Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 10 - Témoignages du 17 juin 2010
OTTAWA, le jeudi 17 juin 2010
Le Comité permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd'hui, à 10 h 33, pour étudier le projet de loi S-6, Loi modifiant le Code criminel et une autre loi, et le projet de loi S-2, Loi modifiant le Code criminel et d'autres lois.
Le sénateur Joan Fraser (présidente) occupe le fauteuil.
[Français]
La présidente : Je vous souhaite la bienvenue au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Nous poursuivons notre étude du projet de loi S-6, Loi modifiant le Code criminel et d'autres lois.
[Traduction]
Ce matin, nous recevons un panel spécial de témoins : il s'agit de Krista Gray-Donald, directrice de la promotion des droits et de la sensibilisation au Centre canadien de ressources pour les victimes de crimes et, à titre personnel, Mme Theresa McCuaig et M. Ed Teague. Bienvenue à vous tous. Je ne peux pas dire que nous sommes exactement dans une expectative agréable, mais nous tenons beaucoup à connaître vos points de vue. Je crois que vous allez commencer, madame Gray-Donald.
Krista Gray-Donald, directrice, Promotion des droits et de la sensibilisation, Centre canadien de ressources pour les victimes de crimes : Merci, madame la présidente. Le Centre canadien de ressources pour les victimes de crimes, ou CCRVC, est une association nationale sans but lucratif rassemblant des victimes et des survivants de crimes graves et violents. Nous offrons une aide et un soutien directs aux victimes à travers le pays, tout en militant pour un surcroît de services et de droits pour les victimes de la criminalité et pour une sécurité publique accrue.
LE CCRVC est heureux de comparaître aujourd'hui devant le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles et de pouvoir participer au débat sur le projet de loi S-6, la Loi renforçant la sévérité des peines d'emprisonnement pour les crimes les plus graves, modifiant le Code criminel et une autre loi.
Chaque jour, nous venons en aide à des Canadiens dont la vie a été bouleversée par un crime grave et violent. La vaste majorité de ces victimes vivent sous le coup d'un meurtre. Le meurtre est peut-être le crime le plus atroce qui existe. Il a des effets dévastateurs sur les familles, qui ressentent leur perte pour toujours, sans que les séquelles ne disparaissent. Les membres des familles peuvent finir par apprendre à vivre avec l'horreur du crime, mais un vide subsistera toujours.
Le supplice que vivent les survivants d'un homicide est encore aggravé par les dispositions de notre droit qui permettent aux auteurs de meurtres au premier et au second degré de demander, et la plupart du temps d'obtenir, un raccourcissement de leur période d'inadmissibilité à la libération conditionnelle. Prenez l'exemple suivant : un meurtrier passe trois années en détention provisoire en attendant son procès. Il est condamné, mais dispose de plusieurs recours qui vont traîner en justice pendant encore sept ans. Une fois l'instance judiciaire finalement arrivée à terme, la famille est confrontée à la perspective d'une audience en vertu de l'article 745 à peine cinq années plus tard. Même si le meurtrier ne présente pas la demande immédiatement, celle-ci plane sur la tête de la famille qui se demande s'il va la présenter.
Le mécanisme de révision judiciaire est l'équivalent d'un châtiment cruel et inhabituel pour les survivants de meurtres, qui perdent leur foi dans un système de justice pénale qui les prive de la petite dose de justice qu'ils pensaient avoir gagnée pour le compte de leurs proches. L'article 745 du Code criminel est contradictoire. Ces condamnés pour meurtre au premier ou second degré devraient purger la peine que le tribunal leur inflige avant d'être admissibles à la libération conditionnelle. Les changements mis en place par ce projet de loi vont amoindrir la souffrance de ces familles en restreignant davantage l'accès aux révisions judiciaires et en supprimant à l'avenir la procédure à l'égard de tous les meurtres.
Le CCRVC préconise de longue date l'abolition de la disposition de la dernière chance. Nous considérons qu'un meurtrier condamné par une cour de justice à la prison à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle pendant 15 ans devrait purger la peine infligée avant d'être admissible à la libération conditionnelle. Les condamnations pour meurtre au premier degré sont difficiles à obtenir, tout comme les peines pour meurtre au second degré avec une période d'inadmissibilité à la libération conditionnelle de plus de 15 ans. Dans le cas d'un meurtre au second degré, une décision discrétionnaire sur l'admissibilité à la libération conditionnelle est prise au moment de la détermination de la peine. Les décisions donnant lieu à ces condamnations et peines ne sont pas prises à la légère. Les victimes doivent placer leur confiance dans le processus judiciaire qui condamne et punit les meurtriers, et l'article 745 non seulement détruit cette confiance mais force les victimes à être victimisées de nouveau à l'occasion de la procédure de la dernière chance. Les fonctionnaires du ministère de la Justice Canada vous ont indiqué que des soutiens existent pour aider les victimes qui participent à la révision judiciaire. Ces soutiens ne changent pas le fait que c'est là une terrible épreuve pour les victimes.
Le projet de loi poursuit deux objectifs distincts : supprimer la possibilité de la dernière chance pour tous les meurtriers futurs, et restreindre la possibilité pour les meurtriers déjà condamnés à bénéficier d'une réduction de leur période d'inadmissibilité à la libération conditionnelle. Nous savons, d'après les familles avec lesquelles nous travaillons, que certains contrevenants sont véritablement mauvais, ne ressentant aucun remords et n'agissant que par égoïsme. Ce sont là les contrevenants qui demandent à une audience en vertu de l'article 745 tous les deux ans, bien que ne faisant rien pour démonter qu'ils se préparent à la libération. Ces contrevenants ne cherchent qu'à continuer de nuire à leurs victimes.
Le processus de révision judiciaire nuit aux victimes. Les victimes qui choisissent de participer aux audiences en vertu de l'article 745 sont contraintes de revivre les événements et les émotions entourant l'homicide; on peut leur demander de mettre à jour leurs déclarations de victime à l'intention de la cour. Il est aussi très difficile et outrageant pour les victimes d'être assises sur les bancs du tribunal et d'écouter le meurtrier décrire ses réalisations et ses aspirations. Il ou elle est décrit comme une merveilleuse personne qui a su mériter l'occasion de demander une libération conditionnelle anticipée, et parfois les membres des familles sont choqués par les renseignements qui sont présentés à l'audience à l'appui de cette prétention. Par exemple, fréquemment elles apprennent que de nombreuses permissions de sortie avec escorte ont été accordées, dont elles n'avaient pas connaissance. Les victimes souvent ne savent pas si un contrevenant a ou va demander une libération anticipée et ne seront même pas averties si une demande est présentée. Elles sont contraintes de se retrouver face au contrevenant beaucoup plus tôt qu'elles ne le prévoyaient, de revivre les détails du crime commis par le meurtrier, de se rendre aux audiences à grands frais et à leurs dépens, en dépit d'une petite aide financière du gouvernement fédéral, et sont confrontées à la perspective de la libération du contrevenant, une perspective qui fait souffrir et terrifie de nombreuses victimes.
L'abrogation potentielle de l'article 745 représente un grand succès pour les victimes et leurs défenseurs, mais le projet de loi S-6 ne retire pas aux délinquants actuels le droit de demander une révision judiciaire. Cependant, il impose des limites qui rendront plus difficiles aux délinquants l'obtention d'une audience. Ces limites, telles que la norme de preuve d'une « probabilité marquée », la fenêtre stricte de 90 jours pour présenter la demander après la première date d'admissibilité et le délai d'attente de cinq ans entre les demandes aideront les victimes, mais de nombreux criminels actuellement dans le système auront toujours la possibilité de revictimiser les familles de leurs victimes par une démarche en vertu de l'article 745.
Les représentants de la Commission nationale des libérations conditionnelles affirment que le processus de révision judiciaire est indépendant des audiences qui déterminent l'octroi ou le refus de la libération conditionnelle. C'est vrai, mais les statistiques montrent qu'environ 93 p. 100 de ceux qui reçoivent le droit de demander la libération conditionnelle avant leur date d'admissibilité reçoivent cette libération peu de temps après. Selon notre expérience, c'est là un taux de libération bien supérieur à celui des meurtriers qui font la demande à leur date d'admissibilité initiale. La commission affirme que c'est dû au fait que ces délinquants présentent un moindre risque de récidive. Malheureusement, nous ne pouvons que nous fier aux statistiques à cet égard, et elles ne saisissent que les actes de récidive découverts par la police. Indépendamment des taux apparents, nous ne pouvons ignorer le fait que ce processus accorde à ces délinquants jugés parmi les pires la possibilité d'éviter la peine qui leur a été imposée. Les victimes de ces crimes jugent que c'est là une contradiction qu'il faut éliminer.
La suppression de la disposition de la dernière chance est débattue depuis de nombreuses années. Le mouvement a commencé dans les années 1990, lorsque les audiences ont commencé à se multiplier. Plusieurs projets de loi ont été introduits qui visaient la suppression des dispositions, mais pour diverses raisons aucun n'a été adopté. Quelques modifications récentes ont modifié l'accès au processus et rendu inadmissibles les auteurs de meurtres multiples, mais cela ne suffit pas à assurer la sécurité publique. Ce projet de loi vise à remédier à cela. Le CCRVC exhorte le comité à appuyer ce projet de loi et à en assurer l'adoption rapide.
Ed Teague, à titre personnel : Nombre d'entre vous n'êtes pas d'Ottawa. Vous venez d'autres provinces, et je vais donc vous raconter l'histoire de ma fille.
Il y a cinq ans environ, le 8 septembre, j'ai reçu un appel téléphonique. Ma fille avait disparu sur le chemin du retour de son travail chez Wendy's, où elle travaillait tard le soir. J'ai reçu l'appel le jeudi, et mes fils étaient dehors en train de la chercher. Le vendredi matin, ma femme et moi-même nous sommes embarqués dans une recherche très minutieuse de ma fille.
À ce moment-là, nous ne savions pas si elle était partie faire la fête avec quelques-uns de ses amis, mais c'était totalement étranger à son comportement normal. Elle avait appelé sa mère pour lui demander de préparer ses vêtements, disant qu'elle serait à la maison sous peu. Bien sûr, sa mère a préparé ses vêtements, mais elle n'est pas arrivée.
Ce n'est que 10 jours plus tard, après des recherches intensives effectuées par la collectivité, la police, des bénévoles de partout, que l'on a trouvé un corps qui fut identifié comme celui de ma fille.
Dès le premier jour, lorsque la police est intervenue, elle a traité l'affaire comme un crime majeur. Dire que ces 10 journées ont été dévastatrices serait minimiser la réalité. J'entends par-là que c'était plus que dévastateur. Je ne suis pas sûr qu'aucun de nous s'en soit encore remis.
Bref, ce qui s'est passé, c'est qu'environ un an plus tard, un jeune homme s'est mis à courir tout nu dans une rue de Barrhaven en criant « J'ai tué Jennifer Teague ». Cependant, vu qu'il était sous l'influence de champignons magiques, rien de ce qu'il a dit ne pouvait être tenu pour vrai et la police n'a pas pu l'interroger.
Quelques semaines plus tard, il est entré dans un magasin d'alcool, s'est approché d'un homme et lui a dit « J'ai tué Jennifer Teague ». L'homme en question était un agent de police hors service qui a su immédiatement quoi faire. Il l'a placé en état d'arrestation et la saga a commencé.
Ils ont obtenu de lui des aveux. Il a pris un avocat et a suivi tout le processus : « Je crois que je vais congédier mon avocat et en prendre un autre. Je crois que je vais réengager le premier avocat. Je crois que je vais congédier de nouveau cet avocat et en prendre un autre ». À chaque changement, tout le processus repartait à zéro. Cela a duré jusqu'à ce que le procureur aille voir le juge et exige une date de procès.
Nous avons obtenu une date de procès. Aucun d'entre nous n'a pu assister à l'audience ce jour-là car c'était une phase préalable au procès. Ils ne voulaient ni de ma présence ni de celle de ma femme, mais mon fils aîné a dû se rendre au tribunal et regarder les photos de sa sœur qui sont toujours accrochées là.
Finalement, ce monsieur a décidé de plaider coupable, ce qui n'est pas très courant dans le cas d'un meurtre au premier degré. Il a plaidé coupable et il a trouvé toutes sortes d'excuses : « Je suis un chrétien régénéré : j'ai vu la lumière; ayez pitié de moi ». Lorsque nous sommes allés au tribunal pour l'imposition de la peine, il a eu l'audace de rester assis tranquillement pendant que nous écoutions ce qu'il lui avait fait, comment il l'avait sexuellement agressée et étranglée jusqu'à la mort. Nous avons dû l'écouter pendant qu'il était assis là et disait : « Je ne suis qu'un jeune de 24 ans normal ».
J'ai pas mal vécu et je ne connais pas beaucoup de jeunes normaux de 24 ans qui décident de sortir un soir dans l'intention précise de tuer une fille, puis d'exécuter l'acte, mais c'est ce qu'il a fait.
Lors du prononcé de la sentence, la juge a déclaré qu'il s'agissait là du crime le plus odieux qui soit. Elle a dit en substance qu'elle devait le mettre au courant de cette disposition de la dernière chance. Oui, dans 15 ans, il peut demander une deuxième chance. Où est la deuxième chance de ma fille? Il n'y a pas de deuxième chance pour elle.
Il a été condamné à la prison à vie, et nous sommes obligés d'attendre. J'espère que ce projet de loi va être adopté et qu'il sera obligé de prouver qu'il mérite une deuxième chance. En le regardant dans les yeux pendant le prononcé de la peine, je n'ai pas trouvé que cet homme en méritait une, mais il appartiendra à d'autres d'en décider à un autre moment.
Comme Mme Gray-Donald l'a dit, nous apprenons à vivre avec le vide, mais il est là. Apprend-on réellement à vivre avec? Je sais que je n'y suis pas parvenu. Je fais face et je me débrouille, mais je n'ai pas appris à vivre avec.
Je veux seulement que cet homme purge ses 25 années au complet. Si l'on décide à ce moment-là qu'il ne mérite pas la libération conditionnelle, qu'il purge encore 25 années, cela me convient. La vie est la vie. Il a pris une vie, il devrait perdre la sienne. Il n'a pas pris la vie dans un accès de rage. Il a pris une vie avec préméditation et par désir. Lorsqu'il est sorti ce soir-là, il a emporté avec lui des liens, un couteau et du ruban adhésif pour la bâillonner. C'est ce qu'il avait pour but de faire. Il est sorti ce soir-là pour tuer une fille. Il a dit que peu lui importait qui c'était. Ma fille s'est simplement trouvée à croiser son chemin, alors il lui a enlevé la vie.
J'ai été réellement perturbé ces 10 derniers jours lorsque, à Bells Corners, aux alentours du Bruce Pit, un jeune de 17 ans a été pris à traquer des femmes qui promenaient leurs chiens, et peut-être même leurs enfants en bas âge. Il avait en sa possession un couteau, des liens et un ruban pour les bâillonner. Où a-t-il appris cela? Il a 17 ans.
Je pense très fermement que si vous enlevez une vie, vous perdez la vôtre. Les deuxièmes chances sont une belle chose, mais une deuxième chance se mérite en purgeant sa peine. Si votre peine est de 25 ans, purgez votre peine et votre deuxième chance commence ensuite. S'il sort après 25 ans, il sera toujours dans la quarantaine. Beaucoup de gens à notre époque sont obligés de recommencer leur vie à la fin de la quarantaine. Une crise économique peut obliger à repartir de zéro. Comme je l'ai dit, ma fille n'aura jamais cette possibilité.
Theresa McCuaig, à titre personnel : Je suis la grand-mère de Sylvain Leduc qui, en 1995, a été kidnappé à son domicile, en même temps que ses deux jeunes cousines et un ami.
Douze personnes étaient impliquées dans ce crime horrible. Il y avait une bande organisée de jeunes voyous appelée Ace Crew. Je sais que vous allez entendre l'avis de beaucoup d'autres personnes, autres que les victimes de meurtre — des criminologues, des travailleurs sociaux, la société John Howard du Canada, et d'autres encore. Ces gens-là viendront pour vous convaincre que tout le monde mérite une deuxième chance, mais vous entendrez très peu de victimes le dire.
Ces criminologues et psychiatres qui décident des peines et ainsi de suite, ils ne sont pas dans la salle d'audience à écouter les horreurs. Ce n'est pas chez eux que vient la police pour dire « Votre enfant a été assassiné, désolé ». Ils ne sont pas là pour ressentir votre douleur et apprendre l'histoire des meurtriers. Ils s'assoient et, avec leur science théorique, se disent que 15 années suffisent bien pour transformer quelqu'un, sans même savoir ce qu'il y a derrière ces gens et ce qui les animait. Cela me sidère.
J'ai parlé un jour à un jeune criminologue qui avait décidé que deux années suffisaient pour transformer un jeune contrevenant auteur d'un homicide involontaire. Après avoir écouté mon histoire, il pleurait. Il avait besoin d'un verre et de repenser sa position, maintenant qu'il connaissait les faits, la souffrance et ainsi de suite. Je vous demande de réellement nous écouter aujourd'hui, car nous avons vécu le drame. C'est nous qui sommes concernés.
Comme je l'ai dit, ma petite nièce faisait partie d'un gang et pendant quelque temps elle a trouvé que c'était très amusant, jusqu'à ce qu'ils commencent à la posséder, à la contrôler, à la manipuler, à la battre et à l'obliger à vendre des drogues dans la rue alors qu'ils gardaient l'argent. Ils l'ont mise devant eux à courir le risque d'être arrêtée, afin qu'ils puissent s'enfuir. Ils la soumettaient également à la prostitution et ainsi de suite. Ils ont fait brûler un briquet jusqu'à ce qu'il devienne rouge, l'ont retournée et l'ont marquée. La marque était en forme de A. Ils lui ont dit : « Tu es maintenant une putain des Ace Crew. Tu nous appartiens. Tu es ma putain et tu feras ce que je te dis ». Toute désobéissance était punie. Une fois que vous faites partie du gang, vous devez avoir des relations sexuelles avec tous les membres du gang et le refus entraîne une nouvelle correction.
Elle a fait partie du gang de juillet à septembre. En septembre, elle en a eu assez d'être contrôlée. Elle devait même porter un bippeur et si elle ne répondait pas quand ils appelaient, ils venaient la chercher et la battaient de nouveau. Elle en avait assez d'être dominée et avait besoin d'un endroit pour se cacher, mais n'a pas dit à notre famille ce qui se passait. Elle est allée voir mon petit-fils Sylvain à l'école et lui a demandé d'amener sa mère à la laisser s'installer chez eux. La mère de Sylvain — ma fille — savait que la fille était dévoyée. Elle s'est dit qu'elle pourrait l'aider à changer parce que plus personne ne voulait d'elle. Elle était devenue trop difficile à gérer.
Ma fille Carole l'a recueillie. Bien sûr, elle racontait tous ses problèmes avec Ace Crew à mes deux petits-fils, Sylvain et Daniel. Sylvain avait 17 ans, presque 18, et Daniel en avait 16. Ils l'ont écoutée et ont sympathisé et, bien sûr, s'inquiétaient pour elle. Lorsque les Ace Crew ont trouvé où elle habitait, ils ont appelé. Dans le gang, la menace était toujours que si vous trahissiez la bande, la sanction était que l'on vous couperait le bras, celui marqué du A. Cela peut vous paraître comme de l'enfantillage — de la simple stupidité, mais c'était vrai. C'était la réalité. C'était une menace réelle.
Ils ont appelé et ont menacé de lui couper le bras. Bien sûr, elle l'a dit à ses cousins, qui étaient très inquiets. Ils lui ont fixé rendez-vous pour lui couper le bras, et les cousins l'ont suivie de loin, avec d'autres amis pour les défendre. Les Ace Crew ne se sont pas montrés. Ils ont appelé de nouveau et ont pris un autre rendez-vous avec elle pour lui couper le bras. Elle est allée au rendez-vous et a pu les convaincre qu'elle ne les avait pas quittés mais cherchait à remettre sa vie sur les rails, qu'elle se tenait tranquille en respectant ses nouvelles règles, et cetera, et ils ont avalé cela.
Au cours de cette semaine, en moins de trois jours, ils sont revenus pour lui demander de nouveau de les rencontrer ou sinon. Sylvain lui a dit que si elle n'appelait pas la police, lui et ses amis allaient s'occuper de l'affaire. Elle est allée à ce rendez-vous, et le chef ne s'est pas montré. Ils lui ont dit de rentrer chez elle et d'y attendre son appel.
Ils ont appelé et organisé une rencontre au coin de la rue. Deux des petites nièces y sont allées, et ils ont enlevé l'une d'elles. Ils l'ont jetée dans une fourgonnette et placée dans le compartiment arrière. Elle ne savait pas ce qui se passait. Ils l'ont emmenée dans ce bâtiment, lui ont fait monter l'escalier de trois étages et l'ont enfermée dans un placard. Ils lui ont mis un pistolet sur la tempe et lui posaient des questions. Elle ne savait pas ce qui se passait, pourquoi ils étaient furieux contre elle et ce qu'ils lui voulaient. Ils lui ont mis un pistolet sur la tempe et, comme je l'ai dit, l'ont enfermée dans ce placard avec un bandeau sur les yeux, un bâillon dans la bouche et les mains attachées derrière le dos. Elle n'avait pas les réponses qu'ils voulaient et ils ont donc décidé d'enlever l'autre nièce qui vivait dans la maison de Sylvain.
Ils l'ont laissée dans le placard et sont allés jusqu'à Vanier; ils ne savaient pas exactement dans quelle maison vivait Sylvain. Ils connaissaient la rue mais pas la maison, ils ont donc appelé la maison. Sylvain a répondu au téléphone et leur a dit que Nathalie dormait. Ils l'ont poussé à la réveiller, ce qu'il a fait. Elle ne voulait pas leur parler, il est retourné leur faire le message mais ils n'ont rien voulu entendre. Ils l'ont convaincu de la réveiller de nouveau. C'est ce que Sylvain a fait.
Elle a commis l'horrible erreur d'attraper le téléphone, d'ouvrir la porte-fenêtre et de sortir sur le balcon. Dès qu'elle a fait cela, ils ont su quelle était la bonne maison. Ils ont garé leur fourgonnette dans l'allée de mon petit-fils et ont menacé la fille au téléphone. Ils lui ont dit que Sylvain était un menteur, qu'elle ne dormait pas, qu'elle était en pyjama et qu'ils allaient lui casser la figure.
Elle est descendue pour les rencontrer pour qu'ils ne fassent pas de mal à Sylvain. Dès qu'elle a ouvert la porte de la voiture, ils l'ont jetée dedans, pris un pistolet et l'ont frappée de façon répétée sur l'épaule pour qu'elle leur dise qui était dans la maison. C'était regrettable car les parents étaient sortis pour la soirée et Sylvain gardait les enfants. Il avait presque 18 ans.
Ils ont pris la maison d'assaut. Ils ont pris Sylvain, son ami et Nathalie. Ils l'ont emmené si vite qu'il n'a eu le temps de mettre qu'une seule chaussure. Ils les ont entassés à l'arrière de la fourgonnette Jimmy, les menaçant, leur disant : « Vous êtes les prochains. Nous allons vous battre, nous allons vous brûler et nous allons nous amuser avec vous. Nous allons tellement vous démolir que les gens d'Ottawa auront peur de marcher dans la rue. Nous allons vous battre et vous tuer et mettre vos corps dans des sacs de poubelle et l'on ne retrouvera jamais vos corps ».
Sylvain était pétrifié, pleurait et ne savait pas ce qui lui arrivait. Lorsqu'il a demandé à ma nièce : « Qu'est-ce que tu as fait, dans quel pétrin tu m'as mis? » ils l'ont frappé à la tête avec un pistolet. Ils n'arrêtaient pas de charger et de décharger les pistolets au-dessus de leurs têtes. Ils ont rabaissé la cloison de coffre sur eux. Les gamins étaient recroquevillés et pouvaient à peine bouger. Il n'y avait pas moyen de s'échapper, pas de fenêtre, pas de bouton à pousser.
Arrivés chez eux, ils les ont fait entrer un par un. À l'entrée du bâtiment, sept autres membres du gang les attendaient. Dès qu'ils passaient la porte, on leur bandait les yeux, on leur attachait les mains derrière le dos ainsi que les chevilles avec des câbles électriques passés autour du cou.
L'ami de Sylvain a été le premier qu'ils ont fait monter. Dans l'intervalle, pendant qu'ils enlevaient les gamins et les entassaient dans le coffre, ils avaient appelé l'appartement pour dire : « On les tient, préparez les lieux pour la torture ». Il y avait là aussi des filles — 12 personnes, 5 mineurs, les autres étaient adultes. Ils ont voilé les fenêtres pour que personne ne puisse voir à l'intérieur.
Ils ont sorti Melanie du placard. Ils ont recouvert le sol et les murs du placard de sacs de poubelle autant qu'ils pouvaient. Ils lui ont dit que c'était pour y mettre son cadavre lorsqu'ils lui auraient brûlé la cervelle, pour ne pas salir l'appartement. Ils l'y ont remise et puis, bien sûr, les autres sont arrivés. Ils ont mis le petit ami de Sylvain dans le placard avec Natalie. Ils ont emmené Sylvain dans la chambre principale, et puis Natalie aussi.
D'après le témoignage de Melanie enfermée dans le placard, ils ont tabassé Sylvain, deux à la fois, parfois trois à la fois. Elle entendait son cousin hurler de douleur. Pendant que les uns battaient Sylvain, les autres violaient Natalie. Ils avaient un fer à friser brûlant réglé à chaleur maximale et lui brûlaient l'arrière des jambes et le dos. Ils l'ont retournée sur le dos, ont coupé les liens attachant ses pieds, enlevé son jean, deux personnes l'ont maintenue les jambes écartées et ils l'ont violée avec cet horrible fer à friser. Pendant qu'ils faisaient cela, elle entendait Sylvain, incapable de respirer; il était en train de mourir. Ils le frappaient à coups de pied, sautaient sur lui et il hurlait « Je n'ai rien fait. Natalie, dis- leur; s'il vous plaît, s'il vous plaît, ne me tuez pas. Je n'ai rien fait ». Ils lui écrasaient la poitrine à coups de pied. Ils lui avaient mis des serviettes autour de la tête et une veste sur la tête, si bien que lorsqu'ils sautaient sur sa poitrine il ne pouvait pas respirer, et il a été asphyxié. Il est mort sur place.
Un voisin avait regardé par la fente de ses rideaux et vu qu'on faisait entrer les gamins sous la menace d'un revolver et a entendu dire : « N'essayez pas de vous enfuir car nous vous abattrons sur place ». Il a couru et s'est caché dans sa douche et a appelé le 911. Le temps que la police arrive, soit 18 à 20 minutes plus tard, Sylvain était mort; la fille était violée, mais ils n'en avaient pas fini avec elle car ils étaient sur le point de remonter son chandail pour continuer à la torturer. Et ils avaient sorti l'ami de Sylvain du placard et lui sautaient dessus à pieds joints. Il hurlait « Je ne veux pas mourir » car il venait d'entendre mourir son meilleur ami. Pouvez-vous imaginer ce que ressentait Melanie dans le placard, qui entendait tout cela? Chaque fois qu'ils ouvraient la porte, elle sentait l'odeur de chair brûlée et entendait ses deux petits cousins hurler de terreur. Cela a été une nuit d'horreur.
Lorsque la police est arrivée, tout le monde s'est enfui, bien entendu. Cinq ont été arrêtés sur les lieux. Je voudrais vous parler principalement de John Richardson. John Richardson avait 25 ans. Il était avec les gamins parce qu'il est un trou du cul qui n'a guère d'instruction. Il a une difficulté d'apprentissage et faisait des bêtises depuis l'âge de 12 ans. Son truc était de s'entourer de gamins. Ils partaient commettre des crimes et gardaient l'argent dans la même cagnotte. Il n'avait pas de maison, pas de voiture et pas de travail. Il vivait de ses délits, de la prostitution et de l'extorsion et voulait être le chef de ces gamins.
Il leur jouait vraiment le grand jeu ce soir-là, pour leur montrer comment on traitait les gens contre qui on est en colère. Il dirigeait le groupe ce soir-là. C'est lui qui a eu l'idée de mettre les sacs dans le placard. C'est lui qui appelait de la voiture et leur disait d'accrocher les rideaux et de fermer les lumières, et ainsi de suite. C'est lui qui avait le pistolet dans son sac. L'histoire de John Richardson est que, depuis l'âge de 13 ans, il enfreignait la loi. Cependant, en tant que mineur, il s'en tirait toujours avec une probation, sans aller en prison. Une fois, un procureur de la Couronne a voulu le faire juger comme adulte, et le juge a dit : « Eh bien, je vois une petite lueur d'espoir dans ses yeux ».
Combien de chances a-t-on données à John Richardson? Vous ne croiriez pas le casier judiciaire qu'il avait. Ils le laissaient partir et le plaçaient en probation. Il ne se rendait jamais aux convocations du tribunal, ils devaient aller le chercher. La probation l'ennuyait, et il y allait quand il avait envie. Quand on le mettait en prison et le libérait sous condition, il ne se présentait jamais. Combien de chances donnez-vous à ce gars-là?
En 1993, il a fait énormément de mal à des gens. Il a suivi un homme jusque chez lui, et avec une barre d'haltères, il a battu l'homme jusqu'à ce qu'il lui donne son numéro NIP. Il lui a même dit que si le numéro n'était pas juste, il reviendrait le tuer. En attendant, passez une bonne journée.
Il a été inculpé une deuxième fois : un jeune garçon devait 500 $ à quelqu'un et il est allé percevoir la somme pour cette personne. Il est allé au domicile du garçon et, devant sa mère, l'a battu comme plâtre avec un manche de balai. La mère a paniqué et a appelé le prêtre au coin de la rue et a demandé 500 $ pour sauver la vie de son fils. Il a dit : « Oui, venez chercher l'argent ». Lorsqu'ils sont allés chez le prêtre pour recevoir l'argent, ils se sont aperçus que le prêtre avait été malin et appelé la police. Richardson a été arrêté, mais le garçon refusait de témoigner parce qu'il avait trop peur. Richardson avait battu des prostituées avec des crosses de revolver pour leur arracher de l'argent. Il a été inculpé de ses actes, mais les prostituées refusaient de témoigner parce qu'elles avaient trop peur de lui. Tout le monde avait grand-peur de lui.
Un arrangement a été conclu. Il a plaidé coupable à ces trois accusations horribles. Le juge a dit qu'il aimerait lui infliger cinq ans, mais il a été condamné à 36 mois. Arrivé en prison, il a eu le droit de demander la libération conditionnelle après avoir purgé un tiers de la peine. La Commission des libérations conditionnelles a dit non, parce que, selon son casier, chaque fois qu'il commet un crime, il est plus grave que les précédents. Ils lui ont dit : « D'ici la fin de cette peine, vous allez commettre un meurtre ». Six mois après, il a présenté une nouvelle demande.
La Commission des libérations conditionnelles administre un test où l'accusé doit cocher « oui » ou « non » à des questions pour voir s'il est susceptible de récidiver. Ils s'en tiennent à la note pour décider s'il est susceptible de récidiver. Il a obtenu une très mauvaise note, et ils ne lui ont pas accordé la libération conditionnelle.
Par quel miracle, trois mois plus tard, mesdames et messieurs, lui accorde-t-on la liberté conditionnelle? Dans l'intervalle, il avait été transféré de la prison à sécurité minimale dans un pénitencier à sécurité maximale renforcée parce qu'il était ingérable et incontrôlable. En prison, il frappait les codétenus et les gardiens et trafiquait de la drogue. Dans la prison à sécurité maximale renforcée ils l'ont mis en cellule d'isolement. De la cellule d'isolement, ils l'ont libéré sous condition.
En tant que victimes, nous demandons : « Pourquoi avez-vous fait cela? » Cependant, nous n'avons pas le droit de le savoir. C'est un renseignement confidentiel. Nous n'avons pas le droit de le savoir, alors nous les avons poursuivis en justice. Cette instance traîne depuis 12 ans.
Mes questions pour vous sont les suivantes : Pourquoi mériterait-il une deuxième chance? Combien de chances lui a-t- on accordées en cours de route? Combien d'argent en aide juridique les contribuables ont-ils payé pour lui? Les délinquants pensent que l'aide juridique est leur droit conféré par Dieu.
Lui et ses deux copains qui ont commis ces crimes horribles ont été condamnés à la perpétuité. Cette année, en octobre, ils auront le droit de demander une audience en vertu de l'article 745. Si on la leur accorde, ma fille et moi devrons subir trois jours d'audience pour ces gars-là. Étant donné leur habitude de ne pas se rendre aux convocations et d'enfreindre les conditions et ainsi de suite, je les vois mal se tenir tranquilles pendant 15 ans en prison. Cependant, les gardiens de prison me disent qu'habituellement, au cours de la 13e ou 12e année, ils commencent à changer leur petite vie. Ils commencent à être sages et à respecter les règles. Ils deviennent des prisonniers modèles parce qu'ils savent que l'article 745 va les avantager bientôt. Un juge quelconque va regarder leur dossier de prison et dire : « Regardez-moi ça : au cours des deux dernières années, il s'est transformé. Il mérite une deuxième chance ».
Comment le savoir vraiment? Comment savons-nous réellement s'il est sincèrement réhabilité ou s'il joue la comédie, suivant tous les cours voulus et faisant tout ce qu'il faut en prison? Qu'arrivera-t-il si on le relâche encore une fois?
Pour moi, la partie difficile est qu'il va demander à un juge la permission de s'adresser à un jury. Si cela arrive, et que le jury décide que oui, il peut demander la libération, alors la décision finale appartient à la Commission des libérations conditionnelles. Va-t-elle nous trahir encore? Va-t-elle ne pas faire son travail? C'est ce qui se passe; elle n'a pas fait son travail de vérification de ses antécédents, alors ils l'ont laissé partir. Nous allons devoir faire confiance de nouveau à ces gens pour voir s'ils vont le relâcher.
La victime, celle qui a été brûlée, a passé trois mois à l'hôpital. Croyez-moi, elle a vécu l'enfer. Les médecins ont dû former une équipe spéciale; ils n'avaient jamais vu une blessure comme celle-ci. Je ne veux pas vous rendre malades, mais ils ont dû concevoir un dilatateur pour le placer dans le vagin de cette pauvre fille pour que les chairs ne fusionnent pas en cicatrisant et qu'elle puisse avoir des enfants et des relations sexuelles et ainsi de suite plus tard dans la vie. Ce traitement a été très douloureux pour elle. Ils devaient enlever cet appareil chaque jour et le réinsérer. Elle a eu cela pendant trois mois, puis encore six mois à marcher avec cette chose à l'intérieur de son corps, sans parler des séquelles psychologiques. La fille qui était dans le placard est encore aujourd'hui sous traitement psychiatrique parce qu'elle a peur de marcher dans la rue.
L'ami de Sylvain a été hospitalisé pendant plusieurs mois à cause de l'horreur qu'il a vécue et de la perte de son ami. Lorsqu'il est sorti, il s'est acheté deux molosses pit-bulls; il se promenait avec deux pit-bulls pour se protéger. Voilà comment cela nous affecte. Il n'y a pas que la perte de votre enfant, il y a aussi la peur de sortir dans la rue.
Ce que je vais vous dire n'est pas raciste, je donne simplement les faits : ces personnes étaient tous des noirs. Ils avaient ces cheveux crépus, et vous savez comment ils portent leur pantalon baissé jusqu'à l'aine. Lorsque je marche dans la rue et que j'en vois un habillé comme cela, je m'arrête, je me mets à trembler et je change de trottoir. Cela vous poursuit toujours. Seize années se sont passées. Mais cela vous poursuit et vous avez peur.
Ces victimes ne connaissent pas l'article 745 parce que je ne leur en ai pas parlé. Peut-être les criminels ne vont-ils pas être libérés, alors pourquoi leur faire peur? J'attends de voir ce qui va se passer; mais si jamais cela arrivait, ces gamins vont être totalement paniqués. Ils ne sont plus des gamins, ils sont aujourd'hui des parents et s'inquiètent pour leurs enfants. Ils ont tellement peur de rencontrer ces gens face à face dans la rue sans arrêt. Cette peur les habite.
Ma fille endure la perte de son fils. Le choc de la mort de son fils lui a donné la fibromyalgie, du jour au lendemain. Elle vit maintenant avec un petit chèque d'invalidité dans un logement subventionné d'un quartier pauvre. Le frère de Sylvain, pour surmonter la douleur, s'est tourné vers la drogue, et nous l'avons de ce fait perdu. Nous avons perdu deux garçons.
Ces gens qui ont commis ces crimes ont droit à une deuxième chance. Où est notre deuxième chance? Qui nous aide? Lorsque tout cela est arrivé, nous voulions un avocat pour poursuivre ces gens en justice, mais on ne peut poursuivre des mineurs. Le saviez-vous? Et aussi, qui diable a assez d'argent pour payer un avocat?
Nous avons de la chance, en quelque sorte. Notre avocat a décidé qu'il nous aiderait gratuitement, sans honoraires; mais comme je l'ai dit, l'affaire traîne depuis 12 ans et nous n'avons rien entendu depuis deux ans. C'est ce qui arrive aux victimes — elles sont secondaires. Je vous laisse réfléchir à cela, et vous déciderez si ces gens méritent une deuxième chance.
Mme Albina Guarnieri a un projet de loi qui permettrait à un juge de condamner un criminel — le pire des pires, comme ces gens-là — sans libération conditionnelle pendant 30 ou 35 ans. Je pense que c'est la proposition la plus raisonnable que j'ai jamais entendu.
Si je comprends bien, la loi dit que si vous tuez une personne, vous avez la perpétuité; si vous en tuez deux, trois ou quatre personnes toutes le même jour, cela ne fait pas de différence — du moment que vous les tuez tous le même jour, vous pouvez aussi demander l'application de l'article 745. Comment peut-on justifier cela?
L'été dernier, un homme, son fils et sa nouvelle compagne ont mis deux belles jeunes filles, leur vraie mère et un ami dans une voiture et les ont jetés dans le canal de Kingston et les ont tous noyés. Cela fait quatre vies.
La présidente : Cette affaire, je crois, n'a pas encore été jugée par la justice.
Mme McCuaig : Non, elle n'a pas encore été jugée, mais mon but est de vous faire savoir que s'ils sont condamnés à perpétuité, s'ils sont reconnus coupables et écopent de la prison à vie, selon la loi actuelle, ils seront autorisés à faire une demande en vertu de l'article 745 — quatre vies pour le prix d'une seule. Je vous laisse réfléchir à cela.
La présidente : Au nom du comité, je tiens à remercier chacun d'entre vous, mais particulièrement M. Teague et Mme McCuaig. Nous avons quelques questions pour vous. Il est important que je dise que nous réalisons combien il a dû être très difficile pour vous de venir ici et de raconter votre histoire, mais il est très important pour nous de l'entendre, et nous vous sommes très reconnaissants.
Je voudrais juste ajouter un mot avant de passer aux questions. Vous avez dit, madame McCuaig, que ce qu'il advient des victimes est secondaire. Ne croyez pas un instant que quelqu'un autour de cette table pense cela. Ne le pensez même pas.
[Français]
Le sénateur Carignan : Je n'ai plus de questions, madame la présidente. Je voudrais simplement remercier nos témoins qui ont partagé ce qu'ils ont vécu avec beaucoup de générosité. Je suis incapable de poser des questions.
Le sénateur Boisvenu : Je comprends votre rage et votre scepticisme face à la justice. J'ai vécu cela. Ma fille a été assassinée aussi par un récidiviste à qui on avait donné trois chances. Pas une! Trois. Je me dis aussi que le criminel n'est pas le seul responsable de la mort de ma fille, le système aussi l'est.
Quand une jeune fille est enlevée, agressée, violée et assassinée, la justice retient le crime le plus grave, qui est l'assassinat. Tout le reste tombe : le viol, la séquestration, l'enlèvement. Le criminel ne sera jamais puni pour ces crimes.
Voici ma question : quelle impression gardez-vous de la justice canadienne par rapport à des meurtres aussi graves et aussi crapuleux? Quelles sont vos perceptions à ce sujet?
Mme McCuaig : Je suis enragée parce que les coupables faisaient face à 85 chefs d'accusation, pourtant ils ne paient que la sentence pour meurtre. Tout le reste tombe. Ce qui nous a enragés davantage est qu'ils ont fait la même chose le jour d'avant à un autre petit garçon. Ils l'avaient enlevé, battu, tiré, mais le petit gars n'est pas mort. Pour cela, ils ont reçu une sentence additionnelle de 50 ans. Et c'était sans parler de tous les autres crimes qu'ils avaient commis avant. La peine reçue servira à payer tous les crimes en même temps.
Ils devraient purger une peine de 123 ans selon mes calculs, mais non... C'est concurrent. Et s'il se sauve de la prison, qu'il tue quelqu'un d'autre et qu'il est ramené en prison, la peine est concurrente parce qu'on ne peut purger qu'une sentence à vie. Voyons donc! Cela ne tient pas debout.
[Traduction]
Le sénateur Boisvenu : Ma fille a été assassinée par un récidiviste. Nous avons donné à ce criminel deux chances avant qu'il ne tue ma fille. Il l'a kidnappée, l'a violée et l'a battue, mais lorsqu'il est arrivé devant la justice, il n'a été accusé que d'un seul crime, celui de meurtre. C'est comme si elle n'avait jamais été violée ou enlevée. Quelles sont vos réflexions, lorsque vous voyez qu'un tel criminel est puni comme une personne qui abat quelqu'un dans la rue?
M. Teague : Si on y regarde bien, il y a l'enlèvement, qui est un crime. Il y a la séquestration, qui est un crime. Il y a l'agression sexuelle, qui est un crime. Il y a le meurtre, qui est un crime. Le dernier outrage infligé à ma fille est qu'elle a été jetée dans les bois comme un sac de poubelle. À mes yeux, cela fait cinq crimes distincts, mais il n'a été emprisonné que pour le meurtre au premier degré et il a écopé de 25 ans.
Je ne suis pas expert du système judiciaire, mais si vous deviez juger ces criminels pour chacun de ces crimes et ajouter toutes ces années ensemble, qui seraient des peines consécutives, je suis sûr qu'il serait en prison jusqu'à l'âge de 70 ans. Je ne suis pas d'accord avec cette notion d'une seule peine pour tous les crimes commis. Empilez-les : 25 ans, 15 ans, 10 ans, 15 ans et 20 ans.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Madame Gray-Donald, j'ai lu avec attention votre rapport. Je vous sens un peu sceptique par rapport aux statistiques de la Commission de libération conditionnelle. Quelle est votre perception par rapport à ces statistiques.
[Traduction]
Mme Gray-Donald : Il nous faut prendre les statistiques que l'on nous donne pour ce qu'elles valent. Prenez les taux de récidivisme, par exemple, ils ne représentent que ce que la police découvre. Je suis persuadée depuis longtemps qu'il existe probablement des délits commis par des criminels en libération conditionnelle et qui ne sont pas découverts, ce qui est la conséquence de plusieurs facteurs. L'un pourrait être simplement la charge de travail des agents de libération conditionnelle. On ne peut surveiller quelqu'un 24 heures par jour. Des crimes sont commis sans être détectés.
Lorsqu'on invoque les faibles taux de récidive comme excuse pour autoriser une audience en vertu de l'article 745 ou encourager le processus, il faut considérer ces chiffres avec scepticisme parce qu'il est très probable qu'ils sont inférieurs à la réalité.
Le sénateur Lang : J'aimerais poser une question à Mme Gray-Donald. Elle porte sur le processus. Après 15 ans, le criminel peut demander à bénéficier de la disposition de la dernière chance. Si la demande est refusée, je crois savoir qu'il peut la représenter tous les deux ans. Vous en faites état dans votre exposé.
Mme Gray-Donald : C'est la loi actuelle.
Le sénateur Lang : Avez-vous des chiffres concernant la fréquence relativement à des délinquants individuels? Peut-être pouvez-vous nous faire part de votre expérience directe avec ce type de demandes à répétition de délinquants qui sont constamment déboutés.
Mme Gray-Donald : Je ne dispose pas actuellement de chiffres indiquant combien essaient à intervalles répétés. Nous avons travaillé sur des cas où cela est arrivé, et je sais que les médias ont fait état de certains cas. Je n'ai pas en tête un cas que je pourrais vous citer. Ce n'est pas un nombre important, mais le nombre des détenus admissibles n'est pas important non plus. Nous nous intéressons davantage à l'impact sur les membres de la famille, et c'est cela qui est important. Ce n'est pas le nombre des cas, c'est les répercussions sur les proches qui doivent subir ce processus de nouveau. Il existe d'affreux criminels qui savent qu'ils ne vont pas sortir mais qui, pour une raison quelconque, aiment provoquer et tourmenter les membres de la famille. Nous voyons cela assez souvent.
Le sénateur Lang : J'essaie de comprendre comment cela fonctionne. Le délinquant dépose une demande en vertu de la disposition de la dernière chance pour voir s'il ne pourrait pas bénéficier d'une libération conditionnelle anticipée. Lorsqu'il dépose la première demande et franchit la première étape, est-ce que la famille est informée du fait qu'une demande a été déposée et est examinée?
Mme Gray-Donald : Pas nécessairement. Parfois, les médias en parlent et c'est ainsi que l'on est mis au courant; d'autres fois la famille garde des contacts dans la juridiction. Cependant, rien n'oblige à aviser la famille.
Le sénateur Lang : Est-elle avisée à la deuxième étape?
Mme Gray-Donald : Si la demande est entendue par un jury?
Le sénateur Lang : Oui.
Mme Gray-Donald : Non, là non plus elle n'est pas avisée. Il n'est pas obligatoire de l'informer. Elle sera informée si la demande est accordée et si le dossier va à la Commission des libérations conditionnelles.
Le sénateur Lang : Je veux remercier les témoins de nous avoir fait part de leur vécu. Il est difficile d'imaginer la souffrance que l'on vit au moment des événements et les séquelles qui vous restent aujourd'hui. Bien sûr, c'est pourquoi nous sommes là aujourd'hui — examiner la loi et voir s'il y a lieu de la modifier pour privilégier les droits des victimes par rapport à ceux des criminels.
Le sénateur Joyal : Pourriez-vous nous informer du type d'aide que vous avez pu recevoir soit au titre d'un programme gouvernemental provincial soit de la part d'un groupe privé d'aide aux victimes? Avez-vous eu accès à cela dans votre situation propre, ou bien avez-vous été obligé de vous débrouiller avec vos propres moyens et ressources pour traverser ce que vous nous avez décrit?
M. Teague : Dans mon cas, nous avons été traités de façon excellente avec toutes les ressources à notre disposition, tant au niveau provincial qu'au niveau de la ville d'Ottawa. Je peux honnêtement dire que leur soutien était excellent. Nous avons eu accès à des défenseurs des droits des victimes qui travaillaient avec la police. Nous avions également les autorités provinciales. À aucun moment n'avons-nous été traités de façon injuste ou négative. Dans notre cas, le soutien était excellent.
Le sénateur Joyal : Pourriez-vous nous le décrire, si ce n'est pas trop douloureux? Nous ne savons pas comment cela fonctionne dans la pratique.
M. Teague : Un élément qui ressort est en rapport avec un fonds. Lorsque les criminels ont des gains mal acquis, ils sont confisqués et versés à la police qui s'en sert pour aider les victimes. Ce fonds a payé pour les obsèques de ma fille.
Pour ce qui est d'une indemnisation pour nous-mêmes, nous n'en avons jamais demandée. Nous travaillions tous. Mon patron m'a dit de prendre autant de congés que nécessaire. Et je continuais d'être payé. Mon employeur a juste continué de payer. Mon ex-femme a été traitée de la même façon.
La ville d'Ottawa a répondu présent dès le premier jour. Un conseiller était là pour nous aider. La police est intervenue beaucoup plus vite que la normale. Ma fille avait 18 ans et la police a été obligée d'attendre un certain temps, mais nous avions un ami qui avait un ami qui a passé un coup de téléphone. L'affaire n'allait même pas être examinée avant le lundi, mais le centre de commandement de la police était en place dès le samedi matin. Nous avons été traités de façon excellente sur ce plan.
Pendant toute l'affaire, des conseillers étaient à notre disposition si nous en avions besoin. Ils nous demandaient : « Mangez-vous, prenez-vous vos médicaments? Avez-vous vos médicaments? » Je n'ai aucun reproche à faire sur ce plan.
Le sénateur Joyal : Pensez-vous que le niveau d'assistance qui vous a été offert répond à ce que l'on peut attendre de ce que j'appellerais une société civilisée?
M. Teague : Dans mon cas, oui. Je ne puis parler au nom de toutes les victimes car j'ai entendu tellement d'histoires différentes.
De fait, nous avons pu aider un autre couple dont la fille avait été assassinée par son mari en leur indiquant à qui s'adresser. Cela a marché.
Le sénateur Joyal : Vous aviez la chance d'avoir les bons renseignements à votre disposition pour accéder à l'aide immédiatement. Un témoin nous a dit hier que la période importante est celle immédiatement consécutive, qu'il ne faut pas attendre un an ou six mois. C'est pourquoi je voulais savoir, selon votre expérience propre, quel était le moment clé où vous aviez besoin et reçu le soutien.
M. Teague : Pour parler franchement, je ne savais pas à quoi m'attendre sur le plan du soutien. Il s'est simplement matérialisé. J'avais le soutien de mon ministre du culte, de mon église, mais en dehors de cela je ne pense pas que cela vous préoccupe car vous êtes tellement submergé. L'aide frappe simplement à votre porte et s'offre. C'était par l'intermédiaire de la ville d'Ottawa. Elle nous a expliqué toute la procédure pour ce qui est de tous les autres aspects de l'aide possible.
Le sénateur Joyal : Merci.
Madame McCuaig?
Mme McCuaig : Dans mon cas, c'était en 1995. À l'époque, nul ne savait quelles ressources étaient disponibles. Le soir où ce crime horrible est survenu, ma fille a été appelée par l'hôpital au sujet de Nathalie, qui avait été terriblement brûlée. Ma fille s'y est précipitée. Bien sûr, lorsque ma fille est rentrée, les enfants n'étaient pas là et elle a immédiatement commencé à faire des appels. Il était 1 h 30 du matin et elle ne trouvait pas les enfants. Bien sûr, elle appelait partout. Ensuite, l'hôpital a appelé, et elle s'y est précipitée et il y avait un agent de police qui gardait la porte. Elle lui a demandé ce qui était arrivé. Elle a dit qu'elle cherchait son fils, et il n'a rien voulu lui dire.
Les gens du service d'assistance aux victimes de la police, VCARS, ont entendu parler du crime à la radio et attendaient qu'on les appelle pour aller aider cette mère. L'appel n'a jamais été fait. Je ne sais pas. Les détectives sont venus à l'hôpital pour ramasser les vêtements de Nathalie et sont accidentellement tombés sur la mère de Sylvain Leduc. Elle leur a demandé s'ils avaient des nouvelles de son fils. Ils l'ont fait asseoir et lui ont dit : « Votre fils est mort ce soir ».
Ils l'ont laissée là, toute seule. Ils ne m'ont pas appelé moi, ni sa mère, ni personne pour lui tenir compagnie. Elle a pris le téléphone et a appelé son ami, qui est venu lui tenir compagnie. Il n'y a pas eu d'autre aide ensuite. On l'a renvoyée chez elle pour affronter des frais d'obsèques qu'elle n'avait pas les moyens de payer.
Personne ne lui a parlé d'une brochure ni conseillé d'appeler la Commission d'indemnisation des victimes d'actes criminels qui paie pour les obsèques. Personne ne le lui a dit. Personne ne nous a rien dit. Je suis rentrée et j'ai ouvert l'annuaire à la rubrique « Victimes » et j'ai trouvé Victims of Violence à Ottawa, qui est un centre de ressources pour les victimes.
Victims of Violence a beaucoup aidé. Le centre nous a aidés à remplir la demande à la Commission d'indemnisation des victimes d'actes criminels pour le défraiement des frais d'obsèques et ainsi de suite. Il a fallu attendre trois ans — trois ans — pour que ma fille se voit rembourser les frais d'obsèques encourus, mais n'a rien reçu pour sa souffrance.
Le sénateur Joyal : A-t-elle reçu une aide de professionnels formés pour offrir une assistance psychologique et garder contact avec la personne?
Mme McCuaig : Nous, bien sûr, sommes allés voir des psychologues à l'Hôpital Montfort, qui ont immédiatement dit qu'ils offriraient un traitement pour surmonter le deuil, mais qu'ils ne rempliraient pas les formulaires d'indemnisation et qu'il ne fallait pas les ennuyer avec cela.
De toute façon, les rendez-vous étaient aux heures ouvrables et plutôt que d'y aller, nous étions au tribunal. Nous voulions savoir qui étaient ces gens et pourquoi Sylvain avait été tué. Il ne connaissait aucun d'entre eux, et nous voulions tous les renseignements possibles. Nous avons passé trois années au palais de justice. C'était notre thérapie.
Une personne qui a beaucoup aidé était Max Keeping, de CJOH Ottawa. Il a été mis au courant du frère de Sylvain, et il aide les jeunes. Le frère a dit que sa mère avait besoin d'aide pour aller au tribunal. Cela coûte cher d'aller au tribunal — le stationnement, vos sandwichs. C'était très coûteux. Nous avons fait cela pendant trois ans. Max Keeping l'a aidée pendant près de six mois. Il lui donnait de l'argent pour se rendre au tribunal, ce qui a été très apprécié. Cependant, de la part des autres sources : une attente de trois ans et le strict minimum.
Vous voyez d'autres cas où les victimes reçoivent 100 000 $ d'indemnité pour leur souffrance, mais cette mère n'a rien eu parce qu'elle n'a pas été hospitalisée. Si vous ne faites pas ce qu'ils appellent un choc nerveux, on ne vous donne rien pour votre souffrance.
Le sénateur Joyal : Vous n'avez pas reçu d'indemnité pour traverser cette période difficile, si vous vous êtes arrêtées de travailler, par exemple.
Mme McCuaig : Non. Après avoir vécu tout cela et m'être aperçue qu'il n'y avait pas d'assistance, j'ai commencé à faire du bruit. J'ai commencé à sortir les victimes du placard. Chaque fois qu'il y avait une nouvelle victime, nous nous précipitions au salon funéraire et leur disions quoi faire. Nous avons rehaussé la barre et fait prendre conscience aux gens de ce qui existait et de ce qui n'existait pas. Cela a amené beaucoup de changements, dont M. Teague a profité.
Le sénateur Joyal : Madame Gray-Donald, lorsque vous êtes informés d'une situation, pourriez-vous nous décrire ce que fait votre centre de ressources et quelle démarche vous suivez?
Mme Gray-Donald : Pourrais-je dire un mot sur ce qui vient d'être expliqué? En gros, ils représentent les deux extrémités de l'éventail de l'aide offerte, qui varie grandement d'une juridiction et d'une province à l'autre. La plupart des municipalités ont des services aux victimes offerts par la police et le système judiciaire qui rejoignent la plupart des victimes. Il y a quelques failles et certains passent à travers, mais l'assistance disparaît en général à la fin du processus judiciaire. Il n'y a pas de services aux victimes financés par le gouvernement.
Le sénateur Joyal : Il n'y a pas de suivi une fois le procès terminé?
Mme Gray-Donald : S'il n'y a pas de procès, les services judiciaires aux victimes ne s'appliquent pas et il existe donc certainement des lacunes dans notre système. C'est là, en partie, où notre centre intervient.
Nous travaillons avec beaucoup de familles après la phase du procès, une fois le délinquant incarcéré. Nous sommes en liaison avec la Commission nationale des libérations conditionnelles ou le Service correctionnel du Canada pour leur compte. Nous les renseignons et assistons pour leur compte aux audiences de libération conditionnelle. Nous les aidons également avec les demandes d'indemnisation.
Si nous ne pouvons aiguiller une victime vers un service dans sa municipalité, du fait que nous sommes une organisation nationale, nous allons essayer de combler cette lacune pour elle. Nous sommes une petite organisation, mais nous comblons les lacunes.
Deux des énormes lacunes existent au niveau du mécanisme d'indemnisation des victimes d'actes criminels car il varie d'une province à l'autre et est déroutant dans toutes les provinces. Nous fournissons également un soutien postérieur au procès en les informant des audiences, les informant des autorisations de sortie, les informant de leurs droits à déposer une déclaration de victime aux fins de libération conditionnelle, nous leur montrons comment rédiger une déclaration de victime et les aidons avec la logistique de la participation à une audience de libération conditionnelle ou la désignation d'un représentant à l'audience.
Le sénateur Joyal : Vous avez indiqué qu'il existe des différences entre les programmes de soutien des diverses provinces. Pourriez-vous expliquer ces différences?
Mme Gray-Donald : Les territoires et Terre-Neuve n'ont pas d'indemnisation des victimes d'actes criminels, et si donc un crime est commis dans l'une de ces juridictions, les victimes n'ont accès à aucune indemnité. Certaines des autres provinces ont une indemnisation restreinte.
La Nouvelle-Écosse n'offre que quelques milliers de dollars pour du counselling, et c'est tout. En cas d'homicide, les frais des obsèques, qui peuvent être substantiels, ne sont pas couverts.
L'Ontario impose un plafond d'indemnisation de 25 000 $, et certaines restrictions s'appliquent. Seul un certain montant est offert pour le counselling ou pour indemniser la souffrance.
L'Alberta utilise un barème. C'est un montant prédéterminé. S'il s'agit d'un homicide, vous touchez un certain montant, qui peut aller de quelques centaines de dollars jusqu'à 126 000 $ environ. C'est plus de 100 000 $.
Les renseignements sur les indemnités disponibles et comment les demander et à qui s'adresser ne sont pas communiqués aux victimes dans tout le pays au moment où elles sont victimisées.
Le sénateur Joyal : Selon votre expérience, pourriez-vous suggérer un moyen équitable de régler ce problème afin que les Canadiens aient un accès égal où qu'ils vivent au Canada et bénéficient tous d'une aide égale ou comparable?
Mon autre question est celle-ci : quelle somme est mise en jeu? Par exemple, selon votre propre évaluation de ces programmes, quel est l'ordre de grandeur de leur coût?
Mme Gray-Donald : Je n'ai pas les chiffres.
Le sénateur Joyal : J'ai posé la première question et j'aurais peut-être dû attendre avant de poser la deuxième.
Mme Gray-Donald : La solution, à mon avis, serait que le gouvernement fédéral assume la responsabilité de l'indemnisation des victimes de la criminalité. C'est la seule façon de garantir un accès égal à toutes les victimes canadiennes.
La présidente : Désolée, mais le temps commence à nous manquer. Mme McCuaig souhaitait répondre.
Mme McCuaig : C'est ce que j'ai souhaité dès le premier jour. Lorsque l'agent de police vient vous voir et dit que votre enfant a été assassiné ou que votre proche a été assassiné, il pourrait dire : « Voici une brochure, et voici qui vous pouvez appeler », avec les principaux numéros de téléphone, tels que son bureau, celui des Victimes de violence, qui vous voudrez. Ce serait un début et la victime saurait à qui s'adresser. Cependant, cela n'existe pas. C'est une petite chose toute simple qui coûterait trois fois rien. Ce pourrait même être juste une feuille de papier. Nous n'avons été informés que deux semaines après par l'office de la Couronne qui nous a dit « Voici un petit livret pour l'indemnisation aux victimes d'actes criminels ». Eh bien, les obsèques sont passées, terminées, et il est maintenant trop tard.
Le sénateur Joyal : Pourriez-vous répondre rapidement à la deuxième question?
Mme Gray-Donald : Sur ce que serait le coût?
Le sénateur Joyal : Quel montant dépensent tous ces groupes qui aident les victimes, et combien de plus faudrait-il investir pour avoir un programme décent à l'échelle du Canada?
Mme Gray-Donald : Je peux vous dire combien nous aimerions avoir.
Ce sont deux questions distinctes. Indemniser des victimes de la criminalité est distinct de la fourniture de services aux victimes, et les deux volets doivent être analysés. Il faudrait consacrer davantage aux services aux victimes qui ne passent pas par le système judiciaire traditionnel si l'auteur du crime n'a pas été identifié. Ces victimes n'ont jamais accès à aucun de ces services dont ces deux familles ont heureusement — j'emploie le mot avec un grain de sel — bénéficié. Il faut se pencher là-dessus et je ne pourrais pas avancer de chiffres.
Le sénateur Joyal : Quel est votre budget?
Mme Gray-Donald : Nous avons un employé et demi. Nous opérons à l'échelle nationale et nous nous en tirons avec un budget de 120 000 $. C'est à peu près le coût de l'incarcération d'un délinquant pendant un an.
Le sénateur Wallace : Comme le sénateur Carignan, j'ai de la difficulté à vous poser des questions. Je ressens presque un sentiment écrasant de vide et d'impuissance lorsque j'écoute ce que vous avez subi, avec évidemment notre incapacité personnelle de changer en quoi que ce soit ce qui est arrivé. Je sais que nous le ferions tous, si nous le pouvions, mais c'est la vie. Mais nous essayons ici d'améliorer le système. Comme vous le savez, le moyen par lequel nous espérons le faire est le projet de loi S-6.
Monsieur Teague et madame McCuaig, ce que vous nous avez dit met en jeu différents éléments du projet de loi S-6. Nous voulons améliorer le système. Nous voulons apporter des changements. Nous voulons éviter à d'autres tout ce que vous avez subi au fil de toutes ces années. Est-ce que l'un ou l'autre vous avez des opinions concernant précisément les changements qu'introduirait le projet de loi S-6, s'il était adopté, et avez-vous d'autres idées sur la manière d'améliorer le système relativement à ces problèmes?
Mme McCuaig : Comme je l'ai dit, chaque cas est différent. Chaque meurtre est différent. Vous pouvez commettre un meurtre au premier degré et dire : « Il m'a volé ma petite amie et je vais sortir mon revolver ce soir et le descendre ». Et bang. Je ne minimise pas le crime. C'est toujours un meurtre. Lorsque vous avez un crime avec torture, délibéré, soigneusement préparé, sans aucune pitié pour les victimes, et des antécédents criminels, cela change les choses, n'est-ce pas? Le juge qui connaît chaque cas différent sait qui est la crapule, le vrai méchant, incorrigible. Il sait. Il devrait pouvoir dire : « Pas de libération conditionnelle pour vous pendant 15 ans ou 20 ans ou 25 ou 30 ». Je pense que ce serait le plus juste.
Sénateur, nous venons ici vous parler, et c'est difficile, oui, mais c'est un baume pour nous. C'est apaisant parce que quelqu'un écoute, quelqu'un qui est prêt peut-être à changer les choses. Pour nous c'est un baume. Nos enfants ne sont pas morts en vain parce que nous sommes ici aujourd'hui.
M. Teague : Comme Mme McCuaig l'a dit, chaque meurtre est différent, et tous les facteurs doivent être pris en compte, mais le résultat ultime est le même. Une vie a été prise. Dans son cas, et même celui de ma fille, je pense que davantage d'accusations auraient pu être portées, mais le crime ultime était le meurtre. Pour cela, le jeune homme a été emprisonné à perpétuité.
J'aimerais que l'on augmente la « perpétuité ». J'aimerais que la définition d'une peine à perpétuité soit accrue. Si c'est 35 ou 40 ans, mettez la peine à 35 ou 40 ans. Il faut que le meurtrier paye pour son crime. Il a pris une vie. Ma fille avait 18 ans. Je ne verrai jamais son mariage. Je ne verrai jamais mes petits-enfants. Lorsqu'il sortira de prison, s'il sort, il pourra se marier et fonder une famille, mais il a enlevé cela à ma fille. Je pense que c'est ce qu'il faut faire.
Je pense que nous sommes sur la bonne voie et je sais que cela sonne comme quelque chose que l'on entend à la télévision, mais nous avons un système et c'est le seul que nous avons. Je pense que c'est l'un des meilleurs au monde, mais nous pouvons l'améliorer. Vous, le comité, avez l'occasion de faire ce qui s'impose.
La présidente : Merci infiniment à tous. Comme je l'ai dit, il est extrêmement important pour nous de vous écouter, et nous sommes très reconnaissants.
Nous avons le privilège d'accueillir maintenant comme témoin, M. Rick Sauvé, qui comparaît à titre personnel, et Mme Nathalie Des Rosiers, de l'Association canadienne des libertés civiles.
Monsieur Sauvé, vous avez la parole.
Rick Sauvé, à titre personnel : Je suis heureux d'être ici aujourd'hui. Je me considère chanceux car sans la disposition de la dernière chance, je ne serais probablement pas ici. Je suis l'un de ceux que ce projet de loi toucherait. J'ai passé 17 ans en prison. J'ai été condamné pour meurtre au premier degré en 1994. J'ai déposé une demande en révision, pour être jugé de nouveau chez moi, par la collectivité. Après une semaine de procès, les jurés de ma collectivité ont décidé que je devais être libéré sous condition immédiatement.
Cela n'est pas arrivé. Il a fallu encore un an avant que je bénéficie de la libération conditionnelle. Depuis lors, je vie dans la collectivité sous condition. Je suis ici pour vous montrer à qui ce projet de loi s'appliquerait.
La présidente : Merci, monsieur Sauvé.
[Français]
Nathalie Des Rosiers, avocate générale, Association canadienne des libertés civiles : Je remercie le comité d'accueillir l'Association canadienne des libertés civiles. Il est toujours difficile de présenter l'ensemble des arguments. Les personnes touchées personnellement par des tragédies nous affectent tous.
Je soulèverai quatre points pour représenter les propos de l'Association canadienne des libertés civiles sur le projet de loi et sur l'opportunité de rescinder l'article 745.6 du Code criminel.
Le premier point que j'aimerais soulever est le rôle de la réhabilitation dans le système canadien; mon deuxième point est le rôle des meilleures pratiques internationales sur ce sujet à savoir ce que nous devons en tirer; le troisième point concerne la perspective des victimes à savoir comment réconcilier la perspective des victimes dans ce contexte; et finalement, je parlerai du rôle de la confiance du public dans le système.
Le premier principe est certes celui de réfléchir sur le rôle de la réhabilitation dans le processus criminel canadien et comme valeur essentielle du processus criminel canadien. Au cours de la séance précédente, on a bien dit que tous les meurtres sont différents. Évidemment, tous les contrevenants sont différents. Une des valeurs essentielles du système canadien est de reconnaître l'intérêt pour la société de croire, non pas de façon naïve à la réhabilitation, mais de façon raisonnée à la nécessité d'investir et de réfléchir au le rôle de la réhabilitation, à la fois pour la protection des gardiens de prison, pour la protection de la dignité humaine des prisonniers, mais aussi pour la société. La réhabilitation est une responsabilité collective qui nous incombe à tous. Elle nous demande de clarifier les enjeux pour ne pas commettre des erreurs dans une perspective de vouloir répondre rapidement à certains incitatifs qui ne seraient pas là.
Le premier point à souligner est qu'il est important de ne pas oublier comment le rôle de la réhabilitation est essentiel à la mise en place et à la structure du système.
Dans ce contexte, l'article 745.6 du Code criminel apporte un élément important de discrétion dans le système qui permet de maintenir au minimum la possibilité qu'une évaluation du contrevenant et de ses progrès soit faite après 15 ans.
Depuis toujours, l'Association canadienne des libertés civiles, qui existe depuis 1964, a insisté sur le rôle de la discrétion et de son exercice continu dans le traitement des criminels, dans la perspective d'une meilleure protection de la société. Il faut déterminer si cela continue d'améliorer le système ou si, au contraire, cela le détruit ou rend la vie des victimes plus difficile.
L'abrogation de la clause ne semble pas répondre aux meilleures pratiques internationales ou, du moins, à ce qu'on voit comme étant la position du Canada par rapport à d'autres sociétés démocratiques. Depuis 1999, en ce qui concerne l'éligibilité à une libération conditionnelle, les études démontrent que le système carcéral canadien présente une détention moyenne de 28,4 ans comparée à 18,5 ans pour les États-Unis, 14,8 en Australie, 11,2, en Écosse, et 11 pour la Nouvelle- Zélande. Ces statistiques contredisent l'impression que nous avons que le système canadien soit plus empressé de répondre aux besoins des contrevenants par rapport à ceux des victimes. Au contraire, on pourrait s'inquiéter du fait que contrairement à d'autres sociétés démocratiques, on semble incarcérer les coupables plus longtemps.
L'incarcération n'est qu'une partie de la peine imposée. La peine imposée dure toute la vie. Lorsque quelqu'un est assujetti, ce n'est pas seulement la partie carcérale qui compte, mais aussi le processus selon lequel le contrevenant doit être invité à repenser sa contribution à la société et à faire des progrès.
Comme le démontrent les statistiques, très peu de contrevenants se prévalent de l'occasion de se présenter et très peu de contrevenants, par la suite, obtiennent cette possibilité de le faire et de demander leur libération conditionnelle devant la Commission des libérations conditionnelles. Le système a déjà des balises suffisantes pour permettre aux individus de se définir par rapport à ce système.
On soupçonne que la présence de cette clause influence le comportement des prisonniers dans le cadre de leur processus et qu'il peut contribuer à un environnement qui soit moins nocif et moins dangereux pour les gardiens également. Il est alors intéressant de noter que, malgré l'idée qu'on a un système généreux à l'égard des contrevenants, les statistiques internationales ne semblent pas l'appuyer.
[Traduction]
Troisièmement, j'aimerais parler de l'idée que la réadaptation n'est pas forcément une déclaration anti-victimes. La société tient, certes, à se dire scandalisée lorsqu'elle entend parler de crimes horribles comme ceux dont on nous a entretenus aujourd'hui, ou dont il est question dans les journaux. La société tient également à se dire scandalisée par la conduite de l'un de ses membres et à exprimer sa compassion pour les victimes et leurs familles touchées par ces choses terribles. La perspective des victimes est en la matière cruciale. Le mouvement de défense des intérêts des victimes est très disparate, et certains considèrent la disposition de la dernière chance comme étant un processus de revictimisation, étant donné surtout qu'il semble qu'elle soit caractérisée par une absence de transparence.
Cependant, il n'est probablement pas tout à fait approprié d'assimiler compassion et respect pour les victimes et engagement réduit à l'égard du principe de la réadaptation. En effet, ce n'est souvent pas ce que disent les victimes. Dans le cadre de nos recherches, lorsque nous demandons aux victimes ce qu'il leur faut, elles répondent qu'elles veulent respect et reconnaissance et accès à des services. Les grosses lacunes qui ont été identifiées du côté des services aux victimes sont très importantes. Il est intéressant qu'un défenseur des libertés civiles dise cela, mais si nous voulons continuer d'avoir un état de droit fidèle à la présomption d'innocence, alors il nous faut investir du côté de la réponse à donner aux victimes. Les deux choses doivent aller de pair. L'on ne peut pas demander au public de s'engager et de respecter la présomption d'innocence, avec tout ce que cela peut coûter aux victimes, sans tenir pleinement compte des besoins de ces dernières.
J'invite les membres du comité à réfléchir à cette nécessité. Mon propre travail a visé à élever le profil des droits des victimes à celui d'un droit constitutionnel qui aurait la même valeur et la même reconnaissance constitutionnelle.
Le droit d'une victime pourrait être que l'on s'occupe de ses besoins, qu'il s'agisse de thérapies, de dédommagement ou d'information, ou encore de droits de participation. Dans ce contexte, nous avons marqué quelques progrès au Canada au cours des 10 dernières années, bien que le manque de financement pour certains programmes soit inacceptable. Cela est tout aussi inacceptable que le fait de ne pas continuer d'appuyer les principes de la réadaptation.
Il serait dangereux d'assimiler la perte par les contrevenants de la disposition de la dernière chance à un gain pour les victimes, car ce n'est pas toujours le cas. Nombreuses sont les victimes qui insisteraient à dire que ce qu'elles veulent plus que tout est que ce qui leur est arrivé ne leur arrive plus jamais et n'arrive jamais à autrui. Leur engagement est qu'elles continuent de penser que l'objectif de la réadaptation, sur les plans tant de la dissuasion individuelle que de la dissuasion générale, est important. L'objectif de la réadaptation est d'assurer un recul de la criminalité dans la société.
L'on ne peut espérer accéder à une société libre de criminalité en l'absence d'un solide engagement envers la réadaptation. Les gens sortiront de prison, et si nous n'investissons pas dans la réadaptation, alors nous n'aurons fait aucun progrès quel qu'il soit.
Toute suggestion que la révocation de la disposition de la dernière chance augmentera de beaucoup les droits des victimes doit être tempérée. Il importe de reconnaître qu'il serait de beaucoup préférable d'investir dans l'accroissement de notre engagement à l'égard des services aux victimes.
Pour terminer, je vais traiter de la question de la confiance du public. Il a été prôné ici que la confiance du public serait améliorée par la révocation de la disposition de la dernière chance. Je recommanderais au comité de ne pas prendre cela pour argent comptant, car cela élimine la seule possibilité qui existe à l'heure actuelle dans le système pour un jury de participer aux décisions de libération conditionnelle. La participation publique au système par l'intermédiaire de jurys est l'un des aspects les plus importants de l'augmentation de la connaissance et de l'engagement du public à l'égard du système. Je suis certaine que tout le monde est intimidé à l'idée de participer à un jury. La plupart des jurés, après coup, en sont heureux, pour plusieurs raisons. Premièrement, ils ont contribué à la société et ont eu l'honneur de faire cette contribution. Deuxièmement, ils comprennent mieux le système une fois qu'ils y ont participé. Cela est particulièrement important du fait que le processus envisage un jury unanime comme étant l'un des nombreux éléments. Comme vous le savez, de nombreuses étapes doivent être franchies dans le cadre du processus ne serait-ce que pour offrir la possibilité d'une libération conditionnelle.
S'il est un message à livrer en ce moment à la société, c'est qu'il ne faut pas qu'elle soit davantage exclue du mécanisme de la justice. L'une des valeurs de la chose est que cela rend possible la participation de jurys. L'on parle de messages symboliques. Certes, lorsque vous examinez les statistiques quant au nombre de contrevenants dont il est question ici, vous constatez que très peu d'entre eux bénéficient de la chose et que très peu d'entre eux réussissent. C'est sans doute la valeur symbolique de la chose que nous gérons et que demandent les contrevenants. Un sujet de préoccupation est le suivant : en éliminant le jury du processus, nous allons dans la mauvaise direction. Nous souhaitons plus de participation publique au système judiciaire, et pas moins.
Nous considérons que l'élimination de la disposition de la dernière chance est incompatible avec notre engagement continu à l'égard de la réadaptation. Nous comprenons que cela ne concerne pas un très grand nombre de personnes. Nous ne parlons pas d'une deuxième chance; nous parlons d'une reconnaissance de la promesse de la réadaptation. Certaines personnes ont prouvé qu'elles peuvent relever le défi et contribuer. Il est important de ne pas assumer que tous les contrevenants sont pareils mêmes ou que tous les meurtriers sont pareils.
Voilà qui met fin à ma déclaration.
La présidente : Merci beaucoup. Je vous reviens à vous, monsieur Sauvé, car vous avez été admirablement modeste ou laconique dans votre déclaration liminaire.
En lisant votre biographie, j'ai appris que lorsque vous étiez en prison vous n'avez pas juste suivi un programme de réadaptation par-ci, par-là; vous avez, entre autres choses, terminé vos études secondaires, puis obtenu des diplômes en psychologie et en criminologie, ce qui a dû vous demander beaucoup de travail. Aujourd'hui, vous travaillez pour Option-Vie. Avant de donner la parole au sénateur Carignan pour la première vraie question, pourriez-vous nous décrire un petit peu ce qu'est Option-Vie?
M. Sauvé : Après l'abolition de la peine capitale en 1976, et suite à l'introduction des infractions de meurtre au premier degré et de meurtre au deuxième degré, les détenus ont commencé à demeurer en prison pendant bien plus d'années. Le sénateur Earl Hastings, entre autres, a discuté avec des gens des services correctionnels et leur a demandé comment ils allaient faire face à des personnes devant demeurer en prison pendant, possiblement, plusieurs décennies de plus. Ils ont eu l'idée d'envoyer un condamné à vie sous libération conditionnelle dans les prisons pour parler aux hommes et aux femmes condamnés à perpétuité, initialement pour leur donner de l'espoir, mais également pour travailler avec eux en vue de leur réadaptation, pour les encourager à rester sur la voie de la réintégration sociale et pour les accompagner jusqu'à leur retour dans la communauté. Une fois qu'une personne a passé 15 à 30 ans en prison, il lui est très difficile de retourner dans la collectivité.
Le concept d'Option-Vie a été élaboré en tant qu'entente tripartite entre la Maison Saint-Léonard de Windsor, le Service correctionnel du Canada et la Commission nationale des libérations conditionnelles. Trois ou quatre années après ma libération conditionnelle, j'ai reçu un appel de Skip Graham, qui m'a demandé si j'accepterais d'être un intervenant accompagnateur d'Option-Vie auprès de détenus.
Cela fait maintenant 12 ans que je me considère comme étant en libération conditionnelle nocturne, car je passe cinq jours par semaine à l'intérieur de prisons. Je vois des détenus à tous les niveaux. Je sais que certains d'entre eux ne sortiront jamais. Nombre des personnes avec lesquelles j'ai travaillé en milieu carcéral, des condamnés à perpétuité, sont morts derrière les barreaux. Je suis allé à la Commission nationale des libérations conditionnelles. J'ai sans doute assisté à plus de 300 audiences de libération conditionnelle. J'ai offert mon aide dans le cadre d'audiences de libération conditionnelle. J'ai accompagné des hommes lors de leur première sortie dans la communauté. Nous y voyons une question de sécurité publique. Si quelqu'un du Nunavut purge une peine d'incarcération à vie en Ontario et n'a jamais été dans une ville, comment fera-t-il pour s'y retrouver? Voilà le genre de choses avec lesquelles nous pouvons aider. Nous raccompagnons ensuite les détenus.
Il y a certains détenus avec lesquels j'ai travaillé et dont j'espère qu'ils ne sortiront jamais. Je crois dans les institutions que nous avons en place — la Commission nationale des libérations conditionnelles et le système correctionnel —, sans quoi je ne serais pas en train de faire ce que je fais. Je sais à quel point il est difficile d'obtenir sa libération conditionnelle. Je sais que ces personnes ne réintègreront pas la collectivité.
Les intervenants accompagnateurs d'Option-Vie retournent dans les prisons. Nous donnons beaucoup de conférences. Je m'entretiens avec des groupes de jeunes. J'ai travaillé auprès d'enfants et de jeunes lorsque je suis sorti de prison. J'ai élaboré un programme pour adolescents en difficulté lorsque j'étais encore en prison. Je n'ai jamais caché le fait que j'ai été condamné à la prison à vie. Personne n'a jamais dit que c'était une erreur de me libérer. J'ai été chaleureusement accueilli par ma collectivité. Avant ma libération, j'ai prononcé un discours à la chambre de commerce de ma collectivité. On ne m'a pas une seule fois dit que c'était une erreur que de m'avoir libéré ou que je représente une menace pour la collectivité.
Les intervenants accompagnateurs d'Option-Vie sont des exemples vivants d'hommes et de femmes qui sortent de prison et qui y retournent ensuite pour donner de l'espoir aux détenus et pour participer à la sécurité publique.
La présidente : Merci beaucoup.
[Français]
Le sénateur Carignan : Ma question s'adresse à monsieur Sauvé. J'aimerais que vous nous parliez de ce qui vous a motivé pendant votre incarcération. Vous pourriez peut-être nous parler du début de votre incarcération. Quel est votre cheminement? Qu'est-ce qui vous a motivé à suivre de la formation au cours de votre incarcération?
[Traduction]
M. Sauvé : Aucun membre de ma famille n'avait jamais été en prison avant moi. Personne n'avait jamais passé de temps derrière les barreaux. C'était ma première condamnation. Lorsque je suis allé en prison, c'était un lieu dangereux et qui faisait peur. J'ai été envoyé à l'Établissement de Millhaven, un établissement à sécurité maximale. Il n'y existait à l'époque aucun programme de réhabilitation. Les détenus étaient séparés des gardiens. Je savais que je ne cadrais pas dans le moule de ce mode de vie. J'étais toujours le fils de mes parents et je souhaitais faire quelque chose afin de ne pas me faire happer par le système carcéral. Voilà pourquoi j'ai commencé à suivre des programmes d'éducation.
Lorsque j'avais quitté l'école, je venais tout juste de terminer la 9e année. Mes professeurs m'avaient dit que j'étais stupide et que je devrais abandonner mes études parce que je ne pourrais jamais les terminer. Le fait de pouvoir poursuivre des études en prison m'offrait un genre de sanctuaire, qui me permettait d'être autre chose qu'un détenu. J'étais entouré par un sentiment de perte et je voulais faire quelque chose de mieux. Voilà pourquoi je me suis lancé dans les études.
J'ai fini par être transféré à un établissement à sécurité moyenne, et c'est là que j'ai pour la première fois rencontré le sénateur Hastings. Il est allé me rendre visite à l'Établissement de Collins Bay. J'y avais lancé un groupe de condamnés à perpétuité. Il est venu et a assisté à une séance du groupe de condamnés à perpétuité afin de comprendre ce qu'est le système carcéral. Il m'a de nombreuses fois rendu visite avant qu'il ne meure.
Un jour il m'a dit : « Tu peux toujours faire mieux. Efforce-toi toujours de ne pas être un détenu ». Et c'est ce que j'ai fait pendant que j'étais en prison. L'on peut se concentrer sur le négatif ou bien l'on peut commencer à réfléchir au positif.
Lorsque j'ai lancé le groupe de condamnés à perpétuité, j'ai écouté les histoires de nombre des hommes qui avaient commis des crimes horribles — et je ne suis pas en train d'essayer de minimiser la chose —, mais j'entendais également raconter le style de vie qu'ils avaient connu avant de se retrouver en prison, et cela se ressemblait tellement. C'est là que j'ai commencé à regarder vers l'extérieur. Ma philosophie a toujours été que tu sors de prison avant de la quitter, car si tu ne le fais pas, tu y retourneras.
J'ai commencé à réfléchir à des choses de l'autre côté du mur; que j'étais encore membre de la collectivité, que j'avais toujours une famille dans la collectivité, que j'avais toujours un investissement dans la collectivité, et que même si je n'avais pas la liberté d'évoluer au sein de la collectivité, je pouvais en être un participant actif. Je savais que si jamais j'obtenais ma révision judiciaire, il me faudrait faire mes preuves auprès de ma collectivité et voir si elle accepterait de me reprendre.
[Français]
Le sénateur Carignan : Monsieur Sauvé, je ne connais pas votre histoire, vous avez été inculpé pour un meurtre, je ne sais pas qui était la victime. Elle avait sûrement des gens proches, de la famille. J'aimerais savoir si vous avez été en contact avec l'entourage de la victime : est-ce que vous avez eu des échanges avec eux? Et si oui, comment voient-ils votre sortie de prison?
[Traduction]
M. Sauvé : Notre cas était inhabituel. Nous étions huit à nous faire accuser de meurtre au premier degré. Six d'entre nous avons fini par être condamnés pour meurtre, deux pour meurtre au premier degré et quatre pour meurtre au second degré. Je n'ai jamais tué personne, mais j'ai été condamné pour meurtre au premier degré. Voilà ce qu'a décidé la cour, sur la base des éléments de preuve.
Bill Matiyek est l'homme qui a été abattu par balle dans un bar à Port Hope. Nous sommes apparentés par alliance. L'épouse de mon frère et l'épouse du frère de Bill sont sœurs. La chose est arrivée dans une petite ville, alors tout le monde était très au courant. Cela a créé beaucoup de difficultés au sein de la collectivité.
L'une des conditions de ma libération est que je ne peux avoir aucun contact, ni direct ni indirect, avec la famille de Bill. Sa famille ne se remettra jamais d'avoir perdu un fils, d'avoir perdu un frère.
Des membres de sa famille étaient présents lors de mon examen judiciaire. Ils n'ont pas témoigné. Ils n'ont pas assisté à mon audition de libération conditionnelle et ils n'ont déposé aucune déclaration. Je n'ai jamais entendu dire qu'ils me voulaient du mal. Je compatis à leur douleur. Il n'y a rien qui puisse jamais ramener leur fils et il n'y a rien à comprendre.
[Français]
Le sénateur Carignan : Ma prochaine question s'adresse à Mme Des Rosiers. Je vous remercie pour votre témoignage. Avec tout ce qu'on a entendu avant, vous l'avez fait avec beaucoup de délicatesse et de respect. C'est apprécié.
Vous avez dit dans votre témoignage qu'on soupçonne que la « clause de la dernière chance » ait un effet. De ce que l'on retient du témoignage de M. Sauvé, c'était peut-être un effet, mais ce n'est pas clair parce qu'on voit que c'est un individu qui a travaillé sur lui-même et qui avait une volonté assez puissante. Je ne suis pas sûr que cela ait eu un effet déclencheur. Il y a d'autres choses qui ont déclenché l'effet.
Avez-vous des statistiques? Quand « on soupçonne », c'est parce qu'on n'est pas très convaincu, mais on a des indices et il y a quelque chose... Qu'est-ce qui vous fait dire simplement : « on soupçonne », au lieu de le dire d'une façon plus affirmative?
Mme Des Rosiers : De deux choses l'une, il y a très peu de prisonniers qui se prévalent de cette disposition. Cela ne peut pas être l'élément déclencheur pour tout le monde. La raison pour laquelle des prisonniers, autres que M. Sauvé, témoignent différemment, de fait, cela leur donnait un horizon pour pouvoir améliorer leur conception et s'engager plus fermement dans leur programme.
On ne pourra jamais garantir ce qui transforme quelqu'un. Alors on le fait modestement en disant qu'on a entendu de ces témoignages, on a entendu aussi des gardiens qui disent que, d'après eux, cela a un impact. En fait, notre position est simplement que c'est un processus difficile et exceptionnel, et c'est un processus discrétionnaire. À l'occasion, pour certains individus qui s'en sont prévalu, cela a eu des effets positifs pour notre société. Pourquoi alors s'en priver? Et certainement, s'il y a des effets négatifs sur d'autres groupes, on devrait s'y intéresser et tenter de minimiser davantage ces effets.
L'autre aspect c'est que si quelqu'un va se réhabiliter et peut le faire en 15 ans plutôt qu'en 25 ans, probablement qu'il y a pour la société un certain avantage à investir plus rapidement dans son retour dans la société, que ce soit simplement au niveau des coûts monétaires, mais au niveau des coûts sociaux aussi. C'est dans ce contexte qu'on soupçonne que c'est le cas.
[Traduction]
Le sénateur Joyal : J'aimerais revenir sur un aspect qu'a soulevé Mme Des Rosiers. Peut-être que M. Sauvé aurait un commentaire à faire. Nous n'avons entendu aucun témoignage là-dessus, mais vous avez dit que cette disposition aidait à établir un milieu moins dangereux pour les gardiens ou le personnel des prisons.
Mme Des Rosiers : C'était là l'un des arguments mis de l'avant lors de l'adoption de cette disposition. Lorsque nous faisons notre travail de recherche, les gens nous appellent pour nous donner leur point de vue; nous n'arrêtons pas nos positions sans faire de la recherche, sans consulter des avocats et certains membres de notre conseil qui entretiennent des contacts avec des gardiens, et ainsi de suite. Dire à quelqu'un que le fait de ne pas adopter un comportement positif diminuera ses chances donne à l'intervenant un certain pouvoir d'exiger l'obéissance. Les gens doivent avoir de l'espoir pour se plier aux ordres et au système. Voilà dans quel contexte la chose a été inscrite. Cela a établi un moyen supplémentaire de dire à quelqu'un : « Si tu ne fais pas ceci et que tu ne participes pas, alors tu auras encore moins d'espoir qu'avant ». C'est dans ce contexte que ces commentaires ont été faits.
Si vous regardez la documentation, ce thème a été exploré; il est difficile de faire une quantification précise. Nous parlons ici d'un petit nombre de personnes, qui, toutes, ont sans doute des circonstances exceptionnelles. Il est difficile de tirer quelque conclusion ferme. Nous présentons cela à l'intérieur des limites des données.
Le sénateur Joyal : Étant donné vos activités avec le programme Option-Vie, vous dites que vous vivez plus ou moins votre vie avec des détenus. Quelle est la psychologie d'un détenu en ce qui concerne la disposition de la dernière chance, s'il souhaite faire une demande en vertu de cette dernière?
M. Sauvé : Comme l'a dit Mme Des Rosiers, il y a très peu de gens qui font en fait une demande en vertu de la disposition de la dernière chance. Il y a en Ontario plus de 1 000 détenus purgeant des peines d'incarcération à perpétuité. Ils ne sont pas tous admissibles à une révision judiciaire, mais la majorité de ceux qui le sont diront tout au long de leur peine qu'ils feront une demande en vertu de la disposition de la dernière chance. Ils gardent cette lueur d'espoir devant eux en attendant d'avoir purgé 15 ans pour pouvoir faire leur demande. Leur comportement à l'intérieur de l'établissement est bien meilleur que celui de ceux qui n'ont aucune intention de se réintégrer à la société.
J'ai fait des études là-dessus lorsque j'effectuais des recherches pour ma thèse de maîtrise et que je travaillais à l'intérieur de la prison. Une fois qu'un détenu atteint le seuil des 15 ans, il marque un temps d'arrêt et se dit qu'il ne veut plus jamais faire subir la chose à sa famille et aux victimes. Il lui faut attendre un bon moment encore avant de pouvoir envisager un jour d'être libéré. Sept ans plus tard, il pourra pour la première fois demander à la Commission nationale des libérations conditionnelles une permission de sortir sans escorte. Il continuera de suivre cette voie vers la réintégration sociale.
Nous sommes une ressource non seulement pour les détenus, mais également pour le Service correctionnel du Canada et la Commission nationale des libérations conditionnelles. Comme je l'ai dit, j'ai assisté à plus de 300 audiences. La plupart des détenus qui sont admissibles à une demande de révision judiciaire s'assoiront à un moment donné avec nous ou avec un agent de libération conditionnelle et diront « J'ai décidé de ne pas aller de l'avant avec la demande ».
C'est au détenu qu'il revient de faire une demande de révision judiciaire. L'obtention d'une révision est un processus très difficile, et la commission n'en accordera pas toujours, mais le détenu soupèse les différents éléments. « Est-ce que je souhaite vraiment m'exposer à nouveau devant la cour? Est-ce que je veux vraiment exposer ma famille à cela? » Cela attire toujours l'attention des médias et il y a cette pensée que « Je pense maintenant que je pourrai réussir ».
Même si la plupart des gens ne feront pas une demande, la disposition de la dernière chance les aide à maintenir un certain équilibre. Les détenus évoqueront le processus de la révision judiciaire dans leur rencontre avec l'agent de libération constitutionnelle de leur établissement ou leur agent chargé de leur cas : « Je me tiens bien; je travaille en vue de cet objectif ». Et plus la date approche, plus ils font de l'introspection; ils ne veulent vraiment pas subir cela à nouveau.
Très peu de gens font une demande, mais cela leur donne de l'espoir, ce qui les aide à maintenir un certain équilibre en prison.
Le sénateur Joyal : Le code prévoit un certain nombre de facteurs que le juge et le jury doivent évaluer, fouiller et vérifier, car, comme vous le savez, et comme Mme Des Rosiers l'a mentionné dans sa déclaration, le jury doit être unanime. La barre est relativement haute. D'autre part, la Couronne a toujours la possibilité d'interjeter appel si elle n'est pas d'accord avec le juge dans sa décision d'autoriser une réunion de jury. Il y a de nombreuses étapes à franchir avant d'en arriver à une décision unanime de jury.
Parmi les facteurs à soupeser ou à examiner est le suivant : quel poids faut-il accorder à l'attitude du détenu relativement aux victimes?
M. Sauvé : On accorde énormément de poids à cela. Nombre des hommes et des femmes avec qui je me suis entretenu ont dit « Je ne veux pas faire revivre cela aux victimes ». Ils en sont arrivés là. C'est un nouveau procès, de toute sa vie. Il n'est pas uniquement question — mais loin de moi l'idée de minimiser cela — du crime. C'est toute votre vie qui est en cause. On examine votre caractère à l'époque de la commission du crime. On examine votre caractère maintenant et la façon dont vous vous êtes comporté en prison. C'est un long processus. Lorsque vous comparaissez devant un jury, les audiences peuvent demander une ou deux semaines. Ce n'est pas comme dans le cas d'une audition de libération conditionnelle où vous comparaissez pendant trois ou quatre heures devant la Commission des libérations conditionnelles. C'est un long processus au cours duquel on réexamine toute votre vie, et les victimes témoignent lors de l'audience.
Cela brosse un tableau plus complet. Cela donne à la collectivité une idée de qui est cette personne qui a le potentiel de revenir dans la collectivité. Dans le cas des hommes et des femmes dont la demande est refusée, cela les incite à faire de l'introspection pour réexaminer à nouveau leur vie pendant qu'ils sont en prison et se demander ce qu'ils pourraient faire de plus pour montrer qu'ils ont changé. Même si une personne voit sa demande refusée, elle a de meilleures chances de s'adonner à de l'introspection.
Le sénateur Joyal : Imaginez que vous êtes chez un ami et que vous cassez une tasse ou une chose à laquelle ces gens tiennent. Votre première réaction est de dire « Je vais vous dédommager; je vais remplacer ce que j'ai cassé, alors ne vous en inquiétez pas ». C'est le penchant ou la réaction naturelle de l'être humain d'essayer d'être juste. Pouvons-nous conclure que cette idée d'être juste dans la vie est un facteur déterminant pour le jury lorsqu'il doit décider si un détenu possède ce sens humain de l'équité dans la vie?
M. Sauvé : Je ne suis pas certain que ce soit une question d'équité. Il n'y a aucune équité. Il n'y a aucun moyen d'établir un équilibre dans le cas d'une situation où une personne en a privé une autre de sa vie. Il n'y a aucun moyen de compenser cela.
Le jury doit regarder l'individu et demander « A-t-il fait assez pour avoir le potentiel de retourner dans ma collectivité? Vais-je me sentir en sécurité? Je parle au nom de ma collectivité ». Cela ne garantit pas que la personne va être libérée. Il y aura toujours un long processus à suivre. Les gens ont cette impression erronée qu'avec la disposition de la dernière chance les détenus réintègrent la collectivité au bout de 15 ans. Pas une seule personne n'a jamais réintégré la société au bout de 15 ans.
C'est un long processus. Je ne sais pas si c'est l'équité que visent les jurés. Ils veulent déterminer si leur collectivité sera en sécurité. D'autre part, ont-ils confiance dans les institutions, y compris dans le système de jurys? Notre système de justice pénale est fondé sur le système de jurys. Les jurés se diront peut-être « Oui, cette personne est coupable, mais je pense qu'elle pourrait demander à réintégrer ma collectivité, et je sais exactement qui elle est ». Les jurés ont l'occasion de voir toute la personne, et pas seulement le crime.
Le sénateur Carstairs : Merci d'avoir mentionné le sénateur Earl Hastings. Il a pendant plus de 30 ans été membre du Sénat. Il a été nommé en 1965 et il a été un proche ami personnel de mon mari et de moi. Je me plais à penser que j'examine ce projet de loi à travers sa lentille. Je sais à quel point il serait fier de vous.
Ma préoccupation est double. Premièrement, il y a cette règle de 90 jours qu'imposerait ce projet de loi. Cette règle ne sera pas rétroactive. Personne à l'avenir n'y sera soumis, mais les personnes qui sont aujourd'hui admissibles se verront imposer cette règle de 90 jours.
D'après votre expérience relativement au système, est-ce qu'un délai de 90 jours est faisable?
M. Sauvé : Je ne pense pas que 90 jours soient suffisants. Encore une fois, je ne peux que regarder ce qui se fait à l'heure actuelle. Je ne pense pas qu'il y ait eu une seule audience de révision judiciaire en Ontario cette année. Certains en ont fait la demande et ont vu la chose reportée.
La réhabilitation est un processus de toute une vie. La libération conditionnelle dure toute la vie. Je pourrais retourner en prison dès demain. Si l'on devait abolir les libérations conditionnelles au Canada, je retournerais en prison.
Je me demande si ce projet de loi est nécessaire, car cela revient à dire qu'il n'y a pas d'espoir. Je ne vois pas en quoi 90 jours changeraient quoi que ce soit.
Le sénateur Carstairs : Ma deuxième question concerne le fait qu'il nous a été dit ici que certains contrevenants dans nos prisons aiment la disposition de la dernière chance pour la simple raison que cela leur permet de continuellement victimiser leurs victimes. Ils font une demande et, dès qu'ils y sont admissibles, ils en font une autre, même si leur demande ne sera probablement jamais approuvée.
Cela correspond-il à ce que vous avez vu? Dans l'affirmative, de combien de personnes parle-t-on?
M. Sauvé : Un petit groupe de détenus sont des psychopathes qui réclament sans cesse l'attention. Non seulement ils revictimisent les victimes, mais ils revictimisent la collectivité et le pays tout entier. Ce qu'ils font est odieux, mais ils ne sortiront jamais de prison. Ils mourront en prison.
Comme je l'ai dit, il y a des hommes dont j'espère qu'ils ne sortiront jamais de prison et qui savent qu'ils n'en sortiront jamais. Il s'agit là d'une réalité, mais avec la loi actuelle, ils peuvent continuellement demander une révision judiciaire. Ils sont admissibles au dépôt d'une demande de libération conditionnelle. Si vous commettez un crime particulièrement haineux, vous ne sortirez jamais de prison, et vous ne le devriez pas non plus. Je trouve que les médias font parfois du tort au pays dans son entier en soulignant et en alimentant la psychopathie de certains détenus.
Mme Des Rosiers : Le processus est le suivant : le juge évalue la possibilité qu'une demande soit entendue. Nous savons que les juges reconnaîtront ces schémas qu'a définis M. Sauvé. Nous savons qu'il y a des psychopathes à l'intérieur du système carcéral. Le projet de loi maintient les mesures de sauvegarde. Certains groupes de victimes veulent être avisés chaque fois qu'une demande est faite. À mon avis, la notification est importante au stade de l'audience devant jury.
Une voix : Cette exigence est de toute manière contenue dans le Code criminel.
Mme Des Rosiers : La notification de la victime qu'un juge est de nouveau saisi d'une demande ridicule devrait sans doute être vue pour ce que c'est : un élément d'un processus d'auto-satisfaction. Il n'est peut-être pas nécessaire de continuer d'évoquer ne serait-ce que l'existence même de la possibilité. Il y a cette impression que le juge est en quelque sorte une mesure de protection pour empêcher que cela n'arrive. Comme vous le savez, ces cas sont rares.
La présidente : Collègues, nous avons cherché à obtenir des renseignements quant au nombre de personnes qui font des demandes à répétition. Il est assez faible. Nous distribuerons ces renseignements aux membres du comité dès que le document aura été traduit, ce qui devrait, je pense, être chose faite plus tard aujourd'hui.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Monsieur Sauvé, d'abord mes félicitations, je pense que les efforts que vous avez faits sont méritoires. Il faut le souligner. À quel moment, durant vos 17 ans d'incarcération, avez-vous obtenu votre diplôme de criminologie et de psychologie?
[Traduction]
M. Sauvé : J'ai obtenu mon baccalauréat en psychologie en 1987. J'ai terminé mon baccalauréat spécialisé en criminologie deux ou trois années plus tard. J'avais presque fini de remplir toutes les exigences en vue de la maîtrise en criminologie juste avant ma sortie de prison. Je n'ai pas défendu ma thèse de maîtrise; je ne pouvais pas retourner pour faire cela.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Je comprends que durant cette période, vous avez vraiment approfondi la connaissance de vous même et de ce qui vous a amené dans cette situation. Comment vos études en psychologie et en criminologie vous ont-elles préparé à passer à travers cette révision administrative après 15 ans?
[Traduction]
M. Sauvé : Je ne suis pas certain qu'elles m'aient aidé à me préparer à ma révision judiciaire, mais elles m'ont préparé pour ma vie après la prison. Je savais que si ma révision judiciaire aboutissait, il me faudrait posséder des compétences à apporter avec moi dans la collectivité. Je savais qu'il allait être extrêmement difficile de réintégrer la collectivité. Comment allais-je expliquer où j'avais passé les 17 dernières années? J'ai donc été honnête avec les employés. Je ne me suis jamais préparé pour ma révision judiciaire; je me suis préparé pour ma vie en prison et après la prison.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Je vais vous poser une dernière question très difficile. Je vous demande d'y répondre de la façon la plus honnête. Vous avez rapidement embarqué dans un processus de réhabilitation lorsque vous étiez en prison. Si le programme de révision administrative n'avait pas existé et que vous ayez eu à faire encore six ou sept ans dans le système carcéral, connaissant toute la force qui vous habite, est-ce que vous seriez retombé dans la criminalité?
[Traduction]
M. Sauvé : Non, je n'y serais pas retombé.
Le sénateur Lang : J'aimerais parcourir à nouveau le processus de la révision judiciaire. L'un ou l'autre des témoins peut répondre.
Si je comprends bien, si je suis un contrevenant, je fais une demande auprès du juge. Le juge examine ma demande. Il peut ensuite décider de passer à l'étape suivante si son impression est positive. Si je comprends bien, à ce stade-là, aucun avis public concernant la demande n'est donné. Est-ce bien cela?
Mme Des Rosiers : Le Service correctionnel du Canada et d'autres le sauraient, mais mon interprétation de la chose est la même que la vôtre. Ce pourrait être modifié, mais à ce stade-ci, ce n'est pas ce que prévoit le processus.
Le sénateur Lang : La raison d'être du projet de loi est la victimisation des victimes plus tard, lorsque les détenus invoquent la disposition de la dernière chance. Il me semble que la chose est parfois rendue publique à l'étape où la demande initiale est faite au juge. L'un ou l'autre de vous deux pourrait-il me dire ce qu'il en est, car je ne pense pas que la chose soit censée être rendue publique à cette étape-là?
M. Sauvé : L'un des types avec lesquels je travaillais avait fait une demande de révision judiciaire il y a deux ans. Le procureur de la Couronne et la police avaient contacté les victimes et leur avait dit que le détenu en question allait faire une demande de révision judiciaire auprès du juge. Ces personnes ont fourni des déclarations de victime. Le juge a alors déclaré qu'un jury n'aurait pas de justification à accéder à la requête. Ce type n'a jamais eu l'occasion d'aller plus loin dans le processus.
J'ignore si cela répond à votre question, mais c'est là un exemple de cas où les victimes ont été contactées et ont fourni des déclarations de répercussions sur la victime qui ont été fournies au juge avant le dépôt de la demande elle- même.
La présidente : D'après vous, est-ce là le processus standard : une demande est déposée auprès du juge et les victimes en sont avisées de manière à fournir des déclarations de victimes au juge à la première étape de la sélection?
M. Sauvé : Je ne pense pas que ce soit standard.
Mme Des Rosiers : D'après ce que nous avons compris, ce n'est pas obligatoire, et je pense que cela dépend des circonstances. Souvent, la Couronne a le pouvoir discrétionnaire de décider si la déclaration de la victime doit être mise à jour.
Je sais qui pourrait vous fournir davantage de renseignements. Nous avons quelqu'un qui a fait une étude.
Le sénateur Joyal : Ma question porte sur le point soulevé par le sénateur Lang et concerne l'alinéa 745.63(1)d) du Code criminel. Celui-ci dit que le premier juge doit tenir compte de « tout autre renseignement fourni par la victime au moment de l'infliction de la peine [...] » En d'autres termes, le juge se reporterait à ce qui aurait été dit ou aux arguments présentés par le procureur de la victime ou son représentant. Et l'alinéa se poursuit comme suit « ou lors de l'audience prévue au présent article ». En d'autres termes, la victime serait invitée à témoigner lors d'une audience devant jury, et non pas la première fois que le juge se pencherait sur le dossier. Voilà très exactement ce que dit le Code. Nous pourrions faire confirmer la chose par Mme Des Rosiers, mais c'est ce que prévoit le Code criminel. Je ne suis pas le témoin ici.
Le sénateur Lang : Aux fins de notre séance d'aujourd'hui, je vais donc supposer, alors, que la plupart des victimes sont à ce stade contactées.
Le sénateur Joyal : Au stade de l'audience devant jury.
La présidente : Nous allons supposer qu'il en est ainsi aux fins de votre interrogatoire. Nous ne savons pas si la chose est factuelle, mais cela aura une incidence sur votre série de questions.
Le sénateur Lang : C'est ici qu'intervient cette question de la notification des victimes et de leur participation au processus. Il leur faut revivre toute l'horreur et toutes les pertes qu'ils ont déjà subies.
Je vais peut-être adresser la question à M. Sauvé. En ce qui concerne votre propre vécu, je pense vous avoir entendu dire que les parents de la victime étaient présents lors de votre révision judiciaire.
M. Sauvé : Ils l'étaient, mais ils n'ont pas témoigné.
Le sénateur Lang : Ils avaient manifestement été avisés à cette étape-là et pouvaient comparaître.
La présidente : C'était à l'étape où le juge et le jury étaient présents, n'est-ce pas?
M. Sauvé : Oui.
Le régime de libération conditionnelle prévoit la notification des victimes si vous êtes transféré d'un établissement à un autre. Elles sont également avisées si vous avez des permissions de sortie.
Le sénateur Lang : J'aimerais comprendre clairement la façon dont fonctionne le processus et à quel moment diverses personnes interviennent.
Plus tôt aujourd'hui, nous avons entendu deux témoins qui nous ont parlé de deux situations si atroces et douloureuses qu'il a été très difficile de leur poser des questions. Je ne parvenais même pas à m'imaginer ce qu'ils ont dû vivre.
Vous avez parlé de psychopathes ou de personnes n'ayant aucune chance d'être réhabilitées. Ma question s'adresse à l'un ou l'autre de vous deux. Dans les cas de crimes horribles, ces individus devraient-ils avoir le droit d'invoquer la disposition de la dernière chance? S'ils ont violé des personnes et infligé de tels dommages à la collectivité, devraient-ils avoir cette possibilité?
Je pense qu'au moins l'un des témoins a indiqué que différentes situations peuvent évoluer, et dans l'affaire qui nous occupe, il y a eu commission de meurtre. Lorsque j'ai entendu ces descriptions, il m'a fallu me dire à moi-même que ces personnes ne devraient jamais avoir le droit de marcher à nouveau dans la rue. C'est moi qui parle, mais j'aimerais entendre vos observations au sujet de situations comme celles-là.
Mme Des Rosiers : Nous savons que le système fonctionne de manière à ce que ces personnes ne soient vraisemblablement pas libérées.
L'un des arguments ici est que le projet de loi dont nous sommes saisis supprime la disposition de la dernière chance pour tout le monde. Je pense que c'est sur cette base que nous continuons de penser que le pouvoir discrétionnaire, après imposition de la peine, a le mérite d'autoriser les gens qui ont le potentiel de prouver à la société qu'ils sont en mesure de faire une contribution de se faire entendre. Cela cadre avec cette croyance en la réadaptation qui est au cœur des dispositions de notre Code criminel. Il s'agit là d'un important principe de dignité humaine et de notre mode de fonctionnement en société. C'est une responsabilité collective que de penser que la réhabilitation est la responsabilité de tous.
C'est dans ce contexte que le projet de loi a été analysé. Il existe déjà des dispositions et des outils dans le Code criminel qui permettent de déclarer une personne « délinquant dangereux ». Ce n'est pas comme si notre système était tout à fait impuissant lorsque confronté à des crimes comme ceux dont il est question ici. Cela ne diminue en rien la tragédie, ni le sentiment d'angoisse. Cependant, je pense qu'il y a des outils à notre disposition.
Le sénateur Wallace : Madame Des Rosiers, il y a quelque chose dans votre texte qui a fait naître dans mon esprit une réflexion à l'égard de votre association, l'Association canadienne des libertés civiles, et de votre opinion au sujet d'un aspect particulier de ce dont nous traitons aujourd'hui.
Dans votre déclaration, vous soulignez que la disposition de la dernière chance apporte un important élément de discrétion dans ce qui, autrement, est un régime de peines minimales obligatoires. Pour le meurtre au premier degré, la peine minimale obligatoire serait de 15 ans. L'effet du projet de loi S-6 serait de porter la peine à 25 ans.
Vous déclarez ensuite que votre association s'oppose depuis longtemps aux peines minimales obligatoires. Dois-je en conclure que votre association ne serait même pas en faveur des peines minimales obligatoires de 15 ans qui existent à l'heure actuelle? Ne devrait-il y avoir aucune peine minimale obligatoire, l'établissement de toutes les peines devant relever du pouvoir judiciaire discrétionnaire des juges et des jurys?
Mme Des Rosiers : Là n'est pas notre position générale, mais nous croyons qu'il y a un certain danger avec l'idée générale de l'augmentation des peines minimales. Nous avons continué de croire que l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire est important dans le cadre du système, du fait du risque d'injustice. Il est important d'avoir la capacité d'examiner les cas individuellement, et nous ne devrions pas perdre cette capacité. Cela coûte beaucoup d'argent d'avoir un système judiciaire. Les personnes qui en font partie doivent assumer leurs responsabilités et continuer d'intervenir dans la prise de décisions.
Si vous supprimez toute la marge discrétionnaire, alors vous créez un automaton. Cela est incompatible, et c'est ainsi que vous pouvez créer de vraies injustices. Notre position est qu'avant de décider d'imposer des peines minimales, il faudrait disposer de preuves très claires qu'il n'existe aucun autre moyen de réaliser vos objectifs.
Dans le cas du crime de meurtre, il a été essentiel, en vue de l'élimination de la peine de mort, d'établir une distinction entre le meurtre au second degré et le meurtre au premier degré, et de prévoir des distinctions telles que cela pouvait être compatible avec la façon dont les gens désirent exprimer leur révolte. Cependant, dans d'autres circonstances, nous nous inquiétons beaucoup de l'incidence qu'ont les peines minimales sur la façon dont le système fonctionnera et de la suppression générale de la marge discrétionnaire des juges.
Le sénateur Wallace : Ne conviendriez-vous pas qu'outre la réadaptation des contrevenants, l'un des principes de la détermination des peines — et cela est énoncé dans le code — est la dénonciation des actes illicites? Il s'agit là d'un principe important qui est censé représenter la vision qu'a la société du bien et du mal : plus le crime est grave, plus la peine doit être sévère. Dans notre société, ces principes sont importants.
Ne conviendriez-vous pas que c'est de ce principe qu'est née l'imposition de peines minimales — l'existence de pénalités minimales — et qu'il est important que notre société comprenne la chose car cela représente, dans toute la mesure du possible, la ligne de démarcation entre le bien et le mal?
Mme Des Rosiers : À notre avis, lorsqu'un juge exerce son jugement en imposant une peine, il doit examiner tous les facteurs. La réadaptation en est un, et la dissuasion, tant individuelle que sociétale, intervient également. Pour nous, il est important que le juge étaye cela publiquement. Voilà quel est le processus.
L'existence de peines minimales empêche cette explication. Il n'est pas vrai que les juges ne tiennent pas compte de cela, ni de la dissuasion, lors de l'imposition d'une peine. Ils le doivent et c'est ce qu'ils font, et ils explicitent le tout en cour. Lorsqu'ils exercent leur pouvoir discrétionnaire, à notre avis, c'est ainsi que le système devrait fonctionner. Vous voulez cette identification dans la salle du tribunal : cet acte était monstrueux et j'accorde donc plus de poids à la dissuasion qu'à votre processus de réhabilitation.
Lorsque vous imposez une peine minimale, vous supprimez ce processus d'identification. L'on a davantage devant soi un automaton. Je pense que c'est cela qui est perdu. Ce qui est perdu est ce processus.
Dans ma vie antérieure, j'ai fait beaucoup de travail pour les victimes d'abus sexuel; c'était mon travail. Le processus de la reconnaissance officielle et publique du sérieux de la chose était important. C'est l'affirmation de ce qui est important.
Il n'y a pas que le résultat qui compte; il y a également ce qui se produit. La façon dont la chose est exprimée, la façon dont la société reconnaît ce qui s'est passé, sont un aspect important. Les gens peuvent ne pas s'entendre quant à l'incidence à long terme des peines minimales, mais la perte de ce pouvoir discrétionnaire par les juges représente à notre avis une perte très réelle pour nous, collectivement. C'est dans ce contexte que nous avons présenté nos arguments. Cela crée en effet à l'occasion certaines injustices dans le système, et c'est dans ce contexte que nous avons continué d'étudier le problème.
Le sénateur Wallace : En réalité, il n'y a à l'heure actuelle pas de pouvoir discrétionnaire dans le système tel qu'il existe, dans le cas du meurtre au premier degré, jusqu'à 15 ans. Il s'agit d'un minimum obligatoire, car la société a dit que c'est la peine minimale. Pour moi, la question dont nous sommes saisis est celle de savoir s'il est approprié de porter cette peine obligatoire de 15 à 25 ans. En d'autres termes, cela constituerait-il aujourd'hui une dénonciation plus appropriée et plus juste du crime que 15 ans?
Mme Des Rosiers : Non, pas selon nous. En un sens, il y a un trop grand nombre de différences entre les contrevenants. Il y a un trop grand nombre de crimes différents, et il est important pour la société de continuer de croire en la réadaptation.
Le sénateur Wallace : Du point de vue des contrevenants, cela est logique. De l'autre côté, les victimes semblent dire qu'une peine minimale de 25 ans, est, pour notre société, une dénonciation plus appropriée du meurtre au premier degré qu'une peine de 15 ans. Il y a deux perspectives.
Mme Des Rosiers : Certes.
Le sénateur Raine : Assise ici comme je le suis et réfléchissant à ce que nous avons entendu aujourd'hui, je pense qu'il est clair que M. Sauvé se situe à une extrémité du spectre et qu'un psychopathe se trouverait à l'autre extrémité. Nous avons entendu parler des conséquences pour les victimes — leurs craintes et le traumatisme qu'elles vivent du fait de savoir que ces recours à la disposition de la dernière chance amèneront pour elles de l'incertitude.
Monsieur Sauvé, vous avez expliqué à quel point il était difficile pour vous de préparer une demande en vertu de la disposition de la dernière chance. Avez-vous jamais vraiment réfléchi à la difficulté que cela impose de l'autre côté, aux victimes, de savoir que cela pourrait revenir et revenir encore?
J'aimerais vous poser deux questions. Premièrement, vous avez dit au début que vous n'avez tué personne, mais que vous avez malgré tout été condamné pour meurtre au premier degré. Si je vous crois sur parole, vous n'êtes pas un meurtrier, alors vous n'envisagez pas nécessairement les choses comme les envisagerait une personne qui sait qu'elle a commis un meurtre. Pourriez-vous réagir à cela? Et en quoi cela a-t-il pu influer sur vous pendant votre processus de réhabilitation? Je vous en félicite; je pense que ce que vous avez fait est merveilleux.
M. Sauvé : Je ne devrais pas être félicité pour...
Le sénateur Raine : Pas l'acte, mais la réhabilitation, oui.
M. Sauvé : J'y pense à chaque jour. J'ai vu Bill se faire tirer dessus. J'en fais des cauchemars. J'y pense tous les jours. Cela a laissé une marque indélébile dans ma mémoire et ne me quittera jamais.
L'une des choses que je pense avoir faites — et c'est le cas d'autres personnes également —, pour témoigner mon respect envers Bill et sa famille, a été de m'améliorer. C'est pourquoi je parle avec tellement de jeunes gens dans la collectivité. C'est pourquoi je suis devenu un travailleur auprès des enfants et des jeunes et suis intervenu auprès de jeunes des quartiers déshérités, pour, je l'espère, leur livrer mon vécu et parler de ce qui s'est passé. C'est pourquoi j'étais prêt à venir ici aujourd'hui et à m'exposer à vous. C'est pourquoi je m'exprime devant les gens des médias et dis « J'ai été condamné pour meurtre au premier degré ». C'est une chose avec laquelle je vis chaque jour, et ce sera le cas jusqu'à la fin de ma vie.
Le sénateur Raine : Celle-ci est une question que je vous pose à tous les deux : pensez-vous qu'il serait utile, dans le cadre du système, de prévoir, à l'enclenchement de la demande de libération conditionnelle, une obligation de demander pardon aux victimes avant de comparaître devant le juge? J'ignore comment cela pourrait se faire, mais je pense qu'il y aurait de nombreux cas dans lesquels l'obtention du pardon serait très bénéfique. Il y a également d'autres cas dans lesquels la douleur est si profonde qu'il conviendrait de respecter le fait que les victimes ne devraient pas être assujetties au processus.
Mme Des Rosiers : Il s'est fait beaucoup de travail au sujet de la justice réparatrice. De nombreux programmes fonctionnent en fait fort bien. Il est dommage que nous mettions toujours l'accent sur les manquements de notre système et que nous insistions rarement sur les réussites et sur les raisons pour lesquelles l'investissement que nous avons consenti dans ces systèmes de réadaptation livre dans certains cas des résultats.
Ce n'est pas tout le monde qui souhaite participer. Certaines victimes décident de ne pas participer. Étant passées à autre chose, leur choix est différent. Cela dépend. Chacun guérit à sa manière, et nous devons respecter ce processus.
Ce n'est pas ce que nous avions en tête. Il est difficile d'imaginer exactement comment cela fonctionnerait. J'aimerais étudier ce qui se fait à l'heure actuelle au Service correctionnel du Canada et toutes les façons dont la réconciliation de l'infracteur et de la victime a été tentée et ce qu'il en est ressorti.
M. Sauvé : Mon épouse a dirigé un programme de réconciliation entre les contrevenants et leurs victimes, un programme de justice réparatrice, dans le quartier Jane-Finch, à Toronto. Dans le cadre d'une de ces séances de formation, elle s'est rendue au Texas et y a rencontré un groupe de personnes. Une femme là-bas avait survécu à un crime violent; un membre de sa famille avait été tué, et la personne qui avait tué ce parent, et l'avait attaquée elle, avait été exécutée. Elle a expliqué lors de cette séance de formation que cela ne lui avait apporté aucune résolution, et elle fait aujourd'hui campagne contre la peine de mort.
Nous espérons tous que les gens puissent pardonner. Nous espérons tous que les gens puissent passer à autre chose, mais il n'y aura jamais cette possibilité de clore l'incident pour les gens. Il y a un sentiment de perte qui sera toujours présent.
Demander à une victime de se présenter et lui demander si elle est prête à pardonner revient, en un sens, à la revictimiser. Et voilà que nous lui imposons notre espoir qu'elle guérisse. Je me suis entretenu avec des groupes de victimes. Il est difficile de se lever devant un groupe de personnes qui ont perdu un être cher victime de meurtre, et de dire « Je suis un meurtrier reconnu; j'ai été condamné pour meurtre au premier degré », pour ensuite leur demander « Êtes-vous prêts à me pardonner? » Il est difficile d'imposer cela aux gens. Ils ne s'en remettront peut-être jamais. J'ignore si même ils le souhaitent. J'ai assisté à des auditions de libération conditionnelle au cours desquelles la victime s'est levée et a ensuite embrassé le contrevenant. C'est l'une de ces choses qui est davantage un voyage qu'une destination, et certaines personnes n'y parviendront jamais.
Le sénateur Raine : Merci.
[Français]
Le sénateur Carignan : Vous avez parlé de l'injustice du système du fait de l'abrogation de la « clause de la dernière chance ». Mais la « clause de la dernière chance » n'est-elle pas aussi un peu injuste vis-à-vis des victimes? Pendant 15 ans, les gens vont se demander si le criminel va demander ou non l'application de la « clause de la dernière chance ». Certains criminels décident de ne pas la demander afin d'éviter aux victimes de se présenter. D'autres, vont en faire la demande et les victimes seront alors placées face au choix suivant : soit qu'elles témoignent et qu'elles revivent le crime, soit qu'elles ne témoignent pas, augmentant ainsi les chances du criminel d'obtenir une liberté anticipée. Il semble que dans certains cas, ils décident même en étant présents, de ne pas témoigner. Est-ce que vous ne trouvez pas cela aussi un peu injuste envers la victime?
Mme Des Rosiers : Chaque personne est placée dans une position différente ici. Le même processus se fait après 25 ans. Le même processus se fera donc de toute façon. Parce qu'il y a toujours la possibilité que quelqu'un demande une libération conditionnelle après 25 ans. Alors, vous dites qu'il y a dix ans de plus à espérer. Le point c'est que le processus n'a pas des répercussions sur toutes les victimes. Il y a des victimes pour qui le processus s'est passé et s'est terminé, soit parce qu'il y a eu de la médiation ou autre chose.
La discrétion dans le système, selon nous, a certainement des conséquences, mais elle nous invite peut-être à réaffirmer notre confiance ou, en tout cas, notre engagement envers la réhabilitation. C'est difficile de penser cela, mais c'est comme poser un geste de foi en la dignité humaine, voir la possibilité que certaines personnes changeront et deviendront de bons citoyens.
Je pense qu'une des difficultés est de tenter de décider à l'avance quelle serait la réponse d'une victime normale ou d'un prisonnier typique. Je pense qu'il est très difficile de le faire et on ne peut que faire des spéculations. Notre point ici, c'est simplement que d'une certaine façon, on va obliger les 130 personnes, qui ont bénéficié de la « clause de la dernière chance » à rester un autre dix ans et on devra alors payer pour ces personnes pendant cette période. C'est l'enjeu.
La présidente : Malheureusement, c'est tout le temps qu'on a. Je vous remercie infiniment.
[Traduction]
Un très rapide point d'information du sénateur Joyal.
Le sénateur Joyal : En réponse à certaines des interrogations du sénateur Lang au sujet des contrevenants dangereux, l'article 753 du Code énonce très clairement que si la cour considère qu'un contrevenant est dangereux, elle imposera une peine d'incarcération en pénitencier pour une période indéterminée. En d'autres termes, une personne peut se voir imposer une peine de plus de 25 années de réclusion pour meurtre au premier degré si la cour est convaincue qu'il s'agit d'une situation dans laquelle, comme l'a dit M. Sauvé, il s'agit d'un psychopathe, d'une personne souffrant de troubles psychologiques tels qu'il n'y a aucun espoir de récupération. La cour peut rendre une telle décision au moment de la détermination de la peine, si la Couronne en fait la demande.
Mme Des Rosiers : Il est cependant important de se reporter aux données internationales. Je comprends l'argument voulant qu'une peine de 25 ans soit aujourd'hui peut-être plus appropriée...
La présidente : Nous avons ces renseignements, et l'on s'y est plusieurs fois reporté dans le cadre de nos audiences. Je ne suis pas en train de vous priver de la possibilité d'apprendre quelque chose de nouveau aux sénateurs, car ils sont au courant.
Merci beaucoup à tous les deux. Collègues, cette matinée a été très instructive. Nous allons nous retrouver mercredi prochain, dans cette même pièce, et nous allons probablement demander l'autorisation du Sénat de siéger en dehors de notre plage habituelle, c'est-à-dire à 12 h 30 mercredi prochain.
(La séance est levée.)