Aller au contenu
 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 6 - Témoignages du 5 mai  2010


OTTAWA, le mercredi 5 mai 2010

Le Comité permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd'hui, à 16 h 15, pour étudier le projet de loi S-2, Loi modifiant le Code criminel et d'autres lois.

Le sénateur Joan Fraser (présidente) occupe le fauteuil.

[Français]

La présidente : Honorables sénateurs, bienvenue à cette audience du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.

Nous continuons notre étude du projet de loi S-2, Loi modifiant le Code criminel et d'autres lois. Nous avons le plaisir d'accueillir comme témoin cet après-midi M. Christopher Earls, professeur à l'Université de Montréal.

[Traduction]

Monsieur Earls, nous vous cédons la parole pour votre allocution liminaire, après laquelle nous vous poserons des questions.

Christopher Earls, professeur, Université de Montréal : Bonjour. Je voudrais remercier votre comité de m'avoir invité aujourd'hui. Je suis professeur au Département de psychologie de l'Université de Montréal. Depuis plus de 30 ans, je fais des recherches sur diverses questions relatives à l'évaluation et au traitement des délinquants sexuels. J'ai commencé ma carrière professionnelle en poursuivant des recherches postdoctorales dans une unité de traitement spécialisé de l'Atascadero State Hospital, un hôpital psychiatrique à sécurité maximale du sud de la Californie. Après, j'ai été embauché comme chercheur à l'Institut Philippe-Pinel, de Montréal, un autre établissement psychiatrique à sécurité maximale. J'ai reçu le mandat d'établir un laboratoire pour l'évaluation des délinquants sexuels. Deux ans plus tard, j'ai été embauché par l'Université de Montréal, où je continue à faire de la recherche sur les délinquants sexuels et la prédiction du danger.

Je collabore beaucoup avec le Service correctionnel du Canada comme consultant, en Colombie-Britannique, en Ontario et au Québec. On a souvent retenu mes services pour que j'évalue des programmes sur les délinquants sexuels. En 1992, j'ai été chargé de mettre sur pied un centre d'évaluation et de traitement des délinquants sexuels à l'établissement La Macaza, au Québec.

Vers la fin des années 1970, en tant que jeune spécialiste en recherche clinique, j'ai vu naître des programmes de traitement rudimentaires, qui se sont transformés par la suite en interventions très spécialisées et sophistiquées. On peut très difficilement imaginer comment il serait possible aujourd'hui d'améliorer davantage les programmes de traitement des délinquants sexuels.

Malheureusement, avec les années, j'ai acquis la conviction qu'en général, ces programmes ne fonctionnent pas, qu'ils soient administrés dans un pénitencier fédéral ou à l'extérieur du milieu carcéral. Ils n'atteignent pas leur objectif, soit réduire la récidive. Je suis également convaincu qu'une étroite surveillance dans la collectivité contribue à réduire la récidive. Tout comme il est difficile, pour les délinquants sexuels, de trouver des occasions de récidiver pendant leur incarcération, la surveillance hors du milieu carcéral diminue aussi les occasions de récidive. À mon avis, si l'on augmente cette surveillance, la récidive devrait diminuer.

C'est pourquoi je suis très favorable au registre national des délinquants sexuels à l'étude par le comité. Je vais faire de mon mieux pour répondre à vos questions au sujet de mon opinion.

La présidente : Si tout le monde était aussi bref, nous pourrions poser davantage de questions.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Merci, madame la présidente, de ce privilège de poser la première question. D'abord, je tiens à remercier le docteur Earls de sa grande disponibilité, surtout en raison de ce délai très court à répondre à l'invitation du comité. D'autant plus qu'à la lecture de votre curriculum vitæ, je pense que votre compétence n'est pas du tout à remettre en question. J'aurais une question principale et possiblement deux questions secondaires à vous poser.

J'aimerais que vous informiez ce comité sur le fait qu'il semble y avoir deux écoles philosophiques ou deux écoles d'intervention auprès des prédateurs sexuels, que ce soit des pédophiles ou des agresseurs sexuel dits « normaux », l'une qui dit que la pédophilie se traiterait, et vous qui semblez nous confirmer que non, c'est plus le contrôle post-sentence qui est la solution.

J'essaie de saisir le pourquoi de cette divergence d'opinions entre des gens qui ont peut-être été à la même université et qui se retrouvent, après 20 ans sur le marché du travail, avec une philosophie d'intervention différente. Pour nous comme pour le commun des mortels, cela nous fait une belle jambe. Qui a raison entre ceux qui préconisent les interventions massives dans les prisons pour réhabiliter ces gens et ceux qui prétendent qu'il n'y a rien à faire, mais qu'il faut surtout les contrôler après la sentence? J'aimerais connaître votre opinion pour savoir d'où vient cette divergence philosophique.

M. Earls : Je suis persuadé de ma position après avoir lu la littérature scientifique qui existe en ce qui concerne l'efficacité du traitement pour les délinquants sexuels. D'autre part, je pense que la divergence, je ne veux pas être méchant dans mes réponses, s'explique par un modèle actuariel ou mathématique en posant la question : est-ce que la personne en faveur du programme de traitements reçoit une certaine proportion de son salaire pour traiter les délinquants sexuels? Ce n'est pas méchant dans le sens pour dire qu'il est payé pour dire que c'est efficace. Je pense que c'est juste une dissonance que l'individu va avoir, dans le sens que c'est une population extrêmement difficile à travailler. C'est un brise-cœur. Lorsqu'on travaille avec cette population, on n'a presque pas le choix d'avoir une certaine foi que cela va marcher et que ce que je fais est utile. C'est lorsqu'on est capable de prendre une certaine distance, qu'on se rend compte que l'espoir qu'on avait et l'effort que nous avons investi, c'est quelque chose qui n'a pas abouti aux résultats désirables. Lorsque je vous dis aujourd'hui que je suis persuadé que les programmes de traitement ne marchent pas, c'est basé sur une approche de littérature scientifique en comparant les gens qui ont été traités et ceux qui ne l'ont pas été.

Le sénateur Boisvenu : Ma seconde question porte sur les investissements que le gouvernement fédéral fait dans les pénitenciers canadiens. Le gouvernement investit, bon an mal an, 2,5 milliards de dollars dans les programmes de réhabilitation et les programmes de réinsertion, et 40 p. 100 de ces montants vont dans le traitement des criminels à caractère sexuel. C'est tout près de 1,2 ou de 1,3 milliard de dollars que l'on consacre et ce que vous me dites, c'est que cela ne sert pas à grand-chose.

Est-ce que, premièrement, ces sommes devraient être investies dans le contrôle post-sentence et deuxièmement, le registre des prédateurs sexuels qu'on veut améliorer selon vous, est-ce que le projet de loi actuel va assez loin? Trop loin? Est-ce que vous verriez des améliorations pour faire en sorte que cela devienne vraiment un outil de contrôle?

M. Earls : En ce qui concerne la première question, je suis d'avis que probablement les montants investis dans les programmes de traitement seraient mieux investis ailleurs. Ceci dit, je ne dis pas que les programmes pour le traitement de délinquants sexuels ne marcheraient jamais. Je suis juste rendu dans un point de ma carrière, que je ne peux pas imaginer ce qu'on pourrait ajouter de plus.

En ce qui concerne votre deuxième question, je ne suis pas avocat, j'aime l'idée d'avoir un registre national sur les délinquants sexuels; simplement, comme je l'ai dit dans ma présentation, je crois que le niveau de supervision, qui va être effectué dans la communauté, va rajouter à notre pouvoir et réduire le taux de récidive. Le plus que ces gens sont observés, le plus que ce l'est de près, moins ils ont l'occasion de récidiver.

Le sénateur Boisvenu : Ce que je comprends de votre dernière intervention, c'est que plus le criminel se sent dans l'anonymat, plus le niveau de risque de récidiver est élevé.

M. Earls : Pour moi, c'est une question de surveillance. Si on va à l'autre extrême, à l'intérieur d'une institution fédérale ou provinciale, le taux de récidive est zéro. Lorsqu'il est dans la communauté, il profite d'un certain anonymat et à ce moment-là, il peut avoir l'occasion de récidiver. Par contre, si l'individu est suivi de près, cela réduit l'occasion de récidive.

[Traduction]

Le sénateur Baker : Permettez-moi de faire suite à la série de questions du sénateur Boisvenu. Il a souligné que vous aviez effectué une étude portant sur 165 délinquants sexuels incarcérés dans six pénitenciers au Québec. Les délinquants appartenaient à trois groupes. Le premier groupe était constitué de 34 pédophiles. Le deuxième groupe comprenait 122 autres délinquants sexuels. Le troisième groupe était formé de 19 meurtriers.

Cette étude révèle que la plupart des victimes des délinquants leur étaient inconnues. Pourtant, comme l'a souligné le sénateur Boisvenu, les témoins que nous avons entendus nous ont dit que, dans les crimes de ce type, la plupart des victimes connaissaient leur agresseur.

Avez-vous fait la distinction entre les groupes de délinquants, pour ce qui est du nombre de victimes connues par les délinquants et du nombre de victimes qui leur étaient étrangères? Les données sont-elles différentes notamment dans le cas des pédophiles? Ne sont-ils pas susceptibles d'être connus de la victime et de sa famille?

M. Earls : Pourriez-vous m'indiquer en quelle année cette étude a été publiée? Je crains que vous soyez en train de parler d'un autre auteur.

Le sénateur Baker : Non, cette étude est bel et bien de Christopher Earls.

M. Earls : Alors, je suis beaucoup plus vieux et mes neurones sont beaucoup moins performants que je le croyais.

Le sénateur Baker : Le taux de récidive des sujets de l'étude est, semble-t-il, très élevé. Il est d'environ 40 p. 100. Est-il exact que 40 p. 100 des délinquants que vous avez étudiés dans les pénitenciers ont fini par y retourner?

La présidente : Monsieur le sénateur Baker, vous pourriez peut-être demander à la greffière de remettre au professeur Earls l'étude dont vous parlez pour qu'il se rafraîchisse la mémoire.

Le sénateur Baker : Oui.

La présidente : Je vais suspendre les travaux un instant pour lui donner l'occasion de prendre connaissance de l'étude.

M. Earls : J'ai fait cette étude en 1984, alors que je travaillais à l'Institut Philippe-Pinel. Elle ne portait ni sur les résultats des traitements, ni sur le récidivisme. Il s'agissait plutôt de déterminer les caractéristiques démographiques des délinquants sexuels à ce moment-là.

Le sénateur Baker : L'étude suivante a été publiée par le Service correctionnel, à Ottawa, et donne des chiffres sur le récidivisme. Quel est le taux de récidive parmi les délinquants que vous avez étudiés dans les pénitenciers au Québec? Est-ce 40 p. 100?

M. Earls : Il faut savoir de quel type de récidivisme il est question.

Le sénateur Baker : D'accord.

M. Earls : Les gens commencent par parler des récidives sexuelles, puis ajoutent les récidives en général. Parfois, ils incluent aussi le non-respect des conditions imposées par la Commission nationale des libérations conditionnelles. Le récidivisme au sens le plus large englobe ces trois catégories.

D'autres personnes, qui œuvrent dans le domaine des programmes de traitement, vous diront qu'étant donné qu'elles traitent un problème de nature sexuelle, elles ne s'intéressent pas aux autres catégories de récidive. Seules les récidives sexuelles comptent à leurs yeux.

Le type de récidivisme varie d'une étude à l'autre. Selon les statistiques fournies par le Service correctionnel du Canada, lorsqu'on tient compte des trois catégories de récidive, entre 50 et 54 p. 100 des détenus des pénitenciers fédéraux y retournent.

La présidente : S'agit-il de l'ensemble des détenus ou seulement des délinquants sexuels?

M. Earls : De tous les détenus.

Le sénateur Baker : Pour qu'un délinquant soit compté dans les statistiques sur le récidivisme, il doit se faire prendre. Les statistiques comprennent les délinquants qui appartiennent aux trois catégories que vous avez mentionnées et qui retournent en prison. Je ne sais pas quel est le taux de récidive sexuelle qui échappe à la justice. Avez-vous examiné cette question?

M. Earls : Je ne suis pas exactement sûr de la nature de la question, mais je vais tâcher d'y répondre quand même.

Le sénateur Baker : Bien.

M. Earls : Vous avez tout à fait raison. Un acte est commis et détecté. Puis, une personne est arrêtée et un procès a lieu. La personne peut être déclarée coupable et être incarcérée.

Le taux de récidive dans certaines études peut être de seulement 5 p. 100, tandis qu'il est de 70 p. 100 dans d'autres. Les meilleures données vous ont été présentées par d'autres témoins, je crois, la semaine dernière. M. Andrew Harris a publié une étude dans laquelle le taux de récidive sexuelle est de 15 p. 100 après cinq ans, de 20 p. 100 après 10 ans et de 25 p. 100 après 15 ans. Ce taux de récidive de 25 p 100 est probablement une estimation raisonnable, entre les deux extrêmes.

La plupart des gens diront que le taux de récidive de 25 p. 100 signifie que 75 p. 100 des délinquants ne récidivent pas. Je ne pense pas que l'on puisse interpréter les statistiques ainsi. Elles veulent plutôt dire que 75 p. 100 des délinquants n'ont pas commis un nouveau crime ayant été détecté. Combien d'entre eux ont récidivé sans se faire prendre? Je ne le sais pas, mais je suis certain qu'ils sont plus nombreux qu'un ou deux.

Le sénateur Baker : Au cours de vos études, avez-vous eu de la difficulté à déterminer le nombre de délinquants déclarés coupables d'agression sexuelle? Lorsqu'une personne est emprisonnée, après avoir commis une infraction sexuelle, elle est habituellement coupable aussi d'autres crimes.

Pour exemple, un meurtre est habituellement associé à d'autres crimes, comme la séquestration d'une personne, une agression sexuelle ou un enlèvement. Le procureur s'en tiendra habituellement à une accusation de meurtre au premier degré, pour laquelle il obtiendra l'emprisonnement à perpétuité avec possibilité de libération conditionnelle après 25 ans. Il laissera tomber les autres accusations. J'imagine qu'il est difficile d'inclure une agression sexuelle parmi les chefs d'accusation en pareil cas, puisqu'il faut tenir compte des autres facteurs.

M. Earls : C'est tout à fait exact. Lorsqu'on évalue les détenus et qu'on les soumet à des traitements, dans le cadre des services correctionnels, il est extrêmement difficile de savoir lesquels ont commis des infractions sexuelles, car celles-ci sont souvent masquées par d'autres infractions.

Vous avez mentionné le meurtre, qui est une infraction grave. C'est l'une des infractions susceptibles de dissimuler la présence d'un délinquant sexuel. Au cours de la présente série de réunions, on a aussi donné l'exemple des introductions par effraction, où l'on arrive à déterminer les motifs du délinquant. Mais en général, à moins qu'on ait accès au rapport de police, que le délinquant avoue son crime ou qu'on dispose d'autres renseignements permettant de croire que le crime commis avait un caractère sexuel, il est difficile de connaître les motifs de l'individu.

Le sénateur Baker : Si une personne est déclarée coupable d'une introduction par effraction dans un domicile avec l'intention de commettre un acte criminel, cet acte peut être une agression sexuelle. Or, en pareil cas, la personne est également inculpée d'agression sexuelle. Il sera noté à son dossier qu'elle a commis une introduction par effraction ou une agression sexuelle. Le sénateur Boisvenu et le sénateur Carignan ont fait cette observation lors d'une séance antérieure du comité.

Le sénateur Carstairs : Vous êtes considéré comme un chercheur, mais avez-vous aussi fait du travail de thérapeute? Avez-vous travaillé comme thérapeute avec des délinquants sexuels?

M. Earls : J'ai été directeur à l'établissement La Macaza. On m'avait confié le mandat d'y mettre sur pied le programme d'évaluation et de traitement. L'une de mes principales responsabilités consistait à administrer des thérapies et à superviser l'équipe de thérapeutes que j'avais embauchée. Je vois des délinquants sexuels dans un environnement thérapeutique depuis environ 1982.

Le sénateur Carstairs : Vous ne témoignez pas seulement en tant que chercheur, mais aussi en tant que clinicien d'expérience.

M. Earls : J'ai vu de 2 000 à 3 000 délinquants sexuels.

Le sénateur Carstairs : Des témoins nous ont dit que la grande majorité des agressions sexuelles n'étaient jamais signalées. Ce n'est pas tant le registre qui m'inquiète, car je pense que nous cheminons bien à ce sujet, mais ce que nous devons faire pour nous occuper des autres délinquants. Savez-vous comment nous pourrions changer le système judiciaire ou le système correctionnel pour que les victimes d'agression sexuelle soient plus disposées à porter plainte?

M. Earls : Il est très difficile de convaincre un plus grand nombre de victimes d'agression sexuelle de porter plainte, à cause de la nature des raisons pour lesquelles elles ne portent pas plainte. Ces raisons peuvent varier beaucoup, car il s'agit tantôt d'enfants, tantôt de femmes.

De nombreux enfants ne savent pas qu'ils sont victimes de sévices sexuels. Ils éprouvent un malaise, mais ils ne comprennent ce qu'ils ont vécu que plus tard, lorsque leurs capacités cognitives le leur permettent. De plus, la peur des conséquences et la honte empêchent les enfants de signaler une agression sexuelle.

L'hypothèse que j'applique dans mon travail clinique veut que les chercheurs et d'autres personnes constatent un taux relativement faible de récidive parmi les auteurs d'inceste en raison de l'approche employée en Ontario, où le ministère des Services à l'enfance et à la jeunesse favorise le retour de l'agresseur dans la famille. On considère qu'il faut sauver l'unité familiale.

Un enfant ayant subi des sévices sexuels aux mains de son père est soumis à une thérapie substantielle. Il interagit avec la police, les avocats, les juges, et ainsi de suite. Mais, en fin de compte, on le renvoie chez lui, où il doit de nouveau faire face à son agresseur. C'est peut-être ce qui explique que l'enfant ne veuille pas signaler une récidive, lorsqu'il s'en produit une.

L'enfant risque en outre de se sentir coupable ou responsable de l'agression sexuelle. Les mêmes facteurs qui entrent en jeu dans le cas des femmes peuvent s'appliquer aux enfants. La victime peut se sentir coupable d'avoir provoqué l'agression. Certains enfants ne voient pas l'acte dont ils ont été victimes comme une agression sexuelle. On se rend compte que, dans les enquêtes, c'est souvent le chercheur qui caractérise l'acte comme une agression sexuelle, tandis que la victime ne voit pas les choses du même œil.

Il arrive aussi que les femmes ne veuillent pas porter plainte. Elles craignent par exemple les conséquences pour leur compagnon, leur ex-compagnon ou leur patron. Elles ont parfois peur de perdre leur emploi. De nombreuses variables peuvent expliquer le comportement des gens qui ne portent pas plainte.

Il n'est pas facile de trouver des solutions à ce problème. Il existe des programmes de prévention et de sensibilisation, mais la plupart d'entre eux n'ont pas été évalués.

D'ailleurs, la recherche sur les délinquants sexuels se heurte entre autres à l'obstacle important de l'absence d'évaluation, que ce soit dans les pénitenciers ou dans les programmes de prévention. On ne prévoit jamais d'évaluation. On administre des traitements ou on fait de la prévention, mais on ne se demande jamais s'il y a des résultats. Au cours des 40 dernières années, la société canadienne est loin d'avoir avancé autant qu'elle aurait pu si les gens avaient pris le temps d'évaluer les effets des mesures appliquées.

Le sénateur Carstairs : Voilà qui est utile. Quand vous avez parlé des cas d'inceste, vous avez cependant oublié de dire que c'est souvent l'enfant qu'on retire de la famille, alors c'est lui qui souffre. On le place dans un foyer ou une famille d'accueil, au lieu de retirer le délinquant du domicile familial.

Compte tenu de votre expérience de travail, j'aimerais entendre votre point de vue sur une question. Je me suis fait dire que nombre de délinquants déclarés coupables d'agression sexuelle préfèrent demeurer en prison jusqu'au bout de leur peine plutôt que de demander une libération conditionnelle, car s'ils obtiennent une telle libération, ils font l'objet d'une surveillance. À l'inverse, s'ils purgent leur peine jusqu'à la fin, ils ne sont pas soumis aux conditions qui accompagnent une libération conditionnelle. Est-ce bien ce que vous avez constaté?

M. Earls : J'ai pu observer ce phénomène chez certains délinquants. Ils ne veulent pas être surveillés ou encore ils ont peur de l'accueil que leur réservera leur famille à leur sortie de prison. Toutefois, mon expérience me dit qu'une très petite proportion de délinquants sexuels préfèrent demeurer incarcérés jusqu'à la fin de leur peine ou l'expiration du mandat.

[Français]

Le sénateur Carignan : Ma question est assez simple. Vous êtes un expert. Le curriculum vitae que vous avez en la matière le prouve. Vous avez fait des évaluations de performance de programmes et vous avez constaté leur échec. Pourquoi ne fonctionnent-ils pas? Vous me direz peut-être que si vous aviez la réponse vous seriez riche, mais pouvez- vous tenter des réponses?

M. Earls : Oui, parce que je passe beaucoup de temps à penser à ces questions. Différents éléments expliquent l'échec des programmes. Entre autres, je mentionnerais la réticence, surtout au début des années 1990, du Service correctionnel du Canada à privilégier une approche.

La semaine dernière, vous avez entendu M. Harris parler du principe de réceptivité qui devrait être utilisé, ce qui veut dire tout simplement l'approche théorique. Il mentionnait aussi que les thérapies cognitives et comportementales sont préconisées. Le Service correctionnel est impliqué dans le traitement des délinquants sexuels depuis à peu près 1974. Cela va bientôt faire 40 ans. Ils ont mis entre 25 et 30 ans avant de se positionner.

Juste pour vous donner une idée et répondre à votre question, on a déjà proposé au Service correctionnel une approche homéopathique pour traiter les délinquants.

La recommandation, c'est que ce ne soit pas subventionné, mais l'ensemble des programmes utilisés sont disparates, si je peux m'exprimer ainsi, et proviennent d'orientations théoriques qui existent en psychologie et en psychiatrie, qui sont cognitives, comportementales, psychodynamiques ou biomédicales. On se retrouve avec un mélange de traitements disparates. De plus, cette situation a généré une espèce de compétition entre les experts dans le but de décrocher des sommes d'argent pour soutenir leur programme et expérimenter leur approche.

Depuis une vingtaine d'années, nous savons que l'approche cognitive et comportementale est celle qui fonctionne le mieux. En dépit de ces informations, on continue de subventionner d'autres approches et on instaure des programmes de traitement sans en évaluer l'efficacité. L'effort n'est pas cohérent. On a l'impression qu'on expérimente tout ce qui se présente en espérant qu'un programme parfait apparaisse comme par magie.

Le sénateur Boisvenu : Dans la même veine, puisqu'on parle de solutions, j'ai pris connaissance, dernièrement, d'une étude américaine provenant de la Californie ou de la Virginie, où l'on suggère, pour traiter ce type de délinquance, un contrôle neurologique qu'on appelle — ce mot fait peur, j'en suis conscient — la lobotomie dirigée. Sachant à peu près où se trouve le siège de la déviance sexuelle, on performe une intervention chirurgicale — c'est expérimental — pour détruire une ou deux cellules, et l'individu perd toute capacité sexuelle déviante. Êtes-vous au fait de ces études?

M. Earls : Non, pas vraiment. Non, je regrette.

Le sénateur Carignan : Vous avez mentionné que si les délinquants sont surveillés dans la collectivité, on a des chances qu'ils récidivent moins. Quelles sont les méthodes de surveillance dans la collectivité que vous prônez pour réduire au maximum la récidive outre la lobotomie?

M. Earls : J'ai déjà proposé la transplantation de cerveau, mais je ne crois pas que ce soit très réaliste !

Le problème avec la surveillance, c'est évident, c'est que cela coûte trop cher. L'une des surveillances idéales, c'est « délinquants à contrôler » ou le — je ne connais pas le mot exact —, la norme 810. C'est assez efficace. Il demeure que plus on augmente la surveillance moins il y aura de récidives, mais malheureusement, cela va de soi, plus on augmente la surveillance, plus cela coûte cher.

Le sénateur Carignan : Avez-vous déjà étudié l'option des bracelets avec GPS ou ce type de produits technologiques électroniques assez disponibles?

M. Earls : Non, je ne l'ai jamais étudiée, mais selon mes hypothèses, cela devrait réduire le taux de récidive.

[Traduction]

Le sénateur Wallace : Ma question ressemble à celle du sénateur Carignan. Vous avez indiqué que, selon vous, la réduction du récidivisme passe nécessairement par un degré accru de supervision hors du milieu carcéral. Le sénateur Carignan a employé le mot « surveillance » au lieu de « supervision ». Donnez-vous le même sens à ces deux mots?

Le travail des responsables de l'application de la loi dont vous parlez se limite-t-il à de la supervision ou va-t-il au- delà de cela?

Des représentants des cercles de soutien et de responsabilité, que vous connaissez probablement, sont venus témoigner devant nous. Ils font un travail qui s'apparente à celui des Alcooliques Anonymes. Leurs activités comprennent de la surveillance, de la supervision ou de la thérapie.

Pourriez-vous nous dire ce que vous entendez par le mot « supervision »? Qu'est-ce que cela implique?

M. Earls : La supervision implique des méthodes qu'envisage déjà votre comité. On obtiendrait l'adresse du délinquant et la description de son véhicule. On saurait où il travaille et on déterminerait s'il y a des enfants à proximité. Le délinquant saurait qu'il est supervisé par la police. Des agents se présenteraient chez lui pour vérifier son adresse, comme cela se fait actuellement dans le cas des délinquants libérés conditionnellement. Des agents des services correctionnels se rendent chez eux sans prévenir pour y faire des inspections. De manière générale, le délinquant a ainsi la nette impression d'être surveillé.

Les cercles de soutien et de responsabilité prétendent qu'ils ne se contentent pas de faire de la supervision. Néanmoins, leur programme ne contient aucune intervention active, qui relèverait de la psychologie, de la psychiatrie ou du travail social. Ils se contentent d'exercer un certain degré de supervision, qui peut aller jusqu'à une rencontre quotidienne avec le délinquant, c'est-à-dire de la supervision intensive.

Toutefois, si l'on tient compte des paramètres actuels, la surveillance engloberait la collecte de renseignements détaillés sur les déplacements du délinquant, et aussi des vérifications ponctuelles sur les lieux de travail, par exemple, afin de s'assurer qu'il n'y a pas d'établissement scolaire ou de garderie à proximité, bref, afin de confirmer que l'accès aux enfants est limité.

Le sénateur Wallace : Y a-t-il d'autres dispositions du projet de loi S-2 qui, selon vous, contribuent à fournir le niveau de surveillance accrue que vous préconisez?

M. Earls : J'ai examiné le projet de loi en m'appuyant sur mon expérience de psychologue et de professionnel de la santé mentale. Par ailleurs, il y a certains aspects de la loi qui doivent être pris en compte. Je pense que le comité est assez bien informé là-dessus.

Je suis en faveur du projet de loi. Il constitue un grand pas en avant. Ce que je trouve particulièrement encourageant, c'est l'absence de pouvoir décisionnel : dorénavant, tous les délinquants sexuels devront s'inscrire au registre. C'est un net progrès.

Toutefois, le resserrement de la surveillance se heurte à certaines difficultés sur le plan des ressources. Certes, une surveillance plus étroite, plus fréquente, contribuerait probablement à améliorer les choses. Mais il faut, pour cela, des ressources humaines, financières, ainsi de suite.

Le sénateur Wallace : Selon certains témoins, environ 42 p. 100 des délinquants sexuels ne seraient pas inscrits au registre, une situation que l'on devrait, il me semble, trouver préoccupante. Qu'en pensez-vous?

M. Earls : Je suis d'accord. Il est déplorable que leur nom ne figure pas dans le registre. Je ne comprends pas. Encore une fois, je ne suis pas avocat, mais je pense que le problème tient, en partie, au pouvoir discrétionnaire dont disposent les tribunaux. Pour une raison ou pour une autre, ces délinquants ne sont pas inscrits.

Je vois là un parallèle avec la loi sur les délinquants dangereux. Un procureur peut demander la tenue d'un procès pour qu'un délinquant soit désigné dangereux. À mon avis, ce recours est trop peu utilisé. On pourrait considérablement réduire le récidivisme si on identifiait les délinquants à risque élevé ayant suivi un traitement qui sont relâchés dans la collectivité et qui sont réincarcérés à maintes reprises. Il faudrait recourir à ce mécanisme plus souvent.

Le sénateur Lang : Pour revenir à la question de l'inscription automatique, croyez-vous que cette obligation peut encourager, consciemment ou inconsciemment, un délinquant à ne pas récidiver?

M. Earls : Je n'en suis pas sûr. Je ne suis pas convaincu de l'effet préventif du registre. Il s'agit là d'une question empirique.

Or, on ne pourra y répondre que lorsque les délinquants seront tous inscrits au registre. D'après la plupart des études menées jusqu'ici, il est très difficile de savoir si l'inscription de tous les délinquants donnerait des résultats différents.

Le registre contribue à prévenir le récidivisme. Il aide aussi probablement les services policiers à retracer l'auteur d'un crime plus rapidement.

Je sais que les études réalisées aux États-Unis ont été décriées par plusieurs témoins. Toutefois, certaines des données recueillies montrent que l'inscription — et la notification aussi, mais nous n'en parlerons pas pour l'instant — a ceci d'avantageux : elle permet aux policiers d'effectuer des arrestations ou d'identifier le délinquant plus vite. Je ne sais pas si j'ai bien répondu à la question.

Le sénateur Lang : D'après votre expérience, vos connaissances, croyez-vous que l'inscription au registre peut avoir, sur certains, un effet dissuasif?

M. Earls : Je ne peux pas v raiment dire non à cette question. Ce qui aurait un effet encore plus dissuasif, à mon avis, c'est l'inscription au registre et la foule de renseignements maintenant accessibles aux policiers. Oui, cela pourrait avoir un effet dissuasif, mais encore une fois, il s'agit d'une question empirique.

Le sénateur Lang : Je comprends.

Le sénateur Runciman : Quand j'ai vu votre nom sur la liste des invités, je me suis demandé ce que votre témoignage allait nous apporter. Or, je constate qu'il est fort utile, et je suis très heureux que vous ayez accepté de nous rencontrer. Mais revenons à ce qu'ont dit les sénateurs Carignan et Boisvenu. La pédophilie est associée à un trouble mental et non pas à une inclination, à un problème de comportement. Concernant l'orientation sexuelle du pédophile, est-ce qu'on peut qualifier celle-ci de permanente?

M. Earls : Oui et non, car il peut s'agir aussi bien d'un trouble mental que d'un trouble de contrôle des impulsions ou de comportement. Ce pourrait être l'un ou l'autre.

Quant à savoir si l'orientation est permanente, je répondrais par l'affirmative. Les tendances pédophiles et l'attirance sexuelle pour les enfants ne disparaissent pas d'elles-mêmes. Voilà pourquoi j'ai dit, au début, que les programmes de traitement ne sont pas très efficaces : c'est un trait inné qui est au cœur même de la préférence sexuelle d'un individu.

Le sénateur Runciman : Vous appuyez le registre. Vous affirmez, en gros, qu'il faut chercher à contrôler le comportement, non pas essayer de le soigner ce qui, dans bien des cas, est impossible.

On a soulevé la question de la lobotomie. Je sais que certains pays — je pense qu'elle est permise au Canada — autorisent la castration chimique. Est-ce que vous jugez cette pratique efficace ou non?

M. Earls : J'ai une opinion bien arrêtée là-dessus. Je ne la considère pas comme une solution efficace à long terme. La castration chimique ou physique réduit le nombre d'androgènes — l'hormone principale étant la testostérone, qui agit sur la capacité érectile de l'homme. J'ai évalué, en laboratoire, des patients à qui l'on a administré des anti- androgènes qui diminuent le taux de testostérone et j'ai constaté qu'ils sont toujours capables d'avoir une érection. Toutefois, la baisse de la capacité érectile chez l'homme n'enlève rien au côté agressif de l'infraction sexuelle.

En effet, l'infraction à caractère sexuel est non seulement sexuelle, mais également agressive. On le voit surtout chez les violeurs ou les prédateurs sexuels qui s'en prennent aux femmes. Si l'on choisit, par exemple, d'ajuster de manière précise la dose d'anti-androgène administrée au patient et que l'on remarque, lors du suivi en laboratoire, une réduction de la capacité érectile, on se retrouve avec un délinquant qui n'a plus aucune vie sexuelle.

Cette démarche a ceci de problématique que les délinquants vont continuer de prendre le médicament jusqu'à ce qu'ils décident d'avoir une relation sexuelle ou de retrouver leur fonctionnalité érectile. Ce jour là, ils vont cesser de l'absorber, ce qui signifie que leurs fantasmes initiaux vont reprendre. Il faut que la stratégie adoptée soit permanente ou temporaire.

La plupart des traitements, comme la castration chimique, sont appliqués pendant l'incarcération ou l'hospitalisation dans un établissement psychiatrique, un milieu peu favorable à la récidive.

Le sénateur Runciman : Les délinquants doivent faire l'objet d'une surveillance constante.

M. Earls : Oui, car la castration, par exemple, ne constitue pas une solution permanente.

[Français]

Le sénateur Chaput : Si j'ai bien compris, vous avez dit, monsieur Earls, que les récidivistes dans le cas des crimes sexuels sont portés à moins récidiver lorsqu'ils se sentent surveillés. Le registre ne devient-il pas un outil de surveillance si les coupables ont leur nom dans un registre? Est-ce qu'à ce moment, cela ne peut pas contribuer à un certain contrôle du récidiviste?

M. Earls : Personnellement, je l'espère et je le crois. Encore une fois la question est empirique, que le registre va exactement servir à ce que vous avez dit, cela va contrôler dans le sens que l'observation ou le sentiment d'être observé va réduire la probabilité d'une récidive.

Le sénateur Chaput : Et à ce moment, pourquoi est-ce qu'il y a seulement un certain pourcentage de ces criminels qui ont leur nom au registre? Pourquoi le registre n'inclut-il pas tous ces noms? Qu'est-ce qui se passe ou qu'est ce qui fait qu'ils ne sont pas tous dans le registre en ce qui concerne les crimes connus?

M. Earls : Je pense que c'est une question juridique, selon d'autres témoins qui ont comparu devant vous, il y a une certaine discrétion de la part des juges. La Couronne devrait demander qu'ils soient sur le registre, une négociation est faite dans les plaidoiries, il y a toutes sortes de facteurs qui fait en sorte que 42 p. 100 des détenus ne sont pas inscrits.

Le sénateur Chaput : Quand ce sont des crimes contre les enfants, selon moi, le pire crime qui peut être commis, est- ce qu'il devrait y avoir cette discrétion? Est-ce que, automatiquement, les noms ne devraient pas être dans un registre?

M. Earls : Je crois qu'il faut que ce soit automatique. Ce ne doit pas être discrétionnaire. Je ne vois pas la valeur d'un registre, et de votre travail aujourd'hui, si l'inscription du nom n'est pas automatique parce qu'on ne saura jamais si le registre marche ou pas. J'admire beaucoup ce que vous avez proposé. C'est une occasion en or d'essayer une approche qui n'avait pas été tentée encore. Le Canada est connu comme étant un pionnier dans le domaine des délinquants sexuels et je pense qu'on s'en va dans cette direction au point de vue législatif.

[Traduction]

Le président : Dans le même ordre d'idée, nous n'avons pas été en mesure de découvrir qui fait partie de ce groupe de 40 p. 100 de délinquants non-inscrits. On nous a fourni différentes explications. Le ministre a laissé entendre que la Couronne est trop occupée pour enregistrer les délinquants. Les avocats de la défense soutiennent le contraire. Ils affirment que les demandes d'inscription sont présentées presque automatiquement. Nous ne savons pas s'il y a une différence entre le degré de gravité des infractions qui font l'objet d'une demande approuvée par le juge. Et si j'ai bien compris, vous ne le savez pas non plus.

M. Earls : Non.

La présidente : Cela soulève un doute.

Le sénateur Angus : Concernant le 40 p. 100 aussi.

La présidente : C'est vrai. Cela soulève bien des doutes.

Les sénateurs savent que la question suivante constitue pour moi une véritable obsession. Monsieur Earls, la définition d'agression sexuelle dans le Code criminel englobe un très grand nombre de gestes allant du viol aux attouchements. Je cite l'exemple du jeune de 19 ans en état d'ébriété qui, lors d'une fête de Noël, a donné une petite tape sur les fesses de sa collègue. Cet exemple n'est pas aussi bizarre qu'on le croit. Récemment, à Ottawa, une personne a été accusée d'agression sexuelle pour avoir donné une tape sur les fesses d'une autre personne alors qu'elle était en état d'ébriété.

Ce genre d'incident peut se produire. Je ne dis pas que les attouchements sexuels non désirés ne devraient pas être considérés comme une infraction. Toutefois, je me demande si les gens qui posent des gestes inappropriés, presque innocemment, devraient figurer dans le registre des délinquants sexuels. Y a-t-il des distinctions à faire ou à prendre en considération quand vient le temps de décider qui doit être inscrit dans le registre?

M. Earls : Les motifs innocents n'existent pas quand il est question de comportement sexuel. Toutefois, je trouve cet exemple pertinent. Ce type de comportement est plutôt rare, à mon avis. J'ajouterais qu'il y a longtemps que j'ai cessé de croire que je savais ce qui se passait dans la tête et dans le cœur des gens que je soigne. Il y a bien des choses qui semblent innocentes et qui le sont à première vue. Bon nombre de personnes vont dire qu'elles n'ont jamais posé un tel geste dans le passé et qu'elles ne le feront plus jamais, car elles en ont tiré une leçon ou parce qu'elles ont trouvé la foi ou peu importe. Il est dangereux d'essayer de définir le motif qui a poussé une personne à agir de la sorte. On peut toujours invoquer des exceptions qui donnent à l'infraction une apparence innocente. Or, accepter ces exceptions équivaut à ouvrir une boîte de Pandore, autrement dit à encourager la prise de toutes sortes de décisions discrétionnaires.

Malheureusement, certaines personnes dans un contexte non discrétionnaire vont finir par voir leur nom figurer sur la liste. Cela dit, je ne sais pas si le geste était vraiment innocent, s'il y avait un motif derrière tout cela, si la personne avait déjà fait une telle chose ou si elle s'apprêtait à commettre une agression sexuelle qui a commencé par une tape sur les fesses. Je ne connais pas les détails.

La présidente : Merci d'avoir répondu à cette question obsédante.

Le sénateur Baker : Le code et le projet de loi définissent certaines infractions désignées et exigent que le nom du délinquant soit inscrit automatiquement dans le registre. Dans le cas des autres infractions qui ne sont pas jugées aussi graves, la demande d'inscription doit être faite par la Couronne.

J'ai une dernière question à poser, professeur. J'aime bien lire les conclusions de vos études, même celles qui datent des années 1980, car elles sont claires et faciles à comprendre. Vos réponses sont assez explicites et j'espère que vous allez être tout aussi précis quand vous allez répondre à ma question.

Vous êtes favorable au registre. Vous voyez le projet de loi d'un bon œil. Vous êtes conscient du fait que 42 p. 100 des délinquants ayant commis une infraction désignée n'ont pas été inscrits au registre à la suite de l'entrée en vigueur de la loi, le 15 décembre 2004. Donc, 42 p. 100 des délinquants auraient été automatiquement inscrits au registre si ce projet de loi-ci avait été adopté le 15 décembre 2004. Il y a d'autres délinquants qui ne sont pas inscrits, soit ceux qui, à ce moment-là, purgeaient une peine de plus de six ans au Canada. Mentionnons, par exemple, la personne purgeant 25 ans de prison qui bénéficierait d'une libération après la mise en œuvre du projet de loi. Cette personne ne figure pas au registre.

Les avocats du ministère de la Justice ont laissé entendre que ces personnes ne doivent pas être inscrites au registre. Quel est votre avis là-dessus? Je sais, par vos réponses, que vous avez lu le compte rendu de nos réunions. Croyez-vous que le projet de loi devrait s'appliquer à tous les délinquants qui purgent une peine pour avoir commis une infraction sexuelle grave?

M. Earls : J'ai des opinions bien arrêtées, comme le dirait ma fille, sur presque tous les sujets. Pour ce qui est de la question que vous venez de me poser, je trouve cela bien dommage. Je ne sais pas quelles sont les ramifications économiques ou juridiques d'une telle décision. Comme d'autres témoins l'ont signalé, et comme l'indiquent mes recherches, entre 15 et 17 p. 100 des 27 000 détenus actuellement incarcérés dans le système correctionnel sont des délinquants sexuels. Ce qui veut dire qu'environ 5 000 délinquants sexuels pourraient être inscrits tout de suite au registre. J'ai deux commentaires à faire à ce sujet : d'abord, je trouve cela déplorable, et ensuite, dans 10 ans, la situation se sera peut-être améliorée si nous nous attardons, dès aujourd'hui, à mettre la main sur tous les auteurs de crimes sexuels. Encore une fois, si un tel objectif pouvait être atteint, ce serait formidable. Il ne faut pas laisser filer cette occasion.

Le sénateur Angus : Ce qui m'intéresse, ce sont les arguments que l'on avance. Il y a de nombreuses mesures qui s'imposent, sauf que nous manquons de ressources financières et humaines. Concernant la rétroactivité et la rétrospectivité de la loi, on nous a dit qu'il serait très difficile de tenir compte de l'effet rétroactif de la loi, de connaître la date de remise en liberté des délinquants et d'aviser les responsables du registre de celle-ci.

Est-ce que ce ne sont pas là les arguments qui ont été avancés quand cette suggestion a été formulée?

Le sénateur Baker : Oui. Est-ce que le professeur peut nous dire ce qu'il pense du motif — eh bien, pas le motif, mais...

Le sénateur Angus : Est-ce un motif valable?

Le sénateur Baker : On a laissé entendre que les policiers auraient de la difficulté à déterminer qui sont les délinquants incarcérés et quand ils vont être relâchés.

Est-ce que cette réponse est légitime, d'après ce qu'indiquent vos recherches?

M. Earls : Je ne fais pas partie des services policiers, mais je leur fais confiance. Ce que je déplore — et d'autres témoins en ont parlé —, c'est qu'il existe une sorte d'entente avec les Services correctionnels, mais pas d'obligation.

Le problème entourant les dates de libération pourrait être réglé beaucoup plus rapidement si les Services correctionnels fournissaient ces dates aux policiers. Je ne sais pas si cela simplifierait la tâche des policiers qui doivent entrer ces données dans le registre.

Je pense que les Services correctionnels du Canada ont la responsabilité morale et éthique de fournir cette information. Dommage que cette exigence ne fasse pas partie intégrante du projet de loi.

Le sénateur Baker : Il n'est pas difficile de trouver le nom d'une personne qui a été condamnée pour un crime grave. Je présume que l'on peut retracer les personnes qui ont purgé 25 ans de prison.

M. Earls : Oui, sans problème, si on a accès à la base de données des Services correctionnels.

La présidente : Merci, monsieur Earls. J'ai dit que vous étiez notre dernier témoin. Je vous ai trouvé fascinant. Nous vous remercions d'être venu nous rencontrer.

M. Earls : Merci de m'avoir invité.

La présidente : Honorables sénateurs, avant de mettre un terme à la réunion, j'aimerais que quelqu'un propose que les documents ayant trait au projet de loi soient déposés auprès du greffier. Tous les documents en question ont été distribués aux membres du comité.

Le sénateur Lang en fait la proposition. Êtes-vous d'accord?

Des voix : Oui.

La présidente : Honorables sénateurs, nous allons maintenant procéder à l'étude du projet de loi S-215, Loi modifiant le Code criminel (attentats suicides). Il a été présenté, lors de la dernière session, par l'ex-sénateur Grafstein. C'est le sénateur Frum qui en est maintenant le parrain.

Le comité a étudié la version antérieure du projet de loi, et elle était identique à celle-ci. Nous l'avons analysé en profondeur. Le projet de loi a été adopté à deux reprises par le comité.Le comité de direction nous a consultés à tour de rôle dans le but de déterminer si nous étions prêts à faire ce que nous sommes souvent appelés à faire dans de telles circonstances, soit lorsqu'un projet de loi d'initiative parlementaire identique est déposé de nouveau. Si tous les sénateurs acceptent de reconnaître le travail effectué par les autres comités, nous allons procéder à l'étude article par article du projet de loi.

Par conséquent, chers collègues, acceptez-vous que le comité procède à l'étude article par article du projet de loi S- 215?

Des voix : Oui.

La présidente : L'étude du titre est-elle reportée?

Des voix : Oui.

La présidente : L'article 1 est-il adopté?

Des voix : Oui.

La présidente : Adopté. L'article 2 est-il adopté?

Des voix : Oui.

La présidente : Adopté. Le titre est-il adopté?

Des voix : Oui.

La présidente : Adopté. Le projet de loi est-il adopté?

Des voix : Oui.

La présidente : Adopté. Le comité souhaite-t-il annexer des observations au rapport?

Des voix : Non.

La présidente : Puis-je faire rapport du projet de loi sans amendement, sans observations, au Sénat?

Des voix : Oui.

La présidente : Honorables sénateurs, je vais déposer le rapport demain.

Nous allons maintenant nous réunir très brièvement à huis clos.

(Le comité poursuit ses travaux à huis clos.)


Haut de page