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Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 8 - Témoignages du 2 juin  2010


OTTAWA, le mercredi 2 juin 2010

Le Comité permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd'hui, à 16 h 15, pour étudier le projet de loi S-9, Loi modifiant le Code criminel (vol d'automobile et trafic de biens criminellement obtenus).

Le sénateur Joan Fraser (présidente) occupe le fauteuil.

[Français]

La présidente : Honorables sénateurs, le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd'hui pour étudier le projet de loi S-9, Loi modifiant le Code criminel (vol d'automobile et trafic de biens criminellement obtenus).

Nous avons le plaisir d'accueillir nos premiers témoins, qui sont de Statistique Canada.

[Traduction]

Nous entendons aujourd'hui des représentants du Centre canadien de la statistique juridique. Il s'agit de Julie McAuley, directrice; Mia Dauvergne, analyste principale, Programme des services policiers et Craig Grimes, analyste principal. Au moins deux d'entre vous êtes venus ici aussi souvent que certains sénateurs. Nous vous souhaitons la bienvenue à tous.

Je crois comprendre que Mme McAuley va faire la déclaration préliminaire. Bienvenue.

Julie McAuley, directrice, Centre canadien de la statistique juridique, Statistique Canada : Merci de nous donner l'occasion de témoigner devant le comité au sujet du projet de loi S-9.

Statistique Canada ne se prononce pas sur les modifications proposées dans le projet de loi. Nous avons réuni les données les plus récentes que nous possédons sur le vol de véhicules à moteur. Toutes les sources de ces données sont indiquées clairement sur les diapositives que nous avons assorties de notes pertinentes. Nous avons aussi ajouté des compléments d'information à la fin pour la gouverne des membres du comité et nous avons fait distribuer copie d'un article de Juristat sur le vol de véhicules à moteur, article qui a été publié en 2008 et où figurent des données de 2007.

Mes collègues Mme Mia Dauvergne et M. Craig Grimes m'aideront à répondre à vos questions.

La première diapositive montre que les vols de véhicules à moteur déclarés par la police au Canada accusent un recul depuis 1996. Le taux des vols de véhicules à moteur a chuté de 15 p. 100 entre 2007 et 2008. Le nombre des vols de véhicules à moteur déclarés par la police correspond aux infractions au cours desquelles on subtilise ou on tente de subtiliser un véhicule à moteur garé et ce sans l'autorisation du propriétaire. Cela inclut les cas où l'auteur de l'infraction a l'intention de voler un véhicule mais échoue.

En 2008, la police a déclaré qu'environ 125 000 véhicules à moteur avaient été volés, c'est-à-dire en moyenne 340 véhicules par jour. Ce chiffre inclut les vols réalisés et les tentatives de vol. Un peu plus de la moitié des véhicules à moteur volés en 2008 étaient des automobiles et un tiers étaient des camions.

Le vol de véhicules à moteur est un des crimes le plus souvent déclarés à la police au Canada. En 2008, il représentait 6 p. 100 de toutes les infractions au Code criminel et 7 p. 100 de toutes les infractions commises sans violence.

La diapositive suivante indique que les plus hauts taux de vols de véhicules à moteur seraient enregistrés dans les provinces de l'Ouest et dans le Nord du Canada. En 2008, c'est au Manitoba qu'on comptait le plus grand nombre de vols de véhicules à moteur déclarés et ce pour la douzième année consécutive. Toutefois, le taux des vols de véhicules à moteur au Manitoba a baissé au cours de trois des quatre dernières années, y compris une chute de 10 p. 100 en 2007 et une autre de 39 p. 100 en 2008. Cela veut dire qu'on revient à un taux qui n'avait pas été enregistré au Manitoba depuis le milieu des années 1990.

La diapositive suivante répartit les vols de véhicules à moteur selon la région métropolitaine de recensement. En 2008, le plus haut taux de vols de véhicules à moteur a été enregistré dans l'Ouest du Canada — à Winnipeg, Abbotsford-Mission et Kelowna. Depuis 16 ans, Winnipeg accuse un des plus hauts taux au Canada. En 2008, c'est à Winnipeg qu'ont été volés 81 p. 100 des véhicules à moteur volés au Manitoba.

Le vol de véhicules à moteur est l'un des crimes le moins souvent résolus par la police. En 2008, seulement 12 p. 100 des vols de véhicules à moteur se sont soldés par l'identification d'un prévenu, alors que dans le cas de toutes les autres infractions commises sans violence, ce pourcentage est de 34 p. 100.

On constate à la diapositive 5 que tout comme dans le cas des autres infractions commises sans violence, le vol de véhicules à moteur est un crime qui est l'apanage des jeunes. En 2008, le groupe des 15 à 18 ans accusait le taux le plus élevé de vols de véhicules à moteur déclarés par la police. Environ trois prévenus pour vol de véhicule à moteur sur 10 étaient des jeunes de 12 à 17 ans en 2008, ce qui se compare à la proportion de jeunes accusés d'autres infractions non violentes.

Environ 82 p. 100 des prévenus pour vol de véhicules à moteur étaient de sexe masculin en 2008. Dans le cas des autres infractions commises sans violence, les prévenus de sexe masculin représentaient 76 p. 100.

Sur la diapositive 6, vous pouvez voir les vols de véhicules à moteur déclarés par la police et le crime organisé. Ces données découlent d'une analyse réalisée en 2007. Nous n'avons pas encore trouvé de façon directe et fiable de mesurer l'implication du crime organisé, mais le taux de recouvrement de véhicules volés a été employé à titre de variable subrogative. Comme vous pouvez le voir, environ quatre véhicules volés sur dix n'ont pas été récupérés par la police, ce qui donne à penser que ces vols pourraient être liés au crime organisé. C'est dans la province de Québec que le taux de recouvrement de véhicules volés est le plus faible, et c'est à Winnipeg qu'il est le plus élevé.

Dans la diapositive suivante, nous revenons à la question des décisions rendues par les tribunaux à la suite de vols de véhicules à moteur. Il n'est pas possible de relever les vols de véhicules à moteur seulement à partir des dossiers administratifs des tribunaux, car ce type de vols est consigné en ce moment avec toutes les autres catégories de vols énoncés dans l'article 334 du Code criminel. Toutefois, nous pouvons établir un lien avec les dossiers judiciaires, qui comprennent des décisions rendues dans les affaires pénales, des dossiers de police et certaines caractéristiques sur l'infraction, permettant ainsi de relever cette sous-catégorie de vol au Canada.

On nous demande souvent si les vols de véhicules à moteur sont traités différemment des autres types de vols par les tribunaux. Récemment, nous avons établi un lien entre les dossiers administratifs pour répondre à cette question dans le cadre d'un autre projet.

Un échantillon non représentatif des dossiers judiciaires a montré des différences dans la façon dont les vols de véhicules à moteur étaient traités par les tribunaux par rapport aux autres types de vols. On avait plus souvent recours à l'incarcération dans les cas de condamnation pour vol de véhicules à moteur, et on a dénoté des différences considérables dans la durée de l'incarcération pour ce type d'accusation par rapport à tous les autres types de vols.

L'article 335 du Code criminel stipule que le fait de prendre un véhicule à moteur sans le consentement du propriétaire constitue une infraction similaire au vol. Dans la diapositive 8, on constate que plusieurs milliers de causes impliquant des accusations assimilables au vol ont été entendues par les tribunaux pénaux canadiens chaque année. Le nombre d'accusations portées contre les jeunes a chuté depuis l'entrée en vigueur de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, alors que le nombre d'accusations portées contre des adultes a été généralement à la hausse au cours des 10 dernières années.

La proportion de condamnations d'adultes et de jeunes a tendance à être plus élevée pour ce type d'accusation par rapport aux autres, mais elle est presque identique à celle des accusés déclarés coupables de vol en vertu de l'article 334.

Passons maintenant aux données fournies par les tribunaux pénaux au sujet de la possession de biens criminellement obtenus. Le trafic de ce type de biens constitue une nouvelle infraction proposée par le projet de loi S-9. Or, il est impossible d'obtenir des données sur la mesure selon laquelle ces dossiers judiciaires comprennent également des accusations de trafic de biens criminellement obtenus. Toutefois, il est possible d'obtenir des données sur le nombre de causes qui comprennent une infraction sous-jacente de possession de biens criminellement obtenus. Depuis 2000-2001, environ 10 p. 100 des cas, soit plus ou moins 40 000 dossiers par année, comprenaient au moins une accusation de possession de biens criminellement obtenus.

Bref, le vol de véhicules à moteur continue d'être très présent au Canada, mais le taux de vols de véhicules à moteur déclarés par la police continue d'être à la baisse depuis 1996. Les taux de vols de véhicules à moteur sont particulièrement élevés dans l'Ouest du pays. Les taux de recouvrement des véhicules servent de variable subrogative pour évaluer l'implication du crime organisé, ce qui nous a amené à constater que les taux de recouvrement varient d'un bout à l'autre du pays. Les véhicules volés sont moins souvent récupérés au Québec par rapport au reste du Canada, contrairement à Winnipeg où l'on enregistre l'un des taux les plus élevés de recouvrement au pays.

La présidente : Monsieur Grimes ou madame Dauvergne, voulez-vous ajouter quelque chose? Votre exposé est fascinant. Nous passerons donc aux questions.

Le sénateur Wallace : Je vous remercie madame la présidente, et je remercie également madame McAuley de son exposé. Vous nous avez transmis des renseignements utiles. J'ai une question qui ne porte pas sur les renseignements que vous venez de présenter.

Vous savez sans doute que l'un des objectifs du projet de loi est de s'attaquer à l'importation et à l'exportation de voitures volées. Nous comprenons que c'est en tout ou en partie relié à des organisations criminelles.

Dans ce contexte, est-ce que votre ministère a des statistiques ou des renseignements que vous pourriez nous donner au sujet de l'étendue du commerce illégal transfrontalier, non pas seulement de voitures mais aussi de pièces provenant d'ateliers de mécanique clandestins?

Mia Dauvergne, analyste principale, Programme des services policiers, Centre canadien de la statistique juridique, Statistique Canada : Nous n'avons pas de renseignements précis sur l'implication du crime organisé dans le vol de véhicules à moteur. Comme Mme McAuley l'a expliqué, nous pouvons utiliser le taux de recouvrement des véhicules comme variable subrogative. Outre ce calcul, nous n'avions rien pour l'instant.

Le sénateur Wallace : J'ai remarqué cela dans votre exposé. Cela dit, avez-vous des renseignements au sujet de la nature des activités illicites transfrontalières? Cela relève-t-il plutôt de l'Agence des services frontaliers du Canada?

Mme Dauvergne : Cela va au-delà de notre cueillette de données.

Le sénateur Wallace : Merci beaucoup.

Le sénateur Angus : Je comprends qu'il s'agit de données brutes, et probablement que vous n'avez pas encore tiré de conclusions, mais je viens de Montréal, et j'aurais une question à vous poser. J'imagine que les taux de recouvrement les plus faibles sont constatés près du port. Avez-vous des données qui laissent à penser que la raison pour laquelle le taux de recouvrement est si faible, c'est parce que les véhicules volés dans la région de Montréal quittent le pays sur des navires?

Mme Dauvergne : Nous n'avons pas de données qui indiquent ce qui arrive aux véhicules volés, outre les données sur les véhicules récupérés. C'est pourquoi nous utilisons le taux de véhicules non récupérés comme variable subrogative pour établir l'implication du crime organisé.

Le sénateur Angus : Vous avez dit quatre véhicules sur dix. Je crois que vous avez fourni des explications à cet égard, madame McAuley. Toutefois, j'aimerais m'assurer d'avoir bien compris. Quatre véhicules sur dix ne sont pas récupérés. Donc, je présume que 60 p. 100 des véhicules sont récupérés?

Mme McAuley : Oui.

Le sénateur Angus : Est-ce la moyenne nationale?

Mme McAuley : Oui, en effet.

Le sénateur Angus : J'imagine que cela varie d'une région à l'autre. À Montréal, ce taux ne serait que de un véhicule sur dix, n'est-ce pas? C'est la conclusion que j'en tire, et je ne pense pas me tromper.

Mme McAuley : Oui, c'est une moyenne pour l'ensemble du pays. Je vous invite à consulter le tableau 2 de la dernière page d'un article de Juristat qui vous a été remis. Vous pourrez voir les variations régionales plus en détail.

Le sénateur Angus : Ces données portent toujours sur les vols de véhicules en entier, n'est-ce pas? Cela n'a rien à voir avec les objets volés dans les véhicules?

Mme Dauvergne : Il s'agirait alors de tentative de vol ou de vol d'un véhicule, oui, vous avez raison.

Le sénateur Angus : Ce phénomène est un véritable fléau à Montréal. D'ailleurs, il y a deux nuits, durant les trois minutes que cela m'a pris pour aller de mon domicile à celui de quelqu'un d'autre, j'ai vu cinq piles de vitres de fenêtres d'autos par terre, ce qui signifie cinq vols à bord de véhicules. Les fenêtres ont éclaté en un éclair. Y a-t-il des statistiques au sujet de ce type d'introductions et de vols?

Mme Dauvergne : Nous ne recueillons pas d'informations sur les vols perpétrés à l'intérieur des véhicules à moteur. Cela relèverait de la catégorie des pièces d'autos. Nous n'avons pas de données à ce sujet aujourd'hui avec nous mais nous pouvons les transmettre au comité.

Le sénateur Angus : Alors, des données existent?

Mme Dauvergne : Oui.

Le sénateur Angus : Merci.

Mme McAuley : J'aimerais éclaircir un point : il s'agit d'introductions dans les véhicules qui sont déclarés par la police. Il incombe à chaque propriétaire de déclarer directement ces incidents à la police.

Le sénateur Angus : Vous avez bien de la chance si vous réussissez à ce qu'un policier dresse un constat. Il y a tant de cas de ce genre.

Le sénateur Lang : Dans la même veine que le sénateur Angus, à la cinquième diapositive « Auteurs présumés de vols de véhicules à moteur déclarés par la police, 2008 », les colonnes montrent bien les groupes d'âge des délinquants et le nombre de délits déclarés dans ce groupe d'âge, n'est-ce pas?

Mme McAuley : Il s'agit du taux pour 100 000 habitants.

Le sénateur Lang : Pour les jeunes âgés de moins de 18 ans, on constate que le nombre de véhicules volés est énorme. En partie, il s'agit de cas de prise d'un véhicule à moteur sans consentement, je suppose, ils se baladent en voiture volée et mettent autant la sécurité de la population que celle des voleurs en danger.

Compte tenu des chiffres, le ministère de la Justice du Canada envisage-t-il d'adopter une loi qui viserait les jeunes de moins de 18 ans et d'apporter peut-être des modifications qui seraient plus dissuasives que les mesures actuelles, afin de réduire un peu les chiffres que l'on voit sur ce tableau?

Mme McAuley : Nous ne sommes pas en mesure de répondre à cette question. Il vaudrait mieux la poser aux représentants du ministère de la Justice du Canada.

Le sénateur Lang : D'accord. Cela répond à ma question, madame la présidente.

La présidente : Je crois qu'on prévoit porter des adaptations au système de justice pénale pour les adolescents, mais notre comité n'en a pas encore été saisi.

Le sénateur Lang : Et je sais que cela dépasse la portée de la mesure législative que nous examinons, mais c'est un renseignement qui vaut la peine d'être pris en compte.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Je tiens à m'excuser pour ce retard dû à un événement hors de mon contrôle et je remercie les témoins de leur présence. Je m'excuse également auprès d'eux puisque je n'ai pu entendre la totalité de leur présentation. Il s'agit d'un sujet très intéressant et ma principale préoccupation concerne l'âge des criminels qui commettent l'infraction de vol d'automobile.

J'ai regardé le tableau à l'item « auteurs présumés ». Lorsqu'on observe la courbe relative 2 « jeunes de 12 ans à 18 ans », nous pouvons constater que presque deux tiers des voitures volées seraient le fait de vols commis par des jeunes de moins de 18 ans. Le vol d'automobile est donc une façon de faire l'apprentissage de la criminalité pour beaucoup de jeunes.

Par ailleurs, le taux de résolution de ces vols d'automobiles est de 10 p. 100. Cela veut donc dire que ce sont des jeunes qui ne se font jamais arrêter et qu'ils peuvent poursuivre dans cette veine pendant des années. Cela fait en sorte qu'ils deviennent de plus en plus criminalisés et que le coût de réhabilitation de ces jeunes par l'État est de plus en plus grand parce que la criminalité s'incruste de plus en plus.

Quelles sont les statistiques concernant le type de sentences rendues pour la proportion de 10 p. 100 de ces jeunes qui se font arrêter et qui m'apparaissent être des jeunes de 18 ou 19 ans? Nous avons un fichu problème avec le commerce de vol d'automobiles organisé où le taux de résolution est presque nul et qui est composé de criminels mineurs. Y a-t-il des sentences qui sont rendues?

[Traduction]

Craig Grimes, analyste principal, Centre canadien de la statistique juridique, Statistique Canada : Les données que nous recueillons d'une façon générale ne permettent pas d'extraire des données relatives aux peines imposées pour vol d'automobile. Cela est dû au fait qu'à l'heure actuelle, le vol d'auto relève de l'article 334 du Code criminel. Il n'est pas possible de ventiler les vols d'autos par rapport aux autres vols à partir des données sur les peines imposées par les tribunaux sans consulter les dossiers de police. Nous l'avons fait dans un autre projet d'une utilité très limitée. Je ne peux pas vous en dire davantage au sujet des jeunes contrevenants.

Le sénateur Boisvenu : C'est très inquiétant.

Le sénateur Runciman : J'ai une question au sujet des jeunes contrevenants, dans la même veine que la question du sénateur Boisvenu. J'imagine que vous ne conservez pas de statistiques sur la déjudiciarisation. Vous ne pouvez pas nous dire s'il y a plus de cas de déjudiciarisation que de mise en accusation. Vous ne conservez pas de telles statistiques qui nous permettraient d'examiner cette question, n'est-ce pas? Je parle plus précisément du vol d'automobiles, mais les statistiques pourraient être de nature plus générale.

Il y a quelques années, nous avons présenté un projet de loi sur le système de justice pénale pour les adolescents dans lequel le mot d'ordre était la déjudiciarisation. On a dit qu'il y avait eu dans ma circonscription un vol de voiture durant lequel les policiers avaient chassé le voleur pendant une demi-heure pour finalement arrêter le véhicule. Le voleur était âgé de 15 ans. Il a reçu un avertissement et a dû faire, je crois, quelques heures de services communautaires, qui ne sont jamais surveillées. Je ne sais pas quelle est la fréquence de tel cas.

Conservez-vous des statistiques sur le nombre de cas déjudiciarisés par rapport à ceux qui font l'objet de peines réelles?

Mme Dauvergne : Nous avons cette information dans la mesure où elle nous est rapportée par les services policiers. Nous disposons de différentes enquêtes pour recueillir de l'information sur les crimes au Canada, dont une enquête basée sur l'information déclarée par les policiers. À partir de cette information, nous pouvons faire la distinction entre les jeunes qui sont accusés de vol d'auto et ceux contre qui des accusations de vol d'auto ne sont pas portées.

Ce dont M. Grimes parlait, c'est de l'information sur les peines. Il n'est pas possible de retirer ces données de toutes celles relevant de l'application de l'article 334 du Code criminel.

Le sénateur Runciman : Nous est-il possible d'obtenir cette information?

Mme Dauvergne : Nous pourrions en tout cas vous communiquer l'information déclarée par les policiers.

M. Grimes : Il y a aussi l'information judiciaire relative aux suspensions de procédures ou aux retraits. Dans cette catégorie, il y a aussi un certain nombre d'autres sanctions. Il est très difficile d'extraire des données de l'information sur la déjudiciarisation. Comme l'a dit Mme Dauvergne, il y a aussi les infractions classées sans mise en accusation. En ce qui concerne les tribunaux, la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents permet d'imposer d'autres sanctions, dont des réprimandes. Toutes ces données sont disponibles.

Le sénateur Runciman : Quelle relation entretenez-vous avez les services policiers afin de garantir que la collecte de données soit la plus productive et la plus utile possible? Comment procédez-vous?

Mme Dauvergne : Nous entretenons depuis longtemps des relations avec tous les services policiers du pays. Nous travaillons avec ces services au quotidien. Les renseignements qu'ils déclarent font l'objet d'un processus de vérification rigoureux comprenant entre autres un suivi auprès de tous les services policiers du pays pour toutes les infractions qui sont déclarées, afin de nous assurer que l'information est fiable et uniforme d'un bout à l'autre du pays.

Le sénateur Runciman : Des services policiers vous fournissent les données, et vous préparez des rapports publics. Qui décide comment ces données seront publiées? Vous faites rapport de taux de criminalité plutôt que de nombres de crimes, par exemple. Qui prend de telles décisions? Est-ce le ministère lui-même?

Mme McAuley : Cela relève du mandat de Statistique Canada. L'information que nous recueillons est publiée chaque année; nous publions les statistiques sur la criminalité et sur les taux de criminalité la troisième semaine de juillet. Nous publions maintenant un indice de gravité de la criminalité. Si l'information que nous recevons des services policiers est de bonne qualité, nous la publions.

Le sénateur Runciman : J'ai lu un article disant que vous faites également une enquête sur les victimes de la criminalité. Est-ce exact?

Mme McAuley : Oui, nous faisons tous les cinq ans une enquête sur les victimes de la criminalité.

Le sénateur Runciman : On dit dans cette enquête que le nombre de crimes pourrait être trois fois plus élevé que ce que vous signalez. Cela laisse entendre que les gens ne déclarent pas les crimes dont ils sont victimes pour toutes sortes de raisons : ils ne font pas confiance au système de justice ou craignent d'être victimisés de nouveau.

Les statistiques sur la criminalité qu'on nous présente sont constamment favorables. Les gens peuvent-ils vraiment faire confiance à ces statistiques s'il y a un écart entre elles et le nombre de crimes réels? J'aimerais que vous me disiez si la population doit être rassurée au sujet de la diminution de la criminalité au Canada, comme les médias le laissent entendre.

Mme McAuley : Je ne peux pas vous fournir d'opinion personnelle à ce sujet. Nous préparons des statistiques tous les cinq ans sur les victimes de la criminalité. Nous examinons les données qui en ressortent. Les nouvelles données seront disponibles en août. Nous examinons ces données par rapport à notre taux de criminalité, et nous analysons les différences.

Le sénateur Runciman : Publiez-vous également ces données?

Mme McAuley : Oui, nous les publions. Nous publierons pour la première fois en août les résultats de l'enquête sociale générale sur la victimisation criminelle.

Le sénateur Joyal : J'aimerais revenir au tableau où l'on montre en parallèle les deux lignes représentant les adultes et les adolescents.

La présidente : Il s'agit du tableau de la page 8, je crois.

Le sénateur Joyal : Oui, celui de la page 8. J'ai lu très rapidement l'article que vous avez fourni avec ces tableaux, l'autre document. Vous dites que trois véhicules sur dix sont volés par des adolescents. Entendez-vous par là des jeunes de moins de 18 ans?

Mme McAuley : Toute personne âgée de 12 à 17 ans.

Le sénateur Joyal : Trois voitures sur dix sont volées par des jeunes de ce groupe d'âge. Savez-vous quels groupes d'âge volent les sept autres voitures? Dans quel groupe d'âge constate-t-on la plus forte proportion de vols? Votre recherche a-t- elle porté là-dessus?

M. Grimes : Ce sont des données différentes de celles qui apparaissent sur la diapositive 8.

Mme McAuley : Une précision : quand nous disons trois sur dix, il s'agit de prévenus. Cela ne signifie pas nécessairement qu'il y a eu une peine. C'est tout simplement le nombre des accusés.

Le sénateur Joyal : Je vois. Nous ne pouvons pas en conclure que tous sont coupables de vol de voiture, n'est-ce pas?

Mme McAuley : Il s'agit du nombre des accusés.

Le sénateur Joyal : Dans l'article de Juristat, au tableau 1, vous indiquez que le récent recul des vols de véhicules à moteur déclarés par la police serait attribuable en partie à la mise en œuvre de programmes et de politiques spécifiques par nombre de services policiers. Vous citez d'autres programmes à Vancouver, Winnipeg, Regina, et bien sûr en Colombie-Britannique. Vous faites allusion à l'utilisation d'un système GPS. À votre avis, cela explique-t-il que depuis cinq ans, le nombre de vols de véhicules à moteur ait chuté?

Mme McAuley : Je ne pourrais pas répondre à cela. Vous devriez poser cette question à M. Linden, qui viendra témoigner tout à l'heure et qui pourrait vous renseigner à ce sujet.

Le sénateur Joyal : Vous ne voyez pas de rapport entre la baisse du nombre de vols et le fait que les services policiers sont conscientisés davantage, tout comme les marchands de voitures qui invitent les consommateurs à s'équiper d'un système GPS afin de bénéficier d'une protection accrue? Autrement dit, les statistiques que vous possédez ne vous permettent pas d'établir une corrélation à cet égard?

Mme McAuley : Non, nous ne pourrions pas donner des conclusions probantes à cet égard. Voilà pourquoi je vous invite à poser la question à votre témoin suivant.

Le sénateur Joyal : Pouvez-vous expliquer pourquoi les deux courbes qui figurent à la page 8 de votre exposé et qui représentent les vols commis par des jeunes et ceux qui sont commis par des délinquants adultes étaient presque les mêmes en 2005-2006, voire les mêmes?

M. Grimes : La diapositive 8 regroupe des données judiciaires et cela porte sur une infraction qui ressemble à un vol, c'est-à-dire subtiliser un véhicule à moteur sans le consentement du propriétaire. Les données judiciaires ne nous permettent pas de faire la distinction entre le vol d'un véhicule à moteur et le vol de manière générale. L'infraction est décrite dans le Code criminel et vise plus particulièrement les véhicules à moteur, mais il n'y a pas véritablement vol. Le Code criminel décrit l'infraction comme ressemblant à un vol. Le gros des vols sur lesquels nous obtenons des données relève de l'article 334 et non de l'article 335.

Le sénateur Joyal : Est-ce que je tire la bonne conclusion de la page 8? Les vols commis par les jeunes, de façon générale, compte tenu des réserves que vous avez énoncées, n'ont pas cessé de diminuer alors que les vols commis par des adultes ont augmenté légèrement au cours des deux ou trois dernières années?

Mme McAuley : Ce tableau indique que le nombre d'accusations portées contre des jeunes a baissé alors que le nombre d'accusations portées contre des adultes a augmenté de façon générale.

Le sénateur Joyal : Voyez-vous une raison particulière qui expliquerait ce déclin? Serait-ce parce que la police ne porte plus d'accusations? Y aurait-il eu des interventions si bien que le tribunal aurait déclaré un non-lieu? Serait-ce parce que les jeunes se rendent davantage compte que le vol de voitures est un crime que l'on ne devrait pas commettre? Sont-ils mieux renseignés ou sensibilisés? Pouvez-vous établir une corrélation entre les deux?

Mme McAuley : Je ne pourrais pas répondre à la dernière partie de votre question concernant l'attitude des jeunes, mais nous pourrions certainement voir s'il y a eu diminution du nombre d'accusations portées par la police, grâce aux données dont Mme Dauvergne parlait tout à l'heure, et vous communiquer nos résultats.

La présidente : Diriez-vous que le vieillissement de la population a quelque chose à voir avec la diminution du nombre d'accusations portées contre les jeunes?

Mme McAuley : Nous devons d'abord étudier la question avant de pouvoir donner une réponse au comité.

[Français]

Le sénateur Carignan : J'ai lu un article sur Juristat, rédigé par Mme Dauvergne. Un point en particulier m'embête concernant les mobiles cités pour le taux élevé d'infractions commises par les jeunes âgés entre 15 à 18 ans. On dit, entre autres, qu'une étude sur les jeunes contrevenants a démontré que les virées, le transport et la recherche de sensations fortes constitueraient les principaux mobiles. Parmi les véhicules les plus volés, on retrouve bien sûr les Honda, mais également les Grand Caravan, Plymouth Voyager, Shadow et Plymouth Sundance.

Le sénateur Boisvenu : Ce n'est pas très attrayant, du moins pas comme les Rolls-Royce.

Le sénateur Carignan : Ce n'est pas ce qui procure les plus grandes sensations fortes.

Existe-t-il une étude sur les types de véhicules volés selon l'âge de l'individu? A-t-on recoupé ces informations pour valider cette hypothèse des auteurs Anderson et Linden?

[Traduction]

Mme Dauvergne : Statistique Canada ne s'est pas penché sur cette question mais je crois savoir que M. Linden pourra vous en parler.

[Français]

Le sénateur Carignan : Nous avons ici l'âge des personnes accusées. Existe-t-il d'autres études où l'on retrouve l'âge des personnes qui ont volé? On pourrait formuler l'hypothèse que les jeunes sont moins habiles et se font prendre plus souvent, ce qui augmente le taux d'accusations dans ce groupe.

A-t-on validé ce point ou existe-t-il d'autres études ou statistiques que celles des taux d'accusation selon l'âge? Je ne sais pas si ma question est claire.

[Traduction]

Mme Dauvergne : Puis-je vous demander de reformuler votre question?

[Français]

Le sénateur Carignan : Les données nous révèlent le nombre de vols par groupe d'âge. L'étude est basée sur les personnes qui ont été arrêtées. Existe-t-il d'autres façons de déterminer l'âge, comme on le fait, par exemple, dans une étude de victimisation, mais à l'inverse, pour déterminer le nombre de vols par groupe d'âge? On pourrait présumer que le chiffre est contaminé par le fait que le jeune, étant moins habile, se fait prendre plus souvent. La personne âgée de 30 ans, étant plus expérimentée, se fait prendre moins souvent, ce qui change un peu les statistiques.

[Traduction]

Mme Dauvergne : Je n'ai pas de renseignement sur les autres études qui portent précisément sur le rapport entre l'âge et les auteurs de vols de véhicules à moteur. Toutefois, je peux vous dire que fréquemment nous constatons qu'un nombre disproportionné de jeunes commettent des crimes et, en l'occurrence, des vols de véhicules à moteur.

M. Grimes : Voici la difficulté : pour répondre à votre question, il nous faudrait des renseignements sur les individus qui n'ont pas été arrêtés, ce qui nous permettrait de voir s'il y a une différence entre ceux qui le sont et ceux qui ne le sont pas. Nous n'avons pas les données nécessaires à cette analyse.

[Français]

La présidente : Votre collègue le sénateur Boisvenu aimerait poser une question supplémentaire.

Le sénateur Boisvenu : J'ai regardé rapidement les statistiques. Elles nous disent que le taux de résolution et le pourcentage de récupération d'une voiture volée est le plus bas au Québec et le plus élevé dans l'ouest. Pouvons-nous présumer que les virées sont dans l'ouest et que le crime organisé est au Québec? On ne retrouve pas les véhicules au Québec, il se peut que ces véhicules servent au crime organisé mais que les jeunes de l'ouest aient plus de plaisir à faire des virées.

Le sénateur Carignan : Les jeunes de l'ouest aiment plus les parties.

Le sénateur Boisvenu : Est-ce que vous avez noté que le taux de résolution est beaucoup plus bas au Québec qu'ailleurs? Si le taux de résolution est plus bas au Québec — on ne retrouve pas les voitures — alors est-ce que crime organisé est plus présent au Québec? Vous ne voulez pas vous prononcer?

[Traduction]

M. Grimes : Ici, la difficulté est semblable. Il s'agirait de savoir combien de véhicules n'ont pas été retrouvés et à partir de ce nombre, de faire une estimation. Ce n'est pas possible. Nous n'avons pas ces données.

Le sénateur Boisvenu : C'est du simple au double. L'écart est énorme.

Mme McAuley : L'état de recouvrement des véhicules nous sert de mesure indirecte, comme vous le voyez à la diapositive 6. Voilà comment nous procédons. Nous n'avons pas de données fiables sur le crime organisé au Canada.

Le sénateur Joyal : Je pense que le dernier paragraphe de la page qui commence par le tableau 4 dans l'article de Juristat illustre l'argument présenté par le sénateur Boisvenu.

En 2007, environ 4 véhicules volés sur 10 n'ont pas été retrouvés par la police, ce qui laisse entendre qu'une proportion considérable de vols de véhicules à moteur est liée au crime organisé. Selon le Service canadien de renseignements criminels, les réseaux du crime organisé impliqués dans les vols de véhicules opèrent principalement à partir de Montréal et de Toronto (Service canadien de renseignements criminels, 2008). Non seulement Montréal a déclaré le nombre le plus élevé de véhicules à moteur au pays, mais elle a aussi affiché le taux de recouvrement le plus faible. Toronto a enregistré le deuxième nombre en importance de vols de véhicules à moteur mais son taux de recouvrement se rapprochait sensiblement de la moyenne nationale. À Winnipeg, où les prises de véhicules à moteur sans consentement sont fréquentes, la grande majorité (82 p. 100) des véhicules à moteur volés ont été retrouvés par la police.

C'est inouï. À Winnipeg, les prises de véhicules à moteur sans consentement sont fréquentes et la police retrouve les véhicules en question à quelques pâtés de maison.

Étant donné que vous établissez un rapport direct entre le crime organisé et le taux de recouvrement, on aurait tendance à en conclure que là où le taux de recouvrement est le plus faible, c'est parce que les véhicules volés sont en fait entre les mains du crime organisé. Est-ce une mauvaise paraphrase de ce que dit le rapport?

Mme Dauvergne : Nous disons que c'est une possibilité. Nous ne pouvons pas dire que c'est une conclusion.

Le sénateur Joyal : Je ne veux pas engager une discussion à ce sujet. Je voulais rappeler certains faits à la suite de l'argument présenté par le sénateur Boisvenu.

Le sénateur Carstairs : On n'a pas pris en compte le nombre d'habitants de ces villes. Les populations de Montréal et de Toronto sont considérablement supérieures à celle de Winnipeg. C'est un facteur.

Autres facteurs possibles : au Manitoba, le régime d'assurance-automobile est public. Ainsi, la province fait des campagnes publicitaires concernant les véhicules volés et la façon d'éviter qu'ils le soient.

Ce qui est intriguant dans le cas des prises de véhicules à moteur sans consentement, c'est que les jeunes gens qui s'y adonnent ne volent pas une seule voiture dans la journée. Ils volent cinq ou six voitures pendant la même journée. Techniquement, on peut dire qu'ils ont volé six voitures en une journée pour faire des virées. Ces véhicules sont presque toujours retrouvés.

Le sénateur Runciman : En principe, si l'on peut attribuer les prises de véhicules à moteur sans consentement aux jeunes citoyens, on pourrait faire le lien entre l'âge et les lieux où les virées se produisent. Je ne sais pas si c'est le genre d'analyse que vous pouvez nous fournir, mais ce serait utile également pour comprendre le phénomène.

La présidente : Bien entendu, toute information détaillée nous est utile.

[Français]

Le sénateur Carignan : Sur les statistiques des 10 véhicules les plus volés en 2007, est-ce un chiffre absolu de types de véhicules volés ou en proportion du nombre de véhicules en circulation de cette marque ou de ce modèle au Canada?

[Traduction]

Mme Dauvergne : Vous reportez-vous à l'encadré 1 du rapport Juristat?

[Français]

Le sénateur Carignan : L'encadré un sur les dix véhicules les plus souvent volés en 2007.

[Traduction]

Mme Dauvergne : Cela dépend du nombre de véhicules volés.

[Français]

Le sénateur Carignan : Cela dépend du nombre total de véhicules volés?

Mme Dauvergne : Oui.

Le sénateur Carignan : Je reviens sur la statistique des jeunes, particulièrement le graphique quatre. Est-ce que vous avez un découpage de l'âge versus le type de véhicules volés pour nous permettre de déterminer si c'est une virée ou si cela relève du crime organisé?

[Traduction]

Mme Dauvergne : Pour ce qui est de la première partie de votre question, c'est-à-dire le type de véhicule volé, je ne pourrais vous donner les marques, comme vous les trouvez à l'encadré 1. Toutefois, je pourrais vous donner le type de véhicule. Par exemple, je peux vous dire si c'était une voiture ou un camion ou un autre type de véhicule. Je peux faire la ventilation par groupe d'âge.

Quant à l'autre partie de votre question concernant le crime organisé, nous n'avons pas de renseignements sur la participation des jeunes au crime organisé.

Le sénateur Baker : Comme d'habitude, les renseignements que nous donnent nos témoins nous sont très utiles. Toutefois, j'ai deux courtes questions.

Tout d'abord, on a associé le vol d'automobiles à la prise d'un véhicule à moteur sans consentement. Si je me souviens bien, le Code criminel prévoit deux accusations distinctes en l'occurrence, avec divers éléments et des peines différentes. C'est à l'article 335 que se trouve la prise d'un véhicule à moteur sans consentement, et c'est une infraction punissable sur déclaration sommaire de culpabilité.

Étant donné le nombre total de prévenus, ne serait-il pas relativement simple de faire une distinction entre les accusations portées en vertu de l'article 334 du Code criminel, qui concerne le vol, et les accusations portées en vertu de l'article 335, ce qu'on appelle la prise d'un véhicule à moteur sans consentement?

M. Grimes : Les tribunaux, oui, peuvent le faire. Nous pouvons faire la distinction. Le problème est que pour les accusations portées en vertu de l'article 334, nous ne pouvons pas dire si l'objet volé était un véhicule à moteur ou quelque chose d'autre.

Le sénateur Baker : Je comprends. Toutefois, je n'ai pas compris l'amalgamation. Aux termes de l'article 334, la prise d'un véhicule à moteur sans consentement n'est pas un vol. Cependant, l'article 335 traite du fait de prendre un véhicule sans permission, non pas pour le voler, non pas dans l'intention de le voler.

Si on fait une différence dans les accusations portées — selon l'article 335 et l'article 334 — pourquoi associer la prise d'un véhicule à moteur sans consentement à un vol dans notre discussion? Assurément, les chefs d'accusation sont traités complètement différemment par les tribunaux.

Mme Dauvergne : Les services de police fournissent des renseignements à Statistique Canada au titre d'un code pour les infractions qui combine les deux groupes.

Le sénateur Baker : C'est vraiment dommage car l'infraction prévue à l'article 335 n'est pas incluse à l'article 334 et c'est très étrange. D'habitude, vous recevez un rapport. Si l'infraction était incluse, on comprendrait mais ce n'est pas le cas. C'est très malheureux. Je ne m'explique pas cela. Quand une accusation est portée, elle l'est en vertu d'un article précis du Code criminel.

Le président : Le sénateur Lang voudrait poser une brève question complémentaire.

Le sénateur Lang : Permettez-moi de poursuivre sur cette question. À l'article 335, l'infraction prévue est la prise d'un véhicule à moteur sans consentement mais cela inclue-t-il d'autres véhicules comme par exemple les motoneiges?

Le sénateur Baker : Absolument. Tout comme les fourgonnettes et les motocyclettes. Les motoneiges sont aussi définies comme des véhicules.

Le sénateur Lang : Quand j'ai consulté ce tableau, madame la présidente, j'ai pensé qu'il s'agissait de vols d'automobiles mais je constate que le champ est beaucoup plus vaste.

La présidente : Les choses se compliquent au fur et à mesure que nous avançons.

Mme McAuley : Nous avons une définition des véhicules terrestres à moteur et cela comprend les voitures, les camions, les fourgonnettes, les véhicules utilitaires sport, les motocyclettes, les autobus et les motoneiges.

Mme Dauvergne : Nous pourrions, toutefois, créer des sous-catégories.

Le sénateur Baker : Vous ne pourrez peut-être pas le faire par chef d'accusation car il est question dans l'article de « véhicule ».

Mme Dauvergne : Étant donné la façon dont les services policiers nous transmettent les renseignements, ils peuvent cependant nous donner...

Le sénateur Baker : Je suppose qu'ils disent « chiper une motoneige ».

Mme Dauvergne : On ne va pas jusque-là dans les détails. Je pourrais cependant vous dire s'il s'agit d'une automobile — une voiture — ou je pourrais vous dire s'il s'agit d'un camion ou encore d'un autre type de véhicule.

Le sénateur Baker : J'ai une dernière question. Excusez-moi de prendre autant de temps, madame la présidente. Une disposition du Code criminel, l'article 354, dont le titre est « Possession d'un véhicule à moteur dont le numéro d'identification a été oblitéré », stipule qu'une personne qui a en sa possession un véhicule à moteur, ou toute pièce d'un tel véhicule, dont le numéro d'identification a été totalement ou partiellement enlevé ou oblitéré commet une infraction. Le même libellé exactement figure dans le projet de loi dont nous sommes saisis.

Avez-vous des statistiques sur ce type d'infraction? Vous êtes-vous penchés sur cette question? Il s'agit du paragraphe 354(2) du Code criminel.

M. Grimes : Les données qui concernent les articles 354 et 355 du Code criminel figurent dans des tableaux supplémentaires et portent sur la possession de biens criminellement obtenus.

Le sénateur Baker : Oui.

M. Grimes : Je ne peux pas vous dire de mémoire mais il est possible que nous puissions isoler les infractions en vertu du paragraphe 354(2).

Le sénateur Baker : Je pose la question car il serait utile d'avoir des statistiques là-dessus. Depuis cinq ans, au Canada, il n'y a pas eu une seule condamnation en vertu de l'article qui porte sur l'oblitération du numéro d'identification du véhicule. Je n'ai rien pu trouver. Il serait utile de savoir si vous avez des statistiques là-dessus.

M. Grimes : Je vais fournir à la greffière du comité les statistiques que nous avons sur les divers paragraphes des articles 354 et 355.

Le sénateur Baker : Peut-être qu'il y a eu des accusations mais personne n'a été condamné. De toute façon, c'est bien.

La présidente : Avant de passer à la deuxième série de questions, je voudrais poser quelques brèves questions moi- même.

Tout d'abord, vous nous avez fourni des données intéressantes sur la tendance des vols de véhicules à moteur déclarés par la police et sur les accusations portées pour avoir pris un véhicule à moteur sans consentement. Avez-vous des données sur le taux de recouvrement? Étant donné que vous faites des calculs grâce à une variable subrogative, je voudrais savoir si vous avez des données qui nous permettraient de comprendre la tendance en ce qui concerne la criminalité organisée, dans la mesure où de telles données existent.

Mme Dauvergne : Il existe certaines données. Nous pourrions vous fournir une tendance. Toutefois, ce serait limité puisqu'il s'agit seulement d'un échantillon provenant des services policiers et représentant environ la moitié de la population du Canada.

La présidente : Est-ce que cela couvrirait le Manitoba, le Québec, l'Ontario, le Nouveau-Brunswick, Terre-Neuve-et- Labrador et le Yukon? Ce sont les provinces des sénateurs ici présents.

Mme Dauvergne : Il nous faudrait calculer la proportion représentée pour chaque province. Je n'ai pas ces données actuellement.

La présidente : D'accord. Ce serait intéressant. En ce qui concerne l'obtention de statistiques qui indiqueraient ce que vous voulez qu'elles indiquent, diriez-vous que l'adoption de ce projet de loi vous facilitera la tâche pour préparer des statistiques sur le vol de véhicules à moteur?

M. Grimes : S'il y a une nouvelle disposition dans le Code criminel...

La présidente : Vous pourrez alors les cerner, n'est-ce pas?

M. Grimes : Les renseignements que nous obtenons correspondent aux articles du Code criminel invoqués devant les tribunaux. Actuellement, l'article 334 n'offre pas la possibilité d'isoler les caractéristiques. On peut supposer qu'une modification au Code criminel apporterait des modifications aux données que nous recueillons.

La présidente : Le dernier paragraphe de la diapositive 7 fait allusion à un échantillon non représentatif. Je suppose que vous êtes puriste en l'occurrence et qu'un échantillon non représentatif est un de ceux qui ne réunit pas tous les critères que les diplômés en statistiques utilisent. Cependant, vous avez trouvé que l'information était assez intéressante et représentative pour le commun des mortels qu'elle méritait d'être mentionnée. Est-ce que je me trompe?

M. Grimes : Cet échantillon a pour but de distinguer entre les vols de véhicules à moteur et les autres vols pour la production de l'indice de gravité de la criminalité. L'échantillon est un échantillon des dossiers que nous pouvions relier pour atteindre notre objectif. Il s'agissait d'un échantillon très restreint. Nous ne voulions pas produire des résultats par province ou faire d'autres ventilations. C'était simplement dans ce but.

La présidente : Cependant, vous avez pensé que les résultats étaient assez intéressants et méritaient d'être mentionnés, n'est-ce pas?

M. Grimes : Oui.

La présidente : Le simple fait que vous disiez que c'est un échantillon non représentatif ne signifie pas qu'il faut le jeter à la poubelle, n'est-ce pas?

M. Grimes : J'ai des données là-dessus et je pourrais vous les fournir.

La présidente : Vous pourriez les transmettre à la greffière. Ce serait épatant.

M. Grimes : D'accord.

La présidente : Merci beaucoup. Nous trouvons toujours très utile le témoignage des représentants de Statistique Canada. C'est vraiment utile et nous vous remercions du travail que vous faites pour nous.

Mme McAuley : Merci de nous avoir donné l'occasion de venir témoigner.

[Français]

La présidente : Nous poursuivons notre étude du projet de loi S-9, Loi modifiant le Code criminel (vol d'automobile et trafic de biens criminellement obtenus).

Nous accueillons maintenant M. Mike Sutherland, président de la Winnipeg Police Association et le professeur Rick Linden de l'Université du Manitoba.

[Traduction]

Merci beaucoup d'être venus. Nous vous en sommes très reconnaissants.

Rick Linden, professeur, Université du Manitoba : Ceux d'entre nous qui depuis longtemps essaient de faire réduire le nombre de vols de voitures au Canada accueillent favorablement ce projet de loi. Nombre de groupes auxquels j'ai participé, plus particulièrement le Comité national pour réduire le vol automobile, réclament l'adoption de ces dispositions législatives depuis presque 10 ans et il est très satisfaisant de constater qu'elles sont tout près d'être adoptées.

J'appuie l'essentiel du projet de loi, cependant, deux choses me posent problème. Permettez-moi de vous expliquer le problème que nous éprouvons à Winnipeg et dont on a parlé avec les témoins précédents. Depuis près de 10 ans, Winnipeg est qualifiée de capitale du vol d'automobiles en Amérique du Nord. Elle n'est pas seulement la capitale canadienne à cet égard. Nous avions environ 70 p. 100 de plus de vols de voitures que des endroits comme Modesto en Californie qui surpassait toutes les autres villes aux États-Unis, nous faisions donc face à un problème très grave.

La raison est que le vol d'automobiles occupe maintenant une place importante dans la vie d'un certain nombre de jeunes de Winnipeg. Nous avons un nombre relativement petit de voleurs d'autos actifs qu'il nous est difficile de contrôler. Le mode d'opération de certains de ces jeunes est de voler plusieurs voitures par jour, les conduire un peu et les abandonner.

Comme le sénateur Carstairs l'a mentionné, auparavant, il n'était pas inhabituel — ça l'est devenu maintenant — que ces jeunes volent quatre, cinq ou même six voitures dans la même journée se déplaçant de l'une à l'autre. Ils le faisaient même lorsqu'il faisait -30 à Winnipeg, ce qui montre que si nous pouvons canaliser cette énergie, ce serait formidable.

Les jeunes qui présentent le plus haut risque sont très difficiles à contrôler. Au cours de la dernière année, bon nombre d'entre eux ont enlevé leur bracelet électronique afin de retourner voler des véhicules, même s'ils savaient qu'ils allaient se faire prendre tout de suite après. Certains d'entre eux allaient même jusqu'à voler des véhicules tout en portant leur bracelet électronique. Ils savaient qu'on allait suivre leur piste.

L'un des problèmes que nous pose l'actuelle loi sur le système de justice pénale pour les adolescents c'est qu'elle ne nous donne pas suffisamment de marge de manœuvre pour garder un jeune sous garde en attente de son procès et ne prévoit pas de peine de détention qui permettrait au système correctionnel d'aider ces jeunes à se maîtriser. Malheureusement, le projet de loi S-9 ne corrigera probablement pas ce problème. C'est trop complexe pour ceux qui comme moi ne sont pas des avocats, mais il serait utile que le vol d'auto soit désigné comme une infraction violente, ce qui n'est pas le cas dans le projet de loi.

À Winnipeg, c'est un crime violent. Plusieurs décès ont été causés par des vols d'auto. Pendant une période de 17 mois je pense que huit des collègues de M. Sutherland, des policiers, ont été délibérément ciblés par des personnes au volant de véhicules volés. De nombreuses personnes ont été gravement blessées, y compris un joggeur qu'un jeune au volant d'une voiture volée a délibérément pris comme cible alors qu'il courait tôt le matin.

Essayer de trouver un moyen pour contrôler ces multi-récidivistes pour les empêcher de voler des véhicules est pour nous une grande préoccupation.

Ma seconde objection au projet de loi est personnelle. Je ne préconise pas les peines minimales obligatoires et je ne vois pas du tout leur utilité ici. Je n'ai vu aucune preuve que les peines minimales obligatoires découragent le crime et je ne vois pas la nécessité d'éliminer la discrétion des juges dans ce projet de loi.

Afin d'illustrer de diverses manières le rôle de la loi, je termine ma déclaration préliminaire en vous décrivant comment nous avons réduit le vol automobile à Winnipeg. Je pense que ce que nous avons fait pourrait s'appliquer à bien d'autres genres de crimes au Canada et pourrait peut-être contribuer à réduire la criminalité.

Ceux qui d'entre nous ont fait des démarches pour que le vol automobile soit défini comme un crime violent distinct pensaient qu'une telle loi serait un outil utile, mais pas une panacée. À défaut d'une nouvelle loi, nous avons élaboré la stratégie d'élimination du vol automobile de Winnipeg, qui a permis de réduire de 73 p. 100 les vols d'autos à Winnipeg entre janvier 2007 et le 30 avril 2010. Si nous excluons les tentatives et tenons compte uniquement des vols réussis, le taux de vol a chuté de 80 p. 100 à Winnipeg par rapport à la pire période.

Le programme a coûté 52 millions de dollars dont une grande partie a été remboursée par la Société d'assurance publique du Manitoba et le reste par le gouvernement provincial. Les coûts ont été entièrement récupérés. Les économies réalisées par les personnes qui assurent leur voiture à Winnipeg dépassent maintenant 30 millions de dollars par année et cela revient aux propriétaires d'automobile qui bénéficient d'une réduction de leurs primes.

Il y a maintenant 10 000 vols de voitures de moins à Winnipeg qu'en 2006. Cela représente une réduction de 13 p. 100 du taux de criminalité total à Winnipeg, ce qui vous donne une idée de l'importance de ce type de crime dans notre ville.

Comment avons-nous obtenu ces réductions spectaculaires? Nous avons élaboré une vaste stratégie de réduction de la criminalité à laquelle participaient tous les éléments de l'appareil judiciaire, qui travaillaient tous ensemble, avec des ressources suffisantes, un leadership très fort et un formidable travail d'équipe. Je mentionnerai rapidement les trois éléments de la stratégie.

Le premier élément est une approche à plusieurs niveaux à l'égard des jeunes contrevenants. Nous avons élaboré toute une gamme de programmes pour quatre niveaux de jeunes. Le premier niveau vise les jeunes qui grandissent tout simplement dans un quartier à risque élevé alors que le niveau quatre vise les récidivistes à risque élevé. Ce sont eux qui volaient cinq et six voitures par jour.

Pour les jeunes du quatrième niveau, nous avons mis en œuvre une nouvelle stratégie de dissuasion ciblée, que nous avons empruntée à Regina et d'un projet dont vous avez peut-être entendu parler — le Boston Gun Project, qui visait à réduire le nombre d'homicides commis par des jeunes à Boston.

Tous les jeunes du quatrième niveau sont en liberté sous condition, notamment celle de respecter un couvre-feu. Nous les surveillons de très près. Des agents de probation ou des policiers communiquent avec eux tous les jours. C'est- à-dire sept jours par semaine. En outre, ils leur téléphonent toutes les trois heures pour vérifier leurs activités, sauf la nuit où ils ont un répit de six heures. Ils sont constamment contrôlés. Il y a zéro tolérance pour les infractions, et tous les jeunes qui contreviennent aux conditions de leur libération sont appréhendés par la police afin de ne pas avoir l'occasion de récidiver.

Le deuxième élément du programme c'est le dispositif antidémarrage. Nous sommes redevables envers le Parlement qui a adopté une loi rendant obligatoire les antisdémarreurs dans tous les véhicules vendus au Canada après septembre 2007. Cela a énormément contribué à réduire le nombre de vols d'autos.

Au début, nous offrions des dispositifs gratuits, d'une valeur d'environ 400 $ installation comprise, aux propriétaires des véhicules les plus susceptibles d'être volés, les Caravan et les Neon dont on a déjà parlé. Je peux vous expliquer pourquoi il est si excitant de voler ces véhicules. Nous avons donc installé 63 000 dispositifs, mais sans que cela ne réduise le nombre de vols. Les jeunes se contentaient de voler une autre voiture stationnée un peu plus loin et qui n'avait pas de dispositif antidémarrage. Nous avons alors imposé un programme de dispositif antidémarrage obligatoire pour 100 000 autres véhicules à risque élevé. Tous les véhicules dont le risque de vol était de 1 p. 100 ou plus devaient obligatoirement être équipés d'un dispositif antidémarrage sans quoi l'immatriculation ne pouvait pas être renouvelée. Cela était gratuit et les propriétaires continuent à bénéficier d'une réduction de leur prime d'assurance de 40 $ par année une fois le dispositif installé.

Enfin, nous avions un certain nombre de programmes portant sur les causes sous-jacentes. Nous nous sommes attaqués aux causes sociales du vol automobile en travaillant avec les jeunes, leurs familles, leurs écoles et employeurs afin de réduire le nombre de jeunes attirés par cette activité.

Nous avons des preuves qui montrent que chacun de ces éléments a eu une incidence sur les taux de vols. Il est important de souligner que tout cela a pu être fait sans modification au Code criminel. Au même moment, en Colombie-Britannique, l'un de nos compétiteurs, le programme IMPACT, donnait des résultats remarquables en matière de réduction des vols d'autos en appliquant des stratégies très différentes. Leur stratégie est axée sur la voiture- appât.

La leçon que nous tirons de tout cela c'est que même si une mesure législative comme le projet de loi S-9 est une bonne étape, on ne réussira à réduire de manière considérable la criminalité qu'en investissant d'importantes ressources pour améliorer les tactiques policières, augmenter le nombre des policiers et mettre en œuvre des programmes de prévention fondés sur preuves.

Mike Sutherland, président, Winnipeg Police Association : J'aimerais remercier le professeur Linden. J'aurais dû lui téléphoner avant de quitter Winnipeg, puisque nous sommes d'accord sur pratiquement tout ce qu'il a dit au sujet du projet de loi dont vous êtes saisis, notamment, je tiens à le souligner, que le vol d'auto est une infraction violente. Je peux vous donner des exemples des situations les plus tragiques qui se sont produites à Winnipeg.

Comme M. Linden l'a mentionné, en 2007, un joggeur a été gravement blessé par des personnes qui l'ont pris comme cible, et pas seulement lui, mais d'autres joggeurs aussi. Ce matin-là, neuf autres personnes ont été visées et ont soit quitté les lieux par crainte pour leur vie ou ont été frappées et blessées moins gravement. Rachel Leost a été tuée lorsque sa mini-fourgonnette a été percutée par un véhicule volé en 2007. James Duane, un cycliste, a également été tué en 2007 après avoir été percuté par une voiture volée par un voleur du quatrième niveau. En 2008, un chauffeur de taxi, Antonio Lanzellotti, a été tué lorsque son véhicule a été percuté par un véhicule volé. Nous croyons qu'il y avait deux véhicules volés impliqués, et qu'ils faisaient un concours de carambolage dans les rues de Winnipeg, conduisant de manière téméraire faisant preuve de mépris dangereux pour la vie et la sécurité des autres personnes sur la route à ce moment. Enfin, en 2009, Zdzislaw Andrzejczak a été tué lorsque sa Subaru a été percutée par un véhicule conduit par un voleur du quatrième niveau, alors qu'un certain nombre d'autres voleurs du même niveau étaient dans le véhicule. Il s'agissait d'un Hummer volé, conduit à des vitesses dépassant largement 100 kilomètres-heure.

En outre, des policiers à pied occupés par leurs diverses activités ont été délibérément ciblés par des voleurs d'autos. Dans un incident, au début du mois, un agent a dû être hospitalisé après avoir été percuté. Pendant une patrouille de la circulation de routine, il a observé un véhicule qui allait trop vite, lui a fait signe de s'arrêter, et a été percuté et hospitalisé. Heureusement, ses blessures étaient relativement mineures. Le lendemain, un suspect a participé à un cambriolage avec une voiture volée. Bien que la police se soit rendue sur les lieux, le suspect a réussi à entrer dans le véhicule qu'il a lancé sur l'un des agents à pied. L'agent n'aurait pas pu éviter d'être écrasé s'il n'avait pas tiré sur le suspect qui est décédé de ses blessures.

Il y a de nombreux incidents où non seulement la police a été ciblée mais des citoyens également. Des piétons sur les trottoirs ont été obligés de se jeter de côté pour éviter d'être blessés ou tués par des véhicules volés.

Je suis venu vous dire que malgré tous nos efforts et malgré les dispositifs antidémarrage, il sera impossible d'en dissuader certains. Je ne voudrais certainement pas donner d'idées aux contrevenants, mais laissez-moi vous dire qu'avec un peu de détermination, on peut déjouer le dispositif antidémarrage. J'ai discuté avec mes collègues de l'unité de vols d'autos à Winnipeg aujourd'hui, et certains modèles installés en usine ne peuvent pas arrêter des voleurs déterminés.

À l'heure actuelle, il y a une petite minorité à Winnipeg, mais c'est une minorité dangereuse. Permettez-moi de vous montrer à quel point même des petits groupes peuvent être prolifiques. J'aimerais remercier mes collègues qui, en raison de leurs fonctions, ne sont pas toujours libres de venir témoigner devant vous. Je suis sûr qu'ils s'en tireraient beaucoup mieux que moi, mais je ferai de mon mieux pour leur rendre justice.

La présidente : Vous vous en tirez très bien.

M. Sutherland : Je vous remercie infiniment, madame la présidente.

Je pourrais vous présenter un délinquant qui était particulièrement attiré par les fourgonnettes Windstar 1998. Avant qu'il ne passe à l'action, pendant une période de cinq mois, quatre véhicules de ce modèle avaient été volés. Cependant, une fois qu'il est passé à l'action, entre le 1er janvier et le 18 mai 2007, 109 fourgonnettes de ce modèle ont été volées. Du 1er au 18 mai de cette année-là, il y en a eu 31 de volées. L'individu a été arrêté le 18 mai et entre le 19 mai et le 5 juin, aucune fourgonnette Windstar n'a été volée à Winnipeg.

Comme je le disais, certains ont appris à déjouer les dispositifs antidémarrage installés en usine. Douze jours après l'arrestation de ce groupe, 39 de leurs véhicules de prédilection ont été volés alors que dans les 12 jours suivant l'arrestation il n'y en a eu que quatre.

Winnipeg a une famille tristement célèbre. Je ne peux pas vous les nommer, car il y a des allégations devant les tribunaux à l'heure actuelle, ainsi que des allégations antérieures concernant de jeunes accusés. Au total, ils ont été accusés de 85 vols de véhicule, de 102 chefs d'accusation, y compris des infractions au Code de la route, délits de fuite, conduite dangereuse et méfaits mettant la vie en danger ainsi que 118 accusations de non- respect de diverses ordonnances des tribunaux et de 14 chefs de vols qualifiés et d'introductions par effraction.

La présidente : Une seule famille?

M. Sutherland : Oui, une famille. Pour le moment ce n'est qu'une allégation, cela n'a pas encore été prouvé au tribunal, mais je peux vous dire qu'un membre de cette famille, qui a un bracelet électronique, est présumé avoir utilisé un véhicule la nuit dernière à 2 heures et qu'il roulait à environ 10 kilomètres-heure. Pourquoi si lentement? Mes collègues et moi croyons que certains de ces voleurs déterminés jouent un jeu dangereux en essayant de provoquer la police. Comme ils portent un GPS et qu'ils se déplacent lentement, nous pouvons les suivre. Lorsque les policiers sont arrivés dans le secteur, le véhicule a accéléré rapidement jusqu'à des vitesses de plus de 120 et 140 kilomètres-heure et nos policiers ont abandonné la poursuite par souci de la sécurité publique. On les a arrêtés plus tard avec l'aide de notre unité canine et d'autres unités d'intervention dans le secteur.

Encore une fois, cela illustre bien notre situation. Parfois la surveillance électronique et d'autres formes de mise en liberté peuvent être efficaces, mais parfois les délinquants délibérés et très déterminés vont modifier leur comportement. Ils savent qu'à certains moments de la journée ils ont droit à certaines libertés précises, et ils exerceront certaines activités lorsqu'ils sont « moins surveillés » que la nuit, lorsqu'ils sont censés être à la maison en vertu d'un couvre-feu absolu.

La difficulté pour nos membres — et le bon professeur y a fait allusion —, c'est que le nombre de vérifications du respect du couvre-feu qu'il faut faire à l'égard de ces individus pour nous assurer qu'ils sont suffisamment surveillés coûte très cher à cause des heures de travail que cela exige de notre personnel policier. Le problème, c'est que la police peut les surveiller et faire de leur mieux pour savoir ce qu'ils font pendant une semaine ou deux, jusqu'à ce que ces individus décident de recommencer. Et lorsqu'ils décident de récidiver les conséquences peuvent être et ont été fatales.

En ce qui concerne ce que nous souhaiterions, je sais que ce projet de loi, sous une forme ou une autre, est en préparation ou fait l'objet de discussion depuis 2005, je crois. Nous espérons que le vol automobile sera bientôt reconnu comme une infraction distincte. Là où je ne suis pas tout à fait d'accord avec mon compagnon de Winnipeg c'est que, en tant que policier, d'après les précédents, lorsqu'un tribunal impose une des peines les moins sévères possible, cela tend à devenir la norme. En 23 années d'expérience, j'ai pu constater que des infractions comme le cambriolage à domicile et le vol qualifié qui donnaient lieu auparavant à des peines d'emprisonnement de 12 à 14 ans sont maintenant sanctionnées par des peines de 5 à 8 ans à moins de circonstances extrêmes et flagrantes.

S'il n'en tenait qu'à moi, le vol d'auto serait considéré comme une infraction violente car ce n'est tout simplement pas la même chose que de voler des biens d'une certaine valeur. Ces véhicules sont utilisés comme des armes. Dans certains cas, ces individus ont délibérément placé des objets sur l'accélérateur pour l'écraser et se sont lancés dans les rues et les garages aériens. Nos agents essaient de les contrôler, mais lorsqu'on les libère sous caution ou qu'on leur impose une peine relativement courte, ces individus se retrouvent libres rapidement et récidivent délibérément, ça devient énormément frustrant. On a l'impression de courir de toutes nos forces sur un tapis roulant et de ne jamais faire de progrès. Lorsque des vies sont perdues et que des citoyens innocents meurent et que leurs familles sont anéanties, on se sent absolument inutiles en tant que policiers et agents de la paix, impuissants à remplir la fonction que nous avons juré de remplir.

Ce n'est peut-être pas parfait, mais c'est un pas dans la bonne direction qu'on a trop attendu, à mon avis. En ce qui concerne Winnipeg, je pense que nous sommes en train de perdre le titre de capitale du vol automobile du Canada, ce qui est merveilleux. Cependant, lorsque ces vols se produisent, même s'ils sont moins fréquents, ils peuvent causer de terribles tragédies. Les problèmes de Winnipeg n'ont pas tendance à durer longtemps. Parfois, les délinquants de Winnipeg restent à Winnipeg lorsqu'ils sont libérés de l'établissement à sécurité maximum d'Edmonton ou d'un autre établissement de la région, ou ils se rendent à Edmonton, à Calgary ou dans une autre région métropolitaine du Canada. Nous sommes peut-être le fer de lance, mais j'espère qu'en adoptant des lois comme celles-ci, nous pourrons empêcher que le genre de tragédies qui se sont produites à Winnipeg ne se reproduisent ailleurs.

Je crois fermement que certains individus ne changeront jamais. Certains d'entre eux ont été de jeunes délinquants et ils arrivent maintenant à l'âge adulte sans que rien ne laisse croire qu'ils ont changé. À défaut de conséquences sérieuses qui auraient un effet dissuasif, je ne sais pas ce qui va arriver. Chaque jour que ces individus sont libres, ils représentent un danger important pour le public.

Le sénateur Wallace : Merci, messieurs, pour vos excellents exposés.

Vous nous avez tous les deux donné des exemples frappants des réalités des prises d'un véhicule à moteur sans consentement et les menaces que le vol automobile peuvent faire peser sur les citoyens. C'est ce que nous avons besoin d'entendre. Nous devons savoir quelle est la réalité dans la rue, et vous nous l'avez décrite de manière frappante.

Je pense à votre association et au projet de loi dont nous sommes saisis. Je conclus, d'après vos propos, que vous appuyez le projet de loi, mais je vous demanderais de nous en dire plus. Je suis sûr que vous savez que ce projet de loi crée des infractions distinctes liées au vol automobile : le vol d'une automobile ou d'un véhicule; la modification du numéro d'identification d'un véhicule (NIV); le trafic de véhicules volés et de pièces de véhicules volés et l'importation et l'exportation de véhicules volés.

Parmi toutes ces mesures, quelles sont celles qui vous plaisent ou qui vous semblent utiles pour l'atteinte de vos objectifs?

M. Sutherland : Je vous parlerai de la situation actuelle puis de l'avenir. Si vous le permettez, ma réponse aura deux parties.

En ce qui concerne la situation actuelle, c'est une infraction distincte, on fait la différence entre le vol automobile et le vol d'autres biens et cette infraction peut être sanctionnée plus sévèrement. Le projet de loi prévoit des peines minimales obligatoires, ce qui nous aiderait énormément, ne serait-ce qu'en donnant à nos policiers un répit de six mois pendant lesquels quelques-uns des 10 pires délinquants seraient à l'ombre.

Pour ce qui est de l'avenir, Winnipeg nous a montré qu'il y aura toujours de nouvelles recrues pour le crime organisé. À l'heure actuelle, nous avons un taux de récupération élevé, mais si le crime organisé s'en mêle, il se pourrait que ces individus soient exploités ou utilisés par des groupes organisés pour rendre le vol automobile plus rentable.

Le sénateur Wallace : Monsieur Linden, dans votre exposé, vous nous avez dit que vous faites du lobbying en faveur de cette loi depuis un certain temps et je pense que vous êtes assez satisfait qu'il ait été proposé. J'ai bien entendu certaines des améliorations que vous proposez.

À votre tour, vous avez parlé de la nécessité de faire du vol automobile une infraction distincte. D'autres témoins nous ont dit qu'ils croyaient que c'était important. Pouvez-vous nous expliquer davantage votre position à cet égard? Pourquoi pensez-vous qu'il serait utile de créer une infraction distincte?

M. Linden : J'ai été président du Groupe d'intervention du Manitoba contre le vol automobile dont un procureur de la Couronne a toujours été membre. Les procureurs de la Couronne nous disent, surtout face à ce grave problème, qu'il leur semblerait avoir des arguments plus convaincants à présenter au juge si le vol automobile était considéré comme une infraction distincte plutôt que d'être regroupé avec d'autres genres de vols.

Comme M. Sutherland l'a mentionné, le fait de prendre quelque chose qui peut tuer n'est pas la même chose que de voler un téléviseur à écran géant. En faire une infraction distincte montre que le vol automobile a ses caractéristiques. J'aimerais que nous allions plus loin et que le vol automobile soit défini comme une infraction violente en raison des dommages qu'il peut provoquer. La création d'une infraction distincte, c'est un premier pas, mais j'aimerais qu'on franchisse également le deuxième pas.

Le sénateur Wallace : Monsieur Linden, dans votre exposé, il m'a semblé que vous mettiez l'accent sur la prise d'un véhicule à moteur sans consentement et les dangers que cela constitue pour nos citoyens. L'un des aspects importants du projet de loi cependant est de cibler les activités du crime organisé dans le vol automobile et le trafic de voitures volées. Vous n'avez pas parlé de cela. Vous avez parlé de la stratégie que vous avez élaborée, qui semble extrêmement efficace et c'est formidable, mais quel rôle joue le crime organisé d'après votre expérience et quel est le rapport avec la stratégie que vous avez réussi à mettre en œuvre et qui donne de bons résultats?

M. Linden : Un certain nombre des jeunes délinquants qui commettent ce crime sont membres de gangs, mais ne font pas partie d'un groupe criminel organisé. Ça ne servirait à rien. À l'occasion, un véhicule est utilisé pour vendre de la drogue sur appel téléphonique, mais pratiquement tous les véhicules sont tout simplement abandonnés. C'est ce qui se produit à Winnipeg.

Cependant, à Montréal, les dispositions du projet de loi relatives au NIV et à l'exportation seront plus utiles. Des personnes qui cherchent à réduire le nombre du vol automobile ailleurs au pays me disent que ces dispositions du projet de loi sont très importantes.

Le sénateur Carstairs : Merci pour vos exposés. Monsieur Linden, vous avez parlé de la nécessité de traiter le vol automobile comme un crime violent. Il est clair, d'après le témoignage de M. Sutherland, qu'il y a de nombreux incidents violents, mais ils ne le sont pas tous. N'y a-t-il pas d'autres accusations que vous pourriez porter, comme l'homicide commis au volant d'un véhicule automobile en plus de l'accusation de vol d'auto, plutôt que d'en faire un crime violent?

M. Sutherland : La difficulté que nous pose le Code criminel, c'est qu'il faut prouver l'intention. Par conséquent, en pratique, nous pourrions espérer obtenir, au mieux, une condamnation pour négligence criminelle.

Mais à la suite de l'incident Andrzejczak dont j'ai parlé un peu plus tôt, le procureur a déposé pour la première fois au Manitoba des accusations d'homicide involontaire coupable. Le problème, c'est qu'il est très difficile de prouver l'intention lorsque l'intention était tout simplement de faire une balade dans une voiture volée, par exemple.

J'ajouterai que le véhicule volé ne sert pas seulement à faire des balades, mais aussi à commettre d'autres infractions, dont des introductions par effraction, des vols et même des fusillades au volant d'une voiture. Même si ce n'est pas entièrement vérifiable, le graphique montre qu'il existe une corrélation entre le vol de voitures et l'introduction par effraction. Lorsqu'il y a une diminution dans l'un, il y a une diminution qui y correspond exactement dans l'autre.

Par conséquent, c'est possible, mais c'est très difficile à prouver. Les conséquences peuvent être dévastatrices du simple fait de la nature du véhicule et de ce qu'il peut faire, même si ce n'est pas intentionnel.

Le sénateur Carstairs : Ma question s'adresse à M. Linden : Vous avez parlé de l'importance des ressources. Le gouvernement n'a donné aucun indice de ce que l'adoption de cette mesure législative sera accompagnée d'un investissement dans les ressources.

Vous avez dit que la Société d'assurance publique du Manitoba avait versé 52 millions de dollars dans ce projet fructueux. Vous semblez clairement d'avis de ce que les ressources doivent nécessairement être mises en place si on veut régler le problème; il ne s'agit pas d'établir que le vol automobile est une infraction distincte dans le Code criminel. Les policiers et d'autres doivent disposer des ressources nécessaires pour obtenir des résultats.

M. Linden : C'est exact. Pour réduire la criminalité, du point de vue juridique ou de l'application des lois, il est essentiel d'accroître la certitude. Si nous avons remporté un tel succès, c'est qu'il était certain que les jeunes qui enfreignaient le couvre-feu ou se rendaient coupables d'inconduite après avoir été remis en liberté sous condition seraient appréhendés. Cette certitude ne pouvait exister que parce que nous avions les ressources nécessaires, entre autres, des agents de police supplémentaires qui avaient été affectés à la section des véhicules volés ainsi qu'une section de 15 personnes pour les vols d'automobile, au sein des services de probation. Sans ces ressources, la mesure n'aurait eu aucun effet.

Pour montrer à quel point c'était essentiel, l'un des collègues de M. Sutherland, Kevin Kavitch, qui travaillait à la section des vols de véhicules, a réalisé une analyse qui a démontré la corrélation entre le nombre des récidivistes en liberté et le nombre de véhicules volés durant la même période. Nous avons présenté cette analyse au ministre de la Justice à un moment où notre programme semblait voué à l'échec — il y avait eu des réductions, mais le nombre avait augmenté de nouveau en 2006. Le ministre a investi des ressources accrues et la Société d'assurance publique du Manitoba a mis sur pied le programme des dispositifs antidémarrage. Une fois franchi le seuil critique, le nombre des vols a commencé à diminuer de façon spectaculaire.

Il n'était pas suffisant d'augmenter légèrement les ressources. Il a fallu les amener au niveau nécessaire pour que les effets sur la criminalité puissent se produire.

Le sénateur Carstairs : Détective Sutherland, j'ai une autre petite question. Il semble qu'il y ait entre vous deux une divergence d'opinions au sujet des peines minimales obligatoires. Pour ma part, j'accepte le point de vue de M. Linden. D'après mon expérience de l'examen d'autres projets de loi comportant des peines minimales obligatoires, je sais que malheureusement, les juges choisissent d'imposer ces peines minimales, et cela provoque l'effet auquel vous vous opposez. S'il existe une peine minimale obligatoire, c'est celle-là que le juge va imposer. Dans cette mesure législative, les peines minimales obligatoires ne sont pas très rigoureuses.

M. Sutherland : En ce qui concerne les peines minimales obligatoires, il vaut probablement mieux y aller très progressivement. Pour ma part, j'estime que dans certains cas, les peines devraient être largement supérieures au minimum.

J'espère que les magistrats tiendront compte des circonstances et qu'ils hausseront la barre au-dessus du minimum, mais à tout le moins, qu'ils garantiront que le minimum sera infligé aux récidivistes. À Winnipeg, comme l'a mentionné M. Linden, quand 40 p. 100 de nos 50 principaux récidivistes étaient en liberté, nous avons enregistré une augmentation d'au moins 20 p. 100. Parfois, l'augmentation du nombre de vols atteignait 60 p. 100.

Nous savons que, statistiquement, un large éventail de crimes sont le fait d'un petit groupe de personnes. Pour nous, cette mesure législative se fait attendre depuis très longtemps. J'hésite à critiquer ce premier pas, et j'espère que s'il est possible de l'améliorer, nous pourrons le faire plus tard.

À l'heure actuelle, le vol d'auto est considéré comme un simple crime contre la propriété et il peut être classé dans cette catégorie. Les peines peuvent être déterminées en fonction de cette catégorie des crimes contre la propriété. Malheureusement, il n'existe pas de peines de six mois applicables pour trois, quatre ou cinq infractions contre la propriété.

[Français]

Le sénateur Carignan : Ma question s'adresse au professeur Linden. Dans l'étude que vous avez effectuée et qui est citée par Statistique Canada, j'ai posé la question tout à l'heure par rapport aux mobiles des vols chez les jeunes. Je crois comprendre que, avec le succès des méthodes qui ont été utilisées, les éléments que vous aviez identifiés étaient probablement les mobiles. Est-ce que votre étude portait sur Winnipeg seulement ou sur l'ensemble du Canada?

[Traduction]

M. Linden : L'analyse qui y est mentionnée ne porte que sur la ville de Winnipeg. Nous avons néanmoins fait des études dans un certain nombre d'autres endroits. Ces études ont été réalisées par d'autres chercheurs universitaires. Nous avons constaté que les résultats étaient semblables, mais les études ne portaient que sur la population des jeunes.

L'une des principales différences que nous avons constatée, c'est que dans une étude réalisée à Montréal, nous avons découvert qu'un plus grand nombre de jeunes volent des autos là-bas pour en tirer un bénéfice et non pour le plaisir de les conduire. Là encore, cela traduit la différence dont on a discuté précédemment, selon que le crime organisé est en cause ou qu'il s'agit simplement de jeunes à la recherche d'aventure.

[Français]

Le sénateur Carignan : Je veux aussi faire la conciliation des chiffres et je veux être certain que j'ai bien compris. Dans votre exposé, professeur, vous notez une réduction de 10 000 vols de véhicules à Winnipeg, donc une réduction de l'ordre de près de 80 p. 100 entre 2007 et aujourd'hui; est-ce exact?

Mr. Linden : Oui.

Le sénateur Carignan : J'aimerais être sûr des chiffres, car ils sont extrêmement impressionnants. En 2007, selon Statistique Canada, au Manitoba au complet, il y avait 14 000 vols de véhicules. Vous avez réduit ce nombre de 10 000 à Winnipeg seulement, ce qui laisse sous-entendre qu'il n'existe presque plus de vols de véhicules à Winnipeg. Est-ce que je me trompe dans mon exposé?

[Traduction]

M. Linden : Nous avons réduit le nombre d'environ 10 000, mais lorsque Statistique Canada publiera ses données vers la fin du mois de juillet, nous serons encore parmi les six premiers. Nous serons encore au troisième, au quatrième ou au cinquième rang des villes canadiennes, parce que le nombre de vols était si élevé que nous avons pu le réduire de 80 p. 100. Il s'agit de 80 p. 100 des vols réalisés et de 73 p. 100 d'une façon générale. En outre, le chiffre global de 73 p. 100 s'applique à 2010. Ces statistiques ne seront officiellement publiées qu'à l'été 2011, car il y a toujours un décalage dans les rapports.

[Français]

Le sénateur Carignan : Si Winnipeg continue à voir une problématique malgré une réduction aussi importante et les trois éléments que vous avez expliqués comme stratégie pour diminuer le vol de véhicules dont le suivi particulièrement pour les personnes de niveau quatre. C'est un suivi que je n'ai jamais vu dans ma vie. C'est la première fois que j'entends parler d'un suivi aussi serré pour des personnes qui sont couvertes par des conditions. Est-ce que la prochaine étape n'est pas la sentence minimale? Avez-vous un autre point dans votre sac magique pour trouver une autre solution?

[Traduction]

M. Linden : Non, car je ne crois pas qu'on infligera de peine minimale obligatoire en vertu de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents. Je ne crois pas que nous en arriverons là pour punir ceux qui nous posent le plus de problèmes. Comme M. Sutherland l'a dit, certains de ces jeunes ont vieilli, et comme ils ont maintenant plus de 18 ans, ils commettent leurs infractions en tant qu'adultes. Les peines qui leur sont infligées sont plus longues et ils se retrouvent plus longtemps derrière les barreaux.

Il est bien difficile de savoir ce qu'on peut faire dans le cas des jeunes qui se fichent complètement d'être arrêtés ou non. En fait, il arrive qu'ils essaient délibérément de se faire pourchasser par la police. M. Sutherland a décrit les allégations relatives au cas d'hier soir. À part l'incarcération, il ne semble pas que nous puissions faire grand-chose pour ces jeunes, sous réserve qu'ils puissent participer à des programmes susceptibles de les aider durant leur incarcération. Autrement, nous allons les pourchasser encore pendant 30 ans.

[Français]

Le sénateur Carignan : Avez-vous approfondi le lien entre le vol de véhicules chez les jeunes et le crime organisé? Comme vous avez réduit de 80 p. 100 les vols de véhicules, ceux qui demeurent doivent être suffisamment bien criminalisés et organisés pour entrer dans un système. Est-ce que vous avez étudié, à ce jour, compte tenu du ratio qui demeure, les principales causes de vol de véhicules en 2009, après avoir épuré une bonne partie des virées?

[Traduction]

M. Linden : Vous voulez savoir pourquoi les jeunes s'adonnent à de telles activités maintenant?

[Français]

Le sénateur Carignan : Vous avez enlevé 10 000 vols de véhicule. Avec les méthodes qui ont été utilisés, il semble que cela a surtout visé les virées et les jeunes; donc le solde qui reste de vols de véhicules aujourd'hui, à Winnipeg s'applique aux criminels plus endurcis, je présume. Est-ce que vous avez étudié les habitudes criminelles de ces gens?

[Traduction]

M. Linden : Ils ont plus d'expérience. En 2004, lorsque le nombre de vols était à son plus haut niveau, nous avions des enfants de 10 ans qui volaient des véhicules. Vous avez demandé pourquoi il était si excitant de voler une Dodge Caravan. Si ces véhicules étaient les meilleures cibles, c'est que Chrysler avait conçu un véhicule dans lequel un enfant de 10 ans pouvait entrer avec un simple tournevis et qu'il pouvait faire démarrer la voiture aussi rapidement que vous et moi pouvons le faire avec une clé.

Quand le programme a commencé à produire des effets et que l'on a mis en place le programme des dispositifs antidémarrage, c'est devenu trop difficile pour ces jeunes enfants. Il y a eu une augmentation de l'âge moyen. Pour donner un exemple des véhicules actuellement ciblés, la Cadillac Escalade 2004, un véhicule de très haut gamme et doté d'un très mauvais antidémarreur — le dispositif Passlock II. Des enfants de 15 et de 16 ans qui s'y connaissent un peu sont capables de faire démarrer ces véhicules et de les conduire.

La tendance actuelle montre qu'il y a beaucoup moins de jeunes adolescents. Ceux qui commettent ces crimes sont plus âgés. Ils viennent encore des mêmes familles, des mêmes régions et des mêmes milieux, ils ont le même manque d'instruction — des jeunes en difficulté qui viennent de mauvaises familles.

La présidente : À propos de l'école du crime, je dois vous signaler que nos délibérations sont télévisées.

[Français]

Le sénateur Carignan : Pour faire la suite avec notre étude sur les banques de données génétique, c'est presque génétique.

[Traduction]

M. Linden : Si vous me permettez de répondre, nos services de probation ont fait une analyse pour voir s'il y avait des recoupements entre nos pires récidivistes. Ils ont constaté que 60 à 70 p. 100 de nos pires voleurs de véhicules venaient de trois familles élargies — et par famille, j'entends des gens qui portent huit noms de famille différents, qui sont donc cousins plutôt que tout simplement frères et sœurs. Cela laisse entendre qu'il est nécessaire de mettre en place des programmes à l'intention de ces familles si nous voulons empêcher que leurs membres soient recrutés pour commettre des infractions comme le vol d'autos.

Le sénateur Baker : Mes questions s'adressent au sergent-détective Sutherland. Tout d'abord, j'imagine que vous avez commencé votre carrière comme agent de police et que vous avez travaillé pendant des années dans les rues. Est-ce exact?

M. Sutherland : Effectivement. J'ai commencé dans les rues. J'ai été l'un des deux membres de ma classe de recrues qui a choisi la patrouille pédestre.

Le sénateur Baker : Combien de temps avez-vous été agent avant de devenir sergent?

M. Sutherland : Seize ans, je crois.

Le sénateur Baker : Cela représente beaucoup de cas dans la jurisprudence.

M. Sutherland : Effectivement.

Le sénateur Baker : Pour revenir à la question du sénateur Carstairs, est-il vrai que si un véhicule vous approche d'une manière qui vous laisse à penser que vous risquez d'être attaqué, vous pouvez porter des accusations d'agression au moyen d'une arme contre cette personne?

M. Sutherland : Cela dépend des circonstances. Il faudrait pouvoir démontrer au tribunal, avec une prépondérance de la preuve au-delà du doute raisonnable, que l'individu ne conduisait pas simplement son véhicule dans la rue, qu'il nous avait délibérément pris pour cible. Dans certains cas, ce n'est pas facile. Certains avocats de la défense sont très habiles.

Le sénateur Baker : C'est bien vrai, et nous en entendrons un dans quelques instants; il est probablement dans la salle — M. Phil Downes, qui représente le Conseil canadien des avocats de la défense. Il est célèbre à la Cour d'appel de l'Ontario. Comme il vous écoute maintenant, il ne souscrit peut-être pas à certains de vos propos.

M. Sutherland : Je n'en doute pas. Et ce n'est probablement pas la première fois.

Le sénateur Baker : Dans vos observations au sujet des cambriolages à domicile, vous avez raison de dire qu'à l'origine, les tribunaux de première instance, les tribunaux provinciaux, les cours d'appel et les cours suprêmes infligeaient des peines de 10, 12 et même 14 ans dans certains cas. Mais au niveau de la cour d'appel, l'Alberta a fixé la norme à huit ans. Je tenais à l'indiquer officiellement, car il s'agissait d'infractions qui n'étaient pas prévues au Code criminel; la peine était établie à la discrétion du tribunal. Ce sont les cours d'appel du pays qui ont fixé la norme, mais vous aviez tout à fait raison pour ce qui était des instances inférieures aux cours d'appel.

M. Sutherland : Si vous me permettez un bref commentaire, j'aimerais dire que cela influe également sur les plaidoyers. J'ai enquêté dans un certain nombre de cambriolages à domicile. Dans les premiers cas sur lesquels j'ai enquêtés, il y a eu des plaidoyers — une peine de 22 ans dans un cas et de 14 dans un autre. Cependant, ces peines ont diminué en raison des décisions d'autres tribunaux, et les plaidoyers ne s'appliquaient plus à des peines de cet ordre. Quel que soit le point de départ, lorsque la diminution s'enclenche, les peines atteignent vite un niveau minimum.

Le sénateur Baker : Ce que je voulais dire, ce n'est pas nécessairement qu'il y a eu une diminution. Il n'y a pas de norme qui est fixée avant d'en arriver à la cour d'appel, mais c'est ce qui s'est produit dans le cas de votre exemple.

Pour revenir à ma question principale, certains sénateurs du parti ministériel vous ont demandé dans quelle mesure le projet de loi est bon. Vous dites que c'est une bonne mesure législative. Vous ne voulez pas la critiquer, mais vous avez dit, et je l'ai noté, que vous allez appuyer le projet de loi même s'il n'est pas parfait. C'est ce que vous avez dit.

M. Sutherland : Effectivement.

Le sénateur Baker : À la lecture du projet de loi, je soupçonne que lorsque vous dites qu'il n'est pas parfait, vous faites référence à la défense qui est incluse dans l'article qui porte sur la modification du numéro d'identification du véhicule. Est-ce exact?

M. Sutherland : Ce qui m'inquiète surtout, c'est que le vol d'auto continue de faire partie des infractions contre les biens. L'autre cas dont vous avez parlé est très difficile. Je n'ai pas une expérience étendue en matière de vol d'auto. Ce n'est pas dans ce domaine que j'exerce mes fonctions de policier. Cependant, les dispositions actuelles du Code criminel en matière de vol ou de possession de biens criminellement obtenus, par exemple, utilisent le même vocabulaire, parlant entre autres d'excuse légitime et de connaissance. Tout cela pose des difficultés. Compte tenu des constatations en vertu de la Charte et de la législation en matière de présomption de connaissance, il est difficile d'éviter ces problèmes car le fardeau de la preuve est très élevé pour les policiers, devant les tribunaux. J'avoue bien franchement que je ne suis pas un expert du droit. Je ne suis pas certain si, compte tenu du cadre actuel de la Charte et des dispositions du Code criminel, on pourrait apporter des améliorations importantes dans ce domaine. L'exemple principal en est la mens rea, c'est-à-dire l'intention, la connaissance de la transgression.

Voici ce qui me préoccupe le plus : pour l'instant, je suis prêt à accepter toute mesure législative qui fait du vol d'auto une infraction distincte, ne serait-ce qu'en raison des difficultés que nous avons connues à Winnipeg. Je souhaiterais que le vol d'auto soit considéré comme une infraction contre les biens, comme l'a dit M. Linden, et c'est la plus grande amélioration que je souhaiterais. En fin de compte, je suis certain que des personnes plus intelligentes, plus expérimentées et plus instruites pourraient traiter ce problème. D'après ma connaissance limitée du Code criminel, ces éléments existent déjà dans d'autres lois. Je ne suis pas certain qu'on puisse rédiger un nouveau projet de loi dont les dispositions n'ouvriraient pas la porte à des contestations en vertu de la Charte.

Le sénateur Baker : Aux fins du procès-verbal, en effet, le nouveau paragraphe 353.1(1), à l'article 4 du projet de loi, dit effectivement « Commet une infraction quiconque, sans excuse légitime [...] », et cetera. Toutefois, le nouveau paragraphe 353.1(3) dit quant à lui, qu'en dépit de l'article 1, il n'est pas illégal de modifier le NIV, entièrement ou partiellement, dans le cadre d'une modification ou d'une réparation effectuée sur un véhicule. Cette seconde ligne de défense — sans excuse légitime — se retrouve dans de nombreuses lois, mais savez-vous que certaines forces policières contestent l'inclusion de cette défense supplémentaire et nous demandent de la retirer?

M. Sutherland : Je sais que certaines parties ont exprimé des réserves, la PPO en particulier. Toutefois, je ne sais pas si ces réserves portent précisément sur cet article.

Le sénateur Baker : Elles portent sur cet article.

M. Sutherland : Écoutez, je ne suis pas mécanicien. En fait, je ne suis pas du tout habile de mes mains. Je ne sais pas quelle raison légitime il pourrait y avoir de permettre des modifications dans le cadre de réparations, aussi, je ne peux pas répondre à cette question. Il se peut fort bien qu'il y ait des raisons légitimes. Je ne sais tout simplement pas lesquelles elles seraient.

Le sénateur Baker : J'imagine que vous l'apprendrez assez vite si le projet de loi est adopté. Vous aurez sûrement un cas comme celui-là.

Le sénateur Runciman : Merci d'être venu de si loin pour comparaître devant le comité aujourd'hui. Nous vous en sommes grandement reconnaissants.

Monsieur Sutherland, l'adoption de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents et l'accent qu'elle met sur la déjudiciarisation ont-ils compromis votre capacité d'affronter le vol d'auto et les personnes qui tombent sous cette loi?

M. Sutherland : La déjudiciarisation fonctionne parfois, mais malheureusement, pas tout le temps. Le problème auquel j'ai fait allusion tout à l'heure, c'est que malheureusement, certaines personnes sont tellement prises dans l'engrenage que rien ou peu ne peut être fait pour les empêcher de répéter ce genre de comportement. D'où l'importance de ce projet de loi. Si quelqu'un récidive encore et encore, on pourrait enfin dire que son compte est bon et qu'il ne commettra plus de crimes pendant un certain temps.

Le sénateur Runciman : Votre point de vue sur les peines minimales est très différent de celui du professeur. Votre expérience en tant qu'agent sur le terrain a été très frustrante; vous parlez d'une porte tournante. Les agents de police en ont souvent parlé, et pas seulement en ce qui concerne le vol d'auto. Nous savons également qu'il y a des cas d'abus de discrétion judiciaire dans les tribunaux. Est-ce votre expérience? Les agents de première ligne sont-ils frustrés? C'est eux qui font affaire avec ces gens, et le lendemain ils les voient dans la rue.

M. Sutherland : Absolument. Surtout lorsqu'il s'agit de personnes ou de familles qui ont un casier judiciaire très chargé; on a l'impression de perdre son temps. Le problème, c'est qu'il faut qu'il y ait des conséquences réelles à tout le moins. Je suis d'accord avec le professeur pour dire que, pour certaines personnes, l'idéal, c'est la détention assortie de programmes, car on les retire de l'environnement qui renforce les comportements indésirables. Toutefois, sans cette détention, nous ne pourrions rien pour eux. Ils seront profondément pris dans l'engrenage favorisant un comportement négatif. Je suis pour les programmes, s'ils fonctionnent, mais en bout de ligne, mon travail, c'est de protéger et de défendre la vie et la propriété, et lorsqu'il y a des gens qui mettent ces deux éléments en danger encore et encore, il vient un moment où il faut y mettre fin.

Le sénateur Runciman : Vous avez dit que la déjudiciarisation fonctionne parfois. Je pense à la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents. Le professeur ne pense pas que les peines minimales seront infligées en vertu de la loi. Mais vous êtes en train de me dire que dans le cas d'un récidiviste visé par cette loi, vous appuieriez une peine minimale, du moment qu'il y ait des programmes. Est-ce le cas pour vous également?

M. Linden : En règle générale, la déjudiciarisation fonctionne pour les enfants car, comme la plupart d'entre nous, y compris moi-même, nous faisions plein de mauvais coups quand nous étions petits et nous n'avions pas besoin d'être enfermés pour toujours pour autant. Toutefois, dès qu'on parle de jeunes qui sont des contrevenants de niveau 4, je ne pense pas que l'on puisse les traiter de la même façon que les enfants.

Le sénateur Runciman : D'après votre expérience, qui sont les voleurs d'auto qui commettent des infractions avec violence? Est-ce d'habitude les jeunes contrevenants qui utilisent un véhicule comme arme?

M. Sutherland : Normalement oui.

Le sénateur Runciman. À part modifier le projet de loi, ce problème ne pourrait-il pas être réglé grâce à la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents?

M. Sutherland : Franchement, je ne pense pas.

Le sénateur Runciman : Je me demande ce que vous entendez par là.

M. Sutherland : Il y a peut-être moyen de régler le problème autrement, mais l'ennui, c'est que certains de ces jeunes contrevenants sont maintenant des adultes. C'est là où le bât blesse. Est-ce que j'aimerais que ce genre de disposition soit inclus dans la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents? Absolument. Le problème, c'est qu'il y a également une question de vulnérabilité. Le crime organisé, même au niveau des gangs de rue, qui ne sont pas particulièrement sophistiqués, utilise déjà de jeunes contrevenants pour accomplir certaines tâches, sachant qu'ils n'auront à assumer aucune conséquence en vertu de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents. Cela renforce le scénario où des jeunes sont amenés par des gens qu'ils admirent à faire des choses horribles, et on ne peut pas les sortir de cet engrenage car les cautionnements sont faciles à obtenir et la détention est la dernière chose que l'on veut leur infliger.

Le problème, en fin de compte, c'est que le mieux est l'ennemi du bien, et le parfait, du possible. Il y a très peu de choses parfaites en ce monde, et je pense qu'il s'agit ici d'un bon premier pas.

Le sénateur Joyal : Monsieur Linden, quelle est votre spécialité en tant que professeur? Vous dites que vous n'êtes pas avocat et que vous n'êtes pas issu du milieu juridique, et je crois comprendre que vous n'êtes pas à la Faculté de droit de l'Université du Manitoba. Quelle est donc votre spécialisation?

M. Linden : J'ai un doctorat en sociologie et j'enseigne la criminologie depuis le tout début de ma carrière.

Le sénateur Joyal : Est-ce à ce titre que vous avez témoigné aujourd'hui?

M. Linden : Oui.

Le sénateur Joyal : Je vais revenir à votre mémoire où vous dites, et je cite :

Je ne suis pas pour les peines minimales obligatoires et je ne vois aucune nécessité de les inclure dans ce projet de loi. Il n'y a aucune preuve que les peines minimales obligatoires empêchent la criminalité et je ne vois pas comment l'on peut retirer la discrétion judiciaire à ceux qui commettent ce genre de crime.

Permettez-moi de vous poser une question qui sera sans doute difficile à répondre. Avez-vous des analyses ou des données statistiques qui montrent que la discrétion judiciaire a été utilisée abusivement par le passé? En d'autres mots, avez-vous des données qui indiquent que les tribunaux devaient être prévenus, si vous le voulez, de ce genre de crime afin que la peine soit à la hauteur de la nature du crime?

M. Linden : En ce qui concerne le vol d'auto?

Le sénateur Joyal : Oui, puisque nous parlons du vol d'auto.

M. Linden : Pas en ce qui concerne les problèmes que nous affrontons ici à Winnipeg, car ce sont des jeunes qui commettent ces crimes, et l'aspect lié à la détermination de la peine de cette loi ne les concerne pas. Et bien entendu, il y a toujours des cas où des gens commettent un crime un jour et sont relâchés sous cautionnement le lendemain, donc, la discrétion judiciaire n'est manifestement pas parfaite.

L'un des problèmes avec les peines minimales obligatoires, c'est qu'il y a le pouvoir discrétionnaire de la Couronne. Lorsque les responsables ont étudié l'effet des peines minimales obligatoires sur d'autres types d'infractions, ils ont constaté que les peines ne changeaient pas tellement car elles étaient ajustées au niveau de la Couronne plutôt que par le juge. Non, il n'y a aucune preuve statistique qui démontre des répercussions négatives du fait de ne pas imposer des peines assez longues.

Le sénateur Joyal : On nous dit toujours que les tribunaux sont trop indulgents, qu'ils ne prennent pas le crime au sérieux, qu'ils se contentent de donner le minimum, soit une peine qui, aux yeux du public, n'est pas à la hauteur de la nature des infractions.

Vos études démontrent-elles ce genre de parti pris? La criminalité aujourd'hui est très en vue dans les médias, comme vous le savez. Il y a une affaire qui fait les manchettes, puis s'ensuivent les lignes téléphoniques ouvertes, les rapports jaunes, et tout le tralala. Les médias reviennent constamment sur ce même crime ou cette même infraction, ce qui crée une perception, et cette perception devient réalité, et la réalité, c'est que la justice ne punit pas assez sévèrement la criminalité et qu'il faut indiquer clairement aux magistrats qu'on veut qu'ils soient beaucoup plus sévères.

J'essaie de comprendre votre point de vue professionnel, c'est-à-dire celui de la criminologie, que vous exercez depuis toujours. Avez-vous eu l'occasion de réfléchir à ce dont je viens de vous parler? Pouvez-vous éclairer notre lanterne?

M. Linden : C'est pourquoi je vous demandais si nous parlions dans le contexte du vol d'auto. J'ai examiné de nombreuses études sur les politiques relatives aux peines minimales obligatoires. Prenez par exemple un article que je viens de lire sur les conséquences de la loi californienne des trois chances, une loi aussi draconienne et cher que l'on puisse imaginer. Les études de cette loi, qui s'élèvent à plus d'une dizaine, montrent que la loi des trois chances n'a eu aucune incidence. Le taux de criminalité en Californie n'a pas reculé plus rapidement que celui des autres États qui n'ont pas mis en place une telle loi. Si vous regardez les comtés californiens où la loi des trois chances a été appliquée rigoureusement, les taux de criminalité n'ont pas reculé davantage que ceux des comtés où cette loi n'a pas été appliquée aussi rigoureusement.

Le ministère de la Justice a fait une évaluation de la Loi sur les armes à feu au Canada, et il a conclu qu'elle n'a eu aucune incidence. Les homicides liés à des gangs n'ont pas reculé, et ce, malgré la peine obligatoire minimale de cinq ans pour les crimes commis avec armes à feu. Il n'y a aucune preuve qui puisse nous permettre de conclure que les peines minimales obligatoires fonctionnent.

Ce qui m'embête le plus avec les peines minimales obligatoires, c'est qu'elles donnent l'impression que l'on agit contre le crime. On peut dire que l'on est en train de sévir en portant la peine minimale obligatoire pour les crimes commis avec armes à feu à cinq ans. En fait, l'ancienne peine était de quatre ans, donc ce n'est pas un gros changement, mais on a bien fait mousser le fait que la peine minimale était de cinq ans. Cela donne l'impression qu'on a agi, alors qu'en fait, si l'on veut réduire la violence des gangs, comme le voulait cette loi, il y a plein d'autres mesures que l'on puisse prendre à part modifier la loi. La loi ne suffit pas.

Le sénateur Joyal : Le repris de justice, comme celui que décrivait le détective Sutherland tout à l'heure, est celui qui attend jusqu'à deux heures du matin toutes les nuits pour aller provoquer la police. Quelqu'un de cet acabit doit avoir un problème psychologique, et il se trouve dans votre niveau de classification 4. Même si on menace ces individus de les emprisonner pendant six mois, ils ne changeront pas de comportement car ils ne sont pas raisonnables.

M. Linden : Nous avons toujours des délinquants de niveau 4 qui commettent des crimes, mais il y en a moins. Nous avons des données sur certains jeunes que nous avons suivis. Nombre d'entre eux ont tourné le dos à la criminalité. Souvent, une fois qu'ils sont catégorisés au niveau 4 et qu'ils sont placés sous surveillance étroite, ils cessent de récidiver. J'ai utilisé un terme clé dans mon rapport, à savoir la dissuasion ciblée. Plutôt que d'adopter une loi qui s'applique à tous, nous disons à certains individus que s'ils continuent d'enfreindre les lois, nous viendrons les arrêter personnellement. Pour la plupart d'entre eux, ce genre de dissuasion est suffisante.

Toutefois, le problème dont nous parlions tout à l'heure avait trait aux enfants, tels que ceux qui commettent des crimes pendant qu'ils sont sous surveillance électronique. La surveillance électronique ne fonctionne pas pour ce genre de personnes. Le fait que nous ayons une réduction des vols d'auto de 73 ou 80 p. 100 montre bien qu'une stratégie de dissuasion ciblée fonctionne. Cette approche a fonctionné aux États-Unis, dans le cadre du Boston Gun Project, où le taux d'homicides commis par des gangs à Boston a été réduit de 60 p. 100 du jour au lendemain grâce au ciblage d'individus en particulier.

Nous adoptons une stratégie ici à Winnipeg en vertu de laquelle nous avons identifié les 50 contrevenants affiliés à des gangs qui sont les plus violents. Nous nous réunissons avec eux pour leur dire que nous aurons une tolérance zéro et que nous les aurons à l'œil. Nous en profitons pour leur offrir des portes de sortie de la vie des gangs, par exemple la formation, l'éducation, la thérapie ou tout ce dont ils ont besoin.

Le problème avec les lois en général, c'est que les criminels ne se sentent pas concernés, puisque la grande majorité des crimes ne donnent pas lieu à des arrestations. Mais on estime que sur 15 000 transactions de cocaïne aux États- Unis, une seule donnera lieu à une inculpation. Le revendeur de cocaïne moyen ne se soucie que très peu de la peine car il sait que les chances sont bonnes qu'il ne sera pas arrêté. Enfin, le pauvre bougre qui se fait arrêter est toujours surpris d'apprendre qu'il devra faire 25 ans de prison.

Ce qui fonctionne bien dans ces programmes de dissuasion ciblée — y compris pour les revendeurs de drogue —, c'est de regarder ces contrevenants dans les yeux et de leur dire que nous les avons à l'œil. Et ensuite, il faut tenir parole. Il faut effectivement les arrêter pour la moindre incartade. La dissuasion fonctionne si elle est certaine. Elle ne fonctionne pas si ce n'est qu'une vague promesse ou éventualité.

La présidente : Chers collègues, nous avons maintenant déjà largement dépassé le temps et il nous reste encore d'autres témoins, aussi, je demanderais au sénateur Joyal de conclure. Ensuite, il y aura de très courtes questions supplémentaires des sénateurs Carignan et Rivest, après quoi je vais devoir clore la séance avec ces témoins vraiment très intéressants.

Le sénateur Joyal : J'ai compris d'après votre exposé qu'il nous faut une approche sur mesure, et qu'il vaut mieux donc en poursuivre certains plutôt que de mettre tout le monde en prison. Toutefois, cela ne serait-il pas trop cher? Vous avez cité une somme de 52 millions de dollars.

M. Linden : La plupart de cet argent a été consacré à des dispositifs antidémarrage. Toutefois, de l'autre côté, nous avons tout remboursé, et nous épargnons maintenant plus de 30 millions de dollars par année. Le vol d'automobile est une infraction unique parce que nous avons les dispositifs antidémarrage.

Ces programmes ne coûtent pas très cher. Nous utilisons simplement les ressources — par exemple dans notre programme des gangs — qui existent déjà, et au lieu de tenter de les disperser un peu partout, nous nous concentrons sur un nombre limité de personnes qui sont davantage responsables de crimes.

Je crois que cela pourrait s'appliquer à des situations comme la conduite avec les facultés affaiblies, lorsque nous savons que des gens qui sont des alcooliques chroniques causent une proportion indue des dommages. Si on se concentre sur eux plutôt que d'arrêter des membres de la population en général, la situation s'améliore.

Compte tenu de ce qui se passe actuellement dans le monde de la criminologie, cette dissuasion ciblée semble être l'orientation de ce programme. Le département de la Justice américain a adopté ce programme comme modèle.

Le sénateur Joyal : Je suis désolé d'être interrompu. J'ai de nombreuses autres questions pour vous.

M. Linden : Je serai heureux de répondre par courriel n'importe quand.

Le président : Nous serions ravis de vous garder ici tous les deux toute la soirée, mais c'est impossible.

[Français]

Le sénateur Carignan : Monsieur Linden, vous avez cité des études en Californie portant sur les peines minimales. On se les fait citer souvent, ce sont toujours les mêmes études. Est-ce qu'on a mesuré ce que le taux de criminalité aurait pu être, n'eut été des peines minimales? On dit qu'il n'a pas baissé, mais cela l'a peut-être empêché d'augmenter. Existe-t-il des études sur ce sujet? Est-ce que l'application de peines minimales — comme il en existe pour l'alcool au volant —, soutenue par une excellente publicité — comme pour l'alcool au volant —, ne peut pas être un outil de dissuasion ciblé que vous semblez privilégier?

[Traduction]

M. Linden : Je ne suis pas certain de comprendre la question concernant l'ivresse.

[Français]

Le sénateur Carignan : Pour ce qui est de la conduite en état d'ébriété, il y a des peines minimales de prison en cas de récidive.

[Traduction]

M. Linden : Je ne suis pas certain du lien qu'a cette question avec ce dont nous parlons. Toutefois, je vais revenir aux études californiennes. Dans les mêmes conditions, dans le même État, en Californie, certains comtés ont appliqué la politique des trois fautes plus rigoureusement que d'autres. Si la politique des trois fautes était efficace, on s'attendrait à ce que les taux diminuent davantage dans les comtés qui appliquent sérieusement cette politique comparativement aux comtés où la loi des trois fautes n'est pas autant utilisée. Cela n'a pas été le cas.

De la même façon, si nous comparons des États, comme celui de New York, qui n'a pas de politique des trois fautes, avec la Californie et que nous examinons les diminutions du taux de criminalité, nous constatons que le taux de criminalité a baissé plus rapidement dans les États sans loi des trois fautes. Voilà le genre de recherche à notre disposition relativement à cette politique.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Oui, mais New York a ajouté 10 p. 100 de policiers.

La présidente : Sénateur Carignan, j'avais dit une courte question.

Le sénateur Carignan : D'accord, je ne veux pas argumenter avec le témoin.

Le sénateur Rivest : Je partage votre point de vue sur les sentences minimales. En plus de limiter la discrétion du juge et d'instaurer un système de justice de type « guichet automatique », vous ne croyez pas au caractère dissuasif des sentences minimales. Alors pourquoi, à votre avis, y a-t-il dans nos lois des sentences minimales? À qui s'adressent- elles? Aux criminels ou à l'opinion publique?

[Traduction]

M. Linden : Je crois que ces études s'adressent à la population, pour donner l'impression que le gouvernement fait quelque chose en matière de crime. Si on examine le cas de la Californie, il est devenu politiquement impossible pour les politiciens de s'opposer à la loi des trois fautes, même s'ils savaient que les coûts seraient catastrophiques.

La Californie a échangé son titre d'État ayant le meilleur système universitaire en Amérique du Nord à celui d'État ayant le système carcéral le plus important en Amérique du Nord. Le système d'études supérieures est en crise en raison d'un manque de financement, en partie en raison des milliards de dollars dépensés chaque année en raison de la loi des trois fautes.

Encore une fois, il ne faut pas être indulgent en matière de criminalité. Je crois que ce qui est bien de la stratégie de dissuasion ciblée, c'est qu'on peut adopter une approche sévère parce qu'on est sévère à l'endroit des délinquants qui sont plus susceptibles de commettre des crimes, en veillant à ce qu'ils soient appréhendés et incarcérés pour toute violation de la loi. Il est certainement possible d'être sévère mais aussi d'être plus sensé dans l'attribution des ressources.

La présidente : Messieurs, comme le sénateur Runciman l'a dit, merci beaucoup d'avoir fait tout ce chemin pour nous aider. Vous avez tous les deux fait des témoignages à l'occasion époustouflants et très utiles pour nous dans notre étude de ce projet de loi. Nous vous en sommes vraiment reconnaissants.

M. Linden : Je vous remercie de l'invitation et des questions. C'était agréable.

M. Sutherland : Oui, merci, madame la présidente.

La présidente : Nous accueillons maintenant, du Conseil canadien des avocats de la défense, M. Phil Downes. Bienvenue au Sénat. Nous avons hâte d'entendre votre déclaration.

Phil Downes, représentant, Conseil canadien des avocats de la défense : Je suis ravi d'être ici, et je vous remercie. Bon après-midi, mesdames et messieurs les sénateurs. Je vous transmets les salutations de mon collègue, Bill Trudell, qui est le président du Conseil canadien des avocats de la défense. Nous sommes très honorés d'avoir l'occasion de comparaître devant vous et de vous aider dans l'étude que vous menez aujourd'hui.

Comme vous devez être nombreux à le savoir, notre conseil a été formé en 1992. L'honorable Kim Campbell, alors ministre de la Justice, a encouragé la mise sur pied du conseil. Nous tentons d'offrir une perspective nationale sur les questions de droit criminel, tout en préservant les principes constitutionnels qui, selon nous, nous protègent tous et ainsi, le droit criminel évolue de façon pratique et uniforme dans le respect des principes de justice fondamentale. Nous sommes reconnaissants d'être ici aujourd'hui dans le cadre de votre étude de ce projet de loi.

Je n'en dirai pas long sur le projet de loi S-9; j'attendrai plutôt vos questions. Mes commentaires seront axés sur quelques points. D'abord, ce que j'appellerai la nécessité, et ensuite, les peines minimales. Ayant entendu en partie ce que les témoins précédents ont dit, je m'attends à reprendre certains de ces commentaires.

Je vais commencer par la nécessité. Il s'agit du Code criminel de 1961; il compte 680 pages. Voici le même Code criminel Martin aujourd'hui; il compte 1 650 page — il est donc deux fois et demie plus volumineux. J'ai emprunté cet exemplaire de M. Trudell parce qu'il avait un code de 1961.

Enfin, le Code criminel est de plus en plus volumineux parce qu'on semble croire qu'un gouvernement est responsable simplement en adoptant une loi après l'autre. Lorsqu'il est question du Code criminel en particulier, nous semblons trop souvent adopter un comportement réactionnaire de façon, selon moi, irrationnelle et simpliste. Il y a un problème, alors pourquoi ne pas adopter une loi, créer une nouvelle infraction, allonger les peines d'emprisonnement, et le problème est résolu. On présente un amendement après l'autre, et le Code criminel continuera d'être de plus en plus volumineux et à prendre de plus en plus de place dans nos porte-documents.

En tout respect, nous croyons que ce projet de loi est l'un des exemples les plus évidents de cette tendance. Comme vous le savez, ce projet de loi vise avant tout à créer trois nouvelles infractions. Je serai heureux de vous donner plus de détails dans mes réponses aux questions que vous pourriez avoir, mais nous avons l'impression que d'ajouter ces nouvelles infractions aura peu d'effet du point de vue pratique autre que d'augmenter les statistiques concernant le nombre d'accusations portées par les policiers.

Dans le cas qui nous occupe, nous avons examiné le projet de loi en détail et nous demandons s'il est vraiment nécessaire. Vise-t-on simplement à prolonger les peines pour une infraction qui existe déjà, qui traite déjà de ce comportement criminel?

J'imagine — et je crois que vous entendrez peut-être un autre son de cloche du prochain témoin, de l'Association canadienne des juristes de l'État — que de nombreuses accusations en vertu de cette nouvelle infraction de vol d'automobile mèneront, selon la façon dont la loi sera appliquée par les provinces, à des négociations de plaidoyers pour obtenir une peine réduite afin d'éviter le minimum obligatoire simplement parce que nos tribunaux, les procureurs de la Couronne et les juges sont déjà débordés, une infraction après l'autre, une peine minimale après l'autre, une nouvelle politique après l'autre. Le volume de travail imposé à nos tribunaux est simplement impossible à gérer. Je pense que presque tout le monde est d'accord sur ce point. Quoi qu'il en soit, la vaste majorité des cas mèneront à des négociations de plaidoyers.

Pour ce qui est de l'infraction visant la modification du numéro d'identification d'un véhicule, je poserai une question, parce qu'aucun des témoignages précédents que j'ai lus n'y fait référence. Pourquoi cette infraction n'est-elle pas déjà couverte sous l'infraction de méfait en vertu du Code criminel? S'il s'agit simplement d'une question de peine, si le Parlement choisit de changer la peine pour une infraction qui existe déjà, soit. Toutefois, pourquoi créer une nouvelle infraction, à moins qu'il y ait vraiment de bonnes raisons de le faire?

De la même façon, pour ce qui est des nouvelles infractions de trafic, il nous semble que les infractions de possession actuelles en vertu de l'article 354 suffisent, surtout si on tient compte des dispositions à l'article 358 : « L'infraction consistant à avoir en sa possession est consommée lorsqu'une personne a, seule ou conjointement avec une autre, la possession ou le contrôle d'une chose [...] ou lorsqu'elle aide à la cacher ou à en disposer. »

À mon avis, la loi actuelle pour ce qui est de la complicité pourrait être adéquate pour tenir compte du soi-disant intermédiaire que le projet de loi tente de viser et qui n'était pas visé auparavant.

Nous croyons que, bien que ce projet de loi soit sans aucun doute bien intentionné pour régler certains problèmes, il ne s'agit simplement que d'une autre loi, qui vient alourdir le Code criminel, qui nous permet de dire que nous sommes sévères en matière de criminalité pour mettre fin à ce type d'infraction. Toutefois, l'incidence réelle sera minime.

Il est ironique que ce comité ait entendu des témoignages selon lesquels il y a eu une réduction graduelle et continue des vols d'automobile depuis 1996. Pourquoi adoptons-nous une loi qui tient compte d'une infraction qui, il me semble, est de plus en plus désuète compte tenu des avancées en matière d'enquête et de technologie de surveillance policière?

Nous ne sommes pas les seuls à avoir ces préoccupations. Vous avez déjà entendu le témoignage d'un agent de la Police provinciale de l'Ontario, qui typiquement n'a pas peur d'appuyer des projets de loi visant les activités criminelles, qui vous a dit que les nouvelles infractions auront peu d'effets sur le vol d'automobile ou sur les enquêtes sur le crime organisé. Il peut y avoir des divergences d'opinions à cet égard, mais je crois que ce témoignage, tel que je l'ai lu, était très intéressant.

Passons maintenant aux peines minimales obligatoires. Sénateurs, si vous m'avez déjà entendu, vous avez déjà entendu ce que je vais dire. Je ne vais pas revenir sur ce que le professeur a dit — il est plus éloquent que moi —, mais nous croyons que les peines minimales obligatoires n'ont aucun effet mesurable sur le taux de criminalité. Il s'agit d'outils qui omettent de faire la distinction entre les voleurs de voitures de ruelle et les gros bonnets.

Comme je l'ai déjà dit au comité, selon mon expérience, la majorité des gens qui participent à des activités criminelles n'ont aucune idée des peines rattachées aux crimes qu'elles commettent. Lorsqu'ils viennent à mon bureau, la première question à laquelle ils veulent une réponse est de savoir la peine prévue pour leur crime. Toutefois, le risque de se faire prendre a une signification pour eux. Par conséquent, donner à nos policiers davantage de ressources et de technologies qu'ils ont à leur disposition serait utile. On le voit dans la réduction des vols de voiture en raison de dispositifs comme les interrupteurs d'allumage et les GPS. Voilà les outils qui contribuent réellement à réduire la criminalité, parce que les gens savent qu'ils vont se faire prendre.

Pour ce qui est des peines minimales, je vous dirai surtout ceci : nos juges au Canada sont reconnus comme étant les plus indépendants et compétents du monde de la common law. Nous envoyons nos juges pour enseigner le métier dans des pays comme la Chine, la Russie et le Rwanda. Nous offrons de la formation, et nous en sommes fiers. Notre processus de nomination mène rarement, voire jamais, à des allégations d'interférence politique ou à la nomination de candidats non qualifiés. Nous voyons toutefois une érosion constante de la discrétion judiciaire par l'adoption de projets de loi comme le projet de loi S-9 et la tendance accrue du recours aux peines minimales.

Notre conseil trouve profondément préoccupant le fait qu'on applique le principe des deux poids, deux mesures lorsqu'il est question du rôle de nos juges.

Enfin, permettez-moi de dire un mot au sujet des peines avec sursis. Je sais que c'est un argument que l'on pourra faire valoir ailleurs, lorsque le projet de loi C-16 sera à l'étude. Nous nous inquiétons également de la désintégration graduelle du régime de peines avec sursis.

Il est évident que certains croient que cela n'a pas sa place dans notre régime de détermination de la peine, mais la loi oblige le juge à tenir compte de la sécurité du public lorsqu'il décide d'infliger une peine avec sursis. Le fait de restreindre la discrétion des juges à cet égard et dans l'utilisation de cet outil en matière de détermination de la peine est, sauf votre respect, un autre signe que nous ne faisons pas confiance aux juges pour qu'ils tiennent compte des circonstances de chaque affaire. Ce sont eux qui voient l'individu — le jeune, le délinquant primaire — qui comparaît devant eux. Ils peuvent peser toutes les circonstances et déterminer la peine la plus appropriée. Nous pensons que dans certains cas, les peines avec sursis servent l'intérêt public et que les juges et les procureurs de la Couronne sont bien placés pour déterminer quels sont ces cas.

Je vous remercie du temps que vous m'avez accordé et j'ai hâte d'entendre vos questions et d'y répondre.

Le sénateur Wallace : Merci, monsieur Downes. C'est bon de vous revoir.

J'ai quelques questions. Je suis sûr que vous avez suivi l'étude de ce projet de loi en comité et que vous avez lu certains témoignages. L'un des objectifs importants de ce projet de loi est de permettre aux forces de l'ordre de mieux lutter contre le crime organisé et son rôle dans les vols d'auto et de pièces d'auto.

On nous a parlé des ateliers de cannibalisation. Je suis sûr que vous en êtes bien informé. Les ateliers de cannibalisation sont devenus des entreprises perfectionnées. On nous a dit, je crois, qu'il y a en moyenne 400 voitures volées par jour. Le coût pour les contribuables et les détenteurs d'assurance dépasse le milliard de dollars. C'est considérable, et il faut faire quelque chose pour réagir à la situation.

Que dites-vous au sujet du crime organisé et de sa participation dans cette activité illégale? De votre point de vue, en tant qu'avocat de la défense d'expérience, que pouvez-vous nous dire au sujet du rôle du crime organisé dans le vol d'auto? En outre, sentez-vous libre de faire n'importe quelle observation sur le projet de loi S-9 à cet égard.

M. Downes : Pour ce qui est du crime organisé, je m'en remets à l'expertise de la police. Elle est de mieux en mieux équipée pour intervenir. L'une des difficultés qui se pose, c'est la définition du crime organisé. En vertu des dispositions, une organisation criminelle peut avoir trois membres, sans aucune autre affiliation à un gang, comme un gang de motards. Leur objectif est de voler des autos, de générer de l'argent, et cetera.

J'ai lu les témoignages. Il est raisonnable de croire que la faiblesse des taux de récupération indique une participation du crime organisé puisque le vol de véhicules haut de gamme est une entreprise lucrative. Je suis convaincu que le crime organisé joue un rôle important, mais je ne suis pas sûr que ces criminels fassent toujours partie d'un gang, surtout de gangs comme on en voit dans les films de Hollywood.

Le problème pour moi, c'est que je ne sais pas vraiment en quoi ce projet de loi aidera la police à lutter contre le crime organisé. Il crée une nouvelle infraction et ajoute cette infraction à la liste d'activités des organisations criminelles. Cependant, comme c'est vraiment un problème, j'aurais cru que cette infraction ferait déjà partie de cette liste. Je n'y ai pas d'objection.

Lorsque j'examine attentivement les témoignages, je ne suis pas convaincu que ce projet de loi nous permettra de mieux déceler les activités du crime organisé. Dans son témoignage, le détective Boyd de la Police provinciale de l'Ontario disait que cela ne ferait pas une grande différence et que les policiers accuseront souvent les contrevenants d'autres infractions, comme de recel, de fabrication de faux documents, de fraude, pour ne nommer que ceux-là. J'ai du mal à voir le rapport avec la lutte contre le crime organisé.

Le sénateur Wallace : En ce qui concerne le vol d'automobile, j'ai entendu dire que le fait d'en faire une infraction distincte permettra aux procureurs de la Couronne d'obtenir de biens meilleurs renseignements sur les antécédents d'une personne qui comparaît devant un tribunal. À l'heure actuelle, si une personne a déjà été reconnue coupable de vol, on ne sait pas si elle avait pris un téléviseur, une automobile ou autre chose. On ne fait pas la différence. D'après les témoignages que j'ai entendus, le fait d'avoir une infraction distincte pour le vol d'automobile permettrait aux tribunaux de mieux comprendre les véritables antécédents de la personne qui comparaît et de lui infliger une peine plus appropriée. Du moins, c'est l'une des raisons que l'on nous a donnée.

M. Downes : J'ai vu cela, et c'est intéressant. J'ai deux choses à dire à ce sujet. Premièrement, je ne suis pas convaincu que notre tenue de dossiers insuffisante soit une bonne raison pour créer une nouvelle infraction au Code criminel. Si une personne est condamnée pour vol, il y a de l'information sur ce qu'elle a volé. Je ne suis pas sûr que le simple fait de faciliter la recherche de cette information est une raison suffisante pour créer une toute nouvelle infraction.

Deuxièmement, certains semblent penser que le vol d'auto est un crime particulier qui fait des victimes. À mon avis, tout vol, et le vol de bien d'autres choses, est tout aussi nuisible. Je ne vois pas ce que la voiture a de si particulier. Récemment, on m'a volé mon ordinateur portable. Cela a été difficile. J'aurais préféré qu'on prenne ma voiture. Je me demande si en ciblant cette infraction, nous ne disons pas aux juges que c'est plus important pour les victimes que d'autres vols. Je ne pense pas que ce soit une bonne raison pour créer une nouvelle infraction.

Le sénateur Wallace : D'après certains témoignages que nous avons entendus, la victimisation est un aspect, mais l'entreprise criminelle qui semble être impliquée maintenant et contrôler dans une large mesure le vol d'auto est très bien organisée aux niveaux national et international. Plusieurs témoins nous ont dit que des automobiles et des pièces d'automobile se retrouvent dans des conteneurs à destination de marchés internationaux. C'est ainsi que j'ai compris l'ampleur du problème et la participation du crime organisé, quelle que soit sa définition. Le crime organisé est présent partout. Certains témoins nous ont dit qu'il fallait de nouveaux outils et modifier le Code criminel pour tenir compte de cette réalité. Vous avez peut-être des idées sur l'efficacité de ces mesures, mais lorsque vous dites que nous nous intéressons uniquement à la victimisation dans le projet de loi S-9, je vous répondrai qu'il n'y a pas seulement cela. On nous a dit que c'est la nature de l'entreprise criminelle.

M. Downes : Je comprends ce que vous dites. Mais je le répète, je ne sais pas trop quelles dispositions du projet de loi permettront à la police d'être plus efficace qu'elle ne l'est déjà. Si vous voulez donner à la police plus de ressources pour le contre-espionnage ou la surveillance ou l'écoute électronique d'organisations criminelles, je suis sûr qu'elle se réjouirait. Toutefois, comment le fait de créer une nouvelle infraction qui est déjà dans le code, mais pas de manière distincte, va-t-il l'aider à arrêter les gens ou à empêcher que des crimes soient commis de nouveau? C'est ce que je ne comprends pas. Je sais que des représentants de la police qui ont comparu pourraient vous l'expliquer, mais je ne les ai pas entendus le dire, et pour moi, c'est un problème de logique.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : J'ai d'abord un commentaire à faire sur l'épaisseur du Code criminel. Vous comprenez que, si on revenait au Code criminel d'il y a 50 ans, 50 p. 100 de moins d'avocats travailleraient.

Si on revient au Code criminel d'il y a 50 ans, comme vous semblez presque en faire la promotion, êtes-vous conscient que des crimes comme la violence conjugale, la violence contre les enfants ou l'alcool au voulant seraient permis aujourd'hui? Si le Code criminel s'est épaissi, c'est parce que la criminalité s'est complexifiée et qu'on y a ajouté des crimes, notamment la violence conjugale qui en représente une grande partie. Il y a 30 ou 40 ans, pour diverses raisons, ces crimes n'existaient pas. Êtes-vous conscient que, si le Code criminel s'est épaissi, ce n'est pas seulement parce que le gouvernement a agi, c'est parce que la criminalité s'est complexifiée et qu'il y a des champs d'action ou la société n'avait pas d'autre choix que d'intervenir, notamment concernant la violence conjugale, la violence faite aux enfants et les abus sexuels?

[Traduction]

M. Downes : Je ne voulais pas laisser entendre que c'est la seule raison qui justifie la création de nouvelles infractions dans le Code criminel, mais c'en est une. Les infractions que vous avez mentionnées existent, mais elles sont interprétées de manière différente par les tribunaux. Je pense que la common law a évolué en ce qui concerne les agressions sexuelles, la violence conjugale et la conduite avec facultés affaiblies. Il y a eu une forte multiplication de certaines dispositions relatives à la procédure et aux enquêtes, comme celles qui concernent les mandats de perquisition. Je ne voudrais pas vous sembler désinvolte.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : En passant, l'alcool au volant était une habitude. Je me souviens que mon père se promenait dans son auto avec une caisse de bière sur le plancher; il pouvait croiser les policiers et c'était normal.

Le vol d'auto, tel qu'on le voit, est un fléau qui me paraît presque social. Un chercheur nous a dit tantôt que dans trois ou quatre grandes familles, on retrouvait la majorité des voleurs. Cela fait quasiment partie du tissu social. Que diriez-vous si on comparait les vols d'autos aujourd'hui à ce qu'était l'alcool au volant il y a 30 ou 40 ans? N'est-ce pas en légiférant de façon très radicale par rapport à l'alcool au volant qu'on a réduit de façon notoire les morts sur les routes causées par des récidivistes ou par des alcooliques?

[Traduction]

M. Downes : C'est intéressant que vous souleviez la question de la conduite avec facultés affaiblies, parce qu'il y a eu un changement majeur sur ce plan. Cela ne fait aucun doute. La conduite avec facultés affaiblies a toujours été illégale, mais on a observé une diminution sans précédent de ce comportement, en bonne partie attribuable à la sensibilisation de la population au sujet de l'ivresse au volant. Il est devenu socialement inacceptable de prendre le volant après avoir consommé de l'alcool. Si la fréquence de cette infraction a diminué aussi nettement, ce n'est pas tant à cause de la loi, mais à cause de la sensibilisation de la population, qui condamne sévèrement ce comportement à présent.

Le sénateur Boisvenu : Ce que nous avons fait voilà 10 ans est équivalent. C'est un acte criminel, et nous avons réussi.

M. Downes : Oui.

Le sénateur Boisvenu : Avec des peines minimales. Nous avons essayé de faire la même chose dans le cas des voleurs d'automobile. C'est un acte criminel, mais j'aimerais savoir si on peut faire un parallèle entre les deux infractions.

M. Downes : D'après les témoignages que vous avez entendus, la fréquence des vols d'automobile a de toute façon diminué depuis 1996 grâce à certaines méthodes dont on a parlé. Je doute que ce projet de loi entraîne une nouvelle baisse importante de la fréquence de ces vols.

Le sénateur Baker : Dans la première partie de sa déclaration, le témoin a évoqué le volume du Code criminel, et il a tout à fait raison; toutefois, il faut rappeler que le Parlement du Canada n'est pas le seul à avoir adopté de nouvelles lois. Les provinces et les municipalités partout au Canada l'ont également fait. Et pourtant, dans ce cas, aucun parti politique ne promet de réduire le nombre de lois. Étant donné la multitude de nouvelles lois, peut-on penser que l'ignorance de la loi devrait être une excuse recevable dans certains cas?

M. Downes : Que l'ignorance de la loi soit une défense? En tant qu'avocat de la défense, je suis heureux qu'elle existe. Cela fait partie du problème : on ne cesse d'adopter de nouvelles lois sans jamais en supprimer beaucoup.

Le sénateur Baker : La question des numéros d'identification de véhicule n'est pas claire, à mon avis. Le libellé du projet de loi est identique à ce qui figure actuellement dans le Code criminel relativement au fait d'être en possession d'un véhicule dont le numéro d'identification a été modifié ou oblitéré. Cela se trouve au paragraphe 354(2) du Code criminel.

Le ministre et le ministère en ont fait mention dans la documentation ici. C'est dans le document explicatif qu'on indique qu'il s'agit d'une infraction. Toutefois, en vérifiant la jurisprudence, j'ai découvert que cette disposition a été déclarée anticonstitutionnelle en 1983. Elle figure encore dans le Code criminel, et des juges des cours provinciales et supérieures ont fait erreur au fil des ans en l'invoquant, alors que la Cour d'appel l'a infirmée en 1983. Cette disposition figure encore dans la documentation présentée à l'appui du projet de loi, même si elle a été jugée anticonstitutionnelle.

Voilà pourquoi j'avais demandé à Statistique Canada de m'indiquer des affaires de ce genre. Je n'ai pas pu en trouver sur Westlaw ou Carswell qui aient été jugées ou invoquées au cours des cinq dernières années au Canada.

Pensez-vous que le moment est venu? Pensez aux recherches faites dans des bureaux d'avocats au Canada. L'article 488.1 a été abrogé voilà bien longtemps, en 2002, sauf erreur, et pourtant il figure encore dans le Code criminel. Autrement dit, vous pouvez le lire dans ce volumineux code et penser qu'il fait partie de la loi. Eh bien non, cette disposition n'existe pas. Cela doit certainement vous compliquer la tâche. Avez-vous quelque chose à dire à ce sujet?

M. Downes : En effet, cela complique notre travail. Fait digne de mention, c'est moi qui représentais la Couronne dans cette affaire où la Cour suprême a décidé d'abroger l'article 488.1. C'est un mauvais souvenir pour moi. Je vois que cela pose des problèmes aux étudiants auxquels j'enseigne.

Le sénateur Baker : L'article 488.1?

M. Downes : Oui, le jugement de la Cour suprême du Canada.

Le sénateur Baker : L'affaire Lavallée?

M. Downes : Oui. J'étais l'avocat de la Couronne pour l'Ontario dans cette affaire. J'en vois les effets pour les étudiants à la Faculté de droit de l'University of Western Ontario. Cela les induit souvent en erreur, car ils pensent que la disposition fait partie de la loi, alors que ce n'est pas le cas.

Je dirais, même si cela dépasse la portée du projet de loi qui nous occupe, que bien des gens estiment qu'il faut remanier en profondeur le Code criminel pour le simplifier. Il faudrait rendre la partie qui s'adresse au grand public plus rationnelle et plus accessible. Je crois beaucoup à l'éducation du public. C'est une tâche herculéenne, mais nécessaire.

Le sénateur Baker : Une dernière question. Vous demandez ce qu'apporterait ce projet de loi. Je pense qu'il aurait différents effets. Cette infraction viendrait s'ajouter à la foule d'infractions qui permettent d'obtenir un mandat d'écoute électrique; il se trouverait donc à modifier la législation actuelle. En convenez-vous?

M. Downes : Si on crée cette nouvelle infraction, vous avez raison; cela permettrait d'invoquer les articles relatifs à l'écoute électronique.

La présidente : Je vous signale que vous avez devant vous la version allégée du Code criminel. J'imagine que c'est la version anglaise. Si vous aviez la version bilingue intégrale, vous devriez transporter une brique d'environ 2 660 pages.

[Français]

Le sénateur Carignan : Je veux être certain d'avoir bien compris votre témoignage sur la question des véhicules automobiles. Je comprends que vous vous interrogez sur le motif précis de s'attaquer au vol de véhicules plutôt qu'à d'autres biens parce que pour vous, le véhicule n'a rien de particulier par rapport à un autre objet, comme une télévision, par exemple. Est-ce bien ce que vous avez dit?

[Traduction]

M. Downes : Je pense qu'il faut prendre garde de ne pas laisser croire au propriétaire que le vol d'un véhicule est pire ou plus grave que le vol d'autres types de biens.

[Français]

Le sénateur Carignan : Vous ne trouvez pas que c'est plus grave? Vous êtes avocat de la défense. Je suis certain que vous avez déjà plaidé des annulations de saisies faites à l'intérieur d'un véhicule automobile, parce que le mandat de perquisition n'était pas valable et vous avez plaidé qu'un véhicule automobile était une extension de la vie privée de l'individu et que cela avait besoin d'une protection spéciale.

Mon épouse est avocate. Un jour, le juge devant elle a dit : « Je m'excuse, je n'ai pas le dossier. Je l'avais apporté chez moi et je me suis fait voler mon véhicule. Le dossier était à l'intérieur, on va devoir reconstituer le dossier. » Dans ce cas, l'automobile du juge était une extension de son bureau, il s'agissait d'un dossier de droit de la famille. Vous voyez qu'un véhicule automobile est quelque chose d'un peu plus précieux que, par exemple, un bien ordinaire. J'ai de la misère à entendre un avocat de la défense dire cela. Il me semble qu'un procureur de la Couronne pourrait plaider en ce sens si vous attaquez un mandat de perquisition.

[Traduction]

M. Downes : C'est un point de vue intéressant, mais je pense que la Cour suprême du Canada et les cours d'appel ne seraient pas d'accord avec vous. Je crois que dans le cas de l'automobile, l'attente en matière de vie privée est sensiblement moindre. Le premier niveau serait la personne, puis le domicile, et peut-être ensuite un bureau.

[Français]

Le sénateur Carignan : On en a moins, mais on en a quand même.

[Traduction]

M. Downes : Je pense que le véhicule automobile est perçu comme présentant une très faible attente relative à la vie privée en ce qui concerne les dispositions applicables à la perquisition et à la saisie. Quoi qu'il en soit, je ne nie pas que l'automobile soit importante pour beaucoup de gens et qu'il puisse y avoir des conséquences comme celles que vous avez évoquées si des objets s'y trouvent.

[Français]

Le sénateur Rivest : J'ai aimé votre approche; elle a le mérite d'être claire. Il y a plusieurs points que je partage avec vous. Je comprends qu'il y a des vols d'automobile depuis que les automobiles existent. Cependant, il y a quand même un phénomène nouveau qui nous amène à épaissir le Code criminel. Les propositions contenues dans ce projet de loi sont faites en fonction d'une lutte au crime organisé. Ce n'est pas le vol d'automobiles en tant que tel, mais c'est le vol d'automobiles en tant que bien qui sert à soutenir financièrement le crime organisé. J'ai bien de la sympathie pour votre ordinateur, mais il n'y a pas de trafic, cela n'aide pas le crime organisé. Ne croyez-vous pas que l'identification du véhicule risque de couper un peu les jambes du crime organisé? C'est dans ce sens, à mon avis, que ce projet de loi pourrait avoir une certaine utilité.

[Traduction]

M. Downes : Arrêtez-moi si je vous ai mal compris, mais j'imagine que vous faites référence à la nouvelle infraction consistant à supprimer ou à maquiller le numéro d'identification d'un véhicule, n'est-ce pas?

[Français]

Le sénateur Rivest : C'était simplement une illustration pour dire que cela va compliquer la vie du crime organisé. Lorsqu'un individu met un véhicule qu'il vole sur un bateau, il trafique l'identification pour ne pas être retracé. Selon moi, ce projet de loi est fait en fonction du crime organisé et non pas en fonction d'un vol d'automobiles ordinaire, comme par le passé. Ne croyez-vous pas qu'il peut avoir une certaine utilité?

[Traduction]

M. Downes : Je ne vois pas comment la création d'une infraction consistant à trafiquer le numéro d'identification d'un véhicule pourrait tout à coup amener les criminels de groupes organisés à se soucier davantage des conséquences ou des peines auxquelles ils s'exposent. La situation pourrait être différente si vous pensez aux répercussions pour les services frontaliers. Très honnêtement, je n'arrive toujours pas à comprendre la position des services frontaliers sur la question. J'ai lu attentivement le témoignage de leur représentant et je ne comprends toujours pas ce que ces dispositions leur donneraient. Je voudrais bien qu'on me l'explique. Toutefois, je ne vois pas ce que cette nouvelle infraction relative au numéro d'identification d'un véhicule pourrait changer dans la pratique pour les personnes capables de commettre à grande échelle des crimes organisés et élaborés.

Le sénateur Wallace : Monsieur Downes, pour en revenir à votre argument au sujet de l'oblitération du NIV, les dispositions proposées ne seraient-elles pas bénéfiques, au moins dans la mesure où le simple fait d'effacer le numéro d'identification d'un véhicule deviendrait un acte criminel? La disposition dont a parlé le sénateur Baker stipulait que la suppression du NIV ou l'absence de NIV était en soi une preuve permettant de croire qu'on a affaire à un véhicule volé. Il s'agit d'aller plus loin encore. Le fait de maquiller le NIV deviendrait un acte criminel. À mon avis, cela aurait l'avantage de briser toute la chaîne de l'activité criminelle : le vol, le trafic et la cannibalisation des véhicules volés, qui font partie intégrante de l'entreprise criminelle.

Le fait de criminaliser l'oblitération du NIV permettrait d'interrompre le processus criminel. C'était à mon sens un des principaux avantages de ce projet de loi. Qu'en pensez-vous?

M. Downes : Cela signifie probablement que si la police a des motifs de faire enquête dans un atelier de cannibalisation et découvre le NIV, elle pourra désormais porter des accusations. Ce qui m'intrigue, c'est que la police devait déjà avoir des preuves pour trouver l'endroit où le véhicule a été cannibalisé. Ce ne seraient donc certainement pas les seules accusations qu'elle porterait. Il y aurait sans doute d'autres preuves d'activités criminelles, particulièrement dans les cas de crimes organisés.

Les témoins représentant la police ne seront peut-être pas d'accord avec moi et c'est normal, mais d'un point de vue pratique, je ne vois pas comment la découverte d'un NIV trafiqué permettrait tout à coup à la police de mettre fin à une entreprise criminelle. La police pourrait intervenir de toute façon si elle avait des motifs raisonnables de penser qu'un acte criminel s'y déroule. C'est tout ce qu'il faut pour obtenir un mandat de perquisition et saisir des preuves. C'est fini.

Le sénateur Wallace : Les témoins que nous avons entendus n'ont pas dit que ce serait une révélation pour la police, « voilà, votre compte est bon, nous avons le numéro d'identification du véhicule », mais c'est tout de même un élément de plus. Beaucoup de témoins nous ont dit qu'il n'y a pas de solution unique, mais ce serait un outil de plus à la disposition des forces de l'ordre.

Je me rappelle que nos échanges avec vous ont surtout porté sur le vol de véhicules automobiles, cette nouvelle infraction distincte, mais d'autres dispositions du projet de loi traitent de la possession dans le but d'en faire le trafic, de même que de l'importation et de l'exportation de véhicules volés. Dans ce contexte, l'oblitération du NIV pourrait jouer un rôle.

Je pense que le fait de cibler chacune de ces infractions individuellement permettrait de démanteler toute une entreprise criminelle, à partir du moment où le véhicule est volé dans une cour privée ou dans la rue, jusqu'à ce qu'il se retrouve dans un atelier de cannibalisation ou un conteneur à destination d'un endroit quelconque.

Voici ce que j'en comprends : si on divise le problème en éléments plus petits, cela augmente les possibilités de réunir les preuves nécessaires et de contrer ce type d'activités. Qu'en pensez-vous?

M. Downes : L'essentiel de mon propos, c'est que tout cela existe déjà. Je sais qu'on fait valoir que beaucoup de gens complices du trafic de véhicules ne sont pas appréhendés en vertu des dispositions actuelles relatives au recel. Toutefois, si on appliquait correctement les dispositions relatives à la possession et à la complicité, tous ces individus seraient arrêtés. Par exemple, les personnes qui facilitent l'importation et l'exportation des véhicules volés, et remplissent les formulaires en sachant que les renseignements qu'elles inscrivent sont faux, sont complices de cette infraction ou en commettent une autre.

En pratique, je ne vois pas qui d'autre serait visé par l'ajout de l'infraction de possession en vue d'en faire le trafic. Voilà l'objet de ma démarche aujourd'hui. Je me demande s'il n'y a pas davantage de symbolique que de substance dans le projet de loi.

La présidente : Vous avez présenté votre argument de façon très éloquente. Je dois malheureusement vous interrompre, sénateur Wallace.

Merci beaucoup, monsieur Downes. Comme d'habitude, vos interventions ont été captivantes et très enrichissantes. Nous vous en sommes reconnaissants. Je suis désolée de vous avoir fait attendre au début, mais vous vous êtes montré très patient, et nous vous en sommes gré.

M. Downes : Tout le plaisir est pour moi, merci beaucoup.

La présidente : Chers collègues, le comité est ravi d'accueillir de nouveau M. Jamie Chaffe, président de l'Association canadienne des juristes de l'État. Je comprends que vous avez presque dû vous cloner pour être ici aujourd'hui. Nous vous en sommes très reconnaissants.

Jamie Chaffe, président, Association canadienne des juristes de l'État : Mon bagage génétique est très médiocre, madame la présidente, mais je suis ravi d'avoir pu me libérer pour assister à cette séance. Pour gagner du temps, Mme Anwar a, je crois, remis aux sénateurs notre documentation écrite.

La présidente : Oui.

M. Chaffe : Je vais donc écourter mon exposé liminaire pour expliquer tout de suite la position de mon association au sujet des répercussions anticipées du projet de loi S-9.

Compte tenu du soutien accordé au projet de loi par les associations et services de police ainsi que par l'Agence des services frontaliers du Canada, nous nous attendons à un volume substantiel de travail additionnel et à une hausse du nombre d'accusations portées à la suite de l'introduction de ces nouvelles infractions criminelles. Il faut préciser que la plus grande part des travaux sera complètement nouvelle pour le système de justice pénale. Comme les représentants de l'Agence des services frontaliers du Canada l'ont dit dans leur témoignage, ce projet de loi permettra de mener des enquêtes ciblées et proactives sur des biens suspects à la frontière; ce qui confère des pouvoirs inédits.

Pour ce qui est de la nouvelle disposition sur le vol d'automobiles, nous nous attendons à ce qu'il y ait moins de plaidoyers de culpabilité dans le cas de poursuites où il y a mise en accusation par rapport à l'infraction actuelle, c'est- à-dire un vol de plus de 5 000 $. Les prévenus ne s'exposeront pas à des peines d'emprisonnement obligatoire lorsqu'il s'agit d'une troisième déclaration de culpabilité subséquente ou plus, mais ils seront plus enclins à contester une première ou deuxième déclaration de culpabilité pour vol d'automobile si une peine d'emprisonnement obligatoire peut être imposée à la troisième condamnation. Nous nous attendons à ce que cela fasse augmenter le nombre d'accusations de ce type qui mèneront à un procès.

À l'instar des autres modifications récentes apportées au Code criminel qui ont établi de nouvelles infractions, peines minimales obligatoires et procédures de désignation de délinquants dangereux, le projet de loi S-9 mènera également à une hausse considérable de la fréquence des procès et à une diminution des plaidoyers de culpabilité devant les tribunaux pénaux.

En ce qui a trait aux dispositions proposées aujourd'hui et autres projets de loi portant sur les infractions avec violence, l'Association canadienne des juristes de l'État est d'avis que les services judiciaires sont déjà surchargés, et que lorsqu'il y a un écart important entre la date de mise en accusation et le début du procès, le projet de loi S-9 pourrait donner lieu à des ajustements nécessaires aux incitatifs à la détermination de la peine. Dans ce système surchargé, les gouvernements provinciaux pourraient avoir à donner l'ordre à leur personnel d'envisager des peines moins sévères ou des mesures de déjudiciarisation pour réduire le nombre de procès, afin de limiter la hausse attribuable à ces nouvelles dispositions.

Par conséquent, là où il y a un manque de ressources, les procureurs généraux provinciaux et leur personnel devront se donner les moyens de tenir des procès, et ils y arriveront probablement en effectuant un tri pour que les affaires portant sur des infractions sans violence n'aboutissent pas devant les tribunaux de première instance. D'ordinaire, il s'agit de cas d'infractions contre des biens. C'est là notre position au sujet des modifications proposées pour les infractions avec violence.

Ces nouvelles lois pénales ciblent précisément les infractions contre les biens. Par conséquent, elles représenteront un dilemme considérable pour le système de justice pénale, à moins qu'elles ne soient assorties d'une injection massive d'argent neuf dans l'infrastructure du système de justice pénale.

Il est important que le comité sache que bon nombre de systèmes de justice au Canada sont surchargés de travail. Je vais vous donner l'exemple de trois provinces. Je pourrais vous parler de toutes les provinces, mais pour les besoins de notre discussion, je vais commencer par le Manitoba.

En mars 2009, un groupe de travail a été mis sur pied dans le cadre d'une convention collective. Il était composé de hauts fonctionnaires du ministère de la Justice du Manitoba et de représentants de la Manitoba Association of Crown Attorneys, la MACA. Ce groupe de travail a présenté un rapport dénonçant une crise du volume de travail. Le Manitoba est aux prises avec de graves problèmes de vols d'automobiles. Les représentants du groupe de travail ont convenu que, compte tenu du nombre approximatif de dossiers ouverts chaque année par la poursuite — environ 45 000 — et du nombre de procureurs s'occupant actuellement de dossiers actifs, pour ramener le volume de travail à des niveaux gérables, il faudrait 70,5 procureurs de la Couronne de plus et 35 employés de soutien supplémentaires.

Le rapport comprenait l'énoncé suivant :

On dénombre 45 000 dossiers par année, répartis entre 180 procureurs de la Couronne, ce qui donne 250 dossiers par procureur et par année. En ce moment, 109,5 procureurs de la Couronne s'occupent de dossiers actifs, alors il en manque déjà 70,5. Selon un ratio procureur/personnel de soutien de deux pour un, il faudrait créer 35 nouveaux postes d'employés de soutien. Ces données ne comprennent ni la supervision ni la formation des nouveaux avocats, car la majorité d'entre eux ne seront pas assez bien formés dans le cadre de leur programme de stage. Il faut aussi prendre note du fait que ces données sont fondées sur la demande actuelle. Si les circonstances venaient à changer, il pourrait être nécessaire de revoir les exigences en matière de dotation.

Le projet de loi S-9 ainsi que les projets de loi présentés auparavant sur lesquels mon association a formulé des remarques constituent de véritables changements qui auront une incidence sur la charge de travail. Ces estimations pour le Manitoba sont très prudentes.

À la suite de ce rapport, en juillet 2009, le gouvernement du Manitoba s'est engagé à embaucher 16,5 procureurs de la Couronne et 2 avocats stagiaires d'ici fin 2011. Le gouvernement ne s'est pas engagé à ajouter d'autres équivalents temps plein chez les procureurs de la Couronne au-delà de 2011 et n'a pas non plus accepté les principes établis dans le rapport. Voilà la situation au Manitoba.

En Ontario, en septembre 2008, le gouvernement provincial a reconnu formellement qu'il y avait une crise due au volume de travail dans le système judiciaire ontarien. En plus d'approuver l'embauche de 40 procureurs additionnels immédiatement, le gouvernement provincial a promis de recruter au moins 40 autres procureurs d'ici avril 2009.

Or, le gouvernement de l'Ontario n'a pas tenu sa promesse. Au lieu de cela, il a créé le programme Justice juste-à- temps, dont l'objectif confirmé consiste à réduire de 30 p. 100, d'ici 2012, le nombre moyen de jours et de comparutions nécessaires pour clore une affaire. L'un des éléments clés de ce programme s'avère être une instruction provenant du sous-procureur général adjoint qui demande au procureur de mettre l'accent sur les mesures de déjudiciarisation dans le cas d'accusations criminelles.

La présidente : Je tiens à dire aux gens qui nous regardent à la télévision et qui se posent des questions, que les bruits qu'ils entendent ne proviennent pas d'une émeute, mais de l'équipement qu'on déplace dans l'antichambre.

M. Chaffe : C'est beaucoup plus tranquille que dans les salles d'audience auxquelles je suis habitué, alors cela ne me dérange pas.

L'accent doit être mis sur la déjudiciarisation dans le cas d'accusations criminelles, surtout pour les infractions contre des biens, afin d'éviter la tenue de procès devant les tribunaux de première instance. On encourage les procureurs de la Couronne à envisager sérieusement des mesures de déjudiciarisation dans le cadre du Direct Accountability program, qui constitue un élément capital du programme Justice juste-à-temps. Vous y trouverez d'ailleurs une liste séparée des infractions admissibles.

Par conséquent, au lieu d'ajouter des ressources additionnelles pour composer avec la crise reconnue attribuable au volume de travail, le gouvernement provincial a fait volte-face en 2009 pour mettre l'accent sur la réduction du travail à effectuer dans les tribunaux pénaux grâce à la déjudiciarisation. Le programme Justice juste-à-temps existe maintenant depuis deux ans, et il a eu des répercussions considérables sur le nombre de comparutions et de jours écoulés avant le règlement d'affaires impliquant des accusations au pénal, à l'exception d'un seul bureau, alors que la question de la charge de travail des procureurs au sein du système de justice pénale continue de peser de plus en plus lourd.

C'est au Québec que l'on retrouve le ratio le plus faible de procureurs par rapport à la taille de la population, si on compare la situation avec le reste du Canada. Ces procureurs ont une charge de travail écrasante et sont parmi les moins bien payés au pays. De 2003 à 2008, le nombre de dossiers actifs dans les tribunaux du Québec portant sur des affaires criminelles était de 127 000, soit environ 25 p. 100 de plus que le nombre de dossiers clos. En 2007, la période allant de la première comparution au règlement du cas dans des dossiers de nature pénale impliquant des adultes était de 183 jours, alors que la moyenne nationale s'établissait à 122 jours.

Au Québec, tout comme en Colombie-Britannique, il existe un processus d'approbation des chefs d'accusation au cours duquel les procureurs de la Couronne décident quelles accusations seront portées devant les tribunaux après que la police a terminé son enquête. La charge de travail des procureurs pèse lourd dans la balance lorsque ces derniers doivent prendre des décisions très difficiles pour déterminer quelles accusations seront portées dans le cadre du système de justice pénale surchargé du Québec.

Passons maintenant à la Colombie-Britannique. Le système de justice pénale de cette province est tel que dans certains bureaux, on est au bord du gouffre, alors que dans d'autres, on s'est déjà effondré. Le gouvernement provincial n'a pas comblé promptement les postes vacants dans les tribunaux provinciaux ni remplacé les procureurs de la Couronne qui ont pris leur retraite, sont partis en congé de maternité ou en affectation. De plus, les compressions récentes imposées à l'aide juridique et le nombre plus élevé d'accusés sans avocat devant les tribunaux qui en découle ont eu des répercussions considérables sur le système de justice pénale.

La législation visant l'augmentation de la durée de l'incarcération tout en réduisant les crédits accordés pour le temps passé en détention avant procès, ainsi que l'élimination des ordonnances de sursis ont eu pour effet d'augmenter le nombre d'affaires menant à un procès. L'accroissement du nombre de procès et la pénurie de professionnels dans le système de justice se sont traduits par une hausse du nombre d'heures prévues en cour et, comme on peut s'y attendre, ce ne sont pas toutes les affaires qui sont réglées. Il y a alors risque de sursis pour cause de retard par rapport à la date du deuxième procès dans le cas de ces infractions.

Les périodes de préparation s'écourtent en Colombie-Britannique, et les bureaux envisagent maintenant de poser la question suivante : pour quels types de crimes voulez-vous que nous abandonnions les poursuites?

Récemment, le procureur général a entrepris une initiative pour régler de façon administrative les cas de délinquants qui en sont à leur première infraction de conduite avec facultés affaiblies dans le cadre d'une loi provinciale qui semble, du moins en partie, être un effort pour alléger la charge de travail qui pèse sur le système de justice pénale.

Voilà donc la situation dans ces quatre provinces. Compte tenu du temps imparti, je n'irai pas plus loin. Il s'agit de provinces qui ont appuyé le projet de loi S-9, d'après ce que j'ai compris, ainsi que la majorité des nouvelles dispositions proposées qui accroîtraient de beaucoup le volume de travail d'un système déjà à bout de souffle, sans qu'il ne soit évoqué, implicitement ou explicitement, l'ajout de ressources.

Faute d'une hausse considérable du financement pour permettre une augmentation suffisante de l'infrastructure de justice pénale — c'est-à-dire des procureurs, des tribunaux, des juges, des agents de probation et de libération conditionnelle ainsi que des services correctionnels —, ces nouvelles dispositions, de même que les politiques provinciales qui peuvent être logiquement anticipées, entreront en conflit direct avec la stratégie employée jusqu'ici pour ne pas traiter les infractions contre des biens devant les tribunaux, donnant ainsi plus de moyens pour s'occuper des infractions avec violence.

Par conséquent, notre association recommande au comité que le projet de loi S-9 et toute autre nouvelle disposition pénale envisagée par les gouvernements fédéral et provinciaux prévoient suffisamment de financement pour permettre l'application de la loi, ou une orientation claire au sujet des actes criminels qui ne feront pas l'objet de poursuites, afin de se donner les moyens de composer avec le surcroît de travail. Voilà ce que propose l'Association canadienne des juristes de l'État.

Le sénateur Wallace : Merci, monsieur Chaffe. C'est un plaisir de vous accueillir de nouveau.

J'ai d'abord une observation à formuler. Vous êtes manifestement préoccupé au sujet des ressources et des répercussions de ce projet de loi sur les ressources actuelles, d'un point de vue pratique. Je me rappelle que vous avez exprimé des inquiétudes similaires lorsque vous êtes venu témoigner devant le comité au sujet d'autres projets de loi. Je suis certain que vous les prenez très au sérieux.

J'aimerais prendre un peu de recul pour un instant et revenir sur l'essence du projet de loi. Je commencerais par un élément précis, celui visant l'introduction d'une nouvelle infraction distincte de vol de véhicules à moteur. D'autres témoins nous ont dit que cela constituerait une amélioration marquée par rapport à ce qui existe actuellement. Pour un instant, laissons de côté la question des ressources. En tant que procureur de la Couronne chevronné qui aura directement à composer avec l'essence de ce projet de loi, quel est votre point de vue? Qu'est-ce que cela implique pour vous, procureur de la Couronne, comme changement dans l'administration de la justice?

M. Chaffe : Je ne suis pas ici pour exprimer mes opinions comme procureur de la Couronne. Mais je m'apprête à faire une exception. Nous ne sommes pas là pour nous prononcer sur la qualité ou la médiocrité du projet de loi, ni pour dire s'il s'agit de bonnes ou de mauvaises politiques. Par contre, je vous dirais ceci : Ne serait-ce que pour la forme, en tant que procureur qui est souvent amené à formuler des recommandations aux fins de la détermination de la peine, il serait utile de savoir à quoi fait référence l'infraction. Au lieu d'indiquer simplement « vol de plus de », il faudrait plutôt mettre « vol d'automobile » ou quelque chose du genre. Nous pouvons arriver à voir ce qui se cache derrière, mais cela prend énormément de temps. Si le service de police avec lequel vous collaborez n'a pas de base de données permettant d'assurer un suivi des causes, les renseignements ne sont pas facilement accessibles. Cela permettrait aux intervenants qui se présentent en cour ou qui montent un dossier de savoir quel type de vol a mené à l'accusation.

Je ne sais pas si je l'ai bien expliqué dans mon exposé, avant que vous ne posiez la question, mais ce qui distingue le projet de loi S-9 des autres projets de loi au sujet desquels nous avons témoigné, c'est l'accent mis sur les infractions contre les biens. Le dilemme que cela entraîne pour les procureurs de la Couronne provinciaux, d'ordinaire, c'est qu'il faut tenter des mesures de déjudiciarisation ou une négociation de plaidoyer de culpabilité pour les infractions contre les biens, afin de pouvoir s'attaquer aux infractions avec violence.

Je voulais insister sur le fait que le projet de loi S-9 est nouveau. On y met l'accent sur les infractions contre les biens, et cela crée un dilemme très difficile à régler pour nous. Il est ardu d'établir des priorités à l'égard des infractions avec violence par rapport aux infractions contre les biens, alors que nous essayons de répartir judicieusement nos ressources limitées dans le système de justice pénale.

Je ne devrais pas dire si je pense que ces projets de loi sont bons ou mauvais, mais je comprends votre argument au sujet du scénario de détermination de la peine.

La présidente : Je vous interromps pour communiquer une information. Le bruit que nous avons entendu dans l'antichambre était dû au déclenchement de l'alarme d'incendie dans l'édifice du Centre. Des gens ont été évacués. Je ne sais pas s'il y en a parmi vous qui ont un bureau dans cet édifice ou si vous vous en souciez, mais je tenais à vous le préciser. Je suis désolée d'avoir interrompu votre échange.

Le sénateur Wallace : Je n'ai pas de bureau dans l'édifice du Centre, mais je me soucie quand même de la situation. Je pense que tout le monde est comme moi. Je crois maintenant détecter de la fumée dans l'air, alors je serai encore plus bref, et j'invite le sénateur Baker à l'être également.

Merci monsieur Chaffe. C'est vrai qu'on met l'accent sur les infractions contre les biens, et je comprends ce que vous voulez dire lorsque vous parlez de tri et de la réalité rattachée à ces différents types d'infractions. Mais il semble, d'après ce que nous avons entendu, que le ministère de la Justice du Canada et les bureaux des procureurs généraux des différentes provinces s'occupent de cette question en priorité, en plus de l'application de la loi. Je comprends que vous ayez à composer avec cette réalité lorsqu'il faut porter des accusations et poursuivre des délinquants devant les tribunaux, mais ils en ont fait une priorité, et c'est manifestement la raison pour laquelle nous en discutons aujourd'hui.

Au-delà de la nouvelle infraction visant le vol d'un véhicule, il y a les autres infractions — trafic, possession dans le but de faire du trafic, importation et exportation. Le projet de loi vise essentiellement à mettre un terme à ces différentes activités criminelles. Je vais peut-être vous demander maintenant, davantage en tant que procureur de la Couronne qu'en tant que représentant de l'association, de nous donner votre avis sur ces nouvelles infractions, dont quelques-unes se trouvent déjà, d'une façon ou d'une autre, dans le Code criminel, bien qu'elles soient, à ma connaissance, précisées et présentées différemment. Comme procureur, trouvez-vous qu'il pourrait être avantageux de poursuivre des personnes impliquées dans un réseau d'activités criminelles concernant le vol d'automobiles, le trafic et d'autres infractions?

M. Chaffe : J'ai eu l'occasion de revoir une partie du témoignage des représentants d'associations de policiers et de l'Agence des services frontaliers du Canada. Et il m'a semblé que ces gens ont la ferme intention d'appliquer ces nouvelles dispositions. Cela signifie que les procureurs, d'un bout à l'autre du pays, auront beaucoup plus de travail. C'est un problème singulier. Nous savons que lorsque les procureurs généraux provinciaux soutiennent des projets de loi de cette nature, il faut s'attendre logiquement à ce qu'ils présentent des énoncés de politique en faveur de ces mesures législatives à l'intention de leurs agents, c'est-à-dire les procureurs sur le terrain. On peut raisonnablement s'attendre à ce que cela devienne une priorité. Le dilemme que cela nous crée, c'est de savoir quoi faire avec toutes les autres infractions au Code criminel qui nous sont présentées par les services de police. Vous avez dit plus tôt que les procureurs généraux provinciaux sont pour, et c'est exact. Je ne le nie pas, mais au bout du compte, lorsque sur le terrain on n'arrive pas à appliquer la loi, ce sont les procureurs et les procureurs généraux provinciaux que l'on diabolise.

Ce que nous essayons de dire ici, c'est qu'il ne suffit pas de rédiger une loi. Pour certains types d'activités criminelles, il faudrait pouvoir porter des accusations plus spécifiques pour corriger le problème. On peut le faire. Cela fait partie du travail. Les policiers sont experts dans la détection d'activités criminelles et la réalisation d'enquêtes, et ils sont très efficaces pour transmettre les informations aux législateurs. Ce n'est pas du tout ce que je critique. Toutefois, il ne suffit pas de rédiger des lois. Si on ne dispose pas des ressources suffisantes pour appliquer une loi, en fin de compte, selon notre expérience, ce seront les procureurs de la Couronne qui seront pointés du doigt en cas d'échec. Non seulement c'est injuste, mais en plus, cela détourne l'attention du législateur, des services de police et du Bureau d'assurance du Canada du vrai problème; qui est le manque de ressources pour appliquer la loi. Vous ne trouverez personne, dans le système de justice pénale, qui prend autant à cœur que nous le travail d'application de la loi. Nous soutenons la primauté du droit. C'est le rôle que nous jouons dans le système.

C'est terriblement frustrant d'entendre le mécontentement du public sur cette question, et celui de l'agent de police dont je dois ignorer les accusations parce que j'ai des dossiers plus pressants. Nous le percevons aussi chez les témoins, dans les salles d'audience, lorsque nous devons leur dire : « je suis désolé, mais je dois faire passer cette affaire avant la vôtre; nous verrons votre dossier à une date ultérieure; et il se pourrait même que votre cause ne soit jamais entendue en raison du délai de prescription imposé par la Charte, mais je dois mettre la priorité sur cette infraction violente plutôt que sur cette infraction contre des biens. » C'est terriblement frustrant pour les procureurs de voir qu'on les tient responsables du traitement et du non-traitement des dossiers dans le système judiciaire.

Pour bien des personnes, c'est se détourner du véritable problème. Le véritable problème, c'est que nous avons un système de justice pénale surchargé. Nous avons besoin de ressources pour travailler efficacement. Sans ces ressources, nous obtenons de piètres résultats qui retiennent tant l'attention des médias.

Le sénateur Wallace : Vous n'auriez pas pu décrire plus clairement la situation et expliquer votre besoin de ressources pour soutenir ce projet de loi et d'autres. Vous avez dit — je vous ai peut-être mal compris — que quelqu'un avait laissé entendre que ce projet de loi ne serait pas assorti de ressources supplémentaires. Nous n'avons reçu aucun témoignage à cet effet. Je sais que vous connaissez l'historique, mais rien ne laisse présager qu'il n'y aura pas de ressources supplémentaires. Et bien sûr, vous avez bien insisté sur la nécessité d'avoir ces ressources.

M. Chaffe : Toute annonce en ce sens sera la bienvenue. Pour ce qui est du financement des ressources liées aux poursuites, nous n'avons qu'entendu des témoignages indiquant le contraire, d'un bout à l'autre du pays. Je pense que personne ne comprend mieux — pour parler des pics de criminalité, par exemple — que nous sommes en récession; les temps sont difficiles et les gens subissent d'énormes pressions. Nous le comprenons, mais nous n'avons pas entendu parler d'une éventuelle augmentation des fonds pour soutenir les services qui s'occupent des poursuites ou d'autres aspects du système de justice criminelle. C'est le contraire que nous constatons, d'un océan à l'autre.

La présidente : Vous défendez votre cause. Je vais revenir à vous, si le temps nous le permet, sénateur Wallace.

[Français]

Le sénateur Carignan : Nous sommes extrêmement sensibles aux revendications des procureurs de la Couronne concernant les conditions de travail, les salaires. Je suis toujours très impressionné quand je vois le salaire que reçoivent les avocats de la Couronne versus les salaires déclarés par les procureurs de la défense. Ce sont des montants quand même assez différents pour exactement le même type de droit, avec des opérations distinctes. Malheureusement, ce n'est pas nous qui avons le pouvoir de décider de vos conditions de travail, mais nous transmettrons le message à ceux qui devront décider, particulièrement à nos collègues des provinces.

J'ai une question un peu plus technique. Nous travaillons très fort à réduire les taux de criminalité. L'ensemble de nos actions sont posées pour y parvenir et pour augmenter la confiance du public dans le système de justice, une composante essentielle de ce système.

Les témoins précédents nous ont quand même présenté une réduction phénoménale des vols. Au Manitoba, par exemple, on nous a dit 10 000 de moins en quatre ans. Si je comprends qu'il y a 45 000 cas au Manitoba, c'est presque une diminution de 25 p. 100 des dossiers, grâce à des actions posées pour réduire la criminalité. Les taux de criminalité baissent, ce n'est pas contesté. Est-ce que vous ressentez, dans votre travail de tous les jours, cette diminution du taux de criminalité?

Si on évalue les chiffres, en espérant que je compare des pommes avec des pommes, c'est quand même une réduction phénoménale. Avez-vous des informations de vos collègues, particulièrement du Manitoba, selon lesquelles ils ont senti une diminution des cas? Sinon, il doit y avoir une autre cause pour l'augmentation de la charge de travail.

[Traduction]

M. Chaffe : Il y a eu une diminution marquée des vols d'automobiles à Winnipeg. C'est dans l'étude que j'ai mentionnée plus tôt dans ma présentation; il y a une section qui indique comment on y est arrivé. On a utilisé des ressources dévolues à d'autres services s'occupant des poursuites criminelles et mis sur pied un projet spécial regroupant des procureurs et des membres des forces policières pour s'attaquer à ce problème particulier à Winnipeg.

Je ne citerai peut-être pas parfaitement l'étude, mais sachez que la moyenne de travail d'un procureur dans le cadre de ce projet était bien moindre que celle d'un procureur ordinaire. Lorsque je dis « ordinaire », je ne veux pas être désobligeant. Mais si vous faisiez partie de ce projet, vous receviez les ressources nécessaires pour faire des poursuites efficaces. Si je me souviens bien, le nombre moyen de dossiers par procureur pour ce projet était de 50 par année, tandis que des collègues du même bureau qui ne faisaient pas partie du projet devaient traiter jusqu'à 250 dossiers criminels.

Est-ce que ça peut-être efficace? Je pense que Winnipeg est un excellent exemple de la façon dont on peut mettre l'accent sur les ressources pour résoudre un problème et obtenir des résultats; mais il faut aussi voir l'autre côté de la médaille, parce que tous les autres procureurs qui ne participaient pas à ce projet travaillaient davantage pour compenser. Ils ont dû s'occuper de tous les autres dossiers.

On doit traiter annuellement 45 000 dossiers. Quand on fait appel à un groupe spécial de procureurs pour un projet particulier et qu'on lui permet de traiter un nombre limité de projets spéciaux très minutieusement, les autres dossiers ne disparaissent pas. Ce sont les collègues qui doivent mettre les bouchées doubles. Ils ne disposent pourtant que de 24 heures par jour, tout comme les avocats qui participent au projet spécial.

Je pense que vous avez demandé s'il y avait eu une réduction marquée des vols d'automobiles, et je crois que oui. Cette baisse est le résultat du projet spécial qu'on a mené et elle tient au fait que les services de police et les ressources consacrées aux poursuites se sont concentrés sur ce problème.

Le sénateur Baker : L'exposé de l'Association des procureurs de la Couronne est fascinant. Vous représentez autant les procureurs provinciaux que les procureurs fédéraux, n'est-ce pas?

M. Chaffe : Nous représentons les organisations membres de toutes les associations provinciales de la Couronne, ainsi que les procureurs de la Couronne fédéraux du service des poursuites pénales du Canada et ceux des poursuites civiles.

Le sénateur Baker : Vous avez parlé de 250 dossiers par année. Est-ce que j'ai bien compris, un seul procureur traite 250 dossiers par année?

M. Chaffe : Je pense que c'est l'objectif visé.

Le sénateur Baker : C'est l'objectif; et vous parlez de 300 dossiers par année, dans certains cas.

M. Chaffe : Oui.

Le sénateur Baker : Maintenant, je commence à craindre que certains criminels ne s'en tirent à bon compte. Ils s'en tirent à bon compte parce que — et peut-être que vous pourrez nous l'expliquer —, nous avons une loi au Canada, je veux parler du paragraphe 11b) de la Charte, qui porte sur les retards institutionnels ou les retards attribuables aux procureurs de la Couronne. Est-ce qu'on en tient rigueur à la Couronne?

M. Chaffe : Oui, la Couronne se voit reprocher les retards institutionnels.

Le sénateur Baker : Si vous reportez le traitement de certains dossiers, pourriez-vous vous retrouver face à une décision de la cour où l'accusé — l'escroc, la personne qui a commis une infraction — s'en sortirait à bon compte en raison d'une demande de suspension de l'instance présentée parce que la loi n'aurait pas été respectée. Est-ce possible?

M. Chaffe : Si M. Downes présente une demande en vertu du paragraphe 11b) et qu'elle est acceptée, cela donne lieu habituellement à une suspension de l'instance.

Le sénateur Baker : Un retard institutionnel, un retard dans la salle d'audience, des retards attribuables aux procureurs de la Couronne, tout cela joue contre la Couronne. N'est-il pas vrai que la Cour suprême du Canada a établi une période particulière pendant laquelle il est raisonnable de poursuivre quelqu'un?

M. Chaffe : Si, c'est vrai.

Le sénateur Baker : Si cette période n'est pas respectée, si rien ne se produit pendant cette période, les accusés ressortent libres en raison d'une suspension de l'instance, n'est-ce pas?

M. Chaffe : Oui.

Le sénateur Baker : Vous avez 300 dossiers par année. Décrivez-nous ce que vous faites lorsque vous avez affaire à un acte criminel. Ce projet de loi sur lequel nous nous penchons aujourd'hui, ces vols d'automobiles et ces falsifications des numéros d'identification des véhicules, dans certains cas, sont reliés au trafic de drogues. Pour chacun de ces dossiers, il y aurait un procureur de la Couronne provinciale et un procureur de la Couronne fédérale dans la même salle d'audience qui poursuivraient la même personne; est-ce exact?

M. Chaffe : Pendant une courte période. Je m'attendrais à ce qu'il y ait une délégation de la part du procureur fédéral à l'égard du procureur provincial ou vice-versa. Cela dépend des faits et du dossier, monsieur le sénateur. À moins qu'il ne s'agisse d'une poursuite majeure spéciale, il est inusité que les deux procureurs soient présents.

Le sénateur Baker : De combien de jours disposent pour traiter ces 300 dossiers — ou 250 dossiers que vous réclamez — les procureurs de la Couronne d'un bout à l'autre du pays? On parle d'une année, soit 365 jours, mais vous ne siégez pas le jour de Noël. Il y a certains congés fériés où la cour ne siège pas.

M. Chaffe : Il y a 250 jours ouvrables.

Le sénateur Baker : Donnez-moi une estimation. Combien de jours faut-il pour traiter un seul dossier — combien de jours pour la réponse à l'accusation, l'enquête préliminaire —, s'il s'agit d'une infraction punissable par voie de mise en accusation?

M. Chaffe : Cela dépend des chefs d'accusation. Je peux vous donner des généralités, si vous le voulez. Au fil du temps, les dossiers nous accaparent de plus en plus. Les cas de conduite avec facultés affaiblies occupent une immense part des infractions traitées devant les tribunaux. Il y a 15 ans, je pouvais peut-être en traiter deux ou trois dans une journée. Mais aujourd'hui, un seul dossier de conduite avec facultés affaiblies nécessite environ deux jours de travail s'il y a des applications en vertu de la Charte. Des amendements récents ont permis d'accélérer quelque peu le traitement de ces dossiers, mais il faut toujours compter au moins un jour pour une accusation de conduite avec facultés affaiblies.

Le sénateur Baker : Il y a également la préparation des procès. Il s'agit de dossiers où on invoque la Charte des droits, et ça peut prendre jusqu'à une semaine.

M. Chaffe : Mais pas pour une affaire de conduite avec facultés affaiblies.

Le sénateur Baker : Je pourrais passer tous les chefs d'accusation en revue, mais non. Je fais référence ici à une infraction en matière de drogue, par exemple, ou encore au genre d'infraction dont on parle aujourd'hui. Le prévenu a le choix n'est-ce pas, s'il fait l'objet d'accusations criminelles? S'il y a une enquête préliminaire, cela prend moins de temps; et puis on peut choisir le procès devant jury.

Additionnez tous les jours que vous consacreriez à un dossier. En moyenne, combien de jours passez-vous sur un dossier?

M. Chaffe : Cela dépend.

Le sénateur Baker : Allons, donnez-moi un exemple.

M. Chaffe : Je ne pense pas pouvoir le faire.

Le sénateur Baker : Mais c'est important, madame la présidente. L'enquête préliminaire pourrait prendre une dizaine de jours!

M. Chaffe : Oui, mais cela dépend du chef d'accusation.

Le sénateur Baker : Puis la préparation au procès pourrait prendre une semaine, si les choses sont compliquées comme dans le cas qui nous occupe, avec les mises sur écoute électronique, et cetera.

M. Chaffe : La préparation au procès, oui.

Le sénateur Baker : Cela pourrait prendre une semaine ou même deux s'il y a écoute électronique. Puis le procès pourrait durer 20 jours.

M. Chaffe : C'est exact.

La présidente : Nous parlons ici d'homicide?

Le sénateur Baker : Non, d'une infraction en matière de drogue.

Puis, il faut ajouter quelques jours pour les appels devant la cour supérieure et, éventuellement, devant la cour d'appel.

Vous avez parlé de 300 dossiers par année, et un seul de ces dossiers pourrait vous mobiliser pendant 30 jours sur 365.

M. Chaffe : Effectivement.

Le sénateur Baker : Alors, comment réussissez-vous à traiter 250 dossiers par année?

M. Chaffe : Écoutez, les procureurs généraux provinciaux et leurs représentants font ce qu'ils peuvent pour que le système continue de fonctionner. Pour y parvenir, le procureur général nous dit, de façon générale, de limiter le nombre de cas qui font l'objet de procès. Chaque province doit s'arranger pour qu'environ 90 p. 100 des dossiers soient réglés hors cour.

La présidente : Quatre-vingt-dix pour cent?

M. Chaffe : Environ 90 p. 100. Ce ne sont que les actes criminels les plus graves qui font l'objet de procès. Ils sont visés par toutes sortes de programmes pour les infractions les plus graves où il n'y a pas de plaidoyers de culpabilité.

C'est la façon dont on procède. Nous n'avons pas le choix. Nous ne pouvons pas vraiment tenir de procès pour beaucoup plus que 10 p. 100 des affaires, peu importe la province.

Le sénateur Baker : Ce projet de loi permet l'utilisation de tables d'écoute électronique, ce qui veut dire que dans tous les cas, les procès dureront beaucoup plus longtemps.

M. Chaffe : Ce genre de dispositions pourrait être utilisé pour cibler des organisations criminelles très sophistiquées, ce qui nécessiterait le déploiement d'importantes ressources pour l'enquête, pour les consultations préliminaires et pour la poursuite. Oui, cela représenterait beaucoup plus de travail.

Le sénateur Baker : C'est impossible.

La présidente : Oublions pour l'instant les ressources et ces autres choses; y a-t-il des éléments, dans ce projet de loi, qui faciliteraient la poursuite, parce que le libellé actuel du code rend les choses trop difficiles à prouver ou trop compliquées, n'est-ce pas? Y a-t-il des éléments, dans ce projet de loi, qui faciliteraient la tâche des avocats de la Couronne, en supposant que les ressources nécessaires soient disponibles?

M. Chaffe : Plus facile? Je n'irais pas jusque-là. Est-ce que le projet de loi présente des obstacles particuliers? Je n'en ai pas vu.

Ce n'est pas vraiment à moi qu'il faut poser la question. Je suis un avocat bien ordinaire.

La présidente : Je sais que vous nous avez dit très clairement, à plus d'une reprise, que vous n'êtes pas ici pour parler des mérites ou des principes du projet de loi, et nous ne vous demandons pas de le faire. Je vous pose simplement une question bien pratique sur la façon dont les avocats de la Couronne font leur travail.

M. Chaffe : Cela nous amène à faire les choses différemment. Est-ce plus difficile d'intenter des poursuites en se fondant sur ces dispositions du Code criminel? Non.

La présidente : Est-ce plus simple, alors? Est-ce ni plus simple ni plus difficile?

M. Chaffe : Il y a peut-être d'autres dispositions du Code criminel qui créent plus de complications pour les procès, mais les grandes poursuites sont toutes difficiles, particulièrement lorsqu'il y a de l'écoute électronique.

Franchement, je crois que M. Bartlett a fait un témoignage fort intéressant devant le comité; je le dis à titre personnel et pas au nom de l'ACJE. Il est beaucoup mieux placé que moi pour vous parler de la teneur du projet de loi. Je ne suis pas venu ici pour cela.

Le sénateur Baker : Pour en revenir au commentaire du sénateur Wallace sur les peines minimales, pourriez-vous confirmer au comité qu'il existe dans ce projet de loi une disposition précisant que la décision par la Couronne de présenter au tribunal les antécédents criminels du prévenu dépend du code déontologique provincial destiné aux procureurs de la Couronne? Est-ce que je me trompe?

Vous avez parlé de la conduite avec facultés affaiblies. Supposons que l'infraction ou l'acte criminel ait eu lieu en Ontario, il y a plus de cinq ans. Il y a des consignes que l'on peut retrouver sur Internet et dont on ne peut nier l'existence. On y précise que le casier judiciaire d'un prévenu ne peut pas être invoqué si les faits reprochés datent de plus de cinq ans.

Un certain pouvoir discrétionnaire est ainsi accordé au procureur de la Couronne. Pourtant, ça n'existe pas dans toutes les provinces. Pour quelle raison?

Le projet de loi précise que vous obtenez la peine minimale pour votre troisième infraction, mais cela dépend du procureur de la Couronne, car c'est à lui qu'il appartient de décider s'il invoquera les infractions antérieures. Le juge ne le saura pas; c'est vous qui devez lui fournir ces renseignements. Ai-je bien compris?

Pourquoi les règles sont-elles différentes selon les provinces, alors que tout le monde est assujetti au même Code criminel? Vous avez donné l'exemple de la conduite avec facultés affaiblies, que vous connaissez très bien. Pourquoi les consignes données aux procureurs de la Couronne varient-elles d'une province à l'autre?

M. Chaffe : Je ne suis pas au courant des consignes dans les différentes provinces. Je ne peux malheureusement pas répondre à votre question.

Le projet de loi donne une certaine latitude pour la troisième infraction. Cependant, d'un point de vue pratique, je pense qu'il serait difficile, pour un procureur de la Couronne, de ne pas faire état des antécédents criminels du prévenu. C'est un aspect important à prendre en compte quand le moment est venu de déterminer la peine, et nous sommes toujours ouverts et directs avec le tribunal.

La présidente : Les peines minimales obligatoires entrent en ligne de compte dans ces circonstances, n'est-ce pas?

M. Chaffe : Oui. Lorsqu'il s'agit d'infractions pour conduite avec facultés affaiblies, il y a une disposition relative au préavis : vous devez signifier votre intention d'augmenter la peine. C'est un aspect particulier de cette disposition.

Si vous ne présentez pas ce préavis, le juge disposera de certains pouvoirs discrétionnaires quant à la nature de la peine. Cependant, je ne pense pas que cela veut dire que la Couronne ne sera pas honnête avec la cour et ne mentionnera pas l'existence d'un casier judiciaire.

Le sénateur Baker : Ah oui, l'existence du casier judiciaire! Puis vous devez demander...

La présidente : Sénateur Baker?

Le sénateur Baker : Excusez-moi, madame la présidente, nous connaissons tous ces affaires où des personnes ont été reconnues coupables de conduite avec facultés affaiblies à 10 reprises au cours des 10 années précédentes et se voient infliger encore la peine minimale obligatoire; on se demande comment c'est possible.

La présidente : On vient de nous expliquer comment cela pouvait se produire.

Le sénateur Baker : Oui, c'est clair. Il ne veut pas faire de commentaires là-dessus.

M Chaffe : Je ne suis pas tout à fait convaincu d'avoir dit tout cela, mais j'ai donné une réponse, c'est vrai.

La présidente : Il s'agit de questions absolument fascinantes, mais je dois surveiller le temps qui file, et le chronomètre.

Sénateur Carignan, essayez-vous de poser une question supplémentaire? Est-elle brève?

[Français]

Le sénateur Carignan : Vous avez peut-être répondu à ma question qui portait sur l'impossibilité d'avoir 250 procès de trois jours à l'intérieur de la même année. J'ai compris qu'à peu près 90 p. 100 des cas se règlent avant le procès, que ce soit à la comparution ou aux autres étapes, par des plaidoyers de culpabilité, ce qui fait que cela permet d'avoir un volume moyen de 250. Si tous les cas allaient en procès, ce serait impossible. Donc pour les 90 p. 100 de cas qui ne se rendent pas à procès, on comprend que ce sont des plaidoyers de culpabilité à une étape ou l'autre avant procès qui expliquent ce chiffre, n'est-ce pas?

[Traduction]

M. Chaffe : Oui, sénateur, c'est ainsi que cela fonctionne. Nous avons un pouvoir discrétionnaire à cet égard. Nous négocions activement des aveux afin d'obtenir des plaidoyers de culpabilité. Il arrive que le prévenu veuille plaider coupable. Nous avons de bons systèmes qui nous permettent de régler des dossiers sans avoir à tenir de procès, tout particulièrement dans les juridictions où le volume de travail est très important.

Cependant j'aimerais apporter une petite précision en ce qui a trait aux 250 dossiers. Je crois que c'est l'objectif que s'est fixé le Manitoba. Mais c'est plus élevé. Chaque province évalue les choses de façon différente. Au Manitoba, ils font une analyse détaillée de la charge de travail qui n'est pas la même dans les autres provinces. Les statistiques sont obtenues de façon différente. Par exemple, en Ontario, un procureur de la Couronne peut s'occuper de 700 à 1 200 actes criminels par année, mais ce n'est pas divisé par dossiers. Il est donc difficile de faire des comparaisons entre une province et une autre.

J'aimerais également apporter une petite précision au sujet des 90 p. 100. Cela peut varier légèrement selon les provinces. Cependant, en règle générale, on essaie de ne renvoyer en cour que 10 p. 100 des dossiers.

La présidente : Merci. Nous n'avons dépassé l'heure prévue que de quelques minutes, ce qui veut dire que le personnel qui est déjà débordé de travail a été épargné dans une certaine mesure.

Monsieur Chaffe, comme d'habitude, votre témoignage a été absolument fascinant. Nous vous en sommes reconnaissants. Je crois qu'on vous reverra sous peu, peut-être pour discuter d'un autre projet de loi; c'est à souhaiter.

M Chaffe : Très bien. Merci beaucoup, madame la présidente.

La présidente : En attendant, merci. Votre participation aura été fort instructive. Comme je l'ai dit à d'autres témoins venus nous parler d'autres choses, certaines des statistiques que vous nous présentez sont absolument renversantes, et ce n'est pas toujours rassurant. Néanmoins, il nous faut connaître ces détails. Merci beaucoup.

M. Chaffe : Merci.

La présidente : Chers collègues, nous nous réunirons à nouveau dans cette salle demain matin à 10 h 30.

(La séance est levée.)


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