; je pense que c'est une excellente initiative. S'il fallait saisir des données sur le passé, ce serait peut-être une préoccupation, mais s'il s'agit de sept jours ou de 15 jours, aucun problème de ressource ne se pose pour nous; le processus fonctionne en Ontario pour ce qui est de la conformité, des vérifications et d'autres choses du genre. À Ottawa, en tout cas, ça fonctionne très bien.
La présidente : Merci beaucoup à vous deux. Ce fut une séance très utile et très intéressante.
M. Westwick : C'est vraiment un plaisir et un honneur de venir ici, et nous vous remercions de nous en avoir offert l'occasion.
M. McGetrick : Merci.
[Français]
La présidente : Nous allons entendre avec notre troisième groupe de témoins, des gens fort importants pour les fins de notre étude. Il s'agit du Service correctionnel du Canada, avec M. Andrew Harris, gestionnaire principal de recherche et de Sécurité publique Canada, avec M. James Bonta, directeur de recherche correctionnelle au groupe de la recherche correctionnelle et qui a déjà comparu devant nous.
[Traduction]
Je crois que c'est vous qui allez commencer, Monsieur Bonta.
James Bonta, directeur, Recherche correctionnelle, Groupe de la recherche correctionnelle, Sécurité publique Canada : Je remercie le comité de m'avoir invité à lui adresser la parole. Je tenterai d'être très bref.
J'ai passé les 30 dernières années à essayer de comprendre ce qui fonctionne dans les programmes de réinsertion sociale des délinquants. Quand je parle de réinsertion sociale des délinquants, je fais allusion aux efforts systématiques qui sont déployés pour réduire de manière efficace le taux et le risque de récidive des délinquants.
Au fil des ans, des chercheurs au Canada ont examiné les études réalisées et plus de 370 essais de programmes d'intervention visant à réduire le taux de récidive chez les délinquants. En moyenne, nous avons constaté que les traitements offerts aux délinquants réduisent le risque de récidive d'environ 8 points de pourcentage. Ce chiffre peut vous sembler peu important, mais c'est quand même considérable compte tenu du grand nombre de délinquants.
Cette réduction de 8 p. 100 est intéressante, à tout le moins, pour moi. Quand nous examinons les centaines d'études, nous constatons également que certaines d'entre elles indiquent une diminution très importante du taux de récidive, tandis que d'autres programmes de traitement n'affichent pas des résultats aussi probants. En fait, certaines études montrent que les traitements peuvent faire augmenter le risque de récidive des délinquants.
Quand nous examinons ces études, nous tentons de déceler des tendances. Quels sont les types d'interventions qui ont des répercussions positives constantes sur le taux de récidive? Nous avons cerné un certain nombre de principes généraux qui peuvent être associés aux programmes les plus efficaces.
Le premier principe est celui que nous appelons le principe du risque. Il indique que les programmes de traitement sont plus efficaces quand ils ciblent les délinquants à risque moyen ou élevé. Quand nous fournissons des services d'intervention aux délinquants à faible risque, les effets sont minimes. En ce qui concerne les ressources, nous recommandons qu'un accent soit mis sur les délinquants à risque moyen ou élevé.
Le second principe est celui du besoin, et il concerne les facteurs que ces programmes devraient cibler. Plus particulièrement, nous suggérons le traitement de ce que nous appelons des facteurs criminogènes. Les délinquants ont divers types de besoins, dont certains ne sont pas reliés à leur comportement. Les facteurs criminogènes sont directement liés à leurs activités criminelles. L'abus d'alcool ou d'autres drogues en est un exemple.
Le troisième principe, la réceptivité, concerne le traitement que nous réservons aux délinquants. Du point de vue du counseling, il semble que, avec les délinquants, les interventions de type cognitivo-comportemental, qui sont très concrètes et mettent l'accent sur leur manière de penser, soient plus efficaces.
Il y a donc trois principes. Le risque : qui voulons-nous traiter? Le délinquant dont le niveau de risque est élevé. Que voulons-nous traiter? Les facteurs criminogènes. Comment traitons-nous ces facteurs criminogènes? En utilisant des interventions de type cognitivo-comportemental.
Quand nous évaluons les programmes de traitement en nous fondant sur ces trois principes, nous remarquons des différences très marquées. Les programmes qui ne suivent pratiquement pas ces principes n'ont presque pas d'effets. Cependant, les programmes de traitement qui respectent les trois principes peuvent donner lieu à une réduction du taux de récidive pouvant aller jusqu'à 35 p. 100. Plus tôt, j'ai parlé des études générales et d'une réduction de 8 p. 100, mais si nous mettons l'accent sur les programmes qui respectent ces trois principes, nous pourrons obtenir des résultats beaucoup plus importants.
Nous avons pu constater que les programmes qui suivent ces principes peuvent également servir au traitement des délinquantes. Ces programmes peuvent même être utilisés pour les jeunes délinquants. Avant de demander à mon collègue, M. Harris, de continuer, je vais brièvement parler de la manière dont ces principes s'appliquent au traitement des délinquants sexuels.
Les recherches portant sur le traitement des délinquants sexuels ont été controversées. Notre groupe de recherche à Sécurité publique Canada, dirigé par le Dr Karl Hanson, a réalisé un examen des programmes de traitement qui ciblent les délinquants sexuels en tenant compte de deux choses. Premièrement, nous voulions seulement étudier les évaluations de grande qualité. Les études sur les traitements qui ciblent les délinquants sexuels pèchent par des évaluations très médiocres. Nous avons donc choisi seulement les évaluations de grande qualité parmi les centaines de programmes possibles. Puis nous nous sommes posé une question : ces trois principes — le risque, les besoins, la réceptivité — peuvent-ils nous apprendre quelque chose au sujet du traitement des délinquants sexuels?
Malheureusement, après avoir éliminé les études de piètre qualité, il ne restait que 23 évaluations bien menées sur des programmes de traitement. Même si ce nombre est petit par rapport au nombre d'études qui portent sur les délinquants en général, les résultats semblent indiquer une tendance à s'attacher à ces trois principes. Les programmes de traitement qui respectent les principes du risque, des besoins et de la réceptivité donnent lieu à des réductions plus importantes du taux de récidive que les programmes qui ne suivent pas ces principes.
J'espère que cette information sur les interventions dont bénéficient les délinquants sexuels vous sera utile dans vos délibérations. Je vais maintenant céder la parole au Dr Harris, qui se spécialise dans l'évaluation du risque chez les délinquants sexuels.
Andrew J.R. Harris, gestionnaire principal de la recherche, Service correctionnel Canada : Bonjour, mesdames et messieurs les sénateurs. La mise en liberté des délinquants sexuels dans la collectivité constitue souvent un important sujet de préoccupation pour le public, ce qui est tout à fait compréhensible. Selon les données du Centre canadien de la statistique juridique, le nombre d'agressions sexuelles déclarées à la police a atteint un maximum en 1993 et n'a cessé de diminuer depuis. Ces données concordent avec celles d'autres pays et montrent que les délinquants sexuels qui sont mis en liberté ne récidivent pas autant qu'ils le faisaient par le passé.
Même si l'on ne s'entend pas sur les raisons qui pourraient expliquer cette diminution des taux de récidive, tout le monde reconnaît cependant que les taux de récidive ont bel et bien diminué. La diminution des taux de récidive des délinquants sexuels est telle que le principal outil qui est utilisé à l'échelle internationale pour prévoir le risque de récidive sexuelle, l'échelle Statique-99, a dû récemment être modifié pour tenir compte de cette nouvelle tendance. Veuillez vous reporter au tableau 1 du document qui vous a été distribué pour une comparaison des anciens et des nouveaux taux de récidive sexuelle. Ce tableau montre que les taux de récidive ont diminué de près de 50 p. 100 dans plusieurs pays.
Même si toutes les infractions avec violence, peu importe leur gravité, sont très préoccupantes, la recherche montre que les risques que pose pour une collectivité la mise en liberté de délinquants sexuels sont souvent surestimés.
Permettez-moi de vous présenter quelques informations sur deux facteurs qui illustrent comment le risque que présentent les délinquants sexuels peut varier. Pour la plupart des gens, les délinquants sexuels sont tous dangereux et présentent tous un risque élevé de récidive. Dans les faits, ce n'est pas le cas.
En 2004, j'ai publié le document Sex Offender Recidivism : A Simple Question?, avec mon ami et collègue, R. Karl Hanson. Vous m'avez demandé de vous en parler aujourd'hui.
Tout d'abord, nos recherches ont révélé des différences importantes entre le risque que posent les différents types de délinquants sexuels pour la collectivité. Comme vous pouvez le constater dans le tableau 2 du document qui vous a été distribué, le pourcentage des délinquants condamnés pour inceste qui récidivent et commettent une nouvelle infraction de nature sexuelle après cinq, 10 et 15 ans est beaucoup plus faible que celui des pédophiles qui s'attaquent à des garçons (les pédophiles qui s'attaquent à des filles et les violeurs se situent entre les deux extrêmes). Même si ces données datent de quelques années, nous n'avons aucune raison scientifique de croire que les taux de récidive, selon le type de délinquant sexuel, ont changé.
Par ailleurs, des instruments de prédiction actuariels nous permettent de classer de manière fiable et crédible les délinquants sexuels selon le niveau de risque qu'ils présentent (du niveau le moins élevé au niveau le plus élevé). Des données provenant d'un groupe représentatif de plus de 4 000 délinquants sexuels mis en liberté, incluant des échantillons de plusieurs pays, indiquent qu'environ 40 p. 100 des délinquants sexuels seront classés à faible risque, 30 p. 100 à risque faible à modéré, 20 p. 100 à risque modéré à élevé et 10 p. 100 à risque élevé.
Le tableau 3 montre que la probabilité de récidive varie considérablement selon le niveau de risque. Par conséquent, après cinq ans dans la collectivité, on pourrait s'attendre à ce que seulement 2,8 p. 100 des délinquants à faible risque aient récidivé comparativement à 17,9 p. 100 des délinquants à risque élevé. Le risque de récidive varie donc en fonction du niveau de risque des délinquants.
La seule façon valable d'évaluer le risque de récidive d'un délinquant sexuel une fois qu'il est en liberté dans la collectivité est de procéder à une évaluation actuarielle du risque. J'ai inclus à votre intention deux exemples d'outils qui sont souvent utilisés dans le document qui vous a été distribué. Il s'agit de l'échelle Statique-99 et de l'ERRRS.
En terminant, je vous remercie de l'attention que vous m'avez accordée et de m'avoir invité à participer au processus législatif.
La présidente : Merci beaucoup. Vous nous avez donné matière à réflexion.
Le sénateur Wallace : Merci de votre exposé. Vous avez souligné que, depuis 1993, il y a eu diminution des taux de récidive. Selon vous, quel impact le Registre national des délinquants sexuels et le Registre des délinquants sexuels de l'Ontario ont-ils eu sur les taux de récidive?
M. Harris : Je ne connais pas de données sur les répercussions de ces registres. Les meilleures études sur les registres proviennent des États-Unis. On ne peut pas se fier à ces données en ce qui concerne le Canada parce que les Américains ont des registres et des avis publics, ce qui n'est pas prévu dans le cadre du projet de loi. Les résultats des enquêtes sur l'efficacité de ces registres américains sont extrêmement variables. C'est le moins que l'on puisse dire. Elles n'offrent pas de données que nous pouvons appliquer au projet de loi proposé ou à l'expérience ontarienne.
Le sénateur Wallace : D'autres témoins ont dit qu'il y a des différences importantes entre le système américain de registres de délinquants sexuels et notre système canadien. Ils nous ont avertis de ne pas comparer directement les expériences américaine et canadienne.
Selon votre expérience, quel est votre point de vue? Semblerait-il que l'enregistrement et la compilation de cette information dans le Registre national des délinquants sexuels ont des effets sur les taux de récidive? C'est, en tout cas, l'impression que m'ont donnée les forces de l'ordre.
M. Harris : Les raisons pour lesquelles les délinquants sexuels commettent ce type d'infractions sont très variables. Premièrement, je répéterai que, dans environ 80 p. 100 des cas d'infractions avec violence, y compris les infractions sexuelles, l'auteur du crime connaît très bien sa victime. Ce sont souvent des infractions commises par des personnes intimes.
Deuxièmement, seulement environ 30 p. 100 des délinquants sexuels ont des préférences sexuelles, en particulier, pour des victimes infantiles. Pour le reste, il s'agit de ce que l'on pourrait qualifier d'infractions circonstancielles ou de pouvoir.
M. Bonta : Je n'ai pas grand-chose à ajouter sur les registres et les causes de la diminution des taux de récidive. Cette diminution a commencé en 1993, avant la création des registres dans plusieurs endroits. De plus, cette tendance s'affiche à l'échelle internationale, dans des endroits où il n'y a pas de registres.
M. Harris : Nous avons examiné les études à ce sujet, et j'ai fait référence à Finkelhor et Jones dans le document que je vous ai distribué. La solution comporte plusieurs facteurs. On met davantage l'accent sur la prévention. Comme M. Bonta l'a mentionné, les avancées dans les traitements offerts aux délinquants sexuels et l'attention qu'on porte à ces traitements réduisent directement les taux de récidive. Il faut également reconnaître le rôle de la prise de conscience sociétale à l'égard des agressions sexuelles et des forces de l'ordre. J'ai l'impression que l'on parle beaucoup plus des agressions sexuelles. Par exemple, des hommes haut placés qui ont commis ce genre d'infractions sont maintenant poursuivis en justice. Je n'ai aucun souvenir de ce genre de choses dans ma jeunesse.
Il y a également les programmes Prudenfants et d'autres programmes semblables dans les écoles. On a livré un combat sur de nombreux fronts contre les infractions sexuelles.
Le sénateur Wallace : Il n'y a évidemment pas de solution unique qui s'appliquerait à toutes les circonstances. Nous disposons d'un certain nombre d'outils.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : J'aurais quelques brèves questions à vous poser. La première s'adresse au Dr Bonta. Votre travail consiste à mettre particulièrement l'accent sur les prédateurs sexuels qui représentent le plus haut risque. Ai-je bien compris?
[Traduction]
M. Bonta : Je dois clarifier cela, monsieur le sénateur. Pour être plus précis, selon le principe du risque, l'intensité des services de traitement devrait être compatible avec le niveau de risque du délinquant. Nous savons que les délinquants ont des niveaux de risque variables, et, selon le principe du risque, un délinquant à risque plus élevé doit suivre un traitement beaucoup plus long qu'un délinquant à faible risque. Selon nos estimations actuelles, qui portent sur les jeunes délinquants à risque élevé, ces délinquants auraient besoin d'un minimum de 100 heures de traitement.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Quel est le pourcentage de prédateurs sexuels incarcérés qui suivent un traitement durant les cinq ou 10 ans de leur incarcération?
[Traduction]
M. Bonta : Je vais rediriger cette question vers M. Harris, qui travaille au Service correctionnel du Canada et qui peut peut-être mieux y répondre.
M. Harris : Sénateur, à l'heure actuelle, au Service correctionnel du Canada — ces chiffres ne sont pas à jour — mais nous avons environ 12 000 détenus. Si ma mémoire est bonne, selon les dernières statistiques que j'ai consultées, 17 p. 100 de ces détenus sont des délinquants sexuels. On offrira un traitement à tous ces délinquants sexuels. Je suis désolé; de mémoire, je ne sais pas combien de ces délinquants sexuels accepteront de suivre un traitement.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Les données que j'ai datent de 2007, et provient d'une étude menée par votre service. Le ministre a créé un groupe de travail pour revoir les programmes de réhabilitation dans le secteur pénitencier. On dit qu'un criminel sur deux participera à un programme de réhabilitation. Les coûts s'élèvent à environ deux milliards de dollars pour le pays, et 40 p. 100 de cette somme sont affectés aux prédateurs sexuels. Est-ce que ces données vous disent quelque chose?
[Traduction]
M. Harris : Je ne peux pas commenter ces données directement; je suis désolé.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Voici ma dernière question. Vous dites que, effectivement, depuis une vingtaine d'années, le nombre de crimes à caractère sexuel diminue. Vous ai-je bien compris?
[Traduction]
M. Harris : Oui, monsieur, c'est exact.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Est-ce que vous connaissez les statistiques sur les disparitions? Durant la même période où il y avait à peu près 15 p. 100 moins de crimes à caractère sexuel, on enregistrait 40 p. 100 plus de cas de disparition, particulièrement des enfants. Je pourrais vous nommer plusieurs cas, dont celui de Cédrika Provencher, qui est très connu.
Est-il possible que le nombre de criminels n'ait pas diminué, mais que les criminels soient plus habiles pour ne pas se faire prendre?
[Traduction]
M. Harris : Sincèrement, sénateur, selon mon expérience personnelle, je répondrais non. Je peux seulement répondre à cette question en ce qui concerne les jeunes victimes, mais, même si ces enfants ne déclarent pas les crimes dont ils sont les victimes, selon mon expérience clinique, il y en a beaucoup plus qui les déclarent qu'auparavant.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Ce n'était pas ma question. Ma question, c'est que, durant la période où il y avait 15 p. 100 moins de crimes, 40 p. 100 plus de personnes disparaissaient. Il y a une personne sur sept qu'on retrouve et six personnes sur sept qu'on ne retrouvera jamais, particulièrement des enfants.
Selon cette statistique, est-il possible que le nombre de criminels n'ait pas nécessairement diminué, mais que les criminels soient plus habiles pour ne pas se faire prendre, ce qui rendrait questionnable l'efficacité des programmes de réhabilitation pour ces criminels?
[Traduction]
M. Harris : Il n'y a pas de données à l'appui de cela, monsieur le sénateur.
Le sénateur Runciman : Merci d'être venus aujourd'hui. Ces données sont intéressantes. Vous faites beaucoup confiance aux statistiques de Juristat et d'autres sources. Pouvez-vous confirmer que les statistiques de Statistique Canada et de Juristat se limitent véritablement aux délinquants sexuels qui sont mis en liberté sous condition ou dont le mandat est expiré?
M. Harris : En ce qui concerne Juristat, sénateur, la réponse est non. Il s'agit d'infractions sexuelles déclarées à la police.
Le sénateur Runciman : Ces statistiques portent sur les personnes qui sont mises en liberté sous caution, en probation ou en liberté conditionnelle et qui commettent des infractions sexuelles?
M. Harris : Oui. Les statistiques comprennent ces personnes, mais également les personnes qui commettent leurs premières infractions sexuelles.
Le sénateur Runciman : On m'a dit que ce n'était pas le cas, du moins pour Juristat. Dans tous les cas, si j'ai tort, j'ai tort.
J'aimerais savoir comment votre exposé d'aujourd'hui s'applique au projet de loi que nous étudions. Vous êtes ici pendant que nous étudions le registre des délinquants sexuels et les changements qu'on propose d'y apporter. La plupart des témoins croient qu'il s'agit d'améliorations. Je ne suis pas certain de comprendre ce qu'est votre message final à l'égard de ce que vous percevez comme la réduction du taux de récidive et l'amélioration des traitements.
Voulez-vous laisser entendre que, selon vous, il n'est pas nécessaire d'améliorer le registre des délinquants sexuels? Ne croyez-vous pas qu'il est nécessaire de poursuivre l'enregistrement des délinquants sexuels à l'avenir? Je suis curieux de savoir comment votre témoignage s'applique à la question que nous étudions.
M. Harris : Je n'ai rien à dire sur l'objet du projet de loi. L'objectif de mon exposé est de souligner le fait que les niveaux de risque que présentent les délinquants sexuels pour la collectivité varient beaucoup. Par conséquent, si vous choisissez de suivre tous les délinquants sexuels, vous suivrez un grand pourcentage de personnes qui posent un risque relativement faible. Dans ce cas, le registre contiendra à la fois les noms de personnes qui posent un risque relativement faible et les noms de personnes qui posent un risque élevé.
En ce qui concerne le registre et les personnes qu'il vise, je pense que vous feriez peut-être mieux de vous concentrer sur celles qui posent le plus grand risque pour la société.
M. Bonta : Si vous me demandez mon avis final, je suis d'accord avec M. Harris. En somme, les niveaux de risque des délinquants varient. Cela compte certainement pour quelque chose.
L'objectif de mon exposé était de montrer que les risques de récidive des délinquants peuvent être modifiés grâce à des programmes de traitement de qualité. Je pense que les répercussions positives des traitements efficaces sur les niveaux de risque des délinquants sexuels comptent pour quelque chose.
Le sénateur Runciman : Je suppose que vous êtes d'avis que ces obligations sont lourdes dans le cas d'une personne qui ne récidive pas. On nous a indiqué que, si la personne ne commet pas d'infractions pendant un certain nombre d'années, ces obligations sont retirées. Si vous écoutez les gens qui travaillent directement dans le domaine de la sécurité publique — et vous avez entendu le témoignage plus tôt — ils croient que ces personnes devraient être dans le registre; il n'y a aucun doute. Nous verrons une étude, qui sera apparemment publiée aujourd'hui, qui montre que la gravité des infractions augmente avec le temps.
La présidente : Je ne crois pas qu'il s'agissait d'une référence à une étude, monsieur Runciman. Je crois qu'on faisait allusion à des événements imminents. Je pense que les médias nous en parlent beaucoup.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : On sait que les criminels qui commettent leur premier crime à caractère sexuel, dans la majorité des cas, vont recevoir deux ans moins un jour comme sentence. Pour qu'ils aient une sentence de plus de deux ans, c'est parce qu'ils vont en être à leur deuxième ou troisième agression sexuelle. Lorsqu'on considère que, dans beaucoup de prisons provinciales au Canada, il n'y a aucune mesure pour les prédateurs sexuels, est-ce qu'on ne s'achète pas des gros problèmes comme société si on ne traite pas ces criminels dès qu'ils commettent une agression sexuelle sur une femme ou un enfant plutôt que d'attendre qu'ils soient dans le système fédéral où là, il y a des mesures plus performantes. Comme société, est-ce qu'on s'achète des problèmes quand on ne traite pas les criminels à leur premier crime, mais qu'on attend qu'ils en commettent deux ou trois. Ils vont se ramasser dans une prison fédérale et là il y a de meilleurs programmes. Ne devrait-on pas intervenir le plus rapidement possible dans leur carrière de criminels?
[Traduction]
M. Bonta : Sénateur, je vais essayer de répondre à votre question. Dans nos recherches, nous traitons beaucoup des provinces et des territoires, et je connais assez bien les divers systèmes qui existent. Il est vrai que les programmes disponibles dans les provinces et territoires varient. Certaines provinces et certains territoires ont de bons programmes, non seulement pour les détenus, mais également pour les personnes en probation.
Ce que j'aimerais souligner à votre intention, c'est que l'incarcération de délinquants à faible risque a un certain effet criminogène. Cet argument selon lequel on devrait rapidement intégrer les délinquants dans le système fédéral, où ils peuvent avoir accès à des programmes, doit être confronté au fait que, si l'on met un délinquant à risque relativement faible qui a été pincé tôt dans sa carrière dans un milieu où il sera entouré de délinquants à risque élevé, on risque d'exposer ce délinquant à des personnes qui le dirigeront sur une autre voie. Il faut faire la part des choses.
La présidente : J'ai une question supplémentaire qui s'ajoute à ce que le sénateur Runciman voulait dire, je crois. Dans quelle mesure le fait que les délinquants ou les délinquantes, mais surtout les délinquants, croient qu'ils se feront prendre a-t-il un effet sur le risque de récidive? Autrement dit, si un délinquant croit que le fait que son nom soit dans un registre de délinquants sexuels augmente les risques qu'il se fera prendre, cela a-t-il des répercussions sur son risque de récidive?
M. Bonta : Nous n'avons pas de données précises à ce sujet. Je pourrais dire quelques mots sur la menace d'un châtiment et sur la mesure dans laquelle cette menace réussit à dissuader les délinquants. Selon un modèle économique général, les délinquants pèsent le pour et le contre avant de prendre une décision. Malheureusement, la grande majorité des délinquants sont très impulsifs et ne prennent pas le temps de sortir leur calculatrice. Dans certains crimes, et c'est le cas des crimes à caractère sexuel, je pense, les émotions ont un rôle important à jouer, et la logique est mise de côté.
Le sénateur Carstairs : Pouvez-vous nous donner des statistiques sur le nombre de détenus qui choisissent de participer aux programmes? Vous avez dit que des programmes sont offerts à 100 p. 100 des délinquants sexuels, et, c'est excellent, mais j'aimerais savoir combien d'entre eux choisissent d'y participer. Aussi, combien de temps passent-ils dans un établissement avant d'être intégrés à un programme? Selon l'information que j'ai eue, ils peuvent passer beaucoup de temps dans un établissement avant d'avoir accès au counseling et à l'aide dont vous avez parlé.
Ma question est, en fait, liée à l'étude que vous avez réalisée, monsieur Harris, et à la catégorie des délinquants à faible risque. Essentiellement, il s'agit de ceux qui sont coupables d'inceste. Dans vos études, le taux de récidive peu élevé est-il lié au fait que ce genre de crime a habituellement lieu à la maison et que l'enfant grandit. Il ne peut donc plus être une victime, et le délinquant ne peut pas récidiver.
Cela est-il lié au fait que les délinquants, au sein de la dynamique familiale, ont l'impression que leurs enfants leur appartiennent? Il leur paraît donc parfaitement acceptable qu'ils puissent en faire ce qu'ils veulent. Heureusement, ce n'est pas l'opinion de la grande majorité.
M. Harris : Nos recherches montrent que les délinquants sexuels ont assez souvent des idées très tordues sur l'acceptabilité et le droit relatifs aux relations sexuelles avec des enfants, en particulier, à la maison. Cependant, j'aimerais ajouter que la plupart des auteurs d'actes incestueux ont tendance à ne pas commettre d'infractions à l'extérieur de la maison, bien que ce ne soit pas le cas de tous ces délinquants. Vous me pardonnerez d'utiliser un terme controversé, leur bassin de victimes, c'est-à-dire les personnes qu'ils considèrent comme des victimes possibles, est relativement restreint comparativement à celui des délinquants qui sont prêts à commettre leurs infractions à l'extérieur de la maison. Leur niveau de risque est donc moins élevé.
De plus, ces choses ont tendance à se savoir d'une manière ou d'une autre; surtout, dans la longue mémoire des familles, ces actes ont tendance à être révélés quand les petits-enfants commencent à faire leur apparition. J'ai personnellement dirigé des programmes de traitement dans la collectivité dans le cadre desquels l'auteur d'actes incestueux n'a été dénoncé qu'avec l'arrivée imminente de petits-enfants. Personnellement, je pense — et je soulignerais que cette opinion ne fait pas l'unanimité — je pense qu'il est important que ces hommes suivent un traitement parce qu'ils ont souvent tendance à minimiser les répercussions de leurs infractions, ce qui est à la fois surprenant et exaspérant. Il reste que très peu de familles sont prêtes à les exclure de l'unité familiale. Ces hommes ont toujours des liens avec leur famille.
Le sénateur Carstairs : Merci.
Le sénateur Joyal : J'aimerais revenir sur la statistique que vous avez mentionnée plus tôt, docteur Harris, selon laquelle 80 p. 100 des délinquants connaissent leur victime.
M. Harris : Oui. Je l'ai mentionnée dans mon exposé.
Le sénateur Joyal : Vous avez également mentionné que d'autres facteurs entrent bien sûr en jeu en ce qui concerne ces 80 p. 100, y compris la possibilité et le pouvoir — autrement dit, certains délinquants sont responsables d'un ou de plusieurs enfants, ou ont la possibilité d'interagir avec des enfants.
Cette statistique s'applique-t-elle aux 40 p. 100 des délinquants à faible risque, aux 30 p. 100 des délinquants à risque moyen et ainsi de suite? Autrement dit, quelle est la ventilation applicable à ces 80 p. 100? Ces délinquants ont-ils tous le même niveau de risque? Voyez-vous le lien que j'essaie d'établir?
M. Harris : Oui. En fait, je ne connais pas la réponse.
M. Bonta : Je crois que, au sein de ces 80 p. 100, vous verriez environ la même répartition de délinquants à risque faible à élevé. Quant aux 20 p. 100 de délinquants qui ne connaissent pas leurs victimes, ils représentent peut-être une proportion plus élevée de délinquants à risque élevé.
Le sénateur Joyal : Dans ce contexte, je sais que les opinions sont très diversifiées en ce qui concerne la relation entre l'homosexualité et la pédophilie. Avez-vous des données ou des statistiques sur les liens qu'on pourrait établir entre cela et les statistiques qui sont indiquées au tableau à la page 3 de votre rapport?
M. Harris : Je n'ai jamais fait d'études à ce sujet, mais je pourrais vous fournir de l'information là-dessus. Une panoplie d'études à ce sujet ont récemment été invoquées dans les médias en raison des commentaires faits par un évêque catholique, je pense, au cours du dernier mois. Essentiellement, il n'y a pas de relation prouvée scientifiquement entre l'homosexualité et l'attirance envers les enfants. Selon mon expérience clinique et les lectures que j'ai faites, il ne semble tout simplement pas que ce soit comme ça que la pédophilie fonctionne, très franchement.
Le sénateur Joyal : Merci de votre réponse.
Vous avez mentionné que 80 p. 100 des délinquants connaissent leurs victimes et que seulement 8 p. 100 des infractions sexuelles sont déclarées. Êtes-vous d'avis que les 92 p. 100 des infractions qui ne sont pas déclarées ont été commises par des gens qui connaissent leurs victimes, qui ont l'occasion d'interagir avec des enfants ou qui sont dans une position de pouvoir par rapport aux enfants? J'essaie de comprendre quelle est la source du danger parmi les 92 p. 100 des infractions qui ne sont pas déclarées.
M. Harris : Cette statistique provient d'études sur la victimisation, qui sont essentiellement des sondages téléphoniques dans lesquels les intervieweurs appellent les gens et leur demandent s'ils ont été la victime d'un crime au cours de la dernière année. Ils mentionnent tout d'abord les crimes les moins graves, puis les infractions sexuelles. Ce qui est particulièrement intéressant, c'est que les intervieweurs demandent aux personnes sondées pourquoi elles n'ont pas déclaré ces infractions sexuelles. Si ma mémoire est bonne, environ 70 p. 100 de ces personnes n'ont pas déclaré l'infraction parce qu'elles croyaient que le crime n'était pas suffisamment grave. Pardonnez-moi si je me trompe de chiffres, mais je peux fournir la référence au comité.
Les questions portent sur les attouchements sexuels, les baisers et les commentaires non souhaités, qui sont tous inappropriés et qui peuvent tous causer du tort et être blessants. Toutefois, certains de ces actes peuvent être des avances socialement inappropriées et maladroites ou des attouchements non désirés dans le milieu du travail. Il est très risqué d'essayer de distinguer les actes qui constituent des infractions sexuelles graves de ceux qui ne le sont pas, mais ces gestes ne sont pas tous des crimes dont les tribunaux ou la police souhaitent se charger.
La présidente : Peut-on reformuler cela un peu et dire que les victimes de ces actes ne croient pas toujours qu'il vaille la peine d'aller à la police ou ailleurs? En vertu de la loi, les tribunaux sont censés se charger de ces affaires, mais si les actes ne sont pas déclarés parce que les victimes ne les considéraient pas comme assez importants, les tribunaux ne peuvent rien faire. Ce que vous dites, c'est qu'une proportion importante de personnes qui ne déclarent pas ces crimes portent elles-mêmes ce jugement. Il y a également une proportion importante de personnes qui ne les déclarent pas en raison de problèmes familiaux ou parce qu'elles ont peur. Toutefois, je ne voudrais pas dire que le système judiciaire ne prend pas ces choses au sérieux.
M. Harris : C'est tout à fait ça; merci.
La présidente : C'est ce qu'on aurait pu comprendre de la manière dont vous vous êtes exprimé.
Le sénateur Joyal : Merci. Je voulais demander à nos témoins de fournir des précisions à cet égard.
La présidente : J'aurais dû ne rien dire.
Le sénateur Joyal : Pas du tout; vous vous êtes mieux exprimée que je n'aurais pu le faire moi-même.
En ce qui concerne les délinquants à risque élevé, diriez-vous que les traitements qui sont offerts aujourd'hui et qui sont fondés sur les données médicales ou psychiatriques les plus récentes sont toujours disponibles dans les établissements où ces personnes sont /incarcérées et que les détenus y ont accès? Je parle des délinquants à risque élevé et je reconnais ce que le sénateur Boisvenu a mentionné, c'est-à-dire qu'une personne peut s'être fait prendre pour une infraction moins grave, mais en fait être coupable de nombreuses infractions sexuelles. Je peux comprendre ça.
En faisons-nous assez pour garantir que les programmes sont offerts aux délinquants à risque élevé? Comment cela se traduit-il en pratique?
M. Bonta : Je vais commencer par le système provincial. Comme je l'ai déjà mentionné, certains systèmes provinciaux n'ont pas beaucoup de programmes de traitement. D'autres, peut-être certaines des provinces les plus grandes, ont des programmes très spécialisés. Les programmes varient d'une province à l'autre. Par conséquent, pour répondre à votre question, les délinquants sexuels à risque élevé qui sont incarcérés dans un système provincial n'ont pas tous accès à des traitements de qualité.
Le sénateur Joyal : Autrement dit, quand la personne est mise en liberté, elle pose un risque encore plus grand puisqu'elle n'a pas reçu de traitement pouvant réduire le risque qu'elle représente pour la société.
M. Bonta : C'est possible.
Le sénateur Joyal : Quelle est la situation dans le système de pénitenciers fédéraux?
M. Harris : On déploie des efforts pour offrir des traitements et encourager les délinquants sexuels à y participer. Je parle d'efforts répétés et constants visant à faire participer tous les délinquants sexuels, mais surtout les délinquants sexuels à risque élevé, à des traitements. Il est évident que nous ne pouvons pas les forcer d'accepter, mais nous déployons des efforts considérables pour les convaincre.
Le sénateur Joyal : Diriez-vous que les ressources nécessaires sont disponibles dans tous les pénitenciers?
M. Harris : Je ne suis pas en mesure de répondre à cette question avec certitude, sénateur, je suis désolé.
Le sénateur Joyal : Vous avez mentionné que, depuis 1993, il y a eu diminution du taux de récidive, selon Juristat. Avez-vous des statistiques sur cette période de 17 ans, de 1993 à aujourd'hui, pour que l'on puisse visualiser la tendance? Pourrions-nous voir si les taux ont diminué de manière constante ou s'il y a eu des pics au cours de cette période?
M. Harris : Oui, monsieur. J'ai ces statistiques avec moi. Je les remettrai à la greffière.
Le sénateur Joyal : Permettez-moi d'être plus précis. Dans cette tendance à la diminution, avez-vous remarqué l'augmentation de certaines infractions, disons les plus scandaleuses, et une diminution d'autres types d'infractions, ce qui expliquerait la moyenne? Autrement dit, pouvez-vous qualifier cette tendance?
M. Harris : Non.
Le sénateur Joyal : Y a-t-il une réduction équivalente pour tous les types d'infractions ou y a-t-il des types d'infractions qui n'ont pas connu de diminution au cours de cette période? Voyez-vous ce que je veux dire?
M. Harris : Nous n'avons pas fait de ventilation de ce genre. Cette tendance s'inscrit dans une diminution globale et à long terme des crimes violents commis à l'échelle internationale, dans presque tous les pays occidentaux.
M. Bonta : Comme chaque État définit les infractions sexuelles différemment, il est très difficile d'établir des comparaisons entre la situation au Canada et celle aux États-Unis.
La présidente : Plus tôt, vous avez mentionné divers facteurs qui auraient pu contribuer à la diminution du taux d'infractions sexuelles. J'ai remarqué que l'âge est un facteur important, selon le tableau d'évaluation des risques que vous nous avez fourni.
M. Harris : Oui.
La présidente : La population vieillit. Est-il possible que cela explique la diminution du taux d'infractions sexuelles?
M. Harris : En bref, sénateur, oui.
Le sénateur Baker : Nous traitons du registre, des personnes qui devraient être dans le registre et du niveau de supervision que ce dernier permet.
La détermination du niveau de risque d'un délinquant ou de son risque de récidive est réalisée pour la première fois quand il est arrêté pour un crime très grave. J'utiliserai l'exemple d'une introduction par effraction dans une habitation familiale pour commettre une infraction sexuelle. Dans ce cas, au moment de la mise en liberté provisoire du délinquant, on prend cette décision et il y a habituellement renversement du fardeau de la preuve. On consulte vos statistiques afin de déterminer si cette personne devrait être mise en liberté en attendant son procès. L'un des facteurs principaux que l'on examine est le risque de récidive de la personne si elle est mise en liberté.
On analyse une deuxième fois le niveau de risque du délinquant au moment de prononcer la sentence. J'ai remarqué que M. Bonta a souvent été appelé à témoigner sur le risque de récidive d'une personne. Dans d'autres cas, on l'a cité, lui ou ses études. Dans le jugement, au moment de la déclaration de culpabilité, une période d'incarcération est déterminée, et le risque de récidive est pris en considération dans la période de probation. L'agent de probation a le pouvoir de déterminer si le détenu devra suivre un cours ou une formation. Trouvez-vous cela adéquat?
Après la détermination de la période de probation, le juge, dans les ordonnances corollaires, doit déterminer si l'ADN de la personne doit être conservé, si le nom de la personne doit figurer dans le registre des délinquants sexuels, si la personne doit faire l'objet d'une interdiction de possession d'une arme à feu et ce genre de choses.
Après la mise en liberté de cette personne, le projet de loi entre en vigueur. Quel est l'objectif de ce projet de loi? Le registre des délinquants sexuels est un outil d'enquête qui permet de surveiller les personnes mises en liberté lorsqu'on enquête sur des infractions qui ont été commises. L'une des dispositions de la loi ontarienne prévoit des vérifications régulières par la police. En fait, je crois que le sénateur Runciman a dit que, chaque fois qu'une personne est admise, la police devait faire une vérification de son arrestation et d'autres données, immédiatement après les faits.
Selon les plus récents cas de jurisprudence, le niveau de risque des délinquants est déterminé au cours du procès, et l'agent de probation choisit son traitement. Y a-t-il quoi que ce soit de fâcheux, une chose à laquelle vous vous opposez en ce qui concerne le pouvoir d'effectuer des vérifications régulières relativement à une personne qui est accordé à la police en vertu de la Loi sur l'enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels? Y a-t-il quoi que ce soit qui vous rebute dans le projet de loi?
M. Bonta : Monsieur Baker, nous en avons déjà parlé et je vous rappelle que je suis fonctionnaire.
Le sénateur Baker : Vous me l'avez déjà rappelé.
M. Bonta : En tant que chercheur, j'aimerais m'en tenir aux résultats des recherches. En ce qui concerne le projet de loi lui-même, je crois qu'il incombe aux législateurs d'en décider.
Je voudrais toutefois souligner une chose concernant la situation réelle que doivent affronter les agents de probation relativement aux délinquants à risque élevé, et cela s'applique aussi bien aux délinquants violents à risque élevé qu'aux délinquants sexuels à risque élevé : le défi pour les agents de probation, c'est de faire participer ces délinquants à de bons programmes de traitement. Il y a, à coup sûr, surtout avec les délinquants sexuels, une grande part de déni de l'infraction et de leur responsabilité à l'égard de cette dernière. Un agent de probation doit faire face à ce problème. Comment l'agent de probation peut-il motiver cette personne à participer à un traitement et à le poursuivre? Il y a probablement un grand nombre de mécanismes différents qui peuvent être utilisés. L'enregistrement dans le registre des délinquants sexuels en est peut-être un.
Dans nos propres recherches, dans une étude que nous venons de terminer, nous avons formé des agents de probation afin qu'ils respectent davantage les principes du risque, des besoins et de la réactivité, ce qui supposait la nécessité de motiver les délinquants à accepter un traitement et à accepter leur responsabilité. Nous venons de publier nos résultats cette semaine. Nous avons constaté une réduction de 15 p. 100 du taux de récidive pour les délinquants à risque moyen à élevé.
Ce à quoi je veux en venir, c'est que, parfois, les aptitudes interpersonnelles peuvent grandement aider les délinquants à changer leur vie.
Le sénateur Baker : Une dernière chose : la raison pour laquelle je vous ai posé cette question est que, dans un bon nombre de ces cas pour lesquels j'ai lu les décisions rendues, l'alcool et la drogue jouaient un rôle dans les infractions commises. Même si l'agent de probation enjoint à la personne de ne pas fréquenter les établissements qui servent de l'alcool ou de ne pas consommer d'alcool, ou de ne pas se trouver à un certain endroit durant une période particulière, la personne enfreint parfois la condition et commet une infraction.
Je crois que c'est pour cette raison qu'un grand nombre de personnes appuient ce projet de loi. Elles affirment que, si le délinquant potentiel savait que la police le surveillait peut-être, cela le dissuaderait peut-être de violer les conditions établies par l'agent de probation. Je ne sais pas si cela empêcherait la personne de briser les conditions de sa probation. Avez-vous des commentaires à ce sujet?
M. Bonta : Comme je l'ai dit, la plupart des délinquants sont généralement impulsifs et ne réfléchissent pas bien aux conséquences de leurs actes. Selon mes lectures sur le traitement réservé aux délinquants, la menace d'un châtiment de quelque source que ce soit, a tendance à fonctionner seulement avec des gens comme vous et moi, des délinquants à faible risque qui réfléchissent aux conséquences de leurs actes. Les délinquants à faible risque s'en tireront bien sans intervention importante justement puisqu'ils sont des délinquants à faible risque.
La présidente : Je vous remercie tous les deux. Vos exposés ont été très informatifs et très utiles. Nous l'apprécions et nous attendrons ces données avec impatience, monsieur Harris.
Mesdames et messieurs, notre prochaine réunion aura lieu mercredi prochain, le 5 mai, à 16 h 15, dans cette salle. La séance est levée.
(La séance est levée.)