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Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 13 - Témoignages du 20 octobre 2010


OTTAWA, le mercredi 20 octobre 2010

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi S- 10, Loi modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances et apportant des modifications connexes et corrélatives à d'autres lois, se réunit aujourd'hui, à 16 h 20, pour étudier le projet de loi.

Le sénateur Joan Fraser (présidente) occupe le fauteuil.

[Translation]

La présidente : Chers collègues, je vous souhaite la bienvenue à cette séance du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.

[English]

Nous commençons aujourd'hui notre étude du projet de loi S-10, Loi modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances et apportant des modifications connexes et corrélatives à d'autres lois.

[Translation]

Cet après-midi, nous avons le plaisir d'accueillir de nouveau le premier témoin pour l'étude d'un projet de loi important, l'honorable Robert Nicholson, ministre de la Justice et procureur général du Canada.

Je vous souhaite la bienvenue, monsieur Nicholson. Vous avez sans doute une déclaration à faire.

L'honorable Robert Nicholson, C.P., député, ministre de la Justice et procureur général du Canada : Merci, madame la présidente. Se joignent à moi Paul Saint-Denis et Catherine Kane, du ministère de la Justice. J'aurai le plaisir de faire une déclaration liminaire. Il y a exactement un an, j'ai comparu devant le comité pour parler d'un projet de loi dont le contenu était identique à celui de la mesure maintenant à l'étude.

[English]

Je constate que le comité a tenu plusieurs jours d'auditions sur le projet de loi C-15 et a entendu les témoignages de personnes venant de divers milieux.

[Translation]

Les membres du comité sont donc au courant des modifications que le projet de loi propose d'apporter à la Loi réglementant certaines drogues et autres substances pour lutter contre des crimes graves liés à la drogue au Canada.

Les Canadiens veulent être protégés contre les délinquants qui sont mêlés à une criminalité grave en matière de drogues et dont les activités illicites, comme la production de méthamphétamines et la culture de la marijuana, menacent leur sécurité et celle de leurs familles. De plus, il arrive souvent que des Canadiens respectueux des lois soient victimes des guerres que se livrent sur le terrain les gangs du narcotrafic. Il est inacceptable que de nombreux Canadiens aient trop peur pour se promener dans leur quartier. En vérité, le problème s'étend au-delà de nos frontières. L'Office des Nations Unies contre la drogue et le crime a même déclaré cette semaine que le trafic et la contrebande de drogues rapportent 120 milliards de dollars par année, et ce sont des organisations criminelles et terroristes du monde entier, y compris du Canada, qui en profitent.

Selon nous, la protection de la société contre les criminels est une responsabilité centrale des gouvernements fédéral et provinciaux. Les provinces ont la responsabilité première en matière de services de police, et ceux-ci sont la première ligne de défense des citoyens. Le gouvernement fédéral en soutient les efforts en finançant, par l'entremise de la GRC, de nombreux services policiers nationaux et en prenant des initiatives comme la Stratégie nationale antidrogue et la Stratégie relative à la justice applicable aux Autochtones.

Toutefois, seul le Parlement a le pouvoir de légiférer en matière pénale pour donner aux policiers les outils dont ils ont besoin et établir les sanctions dont les délinquants sont passibles. Nous estimons que la protection de la société exige que les criminels purgent des peines de prison conséquentes lorsqu'ils ont commis des crimes graves. Les crimes ciblés par le projet de loi S-10 sont sérieux : trafic, possession en vue de faire le trafic, importation, exportation et possession pour exportation de substances inscrites à l'annexe I, comme la cocaïne et l'héroïne, et de drogues inscrites à l'annexe II, comme la marijuana.

Voilà l'enjeu du projet de loi. La plupart des Canadiens sont sans doute d'accord avec nous pour dire que les producteurs et trafiquants de drogues qui menacent la sécurité de nos quartiers doivent être passibles de lourdes peines et que les peines d'incarcération de ceux qui commettent des crimes graves en matière de drogues doivent refléter la gravité de la menace que ces crimes font peser sur la société.

Le projet de loi S-10 propose un régime progressif de peines de prison obligatoires lorsqu'il y a un facteur aggravant ou un facteur de sécurité en cause. Par exemple, si le narcotrafic est pratiqué aux fins du crime organisé, ou s'il y a utilisation d'armes ou recours à la violence, le délinquant sera emprisonné pendant au moins un an. Si les drogues sont vendues à des jeunes ou si le trafic se fait près d'une école ou d'une zone normalement fréquentée par les jeunes, la peine de prison sera d'au moins deux ans. De plus, les producteurs de drogue seront condamnés à une peine d'au moins trois ans lorsque la production des drogues illicites constitue une menace pour la sécurité, la santé ou la sûreté des enfants ou d'un quartier résidentiel.

Dans l'ensemble, le gouvernement estime que ses propositions traduisent une approche adaptée des peines obligatoires pour la narcocriminalité grave. Comme le comité a étudié récemment les modifications proposées, je n'entrerai pas davantage dans les détails. Néanmoins, je vais dire un mot des amendements que le comité a proposés en décembre dernier et expliquer pourquoi le gouvernement a présenté de nouveau le projet de loi dans la version adoptée à la Chambre des communes.

Le premier amendement proposé par le comité aurait modifié l'un des facteurs susceptibles d'entraîner une peine d'au moins un an pour le trafic de drogues inscrites aux annexes I ou II. Selon la version que la Chambre des communes a adoptée, la peine obligatoire d'un an s'appliquerait à un délinquant qui a été condamné ou a purgé une peine de prison au cours des 10 années précédentes.

L'amendement proposé imposerait plutôt une peine obligatoire au délinquant qui a été reconnu coupable d'une infraction au cours des 10 années précédentes et qui a été condamné à une peine d'un an ou plus pour cette infraction. Nous croyons quant à nous qu'une condamnation dans les 10 années précédentes pour ces crimes graves suffit à justifier une peine obligatoire d'un an d'emprisonnement. Il est évident que le délinquant ne s'est pas amendé et c'est pourquoi une peine d'emprisonnement devrait être imposée. La condition proposée d'une peine d'un an pour une infraction antérieure pourrait avoir pour conséquence qu'un délinquant condamné de multiples fois n'écope jamais d'une peine de prison obligatoire. De plus, le délinquant peut se soustraire à la peine obligatoire en suivant avec succès un traitement de désintoxication. Il ne faut pas perdre cela de vue.

Votre deuxième amendement aurait éliminé la peine obligatoire de prison pour le trafiquant qui a en sa possession un maximum de 200 plantes de marijuana. La Chambre avait déjà étudié la question et modifié le projet de loi C-15 pour qu'il y ait une exemption pour la possession de cinq plantes ou moins. Accorder l'exemption pour un maximum de 200 plantes aurait pour effet, selon nous, d'affaiblir gravement le projet de loi et d'inciter les trafiquants à avoir plusieurs cultures de moins de 201 plantes chacune de façon à éviter la prison.

Les autres amendements qui ont été proposés me semblent inutiles. Une disposition prévoit un examen de la loi deux ans après son entrée en vigueur. Le Parlement pourrait décider, au terme de cet examen, si d'autres modifications s'imposent et s'il faut un autre examen, mais il est inutile d'imposer un examen au bout de deux ans et un autre au bout de cinq ans. Je comprends les inquiétudes au sujet des délinquants autochtones, mais le Code criminel ordonne déjà aux tribunaux de tenir compte des circonstances propres à ces délinquants.

Je profite de l'occasion qui m'est offerte pour signaler que le gouvernement est toujours déterminé à appuyer des programmes fructueux en matière de justice comme la Stratégie relative à la justice applicable aux Autochtones, qui a affecté 85 millions de dollars à des programmes de justice communautaire pour les Autochtones et qui réussit à réduire et à prévenir la criminalité dans les collectivités autochtones. Nous reconnaissons que ces programmes ont un effet déterminant en aidant les Autochtones à se détourner d'un mode de vie criminel et à briser le cycle de la violence.

Je dirai pour conclure que le projet de loi S-10 est essentiel si nous voulons que les organismes chargés de faire respecter la loi puissent sévir contre les producteurs et les trafiquants de drogue qui menacent les enfants, les quartiers et les collectivités. Il ne vise pas à punir les toxicomanes, mais à lancer un message : la sécurité et la sûreté des Canadiens restent au nombre des plus importantes responsabilités du gouvernement.

Qu'il soit bien clair que le projet de loi présenté aujourd'hui vise les auteurs de crimes graves liés à la drogue. Il lance un message clair : les installations de culture et les laboratoires de production de drogues situés dans des zones résidentielles et la vente de drogues à des jeunes et le trafic aux abords des écoles ne seront pas tolérés, et les délinquants seront punis de peines d'emprisonnement dignes de leurs crimes.

La présidente : Merci beaucoup, monsieur le ministre.

Honorables sénateurs, comme d'habitude, nous avons peu de temps à passer avec le ministre. Aussi, j'invite tous les sénateurs à la concision.

Le sénateur Wallace : Merci, monsieur le ministre Nicholson. Le projet de loi S-10 ainsi que je l'ai lu cible certains types d'activités liées aux drogues et que vous avez décrites comme des crimes graves liés aux drogues. Ces crimes comprennent le trafic, la production, l'importation et l'exportation de drogues. Je sais, après notre étude du projet de loi C-15, qu'il semble y avoir un problème de compréhension : le projet de loi C-15 s'appliquerait-il aux inculpations pour possession de drogues? Je vous poserais la même question au sujet du projet de loi S-10.

La réponse de certaines personnes semble indiquer que, selon elles, il existe un lien. Quelle est la réponse?

M. Nicholson : Merci d'aborder cette question avec moi, sénateur Wallace, et merci de tous les efforts que vous avez déployés dans l'étude du projet de loi et de tant d'autres initiatives en matière de justice que le gouvernement a proposées. Je l'apprécie beaucoup, tout comme tous les autres membres du gouvernement.

Ce que vous dites est très juste. Le projet de loi ne vise pas les personnes qui tombent dans la toxicomanie, font l'essai de drogues ou ont une ou deux plantes de marijuana. Il vise plutôt les trafiquants, le crime organisé et les importateurs de drogues. Ce ne sont pas des cas ponctuels. Des organismes d'exécution de la loi me disent que des opérations criminelles très sérieuses sont en cause.

Encore une fois, je comprends que ceux qui veulent critiquer cette mesure préféreraient ne jamais parler de ce fait, mais seulement propager la désinformation selon laquelle le projet de loi viserait la simple possession de drogues. Je me suis exprimé clairement à ce sujet un certain nombre de fois. Je comprends que des personnes ou des groupes ne soient pas disposés à jamais accepter cela.

Toutefois, j'ai étudié le projet de loi très attentivement et je le connais fort bien, puisque je lui ai consacré beaucoup de temps. Il vise les trafiquants, ceux qui n'hésitent pas à vendre de la drogue à des enfants, qui importent des narcotiques ou qui cultivent de la marijuana pour en faire le trafic.

Je peux comprendre que certains ne veuillent pas en parler et refusent d'admettre que le projet de loi porte là-dessus, mais c'est pourtant la réalité.

Je comprends que ceux qui ne veulent pas sévir contre les drogues au Canada présentent cette mesure sous un faux jour ou l'interprètent mal. Cela en dit plus long sur eux-mêmes que sur le projet de loi. Il reste que moi, le gouvernement et le ministère avons été très prudents dans la rédaction du texte.

Le sénateur Wallace : Vous parlez des dispositions du projet de loi sur le trafic. Peut-être pourriez-vous les expliquer. Quels types d'activité les dispositions sur le trafic visent-elles? Vous en avez parlé brièvement dans notre déclaration. Je ne vais pas dresser la liste. Je préfère l'entendre de votre bouche.

Le trafic suppose crime organisé, violence, armes, et cetera. Il me semble que même les dispositions sur le trafic sont ciblées. Elles ne sont pas générales et uniformes; vous avez quelque chose de précis en tête. Pourriez-vous décrire plus en détail l'impact sur notre société des dispositions sur le trafic?

M. Nicholson : Comme vous le dites, sénateur, c'est très précis. Dans ma déclaration d'ouverture, j'ai effleuré quelques facteurs, par exemple le trafic auprès des jeunes ou à proximité d'une cour d'école ou d'un établissement scolaire. Ce sont des facteurs aggravants de cette nature dont nous demandons aux tribunaux de tenir compte lorsque ces dispositions s'appliqueront.

Quant aux installations de culture, nous pensons que, si le délinquant a de 500 à 1 000 plantes, il s'adonne au trafic. Ce n'est pas une gentille petite expérience. Il ne s'agit pas de culture pour répondre à ses propres besoins. C'est du trafic.

Je me suis fait dire par une autorité digne de confiance, lorsque j'ai fait une tournée au Canada, que le crime organisé trempe dans ces activités; les gangs sont engagés dans ce genre d'activité. Je peux vous dire qu'on m'a expliqué clairement que ceux qui importent des drogues au Canada ou en exportent, ce sont des gangs et le crime organisé. Voilà les groupes qui se livrent à ces activités.

Ce sont des mesures qui vont dans la bonne direction. Ce sont les outils dont les organismes d'exécution de la loi et d'autres ont besoin, si je me fie à ce qu'ils me disent. Nous devons lancer le bon message : si vous participez à ce genre d'activité, les conséquences seront graves. Le projet de loi lance ce message. Merci de cette question.

Le sénateur Wallace : Une autre question rapide, si je peux. Le projet de loi prévoit des peines minimales obligatoires. Je suis sûr que, à vos yeux, ces minimums obligatoires sont un élément important de la proposition. Pourquoi des minimums obligatoires sont-ils prévus dans le projet de loi, et pourquoi estimez-vous qu'ils sont importants?

M. Nicholson : J'estime que ces peines traduisent le message : si vous décidez de produire de la marijuana, les conséquences seront graves. Si vous importez des drogues, les conséquences seront graves. Il me semble acceptable de lancer ce message.

Nous réduisons également la victimisation dans les quartiers. Il y a des gens qui vendent de la drogue à des enfants à proximité des cours d'école, il faut dire que les écoles ne méritent pas ça. Lorsque certains qui ont décidé que les écoles étaient un excellent endroit où vendre des drogues sont retirés de la circulation et mis derrière les barreaux, les écoles demeurent un endroit privilégié pour instruire les enfants.

Cette mesure est donc utile du point de vue de la victimisation et elle aide les gens à se sentir mieux dans leur quartier ou leur localité, sachant que ce genre d'activité n'est pas et ne sera pas toléré et que les conséquences auxquelles les délinquants s'exposent seront graves. À mon avis, c'est une façon de faire connaître le bon message que nous voulons envoyer.

La présidente : Merci, sénateur Wallace.

Le sénateur Wallace : Et de perturber l'activité criminelle?

M. Nicholson : Je le crois. Je me suis fait dire que, si on voulait perturber les activités de ces gangs, il fallait retirer ces gens de la circulation et s'assurer qu'ils ne sont pas en mesure de poursuivre ce genre d'activité.

La présidente : J'essaie de donner à chacun sa juste chance.

[English]

Le sénateur Carignan : Monsieur le ministre, bienvenue à notre comité, c'est toujours un plaisir de vous écouter. Nous étudions un projet de loi qui touche les peines minimales. Le tout semble s'inscrire dans la Stratégie nationale antidrogue du Canada qui ratisse beaucoup plus large. Pouvez-vous nous parler de l'ensemble de la stratégie et quelle est la part de ce projet de loi dans l'ensemble de la Stratégie nationale antidrogue?

[Translation]

M. Nicholson : Le projet de loi joue un rôle très important, mais ce n'est qu'un élément de la Stratégie nationale antidrogue. Sauf erreur, vous entendrez dès demain des témoins qui aborderont divers aspects de la question. Nous tenons à travailler avec les jeunes pour leur faire comprendre que les drogues, ce n'est pas une bonne idée. Nous voulons faire notre possible pour dissuader les gens, les aider et faire comprendre que nous nous inquiétons d'eux et que nous ne voulons pas qu'ils se laissent happer par ce genre d'activité qui risque de détruire leur vie.

Le projet de loi est un élément important. C'est l'une des raisons pour lesquelles j'appuie la Stratégie relative à la justice applicable aux Autochtones. Elle recourt à un certain nombre de méthodes différentes pour travailler avec les gens et les aider. J'ai appuyé également les tribunaux spéciaux qui s'occupent des affaires de drogue. On n'en trouve pas dans l'ensemble du Canada, mais c'est là un autre moyen à la disposition de celui qui, malheureusement, est devenu toxicomane, qui est devenu un problème et veut changer. Il trouve là une occasion de modifier son mode de vie.

Je le répète, tout cela fait partie du processus. En fin de compte, nous avons tous intérêt à ce que ceux qui se sont engagés dans ce genre d'activité en sortent. C'est mieux pour eux, mieux pour leur famille et mieux pour la société. Ainsi, dans une approche globale comme celle qui s'exprime dans la Stratégie nationale antidrogue, la Stratégie relative à la justice applicable aux Autochtones, les tribunaux spécialisés dans les affaires de drogues et les projets nationaux de prévention du crime, nous avons tous intérêt à essayer d'amener les délinquants à renoncer au crime.

J'appuie de tout cœur toutes ces mesures. J'ai eu l'occasion de me rendre à un certain nombre d'endroits où des gens ont réussi à mettre en place des mesures pour aider les délinquants, surtout les jeunes engagés dans ce type d'activité, pour les guider, les amener à renoncer à ce mode de vie afin de mener une vie productive. Nous avons tous un intérêt de ce côté, et il faut que notre approche soit globale. Je suis heureux de participer à ces efforts que j'appuie à fond.

[English]

Le sénateur Carignan : L'article 8.1 prévoit un rapport au Parlement sur un examen détaillé de la présente loi et des conséquences de son application assorti d'une analyse coûts et avantages des peines minimales obligatoires.

Je suis impressionné par l'engagement. Vous placez la barre haute. D'après les experts, c'est difficile de mesurer l'impact des peines minimales et de pondre un rapport dans un délai de deux ans. Les peines minimales sont là, on sait qu'elles ont un certain impact, mais il semble très difficile d'évaluer cela et de transformer cela en coûts et avantages. C'est un engagement sérieux, et c'est tout à votre honneur, mais avez-vous une idée du type d'étude ou d'analyse qui pourrait être faite? Peut-être est-ce une question trop technique pour des fonctionnaires, mais je vous pose la question quand même, que vous pourrez rediriger vers vos techniciens si vous préférez.

[Translation]

M. Nicholson : Je pense pouvoir répondre. Chaque analyse, chaque examen que nous faisons des changements que nous avons apportés est utile. Je fais remarquer à bien des occasions que nous devons constamment étudier les dispositions du Code criminel, dont certaines n'ont pas changé depuis les années 1890. Et même dans ces années-là, ces dispositions n'étaient pas nouvelles. Il s'agissait d'une compilation de dispositions existantes qui a été faite au moment de la création du premier Code criminel au Canada. L'examen de ces dispositions a ceci d'avantageux qu'il permet de voir s'il est nécessaire de les actualiser. Les changements technologiques sont un élément dont il faut tenir compte. Dans le seul domaine des drogues, des gens dont je reconnais l'autorité me disent quel niveau de complexité on atteint dans certaines de ces activités et quel montant est en cause. Nous voyons dans le monde entier les difficultés que causent les drogues. Il s'agit d'un problème international. Au fil des ans, le crime a changé de visage et nous voulons nous assurer d'être à la page.

Comment s'y prendrait-on? On voudrait probablement entendre le point de vue des organismes d'exécution de la loi. Par exemple, en ce qui concerne notre Loi sur la lutte contre les crimes violents, qui porte sur des modifications à l'égard de la libération sous caution et de la perpétration de crimes graves avec des armes à feu, on commence à me dire que cette mesure est utile aux organismes d'exécution de la loi pour retirer des délinquants de la circulation afin que, immédiatement après avoir été inculpés d'un crime grave commis avec une arme à feu, ils ne se retrouvent pas dans la rue, dans leur milieu. On me dit que c'est un progrès.

Comme je l'ai dit, la Chambre des communes a ajouté cette disposition la dernière fois. Dans un effort pour faire avancer l'étude du projet de loi, nous insérerons ces dispositions, mais elles peuvent être utiles en général pour faire le point sur les projets de loi et voir quelles sont les autres améliorations qui s'imposent.

Le sénateur Lang : Je souhaite au ministre la bienvenue au comité. J'ai une ou deux questions à lui poser. Je tiens à dire d'abord que je suis favorable aux mesures législatives sur les peines obligatoires. Je suis profondément convaincu que le crime ne doit pas rester sans conséquences et que cela doit se savoir. Si des gens commettent des crimes prémédités, il faut qu'ils sachent que, au bout du compte, ils devront payer cher s'ils se font attraper.

Je voudrais faire ressortir un autre point qui ne semble pas beaucoup abordé ici, et c'est la question des victimes. J'espère que, la semaine prochaine, une mère de ma région du Canada, une région rurale, comparaîtra ici comme témoin. Il y a un an, elle a perdu sa fille, morte d'une surdose à 17 ans. Vous entendrez un récit profondément humain qui illustre les conséquences que peut avoir l'activité de gens qui exploitent autrui pour faire de l'argent. C'est impardonnable.

Monsieur le ministre, dans votre déclaration d'ouverture, vous avez parlé des provinces et des territoires. Il nous serait utile que vous expliquiez davantage où en sont vos entretiens avec eux et nous disiez quel appui ils accordent au projet de loi et quelles sont leurs positions.

M. Nicholson : Bien franchement, vous vous fatiguez probablement de m'entendre parler de ce projet de loi, sénateur. Dans mes entretiens avec mes homologues provinciaux, j'ai réaffirmé, comme je l'ai fait à la dernière réunion, à Vancouver, que nous allions donner suite à ces mesures, que nous avons écouté le point de vue des organismes d'exécution de la loi qui sont actifs notamment dans les grandes villes, et que nous continuerons d'avancer sur ce front.

Une évolution intéressante qu'un certain nombre de mes homologues ont signalée, c'est que les installations de culture quittent les grandes villes. Un grand nombre des trafiquants, les gangs, le crime organisé qui cultivent la marijuana préfèrent sortir des grandes villes. Ils espèrent que la surveillance sera moins étroite et qu'une plus grande distance les séparera de leurs voisins immédiats. Ils me signalent donc cette évolution récente dans l'industrie de la culture de la marijuana, si on peut parler d'industrie.

J'ai donné à mes homologues l'assurance que le projet de loi que j'avais présenté de nouveau au Parlement et dont nous réclamons l'adoption reconnaît clairement qu'il s'agit là d'une entreprise et que ces individus se livrent au trafic. Je leur ai garanti que je ferais de mon mieux pour faire adopter le projet de loi qui prévoit de lourdes peines pour ceux qui trouvent que c'est une bonne idée de produire de la marijuana.

C'est l'une des évolutions dont j'ai été témoin, depuis quatre ans que je suis ministre de la Justice. De plus en plus de gens me disent maintenant que la criminalité difficile liée à la drogue est en train de quitter les grandes villes. Elle y est toujours présente, et il y a toujours un problème là-bas, mais certains éléments de la criminalité se trouvent désormais hors des limites municipales. J'ai donné aux ministres l'assurance que je ferais de mon mieux pour obtenir l'adoption de ce projet de loi et je me réjouis des réactions que j'ai reçues de leur part à ce sujet.

La présidente : Monsieur le ministre, je fais de mon mieux pour que les sénateurs soient concis, et je vais vous inviter vous aussi à plus de concision dans vos réponses, si vous le voulez bien.

M. Nicholson : Je m'en remets à vous, madame la présidente.

Le sénateur Lang : Simplement pour que ce soit bien net : les provinces et les territoires appuient-ils le projet de loi?

M. Nicholson : Ils connaissent tous le projet de loi et toutes les observations que j'ai reçues sont favorables.

Le sénateur Lang : Passons à autre chose. Dans votre déclaration d'ouverture, vous avez fait mention de la Stratégie relative à la justice applicable aux Autochtones. Je crois que tous ceux qui sont ici présents s'inquiètent du nombre de membres des Premières nations qui sont incarcérés et qui ont eu d'une façon ou d'une autre maille à partir avec les forces de l'ordre.

Le gouvernement s'est engagé à consacrer 85 millions de dollars aux programmes de justice communautaire pour les Autochtones. Avez-vous une façon de mesurer le succès de ces programmes? Peut-être pourriez-vous donner de plus amples explications.

Le sénateur Wallace a souligné qu'il y a ici deux aspects en cause. Nous essayons de tenir les gens loin de la drogue, de leur éviter le monde de la drogue, et nous essayons de lutter contre les trafiquants. Nous devons nous occuper d'un certain nombre d'aspects, et la population doit en être consciente. Auriez-vous quelque chose à dire à ce sujet?

M. Nicholson : Sénateur, c'est un bon point que vous soulevez là. Je suis un fervent partisan de la Stratégie relative à la justice applicable aux Autochtones. Premièrement, nous avons une responsabilité constitutionnelle et morale envers tous les habitants du Canada, y compris les Canadiens autochtones. Cette responsabilité nous a été conférée par la Constitution, et nous la partageons avec tous nos concitoyens.

Lorsque je suis devenu ministre de la Justice, j'ai eu droit au nombre habituel de séances d'information. Avant même d'accéder à ce poste, j'étais au courant de quelques éléments de nos interactions avec les Canadiens autochtones. L'idée que le programme soit souple me plaisait, car il nous permettait d'appuyer des idées et des projets divers.

Il est difficile de mesurer avec exactitude les progrès accomplis, mais je reçois chaque année des rapports et des séances d'information sur les différents éléments du ministère, et c'est justement là un domaine où l'information était toujours réconfortante. Je crois que le programme marche bien, et nous avons une responsabilité en la matière.

Chose certaine, les ministres de la Justice des territoires ont appuyé avec enthousiasme ces initiatives lorsque j'ai eu des entretiens avec eux. Je leur ai dit qu'il existait un soutien fédéral pour les projets qu'ils entreprennent et que ce type de coopération et de soutien sera maintenu, car nous avons tous intérêt à nous entraider. Ce fut excellent.

Le sénateur Baker : Premièrement, le ministre a dit que le projet de loi était identique au précédent. Ce n'est pas tout à fait le même, puisque vous avez ajouté un titre abrégé qui n'était pas là dans la version précédente. Premier point.

Deuxièmement, je vais aussi vous demander de vérifier, en guise de réponse au sénateur Wallace, qui a dit que le projet de loi ne prévoit rien au sujet de la possession de drogues, que, lorsque vous faites passer des drogues de l'annexe III à l'annexe I, vous modifiez en un sens toutes les caractéristiques des drogues aux fins des jugements des tribunaux.

M. Nicholson : Effectivement, sénateur, le titre est légèrement différent, mais le contenu demeure le même. Quant au déplacement d'une annexe à l'autre de produits comme les drogues du viol pour que les infractions deviennent plus graves, il est vrai que les infractions seront plus graves. Si le délinquant se mêle de verser des drogues du viol dans les boissons d'autres personnes, d'habitude des femmes, les conséquences seront plus graves.

Le sénateur Baker : Et le Ritalin? Lorsque je lis la liste des drogues à l'annexe III, je ne sais pas de quels produits il s'agit. C'est la première chose. Nous avons étudié le contenu du projet de loi en long et en large, mais le ministère ni personne d'autre, je crois, ne m'a jamais dit de quelles drogues il s'agissait.

Grâce à la lecture de quelques jugements, je sais que certains produits utilisés pour traiter l'hyperactivité avec déficit de l'attention figurent à l'annexe III. Le transfert à l'annexe I de ce produit, l'Atasol-30 ou d'autres médicaments courants — la codéine se trouve déjà là — fait de l'échange de ce produit une infraction passible d'une peine d'emprisonnement à vie; c'est la peine maximale qu'on peut se faire infliger si on donne ce produit ou le passe à quelqu'un.

Monsieur le ministre, tout le monde approuve l'intention qui est la vôtre, car vous voulez vous attaquer au crime organisé. Bonté divine, vous l'avez dit un million de fois à l'occasion de tous les projets de loi que vous avez présentés. Tout le monde respecte cela, et personne n'est en désaccord.

Toutefois, pour concrétiser cette intention, quand on considère le terme « trafic » —le terme est employé quotidiennement autour de cette table et à la Chambre des communes... Les Canadiens pensent que le trafic, c'est le crime organisé. Effectivement, c'est le crime organisé, mais c'est aussi simplement passer un joint de mari ou une pilule d'ecstasy à quelqu'un. Les cas sont innombrables. C'est un fait.

La critique qui vous est adressée à propos du projet de loi, et je suis persuadé que vous le savez, se rapporte au fait que vous privez le juge de toute latitude et prévoyez une peine obligatoire : le délinquant va en prison pendant un an ou deux s'il a commis une infraction désignée. Mais qu'est-ce qu'une infraction désignée? Passer un joint à quelqu'un au cours des 10 années précédentes.

Pour ces drogues de l'annexe III, vous avez privé le ministère public de toute latitude, parce qu'il s'agit d'infractions mixtes. Vérifiez l'annexe III. Ce sont des infractions mixtes, et c'est le ministère public qui fait un choix. Vous faites passer ces produits dans l'annexe I, et on a alors affaire à des actes criminels.

Lorsque vous privez le juge de toute latitude, vous ne modifiez pas la définition du trafic. Vous pouvez comprendre pourquoi certains s'indignent devant les minimums obligatoires, qui font disparaître toute latitude qui permettrait de considérer qu'il ne s'agit pas, dans tel ou tel cas, d'une infraction grave de trafic.

La présidente : Allons-nous prendre cette intervention comme une question, sénateur Baker?

Le sénateur Baker : Oui. Désolé, madame la présidente. Je me suis laissé emporter.

M. Nicholson : Pour répondre à votre question, sénateur, je dirai que nous n'avons transféré de l'annexe III à l'annexe I que les amphétamines et les drogues du viol. Ce sont les seuls produits. Oui, si on fait le trafic de drogues du viol... Encore là, il revient à la police et au procureur du ministère public de décider si une personne qui verse ces drogues dans la boisson de femmes doit être inculpée de trafic. C'est là qu'il existe une certaine discrétion. Tout cela dépend de questions de fait, et cela n'a pas changé, sénateur Baker.

Toutefois, comme vous l'avez fait observer, j'ai répété bien des fois que ceux qui s'occupent d'importer, d'exporter et de fabriquer ces produits et d'en faire le trafic, ce sont le crime organisé et les gangs. Ma position n'a pas changé, et c'est pourquoi vous devriez appuyer cette mesure.

La définition du trafic ne présente aucun problème. Dans chacun de ces cas, la décision d'inculper un prévenu pour possession ou pour trafic revient au procureur du ministère public. C'est une question de fait, et chaque cas fait l'objet d'une décision sur le fond.

Oui, nous faisons passer les amphétamines et les drogues du viol dans l'annexe I, et je crois que c'est là qu'elles doivent être inscrites.

Le sénateur Baker : Le ministère pourrait-il vérifier et dire au comité, à une séance ultérieure si ce n'est pas possible aujourd'hui, qu'aucun des produits inscrits à l'annexe I n'est prescrit pour des problèmes d'hyperactivité avec déficit de l'attention?

M. Nicholson : C'est comme tout le reste, sénateur. Au Canada, vous pouvez obtenir une ordonnance de marijuana, mais si des gens se lancent dans le trafic de la marijuana, c'est un crime. Cela dépend de ce qu'on fait des produits. Si la drogue sert à intoxiquer une personne à son insu, nous croyons que, au Canada, c'est un crime grave, et c'est pourquoi nous avons fait passer des produits de l'annexe III à l'annexe I.

Le sénateur Baker : Si nous avons amendé le projet de loi au départ, c'est à cause de la définition de trafic. Selon le paragraphe 2(1) du projet de loi, quiconque a été condamné pour une infraction désignée au cours des 10 années précédentes, comme passer un joint à quelqu'un à l'université, et fait la même chose aujourd'hui, après l'adoption du projet de loi, ira en prison.

M. Nicholson : Je vous dirai que...

Le sénateur Baker : Cette personne risque l'emprisonnement à vie, ce qui a toutes sortes de conséquences aux termes du Code criminel.

M. Nicholson : Vous avez peut-être des exemples où la peine maximale a été donnée. Je suis curieux de voir cela. Vous avez pris l'exemple d'un cas mineur de trafic : si une personne a été condamnée au cours des 10 dernières années et si elle est de nouveau condamnée pour trafic, je dirai que cela montre que cette personne n'a pas saisi le message et qu'il doit y avoir des conséquences graves pour elle, parce qu'elle ne renonce pas au trafic des drogues. Elle devrait tourner le dos à cette activité, sans quoi, effectivement, les conséquences sont graves. Cette personne, qui doit très bien connaître le système juridique, si elle a été condamnée une ou plusieurs fois pour trafic au cours des 10 dernières années, devrait saisir le message.

Le projet de loi ne plaira pas à des gens comme ça, car vous avez raison : à la prochaine inculpation pour trafic, il y aura des conséquences très graves.

Le sénateur Runciman : Monsieur le ministre, je suis plutôt intransigeant, dans ce domaine. À l'inverse du sénateur Baker, je m'inquiète des risques d'abus de la discrétion judiciaire à l'égard des individus qui se livrent à ce genre d'activité. Chose certaine, pendant la période que j'ai passée en Ontario, j'étais très conscient de l'exaspération des services policiers à l'égard des peines ou de l'absence de peines dans un grand nombre de situations très graves.

Néanmoins, je suis préoccupé par certains éléments du projet de loi, car, lorsque nous parlons de minimums obligatoires, il semble y avoir au moins une ou deux échappatoires. Il semblerait qu'on puisse demander un traitement pour toxicomanie ou manifester sa volonté de demander ce traitement, et je me demande comment cela fonctionnera.

L'autre élément, c'est que le ministère public avertit l'inculpé, avant qu'il n'inscrive son plaidoyer, qu'une peine minimale sera imposée. Selon moi, cela pourrait servir d'échappatoire et nous empêcherait d'atteindre l'objectif visé.

Il devrait y avoir certaines exemptions à cet égard également, par exemple en ce qui concerne le fait de tendre des pièges. Il me semble qu'une partie de la raison d'être des minimums obligatoires était de décourager le genre de conduite que nous utilisons comme facteurs pour faire intervenir des minimums obligatoires. Cela m'inspire des inquiétudes.

L'autre élément auquel vous devriez réfléchir, me semble-t-il, est celui de l'inadmissibilité à la libération conditionnelle. Je sais qu'il s'agit de peines de deux ou de trois ans, ce qui suffit à faire incarcérer les délinquants dans un établissement fédéral. Toutefois, je ne sais pas trop ce que veut dire l'admissibilité à la libération conditionnelle dans ces situations. Je sais bien qu'il y a d'autres cas où nous avons imposé l'inadmissibilité à la libération conditionnelle, mais j'estime qu'il faudrait réfléchir à la question.

M. Nicholson : Vous avez abordé un certain nombre de points, sénateur Runciman, et je vous sais gré de votre intérêt et de vos préoccupations à leur égard. À propos de l'un de ces points, il me semble raisonnable que le ministère public informe la défense du fait que des peines obligatoires seront imposées. Les prévenus ont le droit de préparer une défense et peuvent prendre d'autres mesures, les mesures appropriées pour constituer leur défense s'ils comprennent mieux les conséquences auxquelles ils s'exposent. C'est raisonnable.

Par ailleurs, comme le sénateur Baker le fait remarquer, il y a des peines maximums dans le Code criminel pour des crimes graves. Même lorsque le ministère public n'a pas donné avis qu'on envisageait l'imposition d'une peine obligatoire, il n'y a rien qui empêche la cour, dans les circonstances qui conviennent, d'imposer des peines très graves.

Nous ne pouvons pas prévoir tous les aspects de toutes les questions connexes, mais je crois que c'est là aussi un élément important, si nous voulons que les organismes d'exécution de la loi aient les outils nécessaires pour s'attaquer à ces crimes très graves.

[English]

Le sénateur Chaput : J'ai écouté attentivement les questions du sénateur Baker en ce qui concerne la définition de trafic et celle de trafiquant. J'ai aussi écouté attentivement la réponse du ministre.

À ce sujet, j'aimerais clarifier un point avec M. le ministre. Prenons l'exemple d'une jeune personne qui, dans la cour d'une école, ferait le trafic d'une ou deux pilules proscrites. Pourrait-on qualifier cette personne de trafiquante conformément à la définition dans le projet de loi? Et si oui, pourrait-elle avoir à subir une peine d'emprisonnement, de deux ans dans ce cas-ci? Je parle d'une première infraction.

[Translation]

M. Nicholson : Excellente question, sénateur. Cela dépendra des faits propres à chaque cas. Le trafic, cela veut dire qu'on vend, administre, transfère, transporte, propose, et cetera, un produit. Il existe une définition. Elle englobe aussi le don, selon les circonstances de chaque cas.

Vous avez raison : si quelqu'un qui se trouve sur le terrain d'une école donne des amphétamines, de la cocaïne, de l'héroïne ou n'importe quel des produits inscrits, il pourrait être inculpé de trafic. Cela dépendrait des faits propres à chaque cas. Vous avez raison, et le message doit être entendu de ceux qui pensent que les cours d'écoles sont un endroit où on peut faire le commerce des amphétamines, des drogues du viol, de la cocaïne, de l'héroïne et de la marijuana : ils s'exposent à des peines très sévères.

Votre question est excellente, mais vous avez tout à fait raison. Je ne vais pas parler de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, dont le régime est tout à fait différent. Les choses pourraient être graves si vous avez 18 ou 19 ans, allez rendre visite à de vieux copains à l'école et vous dites que vous allez en profiter pour vendre un peu de drogue ou refiler des drogues du viol. Les conséquences pourraient être graves. Nous voulons faire entendre le message. Tout ce que nous pourrons faire pour le diffuser sera utile à notre pays.

Le sénateur Chaput : La définition demeure inchangée, n'est-ce pas?

M. Nicholson : La définition de « trafic » reste la même, effectivement.

Le sénateur Joyal : Je voudrais faire passer la discussion à un niveau supérieur, plus vaste, celui de la guerre contre les drogues. Cela situera la question dans l'ensemble de son contexte. Votre ministère a-t-il évalué l'efficacité de la guerre contre les drogues lancée par les États-Unis?

M. Nicholson : Le ministère sait que la situation des États-Unis ne correspond pas exactement à la nôtre. Les difficultés qu'on y éprouve ne sont pas identiques aux nôtres. Néanmoins, le ministère est au courant de ce qui se fait aux États-Unis, en Grande-Bretagne, en Europe, en Australie et dans d'autres pays qui sont aux prises avec des problèmes semblables.

Il s'agit ici d'une solution propre au Canada, comme je crois l'avoir dit à une autre occasion. Nous avons tenu compte de toute l'information et de toutes les expériences, et nous avons élaboré des lois propres à notre pays.

Le sénateur Joyal : Ce qui me laisse perplexe, ce sont les divergences d'opinions qui existent entre les spécialistes de la politique au sujet de la prohibition. Je parlerai sans détours : j'ai été très étonné de certains propos de Tom Flanagan. Je crois que vous le connaissez très bien. Je crois que tous ceux qui sont ici présents le connaissent. Il est professeur de sciences politiques à l'Université de Calgary, et il a joué un rôle dans la campagne électorale du premier ministre Harper et la victoire des conservateurs aux élections. Il a donc de bonnes références auprès du Parti conservateur.

Le 20 septembre, j'ai lu le texte suivant de M. Flanagan dans le Globe and Mail :

La prohibition ne marche pas mieux contre les drogues que contre l'alcool. Les drogues sont maintenant aussi faciles à trouver que l'était l'alcool avant l'abrogation de la prohibition; et comme ce fut le cas pour l'alcool, la prohibition des drogues devra disparaître à long terme.

J'ai été d'autant plus renversé qu'il semble avoir des opinions communes avec le directeur général de l'Institut Fraser, Michael Walker, qui n'est pas précisément connu pour son indulgence libérale. Pas plus que le député conservateur Scott Reid. Ils semblent d'avis que, avec la prétendue guerre contre les drogues, nous faisons fausse route.

Quelle est votre réaction à pareille opinion, à ce niveau? Il ne s'agit pas ici de hippies ni de groupes marginaux dans les rues, mais de gens qui mènent depuis longtemps une réflexion sérieuse sur les politiques que le Canada devrait adopter.

M. Nicholson : Nous avons tous des surprises. Vous venez de faire état de propos que vous attribuez à une ou deux personnes. À titre de ministre de la Justice, je trouve souvent des observations et des opinions qui me stupéfient. Il y a deux semaines, on m'a signalé que Michael Ignatieff, le chef du Parti libéral, s'était prononcé en faveur de la dépénalisation de la marijuana. J'ai été abasourdi. Je croyais que nous avions dépassé ce genre d'idée, qui lance le mauvais message aux jeunes, car il ne faut pas prendre cette drogue à la légère.

Pourtant, je me dis que c'est une divergence d'opinions. Il croit, je ne sais pas pourquoi, que la dépénalisation de la marijuana serait bénéfique pour le Canada, mais je ne saurais être plus en désaccord. Au bout du compte, nous devons nous faire notre propre idée sur ce qui est bien.

Je peux vous dire que je discute régulièrement avec les procureurs généraux des provinces, les représentants d'organismes d'exécution de la loi, des policiers, des victimes et des simples citoyens, et je suis sûr que, avec ce projet de loi, nous sommes dans la bonne voie.

J'espère que, cette fois, vous allez appuyer cette mesure, sénateur. Il s'agit d'une approche très équilibrée et elle lance le bon message au sujet des crimes très graves dont nous discutons. Il reste que, effectivement, nous sommes parfois étonnés. J'ai été très étonné des propos de M. Ignatieff, mais nous avons tous nos divergences de vues.

Le sénateur Joyal : M. Flanagan enseigne à des étudiants à l'université.

M. Nicholson : M. Ignatieff s'adresse aux Canadiens à titre de chef de l'opposition. Je suis d'accord avec vous sur un point. Je suis parfois étonné et stupéfait, et ce fut un choc d'apprendre que cette opinion surgissait de nouveau.

Le sénateur Joyal : Voyons l'argumentation invoquée à l'appui de la position de M. Flanagan.

La prohibition mène à une croissance hypertrophique de l'appareil de sécurité et de surveillance de l'État, à des fouilles et des saisies de biens arbitraires, à une pénalisation injustifiée d'activités innocentes et à une croissance de la vraie criminalité, conséquence du trafic de drogues illicites.

Il y a là une argumentation. Autrement dit, les intentions ne suffisent pas pour atteindre l'objectif, c'est-à-dire s'assurer que ceux qui consomment ces produits soient ceux qui doivent y avoir accès. Je le répète, s'il s'agissait d'un libéral, je me dirais : bon, c'est un libéral. Mais ce n'est pas le cas. Cet homme incarne la politique conservatrice, et il semble penser ceci, pour le citer de nouveau :

Au lieu d'intensifier sa propre guerre contre les drogues, le Canada devrait se préparer à s'orienter dans cette direction, dans les limites de ce qui est possible sur le plan pratique.

Il y a là toute une réflexion; ce n'est pas une simple position improvisée. Ce que je vous dis, c'est que, en dehors de vos bonnes intentions, il y a là deux Canadiens fort respectables, même au plus haut niveau de la pensée conservatrice, qui estiment que cette approche est vouée à l'échec.

M. Nicholson : Sénateur, vous avez été membre d'un cabinet. On reçoit des opinions d'une foule de gens. Il peut y avoir des personnes de haut rang, très respectées... J'ai donné l'exemple de M. Ignatieff. Il y a bien des choses que je respecte chez lui, mais je suis en complet désaccord avec lui.

Le ministre et le gouvernement doivent prendre position sur ces questions. Je vous demande d'examiner ce projet de loi qui porte sur le trafic et le crime organisé. Il y a des gens qui importent des drogues au Canada, des gens qui en produisent, sénateur. Ce qui est proposé, c'est une approche très équilibrée, raisonnable, qui lance le bon message à ceux qui voudraient s'adonner à ces activités.

Encore une fois, cela ne dit rien de mon opinion sur M. Ignatieff ou n'importe qui d'autre. Nous devons prendre une décision sur cette mesure.

En ce qui concerne M. Ignatieff, je suis en complet désaccord avec lui. J'irais jusqu'à lui dire : « Vous voulez être conciliant avec ceux qui sont dans le commerce de la drogue, mais vous nous dites jour après jour qu'il faut sévir contre ceux qui ne remplissent pas les formulaires de recensement. »

C'est là-dessus que nous devrions faire porter nos efforts. Je n'en respecte pas moins ceux qui ont des opinions différentes. Avec bien des gens dont j'entends parler, je dois accepter d'être en désaccord, mais comme vous le savez à titre d'ancien ministre, il faut écouter tous les avis qu'on reçoit et élaborer une approche très raisonnable. Il s'agit ici d'une excellente approche, et j'espère que, cette fois, vous lui accorderez votre appui.

Le sénateur Watt : J'ai d'autres questions, mais je ne vais en poser qu'une. Pourquoi faire porter cette mesure sur telle chose et pas telle autre? Monsieur le ministre, est-ce possible de viser également l'alcool?

M. Nicholson : Idée très intéressante, sénateur. Proposez-vous de faire porter la mesure sur le trafic et le commerce illicite d'alcool?

Le sénateur Watt : Pourquoi laisser cela de côté?

M. Nicholson : Le projet de loi est axé sur les activités du crime organisé et des narcotrafiquants. D'habitude, je me fais demander pourquoi nous ne nous occupons pas d'une demi-douzaine de domaines différents. Si vous voulez présenter un projet de loi d'initiative parlementaire, c'est votre affaire, mais l'alcool est bien réglementé au Canada. Pour l'essentiel, la réglementation de ce produit est de ressort provincial.

Le sénateur Watt : Mais l'alcool tue beaucoup de monde. Il y a bien des gens derrière les barreaux qui ont consommé de l'alcool.

M. Nicholson : Certains de vos collègues jugent le projet de loi trop répressif et voici que vous voulez qu'il s'applique également à l'alcool.

Le sénateur Watt : Je ne vois vraiment pas pourquoi laisser de côté un produit qui est aussi...

M. Nicholson : Les sénateurs Baker et Joyal sont probablement d'accord avec moi pour dire que nous ne devons pas amender... Que proposez-vous? Inscrire l'alcool à l'annexe I?

Le sénateur Watt : Je ne propose rien. Je vous pose simplement une question.

M. Nicholson : Je dis que mon projet de loi est axé sur ce que les organismes d'exécution de la loi et d'autres me disent : les drogues sont un problème très grave aux niveaux national et international, et il nous faut des lois en conséquence. C'est à leurs requêtes que je réponds.

Le sénateur Watt : Je dois admettre que je suis d'accord avec vous là-dessus.

M. Nicholson : Vous pourriez me demander pourquoi nous laissons de côté le problème des vols de voiture. C'est une question raisonnable. Je dirais qu'il s'agit ici d'une mesure très précise. Aujourd'hui, nous nous occupons des drogues.

Toutefois, comme vous le savez, j'ai beaucoup de projets de loi à l'étude au Parlement. Si un projet de loi d'initiative parlementaire proposait d'inscrire l'alcool à l'annexe I ou II de la loi, je ne crois pas que je l'appuierais. Là encore, il y a peut-être des divergences d'opinions — simple hypothèse — du côté des sénateurs Baker et Joyal, mais c'est là une question à discuter à l'intérieur de votre propre parti politique.

Le sénateur Watt : À mon idée, l'alcool est une drogue qui n'est guère différente des autres drogues.

M. Nicholson : Merci de votre avis.

La présidente : Avant de passer à un deuxième tour, je voudrais vous demander une précision, monsieur le ministre, si vous pouvez m'éclairer. Dans votre déclaration, vous avez dit à propos d'un amendement que le comité a apporté à la version antérieure du projet de loi : « Je comprends les inquiétudes au sujet des délinquants autochtones, mais le Code criminel ordonne déjà aux tribunaux de tenir compte des circonstances propres à ces délinquants. »

Je présume qu'il s'agit du passage de l'alinéa 718.2e) qui préconise : « l'examen de toutes les sanctions substitutives applicables qui sont justifiées dans les circonstances, plus particulièrement en ce qui concerne les délinquants autochtones ».

Dans le Code criminel tel qu'il existe aujourd'hui, cela laisse aux juges une large discrétion à l'égard des délinquants autochtones, notamment. Toutefois, le projet de loi à l'étude, tel que je l'interprète, impose des minimums obligatoires pour tous. Je ne vois pas trop comment concilier cette mesure avec la disposition existante du Code criminel.

Voulez-vous nous dire que la disposition existante du Code criminel l'emporterait sur les minimums obligatoires dans le cas des Autochtones?

M. Nicholson : Les minimums obligatoires ne sont qu'un élément de l'ensemble. L'alinéa dont vous parlez s'appliquerait à l'alourdissement des peines. D'une part, nous établissons un minimum, mais d'autre part, il y a aussi un maximum qui est fixé.

Si un juge estime qu'une peine de trois, quatre ou cinq ans convient dans les circonstances et tient compte de cette disposition particulière, il peut y veiller. Quant à nous, nous fixons des minimums obligatoires tout comme nous prévoyons des maximums pour un certain nombre d'infractions.

La présidente : Pour tout le monde?

M. Nicholson : Les minimums obligatoires sont pour tout le monde, oui, mais cette disposition intervient aussi et dit aux tribunaux de tenir compte d'un certain nombre de facteurs, dont celui que vous venez de signaler.

La présidente : Mais sans que cela change quoi que ce soit à l'application uniforme des minimums obligatoires.

M. Nicholson : Exactement.

Le sénateur Wallace : Monsieur le ministre, dans votre déclaration, vous avez dit un mot de l'exemption qui a été imposée dans le projet de loi C-15 pour la production de marijuana. C'est la question des 200 plantes. Au cours de votre témoignage vous avez également signalé que vous observiez des changements dans le commerce de la drogue. Il se concentrait dans les centres urbains, mais voici que certains éléments migrent vers les régions rurales.

En ce qui concerne les accusations pour production, les minimums obligatoires seraient imposés pour la production de 6 à 200 plantes. Je me rappelle à ce propos que, dans les témoignages sur le projet de loi C-15, on nous a dit que la valeur de gros de 200 plantes pouvait s'élever à 350 000 $, sauf erreur.

Pourriez-vous expliquer un peu plus pourquoi il vous semple important de prévoir cette disposition dans le projet de loi? Comme vous vous le rappellerez, les amendements proposés par le Sénat l'auraient fait disparaître, mais elle a été rétablie. Pourquoi est-ce si important à vos yeux?

M. Nicholson : L'article est très précis. Si le prévenu a moins de 201 plantes, il faut faire la preuve qu'il fait du trafic. Les organismes d'exécution de la loi m'ont dit que les gens qui ont 150 plantes se livrent au trafic. La preuve est donc peut-être facile à faire. Elle pourrait être moins facile si la personne n'a que sept plantes, mais, comme je l'ai dit, cela dépend des circonstances propres à chaque cas. Ces installations de culture deviennent cependant de graves risques pour la sécurité et la santé dans les secteurs où elles se trouvent.

On m'a dit bien des fois que la marijuana sert de monnaie d'échange pour financer le crime organisé, et les conséquences sont graves. Une partie de la marijuana est exportée pour aider à payer et rapporter d'autres drogues au Canada. C'est un sérieux problème. Où que j'aille, on me parle des problèmes qu'on éprouve à bien des niveaux à cause des installations de culture, et je crois que les dispositions proposées ici sont les bienvenues.

Comme vous pouvez le voir au tableau des peines, lorsque le délinquant a 500 plantes, ce n'est pas la peine de faire la preuve que c'est du trafic. C'est évident. Il ne s'agit pas de faire une preuve, parce que le nombre de plantes rend la chose évidente. Et il y a l'autre norme pour les cas où il y a moins de 201 plantes.

Vous avez tout à fait raison : on me dit depuis environ deux ans que même la production de marijuana évolue. Comme vous le dites, il arrive bien des fois qu'elle migre hors des villes, jusque dans les zones rurales.

Le sénateur Wallace : Comme c'était le cas de l'amendement apporté au projet de loi C-15 à l'époque, serait-il juste de dire que, si la production de 6 à 200 plantes n'était pas prévue dans le projet de loi à l'étude, il y aurait là une grande échappatoire dont le crime organisé pourrait profiter?

M. Nicholson : Je ne peux jamais sous-estimer l'ingéniosité du crime organisé. Vous signalez avec raison la possibilité que, pour éviter les lourdes peines prévues par le projet de loi, des particuliers ou des groupes aient 150 plantes à divers endroits, si bien qu'ils échapperaient à cette disposition. Il reste que, malgré tout, l'approche me semble très équilibrée et lance le bon message.

Le sénateur Joyal : Monsieur le ministre, je réfléchis toujours au fait que nos voisins, les États-Unis, qui ont consacré d'énormes moyens à la lutte contre la drogue, semblent aujourd'hui songer, après des années d'une intervention très brutale à tous les niveaux des forces policières américaines, à adopter une approche plus nuancée. J'ai essayé de décrire la situation dans les termes les plus édulcorés possible.

Ainsi que je vois les choses, il y a beaucoup d'États américains, dont certains des plus importants, qui revoient leur approche de la lutte contre les crimes liés à la drogue et du marché des drogues en général pour la cibler avec plus de précision. Ils ont l'impression que l'imposition de lois très répressives sur toute la ligne a pour effet de pousser une grande partie de l'activité dans la clandestinité, ce qui accroît davantage les difficultés pour les forces policières qui cherchent à épingler les barons de la drogue que cela ne sert l'objectif que devrait viser la politique antidrogue.

Voilà pourquoi je m'inquiète. En insistant uniquement sur un seul aspect, il semble que nous raterons la cible, un peu comme les États-Unis qui se rendent compte qu'ils doivent rajuster leurs politiques.

Ce n'est pas une chose que vous avez dite. Vous semblez n'avoir qu'une devise : lançons le message. Nous allons répéter et répéter le message tellement de fois que tout le monde trouvera le bon chemin. Il ne me semble pas que vous allez atteindre l'objectif à coup d'incantations magiques.

M. Nicholson : Essentiellement, j'essaie de faire comprendre au comité à quel point le projet de loi est important et à quel point je suis déterminé à le faire adopter pour qu'il devienne loi.

Je comprends que les divers pays ont des expériences différentes. Je rencontre régulièrement les procureurs généraux des États-Unis, de la Grande-Bretagne, de l'Australie, de la Nouvelle-Zélande et d'ailleurs. J'assiste aux conférences de l'Organisation des États américains et du Commonwealth et je vois quelle est l'expérience de chacun, l'expérience de chaque pays.

Nous devons trouver des solutions proprement canadiennes à ces problèmes. Vous dites que les lois sont dures pour celui qui importe des drogues pour en faire le trafic. Ce n'est pas mon avis. Elles sont raisonnables. Elles l'aident à comprendre que c'est là une activité qui fait problème et qu'il ferait bien de demander de l'aide. Nous voulons que la loi réprime l'activité criminelle qui a cours dans les rues de tant de villes et localités au Canada. Nous voulons la faire disparaître et faire comprendre à quiconque songerait à s'y adonner que c'est une activité condamnable.

Je comprends que les expériences varient d'une administration à l'autre. Je respecte toutes ces administrations, mais nous devons trouver des solutions propres au Canada, et l'approche proposée est très raisonnable et mesurée.

La présidente : Sénateur Joyal, nous sommes vraiment à court de temps. Pourriez-vous poser une question en 10 secondes?

Le sénateur Joyal : Oui. Des experts m'ont dit que les criminels ne se préoccupent pas tellement du nombre d'années de prison, mais plutôt des risques de se faire prendre par la police. Vous pouvez prévoir des peines 10 fois plus longues dans les lois, cela ne les dissuadera pas, s'ils ont l'intention de commettre le crime.

M. Nicholson : Je comprends bien, mais ils auront un peu plus de mal à mener leur activité. Si vous cultivez de la marijuana et que vous vous trouvez en prison, il est plutôt difficile de continuer. Et si vous voulez importer des drogues au Canada, il est assez difficile de continuer à le faire si vous êtes en prison. Je comprends. Ces criminels auront beaucoup plus de mal à reprendre leur activité.

Les policiers me disent que cela perturbe l'activité criminelle. Quand on retire de la circulation ceux qui se livrent à cette activité, ils ont beaucoup plus de mal à continuer. Il y a bien d'autres aspects aussi, mais c'est certainement l'un d'eux.

La présidente : Monsieur le ministre, merci beaucoup. Nous vous sommes très reconnaissants d'avoir pris le temps de comparaître.

Pour nous aider à étudier le projet de loi S-10, nous avons parmi nous, du ministère de la Justice du Canada, Mme Catherine Kane, directrice générale et avocate générale principale, à la Section de la politique en matière de droit pénal, et M. Paul Saint-Denis, avocat-conseil à la Section de la politique en matière de droit pénal. Vous avez déjà comparu tous les deux. Nous sommes enchantés de vous accueillir de nouveau.

Cette fois-ci, je ne crois pas que vous ayez de déclarations liminaires à faire. Aussi, nous allons passer directement aux questions.

[English]

Le sénateur Carignan : J'ai lu le projet de loi où il y a des éléments très techniques concernant des drogues ou des dérivés. Il m'a été raconté différentes situations dont la possibilité d'acheter sur Internet, à l'extérieur du pays, des composantes de la drogue du viol, de la faire livrer ici par la poste et de faire les mélanges ici pour composer la drogue du viol. Je ne suis pas chimiste, je ne suis pas très connaissant dans le domaine. J'aimerais savoir si vous êtes au courant de ces pratiques, de la possibilité d'acheter sur Internet des composantes de la drogue. Est-ce que dans cette liste des produits les composantes de ces drogues sont également incluses dans la question de l'importation ou si ce qui est écrit dans la liste est le résultat chimique des mélanges ou des différentes composantes? Je ne sais pas si c'est assez clair.

Paul Saint-Denis, avocat conseil, Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice Canada : Oui, c'est très clair, nous sommes au courant de ces activités, il y a des composantes importées via des achats sur Internet. Les dispositions de ce projet de loi ne visent pas ce genre d'activité, sauf l'activité de la production. Si cette activité de la production vise une drogue, le projet de loi viserait cette activité. Pour l'activité de l'importation des composantes, non, pour cela généralement, il s'agirait de précurseur, et si ce sont les précurseurs qui sont listés, ce serait des précurseurs listés à l'annexe cinq, qui est à l'extérieur de la portée du projet de loi.

Le sénateur Carignan : Quand vous parlez des précurseurs, vous parlez des composantes de la drogue, c'est déjà légiféré?

M. Saint-Denis : C'est déjà légiféré, il y a déjà des contrôles, il y a des règlements touchant la question des précurseurs mais le fait, par contre, de produire ce genre de drogue, une drogue qui serait touchée par ce projet de loi ici à ce moment, les peines minimales s'appliqueraient.

Le sénateur Carignan : Parfait, merci.

[Translation]

Le sénateur Watt : J'ai une question à propos des jeunes délinquants, surtout dans le Nord. Le coût élevé des transports n'est pas une question que tous sont à l'aise d'aborder, mais en réalité, il faut en tenir compte.

Le gouvernement a-t-il calculé les coûts de cette mesure? A-t-il étudié les coûts du transport d'une personne du Nord vers le Sud avant qu'elle soit incarcérée? Les personnes en cause devraient au moins avoir la possibilité de se réadapter dans ces centres de thérapie. Il n'existe aucune thérapie dans le Nord, et il est fort probable qu'il n'y en aura pas avant longtemps en raison des coûts. Le gouvernement a-t-il fait des études de faisabilité pour savoir quels coûts additionnels il devrait assumer, étant donné qu'il s'agit ici d'habitants du Grand Nord et que les transports ne sont pas faciles? Par exemple, ma localité est située à 900 miles d'ici par la voie des airs. L'aller-retour coûte plus de 2 000 $.

Qui assumera ces coûts? Le gouvernement du Canada va-t-il payer pour amener des gens suivre une thérapie? Y a-t- il une stratégie en place? Je voudrais avoir une idée claire.

Catherine Kane, directrice générale et avocate générale principale, Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice Canada : Je peux répondre que le problème que vous soulevez n'est pas propre aux installations de thérapie pour les toxicomanes. C'est le même pour toute une série d'autres éléments qui sont présents dans l'administration de la justice dans le Nord. Il arrive souvent qu'il faille transporter des habitants du Nord dans le Sud pour des évaluations ou toute sorte d'autres choses, étant donné que le Nord n'a pas les installations voulues. On peut espérer que, avec le temps, il y en aura davantage là-bas.

Des collègues comparaîtront demain et ils parleront de l'ensemble de la Stratégie nationale antidrogue. Ils donneront des exemples à partir de l'information que nous avons recueillie auprès des procureurs dans le Nord sur les installations qui existent déjà dans cette région. Certains de mes collègues pourront peut-être vous parler du financement de certaines de ces installations. Comme le ministre l'a signalé, il y a la Stratégie relative à la justice applicable aux Autochtones. De plus, une série de programmes est financée grâce au Programme de la justice pour les jeunes, conjugué à d'autres programmes de justice. Je ne peux pas dire avec certitude quels programmes se rattachent à la catégorie que vous avez en tête, mais ces collègues pourront vous éclairer davantage.

Les coûts sont élevés, lorsqu'il faut transporter des gens vers le Sud. Nous pouvons espérer que, avec le temps, les capacités seront renforcées dans le Nord, de sorte que les accusés de cette région n'auront plus à venir dans le Sud pour profiter de ces programmes.

Le sénateur Watt : Je voudrais avoir des précisions. Qui doit assumer les coûts? Le gouvernement du Canada ou le délinquant lui-même? Qui assume les coûts? Qui paie?

Mme Kane : Cela dépend de ce dont il s'agira au juste. S'il s'agit d'envoyer un accusé dans le Sud pour faire évaluer son aptitude à subir un procès, ce sont des coûts liés à l'administration de la justice.

Le sénateur Watt : Je veux parler de l'accès à la thérapie.

Mme Kane : Si le traitement est ordonné comme élément de la peine, cela dépendra du traitement et de l'endroit où il est donné. Cela dépendra aussi de l'existence ou non d'une entente sur l'attribution des coûts.

La présidente : Nous n'avons pas énormément de temps pour interroger les témoins, sénateur Watt.

Le sénateur Watt : C'est une question importante.

La présidente : Je sais bien.

Auriez-vous l'obligeance de nous rédiger une description assez détaillée du fonctionnement du système, de ce qui est disponible et du montant des coûts en précisant qui doit les assumer?

Le sénateur Watt : Je voudrais savoir ce qui se fait dans le Sud par opposition à ce qui se fait dans le Nord pour pouvoir faire une comparaison.

La présidente : Quels sont les centres de traitement? Si vous avez les chiffres, quels sont les taux comparatifs d'utilisation des centres de traitement dans le système de justice dans le Nord et dans le Sud?

Mme Kane : Nous fournirons toute l'information que nous avons en main, mais la question est très vaste, pour ce qui est de la nature des traitements. Il ne nous sera pas possible de préciser le coût du traitement de X ou de Y. Cela dépend de la nature du traitement. Il n'existe pas de programme homogène de traitement que qui que ce soit aurait en tête.

La présidente : Le comité ne possède aucune information sur la question. Il souhaite depuis longtemps comprendre les répercussions des projets de loi adoptés sur tous les Canadiens, mais aussi sur les Canadiens autochtones. Par conséquent, si vous vous le pouvez, donnez-nous des ordres de grandeur avec des exemples. Tous les renseignements que vous pourrez nous communiquer nous seront de la plus grande utilité.

Mme Kane : Demain, des collègues de Santé Canada comparaîtront, et ils auront peut-être des renseignements qui permettront de donner des précisions.

Le sénateur Runciman : De quels facteurs a-t-il été tenu compte lorsque vous avez décidé de la durée des peines obligatoires minimales? Autrement dit, l'incarcération aurait-elle lieu en établissement provincial ou fédéral?

M. Saint-Denis : Le facteur qui a probablement pesé le plus, c'est le souci de ne pas aller à l'encontre de la Charte. Nous devions trouver des fourchettes qui soient raisonnables, rationnelles et raisonnablement liées aux objectifs du gouvernement. C'était le principal facteur.

Le sénateur Runciman : J'ai abordé avec le ministre la question d'un report obligatoire de l'admissibilité à la libération conditionnelle. C'est ce qui est prévu au Code criminel pour les infractions de crime organisé. A-t-on envisagé de reprendre la même disposition?

M. Saint-Denis : Non, cela ne s'est pas fait. Nous n'y avons pas du tout pensé. Étant donné les peines minimales en cause, qui ne sont pas de 10 ans, ni rien d'approchant, nous n'avons pas envisagé cette possibilité.

Le sénateur Runciman : Lorsqu'une personne est condamnée à une peine d'un an à purger en établissement provincial, il y a une forte possibilité qu'elle soit remise en liberté au bout de quatre ou cinq mois. Cela me préoccupe, pour ce qui est de l'impact.

En ce qui concerne la possibilité d'éviter les minimums obligatoires si une personne accepte un traitement de sa toxicomanie, y a-t-il un moyen de vérifier? Un simple consentement lui ouvre-t-il cette avenue?

Cela m'apparaît comme une échappatoire indirecte. Y a-t-il d'autres critères à cet égard?

M. Saint-Denis : Ce qui vous inquiète, c'est que quelqu'un qui veut se soustraire à une peine minimale prétende qu'il souhaite suivre une thérapie?

Le sénateur Runciman : C'est juste.

M. Saint-Denis : Les critères d'inscription à des programmes de traitement pour toxicomanes sont plutôt rigoureux. Si la plupart des facteurs prévus ici sont présents au moment de la perpétration de l'infraction, il est probable que le délinquant ne serait pas admis dans le programme de thérapie de base. Des programmes sont prévus dans les régimes provinciaux auxquels les tribunaux, aux termes de l'article 720 du Code criminel, peuvent renvoyer le délinquant, mais je ne peux rien dire de ces programmes.

Je le répète, il s'agit de peines minimales d'un ou deux ans. Ces programmes sont plutôt exigeants. Je crois que beaucoup de délinquants préféreraient purger leur peine parce qu'ils ne croient pas pouvoir respecter les critères d'un programme fructueux.

Je ne suis pas sûr que beaucoup de délinquants préfèrent suivre le traitement plutôt que de purger leur peine minimale.

Le sénateur Runciman : Une même personne pourrait-elle se prévaloir de cette possibilité plus d'une fois? Si un délinquant a tenté de suivre une thérapie, a échoué et commet ensuite une autre infraction, cette avenue lui serait-elle toujours ouverte?

M. Saint-Denis : Je ne sais pas. Que je sache, rien ne l'empêche, mais je ne saurais vous dire.

Demain, vous entendrez un groupe de témoins qui représentent les services chargés de la Stratégie nationale antidrogue. Un spécialiste qui fait partie de ce groupe pourra peut-être répondre à cette question.

Le sénateur Joyal : Madame Kane, vous êtes chargée de la Section de la politique en matière de droit pénal au ministère. En préparant le projet de loi à l'étude, avez-vous fait des études d'impact sur les populations vulnérables qui seraient touchées par cette mesure législative? Lesquelles?

Mme Kane : Sénateur, au cours de l'élaboration de politiques, nous tenons compte d'un certain nombre de considérations et de l'impact que différentes politiques pourraient avoir sur tout un ensemble de populations vulnérables dans la société canadienne, notamment les femmes et les Autochtones.

Le sénateur Joyal : Avez-vous étudié les diabétiques et les séropositifs, les malades chroniques qui ne peuvent être guéris, mais dont la maladie peut être contrôlée, par exemple?

Mme Kane : Pas nécessairement avec ce degré de précision, mais nous examinons les conséquences des réformes de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, réformes qui se rapportent au trafic et à la production. Nous ne nous interrogeons pas sur les questions qui se rapportent à la consommation de drogues qui peuvent être prescrites pour certains problèmes d'ordre médical, si c'est bien ce à quoi vous faites allusion.

Le sénateur Joyal : Ce n'est pas tout à fait cela. Je songeais à la vulnérabilité de certains groupes. Voici un exemple. Si un séropositif est trouvé coupable aux termes de cette loi, il est envoyé en prison. De la sorte, on ajoute à la responsabilité générale du gouvernement fédéral qui doit s'occuper d'un prisonnier infecté par le VIH. Le dirigeant des Services correctionnels du Canada vous dira que cela entraîne toutes sortes de conséquences.

Lorsque, au ministère de la Justice du Canada, vous rédigez une mesure législative, mesurez-vous l'impact de la mesure proposée ou envisagée — ou des diverses possibilités que vous envisagez — sur des groupes vulnérables qui seront peut-être touchés par des initiatives qui s'étendront à toute la population canadienne?

Mme Kane : Votre exemple est excellent. Lorsque nous étudions les conséquences d'une mesure législative proposée... Dans ce cas-ci, nous avons considéré l'impact du fait qu'un plus grand nombre de délinquants purgeraient leur peine en établissement fédéral et que d'autres la purgeraient en établissement provincial. À cause de cela, nos collègues du Service correctionnel du Canada donnent à l'intention des ministres de l'information sur la façon de gérer les populations vulnérables dans le système correctionnel. Tous ces facteurs sont pris en considération dans l'étude des différentes solutions qui sont à l'étude ou en voie d'élaboration, et le gouvernement décide des options auxquelles il donnera suite.

Je crois que vous recueillerez le témoignage de collègues du Service correctionnel du Canada, qui ont une gamme de programmes pour répondre aux nombreux besoins des délinquants de leurs établissements. Ils pourront peut-être vous dire comment ils s'occupent des détenus atteints de maladies chroniques ou d'autres maladies graves.

Le sénateur Joyal : Êtes-vous en train de me dire que, lorsque vous étudiez ou évaluez les diverses options au moment de rédiger une mesure législative, vous avez sous les yeux des études de l'impact sur les populations vulnérables?

Mme Kane : Je ne parlerais pas forcément d'études d'impact. Lorsqu'une mesure législative est en voie d'élaboration, nous tenons compte de toutes les considérations et de tous les renseignements sur les conséquences des différentes options.

Le sénateur Joyal : Toutefois, l'impact est une « évaluation » différente qui ne se limite pas à l'augmentation de la population carcérale, par exemple. J'essaie de vous faire dire à quel point vous poussez votre compréhension de l'impact des modifications proposées au Code criminel sur la population vulnérable qui sera touchée par la nouvelle mesure législative. On dirait que vous tournez autour du pot et refusez de répondre directement à la question. C'est l'impression que j'ai.

Mme Kane : J'ai répondu de mon mieux en disant que nous examinons toutes les options. Nous ne commençons pas toujours par l'option que vous voyez dans un projet de loi. Nous présentons diverses possibilités de réforme du droit au gouvernement pour qu'il les examine. Chacune des options a du pour et du contre.

Quand nous étudions une mesure prévoyant des peines qui auront un effet sur la population carcérale dans les provinces ou dans le réseau fédéral, le Service correctionnel du Canada examine les conséquences pour la population carcérale, féminine ou masculine, et essaie de voir où les détenus seraient logés. Il a des techniques perfectionnées pour essayer d'estimer à quel endroit la population va augmenter. Ce ne sera pas nécessairement dans une région donnée ou une autre. Il essaie aussi de voir comment il va loger ces détenus et quels seront les coûts, ce qui englobe le coût des programmes spéciaux.

Il est tenu compte de cette information dans l'évaluation des options. Au bout du compte, les diverses options présentent beaucoup d'avantages et d'inconvénients, et le gouvernement choisit celle qui peut le mieux atteindre les objectifs de sa politique.

Le sénateur Joyal : Vous avez accès à ces études pour examiner les options que vous recommanderez au ministre, n'est-ce pas?

Mme Kane : Ces conséquences sont étudiées.

Le sénateur Joyal : Par qui?

Mme Kane : Cela fait partie de la démarche que nous suivons pour élaborer les options à soumettre au gouvernement, lorsque cela est disponible. Je ne saurais parler au nom du Service correctionnel du Canada en ce qui concerne le niveau de détail de ses études de l'impact sur un délinquant donné qui est peut-être séropositif ou a une autre maladie dont vous avez parlé et qui peut être condamné à une peine à purger dans un établissement fédéral. Je ne sais pas si le Service va jusqu'à ce niveau de détail. Il tient certainement compte du sexe, de la population autochtone, de l'âge, et cetera.

La présidente : Il tient compte du sexe, de la population autochtone et j'espère aussi de la distribution du revenu — les pauvres par opposition aux nantis qui peuvent engager de bons avocats. Il tient compte de ces éléments.

Il y a des analyses disponibles sur les conséquences de l'option qui a fini par être retenue. Le comité peut-il obtenir cette information?

Mme Kane : Je vais devoir me renseigner sur ce qui peut être communiqué. J'ai cru que les observations du sénateur Joyal portaient sur les détenus. L'information sur la distribution du revenu et la possibilité de faire appel à des avocats, c'est une question légèrement différente. Je ne veux pas prendre des engagements excessifs en ce qui concerne les documents que nous pourrons communiquer au comité.

Le sénateur Joyal : Si je pose ces questions, c'est parce qu'on nous demande de répondre oui ou non au projet de loi ou de nuancer notre réponse. Comme je suis rationnel et raisonnable, j'essaie de comprendre l'information qui est à l'origine de l'option retenue sur ce bout de papier. Je n'essaie pas de déconstruire le projet de loi; j'essaie de suivre l'approche rationnelle de toute personne raisonnable pour essayer de comprendre les répercussions que le projet de loi aura lorsqu'il sera édicté.

La présidente : Je vais devoir vous interrompre, sénateur Joyal, pour que le témoin puisse répondre.

Mme Kane : Je ne pense pas pouvoir ajouter quoi que ce soit.

Le sénateur Joyal : S'il vous plaît, inscrivez-moi pour le prochain tour.

Le sénateur Lang : L'heure avance. Il est 17 h 55, et j'espère que nous aurons terminé d'ici 18 h 15, selon l'horaire prévu.

Je voudrais revenir à la question des peines obligatoires. Il semble y avoir une scission d'ordre idéologique entre les membres du comité, quant à savoir s'il faut avoir des peines obligatoires ou s'en remettre à la discrétion des tribunaux. J'ai l'impression, comme je suis un nouveau membre du comité...

La présidente : Plus tellement nouveau.

Le sénateur Lang : L'impression qu'on a, c'est que les peines obligatoires sont une innovation, une création du gouvernement actuel. Pour que nous sachions à quoi nous en tenir, pourriez-vous nous dire si d'autres lois prévoient des peines obligatoires et nous donner une idée du moment où nous avons commencé à imposer des peines obligatoires?

M. Saint-Denis : Nous avons des peines obligatoires pour des infractions avec des armes à feu. Elles ont dû entrer en vigueur au milieu des années 1990. Il y en a pour la conduite en état d'ébriété, et elles existent depuis plus longtemps.

Nous avions des minimums obligatoires pour l'importation de drogues depuis les années 1960, mais elles ont été éliminées parce que le minimum était de sept ans et qu'il s'appliquait uniformément. Il n'y avait aucun facteur aggravant. La quantité de drogue importait peu. Cela existait avant le gouvernement Trudeau. Ce genre de peine existe depuis un certain temps.

Le sénateur Lang : Je voudrais poursuivre parce que la chose me semble importante. Je suis sûr que le sénateur Baker conviendra que nous ne voulons pas laisser l'impression qu'il s'agit ici d'une mesure draconienne qui a été inventée ces deux derniers jours.

Pourriez-vous nous donner un bref aperçu de ce qu'on trouve dans d'autres pays du monde libre, comme les États- Unis? Je présume qu'on y trouve des peines obligatoires que la société juge convenir pour certains crimes. Pourriez- vous expliciter?

M. Saint-Denis : Les minimums obligatoires dans le domaine des drogues sont assez courants dans les lois étrangères. Il n'y a pas que l'Asie ou l'Amérique du Sud, par exemple. Je crois que même des pays comme la Suède et l'Allemagne ont des peines minimales. Je ne suis pas très au courant, mais je sais qu'elles existent. Elles sont probablement structurées différemment de ce qui est proposé ici. Il en existe, cependant, mais je n'ai pas d'autres renseignements à vous fournir à ce sujet.

La présidente : Question complémentaire. Si nous demandions que cette information soit fournie?

Il y a des études sur l'impact au Canada des minimums obligatoires qui se sont appliqués par le passé. Je songe plus particulièrement à tout ce que nous aurions pu apprendre sur leur effet dissuasif. Nous communiqueriez-vous ces études? Nous vous donnons beaucoup de travail.

Pardonnez-moi, sénateur Lang.

M. Saint-Denis : Me demandez-vous s'il existe des études?

La présidente : Oui, des études dont le ministère se servirait. Je sais que des professeurs d'université ont étudié ces choses-là frénétiquement, mais je souhaiterais, comme le sénateur Joyal sans doute, comprendre davantage les éléments qui ont donné lieu au raisonnement qui sous-tend le projet de loi proposé. Le ministre nous a livré une explication éloquente des principes politiques qui sont à la base du projet de loi à l'étude et même d'autres. Nous nous interrogeons maintenant sur le travail technique qui s'est fait à votre niveau.

Le sénateur Lang : Je suis satisfait. Je n'ai pas besoin de ces études, à dire vrai. Je suis tout à fait convaincu qu'il doit y avoir des peines minimales pour certains crimes, et cela dépend de la façon dont les membres du comité considèrent ces crimes et du degré de gravité qu'ils y attachent. Je crois que le trafic de drogues dans une cour d'école est dangereux et qu'il ne doit pas rester sans conséquences.

Je voudrais dire quelque chose de la question des traitements et de leur disponibilité dans le Nord. Mon collègue le sénateur Watt a fait une affirmation générale selon laquelle il n'y a pas d'installations permettant de dispenser des traitements dans le Nord. Dans notre coin de pays, il y a en fait certains programmes. Je tenais simplement à le signaler.

Le sénateur Watt : Cela se trouve au Yukon.

La présidente : À quelle distance d'Iqaluit? À peu près 2 000 miles?

Le sénateur Lang : Je suis dans le Nord.

M. Saint-Denis : Madame la présidente, vous avez posé une question au sujet des études que le ministère de la Justice a réalisées.

La présidente : Oui, ou utilisées.

M. Saint-Denis : Nous avons présenté deux rapports sur les peines minimales obligatoires que le ministère a commandés. Je crois qu'ils vous ont été remis la dernière fois que nous avons comparu.

La présidente : Y en aurait-il d'autres à ajouter?

M. Saint-Denis : Je ne crois pas qu'il y ait rien de neuf.

La présidente : D'accord. Le comité dans sa forme actuelle a repris à son compte tous les témoignages et les documents qui ont été présentés il y a un an. Nous pouvons donc vérifier. Pour ma part, j'ai trouvé un peu exaspérant d'essayer de dépasser les opinions politiques et morales passionnées et profondément ancrées pour en arriver aux faits, dans bon nombre de ces cas. Plus vous pourrez nous fournir des faits concrets pour que nous fassions notre travail, mieux ce sera. Je vous serais extrêmement reconnaissante tout comme le seraient d'autres membres du comité, je crois.

Le sénateur Baker : L'ecstasy est-elle visée par le projet de loi?

M. Saint-Denis : Je ne le crois pas.

Le sénateur Baker : Je voudrais aborder la question de la conformité du projet de loi à la Charte. Aux termes de l'article 2 du projet de loi, si une personne est trouvée coupable de trafic d'une drogue inscrite aux annexes I ou II, le terme trafic peut désigner le fait de passer un produit, de donner une petite quantité d'un produit ou de lui vendre une petite quantité d'un produit. Si cette personne a été reconnue coupable au cours des 10 années antérieures d'une infraction désignée — une substance désignée est définie comme le même type d'infraction, mais il pourrait s'agir d'un joint de marijuana qui passe d'une personne à l'autre —, cette personne se fera imposer une peine minimale d'un an et risquera une peine maximale d'emprisonnement à vie. Êtes-vous d'accord avec moi jusqu'à maintenant?

M. Saint-Denis : Je vous suis, mais vous posez l'hypothèse d'une situation qui, d'après moi, ne risque guère de se présenter. Je ne suis au courant d'aucune poursuite intentée parce que quelqu'un aurait donné un joint. Au pire, il y aurait une accusation de possession. J'ai honnêtement beaucoup de mal à imaginer qu'un procureur envisagerait même de porter une accusation de trafic en pareille situation.

Le sénateur Baker : Je peux vous montrer de la jurisprudence. Je peux vous montrer des causes sur toutes les descentes effectuées pour trafic d'ecstasy — une ou deux pilules. J'ai apporté les documents au comité et les ai lus.

M. Saint-Denis : Très bien. Vous parliez d'un joint de marijuana. S'il s'agit d'autres drogues, peut-être d'ecstasy, d'héroïne ou de cocaïne, je ne saurais dire. Je parlais du fait de donner un joint à quelqu'un.

La présidente : Sénateur Baker, je vous signale, ainsi qu'au comité, que nous accueillerons la semaine prochaine le directeur des poursuites pénales. Peut-être pourra-t-on lui poser des questions à ce moment-là.

Le sénateur Baker : Je vais vous dire dans quel sens vont mes questions. Je n'en ai que deux à vous poser. Voici la première, et je devrais y arriver.

La première question est la suivante : les deux infractions sont relativement mineures pour ce qui est des quantités échangées. C'est du trafic, mais la personne donne le produit à quelqu'un, lui donne une pilule ou deux, ou une seule. Il y a eu une autre infraction par le passé. En d'autres termes, c'est la deuxième infraction. Lorsque vous vérifiez la conformité à la Charte, j'imagine que la première question que vous posez est la suivante : est-ce une peine cruelle et inusitée? Cela se trouve à l'article 12 de la Charte. Deuxièmement, vous devez vous demander si l'article 1 de la Charte ne permet pas de dire si la mesure est raisonnable. La question a été examinée bien des fois par les tribunaux. Je veux parler de divers articles de la loi.

Vous dites que vous avez fait cette vérification. Pouvez-vous dire au comité, puisque les conseils que vous donnez au ministre sont censés être secrets, quels seraient les résultats de votre vérification s'il s'agissait des circonstances que je viens de décrire, car j'imagine que vous avez pensé et conclu que la disposition serait sauvée par l'article 1 et qu'elle ne violerait donc pas l'article 12?

M. Saint-Denis : Vous ne devez pas perdre de vue la structure du projet de loi. Il ne s'agit pas simplement de donner un produit; le don se fait dans certaines circonstances précises. S'il n'y a pas de facteurs aggravants qui interviennent et si le produit est donné, alors oui, c'est du trafic, mais il n'y a aucune peine minimale qui serait imposée.

Le sénateur Baker : Désolé. Je voulais parler d'un accusé qui a déjà été reconnu coupable d'une infraction désignée.

M. Saint-Denis : Dans ce cas, le facteur aggravant est une condamnation antérieure.

Le sénateur Baker : Oui, c'est ce que je pensais avoir expliqué.

M. Saint-Denis : Très bien. Nous avons demandé à nos constitutionnalistes d'examiner la question, et ils ont conclu que le régime serait acceptable du point de vue de la Constitution.

Le sénateur Baker : Résisterait-il au critère de l'article 12 ou de l'article 1; ou irait-il à l'encontre de l'article 12 ou des deux?

M. Saint-Denis : Je crains de ne pouvoir entrer dans les détails. Il reste que le résultat net de leur examen est que le régime serait jugé acceptable du point de vue de la Constitution.

Le sénateur Baker : Voici ma deuxième question : les représentants de toutes les forces policières qui ont comparu devant le comité pour parler du projet de loi à l'étude — la GRC, le service de police d'Ottawa et un autre service — ont tous dit que, aux termes du projet de loi, un plus grand nombre de cas feraient l'objet d'un procès. Telle est l'opinion de l'organisation des procureurs de la Couronne, et cetera. Ils ont affirmé qu'un plus grand nombre de cas feront l'objet d'un procès. Les tribunaux auront plus de travail sur les bras.

La GRC et la police de l'Ontario ont pris soin de dire qu'il coûte cher d'intenter des poursuites en vertu de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances dans une cause le moindrement complexe. Ils ont donné un exemple récent où la seule divulgation avait coûté 1,4 million de dollars. Avez-vous lu le rapport de comité faisant état de ce cas signalé par la GRC où le coût s'est élevé à 1,4 million de dollars? La divulgation entraîne des coûts énormes, car il faut ouvrir des paquets scellés, et cetera. Vous comprenez sûrement. La GRC signale que les coûts dépassent l'entendement.

Le ministère a-t-il songé à discuter avec la police pour essayer de trouver une solution à ce problème des coûts énormes des poursuites, aux termes de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, qui concernent la conspiration?

Mme Kane : Le ministère discute très souvent avec la police. Et la police nous signale souvent ses préoccupations. Il existe un certain nombre de comités.

La police et les procureurs du ministère public ont très bien expliqué le problème que vous soulevez, soit que les minimums obligatoires entraîneront un plus grand nombre de plaidoyers de culpabilité et des procès plus longs. Au bout du compte, il y avait toujours de larges appuis pour l'approche retenue dans le projet de loi pour les questions sur lesquelles il porte.

Le sénateur Baker : Aucun problème, mais la question que je vous ai posée était très simple. Ils ont dit au comité qu'il y avait un énorme problème de dépenses. C'est énorme, 1,4 million de dollars pour la divulgation dans une seule cause. Et ils ont donné des exemples.

Avez-vous discuté avec eux de la possibilité d'ajouter quelque chose dans la loi pour alléger ce fardeau financier imposé à la police pour intenter des poursuites dans ces causes, en ce qui concerne la divulgation?

Comprenez-vous ma question, madame la présidente?

La présidente : Oui, je crois.

M. Saint-Denis : En réponse à la question, je dirai que non, nous ne l'avons pas fait. Cela ne faisait pas partie de notre mandat d'élaboration du projet de loi. La question n'a donc pas été prise en considération.

Le sénateur Baker : Je vois. Le comité devait la prendre en considération.

Le sénateur Wallace : Le sénateur Baker a dit qu'une personne qui se trouve mêlée à une histoire de trafic — et je pense qu'il a parlé d'un joint de marijuana — risque en quelque sorte d'être visée par les dispositions du projet de loi sur les peines minimales obligatoires. D'après ce que je crois, il faut une quantité minimum de marijuana ou de cannabis pour qu'on juge qu'il y a trafic et que le projet de loi s'applique. Est-ce le cas? Dans l'affirmative, quel est ce minimum?

M. Saint-Denis : L'infraction de trafic, dans le cas du cannabis, comprend deux parties, selon qu'il y a moins de trois kilos ou plus de trois kilos, je crois, ou bien trois kilos et moins ou plus de trois kilos. Les peines minimums s'appliquent aux deux versions de l'infraction de trafic. Il n'y a donc pas de distinction à faire, pourvu qu'un des facteurs aggravants soit présent.

Le sénateur Wallace : Le sénateur Baker parle d'un joint. Trois kilos, c'est beaucoup.

Le sénateur Baker : Madame la présidente, j'invoque le Règlement. Le témoin a compris ma question comme portant sur l'infraction désignée et non sur l'infraction primaire. Je crois qu'il a compris ma question et qu'il aurait probablement dû se ranger de mon côté, en ce qui concerne l'intervention du sénateur Wallace.

La présidente : Ce n'est pas un rappel au Règlement, sénateur Baker.

Le sénateur Wallace : J'essayais simplement d'élucider le point que vous avez fait valoir.

La présidente : Ce n'est pas un rappel au Règlement. Amusant peut-être, mais ce n'est pas un rappel au Règlement.

Le sénateur Wallace : Je crois que vous avez répondu à la question en disant qu'il y faudrait un minimum de trois kilos pour qu'il y ait inculpation pour trafic. C'est de ce point qu'il s'agissait.

La présidente : Il y a aussi des minimums pour la production aux fins de trafic, et c'est très faible, soit cinq plantes.

Le sénateur Raine : Il est dommage que le sénateur Baker ait essayé de brouiller les cartes. Infraction désignée?

Le sénateur Baker : Oui, infraction désignée.

Le sénateur Raine : Ce n'est pas de cela que nous discutons. Nous parlons du trafic de plus de trois kilos de marijuana.

Le sénateur Baker : C'est une infraction primaire. Mais le témoin peut expliquer cela.

La présidente : Sénateur Baker, je vais demander au sénateur Greene Raine d'adresser sa question aux témoins.

Le sénateur Raine : Pourriez-vous tirer cette question au clair pour moi, s'il vous plaît?

M. Saint-Denis : Si j'ai bien compris, le sénateur Baker considérait comme infraction primaire le fait de donner une petite quantité de cannabis.

Le sénateur Baker : Ce pourrait être de la cocaïne, ce pourrait être n'importe quoi. J'ai parlé d'ecstasy.

La présidente : Sénateur Baker, auriez-vous l'obligeance de laisser M. Saint-Denis terminer sa réponse?

M. Saint-Denis : L'infraction primaire est le fait de donner une petite quantité d'une drogue inscrite à l'annexe I ou, dans ce cas, à l'annexe II, peu importe. La personne est reconnue coupable et le ministère public peut établir que, au cours des 10 années précédentes, elle a été condamnée pour une infraction désignée. Elle est donc passible d'une peine minimale. Il s'agissait de savoir si nous avons tenu compte de ce scénario lorsque nous avons évalué la mesure du point de vue de la Constitution. J'ai répondu par l'affirmative.

Le sénateur Baker : Et l'infraction désignée était le fait d'avoir passé à quelqu'un un joint de marijuana.

La présidente : Nous avons terminé ce tour de questions. Je crois que nous avons déjà vu ces questions. Je remercie les sénateurs Lang et Baker.

Le sénateur Raine : Il est évident qu'il y a bien des coûts en cause dans les poursuites pour narcotrafic et qu'il y aura des coûts à cause des peines minimales obligatoires; mais il y aura aussi, on peut l'espérer, une diminution des coûts parce qu'il y aura moins de crimes et qu'il y aura moins de nouveaux toxicomanes. Il faut mettre les deux choses en balance. Selon moi, les peines minimales obligatoires sont un progrès.

La présidente : Est-ce une question?

Le sénateur Raine : Non, ce n'en est pas une. Le sénateur Wallace a déjà posé ma question.

La présidente : La journée a été très longue. Sénateur Joyal, vous étiez inscrit pour le deuxième tour. Nous avons du temps pour une question de vous et une question du sénateur Wallace.

Le sénateur Joyal : J'ai une question à poser à Mme Kane. Quel est le coût estimatif que vous avez calculé pour l'application du projet de loi aux niveaux fédéral et provincial?

Mme Kane : Vous voulez dire le coût des poursuites pour le Service des poursuites pénales du Canada?

Le sénateur Joyal : Non, pour tout — les prisons, tous les coûts que le projet de loi obligera le gouvernement fédéral à assumer.

Mme Kane : Je n'ai pas la liberté de vous fournir toute cette information. Il s'agit d'un document confidentiel du Cabinet. Néanmoins, certains éléments sont du domaine public — par exemple, les coûts du Service des poursuites pénales du Canada pour les poursuites, l'enquête et les conseils à la police pour l'enquête, car cela est signalé dans le financement de la Stratégie nationale antidrogue.

Le sénateur Joyal : Vous ne voulez donc pas informer les Canadiens et nous non plus, alors que nous, parlementaires, allons nous prononcer sur ce projet de loi, du genre de responsabilité financière dont nous allons charger le contribuable canadien lorsque nous voterons?

Mme Kane : Je le répète, je suis disposée à donner les chiffres qui sont déjà dans le domaine public pour le Service des poursuites pénales du Canada, car c'est lui qui intentera les poursuites aux termes de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances.

Le sénateur Joyal : Et les coûts des prisons fédérales, pour ceux qui seront incarcérés pendant trois ou cinq ans, mettons, comme le projet de loi le prévoit?

Mme Kane : Je crois comprendre que vous avez invité des collègues du Service correctionnel du Canada. Ils vous donneront cette information dans la mesure où elle figure dans les prévisions budgétaires.

Le sénateur Joyal : La dernière fois que nous avons posé cette question, on nous a dit qu'il s'agissait de documents du Cabinet.

Mme Kane : Comme je l'ai dit, du reste, mais le Service correctionnel du Canada est mieux placé pour donner l'information qu'il peut fournir au sujet des coûts des services correctionnels.

Le sénateur Joyal : Qu'en est-il des provinces?

Mme Kane : Je ne peux pas fournir cette information.

Le sénateur Joyal : Pourquoi pas?

La présidente : Lorsque le projet de loi a été rédigé a-t-on tenu compte des estimations des coûts?

Mme Kane : Les coûts pour le gouvernement fédéral ont certainement été pris en compte, comme cela se fait pour toutes les mesures législatives.

La présidente : Le seul problème, c'est que nous, législateurs, ne sommes pas autorisés à savoir. C'est ce qui suscite de l'exaspération.

Mme Kane : Je le comprends, mais je crois que le comité accueillera des témoins qui peuvent donner cette information.

Le sénateur Joyal : Non, ils fourniront seulement, comme vous l'avez dit, les renseignements qui restent dans les limites que vous avez vous-même indiquées. C'est pourquoi je pense que le ministre, qui souhaite obtenir notre appui, nous a demandé de donner notre aval sans que nous connaissions une partie des faits, c'est-à-dire les coûts pour le contribuable canadien.

Mme Kane : Vous pouvez prendre l'information que je suis en mesure de vous donner aujourd'hui à l'égard du Service des poursuites pénales du Canada et y ajouter l'information que mes collègues du Service correctionnel du Canada pourront peut-être vous fournir. Je ne peux m'engager en leur nom. Je représente le ministère de la Justice. Vous auriez alors une idée plus complète des coûts d'une part comme de l'autre.

Le sénateur Joyal : Nous n'obtiendrons pas les coûts pour au moins la moitié de ceux qui seront soumis à l'application de cette loi, ceux qui seront condamnés à des peines d'un an ou deux. Ce qui me semble inacceptable, à titre de législateur, c'est que je vais devoir approuver le projet de loi, mais sans savoir dans quelle mesure le fardeau du contribuable en sera alourdi ni dans quelle mesure il y aura des conséquences pour d'autres priorités du gouvernement. Voilà pourquoi il est logique que nous vous demandions l'information dont vous disposiez lorsque vous avez rédigé le projet de loi. C'est essentiellement ce que nous demandons, pas des renseignements qui seraient de façon flagrante un secret d'État. Cela ne concerne pas des secrets sur les relations fédérales-provinciales, cela ne concerne pas les affaires étrangères et cela ne menace pas la sécurité nationale, c'est-à-dire les trois motifs normalement invoqués par le gouvernement pour refuser des renseignements.

Mme Kane : Sénateur, je comprends vos préoccupations, mais j'ai précisé l'information que j'étais disposée à vous communiquer, mais c'est tout ce que je peux vous fournir. Les autres renseignements devront provenir d'autres sources et ils seront donnés dans la mesure où il ne s'agit pas de renseignements confidentiels du Cabinet.

La présidente : Madame Kane, nous devons lever la séance. Vous avez dit que vous pouviez fournir de l'information aujourd'hui. Je vous demande, lorsque vous rentrerez au bureau, de racler tous les fonds de tiroir pour récupérer le maximum d'information que vous pouvez nous fournir. Nous comprenons que vous devez respecter les mêmes contraintes que tout fonctionnaire qui travaille avec des documents du Cabinet. Je crois que, après les cinq dernières minutes de séance, vous comprenez mieux la volonté bien naturelle du comité de comprendre le mieux possible l'impact du projet de loi proposé. Tout renseignement que vous pourrez communiquer sera mieux que rien. Plus il y aura de renseignements, mieux ce sera.

Je vous demande de rentrer à votre bureau et de voir s'il y a des renseignements que vous pouvez nous fournir et que vous n'avez pas dans vos dossiers aujourd'hui.

Mme Kane : Voulez-vous connaître le montant dès maintenant?

La présidente : Oui, je vous en prie.

Mme Kane : Très bien. Je tiens simplement à vous donner le bon montant. Il s'agit d'un renseignement dont chacun peut prendre connaissance sur le site Web du Conseil du Trésor du Canada. Il s'agit des fonds prévus au titre de la Stratégie nationale antidrogue pour le Service des poursuites pénales du Canada afin d'appliquer le projet de loi. Un montant de 33,5 millions de dollars sur cinq ans a été mis de côté pour la prestation de conseils liés aux poursuites et le soutien des recours en justice pendant les enquêtes policières et les poursuites relatives à des accusations en matière de drogues découlant de la loi sur les peines minimales obligatoires. Ces fonds sont conservés dans une affectation bloquée qui sera fournie à la proclamation du projet de loi.

La présidente : Nous manquons vraiment de temps, mais comment affectez-vous les fonds, une fois la loi adoptée? Comment isoler des autres les éléments d'une poursuite qui sont financés par ces fonds? Est-ce que cela ne devient pas en soi une activité plutôt coûteuse?

Mme Kane : Le Conseil du Trésor a un processus en place pour affecter les fonds qui seront fournis dans les prévisions budgétaires lorsque la loi sera proclamée en vigueur, et l'argent sera versé au Service des poursuites pénales du Canada. Ce montant est celui qui a été estimé comme montant supplémentaire nécessaire en raison d'un nombre plus élevé de poursuites ou, comme on l'a signalé, de procès peut-être plus longs. Il est tenu compte de tous ces facteurs.

Évidemment, le Service des poursuites pénales du Canada a déjà la capacité de mener des poursuites relatives à la Loi réglementant certaines drogues et autres substances dans l'ensemble du Canada, et il intente des poursuites pour ces infractions. Il s'agit ici du montant supplémentaire dont il aura besoin en raison du projet de loi.

La présidente : Il n'a pas besoin de demander l'argent au cas par cas. Le nouveau montant est versé au budget général.

Pardonnez-moi, sénateur Joyal; j'ai vraiment rogné sur votre temps de parole.

Le sénateur Joyal : Pas de problème. Je crois que le témoin a compris quelle information nous tentons d'obtenir. Nous n'essayons pas de bloquer l'adoption du projet de loi. Nous essayons de comprendre les répercussions sur l'ensemble du système. Il n'est que normal d'essayer de comprendre ce qui va intensifier les pressions sur le système carcéral, déjà surchargé, comme des témoins nous l'ont expliqué par le passé. Il n'est que juste de vous poser ces questions et d'essayer de comprendre quel sera l'impact sur le système carcéral et sur le système des poursuites au Canada.

La présidente : Bien entendu, nous poserons ces questions au Service correctionnel du Canada, mais ceux qui siégeaient au comité il y a un an se rappelleront que, lorsque nous l'avons fait, nous n'avons obtenu que très peu d'information.

Le sénateur Joyal : Nous n'avons rien obtenu, et il a fallu une recherche du directeur parlementaire du budget sur le projet de loi concernant les périodes de détention qui comptent double pour obtenir des statistiques. Les chiffres demeurent imprécis, car personne ne semble en mesure de préciser les coûts supplémentaires. On nous a dit au moment du premier témoignage qu'il n'y aurait pas de coûts supplémentaires et nous nous retrouvons en fin de compte avec des milliards.

La présidente : Ce sera pour la séance de demain matin, qui débutera à 10 h 30.

Le sénateur Wallace : Compte tenu des témoins et de leur témoignage, je comprends parfaitement à quoi le sénateur Joyal veut en venir lorsqu'il dit que ce sont des questions légitimes, mais on laisse entendre que nous faisons l'éducation des témoins et leur disons que, bon gré mal gré, ils doivent nous communiquer ces chiffres. Je n'ai pas senti de leur part quelque réticence à fournir l'information qu'ils possèdent. Bien au contraire. Mme Kane a dit exactement quel serait le coût supplémentaire, et c'est la question qui se rapporte au témoignage qu'elle peut donner. Nous verrons une autre fois, avec les témoins de la Sécurité publique et d'autres témoins quels sont les autres coûts. Mais je tiens à dire que je n'ai senti aucune réticence de la part des témoins à livrer l'information qu'ils possédaient.

Le sénateur Joyal : Il a suffi de cinq questions avant d'avoir une réponse.

Le sénateur Wallace : Il a peut-être fallu un certain temps pour comprendre la question.

La présidente : En toute justice, Mme Kane a bien dit, à la question 2.5 environ, qu'elle pouvait nous donner les chiffres qu'elle était autorisée à donner.

Ce que l'on constate, cependant, et nous en convenons tous, sans doute, c'est que, pas uniquement pour ce projet de loi, mais en général, nous avons tendance à être irrités par le manque d'information objective sur les fondements des décisions. On peut bien dire : « Ces sénateurs-là mettent beaucoup de pression. » Ou on peut dire ce qu'on voudra, mais je vous rappelle, madame Kane, que nous apprécierons beaucoup tout complément d'information que, après réflexion, vous estimerez pouvoir nous donner sur les conséquences financières du projet de loi.

Demain, je le répète, à compter de 10 h 30, nous entendrons les témoins du Service correctionnel du Canada. Ils seront suivis par les fonctionnaires chargés de gérer la Stratégie nationale antidrogue. Nous entendrons des représentants de Santé Canada, de Justice Canada — encore vous, chanceux — et de Sécurité publique Canada.

Nous vous sommes très reconnaissants. Les échanges ont été un peu plus acrimonieux que d'habitude. Cela n'a rien de personnel. Ce sont les institutions qui sont en cause, mais le problème est tout de même très réel.

Merci beaucoup.

(La séance est levée.)


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