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Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 15 - Témoignages du 3 novembre 2010


OTTAWA, le mercredi 3 novembre 2010

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd'hui à 16 h 20 pour étudier le projet de loi S-10, Loi modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances et apportant des modifications connexes et corrélatives à d'autres lois.

Le sénateur Joan Fraser (présidente) occupe le siège.

[Traduction]

La présidente : Honorables sénateurs, j'attire votre attention sur nos invités de la Namibie. Ils sont ici présents, assis à ma gauche, le long du mur. Ils nous ont posé de bonnes questions, et nous essayions d'y répondre, alors je présente mes excuses à nos collègues et à tous les témoins pour le retard.

Maintenant, chers collègues, commençons le programme de la journée.

[Français]

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles poursuit son étude du projet de loi S-10, Loi modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances et apportant des modifications connexes et corrélatives à d'autres lois.

Nous avons quatre panels de témoins aujourd'hui.

Nous avons le grand plaisir de commencer avec notre premier panel de témoins. Nous entendrons de l'Association des directeurs de police du Québec, M. Yves Morency, président, et du Service de police de la Ville de Montréal, M. Jean-Guy Gagnon, directeur-adjoint. Bienvenue messieurs, merci beaucoup de vous être déplacés.

[Traduction]

Nous entendrons également David Bratzer, membre du Conseil exécutif de l'organisme Law Enforcement Against Prohibition, qui témoignera par vidéoconférence de Vancouver. Au cours de cette première table ronde, nous entendrons des agents d'application de la loi, qui ne seront pas tous forcément d'accord les uns avec les autres, mais nous serons très heureux d'entendre leur point de vue.

[Français]

Avez-vous décidé qui commençait? On me dit que c'est M. Morency.

Yves Morency, président, Association des directeurs de police du Québec : Madame la présidente, d'abord, j'aimerais vous remercier ainsi que tous les membres de ce comité de me permettre de m'adresser à vous dans le cadre du projet de loi S-10, merci de votre temps, de votre disponibilité et de votre écoute. J'espère que, à la fin de notre présentation, si vous avez des questions, cela me fera plaisir d'y répondre.

D'entrée de jeu, j'aimerais vous dire que l'Association des directeurs de police du Québec est un organisme à but non lucratif qui a, à peu près, 80 années d'existence à ce jour.

Notre mission première consiste à rassembler les dirigeants policiers et leurs partenaires afin de contribuer à l'amélioration de la sécurité des citoyens du Québec.

Au fil des ans, l'ADPQ a assumé un rôle prépondérant de consultation et de collaboration auprès de différents ministères québécois, notamment le ministère de la Sécurité publique, le ministère de la Justice du Québec, le ministère de la Santé et des Services sociaux et le ministère de l'Éducation, du Loisir et du Sport. L'ADPQ siège à plusieurs comités stratégiques majeurs à l'échelle de la province.

D'entrée de jeu, il n'y aura pas beaucoup de surprise à ce sujet, nous devons vous dire que nous appuyons entièrement ce projet de loi S-10, autant dans sa forme que dans ses dispositions. On le voit aussi comme une façon de supporter le travail policier.

Je veux vous faire le résumé et vous dire à quelle échelle on place nos priorités dans la lutte aux stupéfiants au Québec surtout. Pour ce faire, il y a un groupe d'experts stratégiques qui existe et qui conseille le ministre de la Sécurité publique et qui a fait de la lutte aux drogues la deuxième grande priorité pour les cinq prochaines années. Ceci veut dire que l'ensemble des corps policiers du Québec se mobilise depuis quelques années et pour quelques années à venir, jusqu'à ce qu'on puisse voir un fléchissement du phénomène.

C'est donc dire que le phénomène n'est pas en régression, du moins pas dans ce que je vais vous présenter à ce niveau.

Je veux aussi souligner le travail des policiers qui œuvrent dans le domaine scolaire. La consommation et le trafic touchent beaucoup notre clientèle scolaire. Des articles de journaux font état du décrochage scolaire. On peut facilement comprendre qu'il y a certainement une partie du phénomène relié au trafic et à l'usage de stupéfiants qu'on peut rattacher au phénomène de décrochage scolaire.

Je lisais dans un rapport d'analyse de la criminalité que sur le terrain, il y a une augmentation. Il y a un constat : au moins 30 p. 100 des jeunes qui fréquentent une école secondaire sont des consommateurs de cannabis, et parfois de d'autres drogues, et de plus en plus de drogues chimiques aussi.

On croit que le projet de loi va aider à ralentir l'ardeur et l'intérêt que certaines personnes ont à se faire recruter par des réseaux de trafic de stupéfiants. À titre d'exemple, on les qualifie de jardiniers, ceux qui s'occupent des plantations. Ce sont souvent des personnes non criminalisées, ils sont recrutés parce qu'ils ont des problèmes d'argent, de jeu, de vulnérabilité. On les approche pour qu'ils puissent faire un peu d'argent facile.

Et si la conséquence juridique, en bout de ligne, est somme toute mineure, ce sont des gens qui vont être plus tentés d'entrer dans ce genre d'aventure. Évidemment, si le portrait des conséquences est un petit peu plus important ou si les conséquences probables sont plus importantes, on est convaincu qu'il y a une bonne partie de ces personnes qui pourraient y renoncer et pourraient changer d'idée. Cela va complexifier un peu plus le travail des trafiquants.

On pense également que le renforcement équilibré des peines lance un message clair. Présentement, on met beaucoup d'efforts dans la lutte, dans la répression, mais en bout de ligne, le résultat c'est que la personne en sort, dans le fond, avec des conséquences mineures. Ceci veut dire que la tentation de reprendre est très grande et ça devient valide dans la vraie vie. Souvent on arrête encore et toujours les mêmes personnes qui continuent à être actives dans ces réseaux.

Donc je pense que le projet de loi, à tout le moins, est un pas dans la bonne direction pour équilibrer un peu ce qui se fait sur le terrain en matière de répression en regard des conséquences qui suivront pour les accusés par la suite.

Je veux vous parler aussi de quelques chiffres en rafale, juste pour vous montrer l'ampleur du phénomène. J'ai pris des chiffres qui viennent du Service d'analyse des drogues de la grande région de Montréal. Je vais faire attention pour ne pas prendre des informations que mon collègue pourrait vous formuler, mais c'est le laboratoire qui analyse, dans le fond, l'ensemble des saisies qui se font dans le grand Montréal, donc ça couvre un très grand territoire. Il s'est fait en 2009, 14 423 dossiers d'analyse de cannabis, 4 600 dossiers pour de la cocaïne. Ce qui est remarquable, c'est en nette progression, en troisième position, toutes les drogues reliées à la métamphétamine, 4 368 dossiers. Ces drogues chimiques commencent à faire énormément de ravages, notamment au niveau scolaire. Je crois que vous avez prévu des dispositions dans la loi qui apparaissent à l'annexe 1 et, ça aussi, ce sera un pas de la bonne direction. Chez les jeunes, de plus en plus, ils vont migrer vers ce genre de drogue, le speed, l'Ecstasy, parce que ce sont des drogues disponibles à un prix très bas. C'est à trois dollars, aujourd'hui. Ils peuvent se procurer cette drogue alors qu'à l'époque, ça pouvait leur coûter 25 dollars. Il y a une multiplication des laboratoires clandestins qui s'installent dans les municipalités, dans les quartiers résidentiels. Ils sont même rendus à établir des laboratoires mobiles. On prend une petite camionnette, on l'aménage en laboratoire mobile et on achemine la marchandise aux clients. On en est à ce niveau, de là l'importance de resserrer la législation.

On constate aussi de plus en plus que les jeunes font usage de cocktails, ce qu'on appelle un mélange de différentes drogues, qu'on pense au speed, à la cocaïne, à la marijuana qui ont toutes leur « utilité », le speed, quand on veut se garder un peu plus réveillé, la cocaïne lorsqu'on veut plus de plaisir et des fois, il faut se calmer et on arrose ça de marijuana et ça, on le retrouve de plus en plus. Ce qu'on constate, c'est que ,effectivement, le marché est très important, il y a des très grandes quantités qui inondent le marché. Il y a beaucoup de nouveaux consommateurs, une augmentation de 30 p. 100 à tout le moins au niveau de la clientèle scolaire, et maintenant suivent les mélanges.

On peut aussi penser à toutes les autres conséquences sur la santé à plus long terme, bien sûr, pour ces personnes, mais aussi à tout ce qui touche la conduite automobile notamment. Ce sont des jeunes aussi qui conduisent des voitures. Ils sont tous soumis à des règles d'alcool zéro. Mais maintenant ce n'est plus tellement ça le nouveau problème, le nouveau problème, c'est ce qu'ils consomment. Ils prennent le volant et deviennent des dangers.

Je veux terminer sur un point important. Je vous parlais tantôt des cibles que nous avons établies et la lutte aux stupéfiants était la deuxième cible la plus importante.

J'aimerais vous parler du fonds fédéral qui a été mis sur pied pour lutter contre le crime, bien sûr, mais surtout pour ajouter des policiers sur le terrain afin de travailler sur différentes problématiques. Au Québec, on a reçu une partie de ce fonds fédéral pour cinq ans; on l'utilise dans des opérations policières de première ligne, sur le terrain. Notamment, quand je vous parlais de la deuxième priorité, cet argent sert, entre autres, à créer ce qu'on appelle des « escouades mixtes ». C'est une façon très efficace de lutter contre le crime parce que les services de police ne travaillent pas en silo dans une escouade mixte, ils travaillent en commun, ils partagent l'information et ils font les enquêtes de façon commune. Cette méthode est beaucoup plus efficace contre ce type de problématique.

Dernièrement, des demandes ont été faites au groupe d'experts pour mettre sur pied de nouvelles escouades régionales mixtes qui se pencheraient sur la problématique des stupéfiants. Je ne veux pas nommer l'endroit pour ne pas profiler la région, mais dans une région donnée, qui représente environ, je dirais, un territoire qui équivaut à une fois et demi le territoire de la ville de Montréal, au-delà de 300 serres hydroponiques ont été répertoriées dans des quartiers résidentiels. Donc, on ne parle pas ici d'un phénomène en régression.

Je conclus en vous disant qu'on ne peut pas être contre le projet de loi S-10, bien au contraire. Je répète que c'est un pas dans la bonne direction, probablement une première étape. Il faudra peut-être en envisager une autre un jour, mais à tout le moins, cette législation va dans le sens de renforcer un message, mais aussi d'amener un message positif aux forces policières qui luttent contre ce phénomène.

Jean-Guy Gagnon, directeur adjoint, Service de police de la Ville de Montréal : Madame la présidente, je suis honoré d'être ici cet après-midi. C'est ma première expérience à titre de témoin d'un comité sénatorial.

La présidente : Et pas la dernière, on espère.

M. Gagnon : Je viens vous parler sous deux chapeaux, aujourd'hui, soit en tant que vice-président de l'Association canadienne des chefs de police, premièrement, mais je suis également le vice-président d'une association plus que centenaires regroupant la majorité des organisations policières à travers le Canada, dont l'ensemble des principaux corps policiers au Canada, que ce soit de la GRC, de l'OPP, de la Sûreté du Québec, de la police de Toronto, de Montréal, de Vancouver, de Regina et de toutes les grandes villes.

Au sein de l'ACCP, 18 comités permanents s'occupent des différentes réalités, des différents enjeux au niveau des services de police. Parmi eux, trois comités travaillent particulièrement sur le volet qui nous touche aujourd'hui :

Le Drug Abuse Committee travaille de façon spécifique sur toutes les activités qui peuvent être réalisées tant au niveau de la répression que de la prévention. Ce comité guide les activités et les conseils de l'Association canadienne des chefs.

Le Organized Crime Committee travaille de façon plus spécifique sur la relation entre les drogues et les organisations criminelles qui rendent ces substances disponibles au niveau du terrain.

Le Law Amendment Committee travaille sur le volet législatif et les propositions afin de conseiller l'association sur des mesures législatives qui pourraient être entérinées par les gouvernements pour aider les policiers à travailler sur le terrain afin de combattre les activités reliées à la drogue.

Comme je vous l'ai dit, je suis le directeur adjoint du Service de police de la Ville de Montréal, un service de police qui regroupe plus de 4 600 policiers desservant une population de 1 800 000 personnes, population très diversifiée tant au niveau des ethnies, des souches, de la richesse ou de la pauvreté sur l'île de Montréal. Évidemment, le volet des drogues est pour nous un élément très important.

Lorsqu'on regarde les interventions au niveau des stupéfiants et lorsque je regarde la façon de faire des deux organismes, que ce soit l'Association canadienne des chefs ou le service de police, on travaille relativement de la même façon en fonction d'axes d'intervention.

Je vais vous parler de quatre axes.

Le premier, au Service de police de la Ville de Montréal, c'est l'axe de recherche qui vise à faire des recherches qui vont nous permettre de mieux comprendre les causes reliées à la consommation de drogue. Plusieurs recherches ont été effectuées tant à l'interne par des chercheurs que par des partenaires externes au niveau des quatre universités que nous avons sur l'île de Montréal.

J'aimerais attirer votre attention sur une recherche, qui a été faite dernièrement au service. Il a été constaté que, de plus en plus, nos criminels évoluent : de petits criminels — que l'on parle de vol qualifié, d'introductions par effraction ou de vols simples —, ils migrent vers les activités de trafic de drogues. Donc, pour nous, cela renforce l'importance de travailler au niveau des drogues.

On travaille aussi de communication. À l'ACCP, on parle d'éducation. Il s'agit d'aller chercher les partenaires pour nous aider tant à la prévention que du support d'intervenants dans divers domaines. Pour nous, il est important de travailler dans ce sens. Il faut sensibiliser la population. Le volet communication est le deuxième axe.

Le troisième axe vise la prévention. Pour nous, c'est un incontournable. Pour être efficaces dans notre lutte contre les drogues, il faut non seulement améliorer le volet du renforcement du pouvoir mais également celui de la prévention, surtout en ce qui concerne les consommateurs, les gens aux prises avec des problématiques de santé et des dépendances aux drogues. Je crois que la prévention est plus efficace pour ces personnes que simplement les criminaliser.

Enfin, le quatrième axe est le volet de la répression et c'est ici que votre projet de loi entre en jeu. Que ce soit au niveau du Service de police de Montréal ou de l'ensemble de l'Association canadienne des chefs de police, la priorité est accordée particulièrement aux trafiquants. Je pense que le projet de loi S-10 permet justement de se pencher sur cette éventualité, étant donné qu'on va ajouter des peines minimales d'emprisonnement visant les gens affiliés aux organisations criminelles.

En ce qui concerne l'Association canadienne des chefs de police, leur position est la même : travailler avec les différents intervenants, avec les groupes communautaires, avec les centres de désintoxication pour agir au niveau des consommateurs et, au niveau des services de police, travailler plus auprès des trafiquants.

Je vais maintenant aborder de façon plus spécifique le projet de loi S-10. L'article 2 propose d'imposer une peine minimale d'emprisonnement pour les infractions commises sous la direction d'une organisation criminelle ou si la personne « a eu recours ou a menacé de recourir à la violence pour la perpétration de l'infraction, » ou si la personne « portait ou a utilisé ou menacé d'utiliser une arme lors de la perpétration de l'infraction ». Pour nous, ceci correspond parfaitement avec les facteurs aggravants, qui doivent être considérés pour ce type d'infraction.

Je travaille depuis 27 ans et demi pour le Service de police de la ville de Montréal, pour la lutte aux stupéfiants et la lutte contre le crime organisé. Je peux vous dire que, déjà, ces facteurs sont utilisés par les procureurs et les juges pour déterminer les sentences. Toutefois, je pense que le fait d'inclure une peine minimale dans une loi donnera une bonne direction et un avis, comme on l'a fait il y a quelques années, en imposant une peine minimale pour l'utilisation d'arme à feu lors de certains crimes. Je pense que cela va réduire la lourdeur du système judiciaire. On voit cela d'un bon œil tant au Service de police de la ville de Montréal qu'à l'ACCP.

Je voudrais attirer votre attention sur la deuxième partie de l'article 2 où il est question d'infraction à l'intérieur d'une école, d'une infraction commise à l'intérieur d'une prison. Je suggère une petite vérification juridique. Une décision a été rendue récemment, concernant l'application de l'article 179.(1) du Code criminel concernant le vagabondage. La définition des termes « terrain d'une école », « terrain de jeu » et « parc public » a été considérée trop générale et on a trouvé que c'était contraire à l'article 7 de la Charte des droits et libertés. Compte tenu de cette décision, il y aurait peut- être lieu d'évaluer le volet juridique de cet article.

Concernant la partie de l'article 3 où il est question d'imposer des peines minimales pour les infractions qui excèdent un kilogramme, nous sommes parfaitement d'accord avec ces dispositions. Encore une fois, je pense que c'est déjà considéré comme facteur aggravant dans la majorité des causes de stupéfiant, mais donnera une orientation claire aux personnes qui vont commettre ces infractions. Ils vont savoir à quoi s'attendre.

Et je pense que cela contribuera à accélérer la conclusion des dossiers judiciaires lorsqu'ils arrivent à la cour, comme c'est arrivé pour l'utilisation des armes à feu lors de vol qualifiés ou d'autres infractions criminelles.

Pour ce qui est de l'article 4, lorsque c'est en lien avec les biens immeubles, comme M. Morency l'a mentionné plus tôt, il y a une recrudescence des infractions pour les serres hydroponiques. Je pense qu'il est important que l'on puisse avoir des facteurs aggravants qui vont permettre une infraction minimale en lien avec ces infractions parce que présentement, les chiffres que M. Morency a donnés tantôt sur le nombre d'infractions commises juste à l'intérieur de la région nord, au nord de Montréal — c'est la même chose à Montréal —, évidemment, il y a énormément de maisons qui sont transformées, complètement démolies, sur l'île de Montréal, et la Sûreté du Québec et les policiers à travers le Canada qui œuvrent dans des régions rurales, sont pris avec des agriculteurs qui ont énormément de problèmes avec les serres hydroponiques extérieures. On est donc tout à fait à l'aise avec les recommandations à ce sujet.

J'aimerais apporter un commentaire. En ce qui a trait aux sous-alinéas 4.(1)b)(iii), (iv), (v) et (vi), on n'a pas mentionné le fait que les infractions étaient effectuées dans le cadre d'un trafic, alors que c'est mentionné dans les sous- alinéas 4.(1)b)(i) et (ii). Il y aurait peut-être lieu d'ajouter, pour les quatre derniers sous-alinéas, que l'infraction est commise à des fins de trafic.

En ce qui concerne l'article 5, la seule question soulevée par notre contentieux, c'est si l'on devrait prévoir l'avis. Et le cas échéant, est-ce qu'il y aurait lieu de préciser, dans l'article, si cet avis devrait être verbal ou écrit?

Également, en ce qui a trait aux tribunaux de traitement de la toxicomanie, notre commentaire est qu'à ce jour, les recherches faites — je ne sais pas si c'est toujours le cas — démontrent que ce programme n'est disponible que dans six villes. Aucune de ces villes n'est située au Québec. Je crois qu'il y aurait lieu d'étudier la situation pour faire en sorte qu'il y ait un traitement équitable à travers le Canada.

Pour ce qui est des autres articles, nous n'avons aucun commentaire particulier à ajouter.

Donc en gros, comme je l'ai mentionné, l'Association canadienne des chefs de police et le Service de police de la Ville de Montréal voient d'un bon œil le projet de loi S-10, qui nous donnera des outils supplémentaires afin de nous permettre d'être plus efficaces sur le terrain. Je crois que certains articles du projet de loi permettront d'accélérer le processus judiciaire compte tenu du fait que les criminels vont connaître exactement la peine minimale qu'ils seraient passibles de recevoir en commettant ces infractions.

[Traduction]

La présidente : Nous allons maintenant passer à la vidéoconférence et demander à M. Bratzer de nous présenter son allocution.

David Bratzer, membre du Conseil exécutif, Law Enforcement Against Prohibition : Je vous remercie beaucoup de me donner l'occasion de m'exprimer aujourd'hui. J'ai écouté attentivement les deux intervenants qui m'ont précédé et je comprends leur point de vue sur la question. Je travaille comme agent de police en Colombie-Britannique. Toutefois, je m'adresse à vous aujourd'hui à titre de représentant de l'organisme international sans but lucratif Law Enforcement Against Prohibition.

Depuis ma première comparution devant le comité, l'an dernier, plusieurs personnalités en vue se sont publiquement jointes à Law Enforcement Against Prohibition. Il y a entre autres Vince Cain, qui a occupé le poste de surintendant principal de la GRC jusqu'à son départ à la retraite; il a également été coroner en chef de la Colombie-Britannique. Il y a aussi Ross Lander, juge à la retraite de la Cour suprême de la Colombie-Britannique, et Bill VanderGraaf, sergent d'état-major à la retraite, qui travaillait pour le Service de police de Winnipeg.

En ma qualité de représentant de l'organisme Law Enforcement Against Prohibition, je souhaite informer le comité de plusieurs développements importants qui se sont produits depuis qu'il a examiné le projet de loi C-15.

D'abord, en mars, les responsables de l'initiative de recherche sur la santé urbaine du Centre d'excellence sur le VIH/ sida de la Colombie-Britannique ont publié un rapport intitulé Retombées de l'application des lois antidrogue sur la violence liée au narcotrafic : Résultats d'un examen scientifique. Les auteurs de ce rapport ont passé en revue les travaux de recherche publiés en anglais sur la lutte antidrogue, et ils ont recensé 15 études qui analysaient précisément les effets de l'application des lois antidrogue sur le taux de violence. Treize de ces études, soit 87 p. 100, indiquaient :

[...] des retombées probablement négatives de l'exécution de la loi antidrogue sur les niveaux de violence. C'est-à- dire que la plupart des études ont constaté que l'accroissement de l'intensité de la lutte antidrogue avait mené à l'accroissement du taux de violence liée au marché de la drogue.

Le deuxième développement important dont je veux vous faire part s'est produit en juillet. Il s'agit de la Déclaration de Vienne. Cette déclaration a été prononcée officiellement à l'occasion de la Conférence internationale sur le sida, qui a réuni quelque 20 000 scientifiques, médecins en santé publique et autres professionnels de la santé. La déclaration dit que la criminalisation des consommateurs de drogues illicites aggrave l'épidémie de VIH et a des conséquences extrêmement négatives sur la santé et sur les conditions sociales. Enfin, la déclaration invite les gouvernements à réorienter entièrement leur politique à l'égard de la lutte antidrogue.

Pris ensemble, ces deux événements nous donnent une idée des répercussions terribles que le projet de loi aura sur la sécurité et la santé publiques.

Dans ce contexte, je voudrais aborder l'article 7 du projet de loi S-10, qui vise à ajouter à l'annexe I de nombreuses drogues qui étaient auparavant inscrites à l'annexe III. Cet article montre que le projet de loi S-10 cible autant les personnes en possession de drogue que les toxicomanes. Le projet de loi prévoit un changement important, dans la mesure où toutes les drogues de la famille des amphétamines, de même que le flunitrazépam et l'acide hydroxy-4 butanoïque, communément appelé le GHB, seront transférées à l'annexe I. La méthamphétamine, bien sûr, a déjà été transférée de l'annexe III à l'annexe I en 2005.

Cette tendance laisse présager que, dans l'avenir, de plus en plus de drogues seront inscrites à l'annexe I, la liste des pires drogues possible.

Je pose donc la question suivante aux membres du comité : que révèle cette tendance au sujet de notre capacité — comme pays, comme société — à faire la différence entre les drogues les plus nocives et d'autres qui le sont moins?

Cela m'amène à ma conclusion. Law Enforcement Against Prohibition s'oppose à l'imposition de peines minimales obligatoires pour les infractions relatives aux drogues au Canada. Toutefois, si ce projet de loi est adopté, nous espérons que le comité jugera bon d'y apporter des amendements sensés. Par exemple, une exception pourrait s'appliquer à la MDMA pour qu'elle demeure une substance inscrite à l'annexe III. Actuellement, cette substance est mentionnée au numéro 8 — sous le nom de N-méthyl-3 méthyldioxy-3,4 amphétamine — dans la liste des amphétamines, qui se trouve à la page 7 du projet de loi.

Comme autre amendement, le comité pourrait exiger la présentation d'un rapport supplémentaire au Parlement, cinq ans après l'adoption du projet de loi, qui ferait état des avantages possibles et des nombreux inconvénients découlant de la mise en œuvre du projet de loi.

Law Enforcement Against Prohibition appuiera également tout autre amendement raisonnable qui favorise l'adoption au Canada d'une politique en matière de drogues axée sur la protection de la santé publique.

Le sénateur Wallace : Je remercie chacun d'entre vous d'avoir présenté un exposé aussi intéressant.

Je crois que vous savez que le ministre Nicholson, qui a déposé ce projet de loi, est préoccupé, comme nous tous, par le fléau de la drogue qui sévit dans notre société. Ce projet de loi vise à essayer d'améliorer la situation actuelle.

Monsieur Morency, je m'intéresse à votre déclaration selon laquelle vous soutenez le projet de loi, et, plus particulièrement, vous croyez qu'il aura d'une certaine façon un effet dissuasif sur les personnes qui autrement seraient impliquées dans la production et dans le trafic de la drogue. Comme vous l'avez souligné, dans bien des cas, les personnes qui se livrent au trafic de la drogue estiment que cela n'entraîne que des conséquences mineures. J'aimerais que vous étoffiez un peu plus votre commentaire sur l'effet dissuasif.

Ensuite, l'objectif du projet de loi, comme nous l'a fait remarquer le ministre, est de nuire de façon considérable au trafic et à la production de drogue. Vous serait-il possible d'expliquer en quoi ce projet de loi pourrait perturber les entreprises criminelles qui semblent faire partie intégrante de ce problème?

[Français]

M. Morency : Je vais répondre en vous disant ceci : comme je le mentionnais tantôt, cette loi ou les dispositions de cette loi représentent une étape qui va certainement lancer un message qui va dissuader, à tout le moins, une partie des personnes tentées par cette aventure. Je ne sais pas si on devra ajouter une autre étape, je ne sais pas si on devra passer à d'autres étapes plus importantes, plus coercitives, mais on va atteindre une limite. On ne pourra pas toujours être de plus en plus coercitif. On ne pourra pas seulement travailler sur un volet. Monsieur Gagnon a mentionné qu'il faut travailler sur la prévention.

Je l'ai mentionné en parlant de ce qui se fait dans le milieu scolaire. Des policiers travaillent à ce titre pour encourager les jeunes à ne pas tomber dans le piège de la consommation de la drogue. Il faut travailler sur la prévention, le message, donner de meilleurs outils pour permettre à nos jeunes de faire face à ces tentations de toucher à des produits. Dans le fond, je vous dirais la plupart du temps, ce que j'entends des policiers sur le terrain, c'est que les jeunes le font pour être un peu comme nous on le faisait quand on fumait la cigarette, pour être à la mode. Et c'est tellement vrai que les produits proposés aux jeunes ont une couleur, un logo, une forme attrayante qui fait qu'ils sont à la mode, ils sont ok. Cette prévention doit s'exercer pour éviter que les jeunes tombent dans cette facilité.

Pour répondre à votre question, je pense que c'est un pas. Est-ce qu'il y en aura d'autres à franchir? Peut-être, probablement, mais c'est certainement un pas dans la bonne direction. C'est aussi un message qu'on lance aux forces policières et à la société en général pour dire que ces crimes ne sont plus banals.

Je reviens encore sur un élément, on s'adresse au trafic ici. On parle du trafiquant. On ne parle pas nécessairement du consommateur. Il faudra toujours travailler à la prévention du consommateur. Tant qu'il y aura un consommateur, il y aura un vendeur. Je crois que l'effort est mis sur le trafiquant et c'est mis au bon niveau.

La présidente : Je vais rappeler au témoin qu'on est limité dans le temps. Ce n'est pas que ce n'est pas fascinant. C'est fascinant.

M. Morency : Très bien, on va écourter.

[Traduction]

Le sénateur Lang : J'aimerais aborder un autre aspect. Cette question s'adresse encore à M. Morency. Au cours de votre carrière dans les forces de l'ordre — où vous avez réussi à désorganiser les activités d'un important cartel de la drogue ou d'un groupe de trafiquants dans une région, et, parce qu'il s'agissait de récidivistes et qu'ils avaient un casier judiciaire, ils ont été incarcérés pendant une certaine période au lieu d'être amenés devant les tribunaux et libérés sous caution —, avez-vous constaté, dans cette zone précise de votre ville, une baisse du taux de criminalité pendant la période où ces trafiquants n'étaient pas actifs sur le terrain?

Je vous pose cette question parce que l'inspecteur de Halifax, en Nouvelle-Écosse, nous a dit que c'était ce qui se produisait lorsque certains trafiquants étaient mis derrière les barreaux pendant un certain temps.

[Français]

M. Morency : Je vais donner une portion de la réponse et j'aimerais que mon collègue, M. Gagnon, en donne une également vu son expérience. Lorsqu'on met fin à l'activité d'un réseau, on le déstabilise. Rapidement, en peu de temps, quelqu'un d'autre va prendre la place parce que c'est la réalité des choses. Est-ce qu'on doit à ce moment, parce qu'il y a cette conséquence, arrêter de lutter ou de travailler contre ces réseaux? Je pense que non, il faut continuer. Et de plus en plus, on atteint des niveaux de performance des opérations qui déstabilisent de plus en plus les hautes sphères du crime. Il prend plus de temps à se réorganiser, ce qui nous permet de nous repositionner pour la prochaine ronde. Il y a un avantage à continuer la lutte comme on la fait. Il y a un élément dissuasif et de déstabilisation qu'on fait.

M. Gagnon : Mon expérience concerne la lutte aux crimes organisés, j'ai été le commandant du groupe Carcajou qui a lutté, à la fin des années 1990, contre les bandes de motards criminalisés. Si on n'intervient pas auprès de ces groupes, la drogue, dans le fond, c'est la substance qui leur permet de générer des profits faramineux. La protection de ces profits amène la protection du territoire, qui amène de la violence pour défendre ces territoires. Au Québec, on était rendu à attaquer l'administration de la justice par des atteintes des gardiens de prison, des policiers, des procureurs et des juges. Il est important de continuer de travailler à ce niveau. Cela a un impact majeur. Si on ne les arrête pas, la société, en général, pourrait être compromise.

[Traduction]

Le sénateur Lang : Je crois que ma question a été mal comprise. La question est la suivante : si vous réussissez à mettre la main au collet d'un certain nombre de trafiquants de drogue et que vous les mettez à l'ombre pendant une certaine période, disons trois ou quatre ans, observez-vous une baisse du taux de criminalité dans les secteurs où ils étaient actifs avant d'être jetés en prison?

[Français]

M. Gagnon : Après avoir arrêté ces gens, on voit généralement qu'ils vont changer leurs habitudes. Elles seront moins apparentes. En ce qui concerne le sentiment de sécurité dans la communauté où on est intervenu, il y aura une amélioration de ce sentiment de sécurité. Ce que la majorité des services de police ont ajusté suite aux interventions, c'est que, auparavant, on faisait des perquisitions à des endroits et les voisins n'étaient pas informés de ce qui s'était passé. Maintenant la majorité des corps de police au Canada va faire la perquisition et va informer les voisins de ce qui a été réalisé. En bout de ligne, cela fait en sorte que les criminels vont changer de patron et il va être moins évident. En même temps, il y aurait une amélioration du sentiment de sécurité.

[Traduction]

Le sénateur Banks : Encore plus dans la clandestinité. J'ai de brèves questions à poser, une à chacun des témoins.

Monsieur Morency, le cannabis est-il considéré comme un stupéfiant?

M. Morency : Je crois que c'est une drogue, en effet.

Le sénateur Banks : Mais est-ce un stupéfiant?

Le sénateur Baker : Cette substance est visée par la Loi sur les stupéfiants.

M. Morency : Oui, il s'agit d'un stupéfiant, assurément.

Le sénateur Banks : Merci.

Monsieur Gagnon, j'ai subi un traitement de canal il y a quelques semaines, et le dentiste m'a donné du Tylenol 3 pour soulager la douleur. Il me restait quelques comprimés. L'autre jour, un de mes collègues du Sénat avait un vilain mal de tête; je lui ai offert un comprimé de Tylenol 3, et il l'a pris.

Aux termes de ce projet de loi — s'il était adopté —, je pourrais me faire arrêter et accuser de trafic de drogue. M'arrêteriez-vous et m'accuseriez-vous de trafic de drogue?

M. Gagnon : Non.

Le sénateur Banks : Le fait d'avoir offert cette substance prouve que j'avais une intention coupable.

La question à laquelle vous avez répondu est une question de politique, c'est-à-dire que vous examineriez les circonstances et vous jugeriez qu'il n'y a pas lieu de porter des accusations. Mais nous, ici, n'avons pas à trancher une question de politique. Nous devons examiner ce que dit le projet de loi. Or, ce que dit le projet de loi — s'il était promulgué —, c'est que, par le fait d'avoir procuré, offert, donné un comprimé de Tylenol 3 à mon collègue, je me rends coupable de trafic d'un stupéfiant. Ai-je bien compris?

[Français]

M. Gagnon : Effectivement, dans la description des différentes drogues, il faut se poser des questions sur le projet de loi ou ce qui est prévu. Mais il y a toujours l'intention criminelle qui prévaut dans l'ensemble des infractions au Code criminel, incluant les infractions prévues à la Loi sur les drogues. Dans un tel cas, le policier viendrait à la conclusion qu'il n'y a aucune intention criminelle dans votre exemple et aucune intervention ne serait faite par les policiers.

En termes de common law, nous devons démontrer à la cour qu'il y a une intention criminelle de la part de la personne qui a offert des Tylenol. Dans ce cas, je crois que les services de police ont beaucoup d'autres choses à faire que de régler ce genre de situation.

M. Morency : Si je peux compléter la réponse, on comprend du projet de loi que mettre ces produits dans la liste des annexes qui vont toucher les narcotiques, c'est en lien avec ce que je vous parlais tantôt à savoir des mélanges qui sont faits aujourd'hui. Un jeune va sur Internet, trouve une recette, prend des médicaments disponibles ou même va faire acheter des médicaments disponibles à la pharmacie. Ce sera la prochaine étape, il faudra mettre certains produits à l'abri. Le jeune se fabrique une drogue à partir de ça.

C'est l'esprit de la loi, c'est de faire une liste de ces produits qui isolément sont peut-être sans conséquence et on les prend pour le rhume ou les allergies mais mélangés à autre chose, on créé une drogue puissante et qui accroche. Pour 3 $, le jeune est accroché beaucoup plus rapidement et plus longtemps. Les conséquences sur sa santé physique et mentale sont majeures.

Le sénateur Carignan : Je prends moins de consommation que le sénateur Banks. Je prends seulement des numéros 1. J'ai eu à côtoyer particulièrement M. Morency pendant les neuf années où j'ai été maire de Saint-Eustache. J'ai rencontré M. Gagnon à titre de président du conseil des Services policiers du Québec. J'ai pu constater leur professionnalisme et leurs connaissances.

Vous avez mentionné tout à l'heure des éléments qui me touchent particulièrement, demeurant dans une ville de banlieue. Vous avez parlé d'une ville de banlieue où il y a 300 serres hydroponiques dans les quartiers résidentiels. On a vu une perquisition la semaine passée à Brossard dans un quartier vraiment très paisible. Vous avez mentionné ce gens sont maintenant mobiles. Ils ont des laboratoires mobiles dans des « vans » et ils la vendent à 3 $. Ceux qui disent qu'on va légaliser pour que ce soit moins cher et qu'il n'y ait pas de trafic, ils en sont à 3 $.

Pour les quartiers de banlieue que l'on croit paisibles où les gens vont s'établir avec leur famille — à Montréal aussi, car Gérald Tremblay serait fâché contre moi si je parle seulement du 450 — pouvez-vous approfondir le point que vous avez fait et donner des exemples pour une ville comme Saint-Eustache ou des villes destinées aux familles, qui sont des territoires de production actuellement dans les quartiers résidentiels, et nous parler du phénomène des portes tournantes? Vous en avez parlé un peu. Vous revoyez des gens sur le terrain. C'est l'effet des portes tournantes. Spécifiez ce que vous vivez sur le terrain, en banlieue, dans les quartiers résidentiels.

M. Morency : D'abord, je vais parler d'un territoire que je connais bien où j'œuvre depuis 12 ans, Saint-Eustache. Au cours des 12 derniers mois, environ 14 serres hydroponiques ont été démantelées. Cela représente une par mois. Évidemment, ça fonctionne avec des plaintes, des informations qu'on reçoit souvent anonymes, sur du va et vient, sur des problématiques de déplacements qui inquiètent les gens. Il y a un impact direct sur le sentiment de sécurité. Les gens s'installent dans certains quartiers car ils ont l'impression qu'ils vont être plus paisibles dans certains quartiers. Quand ils sont confrontés à une telle situation, cela change complètement leur perspective et le sentiment qu'ils avaient par rapport à leur quartier et par rapport à leur sécurité. Ils accueillent avec soulagement l'intervention. Si elle ne se faisait pas, laissons passer un certain temps et imaginez où en sera le sentiment de sécurité. Ces gens vont peut-être changer de quartier si on n'agit pas, si on n'active pas le travail concernant ces serres hydroponiques.

Le projet de loi prévoit des peines plus sévères. Je pense qu'aux yeux du public qui suit les suites de ces perquisitions, car comme disait M. Gagnon, on les informe, on les tient au courant pour ramener ce sentiment de sécurité. Mais si les conséquences sont en plus au rendez-vous et qu'ils ne revoient pas dans quelques jours le même trafiquant dans les parages, ça aura un bon effet sur leur sentiment de sécurité.

M. Gagnon : À Montréal, c'est effectivement le lieu dans toutes sortes de quartiers. J'ai récemment participé à une perquisition à Mont-Royal, qui est un quartier bien nanti de Montréal, où une chic résidence a été complètement transformée en serre hydroponique. Peu importe où se produit l'activité, dans un quartier riche ou pauvre, ça a un impact important sur le sentiment de sécurité. La préoccupation est au niveau des risques d'incendie. Plusieurs serres hydroponiques sont identifiées à cause d'appels du service des incendies.

J'ai une préoccupation pour les pauvres gens propriétaires de ces immeubles, car c'est souvent fait sous location ou des futurs propriétaires de ces immeubles, qui vont se ramasser avec des dépenses très importantes non prévues à cause des effets de la serre hydroponique, qui ont une incidence importante sur la structure même de la maison. C'est à ce niveau qu'il faut se pencher.

Le sénateur Boisvenu : Vous connaissez la préoccupation de notre gouvernement à faire adopter ce projet de loi. Il vise essentiellement en grande partie à protéger notre jeunesse. Vous avez parlé dans votre présentation de la consommation de cannabis que l'on voit de plus en plus en bas âge. Ces jeunes embarquent dans un cycle de décrochage scolaire et familial et ensuite les dettes de consommation, la criminalité et intrusion de domicile. Au Québec, trois crimes ont été commis par trois mineurs de 15 ou 16 ans, qui avaient des dettes de consommation, dont un qui a tué sa mère. Et souvent ces jeunes sont aux prises avec des adultes qui s'en servent pour aller vendre des cannabis à des jeunes encore plus jeunes, à huit ou neuf ans, la consommation en est rendue là.

Comment notre projet de loi va aider les policiers à toucher les adultes? Dans le fond, le jeune de 15 ou 16 ans qui embarque dans ce cercle, a été recruté par une bande criminalisée, en quelque part, il est victime du système et victime de sa propre consommation. Ce qui m'intéresse et ce qui intéressait l'association dont j'étais le président, c'est comment ce projet de loi va aider les policiers à toucher les têtes dirigeantes, les adultes qui se servent des jeunes mineurs et qui font des dégâts énormes dans nos commissions scolaires et nos familles.

M. Morency : Je vous dirais d'entrée de jeu, l'enquête policière cherche toujours à remonter le réseau. C'est dans la nature de l'enquête de chercher à atteindre la tête du réseau. Là où le projet de loi sera le plus efficace, c'est dans les conséquences qui s'ensuivent. Dans le fond, on met parfois la main sur le trafiquant, mais dépendant de la consommation ou si des facteurs aggravants existaient avant — comme le port d'une arme à feu ou de la violence, qui sont des facteurs aggravants classiques —, étaient déjà présents dans le portrait judiciaire, si ce n'est pas présent et si le trafic était d'une ampleur moyenne, le trafiquant entre et sort du système sans trop de conséquences. Il n'y a pas de message clair de dissuasion pour les jeunes qui étaient sous son emprise, pour les gens qui ont subi des conséquences autour de ce réseau. Le projet de loi va au moins amener une congruence au niveau du message qu'on envoie comme société. Est-ce que ce sera la solution à tous les maux? J'en doute fort, car il y aura toujours un consommateur avec un besoin et un trafiquant pour lui vendre, mais on va certainement compliquer un peu la vie de ces trafiquants, qui, aujourd'hui, n'est pas très compliquée.

M. Gagnon : Certaines dispositions du projet de loi — que ce soit au niveau de faire la preuve qu'une organisation criminelle est impliquée ou qu'un grand nombre de plans sont impliqués, ou le volet des produits de la criminalité ou des biens immeubles impliqués — vont viser plus spécifiquement le volet du crime organisé dans son ensemble.

Pour ce qui est des jeunes de 14, 15, 16 ou 17 ans qui seraient employés, le service de police va les traiter en fonction de la Loi contre les jeunes contrevenants. Il y a des dispositions dans cette loi qui nous permettent d'ajuster de façon appropriée l'intervention policière et judiciaire auprès des jeunes compte tenu de leur âge ou du fait qu'ils ont peut-être commis une erreur et qu'il y a peut-être place à amélioration sans nécessairement les judiciariser.

Votre exemple renforce l'importance du volet prévention. Quels sont les projets qu'on peut mettre en place pour améliorer l'estime de soi de nos jeunes et leurs résultats scolaires? Tous les facteurs qui amènent nos jeunes à s'adonner à la drogue viennent de là. À travers les recherches, on va pouvoir identifier spécifiquement les causes et agir préventivement, tant au niveau de l'estime de soi que de leur besoin d'appartenance, et leur donner la possibilité d'avoir des activités, par exemple. Dans le fond, les facteurs qui mènent nos jeunes vers les drogues, la plupart du temps sont la pauvreté — un des éléments majeurs —, le besoin de regroupement, le besoin de faire comme les autres, le manque d'estime de soi et le manque de moyens pour se réaliser. Heureusement, plusieurs vont le faire à travers les activités sportives ou culturelles. C'est au moyen de la prévention qu'on va atteindre ces résultats.

[Traduction]

Le sénateur Baker : Je félicite les témoins. Je voudrais poser une question à M. Bratzer. Mais avant, j'aimerais poser une brève question aux autres agents ici présents.

Je ne veux pas que quiconque ait l'impression qu'une personne doit avoir une intention coupable pour qu'on puisse prouver qu'il y avait une intention coupable lorsqu'une personne est en possession d'une drogue qui ne lui a pas été prescrite. Je suis persuadé, monsieur Gagnon, que, lorsque vous arrêtez une personne en possession de Valium, d'OxyContin, de Tylenol 3 ou d'Atasol 30 qui ne lui a pas été prescrit, cette personne est coupable d'une infraction prévue dans la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, la LRDS. Le fait de fournir à autrui un médicament qui contient de la codéine — substance inscrite à l'annexe I — constitue une infraction. Il n'y a aucune raison de dire : « Je n'avais pas l'intention de donner ce médicament à une autre personne » ou « Quelqu'un me l'a donné; je n'avais pas l'intention de l'avoir en ma possession », et je crois que M. Gagnon serait d'accord pour dire qu'une telle explication ne change rien à la situation.

Dans le cas des trafiquants de haut niveau ou de niveau intermédiaire au Québec, la peine moyenne qui est infligée à un trafiquant de niveau intermédiaire — pas le genre de trafiquant dont nous avons parlé plus tôt — va de trois à huit ans, alors il ne serait pas visé par l'application d'une peine minimale.

Ma question s'adresse à M. Bratzer. Vous dites, monsieur, que, après l'adoption de ce projet de loi, une personne qui fournit à une autre personne une drogue inscrite à l'annexe I — que ce soit à l'université, dans une école de police, dans une faculté de médecine ou dans une faculté de droit — encourra une peine d'emprisonnement minimale de deux ans — maintenant une peine de durée déterminée — ou une peine pouvant aller jusqu'à l'emprisonnement à vie, si cette drogue est inscrite à l'annexe I, par exemple la codéine, comme l'a fait valoir le sénateur Banks?

M. Bratzer : Sénateur Baker, vous soulevez un très bon point, car il y a un facteur aggravant si la personne a commis l'infraction « à l'intérieur ou à proximité d'une école ». Mais la question qu'il faut se poser est la suivante : Qu'entend-on par « école »? Les policiers peuvent toujours recourir à leur pouvoir discrétionnaire, mais il faut être prudent lorsqu'on applique son pouvoir discrétionnaire, et il est important que les membres du comité ne tiennent pas pour acquis qu'un service de police ou les agents vont toujours utiliser judicieusement leur pouvoir discrétionnaire. Ce n'est pas toujours le cas. Les policiers doivent parfois décider s'ils appliquent leur pouvoir discrétionnaire de façon minimale ou maximale, et il y aura toujours des agents de police qui choisiront d'exercer au minimum leur pouvoir discrétionnaire. Je recommande au comité d'envisager une définition plus précise du mot « école » pour éviter que des jeunes à l'université, au collège ou ailleurs encourent une peine minimale obligatoire, car là n'est pas forcément l'objectif du projet de loi.

La présidente : Avant que je cède la parole au sénateur Joyal, je tiens à dire à M. Bratzer que nous avons distribué aux membres du comité le rapport publié par les responsables de l'Initiative de recherche sur la santé urbaine qu'il a mentionné dans son exposé.

M. Bratzer : Merci, madame la présidente.

Le sénateur Joyal : Monsieur Bratzer, il est probable que les deux autres témoins souhaitent également répondre à la question que je vais vous poser. Vous recommandez que le projet de loi comprenne une disposition obligeant le Parlement à réexaminer le projet de loi cinq ans après son entrée en vigueur pour en évaluer les répercussions. L'examen viserait à déterminer si l'objectif du projet de loi a été réalisé ou, comme l'a précisé M. Morency tout à l'heure, étant donné que le projet de loi est l'une des étapes du processus, si nous avons atteint les buts que nous étions censés atteindre après avoir franchi cette étape ou si nous avions de bonnes intentions, mais que ces intentions ne nous ont pas permis d'obtenir les résultats escomptés.

Pourriez-vous nous expliquer, à la lumière de votre expérience, pourquoi vous proposez un délai de cinq ans et pourquoi vous croyez qu'un délai de deux ans — tel que prévu à l'article 5 du projet de loi qui modifie l'article 8 — n'est pas suffisant?

M. Bratzer : Lorsque j'ai lu la transcription des témoignages que vous avez entendus au cours des séances précédentes, je me suis attardé sur l'exposé de Don Head, du Service correctionnel du Canada. Il a déclaré que le SCC était en train de mettre en place un nouveau système de saisie de données qui consignera, lorsque des détenus seront admis dans le système correctionnel, quelles sortes de facteurs aggravants peuvent s'appliquer à ces détenus. J'en conclus que, jusqu'à maintenant, le SCC n'a pas fait le suivi de cette information. Par définition, quiconque est admis dans un établissement correctionnel fédéral purge une peine d'au moins deux ans. Lorsque ce projet de loi entrera en vigueur, même si une personne est arrêtée, jugée et condamnée — tout cela la même journée —, elle ne sera pas mise en liberté avant deux ans, soit au moment où le premier rapport sera soumis au Parlement.

Il n'y aura tout simplement pas assez de données recueillies après ces deux premières années pour qu'on puisse produire un rapport fondé sur des données probantes. Après cinq ans, nous aurons une meilleure idée de ce qu'a coûté aux contribuables la mise en œuvre du projet de loi S-10.

[Français]

Le sénateur Joyal : Pourrais-je demander à M. Morency ou à M. Gagnon si les propos de M. Bratzer confirment votre propre perception sur la durée des condamnations, les appels, et cetera, et le service de la sentence.

M. Gagnon : Il y a un délai minimal pour avoir les données pertinentes pour faire une bonne analyse du dossier. Comme je l'ai mentionné, cela fait partie de notre vision d'effectuer des recherches sur les éléments qu'on va mettre de l'avant pour mieux comprendre les phénomènes. Je pense qu'il est tout à fait sérieux de prévoir une analyse et une évaluation de la procédure, qui sera mise en place dans cette législation.

[Traduction]

La présidente : Il y a encore trois sénateurs sur la liste, et nous n'en sommes qu'à la première table ronde, sénateur Joyal.

Le sénateur Joyal : Monsieur Bratzer, ma question se rapporte à votre déclaration selon laquelle la lutte antidrogue est aussi une question de santé publique. Pourquoi accordez-vous autant d'importance à la prévention plutôt qu'à la lutte contre le crime organisé? Pourquoi avez-vous établi cette distinction dans votre allocution?

M. Bratzer : C'est une excellente question. Nous tous ici, tant les témoins que les sénateurs, avons beaucoup de points en commun, en ce sens que nous voulons tous fondamentalement la même chose : nous voulons des lois et des politiques publiques qui réduiront au minimum le taux d'abus de drogues chez les Canadiens.

Je ne veux pas trop détourner notre attention du projet de loi S-10, mais, fondamentalement, est-ce que l'approche de justice pénale fonctionne, ou est-ce qu'une approche axée sur la santé publique fonctionne? Si vous jetez un coup d'œil sur certains des rapports que j'ai soumis au comité, il est évident que l'approche de justice pénale a échoué. L'intensification de la lutte antidrogue occasionnera probablement une hausse du taux de violence liée au narcotrafic dans les collectivités du Canada.

[Français]

Le sénateur Joyal : Peut-être que MM. Morency et Gagnon pourraient commenter en quelques secondes.

La présidente : S'ils peuvent le faire en quelques secondes.

M. Morency : Je pense que je reviens encore aux éléments de message. Il y a un équilibre à avoir entre un message qui véhicule une perception de non-conséquence et un message qui véhicule une perception de conséquences concrètes. L'une des forces du projet de loi, c'est qu'il y a cet équilibre. Est-ce qu'il est parfait? Sans doute pas.

Je veux simplement dire aussi qu'il va continuer à falloir mettre beaucoup d'efforts dans la prévention. Mon collègue en a aussi parlé largement. La loi ne pourra rien faire seule. D'autres dispositions devront s'y accrocher.

M. Gagnon : Pour les consommateurs, je pense que c'est vraiment le volet santé et prévention qu'il faut prioriser. Pour les trafiquants, surtout lorsqu'on parle de trafiquants impliqués avec les organisations criminelles, c'est le volet de la répression qui apporte le plus de résultats.

La présidente : Ce n'est pas qu'on ne veut pas poursuivre, mais nous devons suivre un horaire.

[Traduction]

Le sénateur Runciman : Monsieur Bratzer, nous avons parlé de l'échec du système de justice pénale, et je crois que beaucoup de personnes sont d'accord avec vous. Pour ma part, je ne souscris peut-être pas aux explications que vous avez fournies sur la façon de régler ce problème. Nous entendrons plus tard aujourd'hui un témoin de la Colombie- Britannique qui a mené une étude. Il est entre autres arrivé à la conclusion que les contrevenants doivent accumuler au moins neuf déclarations de culpabilité pour des infractions liées à la drogue avant qu'il y ait une probabilité de plus de 50 p. 100 qu'ils soient emprisonnés. C'est la situation qui prévaut en Colombie-Britannique, selon cette étude.

Il se peut que le système de justice pénale, vu les outils qui sont actuellement en place, n'ait pas satisfait aux attentes des Canadiens. Je crois que c'est pour cette raison que le gouvernement prend de nouvelles mesures pour essayer de réduire la consommation de drogues.

Je suis intéressé par le commentaire que vous avez répété, à savoir que l'intensification de la lutte antidrogue entraînerait une hausse de la violence. Pouvez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet? Comment se produira cette hausse de violence, et quelles en seront les causes? J'aimerais que vous expliquiez cela plus en détail, si vous le pouvez.

M. Bratzer : Je le ferai avec plaisir. Peut-être que le meilleur exemple qui existe actuellement à l'échelle internationale est la lutte antidrogue au Mexique. Depuis 2006, année où le président Calderón a déployé l'armée pour qu'elle s'attaque aux cartels de la drogue qui sont en activité dans ce pays, plus de 28 000 personnes ont perdu la vie dans le cadre de ce violent conflit entre l'État et les cartels de la drogue et entre les cartels de la drogue eux-mêmes. Certains pourraient dire que ce ne sont que des truands qui s'entretuent. Toutefois, dans la réalité, nombre des personnes décédées était des soldats, des agents de police, des journalistes, des politiciens et des citoyens innocents, comme des gens d'affaires qui refusent d'accepter des pots-de-vin. Par conséquent, la violence a réellement une incidence importante sur la société civile.

Dans de moindres proportions, au Canada, il arrive souvent que, après une enquête policière longue et complexe, les dirigeants d'une organisation criminelle soient arrêtés et envoyés en prison. Les exécutants en bas de l'échelle ne vont pas soudainement cesser leurs activités criminelles. Ils vont plutôt se disputer la direction de l'organisation ou créer leur propre groupe de criminels et commencer à se battre entre eux. Lorsque je dis « se disputer », je ne veux pas dire qu'ils prennent un avocat pour régler leurs litiges devant un tribunal civil; ils préfèrent utiliser des mitrailleuses et toutes sortes de moyens violents.

C'est ce que je veux dire lorsque je dis que l'intensification de la lutte antidrogue peut occasionner une hausse de la violence dans les collectivités du Canada.

[Français]

M. Morency : Cela me fait un peu réagir et je veux le soumettre respectueusement. Je ne veux pas commettre d'impair international, mais on ne parle pas d'une situation comparable. On n'est pas au même point, pas dans le même cas de figure, pas du tout. Je pense que M. Gagnon a soulevé un point important. Si on laisse la place aux trafiquants, dans une région, dans une ville ou dans un quartier, l'argent, l'intérêt va augmenter. Et là, si on attend pour attaquer le phénomène ou plutôt si on retarde l'attaque et qu'on l'attaque alors qu'il est dans sa pleine puissance et que l'argent est à son plus haut, cela va prendre énormément de moyens et il va y avoir de la violence. Mais on ne parle pas de cela au Canada, on n'en est pas à ce stade. On parle d'éviter d'en arriver à cela en instaurant certaines barrières. Le projet de loi S-10 représente une barrière à cela.

Je ne veux rien enlever au constat de M. Bratzer, mais il reste qu'on parle, au Canada, d'un autre cas de figure, selon moi.

Le sénateur Angus : Messieurs Gagnon et Morency, d'abord merci bien pour votre témoignage qui est très intéressant. Pour moi, cela est très professionnel. Et votre compréhension de ces situations est bonne et elle nous aide beaucoup. La question que j'ai est pour M. Gagnon. J'ai une seule question concernant les maisons dont vous avez parlé, par exemple à ville Mont-Royal, une maison dans un quartier aisé.

Avez-vous examiné des documents au bureau d'enregistrement pour connaître les propriétaires de ces édifices?

M. Gagnon : Il y a un registre qui existe qui va nous permettre de vérifier ces éléments. Les courtiers vont vérifier ces éléments. Il s'agit d'une nouvelle disposition qui a été mise en place. J'ai vu des cas où c'est arrivé que les gens n'avaient pas vérifié et avaient acheté une maison qui avait été une serre hydroponique. Il y avait une problématique de moisissures à l'intérieur et dans d'autres cas, c'est déjà le propriétaire. Ce sont des logements loués.

Le propriétaire sera toujours responsable des dommages qui seront causés. Il croit qu'il a loué la maison à des personnes honnêtes, mais malheureusement, elle a été louée à des gens qui voulaient la convertir en une serre hydroponique. On a donc les deux situations qui existent présentement.

Le sénateur Angus : Donc si je comprends bien, vous n'avez pas encore été en mesure d'établir un lien entre le crime organisé et les propriétaires de ces maisons?

M. Gagnon : Non. Lorsque j'ai effectué la perquisition, on en était évidemment à l'étape antérieure à tout cela. Il n'y avait donc pas eu encore d'enquête en ce sens. Mais ce que l'on constate présentement, c'est qu'il y a certains groupes criminels qui vont procéder par locations. D'autres vont acheter des propriétés en promettant à la personne qui entretiendra la serre hydroponique, qu'à la fin de l'opération, ils en seront propriétaires. Ce sont donc les différents modèles qu'on a, mais il peut y avoir des variations d'un groupe criminel à l'autre. Évidemment, la location est ce qui reste le moins coûteux pour eux.

Le sénateur Chaput : D'après ce que j'ai compris, le fait d'emprisonner les trafiquants apporterait un sentiment de sécurité dans nos communautés. Je crois que MM. Gagnon et Morency étaient aussi de cet avis — vous me corrigerez si je suis dans l'erreur.

Pourtant, le rapport que nous avons tous entre les mains, qui provient de l'International Centre for Science in Drug Policy, démontre l'inverse et dit que la violence augmente.

Ma question s'adresse à M. Bratzer : êtes-vous du même avis que MM. Morency et Gagnon sur cette question? Est- ce que l'emprisonnement fera que nous aurons des communautés plus sécuritaires ou augmentera-t-il, plutôt, la violence?

[Traduction]

M. Bratzer : Nous devons comprendre que, dans le cas présent, nous parlons essentiellement des infractions liées à la drogue, et, à mon avis, et de l'avis des agents de police actuels et anciens qui sont membres de Law Enforcement Against Prohibition, cela ne rend pas les collectivités plus sûres. Peut-être que c'est contre-intuitif. Nous devons voir que c'est différent lorsqu'il s'agit d'un trafiquant de drogues qui est emprisonné, car, dans ce cas, la collectivité est à l'abri de ce trafiquant de drogues. Cette personne a subi les conséquences de ses actes.

Il est important de maintenir la primauté du droit. Toutefois, nous ne pouvons sous-estimer la résilience du marché de la drogue dans les sociétés occidentales. Dès que ce trafiquant de drogues est jeté en prison, il y a une autre personne plus expérimentée, plus impitoyable et plus rusée qui est prête à prendre sa place.

Individuellement, oui, ce trafiquant est mis derrière les barreaux. Toutefois, lorsqu'on envisage le marché de la drogue dans son ensemble, non, l'emprisonnement de ce trafiquant ne rend pas les collectivités plus sûres.

[Français]

Le sénateur Chaput : Est-ce que ce ne serait tout simplement qu'une illusion d'une communauté plus sécuritaire si, en effet, nous emprisonnions les trafiquants? Est-ce une illusion ou une réalité?

[Traduction]

M. Bratzer : J'avancerais que nos observations jusqu'à maintenant — depuis qu'on a amorcé la guerre contre la drogue, en 1970 — montrent que ce n'est pas ce qui se produit. Malgré les milliards de dollars que nous avons investis dans la lutte antidrogue depuis 40 ans, nous pouvons constater que, aujourd'hui, les drogues sont moins chères, plus accessibles et plus pures ou fortes que jamais auparavant, comme l'ont expliqué d'autres témoins.

Si nous faisons le bilan de cette lutte qui dure depuis de longues années, il est clair que la politique publique qui consiste à recourir à une approche fondée sur la justice pénale pour lutter contre la drogue dans notre société s'est révélée inefficace et que nous devons envisager d'autres options.

Pour ce qui est du projet de loi S-10 proprement dit, si nous l'évaluons sur le fond et à la lumière des témoignages, nous pouvons affirmer qu'il ne nous permettra pas de réaliser les objectifs énoncés.

[Français]

La présidente : Je m'impose la même discipline qu'à tout le monde. J'aurais eu des questions supplémentaires mais je me contrôle. Merci infiniment, messieurs Morency et Gagnon.

[Traduction]

Je vous remercie beaucoup, monsieur Bratzer. Ce ne doit pas être facile pour vous de répondre aux questions que nous vous posons par vidéoconférence, mais nous vous sommes très reconnaissants.

M. Bratzer : Merci, madame la présidente.

La présidente : Chers collègues, nous allons laisser les témoins prendre congé et inviter les prochains témoins à prendre place autour de la table.

Pour notre deuxième table ronde aujourd'hui, nous sommes heureux d'accueillir Tara Lyons, directrice générale de l'organisme Canadian Students for Sensible Drug Policy, et à titre personnel, Tracey Anderson. Nous vous remercions toutes les deux d'être ici. Je sais que vous apporterez des points de vue légèrement différents qui nous seront d'une grande utilité. Je crois que vous savez comment nous procédons ici. Vous présentez une allocution, puis nous vous posons des questions.

Est-ce la première fois que vous comparaissez devant un comité parlementaire?

Tara Lyons, directrice générale, Canadian Students for Sensible Drug Policy : J'ai déjà témoigné devant un comité à l'égard du projet de loi C-15.

La présidente : Eh bien, nous n'allons pas vous mordre.

Le sénateur Joyal : Pas tout de suite.

La présidente : Madame Lyons, vous pouvez y aller.

Mme Lyons : Nous vous remercions beaucoup de nous donner l'occasion de nous exprimer aujourd'hui au sujet du projet de loi S-10. Comme l'a mentionné la présidente, je témoigne au nom de Canadian Students for Sensible Drug Policy, et on m'a dit plusieurs fois que je devais parler lentement. Si je parle trop vite, n'hésitez pas à me le faire savoir.

Il y a trois éléments du projet de loi S-10 qui nous préoccupent parce que nous croyons qu'ils peuvent causer du tort aux jeunes. D'abord, nous trouvons que l'incarcération des jeunes n'est pas la solution. Nous sommes tous parfaitement d'accord sur le fait que nous ne voulons pas qu'il y ait des gangs criminalisés et que nous ne voulons pas voir de la violence dans nos collectivités. Je n'aborderai pas la question sous cet angle. Je ne suis pas une spécialiste des cartels. Je m'intéresse davantage aux jeunes, soit les membres de notre organisme.

Nous croyons que l'incarcération des jeunes n'est pas la solution. Bien que nous souscrivions à certains des principes et des objectifs de ce projet de loi, nous ne sommes pas d'accord avec le ministre Nicholson — malgré tout le respect que nous avons pour lui — sur le fait que le projet de loi S-10 constitue une approche équilibrée. Nous craignons que ce projet de loi, s'il est adopté, ait des effets ravageurs sur les jeunes et ait comme conséquences imprévues de ne pas protéger les jeunes ni de rendre nos collectivités plus sûres.

Nous pouvons citer un exemple tiré de l'actualité : le décès tragique d'Ashley Smith à l'Établissement Grand Valley, en 2007. Ce qu'elle a vécu pendant son incarcération montre exactement pourquoi nous ne devrions recourir à l'incarcération des jeunes qu'en dernier ressort. Les jeunes qui commettent des infractions liées aux drogues ont besoin d'aide, pas d'une peine d'emprisonnement qui peut faire plus de tort que de bien.

Étant donné qu'il est prouvé que l'imposition de peines minimales obligatoires pour les infractions liées aux drogues ne décourage aucunement la consommation de drogues ou la criminalité et que de telles peines peuvent avoir des effets dévastateurs sur la société canadienne, particulièrement chez les jeunes, nous recommandons l'abandon du projet de loi S- 10. Toutefois, sachant qu'il ne sera probablement pas abandonné, nous espérons que vous tiendrez compte de certaines de nos recommandations.

Nous avons des réserves concernant la proposition de transférer certains types d'amphétamines et l'ecstasy, également appelée MDMA, à l'annexe I. Étant donné que les jeunes consomment ces substances beaucoup plus souvent que les adultes, cette proposition risque d'entraîner des conséquences graves pour les jeunes. La possession d'une seule pilule — et nous avons entendu ceci à maintes reprises lors des audiences du comité et encore aujourd'hui — entraînera l'imposition d'une peine d'emprisonnement de sept ans, et si la personne donne de telles pilules à ses amis, elle risque une peine d'emprisonnement à vie.

Le 28 octobre, le sénateur Baker et le sergent Sadler ont déclaré que des personnes ont été accusées et déclarées coupables d'avoir fait le trafic d'une seule pilule d'ecstasy à un rave. Je n'évoque pas une situation hypothétique. Je ne suis pas en train d'inventer un scénario. Il est probable que nous assistions à une hausse marquée du nombre de jeunes incarcérés pour de longues périodes en raison de l'ajout de ces substances à l'annexe I.

J'attire votre attention sur une étude que David Nutt et ses collègues ont récemment publiée dans The Lancet. Ces chercheurs ont conclu que l'alcool est la substance qui cause le plus de tort à la société, lui attribuant une note globale de 72 p. 100 pour ce qui est de ses méfaits, tandis que l'ecstasy obtenait une note globale de 9 p. 100 et se classait loin derrière le tabac et d'autres drogues. L'Enquête sur les toxicomanies au Canada a donné des résultats semblables au Canada. Je suis persuadée que les membres du comité sont également au courant des conclusions de cette enquête.

À l'heure actuelle, nous recommandons que les amphétamines qui figurent dans la liste et l'ecstasy ne soient pas transférées à l'annexe I. Au lieu de cela, nous suggérons de procéder à un examen du système de classification des drogues, y compris l'alcool et les médicaments d'ordonnance, qui est utilisé au Canada, car nous croyons que ces substances sont trop souvent écartées de la discussion.

Nous proposons l'idée d'examiner le système de classification des drogues, car cela permettra d'orienter les reclassifications futures, d'avoir une meilleure compréhension des torts causés par l'abus d'une substance donnée et de prévenir les conséquences fortuites.

Ensuite, le projet de loi S-10 prévoit plusieurs facteurs aggravants qui prolongent automatiquement la peine minimale infligée à la personne déclarée coupable d'une infraction liée aux drogues. Nous sommes particulièrement préoccupés par la division 5(3)a)(ii)(C), à la page 2 du projet de loi — notamment le passage qui dit « si la personne, selon le cas, a eu recours aux services d'une personne de moins de 18 ans » —, et par la division 5(3)a)(ii)(A), qui prévoit qu'une personne se voit infliger une peine minimale obligatoire de deux ans si l'infraction est commise à l'intérieur ou à proximité d'une école.

Jusqu'à maintenant, ces dispositions ont suscité beaucoup de réactions aux audiences du comité. À l'évidence, elles ont été ajoutées dans l'intention de protéger les jeunes. Toutefois, leur libellé est si dangereusement vague qu'elles causeront par inadvertance du tort aux jeunes. Dans le cas de la division 5(3)a)(ii)(C), un jeune de 18 ans qui donne une pilule à son ami de 17 ans peut se retrouver en prison pour deux ans. En ce qui concerne la division 5(3)a)(ii)(A), si l'infraction est commise dans un endroit fréquenté par des jeunes, par exemple sur les lieux d'un rave où, d'après ce que nous avons entendu, des jeunes sont arrêtés, puis déclarés coupables d'infractions liées aux drogues, alors il est plus probable que ce soit des jeunes qui purgent des peines minimales obligatoires dans nos prisons déjà surpeuplées.

Il est important que le comité comprenne que ce sont souvent les jeunes qui distribuent de la drogue à d'autres jeunes. Une récente étude menée par le Queensland Alcohol and Drug Research and Education Centre auprès de plus de 6 000 jeunes âgés de 18 à 23 ans a révélé qu'une grande majorité de jeunes obtenaient de l'ecstasy par l'intermédiaire de groupes d'amis. Par exemple, un jeune peut acheter cinq pilules d'ecstasy qu'il distribue à ses amis à la fête. C'est une situation que nous voyons souvent. La plupart du temps, les jeunes n'achètent pas la drogue à cet obscur vendeur sur la rue. Oui, cela arrive, mais, la plupart du temps, ce n'est pas le cas. Chez les jeunes, la distribution de la drogue passe le plus souvent par le réseau d'amis. Des jeunes distribuent ou vendent de la drogue à d'autres jeunes. Par conséquent, les deux divisions du projet de loi que j'ai mentionnées pourraient avoir des effets dévastateurs sur les jeunes.

Nous recommandons que les divisions 5(3)a)(ii)(A) et 5(3)a)(ii)(C) du paragraphe 2(1) soient supprimées. Toutefois, si ces dispositions sont jugées nécessaires, nous recommandons, à l'instar d'autres témoins, que les termes utilisés soient plus précis de façon à ce qu'on puisse éviter de possibles conséquences néfastes et imprévues sur les jeunes.

Pour conclure, je vous demande instamment d'examiner les données scientifiques qui mettent en évidence les effets négatifs de l'imposition de peines minimales obligatoires aux jeunes. Nous vous prions d'envisager des solutions de rechange au projet de loi S-10 et d'assurer la sécurité de nos jeunes et de nos collectivités. Nous ne voulons pas que nos jeunes grandissent en prison; nous ne voulons pas qu'ils reçoivent leur éducation dans ces établissements.

La présidente : Merci, madame Lyons. Chers collègues, l'étude publiée dans The Lancet qu'a citée Mme Lyons se trouve dans la grosse pile de documents que vous avez reçus aujourd'hui. L'article est intitulé « Drug harms in the UK : a multicriteria decision analysis ».

Tracey Anderson, à titre personnel : Je vous remercie de me donner l'occasion de m'adresser au comité au sujet du projet de loi.

À l'évidence, je suis ici pour une raison différente. La famille est tout ce qui compte pour moi. J'ai habitué mes enfants à faire du bénévolat et à rester actifs dans la collectivité pour qu'ils deviennent de bons citoyens, à ne pas avoir peur de poser des questions s'il y a quelque chose qu'ils ne comprennent pas et à aider les autres chaque fois qu'ils le peuvent.

Quand ma fille Chelsea est morte l'an dernier, le 8 juillet, d'une surdose de drogue, cela a été très — désolée.

La présidente : Prenez votre temps.

Mme Anderson : Cela a été un choc pour toute la famille.

La présidente : Prenez votre temps, madame Anderson.

Mme Anderson : Je me suis exercée avant de venir ici, et tout allait bien.

Chelsea était frêle. Elle était petite, mais avait un grand cœur, et elle n'avait pas peur de le montrer. Elle aimait généralement tout le monde qu'elle rencontrait. Elle avait beaucoup d'entregent. Je n'irai pas jusqu'à vous dire qu'elle était parfaite. Elle était une adolescente comme toutes les autres, et elle était rebelle. Nous pouvions certainement avoir des prises de bec. Lorsqu'elle croyait avoir raison, elle campait sur ses positions, et c'est l'une de choses que j'admirais chez elle, car elle tenait bon jusqu'à ce qu'on lui prouve qu'elle avait tort.

Elle faisait du bénévolat dans la collectivité, par exemple pendant le Yukon Sourdough Rendezvous et la Yukon Quest. Elle s'était jointe aux cadets de l'armée, où elle était biathlète, et elle a gravi les échelons jusqu'à ce qu'elle atteigne la limite d'âge. Après son dernier camp d'été, elle est arrivée à la maison et nous a annoncé : « J'ai fait un cours de premiers soins, alors, si vous avez une crise cardiaque, je peux vous sauver. » Elle était une enfant qui se souciait des autres.

Chelsea n'a eu que quelques petits amis, mais aucun d'eux ne parvenait à la suivre dans ses ambitions. L'hiver, elle skiait et jouait au basket-ball, et, l'été, elle se rendait au chalet et nageait dans les lacs et les rivières, pêchait, faisait de la randonnée en montagne et du camping.

À l'école, Chelsea faisait du bénévolat dans la classe 1, celle des élèves ayant des besoins spéciaux. Il s'agissait d'une activité parascolaire où elle aidait ces élèves dans leurs devoirs. Si Chelsea rencontrait ces élèves dans la rue ou à l'école, elle n'essayait pas de les ignorer, comme le font la plupart des adolescents. Elle les considérait comme ses égaux et ne croyait en aucune façon qu'ils étaient différents.

Les amis de Chelsea viennent encore me rendre visite, et nous parlons de ce qui se passe dans leur vie. L'une de ses meilleures amies va se marier cette année, chose qui — désolée. Je ne verrai jamais ma fille se marier.

Comment ma fille en est-elle arrivée là? En dixième année, elle a commencé à travailler dans une quincaillerie. Elle aimait beaucoup ce travail. Elle a décidé qu'elle allait quitter la maison. Bien sûr, c'était contre mon gré, car je ne veux pas que mes enfants quittent la maison. Chelsea a donc déménagé. Elle continuait de s'appliquer dans ses études et elle était extraordinaire. Elle était capable de payer le loyer, et elle s'en sortait très bien. Elle a changé d'emploi peu de temps après et a commencé à travailler dans une épicerie, où elle a rencontré un jeune homme qu'elle a commencé à fréquenter.

Quelques mois avant son décès, j'ai commencé à remarquer des changements chez elle; une plus faible estime d'elle- même et d'autres choses comme cela. Je ne savais pas exactement ce qui se passait. L'une des choses que j'ai découvertes, probablement six mois avant son décès, c'est que le garçon qu'elle fréquentait était en fait âgé de 30 ans. Ma fille avait 17 ans. Je ne connaissais pas son âge, mais il ne me semblait pas si vieux. Il avait l'air d'un jeune homme. Lorsque j'ai découvert son âge, les autres membres de la famille et moi-même avons décidé de prendre des mesures pour la sortir de cette situation. Nous savions qu'il y aurait un problème. J'ai pris des arrangements avec son frère aîné pour qu'elle aille faire un voyage de camping de trois semaines en Colombie-Britannique, mais elle est morte deux semaines avant que ce voyage ait lieu.

Je crois que, le plus dur, c'est lorsque les policiers sont venus m'annoncer qu'elle nous avait quittés. Ce qui nous a étonnés le plus, ma famille et moi, c'est qu'elle avait succombé à une surdose de drogue. Ma fille était totalement contre la drogue. D'après les renseignements que nous ont transmis les policiers et le coroner, Chelsea aurait peut-être consommé de la drogue une ou deux fois auparavant, alors tout cela était nouveau. La cause officielle de sa mort est une surdose de morphine causée par la consommation d'un mélange de cocaïne et d'héroïne. Chelsea était allergique à la morphine. Après avoir pris cette drogue, elle s'est sentie fatiguée et est allée se coucher. D'après ce que révèlent les rapports, son petit ami était allé se coucher peu de temps après et avait remarqué qu'elle respirait bizarrement. Il l'avait couchée sur le sol parce qu'il voulait dormir. C'est là qu'elle est décédée. Son petit ami était gelé, alors il n'a pas vu qu'elle avait besoin d'aide.

Ce genre de personne montre à de jeunes enfants influençables — et ce sont bien des enfants; ma fille avait 17 ans, oui, elle était une adulte, mais elle était aussi encore une enfant — que le fait d'avoir des drogues en sa possession, et il s'agit ici de drogues dures, est acceptable en société. C'est ce que ma fille a appris en vivant avec ce type. Cela se passe ici. C'est comme lorsqu'on dit que le fait de boire un verre de vin au souper est socialement acceptable pour certaines personnes et pas pour d'autres. Ma question est la suivante : est-ce que cela est vraiment socialement acceptable?

Personnellement, je crois que les lois devraient être plus sévères. Ce genre de personne peut se comporter de cette façon impunément. À mon avis, certains revendeurs de drogue reçoivent des sentences bonbon. Je ne crois pas qu'ils assument la responsabilité de leurs actes.

Le décès de Chelsea a laissé un grand vide non seulement dans notre famille, mais également dans la collectivité, et il est important de reconnaître cela aussi. Je suis venue ici pour vous parler de la mort de ma fille et des effets dévastateurs de la drogue sur notre famille, mais également des effets dévastateurs de la drogue sur notre collectivité. Nous avons perdu un membre de la collectivité qui était inspirante, drôle et bienveillante, et elle était une enfant extraordinaire.

J'ai apporté avec moi quelques statistiques pour vous donner une idée — cette feuille ici — de l'ampleur du problème dans la collectivité de Whitehorse. Voici quelques chiffres se rapportant à 2009, année où ma fille est décédée. Le nombre de personnes accusées de possession de drogue — uniquement devant la Cour suprême du Yukon — s'élevait à 15 984, et, de ce nombre, 8 106 ont été reconnues coupables et 59 ont été acquittées. Pour la même année, le nombre de personnes accusées de trafic de drogue a totalisé 2 587, dont 7 230 qui ont été reconnues coupables. Je tiens à souligner que la population de Whitehorse est d'environ 25 000 personnes.

J'ai perdu ma fille et je ne peux imaginer que d'autres familles aient à vivre ce que j'ai vécu. Merci. Je suis désolée.

La présidente : Vous n'avez pas à être désolée, madame Anderson. C'est nous qui sommes désolés. Nous savons que cela est atrocement difficile pour vous, et il n'existe pas de mots pour exprimer la compassion que nous avons pour vous, mais nous vous sommes très reconnaissants. Il est important pour nous d'entendre des personnes qui ont vécu des histoires comme la vôtre.

Mme Anderson : Je sais que vous entendez beaucoup de représentants d'organismes et de personnes qui interviennent directement auprès de ces gens, et je veux insister sur le fait qu'il y a des familles qui ont perdu un membre à cause de la drogue. C'est un autre aspect que nous devons prendre en considération lorsque nous examinons un projet de loi comme celui-ci.

La présidente : Je vous remercie beaucoup.

Nous allons maintenant passer aux questions, avec le sénateur Lang en premier.

Le sénateur Lang : J'aimerais remercier Tracey Anderson d'être venue témoigner devant le comité, et je sais que cela doit être très difficile pour vous. Toutefois, il importe que les membres du comité et le Parlement entendent des histoires vécues qui montrent ce que ces drogues peuvent faire aux familles et aux Canadiens. C'est un autre aspect important qui nous est présenté aujourd'hui, et le fait est que ces drogues sont accessibles non seulement à Vancouver et à Halifax, mais aussi dans les collectivités rurales du Canada. Il est même probable que, dans certains cas, elle soit plus accessible dans les collectivités rurales du Canada que dans des collectivités urbaines du sud du Canada. Il faut donc se demander comment nous pouvons restreindre l'accès aux drogues, et c'est pour cette raison que nous nous penchons sur le projet de loi.

Dans votre exposé, vous avez parlé du système judiciaire et des délinquants notoires qui comparaissent devant les tribunaux. Il s'agit de récidivistes qui reçoivent des sentences bonbon. Ils retournent à leurs occupations et ne semblent pas subir les conséquences de leurs actes. Madame Anderson, pourriez-vous nous en dire un peu plus, de votre point de vue de mère qui a perdu sa fille dans des circonstances qu'on ne pourrait qualifier que de tragiques?

Mme Anderson : L'incident que je vais vous raconter s'est passé quelques mois après le décès de ma fille. Mon époux travaille comme messager, et il devait se rendre à un domicile pour prendre une enveloppe. Le type qui a ouvert la porte lui a dit que l'enveloppe contenait un gros chèque pour son avocat, qu'il avait été accusé de trafic de drogue et qu'il s'en tirerait indemne. Comme il ne savait pas qui était mon époux, il lui parlait ouvertement de tout cela et faisait toutes sortes de déclarations semblables. Personnellement, je crois que ces gens n'ont aucun respect pour la loi. Ils ne se soucient pas de ce qui se passe dans leur collectivité. Ils sont là pour faire de l'argent. Même si mon époux a fondu en larmes après avoir tourné le coin, cela fait partie de son travail. Il doit continuer de faire son travail.

Comme nous vivons dans une petite collectivité, nous côtoyons ce genre d'individus chaque jour. Dans le cas de ma fille, aucune accusation n'a jamais été officiellement portée, car il n'y avait pas une quantité suffisante de drogue sur les lieux pour intenter une poursuite en justice. Par conséquent, son petit ami et le père de celui-ci sont libres comme l'air et mènent une vie normale.

Je ne sais pas quoi vous dire d'autre. C'est frustrant. Cela me brise le cœur. C'est difficile de vivre dans une collectivité semblable lorsque nous voyons des choses comme cela, lorsque nous savons que les responsables peuvent recommencer à agir de la sorte.

Le sénateur Lang : En ce qui a trait au projet de loi présenté au Parlement et à l'objectif de renforcer le système de justice, vu l'ajout de ce qui est perçu comme des peines obligatoires, croyez-vous que ce projet de loi constitue un pas dans la bonne direction? De votre point de vue, puisque vous vivez dans une petite collectivité du Canada, croyez-vous que, si l'un de ces individus est poursuivi et reconnu coupable et qu'il est mis derrière les barreaux, cela rendra votre collectivité plus sûre?

Mme Anderson : Oui, je le crois sincèrement. À mon avis, l'imposition de peines minimales et la mise en place de programmes de sensibilisation constitueraient une excellente combinaison. Il faut mettre ces personnes hors d'état de nuire et les empêcher de s'adonner à leurs activités criminelles pour rompre ces liens. J'ai écouté le point de vue des témoins sur la question et tout le reste, mais, si les sanctions sont assez sévères, cela incitera les gens à réfléchir et à se demander si ce qu'ils font en vaut la peine.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Madame Anderson, je vous offre mes plus sincères sympathies. Vous savez, ma fille aussi a été assassinée par un récidiviste qui avait des problèmes de consommation, qui avait commis des crimes auparavant, gestes pour lesquels le système, effectivement, lui avait donné une simple tape sur les mains en lui disant de ne pas recommencer. Je comprends votre frustration et je comprends que vous avez beaucoup d'attentes de la part du gouvernement conservateur afin qu'il resserre les lois et surtout qu'il envoie un message clair.

Madame Lyons, j'étais un peu surpris devant vos affirmations selon lesquelles on devrait mettre les consommateurs en prison et que si un jeune donnait une pilule à un autre jeune, qu'il devrait recevoir une sentence de sept ans. Avez- vous bien lu le projet de loi? Le comprenez-vous bien?

[Traduction]

Mme Lyons : Si j'ai bien compris la question, je sais que nous parlons du trafic de la drogue, c'est tout à fait clair. J'ai lu le projet de loi de nombreuses fois et j'ai présenté des exposés portant sur sa version antérieure, le projet de loi C- 15. À ma connaissance, je n'ai pas mentionné que nous allions envoyer des consommateurs en prison. Je crois que vous faites allusion aux divisions 5(3)a)(ii)(C) et 5(3)a)(ii)(A), lorsque j'ai donné l'exemple du jeune de 19 ans qui se rend à un rave avec ses amis de 17 ans. Je ne disais pas que le jeune de 17 ans serait passible d'une peine minimale obligatoire. Je parlais de la personne âgée de 19 ans, qui peut encore être considérée comme un jeune. Cet exemple venait illustrer mon argument selon lequel, si nous parlons tout particulièrement des endroits à l'intérieur ou à proximité d'une cour d'école, ou probablement d'un rave, alors il s'agit de lieux fréquentés par des jeunes. Le fait de commettre une infraction dans ces endroits constituerait un facteur aggravant, ce qui entraînerait l'imposition d'une peine minimale obligatoire de deux ans. Est-ce que cela répond à votre question?

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Vous avez bien dit que si un jeune donne une pilule à un autre jeune, il va recevoir une sentence de sept ans. Moi, je ne vois pas de crime là-dedans. D'autre part, vous dites que le projet de loi va toucher des jeunes parce que ce sont eux qui consomment le plus. J'essaie de comprendre le lien que vous faites entre la consommation de drogue et le projet de loi, alors que celui-ci touche particulièrement les trafiquants.

[Traduction]

Mme Lyons : Veuillez m'excuser; j'ai mal compris la question la première fois. Je crois que vous faites allusion à la disposition se rapportant à la reclassification. Je l'ai lue dans d'autres transcriptions et j'ai vu que des représentants du milieu juridique en avaient fait mention, et c'est pourquoi j'ai donné l'exemple du sénateur Baker et du sergent Sadler. Je crois comprendre que, si nous transférons, par exemple, la MDMA à l'annexe I, alors la personne qui est en possession de cette substance peut faire l'objet d'accusations. Je crois que le sénateur Banks a fait une analogie semblable tout à l'heure, et c'est à cela que je voulais faire allusion.

Je suis désolée d'avoir mal compris la question la première fois.

Le sénateur Baker : J'aurais une autre question. Je crois que ce que vous voulez faire valoir, c'est que, si nous transférons toutes ces substances de l'annexe III à l'annexe I, la personne qui est en possession de l'une de ces substances est passible d'une peine d'emprisonnement de trois à sept ans.

Mme Lyons : C'est exact.

Le sénateur Baker : C'est ce que vous vouliez dire.

Mme Lyons : Oui, je suis désolée.

Le sénateur Baker : Et vous avez raison.

La présidente : Ma question s'adresse avant tout à Mme Lyons, mais Mme Anderson peut y répondre si elle le souhaite. Madame Lyons, comme vous devez le savoir, le comité a discuté, entre autres avec le dernier groupe de témoins, de la question de la proximité d'une école. Je me demande s'il y a des commentaires que vous voudriez faire à cet égard.

À l'évidence, il est d'intérêt public de tenter de protéger les enfants dans les endroits qu'ils fréquentent souvent, particulièrement les écoles, contre les pourvoyeurs de substances dangereuses. Toutefois, à la lumière des témoignages que nous avons entendus et de la jurisprudence, il est difficile d'atteindre ce but sans ratisser trop large. Auriez-vous des observations à faire sur cette question? Vos membres en ont-ils discuté?

Mme Lyons : Nous avons passé beaucoup de temps à examiner cette partie du projet de loi. J'aimerais vous dire que nous avons réussi à trouver la solution miracle.

La présidente : C'est ce que j'espérais entendre.

Mme Lyons : C'est compliqué. Je comprends que vous devez composer avec des situations compliquées et qu'il n'existe pas de solution facile. Notre but n'est pas d'essayer de protéger les personnes qui fournissent des drogues dangereuses aux jeunes; ce n'est pas du tout notre intention.

Ce serait difficile, même si les termes étaient précis. Je crois que cet aspect a été soulevé par d'autres personnes, de même que par le dernier groupe de témoins : parlons-nous d'une école primaire, d'une école secondaire ou d'une université? Le fait d'apporter ce genre de précisions rendrait le projet de loi plus clair. J'ai aussi entendu des personnes suggérer qu'on fournisse des distances précises, ce qui pourrait être encore plus utile. Les expressions « à l'intérieur de » ou « près de », et plus particulièrement « sur le terrain d'une école ou près de ce terrain » sont problématiques.

Dans cette même disposition, on mentionne également « tout autre lieu public normalement fréquenté par des personnes de moins de 18 ans ». Ce libellé est très général. Il pourrait s'agir de n'importe quel endroit. Il pourrait s'agir de la Colline du Parlement, puisque des jeunes viennent à cet endroit pour rencontrer des députés et s'y promener.

Nous craignons que cette disposition touche des personnes involontairement. Je ne crois pas que quiconque autour de cette table tente de faire en sorte que cette disposition s'applique à un groupe de personnes âgées de moins de 25 ans et que ceux-ci soient jetés en prison. Toutefois, les jeunes de partout au pays vivent des situations où cela pourrait se produire. Nous voyons souvent des jeunes qui fréquentent d'autres jeunes à peu près du même âge qu'eux, par exemple un jeune de 19 ans qui a un ami de 17 ans. Ces jeunes peuvent fréquenter un centre commercial, par exemple, de sorte qu'il faudrait utiliser des termes plus précis.

Je ne suis pas une spécialiste du droit à proprement parler, alors je ne peux pas vous fournir la meilleure réponse sur le plan juridique. Est-ce que cela a du sens?

La présidente : Certainement. Vos membres et vous-même avez achoppé sur les mêmes problèmes que nous tous.

Mme Lyons : Exactement.

La présidente : Madame Anderson, qu'en pensez-vous?

Mme Anderson : J'aurais deux ou trois commentaires à faire. Je comprends la différence entre une école primaire, une école secondaire et une université. L'une des mesures que nous avons prises au Yukon, c'est d'amener un chien détecteur de drogue dans l'une des écoles. C'est l'école que fréquentait ma nièce. Ma nièce se sentait beaucoup plus en sécurité à l'école parce que ce chien était là.

La présidente : Y amenait-on le chien régulièrement?

Mme Anderson : Oui. C'est un projet pilote qui a été mené pour voir comment réagiraient les élèves et leurs parents. Je n'ai pas de données relatives au programme. Je ne peux pas vous dire si c'est une grande réussite. Tout ce que je peux vous dire, c'est que ma nièce se sentait mieux à l'école, car elle savait que ces chiens étaient là.

La présidente : Je vous remercie beaucoup toutes les deux.

Le sénateur Wallace : Madame Anderson, il est difficile de vous poser une question sur les répercussions de la drogue dans les écoles parce que je sais que tout ça vous touche personnellement.

L'un des principaux objectifs du projet de loi — une préoccupation que le ministre et nous tous ici présents partageons — est la protection des enfants contre les problèmes liés à la drogue dans les écoles. C'est à l'école que les enfants se préparent à faire leur vie et acquièrent ce dont ils ont besoin de façon positive. Ce ne devrait pas être un endroit où les jeunes se heurtent au problème du trafic de la drogue, qui semble d'ailleurs être très présent dans ce milieu.

L'intention est là. J'imagine que nous tiendrons un débat sur la façon de traduire cette intention en actions. Existe-t- il une solution miracle pour régler le problème? Probablement pas. Le gouvernement est d'avis que ce projet de loi constitue un pas dans la bonne direction. Il prévoit des conséquences réelles. C'est une expression galvaudée, mais elle envoie un message clair selon lequel les écoles doivent être à l'abri du trafic de la drogue, et nous devons tout mettre en œuvre pour y arriver.

Y a-t-il d'autres commentaires que vous souhaiteriez faire, à la lumière de votre expérience ou de votre connaissance des problèmes de drogue dans les écoles et des effets négatifs que vous ou vos amis avez vécus à cet égard?

Mme Anderson : Il n'y avait pas de tels problèmes à l'école que mes enfants ont fréquentée.

La présidente : Il n'y en avait pas?

Mme Anderson : Pas à ma connaissance. J'imagine que, si je vais à la maison et que je le demande à mon fils, il dira « ben oui, il y en a », mais mes enfants ne m'ont jamais dit qu'il y avait ce genre de problèmes dans la cour de leur école.

Cela dit, tout le monde sait qu'il y a des problèmes de cette nature dans certaines des autres écoles. Lorsque j'envoie mes enfants à l'école, je m'attends à ce que le personnel de l'école protège mes enfants, que ce soit contre la drogue, la violence ou autre chose. C'est un établissement d'enseignement. Parfois, l'école est un refuge pour les enfants dont la vie familiale est instable, et l'école est alors la seule chose qui est stable dans leur vie.

Surtout lorsqu'il s'agit d'établissements d'enseignement fréquentés par des jeunes — les écoles primaires et secondaires —, je crois que nous devons faire tout notre possible pour protéger ces enfants. Les écoles devraient être un lieu sûr pour eux.

La présidente : Je vais demander à Mme Lyons si elle souhaite faire des commentaires à ce sujet.

Mme Lyons : Nous voulons certainement que les écoles soient des lieux sûrs. Je crois que c'est différent lorsqu'il s'agit des universités et des collèges. Voilà pourquoi je crois que ce n'est pas la même chose.

Je pencherais plus pour l'idée de clarifier le libellé des dispositions législatives qui prêtent à confusion et d'utiliser des termes plus précis pour, d'une part, protéger les jeunes et, d'autre part, éviter de causer involontairement du tort à d'autres jeunes.

Le sénateur Lang : J'aimerais revenir sur ce qu'a dit Mme Anderson au sujet de la présence du chien policier à l'école. À titre d'information, cette école était aux prises avec beaucoup de problèmes, et ce chien n'est pas apparu là du jour au lendemain. On y a amené ce chien parce qu'on savait qu'il y avait du trafic de drogue dans cette école et que des jeunes étaient en possession de drogues dans ce milieu. C'est ce qui explique la présence du chien à cet endroit.

La présidente : Il ne s'agissait pas d'une question supplémentaire, mais nous allons tenir compte de cet élément d'information.

Le sénateur Wallace : Madame Lyons, je comprends pourquoi vous faites valoir votre point de vue, mais vous faites une distinction entre une école secondaire de premier cycle, une école secondaire de deuxième cycle et une université. Vous mettez l'université dans une autre catégorie, et je ne vais pas débattre de cette distinction avec vous. Je crois que je comprends pourquoi vous dites cela.

Le seul commentaire que je voudrais vous faire — et je le fais en tant que parent —, c'est que je ne vois pas où est la différence.

La présidente : Est-ce une question?

Le sénateur Wallace : Non, mais selon moi, il s'agit d'un commentaire qu'il est important de formuler. Il s'agit purement et simplement d'une opinion, mais je voulais vous en faire part.

Si vous voulez réagir à ce commentaire, allez-y. En tant que parent, je ne fais aucune différence entre elles.

Mme Lyons : J'ai l'impression de répéter sans cesse les mêmes choses. Je ne suis pas ici pour recommander que nous ouvrions les portes des campus, des universités, des écoles primaires et de je ne sais quoi d'autre aux trafiquants de drogue. J'examine un document de politique et je tente de limiter les répercussions non intentionnelles qu'il pourrait avoir sur les jeunes de moins de 25 ans, les membres de l'organisation que je représente.

Le sénateur Wallace : Vous tentez d'apporter un certain équilibre au projet de loi. Nous vous sommes reconnaissants de vos commentaires. Merci.

La présidente : À certains moments, nos discussions ressemblent davantage à un dialogue qu'à une période normale de questions et de réponses, et cela est parfois utile.

Le sénateur Joyal : Bienvenue. Ma première question s'adresse à Mme Anderson. À votre connaissance, l'école que votre fille a fréquentée fournissait-elle quelque information que ce soit aux élèves ou dispensait-elle un quelconque programme à leur intention? Comme elle avait 17 ans, elle devait fréquenter l'école secondaire. Est-ce que les élèves reçoivent chaque année un dépliant qui leur rappelle que ces substances sont nuisibles et qu'elles peuvent causer du tort, surtout dans des cas où il peut se produire une réaction allergique — comme cela est arrivé à votre fille — ou d'autres choses du genre? À votre connaissance, les écoles que votre fille a fréquentées étaient-elles dotées d'un quelconque programme de cet acabit?

Mme Anderson : Oui, des programmes de ce type étaient en place. L'école primaire et l'école secondaire qu'elle a fréquentées dispensaient une éducation fondée sur les valeurs familiales. Oui, on parlait de drogues dans ces écoles. Oui, on parlait du rôle parental dans ces écoles. On parlait de ce que cela représente que d'être un bon citoyen. À cette fin, les enseignants faisaient participer les enfants à des activités dans nos collectivités pour leur fournir des modèles de comportement. Les écoles que ma fille a fréquentées offraient certainement ce genre de programmes.

Le sénateur Joyal : En d'autres termes, les éducateurs de cette collectivité précise ont mis en œuvre des initiatives de prévention. Croyez-vous que ces initiatives sont suffisantes, ou que l'on peut en faire davantage en matière de prévention? Dès qu'un incident survient, nous portons principalement notre attention sur les conséquences. Je peux comprendre cela. Cependant, je tente d'examiner également l'aspect qui concerne la prévention.

Comme nous l'avons entendu plus tôt, la consommation de drogues chez les jeunes a connu une forte augmentation. Par conséquent, de deux choses l'une : nous agissons de manière inefficace, ou quelque chose nous échappe. Des programmes sont en place, mais il semble qu'ils ne donnent pas les résultats escomptés.

Mme Anderson : Lorsque ma fille fréquentait l'école, elle était tout à fait contre l'idée de consommer de la drogue. Les problèmes ont commencé lorsqu'elle a quitté l'école, car elle ne disposait plus du soutien supplémentaire offert par l'école. Comme je l'ai mentionné, elle a quitté l'école, elle a quitté le domicile familial et elle a changé d'emploi, tout cela peu de temps après qu'elle a rencontré ce garçon. Le lien qui l'unissait aux personnes qui lui offraient du soutien, à savoir ses enseignants et les membres de sa famille, a été rompu — cela a creusé un fossé entre elle et les réseaux de soutien auxquels elle avait accès.

À mon avis, les écoles ont incontestablement un rôle à jouer. Fournissent-elles trop ou trop peu d'information? Je ne connais pas la réponse à cette question, car, en toute honnêteté, je ne possède pas suffisamment de renseignements à ce sujet. Toutefois, d'après ce que j'ai pu observer ici et là au cours des derniers temps, il semble qu'aussitôt qu'une drogue est saisie, une autre est déjà en train d'être produite et distribuée, avant même que les jeunes aient été informés du fait que ce produit est nuisible.

Comment faire pour se tenir au courant de ce qui se passe dans les écoles? Je l'ignore. La sensibilisation est certainement un aspect extrêmement important; par exemple, il faut informer les jeunes du fait qu'un mélange de drogues peut les tuer. En ce qui concerne Chelsea, cela s'est produit la deuxième ou la troisième fois qu'elle a consommé la drogue en question. Il nous arrive tous de faire des choses vraiment stupides. Nous avons tous commis de grossières erreurs. Cependant, dans des situations comme celles dont nous parlons, de telles erreurs peuvent évidemment se révéler mortelles. Ma fille a commis une erreur. Pendant un bref instant, elle a cru qu'elle était invincible, ou qu'il ne lui arriverait rien puisque d'autres personnes avaient consommé cette drogue sans subir de conséquences. Nous devons nous pencher sur ces façons de penser. Il s'agit d'une mauvaise vision des choses.

Mme Lyons : Nous sommes tout à fait d'accord avec le fait que la prévention est d'une importance cruciale. À ce moment-ci, je me consacre à l'aspect politique de la question, mais la prévention est ma deuxième priorité. Nos activités de prévention sont menées pour les jeunes et par les jeunes. Nos activités d'éducation sur les drogues sont menées exclusivement par des jeunes. Ils mènent un nombre incroyable de recherches. Comme Mme Anderson l'a mentionné, de nouvelles drogues apparaissent sans cesse, mais nous ne sommes pas dépassés par cette situation, car nos sources d'information sont les jeunes qui sont exposés à toutes ces drogues, alors que, de façon générale, les adultes n'entendent pas nécessairement parler de ces drogues dès qu'elles apparaissent sur le marché.

Nous disposons de ressources en matière de prévention de la toxicomanie, nous avons un site Web, et nous sommes heureux de vous fournir de plus amples renseignements. Si cela vous intéresse, je vous transmettrai quelques-uns de nos documents en matière de prévention de la toxicomanie. Nos programmes d'éducation sont différents des programmes habituels puisqu'ils sont exécutés exclusivement par des jeunes et pour des jeunes. Il ne s'agit pas de l'un de ces programmes auxquels participent deux ou trois jeunes. Chaque partie du programme traite de la composition chimique de telle ou telle drogue et des risques posés par ces substances. Certaines parties du site Web s'adressent aux jeunes qui expérimentent des drogues. Nous ne préconisons évidemment pas une approche qui consisterait à faire la sourde oreille aux jeunes qui font des expériences avec la drogue, et à les dédaigner. Nous ne voulons pas agir comme cela — nous offrons des solutions qui peuvent fonctionner. Notre site Web contient des jeux-questionnaires grâce auxquels les jeunes peuvent déterminer s'ils ont besoin de demander de l'aide ou quelles autres ressources sont disponibles.

Il existe de nombreux autres programmes créatifs d'éducation et de prévention dont vous n'entendez peut-être pas parler. Je ne sais pas si les personnes qui les dispensent sont invitées à se présenter devant le comité, mais si cela vous intéresse, je serai heureuse de vous fournir quelques-unes des ressources existantes. Il est important de fournir aux jeunes une éducation en matière de drogues, et par là, je n'entends pas, par exemple, le fait de demander à des policiers de venir s'adresser aux jeunes dans une classe. Ce ne sont pas tous les jeunes qui sont suffisamment à l'aise avec les policiers pour s'adresser à eux après leur exposé, surtout s'ils ont déjà eu des démêlés avec les services policiers. Nous savons qu'il s'agit d'un problème complexe et qu'il n'existe pas de solution miracle, et c'est pourquoi nous tentons d'élaborer des solutions novatrices et multidimensionnelles. Il peut y avoir des programmes d'éducation axés sur l'abstinence, des programmes d'éducation axés sur la réduction des méfaits et des programmes d'éducation dispensés entièrement pour et par des jeunes.

Le sénateur Joyal : Madame Lyons, je ne sais pas si vous écoutiez lorsque M. Bratzer a présenté son exposé. Il était l'un des premiers témoins de la présente réunion. Il a fait allusion à une décision d'un tribunal concernant l'interprétation du terme « terrain d'une école ».

Mme Lyons : J'ai raté cette partie.

Le sénateur Joyal : Il semble qu'à l'issue d'une affaire judiciaire, un tribunal a déclaré que les termes contenus dans le Code criminel, plus précisément à l'article 179, à savoir « cour d'école » et « terrain d'école », lesquels font référence aux mêmes lieux dont nous parlons, étaient anticonstitutionnels. Le terme « terrain d'une école » du projet de loi S-10 est exactement le même que celui qui est employé dans le Code criminel.

Êtes-vous au courant de cette décision judiciaire, de sa signification et des répercussions qu'elle pourrait avoir sur l'interprétation que vous nous proposez?

Mme Lyons : Je ne suis pas au courant de cette décision, et j'ai raté cette partie du témoignage de M. Bratzer. Veuillez m'excuser.

Le sénateur Joyal : Pas de problème.

D'après les témoins que nous avons entendus aujourd'hui, la consommation de drogues a connu une forte augmentation — une augmentation de 30 p. 100 peut être qualifiée de considérable. Cela signifie que, dans peu de temps, l'augmentation s'élèvera à 100 p. 100. La semaine dernière, j'ai lu, dans un journal de Montréal, que la consommation de drogues était en hausse même chez les aînés. Qu'arrivera-t-il lorsque tous les baby-boomers seront à la retraite? Certains d'entre eux ont déjà expérimenté la drogue. Il s'agit d'une tendance qui n'ira pas à la baisse — nous sommes en présence d'un phénomène bien réel.

Nous pouvons lutter contre le crime organisé, faire ce genre de choses. Nous sommes tout à fait d'accord avec cela. Cependant, il semble que nous sommes en présence d'un phénomène sociétal qui vise non seulement les jeunes, mais également une génération qui a fait des expériences avec la drogue, par exemple avec la marijuana, dans les années 1960 et 1970. Les membres de cette génération connaissent les effets de la drogue. En d'autres termes, la demande de marijuana est là pour de bon.

Je suis tout à fait d'accord pour dire que les groupes du crime organisé sont ceux qui profitent le plus du commerce de la drogue, mais il faut également tenir compte d'un autre élément important, dont la portée est sous-estimée, à savoir l'initiative dont doivent faire preuve les divers échelons de gouvernement et les diverses administrations scolaires, et lorsque je dis « scolaire », j'entends par là tous les niveaux, y compris les universités. Même si le degré de liberté est plus élevé sur un campus universitaire, il n'en demeure pas moins que le phénomène est toujours présent. Je crois que bon nombre d'entre nous peuvent en témoigner.

Avez-vous l'impression que nous continuons de sous-estimer les conséquences qu'a le taux de consommation de drogues au Canada à tous les échelons de la société?

Mme Lyons : Notre approche est fondée sur le point de vue selon lequel un monde sans drogue n'est pas possible — nous ne verrons pas cela de notre vivant. Les Nations Unies prévoyaient que notre monde serait sans drogue en 2000, puis ont envisagé de reporter cette échéance à 2010. Nous savons que cela ne s'est pas produit.

À notre avis, ce monde sans drogue n'est pas pour demain, surtout si l'on tient compte de substances comme l'alcool. D'aucuns classent l'alcool parmi les drogues — il s'agit d'une substance extrêmement nuisible, mais il s'agit également d'une substance qui peut être consommée de façon non préjudiciable et acceptable socialement. Ce point de vue réaliste constitue le fondement de notre approche. Pour cette raison, nous plaidons en faveur de certaines mesures de réduction des méfaits, et, pour cette raison, des mesures législatives comme le projet de loi S-10 nous préoccupent. Nous ne croyons pas que cela mettra fin à la consommation de drogues. Ce n'est pas tout le monde qui comprendra. Ce projet de loi pourrait nous permettre de nous attaquer au crime organisé et de mettre fin à ses activités. Cela pourrait faire partie des effets du projet de loi. Cependant, selon notre organisation, les jeunes ne cesseront pas de prendre de la drogue. C'est le point de vue qui nous oriente.

Le sénateur Baker : Le projet de loi aura une incidence sur les personnes qui se trouvent au bas de l'échelle, car c'est eux qui seront visés par les peines minimales. Le sénateur Joyal a posé des questions à propos de ces substances. Le Ritalin, par exemple, est une substance désignée. Il y a des enfants qui fréquent l'école primaire et qui prennent du Ritalin, laquelle est une substance désignée. Il s'agit d'une drogue dangereuse au sens de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances.

La prévention est le principal objectif du projet de loi S-10. Ce projet de loi, lorsqu'il sera adopté, et il le sera, comprendra des sanctions sévères, comme vous l'avez souligné. Si vous remettez du Tylenol C à quelqu'un dans une université, vous êtes passible d'une peine d'emprisonnement minimale de deux ans, et même d'une peine d'emprisonnement à perpétuité, car il s'agit d'une substance inscrite à l'annexe I.

À mon avis, une telle sanction aurait un grand retentissement dans une école — il s'agirait d'une annonce choc. Nous convenons tous que la prévention est l'objectif global, et le projet de loi que nous allons adopter ne doit pas demeurer un secret. On ne peut pas plaider l'ignorance de la loi. D'après le gouvernement, le projet de loi S-10 constitue une mesure de prévention. Le gouvernement veut que ce projet de loi soit une mesure de prévention.

Le comité doit non seulement examiner le projet de loi, mais également formuler des commentaires et des recommandations quant à ce qui devrait être fait pour justifier l'adoption de mesures législatives que d'aucuns qualifient de draconiennes. Selon vous, que devrions-nous recommander au gouvernement pour ce qui est des mesure à prendre pour expliquer les mesures législatives et en faire un outil de prévention? Devrions-nous recommander la tenue d'une campagne de publicité? Quelles mesures peuvent-être prises pour répandre la nouvelle de l'entrée en vigueur de cette nouvelle loi au Canada?

Mme Lyons : Puis-je tirer quelque chose au clair? Si le projet de loi est adopté, des peines virtuellement longues pourraient être imposées, et la question consiste donc à savoir comment nous devons nous y prendre pour faire connaître ces mesures législatives de manière à ce que les gens en connaissent les effets.

Le sénateur Baker : L'intention n'est pas de mettre en prison une personne qui ne savait pas qu'elle commettait une infraction.

Mme Lyons : Exactement.

Le sénateur Baker : Selon l'article 19 du Code criminel, l'ignorance de la loi n'excuse pas la perpétration de l'infraction.

Mme Lyons : La question est de savoir quelles mesures doivent être prises pour que les gens soient bien informés de l'entrée en vigueur de la loi.

Le sénateur Baker : Oui. Comment faire connaître le projet de loi à ce moment-ci? Il s'agit d'un projet de loi de grande portée. Recommanderiez-vous que l'entrée en vigueur de ces mesures législatives s'assortissent d'une campagne publicitaire ou d'une vaste campagne médiatique?

Mme Lyons : Si le gouvernement veut agir de manière éthique, il s'agit de la seule chose qu'il doit faire. Je ne sais pas si le projet de loi relève de Santé Canada ou d'une autre instance, mais la population doit le savoir. Comme le projet de loi prévoit des sanctions extrêmement sévères et l'imposition de peines mininales obligatoires, s'il est adopté, les gens n'auront plus beaucoup de marge de manœuvre. Ils ne pourront plus invoquer le fait qu'il s'agit pour eux d'une première fois, d'une première infraction ou de quoi que ce soit d'autre. Les juges n'auront plus de pouvoir discrétionnaire.

Je suppose qu'il faudrait tenir une campagne publicitaire de grande ampleur, ou quelque chose du genre. Il serait important que les jeunes participent à une telle campagne. Nous espérons que le projet de loi ne sera pas adopté sous sa forme actuelle, mais si c'est le cas, le gouvernement devra faire participer les jeunes à la diffusion de ces messages publicitaires de manière à ce qu'ils touchent les personnes concernées — le gouvernement devra faire participer les jeunes. Vous voyez ce que je veux dire? Le gouvernement doit également faire participer les aînés s'il compte s'adresser à cette partie de la population — il faut que le destinateur parle le même langage que le destinataire. Nous devons nous assurer que les gens concernés par le projet de loi soient au courant de son adoption.

Le sénateur Baker : Quel est votre avis, madame Anderson? Croyez-vous qu'un jeune serait assez fou pour remettre une pilule à quelqu'un s'il sait qu'il risque de se voir imposer une peine minimale de deux ans d'emprisonnement pour un tel geste? Croyez-vous qu'il s'agirait d'un message percutant? Croyez-vous que cela aurait un effet?

Mme Anderson : Il s'agit de la question à un million de dollars, n'est-ce pas? Il est assurément primordial d'éduquer les gens, et il faut le faire au moyen d'une campagne publicitaire ou de programmes. Il faut faire passer le message.

Avant le décès de Chelsea, je ne croyais pas vraiment que la drogue était un sujet dont je devais discuter avec mes enfants. À présent, je le pense, et j'ai évidemment abordé le sujet avec mes enfants. Je leur ai posé des questions, je leur ai inculqué des préceptes, j'ai joué mon rôle de parent, j'ai donné des directives, j'ai fixé des limites et tout le tralala.

En revanche, si nous n'éduquons pas les gens, ils auront du retard à rattraper lorsqu'ils seront plus vieux. Le projet de loi S-10 exige cependant que nous éduquions tout le monde, les gens de tout âge. Comme je l'ai dit précédemment, que ce soit par le truchement de programmes, d'une campagne publicitaire ou de quoi que ce soit d'autre, l'éducation constitue incontestablement quelque chose que nous devons faire. Les personnes concernées doivent être informées. Il faut faire passer le message selon lequel les activités criminelles entraînent des peines d'emprisonnement. C'est la loi. L'enjeu de cette loi est la protection de la société.

La présidente : Merci à vous deux. Nous vous avons gardé avec nous plus longtemps que nous vous l'avions promis, et cela s'explique par le fait que nous pensions qu'il était important d'entendre ce que vous aviez à nous dire. Nous vous sommes vraiment reconnaissants de vous être présentées ici.

Mme Lyons : Merci beaucoup.

Mme Anderson : Merci.

La présidente : Chers collègues, nous allons accueillir le prochain groupe de témoins et poursuivre notre étude du projet de loi S-10.

[Français]

Nous étudions le projet de loi S-10, Loi modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances et apportant des modifications connexes et corrélatives à d'autres lois

[Traduction]

Nous sommes ravis de pouvoir accueillir deux éminents témoins, à savoir Michelle Mann, avocate, consultante, et Darryl Plecas, directeur, Centre for Criminal Justice Research de l'Université de la vallée du Fraser. M. Plecas s'est présenté devant le comité il y a tout juste un an environ, si je ne m'abuse. Les deux témoins se présentent devant le comité à titre personnel.

Nous vous remercions infiniment d'être parmi nous. Mme Mann prendra la parole en premier.

Michelle Mann, avocate, à titre personnel : Il s'agit de la première fois que je me présente devant le comité, et je vous suis reconnaissante de m'offrir cette possibilité.

Je suis avocate depuis 1996, et je travaille à titre de consultante dans le secteur des questions autochtones. Comme il est indiqué dans mon curriculum vitae, au cours de la dernière décennie, j'ai acquis une expertise particulière en ce qui a trait aux peuples autochtones et à leurs liens avec le système de justice pénale et le système correctionnel.

Je suis l'auteure d'une multitude d'écrits, notamment du rapport de 2009 du Bureau de l'enquêteur correctionnel sur les services correctionnels pour Autochtones, intitulé De bonnes intentions... des résultats décevants.

Je suis en train de parachever une maîtrise en droit, LL.M, à l'Université Queen's. Dans le cadre de mon mémoire, je me penche sur la question de savoir comment le principe de l'honneur de la Couronne pourrait être interprété en vue de son application aux peuples autochtones dans l'ensemble du système de justice et du système correctionnel, et quel est le programme de réconciliation nécessaire dans un tel cadre.

Le comité a probablement entendu parler de la surreprésentation des Autochtones au sein des services correctionnels fédéraux. Les Autochtones comptent pour 20 p. 100 de la population des délinquants sous responsabilité fédérale — par comparaison, la population adulte canadienne représente 4 p. 100 de cette même population, et l'écart ne cesse de croître.

Chez les Autochtones, la perpétration d'infractions est souvent liée à la toxicomanie, à la violence intergénérationnelle, aux pensionnats autochtones, à la rafle des années 1960, aux faibles niveaux d'instruction, d'emploi et de revenu, et aux problèmes familiaux.

Les délinquants autochtones sont plus jeunes que les autres délinquants, ils présentent des risques et des besoins plus élevés — particulièrement sur le plan de la toxicomanie —, ils ont davantage tendance à appartenir à un gang et sont plus souvent touchés par l'ensemble des troubles causés par l'alcoolisation fœtale, l'ETCAF.

Vous n'ignorez sûrement pas que l'alinéa 718.2e) du Code criminel prescrit une retenue pour ce qui est du recours à l'incarcération dans le cas des délinquants autochtones. Dans l'arrêt Gladue, qui fait autorité, la Cour suprême du Canada a interprété la signification de cet alinéa, ce qui a donné lieu à la liste des principes de l'arrêt Gladue, que les tribunaux prennent en considération au moment de déterminer la peine à infliger à des délinquants autochtones.

Durant mon exposé d'aujourd'hui, j'aimerais m'employer à examiner l'alinéa 718.2e) du Code criminel sous un angle légèrement différent, et me pencher sur la question de l'éventualité d'une discrimination aux termes de l'article 15 de la Charte. J'aborderai plus précisément la question des liens réciproques entre ETCAF, toxicomanie, délinquants autochtones et peines minimales obligatoires pour les actes criminels liés aux drogues.

L'ETCAF est une déficience détectable par des signes cliniques. Les personnes touchées par l'ETCAF sont foncièrement désavantagées au sein du système de justice pénale, et, pour cette raison, il faut comprendre cet ensemble de troubles. Le terme ETCAF renvoie à un ensemble d'anomalies congénitales induites par l'alcool — la consommation d'alcool par la mère durant la grossesse entrave le développement du cerveau du fœtus.

Les délinquants touchés par l'ETCAF présentent souvent des fonctions intellectuelles altérées, et peuvent avoir de la difficulté à établir des liens de causalité, à anticiper des conséquences, à raisonner, à porter des jugements et à tirer des leçons de ce qu'ils ont vécu. Il arrive qu'ils ne comprennent pas qu'un acte peut mener à un autre.

Les déficiences secondaires sont celles qui n'étaient pas présentes à la naissance, mais qui découlent des déficiences primaires. L'alcoolisme et la toxicomanie sont considérés comme des déficiences secondaires fréquemment associées à l'ETCAF. Dans les faits, on estime que le taux d'alcoolisme et de toxicomanie des personnes touchées par l'ETCAF est environ cinq fois plus élevé que celui de la population générale.

D'après les estimations, la prévalence de l'ETCAF est plus élevée au sein de la population de délinquants, mais il n'existe pas de statistiques nationales à ce sujet. Cependant, selon des recherches, l'ETCAF touche un nombre disproportionné d'Autochtones, y compris les Autochtones incarcérés dans un établissement pénitentiaire du Canada.

Des études révèlent que le taux de consommation abusive de drogues non médicales était démesurément élevé au sein du groupe des Autochtones du Canada. Par exemple, d'après des recherches, le taux de consommation abusive de drogues illicites était de 7,3 p. 100 au sein de la population des Premières nations, soit plus du double qu'au sein de la population canadienne générale, où ce taux s'élève à 3 p. 100 — ces renseignements ont été recueillis par l'APN en 2007.

Les communautés autochtones sont plus vulnérables aux effets dévastateurs de l'alcool et des drogues en raison d'un certain nombre de facteurs, notamment leur isolement géographique et social, l'absence de possibilités s'offrant à elles sur le plan économique et le fait qu'elles ont perdu leur culture, leur identité et leur langue par suite des politiques d'assimilation dont elles ont fait l'objet dans le passé.

La consommation abusive et problématique de substances est liée à des taux élevés de pauvreté, à l'éclatement des familles, au chômage et aux piètres structures sociales et économiques au sein des communautés autochtones. En outre, comme je l'ai mentionné précédemment, la prévalence de l'ETCAF est démesurément élevée au sein des communautés autochtones.

Dans l'arrêt R. c. Gladue, la Cour suprême du Canada a reconnu l'interdépendance de ces facteurs, et a souligné que la toxicomanie était l'une des raisons qui expliquaient la proportion anormale d'emprisonnement chez les délinquants autochtones. Le juge Patrick Sheppard, qui préside le tribunal de type Gladue pour les délinquants autochtones de Toronto, a indiqué que, selon lui, au moins 25 p. 100 des accusés qui se présentent devant ce tribunal étaient atteints de troubles causés par l'alcoolisation fœtale.

Les membres du comité ont peut-être entendu parler du fait que l'imposition de peines minimales obligatoires aux délinquants autochtones pouvait être discriminatoire, et que de telles peines représentaient une dérogation à l'alinéa 718.2e) du Code criminel du Canada. Des règles spécifiques s'appliquent en ce qui a trait à l'imposition à un délinquant atteint de l'ETCAF — lequel est reconnu comme une déficience par les lois canadiennes — d'une peine minimale obligatoire pour une infraction faisant intervenir l'alcoolisme ou la toxicomanie.

Le régime juridique canadien protège le droit de tous les Canadiens, y compris les délinquants, de vivre sans être victime de discrimination en raison de leur race ou d'une déficience. Dans un contexte où les peuples autochtones sont démesurément touchés par l'alcoolisme et la toxicomanie, et démesurément touchés par l'ETCAF, l'imposition de peines minimales obligatoires pour des infractions liées aux drogues fait apparaître le spectre d'une discrimination fondée sur la déficience et la race exercée contre les délinquants autochtones au sein du système de justice.

Quelles sont les obligations de nature juridique et politique du gouvernement dans les cas où une infraction est commise par suite d'un abus de stupéfiants, auquel viennent s'ajouter une déficience comme l'ETCAF et les facteurs énoncés dans Gladue? L'imposition d'une peine minimale obligatoire permettait-elle au gouvernement de s'acquitter de ces obligations, plus particulièrement dans les régions où les gens n'ont pas accès à des tribunaux de traitement de la toxicomanie?

Aux termes de l'alinéa 718.2e), les tribunaux prennent en considération les facteurs liés à l'abus de stupéfiants et à l'ETCAF au moment de déterminer la peine à imposer à des délinquants autochtones. Les dispositions relatives aux peines minimales obligatoires retirent aux juges le pouvoir discrétionnaire de tenir compte des facteurs énoncés dans Gladue, y compris l'abus d'alcool et d'autres drogues et la présence de toute déficience comme l'ETCAF, au moment de déterminer la peine à imposer à un délinquant autochtone.

Je vais vous lire un extrait des motifs d'une décision rendue en 2007 par le tribunal de type Gladue de Toronto. Il s'agissait de l'imposition d'une peine pour vol qualifié. Voici un extrait traduit de cette décision :

L'application de l'alinéa 718.2e) soutient également l'imposition d'une condamnation avec sursis, pour autant que « l'examen de toutes les sanctions substitutives applicables [...] plus particulièrement en ce qui concerne les délinquants autochtones » prescrit au tribunal de tenir compte de l'effroyable prévalence de cas présumés d'ETCAF ou de TNDLA au sein de la population autochtone.

La toxicomanie et l'ETCAF ont été reconnus comme des éléments qui permettaient d'expliquer la surreprésentation des délinquants autochtones au sein des établissements correctionnels. Vu la prévalence de l'ETCAF et de la toxicomanie au sein de la population des délinquants autochtones, les peines minimales obligatoires pour les délinquants autochtones commettant des infractions liées aux drogues ne contribueront vraisemblablement qu'à accroître la discrimination systémique exercée contre les Autochtones au sein du système de justice, ce qui contrevient à l'alinéa 718.2e), aux principes de l'arrêt Gladue et à la Charte.

Je suis impatiente de répondre à vos questions.

Darryl Plecas, directeur, Centre for Criminal Justice Research, Université de la vallée du Fraser : Je vous remercie de me donner l'occasion de me présenter de nouveau ici. Comme vous le savez, le problème sur lequel tente d'agir le présent projet de loi, à savoir les actes criminels liés aux drogues, est un problème bien présent en Colombie- Britannique. Ce problème concerne tant la production que le trafic de drogue, plus particulièrement les installations de culture. La vigueur que manifestent les gangs et les groupes du crime organisé en Colombie-Britannique témoigne de l'ampleur considérable du problème.

Les crimes liés aux drogues représentent un problème de taille. D'après le plus récent sondage que j'ai mené à Abbotsford, collectivité de la Colombie-Britannique qu'il est convenu de considérer comme la capitale canadienne du meurtre, ce problème est le plus préoccupant aux yeux des citoyens.

À mon avis, la question est de savoir si les dispositions relatives aux peines minimales sont énoncées clairement, et si elles seront utiles sous la forme où elles se présentent dans le cadre du projet de loi S-10. À ces questions, je répondrai par un « oui » hésitant, car j'estime qu'il y a des raisons de croire que notre approche actuelle en matière de détermination des peines ne donne pas vraiment de résultats. Comme nous le savons tous, l'objectif de l'imposition d'une peine est de permettre à un délinquant de se réadapter, mais il faut aussi tenir compte d'autres objectifs, à savoir la sécurité publique, l'éducation, la dénonciation, et enfin la dissuasion, qui doit viser tant les individus en particulier que la société en général, et je dis cela même si je suis conscient du fait qu'il y a actuellement un débat en ce qui concerne la dissuasion.

Depuis des décennies, l'ensemble des efforts que nous déployons pour réaliser ces objectifs ont évidemment été compliqués par la négociation de plaidoyers et par le fait que, au moment de la détermination de la peine, les juges s'en tiennent à la peine habituellement imposée dans des cas similaires, comme ils sont censés le faire. Au bout du compte, nous savons que, de façon générale, les peines imposées sont loin d'être suffisantes aux fins de la réadaptation et des autres choses de ce genre. Ce sont nos propres recherches qui nous ont permis d'en arriver à cette conclusion.

Si j'ai dit que mon « oui » était hésitant, c'est tout d'abord parce que, à mon avis, il serait probablement plus utile et plus profitable de réexaminer complètement les objectifs que nous tentons de réaliser au moyen d'une peine d'emprisonnement. Nous devons également revoir nos pratiques et nos programmes pour déterminer lesquels peuvent être mis en application et représenteraient de véritables initiatives ayant des effets réels sur les criminels et les personnes qui gravitent autour d'eux.

Je terminerai ma déclaration préliminaire en répétant que, si nous examinons les objectifs que nous tentons d'atteindre, nous ne pouvons que constater que notre approche actuelle en matière de détermination de la peine ne nous permettra jamais d'atteindre les objectifs que nous nous sommes fixés. Il est terrible de voir que, au Canada, les peines qui se révèlent utiles sont les peines de deux ans et plus, purgées dans les établissements correctionnels fédéraux — cette situation n'est pas idéale, comme nous le savons tous.

Le syndrome de la récidive, ou le fait que nous n'obtenions pas de résultats concrets, découle de notre approche en ce qui a trait aux peines d'emprisonnement de moins de deux ans.

La présidente : Merci beaucoup. Nous allons passer à la période de questions.

Le sénateur Wallace : Merci, madame la présidente, et merci aux deux témoins de nous avoir présenté leur exposé.

Monsieur Plecas, j'ai une question à vous poser. Je veux de nouveau vous remercier de vous être présenté devant le comité. Vous vous êtes déjà présenté devant le comité dans le cadre de l'étude du projet de loi C-15, et je me rappelle que vos propos avaient été très utiles.

Tout le monde tente d'accomplir la même chose, à savoir de régler de façon significative le problème du trafic, de la production, de l'exportation et de l'importation de drogues. Un des principaux buts ou objectifs du projet de loi S-10 est de régler ces problèmes au moyen de peines plus sévères, c'est-à-dire de l'instauration d'un régime de peines minimales obligatoires, lesquelles ne peuvent être imposées qu'en présence de circonstances aggravantes.

J'ai écouté votre exposé, et votre appui aux peines minimales obligatoires semble hésitant. Cela est peut-être attribuable au fait que le projet de loi ne va pas aussi loin que vous l'auriez espéré. Cependant, vous avez fait observer que notre approche actuelle en matière de détermination des peines et la manière dont les tribunaux procèdent pour déterminer les peines ne nous permettent pas d'obtenir des résultats qui servent les intérêts fondamentaux de la société. Pouvez-vous nous en dire plus long à ce sujet? Que voulez-vous dire par là? D'après vous, quels problèmes en matière de détermination de la peine tentons-nous de régler au moyen du projet de loi S-10?

M. Plecas : Examinons un objectif, par exemple la réadaptation, et demandons-nous comment nous pouvons le réaliser. Cela exige un certain nombre d'éléments, y compris un diagnostic adéquat. La plupart des gens disent que ce processus prend trois mois. Cela exige des programmes d'une certaine intensité et qui tiennent compte du fait que la plupart des gens qui ont des démêlés avec la justice — et cela vaut pour les récidivistes et les délinquants violents — en sont arrivés là en raison d'une multitude de problèmes de longue date que d'autres personnes ont tenté de régler de bien des manières. En ce qui a trait à la prise en charge de tels cas problématiques, le passé regorge d'exemples d'échecs.

Les gens ont besoin de temps pour faire cet exercice. D'après mes 30 années d'expérience et après avoir discuté avec littéralement des milliers de délinquants, je peux affirmer que ceux-ci reconnaissent également ce besoin. Nous avons besoin d'une forme de programmes dotés des ressources nécessaires pour aborder tous les problèmes que présentent les délinquants. En outre, nous devons leur offrir les mécanismes de soutien, le confort et le cadre dont ils ont besoin pour demeurer en lien avec les programmes, même après qu'ils ont purgé leur peine.

À mes yeux, il n'est guère surprenant que le système correctionnel fédéral réussisse de manière aussi probante à diminuer la récidive. Je constate de nouveau que peu de crimes sont commis par des personnes ayant séjourné dans un établissement fédéral. Cela s'explique non seulement par le fait que, dans le cadre d'une peine plus longue, nous avons l'occasion d'offrir aux gens la possibilité de se réadapter, mais également par le fait qu'une sentence plus longue nous donne la possibilité d'effectuer des évaluations grâce auxquelles les détenus peuvent être mis en liberté plus tôt que prévu s'ils réussissent leur réadaptation. Tout au long du processus, notre politique consiste à assurer la sécurité du public. Pendant que les délinquants sont incarcérés, ils suivent des programmes et font l'objet de diagnostics. Ces diagnostics visent notamment à nous assurer que ces délinquants ne posent pas de risque pour la sécurité du public, et que les problèmes à l'origine de leur incarcération ont été réglés.

En outre, je suis toujours à même de constater qu'une personne à qui l'on inflige une peine de ressort fédéral ne purgera pas nécessairement l'intégralité de la peine en question. Cette personne est admissible à une mise en liberté après qu'elle a purgé le sixième de sa peine, aux termes des dispositions relatives aux libérations conditionnelles. Nous exerçons une certaine forme de surveillance sur ces personnes, et nous leur fournissons de l'aide supplémentaire. Toutes ces mesures sont absolument nécessaires si nous voulons nous assurer que la personne mise en liberté n'aura plus jamais affaire au système de justice pénale.

Je ne suis pas le moindrement du monde un partisan du châtiment. Je ne crois pas que nous ayons besoin de cela. Je suis un ardent promoteur de la justice réparatrice, mais je constate également que celle-ci n'est pas vraiment prise en considération dans le cadre de notre régime de détermination de la peine. De quoi avons-nous besoin pour réadapter les délinquants? Au Canada, les peines infligées sont, en moyenne, d'une durée de un mois, et il est absurde de s'imaginer que nous puissions réadapter quelqu'un en si peu de temps. Bon nombre de peines infligées — 28 p. 100 d'entre elles sont d'une durée de une semaine — ne nous permettent pas de faire de la réadaptation. Nous ne pouvons pas réadapter les gens au moyen des autres options disponibles en matière de peine, par exemple une amende. Il est bien évident qu'une amende ne permettra pas de régler ces problèmes. D'aucuns pourraient faire valoir que des ordonnances de probation permettraient de le faire si elles s'assortissaient de diverses conditions, mais la réalité, c'est que ces conditions ne sont pas intégrées aux ordonnances de probation.

Toute cette situation que nous examinons laisse en plan la question de savoir qui consomme la drogue. Les personnes se font arrêter non pas parce qu'elles consomment de la drogue, mais parce qu'elles trempent dans la production ou le trafic de drogues, et même dans ces cas-là, elles ne sont arrêtées que si le trafic de drogues en question est d'une ampleur significative — cela est un fait, et cette tendance est à la hausse. Autrement dit, les personnes arrêtées sont les personnes qui jouent un rôle important dans le trafic de drogues. Les tribunaux jugent une personne en tant que consommatrice et trafiquante de drogues, ce qui est différent de ce qui se passe en Colombie-Britannique. Dans cette province, les choses ont évolué; oui, le nombre d'installations de culture a diminué, mais il en reste toujours plus de 10 000. La taille de ces installations a au moins doublé au cours des cinq dernières années, de sorte que, au bout du compte, la quantité de drogues produites n'a pas diminué. Les personnes impliquées dans ce type d'activités sont accusées de crimes économiques.

Le sénateur Lang : Gestion des risques.

M. Plecas : Précisément.

M. Plecas : J'ai parlé de réadaptation, mais il ne faut pas oublier un autre élément important, à savoir la sécurité du public. Je ne connais pas de meilleurs moyens que la réadaptation pour assurer la sécurité du public. Il est absurde — j'emploie encore ce terme, car je n'en connais pas de plus approprié — de croire que nous devrions tous nous sentir plus en sécurité parce que la durée d'une peine au Canada est, en moyenne, de un mois. Il faut que nous disposions de plus que cette seule peine. J'aimerais que nous puissions nous passer des peines d'emprisonnement. J'aimerais bien que nous puissions envisager des solutions comme la surveillance électronique. Comment faire pour qu'une personne demeure près de la collectivité, qu'elle s'engage dans la collectivité, tout en atteignant ces objectifs?

La réalité, c'est que dans les circonstances actuelles, cela n'est pas possible. Tant et aussi longtemps que la plupart des peines infligées aux personnes déclarées coupables d'une infraction au Canada seront déterminées au moyen d'une négociation de plaidoyers, l'atteinte de ces objectifs sera compromise. Comment cela pourrait-il contribuer à l'atteinte de ces objectifs? Cela est impossible.

La présidente : Monsieur Plecas, la question du sénateur Wallace appelait une réponse complète et détaillée, et c'est ce que vous nous avez fourni. Cependant, je vous demanderai d'être plus concis durant vos prochaines interventions, car nous avons une limite de temps à respecter.

Le sénateur Wallace : Comme vous l'avez souligné, monsieur Plecas, et je suis certain que nous sommes tous d'accord avec cela, il n'existe pas de solution miracle pour régler le problème de la drogue, problème que nous tentons tous de régler. Cela me rappelle que le gouvernement a mis en œuvre la Stratégie nationale antidrogue, que vous connaissez certainement. Il s'agit d'une approche à trois volets, c'est-à-dire qu'elle tente de s'attaquer au problème de la drogue sur trois fronts, à savoir la prévention, le traitement et l'application de la loi. Ce dont nous parlons en ce moment, c'est de l'aspect concernant l'application de la loi. Connaissez-vous la stratégie?

M. Plecas : Je suis membre du conseil d'administration du Centre canadien de lutte contre l'alcoolisme et les toxicomanies.

Le sénateur Wallace : Je me disais que c'était peut-être le cas. Avez-vous des commentaires à formuler à propos de la stratégie et de ses objectifs?

M. Plecas : Je crois que la stratégie est une chose merveilleuse. Bien sûr, vous savez tous qu'elle accorde une place prépondérante aux interventions de traitement, ce qui est évidemment une bonne chose. Toutes sortes de signes indiquent que cette approche a porté ses fruits.

Indépendamment de la stratégie, la société canadienne a fait d'énormes progrès sur le plan de son dévouement à aider les gens atteints de toxicomanie et des efforts déployés à cette fin. J'estime que la Stratégie nationale antidrogue est tout à fait sur la bonne voie.

Le sénateur Baker : Je tiens à féliciter les témoins de leurs excellents exposés.

Mes questions s'adresseront à Mme Mann. Je suppose que nous pourrions résumer votre exposé, Mme Mann, en disant que vous souhaitez que nous apportions une modification afin de rétablir l'alinéa 718.2e) à titre de disposition d'exemption au présent projet de loi concernant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances.

Mme Mann : Oui, nous aimerions qu'une telle mesure soit prise.

Le sénateur Baker : Tout d'abord, vous avez fait allusion à l'ensemble des troubles causés par l'alcoolisation fœtale. Habituellement, nous employons l'expression « syndrome d'alcoolisation fœtale ». Y a-t-il une différence entre les deux?

Mme Mann : J'ai employé le terme qui, d'après ce que je crois comprendre, est le plus actuel. Divers termes ont été utilisés au fil des ans, à mesure que nos connaissances à propos de ce trouble ont évolué. L'ensemble des troubles causés par l'alcoolisation fœtale est un terme plus général, qui comprend le syndrome d'alcoolisme fœtal, de même que les effets de l'alcoolisation fœtale, que l'on désigne à présent sous le nom de trouble neurologique du développement lié à l'alcool, ou TNDLA. Pour l'essentiel, l'ETCAF désigne un ensemble de troubles que présentent les personnes dont la mère a consommé de l'alcool pendant la grossesse.

Le sénateur Baker : Il s'agit d'un syndrome.

Mme Mann : Exactement, oui.

Le sénateur Baker : Vous avez fait valoir qu'en instaurant un régime de peines minimales, le projet de loi contrevenait à l'article 15 de la Charte. Pouvez-vous nous fournir des explications à ce sujet? Je vous prie de ne pas trop entrer dans les détails — les membres du comité savent qu'il est difficile d'établir une violation de l'article 15 de la Charte. La Cour suprême du Canada a clairement énoncé au fil des ans les facteurs nécessaires à cette fin, et cela serait effectivement une tâche difficile. J'ai remarqué que vous avez insisté sur le fait que l'ETCAF est une déficience, et qu'une déficience mentale ou physique était une question importante, mais j'aimerais que vous nous expliquiez dans quelle mesure le projet de loi S- 10 contrevient à l'article 15 de la Charte, et quels éléments particuliers du projet de loi constituent une violation de l'article 15.

Mme Mann : Je vais tout d'abord rappeler ce que j'ai avancé, à savoir que le projet de loi pourrait constituer une violation de la Charte. Je ne prétends pas prendre la place des neuf juges de la Cour suprême et déclarer qu'une telle affirmation a un caractère péremptoire. Je suis en train de rédiger un rapport de recherche sur ce sujet dans le cadre de ma maîtrise en droit. Il s'agit d'un sujet qui m'intéresse — je menais déjà une recherche là-dessus avant que l'on ne m'invite à me présenter devant le comité.

Comme vous le savez probablement, d'après l'article 15 de la Charte, tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, entre autres de la discrimination fondée sur la race ou la déficience. Dans le cas qui nous occupe, j'estime que tant la race que la déficience sont en cause. L'ETCAF est une déficience. Il s'agit d'un trouble congénital du cerveau, sur lequel la personne atteinte n'a aucune maîtrise. Dans les cas les plus graves, ce trouble est assimilable à une arriération, mais de toute évidence, ce trouble est évitable. Il s'agit ainsi d'une déficience, mais à laquelle s'ajoutent l'élément de la race, de même que celui de l'alcoolisme, lequel agit à la fois comme cause et effet de l'ETCAF — celui-ci est causé par l'alcoolisme, et l'alcoolisme est l'un de ses effets, dans la mesure où les personnes atteintes de l'ETCAF sont plus susceptibles que les autres d'être atteintes de toxicomanie ou d'alcoolisme. Ces deux caractéristiques sont plus fréquentes au sein des peuples autochtones.

Si nous admettons les arguments qui ont été présentés dans le cadre d'affaires visées par l'arrêt Gladue, à savoir que les facteurs de ce genre sont attribuables au colonialisme, aux pensionnats autochtones, à la rafle des années 1960, aux politiques du gouvernement et aux politiques d'assimilation, et si nous admettons que ces facteurs sont liés, dans une certaine mesure, à la race, nous en arrivons à mon argument selon lequel le projet de loi pourrait donner lieu à une discrimination fondée à la fois sur la race et la déficience.

Le sénateur Baker : Est-ce que vous tenez également compte d'un autre facteur mentionné expressément dans l'arrêt Gladue, à savoir, si je me rappelle bien, le pourcentage de personnes qui sont incarcérées, comme vous l'avez mentionné au début? Si je ne m'abuse, le comité a reçu un témoin qui nous a parlé de cette situation pour ce qui est de la Saskatchewan. Je crois qu'il nous a indiqué que, dans cette province, 80 p. 100 des détenus étaient d'origine autochtone.

Mme Mann : Ce pourcentage est élevé dans les Prairies. J'ai rédigé un rapport pour le Bureau de l'enquêteur correctionnel et qui concernait à tout le moins le projet de loi C-15 — si je ne m'abuse, ce rapport vous a été présenté. Selon les statistiques les plus récentes dont je disposais en 2009, les Autochtones comptaient pour 20 p. 100 de la population carcérale sous responsabilité fédérale — bien sûr, il s'agit d'une moyenne, car le pourcentage est beaucoup plus élevé que 20 p. 100 dans les Prairies, et beaucoup plus bas dans d'autres régions du Canada, mais globalement 20 p. 100 de la population carcérale sous responsabilité fédérale est d'origine autochtone. En outre, le tiers des détenues sous responsabilité fédérale sont d'origine autochtone — 33 p. 100 des détenues sous responsabilité fédérale sont des femmes autochtones, même si celles-ci comptent pour 2 p. 100 de la population adulte canadienne.

Le sénateur Baker : Vous m'avez convaincu, et, le moment venu, je proposerai une modification du projet de loi visant ce que vous avez recommandé au début de votre exposé.

Le sénateur Wallace : Vous avez soulevé un point intéressant. Ce n'est pas la première fois que quelqu'un le soulève. Je ne sais pas à quel point vous avez suivi de près les débats concernant le projet de loi S-10 et le projet de loi C-15 qui ont été tenus devant le comité. C'est peut-être le sénateur Baker qui a demandé aux avocats du ministère de la Justice d'indiquer s'ils croyaient qu'il y avait le moindre risque que le projet de loi ne résiste pas à une contestation fondée sur la Charte. Les avocats ont répondu fermement qu'ils ne se faisaient aucune préoccupation à cet égard. Je me demandais si vous étiez au courant de ce point de vue, et si vous aviez des observations à formuler à ce sujet.

Mme Mann : J'ai lu un bon nombre de transcriptions des réunions du comité. J'ai soulevé la question de l'ETCAF et de la déficience non seulement parce qu'il s'agit d'une question sur laquelle je me penche dans le cadre de mes recherches, mais également parce que j'ai constaté que ces sujets n'avaient pas été abordés. Il y a bien eu une discussion à propos de l'article 15 de la Charte, de la discrimination fondée sur la race et touchant les peuples autochtones, et sur la surreprésentation de populations autres que les Autochtones au sein du système carcéral, mais il n'y a eu aucune discussion à propos de l'ETCAF. J'ai cru qu'il était important que le lien entre l'ETCAF et la surreprésentation des Autochtones soit établi, et non pas seulement d'un point de vue juridique. L'ETCAF est une déficience infligée in utero, et cette déficience s'assortit d'un certain ensemble de troubles congénitaux pouvant expliquer que les personnes qui en sont atteintes se retrouvent ultérieurement derrière les barreaux. Il existe une abondante documentation qui, en ce qui a trait aux politiques et à la manière dont nous traitons ces personnes, insiste sur le fait que l'une des principales lacunes sur le plan de la compréhension tient à ce que, souvent, les personnes atteintes de l'ETCAF ne peuvent franchement pas établir le lien entre un acte qu'elles posent et ce qui en découle. Ces personnes ne saisissent peut-être pas complètement la raison pour laquelle elles ont été incarcérées à la suite de telle ou telle infraction. Bien sûr, cela ne s'applique pas uniquement aux infractions liées aux drogues, mais à mes yeux, il existe un lien de causalité encore plus direct entre l'ETCAF et une infraction liée à l'alcoolisme ou la toxicomanie.

Le sénateur Wallace : Le point que vous soulevez concerne peut-être plus directement la question de l'intention criminelle requise pour commettre une infraction. Cela pourrait être un argument à décharge visant l'accusation dans son intégralité, par opposition à la contestation fondée sur la Charte que vous avez mentionnée. Je crois que cette question a été soulevée en ce qui concerne le projet de loi C-15. Il serait surprenant que le ministère de la Justice n'ait pas pris cela en considération, mais vous avez exposé votre point de vue de façon convaincante.

La présidente : Madame Mann, le sénateur a fait allusion à l'étude que vous avez menée. Celle-ci a été examinée dans le cadre de l'étude du projet de loi C-15, et, par conséquent, elle fait partie des documents pris en considération dans le cadre de l'étude du présent projet de loi.

Le sénateur Angus : Merci aux deux témoins. Les sujets que je voulais aborder l'ont déjà été en grande partie, mais il y a quelque chose qui m'intrigue, madame Mann. Il me semble que le problème fondamental demeurera présent, que ce projet de loi soit adopté ou non. Ai-je raison d'affirmer cela?

Mme Mann : Oui, tout à fait. L'ETCAF et l'alcoolisme et la toxicomanie sont des problèmes qui existent.

Le sénateur Angus : Cette question, de même que ce qui a été dit à propos de la détermination de la peine, s'applique dans toute poursuite contre un Autochtone.

Vu qu'il mène des recherches sur cette question en criminologie et dans d'autres domaines, j'aimerais demander à M. Plecas s'il a des observations à formuler sur ce sujet précis.

M. Plecas : Je suis on ne peut plus conscient du problème de la surreprésentation des Autochtones au sein du système de justice pénale.

Le sénateur Angus : Ce n'est pas la première fois que vous vous présentez devant le comité. Ces temps-ci, chaque projet de loi que le comité est appelé à examiner semble concerner cette question. Nous avons entendu une multitude de témoignages convaincants à ce sujet. Il est important que je comprenne ce que vous dites.

M. Plecas : Je ne suis pas certain d'accorder autant d'importance à cette question que le fait mon amie Mme Mann, pour la raison que les Autochtones sont rarement impliqués dans la production et le trafic de drogues. Je crois qu'il est juste d'affirmer que les démêlés des Autochtones avec le système de justice pénale sont davantage liés à la toxicomanie et aux actes criminels qui en découlent. D'après mon expérience, les crimes graves liés aux drogues ne sont pas commis par des Autochtones. D'après ce que j'ai constaté, lorsque des Autochtones sont liés aux crimes de ce genre, c'est parce que des gens commettent des actes violents à leur endroit pour faciliter leurs activités criminelles.

Le sénateur Angus : Je vous ai écouté attentivement, et j'estime que ce point de vue est utile. Il existe un problème fondamental qui est bien connu, et la société doit le régler le plus tôt possible.

Cependant, en ce qui concerne le projet de loi S-10, même s'il est utile que votre témoignage figure au compte rendu, je crois que vous serez d'accord avec moi pour affirmer, monsieur, que cette question ne présente pas un intérêt de premier plan pour ce qui est du présent projet de loi, car celui-ci ne réglera pas le problème, et ne l'aggravera pas.

M. Plecas : Je suis tout à fait d'accord avec vous.

Le sénateur Lang : J'aimerais tout d'abord poser à M. Plecas une question qui concerne la production de drogues en Colombie-Britannique et l'ampleur de cette production. J'aimerais que vous nous disiez ce que vous savez à propos de ce qui se passe dans cette province et des problèmes auxquels la société fait face. Je veux entendre ce que vous avez à dire là-dessus, car je sais que vous connaissez assez ce sujet.

M. Plecas : Mes sources d'information, ce sont les dossiers de la police concernant les installations de culture, dossiers que j'ai consultés moi-même dans le cadre de mes recherches. En outre, j'ai consulté directement des ingénieurs hydro- électriciens. Ceux-ci m'ont indiqué que, à l'heure actuelle, en Colombie-Britannique, il y avait des installations de culture dans au moins 10 000 propriétés. Je sais qu'il est difficile de le croire, mais ce chiffre est tout à fait réel. Dans certains quartiers, 40 p. 100 de l'électricité est de l'hydro-électricité volée.

Nous savons que la production de drogues en Colombie-Britannique est d'une ampleur telle et exige une quantité telle d'électricité — et je parle uniquement ici d'électricité volée — qu'il faudrait bâtir deux barrages pour contrebalancer ce vol d'électricité. Le vol d'électricité est d'une valeur de 110 millions de dollars, ce qu'il faut également garder présent à l'esprit lorsqu'on réfléchit sur cette question. Ces gens ne sont pas uniquement impliqués dans le trafic ou la production de drogues, mais en plus, ils nous volent au passage.

En outre, la production de drogues est d'une ampleur telle qu'elle entraîne une consommation excessive d'électricité qui atteint chaque année 61 millions de dollars. À une époque où nous sommes préoccupés par l'économie d'énergie, nous ne devrions pas tolérer un vol de ce genre.

Je sais également que les installations de culture sont plus que jamais et dans la vaste majorité des cas — il y a quelques exceptions — en lien direct avec un gang. Lorsque les policiers dénichent l'une de ces installations, ils constatent qu'elle porte la marque d'un gang ou d'un autre. Nous ne croyons pas que l'ensemble de la production de drogues et des installations de culture relève exclusivement du crime organisé en tant que tel, mais si l'on comprend tout ce qui est nécessaire pour établir une installation de culture, pour mettre en place la pépinière, pour équiper l'immeuble — l'électricité, l'installation du système électrique, et cetera —, et si l'on prend en considération le courtage qui est nécessaire et toutes les choses de ce genre, on peut conclure que de telles activités font intervenir plus d'une personne.

D'après nos estimations, que la plupart des gens considèrent comme conservatrices, selon ce que d'autres universitaires ont dit, une proportion de 70 p. 100 de la drogue produite en Colombie-Britannique est exportée à l'étranger. Ces exportations sont d'une valeur d'au moins quatre milliards de dollars par année. Il s'agit d'un montant assez substantiel, et il s'agit de la principale motivation du crime organisé. Cela ne fait aucun doute.

Le sénateur Lang : Pour poursuivre dans le même ordre d'idées, il y a une autre statistique scandaleuse dont nous avons entendu parler dans le cadre des réunions du comité, à savoir le fait qu'il y a environ 900 gangs connus au Canada. Quelqu'un a mentionné cela il y a quelques jours durant son témoignage devant le comité. J'aurais tendance à dire que nous n'avons aucune raison de mettre en doute cette affirmation. Elle a été faite par des représentants de la police.

J'aimerais que nous continuions de parler de votre recherche. Je ne suis pas au courant de tous les aspects de votre recherche, mais un témoin — je crois qu'il s'agissait d'un inspecteur de Halifax, en Nouvelle-Écosse — nous a indiqué qu'il avait participé à la poursuite en justice intentée contre un gang de trafiquants de drogues. Des peines d'emprisonnement assez longues ont dû être imposées aux membres de ce gang, vu la gravité et les répercussions de leurs actes criminels. Si je ne m'abuse, l'inspecteur a mentionné que le taux de criminalité avait diminué de 19 p. 100 en 18 mois dans le quartier de la ville où ce gang menait ses activités.

Vous êtes-vous déjà penché, dans le cadre de l'une ou l'autre de vos recherches, sur la question de savoir quelle incidence avait l'emprisonnement pour une certaine période de membres d'un gang sur le taux de criminalité de la ville, de la banlieue ou de la grande ville où ils menaient leurs activités?

M. Plecas : En ce qui concerne le nombre de gangs, je peux tout d'abord dire que, en Colombie-Britannique, à un certain moment, il y a environ dix ans, on dénombrait de huit à douze gangs différents, nombre qui variait selon les personnes qui effectuaient le recensement. Ces gangs représentaient les suspects habituels du crime organisé de haut niveau. Le nombre de gangs s'élève à présent à plus de 100 — d'aucuns ont avancé le chiffre de 130.

En Colombie-Britannique, les gangs ont été amputés — la police a mis le grappin sur les têtes dirigeantes, qui ont été écrouées et le demeureront pendant un bon moment. D'autres les suivront. Toutefois, de nouveaux acteurs ont fait leur apparition. Il y a eu des fusions de gangs, et certains ont tenté de prendre le contrôle du territoire. Les choses ne se passent plus comme jadis, où les membres du crime organisé étaient des gens très subtils. Vous avez évoqué le chiffre de 900 personnes appartenant à un gang — j'estime que ce chiffre est valable, et je dirais même qu'il est conservateur. Si ce nombre est si élevé, c'est notamment parce que aujourd'hui, au Canada, si vous voulez participer au marché de la drogue, vous avez intérêt à être affilié à un gang. C'est inévitable. De plus en plus de gens sont attirés dans le marché.

Le sénateur Lang : D'après vos observations, est-ce que les secteurs où les gens menaient leurs activités deviennent plus sécuritaires lorsque les membres de gangs en question sont appréhendés et incarcérés pendant une certaine période? Est-ce que le taux de criminalité diminue dans ces secteurs?

M. Plecas : Oui. La diminution de la criminalité en Colombie-Britannique sert de baromètre. Partout dans la province, le taux de criminalité a diminué de façon marquée.

Le sénateur Joyal : Madame Mann, est-il exact d'affirmer que, selon votre recherche, la question des peines minimales obligatoires pour les Autochtones n'a jamais subi l'épreuve de la Cour suprême ou d'un quelconque tribunal canadien à ce jour?

Mme Mann : La question n'a pas été testée devant la Cour suprême ni, pour autant que je sache, devant quelque tribunal que ce soit. Je n'ai trouvé aucun renseignement indiquant le contraire.

Le sénateur Joyal : Avez-vous le texte du projet de loi sous les yeux?

Mme Mann : Je l'ai, oui.

Le sénateur Joyal : Mon raisonnement a trait au paragraphe 2(1), lequel modifie la division 5(3)a)(i)(D). Cela se trouve au haut de la page 2.

Mme Mann : Oui.

Le sénateur Joyal : Ce passage est ainsi libellé :

(D) [la personne] a, au cours des dix dernières années, été reconnue coupable d'une infraction désignée ou purgé une peine d'emprisonnement relativement à une telle infraction [...]

Il me semble que beaucoup d'Autochtones seraient visés par cette disposition.

Mme Mann : J'aurais tendance à être d'accord avec vous. Dans un chapitre d'un de mes livres, je procède à une analyse du projet de loi sur la lutte contre les crimes violents, et j'analyse également les recommandations du Comité d'examen du SCC. J'ai tendance à examiner les projets de loi et les textes législatifs, et à les examiner du point de vue des Autochtones, et j'ai été incapable de trouver des statistiques sur la criminalité ventilées selon la race. J'étais à la recherche de statistiques concernant les peines minimales obligatoires visant les armes à feu. Je n'ai pas été en mesure de trouver des statistiques ventilées selon la race à ce sujet. J'ai été incapable de trouver des statistiques ventilées selon la race au sujet de la conduite avec facultés affaiblies.

Je ne sais pas ce qui permet à M. Plecas d'affirmer que les Autochtones ne commettent pas vraiment de crimes liés aux drogues, car pour autant que je sache, nous ne disposons pas de statistiques ventilées selon la race à ce sujet.

Je peux vous fournir des pourcentages approximatifs, mais dans le cadre des travaux que j'ai menés, je n'ai jamais pu mettre la main sur des statistiques ventilées selon la race en ce qui concerne l'une ou l'autre de ces infractions. Il faut également tenir compte d'une question d'identité — ce ne sont pas tous les délinquants autochtones qui sont désignés en tant qu'Autochtones.

Le sénateur Joyal : Mon interprétation de cette division du projet de loi et de la contestation fondée sur la Charte est la suivante : si des accusations étaient portées contre un Autochtone aux termes de la division 5(3)a)(i)(D) proposée, qui se trouve à la page 2, et qu'il était clairement établi que cette personne est liée au crime organisé, un juge pourrait devoir prendre en considération l'importance du contexte criminel dans le cadre duquel l'acte a été commis.

Cependant, du seul fait qu'une personne a été reconnue coupable « d'une infraction désignée » « au cours des dix dernières années », elle relève d'un tout autre contexte criminel.

Mme Mann : Je suis d'accord avec vous.

Le sénateur Joyal : J'estime qu'une personne serait plus susceptible d'obtenir gain de cause si elle contestait la loi en se fondant sur le fait qu'elle contrevient à l'article 12 ou à d'autres articles de la Charte ou à des lois antérieures, ou en se fondant sur le fait qu'il s'agit d'une infraction visée par une disposition législative invalidée par l'arrêt R. c. Gladue. J'avancerais qu'une personne aurait ainsi beaucoup plus de chance d'obtenir gain de cause et de faire invalider par un tribunal cette disposition en ce qui a trait aux Autochtones au profit d'autres sanctions envisagées, comme vous l'avez mentionné, par l'alinéa 718.2e).

En d'autres termes, même si le projet de loi vise le crime organisé, et tout le monde comprend la gravité du crime organisé, cette disposition pourrait poser davantage de difficultés.

Toutefois, le projet de loi ne s'attaque pas uniquement au crime organisé. D'autres dispositions du projet de loi ratissent beaucoup plus large et visent de grands pans de la société. Au moment d'examiner le point de vue que vous avez exposé aujourd'hui, j'estime qu'il faut prendre cela en considération. Les représentants du ministère de la Justice du Canada ont affirmé que le projet de loi résisterait à une contestation fondée sur la Charte, mais je pourrais vous donner 100 exemples de dispositions législatives dont on a dit, au cours des 20 dernières années, qu'elles étaient prétendument résistantes à une contestation fondée sur la Charte, mais qui n'ont pas résisté à l'épreuve de la Cour suprême et des cours d'appel provinciales.

On nous dit que ces dispositions ont été élaborées de manière raisonnée, et nous ne mettons pas cela en doute. Cependant, dans certains cas, le ministère de la Justice prend des risques en élaborant un projet de loi. La situation n'est pas toujours absolument claire et nette. Il y a des avantages et des inconvénients. Le ministère établit un juste équilibre entre les avantages et les inconvénients, puis prend une décision quant à la voie à suivre tout en sachant que cette voie pourrait présenter des risques.

J'estime que la discrimination systémique dont font l'objet les Autochtones est enchâssée dans la division (D).

La présidente : Souhaitez-vous formuler des commentaires?

Mme Mann : Oui, je conviens que le projet de loi ratisse large. Même si j'ai indiqué que je ne connaissais pas les chiffres, il y a des données concernant le taux de toxicomanie dans la population autochtone. Même l'enquête sur la santé menée par l'APN en 2007 révèle que, chez les Premières nations, le taux de toxicomanie était plus que deux fois plus élevé. Cela concernait les drogues illicites. Le taux était plus que deux fois plus élevé comparativement à celui des Canadiens n'appartenant pas aux Premières nations.

Nous savons que le taux de toxicomanie et le taux de prévalence de TCAF dans les collectivités autochtones augmentent davantage. Logiquement, il n'est donc pas difficile d'extrapoler à partir de ces renseignements et de constater que ce projet de loi pourrait avoir des répercussions disproportionnées sur les délinquants autochtones.

Même si je n'ai pas abordé cette question, j'ajouterai qu'à mon avis, l'article 7 de la Charte — qui porte sur la vie, la liberté et la sécurité de sa personne — pourrait servir de base à une contestation dans le cas d'une personne atteinte de TCAF. Si une personne souffrant d'un trouble neurologique est condamnée à une peine minimale obligatoire, cette peine pourrait faire l'objet d'une contestation liée à la sécurité de la personne au titre de l'article 7.

Le sénateur Joyal : Je vais glisser un mot à ce sujet. Je sais que le temps file. Selon le paragraphe 6(2) du projet de loi qui modifie l'article 10 de la Loi, « le tribunal qui détermine la peine à infliger à une personne reconnue coupable d'une infraction prévue par la présente partie peut reporter la détermination de la peine afin de permettre à la personne de participer à un programme de traitement ». Un juge devant lequel une personne autochtone comparaîtrait...

Le sénateur Lang : Madame la présidente, j'invoque le Règlement. Vous m'avez interrompu. Je ne veux pas vous offenser, mais vous avez dit que notre temps est limité, et c'est le cas. Je voudrais vous rappeler que ce qui s'applique à une personne doit s'appliquer à tous.

La présidente : Le sénateur Lang n'a pas encore eu autant de temps que vous, sénateur Joyal.

Le sénateur Lang : Je ne crois pas.

La présidente : Le temps est comptabilisé. Vous ne vous en rendez peut-être pas compte parce que c'est à son tour de poser des questions et non à vous, mais le temps est comptabilisé.

Cela dit, votre temps tire à sa fin, sénateur Joyal.

Le sénateur Joyal : Il y a également le paragraphe 10(5) proposé, qui prévoit qu'une personne recevra un traitement différent si elle termine avec succès un tel programme. Ce traitement différent n'est pas offert à une personne autochtone, car nous savons qu'une telle chose n'existe pas dans la plupart des collectivités.

En conséquence, un grand nombre d'éléments donnent à penser que le projet de loi a une incidence plus importante sur les Autochtones comparativement à d'autres communautés au Canada.

Mme Mann : Je trouve que l'exemption relative aux tribunaux consacrés en matière de drogues est intéressante, car les tribunaux Gladue existent. Je crois qu'il y en a six en Ontario.

Le sénateur Joyal : Oui.

La présidente : Six à l'ouest d'Ottawa.

Le sénateur Joyal : Aucun dans les Maritimes.

La présidente : Et aucun à l'est de la rivière des Outaouais.

Mme Mann : C'est ça. Dans ce cas, si les tribunaux Gladue étaient plus accessibles, il serait sensé que l'exemption mentionne les tribunaux Gladue et les tribunaux consacrés en matière de drogues, car les tribunaux Gladue et les tribunaux consacrés en matière de drogues ont beaucoup de principes fondamentaux communs, comme le fait pour le délinquant de reconnaître sa responsabilité et d'être disposé à respecter les ordonnances du juge dans le cadre d'une condamnation avec sursis.

En 2006-2007, j'ai participé à un projet de recherche sur les délinquants autochtones visant à déterminer s'il y avait une préférence pour le tribunal consacré en matière de drogues ou le tribunal Gladue. La recherche a clairement révélé que, même si les tribunaux consacrés en matière de drogues ont aidé certains délinquants autochtones aux prises avec des problèmes de toxicomanie, une préférence d'ensemble était accordée aux tribunaux Gladue parce qu'on les considérait comme plus appropriés sur le plan culturel. Même si un volet axé sur les Autochtones s'ajoute parfois aux tribunaux consacrés en matière de drogues, les tribunaux Gladue visent expressément les Autochtones.

Il est intéressant de voir que l'exemption relative au tribunal consacré en matière de drogues ressemble en quelque sorte à une exemption relative au tribunal Gladue. En conséquence, pourquoi l'exemption ne viserait pas que les cas semblables à l'arrêt Gladue?

Le sénateur Joyal : C'est ce que je dis.

Le sénateur Chaput : Merci, madame la présidente.

Monsieur Plecas, vous avez dit, je crois, que la sécurité publique peut être assurée par le truchement de la réadaptation. C'était l'un des exemples de situations où l'on peut voir à la sécurité publique.

La question qui s'impose est donc la suivante : Que doit-on avoir en place au chapitre de la réadaptation pour atteindre l'objectif lié à la sécurité publique? Lorsque le ministre a témoigné devant nous, il a fait remarquer qu'une personne peut éviter des sanctions en réussissant un programme de traitement de la toxicomanie. Selon votre expérience, y a-t-il beaucoup de programmes de traitement de la toxicomanie qui contribuent à la réadaptation? Sont- ils également offerts dans le Nord?

M. Plecas : Oui, je crois savoir qu'il y en a, mais il ne faut pas perdre de vue, encore une fois, que la raison pour laquelle les gens ont des démêlés avec la justice ne tient pas qu'à la toxicomanie; un traitement exige des mesures beaucoup plus complexes.

Le sénateur Chaput : Les programmes de traitement de la toxicomanie ne sont pas suffisants, n'est-ce pas?

M. Plecas : C'est exact.

Le sénateur Chaput : Quels genres de traitements devrait-on ajouter au programme de traitement de la toxicomanie?

M. Plecas : Il faut des services panoramiques. Il faut aider les gens à améliorer leur scolarité. Comme nous le savons, un grand nombre de délinquants souffrent de problèmes de santé mentale. Il faut perfectionner les compétences professionnelles et cognitives et favoriser l'apprentissage de l'autonomie fonctionnelle. Comme on l'a indiqué, il y a des gens qui souffrent de problèmes neurologiques et physiologiques. Toute une série de problèmes doivent être abordés collectivement.

Le sénateur Chaput : À l'heure actuelle, ce traitement existe-t-il?

M. Plecas : L'endroit au pays où ce traitement existe — plus que partout ailleurs —, c'est dans notre système correctionnel fédéral.

La présidente : Si mes collègues sénateurs n'y voient pas d'inconvénient, j'ai une question pour vous, madame Mann. Vous avez parlé du chapitre d'un livre que vous avez rédigé. Je crois que le chapitre s'intitulait « Incarceration and the Aboriginal Offender : Potential impacts of the Tackling Violent Crime Act ». La référence sera ajoutée à titre d'information pour nos collègues.

J'ai votre article devant moi. Vers la fin de celui-ci, vous dites :

La conception de la responsabilité est culturellement chargée, puisqu'elle découle d'une vision du monde donnée. Aux yeux d'un grand nombre de délinquants autochtones, la vraie responsabilisation est improbable sans la présence de processus de justice réparatrice et communautaire qui sont culturellement adaptés aux délinquants.

Vous poursuivez en disant :

Le fait de mettre des délinquants autochtones derrière les barreaux pour des périodes toujours plus longues ne favorise ni leur responsabilisation ni leur réadaptation.

C'est une déclaration très générale. Pourriez-vous nous fournir un peu plus de détails?

Mme Mann : Il faut probablement l'envisager dans le contexte du chapitre. De façon générale, l'idée ne date pas d'hier. Je crois qu'au Canada, on s'est penché de plus en plus sur la justice réparatrice, probablement à partir du début des années 1990, du moins, d'après ce que j'en sais.

Nous avons des rapports qui remontent aux années 1980, nous avons les modifications apportées en 1996 aux dispositions du Code criminel sur la détermination de la peine et nous avons l'arrêt Gladue de 1999. Il y a une sensibilisation croissante au fait que l'approche adoptée à l'égard des délinquants autochtones au sein du système judiciaire ne fonctionne pas. Selon les ouvrages didactiques que je lis, il y a trois types d'analyses qui sont menées pour déterminer pourquoi le système n'est pas adapté aux besoins des Autochtones. L'une d'elles est fondée sur les différences culturelles : traditionnellement, la façon dont les Autochtones sanctionneraient une infraction ou un délit mineur commis dans leur collectivité diffère de celle de notre système de justice pénale. C'est un système imposé qui n'interpelle pas les Autochtones, car leurs valeurs sont différentes. À titre d'exemple, le pouvoir de guérison de la collectivité est peut-être supérieur au pouvoir de punition de l'incarcération.

La deuxième théorie est liée au colonialisme. En raison d'antécédents colonialistes, notre système judiciaire n'est pas adapté aux besoins des Autochtones. La théorie peut même s'étendre à la primauté du droit, en ce sens que, en raison des effets du colonialisme et de toutes les choses qui ont été imposées par le gouvernement au fil des années, il y a presque une rupture de la primauté du droit en ce qui concerne les Autochtones dans notre système.

Le troisième aspect porte sur les facteurs socioéconomiques. Je considère que, d'une certaine façon, cet aspect découle presque des deux autres théories ou, à tout le moins, de celle liée au colonialisme. Nous savons qu'au bout du compte, l'incarcération de délinquants autochtones ne fonctionne pas. Il y a de bonnes initiatives, comme celles dont j'ai fait état dans mon rapport présenté au Bureau de l'enquêteur correctionnel. Il y a des initiatives prometteuses. À mon avis, le suivi des données est inadéquat. Le suivi de ce qui fonctionne et de ce qui ne fonctionne pas est effectué de façon inadéquate. Nous n'avons pas une idée claire de ce qui fonctionne au chapitre de la réadaptation, que ce soit dans les établissements ou à l'extérieur de ceux-ci. Il y a des programmes prometteurs qui semblent donner des résultats dans les établissements, mais, dans l'ensemble, nous savons que l'incarcération ne fonctionne pas.

Concernant les mesures de réadaptation adoptées dans les services correctionnels — elles sont également documentées dans mon rapport au BEC —, nous savons que ces programmes n'existent pas partout au pays. Un grand nombre de délinquants autochtones n'y ont pas accès. Les listes d'attente pour prendre part aux programmes sont longues. L'argument selon lequel les gens devraient être incarcérés parce que nous sommes en mesure de leur offrir un programme de réadaptation exige des ressources. Si on défend cet argument, alors ces programmes devraient être offerts, et les listes d'attente qui s'étendent sur plusieurs années ne devraient pas exister. On ne devrait pas retrouver de gens qui n'ont pas accès à un conseiller spirituel ni à un Aîné durant des mois parce qu'ils se trouvent dans un établissement en Ontario. Tous ces éléments entrent en jeu si on veut que les prisons ou les pénitenciers contribuent à la réadaptation. Il faudra beaucoup de ressources.

La présidente : Lorsque vous dites que le fait de les mettre derrière les barreaux ne favorise pas la responsabilisation ni la réadaptation, je crois comprendre — d'après ce que vous dites — que cette situation est réelle à différents niveaux, non seulement sur le plan culturel, mais aussi sur le plan pratique, où on se contente de dire : « c'est comme ça que ça fonctionne ». Le fait de les mettre derrière les barreaux ne permet pas d'accroître leur réadaptation, que ce soit pour des raisons culturelles ou autres, parce qu'il n'y a pas de mesures de ce genre. C'est bien cela?

Mme Mann : Oui.

La présidente : Un gros merci à vous deux. Le travail lié à ce projet de loi mène continuellement à des découvertes. Merci infiniment.

Nous avons reçu beaucoup de témoins de marque fascinants, et les derniers témoins de ce soir s'ajoutent à la liste. Nous accueillons maintenant Larry Chartrand, professeur agrégé de l'Université d'Ottawa, George Stanley, chef régional de l'Alberta de l'Assemblée des Premières Nations et Roger Jones, conseiller politique de l'APN. Monsieur Chartrand, la parole est à vous.

Larry Chartrand, professeur agrégé, Université d'Ottawa : Permettez-moi d'abord de remercier le comité de m'inviter à présenter quelques observations sur le projet de loi. Il s'agit pour moi d'une question d'intérêt tant personnel que professionnel.

Je vais commencer par reconnaître que la toxicomanie a eu des effets dévastateurs sur nos collectivités. Les dommages sociaux causés par la toxicomanie peuvent être extrêmement dévastateurs. Mon frère, par exemple, qui était mon cadet d'un an, est mort d'une overdose il y a environ six ans. Sa vie était difficile. Il a développé une dépendance à la drogue et à l'alcool durant son adolescence. Lorsqu'il avait des démêlés avec la justice — ce qui arrivait souvent —, l'appareil judiciaire était essentiellement indifférent aux maux que sont la toxicomanie et les problèmes sociaux auxquels mon frère faisait face. On l'a retrouvé mort dans un fossé, à environ un pâté de maisons et demi de sa résidence, située dans une petite ville du nord de l'Alberta. Il tentait d'obtenir de l'aide. Ce n'était pas une mauvaise personne. En fait, c'était une bonne personne. Il était un bon père et un bon frère, et j'étais fier d'être son frère.

Un mois, plus tard, ma cousine, qui était mon aînée d'un an, est également décédée, en partie à cause de problèmes liés à l'alcoolisme et à la toxicomanie. Nous étions proches. Nous étions presque frère et sœur. Un soir, elle s'est enlevée la vie dans un sous-sol obscur, abandonnant ses enfants.

Je ne suis pas étranger aux effets dévastateurs que les drogues peuvent avoir dans notre pays, mais comment pouvons- nous faire face à ces dommages sociaux dévastateurs? Allons-nous simplement aggraver les problèmes sociaux en adoptant le projet de loi S-10? Imposerons-nous aveuglément des peines minimales obligatoires sans réellement comprendre les entorses à la justice sociale que de telles peines entraîneront? Je dis « imposer aveuglément des peines minimales obligatoires » parce que, comme il a été mentionné dans le témoignage précédent des représentants des forces de l'ordre, aucune étude n'attribue un effet dissuasif à l'imposition de peines plus sévères pour des crimes liés à la drogue. La police n'a pu mentionner aucune étude parce qu'il n'en existe pas. En revanche, les études existantes démontrent que de telles peines n'ont aucun effet dissuasif notable, et, bien sûr, deux études approfondies sont mentionnées dans le résumé législatif qui figure dans votre documentation.

Néanmoins, la police est convaincue qu'il y aura probablement un effet dissuasif accru et nous demande de lui faire confiance à cet égard. C'est de la pensée magique, et on ne peut ni justifier cette vision ni accepter aveuglément que l'imposition de peines plus sévères et de peines obligatoires entraînera l'effet dissuasif souhaité. Nous ne pouvons nous permettre d'avoir une foi aveugle en cette vision, car, sur le plan de la justice sociale, les répercussions de la sévérité de telles mesures ou peines frapperont de façon disproportionnée les communautés autochtone, noire et asiatique. Autrement dit, les répercussions mèneront à des inégalités raciales en ce qui concerne l'administration du projet S-10, et ces répercussions ne sont pas que simples conjectures. C'est une certitude. Je vous assure que ces répercussions auront lieu. Contrairement à la police — et avec tout le respect que je lui dois —, j'ai en main des études et des recherches qui corroborent cela. Elles sont ici. J'ai un livre complet. En effet, ces études constituent une part importante du contenu que j'enseigne sur la théorie critique de la race et le droit à la faculté de droit de l'Université d'Ottawa.

À ce chapitre, j'étais plutôt surpris d'apprendre qu'au sein de l'assemblée législative américaine, on ne fait référence qu'à une seule étude qui documente les répercussions raciales des peines minimales obligatoires pour les crimes liés à la drogue aux États-Unis. Pourtant, il existe une abondante littérature sur cette question. Les communautés minoritaires culturelles et raciales subiront le gros des répercussions de cette loi, et ce, de façon injuste. En raison de la discrimination raciale systémique inhérente aux processus d'application de la loi et d'administration judiciaire, ces communautés seront ciblées de façon disproportionnée par les mesures d'exécution de la loi et de dissuasion de la police. Compte tenu de la nature racialisée de la pauvreté et des désavantages sociaux au sein de notre société, le système judiciaire va frapper plus sévèrement les accusés issus de ces communautés.

Pourquoi je dis cela? Ces répercussions auront lieu pour plusieurs raisons. Tout d'abord, la racialisation des crimes liés à la drogue existe déjà au Canada. En effet, selon le témoignage que les responsables de l'application de la loi ont présenté devant vous le 28 octobre, ils estimaient que certains groupes culturels étaient associés à certaines infractions en matière de drogue. Toutefois, ce point de vue ne reflète qu'un élément de l'ensemble. Des éléments probants provenant des États-Unis révèlent que la guerre à la drogue et aux crimes liés à la drogue insiste presque exclusivement sur les petits trafiquants et les consommateurs des communautés afro-américaines.

Dans un article, Judith Scully a affirmé ce qui suit : « La police trouve de la drogue dans ces communautés parce que c'est là qu'elle cherche. » Par contre, on peut appliquer une analyse plus poussée à cette déclaration. Selon le témoignage que les responsables de l'application de la loi ont présenté devant le comité la semaine dernière, le fait de cibler les petits trafiquants dans la rue est l'approche que la police canadienne va favoriser. C'est le deuxième élément de l'ensemble.

Enfin, le profilage racial par les forces de l'ordre existe au Canada. À titre d'exemple, en 2003, dans l'arrêt R. c. Brown, la Cour d'appel de l'Ontario a annulé la décision rendue par un tribunal de première instance en raison d'une prédisposition judiciaire parce que le tribunal n'avait pas reconnu la présence d'un profilage racial dans le contexte de l'interception d'un « Noir au volant » alors qu'il disposait nettement des éléments de preuve durant le procès, comme l'a indiqué le juge Morden pour l'ensemble de la Cour.

La question qui s'impose est la suivante : dois-je m'attendre à ce que les responsables de l'application de la loi agissent différemment au Canada qu'aux États-Unis, où on a prouvé que la législation sur les drogues avait des effets démesurés et déconcertants sur la communauté afro-américaine en particulier? Je voudrais bien que ce soit le cas, mais nous savons que cela n'arrivera pas. Le Canada va imiter les États-Unis. Tous les éléments sont présents. Le Canada n'est pas prêt à imposer des peines minimales obligatoires, car les services de police ne sont pas prêts. Et ce sont seulement les répercussions liées aux forces de l'ordre.

L'importance des répercussions sur l'administration de la justice pénale est comparable. Une fois l'accusation déposée, il n'y a aucun doute que les personnes issues des communautés autochtone, noire et asiatique subiront des conséquences plus néfastes au chapitre de l'administration judiciaire. C'est à ce chapitre, au Canada, que les éléments probants sur les répercussions démesurées et déconcertantes du système de justice pénale sur la communauté autochtone sont flagrants. En effet, c'est épidémique.

Je vais citer un paragraphe de l'Enquête publique sur l'administration de la justice et les peuples autochtones menée en 1991 pour étayer mon argument.

À travers l'histoire, le système de justice pénale a traité de façon discriminatoire les peuples autochtones en imposant des sanctions juridiques à de fins d'oppression. L'oppression des générations précédentes a plongé les peuples autochtones dans leur détresse sociale et économique actuelle.

À présent, un système en apparence neutre traite de façon discriminatoire les générations actuelles d'Autochtones en appliquant des lois qui ont des répercussions néfastes sur les personnes ayant un faible statut socioéconomique. Cette discrimination n'en est pas moins raciale : ce n'est que de la discrimination raciale déguisée.

Le fait de dire que la discrimination qui s'ajoute aux effets de la discrimination raciale n'est pas en soi de la discrimination raciale est indéfendable. On ne saurait faire fi des injustices antérieures ni les renforcer.

Les répercussions nettement disproportionnées sur les Autochtones ne sont pas nouvelles, et nous savons que le Parlement tente d'atténuer ces répercussions disproportionnées au moyen de l'alinéa 718.2e) du Code criminel. Le Parlement s'est rendu compte que le système de justice pénale avait des répercussions négatives sur les Autochtones et a tenu explicitement les tribunaux de tenir compte des effets de la colonisation et de la discrimination sur les délinquants autochtones au moment de la détermination de la peine. Dans le cas des délinquants autochtones, les juges sont tenus de déterminer la peine en se fondant sur un modèle de réadaptation et de guérison et d'envisager l'incarcération comme dernier recours si toutes les autres options s'avèrent inappropriées dans les circonstances.

Les peines minimales obligatoires neutralisent les tentatives du Parlement d'éliminer toute disparité de traitement des Autochtones par le système de justice pénale. Comme l'a indiqué le juge Knazan en 2007 — dans R. c. King —, l'application de peines obligatoires aux Autochtones fait obstacle à l'objectif d'amélioration de l'alinéa 718.2e), et la mesure dans laquelle la peine obligatoire empêche un juge d'exercer son pouvoir discrétionnaire dans ce contexte fait en sorte que les dispositions liées à la détermination de la peine sont inconstitutionnelles, violent les droits des délinquants et contreviennent à l'article 1 de la Charte canadienne des droits et libertés.

Dans l'affaire R. c. Luc — qui a suivi R. c. King —, le juge Fournier a cité avec approbation les motifs énoncés dans R. c. King et a accordé une exemption constitutionnelle à l'accusé, de sorte que ce dernier a été exempté de la peine obligatoire qui aurait été exigée autrement.

La toxicomanie est un problème grave, et elle cause d'importants dommages sociaux dans notre communauté. Le problème est le suivant : l'imposition d'une peine obligatoire entraînera également des dommages importants.

Je veux dire quelques mots sur les considérations politiques. Il est tentant pour un parti politique de profiter de l'opinion publique — laquelle, bien souvent, demande des peines plus sévères, en réaction à la couverture médiatique rétrograde de certains crimes —, mais il ne faut pas oublier que ce sont des intérêts politiques qui ont mené à la guerre à la drogue aux États-Unis.

Il existe des preuves. L'auteur Kenneth Nunn a examiné ces preuves de façon approfondie. Ces preuves ont été présentées au gouvernement Reagan, qui a mis en œuvre un plan et qui s'est livré à une guerre contre la drogue tout en sachant que cela aurait des répercussions dévastatrices sur la communauté afro-américaine, mais il s'en moquait et a poursuivi l'initiative.

Aujourd'hui, je mets le gouvernement en garde contre le fait que les répercussions raciales négatives liées à l'imposition de peines plus sévères dans le cadre du projet de loi S-10 seront importantes. Ces répercussions sont bien réelles. Il est inutile de vous rappeler que de telles décisions devraient s'appuyer non pas sur des considérations politiques, mais sur des objectifs de justice sociale.

Je conclus les brèves observations que j'ai présentées ce soir en glissant un mot sur les tribunaux de traitement de la toxicomanie. À mon avis, ces tribunaux sont probablement un complément extrêmement positif à l'administration de la justice pénale. Ces tribunaux sont en place pour s'attaquer au problème à la source d'un grand nombre de crimes liés à la drogue et de délits connexes, à savoir la dépendance du délinquant. Ma seule mise en garde est que les tribunaux doivent disposer de ressources convenables pour obtenir les résultats escomptés. La réduction la plus importante des dommages sociaux causés par la drogue découlera certainement de tels efforts, et, avec le temps, ces derniers permettront de réduire les dommages sociaux causés par la drogue de façon beaucoup plus importante que l'imposition de peines plus longues.

Le projet de loi S-10 est presque schizophrène. D'une part, il y a ce désir d'accroître la sévérité des peines pour les gens qui ont commis un crime lié à la drogue, et, d'autre part, il y a ce désir de s'attaquer à la toxicomanie qui se rattache aux crimes liés à la drogue et de régler le problème de cette façon. Selon moi, ces éléments ne semblent pas concorder. Un choix doit être fait. Déployons-nous des efforts au chapitre de la prohibition et de l'application de la loi, aspects qui accaparent la majeure partie des ressources financières lorsqu'il est question de la réduction de l'offre et de la demande? La réduction de l'offre tend à engloutir la plupart des ressources. La réduction de la demande est laissée de côté ou, bien souvent, se contente des restes. Si nous remettons l'accent sur les tribunaux de traitement de la toxicomanie plutôt que sur les peines obligatoires, nous réussirons bien davantage à composer avec les problèmes qui existent au pays au chapitre de la drogue et du trafic de drogue.

Je terminerai sur la réflexion suivante : compte tenu du système de justice pénale auquel a fait face mon frère dans les années 1970 ou 1980, est-ce qu'il serait toujours en vie si ces tribunaux de traitement de la toxicomanie avaient existé à l'époque? J'ai l'impression qu'il aurait eu plus de chances d'être parmi nous aujourd'hui si cela avait été le cas.

Je suis prêt à répondre à vos questions.

George Stanley, chef régional de l'Alberta, Assemblée des Premières Nations : Tout d'abord, je vous remercie, madame la présidente, mesdames et messieurs les membres du comité, de nous avoir invités à témoigner et à vous faire part de notre point de vue concernant le projet de loi S-10. Je m'appelle George Stanley. Je suis un ancien agent de la GRC et l'ancien chef de ma communauté — la Première nation de Frog Lake —, qui est située dans le nord-est de l'Alberta.

Je suis actuellement chef régional de l'Alberta de l'Assemblée des Premières Nations. Selon notre structure organisationnelle, les questions concernant la justice, le maintien de l'ordre et les services correctionnels relèvent de ma responsabilité. Comme le veut notre coutume, je souhaite remercier la nation algonquine de nous accueillir sur son territoire ce soir.

L'objectif de mon exposé est le suivant : le projet de loi S-10 est censé modifier la Loi réglementant certaines drogues et autres substances afin de forcer les tribunaux à imposer des peines minimales obligatoires pour diverses infractions en matière de drogue, en raison de la nature de la substance ou des infractions ou de la présence d'un ensemble de facteurs aggravants, y compris une déclaration de culpabilité antérieure pour des infractions semblables ou l'appartenance à une organisation criminelle.

Il n'y a aucun doute que l'imposition de ces exigences aura des effets préjudiciables disproportionnés sur les délinquants des Premières nations et des collectivités autochtones. Je présenterai les raisons précises plus tard dans mon exposé. Toutefois, avant de faire cela, j'aimerais prendre quelques minutes pour parler de façon plus générale du sujet qui nous occupe.

Concernant notre profil démographique, il est bien établi que notre population augmente et que les jeunes constituent la plus grande partie de nos communautés. Nos jeunes font face à d'énormes difficultés, y compris un taux élevé de décrochage, le chômage, la toxicomanie et l'exposition croissante aux gangs de rue. Nos jeunes risquent de faire partie d'autres réalités statistiques qui caractérisent nos collectivités, comme la croissance de la toxicomanie au sein des Premières nations, le nombre croissant d'infractions en matière de drogue et la croissance continue du nombre d'Autochtones ou de membres des Premières nations dans les établissements correctionnels canadiens.

Une autre réalité qui concerne les Premières nations est qu'un autre groupe — les femmes — est susceptible de devoir composer avec les circonstances qui influent sur le sujet en question et sur les processus visés par les modifications proposées de la loi dans le cadre du projet de loi S-10. Les femmes des Premières nations et des collectivités autochtones sont représentées de façon disproportionnée au sein de la population carcérale féminine du pays, déséquilibre encore plus marqué que celui concernant l'ensemble des délinquants des Premières nations et des collectivités autochtones par rapport à la population carcérale générale. Encore une fois, les femmes sont vulnérables et risquent grandement d'être également exposées à la toxicomanie et aux activités de gangs.

Le fait de renforcer les ressources et les outils d'application de la loi dont disposent le système judiciaire et les services de police entraînera une hausse du nombre de membres des Premières nations et des collectivités autochtones dans le système judiciaire, et cela les exposera aux réalités des peines minimales obligatoires. Si le fait de mettre plus de membres des Premières nations et des collectivités autochtones derrière les barreaux fait partie de la solution concernant la réduction souhaitée de l'offre et de la demande de drogues illicites, alors l'objectif du projet de loi S-10 sera atteint.

Je veux passer à des questions particulières liées aux modifications proposées de la loi. Il y a la négation — soulevée par mon collègue — de l'alinéa 718.2e) du Code criminel. En exigeant des tribunaux qu'ils imposent des peines minimales obligatoires d'emprisonnement d'au moins un an, le projet de loi cherche à éliminer le pouvoir discrétionnaire des tribunaux de tenir compte des circonstances des délinquants autochtones afin d'en arriver à des peines équitables et non privatives de liberté, comme le prévoit l'alinéa 718.2e) du Code criminel et comme la Cour suprême du Canada l'a affirmé dans R. c. Gladue. Un plus grand nombre de délinquants appartenant à des Premières nations et à des collectivités autochtones devront donc purger une peine d'emprisonnement.

Mon prochain point porte sur l'aggravation du problème de la surincarcération de membres des Premières nations et d'Autochtones. Malgré les mesures introduites par le truchement de l'alinéa 718.2e) en 1996 et élargies par les tribunaux depuis, les Autochtones continuent d'être surreprésentés de façon nettement disproportionnée dans les prisons canadiennes. Ils sont condamnés à des peines plus sévères et plus longues pour les mêmes infractions comparativement aux délinquants non autochtones. Ils sont également plus susceptibles de se voir refuser une mise en liberté sous caution et d'être détenus jusqu'au procès.

Même si d'autres raisons systémiques et sociétales ont été cernées pour expliquer cette situation — notamment les facteurs liés au racisme systémique, comme on le mentionne dans Gladue —, le fait de forcer les tribunaux à imposer de plus longues peines pour des infractions en matière de drogues aggravera un problème qui est déjà urgent et n'améliorera en aucun cas la situation.

Les facteurs aggravants auront des effets disproportionnés sur les délinquants appartenant à des Premières nations et à des collectivités autochtones. Pour ce qui est des déclarations de culpabilité antérieures pour des infractions liées à la drogue, le projet de loi cherche à modifier l'alinéa 5(3)a) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances afin de tenir les tribunaux d'infliger une peine minimale de un an si la personne a, au cours des 10 dernières années, été reconnue coupable d'une infraction liée à la drogue.

Concernant les séquelles tragiques des pensionnats autochtones, les perturbations causées par la rafle des années 1960 et la marginalisation culturelle et socioéconomique, l'aliénation et la surincarcération sont les symptômes presque universels d'un taux de toxicomanie beaucoup plus élevé chez les membres des Premières nations et les Autochtones que dans la société non autochtone. Les effets de l'ensemble du régime de détermination de la peine du projet de loi — et, plus particulièrement, cette disposition cumulative — signifie qu'un plus grand nombre de membres des Premières nations et des collectivités autochtones se retrouveront sous garde obligatoire durant de longues périodes, peu importe leur capacité particulière de réadaptation.

Je vais maintenant me pencher sur l'appartenance à des organisations criminelles. Un nombre disproportionné de membres des Premières nations et d'Autochtones sont associés ou appartiennent à des organisations criminelles, au sens où l'entendrait le Code criminel. Que ce soit bon ou mauvais, les gangs autochtones représentent une façon d'établir des relations sur le plan communautaire, culturel et identitaire pour des gens qui cherchent à se faire accepter.

Le projet de loi permet aux tribunaux de faire fi des peines obligatoires si le délinquant réussit un programme judiciaire de traitement de la toxicomanie, mais les délinquants des Premières nations qui ne résident pas en milieu urbain — où les programmes sont offerts — ne sont pas en droit de participer à la plupart de ces programmes. De plus, de tels programmes ne sont ni propres à la culture ni adaptés à celle-ci, ce qui pourrait amener les gens à abandonner le programme et, par le fait même, devoir purger une peine d'emprisonnement.

Un autre aspect concerne le renversement du fardeau de la preuve. Les dispositions concernant le cautionnement feront en sorte qu'il sera pratiquement impossible pour les délinquants des Premières nations et des collectivités autochtones de recevoir un cautionnement. Statistiquement, il a été établi que les délinquants des Premières nations et des collectivités autochtones ne bénéficient pas d'une mise en liberté sous caution dans des circonstances normales, et encore moins dans une situation de renversement du fardeau de la preuve.

Parlons des mesures à prendre pour régler ce problème. Du point de vue des Premières nations, je tiens à souligner que l'approche universelle à l'égard de la gestion des relations entre les Premières nations et les non-Autochtones n'a pas fonctionné, comme en témoigne l'échec des approches colonialistes, dont l'imposition de la Loi sur les Indiens et d'autres lois visant à contrôler les Autochtones, et l'application de politiques particulières, comme les pensionnats.

Le fait de traiter les Premières nations et les Autochtones de la même manière que tous les autres Canadiens ne permet pas de reconnaître la réalité selon laquelle les Premières nations et les Autochtones doivent surmonter la discrimination systémique, la pauvreté et le dysfonctionnement social pour atteindre un niveau de santé acceptable.

À notre avis, la partie la plus intéressante et la plus utile du projet de loi est la proposition selon laquelle le Parlement devrait effectuer une analyse coûts-avantages des peines minimales obligatoires. Cette analyse devrait être entamée maintenant — et non plus tard —, avant que les modifications ne soient mises en œuvre.

Un examen du Parlement permettra d'effectuer un examen approfondi de certaines réalités, dont les mesures nécessaires pour réagir aux taux d'incarcération disproportionnés des membres des Premières nations et des Autochtones; il permettra d'effectuer un examen approfondi de la pleine étendue des crimes en matière de drogue; il permettra de discuter des effets des programmes de déjudiciarisation à l'intention des jeunes; il permettra de discuter des avantages des programmes de traitement de la toxicomanie pour ce qui est d'atténuer la récidive; il permettra de discuter des mesures à prendre pour améliorer la situation des femmes; il permettra de discuter des avantages d'un programme de justice réparatrice à ce chapitre; et il permettra de discuter des situations qui exigent des peines obligatoires.

Mon exposé se termine ici. Je vous remercie de m'avoir invité ce soir.

La présidente : Un gros merci à vous deux. C'est à notre tour maintenant. Nous vous poserons des questions, et le sénateur Wallace va commencer.

Le sénateur Angus : Est-ce que M. Jones présente un exposé?

La présidente : Je crois savoir que M. Jones accompagnait M. Stanley, mais que M. Stanley serait chargé de l'exposé. Nous aurions été très heureux d'entendre M. Jones, mais le choix leur revient.

Le sénateur Wallace : Merci beaucoup pour vos exposés. Lorsqu'on est la première personne à poser des questions à la suite de deux exposés comme les vôtres, il y a beaucoup de choses qui donnent matière à réflexion. Dans tous les cas, je ferai de mon mieux. C'était intéressant.

Chef Stanley, je commencerai par vous. Je suis intéressé par plusieurs éléments de votre exposé. Vers la fin, vous avez dit que, de l'avis des Premières nations, l'approche universelle ne fonctionne pas. Il y a des circonstances particulières visant les collectivités autochtones, et ces circonstances doivent être prises en compte dans le système judiciaire. Cela m'a fait penser — et je suis certain que vous la connaissez, mais je vous poserai une question à ce sujet — à la Stratégie de la justice applicable aux Autochtones du gouvernement fédéral, dont l'objectif est de reconnaître les situations particulières que vivent les collectivités autochtones.

Pour l'expliquer brièvement, cette stratégie est une initiative fédérale, coordonnée avec les provinces et territoires, qui appuie des programmes communautaires visant à aider les collectivités autochtones. D'après ce que je sais, la stratégie comprend 142 programmes différents et 47 projets visant 400 collectivités, et le budget augmentera annuellement de 12 millions de dollars jusqu'en 2012. Le financement total sera de 85 millions de dollars à ce moment- là.

Connaissiez-vous cette stratégie? Pouvez-vous commenter le succès de cette stratégie? Encore une fois, elle semble viser précisément les collectivités autochtones et n'est pas simplement — comme vous l'avez laissé entendre — une solution d'application universelle destinée à ces problèmes sociaux particuliers.

M. Stanley : Je vais laisser la parole à mon conseiller politique.

Roger Jones, conseiller politique, Assemblée des Premières Nations : Merci, chef Stanley, et merci pour la question.

La Stratégie de la justice applicable aux Autochtones est en place depuis quelques années et s'inscrit dans les efforts du gouvernement fédéral pour régler des problèmes évidents, notamment le fait que le traitement des Autochtones dans le système judiciaire est tel qu'un nombre important de personnes sont incarcérées. Nous avons également vu des situations où il a fallu — dans pratiquement chaque région du pays — examiner des cas où le service de police, les services correctionnels ou le système judiciaire lui-même n'ont pas bien servi les Autochtones, d'où la conclusion selon laquelle le système judiciaire doit être mieux placé pour répondre aux besoins des Autochtones.

Le programme existe depuis quelques années et est renouvelé périodiquement. D'ici 2012, on aura peut-être dépensé 89 millions de dollars, mais il n'est pas dit que le programme est permanent, et qu'on va continuer à affecter des ressources à cette fin.

Les projets qui existent partout au pays sont des projets pilotes. Un grand nombre d'entre eux sont considérés comme des projets de déjudiciarisation qui visent les jeunes ou l'ensemble des délinquants autochtones qui font face au système judiciaire. C'est réparateur. Je crois que les Autochtones des quatre coins du pays diront que ce programme est utile, mais qu'ils souhaitent que le programme s'étende dans tout le pays. L'accessibilité dépend tout d'abord de la disponibilité de ressources financières suffisantes. Pour l'instant, l'allocation annuelle est insuffisante pour combler les besoins des collectivités de partout au pays.

L'autre élément du programme est que nous avons besoin de la coopération et de la participation de toutes les parties, à savoir le gouvernement fédéral, les provinces et territoires et les collectivités autochtones. Cette coopération n'est pas toujours présente. Bien souvent, lorsque les bonnes personnes participent à un tel projet, il est probable que le projet se matérialise. Cela signifie que l'appareil judiciaire local, le bureau local de l'avocat de la Couronne ou du procureur, les administrateurs du ministère fédéral de la Justice et les bureaux des procureurs généraux provinciaux doivent vouloir favoriser la réalisation de ce programme qu'ils considèrent évidemment comme utile.

Les Premières nations et les Autochtones veulent que les initiatives annuelles prenant la forme de projets pilotes deviennent une composante permanente du système judiciaire. La question posée au témoin précédent concernant la responsabilisation est importante.

Lorsque les délinquants autochtones sont traduits devant les tribunaux canadiens, cela se passe habituellement en dehors de leur collectivité, même si les infractions ont été commises à l'intérieur de leur collectivité. Je parle précisément des collectivités des Premières nations. Il n'y a pas de tribunaux dans les collectivités des Premières nations. Au mieux, lorsqu'une personne est poursuivie pour une quelconque infraction visée par le Code criminel, elle comparaîtra devant le tribunal pénal provincial de la localité.

Le fait que ces délinquants sont poursuivis à l'extérieur de leur collectivité signifie qu'ils ne sont pas tenus responsables de ce qu'ils font dans leur collectivité et que la collectivité ne peut pas voir s'il s'agit d'infractions pour lesquelles les délinquants doivent être tenus responsables devant les leurs. Essentiellement, le système est invisible dans leur collectivité parce que les poursuites et la comparution ont eu lieu à l'extérieur de leur collectivité.

L'initiative de la justice applicable aux Autochtones vise à intégrer le projet de justice réparatrice dans le cadre communautaire afin qu'il ait des répercussions tant sur la collectivité que sur l'individu. Il y a des avantages, et je crois que les gens veulent élargir la portée de l'initiative — et assurer son avenir — pour qu'elle soit une composante permanente du système judiciaire du pays.

Le sénateur Wallace : D'après ce que je comprends, l'initiative est effectivement une composante permanente du système judiciaire. Lorsque j'ai mentionné les 85 millions de dollars pour 2012, je ne parlais pas du total des dépenses effectuées au cours de cette période. Il s'agit du montant du budget total à ce moment-là. De toute façon, je crois que nous ne devons pas nous attarder aux chiffres. Encore une fois, ces renseignements sont intéressants.

Chef Stanley — permettez-moi de revenir à vous —, vous avez mentionné quelque chose dans votre exposé qui me rappelait des déclarations ou des témoignages qui ont été présentés lorsqu'on s'est penché sur le projet de loi C-15, le prédécesseur du projet de loi S-10, qui était essentiellement le même projet de loi. Vous avez parlé du nombre disproportionné de membres des Premières nations et des collectivités autochtones qui appartiennent à des organisations criminelles.

Cela m'avait fait penser à notre collègue, le sénateur Brazeau — qui est bien sûr autochtone —, qui a parlé du projet de loi C-15 en Chambre. Je me souviens qu'il a dit que le principal problème — pour lui et pour les membres des collectivités autochtones avec qui il a collaboré — était que les familles conjuraient les responsables des forces de l'ordre et du système judiciaire d'agir. Les gangs exerçaient leur emprise sur les collectivités autochtones, et ces dernières imploraient les autorités de prendre des mesures afin de réagir à cette situation.

Dans ce contexte, le sénateur Brazeau appuyait le projet de loi. Il estimait que ce n'était pas la solution parfaite, mais qu'il s'agissait d'un pas dans la bonne direction. Êtes-vous de cet avis? Les collectivités souffrent-elles sous l'influence de ce type de gangs et d'entreprises criminelles? Est-ce la réalité? C'est ce que le projet de loi S-10 vise à régler. Nous pouvons débattre le projet de loi, mais c'est exactement l'un de ses objectifs.

M. Stanley : Permettez-moi de céder la parole à M. Jones.

M. Jones : Une des statistiques intéressantes concernant les gangs de rue est qu'une grande partie du recrutement a lieu dans le système carcéral. Les membres des gangs de rue sont incarcérés, et d'autres personnes se retrouvent dans les mêmes établissements. L'environnement carcéral devient un lieu de recrutement idéal pour les gens qui veulent accroître la taille du gang et, par le fait même, son influence sur la collectivité.

À l'heure actuelle, je crois que la réalité des gangs de rue pose de plus grandes difficultés pour les Autochtones vivant en milieu urbain que pour ceux vivant dans les réserves ou en communauté.

L'exposé porte sur les préoccupations liées à cette réalité. Les modifications proposées ciblent effectivement les problèmes liés au crime organisé — les gangs de rue étaient assimilés au crime organisé —, et il est évident que cela aura des répercussions sur la population autochtone, plus particulièrement celle vivant en milieu urbain. De fait, si on souhaite mettre les membres des gangs de rue derrière les barreaux, le projet de loi aura évidemment cet effet.

Toutefois, le projet de loi ne s'arrête pas nécessairement aux questions qui consistent à déterminer si le fait de mettre les gens derrière les barreaux permettra de répondre à leurs besoins à long terme en matière de réadaptation. Comme le témoin précédent l'a dit, la réadaptation ne se fait pas en milieu carcéral, et il est plus probable que les délinquants soient libérés sans être réadaptés et qu'ils aient de nouveau des démêlés avec la justice après leur mise en liberté.

C'est un cercle vicieux, et il est improbable que le projet de loi permette de redresser la situation de façon appréciable.

Le sénateur Wallace : La réadaptation est évidemment un enjeu important. Le gouvernement reconnaît cela. Toutefois, l'intervention précédente du sénateur Lang me fait penser au témoignage présenté par un surintendant de la police de Halifax la semaine dernière. Un des objectifs de la détermination de la peine est d'éliminer les personnes impliquées dans le commerce de la drogue, de les faire disparaître des rues et d'ébranler l'entreprise criminelle. Il est vrai qu'une personne peut être remplacée par une autre, mais il s'agit d'une occasion pour la collectivité et pour le quartier de reprendre possession de ses rues. Le surintendant de la police a donné un bon exemple. Ces collectivités ont eu l'occasion de reprendre possession de leurs rues. Elles ont eu la possibilité d'assister à une réduction de l'ensemble du crime dans le voisinage d'environ 19 p. 100.

Oui, la réadaptation est un aspect. Encore une fois, il faut aussi mettre l'accent sur la protection des quartiers et tenter de réduire le nombre de crimes en matière de drogue et d'autres crimes qui surviennent dans ces quartiers à l'avenir.

La présidente : Voulez-vous ajouter un commentaire?

M. Jones : Je ne doute aucunement du témoignage du témoin antérieur et de sa véracité. Nous encourageons l'examen d'autres stratégies pour obtenir les mêmes résultats, c'est-à-dire la sécurité dans nos collectivités et la sécurité de ceux vivant en milieu urbain. C'est pourquoi nous encourageons le comité, le Parlement et le gouvernement dans son ensemble à mener un examen approfondi de la façon de régler la situation des Autochtones et des Premières nations du pays.

Le sénateur Baker : Merci à tous les témoins pour leur excellent exposé. Mes principales questions s'adressent au professeur Chartrand. Toutefois, avant cela, le chef Stanley a dit quelque chose de plutôt intéressant : le fait que les dispositions du projet de loi qui s'appliquent au renversement du fardeau de la preuve en matière de cautionnement signifie que les Autochtones comparaîtront devant un juge. Autrement dit, qu'une personne soit reconnue coupable d'une infraction passible d'un emprisonnement à perpétuité ou de trafic de drogue ou qu'elle soit sujette à une peine minimale de un ou de deux ans, cela n'a pas d'importance : elle porte le fardeau de la preuve. Autrement dit, le juge dit : « Dites-moi pourquoi vous devriez être remis en liberté. » C'est ce que le Code criminel prévoit. La personne n'a qu'à répondre : « Voici les raisons pour lesquelles vous devriez me remettre en liberté. J'ai des parents ou une épouse et un enfant qui vivent dans cette communauté. »

Diverses raisons peuvent être fournies. Vous avez souligné — et c'est la première fois que nous en entendons parler — une conséquence non voulue de cette loi qui est liée à d'autres dispositions du Code criminel. Je vous remercie, chef Stanley, d'avoir fait remarquer cette conséquence.

J'ai une simple question pour le professeur Chartrand. Monsieur, la dernière fois que ce projet de loi a été soumis, un « amendement Chartrand » a été adopté. Il était fondé sur votre article, intitulé Aboriginal Peoples and Mandatory Sentencing, paru en 2001. Toutes mes félicitations. Nous suivons l'évolution de la jurisprudence, dans une certaine mesure, et vous avez laissé votre marque sur le droit canadien, vos écrits ont été cités par des juges de la Cour supérieure. J'ai oublié le titre du dernier article que vous avez corédigé, mais l'article portait sur la détermination de la peine. Je vous félicite pour cela parce qu'il y a peu de personnes qui peuvent contribuer à l'évolution du droit tout en demeurant dans le domaine de l'enseignement.

L'amendement Chartrand sera redéposé, mais il ne connaîtra peut-être pas autant de succès que la dernière fois. Néanmoins, on aura essayé. Sinon, d'après ce que je comprends, vous soutenez qu'il y aura peut-être une violation des articles 12, 15.1 et 35 de la Constitution. Comme vous l'avez fait remarquer, il n'est pas protégé par l'article 1 de la Charte.

Pouvez-vous fournir un peu plus de détails sur cet argument? Le libellé de l'amendement sera à peu près le même, c'est-à-dire que, dans le cas des Autochtones, la peine minimale ne s'appliquera pas.

Pourriez-vous commenter de façon générale votre raisonnement? En quoi les dispositions liées aux peines minimales obligatoires contreviendraient-elles aux articles 12, 15 et 35 de la Charte et ne seraient-elles pas protégées par l'article 1?

M. Chartrand : Merci pour la question. La réponse pourrait prendre...

Le sénateur Angus : Une semaine.

M. Chartrand : Oui, une semaine.

La présidente : Nous ne vous accorderons pas autant de temps, mais vous avez deux ou trois minutes.

Le sénateur Baker : Soyez bref. La présidente vous interrompra. Tout mon temps sera écoulé.

M. Chartrand : Comme vous le savez, l'analyse visant à établir, par exemple, la pertinence d'une demande d'égalité aux termes de l'article 15 est un examen complexe auquel un plaignant doit se soumettre pour démontrer une inégalité et, par le fait même, déclarer que la loi est inconstitutionnelle.

Pour ce qui est des peines minimales obligatoires — plus particulièrement, concernant l'alinéa 718.2e) —, le Parlement a porté son attention sur le fait que l'ensemble du système de justice pénale a des répercussions totalement disproportionnées sur les Autochtones.

On a également reconnu que l'une des façons dont le Parlement peut agir sur ces différences est d'introduire dans le Code criminel une disposition explicite selon laquelle les Autochtones sont considérés et ciblés comme un groupe dont les besoins nécessitent une attention particulière pour veiller à ce que cette inégalité ne se manifeste pas dans le système de justice pénale.

Les moyens de régler cette inégalité sont enchâssés dans l'alinéa 718.2e). Lorsque j'ai rédigé l'article, je me penchais sur la situation des armes à feu.

Le sénateur Baker : Je vois.

M. Chartrand : Dans le contexte des drogues, les mêmes principes s'appliquent. Si vous tentez d'introduire des peines minimales obligatoires, vous faites obstacle à l'objectif de l'alinéa 718.e) de maintenir l'égalité. En faisant cela, vous allez à l'encontre de l'article 15. On pourrait se pencher sur chaque niveau de l'examen pour démontrer cette violation.

Quant à l'article 35 — disposition qui porte sur les droits issus de traités des Autochtones —, c'est plus complexe. On doit comprendre la relation coloniale entre les Autochtones et l'État canadien, la situation actuelle de l'État canadien et la façon dont on tente de concilier les intérêts autochtones et canadiens. Cette tentative est devenue visible dans diverses doctrines liées au droit autochtone, comme, par exemple, l'obligation de consulter.

À présent, l'obligation de consulter tient à l'honneur de la Couronne. Lorsqu'on compare l'article 35 et l'alinéa 718.2e), on ne peut pas vraiment affirmer que l'alinéa 718.2e) porte sur un droit des Autochtones. Toutefois, on peut affirmer que l'alinéa reflète une tentative de la Couronne d'agir honorablement et de tenir compte du fait que la colonisation a eu des incidences négatives sur les Autochtones.

À cet égard, nous pourrions invoquer l'article 35, mais il faudrait déployer beaucoup d'efforts pour défendre cet argument.

La présidente : Voulez-vous parler de l'article 7?

M. Chartrand : Non, ça ira.

Le sénateur Baker : Non, c'est suffisant.

La présidente : Voilà un mini séminaire d'études supérieures. Nous approchons de l'heure fatidique. Nous sommes maintenant à notre dernière question.

Le sénateur Chaput : Madame la présidente, ma question concerne l'article que M. Chartrand a rédigé en 2001. Lorsqu'il a répondu à la question du sénateur Baker, j'ai obtenu les réponses que je voulais. Je me demandais si les peines minimales obligatoires faisaient obstacle à l'égalité des Autochtones et si cela peut même être considéré comme une violation des droits autochtones. C'étaient mes questions.

La présidente : Nous avons eu des explications claires et convaincantes concernant son point de vue sur le sujet.

Le sénateur Chaput : Merci.

La présidente : Monsieur Jones, tentiez-vous d'ajouter quelque chose avant que je vous coupe la parole?

M. Jones : Non.

La présidente : Messieurs, merci beaucoup. Ces témoignages étaient importants et instructifs. Nous vous remercions de votre présence et nous sommes désolés de vous avoir retenus plus longtemps que prévu. Cela arrive parfois dans le cadre parlementaire — les travaux s'étendent.

Toutefois, chers collègues, nous nous reverrons demain matin à 10 h 30, dans cette salle. Nous procéderons à l'examen article par article du projet de loi. Cependant, avant de procéder, je vous inviterai à commenter une série de motions d'intérêt courant que le comité directeur croyait aborder ce soir, mais je crois qu'il serait plus équitable de les aborder lorsque les deux côtés seront mieux représentés. Êtes-vous d'accord?

Est-ce que vous nous faites confiance, sénateur Lang? Vous êtes libre de proposer ce que vous voulez.

Le sénateur Lang : Je vous fais beaucoup confiance, madame la présidente.

La présidente : Dans ce cas, nous parlerons des motions demain matin, au début de la séance, puisque ce sera vite fait. Nous passerons ensuite à l'examen article par article du projet de loi.

(La séance est levée.)


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