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Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 10 - Témoignages du 16 juin  2010


OTTAWA, le mercredi 16 juin 2010

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi S-6, Loi modifiant le Code criminel et une autre loi, se réunit aujourd'hui à 16 h 19 pour étudier le projet de loi.

Le sénateur Joan Fraser (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Je vous souhaite la bienvenue, en cette journée pluvieuse et maussade, au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Nous poursuivons notre étude du projet de loi S-6. Nous sommes heureux d'accueillir nos premiers témoins de la journée.

[Français]

Du Barreau du Québec, M. Marc Sauvé, directeur du Service de recherche et Législation et M. Gilles Trudeau, représentant du Barreau du Québec. Nous avons du Conseil canadien des avocats de la défense :

[Traduction]

Nous accueillons également M. Phil Downes, qui est un représentant du Conseil canadien des avocats de la défense, et M. Joseph Di Luca, vice-président du Criminal Lawyers' Association. Bienvenue à vous tous.

Monsieur Sauvé, la parole est à vous.

[Français]

Marc Sauvé, directeur, Service de recherche et législation, Barreau du Québec : Je vous remercie beaucoup, madame la présidente, de permettre au Barreau de vous exprimer de vive voix ses préoccupations et ses inquiétudes concernant le projet de loi S-6. D'abord, je me présente, mon nom est Marc Sauvé, je suis directeur du Service de recherche et Législation au Barreau du Québec. Je suis accompagné de Me Gilles Trudeau, qui est directeur d'un bureau d'Aide juridique à Montréal et spécialiste en droit criminel.

Le Barreau vous a fait part de ses préoccupations et commentaires dans sa lettre du neuf juin 2010; cette lettre adressée à Mme Marjorie LeBreton, leader du gouvernement au Sénat, transmettait par le fait même la position du Barreau sur le projet de loi C-36, parce que le projet de loi S-6 reprend le projet de loi C-36.

Alors, le projet de loi C-36 a fait l'objet de commentaires du Barreau dans une lettre du 15 juillet 2009, qui accompagnait notre lettre sur le projet de loi S-6 qui portait sur le projet de loi C-36, lettre du bâtonnier du Québec adressée à l'honorable Robert Douglas Nicholson, ministre de la Justice du Canada.

Je dois vous dire avant de céder la parole à M. Trudeau que les prises de position du Barreau découlent de travaux du comité consultatif du Barreau du Québec en droit criminel, comité qui est constitué d'avocats de la défense, d'avocats de la Couronne et de professeurs. Donc, on a au Barreau du Québec un comité très représentatif et qui fonctionne sur la base de consensus. Le Barreau ne prendra pas position sur des projets de loi s'il n'y a pas de consensus à l'intérieur de ce comité, comité représentatif, encore une fois. Ce qui donne évidemment toute la valeur de l'intervention du Barreau dans ce domaine.

Le Barreau a pour mission la protection du public et c'est à la lumière de ce mandat de protection du public qu'il faut interpréter sa démarche devant le Sénat. Sans plus tarder, je cède la parole à M. Trudeau qui va vous exposer le fond de la position institutionnelle du Barreau sur le projet de loi S-6.

Gilles Trudeau, représentant, Barreau du Québec : La position du Barreau du Québec, qui fait consensus sur la position législative du gouvernement est la suivante : en d'autres termes, le Barreau du Québec est en défaveur de l'introduction de toute modification qui pourrait venir changer le régime de l'article 745, qu'on décrit comme « la clause de la dernière chance ». Nous considérons que le projet de loi a pour objet d'abord d'abolir cette mesure, sous prétexte de vouloir aider les familles des victimes, en plus de compliquer la mise en œuvre d'une demande, pour ceux qui pourront s'en prévaloir, dans la mesure où leur sentence a été prononcée avant la promulgation de cette nouvelle loi.

Pourquoi vouloir changer une législation qui, de notre point de vue, fonctionne bien? Je vais me permettre de lire quelques extraits de l'opinion du Barreau :

Cette disposition fait suite à l'abolition de la peine de mort en 1976. La peine pour la personne déclarée coupable de meurtre au premier degré devenait désormais la prison à perpétuité, sans possibilité de libération conditionnelle avant d'avoir purgé 25 ans. À l'époque, ce délai d'inadmissibilité à la libération conditionnelle était qualifié de « compromis » nécessaire à l'abolition de la peine de mort. La « clause de la dernière chance » a alors été instaurée afin de donner une lueur d'espoir importante à la personne condamnée, pour « laisser un stimulant quand une sanction aussi rigoureuse est imposée pour des crimes les plus graves. En effet, elle permet à la personne reconnue coupable d'obtenir une libération conditionnelle avant d'avoir purgé 25 ans de sa peine d'emprisonnement à perpétuité si elle fait preuve d'une bonne capacité de réinsertion sociale et si elle fait preuve d'un bon comportement en milieu de détention. Devant la possibilité d'une rémission pouvant aller jusqu'à 10 ans de sa peine, le détenu est encouragé à s'amender et à adopter un comportement qui soit de nature à favoriser le succès de sa demande de réduction du délai préalable à la libération conditionnelle. Le désespoir causé par l'infliction de la peine d'emprisonnement à perpétuité est ainsi mieux maîtrisé par le délinquant en raison de la possibilité réaliste qui s'offre à lui de réintégrer la société avant la fin de ses jours. Considérant que l'objectif de l'article 745.6 est de donner une lueur d'espoir à la personne reconnue coupable de meurtre pour l'encourager à changer pour le mieux, le Barreau s'interroge sur ce qui motive le gouvernement à nier la valeur de cet objectif.

Dans notre système pénal, la réhabilitation est encore un des objectifs de la détermination de la peine. Malgré que dans le cas des crimes les plus graves, les tribunaux ont peu de discrétion, il reste que lors du passage pénitentiaire, les autorités pénitentiaires ont également la responsabilité d'assurer la réinsertion de cette personne et à la faire cheminer à l'égard du crime odieux qu'il aurait pu commettre ou qu'il a commis.

Ce régime législatif a été mis en vigueur et semble bien fonctionner; le Barreau du Québec était déjà, en 1994, contre les modifications au régime proposées à l'époque. Ces modifications cherchaient à atténuer la portée du droit que nous conférions à la personne condamnée.

L'examen de la législation ainsi que l'ensemble des données que nous avons pu recenser nous montrent, en ce qui concerne le nombre de délinquants — et là je suis à la page 3 de l'opinion du Barreau :

En date du 13 avril 2009, 991 délinquants ont été jugés admissibles à la révision judiciaire. Parmi les délinquants admissibles, 174 ont fait une demande de décision du tribunal et 144 d'entre eux ont obtenu la réduction de leur période d'inadmissibilité à la libération conditionnelle. De ce nombre, 131 ont été mis en liberté conditionnelle.

Alors, nous croyons que cette « clause de la dernière chance » n'est pas une panacée qui sert à amoindrir la sévérité des peines. C'est une mesure de compassion qui aide, je pense, le détenu à s'amender et qui aide la société à balancer également l'administration de la peine en fonction du délinquant. Nous croyons que cette mesure est très efficace, et si on la regarde de façon empirique, seuls les plus méritants ont pu s'adresser aux tribunaux, à un jury, 12 citoyens en qui nous avons confiance lors de la déclaration de culpabilité et en qui ce projet de loi semble ne plus avoir confiance, puisqu'on augmente le test pour que le juge ait à déterminer quelles seront les causes admissibles. Et, en plus, on augmente la période d'inéligibilité à présenter une nouvelle demande, ce qui est, pour le Barreau, une nouvelle atteinte à la discrétion judiciaire.

De quoi, ou de qui cette législation a-t-elle peur? Pourquoi retirer du jury, de la communauté, le pouvoir de décider, de donner à un individu détenu, à un individu qui écope d'une sentence pour la vie, pour lequel, s'il obtient gain de cause devant un jury à la majorité, il pourra demander à la Commission nationale des libérations conditionnelles la permission d'envisager certaines sorties, certains modes de libération. Mais vous n'êtes pas sans savoir que les détenus, qui reçoivent une sentence à vie, seront pour le restant de leurs jours redevables à la Commission des libérations conditionnelles.

Le Barreau du Québec s'est toujours opposé aux mesures ayant pour effet de restreindre la discrétion judiciaire. Nous considérons, après un examen attentif de cette loi, qu'à nouveau la proposition législative est une proposition attentatoire à la discrétion judiciaire.

Pour le bon fonctionnement du système de justice canadien, nous n'envisageons pas de pouvoir discrétionnaire amoindri, diminué ou amputé de sa totale discrétion, nous considérons que la « clause de la dernière chance », tel qu'elle est libellée, fait consensus au sein du Barreau du Québec et est une mesure nécessaire et utile.

C'est donc l'ensemble des représentations en ouverture que j'ai à faire au nom du Barreau du Québec.

[Traduction]

Phil Downes, représentant, Conseil canadien des avocats de la défense : Je suis très heureux d'être ici aujourd'hui pour représenter le Conseil canadien des avocats de la défense. Cette organisation a été fondée en 1992 et vise à offrir une perspective nationale des questions de justice pénale afin de garantir la préservation des principes constitutionnels, qui nous protègent tous, et de veiller à ce que le droit criminel évolue d'une manière pratique et motivée.

J'aimerais tout d'abord dire quelques mots au sujet du titre de ce projet de loi. Cela n'a aucun lien particulier avec les problèmes relatifs à son essence, dont je parlerai dans un instant. Le projet de loi s'appelle, en anglais, « Serious Time for the Most Serious Crime Act ». Les gouvernements de toutes les affiliations ont pris l'habitude de donner aux textes législatifs des noms accrocheurs lorsqu'il s'agit de choses sérieuses, et, comme l'indique notre présentation qui vous a été respectueusement soumise, cette pratique est plutôt insultante pour les Canadiens. Les projets de loi comme celui-ci ne constituent pas un exercice de marketing ni une quelconque sorte d'exercice mnémonique pour les élèves de l'école primaire. Nous sommes d'avis qu'il faut essayer d'éviter ce type de langage incendiaire quand nous nommons nos projets de loi parce qu'ils donnent l'impression, à mon humble avis, d'être condescendants et ne reflètent pas le sérieux de ce genre de texte législatif.

Cela dit, permettez-moi d'aborder l'essence du projet de loi. Les meurtriers devraient-ils avoir la possibilité de demander une libération conditionnelle anticipée? Je parle de la prémisse selon laquelle nous abordons les questions de droit criminel en tenant compte du fait qu'il s'agit, en grande partie, d'un processus individualisé. C'est l'un des principes de notre système judiciaire. Plus particulièrement, en ce qui concerne la détermination de la peine et la libération conditionnelle, nous traitons les personnes accusées et les personnes déclarées coupables en tenant compte, dans une certaine mesure, de leur situation individuelle. Dans un monde idéal, comment prendrions-nous des décisions sur le droit de demander une libération conditionnelle anticipée?

Selon moi, le meilleur moyen serait de garantir que, dans chaque cause, des représentants de la population canadienne, de la collectivité même qui a été victime du délinquant, aient un mot à dire. Il faudrait des personnes formées, dignes de confiance et versées en matière de questions juridiques pour s'assurer que ce groupe de citoyens accomplit sa tâche correctement; et nous devrions faire confiance à ces citoyens et croire qu'ils utiliseront leur bon sens pour déterminer si un délinquant particulier devrait avoir droit à une libération conditionnelle anticipée, s'il ne devrait pas y avoir droit ou s'il ne devrait plus jamais avoir le droit d'en faire la demande.

Permettez-moi de vous lire deux citations de décisions rendues par la Cour suprême du Canada. J'ai les références de toutes deux. La première est tirée directement R. c. Corbett, rendue en 1988. Elle porte sur la mesure dans laquelle les jurys devraient être mis au courant du casier judiciaire d'une personne accusée si cette personne témoigne au procès. La Cour suprême du Canada a affirmé ce qui suit :

Ce qui fait toute la force du jury, c'est que la question ultime de la culpabilité ou de l'innocence est tranchée par un groupe de citoyens ordinaires qui ne sont pas des juristes et qui apportent au processus judiciaire une saine mesure de bon sens.

L'arrêt Corbett contenait également une citation d'une décision rendue dans l'affaire R. c. Lane and Ross, relativement aux éléments de preuve qui sont présentés aux jurys. Le juge dans cette affaire a déclaré :

[ ...] Je ne crois pas qu'en tranchant une question de ce genre, on doit supposer que les jurés sont des crétins, tout à fait dénués d'intelligence et totalement incapables de comprendre une règle de preuve de ce type ou de la suivre. S'il en était ainsi, les jurys n'auraient aucune raison d'être et ce qui a été considéré depuis des siècles comme un bastion de notre système démocratique et une garantie de nos libertés fondamentales se révélerait purement illusoire.

À notre humble avis, les propositions dans ce projet de loi sont fondées sur la supposition que les jurés sont des crétins. Elles donnent à penser que les citoyens canadiens sont incapables de prendre des décisions importantes de manière éclairée. Ceux qui ont rédigé ce projet de loi croient savoir exactement ce que veut la population canadienne, mais enlèvent aux Canadiens ordinaires qui, soi-disant, veulent ces réformes, le pouvoir de prendre les décisions les plus importantes. À notre humble avis, ce projet de loi n'est pas une réforme du système d'admissibilité à la libération conditionnelle fondé sur des principes.

Le châtiment a toujours eu une place reconnue dans notre processus de détermination des peines, de même que d'autres principes établis pour ce processus, mais la vengeance et la rancune dénuées de principes n'en ont jamais fait partie. Par exemple, l'un des aspects de ce projet de loi qui nous troublent particulièrement est le délai de 90 jours pour la présentation de demandes de libération conditionnelle anticipée par les gens qui demeurent admissibles, autrement dit, pour ceux qui ne voient pas le processus aboli entièrement aux termes du projet de loi. Les personnes admissibles à la libération conditionnelle doivent présenter leur demande dans un délai de 90 jours. Sinon, elles devront attendre un an pour présenter une nouvelle demande. À notre humble avis, rien ne justifie ce délai serré. Rien ne justifie que l'on insiste, dès le départ, dans le projet de loi, sur cette période de cinq ans.

À tout le moins, si vous n'êtes pas enclin à croire que ce projet de loi est malvenu, nous vous demanderions respectueusement d'envisager la modification de cet aspect particulier du libellé. Il pourrait s'agir de l'élimination totale des délais serrés ou du délai de cinq ans ou, à tout le moins, d'intégrer une disposition permettant à un juge d'exercer son pouvoir discrétionnaire pour prolonger ce délai si c'est dans l'intérêt de la justice.

Auparavant, le jury, après avoir entendu tous les éléments de preuve, pouvait décider de la période d'attente à laquelle le délinquant devra se soumettre avant de présenter une autre demande. Le projet de loi, lui, nous dit : « Ne faites pas confiance au jury pour faire cela; ne faites pas confiance aux membres de la collectivité dans laquelle l'infraction a été commise pour faire cela. » Ce projet de loi leur enlève ce pouvoir et prend la décision pour eux. Nous affirmons qu'il s'agit d'une transformation malheureuse du rôle des jurys.

De la même façon, ce projet de loi vise à restreindre le pouvoir discrétionnaire d'un juge relatif au mécanisme de sélection. J'ai déjà parlé de cette question au comité : nous faisons confiance à nos juges et nous les respectons, et ils sont reconnus dans le monde entier pour leur compétence. Pourtant, nous cherchons continuellement à saper la confiance que nous leur avons accordée en adoptant des textes législatifs comme celui-ci.

Nous alléguons que le projet de loi dont il est question fait abstraction de la possibilité de réadaptation individuelle et de contribution à la société dans les cas relativement rares — et les statistiques le confirment — où des personnes ont prouvé, dans le cadre d'examens rigoureux, qu'elles peuvent maintenant apporter une contribution à la société malgré le crime qu'elles ont commis.

Vous avez déjà entendu le témoignage de M. Rick Sauvé. Ce projet de loi empêcherait quelqu'un comme lui de contribuer de nouveau à la collectivité de la manière très importante et utile dont il l'a fait, malgré le crime qu'il a commis.

À notre humble avis, lorsqu'on a rédigé le projet de loi, on a présumé que les victimes ressentent toutes la même chose à l'égard des personnes qui ont commis des crimes contre elles, ce qui n'est pas nécessairement le cas. La perte d'un être aimé, par suite d'un crime, d'un accident ou d'une maladie, n'est pas quelque chose que l'on peut réparer ou effacer. C'est un événement permanent, tragique et douloureux. On ne peut raisonnablement le nier, mais nous réagissons tous de manière différente à ce type d'événement qui fait de nous des victimes.

J'allègue que certains membres de la communauté des victimes — si l'on peut l'appeler ainsi — sont d'avis que nous ne devrions pas, de manière permanente, enlever à certaines personnes le droit de pouvoir contribuer à la société, d'essayer de réparer leurs torts, dans une certaine mesure, auprès de personnes et de leur collectivité.

Le Conseil canadien des avocats de la défense s'oppose à ce projet de loi. Nous le considérons comme une trahison du processus de négociation législative dont mes amis ont parlé dans leur exposé. Les actes criminels rendent des personnes victimes, mais ils sont, dans la structure de notre système, fondamentalement des préjudices subis par la collectivité puisqu'ils minent sa confiance. C'est pourquoi les poursuites judiciaires sont intentées, depuis des siècles, par l'État plutôt que par des particuliers.

La disposition que ce projet de loi vise à éliminer constituait une approche intelligente, équilibrée et circonscrite avec soin qui reconnaissait et valorisait le rôle des membres du public en tant que jurés dans ce système. Par ce projet de loi, nous disons que nous ne faisons plus confiance à ces jurés. À notre avis, il s'agit d'un texte législatif inutile et d'une approche fautive et régressive face au traitement des criminels qui affaiblit notre société au lieu de la renforcer.

Comme toujours, mesdames et messieurs les sénateurs, je suis très reconnaissant de la possibilité que vous m'avez offerte de vous présenter ces observations aujourd'hui.

Joseph Di Luca, vice-président, Criminal Lawyers' Association : La Criminal Lawyers' Association est heureuse d'avoir l'occasion de comparaître devant le comité pour parler de la question fondamentalement importante soulevée dans ce projet de loi. En guise de contexte, j'aimerais souligner que la Criminal Lawyers' Association est une organisation sans but lucratif qui a été fondée en novembre 1971. Notre organisation représente plus de 1 000 avocats de la défense au criminel dans la province de l'Ontario. Nos objectifs sont d'informer nos membres des questions relatives au droit criminel et constitutionnel, de promouvoir leurs intérêts et de les représenter dans ces domaines. Avec les avocats de la Couronne, nous sommes les intervenants de première ligne du système de justice pénale, et nous nous intéressons beaucoup à cette initiative législative et à d'autres initiatives semblables puisqu'elles nous touchent de manière directe.

La Criminal Lawyers' Association n'appuie pas le projet de loi S-6. À notre avis, l'abrogation de la clause de la dernière chance marque une régression importante. Cela fera du Canada l'un des pays de sa catégorie avec les périodes d'incarcération les plus longues. Par-dessus tout, il y a peu d'éléments de preuve, voire aucun, qui donnent à penser que les dispositions actuelles ne fonctionnent pas, et, à notre humble avis, cela est grave. Les meurtriers ne sortent pas de prison facilement. On ne les met pas en liberté pour qu'ils puissent commettre d'autres infractions graves et violentes.

En fait, c'est le contraire qui se passe. Les statistiques fournies au comité et que le comité de la Chambre a également reçues, donnent à penser que les dispositions en place fonctionnent très bien et que seules les personnes les plus méritantes obtiennent une réduction de leur période d'inadmissibilité à la libération conditionnelle. La grande majorité de celles qui obtiennent gain de cause à leur audience de la dernière chance et qui réussissent à obtenir une libération conditionnelle de la Commission nationale des libérations conditionnelles réintègrent la société sans problème. À notre avis, les mythes et les idées fausses entourant le mauvais usage des dispositions de la dernière chance ne sont pas appuyés par la preuve et les statistiques qui vous ont été présentées.

À l'appui de notre position, je vous demande de tenir compte de ce qui suit : une grande partie du projet de loi du gouvernement relatif au crime vise à améliorer la reddition de comptes publics dans le système de justice pénale et à rétablir la confiance de la population. À notre avis, les dispositions de la dernière chance renforcent la confiance de la population de même que la reddition de comptes publics. C'est la population — un jury — qui entend la preuve et rend une décision. Les personnes qui veulent une réduction de leur période d'admissibilité à la libération conditionnelle doivent d'abord convaincre un jury composé de membres de la collectivité où elles ont commis leur infraction du fait qu'elles méritent cette réduction. Nous avons fait confiance à un jury pour déclarer ces personnes coupables de meurtre et nous devons encore une fois faire confiance à un jury pour prendre cette décision utile et importante.

Si la population ne faisait pas confiance au système et considérait les dispositions de la dernière chance comme une brèche dangereuse et injustifiée, je vous demanderais, sans attendre de réponse, pourquoi ces dispositions sont aussi souvent appliquées. Il est clair que le public a confiance en ce processus puisque les jurés à qui on a demandé d'accomplir cette tâche publique et d'entendre ces causes ont décidé, à de nombreuses reprises, d'accepter la position défendue par les accusés et de réduire leur période d'admissibilité à la libération conditionnelle.

Le « principe de l'adéquation de la peine et du crime » est très à la mode et il est à la base de diverses réformes qui ont récemment fait l'objet de discussions dans le monde de la justice pénale. Sauf votre respect, le principe de l'adéquation de la peine et du crime n'est pas en question ici. Il est plutôt question de l'éducation juridique du public et de sa connaissance du processus de détermination des peines. Sauf votre respect, les juges ne trompent pas le public quand ils imposent des peines aux meurtriers et à d'autres criminels dangereux. Les juges font exactement ce qu'ils sont censés faire. Les idées fausses qui y circulent dans la sphère publique et le manque de compréhension de la manière dont ces dispositions fonctionnent sont le problème. Si nous pouvions informer le public de la manière dont ces dispositions fonctionnent, la crise apparente — et je l'appelle « apparente » parce que rien ne prouve qu'il s'agit véritablement d'une crise — cesserait d'exister.

Beaucoup de choses ont été dites au sujet des nouveaux crimes imputables aux dispositions actuelles de la dernière chance — il s'agit d'un sujet délicat. Il ne faut pas oublier que les condamnations sur lesquelles doivent se pencher les jurys qui envisagent d'appliquer la clause de la dernière chance sont liées à des crimes qui ont eu lieu au moins 15 ans auparavant. Les condamnations elles-mêmes et les faits reliés ne sont pas contestés. La question à trancher consiste à déterminer si le délinquant a fait bon usage de sa peine pour se réadapter. D'une certaine manière, même si ce n'est pas toujours apprécié, il s'agit d'une occasion pour les victimes de voir si un délinquant a fait des progrès, et les victimes ont un rôle à jouer, elles aussi. Elles fournissent leurs commentaires et expriment leurs préoccupations au juge et au jury.

J'ai lu les témoignages émotifs et touchants de membres de familles qui ont raconté leur histoire aux divers comités qui étudient ce projet de loi. Comme toutes les personnes ici présentes, j'en suis certain, je reconnais le mal inexplicable subi par ces personnes. Toutefois, je demande aux honorables membres du comité de garder à l'esprit le fait qu'on ne peut pas éliminer toutes les caractéristiques du système de justice pénale qui visent la réadaptation en raison de nos préoccupations relatives aux difficultés vécues par les victimes et leur famille. Si l'on procédait ainsi, un grand nombre des caractéristiques de notre système qui sont protégées par la Constitution et même prescrites par elle, y compris le procès, seraient en danger.

L'abrogation des dispositions mènera probablement les tribunaux, et même peut-être même la Cour suprême du Canada, à réexaminer la constitutionnalité des peines d'emprisonnement à perpétuité et des peines de 25 ans en application de l'article 12 de la Charte. Lorsque la Cour suprême du Canada a examiné cette question pour la dernière fois, au début des années 1990, dans l'arrêt Luxton, elle a souligné l'existence de la disposition de la dernière chance en tant que facteur atténuant défavorable à une conclusion selon laquelle ces peines sont exagérément disproportionnées. Cela devra maintenant être réévalué, et le nouveau contexte factuel comprendra des statistiques et des analyses comparatives sur les taux et la durée des peines d'emprisonnement dans des pays comparables, et nous serons bientôt en haut de la liste.

Cet examen devra également tenir compte des répercussions des peines d'emprisonnement à perpétuité sur les personnes, répercussions qui n'avaient pas été étudiées de manière rigoureuse et qui n'étaient pas bien comprises en 1990 ou 1991, à l'époque de l'arrêt Luxton. La disposition de la dernière chance est une mesure incitative qui motive les personnes déclarées coupables à se réadapter et à utiliser les programmes qui leur sont offerts pendant qu'elles sont sous garde. Ces délinquants seront probablement mis en liberté tôt ou tard, et il est dans notre intérêt en tant que société de nous assurer qu'ils demeurent motivés, même si ça fonctionne pour seulement quelques-uns d'entre eux. Les dispositions en question tiennent lieu de carotte au bout du bâton.

Il faut également tenir compte du fait que les meurtres et les meurtriers ne se ressemblent pas tous. Certains sont évidemment des gens haineux et incorrigibles qui ne réagiront jamais à la structure. En l'état actuel des textes, ces personnes ne passeront jamais l'étape de sélection du processus de demande.

Cependant, d'autres ont le potentiel de s'amender et de se réadapter. Ils peuvent avoir commis l'infraction alors qu'ils étaient jeunes, dans un moment de passion et de rage. Ils étaient peut-être sous l'emprise de la drogue ou de gangs. Quoi qu'il en soit, ils peuvent avoir beaucoup changé, 15 ans après avoir commis l'infraction. Nous ne devrions pas tout simplement éliminer ce processus de réadaptation.

Finalement, j'aimerais me faire l'écho des préoccupations de M. Downes concernant les délais prescrits par ces dispositions pour les délinquants qui continueront à être visés par la disposition de la dernière chance. Les deux délais, celui de 90 jours et celui de cinq ans, préoccupent beaucoup la Criminal Lawyers' Association.

Tout d'abord, la règle de 90 jours est, à notre avis, inutile et impraticable. Sur quels principes se fonde l'inclusion d'un délai fixe de 90 jours? Que se passe-t-il si le délinquant, pour des raisons indépendantes de sa volonté, peut-être en raison du manque de programmes au sein de l'établissement — et nous savons qu'il y a des listes d'attente et des retards pour l'obtention d'une aide appropriée — n'est pas tout à fait prêt après 15 ans précis? Que se passe-t-il s'il n'a pas tout à fait fini un programme? Que se passe-t-il s'il est prêt après 16 ou 17 ans? Que se passe-t-il si un délinquant veut entamer les procédures, mais ne peut pas respecter la date limite?

Nous nous disons tous que 90 jours, c'est long; beaucoup de choses peuvent arriver en 90 jours. Croyez-moi, dans le monde du droit criminel, pour une personne qui est incarcérée — disons qu'elle a commis son infraction en Ontario, mais qu'elle est incarcérée en Colombie-Britannique — pour que cette personne s'organise, trouve un avocat à Toronto ou ailleurs en Ontario, obtienne une aide juridique et un financement, s'informe sur la manière d'obtenir le formulaire pour faire transférer son dossier de la Colombie-Britannique en Ontario, 90 jours, ce n'est pas long.

Si tout cela lui prenait plus de 90 jours, qu'est-ce qui arriverait? Si elle dépassait 91 jours, elle devrait attendre encore cinq ans. Ce projet de loi ne contient aucune disposition permettant à un juge de prolonger la période pour accorder un délai raisonnable à la personne, dans certaines circonstances.

Y a-t-il d'autres dispositions du Code criminel qui prescrivent un délai fixe et absolu? Je ne crois pas. Je crois que toutes les dispositions permettent à un juge ou à un tribunal de prolonger une période lorsque des motifs valables sont démontrés.

Ensuite, la règle de cinq ans semble dure et revancharde. Y a-t-il quoi que ce soit qui prouve que le processus actuel ne fonctionne pas? Les juges et les jurys ont le droit de retarder ou d'interdire la présentation d'une autre demande. Pourquoi cela ne suffit-il pas? Les juges et les jurys n'exercent-ils pas ce droit? Y a-t-il des cas de familles de victimes qui subissent de nouvelles infractions à tous les deux ans? Si oui, pourquoi les tribunaux ne sont-ils pas intervenus pour régler ces problèmes? À notre humble avis, les dispositions existent, et elles sont praticables.

Dans l'ensemble et en conclusion, la position de la Criminal Lawyers' Association est que ce projet de loi est rétrograde et injustifié. Il n'y a aucun fondement probatoire pour justifier les mesures draconiennes envisagées.

Le projet de loi retirera de notre système de justice pénale une caractéristique utile permettant la réadaptation. De plus, il fera de notre nation l'un des pays où les peines d'emprisonnement sont les plus longues pour ces types de crimes. À mon humble avis, les Canadiens ne doivent pas ou ne devraient pas être connus pour cela.

Mesdames et messieurs les sénateurs, madame la présidente, je serai heureux de répondre à vos questions.

Le sénateur Carstairs : Si c'était permis au sein du comité, je me lèverais pour applaudir. Il est clair que je n'appuie pas ce projet de loi, mais j'ai tout de même des questions à vous poser.

Tout d'abord, il y a une différence entre la notion de « possibilité réelle » et le nouveau terme utilisé, c'est-à-dire « la probabilité marquée ». J'ai posé la question au ministre de la Justice. Il affirme bien sûr que cela ne causera pas de problèmes puisqu'on aura affaire à deux différents juges — le juge qui rend la décision initiale et le juge qui sélectionnera le jury.

Vous êtes clairement d'un autre avis. J'aimerais entendre plus de détails là-dessus.

M. Di Luca : Je peux commencer. Ce qui pourrait arriver, au bout du compte, c'est que, avec cette fonction de présélection, si nous resserrons la norme comme on envisage de le faire — c'est une norme très stricte qui n'est utilisée que très rarement dans le Code criminel — cela donnera à penser qu'il s'agit d'une demande acceptée qui attend seulement l'approbation finale d'un jury. Si les candidats-jurés connaissent la procédure et le processus qui mène à leur intervention dans le cadre de la cause, le message sera clair pour eux. Je ne sais pas si un avocat qui fait valoir ces affaires devant un jury serait en position de lui dire cela; ce ne serait peut-être pas un commentaire approprié. Toutefois, il est clair que les demandeurs ne se rendent pas tous à cette étape; ce sont seulement les plus méritants qui y parviennent.

Ce qui importe pour moi, c'est que l'on protège le domaine dans lequel le jury fait son travail, ce qui se fait dans les procès. En fait, à un procès, la norme que l'on applique habituellement pour décider si une affaire sera présentée à un jury — par exemple, une défense — c'est l'apparence de vraisemblance de la défense.

Il s'agit d'une norme relativement peu contraignante — probablement moins contraignante que celle qui existe actuellement. Nous sommes presque revenus au point de départ, puisqu'un juge tranche la question avant qu'elle ne soit présentée à un jury. Il y a probablement dédoublement du processus, et les jurys sont probablement souvent appelés à juger une personne qui a déjà obtenu gain de cause.

M. Downes : Je n'ai rien à ajouter à ce sujet.

Le sénateur Carstairs : Ma deuxième question porte sur le délai de 90 jours. Le Service correctionnel du Canada nous a assuré du fait qu'il serait en mesure de mettre en place des programmes qui aviseraient ces personnes du fait que leur période de 15 ans achève pour qu'elles aient suffisamment de temps pour embaucher des avocats et présenter leur demande. Vous semblez peindre un tout autre portrait.

Qu'adviendra-t-il, par exemple, si un délinquant est hospitalisé ou disons même dans un coma au moment où sa période de 15 ans arrive à sa fin? Aux termes du projet de loi, cette personne ne pourrait-elle pas présenter sa demande après le délai de 90 jours?

[Français]

M. Trudeau : Si vous me permettez, selon notre compréhension du projet de loi, il n'y a aucune souplesse si la demande n'est pas introduite dans les 90 jours du délai imparti. Vous devez vous rendre compte que les règles de procédure applicables aux demandes sont différentes d'une province à l'autre. Si on prend, par exemple, les règles de procédure de la Cour supérieure du Québec pour les demandes de révision judiciaire, pour nous qui sommes des avocats, ce n'est pas grand-chose, mais cela tient quand même sur cinq pages et c'est très détaillé.

Alors de façon initiale, il s'agit d'une personne détenue dans un pénitencier. Vous me direz qu'elle a eu 15 ans pour s'y préparer. Mais ce n'est pas nécessairement durant ces 15 années où elle aura été prête à envisager de considérer ces demandes.

Souvent, les détenus sont promenés d'un pénitencier à un autre. Et vous devez comprendre que la demande doit être acheminée à la Cour supérieure de la province dans la communauté où la déclaration de culpabilité a été prononcée. Alors, il est fréquent, je suis un directeur d'aide juridique, qu'on ait des détenus dans une province qui n'est pas la province de la déclaration de la culpabilité. On doit être en lien avec d'autres avocats, ailleurs au Canada, pour faire le pont pour réussir à réunir la documentation nécessaire pour que les procédures puissent être faites.

Je retournerais la question au législateur : qu'est-ce qui vous empêche de modifier la règle des 90 jours pour que l'individu puisse prouver une cause suffisante pour lui permettre de déposer sa demande après 90 jours? Est-ce une contrainte économique ou une contrainte idéologique? Je vous pose la question.

[Traduction]

Le sénateur Carstairs : J'ai invoqué l'arrêt Luxton dans mon discours au Sénat. Selon vous, est-il certain que le projet de loi donnera lieu à un argument constitutionnel selon lequel ces peines sont maintenant cruelles et inhabituelles, et dans quelle mesure croyez-vous que cet argument tiendra la route?

M. Di Luca : Nous comprenons beaucoup mieux les répercussions des longues périodes d'incarcération que nous les comprenions au début des années 1990. Notre population carcérale est vieillissante. Vous avez entendu des témoignages qui portaient précisément sur cette question. Nous avons également des statistiques qui montrent où le Canada se situe par rapport à d'autres nations auxquelles nous nous comparons sur le plan constitutionnel, politique et démocratique.

Ce qui est clair, dans l'arrêt Luxton, c'est que le juge en chef Lamer s'est fondé sur l'existence de la disposition de la dernière chance en tant que facteur déterminant en faveur de la constitutionnalité du Code criminel. Une fois cette disposition éliminée, il est certain que vous ferez face à une contestation constitutionnelle, dont la base factuelle sera beaucoup plus solide que celle dans l'arrêt Luxton puisque nos connaissances et notre compréhension des difficultés liées aux longues peines d'emprisonnement se sont améliorées. Je ne peux pas vous dire quelle en sera l'issue, mais la cause sera assurément défendable, et elle sera assurément défendue.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Messieurs, bonjour. Vous êtes sans doute sans le savoir que ce projet de loi a été poussé depuis cinq ans de façon énergique par des groupes de victimes à travers le Canada, parce que ces groupes de victimes ont l'impression qu'ils sont des représentants de la justice de première ligne.

Ces victimes et surtout les proches des victimes avaient vraiment le sentiment que lorsqu'un juge donnait une sentence de 25 ans ferme, sans possibilité de libération conditionnelle, et que le système carcéral avait ses propres mesures de libération de cet individu après 15 ans, vous comprendrez que les proches de la victime — j'en suis un — avaient l'impression que la justice, soit leur mentait, soit qu'elle manquait de transparence.

Ma question à Me Trudeau est la suivante : si je poursuis votre argument, si je suis votre logique selon laquelle il faut libérer ces gens après 15 ans parce qu'ils sont réhabilités, pourquoi la « clause de la dernière chance » ne serait pas après cinq ans plutôt que 15 ans?

M. Trudeau : Cette législation a été jugée comme étant un compromis acceptable lorsqu'on a décidé d'abolir la peine de mort. On parle nécessairement de peines plus sévères. Le compromis a été de donner 15 ans. Quinze ans, ce n'est pas une période qui n'est ni trop courte, ni trop longue.

Je voudrais rectifier votre question. On ne permet pas à ces personnes d'être libérées, on leur permet de faire une demande à la Commission des libérations conditionnelles, qui va enclencher des audiences avec toutes sortes de rapports pour arriver à déterminer si oui ou non, éventuellement on va lui permettre d'être libéré.

Mais la libération ne signifie pas pour cette personne la fin de sa peine. Cette dernière sera terminée au moment de son décès.

Le sénateur Boisvenu : Vous êtes d'accord avec le fait que les valeurs à la base d'un système de justice doivent refléter les attentes des individus dans un pays donné et les valeurs d'une population, pas seulement les valeurs des juristes et des avocats que vous êtes. Vous êtes d'accord avec cela?

M. Trudeau : Je pense que je fais partie de la communauté, et je pense que le Barreau du Québec fait partie de cette communauté, et le message que je vous ai livré représente le consensus dans la province de Québec.

Le sénateur Boisvenu : Si la population, je ne parle pas des juristes ou des avocats, pouvait dire qu'elle trouve injuste ce délai de 15 ans par rapport aux victimes, est-ce qu'à ce moment le compromis ne doit pas être revu en fonction du fait que la justice doit être rendue aussi bien en fonction des attentes de la population que de la perception des juristes?

M. Trudeau : Nous croyons davantage que ce n'est pas nécessairement la mesure qui doit être revue mais l'éducation en général, qui doit être faite de notre système. Je pense que justice est rendue lorsqu'une décision judiciaire est faite, lorsqu'il y a une déclaration de culpabilité et que la sentence est imposée. Je pense que justice est également rendue lorsque, à l'issue de tout un processus de réhabilitation et de changement, les plus méritants d'entre eux, parce qu'ils auront démontré un parcours correctionnel résolument et parfaitement exceptionnel, pourront adresser une demande.

Là où nous nous interrogeons, c'est si ce projet de loi est promulgué par le gouvernement pour remplir un engagement pour les familles et les proches des victimes, de leur éviter la douleur et l'incertitude des audiences, alors que même dans le projet devant vous, même dans un procès criminel, on a établi des mesures pour aider les victimes à faire valoir leur point de vue. Dans le Code criminel, il est prévu que les victimes peuvent être entendues d'une autre façon lors des audiences devant un jury, je me demande pourquoi vous n'envisagez pas vos efforts pour donner des mesures aux victimes ou aux provinces pour avoir des programmes qui aideront les victimes à panser leurs plaies?

Le sénateur Boisvenu : Pour avoir passé à travers le système de justice, est-ce que vous êtes au courant, lorsqu'un criminel assassine un proche, que la famille sera dans le processus judiciaire entre sept et neuf ans, si le criminel se rend jusqu'à la Cour suprême?

M. Trudeau : Oui.

Le sénateur Boisvenu : Et six ans après la décision de la Cour suprême, le criminel aura le droit de présenter une demande de libération. La famille devra retourner dans le processus judiciaire.

M. Trudeau : Vous parlez de délai d'audition, vous ne parlez pas d'adéquation entre l'aide aux victimes...

Le sénateur Boisvenu : Lorsqu'on parle de victimisation...

La présidente : Vous avez posé une question, il répond. On passe à un autre sénateur. Vous complétez votre réponse, Me Trudeau?

M. Trudeau : Ça va.

Le sénateur Boisvenu : Vous semblez confondre victimisation et réhabilitation.

M. Trudeau : Je pense que la société canadienne a intérêt à mettre en place des mesures qui vont aider les victimes à passer au travers, à panser leurs plaies. C'est encore complexe, on parle d'aide psychologique, de dualité. Ce sont des programmes mis en œuvre par les provinces. Au Québec, nous avons la Loi sur les victimes d'acte criminel.

Si la législature entend vouloir aider les familles, je ne pense pas qu'on les aide ici énormément à grandir puis à accepter ce qui n'est absolument pas acceptable lorsqu'on perd un de nos proches, mais au demeurant, on leur laisse miroiter qu'en enlevant la possibilité, non pas pour la majorité des gens, mais pour une très petite strate d'individus, qui ont démontré un parcours irréprochable qu'ils peuvent devenir autre chose. Pourquoi ne verrions-nous pas dans la législation des mesures qui favoriseraient la justice réparatrice, la justice participative? Il y a des efforts dans les pénitenciers qui sont faits pour mettre en lien des individus, qui ont commis un crime, avec la famille si elles le désirent. Pourquoi ce ne sera pas à la communauté de faire en sorte qu'il y ait des processus de guérison comme chez les Autochtones? Pourquoi on n'en parlerait pas pour tout le monde, y compris chez les gens qui ont vécu un drame qu'on ne pourra jamais effacer plutôt que de priver quelqu'un? Si cette personne a tellement cheminé, c'est qu'elle est justement en mesure de pouvoir s'adresser à la famille des victimes pour tenter de réparer; on la prive, on la laisse dans son pénitencier puis on force la victime à vivre la réhabilitation, la participation, la réparation à l'intérieur du pénitencier. Est-ce qu'on les aide vraiment? Je me pose la question, nous nous posons la question. Est-ce qu'on ne manque pas la cible dans ce projet de loi?

Le sénateur Boisvenu : Vous comprendrez que je ne partage pas du tout votre point de vue.

La présidente : Merci, sénateur Boisvenu. Sénateur Runciman.

[Traduction]

Le sénateur Runciman : Merci à vous tous d'être ici aujourd'hui.

M. Di Luca a mentionné, dans son exposé, que le principe de l'adéquation de la peine et du crime n'est pas la question et que ce qui importe, c'est d'informer le public. M. Downs a parlé d'une trahison de la confiance de la collectivité.

Sauf votre respect, je ne suis pas d'accord. Je pense que le principe de l'adéquation de la peine et du crime a beaucoup d'importance et que, s'il y a abus de confiance, c'est parce qu'il n'y a pas d'adéquation au moment de la détermination de la peine. Il faut bien comprendre ce qui se passe lorsqu'on crédite la période d'incarcération avant le procès, lorsqu'il y a confusion des peines à purger pour des crimes commis pendant la libération conditionnelle, et cetera. Lorsqu'un juge prononce une peine à perpétuité sans admissibilité à la libération conditionnelle pendant un nombre d'années précis, le rôle du Parlement est de garantir que cette peine est adéquate, au vu du crime, et nous savons que cela n'est souvent pas le cas.

Par exemple, permettez-moi de vous donner un autre exemple de la manière dont on a trahi la confiance de la collectivité. Lorsque la peine de mort a été abolie dans les années 1970, on s'attendait à ce que les peines d'emprisonnement à perpétuité remplacent la peine de mort, et la population a accepté cette contrepartie. Bien sûr, cela s'est révélé de moins en moins vrai avec la disposition de la dernière chance et d'autres mesures qui ont semé la confusion au sein de la population sur ce que les peines sont vraiment.

Monsieur Di Luca, peut-être aimeriez-vous être le premier à réagir à cela. Vous dites que le problème, c'est l'information plutôt que le principe de l'adéquation de la peine et du crime et que les juges font leur travail. Je ne vous contredis pas là-dessus. Ils font le travail, mais il y a beaucoup d'autres choses qui entrent en jeu. Le public est préoccupé, et je crois que c'est légitime, par le processus de détermination des peines et par ce qui arrive réellement, au- delà des titres des journaux et des actualités de 18 heures, parce que, en fait, la personne en question ne purge jamais la peine qu'elle a reçue.

M. Di Luca : C'est une excellente question, sénateur Runciman. Dans les soirées, on demande souvent aux criminalistes : « Combien de temps dure une vie au Canada? Une peine d'emprisonnement à perpétuité au Canada, est-ce que ça dure seulement 10, 15 ou 25 ans? » Il s'agit d'une idée fausse qui est répandue au sein du public parce que nous tous qui sommes ici présents savons qu'une peine d'emprisonnement à perpétuité est une peine d'emprisonnement à perpétuité. Les délinquants ne purgent peut-être pas l'intégrité de cette peine en prison, mais ils sont toujours sous la surveillance de la Commission nationale des libérations conditionnelles.

Si le principe de l'adéquation de la peine et du crime était fixe et inflexible — « La peine que vous purgerez en prison serait exactement équivalente à la peine prononcée par le juge » — logiquement, il faudrait éliminer toute forme de libération conditionnelle, de réduction méritée de peine et de calcul du temps passé en prison avant le prononcé de la peine. Ainsi, le juge déterminera le nombre de jours précis, à la minute près, que vous passerez en prison. Ne demandez pas aux avocats de la défense ce qu'ils en pensent, parce que vous savez déjà de quel côté nous sommes. Toutefois, demandez aux agents de correction s'ils voudraient d'un système comme celui-là, s'ils croient qu'un système comme celui-là favoriserait la réadaptation et un milieu correctionnel où il est possible d'assurer une certaine mesure de contrôle et de sécurité pour les détenus. Ça ne fonctionne pas.

En ce qui concerne la notion d'adéquation, je suis d'avis que nous avons l'obligation — vous, en tant que parlementaires et sénateurs, et nous, en tant qu'avocats — de réfuter les mythes et de faire savoir au public que, lorsqu'un juge prononce une peine d'emprisonnement à perpétuité, c'est ce que la personne purgera à moins qu'elle ne respecte certaines exigences. Ces exigences prennent diverses formes. La mise en liberté sous caution est une option. Nous ne l'avons pas abolie; elle existe toujours. Le terme « peine d'emprisonnement à perpétuité » exclut automatiquement la possibilité d'une adéquation parce que ces personnes obtiendront une libération conditionnelle tôt ou tard, et elles l'obtiendront pour une raison valable et valide, à savoir parce qu'elles ont démontré qu'elles ne sont pas entièrement méchantes.

Tout compte fait, je continue de dire que nous devons mieux expliquer ce que représente une peine. Si un juge prononce une peine : « emprisonnement à perpétuité sans admissibilité à la libération conditionnelle pendant 25 ans », il devrait expliquer aux personnes dans la salle d'audience qu'il existe un mécanisme de dernière chance. Les juges le disent aux gens. J'ai assisté à des audiences de détermination de la peine de personnes qui faisaient face à des accusations de meurtre au premier degré, et les gens qui étaient présents dans la salle d'audience ont entendu ces explications. On n'en parle presque jamais, et ce n'est pas très bien compris, mais ça existe.

J'admets votre point, sénateur Runciman, et il s'agit d'une question difficile.

Le sénateur Runciman : Ne serait-il pas également possible de dire que la clause de la dernière chance nuit à l'indépendance de la magistrature? Le juge d'instance entend les circonstances du crime et observe le comportement du délinquant.

M. Di Luca : Sauf que dans les cas de meurtre au premier degré, il n'y a pas de pouvoir discrétionnaire.

Le sénateur Runciman : Mais dans les cas de meurtre au deuxième degré, il y en a. Surtout à l'égard des meurtres au deuxième degré, on pourrait alléguer que la clause de la dernière chance porte atteinte au pouvoir discrétionnaire.

M. Di Luca : Vous parlez des gens qui reçoivent des peines de 16 à 24 ans. Je crois que les juges appuieraient probablement un mécanisme d'examen qui permettrait de voir si la personne a fait des progrès. Il est difficile de deviner comment une personne qui intègre le système carcéral s'en tirera dans 15, 16 ou 17 ans. Certaines d'entre elles ne s'en tireront pas très bien, mais certaines, auront peut-être fait beaucoup de progrès. Si c'est le cas d'une ou deux personnes, il s'agit d'un système qu'il vaut la peine de sauver.

Je reconnais que, dans certains cas, on pourrait, en rétrospective, porter atteinte au pouvoir discrétionnaire d'un juge, mais, dans la grande majorité des cas auxquels cela s'applique, c'est-à-dire les cas de meurtre au premier degré, le juge n'a pas de pouvoir discrétionnaire de toute façon.

[Français]

Le sénateur Carignan : Merci d'être ici avec nous cet après-midi. J'aurais un court commentaire à faire. Il semble qu'il manque une partie de l'équation dans vos témoignages à tous les quatre, c'est l'aspect exemplaire d'une peine, pour avoir un effet dissuasif, et qui a pour objet aussi de maintenir la confiance du public envers le système de justice.

Il y a quelques minutes, une entente a été conclue à la Chambre des communes pour adopter un projet de loi pour suspendre le pardon auquel Mme Homolka aurait eu accès le 14 juillet 2010, si un projet de loi n'avait pas été adopté rapidement. Et si vous faites un sondage au sein de la population, je suis convaincu que le public serait en accord avec cela. Je l'ai testé avec des gens qui étaient dans mon bureau quand on a appris la nouvelle.

Sur ce projet de loi, à la Chambre des communes, Serge Ménard — qui, on s'entend, n'est pas l'idéologue de droite conservatrice que vous avez semblé laisser entendre tantôt, maître Trudeau — disait :

Cependant, je suis absolument d'accord avec vous : ce fardeau doit être très lourd dans les cas où il y a eu meurtre. Votre témoignage me fait beaucoup réfléchir. Voici ma première réaction : je ne vois pas pourquoi on donnerait une chance à ceux qui ont été trouvés coupables de meurtre, car le meurtre reste le pire des crimes, car c'est tuer de sang-froid — après préméditation, c'est fait par une personne qui n'est pas folle, qui n'a pas été conduite par une maladie mentale quelconque [...].

Je ne comprends pas [...] que les gens qui ont commis ce crime puissent être remis en liberté conditionnelle, ne serait-ce simplement que de par la nature et la façon dont ils ont commis le crime. Je ne trouve rien d'inhumain à garder ces gens en vie dans une prison, même lorsqu'ils sont réhabilités.

Au-delà des positions de vos membres respectifs — et, maître Trudeau, étant membre du Barreau, je ne partage pas nécessairement votre opinion, aussi vous comprenez que, lorsque vous dites que vous représentez des membres, vous ne m'avez pas représenté aujourd'hui dans mon opinion comme individu — ne trouvez-vous pas que le projet de loi, premièrement, correspond — et le Parlement doit créer des lois qui correspondent à la volonté de la population — aux valeurs et à la volonté de la population de sanctionner le crime le plus grave avec la sanction la plus grave, qui ne doit pas, évidemment, être une peine cruelle et inusitée qui porterait atteinte à la dignité humaine, mais une peine qui est sévère et qui correspond aux aspirations des citoyens?

M. Trudeau : J'ai l'impression que la question m'est adressée. Je vais y répondre.

Le sénateur Carignan : Elle est pour vous, maître Trudeau, mais aussi beaucoup pour Me Downes.

M. Trudeau : Le Barreau du Québec ne représente pas des opinions personnelles, donc il est certain qu'on ne vous a pas interrogé personnellement. Nous représentons les opinions qui font consensus à travers les comités du Barreau. Je pense que vous n'étiez pas là lorsque Me Sauvé a décrit le processus décisionnel au Barreau du Québec, je vais donc le répéter.

Le sénateur Carignan : Je le connais; je connais des membres de votre comité, on me l'a déjà expliqué. J'étais au congrès du Barreau il y a quelques semaines.

M. Trudeau : Donc, vous savez qu'il y a des gens de toutes les allégeances autour de la table, qui réfléchissent sur les projets de loi soumis par la législature ou par le Parlement.

Deuxième chose, au niveau de la réhabilitation, si vous menez des sondages, certains sondages disent que 85 p. 100 de la population québécoise est en faveur de la réhabilitation.

En fait, nous sommes d'avis que la sentence initialement prononcée n'est pas affectée par la sévérité.

Elle est sévère dès le moment où le juge l'impose. Et cela, vous ne l'avez pas modifié, cela reste une sentence à vie.

Maintenant, il y a des modalités, il y a la Loi sur les libérations conditionnelles. Ici, ce qu'on veut refuser de donner, parce que c'est la portion la plus attentatoire, c'est qu'on va enlever à tous les futurs condamnés la possibilité de faire cette demande. Et nous ne sommes pas d'accord sur ce point et j'ai vraiment l'impression que c'est une question idéologique, une question de punition, alors que l'ensemble du Code criminel, l'ensemble du système de justice pénale, à nos yeux, a toujours été regardé comme étant dans un système qui était balancé, qui regardait l'individu que nous avions à juger, qui n'est pas la société, c'est le procès d'un individu fait par la société et qui nécessitait une évaluation multifactorielle, tant pour les faits et, encore plus, au niveau de la sentence.

Nécessairement, on considère que c'est attentatoire et que cette législation risque d'ouvrir une boîte de Pandore.

Le sénateur Carignan : Maître Downes, avez-vous des commentaires à ajouter?

[Traduction]

M. Downes : Il est évident que les lois devraient refléter les points de vue du public. Sans aucun doute. Toutefois, elles devraient refléter les points de vue d'un public renseigné. Il est malheureux que nos médias ne réussissent pas à mieux expliquer les réalités du système de justice pénale, de la détermination des peines et de beaucoup d'autres choses.

Cela dépend aussi de la manière dont on pose la question. Si vous demandez à quelqu'un « Croyez-vous que Paul Bernrado devrait obtenir une libération conditionnelle? » toute personne sensée dira : « Non. Il devrait demeurer en prison pour le reste de sa vie. » Si vous présentez la situation de quelqu'un comme M. Sauvé, dont j'ai parlé tantôt, et que vous demandez au public : « Croyez-vous qu'une personne qui, depuis 15 ans, fait véritablement preuve d'une réadaptation et de la capacité de contribuer à la société devrait avoir la possibilité de présenter sa cause à des membres du public formant un jury? » de nombreux Canadiens diraient : « Oui. Il devrait y avoir l'occasion de le faire parce qu'il s'agit d'une manière de procéder qui est juste et civilisée. » Cela dépend beaucoup de la manière dont on pose la question.

Comme vous l'avez dit dans vos commentaires, les critères applicables à la libération conditionnelle anticipée sont très détaillés et précis. Si vous adoptez la position selon laquelle les meurtriers devraient purger une peine d'emprisonnement à perpétuité, sans possibilité de libération conditionnelle, point à ligne, nous ne reconnaîtrons pas qu'il s'agit d'une approche civilisée au traitement des délinquants.

Les jurés qui passent par le système constituent un bon moyen d'évaluer le point de vue du public. Cela arrive souvent. Les jurés ne savent rien du système lorsqu'ils sont appelés à y contribuer. À la fin d'un procès, on les entend souvent dire qu'ils ne réalisaient pas comment c'était vraiment. Une fois leur tâche accomplie, ils éprouvent un tout nouveau respect pour notre système judiciaire, ce qui n'est pas assez souvent reconnu.

La présidente : Sénateur Carignan, je vais interrompre brièvement la procédure pour clarifier quelque chose.

M. Downes a mentionné, à quelques reprises, un M. Sauvé qui a bénéficié de la clause de la dernière chance. Je veux souligner qu'il s'agit de M. Rick Sauvé, que nous entendrons demain, et non de M. Marc Sauvé, qui comparaît devant nous ce soir en tant que témoin.

[Français]

Le sénateur Carignan : Ma question s'adresse à M. Di Luca. Vous avez parlé de statistiques d'emprisonnement. La dernière fois que j'ai consulté les statistiques sur le taux d'emprisonnement par 100 000 habitants, le Canada était au 118e rang, avec un taux de 116 personnes par 100 000 habitants, bien en deçà du taux américain. En effet, les États- Unis sont premiers. Il y a énormément de pays qui devancent le Canada au niveau du taux d'emprisonnement.

Est-ce que ce sont les statistiques que vous avez? Parce qu'on peut parler de la durée, qui peut varier si la peine est plus longue pour les cas de meurtre, mais le nombre de personnes emprisonnées par 100 000 habitants au Canada est quand même dans la moyenne mondiale ou même un peu plus bas. Est-ce exact?

[Traduction]

M. Di Luca : Oui. La question qui me préoccupe le plus n'est pas tant le taux d'emprisonnement par habitant, au sujet duquel je suis d'accord avec vous. Nous sommes dans la moyenne. Ce qui me préoccupe, c'est la durée des peines que purgent les personnes qui ont commis des meurtres au premier degré. Nous sommes parmi les premiers dans cette catégorie. En comparaison avec des pays dont nous admirons les politiques, la jurisprudence et les efforts législatifs — nations auxquelles nous nous comparons — nous imposons des peines beaucoup plus longues. Voilà ce qui me préoccupe.

[Français]

Le sénateur Carignan : Il ne faut pas oublier qu'il y en a qui les tue. Donc, cela réduit le taux. Je vous remercie.

Le sénateur Joyal : Bienvenue, messieurs. J'ai lu le mémoire que le Barreau du Québec a préparé et je peux vous dire que je me sens parfaitement représenté par le Barreau du Québec et je suis fier d'y appartenir.

Je voudrais revenir à un élément que vous soulevez dans votre mémoire qui est celui de l'impact du changement proposé, à savoir les termes « probabilité marquée » versus « probabilité réelle » tels qu'on les retrouve dans la loi.

[Traduction]

La version anglaise est « substantial likelihood » et « reasonable prospect ».

[Français]

Monsieur de Luca, vous l'avez mentionné en passant, quel est le niveau additionnel de conviction qu'un juge peut devoir obtenir lorsqu'il a à évaluer des éléments pour lesquels il doit conclure qu'il y a une probabilité marquée par rapport à une probabilité réelle?

Parce que non seulement le juge aurait à évaluer la différence de niveau, mais s'il y avait une demande logée en appel — parce que le Code criminel prévoit que la décision prise par le juge est appelable, l'article 745.62(1) —, cela signifie que vous auriez à plaider vous aussi, vous retrouvant en appel d'une décision du juge, sur cette définition de l'élément de preuve, la quantification de la preuve, la décision erronée du juge.

Alors, d'après vous, quel aspect particulier du terme « marquée » par rapport au terme « réelle » implique une élévation ou une gradation importante par rapport à la preuve actuelle?

Ma question s'adresse maintenant à vos confrères ainsi qu'à mes collègues du Barreau.

[Traduction]

M. Di Luca : La norme est beaucoup plus sévère. Pour déterminer s'il existe une possibilité réelle que la demande soit accueillie, un juge examinera les documents au dossier et dira : « Si un jury se penche sur cette affaire, je peux imaginer qu'il accepterait la demande et comment il formulerait ses conclusions. » Les juges respectent la compétence du jury à cet égard.

Dans le cas de la probabilité marquée, un juge doit pratiquement passer la preuve au peigne fin et dire qu'il est fort probable que le jury conclura que cette personne devrait voir sa période d'admissibilité à la libération conditionnelle réduite. Au lieu d'un processus de présélection qui ferait dire au juge : « Oui. Il ne s'agit pas ici d'un Clifford Olson ou d'un Paul Bernardo — débarrassez-nous-en, renvoyez-les; ils ne sont pas ici pour les bonnes raisons — mais cette personne a de bonnes chances de réussir. » Ils n'en sont plus là. Un juge doit maintenant empiéter sur le domaine du jury et mettre la main à la pâte pour tenter de déterminer dans quelle mesure la demande est solide, ce qui devrait normalement relever de la compétence du jury.

Vous avez absolument raison quand vous dites que l'on peut interjeter appel de la décision prise dans le cadre de cette présélection. Vous pouvez imaginer que, si les juges exercent leur pouvoir discrétionnaire pour conclure que la demande ne répond pas au critère de la probabilité marquée, les demandeurs interjetteront appel de cette décision. Cela causera des retards et des arriérés et rendra le processus encore plus difficile. L'affaire ne peut pas être soumise à un jury. On ne peut pas laisser un jury trancher la question. Nous avons organisé la chose de manière à ce que les juges puissent éliminer les personnes qui ne méritent pas de tirer profit du processus, celles qui le font pour la publicité ou pour blesser ou narguer les victimes et leur famille. Nous avons modifié le processus radicalement.

[Français]

M. Trudeau : J'ajouterais simplement que lors de l'introduction de la demande, le juge devait regarder si, finalement, la demande était présentée selon la forme du règlement prévu par la Cour supérieure et selon des critères déjà énoncés au Code criminel, à l'article 745.63, où l'on dit que le dossier doit comprendre le caractère du requérant, sa conduite durant l'exécution de la peine, la nature de l'infraction pour laquelle il a été condamné, tout autre renseignement fourni par la victime au moment de l'infliction de la peine lors de l'audience prévue au présent article ou tout autre renseignement que le juge estime utile dans les circonstances.

Donc, je ne suis pas juge, mais...

Le sénateur Joyal : Pas encore.

M. Trudeau : À l'époque où j'ai fait une révision judiciaire, c'était sous l'ancien régime, cela remonte à 1990 quand même, mais le juge devait regarder si la demande rencontrait l'ensemble des circonstances et des critères qui étaient prévus ou simplement voir, à sa face même, si le délinquant avait rencontré ou s'était déchargé de son fardeau minimal. C'est bien certain qu'un juge n'allait pas autoriser une demande dans la mesure où il y a six rapports qui nous disent que l'individu est manipulateur, que sa conversion est tout à fait récente, qu'il a avoué son crime depuis six mois parce qu'on est rendu à 14 ans et 6 mois.

La probabilité marquée versus la probabilité réelle, ce n'est pas de la sémantique, nous parlons français, on doit pouvoir trouver dans le dossier qu'il y a véritablement une possibilité que le jury puisse décider. Est-ce de la futurologie que le juge doit faire? Je ne pense pas, mais il doit atteindre un certain niveau de conviction et pour atteindre cela, il devra nécessairement prendre connaissance, à mon avis, de façon beaucoup plus étendue, de l'ensemble du dossier. En ces circonstances, nous considérons que ce n'est pas un fardeau qui est insurmontable, mais c'est un fardeau qui vient compliquer grandement, qui ralentit, qui fait encore un tamisage partant d'un individu que nous considérons sûrement être un des rares individus qui a réussi à se rendre là.

Je dois vous dire qu'au Québec, les services correctionnels aident les gens qu'ils ont vus dans le but de pouvoir discerner et d'aider les meilleurs d'entre eux à essayer de s'amender. Il y a beaucoup de support qui est donné aux détenus au Québec, à ceux qui semblent être les plus méritants, pour s'assurer que si justement on présente une demande, on ait une chance de succès réaliste de passer la première et la deuxième étape.

Je pense que la législation ici retire le droit pour les futurs condamnés et pour ceux qui restent; on leur complexifie la demande par toutes sortes d'éléments de forme plutôt que de se concentrer sur l'intégrité du processus et de faire confiance au jury.

[Traduction]

Le sénateur Joyal : Monsieur Di Luca, vous avez mentionné que le seuil de probabilité marquée n'existe qu'à quelques rares endroits dans le Code criminel. Pourriez-vous nous dire à quels endroits ce terme est utilisé afin que nous puissions évaluer les répercussions de son utilisation par rapport à ce qui existe déjà dans le Code?

M. Di Luca : La notion de probabilité marquée est utilisée dans les dispositions sur le cautionnement; si la Couronne peut démontrer qu'il y a une probabilité marquée qu'une personne commettra une autre infraction, on peut refuser la mise en liberté sous caution. Le critère général, qui est non pas dans le Code criminel mais dans la jurisprudence, est l'apparence de vraisemblance. Pour la grande majorité des défenses, le critère de sélection est rempli s'il existe une apparence de vraisemblance, ce qui est un critère moins sévère. On a intentionnellement choisi ce critère parce qu'il s'agit d'une séparation constitutionnelle et historique des fonctions du juge et de celles d'un jury, et nous ne sommes pas ici pour permettre à un juge d'empiéter sur le domaine d'un jury et de décider de choses qui relèvent de la compétence d'un jury.

En toute justice, il s'agit en quelque sorte d'un processus unique. Il ne s'agit pas d'un processus historique de longue durée; ce processus est nouveau et un peu différent. Il n'a pas plus de 30 ou 40 ans. Nous sommes déjà au-delà de l'apparence de vraisemblance en exigeant l'existence d'une possibilité réelle, et cette norme semble fonctionner. Le comité ou d'autres comités qui étudient ce projet de loi ont-ils entendu des éléments de preuve qui démontreraient que cette norme ne suffit pas à détecter et à éliminer les demandes qui ne sont pas valables en droit? Je n'ai entendu aucun témoin alléguer que des personnes comme Clifford Olson ou Paul Bernardo se manifestent une fois de temps en temps pour causer du tort aux gens juste pour le plaisir. Le processus semble être relativement bien structuré, et les personnes qui viennent me voir parce qu'elles souhaitent ce genre de révision ont tendance à être des gens qui y ont réfléchi et qui ont élaboré un plan. Il est assez rare qu'une personne le fasse seulement pour causer du tort, pour obtenir l'attention des médias ou pour prendre des vacances d'un pénitencier.

[Français]

Le sénateur Joyal : Ce qui me frappe dans le projet de loi tel qu'il est rédigé, c'est que le juge qui reçoit la requête a devant lui une série de faits et d'éléments de preuve qu'il doit évaluer avec un niveau très élevé sur la conclusion qu'il peut tirer. La conclusion est, je ne veux pas utiliser un mot français que les traducteurs auraient de la difficulté à traduire, presque irréfragable. En d'autres mots, on ne peut pas arriver à une autre conclusion que celle-là, c'est ce que cela veut dire en termes simples.

Lorsque le jury se trouve devant les mêmes éléments, il n'a pas à appliquer le même niveau d'exigences à l'égard des éléments qu'il a à évaluer. Il reste en somme avec ce qu'un jury doit faire comme la Cour suprême l'a déjà dit dans la cause que vous citez très bien : il reste à évaluer des éléments selon la prépondérance de preuve.

Donc, on se trouve à soumettre les mêmes éléments de fait à deux tests différents. Et c'est là où je trouve une certaine incohérence dans la proposition du projet de loi. Et je me demande, en pratique, lorsque la demande refusée se retrouvera en Cour d'appel, comment on va réconcilier en Cour d'appel la conclusion différente qu'on va pouvoir tirer d'évaluation de deux séries d'éléments qui sont les mêmes pour le juge sur la base de la requête et pour le jury sur la base de la libération accordée ou non.

M. Trudeau : J'abonde dans le même sens que vous. Nous disons qu'un tel fardeau dans l'analyse préalable du juge établit une barrière que le demandeur n'a pas à franchir lors de la présentation de sa demande devant jury. On dit exactement la même chose que vous. La décision du juge risque donc de faire obstacle à l'exercice par le jury de sa compétence. C'est dans ce sens qu'on considère qu'il y a une atteinte à la discrétion judiciaire pour la portion du jury, puisque nous, on refuserait l'accès à un jury qui lui aura à fonder son opinion aux deux tiers. On ne demande pas l'unanimité, mais on demande les deux tiers de la part des membres du jury pour qu'ils en arrivent à la conclusion de permettre : si on n'arrive pas à cela, ce n'est pas permis et le jury a la discrétion pour déterminer un délai avant de présenter une nouvelle demande.

Je ne sais pas comment la Cour d'appel arriverait à concilier ces deux fardeaux pour une même demande parce que c'est toujours la même requête qui est présentée. Cela me semble un peu paradoxal. Je dois vous dire que je m'interroge si de tels doubles fardeaux existent ou se retrouvent ailleurs en droit pénal canadien.

À première vue, je n'en vois pas. Cela mériterait d'être davantage étudié.

La présidente : Malheureusement, on n'a pas le temps de l'étudier plus profondément ici.

Le sénateur Carignan : Juste un point de précision. Il n'y a pas double fardeau, dans le sens que le juge doit décider s'il y a une possibilité marquée qu'il obtienne, devant le jury, une libération. Mais le juge est conscient que le jury décide selon un autre fardeau. Donc, le juge en tient compte dans sa décision s'il y a une probabilité marquée.

M. Trudeau : Il y a un double fardeau à deux étapes différentes.

Le sénateur Carignan : Mais le juge en tient compte.

La présidente : Très chers messieurs, je pense que vous avez tous les deux exprimé votre point de vue. On continue.

[Traduction]

Le sénateur Wallace : Merci, messieurs, pour vos exposés. Le projet de loi S-6 comprend évidemment de nombreuses composantes. Sincèrement, aucun de vous ne semble en appuyer quelque élément que ce soit. Tout au contraire, vous appuyez évidemment l'existence de la clause de la dernière chance.

Ce que nous avons entendu de la part d'autres témoins, qui appuient l'abrogation de la clause de la dernière chance, c'est que cette mesure permettrait d'établir un meilleur équilibre entre les droits des victimes et ceux des familles, d'une part, — ou des familles des victimes, dans le cas de meurtres au premier degré, et les droits des personnes condamnées, d'autre part. J'aimerais vous faire part d'un commentaire que nous avons entendu au sujet des déclarations de culpabilité de meurtre au premier degré. Après la période de 15 ans, quand la clause de dernière chance donne au délinquant la possibilité de demander la libération conditionnelle pour la première fois, si cette demande est refusée, il peut présenter une nouvelle demande tous les deux ans. Selon ce que nous avons entendu, cela cause beaucoup d'angoisse aux familles des victimes.

Il est vrai, comme M. Di Luca et d'autres l'ont souligné, que le processus permet le recours à un jury; la preuve est entendue, et le pouvoir discrétionnaire est exercé. Toutefois, le fait que ce processus d'appel peut être répété tous les deux ans et que les victimes doivent vivre ces émotions encore et encore est, selon moi, un facteur déterminant qui, selon moi, explique, en grande partie, pourquoi nous étudions aujourd'hui le projet de loi S-6.

Monsieur Downes, que pensez-vous de cela? Ne s'agit-il pas d'une préoccupation légitime de la part des familles des victimes, et, en tant que législateurs, ne devrions-nous pas la prendre au sérieux?

M. Downes : Bien entendu. On doit toujours se préoccuper de ce que vivent les victimes. Personne ne les niera. La seule chose que je dirais, c'est que, au moment de la sélection, le juge ou le jury a toute l'information à sa disposition et peut fixer un délai plus long pour la présentation d'une nouvelle demande.

Encore une fois, je crois qu'il s'agit d'un bon équilibre entre le processus individualisé et la règle de portée générale, qui servirait les fins des familles des victimes que vous avez indiquées, mais qui ne servirait probablement aucune des fins de la personne condamnée. C'est ma réponse, brièvement. Je sais que nous manquons de temps.

Le sénateur Wallace : Cela ne garantit pas que l'affaire ne refera pas surface tous les deux ans.

M. Downes : Non, c'est vrai, mais ce sont les gens qui ont entendu tous les éléments de preuve qui en décideront. Je crois qu'il s'agit d'un juste équilibre.

Le sénateur Wallace : Le projet de loi S-6 supprimerait le droit à la libération conditionnelle après 15 ans; une peine d'emprisonnement à vie correspondrait à 25 ans. Je crois savoir que, compte tenu des principes de détermination de la peine énoncés dans la loi, avec lesquels vous êtes tous bien familiarisés, je le sais, cela se justifie par le fait que le but fondamental est de contribuer au respect de la loi et que l'un des objectifs est de réprimer de manière appropriée les agissements illégaux.

Si, à titre de législateurs, nous concluons qu'un emprisonnement de 15 ans pour meurtre au premier degré — qui, à mon avis, est le pire des crimes — n'est pas une dénonciation appropriée dans notre société et qu'il faudrait plutôt imposer une peine de 25 ans, ne devons-nous pas en tenir compte?

M. Downes : Si, après avoir étudié la question, vous arriviez à la conclusion que, dans tous les cas, toutes les personnes reconnues coupables de meurtre au premier degré sont semblables et qu'aucune ne mérite une peine inférieure à 25 ans avant d'avoir la possibilité d'obtenir une libération conditionnelle, je serais en désaccord avec cette décision. Je ne crois pas qu'elle reflète la réalité. Je ne crois pas qu'elle contribue à la sécurité publique. Je ne crois pas que cela permette la réinsertion dans la société de certaines personnes où une telle chose serait convenable. Je crois que c'est un outil qui a perdu de sa pertinence et une approche qui ne reflète pas la réalité créée dans le sillage de cette loi.

Comme je l'ai dit, nous pouvons tous demander une peine de 50 ans, ou de 40 ans, ou d'une autre durée — un chiffre reste un chiffre.

Le sénateur Wallace : Ce n'est pas une formule; c'est un jugement qui s'appuie sur l'ensemble des facteurs.

M. Downes : C'est bien vrai.

Le sénateur Angus : Je voudrais clarifier quelque chose. Je crois qu'on a donné des éclaircissements en répondant à la question du sénateur Carignan, mais je veux en être sûr.

On n'a pas cessé de dire, pendant les séances qui portaient sur ce projet de loi, que le Canada impose les plus longues peines. Avec qui nous comparez-vous? Il me semble que bien d'autres pays infligent la peine capitale pour ce genre de crimes. Est-ce que cette comparaison ne biaise pas complètement les chiffres? Commençons par les États-Unis.

M. Di Luca : Même en tenant compte des États où la peine capitale a cours, nous nous situons quand même relativement haut sur cette liste. Je crois que la moyenne, ici, est de 28 ans et des poussières pour les meurtres au premier degré. Vous nous comparez à la Nouvelle-Zélande, au Royaume-Uni ou à l'Australie...

Le sénateur Angus : Ces pays n'infligent pas la peine capitale?

M. Di Luca : Pas tous, en effet. Vous verrez, nous nous situons très haut sur cette liste. Je crois que, lorsque ces dispositions ont été adoptées, on reconnaissait qu'une peine d'emprisonnement à vie équivalant à 25 ans était une peine d'une durée bien supérieure aux peines habituellement purgées pour meurtre dans le Commonwealth. En échange, on a décidé d'abolir la peine capitale pour infliger des peines d'emprisonnement à vie de 25 ans, mais nous avions une soupape de sûreté qui nous permettait d'éviter de mettre tout le monde dans le même panier et de laisser croupir tout le monde. L'existence même de cette disposition montre bien que ce chiffre, l'emprisonnement à perpétuité pour 25 ans, a une assez grande importance sur cette échelle. C'est cela qui nous préoccupe.

Le sénateur Angus : Est-ce que le Canada est le seul pays doté d'une disposition de la dernière chance, parmi tous ces pays?

M. Di Luca : À ma connaissance, je crois que oui. Je n'ai pas d'information de première main sur les autres pays qui utilisent un système semblable.

Le sénateur Angus : La disposition a été adoptée comme mesure de compensation; c'est bien ce que vous dites?

M. Di Luca : C'est le bon vieux compromis à la canadienne.

Le sénateur Angus : Y a-t-il une doctrine relative à cet aspect? Peut-on facilement confirmer cela?

M. Di Luca : J'aurais à faire quelques recherches à ce sujet. C'est ce que je crois comprendre, mais je peux me tromper.

[Français]

Le sénateur Angus : Je suis aussi membre du Barreau du Québec et je ne suis pas d'accord avec vous.

M. Trudeau : Dans notre texte, nous référons aux Débats de la Chambre des communes du 6 mai 1976, où le Parlement exprimait à cette époque qu'il s'agissait d'un compromis pour le 25 ans.

Le sénateur Angus : À quelle date?

M. Trudeau : Le 6 mai 1976.

Le sénateur Joyal : Vous pouvez vérifier, j'ai voté.

Le sénateur Angus : Vous ne changez pas.

M. Trudeau : Dans le projet de loi sous examen, même si on abolit cette « clause de la dernière chance », quelle différence existera-t-il dans le Code criminel entre un meurtre au premier et au deuxième degré dans la sentence? Il y aura lieu de revisiter d'autres dispositions très certainement.

Si le législateur a souhaité établir une qualification différente des meurtres, il reconnaissait également qu'il pouvait y avoir une sentence qui soit différente eu égard, encore là, au degré de gravité ou à la qualification du meurtre qui était commis.

[Traduction]

Le sénateur Angus : M. Downes a dit clairement que vous reconnaissiez qu'il faut tenir compte des victimes, des droits des familles. Il me semble, monsieur Di Luca, que vous reconnaissez également pourquoi le public s'indigne et pourquoi il règne une impression que notre système ne fonctionne pas, qu'il est trop clément avec ces personnes et qu'il y a un grand besoin de lancer une campagne d'éducation afin que les gens comprennent pourquoi il fonctionne de cette manière. Est-ce que j'ai bien compris?

M. Downes : Sénateur, je représente également les victimes.

Le sénateur Angus : Je sais que vous faites cela.

M. Downes : Plusieurs de mes clients sont des victimes qui viennent me demander des conseils. Quand ils se présentent devant moi, ils sont complètement désorientés par ce qui se passe, et la meilleure chose à faire, c'est de les aider à comprendre ce qui se passe. Ces gens disent souvent : « Maintenant je comprends. Personne ne m'avait expliqué cela avant. »

Le sénateur Lang : J'aimerais revenir sur le concept de l'adéquation de la peine et du crime. Malheureusement, il y a, à l'échelle du Canada, je crois, un manque de confiance à l'égard du système judiciaire. Je crois que la plupart des gens ne se rendent pas compte du fait que, lorsqu'une personne est condamnée pour l'un des pires crimes dans une société et que le juge lui inflige une peine de 25 ans, les choses ne se dérouleront probablement pas de cette façon. Le public pensait que cette personne serait incarcérée pendant 25 ans, puis, 15 ans plus tard, il apprend que ce n'était pas nécessairement le cas.

M. Di Luca : Selon les statistiques, c'est 28 ans. Si nous parlons de l'adéquation de la peine et du crime, le public obtient davantage que ce qu'il demandait, trois ans et un mois en prime. La durée moyenne d'un emprisonnement pour meurtre au premier degré, au Canada, est de 28 ans; donc, une personne qui se voit condamnée par le tribunal à une peine de 25 ans en purgera 28.

Peu importe, le public est mal informé. Il ne s'agit pas d'une peine de 25 ans, il s'agit d'un emprisonnement à perpétuité. Si les gens qui sont condamnés à perpétuité n'arrivent pas à convaincre la Commission des libérations conditionnelles après 25 ans, ils resteront en prison jusqu'à leur mort. C'est à eux de prouver aux membres compétents de la Commission nationale des libérations conditionnelles, qui savent ce qu'ils font et qui possèdent une expertise dans ce domaine, qu'ils peuvent être libérés en toute sécurité. Le système ne sera jamais parfait, j'en conviens, mais il y a, de façon générale, adéquation entre la peine et le crime. Des mesures appropriées d'éducation et d'information permettraient de dissiper ces idées fausses.

La présidente : Merci beaucoup, sénateur Lang. Merci à vous tous. Tout ce qui se dit de part et d'autre est vraiment stimulant. Nous vous sommes vraiment reconnaissants.

Nous avons maintenant le privilège de recevoir, ce soir, dans notre second groupe de témoins, Mme Paula Osmok, directrice générale de la Société John Howard de l'Ontario; Mme Barbara Bird, conseil principale de la Société John Howard de Peterborough; Mme Kim Pate, directrice générale de l'Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry, qui est une habituée de notre comité; et M. Patrice Altimas, directeur général de l'Association des services de réhabilitation du Québec.

Paula Osmok, directrice générale, Société John Howard de l'Ontario : La Société John Howard compte 65 bureaux, situés partout au pays, et aide à augmenter la sécurité des collectivités canadiennes en collaborant avec les gens qui ont eu des démêlés avec le système de justice criminelle dans le but de réduire la récidive. Notre mission consiste à intervenir de façon efficace, juste et humaine devant le phénomène de la criminalité et ses causes, et notre travail est fondé sur la recherche relative aux mécanismes permettant de prévenir la criminalité et la récidive.

Notre organisme a accumulé des dizaines d'années d'expérience de collaboration avec le système carcéral canadien ainsi qu'avec les collectivités touchées par la criminalité, et c'est pourquoi nous sommes dans une position unique et idéale pour ce qui est d'envisager la réussite et les défis éventuels liés au projet de loi S-6, qui vise à modifier le Code criminel et la Loi sur le transfèrement international des délinquants. À notre avis, l'annulation de la disposition de la dernière chance, proposée dans le projet de loi S-6, est contraire aux éléments probants réunis et même aux intérêts du public. Nous croyons que ce projet de loi est à la fois inutile et contre-productif par rapport à l'objectif de rendre les collectivités du Canada plus sûres.

La disposition de la dernière chance, en pratique, ne donne la possibilité de présenter une demande anticipée de libération conditionnelle qu'à une poignée de personnes qui ont déjà été évaluées comme présentant un faible risque, qui se sont réadaptées et qui ont déjà purgé au moins 15 années d'emprisonnement; l'élimination de cette disposition est inutile et coûteuse et n'améliorera aucunement la sécurité des collectivités.

Pour commencer, un nombre extrêmement limité de personnes, comme vous l'avez déjà entendu dire, recourent à la disposition de la dernière chance, l'article 745.6. Selon Statistique Canada, sur les 991 prisonniers qui y ont été admissibles depuis 1987, seulement 130 ont obtenu une libération conditionnelle anticipée. Moins de un prisonnier admissible sur cinq prend la peine d'entamer ces procédures. Rien ne justifie la crainte que l'on recoure trop souvent ou de façon inappropriée à l'article 745.6.

Les données montrent que, sur les 173 cas où des jurys ont dû déterminer s'il convenait d'accorder une libération conditionnelle anticipée à un délinquant, ils ne l'ont accordée que dans 143 cas, soit dans 82,7 p. 100 des cas. Ce nombre peut sembler élevé, mais il est important de souligner que les délinquants qui demandent une révision judiciaire sont habituellement, par rapport à la grande population des délinquants admissibles, ceux qui présentent les risques les plus faibles et ceux dont le comportement est le meilleur. Autrement dit, seuls les délinquants qui ont le plus de chances de voir leur demande acceptée vont en présenter une. Les meurtriers notoires qui présentent cette demande font évidemment figure d'exception, et leur demande est traitée de façon conséquente.

En second lieu, rien, dans les données, n'indique que l'on abuse de la disposition de la dernière chance ou qu'elle a permis la libération d'un grand nombre de délinquants condamnés pour meurtre. Depuis 1987, 130 délinquants seulement ont obtenu une libération conditionnelle en recourant à l'article 745.6, ce qui correspond à une moyenne annuelle d'environ six délinquants qui ont déjà purgé au moins 15 ans de leur peine.

En troisième lieu — et c'est un aspect qui est au cœur des préoccupations du public et du gouvernement —, on voudrait savoir si les délinquants à qui on a accordé une libération conditionnelle commettent d'autres infractions violentes ou d'autres homicides une fois revenus dans la collectivité. Cette inquiétude est tout à fait compréhensible, mais, encore une fois, les données montrent qu'elle n'est pas fondée. Elles montrent que la procédure d'application de l'article 745.6 est efficace. Un très petit nombre des délinquants en libération conditionnelle ont vu leur libération révoquée parce qu'ils ont commis une nouvelle infraction. En 2001, le ministère de la Justice du Canada a publié un feuillet de renseignements à propos des quatre libérés conditionnels dont la libération avait été révoquée parce qu'ils avaient commis une nouvelle infraction; dans trois de ces quatre cas, il s'agissait d'une infraction liée à la drogue, et dans l'autre cas, d'un vol à main armée. Je conviens du fait que toute récidive est évidemment à éviter, mais ces nombres n'ébranlent pas notre confiance à l'égard du processus de révision judiciaire ni ne justifient les changements radicaux proposés dans le projet de loi S-6.

L'un des principaux arguments avancés au moment du dépôt de ce projet de loi était la perception selon laquelle les Canadiens ordinaires voulaient que l'on modifie la disposition de la dernière chance. Nous prétendons au contraire qu'il n'existe aucune preuve claire de cela. Les recherches sur l'opinion publique menées par certains des criminologues les plus en vue du Canada, Anthony Doob et Julian Roberts — je suis convaincue que vous connaissez leur nom —, ont montré que, lorsqu'on leur donne des renseignements aussi détaillés que ceux auxquels les juges ont accès pendant les audiences ou les procès, les citoyens ordinaires soutiennent dans la très grande majorité des cas la décision des juges et, parfois, sont même en faveur de décisions moins sévères.

En outre, il importante de ne pas perdre de vue le fait que la décision d'accorder une libération conditionnelle anticipée en vertu de l'article 745.6 est prise par des jurés, c'est-à-dire des Canadiens ordinaires faisant partie du grand public. Ce serait là une des preuves les plus importantes du fait que ce processus est compatible avec les vues des Canadiens ordinaires.

Nous sommes d'avis que les changements proposés dans le projet de loi S-6 sont inutiles et contredisent directement les intérêts prouvés du public canadien.

Je vais maintenant laisser la parole à ma collègue, Barbara Bird, conseillère principale auprès de la Société John Howard de Peterborough; elle a passé toute sa carrière à travailler directement auprès de délinquants sous responsabilité fédérale.

Barbara Bird, conseillère principale, Société John Howard de Peterborough : Je suis travailleuse de première ligne, conseillère principale et traumatologue accréditée; je travaille pour la Société John Howard de Peterborough depuis plus de 17 ans. Je suis venue ici aujourd'hui pour vous parler des avantages de ce processus que mon expérience m'a permis d'observer et pour vous expliquer pourquoi la Société John Howard et moi-même croyons que le projet de loi S- 6 sera contre-productif par rapport à l'objectif de faire du Canada un endroit plus sûr.

C'est un fait bien connu que les délinquants condamnés à une peine d'emprisonnement à perpétuité présentent en général un risque plus faible que les autres délinquants et que, à ce titre, ils sont moins susceptibles de récidiver une fois libérés. La documentation qui porte sur les résultats postlibératoires des délinquants condamnés à des peines de longue durée, dix ans ou plus, comme ceux qui purgent une peine d'emprisonnement pour meurtre au premier ou au second degré, indique que ces délinquants sont moins souvent condamnés de nouveau que les délinquants qui ont purgé une peine plus courte. Ceux qui sont condamnés à une peine d'emprisonnement à perpétuité ont en général eu une carrière criminelle plus limitée, et ils sont libérés à un âge plus avancé que ceux qui ont purgé des peines plus courtes.

Toutefois, l'augmentation de la durée de l'incarcération pourrait en fait augmenter la possibilité de récidive. De manière générale, les recherches portant sur les effets d'une longue incarcération permettent de croire que, comme l'indique Karin Stein, l'augmentation de la durée de la peine d'emprisonnement accroît le comportement criminel chez les délinquants. L'effet criminogénique de l'incarcération est encore plus prononcé dans le cas des délinquants qui présentent un faible risque et qui semblent être plus durement touchés par l'expérience carcérale.

C'est pourquoi il serait contre-productif et contre-intuitif d'éliminer la disposition de la dernière chance offerte aux délinquants qui ont prouvé qu'ils ne présentaient qu'un faible risque, puisque cela pourrait augmenter la probabilité qu'ils commettent une autre infraction une fois libérés dans la collectivité. Étant donné que les délinquants qui purgent une longue peine présentent en général un risque plus faible que les autres délinquants, il semble que ce serait contre-productif et contre-intuitif de les empêcher de recourir à l'article 745.6 lorsqu'ils ont manifesté, pendant leur emprisonnement, la volonté de se réinsérer dans la société. Laisser ces délinquants en prison pendant de longues périodes sans espoir d'obtenir une libération conditionnelle anticipée pourrait en fait augmenter leur risque de récidive au moment de la mise en liberté. Les changements proposés par ce projet de loi, qui pourraient augmenter le risque auquel feraient face les Canadiens ordinaires, semblent encore une fois une curieuse façon pour le gouvernement de réaliser son objectif de mieux protéger les collectivités canadiennes.

Le projet de loi S-6 est également contre-productif dans la mesure où, même s'il n'améliore pas la sécurité de nos collectivités, il sera extrêmement coûteux. Les Canadiens ordinaires pourraient remettre en question la décision de leur gouvernement de dépenser des millions de dollars de plus pour éliminer la disposition de la dernière chance alors que cela n'améliore aucunement la sécurité ou le bien-être des autres.

Il coûte environ 101 000 $ par année pour garder en prison un délinquant sous responsabilité fédérale, alors qu'il en coûte moins de 25 000 $ par année pour surveiller un délinquant en libération conditionnelle ou un délinquant qui purge sa peine dans la collectivité. C'est une différence impressionnante au chapitre des coûts; en plus d'être inutile — car un prisonnier peut être libéré sans poser un risque appréciable pour la sécurité publique —, cette dépense fait également en sorte que cet argent ne pourra être affecté à d'autres options moins coûteuses et plus efficaces que nous offre la politique en matière de justice pénale.

La Société John Howard estime que le projet de loi S-6 modifierait de façon regrettable le Code criminel. L'élimination de la disposition de la dernière chance est à la fois inutile et improductive, et c'est pourquoi nous encourageons les membres du comité à rejeter le projet de loi. Merci de nous avoir donné l'occasion de vous parler ici aujourd'hui.

Kim Pate, directrice générale, Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry : Merci beaucoup de nous avoir invités à nous présenter ici. Je dois vous transmettre les excuses de la présidente du conseil d'administration, Mme Lucie Joncas, qui aurait voulu pouvoir être ici avec moi.

Comme vous le savez, notre organisme travaille non seulement avec des femmes incarcérées, mais également avec des femmes marginalisées, autochtones, pauvres ou victimisées. Certaines des Sociétés Elizabeth Fry dirigent des refuges pour les femmes battues et sans abri en leur offrant les seuls services à la victime et services sociaux qu'elles peuvent trouver dans leur collectivité. Nous travaillons également avec des femmes criminalisées ou en établissement, des femmes qui se trouvent dans des prisons ou des établissements de santé mentale, des femmes sous garde, des femmes détenues dans des centres de détention de l'immigration, et cetera. C'est sous cette perspective que nous avons examiné le projet de loi.

Vous savez peut-être également que j'ai eu la responsabilité, la possibilité et, dans certains cas, le privilège de collaborer à tous les processus de révision judiciaire visant une femme. Les 11 femmes qui, jusqu'ici, y ont été admissibles sont des femmes que je connais, et j'ai eu l'occasion de travailler avec elles aux côtés de leur avocat. Sachez qu'une seule femme a décidé de ne pas présenter de demande.

L'une des raisons pour lesquelles nous travaillons avec ces femmes, et nous l'avons compris assez rapidement pendant notre étude des répercussions possibles de l'article 745, c'est que, si nous n'avions pas travaillé avec elles, elles n'auraient même pas présenté de demande. Elles n'avaient pas l'impression de mériter de le faire. Une bonne partie de celles qui ont présenté une demande, soit six sur dix, avaient tué un partenaire violent et vivaient encore avec les séquelles de cette violence. Leur point de vue était que, même si elles l'avaient fait pour se défendre, elles avaient été jugées et condamnées à une époque où nous n'avions pas encore vraiment commencé à nous occuper des femmes battues. À mon avis, nous ne nous occupons toujours pas très bien des femmes battues. Ces femmes ont assumé la responsabilité de leur acte et ont même, souvent, refusé que leurs enfants témoignent. Leurs enfants étaient souvent les seuls témoins de la violence dont elles étaient victimes, alors elles purgent une peine.

L'une de ces femmes, qui est récemment décédée, a refusé de demander une révision judiciaire parce qu'elle estimait qu'au départ, lors de son procès, elle avait causé énormément d'embarras et avait placé sa famille, et en particulier ses enfants, dans une situation difficile; c'est pourquoi elle ne voulait pas que quiconque témoigne. Elle n'avait pour ainsi dire aucune preuve à présenter pour sa défense. Et, même si elle avait été condamnée, lorsqu'elle est devenue admissible à une révision judiciaire, elle a reçu en faveur de sa demande beaucoup d'appuis, du Service correctionnel du Canada — le SCC —, de membres de la collectivité et de membres de la famille de son conjoint décédé. Elle a encore une fois refusé parce que, cette fois-ci, ses petits-enfants auraient été affectés. Elle s'est éteinte récemment en prison, de causes naturelles liées à la vieillesse. Voilà le contexte. Ces femmes, n'eût été des circonstances, de l'état actuel du droit et du fait que l'on envisage la légitime défense selon une conception toute masculine, auraient très bien pu ne même pas être inculpées. Nous avons récemment réussi à intervenir, dans certaines affaires, et à empêcher que des femmes se retrouvant dans une telle situation soient inculpées.

Qu'est-ce que tout cela a à voir avec le projet de loi dont il est question ici? Cela concerne le fait d'ôter à ces femmes la possibilité de demander une révision judiciaire.

Parmi les femmes qui ont présenté une demande, deux n'avaient pas tué un conjoint violent et deux n'avaient pas été jugées admissibles à une libération conditionnelle anticipée ni à une réduction de la période d'inadmissibilité. Elles sont toutes encore en train de purger une peine d'emprisonnement à perpétuité.

Vous avez ici l'occasion non seulement de rejeter le projet de loi S-6, mais aussi de fournir des renseignements exacts aux membres du public et aux victimes. On dit aux victimes que la demande de révision judiciaire revient à obtenir une carte « Vous êtes libéré de prison »; cela n'est pas vrai. Si un détenu ne peut pas sortir de prison, n'est pas admissible à la mise en liberté ou n'obtient même pas l'autorisation du juge en chef de recourir à cette procédure et qu'il n'a aucun espoir de pouvoir présenter une demande et de la voir acceptée, les nouveaux paramètres que l'on propose, les paramètres modifiés, supprimeront le pouvoir discrétionnaire de la collectivité qui, justement, veut un résultat différent, comme le diraient les gens qui soutiennent le projet de loi S-6. Si votre démarche réussit et que le juge en chef détermine que vous pouvez présenter une demande de révision judiciaire, vous devrez vous présenter devant un jury formé de membres de la collectivité où vous avez été inculpé. Vous vous présentez donc devant des membres de la collectivité où l'infraction a été commise. Mais ces mêmes personnes n'auront plus le pouvoir discrétionnaire de déterminer si vous méritez d'avoir la possibilité de demander à être libéré.

Une seule femme au pays a réussi à présenter une demande de révision judiciaire et à sortir de prison dans un délai de 18 mois. Pour toutes les autres personnes que j'ai connues, il a fallu de deux à six ans pour présenter une demande à la Commission nationale des libérations conditionnelles. Avant de le faire, elles ont dû mener à terme leur plan correctionnel, même si les programmes n'étaient pas toujours accessibles avant la date de la révision, puisque, comme elles devaient purger une peine d'emprisonnement à perpétuité, on s'attendait à ce qu'elles restent en prison pendant dix ans. Elles n'étaient pas inscrites les premières sur la liste d'accès aux programmes, elles étaient plutôt en fin de liste.

Comme on l'a déjà mentionné, elles doivent terminer les programmes exigés si elles veulent obtenir du SCC une recommandation positive qui leur permet de soumettre leur demande à l'examen de la Commission nationale des libérations conditionnelles. Parmi les personnes qui ont franchi cette étape et qui ont obtenu une semi-liberté pour s'installer dans une maison de transition, la plupart ont dû y rester au moins deux ou trois ans, même si la période d'inadmissibilité à la libération conditionnelle totale était terminée et qu'elles étaient immédiatement admissibles à une libération conditionnelle totale. L'une de ces femmes a obtenu immédiatement une libération conditionnelle totale et continue à bien se comporter. Elle travaille dans la région, contribue à la vie communautaire et paie ses impôts, mais elle est toujours une femme qui purge une peine d'emprisonnement à perpétuité. Elle doit demander la permission chaque fois qu'elle s'éloigne de plus de 50 kilomètres du périmètre qu'elle doit respecter, et elle doit documenter tout ce qu'elle fait et tous les endroits où elle se rend.

De nombreux arguments juridiques ont été présentés à votre comité. Je n'ai pas besoin de les répéter. Concrètement, il est important, en tant que sénateurs ayant une responsabilité fiduciaire envers les Canadiens, que vous puissiez vous assurer que la Charte soit respectée, que le droit à l'application régulière de la loi soit maintenu et que nous puissions mettre en œuvre un processus équitable de façon que tous sachent ce qui se passe réellement dans le cadre de ces révisions. Je suis heureuse que Mme Bird ait abordé le sujet.

Vous aimeriez peut-être savoir combien de personnes redonnent à la collectivité une fois qu'elles sont sorties de prison. Aucune des femmes avec lesquelles nous travaillons n'a été condamnée une autre fois. Un certain nombre sont retournées dans les prisons pour aider d'autres femmes. Elles participent à des efforts de réinsertion avec des jeunes de la collectivité et essaient d'apporter une contribution utile. Un certain nombre d'entre elles ont repris contact avec des personnes que l'on pourrait appeler des victimes. Je dis « que l'on pourrait appeler des victimes », parce que les vraies victimes sont mortes. Il est important que vous réfléchissiez aux conséquences à long terme de la modification de cette mesure et de la suppression de la possibilité pour certaines personnes de gagner leur libération. Comme on l'a déjà dit, selon notre expérience, une personne qui n'a aucun espoir d'avancer, en fait, n'avancera pas. La réinsertion dans la collectivité se fait en fonction de critères rigoureux et suppose de nombreuses étapes dont sont responsables le juge en chef, le jury, le Service correctionnel du Canada, la Commission nationale des libérations correctionnelles et, dans la collectivité, les maisons de transition.

[Français]

Patrick Altimas, directeur général, Association des services de réhabilitation sociale du Québec : Merci, madame la présidente. Je suis content d'avoir gardé mes commentaires très brefs, parce que si j'étais allé dans le détail, je n'aurais pu que répéter ce que mes collègues viennent de dire.

Je serai donc bref. Au nom de l'ASRSQ et de ses membres, je remercie le comité de l'invitation faite pour partager avec vous nos réflexions en rapport avec le projet de loi S-6.

Notre association créée en 1962, regroupe 58 organismes communautaires qui ne fantasment pas sur la réhabilitation et qui, depuis près de 50 ans, vivent dans le quotidien avec les délinquants, et la réhabilitation.

Comme je viens de le dire, l'ASRSQ est composée de 58 membres, ce qui veut dire qu'il y a au-delà de 800 employés qui travaillent à travers la province, au-delà de 500 bénévoles qui travaillent auprès d'environ 35 000 contrevenants chaque année, dont certains — plusieurs — ont obtenu une sentence à perpétuité.

Si le comité me demandait de déposer un bref commentaire concernant le projet de loi S-6 qui vise à éliminer la clause de la dernière chance, ce serait : « Pourquoi? », et je pourrais m'arrêter là. Mais je vais continuer.

En effet, lorsqu'on constate l'expérience vécue depuis l'inclusion de cette clause en 1976 par rapport aux objectifs visés, on peut parler de succès. Alors quand quelque chose fonctionne, normalement on ne le change pas. Comme on dit communément en anglais : If it's not broken, don't fix it.

Les statistiques déposées déjà devant ce comité, et je ne les répéterai pas, laissent voir qu'il n'y a pas eu d'abus du système, si l'on considère que seules 180 demandes de révision devant un juge et un jury ont été entendues, sur une possibilité de 1 062, soit 17 p. 100. De ce nombre, 33 demandes ont été rejetées, soit à peine 3 p. 100 des cas admissibles.

Finalement, la très grande majorité des délinquants remis en liberté suite à une révision judiciaire continue de vivre en tant que citoyen respectueux des lois et aucun cas de récidive de meurtre n'est à déplorer. Alors pourquoi?

Un des éléments intéressants qu'on éliminera si on enlève la possibilité de révision judiciaire — et ma collègue en a parlé — c'est la possibilité donnée à des représentants de la communauté, soit le jury, de se prononcer sur la réhabilitation possible d'un membre de cette communauté. Donc on éliminerait cette possibilité.

Sur la question des victimes qui revient souvent dans l'argumentaire du gouvernement, il semble bien que celui-ci soit davantage motivé à entretenir le conflit entre la victime et le contrevenant que par un désir d'apaiser ce conflit afin de permettre une guérison. Que les victimes aient besoin de service et d'assistance durant tout le processus judiciaire, tout le monde en conviendra.

En quoi l'élimination de la clause de la dernière chance aidera les victimes? En quoi le maintien en incarcération prolongée contribuera à apaiser le conflit entre le contrevenant et les victimes, et à permettre la guérison?

L'expérience vécue par les organismes communautaires membres de l'ASRSQ reflète en tous points le succès dénoté de l'application de la clause de la dernière chance. Nous ne voyons donc aucun argument valable militant en faveur de son élimination. J'avais dit que je serais bref et je l'ai été. Merci.

La présidente : Merci beaucoup, merci à vous tous.

[Traduction]

Le sénateur Carstairs : Madame Pate, j'ai trouvé très intéressants les détails que vous nous avez donnés au sujet du nombre d'années qu'elles mettent à sortir. Je crois que c'est une erreur de croire qu'une personne qui a été condamnée à 15 ans sortira nécessairement après 15 ans. Si une personne est admissible à la libération conditionnelle après 25 ans, elle l'obtiendra nécessairement après 25 ans.

Vous avez dit, je crois, que, parmi les dix personnes dont vous vous êtes occupée, une seule a réussi à obtenir sa libération 18 mois après avoir reçu son approbation. Mais combien de temps lui a-t-il fallu pour obtenir cette approbation?

Mme Pate : Cette personne avait terminé tous les programmes qu'elle devait suivre. Elle avait commencé et a persévéré tout au long. À son arrivée, elle avait déjà fait des études postsecondaires. C'est important. Contrairement à l'une des autres femmes, qui avait un handicap intellectuel, ne comprenait rien, n'avait suivi aucun des programmes et avait attendu le plus longtemps, plus de quatre ans, cette femme instruite a insisté pour suivre les programmes, a eu recours aux mécanismes de règlement des griefs, a terminé tous ses programmes et a reçu une recommandation de tous les intervenants. Elle pouvait compter sur les services d'un avocat, et elle a présenté sa demande le jour du quinzième anniversaire de sa condamnation. L'audience a eu lieu quelque cinq ou six mois plus tard. Heureusement, c'était une période creuse. C'était à Winnipeg, et, du côté des tribunaux, c'était tranquille. Son audience a eu lieu pendant l'été. Elle a appris la décision moins d'un an plus tard, puis, après six mois, s'est présentée devant la Commission avec des lettres de recommandation de tous les intervenants, qui étaient en faveur de sa sortie. Je n'ai connaissance d'aucun autre cas où cela s'est déroulé plus rapidement. Je ne connais pas non plus d'hommes qui ont réussi à sortir aussi rapidement.

Par contre, la femme qui avait un handicap intellectuel n'avait pratiquement pas suivi de programmes, et, le jour de son 15e anniversaire de condamnation, aucun des papiers nécessaires n'avait été rempli. Ces papiers n'ont été prêts que quelques mois après le 17e anniversaire. Il a fallu encore une autre année avant qu'elle comparaisse devant un tribunal, et il s'est écoulé presque 19 ans avant qu'elle ne réussisse à retourner dans la collectivité. En raison de son handicap intellectuel et du fait qu'elle a besoin de soutien, elle retourne continuellement dans les maisons de transition. Elle a été la première en Alberta.

Le sénateur Carstairs : J'imagine que, parmi la population carcérale, le second cas est plus courant que le premier cas, celui de la femme qui a étudié au-delà du niveau secondaire. L'autre jour, j'ai demandé à un représentant du Service correctionnel du Canada comment les personnes qui auront toujours le droit de présenter une demande arriveront à faire tout cela en 90 jours. On m'a répondu que toute la documentation nécessaire se trouvait à la bibliothèque.

Madame Pate, avez-vous des statistiques sur le niveau d'alphabétisation de la plupart des détenus se trouvant dans nos établissements correctionnels?

Mme Pate : Le niveau d'alphabétisation diminue depuis 1992, depuis que les pénitenciers fédéraux ont supprimé les programmes d'éducation postsecondaire. À l'heure actuelle, on essaie de faire en sorte que tout le monde obtienne un diplôme d'équivalences secondaires, c'est-à-dire l'équivalent de la 12e année. Dans bien des établissements, la moyenne se situe entre la cinquième et la huitième années. Encore une fois, cela dépend de la population. La population carcérale compte un nombre croissant de gens qui ont des problèmes de santé mentale; peu importe leur niveau d'études, ils ne sont pas toujours capables de composer avec leur situation ou de progresser. Et s'ils sont placés dans des zones plus protégées, par exemple en isolement, ils n'ont peut-être même pas accès aux programmes de toute façon, même s'ils pouvaient ou voulaient les suivre.

Cette situation aura une incidence disproportionnée sur les femmes autochtones admissibles, et la seule femme autochtone qui a présenté une demande jusqu'ici a certainement dû relever tout un défi. De fait, elle se trouve toujours en maison de transition. Elle élève ses petits-enfants et s'efforce de le faire même si elle habite à deux endroits — parce que tout le monde est en faveur de sa libération —, mais son affaire a été très médiatisée, et c'est pourquoi il y a beaucoup de réticence. Pour elle, cela fera aussi bientôt 19 ans.

Le sénateur Carstairs : Selon cette disposition sur le délai de 90 jours, qui n'est ni négociable ni sujet à discussion — c'est 90 jours, point final —, une personne devra attendre encore cinq ans avant de présenter une autre demande. Est-ce que c'est réaliste? Vous travaillez tous les jours avec ces détenues. Peuvent-elles y arriver en 90 jours?

Mme Pate : Cela fait trois ans que nous sommes devant la Cour d'appel fédérale afin d'obtenir les dossiers d'Ashley Smith; nous attendons toujours. Je ne sais pas comment les prisonniers peuvent accéder à leurs propres dossiers. C'est une difficulté que nous avons, à l'heure actuelle. Et nous ne sommes pas les seules. À l'échelle du pays, nous comptons 17 représentants régionaux. Je m'occupe de chacun de ces dossiers. Heureusement, les femmes sont moins nombreuses.

Nous nous occupons de cela en partie parce que nous devons donner ce coup de pouce. Si vous n'avez pas accès à un téléphone et que vous ne pouvez pas appeler un avocat, comment saurez-vous qui peut s'occuper d'une révision judiciaire? Si vous n'avez pas accès à vos propres dossiers, comment allez-vous procéder? Les établissements pénitentiaires refusent de plus en plus de laisser les prisonniers conserver leurs propres dossiers, de crainte que surviennent des problèmes relatifs à la protection des renseignements personnels; c'est une préoccupation louable, mais il y a une solution : les détenus peuvent avoir un coffre de sûreté. Toutefois, en raison de la surpopulation, ils n'ont même pas de place pour conserver leurs dossiers dans un coffre de sûreté.

Cela me surprendrait beaucoup. Les femmes qui pourraient le faire en 90 jours, comme celle dont j'ai parlé, qui avait fait des études postsecondaires, feraient figure d'exception. La plupart n'en seraient pas capables. Même avec les meilleures intentions et avec le meilleur appui du personnel correctionnel, actuellement, nous constatons que les gens ne font pas l'objet d'une évaluation, alors que cela doit être fait dans les 90 jours suivant leur arrivée dans un établissement, et on n'a pas, dans ce contexte, à se pencher sur un dossier qui s'est constitué sur plus de 15 ans d'incarcération.

Certains des retards dont j'ai parlé sont dus au Service correctionnel du Canada, qui essaie de trouver un agent de libération conditionnelle qui se chargera de préparer le rapport que le SCC doit soumettre à l'examen du tribunal. Il faut parfois six mois ou plus pour préparer ce rapport.

[Français]

Le sénateur Carignan : Ma question s'adresse à Mme Pate. Je veux être sûr d'avoir bien compris votre témoignage; à savoir que 11 femmes étaient susceptibles d'avoir recours à la demande « de la dernière chance ». Une d'entre elles ne l'a pas fait parce qu'elle est décédée et les dix autres ne l'ont pas fait non plus pour ne pas faire témoigner leur enfant et ainsi les perturber. Est-ce que j'ai bien compris votre témoignage?

[Traduction]

Mme Pate : Non, je m'excuse si je n'ai pas été assez claire. Sur les dix femmes dont je parle, une est en train de présenter sa demande, et neuf ont terminé le processus : une autre femme n'a pas présenté de demande du tout.

Le sénateur Angus : Et elle est aujourd'hui décédée.

Mme Pate : Elle est décédée. Sur les dix femmes qui ont entamé le processus, il y a un dossier sur lequel aucune décision n'a encore été rendue, le processus n'étant pas terminé. Sur les neuf autres qui ont présenté une demande, sept ont vu leur demande accueillie, taux supérieur au taux d'ensemble, ce qui tient en partie au fait que, depuis le début, nous nous en sommes occupés et nous avons trouvé toutes les femmes qui purgent une peine d'emprisonnement à vie — 25 ans — afin de les aider pendant le processus, dès le début de leur peine.

[Français]

Le sénateur Carignan : Vous sembliez dire que certaines avaient refusé d'aller de l'avant avec la demande pour ne pas déranger leurs enfants qui auraient pu être témoins. C'est cette partie que je voulais être certain d'avoir bien comprise.

[Traduction]

Mme Pate : La femme qui ne voulait pas présenter de demande, même si elle avait un dossier très solide, avait l'appui du Service correctionnel pour cette raison. Je suis désolée de ne pas avoir été plus claire, mais j'essayais d'établir un lien avec les facteurs qui ont mené ces femmes en incarcération. Six de ces onze femmes avaient été impliquées dans la mort d'un conjoint violent. On pourrait faire valoir que ces femmes auraient pu utiliser l'argument de la légitime défense, mais ne l'ont pas fait, qu'elles auraient pu bénéficier du témoignage d'autres personnes d'autres personnes, mais ne l'ont pas fait, ou, à tout le moins, qu'elles auraient pu dire qu'on les avait provoquées, et il aurait été possible, pour certaines d'entre elles, de plaider coupable à une accusation d'homicide involontaire. Ce sont là quelques-unes des raisons pour lesquelles nous avons commencé à nous occuper de ces dossiers, car nous avons utilisé ces informations pour aider les femmes pendant leur procès.

[Français]

Le sénateur Carignan : C'est tout de même intéressant parce que le processus de décision auquel ces femmes ont refusé, c'est-à-dire ne pas forcer leurs enfants victimes à venir témoigner, c'est exactement le même fondement sur lequel le gouvernement se base pour retirer ce droit de recours à la « demande de la dernière chance ». C'est justement pour éviter aux victimes d'avoir continuellement à faire face à l'agresseur de leur famille ou de leur enfant et pour leur éviter d'avoir à témoigner de nouveau. Je trouvais donc intéressant que, dans votre témoignage, vous fassiez part de cas de femmes qui avaient elles-mêmes fait ce processus de décision et qui ne voulaient pas faire vivre cela à leurs victimes. Je voulais clarifier cette position.

[Traduction]

Mme Pate : Laissez-moi clarifier cela; c'est à mon avis un problème tout à fait différent que celui des femmes qui se sentent gênées de défendre leurs droits, lorsqu'elles ont elles-mêmes été victimes de violence, en raison des attitudes socétiales répandues qui les condamnent pour la violence dont elles ont été victimes. Je donne à l'école de droit un cours sur la défense des femmes battues devant les tribunaux, car nous savons que, bien souvent, ces femmes ne sont même pas soutenues par les membres de leur propre famille. On s'attend à ce qu'elles règlent leurs problèmes toutes seules, quels qu'ils soient, autrement dit, qu'elles lavent leur linge sale en famille.

La police ne se présente pas toujours immédiatement lorsqu'on l'appelle. Il y a eu plusieurs cas où des femmes autochtones ont appelé deux ou trois fois, et la police n'est venue que lorsqu'il y avait eu un décès. Les preuves à ce sujet ne manquent pas. Nous savons que, même si la police se présente, il est de plus en plus probable que les femmes soient elles-mêmes inculpées si elles se sont défendues par la force d'une façon quelconque, et nous savons que les femmes courent le plus grand risque lorsqu'elles tentent de mettre fin à une relation. Compte tenu de ce que nous savons au sujet de la violence sous toutes ses formes, nous ne devons pas être surpris de constater que les femmes ne veulent pas, pendant leur procès ni à aucun autre moment, mettre leurs enfants dans une situation encore plus dangereuse, car elles ont parfois intériorisé ces attitudes sexistes selon lesquelles les femmes qui entretiennent une relation marquée par la violence méritent ce qui leur arrive. C'est très différent de dire que les victimes ont voulu ce qui leur arrive.

[Français]

Le sénateur Carignan : Il y a quand même un point commun; elles ne veulent pas faire revivre cette situation extrêmement dramatique à leurs enfants.

[Traduction]

Mme Pate : C'est vrai. Cependant, j'avancerais que notre système présente un défaut important, puisque les femmes ne peuvent pas utiliser pleinement le droit de la défense et qu'elles ne sont protégées au départ ni par la police ni par notre système, ce qui, au fond, s'ajoute à leur châtiment.

[Français]

Le sénateur Carignan : Ma deuxième question s'adresse à M. Altimas. Concernant le taux de récidive, vous avez tout de même évoqué un certain succès parce que les personnes qui ont été libérées n'ont pas récidivé avec le meurtre. Comment faites-vous pour en conclure qu'il n'y a pas eu de meurtre? Parce qu'ils n'ont pas été arrêtés pour meurtre tout simplement? Parce que dans le fond, ils en ont peut-être commis, mais on ne le sait pas.

M. Altimas : C'est de la spéculation. Moi, je ne fais pas de spéculation lorsque j'observe les données empiriques. Ce genre d'arguments me fait penser que si on spéculait sur un paquet de choses, il y a un paquet de choses que l'on ne ferait probablement pas ou que l'on changerait. Je dois me baser sur des données factuelles qui démontrent que dans le cas de personnes qui ont obtenu une remise en liberté suite à un processus de révision judiciaire, il n'y a pas eu de récidive du type de meurtre. Je n'ai pas de raison de croire qu'il y en ait eu et je ne spéculerai pas à ce sujet.

Le sénateur Carignan : Les statistiques démontrent qu'il n'y a pas eu de nouvelles accusations de meurtre portées contre ces gens.

M. Altimas : C'est ce que j'observe.

La présidente : Je pense que Mme Osmok voulait également répondre.

[Traduction]

Mme Osmok : Il est important de ne pas perdre de vue le fait que les personnes dont nous parlons continuent à être surveillées lorsqu'elles se retrouvent dans la collectivité. Elles doivent toujours se présenter régulièrement devant un agent de libération conditionnelle et respecter les autres conditions qu'on peut leur imposer. Ces personnes ne sont certainement pas affranchies du système judiciaire.

[Français]

Le sénateur Carignan : Oui, mais on sait qu'ils peuvent commettre des crimes même en étant surveillés et nous sommes au fait de telles situations. D'ailleurs, il n'y a pas de meurtres qui ont été commis à nouveau, mais d'autres types de crimes ont été commis quand même. Le taux est moins élevé.

[Traduction]

Le sénateur Wallace : Merci beaucoup pour vos exposés. Madame Pate, je crois que ma question s'adresse à vous. Je sais que vous avez déjà comparu devant notre comité au sujet d'autres projets de loi, et je connais assez bien le travail que vous faites, et c'est un travail très important. Comme vous nous l'avez rappelé aujourd'hui, les Sociétés Elizabeth Fry ont pour objectif d'appuyer et d'aider les victimes. Parmi toutes les personnes ici présentes, vous êtes particulièrement sensibilisée au phénomène de la victimisation et à l'effet psychologique dévastateur qu'elle peut avoir sur certaines personnes, et vous savez qu'en tant que société, nous devons intervenir de façon appropriée auprès des victimes.

Je sais que vous êtes tout à fait au courant du fait que le projet de loi S-6 se justifierait entre autres par l'objectif d'intervenir d'une façon ou d'une autre, qu'on espère appropriée, auprès des victimes d'actes criminels. Il reflète une tentative de trouver un équilibre — si imparfait soit-il — entre le besoin de protéger la société, le besoin de respecter de façon appropriée les droits des personnes condamnées — ce qui englobe la réinsertion sociale — et, évidemment, le besoin de respecter les droits des victimes, et des familles de ces victimes, ce qui, dans le cas d'un meurtre au premier degré, concerne des victimes qui n'ont absolument rien à voir avec l'infraction et son effet dévastateur dans leur vie, lequel se fera sentir jusqu'à la fin de leurs jours. Vous travaillez avec des victimes, et vous savez quels ravages elles ont subis. De nombreuses organisations de défense des victimes et des droits des familles des victimes ont dit haut et fort qu'elles appuyaient le projet de loi S-6.

Estimez-vous que les deux processus actuellement mis en œuvre, en ce qui concerne la disposition de la dernière chance et la période minimale d'incarcération, qui serait de 15 ans pour un meurtre au premier degré, sont inadéquats en ce qu'ils ne reflètent pas une peine exemplaire pour avoir pris une vie? C'est ce que le gouvernement entend, et c'est à cela qu'il essaie de réagir de façon adéquate. N'est-ce pas là une préoccupation adéquate pour le gouvernement? N'est-il pas approprié que le projet de loi S-6 tienne compte des préoccupations des victimes? Je vous pose cette question, car je sais que vous comprenez la psychologie des victimes.

Mme Pate : Il est toujours important de se préoccuper des problèmes auxquels les victimes font face. Cependant, modifier la loi en fonction de l'opinion de certaines victimes n'est peut-être pas toujours une bonne chose à faire. Pour un meurtre au premier degré, une peine moyenne dure 28,4 ans. Cela fait figure d'exception dans le monde. Il existe à certains endroits, aux États-Unis et dans d'autres pays, des régimes que nous n'avons jamais prétendu vouloir suivre, et qui infligent la peine capitale. Nous avons augmenté la période d'inadmissibilité à la libération conditionnelle lorsque nous avons aboli la peine capitale, et nous avons adopté une disposition sur la dernière chance afin de pouvoir nous adapter aux circonstances, lorsqu'il le fallait. Les victimes ont l'occasion de faire état de leurs préoccupations.

Je ne sais pas si vous le savez, mais le père du père de ma fille a été tué. Nous composons avec les répercussions de cet événement à bien des égards. Lorsque le père de ma fille a témoigné, en 1996, au sujet des modifications proposées, certaines personnes jugeaient qu'il n'était pas une victime pertinente. Le meurtrier était un étranger, pas un membre de la famille. Il a choisi de se joindre à un autre groupe, Families Against Mandatory Minimums, qui ne compte pas de section au Canada, car, heureusement, les meurtres ne sont pas si nombreux que cela chez nous. Il s'est senti ridiculisé lorsqu'il s'est présenté.

L'un des défis consiste à donner voix au chapitre aux victimes qui ont une opinion différente. Cela ne se passe pas toujours comme ça. Il m'arrive de parler à des gens qui disent avoir vécu une expérience différente. S'ils veulent obtenir vengeance et considèrent qu'ils ont besoin de plus de temps, que c'est pour eux la meilleure façon de guérir, ils ont droit de le dire.

Les victimes que je connais, et cela comprend de nombreuses victimes qui appartiennent aux groupes dont vous parlez, vont prendre des positions très différentes selon leur cas particulier, et cela n'est pas surprenant. Si j'avais à composer avec le décès de mon enfant ou d'un autre membre de ma famille, j'aurais peut-être une opinion tout à fait différente, surtout immédiatement après le décès. Je pourrais avoir une opinion différente au sujet de la personne qui aurait commis ce meurtre.

Ce n'est pas la position que le père de ma fille a adoptée, mais c'est la position que certains adoptent. Je ne saurais prédire la position que j'adopterais. Cependant, j'oserais espérer que, à titre de parlementaires et de sénateurs, vous qui êtes chargés du second examen objectif, vous envisageriez la question et diriez que, sous le coup de l'émotion, une personne peut prendre une décision qui n'est pas nécessairement la plus souhaitable pour l'ensemble du pays. Si je venais vous raconter une histoire très personnelle, c'est peut-être que je cherche une oreille attentive, des services et du soutien. J'ose espérer, cependant, que je ne parlerais pas en faveur du type de réformes qui auraient une incidence sur l'ensemble d'une population sans tenir compte des circonstances individuelles, et c'est là toute la beauté et toute la difficulté de nos lois. Nous essayons de les personnaliser et de les adapter le plus possible. Toutefois, avec la durée minimale obligatoire d'une peine pour meurtre au premier et au second degrés, notre pouvoir discrétionnaire se trouve réduit. La disposition de la dernière chance donne une petite marge de manœuvre, après 15 ou 20 ans, ou même plus tard, et je crois qu'il est important que cette marge de manœuvre existe.

Le sénateur Wallace : Je comprends que l'une des principales préoccupations des familles des victimes et des organismes de défense des droits des victimes est le fait que l'on peut demander l'application de la disposition de la dernière chance tous les deux ans, après le délai de 15 ans. La perspective d'avoir à revivre cette angoisse n'est-elle pas une préoccupation légitime?

Mme Pate : Je connais un ou deux cas où c'est arrivé. Ce sont des exceptions horribles, et cela n'a pas été plus loin. En fait, je crois que les victimes n'ont même pas comparu, dans ces affaires, parce qu'elles n'étaient pas allées au-delà de la première étape.

Je peux imaginer à quel point il peut être incroyablement pénible pour les victimes de revenir sur ces événements chaque fois, mais je ne crois pas que ces démarches aient jamais porté fruit. Nous sommes nombreux à nous opposer à certaines des dispositions du système de justice pénale parce qu'il donne l'impression que l'on aura notre mot à dire et que l'on pourra participer à son fonctionnement, alors qu'en fait, il nous en empêche. En fait, les victimes qui se présentent ne le font qu'à titre de témoins, et non de personnes qui ont un mot à dire sur ce qui se passe. Il ne s'agit pas d'un système inquisitoire; ce n'est pas un système qui tient compte des victimes, sauf de façon marginale.

Je recommande humblement que l'on consacre plus de ressources pour aider les victimes rapidement, plutôt qu'après coup.

Le sénateur Wallace : J'apprécie vos commentaires.

Le sénateur Angus : Merci à vous tous. Ce que vous faites apporte une contribution essentielle au système de justice de notre pays.

Y a-t-il des avocats parmi vous?

Mme Pate : Je suis enseignante et avocate.

Le sénateur Angus : J'avais compris que vous étiez enseignante. Dans quelle faculté de droit enseignez-vous?

Mme Pate : À l'Université d'Ottawa.

Le sénateur Angus : C'est là que vous habitez.

Mme Pate : Oui.

Le sénateur Angus : J'aimerais parler de la récidive.

Madame Bird, si je vous ai bien comprise, vous avez mentionné que l'augmentation de la durée de l'incarcération pouvait en fait augmenter la probabilité de récidive, et vous avez dit qu'il y avait de la documentation à ce sujet. Pourriez-vous m'aider à comprendre ce phénomène? Lorsqu'on augmente la durée de la peine, les délinquants ne sortent pas de prison, alors, comment peuvent-ils récidiver?

Mme Bird : Quand vous enlevez tout espoir à une personne qui est incarcérée, elle n'aura pas la volonté de changer son comportement ni de s'améliorer. Si elle sait qu'elle restera en prison pendant 25 ans, l'espoir l'abandonne, et elle s'intégrera à la sous-culture des établissements et se mettra à mal se comporter. Lorsqu'elle sortira, évidemment, son comportement n'aura pas changé. Si elle n'a plus aucun espoir, elle n'essaiera pas de s'améliorer.

Le sénateur Angus : Si j'ai bien compris, quelqu'un qui n'a pas d'espoir ne sortira pas de prison. Voulez-vous dire que, plutôt que de récidiver une fois de retour dans la société, cette personne pourrait commettre des meurtres en prison?

Mme Bird : Oui, et elle pourrait aussi le faire lorsqu'elle sera de retour dans la collectivité.

Le sénateur Angus : Je ne suis pas vraiment d'accord.

Mme Osmok : Selon une recherche empirique effectuée par Paul Gendreau, les personnes qui purgent de longues peines d'emprisonnement présentent un taux de récidive accru. Nous allons soumettre à votre comité, afin qu'il le fasse traduire, un document où nous abordons certaines de ces études.

La présidente : Pourriez-vous, après la séance, donner à la greffière les références de l'étude que vous venez de mentionner et de l'étude de Karin Stein dont Mme Bird a parlé?

Le sénateur Joyal : Merci de votre contribution. Vous apportez une contribution réaliste à cette étude. En ce qui me concerne, j'ai trouvé très impressionnant d'entendre le témoignage de personnes qui travaillent quotidiennement sur ce terrain. Je vous en remercie.

J'aimerais vous poser une question difficile. Selon votre expérience de ces détenus, diriez-vous qu'ils se préoccupent de la situation de la victime et de ses proches et de la douleur qu'ils ont causée? Je ne parle pas de gens comme Paul Bernado ou Clifford Olson, qui ne réussiront jamais à obtenir une réduction de leur peine; je parle des gens qui font ce qu'ils peuvent et qui sont susceptibles de voir la lumière au bout du tunnel, sont-ils préoccupés par la situation des familles des victimes?

Je vais poser une autre question à Mme Pate, à Mme Bird et à M. Altimas.

[Français]

Le jury est-il informé de la façon dont la personne qui fait la demande, le requérant, se définit à l'égard des victimes, c'est-à-dire par rapport au dommage psychologique qu'il a causé aux gens qui éventuellement devront s'exprimer dans la poursuite?

Mme Pate : Vous permettez que je commence?

[Traduction]

Le sénateur Joyal : Vous avez parlé de plus de dix cas.

Mme Pate : Les victimes ont été un aspect fondamental dans tous les dossiers sur lesquels j'ai travaillé. Encore une fois, je dois m'excuser, car, de toute évidence, je n'ai pas été suffisamment claire lorsque j'ai expliqué cela. Dans certains cas, nous avons vraiment dû insister auprès de ces femmes et les pousser à présenter leur demande, et c'est en partie parce qu'elles n'avaient pas l'impression de mériter une libération. Elles considèrent à priori que, si elles ont pris la vie de quelqu'un, en tant que mère, en tant qu'épouse, ou à un autre titre, elles doivent en assumer la responsabilité.

L'une de ces femmes — dans son cas, il s'agissait non pas de violence par un membre de la famille, mais bien de violence contre les femmes — a tenté de s'amender de toutes sortes de manières. De fait, elle a même fait des démarches auprès des victimes, mais cela n'a pas été mentionné pendant le processus de révision judiciaire. Il était important pour elle que cela ne fasse pas partie du processus. C'est pourquoi aucune des démarches qu'elle a faites auprès de la famille de la victime n'a été documentée. Il était important pour elle que ces démarches soient authentiques et indépendantes du processus, car elle ne voulait pas que l'on pense qu'elle le faisait pour aider sa cause. Plusieurs femmes ont établi des liens. Soit qu'elles connaissaient la personne avant d'aller en prison, soit que, après leur sortie, ce sont les victimes qui ont demandé à entrer en contact avec elles parce qu'il y avait eu de la publicité autour de l'affaire.

J'ai assisté récemment à une audience de libération conditionnelle où les victimes étaient présentes et ont lu une déclaration. Il ne s'agissait pas d'une condamnation pour meurtre au premier ou au second degré, mais d'une condamnation pour homicide involontaire. Tout ce que cette femme voulait, c'était de parler de ses remords. Elle a demandé la permission de s'adresser aux victimes. La CLNC lui a donné la permission et a demandé aux victimes si elles la lui donnaient aussi. C'était la première fois que les victimes pouvaient l'entendre, parce que, dès le départ, on l'avait empêchée de prendre la parole. C'était pour elle l'aspect le plus important de cette audience. Elle ne se préoccupait pas de savoir si elle allait sortir, elle ne se préoccupait pas de ce qui allait se passer. Elle avait espéré pouvoir exprimer ses regrets.

Dans son cas, ce n'est pas elle qui avait tué le jeune homme en question, le fils de ce couple. Cependant, elle savait que, si elle n'avait pas été là, il n'aurait pas été tué. C'était une jeune femme autochtone qui, avec un groupe de jeunes hommes, avait participé au vol d'un dépanneur. Elle a été attrapée par son fils. Les autres sont revenus la chercher, et ont fait feu sur le jeune homme. Elle porte un fardeau épouvantable. Selon mon expérience, oui, ils éprouvent des regrets.

J'ai travaillé avec des hommes et avec des jeunes, et c'est la même chose. Cela varie d'une personne à une autre, bien sûr, mais, pour les femmes en particulier, c'est de toute évidence à l'avant-plan des préoccupations. Vous savez peut- être que j'ai élaboré, au début des années 1980, l'un des premiers programmes canadiens de réconciliation des victimes et des criminels. Ce n'était pas un programme fondé sur la religion. Nous essayions en partie de mieux sensibiliser les jeunes, tout d'abord, puis les adultes, aux répercussions de leurs crimes.

Les gens qui se retrouvent en prison ont souvent eux-mêmes vécu la violence, et cela nuit à leur capacité de comprendre. De plus, j'ai enseigné à l'école secondaire avant d'enseigner le droit, et je connais bien les problèmes liés à l'analphabétisation. Vous avez parlé de niveau d'alphabétisation : eh bien, la capacité cognitive de comprendre les répercussions de son comportement sur d'autres personnes est l'une des choses que nous avons prises en considération au moment d'élaborer ces programmes.

Selon mon expérience, quand on leur donne la possibilité de discuter de cela et d'explorer cette question, ils se montrent vraiment intéressés, empathiques et préoccupés. Malheureusement, cependant, cela les amène parfois à refuser d'exercer leurs droits.

[Français]

M. Altimas : J'aimerais bien le confirmer, mais je n'ai pas d'expérience directe sur ce plan. Je n'ai jamais participé à une révision judiciaire directement. Je ne pourrais donc pas vous le confirmer.

Dans le processus de remise en liberté de personnes condamnées à perpétuité pour un meurtre, des questions entourant les torts causés aux victimes sont posées à différents moments, que ce soit par le tribunal ou à la Commission nationale des libérations conditionnelles. Lorsqu'il est question de réhabilitation, il est raisonnable de penser que ces personnes sont en voie de guérison en ce qui a trait aux torts causés à leurs victimes et à elles-mêmes. L'acte criminel posé aura eu des conséquences irréparables sur la victime, mais également des conséquences très graves sur la personne qui l'a posé. Le processus de guérison se fait donc tant du côté des victimes que des délinquants.

Le sénateur Joyal : Avez-vous eu une expérience avec des victimes, comme Mme Pate l'a mentionné plus tôt?

M. Altimas : Je ne peux pas dire que j'ai eu la même expérience.

Le sénateur Joyal : La question que j'aurais posée aurait été la suivante.

[Traduction]

Madame Pate, vous pourriez peut-être répondre à la question suivante : dans quelles conditions une victime réussit- elle à guérir? Quels éléments doivent être réunis pour qu'elle réussisse à guérir?

Je vous pose cette question parce que, même s'il n'y a pas lieu de raconter notre histoire personnelle, j'ai eu affaire à trois familles qui avaient été victimes d'un crime horrible. J'essaie de savoir quels facteurs permettent à une personne de faire son deuil, à un moment donné, et à recommencer à vivre plutôt que de rester pris dans le traumatisme causé par le crime. Selon votre expérience professionnelle, quels sont les éléments essentiels qui favorisent ce processus?

Mme Pate : Je n'oserais jamais parler pour l'ensemble des victimes, ni même pour une seule victime. Je crois que les besoins de chacun sont différents. Selon certaines observations générales, cependant, il se fait des choses exemplaires dans d'autres régions du monde. Nous pouvons trouver ici également de bons exemples de services et de mesures de soutien offerts aux victimes.

Au Royaume-Uni, par exemple, il existait pendant un certain temps un mécanisme permettant de recruter des gens. Après qu'un crime, et en particulier un crime grave, avait été commis, un groupe de professionnels se présentait et offrait un soutien professionnel, du counseling et du soutien pour aider les gens à traverser la période qui suit un crime quelconque. Une introduction par effraction dans un domicile peut avoir des effets dévastateurs et durables sur bien des gens. En outre, une fois que les policiers avaient quitté les lieux, ce groupe d'interventions venait nettoyer le domicile ou l'endroit où le crime avait eu lieu. Ils s'attachaient surtout aux résidences — introductions par effraction, vols, invasions de domicile et crimes plus graves avec violence.

Le programme a été suspendu entre autres parce que l'on considérait qu'il était trop envahissant. Les intervenants se présentaient et faisaient leur travail sans nécessairement avoir obtenu l'accord des victimes, et c'est pourquoi on a mis fin au programme. Il semble que les gens à qui on offrait ces avantages jugeaient qu'il s'agissait d'un processus bénéfique, mais je crois savoir que le programme n'est plus offert.

Je ne connais pas beaucoup de services qui sont offerts dès les premiers stades. Selon mon expérience limitée, il s'agirait d'un programme de soutien qui serait offert rapidement, plutôt que de nombreuses années plus tard, quand on se retrouve devant le tribunal. Pour bien des gens, avoir à ce moment-là l'occasion de faire une déclaration, c'est vraiment trop peu, trop tard. Il est important que ce type de mesures de soutien soit offert rapidement.

Nous devrions également renforcer nos services sociaux et nos services en santé mentale, qui manquent de plus en plus de ressources humaines et financières. Je vais me taire; je m'excuse.

La présidente : Je regrette d'avoir à le dire, parce que ce sont des sujets extrêmement importants, mais il est 19 heures. Je vous remercie tous beaucoup.

[Français]

Comme toujours, vous nous avez beaucoup aidés.

Sénateur Boisvenu, je suis désolée, on avait prévu la fin de la réunion à 19 heures. Cependant, si vous voulez poser une question à laquelle les témoins peuvent répondre par écrit, je pense qu'on aurait le temps.

Le sénateur Boisvenu : Je pourrais leur faire parvenir ma question par écrit?

La présidente : Non, vous pouvez poser une question maintenant, mais on va leur demander de répondre par écrit.

Le sénateur Boisvenu : Merci, madame la présidente.

D'abord, je comprends le travail que vous faites. Cela doit être aussi terrible que de travailler avec des victimes parce que ce sont des gens qui se reprennent en main et qui rebâtissent leur vie. Je vous félicite.

J'aimerais que vous nous fournissiez de l'information sur la structure de vos organisations. Comment fonctionnent- elles? Est-ce qu'il y a un siège social? Est-ce qu'il y a des filiales? En tant que proche d'une victime — ma fille a été assassinée —, j'essaie de comprendre un peu comment vous travaillez auprès des criminels et par quel filet ces derniers passent pour être réintégrés.

J'aimerais également savoir qui vous soutient financièrement pour faire ce travail. Comment recrutez-vous les criminels que vous réintégrez? Est-ce que ce sont des gens qui frappent à votre porte ou c'est vous qui allez dans les pénitenciers?

Et enfin, j'ai un commentaire. S'il vous plaît, n'employez pas le mot « guérison » lorsque vous parlez d'une victime d'acte criminel. Employez le mot « réadaptation ». Le criminel va sans doute guérir du crime qu'il a commis, mais une victime ne guérit jamais. Elle se réadapte à une situation, c'est comme perdre un membre.

La présidente : Vous avez tous saisi les questions?

[Traduction]

La greffière du comité vous enverra, aux fins de confirmation, une copie de ces questions, qui sont de nature générale et ne touchent pas uniquement le projet de loi. Nous aimerions recevoir vos réponses par écrit. Comme je l'ai déjà dit, nous apprécions énormément votre contribution à nos travaux d'aujourd'hui.

Chers collègues, nous nous réunirons dans cette même salle demain matin, à 10 h 30, pour poursuivre notre étude de ce projet de loi.

(La séance est levée.)


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